Alethéia

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DÉVOILEMENT ET VÉRITÉ

Patrick Colin

Collège européen de Gestalt-thérapie | « Cahiers de Gestalt-thérapie »

2014/1 N° 32 | pages 116 à 122


ISSN 1277-6874
ISBN 9782913706590
DOI 10.3917/cges.032.0116
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie-2014-1-page-116.htm
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Hors dossier

Dévoilement et vérité
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RÉSUMÉ

Ce texte est à l’origine une conférence faite en Ukraine en octobre 2013, il


met en lien les notions de dévoilement du thérapeute et de vérité, vérité de
la chose ou vérité du sujet ?
Le choix existentiel concerne-t-il le qui ou le quoi ?

Voilà bien deux mots aux connotations fort lourdes mis côte à côte.
Le premier : « Dévoilement » n’est pas sans évoquer les voiles d’Isis,
la nature voilée qui ne se montre jamais à nu comme le disait si bien
Héraclite : « Phusis kruptesthei philei » traduit habituellement par « la
nature aime à se cacher ».
Ce dévoilement renvoie aussi au mot grec pour dire justement la
vérité et qui est : Alethéia, traduit par Heidegger notamment par
dévoilement/effacement de l’oubli.
Voilà donc le lien, dévoilement et vérité seraient donc presque
synonymes.
Avant que d’expliciter tout cela, c’est-à-dire comment la vérité est
dévoilement, ou comment le dévoilement fait effet de vérité, juste une
mise au point.
Pourquoi est-ce que je parle de cela ? Quel lien avec ce qui nous
occupe, c’est-à-dire la Gestalt-thérapie ?
J’imagine que le premier terme, celui de dévoilement, est un terme
que vous avez souvent rencontré et entendu lors de votre formation. Je
pourrais dire que le dévoilement du thérapeute est l’élément de base Patrick COLIN
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de notre pratique. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est vraiment ce


dévoilement et en quoi est-il si important dans notre pratique. Car ce
dévoilement est loin de faire l’unanimité dans le monde psy.
Pour ce qui est du deuxième terme, celui de vérité, on pourrait dire
qu’il concerne un peu toutes les démarches thérapeutiques dans le sens
que pour la plupart leur but est bien de faire accéder la personne à
quelque chose que l’on pourrait nommer comme sa vérité, reste à
savoir si cette vérité est un quelque chose qui pré-existe, genre le moi
véritable et qu’il s’agit d’exhumer des profondeurs de la psyché ou si
cette vérité est un acte, un événement qui se construit à chaque instant
et rend le sujet qui l’énonce « vrai » (faire advenir à la Vérité avec un
grand V concerne davantage les religions et autres gourous.)
Accéder à la vérité, donc à ce qui est vrai, est donc lié à accéder à la
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réalité ou à ce qui fait réalité pour quelqu’un.
Revenons d’abord aux origines de ces termes, origine grecque cela
va de soi.
La vérité est un thème majeur de la philosophie mais je pourrais
dire aussi un thème majeur de notre existence à chacun. Savoir ce qui
est vrai, ce qu’est la réalité nous interroge tout au long de notre vie,
savoir aussi ce que, ce qui, nous sommes vraiment, voilà aussi un thème
qui nous occupe et qui amène certaines personnes à venir nous rencon-
trer pour les aider à cette tâche.
Mais voilà, la vérité est-elle quelque chose, une « adequatio intellec-
tus et res » adéquation entre la chose et la pensée, ou est-elle un qui,
une intensité, une forme de présence à ?
La vérité est-elle la concordance entre la chose et l’idée que j’en ai,
ce qui en est la définition la plus courante et la base des sciences de la
nature, ou bien la vérité est-elle dévoilement, apparition simultanée de
la vérité de la chose et du sujet ?
Dans le monde grec les deux définitions co-existent, on pourrait
dire que la première, l’adequatio, va s’appliquer aux sciences de la
nature, aux mathématiques, là quelque chose peut être dit vrai ou
faux. En revanche, pour ce qui concerne l’humain, ce que nous appelle-
rions aujourd’hui les sciences humaines, ce sera la deuxième définition
qui prévaudra, c’est-à-dire que ce qui est vrai c’est ce qui fera effet de
vérité. Là le focus est dirigé vers le sujet, vers le qui, c’est le qui qui
devient sujet de vérité, le quoi est ici secondaire et relatif.
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Pour résumer il y aurait deux manières de concevoir la vérité selon


qu’elle s’attache au monde des choses, ou qu’elle s’attache au monde
du sujet, du qui.
Ainsi en est-il de nos lointains ancêtres, les sophistes, qui se faisaient
payer au grand dam de Socrate, pour aider les gens à advenir à leur
vérité, et cette vérité n’était pas quelque chose qui aurait été caché et
qu’il faudrait mettre à jour, non, cette vérité est une manière de se
dire, une manière pour le sujet d’y être, d’habiter une situation. Dire
qui je deviens en nommant du même coup la situation que je vis, qui
me constitue et que je constitue en retour, cela est à la fois vérité et
dévoilement.
Chez les Grecs cela s’appelait la Parrhésia, le dire vrai. Et que faisait
le philosophe pour aider son patient à advenir à cette vérité qui n’est
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pas une chose mais je dirais une intensité de présence aux choses, et
bien il disait le vrai, c’est-à-dire ce qui faisait vérité pour lui dans la
relation à cet homme qui était venu le consulter et ce faisant, il
l’invitait à en faire de même.
La vérité, c’était et c’est toujours cela : être pleinement présent à ce
qui est là et dont je suis le lieu de manifestation.
C’est sans doute pour cela que parfois les textes grecs semblent se
contredire, c’est que l’important était l’effet produit. De ce point de
vue Nietzsche était sans doute le dernier Grec.
Au niveau de la thérapie tout cela ouvre vers quoi ?
1- Que la vérité n’est pas, bien sûr, à chercher dans le contenu du
discours du patient, elle n’est pas un quelque chose, nous ne sommes
pas des policiers, nous ne nous occupons pas des quoi.
2- Que donc la question est bien le qui, le sujet, ou l’existant selon
les références. C’est-à-dire qu’être sujet, être un existant n’est pas
superposable au fait d’être vivant. Le fait de naître suffit à me rendre
vivant, pour cela je n’ai rien à faire. Par contre pour être capable de
vérité, c’est-à-dire être capable de présence, d’être le lieu de la
présence, pour cela j’ai quelque chose à faire. C’est ce que les anciens
avaient bien compris, dans le sens où les sociétés à mystères, initia-
tiques, avaient bien pour but d’aider le postulant à cela, à devenir
vraiment humain (ethos = éthique = habiter). Ce n’est que vers le
XVIIe siècle environ, avec Descartes, que le modèle des sciences de la
nature, donc le modèle de l’adequatio a pris le dessus, que le qui s’est

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effacé au profit du quoi (capitalisme, consommation, technique,


gestion) et donc que la question de l’humain comme devenir s’est
estompée dans la présence accablante de la chose. Curieusement c’est
la psychanalyse, avec Freud, qui a remis au goût du jour cette vieille
idée, un peu modifiée, qu’il faut faire un travail sur soi pour être
capable de quoi ? Chez Freud ce n’est pas très clair, d’un peu plus de
sagesse sans doute… et de tristesse !
3- Que cette vérité du sujet que nous cherchons, c’est-à-dire ce
sentiment intense d’y être, donc de ne pas/plus subir sa vie avec tous les
désordres que cela induit, cette vérité nous pouvons l’atteindre là dans
l’espace thérapeutique quand le thérapeute lui-même fait l’expérience
de cette présence à la situation ouverte par la rencontre.
C’est à cet endroit que nous retrouvons le dévoilement. Le dévoile-
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ment c’est donc partager avec son patient ce qu’il en est de nous,
c’est-à-dire qui nous nous surprenons à devenir à l’occasion de cette
rencontre (s’apparaître à l’occasion d’un autre comme le dit si bien
Jean-Marie Robine). C’est donc d’une certaine manière éclairer la situa-
tion et l’expérience en cours, la laisser apparaître et ce faisant apparaî-
tre à son tour (organisme/environnement, moi/monde).
Le dévoilement ne concerne donc pas le fait de raconter sa vie à son
patient, ses vacances, sa vie amoureuse et je ne sais quoi d’autre. Se
dévoiler ce n’est pas se raconter. Maintenant ce type de dévoilement
peut avoir sa pertinence, quand quelque chose qui affecte le théra-
peute dans le présent (deuil, rupture, maladie etc...) est palpable dans
la relation. De mon point de vue il est important que le thérapeute le
partage avec son patient. Nous ne sommes pas des héros, ni des êtres
désincarnés. Nous sommes là au service de nos patients avec notre
humanité.
Le secret, le mystère, ne sont souvent là que pour créer une position
d’autorité et de pouvoir du thérapeute. Cela concerne aussi un autre
type de dévoilement qui est celui du processus de la thérapie elle-
même. Je pense aussi que le thérapeute peut partager ses hypothèses
quant au travail qui s’accomplit, ses hypothèses, ses doutes, la manière
dont il comprend ce qui se passe dans la thérapie. Bien entendu cela
n’est pas systématique, mais que le patient se sente co-dirigeant de sa
thérapie est important et cohérent avec la vision gestaltiste de la théra-
pie.

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Je dirais que ces deux types de dévoilement sont annexes par


rapport au dévoilement de ce qui se passe dans l’ici maintenant de la
séance, car c’est dans ce dévoilement qu’apparaît ce dont il est vraiment
question dans la relation, ce qui est en jeu.
Rendre compte de la manière dont je suis affecté par la situation
présente, dans quelle atmosphère je me trouve (l’ambiance), contribue
à éclairer la situation dans laquelle nous sommes, situation qui nous
affecte et que nous constituons en retour. C’est en fait la situation qui
se dévoile et la manière que nous avons l’un et l’autre d’y être, de
l’habiter.
C’est cela que nous pourrions nommer la vérité de la situation, c’est-
à-dire ce dans quoi nous sommes déjà engagés sans souvent en être
conscients, et ce qui fait de nous des êtres de vérité, où nous contactons
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ce sentiment si intense d’être pleinement présents, c’est de se choisir,
de s’approprier ce qui je suis à cette occasion et ainsi transformer la
passibilité en possibilité.
Ces deux termes que j’emprunte au philosophe Henri Maldiney,
résument mon propos.
En tant qu’humain je suis passible, c’est-à-dire qu’il m’arrive des
événements, des sensations, des sentiments, des émotions. Cela, je ne
le choisis pas, cela m’arrive, et, sous peine de me retrouver dans une
position de subir ma vie, je suis bien convoqué à transformer cette
passibilité en possibilités d’existence, c’est cela « y être ». Quand je ne
peux plus transformer cette passibilité, alors je subis ma vie, je ne l’ex-
iste plus, je ne l’habite plus, je suis assigné. La question est bien de
rendre à nos patients cette capacité de possibilisation, de s’approprier
dans la situation et de là exister et c’est dans le cadre même de la scène
thérapeutique que cela se joue.
J’espère vous avoir montré rapidement le sens et l’intérêt du dévoi-
lement du thérapeute et de la situation dans le cadre de la thérapie et
de quel horizon philosophique cette notion nous parvient.

Patrick COLIN
Gestalt-analyste
Formateur, superviseur

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BIBLIOGRAPHIE

Michel Foucault « L’herméneutique du sujet », Cours au collège de France


1981/1982, édition Gallimard Seuil 2001.
Martin Heidegger « Lettre sur l’humanisme » in Question 3 et 4 édition Tel
Gallimard 1990
Henri Maldiney « De la transpassibilité » in Penser l’homme et la folie édition
Millon 1991
Jean Baptiste Botul « Métaphysique du mou », Édition Mille et une nuits 2011
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