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Bulletin de la Société française du

Rorschach et des méthodes


projectives

L'identification dans les méthodes projectives au sens transitif du


terme
J. Segalen

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Segalen J. L'identification dans les méthodes projectives au sens transitif du terme. In: Bulletin de la Société française du
Rorschach et des méthodes projectives, n°25, 1970. Identification et méthodes projectives. pp. 71-80;

doi : https://doi.org/10.3406/clini.1970.1323

https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1970_num_25_1_1323

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L'IDENTIFICATION DANS LES METHODES PROJECTIVES
AU SENS TRANSITIF DU TERME

J. SEGALEN

« En se déroulant, le non manifesté


produit le manifesté. ».
Lao-Tse.

1. Abord du concept d'identification

A) Il y a un mois, je recevais, de notre dévoué secrétaire


général le programme de cette séance.
Les communications annoncées portaient sur l'identification
au sens intransitif du terme, c'est-à-dire l'identification à, comme
je l'escomptais quand j'avais proposé mon titre, au mois de mars.
. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je vais tout de même
sacrifier à la tendance générale, et vous dire deux mots sur
l'identification, au sens intransitif du terme.
Je ne vous parlerai pas des démêlés et des affres des clients
du psychologue, dans ses rapports identificatoires, mais bien de
ceux du psychologue lui-même.
Cette transformation sur le modèle de l'autre pour simplifier
la définition de Jean Laplanche et J.-B. Pontalis1, pour partielle
qu'elle soit en la matière, existe pourtant.
L'autre, au sens de cette définition, c'est Hermann Rorschach2,
Henry Murray3, Leopold Bellak4, Charles Koch3, Pierre Mabille6,
quand on est soucieux des œuvres des initiateurs, ou Cécile Beiz-

(1) Jean Laplanche et J.B. Pontalis : Vocabulaire de la Psvchanalyse.


PUF, 1967, 520 pages.
(2) Hermann Rorschach : Psychodiagnostic. PUF. 1953 372 pages.
(3) Henry Murray^ : Exploration de la personnalité. PUF. 1953-1954.
(4) Leopold Bellak : T.A.T. et C.A.T. in clinical use. New York. Grune
& Stratton éd., 1954.
(5) Charles Koch : Le test de l'arbre. Vitte éd., Paris-Lyon, 1958, 442 pages.
(6) Pierre Mabille : La technique du Test du Village. Revue de Morpho-
physiol. humaine, Paris, 1950.
72

mannT, les Shentôub8, Geneviève Boulanger-Balleyguier9, Renée


Stora10, Mireille Monod11, pour ceux qui ont bénéficié de leur
enseignement et de leurs travaux.
Il n'est que justice de le dire. Il vaut mieux le savoir, et ne
pas l'oublier.
Mais ce n'est pas là, aujourd'hui, le centre de notre propos.
B) Voyons maintenant ce qu'il en est de l'identification au
sens transitif du terme, c'est-à-dire l'identification, par le
psychologue, de quelque chose ou de quelqu'un.
Nous ne retiendrons pas le sens de : comprendre sous une
même idée, ce que nous avons déjà fait à l'occasion de
l'identification des mécanismes de défense du moi avec telle ou telle
structure particulière de village construit, par exemple.
Pas davantage le sens de considérer comme identique, ce qui
pourrait apparaître comme le négatif des efforts faits en ce qui
concerne l'identification, au sens psychanalytique du terme.
Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est le dernier sens
possible : trouver l'identité de, reconnaître. Par exemple, identifier
une plante, un suspect, un amer. Dans le premier cas, c'est
reconnaître un végétal, de tel genre, de telle espèce : référence à une
nomenclature, une classification des êtres vivants.
Dans le second s'y ajoute un jugement de valeur, puisqu'il
s'agit de quelqu'un qui inspire des soupçons, en ce qui concerne
sa moralité, par exemple ; référence à un système de valeurs.
Dans le troisième, c'est reconnaître un point de repère
apparent sur la côte, ce qui guide les navigateurs en vue de terre :
référence à une aide que l'objet de l'identification apporte à
l'identificateur.
Donc, séparer d'autres presque semblables, dans un système
de référence, de manière à constituer, pour nous chercheur, une
aide.

(7) Cécile Beizmann : Le Rorschach chez l'enfant de 3 à 10 ans. Delachaux


et Niestlé éd. Neuchatel, Suisse, 1961.
(8) Shentôub : Le T.A.T. en neuro-psychiatrie infantile. Revue de Neuro-
Psychiatrie Infant, et Hyg. Ment. Enf. 11/12.
(9) Geneviève Boulanger-Balleyguier : Le C.A.T. chez l'enfant.
(10) Renée Stora : La personnalité à travers le test de l'arbre. In Bulletin
de Psychologie. Numéro spécial annuel. 1964. Tomes I et II, 328 pages.
(11) Mireille Monod : Manuel d'application du Test du Village. Delachaux
et Niestlé éd., Neuchatel et Paris, 1970, 291 pages.
— 73

2. L'identification, au sens transitif, dans les méthodes projectives

A) Un premier ordre de question se présente : Que va-t-on


identifier ?
Dans une perspective clinique, ce peut être une structure de
personnalité.
Dans une perspective psychopathologique, tel ou tel
mécanisme de défense du moi préférentiel.
Dans une perspective psychothérapique, indication d'une
possibilité de communication verbale.
— Le concept de structure de personnalité implique un
système théorique, que ce soit celui de Cattell13 ou de Gérard Blum*3,
celui de Cari Jung14 ou de Louis Corman15.
Psychanalyse, phénoménologie, morphopsychologie,
tempérament, constitution, tous peuvent être utilisés pour élaborer un
édifice conceptuel de référence.
— Celui des mécanismes de défense du moi, en matière de
psychopathologie en constitue un, utilisable en psychopathologie,
dans la perspective de Anna Freud16, avec l'idée de pointer les
résistances dans leurs manifestations.
Ce pourrait être, aussi bien ou aussi mal, une catégorisation
nosographique, variable d'un pays à l'autre, d'une Ecole à l'autre.
D'où la nécessité de toujours indiquer à qui, ou à quoi l'on se
réfère.
— Le problème de la communication verbale dans la relation
psychothérapique est aussi un choix volontairement restreint.
Ce qui nous fait le retenir, c'est la concomitance d'un signe
tracé, dans le Test du Village, avec ce qui apparut, dans la suite
de l'histoire des sujets, comme une possibilité suffisamment grande
de manifestation du matériel verbal.
Identifier quelque chose dans un test, un signe, une écriture,
c'est en effet, dans un travail de recherche, en avoir une
confirmation a posteriori d'abord, c'est ensuite, devant la fréquence des
coïncidences, penser à la valeur réelle d'un tel signe. C'est enfin,

(12) Cattell : La personnalité. New York. Me Graw Hill Book Company.


Inc. 1950.
(13) Gérard Blum : Les théories psychanalytiques de la personnalité. PUF.
(14) Cari Jung : Psychologie de l'inconscient. Georg et Cie. Genève.
(15) Louis Corman : Visages et caractères. Pion, 1931.
(16) Anna Freud : Le moi et les mécanismes de défense. PUF, 1969,
163 pages.
— 74 —

s'en servir pour une appréciation, ici et maintenant, ou dans un


usage pronostique.
En la matière, se fier à l'intuition ou suivre aveuglément l'avis
d'un auteur, peuvent mener à des surprises désagréables.

B) Qui va-t-on identifier ?


Tel sujet, certes, dans une formalisation et un contenu qui
lui sont propres, cernables dans un protocole de Rorschach, un
relevé de Village.
Mais il ne faut pas oublier que cette perception, comme elles
le sont toutes, est une pré-perception, c'est-à-dire qu'elle prend
place dans un système de valeurs, un cadre de référence, de
caractérologie par exemple, en psychologie clinique ; de nosographie,
en psychopathologie ; de corpus théorique, en psychothérapie.
En Occident, toute une tradition dualiste, formalisée par René
Descartes17, nous place dans un système qui suppose une causalité
extérieure au sujet, déculpabilisante, introduisant dans la relation
un factum, un non-soi, le poids du destin.
Tout au contraire, la conception psychanalytique, dans un
extrême comme celui de Georg Groddeck18, nous montre un
monisme qui lie tout et chacun, et remet en cause cette bienheureuse
causalité extérieure. Etre, de quelque façon que ce soit,
responsable de son caractère, de ses maladies, de sa puissance de guéri-
son, c'est, certes, culpabilisant. D'un autre côté, cela permet plus
d'optimisme quant à la possibilité de modifier le système
d'échange.
D'un autre point de vue, le sujet que nous avons identifié, à
un moment donné de son existence, que sera-t-il, comment évo-
luera-t-il ?
C'est un problème auquel nous sommes confrontés dans le
test-retest.
Dans une hypothèse causaliste, nous devrions, comme le
disait Margaret Lowenfeld19, voir d'un test à l'autre la
personnalité du sujet se préciser, en clinique.
En psychopathologie, nous devrions voir une constance des
mécanismes de défense du moi, dûment choisis, et éventuellement
affinés.
En psychothérapie, nous verrions un déroulement logique et
harmonieux de la problématique du début de la relation.

(17) R. Descartes : Discours de la méthode.


(18) Georg Groddeck : La maladie, l'art et le symbole. NRF 1969,
326 pages.
(19) Margaret Lowenfeld : Les images du frionde chez les enfants. In
Revue Sauvegarde de l'enfance, 4, 1951, pp. 291-325.
— 75

Force nous est de constater, le plus souvent, qu'il n'en est pas
ainsi.
Le test-retest nous montre, en effet, des modifications
importantes. Nous n'en avons pas l'expérience dans le registre de la
psychologie clinique au sens donné à ce terme par Juliette Favez-
Boutonier20, mais, en matière de psychopathologie, nous avons
bien été forcé de nous rendre à l'évidence : les changements
constatés dans la forme et le fond des re-tests montrent des
changements considérables dans la batterie de mécanismes de défense
du moi mis en action par le sujet. Et en psychothérapie, il nous
a fallu déchanter de la nosologie psychopathologique et voir que
tel sujet passait de l'expression psychosomatique à la psychose,
pour organiser ensuite une névrose de caractère. Il ne s'agit pas
là d'une construction de l'esprit, mais de faits cliniques constants,
qui doivent nous amener, si nous voulons bien les envisager, à
nous poser des questions sur la valeur de nos systèmes de
référence.

Examinons, maintenant :

3. Les modalités de la recherche

A) En premier lieu, d'où proviennent les indices que nous


allons utiliser ?
D'un donné culturel, lié à notre mode d'écriture et de
représentation pictural ou statuaire.
D'autorités reconnues, qui nous ont légué un patrimoine
accepté. Le livre d'Hermann Rorschach21, en est un exemple,
quelque discutable qu'il apparaisse actuellement sur bien des points.
Par exemple, en ce qui concerne les épileptiques, il s'est basé sur
l'étude de 20 protocoles seulement, 17 hommes et 3 femmes, ce
qui est un échantillonnage léger. Michèle Hartemann22, dans une
recherche récente sur les obsessionnels et les hypocondriaques, a
montré que les réponses anatomiques étaient beaucoup plus
fréquentes chez les premiers que chez les seconds, ce qui va à
rencontre des idées reçues, et même du sens commun, en la matière.

(20) J. Favez-Boutonier : La psychologie clinique. CDU, 5, place de


la Sorbonne, Paris 5e. Cours multigraphié.
(21) Hermann Rorschach : op. cit.
(22) J. Segalen, P. Moutin, M. Hartemann r Aspects différentiels de
l'expression psychosomatique et de l'hypocondrie au test du village. In Revue
Fr. de Médec. Psych. Som. et de Psycho. Méd. 1968, II.
76 —

De données d'expérience, ce qui est la démarche prônée par


Henri Faure23, en ce qui concerne le Test du Village, par exemple.
Il a ainsi été amené à décrire ce que nous pouvons bien appeler
maintenant le signe du pylône, indice d'une activité délirante,
généralement hallucinatoire.
Dans notre pratique, nous avons ainsi isolé un aspect
caractéristique des villages de pseudo-débiles, qui permet un diagnostic
différentiel immédiat, un changement dans l'attitude à prendre,
une indication de psychothérapie éventuelle.

B) En second lieu, comment allons-nous procéder à la


construction de l'information et à une utilisation pratique :
Comment utiliser en effet, cette information que nous
fournissent les sujets, sur leurs mécanismes de défense du Moi, dont
l'identification n'est qu'un possible ; sur leur structure psychique,
sur leur demande vraie, sur leur désir ?
Il est assez tentant d'élaborer cette information, sous une
forme ordonnée et rationnelle, et d'en restituer le contenu, en clair,
au sujet : tel portrait caractérologique, telle structure nosologi-
que, telle indication psychothérapique.
L'interprétation mise à part, ce serai* *c procédé de Rogers2*.
L'interprétation inclue, c'est la psychanalyse sauvage, dont
on connaît les effets destructeurs, et oblitérants pour une
éventuelle émergence d'une demande ultérieure. Il n'est que de voir
les effets d'un auteur en vogue sur les éclosions psychotiques, pour
s'en rendre compte. Dans la pratique, nous considérerons deux
cas :
1° En institution.
2° En exercice privé.

En institution, la tentation est grande de formuler les


constructions faites à partir de l'information, permettant un repérage
du sujet en fonction de tel système et de les restituer en bloc, à
un intermédiaire, psychiatre consultant par exemple. Il faut alors,
dans le cas idéal, que cet être privilégié entende parfaitement ce
qui lui est dit dans un langage technique ; le prenne à son compte,
ce qui est très rare, et le restitue à son tour au patient, ce qui nous
ramène à la psychanalyse sauvage.

VI* (23)
Congrès
H. Faure
Inter, :duLeRor.
Test etdudesVillage
Méth. enProj.
psychopathologie.
Paris 1965. CRCommunie,
multigraphie
au
par Soc. Fran, du Ror. et des Met. Pro. Vol. 4, 1968, pp. 807-819.
(24) Rogers C. et Kinget G. : Psychothérapie et relations humaines.
Théorique et pratique de la thérapie non-directive. Tome 1 et 2.
— 77 —

En exercice privé, cet échappatoire n'existe pas. Le contact


est immédiat, souvent assez angoissant pour le psychologue.
Certains s'en tirent en informant le client en un langage
incompréhensible pour lui, ou, pire encore, en lui donnant une information
faussée. Dans les deux cas, c'est méconnaître une dimension
essentielle de la relation, c'est-à-dire, le temps pour comprendre, de la
part du patient, et lui fournir de lui-même une certaine image à
laquelle il aura tendance, plus ou moins, à s'identifier.
Dans tous les cas, il faut se méfier de nos propres tendances
projectives et interprétatives. Je veux dire par là que le
psychologue a tendance à ramener à une durée très faible son propre
temps pour comprendre. Il n'est qu'un seul remède à cette
identification-éclair. Faire durer la relation. Mais ceci est un aspect
idéal de la question et nous entraînerait vite hors du sujet.
Revenons-y.

4. On peut se demander quelle est la valeur de telles recherches

A) Il existe un premier aspect, positif, que nous pourrions


appeler opérationnel.
Il s'agit de l'aide que peuvent apporter les méthodes
projectives dans un problème de tactique. Par exemple, une identification
de relaxation qui sera à éviter chez un sujet pré-psychotique, ce
que ne désavouera sans doute pas Durand de Bousingen. Dans
une telle éventualité, le Rorschach, le Village, peuvent être des
éléments décisifs en ce qui concerne l'option à choisir.

B) Il existe aussi, bien sûr, un second aspect, négatif. Il


s'agit de l'insuffisance d'une technique, si perfectionnée soit-elle,
à rendre pleinement compte de ce qui se passe au niveau d'une
personne.
On peut faire aux méthodes projectives définies le reproche
d'opérer, dans une certaine mesure, une fragmentation du sujet,
une isolation artificielle de ses éléments.
Il est clair que ces artifices ressemblent comme deux gouttes
d'eau à ces mécanismes de défense du Moi, tels que les décrit Anna
Freud25, que l'on rencontre électivement chez les obsessionnels.

(25) Anna Freud : Le moi et les mécanismes de défense. Paris, PUF, 1969.
— 78

5. Dernier point de notre exposé, un essai de justification de la


démarche identificatoire dans les méthodes projectives

Au pire, c'est une contribution aux habitudes


institutionnel es du diagnostic et du pronostic.
Au moins, c'est la valeur rassurante d'un certain degré de
description.
Au mieux c'est la connaissance des limites des méthodes elles-
mêmes.
A) Tout d'abord, en effet, la structure institutionnelle, qui est
celle des services hospitaliers, des instituts et consultation, et,
par voie de récurrence, des séminaires de formation, nous a donné
une certaine habitude de l'identification du sujet.
En psychologie clinique, Cari Jung26, a décrit entre autres,
une bipolarité du sujet dans son rapport au monde, introduisant
la notion d'introversion-extraversion jusque dans les feuilles
imprimées de l'interprétation du test du Rorschach !
En psychopathologie, les querelles nosologiques ont
régulièrement tourné autour de problème de diagnostic, basé sur un syn-
dromatique ou une symptomatique. Ce n'est pas l'entrée dans le
jeu de certains psychanalystes qui simplifiera les choses avec la
notion de structure psychotique, par exemple, voire de structure
perverse, introduite par Piera Aulagnier-Spairani27.
Un élément aussi concret que l'expansion en surface dans
le Test du Village permet, par exemple, un regroupement des sujets
psychotiques, sans avoir à se référer à leurs symptômes cliniques.
En psychothérapie, le problème de l'indication a toujours été
discuté, en fonction du niveau intellectuel des sujets moins qu'au
regard d'une nosographie jugée comme sans faille.
Même les psychanalystes les plus renommés ont longtemps
établi une sorte de barème de chance pour les cures, les plus
faciles concernant les phobiques, et les psychotiques étant réputés
aussi inguérissables que les organiques. Il a fallu des auteurs
comme H. Rosen28, ou Georg Groddeck29, pour remettre en question cette
classification.
L'accent s'est porté, il y a déjà un certain temps, sur la
verbalisation dans les méthodes projectives, et l'analyse du contenu

(26) Cari Jung : op. cit.


(27) Piera Aulagnier-Spairani : La perversion comme structure. In
l'Inconscient. N° 2, 1967, PUF, pp. 11-42.
(28) H. Rosen : L'analyse directe.
(29) Georg Groddeck : op. cit.
— 79 —

a joué un grand rôle à cet égard. Il est devenu ainsi évident qu'un
bon niveau verbal du sujet était nécessaire.
D'autre part, et Jacques Lacan30, par exemple, y a insisté,
la différence entre demande et désir a été clairement pointée. Si
la demande est nécessaire, elle peut recouvrir un désir antinomique,
qui empêchera la relation d'apporter quelque bénéfice que ce soit
au sujet. Les effets de retour et d'échange entre la clinique et les
informations fournies par le Test du village nous ont montré
l'intérêt de l'existence de voies verticales construites en ce qui
concerne la possibilité de l'existence d'une relation
psychothérapique. Ceci est antérieur à la demande du sujet, et n'en conditionne
que la valeur de recevabilité.

B) La valeur rassurante d'un certain degré de description est


à deux niveaux.
La réassurance se fait, pour le client, au niveau de la
nomination de ses difficultés, comme Michael Balint31, y a insisté.
Pour le psychologue, la réassurance se fait au niveau de
l'existence d'un registre écrit quelque part.
Dans les deux cas, l'effet désangoissant de l'identification
est un facteur dont on aurait tort de sous-estimer l'importance.

C) La connaissance des limites des méthodes projectives nous


paraît un point important, et c'est par lui que nous terminerons.
Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définir, écrivait La
Rochefoucauld32.
Il est certain que le seul adjectif projectif, dans l'usage que
nous en faisons, mérite les éclaircissements qu'y a apporté Mahmoud
Sami Ali33.
Ceci amène déjà une approximation des limites sémantiques.
En ce qui concerne l'aspect théorique et pratique de la
question, il ne faut négliger ni les facteurs qui tiennent au
psychologues, ni ceux qui tiennent aux méthodes projectives elles-mêmes.
Parmi les auteurs qui ont insisté sur le premier de ces deux
points, nous citerons Monique Wernert et René Durand de
Bousingen3*. Même dans la pratique des tests de niveau, il n'est pas
rare de constater l'influence d'un coefficient personnel de pondé-

(30) Jacques Lacan : Ecrits. Seuil éd. 1966, 912 pages.


(31) M. Balint : Le médecin, son malade et la maladie. Payot éd.
(32) La Rochefoucauld : Maximes, 1665.
(33) Mahmoud Sami Ali : La projection et les techniques projectives.
Thèse de Doctorat d'Etat es Lettres. Biblio. des thèses. Paris, 1958. Du même
auteur : De la projection. Payot. Paris, 1970, 272 pages.
(34) Monique Wernert et René Durand de Bousingen : La dynamique des
relations interpersonnelles au cours de la passation d'un test projectif. In
Bulletin de Psychol. 225, XVII, 2-7, 1963, pp. 84-90.
— 80 —

ration, dont il est nécessaire de se servir pour apprécier la


notation par tel ou tel praticien. A fortiori dans les méthodes
projectives. Plus encore dans les situations de re-test. Il n'est pas besoin
d'insister sur ce que devient ce problème dans le cadre d'une
relation de longue durée.
Mais les méthodes projectives par elle-mêmes, comme nous
l'avons dit plus haut, comportent leurs propres limites. C'est le
point que nous voudrions avoir bien mis en lumière aujourd'hui.
C'est la raison de cet exposé et du choix de son titre.
Tel qu'en lui-même, enfin, l'éternité le change, pourrait
être le « Vorstellungreprâsentanz »M du plus grave défaut de ces
méthodes, par ailleurs des plus intéressantes. Il nous faut prendre
bien garde que ce qu'elles nous donnent comme informations ne
reste valable que pour un individu pris à un moment donné, dans
une situation donnée.
Le danger de l'étiquette est constant dans notre système
culturel. Et ce qui est pire dans ce danger-ci c'est qu'il s'agit,
trop souvent, d'une étiquette permanente.
Gardons-nous d'attribuer à un sujet de quinze ans une
photographie d'identité que nous voudrons valable à quarante.
En matière de psychologie clinique, cela nous évitera le
ridicule.
En matière de psychopathologie cela nous permettra de moins
nuire.
Quant à la psychothérapie, je vous laisse le soin de formuler
les dégâts qu'une telle attitude pourrait provoquer. Après tout,
il faut bien que vous aussi, vous ayez une opinion à émettre, et
je vous y convie.

(35) S. Freud. Die Verdrângung. 1915. Gesammelte Werke X 250 et X 255.


Londres, Imago 1940-1952 ; Standard Edition. XIV, 148 et XIV 152-3. Londres.

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