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Dominique Simonney
Dans Essaim 2013/1 (n° 30), pages 47 à 58
Éditions Érès
ISSN 1287-258X
ISBN 9782749237350
DOI 10.3917/ess.030.0047
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Dominique Simonney
1. S. Freud, Sur l’engagement du traitement (1913), Œuvres complètes, t. XII, Paris, Puf, 2006, p. 170 –
GW VIII, Zur Einleitung der Behandlung, p. 462.
3. S. Freud, Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, Œuvres complètes, t. XII, op. cit.,
p. 257 – GW XX, p. 52.
patient (et encore plus à une patiente) quand il faut évoquer sa sexualité.
De même, il conseille à ses collègues de ne pas tout fonder sur des inter-
prétations dont le « trop-plein » peut finir par nuire au développement des
associations libres. Ses conseils (pour ne pas dire injonctions) de « maîtriser
le contre-transfert » vont dans le même sens : l’analyste doit laisser la
parole au patient, ne pas l’embrouiller avec des remarques sur son propre
ressenti.
Le grand travail sera donc de vaincre les résistances. Freud constate,
dans son article célèbre de 1914, « Remémoration, répétition et perlabora-
tion », qu’à travers la répétition, la névrose du sujet a muté en névrose de
transfert et que communiquer sa résistance au patient ne suffit pas à lever
celle-ci. Là encore, Freud met en garde les jeunes analystes contre leur
impatience : « […] le médecin avait seulement oublié le fait que nommer la
résistance peut ne pas avoir pour conséquences la cessation immédiate de
celle-ci. On doit laisser au malade le temps de se plonger dans la résistance
qui lui est inconnue, de la perlaborer, tandis que, défiant la résistance,
il poursuit le travail selon la règle fondamentale de l’analyse. […] Le
médecin n’a alors rien d’autre à faire que d’attendre un déroulement qui ne
peut être évité et qui ne peut pas toujours non plus être accéléré 4. » Freud
conseille la patience (« laisser au malade le temps »), mais ne se demande
pas moins si le processus analytique peut être accéléré.
Dans son dernier écrit technique, « Les voies de la thérapeutique
analytique » (1919), il avance : « Notre thérapie empruntera donc sans
aucun doute d’autres voies, avant tout celle que Ferenczi a récemment
caractérisée […] comme étant l’“activité” de l’analyste 5. »
Quelques lignes auparavant, Freud avait appelé à une psychosynthèse
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4. S. Freud, « Remémoration, répétition et perlaboration », dans Œuvres complètes, t. XII, op. cit.,
p. 195.
5. S. Freud, « Les voies de la thérapie psychanalytique », dans Œuvres complètes, t. XV, Paris, Puf,
1996, p. 102.
6. Ibid., p. 101-102.
radicalement de son mal 7. » Il faut dire que Dora, selon les propres termes
de Freud, en mettant un terme à la cure, l’avait « abandonné », et « qu’elle
se vengea de [moi], comme elle voulait se venger de lui (M. K) […]. Ainsi,
elle mit en action une importante partie de ses souvenirs et de ses fantasmes,
au lieu de la reproduire dans la cure 8 ».
Nous pouvons certes mettre au compte du contre-transfert, que Freud
demande aux analystes de maîtriser, cette « non-maîtrise », justement, des
sentiments de Freud d’être joué, floué par ces si charmantes et intelligentes
jeunes filles, comme il ne manque pas de le remarquer, que sont Dora et la
« jeune homosexuelle ».
Mais le plus important n’est peut-être pas là, mais plutôt dans cette
remarque incroyable à propos de Dora : « Lui pardonner de m’avoir privé
de la satisfaction de la débarrasser plus radicalement de son mal »… Il
est ici clairement question de la jouissance de l’analyste, ici identifiée à sa
puissance thérapeutique. Furor sanandi, dira-t-on, pourtant dénoncée par
ce même Freud dans ses écrits portant sur la technique psychanalytique.
Peut-être convient-il de nuancer. Nous pouvons entendre ce que Freud
reproche à ces deux jeunes femmes : le fait que, chacune à sa manière, n’ait
pas joué le jeu, l’une en interrompant prématurément sa cure, l’autre en
s’efforçant, à travers ses « rêves trompeurs », de saborder celle-ci.
Cependant, force est de constater que c’est Freud qui ne joue pas le jeu,
celui de permettre pour l’une des jeunes femmes la reprise, pour l’autre la
poursuite du travail analytique, c’est-à-dire la poursuite d’un travail basé
sur l’association libre. On pourrait ici s’attarder, comme je l’ai signalé, sur
le contre-transfert de Freud, sa crainte d’être « trompé par une femme »,
mais là n’est pas notre propos, puisque c’est le savoir-faire qui essentielle-
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13. S. Ferenczi et O. Rank, Perspectives de la psychanalyse, Paris, Bibliothèque scientifique Payot, 2011,
p. 34
14. Ibid., p. 58.
15. Y. Lugrin, Impardonnable Ferenczi, Paris, Campagne Première, 2012. Ce livre comporte une très
pertinente et exhaustive analyse des malentendus entre Freud et certains de ses compagnons de
route, Ferenczi, Rank, d’autres encore, dont celui fondateur et traumatique avec Fliess.
retour régressif et salvateur au corps maternel faisant l’impasse sur tout fait
tiers laisse supposer que l’absence de cure analytique de Rank n’est pas pour
rien dans cette dérive. Cure dont précisément Ferenczi, au même moment,
fait une condition sine qua non à la pratique de l’analyse.
Ferenczi reste dans le champ de la psychanalyse, tout en cherchant
à inventer un savoir-faire qui sorte celle-ci d’un conformisme dont il
pressent qu’il peut lui faire perdre sa dimension subversive 16. Ainsi, au
moment même où l’institut de Berlin, avec la bénédiction de Freud, établit
la différence entre analyse personnelle et analyse didactique, il affirme
dans Le problème de la fin de l’analyse (1927) : « J’ai souvent signalé, dans le
passé, que je ne pouvais voir aucune différence de principe entre analyse
thérapeutique et analyse didactique 17. » Ce que Lacan dit à sa manière : « Il
n’y a d’analyse que didactique. »
De même, les remarques suivantes de Ferenczi à propos de la fin de
l’analyse valent d’être rapportées, car elles y montrent l’aspect éthique
d’un savoir-faire qui ne recule pas devant une vraie ténacité : « L’analyse
est vraiment terminée lorsqu’il n’y a congé ni de la part du médecin, ni
de la part du patient ; l’analyse doit pour ainsi dire mourir d’épuisement,
le médecin devant toujours être le plus méfiant des deux et soupçonner
que le patient veut sauver quelque chose de sa névrose, en exprimant la
volonté de partir. Un patient vraiment guéri se détache de l’analyse, lente-
ment, mais sûrement ; donc, tant que le patient veut venir, il a encore une
place dans l’analyse 18. »
Revenons sur deux innovations de Ferenczi, l’activité et l’élasticité de
la technique analytique.
Ces innovations sont déjà en germe en 1918, dans une communica-
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16. Beaucoup de ses errances, de ses tentatives quelquefois maladroites furent le prix à payer pour
sortir de ce conformisme qui menaçait (et menace toujours, conformisme lacanien inclus) l’exis-
tence même de la psychanalyse.
17. S. Ferenczi, Psychanalyse IV, Œuvres complètes, Paris, Payot, 1982.
18. Ibid., p. 50-51.
19. S. Ferenczi, Psychanalyse II, Œuvres complètes, Paris, Payot, p. 331-332.
Pour conclure
25. Cf. D. Simonney, Essaim, n° 28, note de lecture sur C. Soler, Les affects lacaniens, p. 238-241, et
aussi, « Lalangue en questions », Essaim n° 29, p. 14-16.
26. Nous laissons à réel, symbolique et imaginaire leurs minuscules, telles qu’employées dans les
premiers textes de Lacan, dont celui du séminaire La relation d’objet, auquel nous nous sommes
référé.