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Psys 153 0159
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Déficience et psychothérapie
La mise en place du cadre, un pré-requis
indispensable en faveur du développement
psychique
Rose-Angélique Belot1 et Almudena Sanahuja2
Résumé Dans la clinique du handicap, les difficultés d’élaboration psychique du sujet sont majeures. Elles se tra-
duisent par des failles du système de représentation et l’émergence d’affects souvent intolérables pour la
psyché, parfois indicibles. Confrontés à cette clinique, les thérapeutes doivent non seulement prendre en
compte ces particularités mais aussi savoir s’y ajuster pour permettre au processus thérapeutique de survenir.
En amont du déploiement de la pensée, de puissants mécanismes de défense gênent souvent le sujet dans ses capacités
d’expression, d’élaboration psychique et de symbolisation. Aussi, un certain nombre de pré-requis sont indispensables en
termes de sécurité interne et de sentiment de continuité d’existence. Ces aspects sont particulièrement mobilisés et pré-
sents dans l’instauration du cadre et l’efficacité ultérieure du processus psychothérapeutique.
A travers la présentation clinique détaillée de Lara, nous étudierons quels sont les préalables indispensables à la mise en
place d’une psychothérapie, comment les éléments du cadre thérapeutique et institutionnel interviennent en amont pour
que puissent réussir la mobilisation de la vie psychique et le travail d’élaboration ultérieur attendu.
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L
a France compte environ 3,5 millions de per- nous ferons une place particulière dans cet article
sonnes handicapées, 700.000 d’entre elles sont au développement de la vie psychique dans les phases
reconnues déficientes au plan intellectuel, soit précoces chez l’enfant et aux enjeux que recouvre
20% des personnes handicapées. Chaque année, la mise en place du cadre.
entre 6.000 et 8.500 enfants naissent avec un han- Notre pratique et notre expérience de psycho-
dicap mental3. logues cliniciennes dans un foyer de vie4 pour per-
L’intérêt pour le handicap défini comme une « at- sonnes adultes handicapées ont très précocement
teinte invalidante de l’intégrité somato-psychique » mis l’accent sur les bénéfices premiers du cadre et
(Korff-Sausse, 1996) est récent et la prise en charge ses effets dans le travail de psychothérapie proposé.
thérapeutique à destination de ces sujets l’est plus
encore. En effet, peu de cliniciens se penchent sur la
1
Psychologue clinicienne – Maître de conférences en psy-
chologie clinique, Université de Franche-Comté.
question du handicap et se confrontent à cette cli- 2
Psychologue clinicienne – Maître de conférences en psy-
nique, jusqu’à être nommée « clinique de l’extrême » chologie clinique, Université de Franche-Comté.
(Korff-Sausse, 2007) . 3
Source 2012, ADAPEI, Association Départementale des Amis
Le travail de psychothérapie confronte toujours et Parents de personnes handicapées mentales.
le thérapeute à la manière dont le sujet s’est déve- 4
Il s’agit de Rose-Angélique Belot.
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C’est sur cet aspect particulier que nous aimerions chique qui rend difficile le travail thérapeutique
cibler notre propos pour tenter d’en mesurer tous les auprès de ces personnes. Les effets de sidération
effets, car la mise en place et l’instauration du cadre peuvent aussi accroître les effets liés à la méconnais-
(unité de temps, de lieu et de personnes) favorise le sance de la vie psychique des personnes handicapées.
développement de la vie psychique lorsqu’il est Par ailleurs, les réactions contre-transférentielles
opérant. contiennent les inévitables angoisses que suscitent
En amont des classiques attentes en termes de l’anormalité et le lot de ces réactions excessives
pensée réflexive, d’élaboration psychique en lien avec (dégoût, rejet, fascination, fusion, indifférence…).
les conflits intrapsychiques et la possibilité pour le Korff-Sausse (2007) souligne à quel point dans ces
sujet de « se raconter », la mise en place du cadre et sa prises en charge l’asymétrie est accentuée, asymé-
stabilité dans la clinique du handicap prennent une trie entre le thérapeute et le sujet au plan des com-
connotation et une importance spécifiques. Nous ob- pétences langagières, comportementales mais aussi et
servons régulièrement comment de son instauration bien entendu en premier lieu, psychiques. La défail-
va dépendre la mise en place de paramètres spéci- lance des processus de réflexivité chez la personne
fiques permettant à la vie psychique de se déployer. handicapée augmente le « collage » au thérapeute
Nous ciblerons notre attention sur les processus ainsi que les représentations idéalisées de l’autre,
précis au cours de la psychothérapie sur lesquels le paralysant l’expression du sujet : « La personne défi-
cadre interfère et nous illustrerons notre propos par ciente mentale oscille entre le renoncement dépres-
la restitution de la prise en charge psychothérapeu- sif à être sujet et la quête avide d’apports narcissiques,
tique de Lara. Celle-ci montre combien l’édification jamais suffisants » (Korff-Sausse, 2007, p. 51). Le tra-
d’un cadre permanent et régulier mobilise la vie psy- vail contre-transférentiel prend ici une importance
chique dans ses fondements les plus archaïques et particulière, car le thérapeute est la cible de projec-
constitue un atout important dans la relation trans- tions transférentielles contradictoires, nécessitant
féro-contre-transférentielle qui se déploie, de fait. des niveaux de fonctionnement psychique très dif-
férents. Dans cette configuration, le thérapeute est
souvent sollicité comme le Moi auxiliaire qui assure
Les difficultés de prise en charge les fonctions défaillantes du Moi du patient, mais doit
de la personne handicapée aussi être dans un état de réceptivité suffisant pour
réussir à saisir les messages éminemment « archaïques,
Au-delà de tous les éléments relatifs aux représen- inachevés, fragmentaires, non secondarisés qui éma-
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les travaux accomplis par de nombreux chercheurs et et à la mère » (Debray, 1991, p. 46). Par ailleurs, il
psychanalystes ont réussi à cerner l’importance des nous faut noter que le développement psychique du
relations au sein de la prime enfance, leurs consé- bébé se fait toujours en étayage sur l’organisation
quences sur la vie psychique et la santé pour l’adulte psychique de l’adulte qui s’occupe de lui de faç on
en devenir. préférentielle (Debray, 1987). Retenons également
Freud, dès 1909, dans « Cinq leç ons sur la psy- l’importance de l’activité fantasmatique maternelle
chanalyse », décrit l’état de détresse originel du bébé qui, entre autres fonctions, remplit celle de pare-
(Hilflosigkeit). Sans l’aide de sa mère, de ses parents, excitation en liant les énergies pulsionnelles pro-
de son environnement, le bébé ne peut pallier seul venant du Ça du bébé et libidinalise (Fain, 1971)
ses états de tension, réussir à développer un narcis- les grandes fonctions (sommeil, alimentation…).
sisme primaire suffisant et développer une relation Dans la formation de l’appareil psychique, les travaux
d’objet sécure. Par ailleurs, l’attachement (Bowlby, de W.R. Bion (1962) offrent par ailleurs un modèle
1969)5 s’avère une modalité centrale dans le déve- pour visualiser la transformation des éprouvés bruts
loppement des interactions et dans le développe- archaïques projetés par le bébé (ou l’enfant) dans son
ment ultérieur de l’objet interne. Concernant l’avè- environnement (β) et la possibilité de traitement
nement de la vie psychique, ce qu’il advient durant psychique assuré par l’adulte de référence qui les lui
les premiers mois et les premières années est essen- retransmet sous forme métabolisée et cette fois assi-
tiel, car ces phases conditionnent son développe- milable par lui (α). Nous envisageons une similarité
ment, y compris l’accès à la symbolisation et les de fonctionnement entre le travail psychique que la
assises narcissiques et objectales. mère réalise à l’intention de son bébé et le travail psy-
Depuis Spitz (1965), de nombreux travaux de chique du psychologue clinicien. Par ailleurs, l’ab-
recherche ont montré qu’une dislocation majeure sence chez le bébé d’un système pare-excitation auto-
des premières relations mère-enfant provoque chez nome (Debray et Belot, 2008) nécessite le recours à
ce dernier de graves altérations au sujet du déve- celui de sa mère ou de l’adulte qui s’occupe de lui.
loppement de sa personnalité et au plan psychique. Dans ce cas de figure, les excitations subissent un trai-
Citons Winnicott : « Les carences maternelles pro- tement – psychique – par appareil psychique inter-
voquent des phases de réactions aux empiétements posé, celui de l’adulte.
et ces réactions interrompent la “ continuité d’être ”
(going on being) de l’enfant. Un excès de cette réac-
tion n’engendre pas la frustration, mais représente Continuité relationnelle et développement
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relations satisfaisantes, gratifiantes du bébé à sa mère, maternels ». Pour Winnicott, si un enfant, en réac-
puis du contexte œdipien où la relation comprend tion aux soins maternels, et ce trop précocement, a
un tiers (Houzel, 2015). L’enfant au départ déve- la nécessité de répondre par une fonction mentale,
loppe un sentiment de toute-puissance, d’omnipo- il s’ensuit une dissociation psyché-soma : « Certains
tence, il a l’illusion active de créer le monde autour types de carences de la part de la mère, en particulier
de lui, car la satisfaction de ses besoins est souvent un comportement désordonné, produisent une hyper-
immédiate (ses besoins et leur assouvissement sont activité du fonctionnement mental » (Winnicott,
quasi simultanés). Pour Winnicott toujours, c’est 1949, p. 139). On conç oit ainsi que les inéluctables
cette illusion, permise par une mère « suffisamment « petites défaillances » de la mère doivent être modé-
bonne » (good-enough mother), qui permet à la psyché rées et à la mesure de ce que l’enfant peut suppor-
de résider dans le corps et vise l’unité psychosoma-
ter. Pour que le bébé puisse petit à petit renoncer à
tique, base d’un self authentique, pour se dévelop-
l’omnipotence magique, reconnaître l’existence d’une
per (Winnicott, 1971).
réalité extérieure, et que les limites entre « dehors » et
Le visage, le regard et la voix de la mère repré-
« dedans » se dessinent, il a toujours besoin d’une ex-
sentent les premiers supports d’identification de l’en-
fant. Le développement du faux self correspond à une périence de continuité. Elle est rendue possible par
attitude de soumission de l’enfant, allant à l’encontre l’instauration d’une « aire intermédiaire » (Winnicott,
de ses besoins et désirs pour éviter le désaccordage 1971) d’expérience. L’investissement d’un objet tran-
(Stern, 1995). Ces états de non-intégration ont des sitionnel (inévitable doudou : mouchoir, coin de drap,
répercussions sur la constitution des enveloppes cor- peluche…) est le témoin de la conquête de cette aire
porelles et psychiques et sur le développement des intermédiaire. Mais de faç on plus précoce, le bébé
processus de symbolisation. Tandis que le vrai self investit certaines perceptions, qui ont cette même
repose sur le sentiment d’identité et de continuité fonction. C’est à partir d’éléments issus de sa pratique
d’être, indispensable à l’équilibre psychique, le faux clinique auprès d’adultes présentant des impressions
self répond à un environnement qui ne favorise pas antérieures d’angoisses catastrophiques, de chutes,
les phénomènes transitionnels et la capacité créative et ses observations ultérieures de bébés, qu’E. Bick
de l’enfant ; celui-ci restera dans la dépendance. Les (1968) postule que les différentes parties de la per-
apports de M. Klein (1946) retiennent bien entendu sonnalité du bébé non liées entre elles doivent être
toute notre attention dans les expériences d’intro- tenues ensemble grâce à la peau fonctionnant alors
jection puis la possibilité d’accès à la position dépres- comme une limite. Cette fonction « tenir ensemble
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trices projetées par le sujet. Le cadre s’apparente est de modifier, changer quelque chose dans sa psy-
donc à la fonction de contenance et/ou de conte- ché. Dans le travail de psychothérapie, nous aime-
nant maternel et peut être mis en rapport avec le rions souligner certaines analogies entre les méca-
vécu primitif du sujet. Selon Bleger, le cadre repré- nismes à l’œuvre dans le développement psychique
sente « le dépôt de l’institution familiale la plus pri- du sujet et ce que le cadre permet de réactiver. Pré-
mitive » (1979, p. 38). Tout ce qui n’a pas pu faire cisément, le cadre tel qu’instauré permet de rejouer
l’objet d’un travail psychique antérieur suffisant peut chez le sujet la permanence, la continuité d’être, la
être projeté et enfin contenu par la fonction conte- sécurité. Il permet de recréer en toile de fond un
nante qu’offre alors l’institution. sentiment de sécurité qui repose sur un sentiment
Ainsi, le cadre permet de recréer une forme de continu d’existence et nourrit le fondement même
sentiment de sécurité interne en exerç ant une de son narcissisme. Il s’agit, nous le savons, d’ingré-
fonction contenante (Houzel, 1987) à l’intention dients indispensables au développement de la vie psy-
des patients. Par ailleurs, l’institution exerce d’autres chique du sujet humain. Ainsi et pour nous, le cadre
fonctions, celle de limitation/délimitation avec le constitue dans tout processus du soin un pivot cen-
monde externe, mais aussi une fonction de sépara- tral. Dans la clinique du handicap, ces aspects se
tion (cette fois agie) avec leur famille. Cette sépa- trouvent renforcés, prennent une valeur et une im-
ration participe aussi à la fonction de délimitation portance considérables. Le cadre se matérialise par la
entre les espaces psychiques et permet aux sujets de permanence, le lieu des rendez-vous toujours unique
tendre vers le processus d’autonomisation psychique. et préservé, le temps défini et invariable au fil des
Le cadre n’est pas seulement un ensemble de conven- séances et des personnes présentes. En effet, selon
tions formelles (Bleger, 1979), mais il apporte des Bleger (1979), le cadre des entretiens est une moda-
lité contrôlée par le clinicien. Il doit être muet et
constantes grâce auxquelles l’évolution du proces-
demeurer le plus invariant possible. Grâce à sa suf-
sus peut être déclenchée, contrôlée, voire achevée.
fisante constance, il fonctionne en arrière-fond de la
Il accompagne également le sujet dans un travail de
rencontre sur lequel pourront se produire les phéno-
reconstruction positive de la représentation qu’il a
mènes et processus psychiques en jeu chez le sujet :
de lui-même.
« Il est l’implicite dont dépend l’explicite » (ibid.,
Par analogie aux poupées gigognes, nous pourrions
p. 259). Ce lieu de non-processus (cadre initial
d’ores et déjà nous représenter l’institution comme
posé tel quel) renvoie au non-moi du sujet et peut
un ensemble d’enveloppes contenantes thérapeu- ainsi devenir le dépositaire de ses liens symbiotiques
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cher de leur monde interne. De plus, les possibilités fondamentale du travail psychique. La seconde a
d’élaboration psychique s’agissant des problématiques trait au travail de liaison entre les représentations de
de séparation-individuation sont régulièrement sol- mots, de choses et d’affects. Or, chez les personnes
licitées, ainsi que tout ce qui concerne le renfort de présentant une déficience intellectuelle, qu’il s’agisse
l’investissement objectal et narcissique. S’agissant d’enfants ou d’adultes, ces deux étapes s’avèrent sou-
précisément du suivi thérapeutique individuel, les vent difficiles, voire inaccessibles. En effet, les opé-
fonctions « alpha » et de contenance du thérapeute rations de pensée sont souvent défectueuses (faillite
sont particulièrement mises à contribution. De même, du monde interne) ou parfois surinvesties pour lut-
il faut du temps et un dispositif de soins approprié ter contre la réalité externe, jugée dangereuse (mots
pour permettre chez le sujet l’instauration de nou- répétés à l’infini ou phrases prononcées systémati-
velles modalités défensives, plus adaptées face à quement de faç on stéréotypée). Dans ce cas, la pen-
l’émergence pulsionnelle souvent déstabilisante car sée est mise au service de la lutte pour justement
insuffisamment contrôlée. « ne pas penser ». Il ne s’agit pas d’un travail de la pen-
sée engagé et au service de la compréhension interne
comme celui qui conduit au travail d’élaboration
Entretien clinique et travail psychique. La pensée reste là « engluée », répétitive,
de psychothérapie et possède alors une visée défensive. Et pourtant, il
L’objectif d’un travail de psychothérapie est clas- faut pouvoir « constituer du psychique, là où il n’y
siquement d’augmenter le travail de la pensée puis en a pas, ou de manière incomplète ou défaillante »
le développement de la vie psychique, favoriser la (Korff-Sausse, 2006, p. 508).
liaison entre représentation et affects, assouplir, che- Ainsi, l’objectif premier et non des moindres dans
min faisant, l’expression des symptômes du sujet,
la clinique du handicap s’avère souvent être, dans un
toujours dans le respect de ses modalités défensives.
premier temps, la mise en place d’un cadre sécuri-
C’est aussi pour le thérapeute le « prêt de son
sant, garantissant au sujet l’intériorisation première
appareil à penser les pensées » (Bion, 1962). La cli-
d’une temporalité. C’est ce cadre posé au préalable
nique avec des personnes handicapées nous sollicite
qui facilitera les premières possibilités d’identifica-
particulièrement dans ce registre. Des contenus psy-
tion du sujet au thérapeute. Ce sont ces aspects anté-
chiques parfois très bruts (transmis par l’intermé-
rieurs et essentiels au travail psychique proprement
diaire de paroles, mais aussi par le biais de commu-
nications non verbales) sont projetés au sein de la dit qui concernent le développement du self. L’ob-
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C’est l’ensemble de ces processus que nous aime- d’accueil, particulièrement à Madame. Jusqu’à son
rions illustrer ici avec la présentation du travail décès, l’équipe du Foyer organisait des visites et ren-
psychothérapeutique réalisé avec Lara7. contres annuelles à son domicile.
Lara Au Foyer
De prime abord avenante, spontanée, liant assez
Lara est une jeune femme âgée de 34 ans qui vit facilement contact avec autrui, y compris les per-
en foyer d’accueil et d’hébergement spécialisé dans sonnes inconnues10, ses relations avec les autres rési-
lequel elle réside depuis ses 9 ans. Ce foyer accueille dents et membres éducatifs sont cependant tendues.
principalement des adultes déficients intellectuels Lara est omniprésente et repoussée régulièrement par
légers à sévères. Lara vit dans l’Unité des personnes tous. Ses attitudes de collage et de questionnements
les plus autonomes. Elle présente une déficience permanents rendent aussi difficiles ses relations avec
moyenne à légère et des séquelles psychomotrices certains éducateurs. Très active sur son Unité de vie
secondaires à une encéphalopathie néo-natale, mais et au Foyer, Lara suit en effet, pas à pas, les éduca-
aussi liées à une chute dans les escaliers lorsqu’elle teurs et éducatrices et « veut tout faire ». Elle cherche
était chez ses parents, responsable aujourd’hui d’une à se rendre utile à chaque instant, débarrasse, range
hémiplégie partielle gauche. Lara ne peut se servir la vaisselle, s’inscrit à toutes les tâches, brusque les
de son bras gauche, désormais rétracté. Elle porte des autres résidents s’ils n’ont pas terminé leur repas.
chaussures orthopédiques. Depuis 1999, elle présente Elle a peu de relations avec les autres, mis à part avec
une épilepsie stabilisée. Ses difficultés psychiques les plus faibles qu’elle se plaît à aider. Elle prend par-
et physiques ne lui ont pas permis de conquérir une fois la place des éducateurs « pour faire tourner la
autonomie suffisante pour intégrer un établissement boutique », justifie-t-elle sans hésitation. Pour cer-
de type « travail protégé », ESAT 8. Au plan des capa- tains ateliers comme la gymnastique ou l’équitation,
cités cognitives, Lara possède des repères plus fiables elle parvient à trouver des parades pour pallier cer-
dans l’espace que dans le temps, connaît globalement taines de ses difficultés motrices. Il lui faut toujours
la valeur de l’argent, peut lire l’heure9, mais l’am- faire « bonne figure ». Elle ne peut avouer des fai-
pleur de ses mécanismes défensifs et de ses angoisses blesses, une fatigue… Pour autant, sa détermination
gêne considérablement les apprentissages, l’accès à et sa volonté sont souvent mises en avant, elle fait
son monde interne et le travail qui peut y être asso- preuve d’un certain courage face à ses difficultés
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peur, le chagrin, ne pouvant les exprimer et les puisse représenter la continuité, être un gage de
prendre en compte. Son handicap physique est lui sécurité interne, favoriser la symbolisation et lui per-
aussi nié, voire dénié. Elle ne l’évoque jamais au mettre de supporter l’absence. C’est aussi le sym-
cours des entretiens et semble, au quotidien, ne pas bole des retrouvailles et le lien qui ne se brise pas11.
en tenir compte. Ses préoccupations majeures sont
et restent ses relations avec les autres et sa place au
sein du Foyer, qu’elle défend avec beaucoup d’énergie. Cadre thérapeutique solide et amorce
Nous la recevons depuis déjà au moins trois d’un changement interne psychique :
ans lorsque nous emménageons dans une nouvelle différenciation, soi, moi et non-moi
construction, à proximité de l’ancienne mais neuve. mieux délimités
Lara quitte alors son ancienne institution et l’inten- Cette année-là, durant l’été, Lara part seule alors
sité de ces changements commence à la perturber. qu’habituellement, deux ou trois résidents du Foyer
Elle formule pour la première fois des craintes, no- partent ensemble sur le même séjour de vacances.
tamment celles de perdre sa place, ce dont elle me Alors que Lara n’a jamais manifesté aucun trouble du
fait part. Elle évoque alors le directeur, le chef de comportement ni agressivité au Foyer, son séjour est
service qu’elle cherche à rencontrer afin qu’ils la abrégé au regard des symptômes qu’elle présente sur
rassurent quant à sa place au foyer, mais sans pour place : agitation, agressivité et violence envers autrui
autant pouvoir les solliciter et demander un ren- et elle-même. Confrontée à la solitude et rattachée
dez-vous. d’aucune manière au Foyer, Lara décompense au plan
psychique. La connaissance de ces éléments a permis
un aménagement ultérieur spécifique pour ses séjours
Changement de cadre externe thérapeutique, et départs en vacances : Lara ne partira plus seule,
fissure de la carapace défensive mais toujours accompagnée d’un ou de plusieurs rési-
et déploiement de l’imaginaire « inquiétant » dents choisis. Ces faits ont créé un point d’ancrage
Peu après cette période, un mouvement tout à important et semblent constituer le point de bascule.
fait différent s’amorce lors des entretiens, « la cara- La carapace narcissique se fend. Lara ne peut plus
pace se fend », des angoisses se précisent et s’expri- soutenir indéfiniment cette position figée où l’idéal
ment. Alors qu’elle s’apprête à quitter le foyer comme cherche à occuper toute la place. Les troubles qu’elle
d’habitude pour un séjour de vacances (elle part a présentés semblent la surprendre elle-même. Une
régulièrement de faç on bi-annuelle), Lara fait part brèche s’est ouverte. Son rapatriement d’urgence au
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activités. Elle ne comprend pas pourquoi, elle ver- des situations tout à fait paradigmatiques des diffi-
balise enfin sa crainte d’être rejetée et se laisse aller cultés de croissance psychique et nous permettent
à l’expression d’affects intenses. de visualiser précisément les étapes nécessaires au
En entretien, Lara évoquera désormais les conflits bon développement somato-psychique.
avec les autres et la peine ressentie. La position hié- Durant les premières années de suivi hebdoma-
rarchique des éducateurs la rassure, sachant qu’ils daire, nous avons observé combien « penser », pour
représentent l’autorité. Elle peut s’appuyer sur un Lara, a pu être extrêmement douloureux. C’est ainsi
cadre perç u comme solide. Elle cherche à se rassurer en tout cas que nous l’avons ressenti. Exprimer des
en recensant toutes les personnes « qui sont là pour affects, des émotions, évoquer son histoire, sa vie au
elle », comme elle le verbalise. C’est aussi l’époque quotidien et ses liens avec autrui était quasi impos-
où elle est confrontée au décès de ses parents et aux sible. Lara était trop engagée à consolider son arse-
retrouvailles avec un frère qu’elle n’a presque jamais nal défensif, en particulier sa carapace narcissique dans
connu. Les départs et retours de vacances sont tou- une recherche de valorisation permanente « pour se
jours douloureux, mais aujourd’hui Lara peut en par- maintenir » et « survivre psychiquement ». La défail-
ler. A la suite d’un séjour durant les vacances de Noël, lance et le dysfonctionnement dans la relation à
elle confie : « Je ne voulais pas revenir ici, car j’ai cru l’objet primaire ont nécessairement laissé des traces
qu’on avait pris ma place ! » dans la constitution du self, dans ses capacités d’iden-
tification, dans l’établissement de son narcissisme pri-
maire, secondaire, puis dans ses capacités réflexives.
Discussion Lara, à son image, se vit toujours seule, abandonnée,
Parvenues à ce point de réflexion, nous ne pou- exclue du groupe. Elle est celle à qui personne ne
vons que mesurer les effets et conséquences des pense. Les difficultés d’accès à la position dépres-
contextes de négligence éducative et carences affec- sive, comme M. Klein (1957) l’a conceptualisée,
tives infantiles. Le défaut dans la constitution de la sont majeures et renvoient à une angoisse de perte
relation d’objet, qu’elle soit de type environnemen- d’objet et d’abandon qui domine l’ensemble de son
tal ou non, perturbe les assises identitaires et narcis- fonctionnement psychique.
siques et le développement du sentiment continu
d’existence. Les angoisses d’abandon sont majorées La mobilisation des représentations et la recon-
et les sensations de chute, d’anéantissement sont trop naissance des affects ont représenté une difficulté
vives, non amorties par un appareil psychique ca- majeure chez Lara durant les premières années. Là,
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l’indifférenciation, Lara, lors des entretiens, montrait Les effets contenants du cadre
peu d’aptitudes à entrer en relation avec autrui. Le cadre psychothérapeutique que nous avons
A la lumière de nos connaissances sur le dévelop- mis en place (à distance du quotidien et de sa vie sur
pement de la vie psychique, nous envisageons diffé- son Unité) permet au sujet de reprendre certaines
remment les difficultés de Lara. Par exemple, nous positions psychiques inhérentes à la construction d’un
avons observé combien, en début de psychothérapie, objet interne fiable, sécurisant, sur lequel il pourra
la capacité d’être seule (Winnicott, 1958, p. 325) en s’étayer. Il convoque également un grand nombre de
notre présence était réduite. Cette capacité nous est particularités de l’attachement et de la construction
apparue comme constamment battue en brèche par du self. Lorsque le cadre est bien instauré, le sujet
l’insuffisance de son monde interne, défaillant à peut y projeter la violence de son agressivité et ses
contenir ce type d’expérience. Les angoisses d’aban- éprouvés, sans représailles. Il peut reprendre le jeu
don majeures nécessitaient la préservation du lien à des identifications, mobiliser ainsi son propre monde
autrui ininterrompue. Le silence ou la ponctuation interne, ses représentations, ses affects et développer
ne pouvaient avoir lieu. de meilleure manière l’image de soi. De même, la per-
Initialement, Lara n’a rien pu laisser paraître de manence et la continuité dans le temps, lorsqu’elles
ses difficultés en lien avec son système défensif extrê- sont garanties, permettent au sujet d’intégrer un sen-
mement fermé, mais l’expérience du cadre et sa per- timent continu d’existence. Enfin, l’appui sur l’appa-
manence ont permis l’assouplissement de ses défenses reil psychique du thérapeute, ses capacités à penser
pour investir l’autre, aborder ses difficultés affectives les conflits intra-psychiques et interpersonnels appa-
et intrapsychiques sans danger. La carapace narcis- raissent comme autant de signes permettant la réus-
sique se fend, les défenses dans ce registre sont moins site de ce type de prise en charge.
utiles. Lara peut alors sans péril intérieur se laisser Nous avons à chaque fois constaté la valeur pour
aller à ressentir ses douleurs, ses souffrances, puis à un sujet d’avoir un rendez-vous hebdomadaire au
les exprimer. sein de la vie rythmée du Foyer. Les entretiens offrent
C’est le cadre offert et sa permanence indéfectible de fortes garanties en termes d’attention et de pré-
qui ont pu permettre à Lara la diminution de ses sence à autrui. A de multiples reprises, nous avons
angoisses, y compris celles d’abandon, envisager observé avec Lara mais aussi avec d’autres résidents
de nouvelles capacités d’attachement, d’étayage et combien le cadre, lorsqu’il est respecté, incarne la
prendre appui sur les capacités psychiques et de conte- sécurité, la continuité, la permanence. Ces aspects
nant offertes par nous mais aussi par l’institution, constituent des bases indispensables, des préalables
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Déficience et psychothérapie. La mise en place du cadre, un pré-requis indispensable en faveur du développement psychique
psychothérapeutiques, restés confidentiels, mais sur de l’institution. C’est a priori le cadre très précis et
la problématique abandonnique de Lara et ses tra- étayant de la relation duelle (primaire) qui a permis
ductions au quotidien. Ce décryptage et la mise en au cadre institutionnel d’assurer une fonction plus
sens des symptômes, comportements, ont permis des contenante. Ainsi, nous percevons à quel point la
modifications s’agissant des représentations de l’équipe mise en place du cadre dans la pratique des psycho-
et permis d’engager un travail différent. L’équipe thérapies de personnes déficientes a des vertus s’agis-
pluridisciplinaire a réussi ainsi à investir différem- sant du travail de la pensée. Le cadre et son appli-
ment Lara. La nature des échanges relationnels mieux cation stricte permettent de recréer des conditions
appréhendés a permis des réponses différentes « sur le favorables au développement de la vie psychique et
terrain » et la sortie des schémas répétitifs. de la relation intersubjective. Ce sont des notions
archaïques au plan psychique en termes de rythmes,
de permanence, d’attention et d’immuabilité qui sont
Conclusion toujours convoquées et retrouvées lors des rendez-
vous. Ce sont elles qui permettent au sujet d’éprou-
Les psychologues connaissent amplement les dif- ver un sentiment de continuité d’existence, nécessité
ficultés liées au travail de psychothérapie avec des première pour que puissent ultérieurement se dé-
personnes en situation de handicap. La mobilisation ployer un sentiment de sécurité, une pensée inves-
de la vie psychique nécessite la mise en place de pré- tie et des liens transférentiels. Lara a enfin pu perce-
requis indispensables, d’où notre désir de communi- voir le cadre institutionnel et sa sécurité parce qu’au
quer cette prise en charge. Celle-ci permet en outre préalable, elle a vécu la permanence du cadre au sein
de mesurer combien le temps et la permanence du cadre des entretiens psychothérapeutiques. La clinique du
comptent dans les modifications structurelles et éco- handicap et de la déficience nous confronte en effet
nomiques constatées. C’est indéniablement le travail à des questions épineuses s’agissant de la genèse de
de suivi thérapeutique hebdomadaire long et continu la vie psychique. C’est uniquement lorsque le cadre
qui a permis à Lara d’assouplir ses mécanismes défen- a été suffisamment bien intériorisé que nous pouvons
sifs initiaux pour permettre l’émergence de certains observer la mise en place ultérieure de modalités
de ses affects, puis leurs possibles liaisons à de nou- transférentielles au service du renforcement identi-
velles représentations. taire et de l’assouplissement des défenses.
Jusqu’à présent, la prise en charge institutionnelle La transmission de ces aspects liés au terrain nous
de Lara (longue pourtant car depuis ses 9 ans) avait permet d’envisager de nouvelles voies de recherche
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Psychothérapies
Summary In the clinic of disability, the difficulties of the psychic life’s development for the subjects presenting
a mental retardation are major. They result in weaknesses of the system of representation and the
emergences of affects often unbearable for the psyche.
Confronted with this clinic, the therapists must not only take into account these characteristics but also know how to
adjust it to allow the therapeutic process to happen.
Upstream of the deployment of thought, powerful defense mechanisms often impede the subject in its expressive capabilities,
psychic development and symbolization. Also, a number of prerequisites are necessary in terms of internal security and sense of
continuity of existence. These data are particularly active and present in the setting definition and the ensuing psychothera-
peutic effectiveness.
Through the detailed clinical presentation of Lara, we will study what the essential to the establishment prior psycho-
therapy, how the elements of the therapeutic setting itself and institutional work upstream to succeed for the mobilization
of psychic life and the subsequent development work.
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