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HYPNOSE EN SOINS PALLIATIFS

Alain Forster, Nicole Cuddy, Stefano Colombo

Médecine & Hygiène | « InfoKara »

2004/4 Vol. 19 | pages 143 à 148


ISSN 1021-9056
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Alain Forster et al., « Hypnose en soins palliatifs », InfoKara 2004/4 (Vol. 19),
p. 143-148.
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DOI 10.3917/inka.044.0143
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Hypnose en soins palliatifs

Revue
Alain Forster 1 , Nicole Cuddy 2 et Stefano Colombo 3
1
Médecin adjoint agrégé, Service d’Anesthésiologie, Département APSIC ; Hôpitaux
universitaires de Genève
2
Psychologue psychothérapeute FSP, consultante, Hôpital des Enfants, Hôpitaux
universitaires de Genève
3
Médecin psychiatre FMH, consultant au Service d’Accueil, d’Urgences et de liaison
psychiatriques, Hôpitaux universitaires de Genève

Résumé : Hypnose en soins palliatifs – Dans le cadre des soins palliatifs, l’hypnose peut aider le patient à mieux faire face à cette période par-
ticulière et unique de sa vie. L’hypnose peut lui permettre de prendre le recul nécessaire, de diminuer l’anxiété, de mieux gérer la douleur
et de garder un rôle actif vis-à-vis des soignants, comme de sa famille et de son entourage.
L’exercice de l’autohypnose rend le patient davantage autonome lui conférant un sentiment de contrôle et de liberté.
Les relations avec les soignants et l’entourage peuvent s’améliorer, et la vision de la fin de vie du patient, acquérir une dimension nouvelle
plus conforme à ses désirs profonds. L’hypnose aide aussi les thérapeutes à mieux être à l’écoute du patient et éviter de décider à sa place.

Summary : Hypnosis in palliative care – Hypnosis can be a useful tool for patients in palliative care setting, to cope with this unique and very
special period of their lives. Hypnosis can help patients to distance themselves from the situation they are living, to decrease their anxiety,
improve pain management as well as allowing them to maintain an active role in their relationships with both the medical and nursing staff,
as well as with their family. Autohypnosis empowers patients and improves their sense of autonomy and self governance which in turn
allows them to perceive their end of life more clearly. As a result their relationship with the care givers thus also improves, as patients
become more aware of their most intimate wishes. Hypnosis may also enable the family and the staff to have a better understanding of the
patients’ point of view and thus be able to respect their choices and reduce potential conflicts.

Mots-clés : Soins palliatifs – Accompagnement – Hypnose – Autohypnose.

Key-words : Palliative care – Hypnosis – Autohypnosis – Psychological support.

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Introduction symptômes liés à sa maladie (douleurs, dyspnée, nausées,
etc.), des sentiments et émotions tels que la colère, la
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C’est quand une maladie grave et évolutive ne répond honte, la culpabilité, et adopter des comportements inha-
plus au traitement, et qu’il n’y a plus d’alternative théra- bituels comme l’agressivité ou l’isolement.
peutique à visée curative envisageable, que la notion de L’hypnose peut s’avérer utile et efficace dans cer-
soins palliatifs s’impose. La transition souvent brutale, taines situations de soins palliatifs, tout en se rappelant,
entre la période de soins curatifs, où la lutte contre la mala- comme pour toutes ses autres indications, qu’elle consti-
die et pour la santé est au premier plan, et la période des tue une approche complémentaire aux autres modalités thé-
soins palliatifs, où ce n’est plus la quantité mais la qualité rapeutiques déjà en cours.
de vie qui est primordiale, est un moment clé très difficile Le but de cet article est de présenter la pertinence de
aussi bien pour le patient que pour l’équipe soignante. Le l’hypnose en complément aux traitements instaurés par les
malade et son entourage au sens large, famille, amis, méde- médecins généralement impliqués dans ce type de soins
cins, infirmières etc. doivent faire face à une situation para- (oncologues, gériatres, généralistes, psychiatres, etc.) et
doxale où le malade doit être considéré comme un être d’illustrer ces propos par quatre vignettes cliniques.
vivant et en même temps où la mort doit être acceptée
comme un processus naturel inéluctable et proche.
Le patient et son entourage peuvent alors se sentir Définition de l’hypnose
complètement démunis, dans une situation sans espoir
où toute aide apparaît comme illusoire ou inutile, ce que L’hypnose est classiquement décrite comme un état de
les Anglo-Saxons appellent « hopelessness and helpless- conscience modifié [1], appelée aussi « transe », qui en soi
ness ». Le patient peut alors développer, en plus des n’a pas d’effets thérapeutiques. La forme que prend la
transe, sa profondeur et son impact dépendent avant
Correspondance : Dr Alain Forster, Hôpitaux universitaires de Genève,
tout, de l’interaction patient-thérapeute, de la qualité des
Service d’Anestésiologie, Département APSIC, 24, rue Micheli-du-
Crest, CH-1211 Genève 14. Tél. +41 (0)22 872 74 03, fax + 41 (0)22 suggestions émises par le thérapeute, de la motivation et
872 75 11. des attentes du sujet, du contexte social et culturel, et
Courriel: alain.forster@hcuge.ch finalement peu de son degré d’hypnotisabilité [1].

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A. Forster, N. Cuddy et S. Colombo, Hypnose en soins palliatifs

Bien que le mot hypnose vienne d’Hypnos, dieu du En effet, l’hypnose est un traitement complémen-
sommeil dans la mythologie grecque, le phénomène hyp- taire orienté « vers la solution » et non « vers la cause ».
notique ne doit pas être associé au sommeil, puisqu’il a L’établissement de nouveaux objectifs peut ainsi stimu-
des caractéristiques phénoménologiques et physiolo- ler le patient à trouver des réponses à « comment » il
giques propres. Des propositions nouvelles de définition pourra mieux faire face à sa maladie et aux soins aussi
ont été faites ces dernières années dont nous retenons bien du point de vue physique, qu’émotionnel ou com-
volontiers celle de « veille paradoxale » suggérée par portemental, plutôt que de ressasser la question plus
François Roustang [2]. Notons au passage et sans aucune futile de la causalité, c’est-à-dire du « pourquoi ». L’ap-
ironie, que Thanatos, le dieu de la mort, était le frère prentissage de l’hypnose, puis de l’autohypnose donne
d’Hypnos ! un rôle actif au patient, ce qui lui permet de sortir de sa
L’hypnose est un processus actif : elle peut stimuler le passivité et de retrouver ainsi un certain contrôle sur ses
désir et/ou renforcer la volonté propre du patient mais ne conditions de vie [3].
peut jamais aller à l’encontre de celle-ci. C’est un phéno- Dans des situations de soins palliatifs, le « symptôme
mène naturel qui peut survenir spontanément dans un d’appel » à l’hypnose est, dans la grande majorité des cas,
contexte particulier (« highway hypnosis », chez un spor- la douleur, qui est une de ses indications la plus étudiée
tif d’élite en concentration extrême, ou autre situation de et la plus reconnue [4]. La complexité du phénomène
stress). L’induction de l’hypnose peut se faire par un dis- douloureux où interagissent ses multiples composantes
cours monotone et répétitif, ce qui crée un état de (sensorielle, affective, sociale, psychologique etc.) est un
« carence sensorielle » où la réalité extérieure peut se bon point de départ pour intervenir, et permet non seule-
mêler à la réalité intérieure et ce qui, en créant une confu- ment de mieux contrôler le symptôme, mais aussi de
sion, peut augmenter la suggestibilité et favoriser un développer des compétences pour mieux y faire face
changement. (« coping strategies »).
L’hypnose, par la détente musculaire (antagoniste de La douleur n’est pas seulement un symptôme sensitif,
l’anxiété), la modification des perceptions, la modifica-
mais aussi un moyen de communiquer, qui permet de
tion du temps, la reprise du contrôle de la part du patient
demander de l’aide et de dire à autrui que « quelque
et la stimulation de l’imaginaire, permet une prise en
chose ne va pas », ce « quelque chose » étant composé
charge globale du patient.

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d’un mélange de sensations et d’émotions complexes.
Avec l’avancement de la thérapie, le patient pourra
Quelle que soit la demande initiale motivant le
faire appel à ses propres capacités pour faire de l’auto-
recours à l’hypnose, il est capital de fixer, dès la première
hypnose, se rendant ainsi encore plus autonome du thé-
séance, des objectifs précis, concrets en établissant des
rapeute. Notre expérience nous a appris qu’un suivi reste
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priorités.
nécessaire, d’une part pour « recharger les batteries »,
comme l’expriment certains patients, d’autre part pour La question suivante : « quel serait pour vous le plus
maintenir le lien et donc le sens vrai d’accompagnement. petit changement significatif positif ? », est une bonne
entrée en matière pour déterminer un objectif thérapeu-
tique concret prioritaire. C’est une question à laquelle les
Stratégie patients ont parfois de la peine à répondre, toutefois les
réponses sont utiles et souvent surprenantes. En effet,
Lorsque l’équipe soignante est arrivée au bout des res- chez plus de la moitié des patients douloureux chro-
sources thérapeutiques à visée curative, le patient est niques et/ou en soins palliatifs, le « plus petit change-
souvent informé, dans un souci de loyauté et d’honnê- ment significatif positif » n’est pas une diminution de la
teté, « qu’il n’y a plus rien à faire » (cf. vignette 1). Cette douleur, mais une amélioration de l’état émotionnel liée
phrase est perçue par la majorité des patients comme un à l’angoisse, et à l’estime de soi, avec des demandes de
« coup d’assommoir », et peut créer un intense état changements concrets tels l’amélioration de la qualité
d’anxiété, associé à un sentiment d’impuissance, de perte du sommeil, ou celle de trouver des moyens de « se sen-
de contrôle, le patient se sentant rejeté et/ou abandonné. tir utile ».
Dans cette situation, le rôle de l’équipe de soins pal- Dès que l’objectif du « plus petit changement signifi-
liatifs est en premier lieu de recadrer cette phrase en catif positif » est atteint, le patient tend à reprendre
expliquant que, si du point de vue curatif, « il n’y a effec- confiance en ses compétences et, comme il est à nouveau
tivement plus rien à faire », le patient se trouve mainte- acteur, il contrôle aussi mieux des facteurs affectant sa
nant en face de toute une série de défis en se fixant de qualité de vie. La motivation du patient de se prendre
nouveaux objectifs de vie qualitatifs, et qu’une équipe en charge et se responsabiliser s’accroît d’autant plus
pluridisciplinaire sera présente pour l’aider et l’accompa- qu’il devient plus autonome en apprenant l’autohypnose.
gner. C’est dans ce contexte de prise en charge globale Par la suite, d’autres objectifs peuvent être discutés et
que l’hypnose peut s’avérer fort utile. travaillés.

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Etapes des soins palliatifs et hypnose proche mais également son attitude et comportement,
devienne plus distant, ou même le rejette.
Les objectifs des soins palliatifs varient en fonction des Les objectifs de l’hypnose dans cette étape sont de
différentes étapes que traverse le patient dont la maladie retrouver un fonctionnement social, en premier lieu avec
grave et évolutive ne peut plus être traitée curativement. l’équipe soignante. Cela améliore la compliance du
Ces étapes, proposées par E. Kubler-Ross, sont : patient vis-à-vis de ses soins et lui apprend à gérer ses
émotions négatives.
1. la crise initiale ; De plus, le contrôle de l’anxiété et des douleurs par
2. l’étape de transition ; l’hypnose, permet de couper le cercle vicieux (illustré
3. la phase d’acceptation ; dans la figure 1), et ainsi de diminuer la médication antal-
gique et d’améliorer par conséquent l’état de conscience
4. la préparation à la mort [5, 6, 7]. et la qualité relationnelle.

Il est important de garder à l’esprit que la chronologie Figure 1 : Le contrôle de l’anxiété et des douleurs par l’hypnose.
de ces différentes étapes n’est pas fixe et ne correspond
pas forcément à une logique temporelle. Elle peut varier Hypnose  douleurs  anxiété  morphine
en fonction de l’évolution de la maladie et des traite-
ments, de l’attitude de l’entourage et de la psychologie
propre du patient. La situation peut être particulière-
ment délicate et dramatique quand les étapes du patient
 relation  état stuporeux
ne sont pas synchrones avec celles de l’entourage. Par
exemple, un patient peut se sentir complètement aban-
donné s’il est encore dans la phase initiale (déni, révolte)
alors que l’entourage est déjà dans la phase d’acceptation.
La phase d’acceptation

Cette étape est généralement plus longue que les autres,


La crise initiale
elle peut même ne jamais être vécue par certains patients.

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Pour ceux qui arrivent à obtenir un état émotionnel plus
Cette première étape est généralement précédée par la serein, l’intervention hypnotique devrait se focaliser sur
confirmation de l’évolution fatale et incurable de la mala- « l’exploration et l’exploitation du temps qui reste ». Le
die. Elle est caractérisée par un état de stupeur produi-
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fait de mourir sera vu plutôt comme un processus que


sant un choc émotionnel et par un déni massif de la situa- comme un événement brutal. Le renforcement de l’ap-
tion. Pendant cette crise, le patient peut se mettre dans prentissage de l’autohypnose aidera le patient à mieux
un « état hypnoïde spontané négatif », se concentrant sur faire face aux défis physiques, sociaux, et spirituels qu’il
lui-même, rejetant toute aide extérieure en étant « cap- rencontre.
tivé par, ou focalisé » sur sa situation. Ce changement L’hypnose, grâce à des méthodes de recadrage et à
d’état de conscience spontané peut contaminer l’entou- l’utilisation de métaphores, permet une meilleure ges-
rage privé et professionnel, qui sera à son tour influencé tion du stress et des symptômes. Le fait de pouvoir expli-
négativement par le patient ! citer et partager ses pensées, ses émotions, ses espoirs et
L’état hypnoïde spontané du patient doit alors être mis ses craintes face à la mort, favorise une plus grande séré-
à profit en le transformant positivement. Il lui permettra nité. Irving Yalom, écrivain et psychothérapeute ayant
ainsi de reprendre un certain contrôle sur l’anxiété, d’ap- beaucoup d’expérience avec des malades en fin de vie,
prendre l’autohypnose, et de recadrer la maladie comme résume bien ce concept : « Physiquement la mort nous
une opportunité d’établir de nouvelles priorités pour pou- détruit, mais l’idée de la mort peut nous sauver » [8].
voir apprécier au mieux cette période de fin de vie.

La préparation à la mort
L’étape de transition
Alors que les trois étapes antérieures étaient centrées sur
Dès que le déni s’estompe, la deuxième phase peut la vie, bien que le spectre de la mort restait implicitement
apparaître. Celle-ci est caractérisée par de fortes réactions présent, dans cette dernière étape, la mort vient au pre-
émotionnelles tels que le désespoir et la révolte pouvant mier plan.
entraîner le patient dans un isolement ; cela d’autant plus Dans cette phase, les objectifs de l’hypnose pourraient
qu’il y a un risque que l’entourage, supportant difficile- être le renforcement du contrôle des symptômes (dou-
ment non seulement le pronostic de la maladie de leur leurs, nausée, dyspnée, etc.), l’induction d’une distorsion

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du temps, l’accompagnement du processus de mort en Comme j’ai les mains froides en arrivant j’oublie de les
«favorisant le lâcher prise» (cf. vignette 3). réchauffer avant de lui prendre la main. Elle me le fait
D’autres approches ont également été proposées, tout de suite remarquer et me dit : « donnez-moi la main,
comme la «progression dans le temps» en faisant par c’est moi qui vous réchaufferai ». Elle désirait partager ce
exemple, visualiser au patient, la manière dont l’entourage moment en hypnose en me donnant aussi quelque chose.
assume de manière satisfaisante son deuil, ou en lui don- Elle s’est rappelée de tout et était à ce moment tout à
nant «un dernier rôle positif» tel que le conçoit I. Yalom: fait cohérente. Un état comateux est survenu le lende-
«Le dernier cadeau qu’un parent peut donner à ses main de ma visite, et elle est décédée à l’hôpital cinq
enfants est leur apprendre, à travers l’exemple, comment jours plus tard, entourée de ses proches.
faire face à la mort avec équanimité» [7] (cf. vignette 4). L’hypnose lui a permis d’être active, d’exprimer des
désirs, de retrouver un endroit peuplé de souvenirs
agréables et de vivre des petits moments avec moins de
Vignette 1 douleurs au lieu d’attendre… la mort dans son lit. Elle a pu
aller avec sa chaise roulante dans les magasins et faire des
Une mère de famille de 50 ans, Madame Y., demande une promenades comme elle le désirait. Malgré la situation
consultation pour l’aider à prendre un peu de distance désespérée il y avait donc encore «quelque chose à faire».
par rapport à ses douleurs. Elle est mariée et a un fils de
17 ans. Elle a un cancer généralisé. Elle m’explique que
les médecins lui ont dit: «il n’y avait plus rien à faire!». Vignette 2
C’est la phrase qui fige le temps, supprime tous les désirs
et annule les moindres petits projets. Elle appelle la mort Un homme de 56 ans, Monsieur T., souffre d’une tumeur
avant son heure. au niveau du côlon. Le chirurgien propose une interven-
Pendant la première séance d’hypnose, elle exprime tion palliative avec une iléostomie (une poche au niveau
le désir de retourner sur une plage en Australie. Je choisis abdominal où les selles peuvent s’écouler). L’idée de
le mouvement des vagues qui viennent et qui partent l’iléostomie ne convient pas à M. T., d’autant plus qu’il
pour absorber les sensations douloureuses et les emmè- souffre d’une phobie du sang. Il accepte néanmoins l’in-
nent loin en laissant, pour quelques instants, une sensa- tervention au vu de la gravité de la situation.

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tion de fraîcheur qui les anesthésie. Dans la vie courante, M. T. occupe un poste de haute
J’essaye de lui faire exprimer ses désirs et de mettre responsabilité dans une organisation internationale.
les images en mouvement. Elle sait qu’elle va mourir Etudes universitaires, compétences professionnelles et
mais il est inutile d’attendre la mort à chaque minute. La relationnelles font de lui un dirigeant très apprécié, à
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mort n’a pas fixé de date ou d’heure ! Rien n’empêche de l’écoute de l’autre et affirmé dans la prise de décisions.
vivre pleinement ce temps. Les mots «autonomie» et «contrôle» sont au centre de sa
Elle avait envie de sortir se promener et aller dans un manière de vivre. M. T. est marié et père de trois enfants
magasin. Physiquement elle ne pouvait plus marcher. Je ayant déjà quitté le domicile parental.
lui propose de louer une chaise roulante et de faire ce Le patient m’est signalé pour «faire quelque chose
qu’elle a envie. Son mari a de la peine à la voir dans une avec cette phobie du sang et de la poche». Ce fut le symp-
chaise roulante ; c’est pour lui une image insupportable. tôme d’appel pour l’hypnose. M. T. se montre surpris de
Elle lui explique que si elle peut sortir, cela veut dire me voir arriver avec une telle proposition, l’hypnose en
qu’elle est encore vivante et qu’elle peut profiter de la vie médecine lui est inconnue. Ouvert et curieux, il donne son
en ayant un projet par jour. Elle a pu faire ses petites pro- accord. Une première séance apporte un état de relaxation
menades dans sa chaise pendant cinq jours. et de sérénité facilitant les séances suivantes. Par la suite, je
Un soir, je devais venir la voir à domicile, mais son reprends la description de son lieu de vacances, une rési-
mari m’avait dit qu’elle était très confuse et ne reconnais- dence secondaire avec piscine, et propose de bien voir les
sait même pas son fils. Il lui avait demandé si elle voulait ronds dans l’eau (signaux d’une eau vivante); il peut lui-
que je vienne pour sa séance, et elle a dit oui. Lorsque même en provoquer en laissant tomber des gouttelettes
j’arrive chez elle, elle est assise confuse, probablement en dans la piscine. Trois jours après, M. T. m’explique
raison de métastases cérébrales. Elle m’amène dans sa avoir lui-même changé la poche suivant les instructions
chambre, se couche et me dit qu’elle voudrait retourner de l’infirmière. Il quitte l’hôpital peu de temps après.
sur sa plage. Quatre mois plus tard, son médecin, oncologue en
Je lui avais appris à retrouver ces images en hypnose ville, m’appelle : l’état de tension du patient empêche de
aussi bien en entendant ma voix qu’en sentant mes poser un goutte-à-goutte pour une chimiothérapie. La
doigts sur sa main, car dans certains cas, si la vision ou situation est urgente.
l’audition est altérée par les métastases. Il faut pouvoir Je revois M. T. Entre-temps, il avait repris sa fonction
utiliser l’hypnose avec les sens qui restent intacts. de dirigeant, y compris les voyages à l’étranger.

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A. Forster, N. Cuddy et S. Colombo, Hypnose en soins palliatifs

Je revois avec lui les cognitions à la base de son état de tements toute sa vie. Elle avait été très bien accompa-
tension. Le contrôle et le fait de déléguer sont au centre. gnée par sa mère pendant toutes ces années. Je l’ai suivie
La métaphore d’un voyage en train (où une partie du en utilisant l’hypnose pendant plusieurs années pour l’ai-
voyage est déléguée) surgit lors de l’échange autour des der à supporter les traitements médicaux et apaiser ses
cognitions. Les séances d’hypnose seront donc des angoisses. Elle savait très bien faire l’autohypnose qu’elle
voyages en train et… en première classe. utilisait dans beaucoup d’occasions différentes. L’hyp-
La semaine suivante, M. T. me décrit comment il a pu nose lui a permis de prendre un rôle très actif dans ses
se confronter aux soins « agressifs ». Il demandait à l’infir- traitements.
mière de le laisser quelques minutes seul (induction de Elle avait développé toute une bibliothèque d’images
l’autohypnose), puis d’entrer sans dire « je vais vous qu’elle choisissait en fonction de ce qu’elle vivait, dou-
piquer ! », le contact au niveau de l’avant-bras étant suffi- leur, angoisse ou espoir. Elle était arrivée à un âge où elle
sant comme signal. La chimiothérapie a eu lieu comme se posait des questions sur sa qualité de vie et voulait
prévu. savoir ce que les traitements pouvaient lui apporter.
A deux ans de l’intervention chirurgicale, M. T. me Après une longue réflexion, face aux réponses de ses
demande à son domicile. Des métastases ont provoqué médecins sur l’avancée de leur travail en recherche en
une atteinte de la moelle épinière qui le rend paraplé- génétique, elle comprit qu’ils étaient très loin de pouvoir
gique. Une équipe de soins palliatifs à domicile le suit lui proposer un traitement efficace. Elle décida alors
régulièrement. À mon arrivée, sa demande est d’emblée d’arrêter son parcours de vie à 14 ans.
claire et, pour moi, déconcertante : « vous m’avez fait Elle avait cependant un grand regret : celui de n’avoir
voyager en train, maintenant vous devez m’aider à voya- pas vécu l’adolescence et, encore plus important, celui de
ger dans ma tête ». Je suis touché et ému par son état de n’avoir pas été amoureuse. Elle ne connaissait que peu de
santé, je suis confus par sa demande. Heureusement je jeunes de son âge car sa maladie l’empêchait d’aller à
sais par l’expérience que l’hypnose est un peu comme l’école. Elle restait cependant « optimiste » et c’est arrivé.
une danse à deux, elle ne laisse pas le thérapeute sur le Elle a écrit à un petit copain de classe pour lui dire ce
carreau. M. T. se plaint d’une douleur à une omoplate, qu’elle ressentait pour lui. Ce jeune homme lui a répondu
douleur sous forme de brûlure qui le contraint à rester
et ils correspondirent pendant quelques semaines. Il a pu
allongé. Il aimerait être assis.
lui écrire qu’il l’aimait aussi.

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Nous reprenons l’hypnose où une nouvelle méta-
Nous avons commencé à créer d’autres images
phore « cueillie » dans la nature lui permet d’être assis, la
ensemble en hypnose dans le but de pouvoir l’accompa-
brûlure étant « refroidie ».
gner le plus longtemps possible lorsqu’elle entrepren-
Les jours suivants, nous « voyageons » de plus en plus
drait son voyage pour un autre monde.
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dans la nature, au fil des saisons, à la lumière du soleil de


Elle a demandé que l’on débranche les perfusions et
plus en plus couchant, sous des flocons de neige de plus
en plus fins, la lumière toujours plus claire… Un jour l’alimentation parentérale. Puis elle a réglé toutes ses
j’arrive, il était parti. affaires. Elle s’est fixé des objectifs journaliers. Pendant
le mois qu’elle a vécu elle a décidé de manger tout ce qui
Cette expérience met en évidence plusieurs niveaux lui faisait plaisir et dont elle avait été privée toute sa vie.
d’intervention par l’hypnose : Elle a savouré chaque chose. Elle a terminé les construc-
tions (en légo) qu’elle avait commencées, elle a élaboré
• prise d’autonomie pour les soins de la poche ; un lieu où elle aimerait être après sa mort entourée de
• détente permettant la chimiothérapie ; tout ce qu’elle aimait. Elle l’a dessiné après l’avoir ima-
• renforcement de l’autonomie tout le long du traite- giné en hypnose. Elle prit un rôle actif dans toutes les
ment ; décisions qui la concernaient. Elle a préparé son faire-
part, ses vêtements, a dit au revoir à tous ses médecins,
• diminution de la douleur et de la médication antal- distribué ses affaires aux gens qu’elle aimait et elle a sou-
gique ; haité que je l’accompagne, le jour venu, en hypnose avec
• rôle plus actif les dernières semaines de vie ; ses images. Elle était calme et a demandé qu’on l’enterre
• prise de décision quant à la suite (refus d’une inter- avec les lettres qu’elle avait reçues de son petit copain.
vention chirurgicale palliative, réunion de toute la Elle a pu réaliser ses rêves avant de nous quitter.
famille peu de jours avant le décès). Elle a accompli ce qu’elle désirait : elle a traversé
l’adolescence en trois jours en étant amoureuse. Elle est
partie comme elle l’avait imaginé, en hypnose, sur un
Vignette 3 grand aigle avec une écharpe rouge accompagnée de ses
parents et moi-même chacun sur un aigle différent, puis
Une jeune fille de 14 ans, H., souffrait d’un déficit immu- elle nous a fait un signe et a continué sa route seule jus-
nitaire de naissance. Elle avait eu de très nombreux trai- qu’à sa future demeure.

INFOKara, vol. 19, N° 4/2004 147


A. Forster, N. Cuddy et S. Colombo, Hypnose en soins palliatifs

L’hypnose l’a aidée à dépasser l’angoisse de sépara- pour mourir en paix. Il décida, dans les jours qui suivi-
tion, à vivre le dernier mois en réalisant ses projets, en pré- rent, de présenter les enfants les uns aux autres. Cette
parant son départ. Elle a laissé dans nos cœurs une image rencontre se passa bien. La vérité avait pu être dite et il a
vivante. Ce travail a permis à ses parents de l’accompa- pu mourir avec tous ses enfants présents autour de lui.
gner de manière active, un peu plus loin. Ces derniers Chacun a pu ainsi lui exprimer ce qu’il ressentait face à
mots écrits furent: «Ne soyez pas tristes que je sois partie, cette situation peu commune. Il laissa à chacun d’eux un
car là où je vais il n’y aura que bonheur pour moi. Mais tableau qu’il imaginait lorsqu’il était en hypnose pendant
faites attention, je vous surveille tous et vous emmène les séances et qu’il peignait lorsqu’il rentrait chez lui.
dans mon cœur». L’hypnose a fait partie de sa vie pen- Il a pu nous quitter plus sereinement en ayant mis de
dant cinq ans et lui a permis de découvrir ses ressources, l’ordre dans sa vie. L’hypnose lui a permis de diminuer
de les mobiliser, de diminuer ses douleurs, d’apprivoiser ses douleurs et d’avoir la force d’affronter et de régler ses
ses peurs et de faire face à la mort en l’acceptant tout en se problèmes.
donnant une représentation rassurante personnelle du
lieu où elle irait après. Elle a pu terminer ce qu’elle voulait
faire sur la terre en écrivant un petit livre pour pouvoir Conclusion
transmettre, aux autres enfants qui souffrent, son expé-
rience et l’aide que l’hypnose lui avait apportée. Dans les soins palliatifs, l’hypnose peut aider le patient
à trouver des alternatives au simple fait « d’attendre la
mort ». Sentiment de contrôle, meilleure estime de soi,
Vignette 4 diminution de l’anxiété et de la douleur peuvent lui per-
mettre de parcourir les derniers pas de sa vie avec plus de
Monsieur D., âgé de 55 ans, est venu en consultation pour sérénité. Il accède ainsi à un espace de liberté de pensée
des douleurs liées à un cancer avancé avec métastases. Il et d’action. Cela a aussi des répercussions sur l’entourage
désirait faire de l’hypnose pour pouvoir être plus actif qui pourra mieux affronter la séparation et le deuil.
pendant le temps qui lui restait à vivre et s’aider à dimi- L’hypnose est aussi une grande aide pour le théra-
nuer ses douleurs. Après deux séances d’hypnose, il était peute, voire un cadeau. En partageant des instants par le
capable de faire de l’autohypnose chez lui. Un de ses loi- regard et la parole, mais aussi par le silence, avec la per-

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sirs était la peinture. En hypnose il imaginait sa douleur sonne qui s’en va, le thérapeute reçoit, dans ces situations
sous la forme d’une tâche de couleur et il la modifiait en de séparation, des legs de vie dont il est dépositaire et
la rendant plus claire et en changeant sa dimension. Il qu’il peut transmettre, à son tour, à d’autres qui sont sur
parvenait ainsi à s’accorder des moments de répit qui lui ce chemin dans une relation d’humain à humain. Chaque
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permettaient de faire autre chose. Lors d’une séance être a le droit de choisir comment il veut affronter la mort.
d’hypnose, alors qu’il se trouvait dans son endroit favori, Le thérapeute doit s’adapter à son patient en respectant
il commença à parler. Il se vit mort avec autour de lui sa ses choix.
famille qui devait faire face à une situation peu banale, ce Ainsi, dans la « bulle » qu’ils créent, certains patients
qui générait chez lui une grande anxiété. Après la séance sont capables d’aborder les événements de fin de vie
il me raconta qu’il avait mené une double vie avec une sous un autre angle et, de trouver la force de conclure des
femme et deux grands enfants adultes, ainsi qu’avec une préoccupations qui étaient en suspens en osant exprimer
autre femme et aussi deux enfants presque adultes. Il des désirs et en laissant ainsi à leurs proches une image
réalisa qu’il lui fallait régler son problème rapidement positive.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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4. Edzard E. « Complementary therapies in palliative cancer care ». American 8. Yalom I, Greaves C. « Group therapy with the terminally ill ». Am J Psychiatry
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5. Kubler-Ross E. Vivre avec les morts et les vivants. Le Livre de Poche.

148 INFOKara, vol. 19, N° 4/2004

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