Vous êtes sur la page 1sur 5

Entre pare-excitation et réparation

Louis Velluet
Dans Le Coq-héron 2005/1 (no 180), pages 55 à 58
Éditions Érès
ISSN 0335-7899
ISBN 2749204062
DOI 10.3917/cohe.180.0055
© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2005-1-page-55.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Érès.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
XP Coq héron 180 24/02/05 10:37 Page 55

L o u i s Ve l l u e t

Entre pare-excitation et réparation

La réflexion que je vais proposer ici est liée à ma double expérience de


l’exercice de la médecine de famille et de la psychanalyse. La première, exer-
cée pendant plus de trente années dans une banlieue populaire près de Paris,
la seconde, acquise parallèlement après quelques années de cheminement
préalable à travers la pratique du groupe Balint.
La découverte du dialogue entre Julien Bigras et Pierre Cazenave et de
« la maladie du nourrisson dans l’adulte », fiction conceptuelle qui en consti-
tue le fil, a été pour moi stimulante dans la mesure où ce qui en était dit entrait
directement en résonance avec ce que m’avait apporté la théorisation balin-
tienne du « défaut fondamental ».
© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)


La question qui m’est venue à l’esprit et que je vais essayer de discuter
très brièvement est celle-ci : est-il possible d’atténuer l’impact des inévitables
complications des traumatismes originaires ? Est-il réaliste de penser que l’on
peut parfois les prévenir, ou n’est-ce qu’un produit de l’illusion de la toute-
puissance que sait si bien entretenir la supposée science médicale ?
J’ai eu la chance de faire partie, au début des années 1970, du groupe de
généralistes-enseignants qui a travaillé à la redéfinition de la médecine géné-
rale à la faculté de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Nos réflexions et nos théo-
risations, qui se déroulaient en liaison avec le groupe de recherche européen,
ont été largement inspirées des travaux entrepris à la Tavistok Clinic à Londres
au cours des années 1950. L’ensemble de ces travaux a permis d’établir des
définitions très précises qui ont été à la base des recommandations transmises
par la Commission de Bruxelles aux différents pays de la Communauté
(Recom. (77) 30 septembre 1977).
Les caractères spécifiques des soins de « premier recours » ou « soins
premiers » (primary care, stupidement traduit en France par « soins pri-
maires ») se définissaient ainsi : la proximité, qui suppose l’accessibilité ; l’as-
pect personnel des soins, qui sous-entend toute la problématique de la distance

55
XP Coq héron 180 24/02/05 10:37 Page 56

Le Coq-Héron 180 et des relations transférentielles ; et enfin, la continuité à travers le temps et les
âges, condition de l’efficacité thérapeutique. Il est apparu rapidement que ces
trois éléments déterminaient la forme prise par le transfert spécifique qui s’éta-
blit dans un nombre considérable de situations en médecine générale.
C’est sur les effets de ce transfert spécifique que Michaël Balint a tra-
vaillé durant des années avec les médecins généralistes. Pour comprendre en
quoi il consiste, il est nécessaire de faire un détour préalable par la théorie
freudienne du « système pare-excitation », la théorisation balintienne du
défaut fondamental s’y rattachera tout naturellement et nous permettra d’en
arriver à l’aspect singulier que nous voudrions mettre en évidence.
En 1920, le système pare-excitation est proposé par Freud comme une
fiction, au début du chapitre 4 d’Au-delà du principe du plaisir. Il y développe
l’idée que notre système perception-conscience se constitue peu à peu comme
un appareil à filtrer les excitations et à les lier à des représentations apaisantes.
Il y a des excitations provenant de l’extérieur, mais il faut tenir compte égale-
ment des mouvements pulsionnels ou émotionnels internes qui ne sont pas
métabolisés dans un premier temps. Cela ne sera possible que par la mise en
jeu du mécanisme de la projection. Elles seront alors prises en compte et « trai-
tées par le système pare-excitation comme venant de l’extérieur ».
La zone du défaut fondamental peut être située au moment même où ce
processus va se mettre en place. C’est la période des premières heures ou des
premiers jours, la zone décrite par Balint comme celle de la relation à deux
personnes où l’une attend tout de l’autre, comme si tout lui était dû, comme si
les besoins de cet autre (l’Autre ?) n’avaient pas à être pris en considération,
comme si on lui demandait simplement « d’être là » et de répondre aux
besoins essentiels de ce qui va peu à peu émerger comme sujet et découvrir ses
objets et son Objet.
Nous savons bien que, dans cette zone, rien ne passe jamais parfaitement
bien. La solidification du système perception-conscience ne s’opère que pro-
gressivement. Durant cette période cruciale, l’entourage parental fera ce qu’il
peut, mais ce que Winnicott définissait de son côté comme holding et hand-
ling est obligatoirement sujet à défaillances.
© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)


Balint émet l’hypothèse que la reviviscence de cette période dans l’ana-
lyse correspond à un moment où toute intervention de l’analyste est vécue
avec une intensité extrême, que ce soit dans le sens de la frustration ou dans
celui de la gratification. Moment évoqué par Pierre Cazenave comme celui où
l’analysant peut « être débordé par un état d’excitation intérieure entravant la
pensée et le rêve ». Moment où le patient montre également un « talent inquié-
tant pour comprendre l’analyste », évoquant ainsi une particularité du transfert
psychotique.
Revécue dans l’analyse, la zone du défaut fondamental est caractérisée
par une très grande angoisse. L’analysant peut exprimer, ou manifester par son
comportement, le besoin désespéré que l’analyste ne fasse pas défaut. Il arrive
aussi que ce désespoir soit silencieux et que l’analyste qui le pressent se
retrouve dans une très grande difficulté.
Ainsi donc, aussi bien la théorisation freudienne que ce qu’a essayé d’ap-
porter Balint renvoient à l’environnement archaïque, aux soins maternels des
tout premiers temps de la vie et à leur capacité d’être à la fois suffisamment
contenants et protecteurs.

56
XP Coq héron 180 24/02/05 10:37 Page 57

Il est facile d’imaginer l’intensité dramatique que revêtent les phéno- Psychisme et cancer
mènes aux premiers temps de l’existence. Si l’entourage fait en quelque
manière défaut, quelque chose manque et manquera toujours ensuite, inévita-
blement. Même si une réponse est donnée à la demande désespérée, elle ris-
quera toujours d’être incomplète ou inappropriée.
Aucun de nous n’est donc exempt des cicatrices que laissent les
défaillances de notre environnement, mais le plus grave est que la blessure
remontant au défaut fondamental affecte nécessairement toute la structure
neurobiologique de l’individu. Les régulations de l’homéostasie pourront en
rester perturbées durant toute l’existence.
Il faut maintenant introduire un troisième terme qui va nous amener à la
conclusion et à tenter de répondre à la question posée au début de ce texte. Il
existe un point commun entre la situation analytique classique et la relation
qui peut se dérouler en médecine de famille, lorsque s’est installé le climat
transférentiel que j’évoquais en premier. Ce point commun est le phénomène
de la régression. C’est en fonction de sa profondeur et de la capacité du pro-
fessionnel de comprendre à quoi il réfère, et comment il peut être utilisé, que
pourraient être envisagés des effets de prévention.
Pourquoi ? Parce que le surgissement de la maladie, quelle que soit sa
forme, est à la fois le moment où la blessure archaïque se rouvre et celui où il
va peut-être devenir possible d’en réparer quelque chose. Dans la mesure où
le patient régressé attribue au thérapeute un supposé savoir et où celui-ci sera
par ailleurs capable de proposer un cadre, d’installer un espace virtuel dans
lequel le patient pourra éprouver un sentiment de sécurité, les conditions
seront réunies pour que la blessure dissimulée ou enkystée jusque-là révèle
son origine et ses caractères. Les excitations internes pourront de ce fait être
projetées à l’extérieur et revenir sous la forme d’excitations traitables par le
système pare-excitation. Le médecin généraliste sera alors susceptible dans le
mouvement du transfert de figurer le système pare-excitation auxiliaire indis-
pensable, l’instance qui vient s’interposer entre le sujet et les forces incontrô-
lées potentiellement déstructurantes.
Formulée différemment, l’hypothèse serait que la sensibilité particulière
© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)


aux agressions et les processus psychosomatiques favorisant les diverses
pathologies pourraient être interprétés comme des plaintes émanant de la zone
du défaut fondamental, des appels suscités par la blessure originelle et remon-
tant des profondeurs, plaintes et appels auxquels il serait vital de répondre. Ce
serait là reprendre la première intuition de Pierre Cazenave en l’étendant à
tous les processus morbides non traumatiques.
Pouvons-nous avancer des arguments en faveur de cette hypothèse ?
Nous savons qu’un des points qui ont particulièrement frappé Balint dans son
travail au long cours avec les généralistes a été la modification des pathologies
présentées au praticien, dès lors que celui-ci avait pu mettre en place un suivi
d’une qualité particulière, appuyé sur le travail du groupe de recherche.
De cette qualité de la formation, du perfectionnement continu de l’écoute,
dépendraient donc largement des modifications positives dans l’évolution de
beaucoup d’affections, y compris celles dont la malignité continue de susciter
des mouvements de prise de distance chez beaucoup de thérapeutes.
Sans doute reste-t-il énormément à faire pour apporter des preuves expé-
rimentales dans un domaine où, comme l’a rappelé Freud, si « la causalité

57
XP Coq héron 180 24/02/05 10:37 Page 58

Le Coq-Héron 180 dans la direction de l’analyse peut chaque fois être sûrement connue, sa pré-
diction dans la direction de la synthèse est impossible », car « nous ne savons
jamais d’avance lesquels des facteurs déterminants se montreront les plus
faibles ou les plus forts 1 ».
Si cette dimension énergétique de la clinique est à prendre en considéra-
tion, ce n’est certes pas une raison pour cesser d’observer avec attention les
changements qu’une relation thérapeutique éclairée par les hypothèses propo-
sées par la psychanalyse nous montre chaque jour. Ce n’est pas non plus une
1. « Psychogenèse d’un cas raison pour renoncer à mettre en place, chaque fois que cela est possible, dans
d’homosexualité féminine », nos facultés, la formation psychologique adaptée, destinée à donner à nos
dans Névrose, psychose et
perversion, Paris, PUF, 1973,
futurs généralistes un instrument de travail adapté à l’importance du rôle pro-
p. 266. tecteur qu’ils devraient toujours pouvoir jouer au sein de la population.
© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

© Érès | Téléchargé le 09/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.1.232.70)

58

Vous aimerez peut-être aussi