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Image corporelle et estime de soi : étude auprès de lycéens

français
Lionel Dany, Michel Morin
Dans Bulletin de psychologie 2010/5 (Numéro 509), pages 321 à 334
Éditions Groupe d'études de psychologie
ISSN 0007-4403
DOI 10.3917/bupsy.509.0321
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bulletin de psychologie / tome 63 (5) / 509 / septembre-octobre 2010 321

Image corporelle et estime de soi :


étude auprès de lycéens français
DANY Lionel*
MORIN Michel**

INTRODUCTION qu’un individu a accumulés à propos de son propre


corps et qui se sont plus ou moins intégrés dans
Le surpoids et l’obésité et, dans une moindre une perception globale (Bruchon-Schweitzer,
mesure, les troubles alimentaires, constituent, 1986). Cette image est constituée de perceptions et
aujourd’hui, en France, un problème majeur de représentations, qui nous servent à évoquer et
santé publique, en raison de leur prévalence et de évaluer notre corps, non seulement en tant qu’objet
leur effet potentiel sur la santé (De Peretti, 2004). doué de certaines propriétés physiques (taille,
En effet, le surpoids et l’obésité sont des détermi- poids, couleur, forme), mais aussi comme sujet ou
nants importants de la santé, qui exposent les partie de nous-mêmes, chargée d’affects multiples
personnes concernées à de nombreuses pathologies et, parfois, contradictoires (Bruchon-Schweitzer,
(cardiovasculaires, métaboliques, articulaires, vési- 1990). L’image corporelle peut être appréhendée
culaires et cancéreuses), dont les conséquences, comme un construit multidimensionnel, qui inclut
pour les individus, ne sont pas seulement sanitaires, des composantes perceptuelles, attitudinales, mais
mais aussi sociales : stigmatisation, préjugés, aussi affectives (Striegel-Moore, Franko, 2002).
discrimination. Ce phénomène de surpoids est Elle est le résultat d’une activité psychique des
moins répandu chez les adolescents que chez les individus, face à divers déterminants biologiques
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adultes, mais il est, de plus en plus fréquent dans (le corps réel) ou sociaux (le corps perçu par
cette catégorie de la population. Ainsi, selon les autrui) ; elle a une fonction protectrice, stabilisa-
normes internationales de l’IOTF (International trice et, donc, adaptative. Cette image est évolutive
obesity task force), en 2006, la prévalence globale et change avec l’âge. Elle se constitue dès la
du surpoids des adolescents de 15-17 ans, en première enfance et se trouve au fondement de
France, est de 12,3 % ; l’obésité proprement dite l’identité (Erikson, 1968 ; Levine, Smolak, 2002).
touchant 4,3 % de ces adolescents (Unité de Plusieurs notions (idéal corporel, corps perçu,
surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle, satisfaction et image insatisfaction corporelle) se
2007). Les indicateurs utilisés, pour évaluer trouvent au cœur de ce concept et de son évalua-
l’importance de ces phénomènes (par exemple, tion. L’idéal corporel constitue l’image du corps
l’indice de masse corporelle – IMC), sont particu- vers laquelle l’individu tend. Cet idéal est intime-
lièrement adaptés pour décrire ce que l’on peut ment lié au contexte socioculturel et aux idéaux
nommer le « corps réel », mais ils ne permettent corporels présents au sein de nos sociétés. On peut
pas d’évaluer ce qui est de l’ordre du « corps mentionner, par exemple, la promotion de la
perçu ». Or, celui-ci joue un rôle fondamental, car minceur chez les femmes et celle de la musculature
les définitions sociales du surpoids ou de l’obésité chez les hommes. Cette « pression corporelle »
peuvent différer des définitions médicales (Emslie, s’exerce par les médias, les pairs, la famille et
Hunt, Macintyre, 2001). De plus, la manière dont conduit à l’intériorisation des normes par les
les individus perçoivent leur corps a des consé-
quences directes sur leurs comportements de santé
et, également, sur leur vécu psychique.
* Laboratoire de psychologie sociale, Université de
De l’image corporelle à la satisfaction Provence, 29 avenue Robert Schuman, 13621 Aix-
corporelle en-Provence Cedex 1 ; Assistance publique-hôpitaux de
Marseille, Centre hospitalier universitaire de la Timone,
Au sein des représentations de son propre corps, Service d’oncologie médicale.
<Lionel.Dany@univ-provence.fr>
le concept d’image corporelle occupe une place ** Laboratoire de psychologie sociale, Université de
centrale pour penser ce « corps perçu ». L’image Provence ; Institut fédératif de recherche, sciences
du corps peut être considérée comme l’ensemble humaines économiques et sociales de la santé
des sentiments, attitudes, souvenirs et expériences, d’Aix-Marseille.
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individus (Heinberg, 2000). Le corps perçu est la Pour Jackson (2002), ces tendances doivent être
manière dont les individus se classent et évaluent appréhendées dans une perspective socioculturelle.
leur poids (maigre, normal, trop gros...). La diffé- Celle-ci permet une étude compréhensive des
rence entre le corps perçu et le corps désiré permet comportements et modalités de pensée des individus
d’évaluer l’insatisfaction corporelle. Celle-ci et groupes sociaux, centrée sur la manière dont les
constitue une notion indispensable pour étudier valeurs et modèles socioculturels sont en mesure de
comment les individus perçoivent leur corps (Cash, les influencer et d’opérer, à ce titre, de véritables
2002). Notons, par ailleurs, que l’insatisfaction « pressions » (Van den Berg, Neumark-Sztaimer,
corporelle apparaît souvent comme étant indépen- Hannan, Haines, 2007). Ainsi, dans le domaine du
dante de l’IMC (Allaz, Bernstein et coll., 1998). corps, la minceur – plus particulièrement pour les
Autrement dit, le fait que le corps réel soit femmes – semble constituer, aujourd’hui, la norme
« normal » objectivement (comme peut l’indiquer dominante définissant la norme corporelle, de
par exemple l’IMC) est autre chose que la percep- manière plus marquée depuis les années 1960
tion que les individus en ont (corps « perçu »). (Fischler, 1990 ; Meidani, 2006 ; Vigarello, 2004).
Notons, d’un autre côté, que l’insatisfaction corpo- Dans divers pays occidentaux, on peut constater
relle apparaît souvent comme étant indépendante qu’une proportion importante d’adolescentes déclare
de l’IMC (Allaz, Bernstein et coll., 1998). Autre- vouloir être plus mince et faire des régimes (Levine,
ment dit, le fait que le corps réel soit « normal » Smolak, 2002). Certains invoquent, à ce sujet, une
objectivement – comme peut l’indiquer, par « dictature de la minceur » (Hubert, De Labarre,
exemple, l’IMC –, est autre chose que la perception 2005). De plus, l’équation minceur = santé (très
que les individus en ont (corps « perçu »). prégnante dans la rhétorique publicitaire) a tendance à
s’imposer, en particulier chez les adolescentes et
Appartenance sexuelle et image corporelle femmes jeunes. Ainsi, le corps mince ou musclé, selon
les cas, s’inscrit comme une norme de beauté (Leton-
Parmi les variables descriptives et explicatives turier, 2006), plus particulièrement dans les pays occi-
des phénomènes associés à l’image corporelle, dentaux. Ces normes corporelles s’expriment très
l’insatisfaction corporelle et les troubles alimen- largement dans la société, à partir de différentes
taires, il en est une qui occupe une place de choix : sources et objets : promotion médiatique de figures
l’appartenance sexuelle. De nombreuses recherches corporelles idéales, promotion de certaines pratiques
ont montré que les femmes sont généralement plus
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alimentaires (régimes) et corporelles (sport), voire
insatisfaites de leur apparence physique que les influence de la famille et des pairs (Keery, Van den
hommes (Furnham, Calnan, 1998 ; Funrham, Berg, Thompson, 2004 ; Wyles, Gunter, 2008).
Badmin, Sneade, 2002). Les femmes ont, par
exemple, tendance à se voir plus grosses qu’elles ne Ces problématiques, relatives à l’image corpo-
le sont, alors que les hommes se perçoivent comme relle, à l’apparence et au corps, sont particulière-
étant plus minces ; cette distorsion perceptive est ment prégnantes à l’adolescence. Cette période est
d’autant plus importante chez les femmes que leur importante pour l’élaboration de points de vue sur
idéal corporel est d’être mince (Emslie, Hunt et soi-même et le monde, mais, aussi, du fait que la
coll., 2001 ; Makkar, Strube, 1995). Il est important puberté entraîne tout un ensemble d’évènements et
de noter que les femmes ont tendance à se juger en de changements relatifs au corps (croissance en
surpoids, alors qu’objectivement – selon les normes poids et en taille, apparition des poils, développe-
médicales définies avec l’IMC – elles ne le sont pas ment du tissus adipeux, acné...). Ces modifications
(Furnham, Calnan, 1998). Une enquête récente opèrent, comme nous l’avons signalé, dans un
(Masson, 2004), effectuée en France, montre que contexte socioculturel qui promeut certaines
75 % des Françaises, âgées de 18 à 65 ans, ont déjà normes corporelles. Ainsi, on assiste à la promo-
fait un régime et en font encore. De plus, 78 % des tion de la minceur pour les femmes et à celle de la
femmes entre 18 et 24 ans pensent qu’être mince est musculature pour les hommes (Grogan, 2008). À
une obligation pour se sentir normale. Enfin, deux ce titre, l’image corporelle est essentielle pour la
tiers des femmes ayant un poids normal se trouvent définition personnelle des adolescentes, parce
trop grosses et voudraient perdre en moyenne cinq qu’elles ont été portées à croire, par le biais de la
kilos. D’un autre côté, cette différence entre socialisation, que leur apparence constituait la base
hommes et femmes, entre garçons et filles, apparaît quasi-essentielle de leur évaluation personnelle et
relativement tôt. Une recherche, effectuée auprès de de celle opérée par autrui (Thompson, Heinberg,
collégiens (Laure, Binsinger, Ambard, Girault, Altabe, Tantleff-Dunn, 1999). L’importance de
2005), a montré que, dès la fin de la classe de l’insatisfaction corporelle des adolescentes a
sixième et jusqu’au début de la quatrième, on conduit certains auteurs à parler d’un « méconten-
observe une différence entre garçons et filles, ces tement normatif » (Rodin, Silberstein, Striegel-
dernières étant deux fois plus nombreuses que les Moore, 1985) pour rendre compte de ce phéno-
garçons à se déclarer « trop grosses ». mène. Ainsi, exprimer le fait de ne pas être
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satisfaite de son corps peut être envisagé comme 1989) n’a pas pu montrer de lien entre estime de
la conformation à une norme « d’insatisfaction » soi et estime corporelle.
sans prise en compte de la réalité corporelle.
Problématique
Les garçons sont, eux, plus intéressés par leur
musculature que par leur poids, puisqu’ils souhai- Malgré l’intérêt que revêt le concept d’image
teraient perdre du poids, tout en maintenant leur corporelle, force est de constater qu’un nombre
masse musculaire, bien que les deux soient liés restreint de travaux a été effectué en France.
(Anderson, Di Domenico, 1992 ; Olivardia, 2002). Certains de ces travaux ne sont pas récents
Le corps masculin idéal est une silhouette en V (Bruchon-Schweitzer, 1986, 1990 ; Rodriguez-
avec une accentuation des biceps, des pectoraux et Tomé, Bariaud, Cohen-Zardi et coll., 1993) ;
des épaules (Funrham, Badmin et coll., 2002). La d’autres ont été réalisés auprès d’un seul sexe,
quête de ce type d’apparence corporelle a été hommes (Pope, Gruber, Mangweth et coll., 2000)
décrite, dans sa forme la plus « extrême », sous ou jeunes femmes (Rousseau, Knotter, Barbe et
l’appellation de « complexe d’Adonis » (Pope, coll., 2005) ; d’autres encore se sont centrés sur une
Phillips, Olivardia, 2000). période spécifique, comme la puberté (Bariaud,
Rodriguez-Tomé, Cohen-Zardi et coll., 1999 ;
Satisfaction corporelle et estime de soi Rodriguez-Tomé, Bariaud et coll., 1993) ou ont été
La problématique soulevée par la question de réalisés auprès de populations très hétérogènes ne
l’insatisfaction corporelle a conduit à la réalisation comprenant pas d’adolescents, soit de jeunes
de recherches, qui se sont centrées sur les relations adultes étudiants, de malades du cancer, de
entre insatisfaction corporelle et bien-être psycho- personnes atteintes de douleur chronique (Koleck,
logique, estime de soi notamment. L’estime de soi Bruchon-Schweitzer, Cousson-Gélie et coll.,
constitue un concept majeur pour comprendre le 2002).
vécu psychique des individus. Elle désigne l’atti- Notre recherche a pour objectif l’analyse des
tude, plus ou moins favorable, qu’a chaque indi- relations entre « corps réel », « corps perçu » et
vidu envers lui-même, le respect qu’il se porte, le estime de soi chez des adolescents, en fonction de
sentiment qu’il a de sa propre valeur en tant que leur sexe. Il s’agit de comparer diverses mesures
personne (Rosenberg, 1965). Elle constitue un indi- de satisfaction corporelle, en fonction du sexe et
cateur clé du bien-être psychologique, particulière- d’étudier les relations entre diverses évaluations du
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ment dans la culture occidentale (Oishi, Diener, « corps perçu » et du « corps réel », et l’estime de
Lucas, Suh, 1999). L’estime de soi diffère selon le soi de ces adolescents. Nos hypothèses sont les
sexe. De nombreuses recherches (Davison, suivantes :
McCabe, 2006 ; Kostanski, Gullone, 1998 ; Paxton, – on s’attend à ce que les filles expriment davan-
Wertheim, Gibbons et coll., 1991) ont montré que tage d’insatisfaction corporelle que les garçons et
l’estime de soi des femmes est significativement que leur niveau d’estime de soi soit moins élevé ;
moindre que celle des hommes. D’un autre côté, – on s’attend à ce que les garçons expriment le
cette différence est plus importante durant l’adoles- souhait d’être plus « larges » et les filles celui
cence (Kling, Hyde, Showers, Buswell, 1999). d’être plus « minces » ;
Pour ce qui est du lien entre image corporelle et – on s’attend à ce que les filles expriment de
estime de soi, on constate que plusieurs recherches l’insatisfaction corporelle, même lorsque leur corps
ont mis en évidence une relation entre insatisfac- réel est conforme aux normes médicales ;
tion corporelle, apparence perçue et estime de soi – on s’attend à ce que ce soit les mesures de
(Funrham, Badmin et coll., 2002 ; Kostanki, satisfaction corporelle qui prédisent l’estime de soi
Gullone, 1998 ; Koff, Rierdan, Stubbs, 1990 ; chez les garçons et les filles, mais non les mesures
Thompson, Altabe, 1991 ; Tomori, Rus-Makovec, corporelles objectives (IMC).
2000). Celles-ci montrent qu’un niveau élevé de
Nous souhaitons, également, évaluer l’utilisation
satisfaction corporelle est associé à un haut niveau
de différents outils d’évaluation de l’image corpo-
d’estime de soi chez les hommes et les femmes. De
relle et de la satisfaction corporelle (unidimen-
la même manière, l’insatisfaction corporelle est
sionnel ou pluridimensionnel), afin d’explorer leur
négativement corrélée avec l’estime de soi, parti-
spécificité, en fonction du sexe des répondants.
culièrement, chez les femmes. Toutefois, d’autres
recherches n’ont pas trouvé un tel lien. C’est le cas
de Silberstein, Striegel-Moore, Timko et Rodin MÉTHODE
(1988), qui n’ont pas trouvé de différences d’estime
Participants
de soi significatives entre des jeunes femmes, qui
exprimaient le souhait d’être plus « fines » et Un questionnaire a été administré à 187 élèves
d’autres, qui s’estimaient satisfaites de leur (86 garçons et 101 filles) de seconde d’enseigne-
silhouette. Une autre étude (Fabian, Thompson, ment général et technologique. Ces élèves étaient
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scolarisés dans 2 lycées différents situés, l’un dans les garçons et 68,77 (± 7,27) pour les filles. La
l’Allier, l’autre dans le Vaucluse. La passation s’est consistance interne de l’échelle se situe à α = 0,77
effectuée en classe (année scolaire 2007-2008), de dans notre échantillon.
manière collective, par des psychologues stagiaires. L’échelle d’estime de soi de Rosenberg (Rosen-
Matériel berg, 1965) permet d’effectuer une mesure unidi-
mensionnelle de l’estime de soi globale des indi-
Le questionnaire comprenait différents types de vidus. Elle est régulièrement utilisée auprès
questions et d’échelles. L’échelle d’évaluation de d’adolescents (Furnham, Badmin et coll., 2002 ;
la silhouette (The figure rating scale – FRS) (Stun- Kostanski, Gullone, 1998). Elle comprend dix
kard, Sorensen, Schulsinger, 1983) ou Figurines de propositions (par exemple, « Parfois je me sens
Stunkard, consiste en une série de neuf figurines réellement inutile »), auxquelles les sujets doivent
(ou silhouettes) de caractères simples, représentant, donner leur niveau d’accord sur une échelle de type
de face, le corps féminin et le corps masculin. Likert en quatre points, allant de 1, « tout à fait
Chaque série de corps (une pour chaque sexe) est d’accord » à 4, « pas du tout d’accord ». Le score
présentée, du plus maigre au plus gros, les diffé- d’estime de soi se situe, donc, entre 4 et 40. Plus
rences de corpulence entre figurines étant nette- il est élevé, plus l’estime de soi est importante.
ment identifiables de l’une à l’autre. Chaque sujet Dans le cadre de cette recherche, la consistance
est invité à indiquer, après visualisation des figu- interne de l’échelle se situe à α = 0,81. Le score
rines, celle qui lui correspond le mieux (corps moyen d’estime de soi est de 29,59 (± 4,91) dans
perçu) et celle qui correspond à ce qu’il/elle notre échantillon, soit 31,84 (± 4,33) pour les
voudrait être (corps idéal). La différence entre garçons et 27,68 (± 4,57) pour les filles.
corps idéal et corps perçu (soit entre les deux L’indice de masse corporelle (IMC) : chaque
scores) ou encore la distance entre « idéal » et lycéen devait indiquer sa taille et son poids. Ces
« réalité » (Bruchon-Schweitzer, 1990) peut être informations nous ont permis de calculer, pour
interprétée comme une mesure de l’insatisfaction chacun, son IMC, soit, le poids divisé par la taille
corporelle (Gardner, Friedman, Jackson, 1999). Un au carré (IMC = poids en kg/taille en m2). L’IMC
score positif indique un désir d’être plus moyen de l’échantillon est de 20,15 kg/m2 (± 3,25).
« mince » ; un score négatif suggère un désir d’être Contrairement aux adultes, pour lesquels il existe
plus « large ». Deux types d’informations sont une valeur seuil unique de l’IMC, pour définir le
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obtenus : la valeur absolue de cette différence surpoids (25) et une pour l’obésité (30), les seuils,
indique le niveau d’insatisfaction corporelle, la chez l’enfant, évoluent avec l’âge et le sexe, du fait
valeur brute de cette différence indique le sens de des variations morphologiques, survenant au cours
cette insatisfaction (souhaiter être plus « mince » de la croissance. Les seuils retenus dans cette étude
ou plus « large »). La validité (test-retest) de cette sont ceux des courbes de référence françaises
échelle a été établie auprès d’adolescentes (Rolland-Cachera, Castetbon, Arnault et coll.,
(Thompson, Altaben 1991). Une question supplé- 1991), qui fournissent, pour chaque sexe et à
mentaire portait sur la silhouette représentant le chaque âge des seuils, à partir desquels il y a insuf-
mieux le corps qu’autrui pourrait attribuer au fisance pondérale, surpoids et obésité.
répondant (corps pour autrui).
Enfin, une question d’auto-évaluation de la
Le Questionnaire d’image corporelle (QIC) corpulence était proposée. Chaque personne devait
(Bruchon-Schweitzer, 1987, 1990 ; Koleck, indiquer, sur une échelle en sept points, allant de
Bruchon-Schweitzer et coll., 2002) est un outil, en « trop maigre » à « trop grosse, la manière dont elle
langue française, qui permet de mesurer la satis- évaluait son corps.
faction corporelle des individus. Le QIC explore la
satisfaction/insatisfaction corporelle, de façon indi- Analyses statistiques
recte, en prenant en compte un ensemble d’attributs
et d’états corporels désirables/indésirables Des comparaisons de moyennes intra- et inter-
(Bruchon-Schweitzer, 1990). Cette échelle sexe ont été réalisées (test t de Student), afin de
comprend dix-neuf items. Les réponses sont comparer les différents types de réponses aux figu-
données sur des échelles bipolaires en cinq points, rines de Stunkard. D’autres analyses de compa-
qui proposent des termes antithétiques. Par raison de moyennes ont porté sur les scores aux
exemple, les individus sont invités à se situer sur différentes questions et échelles, selon le sexe. Le
un axe « corps physiquement attirant » ou « corps test du Chi2 a été utilisé afin d’étudier la répartition
physiquement non attirant ». La somme des des différents statuts pondéraux, en fonction de
réponses permet d’obtenir un score total de satis- l’auto-évaluation de la corpulence.
faction corporelle compris entre 19 et 95. Le score Des matrices de corrélation (coefficient r de
moyen de satisfaction corporelle de notre échan- Bravais-Pearson) ont été calculées, une pour les
tillon est de 72,47 (± 8,80), soit 76,81 (± 8,48) pour garçons et une pour les filles, afin d’apprécier les
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liens entre estime de soi et les différentes compo- de Stunkard. On peut noter que les garçons choi-
santes du corps réel (IMC) et perçu, soit le score sissent un corps idéal plus « large »
d’insatisfaction corporelle (FRS), la satisfaction (m = 3,88 ± 0,80) que leur corps perçu
corporelle (QIC) et l’auto-évaluation de la (m = 3,57 ± 1,15 ; t(85) = – 2,76 ; p < .01). Le
corpulence. corps pour autrui (m = 3,43 ± 1,48) est plus
Enfin, nous avons réalisé deux régressions multi- « mince » que le corps perçu, mais cette différence
ples hiérarchiques (une pour chaque sexe), afin n’est pas significative (t(85) = 1,83 ; p = .07). Pour
d’apprécier la part de l’estime de soi prédite, globa- les filles, on peut constater que le corps idéal
lement, par l’ensemble des prédicteurs : IMC, auto- (m = 2,93 ± 0,63) est particulièrement plus
évaluation de la corpulence, insatisfaction corpo- « mince » que le corps perçu (m = 3,53 ± 1,26 ;
relle (FRS), satisfaction corporelle (QIC). Nous t(100) = 5,32 ; p < .001). Le corps pour autrui
avons inclus l’IMC dans une première étape, (m = 3,41 ± 1,41) est, également, plus « mince »
l’auto-évaluation de la corpulence dans une que le corps perçu (t(100) = 1,92 ; p < .05).
deuxième étape, suivie de l’inclusion de l’insatis- Si l’on compare les réponses des garçons et celles
faction corporelle (FRS), enfin, dans une quatrième des filles, on peut constater que l’évaluation du
étape, nous avons inclus la satisfaction corporelle corps perçu ne diffère pas selon le sexe
(QIC). (t(185) = 0,197 ; p = .844). De même, le corps pour
autrui ne diffère pas selon le sexe (t(185) = 0,114 ;
Corps perçu, réel et idéal selon le sexe p = .909). En revanche, les filles choisissent un
La figure 1 permet de visualiser les réponses corps idéal plus « mince » que celui des garçons
respectives des garçons et des filles aux figurines (2,93 versus 3,88 ; t(185) = 9,047 ; p < .001).
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Figure 1. Choix des garçons et des filles aux figurines de Stunkard.


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L’analyse de la distribution des réponses peut de leur corpulence, soit maigre soit gros(se),
nous permettre de mieux appréhender les choix semble en accord avec la définition objective de
selon le sexe relativement au corps perçu et au leur masse corporelle (IMC). Ainsi, ceux qui sont
corps idéal. Le tableau 1 permet de visualiser les en situation d’insuffisance pondérale s’auto-
différences entre choix de corps idéal, par rapport évaluent comme étant « trop maigre », « maigre »
au corps perçu. Près de quatre garçons sur dix « mince » ou « à peu près du bon poids ». Ceux qui
(39,5 %) et trois filles sur dix (30,7 %) ont un choix sont en situation de surpoids s’auto-évaluent
de corps idéal équivalent à leur corps perçu. Ainsi, comme étant « un peu rond(e) », « gros(se) » ou
une majorité de garçons (60,5 %) et de filles trop gros(se) », à l’exception d’un garçon qui
(69,3 %) a sélectionné un corps idéal différent du s’auto-évalue comme « à peu près du bon poids ».
corps perçu, mais ce choix s’exerce dans un sens De manière complémentaire, des tendances
opposé, selon le genre des répondants. Il y a davan- différenciées, selon le sexe, peuvent être observées
tage de garçons, qui souhaitent être plus « larges » parmi les individus dont l’IMC peut être qualifié
(41,8 %) que plus « minces » (18,6 %), alors que de normal. On peut constater que les garçons sont
seules 14 filles (13,8 %) expriment le désir d’être proportionnellement plus nombreux (27,38 %) que
plus « larges » et qu’une majorité d’entre elles les filles (18,18 %) à se déclarer « un peu maigre »
(55,5 %) choisissent un corps idéal plus « mince » ou « mince », alors que leur IMC peut être consi-
que leur corps « perçu ». déré comme normal, mais cette différence n’est pas
significative (χ2(1) = 1,84 ; p < .17). A contrario,
plus d’une fille sur trois (37,37 %) se déclare « un
Différence Garçons Filles peu ronde », « grosse » ou « très grosse », alors
entre corps qu’elle a un IMC normal, contre seulement 7,14 %
perçu et idéal Effectif % Effectif % des garçons (χ2(1) = 14,51 ; p < .01). Ainsi, près
d’une fille sur deux (41,5 %), présentant un IMC
–3 1 1,2 2 2,0
normal, se trouve « ronde » ou « grosse ».
–2 2 2,3 21 20,8
Caractéristiques selon le sexe
–1 13 15,1 33 32,7
Le tableau 3 permet de visualiser l’effet du sexe
0 34 39,5 31 30,7 sur les différentes informations recueillies. Les
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garçons sont, en moyenne, plus grands que les filles
1 27 31,4 8 7,9 (174,71 cm contre 164,80 cm ; t(183) = 9,16 ;
2 7 8,1 6 5,9 p < .001). Ils ont, également, un poids moyen plus
élevé (62,38 kg versus 54,67 kg ; t(181) = 5,47 ;
3 2 2,3 0 0,0 p < .001). L’indice de masse corporelle ne diffère
pas significativement selon le sexe et se situe à
Tableau 1. Différences entre corps perçu et corps idéal 20,35 pour les garçons et 19,98 pour les filles. Pour
selon le sexe. ce qui est de l’insatisfaction corporelle, les garçons
expriment le souhait d’avoir un corps plus large
que celui qu’ils ont, alors que les filles expriment
Un tableau, croisant les réponses à la question le souhait d’être plus minces (t(185) = 5,67 ;
d’auto-évaluation de la corpulence et l’indice de p < .01). D’un autre côté, les garçons ont un score
masse corporelle, a été réalisé, afin de mettre en de satisfaction corporelle, mesuré avec le QIC,
perspective l’évaluation personnelle de la corpu- significativement supérieur à celui des filles (76,81
lence, au regard de sa réalité, telle que l’IMC contre 68,77 ; t(185) = 6,97 ; p < .01). Enfin, les
permet de l’évaluer (tableau 2). Plusieurs constats garçons ont un score d’estime de soi supérieur à
émergent à la lecture de ce tableau. Dans un celui des filles (31,84 versus 27,68 ; t(185) = 6,35 ;
premier temps, on peut constater qu’une minorité p < .01).
de garçons (4,76 %) et de filles (7,07 %) présentent
Liens entre les variables
une insuffisance pondérale. Ils sont, également, peu
nombreux à être en surpoids ou en situation Pour les garçons (tableau 4), on peut observer
d’obésité : 5,96 % des garçons et 3,03 % des filles. que l’IMC est corrélé positivement avec l’auto-
Ainsi, près de neuf garçons (89,28 %) et filles évaluation de la corpulence (r(86) = .58). La satis-
(89,90 %) sur dix ont un IMC considéré comme faction corporelle mesurée avec le QIC est corrélée
normal. positivement (r(86) = .49) avec l’estime de soi.
Un autre élément tient au fait que les garçons et Pour les filles, l’IMC est corrélé positivement
les filles en insuffisance pondérale ou en surpoids avec le score d’insatisfaction corporelle (FRS ;
auto-évaluent leur corpulence de manière « concor- r(101) = .41) et l’auto-évaluation de la corpulence
dante » avec leur IMC, dans le sens où l’évaluation (r(101) = .75), et corrélé négativement avec la
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bulletin de psychologie 327

satisfaction corporelle (QIC ; r(101) = -.20). Le l’auto-évaluation de la corpulence (r(101) = .45).


score d’insatisfaction corporelle (FRS) est corrélé Enfin, la satisfaction corporelle (QIC) est corrélée
négativement avec le score de satisfaction corpo- positivement avec l’estime de soi (r(101) = .32) et
relle (QIC : r(101) = -.23) et l’estime de soi négativement avec la corpulence auto-évaluée
(r(101) = -.30), et positivement avec (r(101) = -.23).

Indice de masse corporelle

Insuffisance Surpoids
pondérale Normal Obésité Total
N (%) N (%) N (%) N (%)
Garçons
Trop maigre 0 (0) 0 (0) 0 (0) 0 (0)
Un peu maigre 1 (1,19) 7 (8,33) 0 (0) 8 (9,52)
Mince 1 (1,19) 16 (19,05) 0 (0) 17 (20,23)
À peu près du bon poids 2 (2,38) 46 (54,76) 1 (1,19) 49 (58,33)
Un peu rond 0 (0) 5 (5,95) 3 (3,57) 8 (9,52)
Gros 0 (0) 1 (1,19) 0 (0) 1 (1,19)
Trop gros 0 (0) 0 (0) 1 (1,19) 1 (1,19)
Sous total Garçons 4 (4,76) 75 (89,28) 5 (5,96) 84 (100)
Filles
Trop maigre 1 (1,01) 2 (2,02) 0 (0) 3 (3,03)
Un peu maigre 2 (2,02) 1 (1,01) 0 (0) 3 (3,03)
Mince 3 (3,03) 15 (15,15) 0 (0) 18 (18,18)
À peu près du bon poids 1 (1,01) 34 (34,34) 0 (0) 35 (35,35)
Un peu ronde 0 (0) 28 (28,28) 1 (1,01) 29 (29,29)
Grosse 0 (0) 7 (7,07) 0 (0) 7 (7,07)
Trop grosse 0 (0) 2 (2,02) 2 (2,02) 4 (4,04)
Sous total Filles 7 (7,07) 89 (89,90) 3 (3,03) 99 (100)
Total général 11 (6,01) 164 (89,62) 8 (4,37) 183 (100)
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Tableau 2. Distribution de l’indice de masse corporelle en fonction de l’auto-évaluation de la corpulence.

Garçons Filles
Variable (ou échelle) t(c)
Moyenne Écart-type Moyenne Écart-type
Taille (en cm) 174,71 8,45 164,80 6,22 9,16**
Poids (en kg) 62,38 10,59 54,67 8,45 5,47**
Indice de masse corporelle (IMC) 20,35 2,71 19,98 3,65 0,75
Insatisfaction corporelle (FRS)(a) 0,81 1,05 -0,60 1,14 5,67**
Auto-évaluation de la corpulence(b) 3,79 0,89 4,26 1,23 -2,90**
Satisfaction corporelle (QIC) 76,81 8,48 68,77 7,27 6,97**
Estime de soi (RSES) 31,84 4,33 27,68 4,57 6,35**
(a)
Un score positif indique le désir d’être plus « gros(se) » ; un score négatif indique le désir d’être plus « fin(e) ».
(b)
Échelle en sept points de « Trop maigre » à « Trop gros(se) ».
(c)
* p < .05 ; ** p < .01.

Tableau 3. Corps réel, perçu et estime de soi selon le sexe.

Variable 1 2 3 4 5
1. Indice de masse corporelle – 0,01 0,10 – 0,10 0,58**
2. Insatisfaction corporelle (FRS) 0,41** – 0,11 – 0,03 – 0,05
3. Satisfaction corporelle (QIC) – 0,20* – 0,23* 0,49** 0,01
4. Estime de soi 0,06 – 0,30* 0,32** – 0,13
5. Auto-évaluation de la corpulence 0,75** 0,45** – 0,23* – 0,06

Note : Le triangle supérieur (en grisé) concerne les résultats des garçons, le triangle inférieur les résultats pour les filles. * p < .05 ;
** p < .01

Tableau 4. Corrélations entre les variables.


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328 bulletin de psychologie

Régression multiple hiérarchique corporelle contribue massivement à la prédiction


de l’estime de soi (ΔR2 = 0,25). Les résultats, pour
Les résultats de la régression multiple hiérar- les filles, révèlent qu’une fois l’IMC pris en compte
chique (tableau 5), pour les garçons, révèlent (étape 2), l’auto-évaluation de la corpulence ne
qu’une fois l’IMC pris en compte (étape 2), l’auto- permet pas de prédire l’estime de soi. La prise en
évaluation de la corpulence ne permet pas de compte de l’insatisfaction corporelle (FRS), dans
prédire l’estime de soi. La prise en compte de l’étape 3 permet d’expliquer 8 % de la variance. La
l’insatisfaction corporelle (FRS), dans l’étape 3, ne prise en compte de la satisfaction corporelle (QIC),
permet pas, non plus, de prédire l’estime de soi. En dans l’étape 4, ajoute, significativement, à la
revanche, la prise en compte de la satisfaction prédiction de l’estime de soi (17 % de la variance
corporelle (QIC), dans l’étape 4, permet d’expli- expliquée), au-delà de la contribution de l’insatis-
quer 27 % de la variance. La seule satisfaction faction corporelle (ΔR2 = 0,09).

Estime de soi

Garçons Filles

Étapes Prédicteurs β t β t

Étape 1 1. IMC – 0,10 – 0,92 0,06 0,60


Model R2 (F) 0,010 (0,85)ns 0,004 (0,36)ns

Étape 2 1. IMC – 0,03 – 0,22 0,20 1,36


2. Auto-éval. de la corpulence – 0,12 – 0,90 – 0,19 0,20
Model R2 (F) 0,020 (0,83)ns 0,021 (1,01)ns
ΔR2 (F) 0,010 (0,82)ns 0,017 (1,64)ns

Étape 3 1. IMC – 0,02 – 0,19 0,27 1,83


2. Auto-éval. de la corpulence – 0,12 – 0,94 – 0,13 – 0,87
3. Insatisfaction corporelle (FRS) – 0,05 – 0,50 – 0,28 – 2,65*
Model R2 (F) 0,023 (0,63)ns 0,088 (3,06)*
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ΔR2 (F) 0,003 (0,25)ns 0,068 (7,03)*

Étape 4 1. IMC – 0,10 – 0,88 0.31 2,18*


2. Auto-éval. de la corpulence – 0,08 – 0,73 – 0.05 – 1,14
3. Insatisfaction corporelle (FRS) 0,03 0,35 – 0,26 – 2,53*
4. Satisfaction corporelle (QIC) 0,51 5,25** 0,30 3,21**
Model R2 (F) 0,276 (7,54)** 0,178 (5,10)**
ΔR2 (F) 0,253 (27,63)** 0,090 (10,32)*

ns
Note : non significatif ; * p < .05 ; ** p < .01.

Tableau 5. Coefficients de régression multiple hiérarchique entre l’IMC, les mesures d’insatisfaction et de satis-
faction corporelle, la corpulence auto-évaluée (prédicteurs) et l’estime de soi (critère).

DISCUSSION ayant un IMC normal, se jugent plus « grosses »,


dans une proportion très importante (près d’une sur
Cette recherche visait à explorer les relations deux). Cette tendance est très minoritaire chez les
entre corps « réel », corps « perçu » et estime de garçons (9,3 %). De plus on peut constater que
soi, chez des adolescents français des deux sexes. l’IMC est corrélé, chez les filles, avec l’ensemble
À la lecture de l’ensemble des résultats, plusieurs des indicateurs du corps « perçu » (FRS, QIC, auto-
éléments de discussion peuvent être mis en avant. évaluation de la corpulence), alors qu’il n’est
Un premier élément de discussion et de réflexion corrélé qu’avec un seul de ces indicateurs chez les
vise l’impact du genre sur la perception du corps garçons (l’auto-évaluation de la corpulence, qui
chez les adolescents. Dans notre étude, filles et repose sur une évaluation du poids du corps
garçons se distinguent, de manière très nette, en ce « perçu »). Quand on intègre la notion d’insatisfac-
qui concerne l’auto-évaluation de leur corpulence, tion, les différences entre genres se précisent : plus
les filles se percevant comme plus « grosses », en l’IMC augmente, plus les filles sont insatisfaites de
moyenne, que les garçons. D’un autre côté, lorsque leur corps (FRS et QIC, à un degré moindre).
l’on met en relation l’auto-évaluation de la corpu- L’insatisfaction augmente, de façon plus impor-
lence et l’IMC, on peut constater que les filles, tante que chez les garçons, lorsque leur IMC croît.
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bulletin de psychologie 329

Ces résultats nous donnent à voir deux facettes 2007 ; Lamb, Jackson, Cassiday, Priest, 1993) les
de la composante féminine du lien entre corps filles choisissent une silhouette idéale (mesure du
« perçu » et corps « réel » : d’une part, l’associa- corps désiré à la FRS) plus fine que leur silhouette
tion entre l’élévation de l’IMC et celle de l’insa- perçue, exprimant ainsi le souhait d’être plus
tisfaction corporelle (Kostanski, Gullone, 1998) ; « mince ». Parmi ces travaux, certains (Altabe,
d’autre part, une évaluation de la corpulence, qui Thompson, 1993 ; Fallon, Rozin, 1985 ; Jones,
s’éloigne des normes corporelles (à travers la Fries et coll., 2007 ; Lamb, Jackson et coll., 1993)
mesure de l’IMC), définis objectivement (Bulik, ne font pas état d’une différence dans les choix
Wade, Heath et coll., 2001). On peut avancer que opérés par les garçons, alors que nos résultats souli-
des normes s’appliquent différentiellement pour les gnent un choix plus marqué pour une silhouette
garçons et les filles. Ces normes s’éloignent, tout idéale, plus « large » que leur silhouette perçue,
particulièrement pour les filles, de la définition comme d’autres recherches ont pu l’observer
médicale officielle de la masse corporelle (Kostanski, Gullone, 1998 ; Peixeto-Labre, 2002 ;
« normale ». Autrement dit, la norme médicale Stanford, McCabe, 2002 ; Welch, Gross, Bronner
fixée dans l’IMC ne se superpose pas intégralement et coll., 2004). Chez les garçons, le choix d’une
à la norme de l’idéal corporel féminin contempo- silhouette plus « large » que leur silhouette perçue
rain qui est plus prégnante chez les jeunes femmes. ne relève pas du désir d’être plus « gros », mais de
Cette attention toute particulière, portée à la celui d’être plus « musclé », comme le montrent un
question du poids, chez les filles, trouve son origine certain nombre de travaux (Anderson, Di Dome-
dans la diffusion massive d’une norme corporelle nico, 1992 ; Peixebo-Labre, 2002 ; Pope, Phillips
féminine marquée par la minceur (Hubert, De et coll., 2000). Une limite peut être mentionnée
Labarre, 2005). Les jeunes femmes, plus que les quant à l’utilisation des silhouettes de Stunkard
jeunes hommes, sont confrontées à des messages dans cette recherche. Celles-ci ne varient que sur
relayés par les médias, leurs parents ou encore leurs une seule dimension, qui ne permet pas de distin-
pairs qui confortent la définition d’un corps idéal guer si l’augmentation de la taille des silhouettes
plus mince ou plus musclé (Schwartz, Phares, est due à une augmentation de la masse musculaire
Tantleff-Dunn et coll., 1999 ; Taylor, Sharpe, Shis- (moins probable) ou à celle de l’adiposité (plus
slak et coll., 1998). Leur insatisfaction corporelle probable). Ces silhouettes ne sont pas représenta-
est directement associée à la comparaison entre leur tives des dimensions de variation des différentes
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corps (perçu) et le corps idéal véhiculé par les morphologies et, en particulier, à ce qui est dû,
médias (Van den Berg, Paxton, Keery et coll., dans les diamètres et largeurs, au développement
2007). Les résultats obtenus à travers les trois outils musculaire et osseux. Les silhouettes masculines
de mesure du corps perçu sont concordants et proposées ont, probablement, induit, chez les
mettent bien en lumière, selon nous, l’influence des lycéens, un conflit entre le désir d’être large, parce
modèles socioculturels, des normes sociales, des que musclé et le rejet des corps larges proposés
standards corporels féminins et masculins sur la (par que trop gras) (Cohane, Pope, 2001). L’utili-
façon dont les adolescents évaluent leur propre sation d’un outil bidimensionnel comme la Soma-
corps (Grogan, 2008 ; Jackson, 2002). Élaboré dans tomorphic matrix (Gruber, Pope, Borowiecki,
cette perspective, le modèle de l’influence tripartite Cohane, 1999), qui permet de choisir des images
(Thompson et coll., 1999), postule que les relations variant selon deux axes indépendants (poids et
entre, d’une part, les médias, l’environnement musculature), aurait permis de statuer sur la logique
familial, les pairs (par exemple, exposition à des présidant aux choix des lycéens. Une autre limite
figures médiatiques idéalisées, pressions et remar- méthodologique porte sur la formulation, « à peu
ques familiales, régimes suivis par des pairs, près du bon poids », de la réponse médiane à la
moqueries quant au poids) et, d’autre part, l’insa- question d’autoévaluation de la corpulence.
tisfaction corporelle, sont médiatisées par la D’autres formulations (par exemple : « Je suis
comparaison de l’apparence (Keery, Van den Berg, satisfait de mon poids » ou « J’ai le poids qu’il
Thompson, 2004) Dans cette perspective, la faut ») auraient été mieux adaptées.
comparaison de l’apparence médiatiserait l’effet de La distance observée entre « réalité » et « idéal »
diverses variables psychologiques, mais, aussi, ne s’élabore pas ex nihilo mais s’inscrit dans des
d’attitudes (variables socioculturelles). Les indi- logiques sociales signifiantes, qui témoignent du
vidus les plus « incertains » envers eux-mêmes, poids des représentations, associées aux normes
auront davantage tendance à se comparer aux corporelles et à leur régulation sexuée. Ces résul-
autres. tats mettent en lumière des logiques sous-jacentes,
Conformément aux résultats de divers travaux qui semblent attester du maintien d’une distinction
antérieurs (Altabe, Thompson, 1993 ; Demarest, ancienne entre « beau sexe » et « sexe fort »
Allen, 2000 ; Fallon, Rozin, 1985 ; Gardner, (Bruchon-Schweitzer, 1990). Il convient, égale-
Friedman et coll., 1999 ; Jones, Fries, Danish, ment, de noter qu’une proportion importante de
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330 bulletin de psychologie

garçons (60,5 %), proche de celle des filles autrui. De prime abord, on peut constater que
(69,3 %), exprime une certaine insatisfaction à garçons et filles répondent selon une même
l’égard de leur corps (toutes tendances confon- logique, qui peut se résumer ainsi : « selon moi, les
dues). L’accentuation de la visibilité du corps autres me voient plus mince que je ne le suis ». Or,
masculin (médias, publicité), associée à une ce regard d’autrui, tel qu’il est envisagé par ces
certaine évolution du sens de la masculinité, contri- adolescents, n’a pas les mêmes conséquences si
buent à une sensibilité croissante des hommes l’on prend en compte le corps désiré. Ainsi, on peut
quant à leur apparence et à une plus grande atten- remarquer que l’évaluation attribuée à autrui, a
tion pour la manière dont leur corps est perçu par pour effet, dans un cas (les garçons), une accen-
autrui (Grogan, 2008). Pour Lee Monaghan (2002), tuation de la distance au corps désiré ; dans l’autre
ces dernières années ont vu l’apparition du « culte cas (les filles), une diminution de cet écart au corps
de la beauté masculine », culte dont leur insatisfac- désiré. On peut, également, noter que, dans un cas
tion corporelle relative est, sans doute, une consé- (les garçons), le corps désiré est plus « large » que
quence. L’émergence de nouvelles normes corpo- le corps supposé perçu par autrui, dans l’autre (les
relles masculines constitue une voie heuristique filles), le corps désiré est largement plus « mince »
pour appréhender la construction sociale de la que le corps supposé perçu par autrui. Autrement
masculinité, dans un contexte d’exposition à de dit, si l’on observe bien une tendance identique
nouvelles « normes corporelles ». L’étude des entre corps perçu et corps pour autrui pour chaque
processus, sur lesquels cette construction repose, sexe, les enjeux des évaluations concernant le
nous semble particulièrement intéressante (par rapport entre corps pour autrui et corps désiré sont
exemple. rapports sociaux de sexe, socialisation, opposés pour les filles et les garçons. On peut
comparaison sociale). traduire ces enjeux de la manière suivante : pour
L’attention aux déclarations d’insatisfaction, les garçons, « les autres me perçoivent plus mince
relevées par la recherche dans ce domaine, reste une que ce que je voudrais être » ; pour les filles, « les
entrée heuristique intéressante pour l’analyse de la autres me perçoivent comme plus grosse que ce
perception du corps, même si son insertion, dans un que je souhaiterais être ». Ce dernier élément est
cadre théorique, peine encore à dépasser le particulièrement important car les filles sont plus
descriptif. Pour la satisfaction corporelle (évaluée sensibles que les garçons aux messages véhiculés
avec le QIC), nos résultats montrent que les garçons par leurs pairs ou leurs proches (Stanford, McCabe,
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sont plus satisfaits que les filles, comme dans 2002). À cet effet, il serait intéressant d’explorer
d’autres études utilisant d’autres outils (Furnham, plus qualitativement les enjeux associés à cette
Calnan, 1998 ; Funrham, Badmin et coll., 2002). évaluation perçue d’autrui sur soi, ses enjeux spéci-
Nos résultats s’éloignent, toutefois, de ceux de fiques, en fonction du genre et ses effets sur l’image
Bruchon-Schweitzer (1986), qui montrait, dans une corporelle. De même il aurait été intéressant
recherche utilisant le QIC, que les sujets féminins d’offrir, aux lycéens, la possibilité de répondre à
(âgés de 10 à 40 ans) étaient plus satisfaits de leur cette question en leur proposant plusieurs catégo-
corps que les sujets masculins. Une recherche plus ries « d’autrui » (parents, pairs du même sexe ou
récente (Koleck, Bruchon-Schweitzer et coll., du sexe opposé) comme cela a été proposé dans
2002), réalisée auprès de différents groupes de d’autres travaux (Stanford, McCabe, 2002).
personnes (étudiants en éducation physique, Un dernier élément de discussion porte sur l’effet
étudiants en sciences sociales et en sciences, des différentes mesures corporelles (perçues et
malades du cancer et personnes atteintes de douleur réelles) sur l’estime de soi. Dans un premier temps,
chronique), et utilisant le QIC, a mis en évidence on peut souligner l’impact du genre sur l’estime de
des résultats plus contrastés : une moindre satisfac- soi. Comme cela a été observé dans de nombreuses
tion corporelle des hommes, dans certains groupes recherches (Davison, McCabe, 2006 ; Kling, Hyde
(malades du cancer, étudiants en sciences sociales et coll., 1999 ; Kostanski, Gullone, 1998 ; Laure,
et en sciences), une plus grande satisfaction corpo- Binsinger et coll., 2005), nos résultats indiquent
relle masculine dans d’autres groupes (étudiants en que les filles ont un score d’estime de soi bien infé-
éducation physique, personnes atteintes de douleur rieur à celui des garçons. Dans un autre registre,
chronique), voire une absence de différence (échan- on peut observer que l’IMC n’a pas de lien avec
tillon comprenant l’ensemble des groupes). Il l’estime de soi des filles et des garçons. Des travaux
semble indispensable de procéder à d’autres recher- antérieurs ont mis en évidence cette absence de lien
ches, menées auprès d’échantillons divers (visant à entre IMC et estime de soi (Furnham, Badmin et
contrôler l’influence de la situation psycho-sociale coll., 2002 ; Kostanski, Gullone, 1998). Notons,
des individus sur leur satisfaction corporelle), afin toutefois, que l’IMC contribue à la prédiction de
de contre valider, éventuellement, nos résultats. l’estime de soi chez les filles, lorsque les diffé-
Un autre élément de discussion, pour nous essen- rentes mesures du corps perçu sont prises en
tiel, est la question de l’évaluation du corps pour compte. Le lien entre l’IMC et les différentes
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mesures utilisées pour explorer le corps perçu entre image « spatiale » et image « affective » du
nécessiterait d’être approfondi. De plus, les résul- corps. La première est plus proche du FRS, qui
tats obtenus confirment l’association entre satisfac- permet une évaluation de l’apparence générale du
tion corporelle et estime de soi, établies par des corps. La seconde englobe des perceptions, repré-
recherches antérieures (Bruchon-Schweitzer, sentations et affects du corps, que le QIC permet
1990 ; Funrham, Badmin et coll., 2002 ; Kostanki, d’examiner. Ces deux outils donnent à voir deux
Gullone, 1998 ; Koff, Rierdan et coll., 1990 ; aspects de l’expérience corporelle : une perception
Thompson, Altabe, 1991 ; Tomori, Rus-Makovec, du « corps-objet », orientée vers des propriétés
2000). Ainsi, chez les filles comme chez les physiques, et une perception du « corps-sujet »,
garçons, un niveau élevé de satisfaction corporelle orientée par des affects complexes (Bruchon-
est associé à un haut niveau d’estime de soi. Plus Schweitzer, 1990). Les résultats de notre recherche
précisément, la perception du corps est davantage soulignent l’intérêt de cette distinction et la
associée à l’estime de soi que ne l’est le « corps complémentarité de ces deux outils. On peut, ainsi,
réel » (Tiggemann, 2005). Cette association entre observer que ces deux types de perception du corps
image corporelle et estime de soi est importante, (« spatiale » et « affective ») sont opérants pour
elle permet d’envisager la construction de l’image prédire l’estime de soi des filles, alors qu’un seul
corporelle comme composante d’une conception de type de perception (« affective ») permet de prédire
soi globale (Bruchon-Schweitzer, 1990 ; Fox, l’estime de soi des garçons.
1988). En effet, les nombreux travaux, qui ont
étudié le lien entre satisfaction corporelle et estime
CONCLUSION
de soi, indiquent que leurs relations sont stables,
quels que soient le type d’évaluation (global, spéci- Dans le présent article, nous souhaitions étudier
fique) ou l’âge des sujets. La manière de percevoir le rôle joué par différents indicateurs du corps
son corps est, donc, au cœur de processus plus « réel » et « perçu » sur l’estime de soi d’adoles-
larges, impliquant l’expérience de soi et son cents. Les résultats confirment l’intérêt majeur
évaluation. Plus précisément, l’évaluation, favo- d’une distinction reposant sur la composante
rable/défavorable de soi, semble constituer un « objective », par opposition à « subjective » du
processus perceptif commun, sous-jacent à toute corps. Cette dernière se révèle particulièrement
auto-estimation, même lorsqu’il s’agit d’évaluer heuristique : d’une part, elle s’inscrit comme une
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son corps (Bruchon-Schweitzer, 1990). composante indispensable pour appréhender la
Les deux outils d’évaluation du corps « perçu » relation des individus à leur apparence perçue :
(FRS et QIC) sont associés à l’estime de soi chez d’autre part, elle constitue une variable importante
les filles, mais un seul d’entre eux (QIC) l’est chez dans la prédiction de la valeur du concept de soi.
les garçons. Ce résultat est important, car il met en Les différences observées trouvent sens à travers
évidence la spécificité des outils utilisés et les une analyse, qui souligne l’impact majeur des
dimensions corporelles, dont ils rendent compte. modèles socioculturels sur l’appréhension
Pour distinguer le type de perception du corps, « subjective » du corps. Elles montrent la nécessité
évalué par le FRS et le QIC, on peut se référer à de prendre en compte les modèles culturels qui
la distinction qu’opère Bruchon-Schweitzer (1990) s’appliquent aux corps féminins et masculins.

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