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Les classifications en psychiatrie de l'enfant et de

l'adolescent : questions épistémologiques


Claude Bursztejn
Dans L'information psychiatrique 2011/5 (Volume 87), pages 363 à 367
Éditions John Libbey Eurotext
ISSN 0020-0204
DOI 10.1684/ipe.2011.0784
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 21/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.75.245.61)

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L’Information psychiatrique 2011 ; 87 : 363–7

TROUBLES DES CONDUITES ET TROUBLES ENVAHISSANTS DU DÉVELOPPEMENT


CHEZ L’ENFANT ET L’ADOLESCENT

Les classifications en psychiatrie de l’enfant


et de l’adolescent : questions épistémologiques

Claude Bursztejn

RÉSUMÉ
La situation des classifications en pédopsychiatrie est complexe : il existe plusieurs systèmes classificatoires, chacun d’eux
a connu plusieurs révisions au cours de ces dernières années. Cet article compare les conceptions de la CIM, du DSM et
de la classification française spécifique à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) et discute les questions
épistémologiques soulevées par ces systèmes. Ces questions devraient être prises en compte dans le processus d’élaboration
de la nouvelle version de la CIM.
Mots clés : nosologie, pédopsychiatrie, cim, dsm, cftmea, épistémologie

ABSTRACT
Classifications in child and adolescent psychiatry: epistemological issues. The situation of classifications in child and
adolescent psychiatry is complex. There are several classification systems each of them have been modified several times
during recent years. This paper compares the conceptions of ICD, DSM and the French Classification specific for child
and adolescent psychiatry (CFTMEA) and discusses epistemological issues related to these systems. These issues should
be considered in the elaboration process of a new version of ICD.
Key words: nosology, child psychiatry, ICD, DSM, CFTMEA, epistemology

RESUMEN
Las clasificaciones en psiquiatría infantil y del adolescente : cuestiones epistemológicas. La situación de las clasifica-
ciones en pedopsiquiatría es compleja: existen varios sistemas clasificatorios, objeto cada uno de ellos de varias revisiones
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en los últimos años. Este artículo compara las concepciones de la CIM, del DSM y de la CFTMEA (clasificación francesa
específica de la psiquiatría infantil y del adolescente) y discute las cuestiones epistemológicas planteadas por estos sistemas.
Estas cuestiones tendría que tomarse en cuenta en el proceso de elaboración de la nueva versión de la CIM.
Palabras claves : nosología, pedopsiquiatría, CIM, DSM, CFTMEA, epistemología

Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hopitaux


doi:10.1684/ipe.2011.0784

universitaires de Strasbourg, service psychothérapique pour enfants et


adolescents, 67000 Strasbourg, France
<c.bursztejn@gmail.com>

Tirés à part : C. Bursztejn

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 87, N◦ 5 - MAI 2011 363

Pour citer cet article : Bursztejn C. Les classifications en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : questions épistémologiques. L’Information psychiatrique 2011 ; 87 :
363-7 doi:10.1684/ipe.2011.0784
C. Bursztejn

Le paysage des classifications en psychiatrie de l’enfant notamment pour but d’améliorer sa compatibilité avec la
est complexe d’autant que plusieurs révisons importantes CIM. Sa révision très récente CFTMEA 2010 marque un
des différents systèmes en présence sont intervenues au progrès important dans ce sens [6, 7-9].
cours des trois dernières décennies. Enfin est apparue en 1994 la première version d’une clas-
sification spécifique du très jeune enfant : la classification
0-3 ans [13], révisée en 2005 [14].
Rappel des différentes classifications
actuelles
Questions posées par la démarche de
La Classification internationale des maladies classification en psychiatrie
(CIM) [10]
Rappelons d’abord que l’intérêt même d’une approche
La CIM est la classification de l’OMS. Elle a repris et
classificatoire reste discuté par un certain nombre de psy-
développé le projet de classification universelle des mala-
chiatres d’enfants qui craignent que l’attribution d’un
dies initié par Bertillon (1893) [5], ce qui explique qu’elle
diagnostic ait pour effet de fixer des processus patholo-
en est soit déjà à sa 10e édition. C’est donc une classification
giques encore peu structurés. On cite souvent, à ce sujet,
qui couvre tous les domaines de la médecine : le chapitre
les études sur l’effet « Pygmalion », décrit par Rosen-
V concerne la psychiatrie. Il comporte un glossaire depuis
thal et Jacobson1 biais positif ou négatif du jugement sur
sa 8e édition (1974).
le comportement ou les performances d’un sujet, lorsque
C’est seulement dans la CIM-9 (1975) que la psychia-
l’examinateur possède une information préalable sur lui (in
trie de l’enfant a fait véritablement son entrée avec trois
A.). On peut s’interroger par exemple sur l’influence que
chapitres :
peut avoir le fait de présenter un élève comme « autiste »
– les psychoses spécifiques de l’enfance (comportant
ou affecté d’un « TDHA » ou encore d’un « trouble opposi-
notamment l’autisme infantile, et la psychose désintégra-
tionnel » sur le jugement d’un enseignant. C’est un aspect
tive) ;
du risque de stigmatisation dont se préoccupe à juste titre
– troubles de l’affectivité spécifiques de l’enfance ;
l’OMS et certaines associations. Abella et al. [1] ont mon-
– instabilité de l’enfance ;
tré de plus que cet effet s’observait aussi dans la pratique
– les retards spécifiques du développement.
pédopsychiatrique.
La version actuelle (CIM-10) est parue en 1994.

Le DSM [2, 3] Classifications syndromiques

Les premières versions de la classification de La CIM-10 comme le DSM-IV sont des classifications,
l’Association psychiatrique américaine, n’était que de dites syndromiques.
simples nomenclatures, peu diffusées en dehors des États- La validité des catégories diagnostiques (syndrome ou
Unis. trouble) y est jugée sur la stabilité statistique du regroupe-
La publication de la 3e édition du Manuel statistique ment des signes caractéristiques et sur la fiabilité inter juge
(DSM-III) en 1980 [2] a marqué indiscutablement un tour- qu’assure sa description [11].
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nant dans l’histoire des classifications en présentant des Dans la perspective de ces classifications, les signes
descriptions apparemment expurgées de toute théorie étio- concernés doivent être repérables dans le comportement ou
pathogénique, des critères diagnostiques explicites, une le discours du patient ou éventuellement de son entourage.
structure multiaxiale : ces caractéristiques en faisaient un C’est donc une clinique limitée à ce qui est observable et qui
guide clair qui a été d’abord généralement reçu comme a donné lieu au développement d’échelles et de question-
un progrès. La classification américaine et ses révisions naires visant à garantir la plus grande objectivité possible
successives (actuellement DSM-IV [3]) est, depuis, la [11].
principale référence des publications scientifiques interna- Mais cette démarche qu’on peut qualifier de « technico-
tionales. Elle a manifestement influencé la 10e édition de la scientifique » n’est pas le seul facteur déterminant.
classification de l’OMS, tant sur le plan de la terminologie Il est connu que les opinions d’experts influents ont joué
que de sa conception d’ensemble. Cependant nombre de un rôle important. C’est l’hypothèse qu’on peut avancer
cliniciens – notamment en France – gardent une position pour expliquer l’introduction dans la CIM de catégories
critique vis-à-vis des orientations de ces deux classifica- introduites qui n’ont fait l’objet d’aucune publication ni
tions – nous reviendrons plus loin sur les raisons de ces avant ni après leur entrée dans la classification. On sait
désaccords – et se reconnaissent mieux dans la classifi-
cation française des troubles mentaux de l’enfant et de 1 Rosenthal R, Jacobson L. Pygmalion in the classroom: teacher expecta-
l’adolescent (CFTMEA) classification francophone spéci- tion and student intellectual developement. New York : Holt, Rinehart et
fique à l’enfant. Elle a connu plusieurs révisions ayant Winston, 1968, cité in [1].

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aussi que l’entrée du syndrome d’Asperger dans le DSM-IV – quant aux limites de ce qui est considéré comme patho-
résulte d’un vote à quelques voix de majorité. Notons au logique par rapport à ce qui est considéré comme normal
passage que les opinions de ces experts ne peuvent man- (particulièrement au cours de l’enfance où les variations
quer d’être influencées par leurs pratiques professionnelles, interindividuelles liées au développement sont encore plus
dont dépendent les conditions d’observation de la clinique. importantes à prendre en compte) ;
On n’a pas la même perception d’une pathologie selon – quant aux limites des pathologies entre elles : le concept
qu’on l’observe dans le cadre de recherches formalisées, de de comorbidité ne rend compte que de manière simpliste des
consultations ponctuelles, ou de suivis psychothérapiques fréquentes intrications entre des catégories diagnostiques
ou institutionnels prolongés. en principe différenciées ;
D’autres influences interviennent – de manière explicite – sans parler de la question des étiologies encore largement
ou non. hypothétiques.
Certains soupçonnent l’industrie pharmaceutique de
promouvoir l’extension de certaines catégories [12]. Présupposés théoriques
Le lobbying de certains groupes sociaux a fait modi-
fier la dénomination de certains diagnostics (« déficience Il est rapidement apparu que la prétention d’athéorisme
mentale » devenue « retard mental », et bientôt « handicap affirmée lors de la sortie du DSM-III, ne pouvait être sérieu-
d’apprentissage ») ou en ont fait exclure : cela a été le cas sement soutenue : il est assez évident que ces catégories
pour l’homosexualité, le débat se renouvelle actuellement sont abordées selon un modèle biomédical quasi exclu-
sur les « troubles de l’identité de genre ». sif, sans que cette référence soit explicitement justifiée. De
Quelle que soit l’opinion qu’on ait sur ces influences et fait, aucun principe de classification psychiatrique ne sau-
leurs conséquences, ces exemples montrent en tout cas que rait être a-théorique : la sélection de ce qui est considéré
les classifications psychiatriques ne résultent pas seulement comme signe et le regroupement de manifestations en un
de données scientifiques ou théoriques : elles reflètent aussi syndrome implique des choix qui ne peuvent s’affranchir
des représentations et positions idéologiques en circulation de préconceptions [11].
dans la société.
La démarche clinique
Il y a débat aussi sur la démarche clinique induite par
Questions épistémologiques ces classifications, qui ne retiennent comme valides que les
seules expressions manifestes des troubles mentaux. Les
Les classifications syndromiques ont fait la preuve d’une syndromes ainsi définis sont présentés comme des objets de
indiscutable efficacité dans le champ de la recherche en connaissance cohérents, « détachables » du fonctionnement
assurant la cohérence des diagnostics. Cependant, elles psychique et de l’histoire du sujet qui en souffre. Cette posi-
posent des questions épistémologiques notamment pour des tion entre en contradiction avec la démarche des cliniciens
praticiens d’orientation psychodynamique. qui privilégient la prise en compte du sujet dans sa globalité
et la compréhension du fonctionnement psychique dans le
Statut des « objets cliniques » décrits cadre de la relation intersubjective, et la construction de la
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par ces classifications personnalité en fonction d’une histoire et des échanges du
sujet avec son environnement.
On doit noter d’abord qu’elles tendent à mettre sur
le même plan, des manifestations de nature très hétéro-
gène [4]. Ainsi des organisations pathologiques (comme Des questions particulières à la pédopsychiatrie
l’autisme ou la schizophrénie), des retard ou écarts par La CIM-10, de même que le DSM-IV ne proposent qu’un
rapport à une norme développementale (troubles et retard nombre limité d’items spécifiques pour l’enfant. Dans ces
du langage, ou des apprentissages scolaires), des situations items on retrouve les catégories décrites par les initiateurs
relationnelles (la rivalité fraternelle, item de la CIM-10), ou de la psychiatrie de l’enfant, au début du xxe siècle, à par-
sociale (« troubles des conduites ») sont toutes qualifiées tir de données purement symptomatiques : à savoir des
de « trouble » (disorder) et critérisées de manière analogue. troubles des conduites, des troubles anxieux, des troubles
Ces catégories tendent ainsi à être considérées par la plu- oppositionnels, etc.
part des utilisateurs comme des réalités « naturelles » alors En dehors de ces quelques catégories diagnostiques,
que leur validité et leur statut en tant qu’entité clinique reste le DSM comme de la CIM recommandent d’utiliser les
discutable. mêmes catégories et les mêmes critères chez l’enfant et
Il faut rappeler les questions qui persistent : chez l’adulte : ainsi, se sont développés des recherches sur la
– quant au statut nosologique de la plupart entités décrites dépression, les troubles obsessionnels, les troubles anxieux
par les classifications : maladies, syndromes, symptômes chez l’enfant, abordés à partir des critères de la pathologie
etc. adulte. Cette approche tend à privilégier les manifestations

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C. Bursztejn

cliniques qui, au cours de l’enfance, annoncent une patho- C’est donc sur la conception générale des troubles psy-
logie au long cours, au détriment d’autres aspects cliniques chiques et la signification de leurs manifestations que se
non moins importants, notamment ceux qui sont liés au situe la discussion, plutôt que sur la dénomination de tel ou
développement [4] et conduit à des assimilations discu- tel diagnostic – comme l’a montré la possibilité d’établir
tables avec les tableaux constitués de la psychiatrie adulte : des correspondances précises avec les codes de la CIM-
il en est ainsi notamment avec le développement que 10 (Notons tout de même qu’il perssite des discussion sur
connait actuellement le diagnostic de troubles bipolaires l’extension données à certains diagnostics, montrée par les
chez l’enfant – voir le très jeune enfant, notion qui suscite variations de prévalence au cours du temps).
d’importantes réserves y compris aux États-Unis.
La classification 0-3 [13, 14]
La classification française des troubles mentaux Des problèmes encore plus spécifiques se posent pour
de l’enfant et de l’adolescent [6] la psychiatrie du très jeune enfant. C’est pour y répondre
Ces critiques ont amené des pédopsychiatres français que la classification diagnostique 0-3 ans a été proposée en
à proposer une classification, dont la principale caracté- 1994 comme une alternative au DSM-IV qui ne s’intéresse
ristique est de viser à resituer les symptômes manifestes pas ou peu aux troubles observés dans les premières années
dans une approche du fonctionnement psychique global de la vie. Elle permet d’étudier un certain nombre de mani-
de l’enfant. La CFTMEA, spécifique à la psychiatrie de festations pathologiques dont le devenir est incertain, sans
l’enfant, bi-axiale est dotée d’un glossaire qui précise d’emblée les assimiler aux pathologies décrites à des âges
les critères d’inclusion et d’exclusion. Contrairement aux plus tardifs.
classifications pour lesquelles la démarche diagnostique Il s’agit d’une classification multiaxiale :
repose sur l’addition de critères essentiellement com- – l’axe I est celui de la classification primaire (diagnostic
portementaux, la CFTMEA affirme l’importance d’une principal) ;
démarche clinique et psychopathologique s’appuyant sur – l’axe II est celui de la relation : le trouble de la relation
les approches psychodynamiques. est évalué quantitativement, à partir de l’ échelle, le Parent-
La CFTMEA, privilégie, en effet, la notion de struc- Infant Relationship Global Assessment, de Zeanah (PIR-
ture psychopathologique qui prend appui une conception GAS) ;
du développement et du fonctionnement psychique issu – l’axe III est celui des pathologies médicales ou déve-
de la psychanalyse : la structure est à entendre comme un loppementales associées, cotées selon les classifications
ensemble de positions libidinales, de types d’angoisse et de existantes (ICD-10 ou DSM-IV) ;
mécanismes défensifs interdépendants, relativement stables – l’axe IV est celui du stress psychosocial ;
mais susceptibles de remaniements évolutifs en fonction de – l’axe V évalue le niveau de développement émotionnel.
la maturation mais aussi des interventions thérapeutiques.
C’est à cette notion de structure que se référent ses quatre
premiers chapitres : Les évolutions annoncées : le DSM-V
– autisme et psychoses ; Il n’existe pas actuellement d’information sur
– troubles névrotiques ; l’évolution de la CIM-11.
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– pathologies de la personnalité ; En revanche, la publication de la 5e édition de la clas-
– troubles réactionnels. sification de l’American Psychiatric Association (APA), le
Il est demandé au clinicien de préciser, par l’une de ces DSM-V, est annoncée pour 2013. Au cours de l’année 2010,
catégories exclusives l’une de l’autre, l’organisation psy- les modifications proposées ont été publiées sur internet
chopathologique dans laquelle s’inscrivent les symptômes, (www.dsm5.org). La psychiatrie de l’enfant est de nouveau
présentés par l’enfant. Il peut aussi juger que les symptômes concernée par plusieurs de ces modifications qui vont sans
présentés sont à considérer comme des variations de la nor- doute relancer les débats.
male : c’est un des apports originaux de cette classification, Il est envisagé :
qui permet de rendre compte des symptômes transitoires – de faire disparaître le chapitre « Troubles diagnostiqués
pouvant survenir au cours du développement, susceptibles habituellement au cours de l’enfance ou de l’adolescence »
d’être à l’origine de consultation, sans qu’il soit justifié de seul chapitre spécifique à l’enfant : la tendance à déspécifier
leur affecter une signification pathologique. la psychopathologie de l’enfant tend donc à s’accenuer ;
Des chapitres complémentaires proposent des items per- – de regrouper les sous catégories actuelles des troubles
mettant de recueillir les éléments significatifs du tableau envahissants du développement : le syndrome d’Asperger,
clinique. Les troubles fonctionnels ou symptômes qui sont le trouble désintégratif de l’enfance, et le trouble envahis-
regroupés dans cette partie sont des éléments diagnostiques sant du développement non spécifié seraient regroupés avec
secondaires à resituer dans l’une des organisations structu- l’autisme sous le terme nouveau : trouble du spectre autis-
rales. tique (autism spectrum disorder) déjà très utilisé dans les

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Les classifications en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : questions épistémologiques

publications. Quant au syndrome de Rett il est proposé de ignorer les réflexions en cours dans la psychiatrie nord-
le sortir complètement de la classification psychiatrique ; américaine, mais ils souhaitent aussi que soit prises en
– d’introduire de nouveaux items : compte les réflexions et recherches menées dans différents
• le trouble stress post-traumatique de l’enfant d’âge pays et les démarches nosographiques qui en résultent.
préscolaire,
• le trouble « dysrégulation (des émotions) avec colères Conflits d’intérêts : non renseigné par l’auteur.
et dysphorie (temper dysregulation disorder with dys-
phoria*) - rattaché aux troubles de l’humeur,
• le qualificatif spécifique « avec brutalité et absence Références
d’émotion » (callous and unemotional specifier for
1. Abella A, Dufresne P, Gex-Fabry M, Matthews R, Waelti-
conduct disorder2 ) du trouble des conduites, un terme
Baume N, Manzano J. L’effet Pygmalion en pédopsychiatrie :
qui pose à l’évidence le problème de la stigmatisation, relations entre les prédictions des cliniciens et les ruptures
• les incapacités d’apprentissage (learning disabilities) de traitement. Une étude prospective. Neuropsychiatrie de
venant remplacer semble-t-il la notion de retard mental l’enfance et de l’adolescence 2000 ; 48 : 14-24.
jugée trop stigmatisante. 2. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical
Quelle sera la position de la CIM-11 par rapport à ces Manual of Mental Disorders (DSM III). Washington, 1980.
changements ? 3. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical
On voit en tout cas que les questions complexes posées Manual of Mental Disorders - Revised (DSM IV). Washing-
par les classifications en psychiatrie, et particulièrement en ton, 1994.
psychiatrie de l’enfant sont loin d’être résolues. 4. Bursztejn C, Mazet P. Nouvelles classifications en psychiatrie
Rappelons qu’en parallèle à ces réflexions sur la noso- de l’enfant. Éditions Techniques Encycl. Méd. Chir. (Paris-
graphie, qui s’intéresse aux pathologies s’est développée France), Psychiatrie 1991, 37200 B10 .
une réflexion sur la classification du fonctionnement, du 5. Garrabé J. Approche historique des classifications en psy-
handicap et de la santé, autre regard important, complémen- chiatrie. Communication à la Société médico-psychologique
taires sur les conséquences de la pathologie (deux aspects 2010 (à paraître).
du diagnostic complémentaires et non à opposer). Il serait 6. Misès R, et al. Classification française des troubles men-
important de travailler à des adaptations pour le domaine taux de l’enfant et de l’adolescent. Psychiatrie de l’enfant
de la santé mentale de l’enfant. 1988 ; 31 : 67-134.
La question de la stigmatisation, à laquelle on ne peut 7. Misès R, Quemada N. Classification française des troubles
manquer d’être attentif doit faire l’objet d’une réflexion plu- mentaux de l’enfant et de l’adolescent-R-2000. Classi-
ridisciplinaire incluant des sociologues et les représentants fication internationale des maladies CIM10 chapitre V,
associatifs. Nous devons bien sûr être attentifs à la termi- troubles mentaux et du comportement. (4e ed.). CTNERHI,
nologie et au poids de représentations qu’elles entraînent. 2002.
Mais ces représentations évoluent dans le temps, et il est 8. Mises R, Quemada N, Botbol M, et al. French Classification
sans doute dans la destinée des termes psychiatriques d’être for Child and Adolescent Mental Disorders. Psychopathology
repris dans le discours social et d’y prendre des significa- 2002 ; 35 : 176-80.
tions péjoratives. 9. Misès R, Bursztejn C, Botbol, et al. Une nouvelle version de
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Mais la question des mots utilisés n’est qu’un aspect par- la CFTMEA pourquoi faire ? Communication à la Société
tiel du problème de la stigmatisation des personnes affectées médico-psychologique 2010 (à paraître).
par des troubles psychiques : bien plus importante est la 10. OMS CIM 10/ICD 10. Classification internationale des
place qui leur est donnée dans la société, et aux repré- troubles mentaux et des troubles du comportement. Paris :
sentations de la psychiatrie, souvent mise en scène par les Masson, 1993.
medias de façon caricaturale à travers les aspects les plus 11. Pedinielli JL, Bertagne P, Gimenez G. Classifications syndro-
spectaculaires et violents. miques et classifications psychopathologiques. L’information
Pour conclure il faut se féliciter que l’OMS ouvre le Psychiatrique 1999 ; 3 : 289-95.
débat et manifeste par ces journées son intention de prendre 12. Pettenello-Thompson Q. Promotion des médicaments et
en compte la diversité des points de vue et positions théo- information médicale - cas particulier des psychotropes,
Thèse Médecine Paris Descartes 2008.
riques, dans le domaine des classifications en psychiatrie.
Cela contraste avec le sentiment qui prévalait d’une « pen- 13. Zero to Three : Diagnostic Classification of Mental Health and
sée unique » dominée par le DSM. Developmental Disorders in Infancy and Early Childhood,
Zero to Three, Washington, DC, 1994. Trad. fr. Classification
De nombreux spécialistes en Europe s’interrogent sur
diagnostique de 0 à 3 ans, Médecine et Hygiène, Genève,
la préparation de la CIM-11, elle ne peut à l’évidence pas 1998.
14. Zero to Three : Diagnostic Classification of Mental Health and
2 Les intitulés de ces entrées, de même que leur traduction par l’auteur, ne Developmental Disorders in Infancy and Early Childhood,
sont pas encore aprouvés officiellement. Revised Edition, Zero to Three Press, Washington, DC, 2005.

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