Les Cartes Dixit Dans Une Approche Orient e Comp Tences 1703499187

Les cartes Dixit
Utilisation d’un média métaphorique dans une perspective orientée

compétences
Bertrand Crottet
Dans Thérapie Familiale 2023/3 (Vol. 44), pages 197 à 209
Éditions Médecine & Hygiène
ISSN 0250-4952
DOI 10.3917/tf.233.0197
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 01/11/2023 sur www.cairn.info via Université de Lausanne (IP: 155.105.186.208)
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Crottet B. (2023). Les cartes Dixit. Utilisation d’un média métaphorique dans une perspective
orientée compétences. Thérapie familiale, vol. 44(3), 197-209
doi : 10.3917/tf.233.0197
Les cartes Dixit

Utilisation d’un média métaphorique dans
une perspective orientée compétences
Bertrand Crottet Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP, praticien EMDR

enfants/adolescents, psychologue adjoint, consultation Les Boréales/CHUV, Lausanne
Résumé
En clinique infantojuvénile, il n’est pas rare de constater les difficultés manifestes des
enfants et des adolescents à nommer, décrire et communiquer leur vécu interne. Ces obs-
tacles sont bien entendu d’origine et d’étiologie diverses, allant du retard cognitif au pro-
cessus dissociatif engendré par les psychotraumatismes, en passant par les loyautés et
les non-dits. Dès lors, l’intérêt et le défi résident dans la possibilité de trouver une repré-
sentation que l’enfant osera partager sans se soucier de la véracité et de la loyauté. Les
représentations métaphoriques ouvrent une voie vers l’imaginaire, ce qui permet une
externalisation protectrice et non confrontante. Les cartes Dixit, du jeu de société épo-
nyme, offrent un support précieux à ces représentations métaphoriques (Mousnier et al.,
2016). Nous avons alors établi une méthodologie, le protocole 3 × 3, qui permet d’intervenir
en focalisant la métaphore sur les forces de changement et les stratégies associées. De
manière flottante, le processus, ainsi induit sur le plan métaphorique, active les ressources
de l’enfant dans la réalisation de son objectif de changement.
De la métaphore relationnelle aux cartes Dixit

La consultation psychothérapeutique avec des enfants et/ou des adolescents
confronte le thérapeute à différents défis. La difficulté d’évocation et de nar-
ration est souvent définie comme un problème et un frein dans l’évolution
thérapeutique. En effet, les enfants qui répondent très laconiquement ou qui ne
peuvent pas raconter, obligent le psychothérapeute à chercher d’autres straté-
gies pour soutenir la parole. Associés à cette inhibition, l’absence de demandes
primaires, les mécanismes d’évitement émotionnel et les craintes liées aux
loyautés renforcent fréquemment la retenue de ces enfants et adolescents.
Confronté régulièrement à ces phénomènes, il a été intéressant, voire néces-

saire de rechercher des « médiateurs », afin de dépasser cette faiblesse « verbale »
197
qui impacte massivement l’alliance, ainsi que tout le processus thérapeutique.
Notre recherche nous a tout d’abord conduit vers les métaphores relationnelles
proposées par Duc-Marwood (2020). Cette approche « […] ouvre un espace
de communication alternatif… pour parler de la relation ». Elle permet aux
patients de représenter l’autre et soi-même sur un plan métaphorique. Ainsi,
il devient possible de parler de soi et de l’autre avec plus de distance. Les
propositions concernant « le souhait de bonne évolution » et « le risque au chan-
gement » mettent en évidence les projections du changement et les risques
inhérents à celui-ci. Sans une conscientisation des risques, le changement est
essentiellement anxiogène et peu réalisable.
Intégrée progressivement à notre pratique psychothérapeutique, cette

approche métaphorique a ouvert de nouveaux champs d’exploration. Avec une
collègue de l’unité d’obésité pédiatrique du CHUV, dans laquelle je travaillais,
nous avons mis sur pied un groupe de parents, centré sur les métaphores. L’ob-
jectif visé concernait le travail du lien avec leurs enfants, ainsi que la régulation
des relations dans le contexte de la maladie chronique qu’est l’obésité. Chaque
parent, très défensif au début de la démarche, a pu expérimenter des chan-
gements dans sa représentation du lien avec son enfant et/ou des attitudes
envers lui.
Sur le plan individuel, l’expérience était plus complexe. Si les adolescents par-
viennent à définir des métaphores et à les représenter, les enfants souffrant
d’obésité étaient relativement figés dans cette démarche. Les difficultés de
représentations semblaient se cristalliser lors de l’explication et bloquaient le
processus. Du coup, nous avons réfléchi à dépasser l’évitement induit par le fait
de trouver une image de nihilo. Il semblait plus aidant de démarrer la recherche
de métaphores en utilisant des images existantes. Après discussion avec des
collègues, notre choix s’est porté sur les cartes Dixit.
Les cartes Dixit

Le jeu Dixit a été créé en 2008 par le Dr Jean-Louis Roubira, pédopsychiatre.
Les quatre-vingt-quatre cartes servant de base sont réalisées avec « une symbo-
lique forte, ainsi qu’une dose d’onirisme et de surréalisme ». Les thèmes abordés
sont l’amour, la mort, l’enfermement et la liberté. Ainsi, ces cartes permettent
d’interpeller l’imaginaire et de « parler de soi sans vraiment parler de soi ».
Mousnier, Knaff et Es-Salmi (2016) ont écrit un article remarquable sur l’utilisa-
tion des cartes Dixit comme média d’intervention systémique sous mandat. En
résumé, les auteurs présentent l’intérêt des cartes pour questionner différentes
dimensions, comme : les rôles et les places, les croyances et les mythes, les
processus, les vécus ou affects, les événements.
Sur le plan méthodologique, les auteurs proposent comme question de départ

de « choisir une carte qui représente le mieux la personne, une relation, un évè-
nement, une place… ». Puis des questions du type « En quoi cette image repré-
sente pour vous… ? » ou « Qu’est-ce qui, dans cette image, vous fait penser à… ? »
permettent d’initier l’échange.
198
Pour le déployer, il s’agit d’impulser dans le discours un va-et-vient entre
l’expression métaphorique et la description de la réalité concrète. De cette
manière, un processus est activé entre la dimension mythique (représenta-
tions, croyances, valeurs) et la dimension phénoménologique (faits, relations,
symptômes). Dans ce moment d’échange, aucune interprétation des cartes
n’est réalisée, seuls la description graphique et le récit de la personne sont pris
en compte. Par la suite, il sera possible d’interpeller les métaphores antérieures
devenues porteuses de symbolique collective.
Nous inspirant du protocole présenté par les auteurs, nous avons intégré aux
séances de psychothérapies individuelles l’utilisation des cartes Dixit. Rapide-
ment, nous avons proposé aux enfants et adolescents de choisir trois cartes
(et non une seule) pour représenter un événement, un rôle ou un vécu émo-
tionnel. L’intérêt était d’ouvrir d’emblée le champ des représentations et ainsi
de favoriser la narration sur la base des cartes. La mise en histoire permet à
l’enfant d’évoquer la thématique choisie avec distance. Dans cette étape, notre
attention se portait sur les détails graphiques de ce matériel. Ceux-ci étaient
transmis à l’enfant comme une observation et nous l’invitions à les intégrer
à son récit. Cette stratégie du « détail graphique » fait partie du protocole des
métaphores relationnelles précédemment décrit. Sur le plan de la narration,
il est nécessaire de comprendre l’évolution du/des personnages au cours de
l’intrigue. En effet, il est important qu’un personnage central bloqué dans une
situation problématique puisse évoluer dans l’histoire. Induire un mouvement
vers le changement et une vision d’espoir permet à l’enfant de (ré)activer
des stratégies de résolution de problème. Dans certains cas, nous avons été
confrontés à des situations de blocage et d’impuissance du héros. Dans ces
moments-là, seuls l’angoisse, l’immobilisme et les vécus d’impuissance s’ac-
tivaient. Nous avons alors eu l’idée de proposer aux enfants de choisir une
« carte solution ». Cette stratégie a généralement permis au héros de trouver
une piste évolutive, ou a minima de se mettre en sécurité.
Cette utilisation des cartes Dixit, inspirée par Mousnier et al., et incluant le
choix de trois cartes et d’une carte solution nous a permis, dans le contexte de
la clinique de l’obésité pédiatrique, d’entrer dans certaines formes de narration
avec les enfants et adolescents les plus inhibés. Nous avons été agréablement
surpris que plusieurs d’entre eux avaient repensé aux histoires et aux cartes
choisies entre les séances, notamment dans les situations difficiles. Nous leur
avons alors proposé de garder une copie de la carte solution et de la regarder
quelques fois dans la journée. Cette technique a été présentée par Isebaert
et Cabié dans l’approche orientée solution (2005). Elle permet notamment de
créer un contexte de changement.
Cartes Dixit et supervision :

de l’expérimentation au protocole
Dans le cadre de la supervision d’une équipe de psychologues conseillers en
orientation depuis plusieurs années, nous leur avons présenté les cartes Dixit
et les différentes façons de les utiliser. Très enthousiastes, ces collègues ont
rapidement intégré les cartes à leur pratique de consultation. Après quelques
199
mois d’expérimentation et de retours positifs, ils ont souhaité formaliser la
démarche et créer un protocole. Différents axes et dimensions sont abordés
dans leurs consultations avec les adolescents. Les thèmes, de même que les
questions y relatives, ont été répertoriés comme suit :
Projections dans l’avenir

1. Choisis trois cartes qui te représentent dans 5/10/20 ans.
2. Choisis trois cartes qui représentent ce qui te permettrait d’être heureux
dans ta vie future.
3. Quels seraient les obstacles ou les facilitateurs pour la réalisation de ces
vœux ? Comment pourrais-tu concrétiser ton rêve ?
Comportement/attitude/choix professionnel
1. Choisis trois cartes qui représentent ton comportement en classe/dans
ta famille.
2. Choisis trois cartes qui représentent le comportement des autres.
3. Choisis trois cartes qui représentent les conséquences de ce comportement/
attitude.
Motivation (au changement)

1. Choisis trois cartes qui représentent ta motivation à faire des lettres/télé-
phones pour les stages.
2. Qu’est-ce qui freine cette motivation ?
3. Qu’est-ce qui augmenterait cette motivation ?
Investissement scolaire ou professionnel (versus l’impuissance)

1. Choisis trois cartes qui représentent ton investissement.
2. Choisis trois cartes qui représentent comment tu travailles/tu t’investis à
l’école, à la maison, dans tes démarches d’orientation.
3. Quels sont les freins et les accélérateurs de ton investissement ?
Rôles de l’entourage dans le choix professionnel

1. Je te propose de choisir une carte qui représente le rôle actuel de chaque
personne de ton réseau (famille, professeurs, camarades, patrons, ser-
vice auxiliaire, etc.).
2. Qu’est-ce qui te permettrait de… (objectif du consultant) ?
3. Choisis une carte qui représente le rôle idéal (attentes) de chacun.
Forces/qualités (cartes ressources)

1. Choisis trois cartes qui représentent tes forces/qualités.
2. Se souvenir des cartes ressources dans les situations difficiles.
200
Echecs/limitations
(ex. : recevoir trente réponses négatives suite aux postulations)
1. Validation de l’échec : choisis trois cartes qui représentent ton ressenti.
2. Garder l’attention sur les cartes choisies : qu’est-ce qui pourrait aider
le(s) personnage(s) ?
3. Si pas de solution : choisis une autre carte qui pourrait aider ce personnage.
Émotions
(peurs, blocages par rapport aux stages, aux téléphones ou au futur travail)
1. Choisis trois cartes qui représentent comment tu te sens dans cette situation.
2. Régulation :
a) Qu’est-ce que le personnage pourrait faire ?
b) Si le personnage est figé : choisis une carte ressource.
Silence/introversion/timidité.
1. Choisis trois cartes qui te représentent (ton caractère/ta personnalité).
2. Comment le personnage de la carte se sent avec ce trait de caractère ?
3. Qu’est-ce qui permettrait au personnage de… (s’ouvrir, gagner en confiance
en lui, parler plus facilement, etc.) ?
4. As-tu une idée pour ta situation ?
Prolongements possibles
(se souvenir de la carte ressource dans les situations difficiles)
1. Faire une photo de la carte pour le fond d’écran du téléphone portable.
2. Copie de la carte pour la chambre ou le plumier.
L’intérêt d’un tel protocole est bien de formaliser, voire de manualiser la

pratique, afin que cette dernière soit transposable dans d’autres contextes
professionnels. Un des éléments qui se montrera très porteur dans les expéri-
mentations futures des cartes Dixit est la notion des cartes ressources. L’idée
de métaphoriser les forces et qualités des enfants/adolescents et de les utiliser
dans les situations difficiles s’inscrit dans une vision orientée compétences.
Elle favorise non seulement l’émergence de comportements adaptatifs, mais
également de l’espoir du changement.
Vers un protocole orienté compétences :

le protocole 3 × 3
Riche de cette expérience de protocole, nous avons cherché et testé diffé-
rentes façons d’utiliser les cartes Dixit en fonction de situations cliniques ren-
contrées. Les dimensions d’impuissance, de désespoir, de passivité sont les
plus complexes à prendre en charge et sont celles qui mettent le plus à mal la
psychothérapie (et le psychothérapeute !). Nous avons donc pris le contre-pied
en testant un protocole, qui se veut orienté compétences et ressources, en ten-
tant tout de même de prendre en compte les problématiques, avec le souci de
donner à l’enfant/adolescent un rôle actif.
201
Sur un plan plus concret, nous avons proposé aux enfants de travailler selon
quatre phases. Dans un premier temps, l’idée est de mettre l’accent sur les
ressources. Puis de définir le problème selon leur propre vision. Rappelons
que les enfants viennent en psychothérapie sur demande secondaire, celle
des parents et/ou de l’école. Par ailleurs, la définition des problématiques qui
sous-tend la symptomatologie diffère fréquemment entre les enfants et leurs
parents. Du coup, il semble incontournable qu’ils les définissent eux-mêmes.
Cependant, lorsqu’on les questionne verbalement, ils adoptent, peut-être par
loyauté, la même définition que celle des parents. Il nous a paru intéressant de
questionner leur représentation avec l’aide des cartes Dixit.
Les quatre phases, que nous avons définies, s’intègrent dans une perspective
orientée compétences, dans la mesure où elles mettent le focus soit sur les
ressources (forces, qualités) de l’enfant, soit sur la définition personnelle des
problèmes et des solutions. La recherche d’un personnage symbolique aidant
s’inspire à la fois des travaux de Thérèse Steiner (2018), ainsi que d’Hélène
Dellucci (2012).
Nous pouvons résumer les quatre phases de la manière suivante :
• phase 1 (ressources) : « choisis trois cartes que tu aimes bien ou qui repré-
sentent trois de tes forces ou qualités » ;
• phase 2 (définition du problème) : « choisis trois cartes qui représentent
le problème » ;
• phase 3 (définition de la solution) : « choisis trois cartes qui représentent les
solutions aux problèmes évoqués » ;
• phase 4 (recherche du personnage symbolique) :
– « Quel personnage pourrait t’aider ? »
– « Qu’est-ce qu’il te conseillerait ? »
Nous avons utilisé ce protocole à de nombreuses reprises, avec des enfants

et des adolescents, âgés entre 6 et 16 ans, en séances individuelles. Les effets
constatés empiriquement se sont répétés et peuvent être résumés comme suit :
• une augmentation de l’alliance thérapeutique. Les enfants et adolescents
ont montré plus de confiance dans le thérapeute et plus d’engagement dans
la psychothérapie. Ainsi, ils ont accepté plus facilement de se confronter
aux situations problématiques ;
• une position plus active dans les séances, qui s’observe par la recherche de
stratégies de régulation émotionnelle ;
• une définition claire des problématiques, souvent différentes de celle
des parents ;
• une activation des stratégies de résolution de problème dans les séances,
mais également entre les séances ;
• un début de changement concret de comportements (« changement
minimal ») dans les situations problématiques.
Afin de clarifier le propos, nous présentons ci-après deux vignettes cliniques.
202
Manfred, 10 ans
Manfred est l’aîné d’une fratrie de deux garçons. Ses parents sont mariés et
se décrivent comme anxieux, notamment depuis la naissance du petit frère
à 26 semaines, alors que Manfred avait 2 ans. La mère et son bébé ont été
hospitalisés pendant plusieurs semaines. Les parents souhaitent une psycho-
thérapie pour leur fils aîné, car il présente une hyperanxiété, se caractérisant
par une impossibilité à rester seul, associée à des mouvements d’angoisses
en rapport à d’éventuelles catastrophes comme les incendies, enlèvements
ou agressions. Manfred souffre de terreurs nocturnes depuis l’âge de 2 ans et
présente une inhibition relationnelle massive.
Au premier entretien, nous lui avons proposé un protocole 3 × 3, qui se résume

comme suit :
Les ressources
Sens de l’orientation Gourmand Escrime
Cartes Dixit – Jeu de base – Illustratrice : Marie Cardouat @ Libellud (cartes initialement en couleur)
Manfred explique avec une certaine satisfaction être doué d’un bon sens de
l’orientation, de savoir apprécier les bons plats et d’être plutôt fort en escrime,
sport qu’il pratique régulièrement. Dès cette première phase, nous constatons
une attitude plus détendue chez Manfred, qui se risque à évoquer des souve-
nirs de tournoi d’escrime. Il parle alors de lui et de ses performances et mani-
feste une certaine sécurité dans la relation. Nous lui proposons alors de définir
avec les cartes sa représentation du problème, pour lequel il consulte.
203
Les problèmes
Peur de ne plus pouvoir Peurs Peur

bouger en cas de maladie nocturnes de mourir
Cartes Dixit – Jeu de base – Illustratrice : Marie Cardouat @ Libellud (cartes initialement en couleur)
Après avoir choisi les cartes, Manfred indique que sa plus grande crainte est
bien celle de mourir. Il explique penser régulièrement à la mort de ses proches
et à la sienne également. Des signes clairs de perturbations sont présents et
nous lui proposons de choisir des pistes de solutions.
Les solutions
Sauter et bouger La lumière Penser que je suis jeune et bien

vivant. Penser au moment présent
Cartes Dixit – Memories (extension) – Illustrateurs : Carine Hinder et Jérôme Pélissier @ Libellud
(cartes initialement en couleur)
Manfred met l’accent d’une part sur la présence de la lumière, qui est la stra-
tégie très concrète pour lutter contre ses angoisses nocturnes. Puis il évoque
l’importance du mouvement en cas d’angoisse et d’une pensée centrée sur l’ici
et le maintenant. Il terminera la séance en disant : « je suis jeune et bien vivant ».
À la question de trouver un personnage symbolique pour lui prodiguer certains
conseils en cas de difficultés, il répondra ne pas en avoir besoin. Ainsi, la phase 4
n’a pas été réalisée. Voici de manière graphique le protocole 3 × 3 de Manfred.
204
Le protocole 3 × 3 de Manfred
Solène, 14 ans
Solène est la fille unique d’une mère souffrant de toxicomanie, victime elle-
même d’abus et de maltraitance par le père de ses deux premiers fils. Ces der-
niers sont actuellement adultes et toxicomanes. Le père de Solène est inconnu,
la mère ayant décidé de « faire un enfant toute seule ».
La mère souhaite une psychothérapie pour sa fille. Elle est en effet inquiète
suite à des changements de comportements : isolement social, scarifications,
agressivité. Solène est très opposée à toute prise en charge. Après la première
séance réunissant la mère et la fille, elle accepte toutefois un contrat de trois
séances individuelles.
Lors de la première séance individuelle, Solène manifeste d’emblée une forte

opposition en répondant de manière très laconique aux questions et en adop-
tant une posture fermée (cheveux devant les yeux, regard vers le sol). Nous
avons alors verbalisé les différents malaises présents dans cette première ren-
contre. Il s’agissait principalement de parler avec un adulte « inconnu » (qui de
plus est un homme) ; d’évoquer des difficultés personnelles (qui n’en sont pas
205
selon elle) et de se retrouver dans une situation thérapeutique alors que les
deux psychothérapies précédentes ont été arrêtées rapidement en raison d’une
alliance insuffisante. Afin de changer de mode de communication, nous lui pro-
posons alors un protocole 3 × 3.
Solène accepte de regarder et choisir les cartes Dixit. Elle évoque avec facilité
ses centres d’intérêt, ce qui permet un début d’échange, notamment sur la
mythologie grecque. Intriguée par cette approche peu verbale, elle accepte de
poursuivre l’expérience en définissant les problèmes de la manière suivante.
Les ressources
Intérêt pour les légendes Intérêt pour Les fonds marins
et la mythologie les plantes
Les problèmes
Les jeux vidéo Les ordres de la mère Le temps qui passe
Solène évoque tout d’abord la problématique des jeux vidéo, qui est en fait
rapportée par la mère. Pour elle, le réel problème est l’attitude contrôlante
de la mère, qui se manifeste par des ordres et des demandes envahissantes.
206
La difficulté plus personnelle qu’elle transmettra dans un 3e temps représente
le temps qui passe, associé à la peur de grandir (et des responsabilités). Sans
trop insister dans l’exploration de cette problématique pour ne pas activer les
résistances, nous lui proposons de rechercher trois cartes solutions.
Les solutions
La lecture Que ma mère fasse plus Groupe d’amis
ce qu’elle a envie
La lecture apparaît d’emblée comme la stratégie privilégiée. Solène voit cette

stratégie autant comme un refuge, permettant de se soustraire aux difficultés
quotidiennes, que comme un recueil d’hypothèses de compréhension face aux
questions existentielles. Quant au groupe d’amis, il lui permet de se reconnecter
à un sentiment d’appartenance, ce qu’elle a peu connu dans sa famille et auprès
de ses pairs. La dernière stratégie évoquée (« Que ma mère fasse plus ce qu’elle
a envie ») permettra à Solène et à sa mère de faire un pas dans la clarification
de leur relation enchevêtrée. Elle choisit comme personnage symbolique cette
femme âgée conduisant une sorte de moto et y ajoute les commentaires suivants :
« C’est une vieille femme qui ose faire ce qu’elle a envie.

Elle s’en fiche de ce que les autres disent ou pensent.
Elle est libre. »
« Elle dirait à ma mère de penser à elle, d’arrêter de se

faire du souci pour moi et pour ses enfants. »
« Elle expliquera à ma mère que je vais bien, même si

je n’ai pas envie d’être avec elle. On est différente…
On n’aime pas les mêmes choses. Il faut qu’elle soit
moins susceptible. »
207
Lors d’une séance suivante, la carte et les commentaires sont présentés à la
mère et discutés avec elle. L’impact sera important tant sur le plan de la prise
de conscience que sur l’envie de changement. Comme mesure concrète, la mère
initiera une psychothérapie quelques semaines plus tard.
Conclusion
En psychothérapie, les difficultés des enfants et des adolescents à nommer et à
élaborer sont fréquentes. L’utilisation de médias métaphoriques se révèle être
une stratégie thérapeutique de choix pour susciter l’envie de raconter. L’expé-
rience nous a montré que le support visuel des cartes Dixit permet de dépasser
les problèmes induits par le questionnement direct.
Utilisées selon l’approche de Mousnier et al. (2016), les cartes Dixit permettent
non seulement de questionner les représentations, mais également de définir
des objectifs et de se projeter dans le futur, avec l’espoir du changement. Notre
expérience menée en groupe de supervision met en évidence non seulement
l’intérêt d’explorer les représentations, mais également d’orienter le question-
nement sur l’évolution de la problématique. La recherche d’une carte « solu-
tion » induit un langage de changement et une démarche plus active.
Au fur et à mesure de l’utilisation des cartes Dixit, nous avons constaté que le
processus de questionnement était autant – si ce n’est plus – important, que
le contenu des histoires évoquées. Ce processus tend d’une part à définir et à
identifier les situations problématiques et d’autre part à chercher des solutions.
Il induit un rôle actif dans la définition des problèmes et des solutions. Par ail-
leurs, la structure même du processus (recherche de qualités/ressources, défi-
nition des problèmes, recherche de solutions) induit une base de sécurité. En
effet, les problèmes sont évoqués après avoir activé un sentiment d’efficience
et avant une recherche de solutions. Ainsi, la confrontation aux difficultés est
réalisée de manière positive et sécurisée. Cet aspect correspond aux principes
de l’approche orientée compétences. Ce processus a été modélisé sous la forme
du protocole 3 × 3.
Nous avons utilisé de manière régulière ce protocole dans notre activité cli-
nique, tant avec des enfants qu’avec des adolescents présentant des troubles
anxiodépressifs. L’expérience montre des améliorations cliniques sur le plan
de l’alliance thérapeutique, de l’engagement dans la thérapie, ainsi que dans la
recherche de stratégies adaptatives.
Ces premiers résultats sont encourageants, mais demandent à être étayés

par d’autres expériences. Nous avons encore peu utilisé le protocole 3 × 3
avec des familles, ce qui selon nous mériterait d’être exploré de manière
plus systématique.
208
Bibliographie
Cabié M.-C. et Isebaert L. (2005). Pour une thérapie brève, Toulouse, Érès.
Dellucci H. et Bertrand C. (2012). « Le collage de la famille symbolique et approche narra-
tive. Une voie alternative pour constituer un lien d’attachement et une identité en lien
avec les valeurs existentielles », Thérapie familiale, vol. 33, no 4, p 337-355.
Duc Marwood A. et Regamey V. (2020). Violences et traumatismes intrafamiliaux. Comment
cheminer entre rigueur et créativité ?, Toulouse, Érès.
Mousnier E., Knaff L. et Es-Salmi A. (2016). « Les cartes Dixit comme support aux représen-
tations métaphoriques : un média d’intervention systémique sous mandat », Thérapie
familiale, vol. 37, no 4.
Steiner T. (2018). La Thérapie orientée vers les solutions avec les enfants, adolescents et leurs
familles, Toulouse, Érès.
Correspondance
Bertrand Crottet
bertrand.crottet@chuv.ch
Abstract
Dixit cards. The use of metaphorical media from a skills-oriented perspective – In infant
and juvenile clinics, it is not uncommon to see the obvious difficulties of children and
adolescents in naming, describing, and communicating their internal experiences. These
obstacles of course stem from a variety of origins and etiologies, ranging from cognitive
delay to dissociative processes resulting from psychotrauma, as well as certain loyalties
and unspoken truths. Therefore, the interest and the challenge lie in finding a representa-
tion that the child will be willing to share, without having to worry about the constraints
of veracity and loyalty. Metaphorical representations open a path to the imaginary, which
allows the child to engage in a protective and non-confrontational externalization. Dixit
cards, based on a board game of the same name, provide valuable support for these met-
aphorical representations (Mosnier et al., 2016). We then established a methodology, the
3 × 3 protocol, which allowed us to intervene by focusing the metaphor on the forces of
change and the associated strategies. In a highly dynamic way, the process, thus metaphor-
ically induced, activated the children’s mental resources, allowing them to achieve their
objective of change.
Resumen
Cartas Dixit. Uso de un medio metafórico desde una perspectiva orientada habilidades –
En la clínica infantojuvenil, observamos a menudo ciertas dificultades que muestran los
niños y adolescentes para nombrar, describir y expresar sus emociones y estado animico.
Esta dificultad a expresarse, se debe a orígenes y etiologías diversas, que van desde un
retraso cognitivo hasta el proceso disociativo generado por el trauma psicologico, las
lealtades familiales y lo no mencionado. El interés y el reto residen en la posibilidad de
encontrar una representación donde el niño se atreva a compartir sin preocuparse por la
veracidad y la lealtad. Las representaciones metafóricas abren una vía a la imaginación
que permite una exteriorización protectora y no conflictiva. Las cartas Dixit, el juego de
mesa homónimo, constituyen un valioso soporte para estas representaciones metafóricas.
(Mousnier et al., 2016). A continuación establecemos una metodología, el protocolo 3 × 3,
que nos permite intervenir usando la metáfora a traves de estrategias para llevar a cabo un
cambio en el individuo. De forma flotante, el proceso, así inducido a nivel metafórico, activa
los recursos del niño en la realizacion de su objetivo de cambio.
209

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De la métaphore relationnelle aux cartes Dixit

Confronté régulièrement à ces phénomènes, il a été intéressant, voire néces-

Intégrée progressivement à notre pratique psychothérapeutique, cette

Les cartes Dixit

Sur le plan méthodologique, les auteurs proposent comme question de départ

Cartes Dixit et supervision :

Projections dans l’avenir

Motivation (au changement)

Investissement scolaire ou professionnel (versus l’impuissance)

Rôles de l’entourage dans le choix professionnel

Forces/qualités (cartes ressources)

L’intérêt d’un tel protocole est bien de formaliser, voire de manualiser la

Vers un protocole orienté compétences :

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