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es sciences politiques connaissent aujourd’hui un engoue-
ment pour les phénomènes de circulation internationale de solutions d’action
publique. Dans un article récent, nous avons dressé un bilan des savoirs pro-
duits par ce domaine de recherche appelé policy transfer studies 1. La principale
critique que nous avons formulée à l’encontre de cette littérature est sa ten-
dance à limiter son ambition théorique à l’établissement de distinctions entre
les différentes catégories de transferts. De fait, très peu de travaux s’attachent
à élaborer des idéaux types et des modèles explicatifs permettant de
comprendre non seulement les processus par lesquels s’opèrent ces transferts,
mais aussi les changements qu’ils provoquent dans le contexte de réception.
Pour comprendre les transferts en action et leurs effets, nous proposons donc
1. Thierry Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art », Questions
de recherche, 27, 2008 (http://www.ceri-sciences-po.org/cerifr/publica/question/qdr.php).
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2. Dans le cadre de ce travail de terrain, réalisé avec le soutien de l'Agence nationale de la recherche (Programme
SHS Apprentissage, connaissances et société), nous avons réalisé, en 2007, 2008 et 2009, 104 entretiens et focus
groups avec des responsables ministériels et municipaux, des experts internationaux, nationaux et locaux du déve-
loppement local, des investisseurs étrangers, des organisations représentatives d’acteurs économiques et d’élus
locaux. Ces interviews ont été effectuées dans trois sites : à Sofia, dans huit communes de la vallée de la Mesta (ter-
ritoire situé dans les massifs montagneux du Sud-Ouest de la Bulgarie qui connaissait, au moment de l’enquête,
une dynamique de développement du tourisme que toutes les villes ne parvenaient pas à réguler) et dans la région
de la Dobroudja (territoire du Nord-Est du pays, où la gestion des ressources en eau est un enjeu crucial pour le
développement du principal secteur de l’économie locale, l’agriculture). Les entretiens ont été complétés par
l’observation directe de réunions de conseils municipaux et d’assemblées d’ONG, ainsi que par l’observation par-
ticipante des actions conduites par une équipe d’experts européens dans le domaine de l’eau en Dobroudja. Trois
thèmes ont été étudiés : les politiques de création de business parks par les municipalités, les politiques de dévelop-
pement de l’industrie touristique, les politiques de développement des réseaux de distribution d’eau et d’adapta-
tion au réchauffement climatique.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 27
des normes et des idées orientant les politiques publiques 3. En revanche, elle
a peu prêté attention aux structures, dispositifs et mécanismes sociaux
contribuant au déroulement des processus d’apprentissage en action 4. Cette
prise en considération insuffisante des jeux d’acteurs constitue une lacune
importante, dans la mesure où l’apprentissage ne saurait être réduit à un phé-
nomène purement individuel, de nature intellectuelle (comment les individus
assimilent-ils de nouveaux savoirs et quels usages en font-ils ?). Pour com-
prendre les apprentissages, il faut analyser les processus d’action collective
qui se déploient au sein de configurations hétérogènes d’institutions, d’orga-
nisations et de professions, dont certaines sont soumises à des influences
étrangères. Les apprentissages ont en effet une dimension politique affirmée
et comportent des processus d’import-export de savoirs 5. De plus, les littéra-
tures traitant de policy learning et d’organizational learning ont tendance à
appréhender l’apprentissage essentiellement comme un processus endogène,
dans une perspective de sociologie des organisations (comment une organisa-
tion tire-t-elle les leçons de sa propre expérience et les met-elle à profit pour
mieux s’adapter à son environnement et améliorer son efficacité ?). De ce fait,
elles sont amenées à sous-estimer la portée des sources exogènes telles que les
transferts intersectoriels ou internationaux de modèles ou de solutions
d’action. La littérature sur le policy transfer, quant à elle, ne s’est pas suffisam-
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3. Colin J. Bennett, Michael Howlett, « The Lessons of Learning: Reconciling Theories of Policy Learning and
Policy Change », Policy Science, 25 (3), 1992, p. 288.
4. Georges J. Busenberg, « Learning in Organizations and Public Policy », Journal of Public Policy, 21 (2), 2001,
p. 173.
5. Mark Easterby-Smith, John Burgoyne, Luis Araujo, « Organizational Learning: Current Debates and
Opportunities », dans M. Easterby-Smith, J. Burgoyne, L. Araujo, (eds) Organizational Learning and the Learning
Organization: Developments in Theory and Practice, Londres, Sage, 1999, p. 12.
6. Bien que notre étude empirique porte sur un pays qui a intégré l’Union européenne en 2007, notre réflexion théo-
rique se rapporte assez peu à l’abondante littérature scientifique consacrée au mouvement d’européanisation des pays
d’Europe centrale et orientale. Ce choix est lié à l’objectif particulier qui est ici le nôtre : enrichir les policy transfer
studies et les policy learning studies, plutôt que d’analyser les transformations contemporaines des politiques locales en
Bulgarie dans une perspective d’area studies et d’études européennes.
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par les agents de transfert. Cela n’implique aucun jugement de notre part
quant aux inconvénients et aux avantages que ces éléments transplantés
représentent pour les adoptants.
La notion de transfert est ici entendue comme l’import-export de solutions
d’action publique développées dans un contexte vers un autre contexte 10. Elle
ne désigne pas seulement la circulation internationale d’éléments de politique
publique, mais aussi des déplacements entre secteurs d’activités, territoires et
organisations à l’intérieur d’un même espace national. Pour les besoins de
notre démonstration, nous répartissons tout d’abord les transferts en fonc-
tion de la nature des entités mises en circulation : programmes, instruments
ou compétences politiques 11, ensuite selon qu’ils s’opèrent verticalement entre
des acteurs liés entre eux par des rapports de dépendance ou de subordina-
tion, ou horizontalement, à travers des relations non hiérarchiques telles que
des échanges marchands, des réseaux d’interconnaissances, des associations
professionnelles, enfin, selon le type d’action pédagogique mis en œuvre pour
transmettre à l’adoptant les normes et procédures d’usage des instruments
transposés. À cet égard, nous distinguons l’apprentissage qui s’opère par le
biais de la mise en application « en conditions réelles » des solutions impor-
tées (learning by doing) et celui qui est réalisé à travers la transmission de
savoirs théorisés (learning by discourse) dans un contexte autre que le lieu de
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9. Selon nous, le degré de reproduction à l’identique de la solution préconisée par l’exportateur ne constitue pas un
indicateur pertinent de la portée des transferts. Nous estimons qu’un transfert a eu un impact à partir du moment où
il inspire – plus ou moins grossièrement – un changement des pratiques qui avaient cours dans le contexte de récep-
tion, étant entendu qu’une telle transformation recèle toujours une part d’adaptation/innovation par rapport au
modèle exporté et une part d’imitation. T. Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux de politiques
publiques : un état de l’art », cité, p. 54-58.
10. David P. Dolowitz, Policy Transfer and British Social Policy: Learning from the USA?, Buckingham, Philadelphia,
Open University Press, 2000, p. 5.
11. Nous nous inspirons ici de la typologie élaborée par Peter May, qui distingue social policy learning (apprentissage
de référentiels d’action publique), instrumental policy learning (apprentissage d’instruments d’action publique) et poli-
tical learning (apprentissage de stratégies et techniques de lutte dans l’arène politique). Peter J. May, « Policy
Learning and Failure », Journal of Public Policy, 12 (4), 1992, p. 332. Le transfert de compétences politiques a pour but de
procurer au destinataire des aptitudes qui lui permettent de promouvoir sur la scène politique sa vision du problème
et des réponses appropriées : connaissance des arguments efficaces pour obtenir tel ou tel type de soutien, maîtrise
des techniques de lobbying, notamment.
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Les capacités différentielles des communes à tirer les leçons de leur expérience
12. François Bafoil, Europe centrale et orientale. Mondialisation, européanisation et changement social, Paris, Presses de
Sciences Po, 2006, p. 286.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 31
13. Les organizational learning studies recensent parmi les facteurs, qui, d’une manière générale, sont susceptibles de
favoriser les apprentissages dans une organisation : une culture d’ouverture aux idées nouvelles, la présence d’un
stock important de connaissances acquises antérieurement, l’existence de dispositifs spécifiquement dédiés au travail
de production, de gestion et d’enseignement des connaissances, une structure organisationnelle décentralisée privi-
légiant les relations horizontales et encourageant la réflexivité, l’auto-évaluation, l’innovation, la propension à
admettre ses erreurs. Au sortir du communisme, ces facteurs étaient bien loin d’être réunis dans les territoires bul-
gares. L. M. Brown, « Learning and Food Security in the European Union », dans L. M. Brown, M. Kenney,
M. Zarkin (eds) Organizational Learning in the Global Context, op. cit., p. 25.
14. Plusieurs travaux de recherche ont retracé les transformations contemporaines de l’organisation territoriale de
l’État bulgare. Voir notamment Emmanuelle Boulineau, « Autonomie communale et territoires locaux en Bulgarie
postsocialiste », Méditerranée, 3-4, 2004, p. 75-83 ; « La persistance de la centralisation en Bulgarie : héritage du
passé ou effet de crise ? », dans Violette Rey, Lydia Coudroy de Lille, Emmanuelle Boulineau (dir.), L’élargissement de
l’Union européenne : réformes territoriales en Europe centrale et orientale, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 39-49 ; « Les
habits neufs des découpages socialistes dans les réformes administratives récentes en Bulgarie », dans Violette Rey,
Thérèse Saint-Julien (dir.), Territoires d’Europe : la différence en partage, Lyon, ENS-Éditions, 2005, p. 139-150 ;
Emmanuelle Boulineau, Marius Suciu, « Décentralisation et régionalisation en Bulgarie et en Roumanie. Les ambi-
guïtés de l’européanisation », Espace géographique, tome 37, 2008, p. 349-363 ; Pavlina Nikolova, « Régionalisation
et politique régionale en Bulgarie: Évaluer le rôle de l’Union européenne », Revue d’études comparatives Est-Ouest,
39 (3), 2008, p. 92.
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n’étaient pas calculées selon des critères clairs et objectifs, mais accordées en
fonction de l’allégeance politique du maire.
Les marges de manœuvre des communes pour développer des politiques de
DEL en dehors des programmes nationaux et des aides étrangères étaient
donc pratiquement inexistantes : « Le système administratif bulgare demeu-
rait excessivement centralisé. Quand un maire voulait se procurer des moyens
supplémentaires pour réaliser un projet de développement, il n’avait d’autre
choix que de s’en remettre au bon vouloir de personnages influents situés au
sommet de l’État. Par conséquent, les maires étaient obligés de consacrer une
grande partie de leur temps et de leur énergie à l’entretien de leurs réseaux
personnels au niveau central, au détriment de l’action locale » 15. Cette
dépendance était au demeurant acceptée par une grande partie des
responsables locaux, que le régime communiste n’avait pas habitués à prendre
des initiatives en matière de politiques publiques 16. Par ailleurs, la
centralisation du système fiscal n’incitait pas les communes à faire des efforts
pour attirer les investisseurs et pour soutenir les entreprises locales, les
impôts supplémentaires prélevés sur le territoire de la municipalité étant
presque intégralement reversés à l’État. Le DEL n’apportait donc pas de sup-
plément de ressources aux communes.
Avec l’effort de modernisation des administrations publiques, à partir de
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15. Entretien avec le président de l’Association nationale des municipalités de la République de Bulgarie (ANMRB),
Sofia, 2009.
16. Dans l’ancien système, le pouvoir central avait pour objectif d’empêcher les notables locaux du parti d’acquérir
un pouvoir qui leur permette de rivaliser avec la haute nomenklatura de la capitale. Toute initiative locale devait être
approuvée par le centre et apparaître comme émanant de lui.
17. P. Nikolova, « Régionalisation et politique régionale en Bulgarie: Évaluer le rôle de l’Union européenne »,
art. cité, p. 96.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 33
Un autre facteur inhibant les processus d’apprentissage dans les communes a été
la faible place occupée par la rationalité instrumentale et par le sens de l’intérêt
public dans les cultures organisationnelles des administrations bulgares. Cette
faible bureaucratisation (au sens wébérien du terme) des appareils administratifs
est le pendant du mode patrimonialiste d’exercice des charges publiques qui a
longtemps prévalu dans la culture des élites politico-administratives bulgares.
Aujourd’hui encore, le favoritisme, le népotisme, la corruption et le contourne-
ment du droit demeurent des normes de conduite bénéficiant d’un large assenti-
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l’emprise des partis et des patrons politiques sur les administrations publiques
en conférant aux employés municipaux le statut de fonctionnaire et en les
protégeant contre le licenciement. Toutefois, ces textes n’empêchent pas les
dirigeants politico-administratifs des communes d’acculer à la démission les
fonctionnaires municipaux dont ils veulent se débarrasser en se livrant à
diverses formes de harcèlement moral, ainsi que nous l’ont affirmé plusieurs
fonctionnaires interviewés. Dans les communes où le pouvoir change fré-
quemment de mains, un tel système des dépouilles engendre une instabilité
du personnel municipal qui empêche l’accumulation d’expériences et
provoque la déperdition des savoirs transmis par les intervenants extérieurs.
Parmi les villes dans lesquelles nous avons mené notre enquête, celles qui
sont parvenues à mener à terme des initiatives dans le domaine du DEL ont
en commun d’avoir connu une grande stabilité du pouvoir municipal 20.
Enfin, les pratiques liées au patrimonialisme exigent des savoir-faire relatifs à la
dissimulation d’activités répréhensibles telles que le trucage des documents
comptables ou l’art de distribuer les pots-de-vin pour échapper aux contrôles
étatiques. L’apprentissage de telles aptitudes se fait au détriment de celles qui,
en particulier, permettent une gestion rationalisée des politiques de DEL.
Même s’ils sont toujours prépondérants dans de nombreux espaces sociaux en
Bulgarie 21, les attitudes et les répertoires d’action marqués par le patrimonia-
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20. Notamment la ville de Gotsé Deltchev, dans la vallée de la Mesta, dont le maire a effectué quatre mandats suc-
cessifs. Cette municipalité a fait des efforts importants et constants dans les domaines des infrastructures routières et
de la formation professionnelle, en coopération avec un industriel allemand qui a quitté la Grèce pour implanter son
usine (2 500 employés) sur le territoire de la commune en 1993.
21. Milena Gradeva, Claude Ménard, « Le contournement des règles contractuelles dans une économie en
transition : les salaires non déclarés en Bulgarie », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 39 (1), 2008, p. 203-224.
22. Ces constats ressortent d’une enquête de terrain (80 entretiens) que nous avons réalisée en 2005 et 2006 auprès
de professionnels du droit (juges, avocats, notaires, conseillers juridiques), de chefs et cadres d’entreprises (de diffé-
rentes tailles, dans différentes branches d’activité, essentiellement dans les régions de Sofia, Plovdiv et Slivnitsa) et
de professionnels du secteur bancaire. T. Delpeuch, Réformes de la justice et modernisation des pratiques économiques dans
l’Europe postcommuniste – Bulgarie, Roumanie (avec la collaboration de Ramona Coman, Nadine Levratto et Margarita
Vassileva), Paris, Mission de recherche droit et justice, 2006.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 35
23. Ce parc d’activités économiques concentre des sièges d’entreprises étrangères industrielles et de services.
11 000 personnes y travaillent dans 300 000 m2 de bureaux.
36 — Critique internationale no 48 - juillet-septembre 2010
24. Les adjoints au maire en charge du DEL dans les villes de Dobritch, Razlog, Yakorouda et Gotsé Deltchev ont
tous fait leurs armes dans des associations de soutien aux entrepreneurs et à l’initiative économique privée, avec
l’appui de l’USAID, avant de s’engager en politique aux côtés d’un candidat à la mairie qui, une fois élu, les a intégrés
dans le cercle de ses plus proches collaborateurs.
25. Emil E. Malizia, Edward J. Feser, Understanding Economic Development, New Brunswick, New Jersey, The Center
for Urban Policy Research, 1999.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 37
26. Voir aussi Ilin Stanev, Yana Burer-Tanavie, Are We Prepared for European Union Funds? Challenges and
Opportunities for Local Development Actors, Sofia, United Nations Development Program, Bulgaria National Human
Development Report 2006, p. 37-38.
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des ONG, ou encore en occupant des emplois subalternes dans les parcs
d’activité internationaux de leur région. La création des concours administra-
tifs et la recherche par les communes les plus dynamiques d’employés profes-
sionnellement compétents sont autant d’évolutions qui leur ont permis de
briguer et d’obtenir des postes à responsabilités auxquels elles ne pouvaient
espérer accéder dans le secteur privé, où la culture traditionnelle de domina-
tion masculine est toujours aussi pesante 27.
Au tournant des années 1990, les conditions étaient réunies dans certaines villes
bulgares pour que des dynamiques d’apprentissage puissent s’enclencher :
grâce aux réformes administratives de 1998-1999, les municipalités ont pu
dégager des moyens financiers pour leurs projets de développement local, un
mouvement de stabilisation, professionnalisation et bureaucratisation de la
fonction publique locale a été amorcé dans certains territoires, enfin, le DEL a
été inscrit à l’agenda politique des pouvoirs locaux.
Dans ce domaine, les initiatives locales qui ont émergé étaient souvent reliées
à des politiques de développement régional, nationales et internationales. Ces
programmes top-down visaient à permettre aux régions les moins développées
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27. Parmi la centaine de responsables locaux, régionaux et nationaux dans le domaine du DEL que nous avons inter-
viewés de 2007 à 2009 dans les mairies (départements juridiques et de DEL), les agences de développement régional,
les pépinières d’entreprise, les associations d’entrepreneurs et les administrations nationales, les deux tiers environ
correspondent à ce profil.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 39
des maires 28. Pour financer leurs initiatives, ceux-ci dépendaient des
subventions allouées par les ministères. En l’absence de grandes orien-
tations nationales en matière de développement régional – le DEL
n’était pas encore à l’agenda politique national –, ces dotations supplé-
mentaires étaient attribuées au coup par coup, suivant des critères forte-
ment teintés de clientélisme politique. Elles concernaient essentielle-
ment les domaines des transports, de l’emploi et de l’environnement, et
bénéficiaient essentiellement aux grandes communes, dont les intérêts
étaient mieux représentés au sein des organes politiques centraux 29.
Cette époque a été marquée par le creusement d’écarts de développe-
ment considérables entre la capitale et quelques centres régionaux 30,
d’un côté, et la grande masse des communes en déclin, de l’autre.
À partir de 1999, des lois, stratégies et plans nationaux en faveur du dévelop-
pement local ont été adoptés par les gouvernements successifs. L’émergence
de ces politiques nationales de développement régional n’était pas la manifes-
tation d’un changement d’approche de la part des acteurs politiques centraux,
qui ont persisté à vouloir limiter les marges d’autonomie des communes, mais
le résultat de la conditionnalité européenne, c’est-à-dire une réponse
« mécanique » aux exigences et critères de financement de l’UE en matière
de politique régionale européenne 31. Les autorités nationales bulgares n’ont
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32. I. Stanev, Y. Burer-Tanavie, Are We Prepared for European Union Funds? Challenges and Opportunities for Local
Development Actors, op. cit., p. 32.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 41
Dobroudja par exemple, nous avons observé que la soumission par une com-
mune d’un projet de rénovation de son réseau de distribution d’eau (les pertes
d’eau en raison du mauvais état des canalisations sont estimées à 60 % dans
cette région) est souvent à l’origine d’affrontements entre les services décon-
centrés de plusieurs ministères, en l’occurrence les Travaux publics,
l’Environnement, l’Agriculture, le Développement régional et les Finances.
Ces querelles interadministratives ont pour effet d’amoindrir le crédit des
experts dépêchés par les ministères auprès des autorités locales pour indiquer
à ces dernières comment mettre en œuvre les politiques nationales. Elles
empêchent les communes de se faire leur propre idée des « bonnes
pratiques » en matière de modernisation des réseaux urbains et de développer
une action cohérente dans ce domaine, si bien que certaines d’entre elles pré-
fèrent faire appel à des conseillers étrangers.
En somme, les politiques régionales de l’État bulgare n’ont pas constitué une
source importante de transferts de solutions d’action publique, et ce pour
plusieurs raisons : tout d’abord, leur centralisation excessive, qui a entraîné leur
inadéquation avec les réalités locales ; ensuite, leur fragmentation et leur incohé-
rence, qui trouvent leur origine dans les rivalités entre ministères et clientèles
politiques, mais aussi dans l’instabilité des réglementations et des procédures,
constamment modifiées sans concertation avec les metteurs en œuvre ; enfin, la
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33. Une grande variété d’organisations et de programmes d’aide au développement sont intervenus dans le domaine du
DEL, les principales étant l’USAID, les programmes de pré-adhésion de l’UE, le PNUD et les agences et services de
coopération technique internationale des États membres de l’UE. Il est impossible, dans les limites de cet article, de
retracer l’histoire des engagements de ces exportateurs, de restituer les convergences et les divergences de leurs appro-
ches, de montrer en quoi leurs visions respectives du développement local ont influencé les acteurs locaux et centraux
bulgares (ainsi, les Américains ont placé l’accent sur la lutte contre la corruption des marchés publics et la profession-
nalisation des fonctionnaires municipaux de terrain, tandis que les Français ont insisté sur la coopération intercommu-
nale, les programmes européens relatifs aux partenariats public-privé, la planification stratégique de l’action publique et
la mise en place d’agences de développement régionales…). Pour une analyse de ce type, voir T. Delpeuch,
M. Vassileva, « Quelle portée des réformes judiciaires en Bulgarie ? Comment les acteurs domestiques s’arrangent des
prescriptions internationales », dans Jacques Commaille, Martine Kaluszynski (dir.), La fonction politique de la justice,
Paris, La Découverte, 2007, p. 69-94 ; « Contribution à une sociologie politique des entrepreneurs internationaux de
transferts de réformes judiciaires », L’Année sociologique, 59 (2), 2009, p. 371-402. Il nous semble qu’au-delà des diffé-
rences d’agenda et de style d’intervention entre les prescripteurs internationaux de réformes tous partagent une vision
relativement homogène de ce que doivent être les politiques de DEL et le métier de développeur.
42 — Critique internationale no 48 - juillet-septembre 2010
34. Un tel constat est largement partagé par les chercheurs qui ont étudié la portée des programmes de pré-adhésion
dans les pays d’Europe centrale et orientale. Voir notamment François Bafoil, Fabienne Beaumelou, Rachel Guyet,
Gilles Lepesant, Édith Lhomel, Catherine Perron, « Jumelages institutionnels : les limites d’un apprentissage
collectif », Critique internationale, 25, 2004, p. 169-182. Nous avons pu vérifier sa pertinence en observant le dérou-
lement de plusieurs projets européens menés en Bulgarie sur la réforme du recrutement dans la fonction publique et
sur l’action communale en matière de gestion de l’eau.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 43
35. Les recommandations de l’UE à la Bulgarie concernant la politique régionale ont été réduites à un petit nombre
d’exigences : créer un cadre juridique approprié à la mise en œuvre des programmes de pré-adhésion, puis des fonds
structurels, ce qui a contraint le pays à modifier son organisation administrative pour la rendre compatible avec la
classification NUTS ; développer au niveau national des dispositifs de programmation, de gestion financière et de
contrôle de la mise en œuvre qui soient conformes au « principe de partenariat », c’est-à-dire qui prévoient une par-
ticipation des autorités infra-étatique et de la « société civile » aux différentes étapes des projets de développement
local ; planifier les orientations de sa politique de développement régionale pour plusieurs années, les aides euro-
péennes étant versées en complément des budgets programmés par les différents contributeurs bulgares (État, com-
munes, entreprises) à la réalisation des projets.
36. Michael J. Steffen, « La réforme de la stratégie d’élargissement de l’Union européenne », Revue d’études compa-
ratives Est-Ouest, 34 (3), 2003, p. 54-55.
37. Marcin Dabrowski, « La mise en œuvre des fonds structurels en Pologne. Influences européennes, poids du passé
et apprentissages collectifs », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 39 (3), 2008, p. 146.
44 — Critique internationale no 48 - juillet-septembre 2010
38. Entretiens avec les responsables des politiques de développement économique local à l’ANMRB et à la
Fondation pour la réforme du gouvernement local, Sofia, 2009.
39. Entretien avec un expert détaché par l’ambassade de France auprès de l’ANMRB pour la coopération dans le
domaine du développement régional, Sofia, 2009.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 45
40. Entretiens avec les maires, les responsables du DEL, des dirigeants d’entreprise et des associations d’entrepre-
neurs dans les villes de Bansko, Razlog, Bélitsa, Yakorouda, Gotsé Deltchev et Garmène de la vallée de la Mesta,
2008-2009.
41. Michael Keating, « Local Economic Development: Policy or Politics », dans Norman Walzer (ed.) Local Eco-
nomic Development, Boulder, Colorado, Westview Press, 1995, p. 20.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 47
Dans beaucoup de cas, c’est via les relations marchandes nouées avec des
firmes modernisées que les responsables municipaux ont découvert des prin-
cipes de fonctionnement tels que l’anticipation, la définition de priorités et de
stratégies d’action, la programmation budgétaire et opérationnelle, la coopé-
ration partenariale, le contrôle de la réalisation des objectifs, l’évaluation de
l’efficience 43. Ce type de transferts est devenu courant à partir de la fin des
années 1990, surtout dans les grandes villes, de plus en plus fréquemment
amenées à négocier et à coopérer avec des sociétés multinationales.
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42. Une partie de ces investissements provenait de pays culturellement proches de la Bulgarie tels que la Grèce et la
Turquie, qui délocalisaient en Bulgarie la production de marchandises de basse qualité et n’avaient donc qu’un
impact limité en termes de modernisation. V. Monastiriotis, The Emergence of Regional Policy in Bulgaria: Regional
Problem, EU Influence and Domestic Constraints, op. cit., p. 25.
43. F. Bafoil, Europe centrale et orientale. Mondialisation, européanisation et changement social, op. cit., p. 310.
48 — Critique internationale no 48 - juillet-septembre 2010
Les transferts par participation des acteurs privés aux arènes de négociation des
politiques de DEL
Ce type de transferts semble plus répandu dans les villes moyennes où les
PME dépendent fortement des investissements réalisés par la mairie pour
créer un environnement humain et matériel propice à leur croissance. Il est
donc dans l’intérêt de ces entreprises de s’impliquer activement dans les
affaires municipales 45. Les communes de taille moyenne offrent par ailleurs
des conditions particulièrement favorables aux échanges d’idées entre élites
économiques et politiques : le tissu économique y est suffisamment déve-
loppé pour qu’existe un milieu entrepreneurial et, en même temps, dirigeants
44. Entretiens avec le maire d’un arrondissement de la capitale où a été construit le quartier d’affaires « Business
Park Sofia », 2008, et avec la présidente de l’ANMRB, Sofia, 2008.
45. I. Stanev, Y. Burer-Tanavie, Are We Prepared for European Union Funds? Challenges and Opportunities for Local
Development Actors, op. cit., p. 46.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 49
Dans les deux grandes formes de transferts que nous avons examinées,
l’acquisition et la transmission des nouveaux savoirs et pratiques reposent
en premier lieu sur des mécanismes spontanés de socialisation. Les trans-
ferts horizontaux de connaissances sont le produit d’interactions sociales
non programmées entre des individus participant au même système
d’action local. Toutefois, l’adoption et la propagation des innovations en
matière de politiques de DEL ne reposent pas uniquement, loin s’en faut,
sur l’expérience directe de « ce qui fonctionne ou pas » et sur la circula-
tion d’informations entre proches voisins, par le biais de contacts person-
nels propices à la confiance. Les politiques de DEL existent également en
tant que savoir professionnel. Au niveau international, le développement
local est un objet d’étude classique pour les sciences de gouvernement et
47. Frank Moulaert, Christophe Demazière, « Local Economic Development in post-Fordist Europe: Survey and
Strategy Reflections », dans Christophe Demazière, Patricia A. Wilson (eds) Local Economic Development in Europe
and the Americas, New York, Mansell, 1996, p. 3-28.
48. Olivier Nay, Andy Smith (dir.), Le gouvernement du compromis : courtiers et généralistes dans l'action politique, Paris,
Économica, 2002.
49. I. Stanev, Y. Burer-Tanavie, Are We Prepared for European Union Funds? Challenges and Opportunities for Local
Development Actors, op. cit., p. 68-69.
Une nouvelle gestion du développement économique local en Bulgarie — 51
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette présentation des relations exis-
tant entre processus de transferts de politiques publiques et processus d’apprentis-
sage, présentation dont le but était de poser quelques jalons pour la construction
d’une sociologie compréhensive de la circulation des solutions d’action publique :
tout d’abord, il s’avère que les modes programmatiques, descendants, bureaucrati-
ques et by discourse de transferts – à savoir les politiques nationales et certaines
formes top-down de coopération technique internationale – ont de faibles chances
d’aboutir aux transformations voulues par les entrepreneurs de transferts. En
revanche, ont une portée supérieure les modes de transfert qui véhiculent des ins-
truments d’action ou des compétences politiques, ceux qui permettent aux bénéfi-
ciaires d’apprendre à utiliser la solution transmise en la mettant immédiatement en
œuvre, ceux qui empruntent des canaux de propagation horizontaux tels les réseaux
d’élus locaux et de professionnels du développement local ou encore les relations
marchandes entre communes et entreprises privées. Ensuite, il ressort que les
acteurs les plus réceptifs aux apports exogènes sont des élites de second rang 50, qui
50. Sur cette notion, voir Shmuel Eisenstadt, Power, Trust, and Meaning: Essays in Sociological Theory and Analysis,
Chicago, University of Chicago Press, 1995.
52 — Critique internationale no 48 - juillet-septembre 2010
voient dans les éléments importés des ressources qu’elles peuvent opposer aux
acteurs dominants afin d’accéder à des positions de pouvoir. L’un des ressorts les
plus importants de l’apprentissage collectif des solutions transférées est la montée
de ces contre-élites sous l’effet de logiques liées à la démocratie locale et à l’institu-
tionnalisation des partenariats public-privé. ■
Thierry Delpeuch est sociologue, chercheur CNRS au pôle Cachan de l'Institut des sciences
sociales du politique (ISP, CNRS, École normale supérieure de Cachan, Université
Paris Ouest-Nanterre-La Défense). Ses travaux portent sur la circulation internatio-
nale des modèles institutionnels et des solutions d'action publique, en particulier
dans les domaines du droit, de la justice et de la police. Il a publié entre autres
« L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art »,
Questions de recherche/Research in Question (27, Paris, CERI, 2008).
Adresse électronique : delpeuch@isp.ens-cachan.fr
Margarita Vassileva est docteure en études slaves, chercheure associée au pôle Cachan de
l'Institut des sciences sociales du politique (ISP, CNRS, École normale supérieure de
Cachan, Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense). Ses travaux portent sur les chan-
gements de l'action publique en Bulgarie. Elle a publié avec Thierry Delpeuch « Quelle
portée des réformes judiciaires en Bulgarie ? Comment les acteurs domestiques
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