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Transfert
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Quand Freud, à propos du rêve, parle de « transfert », de « pensées de
transfert », il désigne par là un mode de déplacement où le désir inconscient
s’exprime et se déguise à travers le matériel fourni par les restes préconscients
de la veille (3 a). Mais ce serait une erreur de voir là un mécanisme différent
de celui invoqué pour rendre compte de ce que Freud a rencontré dans la
cure : « … la représentation inconsciente est tout à fait incapable, en tant que
telle, de pénétrer dans le préconscient et elle ne peut y exercer un effet qu’en
se mettant en connexion avec une représentation anodine qui appartient déjà
au préconscient, en transférant son intensité sur elle et en se faisant couvrir
par elle. C’est là le fait du transfert qui fournit l’explication de tant de
phénomènes frappants de la vie mentale des névrosés » (3 b). C’est de la
même façon que, dans les Études sur l’hystérie (Studien über Hysterie,
1895), Freud rendait compte des cas où telle patiente transfère sur la personne
du médecin les représentations inconscientes : « Le contenu du désir était
apparu d’abord dans la conscience de la malade sans aucun souvenir des
circonstances environnantes qui l’auraient fait replacer dans le passé. Le désir
présent était alors, en fonction de la compulsion à associer qui dominait dans
la conscience, lié à une personne qui occupait légitimement les pensées de la
malade ; et, résultant de cette mésalliance que je nomme connexion fausse,
s’éveillait le même affect qui avait entraîné en son temps la patiente à rejeter
ce désir interdit » (4 a).
Il semble donc que le transfert ait d’abord été désigné par Freud comme ne
faisant pas partie de l’essence de la relation thérapeutique. Cette idée se
retrouve, même dans le Cas Dora où le rôle du transfert apparaît pourtant
comme majeur, au point que Freud, dans le commentaire critique qu’il ajoute
au compte rendu de l’observation, impute à un défaut d’interprétation du
transfert l’interruption prématurée de la cure. Bien des expressions montrent
que Freud n’assimile pas l’ensemble de la cure dans sa structure et sa
dynamique, à une relation de transfert : « Que sont les transferts ? Ce sont des
réimpressions, des copies des motions et des fantasmes qui doivent être
éveillés et rendus conscients à mesure des progrès de l’analyse ; ce qui est
caractéristique de leur espèce, c’est la substitution de la personne du médecin
à une personne antérieurement connue » (6). De ces transferts (on notera le
pluriel), Freud indique qu’ils ne sont pas différents par nature selon qu’ils
s’adressent à l’analyste ou à quelque autre personne, et, d’autre part, qu’ils ne
constituent des alliés pour la cure qu’à condition d’être expliqués et
« détruits » un à un.
Freud découvre comment c’est la relation du sujet aux figures parentales qui
est revécue dans le transfert avec notamment l’ ambivalence * pulsionnelle
qui la caractérise : « Il fallait que [ l’homme aux rats ] se convainquît, par la
voie douloureuse du transfert, que sa relation au père impliquait véritablement
ce complément inconscient » (8). En ce sens, Freud distingue deux transferts :
l’un positif, l’autre négatif, un transfert de sentiments tendres et un transfert
de sentiments hostiles (γ). On notera la parenté de ces termes avec ceux de
composantes positive et négative du complexe d’Œdipe.
Mais on sera sensible, à l’inverse, au fait que, même lorsque Freud va le plus
loin dans la reconnaissance du caractère privilégié de la répétition dans le
transfert – « le malade ne peut pas se souvenir de tout ce qui est en lui refoulé
et peut-être précisément pas de l’essentiel […]. Il est bien plutôt obligé de
répéter le refoulé, comme expérience vécue dans le présent » (11 a) – il n’en
souligne pas moins aussitôt la nécessité pour l’analyste « … de limiter le plus
possible le domaine de cette névrose de transfert, de pousser le plus de
contenu possible dans la voie de la remémoration et d’en abandonner le moins
possible à la répétition » (11 b).
Parlant des manifestations de transfert dans les Études sur l’hystérie , Freud
écrit : « … ce nouveau symptôme qui a été produit sur l’ancien modèle [doit
être traité] de la même façon que les anciens symptômes » (4 f). De même,
plus tard, quand il décrit la névrose de transfert comme une « maladie
artificielle » qui s’est substituée à la névrose clinique, ne présuppose-t-il pas
une équivalence à la fois économique et structurale entre les réactions
transférentielles et les symptômes proprement dits ?
Tout comme l' « agir », le dire du patient est un mode de relation qui peut par
exemple avoir pour but de plaire à l’analyste, de le tenir à distance, etc. ; tout
comme le dire, l’agir est une façon de véhiculer une communication (acte
manqué par exemple).
4° Enfin, en réaction contre une thèse extrême qui verrait dans le transfert un
phénomène purement spontané, une projection sur l’écran constitué par
l’analyste, certains auteurs ont cherché à compléter la théorie qui ferait
dépendre le transfert essentiellement d’un élément propre au sujet, la
disposition au transfert, en mettant en lumière ce qui, dans la situation
analytique, favorisait l’émergence de celui-ci.
On a insisté soit, comme l’a fait Ida Macalpine (13), sur les facteurs réels de
l’entourage analytique (constance des conditions, frustration, position
infantile du patient), soit sur la relation de demande que l’analyse instaure
d’emblée et par l’intermédiaire de laquelle « … tout le passé s’entrouvre,
jusqu’au fin fonds de la première enfance. Demander, le sujet n’a jamais fait
que ça, il n’a pu vivre que par ça et nous prenons la suite […] La régression
ne montre rien d’autre que le retour au présent de signifiants usités dans des
demandes pour lesquelles il y a prescription » (14).
▲ (α) On notera que les psychologues de langue anglaise disposent de deux termes :
transfer et transference, et semblent avoir réservé le second pour désigner le transfert
au sens psychanalytique (cf. English et English, articles « Transfer » et
« transference »).
(β) Sur les conséquences de cet épisode, cf. Jones E., La vie et l’œuvre de Sigmund
Freud (Sigmund Freud, Life and work, 1953-55-57) (t. I).
(γ) On notera que positif et négatif qualifient ici la nature des affects transférés et non
le retentissement, favorable ou défavorable, du transfert sur la cure. Selon Daniel
Lagache : « … les termes d’efîets positifs et négatifs du transfert seraient plus
compréhensifs et plus exacts. On sait que le transfert de sentiments positifs peut avoir
des effets négatifs ; inversement, l’expression de sentiments négatifs peut constituer
un progrès décisif… » (15).
(ε) Cf. ce qu’on nomme « rêves de complaisance », entendant par là des rêves dont
l’analyse montre qu’en eux s’accomplit le désir de satisfaire l’analyste, de confirmer
ses interprétations, etc.
(1) Cf. Ribot (Th.-A.). La psychologie des sentiments, Alcan, Paris, 1896, 1™ partie,
XII, § 1.
(2) Cf. Freud (S.). Abriss der Psychoanalyse, 1938. G.W., XVII, 100 ; S.E., XXIII,
174-5 ; Fr., 42.
(3) Freud (S.). Die Traumdeutung, 1900. – a) Cf. G.W., II-III, 568 ; S.E., V, 562 ; Fr.,
461. – b) G.W., II-III, 568 ; S.E., V, 562 ; Fr., 461.
(4) Freud (S.). Zur Psychotherapie der Hysterie, 1895. – a) G.W., I, 309 ; S.E., II,
303 ; Fr., 245-6. – b) Cf. G.W., I, 308-9 ; S.E., II, 303 ; Fr., 245. – c) Cf. G.W., I, 308-
9 ; S.E., II, 303 ; Fr., 245. – d) Cf. G.W., I, 285-6 ; S.E., II, 282-3 ; Fr., 228-9. – e) Cf.
G.W., I, 308-9 ; S.E., II, 303 ; Fr., 245. – f) G.W., I, 307 ; S.E., II, 301 ; Fr., 244. – g)
G.W., I, 309 ; S.E., II, 303 ; Fr., 246.
(5) Freud (S.). Zur Dynamik der Übertragung, 1912. – a) Cf. G.W., VIII, 370 ; S.E.,
XII, 104 ; Fr., 56. – b) G.W., VIII, 365 ; S.E., XII, 100 ; Fr., 51. – c) G.W., VIII, 374 ;
S.E., XII, 108 ; Fr., 60. – d) G.W., VIII, 369 ; S.E., XII, 103 ; Fr., 55. —*) G.W., VIII,
365-6 ; S.E., XII, 100 ; Fr., 51-2.
(6) Freud (S.). Bruchstilck einer Hysterie-Analyse, 1905. G.W., V, 279 ; S.E., VII,
116 ; Fr., 86-7.
(7) Cf. Ferenczi (S.). Introjection and transference, 1909, in First Conir., 35-93.
(8) Freud (S.). Bemerkungen über einen Fall von Zwangsneurose, 1909. G.W., VII,
429 ; S.E., X, 209 ; Fr., 235.
(9) Freud (S.). Erinnern, Wiederholen und Durcharbeiten, 1914. G.W., X, 134-5 ;
S.E., XII, 154 ; Fr., 113.
(10) Freud (S.). « Psychoanalyse » und « Libidotheorie », 1923. G.W., XIII, 223 ;
8.E., XVIII, 247.
(11) Freud (S.). Jenseits des Lustprinzips, 1920. – a) G.W., XIII, 16 ; S.E., XVIII, 18 ;
Fr., 18. – b) G.W., XIII, 17 ; S.E., XVIII, 19 ; Fr., 19. – c) G.W., XIII, 18 ; S.E., XVIII,
20 ; Fr., 20. – d) G.W., XIII, 16-7 ; S.E., XVIII, 18 ; Fr., 19.
(12) Balint (M.). Primary love and Psycho-Analytic Technique, Hogarth Press,
Londres, 1952, 225.
(13) Cf. Macalpine (I.). The Development of the Transference, Psa. Quarterly, XIX, 4,
1950.
(14) Lacan (J.). La direction de la cure et les principes de son pouvoir, 1958, in La
Psychanalyse, P.U.F., Paris, 1961, 6, 180.
(16) Cf. par exemple : Freud (S.). Konstruktionen in der Analyse, 1937. G.W., XVI, 44
S.E., XXIII, 258.