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Régression, décharge émotionnelle, catharsis

Quelques éléments de réflexion


Philippe Grauer
Dans Gestalt 2002/2 (no 23), pages 69 à 83
Éditions Société française de Gestalt
ISSN 1154-5232
DOI 10.3917/gest.023.0069
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Régression, décharge
émotionnelle, catharsis
Quelques éléments de réflexion

Philippe GRAUER Enseigne en Sciences de


l’Education à Paris VIII,
Vincennes.
Il dirige le Centre
interdisciplinaire de Formation
à la psychothérapie.
Président du SNPPSY et
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APERÇU THÉORIQUE membre du groupe ARTEX.

Le cadre dont je présente ici l'esquisse m'a manqué jusqu'à ce


que j'y parvienne. Je naviguais jusque-là relativement aux théo-
ries sur la vie émotionnelle dans des représentations toujours à
mes yeux insuffisantes, arbitraires, peu cohérentes, ce qui me
faisait personnellement souffrir. La pensée de R. Plutchik (1), me 1 - Plutchik, Robert, The
procure la philosophie clinique dont j'avais besoin. Emotions, University Press of
America, (1984) 1991, 216 p.
Intellectuellement je préfère œuvrer dans le champ émotionnel, Le plus simple à lire, excellent
dans le confort de ce que je considère comme une bonne théo- résumé des théories de
rie, dont Lewin disait qu'il n'est rien de plus utile. J'aimerais l'auteur. La théorie de la
décharge émotionnelle
témoigner de l'intérêt pour moi de celle dont je vous exposerai ici proprement dite, c'est moi qui
seulement quelques éléments, par rapport auxquels la seconde l'y ai greffée, elle s'y adapte
partie de cet article prend tout son sens. Cela dit, je greffe sur le bien. Je l'ai adaptée des
thèses de H. Jackins
support de l'élégante théorie de Plutchik mes propres proposi- améliorées par D. Le Bon,
tions théorico-cliniques, inspirées d'un énergétisme enraciné dans les années 70, du temps
du Coconseil.
dans Freud, Reich et les émotionalistes, autant dire à des
sources capitales de la Gestalt-thérapie sans compter la réfé-
rence au substrat gestaltiste lui-même, naturellement.
Donc, la théorie unifiée des émotions à laquelle je me réfère,

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Régression, décharge émotionnelle, catharsis

fondée en grande partie sur les écrits de Plutchik, décrit celles-


ci en termes de schémas adaptatifs basaux, sortes de fonctions
cardinales du vivant, lesquelles s'organisent elles-mêmes selon
un système de quatre paires de fonctions de base. Cette théorie
néo darwinienne, situe la fonction émotionnelle immédiatement
au-dessus de l'ADN dans l'échelle des propriétés du vivant.
Quelles sont donc ces fonctions sans lesquelles aucun orga-
2 - Dispositif de présentation
nisme vivant ne peut le rester ? dans un ordre circomplexe (2), je
d'une analyse factorielle
permettant d'exposer les nommerai la fonction de sécurité (commençons par elle puisque
résultats selon des axes les temps qui courent l'ont mise très à la mode) ou agonistique,
bipolaires organisés
la locomotive, terme que j'ai détourné de la terminologie lewi-
circulairement, en cônes
diamétralement opposés. nienne ; la nutritive (y intégrer la nutrition gazeuse, relative à la
respiration), chère à Perls ; enfin celle qui s'occupe de triompher
du temps et nous relie à la fois à nos congénères et à l'espèce,
que j'appellerai la fonction de socialité.
Chacun de ces axes fonctionnels s'organisant selon deux
polarités, respectivement :
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• sécurité : se protéger / détruire
• nutrition : incorporer / rejeter, éliminer, évacuer
• locomotion : explorer / marquer un temps d'arrêt pour s'orienter
• socialité : être relié, se reproduire / rester seul, subir la perte.

Singulièrement, j'ai remarqué que ces verbes désignant des


actions adaptatives de base peuvent se ramener à des
adverbes, ce qui m'a conduit à définir une sorte de modalité exis-
tentielle primaire organisée de façon cardinale. Par le biais de
laquelle on débouche inopinément sur une phénoménologie du
vivant. Cette adverbialisation conduit aux paires suivantes :
• contre / hors de (portée de),
• dedans / dehors,
3 - Certains vont dire qu'il
s'agit d'une interjection, • vers / stop (3),
laissez-moi lui donner une • avec / sans.
valeur adverbiale.

Et les émotions ? Il suffit de décliner ces embryons de tableau,


applicable je le rappelle à tout ce qui vit, en termes de subjecti-
vité humaine, pour tomber sur des termes connus. Si l'on com-
mence par le basique, les couples suivants, transférant dans le

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langage commun les concepts précédents se déclinent ainsi :


• colère — peur
• acceptation — rejet
• curiosité — surprise (temps d'arrêt face à un événement inat-
tendu)
• joie — peine.

À partir de quoi Plutchik construit, en la disposant sur un


disque, une architecture complexe. Il ne s'agit en aucun cas
d'une nouvelle liste arbitraire des émotions, qui en vaudrait des
tas d'autres, se valant toutes, mais d'un ordre issu de nuages
statistiques, dégagé au cours d'une démarche de recherche
rigoureuse.
Ces différents items peuvent varier en degrés d'intensité, et se
mélanger à la façon des couleurs (ou senteurs, la roue des
arômes serait probablement plus difficile à manier. Par contre il
existe une théorie des couleurs, lesquelles se mesurent très faci-
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lement, en longueurs d'onde), se hiérarchiser en niveaux, etc.

Employant une terminologie lewinienne qui nous rappelle qu'il


s'agit de concepts inférés dont la désignation occulte la com-
plexité de la réalité, considérons ces briques de base comme
des constructs et attribuons leur la dénomination d'émotions, en
n'oubliant pas que nous ne les désignons de la sorte, d'après
leur dimension subjective anthropomorphe, que par une conven-
tion qui ne les réduise pas à ce seul niveau. Souvenons-nous
qu'il s'agit de configurations prototypiques de base, construites
autour de fonctions vitales, et non du seul ressentir. Nous avons 4 - Où et comment commence
affaire à un système psychophysiologique (4) universel d'évalua- le psychisme, "de l'actinie à
tion des qualités sensibles du réel, en vue de mobilisation immé- l'homme" ? comment établir
qu'on passe du physiologique
diate de l'organisme en fonction de ses intérêts vitaux, organisé au psychophysiologique ? la
selon les quatre axes polaires décrits plus haut. pensée de Plutchik, qui se
présente dans la lignée du
Nous nous intéresserons dans les limites de cet article plus
darwinisme, englobe tout le
particulièrement à leur relation avec la décharge émotionnelle, domaine du vivant.
laquelle apparaît cliniquement rapportée au concept de régres-
sion.
Pour rejoindre la question de la décharge, l'émotion consiste,

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Régression, décharge émotionnelle, catharsis

succédant sans délai à l'appréciation des qualités sensibles du


contexte, tout d'abord en une préparation immédiate — l'émotion
est par excellence affaire d'ici et maintenant — à l'action (ça
n'est pas le lendemain qu'il faudrait que je me rende compte
qu'Untel m'énerve, ou que la voiture en face me fait peur, si je
veux lui adresser ici et maintenant une réponse ajustée), mobili-
sant l'organisme à cette fin. Ici nous abordons la dimension
qu'en termes freudiens on appelle économique, que l'on retrou-
ve en Gestalt-thérapie par le biais de Reich en particulier. Ainsi
un réseau multiréférentiel souterrain irriguerait-il des disciplines
agonistiques en surface ? Je me fais un plaisir de signaler au
passage la présence probable d'un ver multiréférentialiste dans
le fruit.
On appelle communément décharge, économiquement par-
lant, ce passage rapide du psychique au physique, la mise en
mouvement qui s'ensuit, avec les paradoxes contre-productifs
qui ont beaucoup fait disserter, comme celui par exemple de la
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5 - Sartre Jean-Paul, Esquisse peur paralysante, dont parle Sartre (5). Appelons cette décharge,
d'une théorie des émotions, ce passage à l'action (activation ; à l’excès, séquence de type
Hermann, 1960, 60 p.
hypomaniaque), décharge-1.
Mais le processus émotionnel ne s'arrête pas là. Il existe un
second type de décharge, appelé précisément décharge émo-
tionnelle, mécanisme par lequel le sujet humain se déleste de
ses tensions préparatrices, et qui répondent au schéma reichien
tension charge — décharge détente. Remarquons au passage
que ce schéma présente d'autant plus d'intérêt pour la Gestalt-
thérapie qu'il se trouve à l'origine du cycle de l'expérience. Ce
délestage n'est nullement mécanique, mais comme le dirait Max
Pagès, expressif, c'est-à-dire qu'il se produit dans un espace
relationnel ("tu te rends compte de ce qui m'arrive !"). C'est celui
qu'après Aristote on appelle catharsis, purge émotionnelle (on
disait purge des passions à l'époque où on appelait ainsi les
émotions ; la terminologie s'est diversifiée au cours du XIXème
siècle). Disons décharge-2.

Quelques mots sur le concept de catharsis. On la connaît nous


venons de l'évoquer, par Aristote, qui en fournit une version soft,

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médico-psychologique.
La version d'origine est plus sulfureuse : culte dyonisiaque,
transe, états modifiés de conscience, pour ne pas dire état psy-
chotique temporaire provoqué à l'occasion d'ingestion de pro-
duits sous contrôle (apparemment, au départ, du vin, répandu
en Méditerranée à partir de la Crète), comme cela se pratique
dans les cultures africaines, sud américaines et autres. La mise
en relation avec les forces de l'invisible que convoquent ces
cultes orgiaques, dont nous restent les bacchanales, recèle un
triple principe ; a) politique et social, par le renversement provi-
soire de l'ordre social et la promotion de l'espace carnavalesque,
d'inspiration subversive et populaire, dont Rabelais et le carna-
val de Rio demeurent à nos yeux contemporains des illustrations
toujours vivantes ; b) mystique, par l'invitation (après purification)
à communier avec le principe de la divinité, conduisant à la spi-
ritualité et, pour la société grecque antique, au concept d'âme
assorti de la revendication d'éternité ; c) thérapeutique, connexe
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de la précédente, car la pratique de sessions de transe dans un
cadre collectif bien tenu peut provoquer des remaniements psy-
chologiques importants.
Avec Aristote et sa théorie médico-philosophique de la purge, 6 - On notera toutefois que la
de la dépuration émotionnelle, ou catharsis (purification), l'orgie pratique de transe sous
produits durs commence
pulsionnelle a cédé la place à la scène, aux mécanismes de souvent par une sévère
l'identification et à la représentation (6). Nous voici dans l'espace dépuration. Tout se retrouve.
politique de la cité, de la philosophie, sur les marges de ce qu'on La catharsis est d'ordre
initiatique. Il se trouve que la
n'appelait pas alors philosophie clinique, car la philosophie psychothérapie relationnelle
constituant une pratique par là même revêtait cette dimension aussi. Quelle coïncidence !
que nous appelons clinique. L'effet de purge, métaphore médi- 7 - Le fameux Effet V,
cale, conjoint à l'effet de distanciation, le fameux distanciation.
Verfremdungeffekt (7) de Brecht, fournira une théorie rendant
8 - Les pièces d'Euripide
compte du vif intérêt des athéniens pour l'opéra (8). Nous retrou- étaient des œuvres musicales,
verons cette théorisation au XVIIème siècle français, et c'est là des sortes d'opéras. La
que Freud est allé la chercher au moment de ses Études sur musique fournit une valeur
ajoutée émotionnelle
l'hystérie. considérable au spectacle
Aristote en fait propose une théorie de la prévention. Ou, pour antique.
utiliser une métaphore médicale qui n'a aucun sens à l'époque,
une théorie de la vaccination. En m'identifiant à distance res-

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Régression, décharge émotionnelle, catharsis

pectueuse, en me sentant solidaire sans être directement acteur,


c'est sans pâtir de l'excès (hybris) que j'éprouve ce qu'éprouvent
les personnages que ravage le jeu des pulsions (passions, dans
la terminologie de l'époque). Ayant ainsi fait l'économie de l'ex-
périence directe d'un destin effrayant, libéré par voie de déchar-
ge du trop plein d'affect suscité par le spectacle, me voici rééqui-
libré comme si j'avais pris un psychotrope purgatif émotionnel.
En définitive, c'est la peur (qu'il m'arrive pareil) et la pitié pour
le héros aux prises avec un destin tragique, qui agissent, pro-
duisant une « certaine catharsis et un soulagement accompagné
de plaisir ». Le plaisir au théâtre provient du soulagement produit
par la détente succédant à la décharge. On dirait du Reich.
Mais du Reich apollinisé : peur et pitié une fois épurées,
9 - « Je ne sais pas pourquoi cathartiquement, on passe par épuration (décharge) de
je pleure », déclare une
Dyonisos, lieu du déchirement tragique, à Apollon : moment de
étrangère en entendant parler
d'exil dans un groupe. Quand la réconciliation et de l'harmonie.
je lui fournis les clés, elle se C'est sur de telles bases que je m'appuierai pour définir la
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met à comprendre. Elle aurait
pu n'accéder à cette
décharge 2, ou catharsis, comme comportant le moment de l'en-
conscience que plus tard. gendrement de sens, livré plus ou moins consciemment (9) au
Processus mis en route, mon cours de ou à l'issue du processus de décharge. Si comme l'ex-
interprétation l'a propulsé.
priment très bien les De Mijolla (10), « dans l'affect quelque chose
10 - A. et S. De Mijolla et al, se perd en se dépensant », avec la catharsis je me dépense
Psychananalyse, Paris, PUF, donc je pense, la décharge émotionnelle libère de la capacité
1996.- p. 170 et suivantes.
d'élaboration, il s'agit d'un mécanisme détraumatisant.
Ce qui distingue à mes yeux ce processus de celui habituelle-
ment nommé abréaction, dont contrairement à la tradition psy-
chanalytique, je ne ferai pas le synonyme de catharsis. Ce qui
introduit une nouvelle diversification. J'appelle abréaction la
décharge émotionnelle qui ne provoque pas de prise de
conscience (même inconsciente ? comment en être sûr ? pour-
tant il semble bien qu'il y ait des explosions émotionnelles
sèches), et ne semble pas influer sur le processus psychothéra-
pique, à preuve qu'elle peut se répéter mécaniquement indéfini-
ment sans apparemment de profit pour l'intéressé. Bourrasque
pulsionnelle sans produit, elle peut constituer un système d'évi-
tement, se voir barrer sans plus, ou encore cultiver par des psy-
chothérapeutes rustiques lâchant répétitivement la proie pour

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l'ombre. Décharge-3.
Pour compléter le tableau, je distinguerai encore la dramatisa-
tion, ou pseudo décharge, consistant à (se) donner le spectacle
d'une démonstration émotionnelle, dans laquelle le spectaculai-
re (faire son cinéma) prend la place de l'authentique éprouvé
émotionnel ; je me risquerais à parler dans ce cas d'une sorte de
faux-self émotionnel, et d'étalage de sentiments bidons. Fausse
décharge, ou décharge-4.
Je viens d'introduire le terme de sentiment. Ceux-ci constituent
des réalités d'une tout autre espèce : psychiquement stables.
Nous sommes là très proches de W. James, ce sont les entités
affectives qui prennent le relais des émotions une fois celles-ci
passées, et partiellement déchargées (1 ou 2). Les sentiments
définissent notre orientation psychique vis-à-vis des personnes
(ou toute autre entité) envers lesquelles nous ressentons
quelque chose. Durablement. Les sentiments, c'est du reliquat
émotionnel sédimenté, réactivable psychocorporellement.
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Redécomposable en émotions, lesquelles pourraient se dis-
soudre en décharge émotionnelle (2), la seule productive à nos
yeux, même très longtemps après sa constitution, sa mise en
conserve en sentiments. On peut même pousser le bouchon
d'un cran : les sentiments servant de base à la constitution du
caractère, on peut imaginer une stratégie psychothérapeutique
consistant à enclencher le processus régrédient du trait de
caractère aux sentiments constitutifs puis aux émotions sous-
jacentes, lesquelles se résoudraient en sens pour le sujet,
venant s'intégrer enfin à sa fonction personnalité, faire intelligi-
blement pour lui partie de son histoire.
Un exemple simplifié : un des traits de caractère de Pablo est
l'amertume. C'est à force d'« avoir la haine » — sentiment (du
registre du rejet, relevant de l'émotion relative à la fonction
d'évacuation) couplé à celui d'impuissance (renonciation à la
colère, pour faire simple). Le processus psychothérapeutique
pourra conduire à saisir, au cours du déroulement des séances,
le surgissement des réalités émotionnelles afférentes, selon le
déroulement du processus psychothérapique, dans le cadre de
la relation, le caractère en venant à se décomposer partiellement

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Régression, décharge émotionnelle, catharsis

en sentiments, s'investissant dans la relation, à lâcher des « ions


11 - Repasser aux émotionnels », navigant entre Pablo et son psychothérapeute
composants : on n'est pas loin (qu'ils percutent, ce qui ne va pas sans répercussions).
du concept freudien d'analyse,
mais sur le registre sensible, Je disais plus haut que l'émotion relève par définition de l'ordre
qu'il dirait de l'affect. de l'ici-maintenant. Que des émotions compactées en senti-
ments puissent se redécomposer (11) en émotions, les corrèle à
12 - C'est le moment où,
selon la juste expression de la régression temporelle. C'est bien ici et maintenant que s'opè-
Moreau, on commence à y re la dégradation du sentiment en composants émotionnels,
voir clair. Cf. André Moreau,
dont le dégagement s'énergétise en moi en libération émotion-
Gestalt, prolongement de la
psychanalyse, Louvain nelle, dans le cadre de la relation psychothérapique, du transfert
La Neuve Cabay, 1983, 179 p. et du processus en cours. Ces éléments libérant leur énergie
ramènent à la conscience des représentations, des instants de
13 - Consciemment ou non, la
question n'est pas là. prise de conscience (12) jusque-là empêchés, on pourrait dire des
Par ailleurs lorsque je parle noyaux d'affaires inachevées, pris dans la gélatine ayant durci,
d'évaluation sensible du
contexte, je semble omettre les
d'un événement émotionnel pénible (contexte évalué (13) comme
épisodes traumatiques, où la nociceptif), engendrant par la suite sa répétition à l'infini, à la
fonction, submergée, court- recherche aveugle d'une issue (14).
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circuitée, n'opère pas.
La sidération pourrait se Dans tous les cas le terme de régression n'est ni simple ni
comprendre à partir du pôle innocent. Se pose à propos de ce concept la question de son
Stop. Sur ce sujet on pourra contenu idéologique implicite. La personne au travail psychothé-
se référer à A. Didier-Weill, Les
trois temps de la loi, rapique ou bien retrouve sa capacité d'expression et de déchar-
Paris, Seuil, 359 p. ge émotionnelle, sa flexibilité psychique : régression bénigne, ou
bien tombe dans l'ornière d'une manipulation émotionnelle, soit
14 - Il convient toutefois de ne
pas négliger le cas où la d'elle-même soit du contexte (le psychothérapeute en face), soit
symbolisation consciente ne des deux à la fois, par quoi elle marque qu'elle est prisonnière
s'effectuerait pas, le processus
d'un événement ancien qui se rejoue sans qu'elle puisse s'en
aboutissant cependant…
délivrer : régression maligne. Dans le premier cas, la connota-
tion négative du terme régression : recours à des registres psy-
chiques antérieurs, réputés primaires ou primitifs comme on
voudra, véhicule, qu'on le veuille ou non, une sorte d'idéologie
du progrès, pour le coup primaire, qui voudrait que l'adulte soit
nettement situé dans une échelle des valeurs qui reste à exami-
ner, au-dessus de l'infantile. Dans le second cas, on pourrait dire
qu'au cours du processus psychothérapique les protagonistes
ont contacté une zone à travailler, dont le côté inadapté mani-
feste permet qu'on s'en saisisse. Alors la connotation négative
tend à englober le terme régression dans son ensemble, discré-

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Philippe Grauer

ditant la précieuse et souvent indispensable dimension émotion-


nelle et corporelle du travail. Et si l'on prend au sérieux cette
dimension émotionnelle, on risque de se faire traiter d'humanis-
te naïf, de psychothérapeute à courte vue, bref d'imbécile qui
regarde le doigt du sage montrant la lune de l'élaboration.
Naturellement, il serait erroné de réduire les émotions aux
pénibles. Dans le cadre théorique que j'évoque ici, la moitié
exactement joue sur le registre positif, de nature agréable,
engendre du plaisir, donne naissance à des sentiments dont il
n'y a pas lieu ordinairement de se plaindre. Encore que les
meilleures choses ayant une fin, et les contraintes existentielles
étant ce qu'elles sont, elles comportent à la clé elles-mêmes une
certaine quantité d'angoisse, et que d'autre part, si le trop plein
émotionnel positif ne trouve pas à partir en danse et autres
motions (ré)créatives, de nouveaux problèmes vont se présen-
ter. Ne le mentionnons que pour mémoire.
En fait, la capacité à se décharger émotionnellement (sur tous
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les registres) est en place dès la naissance, et contribue gran-
dement à l'évolution psychologique du nourrisson puis de l'en-
fant. Il est à peine nécessaire de rappeler sa dimension relation-
nelle et son fonctionnement comme mécanisme régulateur et
réparateur, son rôle essentiel dans la relation mère-enfant.
On sait par ailleurs que la décharge émotionnelle est sociali-
sée, et que la fonction père promeut des mécanismes de maîtri-
se pratiquement dès la naissance (j'ai vu un père chercher de
bonne foi à éteindre à la naissance, c'est le moment de le dire,
la colère de sa fille née depuis une heure), avec là comme en
matière de maîtrise des sphincters et autres muscles non myéli-
nisés à la naissance, des questions de calendrier de maturation
qu'il serait utile aux parents de connaître, et surtout des ques-
tions de tolérance de la catharsis dépendant de la façon dont les
parents eux-mêmes ont été acculturés dans ce domaine.
Viendraient aussi en ligne de compte les représentations que
l'on se fait communément de la décharge émotionnelle. Autant
elle est recherchée, au titre de la catharsis classique, liée à l'es-
pace de l'art et du « moment d'émotion », autant on s'imagine
par exemple qu'il faut arrêter au plus vite les pleurs d'un enfant,

Revue Gestalt - N° 23 - De la régression 77


Régression, décharge émotionnelle, catharsis

puisque aussi bien ainsi on s'imagine interrompre la peine que


les pleurs sont précisément en train d'évacuer et cicatriser. Cette
socialisation tient compte de la différence des sexes, de la diffé-
rence des fonctions maternelle et paternelle, et des traits des dif-
férentes cultures. D'innombrables abus et ignorances dans la
sphère de la vie émotionnelle précipitent dans nos cabinets et
services quantité de personnes qui nécessitent dans ce domai-
ne comme dans d'autres quelque reprise, à quoi nous nous
employons à leur permettre de s'employer.
Il fut d'ailleurs un temps, où la recherche de la guérison émo-
tionnelle par une pratique devenue excessive de la soufflerie
déchargeatoire (et par confusion entre les quatre types définis
15 - Cf. l'intéressant ouvrage plus haut), travaillée de façon à la fois expressionniste et idéolo-
éponyme de Jérôme Liss, gique, à l'enseigne d'un Libérez vos émotions (15) d'inspiration
Débloquez vos émotions,
Tchou 1974, 309 p. libertaire, ne fut pas toujours en mesure de permettre aux
patients qui y recoururent, de se dégager comme ils auraient pu
le souhaiter de leurs difficultés. Devenue panacée, la thérapie
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émotionnelle outrepasse comme toutes les méthodes tombant
dans cette prétention, ses limites de crédibilité.
Qu'il nous suffise ici de déterminer les conditions nécessaires
et suffisantes au déploiement de la décharge émotionnelle en
cours de séance.
16 - Il n'existe pas de terme
réellement satisfaisant pour
désigner dans notre langue le
protagoniste du processus
psychothérapique. Je ne me PILOTAGE DE LA LIBÉRATION ÉMOTIONNELLE
satisfais pas de l'appellation
de client, aux connotations
irrémédiablement Pour que celle-ci se produise et produise de bons fruits, à
commerciales, car en dehors
savoir soulager de tensions emmagasinées de longue date, qui
du commerce des hommes
dont parle si bien Rousseau, incapacitent celui qui en est le siège, et lui permettre de récupé-
pour désigner la relation, le rer sa liberté de vivre et comprendre sa vie dans le domaine
commerce me semble
totalement étranger à ma
considéré, il faut et il suffit que se trouvent réunies les conditions
pratique. Les patients de la suivantes.
médecine ne me vont pas
beaucoup mieux, car je
n'administre pas de soin Se trouver suffisamment en sécurité. Le cadre psychothéra-
aux gens, ils viennent auprès pique devrait y pourvoir, si l'on est parvenu à l'établir et le faire
de moi prendre soin fonctionner avec ce patient-là (16). Attention, un patient peut
d'eux-mêmes.

78 Revue Gestalt - N° 23 - Décembre 2002


Philippe Grauer

éprouver enfin son sentiment d'insécurité, du fait qu'il se trouve


(suite de la note 16).
et sent en sécurité pour le faire. Vous devrez veiller là-dessus, Profession de santé non
lui, est déjà suffisamment occupé comme ça par ce qu'il est en médicale, la psychothérapie
train d'éprouver en votre compagnie. accueille des personnes qui
ont entrepris une démarche.
Disposer de l'attention disponible d'au moins une personne, Difficile de les appeler des
focalisée sur soi. Attention, l'effet amplificateur de l'attention d'un démarcheurs, risquant un
groupe tout entier peut mettre la personne en insécurité. contresens encore plus grave.
C'est le moment de le dire :
Lorsqu'on pleure seul, par exemple, cela peut s'effectuer aussi « que faire docteur ? » En
sous le regard de soi-même occupant par dissociation le poste attendant je dis patients,
de l'autre. Le système peut se trouver faussé, du fait que comme moindre mal, qui
présente l'intérêt de me
l'« autre » interne peut mal occuper le poste d'autre (par rapprocher de mes confrères
exemple en dérapant sur le registre de la dramatisation). psychiatres, psychologues,
psychanalystes.
Que l'intérêt et l'attention disponible que porte cette autre per-
sonne témoin de sa souffrance à celui qui se décharge (et non à
ses malheurs proprement dits), dans le cadre de la relation en
cours, offrent suffisamment de sécurité pour faire contrepoids
à la quantité de détresse prête à s'exprimer. Ce principe d'un
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partage équilibré de l'attention entre le quantum de malaise psy-
chique et celui de bien-être procuré par la situation psychothé-
rapique présente (suffisamment bonne), peut se jouer sur le cali-
brage relatif des deux quanta : faire varier l'un et l'autre corréla-
tivement, tomber sur le moment d'équivalence, puis surfer sur
l'onde de propagation.
La décharge émotionnelle, pour bien se déployer, requiert que
celui qui en est le témoin en admette le principe et la perti-
nence. Dans ce cas elle autorise implicitement celui qui éprou-
ve le besoin/désir de s'y livrer. Qu'il en connaisse personnelle-
ment l'économie, et puisse en soutenir la délicate conduite, aide-
ra considérablement le candidat à la décharge.
Veiller à assister la personne aux prises avec ses méca-
nismes interrupteurs de décharge. Ceux-ci peuvent être quasi
automatisés. Dès que les conditions sont réalisées, le blocage
anti-décharge acquis souvent dès les premiers mois de la vie, se
met en route. Un très connu : l'interruption diaphragmatique, l'ar-
rêt de respirer anti-sanglots. Il y en a tellement d'autres. Profiter
de la surprise, qui un très bref instant peut avoir pris de court le
mécanisme autobloquant. L'effet d'autorisation et d'entraîne-

Revue Gestalt - N° 23 - De la régression 79


Régression, décharge émotionnelle, catharsis

ment (je ne parle pas de la modélisation, de type surmoïque je


dois me décharger car c'est ce qu'on attend de moi et que tout
le monde fait ici), bien repéré au titre de la contagion émotion-
nelle, parfois peut aider.
Que la quantité, le quantum de détresse, soit proportionnée
à la capacité de décharge. Fixer l'attention du catharsisant sur
des détails appréhendables, lui permettant une représentation
suffisamment distanciée. Déterminer la distance juste.
Distance trop grande, pas assez d'affect, trop courte, suffocation
affective, pas de décharge, ou sa cessation.
Une décharge émotionnelle bien conduite est fluide et vivan-
te. Dans la relation elle ne donne pas à éprouver de sentiment
de malaise à celui qui se trouve pris à témoin. Elle n'est jamais
dangereuse (ni pour soi ni pour l'autre ni pour l'environnement)
ni répétitive et mécanique (dramatisation : crier sur quelqu'un n'a
rien à voir avec éprouver une montée d'indignation). Parler de
façon vivante et sensible constitue une décharge émotionnelle
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parfaite. Celle-ci n'est pas toujours, loin de là, spectaculaire.
Rigidifiée en dramatisation, la décharge émotionnelle ne sou-
lage pas, ne libère pas celui qui s'y livre. On peut l'assimiler à
une régression maligne. Elle peut même approfondir l'état de
détresse. Il convient de faire passer le dramatiseur sur le registre
vivant de la décharge (allègement émotionnel, humour,
déflexion ; ni contre-dramatisation ni complicité). Une caricature
connue de la colère consiste à gueuler sur quelqu'un, comme on
l'a vu faire, comme un père perdu répète sur ses enfants les
criailleries impuissantes de sa propre mère en panne de bonne
autorité. Autre exemple, le larmoiement agressif. Il n'existe pas
de liste exhaustive, la névrose étant très créative dans ce domai-
ne. Le caractère répétitif et monotone de telles performances
toutefois saute aux yeux et aux oreilles. Il n'est évidemment
jamais question d'épingler la personne en train de dramatiser.
C'est le moment d'être astucieux, et éventuellement de se
contenter de décrocher.

Sur un registre voisin, l'abréaction constitue une bouffée


déconnectée qui ne contribue pas au travail psychothérapique.

80 Revue Gestalt - N° 23 - Décembre 2002


Philippe Grauer

Sa violence sans prise de conscience est aussi spectaculaire


que stérile. Elle peut se répéter, en pure perte. Il y a lieu de l'in-
terrompre.
Dans les deux cas de pseudo ou simili décharge, dramatisa-
tion, abréaction, on pourrait parler de régression maligne.
L'interrompre, la défléchir, pour faire place à la bénigne.
Éducation émotionnelle. Les parents puis la société appren-
nent à l'enfant selon son sexe à interrompre sa décharge émo-
tionnelle. Cette acculturation du mécanisme émotionnel est utile
dans le processus de socialisation. Elle rend la personne libre de
déterminer les moments propices à la décharge, ou contre-indi-
qués, vu le contexte et la qualité de la relation. Les mécanismes
d'interruption, en particulier respiratoires, mis en œuvre pour blo-
quer ou masquer la décharge émotionnelle peuvent devenir
automatiques et inconscients. Dans ce cas ils peuvent finir par
interdire l'accès à la prise de conscience émotionnelle (17), ce qui
représente une importante perte de liberté.
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En cas de verrouillage du mécanisme émotionnel, déterminer
les voies de dégagement, qui rendent à nouveau possible l'ac- 17 - Awareness pour les
cès à la décharge. Ne jamais craindre d'en faire trop peu. Il s'agi- anglo-saxons et ceux qui ont
perdu l'usage du français.
ra pour le psychothérapeute de finesse, et de mobiliser son
intelligence clinique.
En particulier, les demandes techniques du style “ aujourd'hui
j'aimerais travailler ma peur du loup ”, constituent des artéfacts
de la psychologie humaniste, bien propres à embarquer le psy-
chothérapeute débutant dans des opérations douteuses. Les
travailleurs de force de la régression se sont mis depuis, on peut
l’espérer, à veiller à leurs dosages, s'agissant d'un domaine
complexe et subtil, qui relève ne l'oublions pas du domaine de
l'art.

Revue Gestalt - N° 23 - De la régression 81


Régression, décharge émotionnelle, catharsis

POUR CONCLURE

La décharge émotionnelle relève d'un registre primaire, il s'agit


d'une capacité installée à la naissance, déterminante dans le
processus de croissance, d'un mécanisme régulateur des ten-
sions, détraumatisant, producteur de sens.
Ne plus pouvoir y recourir représente une perte handicapante
pour la santé psychique et la santé tout court (danger de psy-
chosomatisation, la tension émotionnelle cherchant alors
d'autres voies de dégagement, organiques).
Au cours du processus psychothérapique, la capacité de libé-
ration émotionnelle a tendance à chercher à se restaurer, pour-
vu que le praticien soit capable de constituer un interlocuteur
convenable, ce qui permet en fin de compte l'élaboration, dans
le cadre du transfert et de la relation.
Chaque système psychothérapique régit la question des émo-
tions selon sa méthodologie et sa théorie. Celui de la Gestalt-
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thérapie se fonde sur le principe de la relation dialogale et de la
responsabilité du sujet thérapisant. Dans ce cadre, il y aura lieu
d'être attentif à l'état du continuum émotionnel toujours sous-
jacent (des deux côtés naturellement) au cours de la séance.
Il est paradoxal de considérer comme régression, même
bénigne, connoté qu'on le veuille ou non, comme recours à des
mécanismes primitifs, le fait de pleurer, rire, tempêter, etc, c'est-
à-dire de jouir de toutes ses facultés émotionnelles, acquises à
la naissance certes, mais indispensables à la vie psychique jus-
qu'à la mort (voir après, à en croire le rire des anges de Reims
et celui des dieux grecs). Le terme régression appliqué à une
décharge émotionnelle bien conduite, dans le cadre du proces-
sus psychothérapique, peut être compris sans la moindre trace
de péjoration. Pleurer comme un enfant ou rire comme un dieu,
par le biais d'un mécanisme hautement adaptatif, un beau
moyen d'accéder au sens et d'advenir comme sujet.

82 Revue Gestalt - N° 23 - Décembre 2002


Philippe Grauer

Résumé

Si l'on croise l'espèce de théorie générale néodarwinienne


des émotions issue des travaux de Plutchik, avec une théo-
rie de la décharge émotionnelle postreichienne aux cou-
leurs d'une phénoménologie imprégnée par ailleurs de pen-
sée psychanalytique, on aboutit à une méthodologie de la
catharsis comme moyen de conduire en finesse le proces-
sus psychothérapique vers une élaboration du sens et
l'avènement du sujet.
Le psychothérapeute gestaltiste pourra trouver dans cette
réflexion clinique une source d'inspiration conforme à ses
principes.
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BIBLIOGRAPHIE
ARNOLD, Magda B. : Feelings and Emotions, Academic Press, NY,
1970, 339 p.
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FOURCADE Jean-Michel : Les patients-limites, Paris, Desclée de
Brouwer, 1997, 327 p.
LEFÈBVRE Yves, et al [SNPPsy] : Profession psychothérapeute,
Paris, 1996, Bu-chet-Chastel.
PAGÈS Max : Trace ou sens, le système émotionnel, 1986, Hommes
et groupes, Paris, 217 p.
PAGÈS Max : Psychothérapie et complexité, Paris, Epi, 1993, 316 p.
PLUTCHIK, Robert : The Emotions, University Press of America, 1991,
216 p.
The Psychology and Biology of Emotion, Harper Collins College
Publishers, 1994, 396 p.
ed, Emotion, Theory, Research and Experience, Academic Press, NY,
1980, 2 t.
SARTRE Jean-Paul : Esquisse d'une théorie des émotions, Paris,
Hermann, 1960, 66 p.

Revue Gestalt - N° 23 - De la régression 83

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