Psys 131 0043

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Une intervention systémique brève de couple : le cas de

Virginie et Paul
Joëlle Darwiche, Christel Vaudan, Yves de Roten, Jean-Nicolas Despland
Dans Psychothérapies 2013/1 (Vol. 33), pages 43 à 53
Éditions Médecine & Hygiène
ISSN 0251-737X
DOI 10.3917/psys.131.0043
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Psychothérapies 2013 ; 33 (1) : 43-53

Une intervention systémique brève


de couple : le cas de Virginie et Paul
Joëlle Darwiche1, Christel Vaudan2,
Yves de Roten3, Jean-Nicolas Despland4

Résumé L’analyse de la thérapie de couple de Virginie et Paul vise à illustrer la spécificité de l’Intervention
Systémique Brève, un traitement manualisé réalisé dans un cadre temporel limité, et à examiner son
efficacité. L’évaluation chez chaque conjoint de la symptomatologie individuelle, de la satisfaction
conjugale et de l’alliance thérapeutique grâce à des questionnaires transmis avant, après et trois mois après la fin de l’inter-
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vention fournit une mesure indépendante du processus thérapeutique. Les résultats montrent que les étapes clés du proces-
sus thérapeutique identifiées par les thérapeutes sont associées à des variations de l’alliance thérapeutique chez les patients.
L’évolution distincte de chaque partenaire est discutée, en s’appuyant notamment sur les réactions des conjoints à leurs
données de recherche.

Introduction Greenberg, 2005). Ensuite, les résultats disponibles


sur l’efficacité des thérapies de couple restent partiels :
L’efficacité des thérapies de couple a fait l’objet ils se centrent généralement sur la diminution de
de nombreuses recherches depuis une trentaine d’an- symptômes chez le patient désigné, mais n’infor-
nées. Plusieurs méta-analyses (par exemple Shadish ment que peu sur le comment et le pourquoi une
et Baldwin, 2003) montrent qu’elles sont globale- amélioration de la relation conjugale est observée,
ment efficaces non seulement pour diminuer la dé- ni sur le lien entre cette amélioration et celle de la
tresse conjugale, mais aussi pour réduire la sympto- symptomatologie individuelle (Christensen et al.,
matologie individuelle (Whisman et Uebelacker, 2005 ; Doss, 2004). Les auteurs plaident ainsi pour
2006 ; Christensen et al., 2005). La solide base em- davantage de recherches sur les mécanismes de chan-
pirique sur l’efficacité des thérapies de couple laisse gement en jeu dans ces traitements (Doss, ibid.).
cependant plusieurs champs encore inexplorés. En Finalement, les données montrent qu’un certain
premier lieu, la preuve de l’efficacité globale de ces
thérapies a été démontrée sur la base d’un nombre
réduit de modèles de traitement, comme la thérapie 1
Dr en psychologie, psychologue-psychothérapeute FSP, res-
ponsable de recherche à l’Institut Universitaire de Psychothé-
de famille fonctionnelle, la thérapie familiale multi-
rapie, Département de Psychiatrie du CHUV, Lausanne.
dimensionnelle, la thérapie familiale multisystémique 2
Psychologue-psychothérapeute FSP, responsable de la
ou encore la thérapie familiale brève structurale et Consultation Couple-Famille, Département de Psychiatrie
stratégique. D’autres modèles d’intervention pour- du CHUV, Lausanne.
tant largement utilisés dans la pratique clinique, 3
Dr en Psychologie, PD, PD MER, responsable du Centre de
telles que les thérapies solutionnistes ou narratives, Recherche en Psychothérapie, Département de Psychiatrie
du CHUV, Lausanne.
manquent de validation empirique, ce qui contribue 4
Professeur ordinaire, Directeur de l’Institut Universitaire de
au décalage existant entre démarche scientifique Psychothérapie, Département de Psychiatrie du CHUV,
et réalité clinique (Heatherington, Friedlander et Lausanne.

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Psychothérapies

nombre de couples ne bénéficient pas d’un traite- préconisée (Carlson et al., 2012 ; Jacobson et Truax,
ment conjugal. Le traitement ne permet pas de di- 1991). Finalement, le modèle de thérapie utilisé doit
minuer leur détresse, ou alors l’amélioration obser- être clairement spécifié, sous la forme d’un manuel,
vée n’est pas maintenue à moyen ou à long terme afin de pouvoir être enseigné puis évalué (Dickey,
(Baucom et al., 1998 ; Snyder, Wills et Grady- 1996 ; Christensen et al., 2005).
Fletcher, 1991). Dans cet article, nous proposons une étude de
Cette littérature met en évidence la nécessité cas pragmatique d’un couple suivi dans le cadre d’un
de valider une plus grande variété de modèles thé- traitement systémique manualisé, l’Intervention
rapeutiques et de comprendre les mécanismes de Systémique Brève (ISB, Carneiro et al., 2011). Notre
changement en œuvre dans les thérapies de couples démarche vise à décrire le déroulement de cette
et les raisons pour lesquelles un certain nombre de intervention, grâce à une analyse clinique et à la
couples n’améliorent pas leur relation suite à un mesure, à différentes étapes du traitement et pour
traitement. Afin de progresser dans ces différents chaque conjoint, de la symptomatologie individuelle,
aspects, les auteurs s’accordent à dire qu’en paral- de la satisfaction conjugale et de l’alliance thérapeu-
lèle des études contrôlées randomisées sur de grands tique. Le but est de mettre en évidence l’application
échantillons, l’analyse détaillée du processus théra- pas à pas du modèle de l’ISB, et de discuter la spéci-
peutique chez un petit nombre de couples doit être ficité et l’efficacité de ce type de traitement réalisé
fortement encouragée (Christensen et al., 2005). dans un cadre temporel limité.
L’étude de cas en thérapie de couple est l’une des
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méthodes permettant d’entrer au cœur du proces-
sus thérapeutique. Les études de cas ont tradition- Méthode
nellement consisté en une analyse du déroulement
d’une thérapie de couple, réalisée par le thérapeute Présentation du couple
(Dickey, 1996 ; Carlson, Ross et Stark, 2012). Ces La thérapie du couple formé par Virginie et Paul
études de cas sont riches, mais dépendent de la sub- a été conduite par deux co-thérapeutes de sexe fémi-
jectivité du thérapeute et de ses spéculations sur les nin, spécialistes de l’ISB et exerç ant à la Consulta-
variables responsables du changement thérapeutique tion Couple-Famille du Département de Psychiatrie
(Kazdin, 2011). Les études de cas dites pragmatiques du CHUV à Lausanne. La demande de thérapie a été
ou basées empiriquement, qui articulent analyse cli- motivée par les inquiétudes grandissantes ressenties
nique rigoureuse et mesures indépendantes du pro- par Virginie et Paul au vu de la fréquence et de la
cessus et du résultat du traitement (McLeod, 2010 ; virulence de leurs disputes conjugales. Ces tensions
Fishman, 1999), sont considérées comme une mé- s’étaient accrues les mois précédant la demande,
thode de recherche établie, contribuant de manière suite aux échecs répétés de traitements de procréa-
significative à une pratique de la thérapie systé- tion médicalement assistée (PMA) qu’ils avaient dû
mique fondée empiriquement (Carlson, Ross et Stark, suivre.
2012). Ces études de cas pragmatiques sont encore Virginie, 27 ans et Paul, 35 ans, sont mariés
peu courantes dans le champ de la thérapie systé- depuis deux ans et sont tous deux actifs profession-
mique (ibid.). Un certain nombre de recommanda- nellement. L’anamnèse familiale (Cf. figure 1 : Géno-
tions ont été formulées à leur sujet (Carlson, Krumholz gramme) indique que Virginie est la deuxième d’une
et Snyder, in press). Tout d’abord, elles doivent in- fratrie de trois. Ses parents ont divorcé quand elle
clure une mesure du changement thérapeutique à était en âge scolaire puis se sont remariés et ont eu
plusieurs niveaux : symptomatologie individuelle, d’autres enfants. Virginie a suivi une thérapie indi-
relation de couple, relation entre parents et enfant viduelle dans sa jeunesse qui lui a permis de chemi-
et dynamique familiale (Sexton et al., 2011). Les ner par rapport à un vécu d’enfant et d’adolescente
mesures elles-mêmes doivent consister idéalement douloureux, caractérisé par l’injustice ressentie dans
en questionnaires auto-reportés et méthodes d’ob- la relation à ses parents et beaux-parents. La qualité
servation des interactions et être répétées à plusieurs des liens dans sa fratrie directe a représenté un sou-
étapes du traitement. L’utilisation d’un indice de tien émotionnel important pour elle. Paul, d’origine
changement permettant de déterminer si les chan- étrangère, est également le deuxième d’une fratrie
gements observés sont cliniquement significatifs est de trois. Durant son adolescence, les contacts avec

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Une intervention systémique brève de couple : le cas de Virginie et Paul

Figure 1 : Génogramme de Viriginie et Paul.


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son père sont très réduits, celui-ci vivant à l’étran- L’Intervention Systémique Brève
ger pour des raisons professionnelles. La relation à L’Intervention Systémique Brève est un modèle
sa mère est décrite comme oppressante, du fait de de thérapie pour couples et familles qui propose un
l’attitude anxieuse qu’elle avait à son égard et dont cadre thérapeutique de six séances maximum, avec
il a dû apprendre à se protéger. Les liens au sein de un intervalle de trois à quatre semaines entre chaque
la famille sont décrits comme plutôt distants, mais séance (Carneiro et al., 2011). Elle a pour objectif
sans être conflictuels. de permettre une intervention dont la visée à la fois
d’investigation et thérapeutique favorise la mise en
place d’une prise en charge à plus long terme, quand
Procédure d’analyse cela est indiqué. L’ISB est généralement assurée par
L’analyse détaillée de la demande et du déroule- une équipe thérapeutique constituée de deux co-
ment du traitement a été réalisée par l’une des co- thérapeutes et, si possible, d’un ou de deux théra-
thérapeutes (second auteur), sur la base des notes peutes « observateurs » (système de vidéotransmission
et des enregistrements vidéo des séances de théra- ou miroir sans tain). L’ISB, par le contrat à durée
pie. L’analyse des résultats obtenus aux question- déterminée qu’elle propose, répond particulièrement
naires a été réalisée par une chercheuse en psycho- bien aux couples ou familles dont certains membres
thérapie (premier auteur). La mise en commun des sont hésitants à s’investir dans un travail thérapeu-
données cliniques et de recherche s’est effectuée lors tique anticipé comme au long cours.
d’une rencontre, quelques mois après la fin de la thé- L’ISB s’inspire des principaux modèles systé-
rapie, où le couple et les co-thérapeutes ont pu miques, tels que l’approche interactionnelle de
prendre connaissance des résultats de la recherche Palo Alto (Watzlawick, Weakland et Fish, 1975),
et les commenter. les approches structurale et stratégique (Minuchin,
La recherche à laquelle le couple a participé visait 1974 ; Haley, 1993), les approches transgénération-
à investiguer l’efficience de l’ISB avec une popula- nelles (Bowen, 1984 ; Boszormenyi-Nagy, 1973), les
tion de couples et de familles pris en charge au sein approches orientées sur les solutions (Isabaert et
du Département de Psychiatrie du CHUV. Cette Cabbié, 1997 ; De Shazer, 1991) et les approches
recherche a été acceptée par la Commission d’éthique des « mythologues » (Caillé et Rey, 2004 ; Neubur-
clinique du CHUV (Protocole 42/08). ger, 1994). Les bases communes à ces différents

45
Psychothérapies

modèles sont constituées de quatre principes majeurs Mesure de l’impact de l’ISB


en systémique (Hendrick, 2007 ; Pote et al., 2000), L’impact de l’ISB a été mesuré par des autoques-
qui représentent les quatre piliers de l’ISB : 1) vision tionnaires évaluant la symptomatologie individuelle,
contextuelle des problèmes ; 2) focus sur l’interac- la satisfaction conjugale et l’alliance thérapeutique.
tion et la circularité des difficultés ; 3) attention Les mesures ont été prises à trois temps : avant la
portée aux compétences et ressources du système ; première séance, après la sixième séance et lors
4) principe de cohésion et solidarité en jeu dans les d’un follow-up, trois mois après la fin de la théra-
systèmes humains. La formulation d’hypothèses sys- pie. Les questionnaires étaient les suivants :
témiques constitue l’outil de base de l’ISB. Toute
hypothèse est formulée en termes relationnels et
circulaires et intègre la dimension contextuelle de Symptomatologie individuelle
l’objet d’hypothétisation (Selvini-Palazzoli, Boscolo, Le « Outcome Questionnaire-45 » (OQ®45.2,
Cecchin et Prata, 1982). Lambert, Gregersen et Burlingame, 2004) comprend
45 items mesurant les symptômes de détresse, les
relations interpersonnelles et la performance dans
Phases de l’ISB les rôles sociaux. Plus le score global (variant théo-
La première phase de l’ISB se centre sur l’évalua- riquement de 0 à 180) est élevé et plus la détresse
tion de la demande, en s’inspirant du modèle d’ana- individuelle est importante. Le seuil indiquant un
lyse de la demande de Tilmans-Ostyn (Tilmans- niveau de détresse clinique est de 63 ou plus et
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Ostyn et Meynckens-Fourez, 1987) mettant l’accent l’indice indiquant une diminution cliniquement
sur l’importance de créer un espace thérapeutique significative des symptômes est de -14 points (Okiishi
de confiance. La deuxième phase s’appuie sur le et al., 2006).
modèle de thérapie brève de Palo Alto (Watzlawick
et Nardone, 2000), qui met l’accent sur la définition
du problème en termes de comportements interac- Satisfaction conjugale
tionnels concrets et la formulation d’objectifs mini- Le « Dyadic Adjustment Scale » (DAS, Spanier,
maux. La phase de l’intervention proprement dite 1976) comporte 32 items destinés à évaluer le degré
suppose l’utilisation de différentes techniques sys- de satisfaction conjugale d’une dyade, sur la base de
témiques empruntées aux principaux modèles de quatre aspects de l’ajustement dyadique : le consen-
thérapie familiale cités plus haut. Enfin, la dernière sus, la satisfaction, la cohésion et l’expression affec-
phase permet le bilan de l’intervention, effectué en tive. Plus le score global (variant théoriquement de
regard des objectifs de départ. 0 à 151) est élevé, plus la satisfaction conjugale est
importante. Le seuil clinique généralement utilisé
dans le domaine de la thérapie de couple pour distin-
Relation thérapeutique guer les couples en détresse des couples sans détresse
Le travail avec les couples et familles suppose de est de 97 et l’indice indiquant une amélioration
construire une alliance non seulement avec plusieurs cliniquement significative est de 19 points pour les
personnes, mais également avec l’entité, couple ou femmes et de 16 points pour les hommes (Jacobson
famille, qui se présente comme le système en diffi- et Truax, 1991 ; Carey, Spector, Lantinga et Krauss,
culté (Minuchin, 1979). Dans l’ISB, les thérapeutes 1993 ; Vandeleur, Fenton, Ferrero et Preisig, 2003).
adoptent une position « haute » par rapport au cadre
de l’intervention et une position « basse » vis-à-vis
du contenu de la thérapie, notamment quant à la Alliance thérapeutique
définition du problème, aux objectifs à atteindre ou La forme courte du « Working Alliance Inven-
à la validité des hypothèses cliniques (Isebaert et tory » (WAI-S, Tracey et Kokotovic, 1989) comprend
Cabié, 1997). Les membres du système thérapeu- 12 items mesurant la qualité de la relation entre thé-
tique sont considérés comme des partenaires dans rapeute et patient. Le questionnaire comporte trois
la construction du processus de l’intervention et sous-échelles qui évaluent l’accord entre thérapeute
sont invités à méta-communiquer sur ce processus et patient concernant les buts du traitement, les
(Gergen et Gergen, 2006). tâches à accomplir au cours de la thérapie et le lien

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Une intervention systémique brève de couple : le cas de Virginie et Paul

affectif entre thérapeute et patient. Plus le score intervention, et aux risques que représente cette
global (variant théoriquement entre 12 et 84) est démarche pour les patients, qui pourraient consti-
élevé et plus l’alliance thérapeutique est de qualité. tuer des freins au changement (Tilmans-Ostyn et
Meynckens-Fourez, 1987). Dans le cas de Virginie et
Paul, cette analyse met en évidence deux aspects
Confidentialité de la dynamique conjugale. Tout d’abord, Virginie
Les données susceptibles de permettre d’identi- apparaît être le moteur du couple et Paul, celui qui
fier le couple ont été masquées (noms, âge, natio- suit. C’est Virginie, en effet, qui initie la demande
nalité, profession, chronologie des événements et de thérapie alors que Paul aurait préféré trouver une
certaines données familiales). Le couple a donné solution par lui-même. Le deuxième aspect concerne
son consentement par écrit pour la publication de le fait que Virginie se présente comme le « maillon
cet article. faible » et Paul comme le « maillon fort » du couple.
Virginie se plaint, a peur de perdre son mari, pré-
sente des relations familiales difficiles, alors que Paul
L’intervention Systémique Brève se montre peu perturbé par les difficultés conjugales,
de Virginie et Paul s’en tenant à un questionnement rationnel sur les
mécanismes en jeu dans leurs conflits. Les théra-
Présentation de la demande peutes font l’hypothèse d’un équilibre relationnel
Au moment où ils consultent, Virginie et Paul mis à mal par les échecs successifs de traitements de
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sont épuisés par les échecs répétés de PMA : Virginie PMA. Cet équilibre s’articule, d’une part, autour du
souffre des effets secondaires des traitements (fatigue, fait que Paul a besoin de garder le contrôle sur ses
vomissements, sensibilité émotionnelle) et Paul se émotions et craint d’exposer ses fragilités, et Virginie
sent ambivalent par rapport au projet d’enfant, au le protège en se positionnant comme le moteur du
vu des conséquences lourdes chez son épouse et des changement et celle qui peut supporter d’être au
conflits que cela occasionne dans leur couple. Virgi- front ; et, d’autre part, que Virginie a besoin d’être
nie souhaite, plus que tout, poursuivre les traitements rassurée dans ses angoisses de rupture et d’abandon,
et craint que son mari veuille y renoncer. et Paul l’apaise par sa capacité à rationnaliser et à
Virginie et Paul se décrivent comme fonction- gérer ses émotions.
nant à des niveaux différents, Virginie étant focali-
sée sur ses émotions, avec le besoin d’exprimer et de
partager ce qu’elle ressent avec son conjoint, Paul Premier axe d’intervention
ayant un besoin de dédramatiser, relativiser et cher- Découlant de l’analyse de la demande, le premier
cher des explications rationnelles à leurs difficultés. axe d’intervention visera à amener les conjoints à
Cette différence les empêche de se soutenir dans les vivre une expérience relationnelle différente autour
moments difficiles et les amène à se disputer violem- du rôle que chacun peut assumer au sein du couple
ment. Ils souhaitent mieux comprendre les enjeux et dans la dynamique de leur relation, tout en tenant
de leurs disputes et le fonctionnement de chacun compte des risques. Ceux-ci concernent le risque de
dans ces tensions, dans le but de mieux gérer leurs se laisser séduire par la facilité de Virginie à expri-
conflits, et en réduire la fréquence et l’intensité. mer et élaborer ses émotions spontanément, et ainsi
Une précédente thérapie de couple a déjà été effec- contribuer à la maintenir dans le rôle de patiente
tuée trois ans auparavant, pour des conflits liés à désignée, et/ou le risque d’adopter une attitude intru-
l’investissement professionnel important de Paul. sive vis-à-vis de Paul, en l’amenant à s’exposer trop
Cette précédente thérapie a été mal vécue par Virgi- vite dans ses fragilités et provoquer ainsi un mou-
nie qui a senti un parti-pris du thérapeute pour Paul. vement de repli protecteur.

Analyse de la demande Définition du problème


Pour effectuer l’analyse de la demande, les thé- En droite ligne du modèle de thérapie brève de
rapeutes sont attentifs aux ressources du système Palo Alto (Watzlawick, Weakland et Fish, 1975),
sur lesquelles ils vont pouvoir compter dans leur les thérapeutes travaillent sur la définition du pro-

47
Psychothérapies

blème amené par les patients : les disputes conju- Séances 1 et 2


gales associées aux échecs du projet d’enfant. Les thé- La séance 1 est consacrée à l’analyse de la demande
rapeutes proposent d’explorer ces disputes en invitant du couple et à la définition des axes d’intervention.
Virginie et Paul à formuler leur problème en termes Lors de la séance 2, les thérapeutes explorent les
de comportements interactionnels concrets et obser- positions différentes de Virginie et Paul en lien avec
vables, de faç on à ce qu’ils soient accessibles à un le projet de fonder une famille. Virginie considère
changement. Le schéma interactionnel répétitif dou- que sa vie n’aurait aucun sens sans enfant, qu’elle
loureux qui en ressort est le suivant : Virginie sollicite deviendrait dépressive et que le couple serait mis en
son mari pour un soutien émotionnel, Paul répond péril. Paul réussit à se projeter dans la vie avec et
en tentant de dédramatiser la situation, ce qui amène sans enfant, en évoquant la crainte qu’être parents
son épouse à le solliciter davantage. Paul répond amène des complications dans le couple. Se position-
alors en se renfermant sur lui-même et en étant dis- ner face à la force du désir d’enfant de son épouse
tant. En conséquence, Virginie se sent abandonnée est difficile pour lui et il sent beaucoup de pression
par son mari et angoissée par l’avenir de leur rela- de cette dernière. Cette étape où Paul exprime son
tion et Paul ne se sent pas à la hauteur des attentes malaise et son sentiment de ne pas avoir de choix
de son épouse. vis-à-vis du projet d’enfant et où Virginie transmet
sa souffrance que le projet d’enfant puisse être re-
mis en question constitue un premier moment-clé du
Second axe d’intervention processus thérapeutique, dans le sens où chacun réus-
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Sur la base de la définition du problème, le se- sit à exprimer sa souffrance et à entendre celle de
cond axe d’intervention aura pour but d’aider les l’autre, et à prendre conscience de l’impact de ses
conjoints à interrompre le cercle vicieux relation- propres attitudes et réactions.
nel en les invitant à expérimenter une nouvelle
faç on de décoder les attitudes de l’autre et la posi-
tion qu’il occupe dans ce projet d’enfant, et dans la Séance 3
relation conjugale en général. Virginie évoque l’influence de la séance précé-
Dans leurs interventions auprès du couple, la dente sur sa réflexion au sujet de ses priorités dans
technique du questionnement circulaire (Selvini- la vie (être avec son mari, ou le quitter et avoir un
Palazzoli et al., 1982) et celle du génogramme croisé enfant avec un autre homme). Elle a réalisé que la
(Mosca et Garnier, 2005) ont été utilisées. Toutes relation à son mari est une priorité pour elle. Les
deux favorisent la décentration et l’ouverture à la thérapeutes poursuivent le travail thérapeutique
perception de l’autre. Le questionnement circulaire en explorant plus avant le lien entre la place res-
invite chaque conjoint à répondre à des questions pective des conjoints dans leur famille d’origine et
concernant les pensées, croyances et représenta- celle occupée au sein de leur couple. La technique
tions d’un tiers au sujet d’une relation ; le géno- du génogramme croisé met en évidence deux mondes
gramme croisé amène chaque conjoint à présenter relationnels différents : « distance, et chacun pour
la famille d’origine de l’autre, en donnant des indi- soi, voire absence de liens » du côté de Paul, « liens
cations sur la qualité des relations et la position de familiaux caractérisés par la passion et la rupture »
chacun des conjoints au sein de cette famille. du côté de Virginie. Les conjoints réalisent alors à
quel point leurs représentations et modèles de ce
qu’est une relation sont différents.
Déroulement du traitement
L’ISB de Virginie et Paul s’est déroulée en six Séance 4
séances réparties sur sept mois. Deux moments-clés Virginie informe qu’elle a trouvé un nouvel em-
du processus thérapeutique sont mis en évidence, ploi et qu’ils ont décidé de reporter la suite des trai-
l’un autour du projet d’enfant (deuxième séance) tements de PMA à l’année suivante. Afin d’éviter
et l’autre autour de l’histoire personnelle de Paul que Virginie se vive à nouveau comme la personne
(quatrième séance). « problème », les thérapeutes décident de commen-
cer par approfondir le vécu de Paul au sein de sa

48
Une intervention systémique brève de couple : le cas de Virginie et Paul

famille. En explorant la période de séparation avec Séance 6


son père lorsque Paul était âgé de 16 ans, les théra- Dans cette séance de bilan, les thérapeutes pour-
peutes découvrent qu’il a dû se rendre imperméable suivent le travail sur la reconnaissance mutuelle que
aux émotions de ses parents pour s’adapter à ce les conjoints peuvent s’apporter quant à leur impli-
contexte familial. C’est le deuxième moment-clé du cation et responsabilité dans les résultats positifs de
processus thérapeutique, où Paul peut vivre une émo- la thérapie. L’objectif de départ de diminuer la fré-
tion importante (des larmes) en évoquant la cara- quence et l’intensité des conflits conjugaux est consi-
pace qu’il a dû se construire et les risques qu’il aurait déré comme atteint par les conjoints, même si des
encourus s’il ne l’avait pas fait. Il réalise que cette tensions existent toujours. Dans ces moments, les
protection a été utile dans son histoire, mais qu’elle conjoints retrouvent le cercle vicieux, où plus Vir-
peut aussi le mettre en difficulté dans sa relation de ginie demande de l’attention à son mari, plus il se
couple, lorsqu’il ne peut être dans le partage affec- renferme, et plus il se renferme, plus elle s’inquiète
tif. L’utilisation du questionnement circulaire a favo- et le sollicite. Seul le conflit ouvert leur permet de
risé l’accessibilité de Paul à des émotions profondé- résoudre ces tensions et de se réconcilier. Les théra-
ment enfouies, en l’invitant à imaginer ce que son peutes effectuent alors un recadrage du conflit, en
père, sa mère et ses frères avaient pu ressentir ou pen- évoquant ses aspects constructifs puisqu’il permet à
ser durant ces étapes importantes de la vie de famille. chacun de partager sa colère avec l’autre. Paul
confirme cette vision qui le soulage. Virginie a des
représentations plus angoissantes des conflits, annon-
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Séance 5 ciateurs de rupture et de séparation, mais considère
Virginie et Paul font le constat que suite à la qu’ils ont maintenant davantage conscience des en-
séance précédente, Paul s’est montré plus ouvert à jeux et des souffrances de chacun dans ces moments-
exprimer ses émotions, avec son épouse mais aussi là. Tous deux ressentent la fin du travail thérapeu-
avec les membres de sa famille. Virginie a reç u de son tique comme opportune et Virginie se réjouit de
mari des messages d’affection qu’elle n’avait jamais déployer son énergie dans différents projets.
reç us auparavant. Le couple invite alors les théra-
peutes, un peu prématurément, à entreprendre un
début de bilan en évoquant le fait qu’ils se sentent Processus thérapeutique :
sur le même chemin quant au désir de fonder une résultats aux questionnaires
famille. Paul ne ressent plus autant de pression de
la part de son épouse par rapport au projet d’enfant de symptomatologie individuelle,
et se sent plus libre d’exprimer ses envies. Il a pu se de satisfaction conjugale
prononcer clairement quant à son désir d’une fa-
mille avec son épouse, s’ouvrant à la possibilité d’en-
et d’alliance thérapeutique
visager l’adoption s’ils ne peuvent pas avoir d’enfant Les scores obtenus par Virginie et Paul aux ques-
biologique. Virginie se sent plus calme et moins seule tionnaires de symptomatologie individuelle, de satis-
lorsqu’elle traverse des moments difficiles en lien faction conjugale et d’alliance thérapeutique sont
avec leur problème d’infertilité, en sachant que son présentés dans le tableau I. Les résultats indiquent
mari soutient le projet d’enfant. Pour Virginie, la une réduction importante de la symptomatologie
question n’est plus : « Est-ce que je reste avec lui ou individuelle chez Virginie et une évolution peu
est-ce que je fais un enfant avec quelqu’un d’autre ? », marquée chez Paul (Cf. figure 2). Chez Virginie, le
mais : « Comment fait-on pour surmonter ce pro- niveau de détresse individuelle en début de traite-
blème ensemble ? ». Les thérapeutes mettent en évi- ment se situait au-dessus du seuil clinique de 63,
dence le renforcement du lien et la confiance plus mais diminue de manière cliniquement significa-
grande au sein du couple afin de souligner leurs com- tive en fin de traitement (passage en dessous du
pétences : Virginie a mis la relation à son mari comme seuil clinique et diminution supérieure à 14 points),
son projet le plus précieux, Paul s’est aventuré dans l’effet se maintenant au follow-up.
le monde des émotions, montrant ainsi à Virginie La détresse conjugale de Paul et Virginie était
qu’il grandissait en confiance pour pouvoir s’expo- élevée en début de traitement (satisfaction en des-
ser à elle dans ses fragilités. sous du seuil clinique de 97) (Cf. figure 3). En fin

49
Psychothérapies

Tableau I : Résultats aux questionnaires de symptomatologie individuelle, de satisfaction conjugale et d’alliance thérapeutique.

Virginie Paul
Début Fin 3 mois Début Fin 3 mois
1
Symptomatologie individuelle – Score global 79 46 33 37 33 32
2
Satisfaction conjugale – Score global 93 104 111 87 96 91
Alliance thérapeutique – Score global 5.2 6.3 4.1 5.7

Note : 1Le seuil clinique se situe à 63 ; 2 Le seuil clinique se situe à 97.

Figure 2 : Evolution de la symptomatologie individuelle (OQ- Figure 4 : Evolution de l’alliance thérapeutique (WAI-S, Tracey
45, Lambert et al., 2004). et Kokotovic, 1989).

90

80

70

60

50
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Virginie
40

30 Paul
20

10

0
Début Fin 3 mois nique. L’augmentation de satisfaction conjugale de
Virginie peut être considérée comme cliniquement
Figure 3 : Evolution de la satisfaction conjugale (DAS, Spa- significative entre le début de la thérapie et le fol-
nier, 1976). low-up à trois mois (passage au-dessus du seuil et
amélioration de 18 points, proche des 19 points
nécessaires pour un changement significatif).
Les données concernant l’évolution de l’al-
liance thérapeutique au cours des six séances in-
diquent une amélioration de l’alliance entre début
et fin de thérapie, aussi bien pour Virginie que pour
Paul (Cf. figure 3). L’alliance diminue légèrement à
la deuxième et à la cinquième séance de thérapie
pour Virginie ; elle augmente de faç on nette pour
Paul à la quatrième séance puis diminue à nouveau
à la cinquième séance de thérapie.

Résultat de la rencontre entre couple,


de traitement, tous deux perç oivent leur relation co-thérapeutes et chercheuse
comme plus satisfaisante : le score de Virginie passe Les résultats décrits ci-dessus ont suscité plusieurs
au-dessus du seuil clinique et celui de Paul en est réactions de la part de Virginie et Paul. Virginie a
très proche. Au follow-up de trois mois, par contre, considéré ses résultats concernant la symptomatolo-
la satisfaction conjugale de Virginie continue gie individuelle et la satisfaction conjugale comme
d’augmenter alors que celle de Paul diminue, son confirmant la perception qu’elle avait de son évo-
score se situant à nouveau en dessous du seuil cli- lution au cours de l’ISB : changement vers un mieux-

50
Une intervention systémique brève de couple : le cas de Virginie et Paul

être personnel associé à une meilleure entente au cours de traitement. L’augmentation importante du
sein du couple. Le décalage entre le niveau élevé score d’alliance thérapeutique de Paul à la quatrième
de détresse individuelle chez Virginie et l’absence séance a été considérée comme reflétant l’intensité
de symptômes chez Paul en début de thérapie a été et l’importance de cette séance où Paul avait évo-
reconnu par le couple comme reflétant le fonction- qué son enfance.
nement de chacun, à savoir le besoin de Virginie
d’exprimer ses émotions, et le besoin de Paul de les
minimiser, qu’elles soient positives ou négatives. Discussion et conclusion
Ainsi, le niveau bas de symptomatologie individuelle
en début de thérapie a été interprété par Paul comme L’analyse clinique de l’ISB de Virginie et Paul a
illustrant sa tendance générale à minorer les diffi- mis en évidence deux moments considérés comme
cultés plutôt qu’une absence de symptômes et de souf- clés par les thérapeutes. Ces moments sont associés
france. Virginie s’est étonnée et inquiétée des résul- à des variations de l’alliance thérapeutique. La dimi-
tats de Paul au questionnaire de satisfaction conjugale. nution (séance 2) puis l’augmentation (séance 3) de
Pour Paul, ses résultats, de même que ceux concer- l’alliance perç ue par Virginie peut être rapprochée
nant la symptomatologie individuelle, reflètent son du phénomène de rupture et de réparation de l’al-
besoin de prudence et d’auto-protection plutôt qu’une liance, compris comme ayant une fonction centrale
détresse conjugale. Cependant, l’interaction au sein dans le processus thérapeutique et associé à la possi-
du couple au sujet des résultats de Paul montre que bilité de changement (Michel, Kramer et de Roten,
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la discussion des données de recherche, une fois l’ISB 2011). La déstabilisation vécue par Virginie à la
terminée, est instructive mais également délicate du séance 2 où les thérapeutes l’ont confrontée à ses
fait qu’elle peut réactiver des conflits ou confronter choix de vie est suivie d’un changement, Virginie
le couple à de nouvelles questions : réussissant à se positionner par rapport à ses projets
de vie. Chez Paul, l’un des enjeux de l’ISB concer-
Paul : [au sujet des thèmes traités par le ques- nait son implication dans le processus thérapeutique,
tionnaire de satisfaction conjugale] « … C’est puisqu’il n’était pas à l’origine de la demande de
des domaines qu’on doit travailler, les relations consultation. Il est possible que l’augmentation du
sexuelles, les marques d’affection… qui restent, indé- score d’alliance à la quatrième séance, où les théra-
pendamment des problématiques liées à l’enfant… peutes l’aident à aborder les aspects douloureux de
c’est des choses qui me questionnent, ces domaines- son histoire familiale, reflète un changement thé-
là, moi, elle, nous deux… C’est pas sur un an que rapeutique. Paul réussit à créer un lien plus fort avec
ça change, c’est quelque chose de fond. » les thérapeutes et, par là, à donner un sens à la dé-
Virginie : « T’es pas bien dans ton couple. » marche thérapeutique.
Paul : « En thérapie, on venait pour gérer le cap des L’impact positif de l’ISB pour Virginie est obser-
enfants et ça m’a apporté quelque chose de plus gé- vé au niveau de la diminution importante de symp-
néral dans notre fonctionnement, je me suis senti tômes, l’amélioration de sa satisfaction conjugale et
mieux, mais il y a des moments où on avance, où de l’alliance thérapeutique. Chez Paul, on n’observe
on recule… » par contre pas d’évolution positive de la sympto-
Virginie : « Le couple, pour toi, c’est pas quelque matologie individuelle et de la satisfaction conju-
chose qui est acquis, c’est régulièrement remis en gale au follow-up de trois mois. Ce résultat peut
cause, je marche toujours sur des œufs… les ques- être compris de différentes manières, non nécessai-
tions sur le couple, est-ce qu’on reste ensemble ou rement exclusives : tout d’abord, Paul a expliqué que
pas, ça, ça vient de toi. » ses scores reflétaient son attitude modérée quant à
Paul (en souriant) : « On va pas recommencer une l’expression de difficultés personnelles ou sa pru-
thérapie de couple ! Mais oui c’est vrai, j’ai une atti- dence quant à l’évaluation de sa satisfaction conju-
tude moins confiante… » gale. Ce biais associé à la passation de questionnaires
a en effet été décrit, certaines personnes minimi-
Finalement, les résultats au sujet de l’alliance thé- sant leurs sentiments négatifs pour protéger une
rapeutique ont surpris Virginie et Paul qui n’avaient vision positive de leur fonctionnement (Paulhus,
pas réalisé que leurs scores d’alliance avaient varié en 1984). Ensuite, nous pouvons faire l’hypothèse que

51
Psychothérapies

le stress lié à la situation d’infertilité était particuliè- (Pinsof et Chambers, 2009) et qui apparaît pertinente
rement marqué chez Virginie, les femmes expérimen- dans un paradigme épistémologique systémique, où
tant généralement des niveaux plus élevés d’anxiété la co-construction du traitement est un élément essen-
et de stress que les hommes face à cette probléma- tiel du processus (Watzlawick et Nardone, 2000).
tique (Newton, Sherrard et Glavac, 1999). Finale- L’étude de cas pragmatique nous paraît utile
ment, nous pouvons faire l’hypothèse que l’impact pour expliciter les enjeux relatifs à l’application
de l’ISB pour Paul s’est joué tout particulièrement d’un modèle de thérapie de couple et à son évalua-
sur la possibilité d’établir un lien de confiance avec tion. La confrontation des données cliniques et de
les thérapeutes, reflété par l’évolution de ses scores recherche déstabilise thérapeutes et chercheurs dans
d’alliance. leur compréhension respective d’un processus théra-
La confrontation des résultats lors de la rencontre peutique. Elle leur permet ensuite d’accéder à une
en présence du couple, des thérapeutes et de la cher- vision plus nuancée, moins idéalisée, de la réalité que
cheuse a suscité une dynamique intéressante et ap- leurs démarches respectives laissaient entrevoir.
porté de nouvelles informations sur le processus
thérapeutique. Virginie a souligné la justesse de ses
scores et Paul a donné un sens aux siens. Cepen- Remerciements
dant, cette rencontre a également suscité des ques-
tions qui peuvent amener le couple à ressentir le Les auteurs remercient le couple pour la mise à
besoin de séances supplémentaires, ou les thérapeutes disposition des informations concernant leur dé-
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à souhaiter poursuivre le travail sur certains points. marche thérapeutique ainsi que Christel Tinguely, qui
Le partage des données issues de questionnaires est intervenue comme co-thérapeute dans ce suivi.
tout au long de la thérapie plutôt qu’en fin de trai-  n
tement est une méthode utilisée par d’autres équipes (Article reçu à la Rédaction le 4.9.2012

Summary The couple of Paul and Virginia is analysed to illustrate the specificity of Brief Systemic Intervention
(BSI). A time limited treatment manual is used to examine its efficiency. Questionnaires are used to
evaluate the individual symptomatology of each partner, conjugal satisfaction and therapeutic alliance
before, after and three months following the end of therapy. This gives an independant measure of the therapeutic process.
Results show that the key stages of the therapeutic process identified by therapists are associated with variations in patients’
therapeutic alliance. Each partner’s distinct evolution is discussed, based especially on the partners’ reactions to their
research results.

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Correspondance :
Joëlle Darwiche
Institut Universitaire de Psychothérapie, DP-CHUV
Avenue de Morges 10
1004 Lausanne
Suisse
Joelle.Darwiche@chuv.ch

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