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psychanalyse (Paris)
TOME XXVIII
N° 1
JANVIER-FÉVRIER 1964
1964
XXIIe Congrès International
de Psychanalyse
(Edimbourg, 30 juillet-3 août 1961)
SOMMAIRE
Suite des n°s 4-5, vol. XXVII
LA RECHERCHE EN PSYCHANALYSE
JOSEPH SANDLER. L'index de HAMPSTEAD, outil de la recherche
psychanalytique.
Contribution à la discussion :
Ishak RAMZY
LA SITUATION PSYCHANALYTIQUE
I. R. VALENSTEIN : Affects, reviviscence des émotions
ARTHUR
et Prise de conscience au cours du processus analytique.
II. M. MASUD R. KHAN. La psychologie du rêve et l'évolution de
la situation psychanalytique (1).
Contribution à la discussion :
Emmanuel WlNDHOLZ
Tout cela signifie que dans le champ de notre sélection, nos émotions
jouent un grand rôle : ainsi, les qualités que nous cherchons chez nos
étudiants sont largement déterminées par nos propres idéologies, nos
propres rapports avec la psychanalyse et notre propre désir de recruter
des partisans de nos propres points de vue. Le fait même que cette
question ait un caractère aussi personnel nous force à recourir, afin de
rester objectifs, à des moyens impersonnels, étrangers à notre technique,
par exemple à des tests psychologiques, etc. La sélection a constitué
récemment le thème général de discussions dans les commissions, les
colloques et les projets de recherches. Il est donc improblable que
quelque chose de fondamentalement nouveau puisse être dit à ce sujet,
en particulier après la publication du livre de Holt et Luborsky [8]
et celle de l'étude plus récente et complète de Lewin et Ross [13].
Pour éviter toute répétition, qu'il soit question de découvertes ou
d'approches, je me bornerai à présenter et à discuter trois aspects
reliés entre eux du problème de la sélection. J'essayerai : 1) De diffé-
rencier les raisons intérieures et extérieures de notre préoccupation
à ce sujet ; 2) D'établir un lien entre l'aptitude du candidat et sa vocation ;
et 3) De montrer comment les caractéristiques de notre science imposent
certaines méthodes déterminées de sélection et en invalident d'autres.
Premièrement, pourquoi les critères de sélection qui, au début de
la psychanalyse, ne posaient aucun problème, sont-ils aujourd'hui
devenus un objet de préoccupation pour tous les Instituts psychana-
lytiques ? Les raisons extérieures de cet état de choses nous sont
connues. C'est le grand accroissement, depuis la deuxième guerre,
du nombre des étudiants. Il y a aussi la reconnaissance par les médecins,
comme par les non-médecins, de l'efficacité de la psychanalyse et,
en outre, le prestige et les garanties économiques que notre profession
assure maintenant à ses praticiens. Telles sont les raisons qui font que
les Instituts de Psychanalyse ne parviennent plus à satisfaire à toutes
les exigences et que la sélection constitue un problème. De plus, nous
craignons actuellement de commettre des erreurs en acceptant des
étudiants sans vocation réelle et dont le choix d'une carrière pourrait
être déterminé par des motifs névrotiques ou d'opportunisme. Et
même, nos pessimistes redoutent qu'une psychanalyse, aujourd'hui
reconnue et appréciée, qui procure honneur et argent, ainsi que la
poursuite d'une vérité maintenant incontestée et qui est une récompense
puisse cesser d'attirer un chercheur vraiment capable.
Telle est la situation objective. Mais il y a d'autres facteurs subjectifs
dont nous devons tenir compte dans l'exposé de ce problème.
CRITÈRES DE SÉLECTION 9
(1) Grinberg a parlé d'étudiants dont la soumissionà un Surmoi cruel exige impérieusement
la réparation de leurs objets intérieurs endommagés et les amène à la compulsion de porter
remède. L'auteur montre que l'analyste qui évalue trop haut son travail se soumet masochi-
quement à ses malades et appauvrit ainsi son Moi. Il nous parle également des étudiants ou
des médecins analystes qui se sentent « appelés s à devenir analystes à la suite de certains
fantasmes transférentiels impliquant une identification à l'agresseur ou une façon de l'apaiser
ou encore une soumission du type pseudo-réparatoire (je veux donner ce plaisir à mon père-
analyste) ou enfin une identification résultant d'une rivalité avec l'analyste, le collègue,
l'ami, etc., ou d'une envie à son égard.
CRITERES DE SELECTION 13
BIBLIOGRAPHIE
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[4] GLOVER (Edward) (1959).
[5] GRINBERG (Léon) (1960), Mesa Redonda sobre Vocacion Psychoanalitica,
inédit.
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J. Psycho-Anal., 21, 2.
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[13] LEWIN (Bertram) and Ross (Helen), Psychoanalytic Education in the
United States (New York, Norton, 1960).
[14] LIBERMAN (David) (1960), Mesa Redonda sobre Vocacion Psicoanalitica,
inédit.
II
par PIETER JVAN VAN DER LEEUW (Amsterdam)
2
devons au Dr F. D. Wride lors de cette réunion. Grâce à la collaboration
de mes collègues européens, il est possible d'obtenir un aperçu meilleur,
tout au moins sur l'étendue du travailde sélection. Le Ier septembre 1960,
167 demandes de postulants à l'enseignement ont été reçues, 95 furent
admises. A la même date, 506 futurs collègues faisaient leurs études.
Les sociétés européennes comprenaient 306 membres titulaires et
298 membres adhérents, soit un total de 604. La proportion de médecins
et/ou de psychiatres était par rapport aux non-médecins de 370 pour 234.
La sélection représente le côté le plus faible de notre système
d'enseignement. Sans aucun doute, il est plus facile d'indiquer ce qui
rend un candidat absolument incapable d'exercer l'analyse que de
déterminer les critères qui, avant tout, prouvent ou rendent probable
l'aptitude d'un candidat. La situation se trouve encore compliquée par
le fait que deux opinions contraires s'opposent ici. Pour certains, il
est dans l'intérêt de la psychiatrie, de la psychothérapie et de la psycha-
nalyse appliquée que le plus grand nombre possible de gens reçoivent
un enseignement psychanalytique. Pour d'autres, l'époque des pionniers
est passée, et, ne doivent recevoir l'enseignement que ceux dont on peut
attendre d'originales contributions à la psychanalyse et qui consacreront
tout leur plein temps à la pratique de celle-ci. En somme, on peut dire
des sociétés européennes qu'elles sont presque toujours favorables au
premier de ces points de vue. La psychanalyse est de plus en plus
considérée comme une méthode, une technique, semblable à toutes le"
autres, que le psychiatre doit être capable d'apprendre et d'appliquer.
Étant donné cet état de choses, la sélection porte plutôt sur l'exclusion
des incapables que sur le choix des plus capables. Cette attitude se
trouve même renforcée par le fait que le nombre des candidats reste
encore assez faible par rapport à la demande. Ni le nombre, ni les
conditions sociales ne sont donnés pour favoriser la sélection des
candidats les plus doués. En Europe, la situation du psychanalyste
reste encore celle d'un individu faisant partie d'une minorité. Être
psychanalyste ne fournit toujours pas le moyen d'accéder à une haute
situation ou de s'enrichir. Bien au contraire ; choisir la profession
d'analyste, c'est renoncer automatiquement à ces avantages. La
situation se complique encore en Europe du fait de l'existence, tout au
moins en France, en Allemagne et en Hollande, de groupes d'analystes
qui ne sont pas membres de la Société psychanalytique internationale
et qui possèdent leurs propres centres d'enseignement. Le grand danger
qui découle de cet état de choses est celui de la baisse de niveau de
l'enseignement par suite d'une compétition.
C'est, lorsqu'il s'agit du choix des candidats non psychiatres, que la
sélection est peut-être la plus rigoureuse. Le choix fait parmi les
psychologues et d'autres candidats non médecins est généralement
déterminé par le degré de leurs dons particuliers.
La méthode en général utilisée pour opérer la sélection est celle
de l'entretien. Au cours de ces conversations, nous désirons nous
procurer une image d'ensemble de la personnalité ; les faits réels nous
CRITÈRES DE SÉLECTION 19
(1) La naissance de la psychanalyse, trad. par Anne BERMAN, Paris, Presses Universitaires
de France, 1956.
CRITERES DE SELECTION 21
Cette tendance est, entre autres causes, influencée par notre prise
de conscience de la structure du processus de défense et de son fonc-
tionnement. Nous voudrions apporter une réponse à la question
suivante : qu'est-ce qui endommage les mécanismes de défense indi-
viduels et comment les organisations défensives existantes [7,9] agissent-
elles sur les fonctions du Moi.
De plus, il importe de savoir dans quelle mesure les mécanismes
de défense ont pu devenir des formes de défense pathologiques. La
défense en soi n'est pas un phénomène pathologique.
Jusqu'à quel point la défense pathologique peut-elle être supprimée ?
Voilà ce qui nous permet une évaluation de l'aptitude du candidat.
Quel indice nous fait-il voir si un rôle majeur est joué par les
défenses ? Trouve-t-on leur origine dans les phases les plus précoces,
avant l'accession à la phase phallique, ou sont-elles ultérieures à celle-ci ?
Les processus régressifs provoqués par une défense pathologique
doivent être pris en considération pour évaluer les dommages.
Toute forme de défense comporte généralement un aspect positif
aussi bien qu'un aspect négatif en ce qui concerne le rôle qu'elle doit
jouer dans le travail analytique.
La projection aiguise la conscience de ce qui se passe chez l'autre
personne et produit un effet aveuglant par rapport à soi-même ; elle
révèle chez l'autre des aspects sans rapport avec la situation.
L'introjection facilite la participation avec l'autre, mais rend difficile
une discrimination entre les deux.
L'identification est une condition du travail et rend possible
l'empathie ; excessive, elle entrave le travail, voir la réalité devient
alors difficile.
La négation n'est que préjudiciable, elle endommage la perception.
Le refoulement est également nuisible et il perturbe la mémoire.
C'est spécialement quand on les considère sous cet angle que les
défenses jouent un rôle dans les critères de sélection.
2) L'importance croissante du monde préoedipien et de son vécu,
le retentissement de celui-ci sur l'évolution des phases ultérieures
influent certainement sur notre pénétration, dans ces critères de choix.
Les dégâts causés au Moi au cours de la phase préoedipienne
constituent le fondement sur lequel l'angoisse de castration et l'envie
du pénis peuvent exercer leur désastreuse influence. Dans les cas où
la personnalité conserve des indices de ses fixations préoedipiennes
précoces, il faut douter fortement de son aptitude à devenir psycha-
nalyste. C'est, comme l'a dit Freud [4], la réussite plus ou moins
CRITERES DE SELECTION 25
BIBLIOGRAPHIE
d'un enseigne-
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Neue Arbeiten zur ärztlichen Psychoanalyse, 4.
[12] SHARPE (Ella) FREEMAN (1947), The Psycho-Analyst, in Collected Papers
(London, Hogarth, 1950).
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION
est très rare ; je n'ai connu que très peu de gens capables d'en savoir
davantage sur un patient après un seul entretien d'orientation que
d'autres au bout d'un an d'analyse.
Un semblable talent est extrêmement important pour un praticien
de psychothérapie, en particulier de psychothérapie de courte durée,
et pour le directeur d'une clinique obligé de décider du classement
des cas après quelques entretiens seulement. Ce même don semble
précieux aussi pour le repérage à temps de dangers tels que celui de la
psychose ou du suicide, encore que des indices de ces éventualités
puissent apparaître à l'observateur consciencieux même s'il n'est pas
doué du génie de l'intuition. Mais cette faculté a certainement moins
d'importance pour le psychanalyste qui étudiera ses malades pendant
un temps plus long. Sur ce point, l'analyste consciencieux et expéri-
menté qui observe attentivement les productions de son malade et qui
les soumet soigneusement à la réflexion concurrencera même un collègue
plus doué que lui au point de vue psychologique et ayant pris sur lui
au départ une énorme avance grâce à des aperçus acquis sans effort
au début. Une fois écarté cet avantage initial de l'analyste si intuitif,
c'est même la tâche durement accomplie et qui fournit tant de détails
qui l'emportera sur l'intuition. J'ajoute que travailler sur des faits
minimes impatiente souvent ceux qui sont très intuitifs. Ainsi l'intuition
si impressionnante qu'elle puisse être, n'est pas souvent exacte et ceux
que les dieux ont favorisés de ce don sont quelquefois lents à reviser
leurs visions antérieures quand cela devient nécessaire.
Parmi les qualités requises pour l'exercice de la profession analy-
tique, j'insisterai spécialement sur l'intérêt profond que doivent inspirer
au candidat tout ce qui est humain et la vaste connaissance des choses
humaines. Cette exigence découle, à mon avis, du fait que la psychana-
lyse ne constitue pas l'intégralité de notre connaissance des affaires
humaines. Les suppléments qu'y apporte la psychanalyse modifient,
raffinent et approfondissent la psychologie du sens commun en y ajou-
tant ce qu'elle a découvert à propos d'une vie psychique inconsciente.
La psychanalyse ajoute des faits et des prises de conscience inaccessibles
à la psychologie consciente ou à la psychologie du sens commun, mais
cela sans les évincer. Dans ma jeunesse, on disait souvent que la psy-
chanalyse ajoutait une vue microscopique à l'analyse macroscopique
de la psychiatrie clinique. De cette formulation il fallait naturellement
déduire que le psychanalyste devait d'abord se familiariser avec la
psychiatrie clinique. Dans une certaine mesure cela peut être considéré
comme exact, mais les relations dont nous parlons ont une portée bien
32 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
3
Tout cela place l'analyste dans une situation qui rappelle celle d'un
praticien faisant un rapport relatif à son malade pour une compagnie
d'assurances. Il abandonne le secret professionnel et le patient doit
signer le rapport en même temps que sa demande d'assurance. Nous
pensons aussi au médecin d'une compagnie, chez qui des employés
doivent se soumettre périodiquement à un examen médical. Bien des
gens ayant atteint la quarantaine tremblent à la pensée que, à la pro-
REV. FR. PSYCHANAL.
34 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
(1) Je parle en m'appuyant ici sur les règles qui prévalent inter alia dans mon Institut
et suivant lesquelles personne ne peut s'inscrire comme étudiant avant de s'être soumis à une
période d'analyse personnelle.
LA RECHERCHE
EN PSYCHANALYSE
L'Index de Hampstead
outil
de la recherche psychanalytique
par JOSEPH SANDLER (Londres)
III
L'Index a d'abord été considéré comme une méthode permettant
de mettre en ordre le matériel psychanalytique pour des recherches
ultérieures et, pendant un certain temps, on a vu dans les difficultés
rencontrées pour l'établir des obstacles à la réalisation d'une oeuvre
complète. Ces difficultés ont été importantes ; j'ai fait allusion plus
haut à quelques-unes d'entre elles. Ces difficultés se centrent surtout
autour de deux problèmes principaux. Le premier : faire de l'Index
un instrument assez exhaustif et détaillé pour que tout chercheur puisse
y trouver assez de matériel pour répondre à ses questions. De temps
à autre, ceux qui utilisaient l'Index pour chercher des réponses à des
questions spécifiques se plaignaient qu'au lieu de réponses ils avaient
trouvé d'autres questions. N'importe quel fragment de matériel recueilli
dans l'Index se révélait plein de trous si on l'examinait au microscope,
car à moins que le thérapeute qui indexait le cas n'ait eu un intérêt
spécial pour ce problème particulier, les détails qu'il rapportait étaient
insuffisants, ou bien il indexait le matériel d'une autre façon.
Le second grand problème touchait à la nécessité constante de
modifier les définitions dans les manuels pour les rendre plus précises
et riches de sens suivant les observations des thérapeutes. De ces
modifications découlaient la réindexation de larges sections des obser-
vations, ce qui à son tour avait des répercussions sur les formulations
dans les manuels de l'Index.
Ces deux ordres de difficultés étaient source de grande frustration
et parfois de découragement pour tous ceux qui s'occupaient de l'Index.
Cependant, à mesure que les manuels prenaient forme, on s'est rendu
compte que, ce qui à l'origine paraissait être des sous-produits de
l'Index était des contributions substantielles à la théorie psychanalytique.
Nous avions fait de la recherche sans le savoir ! Une fois que nous
eûmes réalisé cela, la formation de plusieurs groupes de recherche
chargés d'étudier les problèmes théoriques soulevés par l'indexation
allait de soi.
Si l'on examine les processus en jeu dans la composition de l'Index,
on s'aperçoit qu'ils se répartissent en plusieurs temps intimement liés
entre eux. En premier lieu, il était nécessaire que les thérapeutes
conceptualisent et classent leur matériel en catégories suivant leur
connaissance personnelle de la théorie psychanalytique, ce qui avait
pour effet de lier plus étroitement la théorie et l'observation dans
l'esprit de chaque thérapeute. Il en résultait également une plus grande
L'INDEX DE HAMPSTEAD 45
acuité de la perception, puisqu'il fallait répartir des amas de matériel
en unités de théorie ; des failles dans le matériel et même des inexac-
titudes dans la compréhension furent dévoilées.
Au second stade, il fallait rendre nos modèles psychanalytiques
intérieurs plus subtils afin de les accorder avec plus de précision aux
observations. Les concepts et les perceptions étaient juxtaposés et
le modèle théorique devenait plus cohérent, plus précis et mieux intégré.
Les anomalies théoriques étaient mises en lumière et on s'efforçait
de les réduire.
A un troisième stade, se plaçait la réévaluation des observations
analytiques suivant les formulations théoriques révisées. Ceci correspond
au premier stade à un niveau différent, et au fur et à mesure qu'un
plus grand nombre de cas étaient indexés, on pouvait voir les effets
de ce processus de « va-et-vient ». Ces processus sont tout à fait ana-
logues aux processus de « va-et-vient » du développement perceptuel
et conceptuel à la fois de l'enfant et du savant. L'édification d'un Index
se conforme donc bien aux autres méthodes scientifiques : elle emploie
une technique spéciale d'épreuve de la réalité et du concept.
Partant de là, il n'y a pas un grand pas à franchir pour appliquer
le procédé de l'établissement d'un index à d'autres types d'observation
psychanalytique, à des cas d'adultes aussi bien qu'à des cas d'enfants,
ou à d'autres domaines spéciaux au sein de la psychanalyse et c'est
comme technique scientifique offrant la possibilité d'une vaste appli-
cation que ce mode de recherche est recommandé aux analystes.
BIBLIOGRAPHIE
4
périodiques psychanalytiques, qui sont rédigés dans un langage plein
d'abstractions et de généralisations, bâclé pour la communication
entre psychanalystes. Tout ceci est très éloigné, pour une grande part,
de ce qui se passe vraiment lorsque la méthode psychanalytique est
utilisée pour la thérapie ou la recherche dans la pratique concrète
quoditienne de l'analyste ordinaire.
Comment la méthode psychanalytique s'applique-t-elle dans la
REV. FR. PSYCHANAL.
50 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
une invitation à rompre les relations avec les autres disciplines scienti-
fiques connexes ou cesser de tenter de coopérer avec d'autres scienti-
fiques. On peut espérer que ces tentatives offriront des solutions à
quelques-uns des problèmes limitrophes relatifs à l'esprit humain.
En outre, mieux nous connaissons la façon dont les autres scientifiques
travaillent et les méthodes qu'ils emploient, mieux nous sommes à
même d'affermir les méthodes qui nous sont propres et mieux nous
réalisons ce que nous avons et ce qui nous manque.
Ce que nous voulons dire, c'est que les réponses aux questions
essentielles de la psychanalyse doivent être cherchées au sein même de
la psychanalyse et que c'est l'utilisation de la méthode psychanalytique
elle-même, et son énonciation, qui doivent fournir ce qui est nécessaire
à la correction de ses données, à la validation de ses conclusions, à la
précision de ses instruments et tout ce qui lui manque encore pour la
mettre à égalité avec des disciplines plus avancées. Pour ce faire, nous
avons un long chemin à parcourir, mais nous savons par où commencer.
tement une réserve que fait Hartmann sur l'effet que peut avoir l'échange
d'informations entre psychanalystes ; et l'on se demande si en pratique
il est possible que l'analyste ne soit pas influencé par l'information
portée à son attention par une source autre que l'analyse. Il aurait
sans doute été plus prudent sur le plan de la méthodologie de laisser
les analystes isolés les uns des autres et de collationner leur matériel
seulement au niveau des contrôleurs. Même ces derniers n'auraient pas
été dégagés de l'influence des informations, mais du moins ils sont à
l'écart de la conduite de l'analyse. Les remarques de Loewenstein sur
la méthodologie, si appropriées qu'elles soient, ne sont peut-être pas
d'une importance aussi cruciale que la mise en commun du matériel
entre les divers analystes. Il n'est pas rare que le malade sache que son
traitement sert aussi à des fins didactiques ou de recherche, surtout
parmi les malades de dispensaire, de cabinets de groupe, les cas de
contrôle, etc., mais cela se résout habituellement par l'analyse, et les
résistances qui y sont liées ont plus de chance d'être surmontées si
l'analyse se déroule de façon satisfaisante.
Il reste à mentionner quelques points de moindre importance. Ainsi,
dans le compte rendu des collaborateurs de ce travail de recherche,
nous notons que le concours d'un spécialiste de la recherche et surtout
d'un statisticien fait défaut. Il est certainement regrettable que si peu
de psychanalystes se spécialisent autrement qu'en amateurs dans ce
domaine, si même il y en a. C'est que nous croyons probablement encore
que seule la tendance obsessionnelle explique un intérêt de cet ordre.
Mais jusqu'au moment où nous pourrons former nos propres statisticiens
analytiques ou nos propres spécialistes des plans de recherche, il nous
faudra faire appel à des spécialistes qui guideront nos efforts opiniâtres,
indispensables pour mettre de l'ordre dans ces immenses masses de
données et en tirer des conclusions. Des cerveaux électroniques nous
seront sans doute nécessaires pour assister nos capacités humaines
limitées dans notre quête de la vérité.
Un autre exemple (je cite) : ils « ont tenté de faire en sorte que l'Index
soit suffisamment exhaustif et détaillé ». Je suis certain que là aussi les
collaborateurs de l'Index se sont trouvés devant un problème logique,
le problème de l'induction, et qu'ils ont eu à s'occuper de ce qui relève
de l'induction complète ou partielle. Il vaut la peine de rappeler ici que,
d'après l'avis général des méthodologistes et des philosophes de la
science, il n'existe rien dans aucune discipline des connaissances
humaines que l'on puisse considérer comme la réalisation totale ou
même approximative d'une induction complète. Toute induction est
nécessairement partielle.
Quant aux deux problèmes qu'ils ont mentionnés, on ne sait si c'est
une question de style ou de modestie qui les a conduits à désigner leurs
réalisations comme problèmes. Que les chercheurs en quête de réponses
avancent des questions, des questions que l'on espère significatives,
nous paraît être la meilleure voie vers la connaissance.
Ce que nous avons entendu du travail de recherche de l'Index ne
peut être loué avec trop de vivacité. Néanmoins, si logique qu'ait été
constamment Sandler, dans la partie centrale de son exposé, il a commis
une erreur que l'on pourrait appeler, d'un point de vue extérieur à
l'analyse, un psychanalysisme », lorsqu'il a soutenu simplement que
«
La signification
les schémas de la signification
et les schémas corporels
de la pensée( 1)
ce dont l'analyste parle tant est tout aussi dénué d'importance que la
question de l'abattage rituel. Sa théorie sexuelle infantile sur l'origine
des différences anatomiques fut interprétée pour elle par l'analyste.
Quand elle se sentit convaincue que les bêtes abattues sont sans poids,
cette idée ne sembla pas absurde ou étrangère à son Moi, car elle était
alors au stade de latence.
Les recherches de Piaget et de Inhelder [24] ont montré que les
enfants de moins de 9-10 ans ont une conception du poids différente
de celle des adultes ; ils imaginent que le poids est dû à des forces impul-
sives vers le haut ou vers le bas, sans rapport avec le volume, la substance,
ou autres conditions physiques. A l'âge de 9-10 ans, une révision de
cette conception du poids commence à se faire. Les opérations intel-
lectuelles permettant d'inclure un objet dans une classe commencent
à se développer et à prendre toute leur force (1). En conséquence, l'en-
fant devient sensible aux contradictions, c'est-à-dire qu'il ne tolère
plus aussi volontiers des vues et des informations contradictoires sur
les mêmes sujets. Il commence à organiser dans sa pensée des obser-
vations apparemment contradictoires. Ceci l'amène à abandonner peu
à peu les conceptions de la première enfance et à leur en substituer
d'autres plus adaptées à la réalité physique.
En conséquence, le contenu de pensée de cette malade qui concevait
comme sans poids les bêtes abattues pour la boucherie, venait d'un
courant régressif dans sa pensée. Cependant elle ne supportait pas la
contradiction logique entre ce contenu et le reste de ses informations
à cause des opérations d'inclusion dans une classe. La régression du
processus de la pensée est seulement partielle. Elle est limitée au contenu
de la pensée et ne s'étend pas à son modus vivendi. En conséquence du
sur-investissement du contenu régressif à l'aide d'énergie instinctuelle
agressive non neutralisée, la fonction synthétique du Moi subit un
trouble.
Des recherches expérimentales sur le processus de la pensée ont
montré [Szekely, 34, 35, 37] que la difficulté de penser en relation avec
(1) Par opération d'inclusion dans une classe, Piaget entend les moyens de penser qui
rendent possible la manipulation du rapport entre le tout et la partie à l'intérieur d'un groupe
de catégories. Par exemple : les garçons et les filles sont des enfants. Les enfants et les adultes
sont des êtres humains. On peut ajouter ensemble deux classes et ainsi les inclure dans une
classe plus grande. Quand les enfants sont capables de faire systématiquement l'opération
inverse, c'est-à-dire quand ils peuvent soustraire (par exemple : les êtres humains sans les
enfants sont les adultes), alors la réversibilité est présente dans leur pensée. Quand il doit
généraliserou différencier, l'enfant peut, en pensée, procéderde la partie vers le tout, ou l'inverse,
sans accepter de contradictions.
60 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
(1) Lorsque j'ai publié mes études sur la psychologie de la pensée, il y a dix et vingt ans,
je n'avais pas non plus conscience de l'existence de ce mécanisme.
LA SIGNIFICATION, LES SCHÉMAS DE LA SIGNIFICATION 61
(1) Nous ne pouvons pas discuter ici en détail la distinction entre les stades du dévelop-
pement et les événements historiques. Dans notre contexte, deux points de vue sont décisifs.
Le développement ne consiste,pas en une quelconque série d'événements pris au hasard. La-
série d'événements que nous considérons ici comme un développement est cyclique ; elle est
caractéristique de l'espèce biologique et est reproduite par une génération après l'autre. D'autre
part, n'importe quelle succession d'événements donnée peut former une seule histoire. Deuxiè-
mement, le développement est assez fortement lié aux conditions intra-systémiques et résiste
assez fortement aux influences extérieures au système. Les événements historiques et leurs
dates sont assez fortement soumis à des influences extérieures au système.
Nous désirons appliquer cette distinction à la genèse de l'idée que les bêtes abattues sont
sans poids. Cela, ainsi que le moment où les moyens de pensée et les inclusions dans une classe
agiront, est une questionde développement. Le fait que le père de notre malade parlait tellement
des lois de l'abattage rituel des bêtes avant qu'elle eût atteint un stade assez avancé de son
développement, appartient à une histoire individuelle.
La distinction assez peu claire qui existe entre développement,et histoire personnelle est
principalenient responsable de l'incertitude concernant le rôle joué par l'expérience dans la
controverse constitution-environnement. Expérience et environnement ne sont pas des concepts
synonymes. Ce que nous appelons expérience personnelle est conditionné à la fois par le stade
du développement et par les événements historiques (Székely, 37).
64 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
5
Il y a dans la théorie psychanalytique deux propositions impor-
tantes au sujet de la pensée. La première est une affirmation métapsy-
chologique, à savoir que la pensée est un essai comportant seulement
une légère dépense d'énergie. L'autre proposition importante est des-
criptive, et affirme que la pensée adulte n'accepte pas de contradictions,
tandis que la pensée infantile et la pensée inconsciente les acceptent.
L'une et l'autre proposition ont aussi des aspects génétiques et psycho-
REV. FR. PSYCHANAL.
66 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
CONNAISSANCE ET SIGNIFICATION
des situations... de la signification que l'on vit par rapport à son propre
monde. »
L'attribution d'une signification est un problème relativement
négligé par la psychologie classique qui le relègue dans le domaine des
perceptions et des fonctions de la mémoire, et fait des hypothèses
concernant l'interaction entre le processus de la perception et les
traces mémorielles. Toutes ces théories sont basées sur le postulat
fondamental que le monde extérieur possède déjà des représentations
significatives endopsychiques. En fait ces théories ont seulement pour
but de définir les règles selon lesquelles un nouvel élément est accepté
dans la société des anciens éléments. La psychanalyse montre cependant,
que l'expérience corporelle que l'on éprouve dans la série plaisir-
déplaisir donne aux perceptions externes leur signification première.
ADDENDUM
RÉSUMÉ
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II
Théorie de la pensée(I)
par W. R. BION (Londres)
conscience d'une dualité, comme dans sein et enfant, deux yeux, deux
pieds, etc.
10) Si la tolérance de la frustration n'est pas trop grande, la modifi-
cation devient le but dominant. Le développement des éléments mathé-
matiques, ou des objets mathématiques, comme Aristote les appelle,
est analogue au développement des conceptions.
11) Si l'intolérance de la frustration domine, des mesures sont
prises pour éluder la perception de la prise de conscience par des
attaques destructrices. Dans la mesure où préconcept et actualisation
s'unissent, des conceptions mathématiques se forment, mais elles sont
traitées comme si elles étaient indiscernables de choses en soi, et sont
évacuées à grande vitesse comme des projectiles pour annihiler l'espace.
Dans la mesure où espace et temps sont perçus comme identiques à
un mauvais objet qui est détruit, c'est-à-dire un non-sein, l'actualisation
qui devrait s'unir à la préconception n'est pas disponible pour
compléter les conditions nécessaires à la formation d'une conception.
La prédominance de l'identification projective rend confuse la dis-
tinction entre soi et l'objet externe. Ceci contribue à l'absence de toute
perception de dualité puisqu'une telle prise de conscience dépend de
la reconnaissance d'une distinction entre sujet et objet.
12) Quant à la relation avec le temps, un malade me l'a fait
comprendre graphiquement : il répétait toujours qu'il perdait du temps
— et continuait à le perdre. Le but du malade est de détruire le temps
en le perdant. Les conséquences en sont illustrées dans la description
dans Alice au pays des Merveilles du thé chez le Chapelier Fou : il est
toujours quatre heures.
13) L'incapacité de tolérer la frustration peut faire obstacle au
développement des pensées et d'une capacité de penser ; pourtant une
capacité de penser diminuerait le sentiment de frustration inhérent à
l'appréciation du hiatus entre un désir et son accomplissement. Les
conceptions, c'est-à-dire l'issue de l'union d'une préconception avec
son actualisation, répète sous une forme plus complexe l'histoire de
la préconception. Une conception ne rencontre pas nécessairement
une actualisation qui s'en approche assez près pour engendrer la satis-
faction. Si la frustration peut être tolérée, l'union de la conception
et des actualisations, soit négatives, soit positives, instaure des procédés
nécessaires à l'apprentissage par expérience. Si l'intolérance de la frus-
tration n'est pas assez grande pour activer les mécanismes de fuite
devant celle-ci, mais trop grande pourtant pour supporter la prédomi-
nance du principe de réalité, la personnalité fait naître et croître l'omni-
THEORIE DE LA PENSEE 79
BIBLIOGRAPHIE
La pensée
et l'hallucination négative(I)
par CECILY DE MONCHAUX (Londres)
(1) Communication faite air Symposium sur La pensée, à une réunion de la Société britan-
nique de Psychanalyse, le 15 novembre 1961. Ceci est une version un peu développée d'une
communication faite au XXIIe Congrès international de Psychanalyse à Edimbourg, en
août 1961, pour ouvrir le débat du Symposium sur L'étude psychanalytique de la pensée.
86 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-1964
(1) Le problème n'était pas résolu quand Freud donna une nouvelle formulation de son
modèle de l'appareil mental après 1920, car nous le retrouvons, transposé de termes de fonction
eu termes de structure, dans la controverse portant sur la question : le Moi a-t-il des origines
exemptes de conflit ?
88 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964
(1) Les allusions antérieures de Freud [2, 4, 5] à l'hallucination négative sont, à une excep-
tion près, plus descriptives qu'explicatives. Cette exception se trouve dans La psychopathologic
de la vie quotidienne. Freud y emploie ce terme pour expliquer une « coïncidence » apparemment
remarquable, où il avait aperçu des amis juste après avoir pensé à eux. Il explique cela par une
hallucination négative dans laquelle il a dû « écarter sa perception originale » de ces amis. Il ne
semble pas que Freud ait fait le rapport entre l'hallucination négative et la négation, car lorsqu'il
a été amené à débattre le sujet de La négation [7] en 1925, il se souciait surtout de démontrer
l'expulsion et la destruction symboliques latentes dans le contenu manifeste de la négation
intellectuelle. En même temps, toutefois, il a effectivement montré comment le moi utilise le
symbole de la négation — « non » — pour permettre aux idées inconscientes de pénétrer dans
la conscience, mais avec méfiance pour ainsi dire : ainsi l'éternuementqui suit la pensée que l'on
n'a pas eu de rhume récemment, et l'orgueilleuseaffirmation de l'avare que, s'il existe un travers
dont il n'est pas coupable, c'est bien la ladrerie.
LA PENSÉE ET L'HALLUCINATION NÉGATIVE 89
moteurs
Investissement régressif de l'image
mémorielle
Retrait de l'investissement des sys-
tèmes
Description du contenu
l'image moderne
(1) Freud [3] : La mémoire et la qualité qui caractérise la conscience s'excluent mutuel-
lement.
90 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964
I
Affects, reviviscence des émotions
et prise de conscience
au cours
du processus analytique(I)
par ARTHUR R. VALENSTEIN (Boston)
Dans une brève discussion sur un sujet aussi vaste que celui de la
situation psychanalytique, nous ne pouvons porter toute notre attention
que sur l'un ou l'autre de ses aspects sans avoir l'intention de les
embrasser tous. Néanmoins, le fait de limiter une étude théorique à un
aspect technique unique ou à quelque élément curatif particulier
ressemble à une approche arbitraire quand on l'envisage sur le plan
du si complexe processus psychanalytique, avec toute la diversité des
principes et des agents thérapeutiques qui, avec le temps, isolément ou
combinés, rendent compte du changement. Toutefois, si nous compre-
nons qu'une semblable limitation n'est due ni à une omission par oubli,
ni à une dévalorisation intentionnelle des autres effets essentiels concou-
rant au processus analytique, la clarté conceptuelle peut être renforcée,
avec pour conséquence pratique une utilisation possible sur le plan du
diagnostic et de la technique. Après ce préambule explicatif, j'aimerais
envisager la fonction des affects et le rôle de l'émotion, au sens de
remémoration à charge émotionnelle et de reviviscence des émotions,
par rapport aux progrès de la prise de conscience.
Ce qui s'avère essentiel dans toute discussion sur les affects au cours
de la situation analytique, c'est la nécessité d'une théorie psychanalytique
d'ensemble des affects ainsi que d'une théorie générale de la thérapeu-
tique psychanalytique, l'une et l'autre se situant parmi les plus difficiles
(1) Version élargie du texte lu au Symposium sur La situation psychanalytique : le cadre et le
processus de la cure, au XXIIe Congrès international, Edimbourg, juillet-août 1961.
94 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964
(1) In Métapsychologie, trad. Marie BONAPARTE et Anne BERMAN, Paris, Gallimard, 1940.
96 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964
qui ne sont pas seulement affectés d'une forte propension à la vie fan-
tasmatique et au passage à l'acte, mais dont les réactions touchant les
affects sont souvent aussi fortes et relativement primitives. Ces sortes
d'hyperémotifs possèdent parfois une structure du Moi relativement
inefficace, quand il s'agit pour eux de modérer des affects intenses. La
capacité de posséder un degré de détachement compatible avec une
prise de conscience qui leur permettrait de réfléchir sur eux-mêmes se
trouve d'autant réduite. Ils investissent habituellement de manière
outrancière certains éléments à l'aide d'une forme d'affect plus proche
de la tension instinctuelle en tant que telle ; ainsi, sous une charge
excessive, le Moi tend à se tirer d'affaire, en ce qui concerne cette
tension, grâce à une décharge directe, sous forme de tempête émotion-
nelle ou de passage à l'acte. En pareilles circonstances, les fonctions
du Moi sont intensément libidinalisées ou prennent une teinte agres-
sive et, étant donné que le fonctionnement du Moi, ce qui concerne
son rôle d'intégrateur, se trouve à un niveau régressif, il se produit
une diminution correspondante dans l'utilisation de l'affect en tant que
signal et communication. La perception cognitive et la compréhension
sont, elles aussi, atteintes en même temps que se réduit cette conscience
de soi étendue que nous appelonsfaculté de prendre conscience (insight).
A première vue, il semble que cette instabilité et ce manque de
modération émotionnels ne puissent être considérés que comme des
symptômes de la névrose de ces patients, étroitement liés à leur mode
de satisfaction instinctuelle. Toutefois, c'est bien plus que cela. Un
excédent d'affects se trouve inconsciemment employé à des fins de
défense, souvent en association avec des dérivés instinctuels et leur
décharge et cette action excessive des affects est assez habituelle chez
certains malades. Elle peut être suffisamment spécifique pour que nous
ayons le droit de la qualifier de mécanisme de défense. Cela serait
compatible avec une approche théorique de l'aménagement de la
tension et des modes de décharge pulsionnelle, avec les défenses qui en
découlent, si on l'envisage de la façon suivante : la pensée et son utili-
sation excessive, inconsciemment déterminée, dans un but défensif,
c'est-à-dire l'intellectualisation; l'action et son utilisation inconsciente
dans des « agissements » fantasmatiquement organisés en vue d'une
défense, c'est-à-dire le passage à l'acte; l'affect et son intensité accrue,
son excès, avec une utilisation, une exploitation destinées à défendre
le sujet contre une appréciation cognitive des aboutissements à charge
trop affective et la reconnaissance rationnelle des connexions expli-
catives, c'est-à-dire. l'affectualisation.
100 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964
Elle avait toujours senti peser sur elle le sentiment de son impuis-
sance et de son incapacité. Elle craignait fort que la psychanalyse ne
mît à jour non seulement des traits de caractère indésirables et des
goûts dépravés, mais aussi sa nullité fondamentale. En outre, elle
redoutait que la psychanalyse ne limitât sa liberté d'action et la réduisît
à un état de médiocrité bien agencé.
Il apparut que son émotivité et, en particulier, ses accès de colère
ne constituaient pas seulement une réaction infantile à la frustration
et une conséquence de sa vulnérabilité narcissique ; ils servaient aussi,
à la manière d'un rideau de fumée, à voiler le champ analytique, à
contrecarrer l'émergence des associations de la malade et l'apparition
de l'introspection et de la conscience intellectuelle de soi à un degré
suffisant pour que le comportement et les associations de la patiente
prissent un sens, pussent être interprétés de façon adéquate et faire
l'objet d'une prise de conscience toujours plus approfondie. Peu à peu,
la malade se rendit compte qu'elle entretenait des émotions en excès
pour éviter ou pour brouiller la notion de ce qu'elle craignait.
Vers la fin de cette phase, quand elle se sentit moins menacée par
l'analyse et les aperçus que fournissait cette dernière, son état s'améliora
beaucoup. La plupart du temps elle put écouter tranquillement, en
réfléchissant, ce que je pouvais lui dire — et cela sans plus se mettre en
colère. En dehors des séances, les événements vécus furent considérés
avec plus de sagesse et elle se trouva moins poussée au passage à l'acte
comme si elle avait vraiment eu affaire au ciel ou à l'enfer.
Voici ce qu'elle me" dit alors : « Pendant les séances analytiques je
me suis souvent demandé ce que je faisais dans l'analyse, pourquoi je
m'étais astreinte à une pareille tâche. Il existe une forte attraction
dans des sens opposés — le désir de connaître les mystères que je
recèle en moi et la peur de découvrir ce que j'ignore de moi-même.
L'une des plus grandes menaces de la découverte, c'est d'apprendre à
savoir comment utiliser ce qu'on vient d'apprendre. Car bien que l'on
m'ait dit que je n'avais pas besoin de changer, que c'est seulement
par la connaissance que je pourrais changer et qu'à ce moment-là,
le choix m'appartiendrait, ce n'est pas ainsi que je considère la chose.
Car il faut que je sois sincère envers ma conscience et mon honnêteté
intérieures et comment continuer dans une direction qui se trouve en
contradiction avec les découvertes que je fais ? J'irais à l'encontre des
desseins de la psychanalyse. Bien que la tentation de m'en tenir à ce
qui est familier, connu, soit grande, le but à atteindre est « la vérité
qui devra vous rendre libre » et selon laquelle je devrai agir. »
102 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964
qui peut être éprouvé, mais qui se situe au-delà des mots ou de la défi-
nition et « au-delà des limites de la psychanalyse ». Pourtant il le situait
« tout proche de nos limites » et spécifiait que par l'analyse, l'analysé
est amené « à un nouvel Erlebnis (une nouvelle expérience vécue) de
lui-même ». Le phénomène d'Erlebnis pour lequel il n'existe de terme
équivalent ni en anglais (ni en français), ne saurait être conçu sans une
manifestation émotionnelle des affects ; par exemple sous la forme du
rire, des pleurs, de l'anxiété, de la honte, de la tristesse, de la joie, etc.,
et de l'utilisation d'une syntaxe et d'une diction, qui présentent fréquem-
ment des éléments enfantins et primaires. La communication directe
d'une expérience émotionnelle intérieure se fait fréquemment par l'uti-
lisation d'un langage familier et argotique, et avec différentes caracté-
ristiques de l'expression poétique, telles que l'emploi de termes courants
exprimant la sensualité des images, des métaphores, des onomato-
pées, etc., ce qu'expose si clairement Sharpe [27] dans son livre paru
en 1937 sur L'analyse du rêve.
Les souvenirs qui ont un caractère &Erlebnis font de la reviviscence
une expérience vitale et une vérité personnelle. La prise de conscience
qui surgit à de tels moments constitue une connaissance de soi d'ordre
affectivo-conatif. C'est exactement à de tels moments que des commen-
taires interprétatifs appropriés ont un pouvoir dynamique efficace, ou,
comme l'a dit Strachey [29] en 1934, favorable aux modifications,
pourvu que les interprétations soient écoutées avec une lucidité cogni-
tive, c'est-à-dire comme des remarques logiques qui ont une perti-
nence explicative. En outre, pour que se développe une conscience de
soi définitive, une certaine prise de distance à l'égard de soi-même doit
être possible. Les interprétations, en tant qu'interventions explicatives
riches de sens, s'adressent à un Moi qui est activement capable d'expé-
rience dans le sens de participation émotionnelle et de relation avec
des événements actuels et passés. Elles font appel également à un Moi
capable d'introspection, d'auto-observation et de réaction en matière
de conception intellectuelle et d'explication. Un transfert chargé d'affect,
des expériences extra-transférentielles, des communicationsdans l'actuel
et des souvenirs du passé émotionnellement actifs, constituent le trait
vital empirique d'une psychanalyse. Et ils sont aussi pleinement authen-
tiques que les plus ou moins « exactes répétitions » préconisées par
Ferenczi et provoquées par une technique active à l'excès. En outre,
du fait d'une place quelque peu plus limitée dans la vie du malade,
l'expérience ou la reviviscence émotionnelle, suivant le sens dans lequel
je l'ai décrite, est bien moins compliquée, au point de vue de la réalité
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 109
(1) Le Dr Robert Waedler, en discutant une version précédente de cet article avança cette
remarque intéressanteque prise de conscience signifie « réalisation» élaborée ou, en fait, « subie »,
et ceci m'amena à considérer plus avant la nature de l'élaboration de ce point de vue.
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS III
ou externe, mais aussi aux conflits névrotiques, et à ce point de vue,
il reflète l'expression symptomatique de conflit et de défense incons-
cients. Le conflit névrotique est résolu par la suppression du refoule-
ment, c'est-à-dire de la défense, et l'apparition du conflit au niveau
de la conscience où il affronte la réalité et l'évaluation rationnelle cogni-
tive. L'énergie, jusqu'alors liée ou structurée, dans la lutte défensive
contre des penchants instinctuels repoussés, est libérée pour une redis-
tribution à un niveau d'adaptation plus réaliste et plus mûr. Comme le
dit Freud [18] : « Là où fut le Ça, il y aura le Moi. » Une connaissance
étendue de soi, combinant les composantes à la fois affectivo-volitives
et intellectuelles-cognitives, signifie une prise de conscience mutative
ou dynamique supprimant la structuration névrotique du Moi, rendant
possible, après cela, une modification du fonctionnement du Moi sous
la forme de nouveaux modèles d'action. Comme l'élaboration (working
through) avance rapidement au cours de cette interminable phase
d'auto-analyse, qui suit la conclusion de l'analyse sous sa forme conven-
tionnelle, ces nouveaux modèles d'action, de même que les nouveaux
modèles de pensée et d'affect, aboutissent à un degré croissant de struc-
turation. C'est exactement cette restructuration du Moi, à mesure qu'elle
acquiert une autonomie appréciable, qui explique la stabilité d'une
réadaptation plus saine et durement gagnée comme résultat final.
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II
La psychologie du rêve
et l'évolution
de la situation psychanalytique( 1)
I. —
L'AUTO-ANALYSE DE FREUD
ET LA DÉCOUVERTE DE LA SITUATION ANALYTIQUE
rétabli que l'on peut voir fonctionner la faculté de faire de bons rêves
et d'associer librement.
Cette longue digression a eu pour but de montrer comment la situa-
tion analytique, une fois établie, permet d'observer les processus véri-
tables dont elle découle : c'est-à-dire le désir de dormir, le désir de se
réveiller et la capacité de rêver.
En éliminant le sommeil hypnotique en tant qu'agent thérapeutique
et en répartissant, dans la situation analytique, la totalité des forces
psychiques qui agissent chez le dormeur, Freud a permis d'évaluer le
rôle et la fonction du sommeil et de la veille à la fois dans la situation
thérapeutique et dans l'évolution ontologique (v. Fliess [23] ;
Isakower [45] ; Lewin [60] ; Federn [18] ; Gifford [32] ; Hoffer [44] ;
Spitz [87] ; Scott [84] ; Winnicott [103, 104]).
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CONTRIBUTION A LA DISCUSSION( 1)
par EMANUEL WINDHOLZ (San Francisco)
nettes ont été possibles tant que nous n'avons appliqué la psychanalyse
qu'aux névroses symptomatiques.
L'analyste dispose de plusieurs moyens de protéger et de maintenir
la situation analytique sans l'emploi de nouveaux procédés techniques,
de modifications et d'innovations que Khan repousse. Citons-le encore.
Ce qui préserve la vertu de ces crises cliniques c'est que les ressorts
dont Freud s'est servi dans la situation analytique sont suffisamment
souples et flexibles pour faire face à ces « besoins » et peuvent résister
à toutes les « illusions », à toutes les déformations primitives que le
patient leur soumet. « Il est exact qu'un grand nombre de ces états ne
peuvent être abordés en se servant de la méthode classique, tel le cas
de « la personnalité schizoïde » traitée par Khan avec une rare habileté
et tant d'esprit inventif » [3]. Étant donné la difficulté qu'il y a à
comprendre le comportement de ces patients, en particulier dans la
première phase de l'analyse, il est sage de ne pas avoir d'idée préconçue
au sujet de l'analysabilité. J'aimerais citer une description de la méthode
exposée aujourd'hui par Valenstein. Elle se rapproche de celle donnée
par Khan, dans sa communication. « La beauté de la méthode psycha-
nalytique classique, telle qu'elle s'est développée et maintenue au cours
de ce demi-siècle, tient à ce qu'elle est en soi bien plus préadaptée à toute
éventualité cliniquemoyenne qu' on ne le croit habituellement. » Valenstein
a parlé de la conférence d'Anna Freud à Boston, dans laquelle elle a
exposé, avec plus de détails, les idées déjà énoncées à San Francisco et qui
sont particulièrement pertinentes. Elle nous a exposé un système de
référence, destiné à faciliter la compréhension des attitudes du malade, qui
utilise sélectivementla situation analytique selon ses besoins individuels.
C'est maintenant l'article de Valenstein qui va retenir mon attention.
Durant les quelques minutes dont je dispose pour discuter, il ne me
sera pas possible de rendre hommage à son savant exposé. C'est une
vaste étude de l'évolution de la théorie des affects. A la fin de chaque
chapitre, il nous dit quels problèmes restent à résoudre et quel domaine
doit être exploré plus à fond. Le temps dont il dispose ne lui permet
pas de présenter des exemples cliniques venant à l'appui de son concept
de « l'affectualisation » en tant que défense. Ces exemples fournissent une
preuve impressionnante du double aspect de ce « syndrome caractériel ».
Les dangers d'une implication de l'analyste se trouvent esquissés
dans une discussion sur « l'expérience émotionnelle corrective ». Les
indications thérapeutiques concernant de telles interventions dans des
conditions qui ne conviennent pas à la psychanalyse proprement dite,
y sont clairement décrites. Dans son étude de la « thérapeutique active »
136 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
BIBLIOGRAPHIE
La psychanalyse infantile
aujourd'hui ( 1)
de son jeune malade peuvent entrer dans le transfert, ce qui amène une
amélioration de sa relation avec ses parents, même dans les premiers
mois de l'analyse. L'étudiant peut alors prévoir que les parents risquent
de perdre de vue la maladie de l'enfant et voudront arrêter le traitement.
Il y sera préparé ainsi qu'à l'intensification des difficultés à la maison
au cours de l'interruption de l'analyse pendant les vacances.
Je ne peux pas entrer dans le détail et examiner toutes les vicissitudes
des difficultés de l'analyste dans sa relation avec les parents. C'est là
une partie intégrante de son travail, compliquée et délicate à manier, qui
nécessite de la flexibilité et une confiance considérable dans la psycha-
nalyse infantile en général et dans son propre travail en particulier.
Si toutes ces conditions sont remplies, la relation avec bien des parents
peut devenir une source supplémentaire de gratification.
Le second facteur spécifique à l'analyse infantile concerne l'effort
qu'imposent au système mental de l'analyste aussi bien le contenu du
matériel infantile que son mode d'expression. L'intensité de la dépen-
dance de l'enfant, de son transfert positif et négatif, la nature primitive
de ses fantasmes, tendent à éveiller les propres angoisses inconscientes
de l'analyste. Les projections violentes et concrètes que fait l'enfant
dans l'inconscient de l'analyste peuvent être difficiles à contenir. La
souffrance de l'enfant tend aussi à faire appel aux sentiments parentaux
de l'analyste ; ceux-ci doivent être maîtrisés pour que soit maintenu
le rôle analytique qui convient. Ces problèmes risquent d'obscurcir
la compréhension de l'analyste et d'accroître en retour l'angoisse et la
culpabilité qu'il ressent à propos de son travail.
En outre, le matériel infantile peut être plus difficile à comprendre
que celui de l'adulte, car il est de sources plus primitives et son mode
d'expression exige une connaissance plus profonde des niveaux primitifs
de l'inconscient. Avec les enfants, il arrive que l'on reste longtemps
sans rien comprendre de ce qui se passe, jusqu'au moment où tout à
coup quelque chose surgit des profondeurs qui nous éclaire et l'on
interprète sans être toujours en mesure de voir comment cette conclusion
a été atteinte. Cela impose à l'analyste d'enfants une plus grande
dépendance à l'égard de son propre inconscient qui lui fournit les
indices de la signification du jeu de l'enfant et des communications
non verbales.
Voici deux exemples cliniques qui illustreront ce que je viens d'exposer.
Le premier est un cas que j'ai eu en traitement, le second celui d'un analyste
que je contrôlais. L'extrait cité est tiré de la première séance d'un garçon de
neuf ans, qui m'était adressé pour cause d'énurésie, de timidité et parce qu'il
144 REVUE: FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
était trop accroché à sa mère. Il entra dans le box de traitement avec moi et
resta debout, tortillant son béret et rougissant. Je lui dis qu'il se pouvait
qu'il se sente mal à l'aise parce qu'il ne savait peut-être pas ce que nous allions
faire là. Pas de réponse. Je lui montrai sa boîte à jouets en lui disant que c'était
pour lui pendant les séances. Il ne bougea pas et resta planté là comme s'il
était abasourdi. Je lui dis qu'il avait été informé qu'il viendrait me voir cinq fois
par semaine et que j'essayerai de l'aider à résoudre ses soucis, mais il me sembla
qu'il s'attendait à quelque chose de tout à fait différent qu'il n'était pas capable
de me dire ou qu'il ne savait peut-être pas lui-même. Il resta silencieux et
immobile, mais paru tendu et troublé. Puis il jeta un coup d'oeil vers le papier
sur la table. Je dis qu'il montrait que cela lui serait plus facile de me raconter
quelque chose sur le papier que de parler. Il fit signe que oui, s'assit et dessina
une hutte sur la montagne, un chemin et un arbre. Lorsque je lui demandai
des explications, il me répondit qu'il s'agissait d'un jeune homme qui vivait
seul dans une cabane de bois dans les montagnes. Un cerf lui tenait compagnie.
Une nuit un homme est venu voler le cerf. Lorsque le jeune homme s'est
réveillé le matin, il n'a pas trouvé son cerf. Il est sorti de la cabane et a vu
les traces d'un homme et de son cerf dans la neige. Il a suivi ces traces. Il avait
peur que l'homme le tue, mais il a continué son chemin. Il me raconta cette
histoire de façon morne et solennelle. Je lui dis qu'il y avait un arbre de Noël
dans le dessin et que de la sorte il me disait l'une des choses qu'il attendait
de moi : que je sois comme le Père Noël qui rend tout merveilleux ; il avait
peut-être attendu l'analyse comme il attendait le Père Noël quand il était petit.
Il sourit, son visage s'éclaira et il dit : « C'est drôle que vous disiez ça ! Ce
matin un garçon à l'école m'a demandé si une fée m'accordait la réalisation de
trois voeux, qu'est-ce que je souhaiterais. »
J'interprétai cela en lui disant que nous pouvions maintenant comprendre
pourquoi il ne pouvait pas parler au début de la séance. D'une part, il espérait
trouver en moi une fée capable de remplir tous ses souhaits par magie ; et il
craignait en même temps que je sois une sorcière qui lui jetterait un sort et
l'immobiliserait ; il semblait l'avoir ressenti au début de la séance lorsqu'il ne
pouvait ni bouger ni parler. Dans l'histoire, il y avait deux personnages
masculins : l'un était le Père Noël et l'autre, l'homme qui avait volé son cerf
et aurait pu le tuer. Ainsi, comme avec la fée et la sorcière, il espérait aussi
que je serais un père qui, tel le Père Noël, lui donnerait ce qu'il désirait le
plus — garder son cerf toujours. Mais il avait également peur que je sois
comme l'homme qui le lui volait. Tels étaient ses espoirs et ses craintes avant
de venir, et quand il m'a rencontrée il ne savait pas lequel j'étais, du Père Noël
ou du voleur. Quoiqu'il ait eu très peur, il est venu avec moi dans la salle en
pensant peut-être que s'il faisait ce que je lui demandais, je ne lui ferais pas de
mal, et aussi parce qu'il voulait tellement être aidé à dépister ses soucis et à s'en
guérir.
Il dit : « C'est vrai, je n'ai pas dit au garçon que mon souhait serait de ne
plus faire pipi au lit. Je ne peux rien faire. Je ne peux pas aller camper avec les
Scouts. Je ne peux pas m'en empêcher. » Nous passâmes alors aux autres
significations importantes du cerf.
Ce que l'on peut voir chez ce garçon, comme chez beaucoup d'autres
jeunes malades, c'est avec l'espoir de trouver une solution à ses pro-
blèmes intérieurs, un profond pessimisme : le monde adulte ne le
comprend pas. C'est ce que l'on peut voir clairement quand le garçon
tout ému s'écrie : « C'est drôle que vous disiez ça ! »
LA PSYCHANALYSE INFANTILE AUJOURD'HUI 145
Mon second exemple est tiré de la première séance d'une petite fille de
trois ans. Elle suivit l'analyste dans la salle de jeu avec raideur mais facilement.
Il lui dit que les jouets sur la table et dans le tiroir étaient là pour qu'elle s'amuse
avec. Elle regarda dans le tiroir, sortit un mouton, s'assit et commença à mani-
puler le crayon. L'analyste demanda si c'était une maman, un papa ou un bébé
mouton ; mais cette question ne fit qu'accroître son repli. Elle se mit à se
balancer et à sucer un bonbon qu'elle avait dans la bouche. L'interprétation
que donna l'analyste fut qu'elle se sentait seule et avait peur et qu'elle voudrait
être avec sa maman ; il fit le rapprochement avec ce qu'elle ressentait la nuit et
son désir de se blottir contre maman et de prendre son biberon avec celle-ci.
Elle laissa tomber la tête, joua un peu avec ses doigts en les prenant un à un,
comme pour la contine du « petit cochon ». L'analyste lui dit qu'elle voudrait la
douce poitrine de Maman pour dormir. Elle laissa aller la tête qui heurta
la table. L'analyste y mit un oreiller. Sa tête s'inclina en arrière et il mit le
coussin derrière elle, mais elle l'évita systématiquement. Son interprétation fut
que l'oreiller ne pouvait remplacer là poitrine de Maman, et qu'elle n'était
donc pas à son aise et en voulait à l'analyste. Elle se frotta les yeux, se gratta la
figure et mit les doigts dans le nez. L'analyste lui interpréta sa déception d'avoir
un homme comme analyste et dit qu'elle avait sans doute espéré avoir une
femme, comme son frère qui était aussi en analyse. Il indiqua aussi qu'il était
presque l'heure de s'arrêter. Elle lui rendit le mouton, le regarda et parut être en
assez bon contact avec lui avant de partir. A la séance suivante, le caractère du
contact avec l'analyste était nettement modifié. Elle présenta un matériel
détaillé et riche dans lequel apparaissaient ses angoisses concernant le transfert
fraternel sur lui.
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II
La participation du Moi
dans l'alliance thérapeutique ( 1)
défensives plus intenses que celles qui étaient édifiées en lui avant
d'entrer en traitement.
La tendance du développement à la période de latence est d'esquiver
l'intensité des désirs oedipiens et préoedipiens antérieurs, et les conflits
qui en découlent ; c'est en renforçant les mesures défensives du Moi
qu'on y parvient. Le travail analytique peut donc être ressenti comme
une menace pour l'équilibre qui est en train de s'établir. Toutefois,
une autre tendance importante pendant la période de latence vise à
établir plus fermement le lien avec la réalité extérieure. C'est pour cette
raison que l'enfant peut accepter l'analyste comme représentant de la
réalité et comme allié sur la voie d'une meilleure différenciation entre
la réalité et le fantasme, entre les sentiments contradictoires, les forces
qui s'opposent et son monde intérieur et extérieur. Comme Elisabeth
Geleerd [5] l'a clairement montré, l'analyste a toujours pour rôle, entre
autres, d'être le représentant de la réalité. Ce rôle est indispensable
au succès du travail analytique, même s'il est temporairement submergé
au cours de certaines phases du traitement. L'enfant à l'âge de latence
éprouve de plus en plus le besoin de faire la différence entre le fantasme
et la réalité et c'est pourquoi il souhaite utiliser aussi l'analyste pour
l'aider à y parvenir. Cela contribue à l'édification de ce lien qui le
soutiendra à travers les phases pénibles du traitement.
Les problèmes spécifiques que présentent les enfants dans la période
de latence au cours du traitement analytique ont été longuement
examinés par Bertha Bornstein [2]. Dans son article sur Latency (La
période de latence) comme dans sa contribution au symposium sur
Technique related to development (La technique en rapport avec le déve-
loppement) [3], elle a attiré l'attention sur les obstacles au traitement qui
proviennent des tendances inhérentes au développement au cours de
cette phase. Nous en avons trouvé confirmation dans ceux de nos cas
d'âge scolaire chez lesquels les caractères du développement appropriés
à l'âge étaient déjà présents dès le début. Par contre, chez les enfants
dont le développement avait été arrêté et qui n'atteignaient un stade
approprié à leur âge qu'à la suite du travail analytique, il est intéressant
de noter que ces résistances typiques au traitement se sont rencontrées
seulement lorsque l'analyse était avancée. Bien que les enfants à l'âge
de latence amènent au traitement certaines caractéristiques qui leur
permettent de former une alliance thérapeutique, il y a aussi des cas
où des enfants de ce groupe d'âge ne montrent pas le désir d'entrer
en contact avec l'analyste. C'est de ces cas que nous apprendrons
comment, en approchant pas à pas, soigneusement, par la voie de
PARTICIPATION DU MOI DANS L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE 153
RÉSUMÉ
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158 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
est refoulé dans l'inconscient ne peut être atteint que par la levée du
refoulement par l'analyse de la résistance. A l'heure actuelle, en raison
d'une meilleure compréhension du Moi et des mécanismes de défense,
nous n'utilisons plus de constructions de cette façon. Il me semble
que la technique décrite par Mrs. Bick dans son cas et celle de l'étudiant
emploient encore les moyens primitifs de Freud, quoique leurs inter-
prétations aient été données avant que ne soit établi un transfert utile.
Toutefois, ils supposent, semble-t-il, qu'un malade arrive en traitement
avec une névrose de transfert tout à fait constituée. Les données cliniques
et les présentations de cas d'aujourd'hui ne semblent pas avoir résolu
ces différences d'opinion entre analyse classique et analyse kleinienne.
Lorsqu'un groupe de personnes soutient qu'il voit quelque chose qui
n'est pas perceptible à un autre groupe d'investigateurs également
compétents, il faudra trouver la solution de ce dilemne par une inves-
tigation ininterrompue et par la comparaison des méthodes.
J'exprime l'espoir que ce symposium sera l'introduction à de
nombreuses autres rencontres ayant pour thème la psychanalyse infan-
tile dans le cadre des Congrès de l'Association psychanalytique inter-
nationale. Il y a dans ce domaine bien des sujets à élucider. L'échange
des idées sur notre travail nous amène toujours à de nouveaux secteurs
dignes d'intérêt.
préter les angoisses inconscientes et leur origine ? Il est certain que nous
rendons réelle à l'enfant sa projection sur nous des images intérieures,
idéales et persécutoires, avec toute l'omnipotence qu'implique l'objet
archaïque, c'est-à-dire que nous lui donnons une validité concurrente.
Dans une brève réponse, j'aimerais reprendre les points suivants
qui ressortent de la discussion : les problèmes du choix de l'interpré-
tation, le moment propice à l'interprétation et le transfert en analyse
infantile ; en fait, tout le contenu de notre article. Il est évident que je
ne peux m'y étendre à fond ici.
Je dirais seulement que le concept du moment propice qui s'est
perdu dans toute la technique de Klein est un problème qui exige d'être
pensé et discuté soigneusement. Il est curieux de constater que nous ne
nous sommes jamais centrés là-dessus. Si le choix du moment propice
est considéré comme quelque chose de négatif et si on le décrit comme
« cacher des interprétations », ce qui signifie que l'analyste ne devrait
pas avoir ou parvenir à un insight qu'il ne communique pas immédiate-
ment; je crois que cela ouvre la voie à un très grand désaccord, un
désaccord fondamental dans le travail analytique. Des idées de cet
ordre ne tiennent aucun compte de l'aspect structural de la personnalité,
de tout le concept d'inconscient, de préconscient et de la capacité du
Moi à assimiler et à aborder le contenu refoulé. Toute la signification
du choix du moment, au sens où nous l'avons avancé, se rattache au
fait que les conflits intrapsychiques profonds et les fantasmesinconscients
connexes sont inacceptables pour le Moi. Nous effectuons le travail
d'interpréter en allant de la surface vers la profondeur. La nécessité de
travailler sur les défenses jusqu'à ce que le contenu défendu devienne
acceptable et conscient est un processus lent. Je n'ai pas trouvé ce
processus dans l'analyse kleinienne avec laquelle je pense être familia-
risée, et j'ai consacré beaucoup de temps à comprendre sa technique.
J'ai le sentiment qu'il est très nécessaire d'étudier ce problème et ses
implications dynamiques et de ne pas dire simplement « choisir le
moment, c'est cacher des interprétations, donc c'est une mauvaise
analyse ». Il est vraiment nécessaire que nous sachions ce que nous
voulons dire lorsque nous parlons des concepts de l'inconscient et du
préconscient, de ce qui peut être assimilé, et ce que nous entendons
réellement par interpréter des défenses, atteindre graduellement les
profondeurs au lieu d'aller droit vers les profondeurs et de remettre à
plus tard, ou peut-être à jamais, l'analyse des dérivés.
L'autre point que je désire soulever concerne le concept du transfert
en analyse infantile. Je crois qu'il y a beaucoup d'éléments sur ce sujet
168 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
(1) Les cinq types généraux de réactions totales et plusieurs types de réactions partielles
peuvent, suivant Meyer, se résumer de la façon suivante :
1) Variétés de réactions normales (Energasias) ;
2) Variétés de réactions anormales (Pathergasias) :
a) Variétés de réactions qui englobent la personnalité totale (Holer gasias) ;
a) Les réactions les plus désorganisatrices nées d'une habitude ou d'une désorganisation
du sujet-objet (Parer gasias) ;
(3) Réactions émanées d'humeurs désordonnées et maintenues par elles (Thymergasias) ;
y) Réactions dues à une maturation et à une évolution défectueuses — réactions consti-
tutionnelles statiques (Oliger gasias) ;
S) Réactions de détérioration (Anergasias) ;
e) Réactions de désorganisation temporaire, affect instable, troubles de la perception y
compris la désorientation (Dysergasias) ;
b) Variétés de réactions englobant une partie de la personnalité (Merer gasias) :
oc) Nervosité générale ; (3) Neurasthénie ; y) Hypocondrie ; S) États anxieux ; s) Réac-
tions substitutives de dissociation dysmnésique ; Ç) États compulsifs de tension avec
rumination obsessionnelle; 6) Névroses motrices.
Meyer laisse ranger les anomalies sexuelles avec l'une ou l'autre des réactions partielles et
ne tente pas de classer les crimes.
UNE RECLASSIFICATION DES ETATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 177
(1)Bien des gens penseront que nous devons inventer et définir nos propres termes — ana-
logues mais non similaires, par exemple l'homéostasie et les états persistants des systèmes
ouverts.
REV. FR. PSYCHANAL. 12
178 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964
(1) Bien des gens considéreront que la somme d'attention prêtée aux aspects caractériels
de tous les troubles dont souffrent les adultes est souvent insuffisante.
UNE RECLASSIFICATION DES ETATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 179
BIBLIOGRAPHIE
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un concept unitaire de la maladie mentale), in A Psychiatrist World,
pp. 516-528, New York, Viking, 1959.
184 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-1964
leur mode d'action m'a paru présenter assez d'analogie avec le mode
d'action des mécanismes de défense spécifique ultérieurs pour faire
l'objet de recherches. Il y a des cas où je serai en mesure de souligner
certains caractères transitionnels, mais il appartiendra à l'avenir d'éla-
borer un enchaînement génétique assez rigoureux pour justifier l'hypo-
thèse selon laquelle le développement ontogénétique a conduit à utiliser
des prototypes physiologiques comme modèles des mécanismes
psychologiques.
Pour prévenir toute interprétation erronée de notre position théo-
rique, notons qu'en parlant des prototypes perceptuels et neuro-
physiologiques des mécanismes de défense, nous ne voulons nullement
suggérer qu'un quelconque des mécanismes de défense du Moi est
inné. Ce qui est inné, c'est la capacité variable pour apprendre et les
modes d'adaptation variables (Benjamin, 1960) pour tirer parti des
données neuro-physiologiques et morphologiques en vue de faire face
aux conditions du rnilieu. Au cours de ce processus s'élaborent des
dispositifs d'un plus haut niveau de complexité. On y compte les
mécanismes de défense du Moi où il entre donc certaines propriétés
de la fonction neuro-physiologique innée qui serviront de prototypes
aux dispositifs adaptatifs élaborés à la suite d'interactions avec l'entou-
rage. Il est à peine nécessaire de souligner que dans ces interactions la
mère est au début le représentant exclusif du milieu : dans ce rôle,
elle demeure la personne la plus importante au cours des deux premières
années, et ensuite l'une des plus importantes.
Ce qui veut donc dire non seulement que les mécanismes de
défense sont créés ou tout au moins influencés de façon décisive par les
relations mère-enfant, mais que ces mécanismes utilisent pour ce faire
certaines propriétés, certains modes de fonctionnement existant à la
naissance soit en fait, soit en potentialité. Ce sont ces propriétés,
ces modes de fonctionnement que nous considérerons comme étant
les prototypes des mécanismes de défense ultérieurs pour lesquels
ils servent de modèle.
Hartmann et Greenacre ont limité leurs études de ces prototypes
à des fonctions physiologiques qui leur semblent servir à une fonction
défensive déjà chez le nouveau-né. La défense physiologique néonatale
que choisissent ces auteurs a surtout une fonction défensive analogue
en quelque sorte à celle que rempliront éventuellement les mécanismes
de défense psychologiques. Dans le cas de Hartmann cette limitation est
assez surprenante car, spécifiquement et à plusieurs reprises, il a
souligné (1939) [22] qu'à leur origine les mécanismes de défense psycho-
QUELQUES PROTOTYPES PRÉCOCES DE DÉFENSE DU MOI 187
(1)Il devient évident qu'en restreignant notre étude aux prototypes les plus précoces des
mécanismes de défense dans la première année et une partie de la seconde année de la vie,
nous éliminerons de nos considérations certains des mécanismes énumérés ci-dessus tels que
la sublimation, la formation réactionnelle et l'intellectualisation. Nous ne pensons pas que
tous ceux-ci aient des prototypes somatiques. Ils paraissent appartenir à une série de dispositifs
psychologiques qui se développent à un niveau de complexité plus élevé et sont basés sur des
dispositifs psychologiques institués antérieurement.
La formation de la sublimation est, de toute évidence, fondée sur la présence du Surmoi.
Il en est sans doute de même de la formation réactionnelle. L'intellectualisation a, selon nous,
son prototype juste à la ligne de transition entre le niveau d'âge dont nous nous occupons,
c'est-à-dire entre les 12 à 18 premiers mois, et le stade qui suit.
192 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
chez vous : vous pouvez la débrancher. Quelle que soit la personne qui
pénètre sur les lieux, la sonnerie ne se déclenche pas. De même, prenez
le cas où votre maison est neuve et où la centrale électrique de la ville
ne lui fournit pas encore de courant, la sonnerie d'alarme ne fonction-
nera pas non plus, que vous la branchiez ou non. L'état du système
perceptuel du nouveau-né est celui de la maison qui n'est pas encore
reliée à la centrale électrique. Les stations réceptrices, c'est-à-dire la
représentation du sensorium, ne sont pas encore fournies en énergie
et avant qu'elles le soient il faudra un processus de maturation.
Dans la proposition de Freud (1925) [17], l'enveloppe externe sert
de barrière de protection contre les excitations venant du monde
extérieur, tandis que la couche suivante a été différenciée comme organe
de perception des stimuli. La première couche continuera à fonctionner
comme barrière protectrice sans modification pendant toute la vie. La
seconde couche est destinée à servir de médiateur à la perception et
sera modifiée éventuellement pour ce faire ; mais elle ne fonctionne pas
encore de la sorte à la naissance parce que sa représentation psychique
n'a pas encore été investie. Ainsi, à la naissance, la seconde couche
encore non investie s'ajoute à la première couche protectrice et offre
une protection complémentaire contre les stimuli qui arrivent. Ceci
explique le seuil élevé de la barrière chez le nouveau-né. C'est la diffé-
rence qui existe entre la perception du nouveau-né d'une part, et la
perception à des stades ultérieurs du développement de l'autre, après
que la représentation psychique de la seconde couche a été progres-
sivement investie par suite de l'interaction de la maturation et du
développement.
La barrière de défense contre les excitations est une forme extrê-
mement élémentaire des prototypes du mécanisme très compliqué du
refoulement. Le seul élément que le refoulement et cette barrière ont
en commun est le manque d'investissement. Mais tandis que pour la
barrière protectrice à la naissance la station réceptrice n'a pas encore
été investie, dans le cas du refoulement non seulement l'investissement
à proprement parler a été retiré, mais un contre-investissement s'est
produit. C'est très frappant dans le cas spécial de refoulement que
Laforgue (1926) [27] a appelé la scotomisation.
Cette dernière remarque nous fait penser qu'il peut exister des
étapes intermédiaires entre le refoulement et son prototype le plus
archaïque. Hartmann (1950) [23] a émis l'idée que le fait de clore les
paupières représente une étape transitionnelle, un pré-stade de la
défense ultérieure à la fois contre l'intérieur et contre l'extérieur. Je
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 195
Comme il l'a déjà été dit, le sommeil peut servir de prototype aux
divers mécanismes de défense ; la régression n'est que l'un d'eux. Je
ne crois pas que nous forcions les choses si nous considérons le sommeil
aussi comme le prototype du déni. Il ne semble pas nécessaire de pré-
senter des arguments en faveur de ce point de vue qui découle prati-
quement de la relation que j'ai établie antérieurement entre le déni
et la barrière de protection contre l'excitation.
On pourrait encore envisager le sommeil comme étant le prototype
de l'annulation rétroactive. On sent qu'il y a quelque part une relation
entre les deux. Après plus ample réflexion, on réalise que l'annulation
est en jeu dans un phénomène spécial rattaché au sommeil — le rêve.
L'illustration probablement la plus éclatante se trouve dans le Rêve
des fraises, fameux à juste titre (Freud, 1900) [11].
Il n'entre pas dans l'objet de cet exposé de pénétrer plus avant dans
la théorie des rêves, leur relation avec le passé, leur dynamique, etc.
Je vous rappellerai simplement l'action du résidu de la journée qui
déclenche le rêve et vous comprendrez sans peine pourquoi j'appelle
volontiers les rêves « tâches inachevées ». Les tâches inachevées, les
fins qui ne sont pas heureuses sont reprises dans le rêve, revécues
encore une fois et, si le Surmoi le permet, menées jusqu'à ce qu'elles
finissent bien. C'est dans ce sens aussi que Lewin (1946) [28] a avancé
ses hypothèses sur l'écran du rêve.
Nous pouvons donc conclure que c'est un stade ultérieur du phéno-
mène psychologique du sommeil qui sert de prototype à l'annulation
rétroactive : le stade auquel le rêve devient possible. Le prototype de
l'annulation n'est pas le processus physiologique du sommeil, ni son
aspect psychologique, à savoir la régression, mais un processus psycho-
logique concomitant — le rêve.
Il va sans dire que je me rends bien compte que l'annulation rétroac-
tive pourrait être reliée à un autre prototype archaïque, à la compulsion
répétitive. Je n'ai pas l'intention d'aborder cette question maintenant.
A mon avis, une proposition de cet ordre ne pourrait être examinée
qu'après une investigation approfondie et la clarification de toute la
controverse centrée sur le concept de la compulsion répétitive.
Je suppose qu'en suivant le cours des pensées que j'ai présentées
il a pu paraître déroutant de pouvoir parfois faire remonter un seul
mécanisme de défense à plusieurs prototypes bien distincts tandis qu'à
d'autres moments je décrivais des prototypes physiologiques à la base,
semble-t-il, de plusieurs mécanismes de défense ; et enfin, à certains
points, les deux cas s'associaient. Je ne peux nier que ce soit confus ;
204 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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Selected Papers on Psycho-Analysis., London, Hogarth Press, 1927.
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Paris, Presses Universitaires de France, 1956.
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dépression in an infant with a gastric fistula : A contribution to the problem
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QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 207
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[33] SPITZ (R. A.), Le non et le oui : la genèse de la communication humaine (1957)
(trad. A. M. ROCHEBLAVE-SPENLÉ),Paris, Presses Universitaires de France,
1962.
[34] SPITZ (R. A.), A propos de la genèse des composantes du Surmoi (1958)
(trad. J. KALMANOVITCH), Revue française de Psychanalyse, 1962, 26,
PP- 739-767-
[35] SPITZ (R. A.), A Genetic Field Theory of Ego Formation, New York, Inter-
national Universities Press, 1959.
PUBLICATIONS (1)
sous PRESSE
FILMS PRÉSENTÉS
1. 1947. Birth and the First 16 Minutes of Life, Distributeur : New York
University Film Library, commentaire, 1 bobine, 100 m.
2. 1947. Grief : A Peril in Infancy, Distributeur : New York University
Film Library, 3 bobines, 360 m.
3. 1948. Genesis of Emotions, Distributeur : New York University Film
Library, commentaire, 3 bobines, 270 m.
4. 1948. Smiling Response : An Experimental Investigation into the Onto-
genesis of Social Relations, Distributeur : New York University
Film Library, commentaire, 2 bobines, 240 m.
5. 1948. Smile of the Baby, Distributeur : New York University Film
Library, commentaire, film sonore, 3 bobines, 360 m.
6. 1948. Somatic Consequences of Emotional Starvation in Infants, Distri-
buteur : New York University Film Library, commentaire,
3 bobines, 280 m.
Note. — Ces films de 16 mm, en noir et blanc et non
sonorisés à l'exception du n° 5, sont présentés en bobines
de 120 m.
7. 1949. Grasping, Distributeur : New York University Film Library,
commentaire, 2 bobines, 240 m.
8. 1952. Motherlove, Distributeur : New York University Film Library,
commentaire, 2 bobines, 220 m.
9. 1952. Psychogenic Diseases in Infancy : An Attempt at their Classification,
Distributeur : New York University Film Library, commen-
taire, 2 bobines, 210 m.
10. 1953. Anxiety : Its Phenomenologyin the First Year of Life, Distributeur :
New York University Film Library, commentaire, 2 bobines,
240 m.
11. 1953. Shaping the Personality : The Role of Mother-Child Relations in
Infancy, Distributeur : New York University Film Library,
commentaire, 2 bobines, 210 m.
I. — INTRODUCTION
Au cours de son travail, l'analyste se trouve en constante confron-
tation avec l'image phallique qui domine les péripéties de la cure.
Quels que soient, en effet, la nature du matériel, le niveau du dévelop-
pement auquel il se rattache, l'histoire individuelle du sujet, c'est, en
dernière analyse, autour de la problématique phallique, que se situent
les conflits. Cela est si vrai que Freud considérait que cette problé-
matique débordait la cure elle-même dont elle constituait la pierre
d'achoppement pour ainsi dire, ceci pour tous les sujets et pour les
deux sexes (Analyse terminée et interminable).
L'image phallique apparaît, en fait, à chaque moment significatif
du travail de défoulement, sous les camouflages les plus différents et
sous la forme positive ou négative (phallus et castration).
Manifestement, ce que les apparitions fréquentes de cette image
particulière recouvrent dépasse la signification sexuelle proprement
dite même si nous admettons avec Freud que le phallus est le seul
organe sexuel pour l'inconscient. Nous allons nous attacher à l'étude
de cette image (et de ses significations multiples) qui semble avoir une
place si privilégiée dans l'inconscient humain en général.
La place centrale de l'image phallique et de la castration est évi-
dente aussi bien dans la psychologie normale et pathologique que dans
le langage, le folklore, la mythologie, la religion ou la morale. La
confrontation de l'homme moderne avec cette problématique semble
même se faire sur un niveau relativement plus proche du conscient
qu'autrefois, du moins lorsqu'on en saisit le reflet dans un certain
nombre de créations artistiques contemporaines. Je cite au hasard Kafka
et Beckett, la série noire et la science-fiction, Ionesco et Dubillard, etc.
Freud a montré (Eine Beziehung zwischen dem Symbol und einem
Symptom) l'ambiguïté de l'image phallique dans l'inconscient qui
signifie simultanément le phallus dans ses aspects positifs et négatifs,
c'est-à-dire la présence phallique et la castration. Nous savons éga-
lement que le complexe de castration est antérieur à l'OEdipe et qu'à
chaque phase prégénitale correspond un mode particulier de castration
REV. FR. PSYCHANAL. 15
218 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
(1) Ferenczi a montré que l'accès au sens de la réalité se faisait selon des degrés successifs
de tentative de récupération de la toute-puissance. Mais la complétude dont je parle est donnée
par la simple correspondance entre une pulsion et son investissement narcissique adéquat.
(2) Considérations sur le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle.
(3) Il serait peut-être intéressant de mentionner en passant qu'en hongrois le mot « santé »
se dit « intégrité » (ou complétude) et quand on souhaite bonne santé à quelqu'un on exprime
le souhait qu'il conserve sa « bonne intégrité ".
DE L'IMAGE PHALLIQUE 219
(1) La représentation du manque ou de l'absence n'existe pas dans l'inconscient, pas plus
que celle de la Mort en tant que fin (v. Freud), Le travail du deuil qui suit une perte ne consiste
pas à intégrer ce manque dans l'inconscient mais à remanier sa relation à l'objet (v. Deuil et
mélancolie). Dans l'inconscient la mère absente n'est pas manque de mère mais mauvaise mère.
Tout comme les mots primitifs expriment des sens opposés comme haut et profond, grand
et petit (v. Freud), l'image phallique révélera et la complétude et la castration ; seule la qualité
de la représentationvariera dans l'inconscient, lui imprimant — pour nous — un sceau positif
ou négatif.
(2) Le transfert négatif de défense des malades à structure paranoïaque ou présentant
un important noyau persécutif oscille entre deux pôles : il s'agit de châtrer l'analyste dont le
pénis anal sur lequel le malade a projeté toute son agressivité constitue une menace dangereuse
de pénétration destructrice mais la castration fantasmatique (défensive) de l'analyste ne
constitue pas une moindre menace car le pénis châtré joue le rôle d'un objet terrifiant et qui
pourrait par son contact même contaminer le malade et le châtrer de ce fait. D'ailleurs, nous
connaissons la crainte profonde et universellement répandue des images de castration, non
seulement parce qu'elles en rappellent l'éventualité mais aussi parce que le contact — même
visuel — avec l'objet châtré constitue en soi une menace pour l'intégrité du sujet. Ceci nous
montre encore combien il est impossible de concevoir la castration comme équivalence à un
manque dans l'inconscient.
DE L' IMAGE PHALLIQUE 221
(1) PASCHE et RENARD, dans leur remarquable étude sur Les problèmes essentiels de la perver-
sion, insistent aussi sur les composantes prégénitales et surtout anales du fétiche et de son
idéalisation, c'est-à-dire sur son aspect narcissique. Quant à la théorie générale du fétichisme,
ils se retrouvent avec moi dans la même ligne freudienne, celle de la régression.
DE L'IMAGE PHALLIQUE 225
III. — LA DIALECTIQUE
en s'appuyant sur l'un des parents pendant qu'il règle son conflit
avec l'autre. Dans l'analyse cette tactique se répète. Il est aisé de
constater que le malade qui réalise un progrès dans un domaine aura
souvent tendance à reculer dans un autre. Je ne pense pas que nous
puissions nous contenter d'invoquer un mécanisme économique et dire
« c'était trop beau, il fallait que ça se gâte », mais plutôt nous poser la
question : « Qu'est-ce qui était trop beau ? » et « Qu'est-ce qui s'est
gâté ? »
Nous voyons alors que les oscillations se produisent dans des
domaines toujours spécifiques et l'on peut constater qu'un progrès sur
le plan anal, matériel, par exemple (gain important, progrès sur le plan
professionnel...) est accompagné d'un recul sur le plan affectif sous
forme de blessure narcissique provoquée, de perte de prestige, d'amour
ou d'amour-propre.
Cette alternance est l'expression d'un processus particulier, dialec-
tique, qui mène le sujet au cours de la cure analytique, à une intégra-
tion parallèle de plus en plus achevée de son narcissisme et de ses
relations objectales, le progrès se faisant par gains quantitativement
petits mais cumulatifs, chaque mouvement étant marqué de l'image
phallique négative ou positive comme nous l'avons indiqué dans l'in-
troduction de cet exposé.
Au cours de ce mouvement dialectique la charge libidinale sera
toujours placée sur l'élément du couple le moins conflictualisé dans
le moment, et nous savons qu'une pulsion fortement investie peut
— avec un investissement libidinal diminué — fonctionner comme une
défense et réciproquement. Tel peut ainsi accepter sa castration pul-
sionnelle pour se ménager une déconflictualisation sur le plan narcis-
sique, ou bien renoncer à une gratification narcissique pour se permettre
une satisfaction pulsionnelle, s'assurant ainsi un progrès au prix d'un
sacrifice qui est moindre (la qualité moindre du sacrifice étant fonction
de l'investissement).
La dialectique peut ainsi varier dans de larges proportions ; elle
a lieu non seulement entre pénis — pénis énergétique et phallus —
mais aussi entre les différentes modalités pulsionnelles et narcissiques,
entre les différentes phases maturationnelles qui sont très diverses
quant à leur dignité psychosexuelle en quelque sorte.
Nous savons par exemple combien il est plus facile pour certains
peintres de satisfaire leur pulsion anale en sublimant le jeu fécal lui-
même dans l'exercice de leur art que de préparer une exposition,
organiser un vernissage, concevoir les modalités d'un contrat et vendre
228 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
DISCUSSION
Le Dr Pasche remercie vivement l'orateur et souhaite la bienvenue
au Dr Spiegel de New York.
Une vive discussion s'engage. Fain félicite l'auteur pour la haute
tenue de son exposé, mais souligne que sa théorie diverge de la position
classique. Après avoir rappelé les positions de Freud sur la fin du
narcissisme primaire et sur l'idéal du Moi et en se basant sur des
exemples sociaux et cliniques, Fain pense que sa divergence avec
Grunberger est surtout basée sur les faits et ce dernier n'admet pas la
dualité (l'instinct de vie et de mort), les deux pôles d'attraction dis-
tincts : le retour à la fusion, contemporain de la toute-puissance narcis-
sique, et le mouvement vers le pénis sur lequel a été projetée cette
toute-puissance.
Stein est d'accord avec les positions de Grunberger mais remarque
que si le phallus est le symbole de l'intégrité il est préférable de parler
du symbole phallique plutôt que de l'image phallique. D'autre part,
tant que la fusion entre le sujet et l'objet existe il est difficile de parler
de l'intégrité et de la castration. Le problème de la castration se pose
après la séparation de même que l'intégrité.
232 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
Intervention du Dr M. FAIN
Je m'associe à mes collègues pour féliciter Bela Grunberger de
la haute tenue de son exposé. Ce dernier reste fidèle à sa façon générale
de penser dont il nous expose régulièrement le développement. Il
a aujourd'hui défini le point précis où sa théorie diverge de la posi-
tion classique. Avec S. Freud nous admettons en général que la fin du
narcissisme primaire est vécue a posteriori comme la perte de la toute-
puissance. Celle-ci est alors projetée sur l'objet dont la reconnaissance
a accompagné ce sentiment de perte, projection qui le transforme en
premier Idéal du Moi. Pour B. Grunberger c'est le souvenir de l'union
indifférenciée avec la mère qui constitue le point d'appel. Il ne s'agit
pas alors d'une querelle de définition mais d'un bouleversement de la
théorie freudienne qui distingue nettement ces deux pôles attractifs :
l'un investit l'avenir dans un mouvement en avant ; l'autre veut revenir
en arrière vers les états dépassés. Nous savons qu'il s'agit là de modes
différents de penser qui ont agité la philosophie depuis longtemps,
l'amour de l'homme primitif de Rousseau s'opposant à l'amour du
progrès des encyclopédistes, le spiritualisme métaphysique dans sa
conception de l'atteinte de l'intemporalité, de la suppression des
limites devant survenir après la mort, s'opposant au matérialisme
visant le bonheur terrestre pour les générations à venir.
En fait, la notion de régression qui domine la compréhension psy-
DE L'IMAGE PHALLIQUE 233
Intervention de S. LEBOVICI
Dans son travail consacré à l'image phallique, Grunberger appro-
fondit son oeuvre consacrée au narcissisme. Sa thèse essentielle est
d'étudier la dialectique de deux séries, complétude-phallus, investisse-
ment objectal-pénis-castration.
A bien des égards, on comprend mieux, en écoutant chaque nouveau
travail de notre collègue, le sens de sa thèse et on peut mieux le suivre
dans le développement de sa pensée sur le narcissisme. L'étude du
destin des investissements narcissiques primaires a conduit Freud à
l'élaboration de la théorie de l'Idéal du Moi, par la projection de la
surestimation mégalomaniaque de soi sur l'image des parents. D'un
autre côté, le Surmoi se constitue d'une manière définitive, à titre
d'instance, dans le cadre des vicissitudes identificatoires de l'évolution
REV. FR. PSYCHANAL. 16
234 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
Intervention du Dr SPIEGEL
La discussion des thèses du Dr Grunberger a été très stimulante,
il existe beaucoup de points d'accord entre nous. J'aimerais insister sur
un aspect de son exposé qui fait apparaître une différence substantielle
entre nos points de vue.
Le Dr Grunberger souligne l'antithèse : gratification instinctuelle-
gratification narcissique. Il est difficile de maintenir cette opposition,
puisque la construction du narcissisme peut vraiment être instinctuelle.
NOTES CLINIQUES
ET THÉORIQUES
La situation analytique :
remarques sur la régression
vers le narcissisme primaire dans la séance
et le poids de la parole de l'analyste(1)
par CONRAD STEIN
faudrait que l'analyste soit bien ingrat pour ne pas aimer ceux qui lui
apportent l'essentiel de ses satisfactions professionnelles (l'ingratitude
réside dans la peur des fausses liaisons). De même, il faudrait être bien
indifférent pour n'être pas à l'occasion irrité par le comportement d'un
patient. La question n'est pas là, elle est dans les fausses liaisons.
Essayer de communiquer ce qui concerne l'expérience du psycha-
nalyste et l'opportunité de donner l'interprétation, c'est élucider le
mode d'action de l'interprétation. Pour pouvoir aborder utilement la
question, il faut se demander auparavant en quoi réside le pouvoir de
la parole de l'analyste au cours de la séance, quel que soit le choix du
contenu de l'interprétation, ce qui débouche sur le problème du
pouvoir de la parole en général. Certains moments de l'analyse four-
nissent à cet égard des indications d'une manière privilégiée. La ques-
tion restera posée de savoir si ce qui apparaît en quelque sorte à l'état
microscopique dans ces moments privilégiés de l'analyse, a une valeur
qui, pour ne pas faire l'objet de la conscience de l'analyste, n'en a pas
moins une portée générale. S'il est bien évident que l'analyste ne saurait
à tout moment de la séance être conscient de la nature de l'effet de
sa parole, car cela l'empêcherait de parler à bon escient, il reste que le
problème peut être utilement abordé avec le recul que procure la
réflexion a posteriori sur la séance.
(1) Grunberger a isolé « un aspect du comportement du sujet en analyse comme étant une
régression narcissique spécifique, propre à la situation analytique... " (B. GRUNBERGER, Consi-
dérations sur le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, in Revue française de
Psychanalyse, t. XXVI, 1962, nos 2-3, p. 179 ; Essai sur la situation analytique et le processus
de guérison, in Revue française de Psychanalyse, t. XXI, n° 3, pp. 373-421, 1957 ; Über Ich
und Narzissmus in der analytischen Situation, in Psyché, pp. 270-90).
Les très intéressantes études de B. Grunberger ont certainement contribué à m'orienter
dans une voie qui aboutit au présent travail. L'impulsion ayant ainsi été donnée, j'ai été
conduit, comme on le verra, à m'opposer à Grunberger sur des points fondamentaux.En parti-
culier, je ne puis considérer la régression narcissique propre à la situation analytique comme un
processus « pour ainsi dire autonome » qui « fournit au processus (analytique) sa force propul-
sive ". Contrairement à Grunberger, je ne pense pas qu'elle échappe à l'interprétation et si,
tout comme lui, je l'oppose aux manifestations du transfert proprement dit qui font le contenu
habituel du discours analytique, c'est précisément dans cette opposition que je verrais une
constante spécifique de l'analyse.
LA SITUATION ANALYTIQUE 239
(1) Il sera utile de comparer le point de vue exprimé ici à celui de M. FAIN et C. DAVID
exposé en particulier au chapitre : « Séance de psychanalyse et rêve. Analogies et différences
de structure du rêve et de la séance de psychanalyse, de leur intéressant rapport : Aspects fonc-
tionnels de la vie onirique », in Revue française de Psychanalyse, t. XXVII, 1963, numéro spécial.
(2) Voir mon commentaire (à propos du rapport de M. FAIN et C. DAVID : intervention de
C. Stein, pp. 383-5) de la remarque de FREUD (Die Traumdeutung, G.W., II-III, p. 546) selon
laquellel'enroulementsur lui-même de son schéma de l'appareil de l'âme aboutit à la superposi-
tion de la perception et de la conscience (« W " = « Bw ») cette dernière étant, on le sait, pour
Freud une perception endopsychique.
(3) S. NACHT (La présence du psychanalyste, Presses Universitaires de France, 1963, p. 194),
écrit : " Il arrive en effet que l'être se sente alors (au sein d'un certain silence dans la séance)
un avec le monde et comme confondu dans un tout où s'effacent les limitations inhérentes à
la condition humaine. Il ne désire alors plus rien, mais vit l'intense joie d'être, " Et il ajoute
(p. 195) : " D'ailleurs peut-on parler au sens propre du terme, d'une relation non verbale ? Et ce
terme de « relation " n'est-il pas bien plutôt l'apanage de la parole, née de la séparation sujet-objet
et essayant d'y remédier ? Ce que l'on appelle assez improprement « relation non verbale » établit
justement l'être à un niveau où la séparation est abolie : il n'y a plus relation à deux, mais
union. La dualité sujet-objet est effacée, fonduedans un tout où leurs distinctions s'abolissent. »
LA SITUATION ANALYTIQUE 241
(1) Voir mon intervention à la suite du rapport de M. BOUVET (in Revue française de Psycha-
nalyse, 1960, pp. 656-8) où j'évoquais un stade antérieur de la cure de cette même patiente.
244 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
(1) Cf. mon article sur L'identificationprimaire,in Revue française de Psychanalyse,t. XXVI,
1962, numéro spécial, pp. 257-65.
LA SITUATION ANALYTIQUE 249
Condition dépressive
et condition paranoïde
dans la crise de la guerre (1)
(1) Paru sous le titre Condizione depressiva e condizione paranoidea nella origine delle
leggi e nella crisi della guerra, dans la revue AUT AUT, 64, 1961.
252 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
(1) On peut penser, par exemple, que la découverte de l'agriculture de la part de l'homme
soit due à un processus dépressif. Celle-ci en effet présupposele passage de la voracité dépré-
datrice à la conservation des objets par lesquels on vit ; elle semble donc concevable
seulement dans la mesure où l'homme déprédateur a réussi à transformer sa propre proie en
objet d'amour, à préserver de sa propre avidité et à faire prospérer.
260 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
que ce sont les autres, les étrangers, ceux qui se trouvent au-delà de la
frontière, qui le veulent détruire, ce qui empêche les individus de se
sentir responsables et les rend par conséquent eux-mêmes incapables
d'authentiques processus réparateurs. Cette équivoque de base fait
que la condition apparemment dépressive du kamikaze est en réalité
paranoïde et donc impuissante à sauver l'empereur, parce que le
sadisme se dresse continuellement vers l'objet persécuteur (l'ennemi),
dans lequel a été placé le propre désir de détruire l'empereur.
Ceci permet de constater, au niveau de la civilisation, la différence
radicale qui existe entre le kamikaze du soldat japonais et l'idéal dépressif
de Socrate. Ce dernier en effet affirme l'existence de son propre objet
d'amour (la vérité) à travers le sacrifice de soi, pour s'empêcher soi-même
de le trahir (de le détruire). Le soldat japonais, au contraire, se sert du
kamikaze pour nier dans les autres son propre désir de détruire l'empereur.
Quant à l'efficacité des deux sacrifices, il faut reconnaître que celui
de Socrate atteint son but d'une façon intégrale, car il modifie la racine
originaire et interne de la destruction de l'objet d'amour (le propre
sadisme) ; le sacrifice du soldat japonais, au contraire, est en lui-même
impuissant à atteindre son but. Son efficacité en effet est réglée moins
par sa capacité d'amour que par celle de destruction et reste en réalité
subordonnée au fait que la capacité de destruction de l'ennemi soit
inférieure à la sienne propre : en d'autres termes, la guerre place la
sauvegarde de l'objet d'amour à la merci de l'ennemi. Nous voyons
ainsi que, tandis que l'idéal de Socrate ne semble pas condamné à
périr, celui du Mikado a été détruit par une guerre perdue.
Tout en donnant aux hommes l'impression de traduire en actes
leurs exigences réparatrices envers l'objet d'amour, la guerre les leur
fait vivre d'une façon illusoire, à cause de l'équivoque de base de vouloir
nier son propre sadisme en le plaçant dans l'ennemi : équivoque qui
en exprime l'acte constitutif fondamental. C'est peut-être dans cette
inauthenticité et dans cet aspect illusoire de réparation et de conser-
vation que la guerre donne au sacrifice du héros, que peuvent être
recherchées, au moins en partie, me semble-t-il, les raisons de la caducité
de la civilisation des groupes, qui fit que des civilisations arrivées aux
plus grands faîtes s'acheminèrent ensuite vers une ruine fatale.
La sauvegarde de l'objet d'amour, qui, chez l'individu, se trouve
à la base de la possibilité de toute évolution du Moi, implique pour
ce même individu la nécessité de se sentir responsable de sa destruction,
car une telle responsabilité constitue la condition sine qua non pour le
développement d'authentiques processus réparateurs, comme réponse
REV. FR. PSYCHANAL. 18
266 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
(1) La crise de la guerre comme situation dans laquelle la destruction de l'ennemi entraîne
aussi celle de l'ami, correspond en fait à la crise de la position paranoïde de l'enfant, crise qui
ouvre la porte à la position dépressive infantile, dans le passage des objets partiels, bon et
mauvais, à l'objet total (Klein).
LES LIVRES
Helmut THOMA, Anorexia nervosa, geschichte, klinik und theorien der puber-
täts magersucht (Anorexie mentale, histoire, clinique et théorie de l'anorexie
mentale de la puberté), Bern und Stuttgart, Hans Huber, 1961, 352 p.,
26 tableaux, cartonné toile.
Cette maladie, que l'on rencontre presque exclusivement chez les jeunes
filles lors de la puberté, a été observée ces dernières années beaucoup plus
fréquemment qu'auparavant et de ce fait a provoqué un intérêt clinique et
psychopathologique toujours plus grand.
Le tableau clinique de l'anorexie mentale de la puberté se situe, pour
ainsi dire, à la frontière de la médecine interne et de la psychiatrie. Les cas
les plus sérieux de sous-alimentation, qui peuvent parfois entraîner la mort
par suite d'une abstention fanatique de nourriture, sont étroitement liés à des
distorsions extrêmes de la personnalité.
Dans les comptes rendus détaillés de traitements, le monde de l'expérience
280 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
vécue des malades prend un relief suffisant pour permettre de vérifier les
déductions théoriques. Les observations de 30 cas ont été rassemblées dans
des tableaux synoptiques.
Le travail s'adresse en premier lieu au médecin qui y trouvera une
excellente vue d'ensemble de la définition, de la fréquence, de la symptomato-
logie corporelle, de l'anatomie pathologique et de la thérapeutique de ce
syndrome. Comme la plupart de ces malades sont d'âge scolaire, le présent
exposé sera d'une grande aide pour les éducateurs et les psychologues soucieux
de comprendre les adolescents perturbés dans leur développement. A l'exemple
de l'anorexie mentale, des questions fondamentales de médecine psychosoma-
tique seront discutées.
sa pleine maturité qu'à Homburg, une fois les objets perdus, sortis du réel,
mais c'est en ce moment aussi que peu à peu la folie le submerge.
Au fond, après chaque rupture d'avec un objet finalement ressenti comme
dévastateur, le poète, dans une solitude réelle ou une impression de solitude,
tente de se retrouver en écrivant et cela ne va pas sans un progrès des symp-
tômes schizophréniques. Les années de bonheur avec Suzette Gontard cor-
respondent à un « malheur de la lettre », ultérieurement c'est le contraire : le
malheur de la relation à autrui fait proliférer la lettre.
On voit que la création de l'oeuvre (ici essentiellement poétique) garantit
au moins pour un temps, une maîtrise à celui qui l'engendre : un tiers terme
apparaît, « pôle chargé d'énergie négative » qui vient ordonner un monde où
tout se vit en termes de dualité fascinante. Connoter de négatif un rapport
duel, instaurer en son sein un manque, n'est-ce pas là la fonction du père qui,
dans son principe marque la mère d'un manque autant que d'un interdit, mère
mortifère sinon, et qui finalement prend la place de tout autre ?
Hölderlin a manqué de ce manque dont c'est la fonction du père d'en
imprimer la marque : cela l'obligea à s'éloigner radicalement d'un autrui
éprouvé trop proche ou trop semblable, soit mère dévorante venant « combler
trop » le désir du poète voué à ce mouvement de plénitude et de vide dont
Laplanche décrit si soigneusement le rythme, soit image de soi sans différence.
Dans ce contexte, l'oeuvre, d'un point de vue fonctionnel, constitue une ten-
tative de pallier à la situation : elle désigne la place du père ou plutôt fonctionne
à sa place ; par l'instauration d'un pôle négatif qui manquait, elle maintient
« ouvert ce qui chez la plupart des psychotiques s'est fermé en mode d'être »
(p. 132). Telle est, très schématiquement résumée, la grande hypothèse de cette
étude. S'il prête spécialement attention au point de vue fonctionnel, Laplanche
n'oublie jamais pour autant que toute création poétique transcende ce point
de vue ; qu'une vérité universelle advienne en l'oeuvre d'Hölderlin, voilà qui
est présent à chaque page du livre.
Revenons maintenant d'une manière moins systématiquement braquée
sur Hölderlin, encore que nous y pensions sans cesse, à ce problème particulier
de la création d'une oeuvre poétique comme tentative de solution ou tout au
moins comme mode d'ajournement d'une évolution pathologique.
D'abord, on pourrait dire que l'engendrement d'une oeuvre marquant la
place d'un inexprimable, nommant l'inconnu d'une certaine manière, est une
façon d'échapper symboliquement à un monde fermé où toute fécondité,
tout échange entre l'extérieur et l'intérieur s'avéraient finalement impossibles
pour entrer dans un monde ouvert où je me signale à moi-même autant qu'à
l'autre, en un certain message, comme être fécond, quelle que soit la teneur
par définition plus ou moins cachée de ce message. Le créateur devient à lui-
même son propre père et sa propre mère, ceux-là mêmes qui lui ont fait de
quelque manière défaut ; le faire de son oeuvre lui assure symboliquement le
monde fécond de la paternité et de la maternité conjuguées.
Plaçons-nous au point de vue de ce faire qui est ici une certaine façon de
dire ; le faire implique le recours à des lois (celles dans le cas qui nous occupe
qui régissent la poésie mais il pourrait tout aussi bien s'agir des lois musicales,
picturales ou autres...), lois qui font que le secret de l'être le plus originel et le
plus caché, s'anime non dans un simple message verbal mais dans une oeuvre
d'art.
Jakobson dit que les lois structurales du poème président à un usage
second de la langue : suivant une distorsion de la dichotomie signe-objet,
le principe d'équivalence phonétique, sémantique est promu au rôle consti-
tutif de la séquence ; l'axe de la sélection des phonèmes, des sémantèmes
REV. FR. PSYCHANAL. 19
282 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
s'aligne sur l'axe de leur combinaison, leur similitude est au principe même
de leur contiguïté et c'est ainsi que la structure du message s'ordonne non
en fonction du code ni du contexte mais du message lui-même (1). Par ailleurs,
la règle esthétique d'Hölderlin veut notamment que « la forme comporte le
caractère de l'opposition et de la séparation ».
Pas de raison de faire ici une étude approfondie des lois structurales du
poème mais de les éprouver comme ce pôle de négation à quoi le poète recourt
spontanément pour donner une forme contrôlée à un monde inconscient qui
risque toujours de le submerger dans la mesure même où justement la loi du
négatif, liée au père, lui a fait défaut.
Dans le moment de la création, le poète, ni purement actif, ni purement
passif, laisse venir au jour, en une synthèse où « le percevoir et le remémorer
s'allient », les images de son monde inconscient ; il en est comme saisi, mais
par cet ensemble spécifique de mots que constitue le poème qu'il élabore, il
les maîtrise. Si le poème le « travaille », il travaille son poème et c'est dans ce
travail qui est imposition de forme, qu'une distance s'instaure entre le poète
et son monde intérieur, que l'effusion dévorante qui menaçait les deux termes
de ce couple est soumise à un ordre.
A sa manière, c'est-à-dire en créant un poème, le poète livré à son incons-
cient devient donc maître des images qui le maîtrisaient ; il établit dans la
durée ce qui échappait au temps ; il impose une marque de distinction sur
l'indistinct ; il arrête ce qui était mouvant-indéfini en un mouvement défini ;
il met en discontinuité le continu, en forme le sans-forme, mais dans ce mou-
vement, cette forme, cette discontinuité, l'indistinct, le sans-forme, le continu,
l'indéfini mouvant prolongent toujours leurs échos et sont plus présents que
jamais. En d'autres termes, on pourrait dire que les lois du processus primaire
viennent imprégner d'une certaine façon l'élaboration secondaire (2) : le pro-
cessus primaire trouve dans le poème une expression autant qu'une limite
à son déploiement. C'est parce qu'il y a limitation dans le faire qui est un
dire où joue à sa manière la négation, qu'on peut à son propos évoquer la
fonction paternelle. Hölderlin en écrivant tente donc de faire vivre cette loi du
père dont on peut dire qu'il n'avait pu en recevoir la marque, la mère du poète
occupant toute place. Ajoutons qu'à la différence du rêveur, le poète participe
à ce « faire » en qui il se situe au niveau le plus profond et le plus universel de
la communication inter-humaine.
Mais reprenons ce qui précède par un autre biais. Si l'on voulait résumer de
la manière la plus générale le contenu de la poésie hölderlinienne, on pourrait
dire qu'elle oscille entre la nostalgie d'une fusion avec une totalité où tout est
joie pure, plénitude, innocence, et le renoncement à cette fusion, et qu'elle
débouche sur la « nuit de l'absence des dieux » en laquelle finalement se trouve
un appui, un secours. Dans l'oeuvre, il y a, en dernière analyse, institutionali-
sation de l'absence comme absence et le poète devient le médiateur de cette
absence des dieux.
Du point de vue envisagé ici qui est celui de l'équilibration psychique par
la création poétique, cela ne signifie-t-il pas que l'oeuvre prend la valeur d'un
lieu privilégié où le désir peut être maintenu parce que le fait de le dire intro-
duit la coupure nécessaire à son existence ? Si dans un poème, je dis que j'ai
la nostalgie de la totalité (maternelle) je me constitue comme énonçant cette
(1) R. JAKOBSON, Style in language, New York, London, Whiley and Sons, 1960.
(2) Cf. à ce sujet, l'analyse du poème de BAUDELAIRE, Les chats, faite par R. JAKOBSON
et C. LÉVI-STRAUSS. L'homme, Rev. fr. d'anthropologie, Mouton & Co., Paris-La Haye, janvier-
avril 1962.
LES LIVRES 283
une fille cadette habituée à la soumission ; entre deux aînés, il y aura des
conflits d'autorité, et entre deux cadets des exigences de dépendance qui ne
pourront être satisfaites mutuellement) ; que les possibilités de relations har-
monieuses avec des individus de l'autre sexe dépendent en partie de leur
préparation dans l'enfance et qu'ainsi les sujets issus de fratries isosexuelles
établiront très difficilement des relations hétérosexuelles et seront, dans leurs
relations sociales, dominateurs s'ils ont été l'aîné, compétitifs s'ils ont été le
benjamin ; qu'un enfant unique échappe, dans la mesure où il ne les a pas
héritées de ses parents, aux pulsions dominatrices ou compétitives en restant
toute sa vie un égocentrique pour lequel il n'y a pas, pour son comportement,
d'échelle de valeurs en dehors de lui ; que le sujet qui a été le seul de son sexe
dans une nombreuse fratrie aura toute sa vie besoin d'objets hétérosexuels
multiples ce qui chez la femme, selon le niveau mental, peut donner une
courtisane de grande classe ou une prostituée de bas étage, etc.
Il est intéressant, on pourrait presque dire amusant, de noter combien les
caractéristiquespsychologiques décrites par Toman a posteriori et après examen
de plusieurs centaines de sujets, ont un caractère d'évidence intellectuelle ;
on a presque l'impression de pouvoir les définir a priori avant tout examen du
matériel concret ; et cette concordance entre les données d'observation et ce
que la théorie permet de prévoir fait penser, toutes proportions gardées, à la
démarche intellectuelle de la physique théorique.
Après l'analyse des diverses éventualités particulières, l'auteur propose
une méthode de mise en formule de la situation d'un individu donné. Cette
formule d'allure mathématique, expose de façon claire la situation de l'individu
dans sa propre fratrie, celle de ses parents et même de ses grands-parents, et
celle de son conjoint lorsqu'il y en a un.
Et sur quelques exemples précis, l'auteur essaie de démontrer la valeur de son
hypothèse selon laquelle il serait possible de prévoir, avec une approximation
suffisante, la destinée d'un sujet donné en ne tenant compte que des situations
chronologiques dans le milieu originaire.
Il manque à ce livre les indications des résultats des analyses que Toman
a pratiquées sur ses sujets. Il ne nous apprend pas si les conditionnementsacquis
dans la fratrie sont définitifs ou modifiables. Il ne tente pas non plus de corré-
lation entre ce nouveau système de référence proposé par Toman, et qui consiste
dans la situation temporelle du sujet à l'intérieur de sa fratrie, et le système de
référence habituellement utilisé constitué par le bipôle sujet-parents. La ten-
tative de Toman apparaît donc trop isolée du contexte analytique habituel et
il reste une coordination synthétique indispensable à faire. Le livre est cepen-
dant intéressant et important par l'introduction, dans le penser psychologique
et psychanalytique, d'un paramètre nouveau qui jusqu'à présent avait été
négligé et qui pour la première fois est systématiquement analysé.
Pierre LÉVY.
L'investigation psychosomatique, par Pierre MARTY, Michel de M'UZAN et
Christian DAVID (1).
Je ne puis résister au plaisir d'écrire quelques réflexions après avoir lu
le livre de Marty et de ses collaborateurs : ce sont celles d'un psychanalyste de
bonne volonté, très éloigné de la psychosomatique.
Je n'avais eu jusqu'à présent avec cette discipline que peu de contacts,
(1) MARTY (P.), M'UZAN (M. de), DAVID (C), L'investigation psychosomatique-, Presses
Universitaires de France, Paris, 1963.
286 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-I964
ceux qui m'assuraient que les conflits pouvaient se somatiser et qu'une ligne
sans discontinuité conduisait du fonctionnel à l'organique. Comme beaucoup
de collègues cependant, j'étais rebuté par deux tendances assez simplistes,
au moins dans l'apparence, celle qui me laissait l'impression que la psycho-
somatique ne faisait qu'élargir le domaine de la conversion, celle qui me
donnait l'impression lassante d'une liste de batailles considérées comme spéci-
fiques avec l'image maternelle, dont on disait qu'elles sous-tendaient le champ
de la psychosomatique, d'une manière trop précise pour ne pas me paraître
monotone.
Voulant spécifier la « chose psychosomatique », et nous introduire concrè-
tement dans le domaine de ses investigations, Marty et ses deux collègues,
après une introduction, nous présentent le compte rendu sténographique ou
magnétophonique de sept observations cliniques.
La lecture en est, à elle seule, tout à fait passionnante : l'examinateur a
recueilli ce matériel dans une situation de groupe. Dans chaque cas, les malades
purent parler et furent interrogés dans des conditions qui mettent non seulement
à jour la dramatique histoire de leurs conflits, mais qui explicitent aussi les
premiers éléments des déplacements transférentiels. Une exceptionnelle maî-
trise des positions contre-transférentielles permet à l'examinateur de pousser
parfois le patient au-delà de ses retranchements défensifs, de le ramener,
quand la situation devient dangereuse (cf. l'observation du coronarien) à un
stade relationnel non régressif. Il me semble que le lecteur psychanalyste se
trouve lui aussi dans une situation privilégiée devant ces sept observations ;
il se trouve grâce au talent de l'examinateur, en état de s'identifier de façon
relativement contrôlée aux patients, ce qui lui permet de lire d'une façon
vraiment nouvelle ces observations : comme les auteurs le font remarquer, la
présentation typographique elle-même permet de suivre les scansions drama-
tiques du dialogue, ses débouchés sur des noeuds conflictuels, ainsi que les
résistances qui naissent et s'expriment dans le registre somatique.
Ces observations sont destinées à nous familiariser avec le spectre psycho-
somatique et à nous en faire saisir l'organisation, « dont la base est constituée
moins par des mécanismes mentaux que par des activités sensorio-motrices
et diverses modalités physiologiques plus ou moins isolées, surchargées ou
distordues ». Le « spectre psychosomatique » peut être compris, selon les
auteurs, à la lumière de la théorie psychanalytique des névroses. Mais la relation
d'objet du psychosomatique aurait un style qui lui est propre. Sa singularité
fait comprendre que la pathologie psychosomatique n'est ni d'ordre névrotique,
ni d'ordre psychotique. Elle s'apparenterait parfois à la perversion, plus souvent
à la névrose de caractère. Le terme de « névrose de comportement » qu'emploient
plusieurs fois Marty et ses deux collègues est séduisant pour un psychanalyste
d'enfants. Il m'a expliqué en tout cas pourquoi je m'identifiais si facilement à
l'examinateur dans ces sept observations.
En bien des occasions en effet la situation m'a rappelé le contact avec un
enfant et ma manière d'être avec lui, dans le cas d'une consultation. Comme
Marty en effet, je ne crois pas qu'il convienne de nous attacher exclusivement à
dresser le bilan des conflits qui ont pu être pathogènes. J'ai été frappé par l'im-
portance dramatique des moments où l'examinateur s'attaque à ce que Marty
décrit comme « une mimique de fantasme ». Le somatique, comme l'enfant,
ne pense alors souvent « à rien ». L'un compte les carreaux du sol, l'autre se
raccroche à ses soucis professionnels, comme l'enfant à ses problèmes scolaires
et plus souvent à ses activités ludiques.
Tout ceci fait parler à Marty de « pauvreté » et de « précarité » des instru-
ments intellectuels et fantasmatiques. « On en vient donc à saisir une autre
LES LIVRES 287
mécanisme de défense psychotique et celui que les auteurs ont mis en évidence
chez les somatiques : ce dernier semble à première vue plutôt lié à un manque
de nuances dans l'assimilation fonctionnelle de l'objet, comme si ce dernier
s'appauvrissait de tout investissement objectai, au profit d'un reploiement
narcissique, qui semble bien fondamental dans ces cas.
Avec ce rappel de deux caractères particuliers de la somatisation, on voit
que les auteurs, tout en se référant à la théorie psychanalytique, ont été conduits
à tenter de spécifier la psychosomatique en se référant à trois niveaux : le mental,
le comportement, le somatique. Ils définissent en effet ce qu'ils appellent un
principe d'équivalence énergétique, « qui s'est révélé immédiatement fructueux,
tant au niveau du diagnostic qu'à celui du pronostic et de la thérapeutique. Sur
la base de notre expérience psychosomatique, nous pensons qu'il existe en
effet une certaine équivalence énergétique entre l'activité relationnelle avec
un objet extérieur ; l'activité relationnelle avec la représentation d'un objet
extérieur ; l'activité mentale en tant que telle, intellectuelle ou fantasmatique ;
et l'activité fonctionnelle somatique perturbée. Dans cette chaîne analogique, il
faut bien souligner que la qualité de l'intégration de l'énergie se dégrade
progressivement — sans préjuger ici sa valeur agressive ou libidinale — en
même temps que la notion de relation objectale s'abâtardit et s'efface au profit
de celle d'activité fonctionnelle distordue. C'est ainsi qu'on peut voir un trouble
viscéral ou musculaire se substituer à la relation avec une personne significative
de l'entourage. »
Ces quelques réflexions sur la pensée de Pierre Marty, Michel de M'Uzan
et Christian David convaincront de lire, je l'espère, leur travail exceptionnel-
lement enrichissant.
S. LEBOVICI.
DEVEREUX (G.). — Retaliatory homosexual triumph over the Father (La rétorsion
du triomphe homosexuel sur le père) (p. 157).
(1) HARRIS (I. D.). — Unconscious factors common to parents and analysts
(Facteurs inconscients communs aux parents et aux analystes).
Ce travail part de l'hypothèse que la croissance psycho-affective qui se
produit normalement chez l'enfant à la faveur de sa relation avec ses parents
est analogue à celle qui se produit chez l'analysé à la faveur de sa relation avec
l'analyste.
(C'est vraisemblable, mais l'auteur ne le considère pas comme démontré.)
Quels sont dès lors les facteurs de facilitation de la croissance qu'on rencontre
en commun chez un parent et chez un analyste ?
(1) BELLAK (L.). — Free association : conceptual and clinical aspects (L'asso-
ciation libre : aspects conceptuels et cliniques).
Dans une mise au point générale et théorique du concept et des processus
de l'association libre, l'auteur en étudie d'abord les racines historiques, citant
en particulier les écoles anglaises du sensationnisme et de rassociationnisme,
et rappelant, à la suite de Jones, Wyss et Zilboorg, l'influence que peuvent
avoir eue sur le fondateur de la psychanalyse les travaux contemporains de
Galton et de Brentano.
Le concept d'associationlibre est resté dépendant des premières formulations
topologiques sur l'inconscient et le conscient dans le cadre d'un déterminisme
mécaniciste et n'a pas été revu sous l'angle des concepts modernes plus
élaborés.
L'association libre n'obéit qu'aux déterminants intrapsychiques. En fait,
il apparaît que l'analyste induit la communication libre, pas seulement par la
règle qu'il énonce, mais aussi, plus subtilement, par ses réactions courantes
(ne réagissant par exemple qu'à ce qui est librement associé, pour schématiser).
Dans la plupart des cas nous recevons plutôt des associations contrôlées que
vraiment libres. Entre analyste et analysé il se produit une série d'accords
implicites sur le choix des terrains successifs où se déroule l'analyse. Il ne sert
à rien de bon, énonce Bellak, de vouloir prétendre que l'analyste observe une
conduite invariable ; il ne faut pas non plus confondre flexibilité et licence ou
désordre. Bellak soutient également que l'analyste doit se concevoir comme
un thérapeute, appliquant une science, plutôt que comme un chercheur pur
et détaché.
Le processus de l'association libre s'explique par la « fonction oscillante »
du Moi, c'est-à-dire par la capacité qu'a le Moi de s'exclure à son propre ser-
vice, opérant les régressions contrôlées étudiées par Kris et Hartmann ; il se
produit une réduction relative des fonctions cognitives (Bellak insiste sur le
caractère relatif et non absolu de cette réduction). Cette réduction est moins
marquée dans le processus d'A. L. que dans le rêve mais moins que dans les
rêveries. Consécutivement l'acuité du Moi augmente et de nouvelles « formes »
se construisent.
La plupart des troubles de l'associationlibre se réfèrent à la première phase,
à laquelle s'oppose l'attachement obsessionnel, rigide et défensif à des séries
éprouvées de faits extérieurs. Par contre, les hystériques et schizophrènes,
s'ils se laissent aller dans ce premier temps, manquent le second temps (1)
par excès défensif de passivité ou par défaut de conceptualisation,de réduction
des capacités d'abstraction. D'autres perturbations sont signalées qui entrent
plus nettement dans les résistances de transfert.
Toutes ces notions guident évidemment la technique.
(5) CAKLSON (Helen B.). — The relationship of the acute confusional state to
ego development (Relation de l'état confusionnel aigu avec le développement
du Moi).
Des études antérieures, auxquelles l'auteur a participé, ont décrit l'état
confusionnel aigu, chez une vingtaine d'étudiants en psychothérapie. L'état
est par définition transitoire.Peu de chose le déclenche. Mais ce qui le détermine
est le désarroi du Moi devant les exigences du dehors ou du dedans, et en par-
ticulier lorsque le sujet, traumatisé dans son enfance, physiologiquement mûr,
est pressé de réaliser cette maturité sur le plan psychologique.
La crise ainsi déclenchée se déroule en trois phases : une phase de rage
violente et diffuse, avec rêves de destruction — la phase confusionnelle, avec
confusion, sentiment d'extrême isolement, recherche d'aide et d'objet, impul-
sions suicidaires, et rêves d'isolement terrifiant ou d'incarcération et enfin
une phase résolutive, avec retour des défenses du Moi, rêves de réintégration
et de reprise en main de soi (retour à la maison et auprès d'un objet aimé et
aidant), et retour à l'état antérieur ou bien opposition de formations sympto-
matiques, dépression, schizophrénie, formation réactionnelle, coup de foudre
amoureux.
La séquence compte aussi un état préliminaire, ou pré-confusionnel, auquel
elle s'arrête souvent, et qui comporte cliniquement un trouble diffus de l'at-
tention, de l'irritabilité et de l'hypersensibilité sensorielle (au bruit en par-
ticulier).
Les malades dans de tels états ne se sentent pas psychologiquement bien
définis ; ils sont, suivant le mot de l'auteur, impersonnalisés, cette imperson-
nalisation répondant à un défaut du développement et non à une régression (1).
Aussi s'efforcent-ils de se conformer à leur entourage, et adoptent la person-
nalité « Comme si ».
L'auteur fait une revue de la littérature sur la question.
Le présent travail a pour but de démontrer l'existence d'états confusionnels
non plus chez des adolescents, mais aussi chez des adultes (8 cas en psycha-
nalyse), de relier ces états aux traumatismes infantiles et à la poussée
maturative, et enfin de montrer les relations de ces états avec les aspects
transférentiels.
Quatre cas sont présentés assez extensivement. Ils permettent à l'auteur
de relever chez les patients, à titre pathogénique :
— un défaut d'identification aux parents par suite de leur attitude punitive,
restrictrice ou réjectrice ;
— la croissance et surtout l'adolescence accroissent la vulnérabilité ;
— passage d'un milieu sécurisant à un milieu non familier ou hostile.
Le matériel clinique de l'auteur l'amène de plus à mettre en relation l'état
confusionnel avec la dépression anaclitique — avec le processus schizophré-
nique et, d'une façon générale, avec l'acquisition ou plutôt la perte du sens
de l'identité.
(6) HOLLENDER (M. H.). — Prostitution;, body and human relatedness (La
prostitution, le corps et le contact humain).
L'analyse de deux jeunes femmes qui pendant une période déterminée,
s'étaient livrées à la prostitution en tant que call-girls, révèle certains facteurs
dynamiques communs qui pour l'auteur, sont fondamentaux dans toute forme
(1) Voir les mêmes conceptions dans les travaux de Nacht et Racamier.
302 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
(9) OSTOW (M.). — The clinical estimation of ego libido content (Evaluation
clinique du contenu libidinal du Moi).
L'auteur établit une échelle d'états du Moi comprenant une plus ou moins
grande quantité de libido : minimale dans la mélancolie, débordante dans la
manie. Certaines données varient progressivement quand on parcourt l'échelle
aux extrêmes de laquelle se situent la mélancolie et la manie : il en est ainsi
du comportement, de plus en plus vif et alerte quand on va vers le pôle maniaque,
la libido objectale, très intense dans la manie, la sensibilité aux affects objec-
taux, qui varie dans le même sens ; l'auto-observation, qui est très élevée au
pôle mélancolique ; l'estime de soi, qui varie en sens inverse ; la projection et
l'introjection, qui varient en sens inverse l'une de l'autre, la relation du Moi
avec le Surmoi, le Moi étant dominé dans la mélancolie, dominateur dans la
manie.
L'auteur établit ainsi une échelle allant de 0 à 10, de l'orientation narcis-
sique à l'orientation objectale.
D'autres données varient autrement : elles sont maximales au milieu de
l'échelle (telles que la capacité d'auto-observation détachée et d'une façon
générale les fonctions du Moi) ou à ses extrémités (comme le narcissisme pri-
maire ou l'angoisse durable). L'angoisse apparaît comme signal quand il y a
changement de niveau de l'état du Moi dans quel que sens que ce soit.
(10) POLLOCK (G. H.). — Mourning and adaptation (Deuil et adaptation).
Le deuil est un processus d'adaptation interne à un milieu externe perturbé,
l'adaptation comprenant aussi bien l'adaptation antérieure que la capacité de
s'adapter à l'échec de cette adaptation antérieure.
Le processus de deuil comprend une phase aiguë et une chronique, la
première étant observable chez les animaux, la seconde essentiellement chez
l'homme pourvu d'un psychisme et d'un Moi plus évolués.
(11) RUDDICK (B.). — Agoraphobia (L'Agoraphobie).
Selon l'auteur, l'agoraphobie, compromis de pulsion et de défense, n'est
pas seulement un trouble hystérique, mais peut s'associer avec la névrose de
conversion, la névrose obsessionnelle, la dépression et des troubles du carac-
tère. Trois cas sont rapportés (tous trois de femmes) , chez l'une, l'agoraphobie
se développe en cours d'analyse en rapport avec l'accession au niveau oedipien.
Les deux autres cas de sujets à Moi faible, chargés de lourds problèmes et de
symptômes oraux, chez qui l'agoraphobie est en rapport non seulement avec
les pulsions sexuelles interdites mais aussi avec des projections de pulsions
orales et anales sadiques. Dans ces deux cas, l'identification à la mère a été
bloquée.
(2) SEARLES (H.). — Anxiety concerning change in schizophrenic patients (as
seen in the psychotherapy of schizophrenic patients, with particular reference
to the sense of Personal identity) (La peur de changer chez les schizophrenes
(vue dans la psychothérapie de schizophrènes, avec référence spéciale au sens
de l'identité personnelle) ).
En introduction l'auteur montre l'anxiété universelle de l'homme devant
le changement de son être, changement qui se résout finalement en sa propre
disparition. Par la croyance religieuse à l'éternité et la participation à un Dieu
immuable, par certaines philosophies posant l'immuable à travers le mouvant,
par certaines tendances enfin de la théorie scientifique, l'homme cherche à se
défendre contre cette angoisse du changement. Il n'est pas jusqu'à la théorie
304 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
l'objet introjecté devient bien intérieur mais n'est pas absorbé comme une
part intégrante de soi) et l'introjection « nucléaire » (par laquelle l'objet est
complètement assimilé), il expose que la dynamique centrale de l'hystérie est
constituée par une relation sadique du sujet avec l'objet maternel introjecté
sur le plan orbital. Les organes génitaux mâles et femelles sadiquement repré-
sentés font l'objet des introjections nucléaires.
n'est pas impossible de voir un enfant qui a une allure extrêmement virile
jusqu'à 4 ou 5 ans et qui prend une allure homosexuelle à la suite de l'influence
de facteurs événementiels ou environnementaux. Son aspect, sa voix, sa
pilosité peuvent en témoigner.
2° Des affections chroniques précoces peuvent être découvertes dans le
passé des homosexuels. Il en est ainsi particulièrement de la chétivité qui
condamne l'enfant à ne pas s'exercer virilement dans les jeux musculaires.
3° Il faut mentionner également l'importance et la fréquence de la séduc-
tion. Si les jeux sexuels entre jeunes garçons sont sans importance, il ne me
semble pas en être de même dans les cas où a existé une relation entre un enfant
jeune et un homme âgé, surtout lorsque cette relation a été durable.
Mais j'estime nécessaire d'insister sur des facteurs plus importants et plus
constants...
1° Il en est ainsi en particulier du mode d'investissement du garçon par sa
mère. Il ne s'agit pas ici que des cas, à vrai dire rares, où le comportement de la
mère a maintenu un état manifeste de féminisation, en habillant les garçons
comme des filles ou en les coiffant comme des filles. L'influence féminisante
de la mère peut être plus subtile et plus nocive. Il s'agit ici d'un investissement
profond par la mère qui valorise le corps de l'enfant, sa beauté en en faisant
en quelque sorte son ornement. L'enfant sent alors qu'il ne peut être aimé
qu'en valorisant son corps aux dépens du phallus et du pénis. De telles mères
prônent les qualités passives de l'enfant et vantent la douceur et l'obéissance
de leur fils.
2° Le comportement viril de la mère que l'on observe très souvent à titre
de facteur étiologique, aboutit à la valorisation de la féminité chez le garçon
et constitue en quelque sorte une castration continue ; d'où l'identification à
l'agresseur central qui n'est autre que la mère.
3° J'insisterai particulièrement sur le caractère très érotisé de la relation de
l'homosexuel avec son père. Il s'agit de pères trop absents sur le plan erotique
dans la petite enfance, d'autant plus pathogènes qu'ils sont incapables de
s'éloigner progressivement ou de désexualiser leurs relations avec leurs fils.
Le détachement du père est nécessaire pour qu'il soit idéalisé. Lorsque ce déta-
chement ne se produit pas, tout se passe comme si le père venait à manquer
et il apparaît alors dans les fantasmes comme une image castratrice dont je
considère qu'elle est la conséquence de traces ataviques.
Dans ces cas, la mère réapparaît, car elle empêche par sa virilité que son
fils ait besoin de son mari. Elle n'est pas, comme cela est le cas normal, le tru-
chement entre le père et le fils. Celui-ci vit alors dans la nostalgie d'un père
érotisé.
4° Freud a souligné l'importance du narcissisme dans l'homosexualité.
On connaît l'importance des fantasmes de miroir où l'homosexuel recherche
un partenaire identique à lui-même. Mais ce qui caractérise plutôt ce narcis-
sisme, c'est qu'il est raté car l'enfant n'a pas de phallus, étant le phallus de
sa mère. Pour s'autonomiser, il doit s'identifier à elle et renoncer au phallus.
Il recherche donc un autre phallus chez son partenaire, et c'est l'existence de
celui-ci qui atteste l'existence du sien propre.
Il n'y a pas de relations entre une mère phallique et son fils, mais une
mère phallique dont le phallus est son fils.
5° Je n'insisterai pas sur les relations qui seraient assez caractéristiques
dans l'homosexualité du paranoïaque, entre les homosexuels et leurs frères plus
âgés. Elles ne s'observeraient que chez les paranoïaques qui ont une vie
homosexuelle.
320 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
HOMOSEXUALITÉ ET PSYCHOSE
I. — Introduction (J. MALLET)
II. — Discussion
I. — J. Mallet fut amené à préciser les rapports entre la projection et la
persécution.
Selon lui, la projection est une dénégation simple selon laquelle l'autre est
homosexuel, tandis que la persécution qui est l'échec de la projectionnie l'exis-
tence de la projection, selon l'expression de Freud « partie de l'intérieur, elle
revient du dehors ».
M. Fain n'admet pas totalement cette position et souligne que la projection
a déjà un côté actif. C'est pourquoi F. Pasche propose de remplacer le terme
« projection » par celui de « transitivisme » et rappelle le rapprochement possible
entre les mécanismes projectifs et phobiques qui peut être compris si l'on
326 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
PROBLÈMES TECHNIQUES
POSÉS PAR LA CURE PSYCHANALYTIQUE
CHEZ LES HOMOSEXUELS
Introduction par J. FAVREAU
sur sa peur de castration a été suffisamment avancé, pour accepter avec plaisir
sa passivité devant le pénis paternel, pour éviter de souffrir de la pénétration
du phallus maternel.
Cet aspect des choses doit aussi nous rendre circonspects sur l'évolution
de cures qui s'arrêteraient à une pseudo-acceptation de l'homosexualité.
Les problèmes du contre-transfert doivent être étudiés en premier lieu lors-
qu'on étudie les problèmes techniques de la cure psychanalytique des homo-
sexuels. Celle-ci est réputée, en effet, comme difficile.
I. — Les difficultés contre-transférentielles reflètent la crainte que nous
éprouvons généralement vis-à-vis de l'homosexualité. Analystes, nous pouvons
espérer être conscients de notre homosexualité, mais les éléments inconscients
de notre homosexualité peuvent continuer à agir, ce qui risque de nous amener
à deux positions dangereuses :
— soit le rejet du patient qui ressent comme agression les blessures narcis-
siques ;
— soit, tout aussi dangereux, le désir de le guérir, qui fait que nous considé-
rons malheureusement l'homosexualité comme une maladie.
II. — Dans d'autres cas, nos positions contre-transférentielles sont dues
à nos tendances inconscientes à nous identifier à nos patients homosexuels et à
leur plaisir. Ici nous favorisons l'acting-out, nous maintenons nos malades dans
leurs positions comme le font souvent les parents qui favorisent inconsciem-
ment l'homosexualité de leurs enfants.
III. — La passivité des patients homosexuels risque de provoquer chez
l'analyste les réactions du démiurge que Pasche a individualisées. Elle ne doit
pas être plus refoulée que nos contre-attitudes passives qui nous protègent
contre les positions actives de nos patients.
IV. — Nous avons trop tendance à ne pas considérer l'érotisme anal dans
sa spécificité, à l'articuler dans le cadre des manifestations sado-masochistes
du comportement. De fait, il existe parfois une frigidité anorectale qui
conduit les sujets qui en sont victimes à éprouver du plaisir à la séduction ou
à la souffrance.
Cette position est très isolée dans le cadre du contre-transfert et l'analyste
y échappe souvent en négligeant l'érotisme anal pour centrer son travail autour
de la manipulation des matières fécales.
V. — Les contre-attitudes nuisibles de l'analyste peuvent être déclenchées
par l'agressivité perverse et nuancée de l'homosexuel. On peut poser à titre
de règle générale que l'attitude contre-transférentielle adéquate est celle de la
sérénité avec laquelle l'analyste supporte les fixations érogènes évoquées à propos
de certaines zones.
De cette étude du contre-transfert résultent quelques règles techniques
qui doivent s'appliquer dès la première entrevue avec les homosexuels : les
analystes ont souvent tendance à les rejeter et à essayer de les convaincre qu'ils
ne doivent pas se faire traiter. Il faut en tout cas chercher à éviter toute atti-
tude qui leur donnerait l'idée que l'on veut modifier leur homosexualité.
On serait tenté de mettre en avant les indications de la cure qui sont liées à
leur peur ou à des phobies dont ils souffrent. De même l'évolution de la cure
n'impose pas, du moins dans les cas particuliers, de règles particulières, mais
elle comporte des temps difficiles qui peuvent être schématisés de la manière
suivante :
1° Parce qu'il est nécessaire de prendre grand soin de mettre en évidence
les éléments oedipiens dès le début de la cure, on peut avoir du mal à le faire,
d'une part parce qu'ils sont particulièrement incertains, comme on l'a vu au
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 329
DISCUSSION
I. Importance de l'analyse des positions oedipiennes chez les homosexuels. —
Elles furent reconnues par tous ceux qui participèrent à la discussion qui
montra les oscillations entre les positions oedipiennes trop facilement reconnues
au début de l'analyse, parfois liées à une inhibition de l'érotisme anal (selon
Michel Fain), et les restructurations oedipiennes tardives qui conduisent à une
identification solide au père.
REV. FR. PSYCHANAL. 22
330 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
STATISTIQUES
(arrêtées au 31-12-1963)
Conférences d'introduction 31
Étudiants à l'Institut (il s'agit des étudiants ayant été admis à commencer
leurs contrôles)
62-63)
22
Étudiants à l'Institut « ancien régime » (c'est-à-dire n'ayant pas encore
commencé leurs contrôles et ayant été inscrits à l'Institut avant l'année
scolaire 11
Personnes ayant suivi les conférences d'introduction en 62-63 et ne
suivant aucune activité actuellement 11
Auditeurs étrangers 2
Stagiaires (1) :
— en contrôles : 57
— ayant terminé leurs contrôles (cette statistique ne donne pas le
résultat qualitatif) 61
— n'ayant pas encore satisfait à l'exigence de deux contrôles 9
— « ancien régime » n'ayant pas été autorisés à commencer leurs
contrôles 14
Groupe de Lyon 5
Membres adhérents 38
Membres titulaires 30
c) Contre-indications :
Hommes 24
Femmes 20
Médecins 32
(dont psychiatres) 21
Psychologues 6
Autres 6
Analyses commencées pendant cette période (chiffres donnés sous
toute réserve, la mise à jour des listes des candidats ayant commencé une
psychanalyse s'effectuant une fois par an). 9 analyses commencées
+ 2 homologations.
2. Candidatures aux cures contrôlées :
Acceptées Refusées
Médecins 19 9
Non-médecins 6 4
3. Candidatures au titre de membre adhérent :
Commission de l'Enseignement Société Psa de Paris
Acceptées Refusées Acceptées Refusées
Médecins 2 - 1 1
BIBLIOTHÈQUE
SERVICE DE PRESSE
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Books, 1961, 594 p.
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Universitaires de France, 1962, 220 p.
ANDERSSON (Ola). — Studies in the Prehistory of Psychoanalysis. The Etiology of
Psychoneuroses and some Related Themes in S. Freud's Scientific Writings
and Letters 1886-1896, University books, Scandinavie, 237 p.
L'Année psychologique, 1961, fasc. 2, Paris, Presses Universitaires de France,
1962, 641 p.
L'Année psychologique, 1962, fasc. 1, Paris, Presses Universitaires de France,
1962, 342 p.
L'Année psychologique, 1962, fasc. 2, Paris, Presses Universitaires de France,
1962, 700 p.
L'Année psychologique, 63e année, n° 1, Paris, Presses Universitaires de France,
1963, 287 p.
BAUDOIN (Charles), L'oeuvre de Jung et la psychologie complexe (Études et
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Buchform und Anthologien erschienenen übersetzungen, 1945-1960/1961,
Frankfurt, Hans W. Bentz Verlag, 60 p., 1961.
BERGES (J.) et LÉZINE (I.), Test d'initiation de gestes, techniques d'exploration du
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338 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964
NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la nouvelle qui nous a été communiquée
de la mort de Félix Deutsch de la Boston Psychoanalytic Society and Instilute,
survenue le 2 janvier 1964.
PRIX MAURICE-BOUVET
— Le Prix Maurice-Bouvet 1964 a été attribué à Mlle Anne Berman
pour l'ensemble de ses traductions des oeuvres de Sigmund Freud.
La théorie
de l'autonomie du moi :
généralisation(1)
par DAVID RAPAPORT, docteur en philosophie (2)
dire autonome, — de ces forces internes qui n'existent pas dans cette
conception (1).
L'observation ne confirme ni l'une ni l'autre de ces thèses. Elle
montre que si la conduite de l'homme est déterminée par les forces
pulsionnelles qui ont leur origine en lui, il n'est pas totalement à leur
merci puisqu'il a une certaine indépendance à leur égard. Nous rappor-
tons cette indépendance à l'autonomie du Moi à l'égard du Ça (2).
L'observation la plus commune imposant cette conception est le
fait de la responsabilité de la conduite et de son rapport avec la réalité
externe. Mais cette dépendance de la conduite à l'égard du monde
extérieur et de l'expérience n'est pas complète non plus. Non seulement
l'homme peut interposer délai et réflexion entre son action et ses pulsions
instinctuelles, modifiant, voire même différant indéfiniment la décharge
pulsionnelle, mais il peut, de la même manière, modifier et différer
sa réaction à la stimulation extérieure. Nous rapporterons cette indépen-
dance de la conduite à l'égard de la stimulation externe à l'autonomie
du Moi à l'égard de la réalité externe (3). Puisque le Moi n'est jamais
complètement indépendant ni du Ça, ni de la réalité externe, nous
parlerons toujours d'autonomie relative.
I
Ma précédente discussion de l'autonomie était centrée sur l'indé-
pendance relative de la conduite à l'égard des pulsions internes. La
grande découverte de la psychanalyse fut celle de l'existence de ces
forces inconscientes. Il fallut un certain temps pour prendre conscience
(1) Cette esquisse des théories de Berkeleyet de Descartesest simplifiée à l'excès. Ni l'une ni
l'autre ne correspond réellement à cette interprétation forcée. Dans le système de DESCARTES
par exemple (voir ses Passions de l'âme), les forces internes (les passions) sont conçues en parti-
culier comme des interférences avec le fonctionnement ordonné du mécanisme d'association
véridique.
(2) Cette conception a été formulée par HARTMANN [29-31]. Ses racines remontent cependant
à la thèse freudienne du processus secondaire dans le septième chapitre de The Interpretation of
Dreams (L'interprétation des rêves) [rs], dans Formulations Regarding the two Principles in
Mental Functioning (Considérationsrelatives aux deux principes du fonctionnementmental) [17],
et The Problem of Anxiety (Le problème de l'anxiété) [23].
(3) Bien que les réactions de la psychanalyse aux théories des culturalistes (Horney, Sulli-
van, etc.), impliquent une idée de cette nature, celle-ci n'a pas été jusqu'ici explicitementfor-
mulée. Noter cependant HARTMANN [32] : « Une fois que le Moi a accumulé un réservoir d'énergie
neutralisée qui lui est propre, il développera — en interaction avec le monde du dehors et le
monde du dedans — des visées et des fonctions dont la cathexis peut dériver, ce qui signifie
qu'ils ne dépendent pas toujours nécessairement de neutralisationsad hoc. Cela donne au moi une
indépendance relative à l'égard de l'extérieur immédiat ou de la pression intérieure, fait qu'on a
l'habitude de considérer (bien que ce ne soit pas courant dans cette terminologie) comme une
tendance générale du développement humain » (souligné par nous, D. R.).
346 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
du fait que cette découverte ne nous contraint pas à adopter une théorie
solipsiste selon laquelle une cheminée est primitivement un symbole
phallique et en second heu seulement le moyen de faire sortir la fumée
de la maison. Il fallut un certain temps pour que nous commencions
à voir dans la cheminée une cheminée d'usine, du fait que ces signifi-
cations réalistes ne se trouvaient pas au centre de nos intérêts
premiers (1). Néanmoins, lorsque la psychanalyse eut étendu au
Moi le champ de son étude, il devint possible et à vrai dire nécessaire
de créer des outils conceptuels permettant de traiter de ces signifi-
cations réalistes et de leur rôle dans la conduite. Cela mena à l'étude de
l'autonomie relative du Moi (2) à l'égard du Ça, garantie de notre
relation relativement solide et stable avec le monde extérieur.
J'essayai d'élucider l'autonomie du Moi à l'égard du Ça à l'aide
d'une vieille histoire juive (3) qui veut qu'un portrait de Moïse fût
apporté à un roi d'Orient, portrait d'après lequel les phrénologues et
es astrologues du roi conclurent que Moïse était un homme cruel,
glouton, avide, intéressé. Le roi qui avait entendu dire que Moïse
était un chef plein de bonté, généreux et hardi fut troublé et alla
voir Moïse. Il constata, le rencontrant, que le portrait était fidèle et
il dit : « Mes phrénologues et mes astrologues ont eu tort. » Mais
Moïse n'en convint pas : « Vos astrologues et vos phrénologues ont
eu raison, ils ont vu ce que j'étais ; ce qu'ils n'ont pas pu vous
dire, c'est que j'ai lutté contre tout cela pour devenir ce que je
suis. » En d'autres termes, le Moi qui se constitue au cours des luttes
de la vie peut devenir différent des impulsions originelles — peut
être relativement autonome à leur égard — et peut leur imposer son
contrôle.
J'ai maintenant une autre histoire [60] pour éclairer la notion d'auto-
nomie du Moi par rapport à la réalité externe. Un roi rentrait dans sa
capitale suivi de son armée victorieuse. La fanfare jouait et le cheval du
roi, l'armée, le peuple, tout se déplaçait en mesure. Le roi contemplait,
ébahi, le pouvoir de la musique. Il remarqua soudain un homme qui
ne marchait pas au pas et suivait lentement derrière. Profondément
impressionné, le roi fit venir l'homme et lui dit : « Jamais je n'ai vu
d'homme qui soit aussi fort que vous. La musique entraînait tout le
monde, excepté vous. Où prenez-vous la force de résister ? » L'homme
(1) En réalité, l'histoire ne finit pas là. L'homme parle au roi de deux nommes plus forts
encore. « Le premier était si fort que lorsqu'il le voulait, le soleil n'était pour lui que soleil,
la lune que lune, le vent que vent et la montagne que montagne, et tout cela n'avait pas d'autre
sens pour lui. » (Le fait d'exclure l' « enrichissement cormotatif » est un mécanisme de formation
et de pathologie du caractère obsessionnel-compulsif; cf. RAPAPORT [62]. Le roi demanda :
« Qu'arriva-t-il à cet homme ? » « Il s'entoura d'un haut mur ». Mais le deuxième homme était
encore plus fort : « Il avait la même faveur pour chacun, beau ou laid, riche ou pauvre. Il
donnait les meilleurs conseils aux rois et aux princes, mais ceux-ci ne l'écoutaient pas. On le
croyait intéressé : et loin dans le désert de Gobi, Confucius mourut, seul, vieux et dans la
misère. »
(2) Mais voir HARTMANN [30] et ERKSON [10].
348 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
II
Pour aborder la première question, j'examinerai les garanties de
l'autonomie relative du Moi à l'égard du Ça. Cette autonomie est
assurée par les appareils du Moi de l'autonomie primaire et de l'auto-
nomie secondaire (1).
Nous n'admettons plus que le Moi se forme à partir du Ça, mais
plutôt que le Moi et le Ça se forment tous deux par différenciation à
partir d'une matrice [34] commune indifférenciée dans laquelle existent
déjà les appareils qui deviendront les instruments de l'orientation du
Moi, de l'épreuve de la réalité et de l'action. Ceux-ci, répondant à la
dénomination d'appareils de l'autonomie primaire, servent la satisfaction
instinctuelle et entrent en conflit en tant que facteurs indépendants du
Moi. Ce sont les appareils mnémonique, moteur, perceptif et les appa-
reils de seuil (y compris les seuils de décharge affective et motrice).
Il s'agit de donnés évolutifs qui, en vertu de leur longue histoire sélec-
tive et modificatrice, sont devenus les garanties primaires de l' « ajuste-
ment » de l'organisme (adaptation à) à son environnement [30]. En
d'autres termes, les garanties primaires de l'autonomie du Moi à
l'égard du Ça semblent être les appareils mêmes qui assurent l'adapta-
tion de l'organisme à son environnement.
Les appareils de l'autonomie secondaire se forment soit à partir de
modes et vicissitudes instinctuels comme ceux qui deviennent « étran-
gers » à leurs sources instinctuelles [9], soit à partir des structures de
défense formées au cours du processus de résolution des conflits comme
ceux qui subissent un « changement de fonction » [30] et deviennent des
appareils servant l'adaptation. Autrement dit, les appareils de l'auto-
nomie secondaire ne sont pas « innés » mais issus de l' « expérience ».
Ainsi cette seconde garantie de l'autonomie du Moi implique-t-elle
aussi des rapports avec le réel. Alors qu'il est évident que privés de
toutes relations avec un environnement externe réel nous serions des
êtres solipsistes, il fallut un long détour pour nous faire percevoir
clairement que l'autonomie du Moi à l'égard du Ça — notre sauve-
garde contre le solipsisme — est garantie par ces appareils innés et
(1) Ces concepts ont été formulés par HARTMANN [29, 31].
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 349
(1) HARTMANN [33] écrivait : « Dans ses périodes de rébellion, l'individu en cours de déve-
loppement se révolte aussi contre la conceptioncommunémentadmise de la réalité. Sa tendance
vers la connaissance objective peut également entraver l'aide des pulsions instinctuelles. Il lui
est cependant possible, lorsqu'il a accédé à l'autonomie, d'atteindre un niveau considérable de
stabilité. "
350 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
III
Pour aborder la relation entre les deux autonomies, examinons les
conditions qui interfèrent avec l'une, avec l'autre, avec l'une et l'autre.
Trois exemples illustreront les conditions dans lesquelles se dété-
riore l'autonomie du Moi à l'égard du Ça. Il y a d'abord les périodes
de développement au cours desquelles les pulsions s'intensifient et
menacent cette autonomie du Moi. A l'époque de la puberté, les pulsions
intensifiées interfèrent si largement avec l'autonomie du Moi que le
Moi les combat — entre autres modes de défense — par l'intellectuali-
sation qui est peut-être le moyen le plus puissant d'engager la réalité
extérieure et les appareils de mémoire et de pensée contre les empiéte-
ments du Ça [14]. La subjectivité de l'adolescent, sa révolte contre
son environnement et son goût de la solitude tout comme les attitudes
inverses — par exemple sa fringale d'objectivité et de compréhension
intellectuelle, sa quête d'une camaraderie avide de tout — manifestent
l'intensification pubertaire des forces du Ça et l'affaiblissement corré-
latif de l'autonomie du Moi. La ménopause (pour les deux sexes,
masculin et féminin) comporte souvent une perte similaire de l'auto-
nomie du Moi.
Certaines expériences récentes fourniront un second exemple.
Hebb et ses étudiants [3, 36-38] placèrent des sujets dans une chambre
noire, insonorisée, où les sensations tactiles et kinesthésiques étaient
réduites au minimum. Ils firent deux observations importantes : a) Les
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 351
(1) Cet article a pour origine l'ouvrage de Merton GILL et Margaret BRENMAN concernant
l'hypnose ainsi que nos communes discussions au cours de l'année 1940. Voir aussi KUBIE
et MARGOLIN [46, 48].
352 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(1) L'étude de I,. GOLDBERGERet R. R. HOLT sur l'état d'isolement montre que la privation
de stimulus entraîne des altérations différentielles de structures diverses chez les sujets indi-
viduels. R.-R. HOLT (communication personnelle) soulève la question de la compatibilité
éventuelle de ces conclusions avec l'explication d' « aliment » donnée ici. L'explication de
telles différences peut résider dans la « relativité d'autonomie " dont le degré varie natu-
rellement d'un individu à l'autre et d'une structure à l'autre, ou encore dans l'aliment
interne ".
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 353
(1) Ceci est l'une des implications de la théorie psycho-sociale d'ERIKSON [8, 11].
(2) Voir KASANIN [39], en particulier les contributions de BENJAMIN et de GOLDSTEIN.
(3) R.-R. HOLT a inventorié, dans un article non publié, les points essentiels de la littérature
relative à la question. S. C. MILLER prépare un vaste exposé de cette littérature.
354 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
IV
Nous voici prêts à examiner les deux autonomies. Dans les états
hypnotiques (comme dans la chambre de Hebb) les deux autonomies,
à l'égard du Ça et de l'environnement sont détruites. Comment de
telles démissions sont-elles liées l'une à l'autre ?
L'examen de certains aspects des désordres compulsifs et obsession-
nels peut servir à clarifier les relations [18]. Ce qui suit n'est qu'une
considération ex parte de ces conditions, un supplément, non un
substitut de la connaissance que nous en avons. L'un des concomi-
tants des conditions obsessionnelles-compulsives est l'élaboration
accrue du processus secondaire. Cette élaboration revêt deux aspects :
d'une part, elle fournit des moyens aux défenses de l'intellectualisation
et de l'isolement ; d'autre part, elle permet, de substituer l'observation
intensifiée et l'analyse logique aux signaux affectifs et idéationnels,
ces régulateurs naturels du jugement et de la décision supprimés par
les défenses obsessionnelles-compulsives.
La défense obsessionnelle-compulsive maximise ainsi l'autonomie
du Moi à l'égard du Ça, mais elle le fait au prix d'une démission sans
cesse accrue de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement ; la
suppression des injonctions affectives et idéationnelles d'origine pul-
sionnelle rend les jugements et les décisions du Moi toujours plus
dépendants des injonctions externes. D'où l'indigence de conviction
et la crédulité de certains obsédés, mais aussi — en formation de
réaction — l'adhésion aveugle et rigide à un point de vue une fois
adopté. Une forme extrême du manque de direction interne propre à
l'obsédé est le doute paralysant, susceptible de frôler l'esclavage au
stimulus des conditions catatoniques discutées ci-dessus. Mais tandis
que se réduit l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement, une
autre évolution se produit. Les pulsions et leurs représentations dont
l'accès à la motilité et à la conscience était si énergiquement barré,
envahissent la réalité « objective » en s'infiltrant dans les processus mêmes
de pensée et de logique élaborés pour les réprimer et parviennent à
remplir de magie et d'animisme la perception et la pensée de la personne.
Ainsi, la maximisation de l'autonomie du Moi à l'égard du Ça
réduit l'autonomie du Moi à l'égard de l'environnement et se résout en
esclavage au stimulus. Réciproquement, la réduction de l'autonomie du
Moi à l'égard du Ça (par intensification des pulsions par exemple),
se résout en une perte de contact avec la réalité, ce qui équivaut à une
autonomie maximisée par rapport à l'environnement. L'exagération
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 357
V
Le concept d'autonomie du Moi et de ses relations réciproques
a-t-il un rapport direct avec la psychanalyse clinique et la psychothé-
rapie ? [24]. Tel paraît être le cas bien qu'il soit difficile de dire s'ils
captent quelque chose de neuf ou ne font que traduire en un nouveau
langage quelque chose qu'on connaît déjà.
Les conditions techniques de la psychanalyse — le divan, les
consignes qui vont à l'encontre du « passage à l'acte », le caractère
d'écran neutre présenté par le psychanalyste, etc. — entraînent la
privation de stimulus. La technique psychanalytique reconnaît expli-
citement qu'une réduction du contact avec le réel est nécessaire pour
permettre aux dérivés du Ça d'émerger à la conscience. L'application
efficace de cette technique introduit un décalage dans l'équilibre de
l'autonomie, renforçant l'autonomie par rapport à l'environnement,
diminuant l'autonomie à l'égard du Ça. La théorie de l'autonomie,
une fois consolidée, peut devenir une pierre angulaire de la théorie de la
technique psychanalytique : notre connaissance de la théorie psychana-
lytique, de ses applications, de ses problèmes [12, 13] n'a cessé de
s'étendre, mais la théorie de la technique est fâcheusement restée
en arrière.
Les conceptions de l'autonomie ont aussi un rapport direct avec la
psychothérapie des cas marginaux [40-42]. Les modifications de la
technique psychanalytique ont remplacé à dessein le divan par la
situation dyadique, le psychanalyste relativement silencieux par le
psychothérapeute qui participe et soutient, etc., amoindrissant ainsi
la privation de stimulus [7]. Néanmoins, on ne sait pas encore clairement
à quel moment un cas marginal ou un grand névrosé doit être ou non
« retiré du divan ». On ne sait pas encore à quel moment la privation de
stimulus tendra à dépasser la « régression au service et sous le contrôle
du Moi » thérapeutiquement nécessaire pour conduire à une régression
de nature pathologique. Mais ce dont on est sûr, c'est que la relative et
réversible réduction de l'autonomie du Moi à l'égard du Ça — que les
règles techniques sont destinées à favoriser — peut échapper au
contrôle.
Comment mener à bien une thérapie efficace de l'insight, tout en
préservant l'autonomie du Moi à l'égard du Ça d'une régression patho-
logique plus poussée et d'une détérioration plus poussée des relations
du malade avec le réel, c'est là l'un des problèmes fondamentaux de la
psychothérapie des cas marginaux et peut-être de toute thérapie.
LA THEORIE DE L AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 359
VI
Le concept d'aliment nous vient de Piaget [57] (1). Selon cet auteur,
les « structures de l'intelligence » se forment par différenciation des
coordinations sensori-motrices congénitalement données, mais, requiè-
rent à cet effet un aliment-stimulus. Rien de probant n'existe jusqu'ici
pour clarifier la relation entre les structures de Piaget et ces structures
qu'a conceptualisées la théorie psychanalytique. Mais puisque nos
considérations suggèrent que le maintien et l'efficacité de ces « structures »
psychanalytiques requièrent un aliment-stimulus, la question se pose :
le développement de ces structures psychanalytiques requiert-il, comme
leur maintien et leur efficacité, un aliment-stimulus ?
Pour explorer cette question, considérons les différences entre les
stimuli supprimés dans les diverses situations discutées. Les expériences
de privation de stimulus suppriment cet aliment-stimulus qui, véhiculé
par les sens, est nécessaire au maintien et à l'efficacité de l'élémentaire
orientation vers la réalité. Cet aliment n'est jamais directement ni
massivement soustrait dans la situation psychanalytique qui, bien que
favorisant le renoncement volontaire et (ou) spontané à l'aliment en
question vise effectivement l'aliment de ces structures sous-jacentes
des convenances, de l'ordre logique, des défenses, etc. [16]. Bien qu'elles
en usent à titre de technique auxiliaire, ni les méthodes du camp de
(1) La littérature relative aux enfants « sauvages " et « autistes » est ici pertinente.
(2) Le développement autonome du Moi a été discuté à maintes reprises par HARTMANN.
Voir aussi R. LOEWENSTEIN [53]. Mais ERIKSON est le premier a en avoir décrit le cours [9] et
à avoir proposé un schème qui en enveloppe les phases [8, 10].
362 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(1) Les conduites « provocatrice » et « revendicatrice » peuvent fort bien apparaître sous un
éclairage différent si on les traite en tant que quêtes d'aliment-stimulus. Une discussion de
A. SCHMALE (memoranda non publiés des Conférences sur la séparation, la dépression et la
maladie, du Département de Psychiatrie, Faculté de Médecine de l'Université de Rochester),
relative au concept d' « objet », en relation avec le rôle que joue la « séparation » dans les désordres
psycho-somatiques, peut être considérée comme un pas effectué dans cette direction.
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 363
VII
Cet article a négligé les aspects du Ça dans le phénomène discuté
et n'a qu'à peine mentionné les points faisant apparaître que cette
conception de l'autonomie est de type phénoménologique et de ce fait
incomplète. Le concept d'autonomie n'est cependant qu'un aspect de
la psychologie du Moi qui, à son tour — tout comme la psychologie
du Ça — n'est qu'une partie de la théorie psychanalytique. La méta-
psychologie a été négligée aussi, de sorte qu'on peut avoir l'impression
que ces considérations relatives à l'autonomie sont de style phénomé-
nologique et manquent de fondement métapsychologique. Mais le
concept d'autonomie du Moi est justiciable d'une analyse métapsy-
chologique [63, 68].
La métapsychologie classique inclut les points de vue dynamique,
économique et structural. Gill et moi [26] avons tenté de démontrer
que cette triade doit être augmentée du point de vue génétique (lequel
a toujours été explicite dans la théorie psychanalytique) et du point de
vue adaptatif (dont le caractère indispensable s'est nettement affirmé
au cours des vingt dernières années). La discussion de Gill [25] rela-
tive à la métapsychologie de la régression en général et de la régression
hypnotique en particulier a fourni la charpente d'une appréhension
métapsychologique des autonomies, et nous disposons effectivement
de thèses métapsychologiques partielles de l'autonomie du Moi à
l'égard du Ça. Ma discussion de la hiérarchie des dérivés des pulsions
(motivations) traite implicitement de cette autonomie du double point
de vue dynamique et génétique [63, 66] (1) ; l'emploi par Hartmann [29]
et Kris [43, 44] du concept de neutralisation a posé le fondement d'une
conception de l'autonomie envisagée sous l'angle économique. Les
discussions de Hartmann concernant l'autonomie, l' « automatisation »
et le « changement fonctionnel » [50] et les discussions de Kris ayant
trait à la « régression au service du Moi » [45] traitent de cette autonomie
du point de vue structural. La conception d'adaptation et réalité de
Hartmann [33] et la conception ériksonienne de l'épigenèse psycho-
sociale du moi [10, 8] (2) traitent du point de vue adaptatif.
Mais nous ne disposons pas jusqu'ici de thèses comparables de l'auto-
nomie du Moi par rapport à l'environnement. Il faut trouver ce maillon
manquant pour être en mesure d'élaborer une théorie métapsycholo-
VIII
En résumé, l'organisme est doté par l'évolution des appareils qui le
préparent au contact avec son environnement, mais son comportement
n'est pas esclave de cet environnement puisqu'il est aussi doté de pul-
sions issues de son organisation qui sont les ultimes garanties contre
l'asservissement au stimulus. A son tour, le comportementde l'organisme
n'est pas simplement l'expression de ces forces internes puisque les
appareils mêmes par lesquels l'organisme est en contact avec son envi-
ronnement sont les ultimes garanties contre l'asservissement aux
pulsions. Ces autonomies ont aussi des garanties proximales dans les
structures intra-psychiques. L'équilibre de ces facteurs se contrôlant
mutuellement ne dépend pas du résultat de ces interactions fortuites
mais est contrôlé par les lois de la séquence épigénétique ayant pour
terme final le développement autonome du Moi.
(1) Le Dr Merton Gill et le Dr A. Wheelis appelèrent l'attention sur cette déficience lorsque
l'article fut présenté pour la première fois.
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 367
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370 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(1) Conférence prononcée devant la Société psychanalytique de Paris, le 19 mai 1963. Parve-
nue à la rédaction, le 25 mars 1964.
372 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3- 1964
sur eux une supériorité absolue. Cet intérêt fut rapidement retourné
vers lui, et il cédait parfois au besoin compulsionnel de se dénuder et de
regarder ses fesses — avec bientôt l'idée d'une surveillance extérieure
exercée contre lui — ce qui accentuait les sentimentsde honte. Enfin,
à la puberté, les compulsions à voir et toucher les fesses d'une femme
firent leur apparition dans la forme décrite précédemment. Notons que
la masturbation ne fut découverte qu'à l'âge de 17 ans, et que l'adoles-
cence fut traversée dans un climat d'écrasement instinctuel massif.
Dans leur chronologie précise, ces différents symptômes rendent
compte de la continuité de la symptomatologie depuis le premier âge,
avec des cycles successifs mais où l'on voit déjà clairement qu'ils ne
font que répéter le rituel initial de la défécation, sans parvenir à dépasser
ce mode d'organisation primitive.
de l'objet maternel. Elle n'est pas non plus un simple paravent destiné
à cacher le désir homosexuel derrière la relation à un persécuteur.
Certes, ultérieurement, on pourra dégager la signification erotique de la
relation au père, mais dans le moment même où cette relation triangu-
laire s'est organisée, elle ne correspondait pas à la classique tentative de
reconstruction sous forme de persécuteur de l'objet d'amour perdu.
Il s'agissait réellement d'un conflit à trois personnages et le père mena-
çant intervenait sans équivoque pour interdire une satisfaction sadique
qui n'était permise qu'à lui seul — ainsi, un jour où ma bonne était
absente, il imagina non seulement que je l'avais écartée parce qu'il était
dangereux pour elle, mais encore que moi-même je prenais plaisir à la
maltraiter.
Cette situation lui permettait donc de faire jouer au père le rôle du
personnage frustré et en même temps de se faire interdire par ce dernier
la satisfaction prégénitale dangereuse.
Parallèlement, il détournait sur le père une part de son agressivité,
car, disait-il, cette situation était injuste ; il insistait sur le fait qu'en
défendant son objet d'amour ce n'était pas un désir sexuel qu'il voulait
satisfaire mais un besoin élémentaire comme boire et manger et il
retrouvait le souvenir-écran d'un père cruel qui sans égards pour ses
besoins de petit enfant, écartait la mère de son lit à barreaux tandis qu'il
l'appelait et pleurait en vain. Il se souvenait également d'un accident
survenu alors qu'il avait 13 ans et de son père furieux qui voulait l'arra-
cher à la sollicitude maternelle et le renvoyer à l'école alors qu'il avait
« besoin » de tous ses soins. Moi-même je pourrais de façon identique le
« jeter » hors de la séance.
La situation ainsi revécue dans le transfert permet de comprendre
l'aménagement du rituel primitif du fait de l'introduction du père.
Primitivement, le rituel comportait trois phases : dans la première,
l'enfant s'assurait d'abord la maîtrise de la mère comme objet entier
maintenu à distance et néanmoins manipulé par le jeu de l'érotisation
du regard ; dans un deuxième temps, lorsque la mère, lassée, se détour-
nait, l'enfant en se soulageant, cédait au désir de satisfaction partielle ;
dans un troisième temps, enfin, il faisait revenir sa mère comme per-
sonnage entier par le regard triste dont il veut user exclusivement pour
attirer aujourd'hui son nouvel objet d'amour. Comme on le voit, l'intro-
duction du père lui permet de nier les deux premières phases et de
n'être plus que l'enfant passif dans l'attente d'une mère dont il a
« besoin ».
Cet aménagement de la relation conduisit plus loin dans l'analyse
378 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
des pulsions dirigées vers la mère ; mais ici une parenthèse est néces-
saire. Les conditions du mariage des parents permettent, en effet, de
mieux comprendre le sens profond des identifications offertes au
patient. Je rapporte ce récit tel que la mère le lui communiqua lorsqu'il
était adolescent.
Le père, qui à 40 ans n'avait aucune connaissance des femmes,
jugea un jour que son commerce marchait assez bien pour lui permettre
le mariage. Il écrivit à sa famille en France de lui envoyer une femme à
cet effet. On lui adressa une jeune fille qui, par romantisme, souhaitait
s'exiler, il l'épousa 48 heures après son arrivée — mais s'il avait pu
réduire la durée des fiançailles, il devait se heurter à un obstacle inat-
tendu — celui de l'hymen qui résistait, de sorte qu'après 6 mois d'essais
infructueux, il fallut recourir au chirurgien. Relatant ces faits, le patient
me dit qu'il ne voit pas clairement lui-même comment est constitué
l'appareil génital de la femme — alors que moi médecin, je n'en ignore
rien. Cette remarque permit de découvrir le désir de castration sadique-
anale recouvert par l'expression édulcorée de son besoin compulsion-
nel à « voir et toucher les fesses » : il excluaitla représentation de la partie
antérieure du corps humain car elle pouvait révéler la castration — et
surtout en laissant ainsi entendre que je pourrai le faire accéder à
cette identification au chirurgien mutilateur ; il en exprimait clairement
le voeu.
A partir de là, il fut possible de ramener vers la mère qui en avait été
le premier objet une partie de l'agressivité détournée vers le père — ce qui
mit à jour le danger dans la relation binaire d'une agression destructive
de l'objet. Deux rêves rendront schématiquement compte de ce mou-
vement.
Le premier date de la période où il met en avant sa lutte contre le
père : « Je suis allongé avec une couverture marron sur la moitié infé-
rieure du corps, un homme vient me l'enlever, me secoue, je me mets en
colère contre lui. » Cet homme lui fait penser à l'analyste ou à son père
qui voulait le séparer de sa mère en intervenant dans le rituel de la
défécation.
Le deuxième rêve sera relié au premier par un manteau marron
porté par lui qui fait le pendant de la couverture du rêve précédent. Il
suit la mise en évidence de ses désirs d'agression, dissimulés jusqu'alors
par le simple intérêt érotique.
« J'entre dans un restaurant, j'enlève mon manteau marron, je me
débarrasse d'un livre à couverture rouge et or, comme un prix, je sors
alors un livre comportant deux tomes enfermés dans un boîtier, on ne
L' INTEGRATION DU PERE DANS LES CONFLITS PRECOCES 379
voit que la tranche — je sais que ce sont des mémoires de guerre — puis
je vais aux W.-C; et je défèque copieusement, mais je me salis, je me perds
ensuite dans des endroits où il y a beaucoup de monde, je reviens au
restaurant, mais la maison est défoncée, je ne retrouve plus mon
manteau — et je ne sais à qui m'en prendre. »
Le sens de ce rêve est clair : l'abandon de ce qui le protège, c'est-à-
dire de la lutte contre le père, le met en face de son agressivité contre la
mère — et même s'il ne la découvre pas complètement (les livres sont
dans un boîtier) il perd l'objet, se retrouve plongé dans les matières
fécales, descendu de son piédestal, entouré de rivaux, sans abri et sur-
tout ne retrouve plus son manteau, c'est-à-dire la protection que lui
fournissait la lutte contre son père.
Dans la perspective où je me place, un point mérite d'être discuté.
On me demandera en effet ce que cache la couverture, si le pénis n'est
pas clairement spécifié par ce qui le dissimule ici. A ceci je dirai qu'effec-
tivement les fèces sont là pour cacher le pénis mais que rien de tel ne
put être mis à jour et revécu avec une référence historique. Le père
n'avait jamais cherché à arracher à son fils autre chose que le bâton
fécal par lequel l'enfant s'assurait la possession de la mère.
En un mot, ce qui fonde la puissance et le lien avec la mère c'est
encore le bâton fécal — que le père veut arracher.
Il reste à indiquer rapidement pourquoi ce système clos n'avait pu
trouver une issue vers la génitalité. L'analyse du masochisme en fournit
l'argument : aux alentours de la puberté, le patient avait été battu
par un « père » dans le collège religieux qu'il fréquentait ; il exprima au
rappel de ce souvenir son étonnement de n'avoir pas été déculotté
et fessé, mais seulement frappé sur la cuisse. Je lui suggérai qu'il avait
était déçu, il nia le sens de relation amoureuse de cette correction, mais
se souvint qu'il l'avait provoquée et surtout que peu auparavant il
avait cru voir son propre père en conversation avec le religieux. Il
associa sur l'idée que son père pouvait m'écrire pour être tenu au
courant de l'évolution de la cure.
Il apparut ainsi que le religieux et l'analyste représentaient le
chirurgien délégué par le père pour mutiler l'enfant comme la mère
l'avait été autrefois. Le père n'intervenait donc même pas lui-même,
mais se faisait représenter par un personnage qui n'avait rien d'humain
— il se trouvait réduit à un rôle d'instrument d'où l'aspect intolérable
de cette intervention mutilante qui s'effectuait sans compensation ni du
côté de l'amour objectai, ni de celui de la valorisation narcissique. Cette
figuration du père trouve évidemment son origine dans ses interventions
380 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
DISCUSSION
Intervention de M. DALIBARD
ment l'enfant participe au rapport qui se situe entre les parents dans
le sens d'une appréhension de la revendication phallique d'un côté et
d'une peur de la castration de l'autre (ce qui est un mode d'introduction
du père) et l'enfant joue alors (d'autant plus que les relations entre les
parents sont peu génitales) le rôle d'un conduit qui relie les vases
communicants et grâce auquel tendent à s'équilibrer les variations de
niveau. Un patient dont j'ai parlé autrefois vivait une sorte de rôle
régulateur entre ses parents sous forme de restitution anale ou orale
alternativement à l'un ou à l'autre parent en fonction du manque et de
l'appel de chacun d'eux.
Chez ce malade, le complexe d'OEdipe fut à peu près inexistant ou
tout au plus consommé, comme le dit Misés, au niveau de l'ana-
lité et sa vie génitale était quasi inexistante. Un tel investissement
prégénital sur le père rendait celui-ci impropre au rôle nécessaire à
l'OEdipe.
Par contre chez un autre patient chez lequel également le père
fut une véritable « mère » en conflit avec celle-ci, l'investissement pré-
génital sur le père fut important.
Mais la mère ayant eu, dès les premières années de la vie de l'enfant
un amant, ce fut avec l'amant comblant la mère qu'a pu se faire l'OEdipe
et se réaliser une génitalité, le véritable père restant dans une sorte de
halo prégénital, entre autres, sous l'aspect d'un être « manquant de quelque
chose » et qu'il fallait combler. Il est à noter que la mère ayant perdu
l'amant redevient celle à laquelle il fallait toujours restituer quelque
chose selon ce mécanisme de régulation orale et anale qui je crois existe
chez l'enfant vis-à-vis des parents antérieurement ou parallèlement à
l'OEdipe — facteur dont l'importance paraît fonction de la plus ou
moins grande maturité génitale des parents et surtout de celle du père,
ce qui rejoint ici la notion indispensable du modèle à choisir dont parle
Misés et que l'analyste a assumé.
Intervention de M. LEBOVICI
Intervention de M. FAVREAU
C'est avec plaisir que je félicite Misés de son bel exposé. Il a réussi,
tout en restant bref, à nous situer son patient et à nous permettre de
sentir l'évolution de sa relation avec lui. Peut-être n'insiste-t-il pas
assez sur l'importance de la relation du malade avec son père et sur les
conséquences de cette situation sur la position prise dans l'analyse.
Bien sûr, l'échange entre l'enfant et sa mère agi et vécu à propos de
l'échange anal est important et certains comportements vis-à-vis de
l'analyste peuvent paraître pouvoir y être superposés. Mais il me
paraît plus important de souligner que ce jeu avec la mère se passait
en présence du père avec mise en jeu de l'orifice anal en tant que zone
érogène.
La conséquence semble avoir été dans la vie sexuelle du malade
L' INTEGRATION DU PERE DANS LES CONFLITS PRECOCES 391
Réponse de M. MISES
Je remercie tous ceux qui, par leur intervention, ont manifesté de
façon explicite leur intérêt pour mon exposé.
Stein a évoqué, devant ce cas clinique, l'investissement anal de
l'objet dans la formation de l'idéal du Moi. Je suis tout à fait d'accord
avec ses arguments théoriques, néanmoins, mon observation ne permet
pas de donner à cet aspect du problème, l'élaboration souhaitable.
J'ai limité, en effet, volontairement cet exposé à la seule partie de la
cure qui me paraissait indispensable à l'illustration de ma thèse. Cette
remarque vaut bien entendu pour les autres interventions.
En ce qui concerne la controverse entre Lebovici et Stein, sur
l'apport respectif de l'observation directe et de la reconstruction, il
me semble que mon observation fait valoir comment ces deux modes
d'approche peuvent se compléter.
Dalibard exprime dans sa communication, un point de vue extrê-
mement proche du mien, qu'il prolonge d'ailleurs par la perspective
économique. Toutefois, on ne peut dire, avec lui, du complexe d'OEdipe,
qu'il est « inexistant » s'il a été consommé au niveau de la prégénitalité,
ceci pour son premier malade. De même, le fait que son second patient
ait accédé à un complexe d'OEdipe classique grâce à l'amant de sa mère,
oblige à parler pour lui de « régression ». C'est justement pour préciser
ces données, que j'ai entrepris ce travail.
Lebovici, à l'encontre d'autres intervenants, juge l'exposé de ce
cas un peu trop démonstratif. En dehors de mon souci d'être clair,
ce fait est largement lié à la rigidité de la structure du malade qui
s'exprimait seulement dans des limites étroites, circonscrites par l'analité.
Je sais gré à Lebovici d'avoir souligné l'incertitude où nous nous trou-
vons devant des malades semblables, pour décider de la part éventuelle
de la fixation et de la régression. Ce cas m'a paru démonstratif sur ce
point et c'est pourquoi je l'ai rapporté ce soir.
Par contre, je ne suivrai plus Lebovici quand il rejette la notion
d'un OEdipe inscrit « dans la loi » ; conserver cette notion me paraît
parfaitement compatible avec l'ensemble des arguments que j'ai déve-
loppé par ailleurs, en ce qui concerne la « dramatisation ».
392 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
Approche psychanalytique
pouf la compréhension
de la dynamique
des groupes thérapeutiques
(Variantes dynamiques
dans les groupes dits stables ou instables)
(1) LACAN et LEBOVICI, Possibilité d'une attitude collective due aux analogies des situations
infantiles des membres du groupe.-
410 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
Les silences (1) sont rares dans le groupe stable, fréquents dans le
groupe instable qui y exprime globalement son désir de destruction
et son besoin de renforcer la solidité du couple jusqu'à la fusion.
Par ailleurs, le transfert présente certaines différences d'aspect selon
le sexe des participants.
Dans le groupe instable, les femmes qui ont pris rapidement une
attitude castratrice à l'égard des hommes, s'y maintiennent, s'y réfu-
gient et prétendent ainsi préserver d'un même sort le thérapeute
masculin. Les imagos masculine et féminine sont d'ailleurs mal diffé-
renciées dans ce type de groupe en raison de l'angoisse archaïque
sous-jacente entretenue par l'instabilité et qui semble aller bien au-delà
du complexe de castration.
Dans le groupe stable, le thérapeute masculin est beaucoup plus
rapidement et beaucoup plus facilement attaqué, mais la solidité du
couple et du groupe semble permettre un renoncement plus rapide au
besoin de castration.
Quant aux hommes, dans le même désir de fuir la situation oedi-
pienne, ils ont tendance à rechercher une attitude d'homosexualité
passive devant le meneur de jeu.
Dans les deux types de groupe considérés nous n'avons pas eu
l'occasion d'observer les phénomènes de facilitation de l'expression de
l'agressivité centrée sur un camarade. Nous ne laissons pas l'agressivité
s'exprimer dans une situation extra-transférentielle sans la ramener à
la situation analytique, et ceci dès les premières séances s'il y a lieu.
Pour la même raison il est impossible à un patient de s'installer dans un
rôle fixé par rapport au groupe sans qu'il lui soit montré la signification
de ce « rôle de composition » par rapport au transfert. D'ailleurs les
participants perçoivent parfaitement par eux-mêmes cette référence
permanente au transfert par l'intermédiaire de l'identification au couple
des thérapeutes, et le montrent par la facilité avec laquelle ils explicitent
la conduite de leurs camarades alors qu'ils sont souvent incapables
d'appréhender la signification inconsciente de leur propre conduite.
La qualité du contre-transfert diffère selon le type de groupe
considéré.
Dans le groupe instable le couple des thérapeutes est placé dans une
situation permanente de mise à l'épreuve. En effet, dominée par le
(1) Le silence dans le traitement de groupe est toujours un signe de malaise et non de commu-
nication comme dans l'analyse individuelle. Ceci est en rapport avec les phénomènes spécifiques
de groupe.
414 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(1) C'est peut-être ces caractéristiquesdu transfert qui expliquent les difficultés rencontrées
par différents auteurs dans les thérapeutiquesde cet ordre.
418 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
BIBLIOGRAPHIE
Psychanalyse, ethnologie
et ethnologie psychanalytique
par S. A. SHENTOUB
(I) Les ethnologues anglo-saxons ont abandonné le terme " ethnologie ». Le terme « anthro-
pologie » lui est substitué. Levi-Strauss est, en France, le seul à avoir suivi cette modification
terminologique, accentuant ainsi la direction donnée à la recherche qu'il poursuit. Car, en fait,
il ne s'agit pas seulement d'une question de terminologie. Cette nouvelle dénomination est
employée essentiellement par les chercheurs qui éprouvent le besoin d'une " scientification »
de l'ethnologie. Les anthropologues ont, aujourd'hui, de très grandesambitions : ils considèrent
l'anthropologie comme la « science de l'homme », annexant toutes les disciplines humaines, y
compris la sociologie et la psychanalyse. Ils s'attribuent ainsi la fonction « présidentielle » qu'ils
refusent désormais aux sociologues.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 421
Il semble donc que rien ne soit plus naturel qu'une prise de contact
entre ethnologie et psychanalyse. Ce n'est pourtant pas un ethnologue,
mais un psychanalyste, Freud lui-même, qui a jeté les premiers ponts.
En effet, alors que la méthode psychanalytique, sa technique et ses fon-
dements étaient à peine élaborés, Freud a tracé à l'ethnologie les voies
d'approche en cherchant tout d'abord et essentiellement à valider, sur
le plan universel, les découvertes qu'il avait faites en clinique (et
nullement dans l'intention de « substituer » la psychanalyse à la socio-
logie ou l'ethnologie). Cette confrontation des données psychanalytiques
avec les observations ethnographiques disponibles à l'époque s'avéra fort
riche : ainsi Freud retrouva dans les moeurs des « primitifs », sous une
forme manifeste et institutionnalisée, l'interdit qui est à la source de
toute névrose, notamment, le tabou rigoureux de l'inceste dont dérive
entre autres la pratique de l'exogamie. « Les diverses organisations
socio-culturelles ne sont en définitive que des variations sur un même
thème », a constaté Roheim par la suite. Voir à ce sujet [9], [24].
Il ne nous semble pas nécessaire de rappeler ici l'historique du
cheminement de la pensée freudienne qui procède du pathologique
au normal, de l'individuel au collectif, de l'inconscient à l'institu-
tionnel, du biologique au social. Freud a montré l'importance dyna-
mique de la répression de la vie instinctuelle et son empreinte dans
les institutions. Il a évalué les distorsions psychiques que subit l'indi-
vidu pour que la société puisse maintenir sa force et sa cohésion.
Nous savons depuis Freud ce que coûte, à l'individu et à la société,
la répression de la vie instinctuelle : névrose et malaise dans la
civilisation.
A la recherche des origines ultimes du complexe d'OEdipe et des
fantasmes, Freud a cru devoir situer celles-ci dans le passé de la race
humaine. C'est ainsi qu'il élabora son hypothèse de la horde primitive,
abandonnée aujourd'hui par la plupart des psychanalystes. Mais celui
qui critiquait Jung pour avoir eu recours à des explications phylo-
génétiques, connaissait bien leur fragilité et l'on sait que sur le plan
l'homme sont des formes foetales, devenues permanentes. Les phases de développement de la
personnalité découvertes par Freud, se trouvent insérées, dans le contexte des phases du déve-
loppement et du fonctionnement particulier du corps humain. Mais il y a inégalité et dyshar-
monie dans le développement de l'organisme humain : le développement corporel est retardé
en comparaison avec le système sexuel, fait neutralisé par le fonctionnementretardédu système
sexuel (période de latence et puberté). Cette immaturité et ce retardement, spécifiquement
humains, comportent nécessairement des situations traumatisantes, étant donné qu'ils rendent
l'enfant dépendant de l'adulte tant du point de vue biologique que psychologique et social.
Freud y a beaucoup insisté pour montrer qu'une des fonctions de la culture était de pallier cette
immaturité. Voir à ce sujet aussi : [3], [10], [11], [12], [26], [27], [29], [30].
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 423
(I) Hartmann, Kris et Loewenstein [voir 12] signalent que, envisagées de très près, les
situations conflictuelles dans lesquelles se trouve l'enfant, se réduisent finalement à un nombre
très limité ; ces situations sont constantes et liées dynamiquement et de façon aussi constante
aux données psycho-biologiques et psycho-sociales du développement de l'enfant.
424 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(I) La nouvelle branche de l'anthropologie, ayant pour objet les rapports de la culture
et de la personnalité, prédomine en effet de plus en plus dans l'anthropologie moderne et tend
même à l'absorber. Les recherches intéressantes sont, dans la plupart des cas, entreprises par
équipes interdisciplinaires, souvent avec la collaboration d'un psychanalyste. C'est, sans nul
doute, une voie riche en perspectives qui s'ouvre à la recherche.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 429
(I) Dans son travail Quelques problèmes d'adaptation du jeune enfant en fonction de son
type moteur et du régime éducatif, dans Enfance, 1959, Presses Universitaires de France,
Irène LÉZINE constate également le rôle décisif du comportement de la mère vis-à-vis de l'enfant
qu'elle allaite.
430 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(1) Le père ne doit pas avoir de rapports sexuels avec sa femme avant la période du sevrage.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 437
BIBLIOGRAPHIE
GARMA (Angel), Les maux de tête, Paris, Presses Universitaires de France, 19623
113 pages.
Le Dr Angel Garma, professeur à l'Université de la Plata et membre de la
Société psychanalytique argentine a réuni dans un livre, paru à Buenos-Aires
en 19583 les travaux d'un colloque sur les céphalées en le marquant d'un cachet
personnel. Ce livre, traduit de l'espagnol, par Aime Eisa Hawelka a paru en
France amputé de chapitres écrits par d'autres psychanalystes, laissant en
113 pages de texte, exclusivement la thèse du Dr Garma.
D'après l'auteur, parmi toutes les céphalées, celles que provoquent les
conflits psychiques, sont les plus fréquentes. Ces conflits, inconscients et
refoulés, provoquent des céphalées parce que leurs élaboration, résolution et
répétition psychique, sont pénibles, et parce que, étant donné l'unité psycho-
somatique de l'homme, ils entraînent des modifications organiques doulou-
reuses. Celles-ci ont lieu parce que les conflits psychiques s'accompagnent
d'émotions et de réactions instinctuelles qui produisent des troubles de l'inner-
vation et de l'économie hormonale corporelle.
Les maux de tête causent des modifications organiques qui sont surtout
musculaires et vasculaires et ont le même aspect et la même signification que
celles motivées par des conflits psychiques à réactions émotionnelles.
La migraine est considérée par l'auteur comme une céphalée typiquement
vasculaire : au début de l'accès il y a une vaso-constriction des artères occipi-
tales, la phase douloureuse ultérieure est en rapport avec la vaso-dilatation des
artères occipitales et temporales ; la phase finale se caractérise par des contrac-
tures musculaires.
Dans les céphalées produites par contracture musculaire le malade a
l'impression de porter un casque et la douleur s'étend à la nuque. Les céphalées
d'origine nasale ou para-nasale provoquent une douleur dans la région frontale
pré-maxillaire ; cette douleur est superficielle et s'atténue lorsque le malade
se couche.
Le Dr Garma pense que parmi les motifs acquis qui prédisposent aux cépha-
lées se trouvent ceux qui supposent une surestimation de la tête, ou une souf-
france de la tête (traumatisme), la pseudo-débilité intellectuelle causée par des
inhibitions, ou son contraire : le souci d'intellectualisation.
Dès qu'il existe une prédisposition particulière, n'importe quel conflit
psychique inconscient peut provoquer des céphalées. Ainsi la crainte d'un
revers de fortune, provoque des céphalées, lorsqu'elle ravive des idées incons-
cientes de culpabilité instinctuelle ou de perte, soit de l'objet d'amour, soit de
la puissance génitale. On constate que dans les céphalées les conflits inconscients
sont ceux qui se rapportent soit à la génitalité soit à la mort.
Les malades céphalalgiques ont souvent une activité sexuelle peu mûre :
précaire ou perverse ; chez la femme on rencontre souvent la frigidité, chez
442 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
(7) BLOS (P.). — Psychothérapie intensive au cours des diverses phases de l'ado-
lescence.
Pendant l'adolescence, la psychothérapie intensive exige des modifications
spécifiques. L'auteur étudie celles-ci en relation avec la phase initiale, à propos
de l'attitude active ou passive du thérapeute, et en fonction de la structuration
des conflits. Le but de la thérapie est ici de remettre en marche le dévelop-
pement progressif. Dans ce but, une orientation dans le processus de l'adoles-
cence est nécessaire, car il faut relier la psychothérapie aux diverses phases
de cette période. L'auteur donne des exemples tirés de la phase de préadoles-
cence, chez la fille et le garçon, pour montrer comment le traitement est lié à
et guidé par les organisations respectives du Moi et des pulsions.
HALLECK (S. L.) et HERSKO (M.). — Comportement homosexuel dans une insti-
tution pour adolescentes.
On a depuis longtemps reconnu l'existence de comportements homosexuels
dans les internats pour adolescentes. Un questionnaire anonyme a montré que
69 % des jeunes filles y avaient participé. Les formes peuvent être diverses,
mais il y a rarement des contacts génitaux directs. Les auteurs expliquent la
prévalence de ce comportement surtout par l'interaction des problèmes de
personnalité des adolescentes, des tensions provoquées par l'internat et des
attitudes erronées du personnel.
J. MASSOUBRE.
AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY
(vol. XXXIII, n° 1, janvier 1963)
EISENBERG (L). — Can nuclear war be prevented ? (Peut-on prévenir la guerre
nucléaire ?) (p. 1-2).
WATSON-WATT (R.). — Observations on the ethical responsibility of the scientist
(Observations sur la responsabilité éthique de l'homme de sciences) (p. 3-7).
MURPHY (G.). — Science and world order (Science et ordre mondial) (p. 8-14).
WOLIN (S. S.). — Violence and the western political tradition (La violence et
la tradition politique de l'Ouest) (p. 15-28).
SCHARR (J. H.). — Violence in juvenile gangs : some notes and a few analogies
(La violence dans les gangs d'adolescents : quelques notes et quelques ana-
logies) (1) (p. 29-37).
LEICHTY (M.). — Family attitudes and self concept in Vietnamise and U. S. chil-
dren (Les attitudesfamiliales et la conception de soi chez des enfants américains
et vietnamiens) (2) (p. 38-50).
Ross (A. O.) et BRUNER (E. M.). — Family interaction at two levels of accultu-
ration in Sumatra (L'interaction familiale à deux niveaux d'acculturation
à Sumatra) (3) (p. 51-59).
SCHWEBEL (M.). — Individual différences in learning abilities : observations and
research at home and abroad (Différences individuelles dans les aptitudes
d'apprentissage : observations et recherches aux États-Unis et ailleurs) (4)
(p. 60-71).
PASAMANICK (B.). — Some misconceptions concerning differences in the racial
prevalence of mental disease (Quelques erreurs concernant les différences de
prévalence en maladie mentale) (5) (p. 72-86).
DE HIRSCH (K.). — Two categories of learning difficultes in adolescents (Deux
categories de difficultes d'apprentissage chez les adolescents) (6) (p. 87-91).
BENTZEN (F.). — Sex ratios in learning and behavior disorders (Proportions selon
les sexes dans les troubles de l'apprentissage et du comportement) (7) (p. 92-98).
LES REVUES 447
(12) ALPERT (A.). — Une technique thérapeutique spéciale pour des enfants de la
période de pré-latence ayant une histoire de déficience des soins maternels.
L'auteur expose une approche thérapeutique, d'orientation psychanalytique,
avec des enfants jeunes, avant la période de latence, qui ont subi une défi-
cience de maternage. Elle décrit le syndrome, la technique restitutive (maté-
riellement et verbalement) et ses bases théoriques. A. Alpert appelle cette
méthode « relation d'objet corrective » ; elle décrit très en détail le déroulement
du traitement d'une jeune enfant de trois ans et demi, et reprend ensuite les
différentes étapes pour justifier théoriquement les interventions de la thérapeute.
J. MASSOUBRE.
les troubles héréditaires, les atteintes cérébrales chez des sujets à prédisposition
héréditaire, les névroses. Ils différencient également quatre groupes d'erreurs
dont la fréquence est variable selon le type. Ils décrivent ces divers types et les
thérapies appropriées à chacun.
(4) MEDNICK (S. A.) et SHAEFER (J. B. P.). — Les rapports rétrospectifs des
mères sur l'éducation de leurs enfants, et leur utilisation dans des recherches.
On utilise beaucoup en recherche sur l'éducation des enfants, les rapports
rétrospectifs des mères. Est-ce une source valable de renseignements ? La
comparaison de telles réponses, sur le développement de leur enfant, avec les
dossiers médicaux élaborés à l'époque, montre que l'on ne peut guère faire
confiance aux souvenirs maternels dans certains domaines.
(5) CAPLAN (G.). — Types de consultation d'hygiène mentale.
L'auteur entend ici par consultation un processus qui se rapproche de
ce que nous appelons contrôle : une interaction entre deux personnes profes-
sionnelles, le consulté qui est un spécialiste, et le consultant qui demande
l'aide du premier pour un problème de travail qu'il a du mal à résoudre et qu'il
estime de la compétence du consulté.
Il distingue quatre types de « consultation » et s'étend surtout sur celle qui
traite du problème du consultant avec un client (et non d'un problème admi-
nistratif) et qui tente d'améliorer son insight et son objectivité.
(6) GORWITZ (K.), BAHN (A. K.), CHANDLER (C. A.) et MARTIN (W. A.). —
Utilisations planifiées d'un registre psychiatrique à l'échelle nationale.
Intérêts multiples d'un registre établi sur une base nationale, des malades
psychiatriques, des services qu'ils ont reçus dans les hôpitaux psychia-
triques, les cliniques et toutes les agences sociales, éducatives, etc. Dossiers
longitudinaux.
Utilité pour les études épidémiologiques, pour l'établissement des pro-
grammes locaux ou nationaux de santé mentale, etc.
(7) et (8) L'abandon de la scolarité : deux articles : TABER (R. C.) et FREED-
MAN (M. K.).
Les Américains ont érigé en outil psychothérapique l'habitude de leurs
élèves de travailler en dehors de leurs heures de scolarité ; ceci afin de diminuer
les cas trop nombreux d'abandon des études.
Le premier article décrit les raisons de cette politique : ses avantages et les
améliorations désirées.
Le second adopte une attitude critique et reprend le même problème en
en montrant les inconvénients et les insuffisances.
J. MASSOUBRE.
(2) SEARLES (Harold F.). — The Differentiation between Concrete and Meta-
phorical Thinking in the Recovering Schizophrenic Patient (La différenciation
entre la pensée concrète et la pensée métaphorique chez le schizophrène en
cours de traitement).
Chez le schizophrène profondément atteint, chez qui l'ensemble de la
vie affective, et de l'expérience perceptive de lui et du monde se trouvent altérés,
la pensée concrète peut être très perturbée, le sujet ne différenciant pas signi-
fications concrètes et significations figurées. Au cours d'une psychothérapie
prolongée et intensive dans un milieu favorable, les composantes de ce désordre
peuvent apparaître et la différenciation se faire entre l'expérience littérale et
l'expérience métaphorique.
Ce trouble de la pensée n'existe qu'en proportion de la fluidité des liens du
Moi et ne se résout qu'en proportion de l'établissementde liens fermes au cours
de la thérapie.
Ces liens s'établissent par degrés, lorsque le patient devient capable de
faire face aux émotions intenses et conflictuelles contre lesquelles son système
schizophrénique le protégeait.
Chez le malade en voie de récupération, on s'aperçoit que c'est cette fluidité
des liens du Moi, qui, par l'expérience indifférenciée qu'elle entraîne, a défendu
jusqu'alors le patient contre la connaissance des émotions. La dissolution des
liens du Moi, fin du processus schizophrénique, est un des mécanismes de
défense les plus énergiques de ce processus.
L'auteur discute la place de cette régression, de cette désymbolisation,
dans le cadre du développement de la pensée chez l'enfant, et en fonction des
relations précoces entre le patient et sa mère, ou la constellation familiale.
(3) KEISER (Sylvan). — Disturbance of Ego Functions of Speech and Abstract
Thinking (Les troubles du langage et de la pensée abstraite comme altérations
des fonctions du Moi).
Le langage décousu et absurde, ainsi que les troubles de la pensée abstraite,
servent de nombreux besoins défensifs, et peuvent avoir leurs racines dans le
fantasme mère-enfant, image d'un seul corps. Le langage absurde ne permet
pas la communication, et l'expression des états affectifs d'amour et de haine.
Le fantasme de fusion, en bloquant l'introjection de l'image du corps de la
mère, facilite une détérioration du Moi au niveau du développement de la
pensée. Le besoin de dénier la séparation d'avec la mère fait que l'enfant ne la
voit pas et ne peut pas en faire un objet d'identification, cela permet aussi une
dénégation de la réalité de la féminité de sa mère. La mère psychotique ou
border-Une qui exhibe aimablement sa nudité à son fils jusqu'à sa maturité,
impose à celui-ci le besoin de dénier ce qu'il a vu, renforce le mécanisme
archaïque de dénégation, et entretient le fantasme de fusion avec elle. Cette
absence d'incorporation, d'introjection et d'identification à la mère, endom-
mage les fonctions du Moi que sont le langage et la pensée abstraite.
certaine compréhension des forces hors de son contrôle. Alors que le Moi
gagnait en soulagement, et que les urgences instinctuelles baissaient, le matériel
du rêve disparut progressivement de l'analyse pour réapparaître avec les ten-
sions renouvelées de la puberté.
En réalité, à la période de latence, le matériel onirique joue rarement un
rôle prédominant dans l'analyse. Quand il prédomine, c'est que ces enfants
subissent une pression considérable de leurs instincts, parfois seulement à
certaines périodes de leur analyse, comme des impulsions qui forceraient par
ce moyen leur voie jusqu'à la surface ; elles peuvent être le résultat soit d'une
stimulation due à l'interprétation analytique, soit en relation avec des expé-
riences extérieures. Il faut toutefois que le Moi soit capable de maintenir
une distance suffisante en face des processus du Ça pour permettre observation
et réflexion.
L'appréciation différente de l'utilisation des interprétations de rêves dans
l'analyse d'enfants, tient probablement à des différences de techniques. Actuel-
lement, la technique d'analyse des défenses implique une approche plus gra-
duée et plus sélective des contenus du Ça, avec un plus grand respect des
efforts de l'enfant à la période de latence vers la maturation et la suprématie
des processus secondaires, tandis qu'autrefois la période de préparation était
le prélude à un abord plus direct du Ça ; les premières techniques étaient
plus proches d'une séduction de l'instinct de l'enfant conduisant à un plus
haut degré de tension dans la situation analytique.
(3) ROOT (Nathan N.). — Some Remarks on Anxiety Dreams in Latency and
Adolescence (Quelques remarques sur l'anxiété dans les rêves à la période de
latence et à l'adolescence), p. 303-322.
Les rêves des enfants ne sont pas aussi simples qu'on l'a cru au début de la
psychanalyse, et il existe une distorsion des pensées latentes du rêve plus impor-
tante encore à la période de latence que chez le jeune enfant, surtout dans les
rêves anxieux. L'analyse des rêves est rendue encore plus difficile par l'impos-
sibilité d'utiliser la méthode de libre association. Lorsque les rêves sont désa-
gréables et terrifiants, l'enfant évite de rêver et d'en parler, il redoute de s'endor-
mir, ou supprime le rêve s'il se produit. L'adolescent parle plus facilement des
rêves anxieux.
L'auteur étudie des enfants chez lesquels tous les rêves sont désagréables
avec anxiété grave ; chez les plus jeunes, avant la période de latence, il existait
une anxiété diurne plus importante que chez les autres. Le rêve anxieux est
un essai d'achever une décharge orgastique qui fait défaut, l'anxiété offre une
décharge partielle à travers une excitation anxieuse érotisée et agressive. Le
Moi et le Surmoi utilisent déplaisir et punition pour une décharge partielle.
Les rêves et l'excitation anxieuse peuvent apparaître ainsi comme une disposi-
tion habituelle, mais être vus aussi comme une décharge sado-masochique,
comme un accès de rage. L'anxiété sert aussi à inhiber la décharge liée au
fantasme de dévoration vécue comme une destruction.
Le facteur étiologique de ces rêves anxieux paraît être la répétition de stimu-
lations diverses qui entraînent un degré élevé de tension chronique et que l'on
peut comparer à un traumatisme. On peut rapprocher ces rêves anxieux répétés
des enfants aux rêves répétés de traumatismes, dans la mesure où tous deux
servent à maîtriser la sur-stimulation et à contrôler les pulsions libidinales et
agressives. Mais il existe aussi un grand besoin de décharge dans un but de
gratification et de soulagement, être submergé par l'attaque panique, en rêve
ou éveillé, représente un manque de maîtrise, mais aussi offre des gratifications
masochiques mêlées à de fortes composantes sadique et agressives.
LES REVUES 457
(2) KAPLAN (E.). — Classical Forms of Neurosis in Infancy and in Early Child-
hood (Les formes classiques de la névrose dans la première enfance).
Il s'agit d'un résumé des rapports présentés à la réunion de l'Association
psychanalytique américaine en 1961 et qui fait suite à une discussion sur les
problèmes de la névrose infantile qui avait eu lieu en 1954.
L. Jessner étudie les deux formes d'abord de la névrose infantile : recons-
truction du passé lors d'une analyse d'adulte, ou étude directe chez l'enfant.
Elle distingue deux groupes de névrose dans la première enfance : 1) Réactions
transitoires du type hystérique, phobique ou compulsif au cours d'un dévelop-
pement normal et qui s'atténuent lorsqu'un palier maturatif est atteint ;
2) Perturbations moins passagères qui conduisent à un trouble du développe-
ment du Moi en altérant certaines fonctions du Moi. Le conflit est alors par-
tiellement internalisé.
J. Richmond présente des observations directes de troubles du comporte-
ment chez des enfants de 6 mois à 1 an en insistant sur la complexité des
interactions parents-enfants et leur rôle sur le développement. Les psychana-
lystes ont été surtout attirés par l'étude de l'anxiété de séparation mais il est
nécessaire d'entreprendre une étude plus systématique de l'environnement et
de l'écologie propre à chaque âge qui permettrait de définir les facteurs impli-
qués dans l'équipement constitutionnel et les interactions avec le milieu.
A titre d'exemple, l'auteur étudie la maturation de la perception visuelle, qui
permet la discrimination de la mère, dans son rôle au cours du développement
des relations d'objet. Il a étudié aussi les variations d'activité du système ner-
veux autonome et du système moteur. Dans certains troubles des relations avec
l'environnement, l'enfant peut utiliser son corps comme objet et cela entraîne
des troubles physiologiques, marasme, spasmus nutans.
Une perturbation de la relation parents-enfants avec manque de la stimu-
lation appropriée de la part des parents peut conduire : 1) A des désordres des
fonctions autonomes : coliques, régurgitations, vomissements, diarrhée,
eczéma. Si la stimulation ne se produit pas au moment où s'est développée la
discrimination perceptive, l'enfant y substitue une stimulation de gratification
venant de son propre corps ; 2) A des désordres de la formation des habitudes :
nutrition, sommeil, motricité rythmique. Les expériences précoces qui influen-
cent l'organisation du système nerveux central et les fonctions psychologiques
concomitantes jouent un rôle majeur dans la détermination de l'état affectif
que les psychanalystes observent lors du développement de l'enfant.
A. J. Solnit étudie les relations entre le traumatisme et la fixation chez le
jeune enfant. La fixation peut être décrite comme la consolidation d'un symp-
tôme ou un type de réaction difficilement influençable par le traitement ou
l'éducation. C'est au moment de la résolution de l'OEdipe que se fait une conso-
lidation de la personnalité. L'auteur pense qu'à cette période, de nombreux
symptômes provenant des traumatismes de la période pré-oedipienne peuvent
se renforcer et devenir indépendants des conflits qui les ont fait naître. Il est
important d'influencer ces réactions névrotiques avant la période de résolution
de l'OEdipe afin d'éviter une infiltration des autres lignes de développement
du Moi. C'est surtout important pour les fonctions du Moi qui ont été altérées
du fait de leur développement au moment où ont eu lieu les traumatismes,
dans la période pré-oedipienne : tics, bégaiement, maladresse physique, troubles
du langage, contrôle du corps, coordination motrice, qui apparaissent dans la
2e et la 3e année. Si le traitement ne peut pas les réduire, ces symptômes se
fixeront et deviendront un obstacle au développement. Des traits de caractère
apparaissent ainsi comme des réactions pathologiques à des conflits plus
LES REVUES 459
subtils. Il faut donc traiter avant la période de latence les enfants qui ont subi
des traumatismes répétés et précoces.
J. Anthony reprend à propos de l'analyse de deux cas d'enfants à la période
préscolaire, l'étude des deux formes de névrose infantile, diffuses et circons-
crites, telles que A. Freud les a décrites. Ce sont deux extrêmes dans un conti-
nuum névrotique. L'auteur oppose le cas du Petit Hans, névrose circonscrite,
phase de développement, non constitutionnelle, de bon pronostic, au cas de
l'Homme aux Loups, névrose diffuse, troubles précoces, et non spécifiques,
environnement pathogène, influence constitutionnelle probable, pronostic
sévère. L'auteur précise certaines conditions techniques de l'analyse à la
période préscolaire.
( 2) (3) (4) KUIPER (P. C). — Betrachtungen über die psychoanalytische Technik
bei der Behandlung neurotischer Patientinnen (Considérations sur la technique
psychanalytique au cours du traitement de patientes névrosées).
En l'illustrant d'un certain nombre d'erreurs et d'échecs possibles, l'auteur
tente d'établir un planning analytique selon diverses formules de présentation
et de déroulement du début du traitement. C. Kuiper souligne les possibilités
de rester au plus près de ce que la malade sent et peut assumer et les difficultés
contre-transférentielles qui peuvent entraver la progression. Il se situe essen-
tiellement sur un plan oedipien.
Il conclut en préconisant l'application du principe phénoménologique dans
le traitement analytique : celui de partir de ce que la patiente vit vraiment.
Dans Particularités de la technique de traitement des patientes névrosées,
Margaret Mitscherlich-Nielsen insiste sur les interprétations de transfert — en
particulier de l'activité projective qui court tout au long de la biographie
rapportée. Celle-ci ne réapparaît pas aussi systématiquement à l'envers que le
dit C. Kuiper. Par ailleurs, elle apporte des atténuations à certaines formules
systématiques de l'article précédent.
Puis Jeanne Lampl de Groot, Amsterdam, apporte sa contribution à La
technique de traitement des patientes névrosées en insistant sur la nécessité de
l'absence de tout préjugé concernant le déroulement de la cure — et sur l'inté-
rêt de la mobilité de l'analyste.
Enfin, après C. Kuiper et M. Mitscherlich, elle souligne la différence
qui existe entre la passivité infantile et les aspirations sexuelles infantiles à but
passif.
PSYCHÉ (mars 1962, XV, Heft 12)
BRUCKNER (P.). — Sigmund Freud Privatlekture (Les lecturesprivées de Sigmund
Freud) (1), p. 881.
(1) BRUCKNER (P.). — Sigmund Freud Privatlektüre (Les lectures privées de
Sigmund Freud).
Bruckner, à l'aide des citations littéraires contenues dans ses articles et sa
correspondance dresse le bilan des lectures de Freud et tente de comprendre
ses goûts. Il ne considère pas les oeuvres dont Freud a fait l'investigation psy-
chanalytique.
Nous ne ferons que citer ici les textes retenus auxquels Freud a voué une
préférence : Paradise lost de J. Milton ; Don Quichotte de Cervantes ; Tom
Jones de Henry Fielding ; Tristam Shandy de Laurence Sterne — énumération
d'ailleurs partielle car P. Bruckner annonce une suite.
I. BARANDE.
PSYCHÉ (avril 1962, XVI, Heft I)
HOCHHEIMER (W.). — Probleme einer Politischen Psychologie (Problèmes d'une
psychologie politique) (1), p. I.
ROSENFELD (M.).
— Analyse einer Angsthysterie, nach 21 Jahren kritisch betra-
chtet (Analyse d'une hystérie d'angoisse. Révision critique 21 ans après) (2),
P- 34-
KLAUBER (J.). — Freuds Ansichten zur Religion aus der heutigen Sicht (Vue
actuelle des points de vue de Freud sur la religion), p. 50.
KUNZ (H.). — Die eine Welt und die Weisen des In-der-Welt-Seins, I
Teil
(Le monde un et les sages de l'être dans le monde, 1re Partie), p. 58.
LES REVUES 463
KUNZ (H.). ;— Die eine Welt und die Weisen des In-der-Welt-Seins (Fort-
setzung) (Le monde un et les sages de l'être dans le monde) (suite), p. 142.
(1) BERNA (J.). — Die Indikation zur Kinderanalyse (L'indication de la psycha-
nalyse chez l'enfant).
L'auteur traite plus particulièrement des problèmes des relations avec
les parents (entretenues par le thérapeute de l'enfant) et des aspects particuliers
du contre-transfert compliqué de ce fait.
I. BARANDE.
DETRE (Th. P.), KESSLER (D. R.) et JARECKI (H. G.). — The Role of the General
Hospital in Modem Community Psychiatry (Le rôle de l'hôpital général en
psychiatrie moderne) (5), p. 690-700.
BEARD (J. H.), PITT (R. B.), FISHER (S. H.), GOERTZEL (V.).
— Evaluating the
Effectiveness of a Psychiatrie Rehabilitation Program (Evaluation de l'effi-
cience d'un programme de réhabilitation), p. 701-712.
GLITTENBERG (J.).
— The Nurse in the Outpatient Psychiatrie Clinic (L'infir-
mière en clinique psychiatrique pour malades non hospitalisés), p. 713-716.
Brèves communications (6).
(1) MASSIMO et SHORE. — Un programme thérapeutique orienté vers la formation
professionnelle pour garçons délinquants.
Les essais de traitement classiques, traditionnels, échouent souvent avec
les adolescents délinquants. Par contre, on obtient une amélioration impor-
tante des études, de la structure de la personnalité et du comportement mani-
feste, par l'application d'un programme à orientation psychothérapique,
administré par une seule personne qui utilise le placement au travail, les réédu-
cations et une psychothérapie intensive, de manière concrète et individualisée.
(2) MURPHEY, SILBER, COELHO, HAMBURG et GREENBERG. — Autonomie et
interaction parents-enfant, en fin d'adolescence.
Cette étude explore la relation entre la capacité d'acquisition d'un compor-
tement autonome chez les étudiants de première année d'université, et leur
type d'interaction avec leurs parents pendant la période de transition du lycée
à la vie universitaire dans une ville éloignée.
Il semble que la capacité d'intégrer un comportement autonome, respon-
sable, tout en maintenant des liens positifs (quoique modifiés, sur un plan
d'égalité) avec la famille est liée à un type particulier de relations familiales,
décrit dans l'article.
(3) FROSTIF. — Perception visuelle chez l'enfant à atteinte cérébrale.
Le développement de la perception chez l'enfant entre 3 et 7 ans est une
indication sensible de son développement général. Cette opinion est prouvée
par la corrélation entre les résultats aux tests de perception visuelle et le classe-
ment de l'institutrice d'après l'adaptation à la classe. Les troubles de la percep-
tion sont divers ; il est possible de les déceler tôt et d'y remédier par une réédu-
cation spécifique.
(4) CHANCE. — Différences entre disciplines, dans la description d'un cas.
Les différences de formation, de profession, de bases théoriques, ont-elles
une conséquence sur l'estimation des malades ?
La comparaison de l'estimation par des psychologues, des assistantes sociales,
des psychiatres, des psychanalystes, d'une séance analytique et d'un entretien
psychothérapique montre les différences en divers domaines. Les auteurs en
tirent des conclusions qui concernent la psychothérapie, la formation et la
recherche.
(5) DETRE, KESSLER, GOERTZEL. — Le rôle de l'hôpital général en psychiatrie
moderne.
Cet article met en évidence l'intérêt des services de psychiatrie dans les
hôpitaux généraux. En plus des facilités de laboratoire, de recrutement du
personnel, d'admission précoce, etc., cette situation présente l'avantage de la
466 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964
LA RÉDACTION.
INTRODUCTION
La position du fantasme
dans la psychologie
psychanalytique(1)
par HEINZ KOHUT
Il est un fait depuis longtemps connu qui s'est de nouveau imposé
à l'historien de la psychanalyse avec une grande force depuis la publi-
cation des lettres de Freud à Wilhelm Fliess. On le trouve dans, le
chapitre de l'histoire héroïque de la vie de Freud où des profondeurs de
ce qui semblait une grande défaite — Freud s'aperçoit que les histoires
de séduction que racontent ses malades hystériques sont « fausses » (voir la
lettre à Fliess du 21 septembre 1897 [2] pp. 215-216) — il fit surgir une
grande victoire, cette intuition fondamentale que ces histoires « fausses »
sont de « vrais » fantasmes qui proviennent du noyau de l'Inconscient, le
complexe d'OEdipe [3] (p. 34). Cette découverte fut de la plus grande
importance : elle ouvre la voie que devait suivre la psychanalyse, elle
établit que la vie intérieure de l'homme étend très loin son influence et
elle établit en particulier la position centrale du fantasme (spécialement
du fantasmeinconscient) dans le développement psychologiqueet la moti-
vation. De l'interaction de l'enfant et de son environnement (ou plus exac-
tement des tendances et des fonctions rudimentaires du Moi de l'enfant
d'une part, et de l'environnementd'autre part) surgit cette zone de riche
élaboration intérieure de l'expérience qui est devenue le centre de
l'investigation psychanalytique. Cf. Ernst Kris [4] (spéc. pp. 73-77).
Récemment, au cours d'une discussion amicale avec un spécialiste
éminent d'une autre discipline, il m'apparut avec évidence que le
fantasme avait une position fondamentale dans le cadre de la psychologie
psychanalytique. Ce spécialiste avait entendu parler d'un symposium
sur le fantasme et mettait en doute la pertinence de telles préoccupations
psychanalytiques. Pour lui, la découverte qu'avaient faite les étholo-
(1) Les paragraphes en petits caractères sont des résumés de l'original. Les paragraphes
en caractères courants sont traduits de l'original. Trad. par M. BÉNASSY.
472 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
fécondité. Nous ne devons ni repousser des idées nouvelles ni les accepter sans
critique. En lisant les communications de ce symposium, il m'est apparu qu'il
existe parmi nous un noyau de compréhension basée sur deux faits : nous
utilisons la méthode la plus fructueuse d'observation de la psyché humaine et
nous nous fondons sur des principes psychanalytiques qui sont directement
dérivés de cette méthode d'observation.
BIBLIOGRAPHIE
[1] FERENCZI (S.), The Nosology of Male Homosexuality (1911), in Sex in
Psycho-analysis, Brunner, 1950.
[2] FREUD (S.), The Origins of Psychoanalysis : Letters to Wilhelm Fliess,
Drafts and Notes, 1887-1902, New York, Basic Books, 1954.
[3] FREUD (S.), An Autobiographical Study (1925), St. Ed., 20.
[4] KRIS (E.), The Recovery of Ghildhood Memories, Psychoanalytic Study
of the Child, 11, 54-88, 1956.
[5] LORENZ (K.), New Light on Animal Ways, New York, Crowell, 1952.
[6] SADGER (J. I.), Heinrich von Kleist, Grenzfragen des Nerven- und Seelebens,
70, 5-63, 1909.
Aspects de la métapsychologie
du fantasme(1)
par JOSEPH SANDLER, Ph.D. et HUMBERTO NAGERA, M.D.
Londres
I. — INTRODUCTION
Il y a un an ou deux, un certain nombre d'analystes et de psycho-
thérapeutes d'enfants se trouvèrent devant la nécessité d'élaborer une
classification pratique du matériel clinique observé, en relation avec
le concept du Surmoi, tel que l'ont développé Freud puis ensuite la
littérature psychanalytique. Ceci a abouti à une formulation du Surmoi
(Sandler, 1960 ; Sandler et al., 1962), qui soulignait entre autres
choses, sa fonction comme source de bien-être et d'estime de soi,
et son rôle général dans la régulation de l'énergie narcissique. Sur la
base de ces formulations et de leur interaction avec les observations
cliniques enregistrées dans l'Index, il devint évident que devant un
investissement narcissique de leur soi diminué, certains enfants
employent comme principal mécanisme de défense, la création de
rêveries où ils peuvent rétablir leur estime de soi diminuée, grâce à la
création de situations idéales et satisfaisantes dans lesquelles ils jouent
un rôle central, souvent héroïque. (Bien entendu, ceci s'applique
(1) L'étude rapportée dans cet article a été financée par un don commun du Fonds des
Fondations pour la Recherche en Psychiatrie, New Haven, Connecticut, et du Fonds pour la
Recherche et le Développementpsychanalytiques,New York.
Le matériel utilisé a été recueilli à la Clinique de Thérapie infantile de Hampstead, centre
de thérapie et de recherche, financé par les fondationssuivantes : Fondation Field, New York ;
Fondation Ford, New York ; Fondation Anna Freud, New York ; Fondation Grant, New York ;
Succession de Flora Haas, New York ; Fondation du Vieux Dominion, U.S.A. ; Fonds pour la
Recherche et le Développement psychanalytique, New York ; Fondation Taconic, New York.
Le groupe de recherche sur le fantasme, de l'Index de Hampstead se compose des psycha-
nalystes, psychothérapeutesd'enfants et étudiants suivants : Mme L. Neurath, Mme M. Kawe-
noka, Mine H. Kennedy, M. Goldblatt, Pr I. Janis, Mlle S. Baker, Mlle A. Schnurmann, A. Holder,
Mlle E. First, D. Meers, H. Nagera et J. Sandler.
Ce travail a fait l'objet d'un exposé devant la Société psychanalytiqueanglaise, le 6 juin 1962.
Trad. par Mme Massoubre.
474 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
de manger de la viande, J... l'admit mais déclara que c'était difficile parce
qu'il vivait dans une famille de végétariens, mais que cependant, il ne tiendrait
pas compte d'une objection de son père à ce qu'il mangeât de la viande (rap-
port hebdomadaire, 31-3-61). Le matériel direct sur le végétarisme fut ensuite
lié au désir masculin de J... de manger de la viande afin d'avoir un grand
pénis, mais pendant une longue période, ce fut précédé des peurs de J... de
manger de la viande, issues de son identification à la mère enceinte.
En plus des thèmes manifestes et latents, la section Fantasmes de
l'Index comprenait une sous-section sous la dénomination générale de
« caractéristiques ». Ici, les cartes indexées ne notaient pas le contenu
des fantasmes, mais des remarques faites par les thérapeutes sur la
fréquence des fantasmes chez l'enfant, la forme sous laquelle ils étaient
habituellement exprimés, leurs fonctions, et tout autre détail jugé
important sur la production fantasmatique.
Le système existant de classification, en thèmes latents et manifestes,
était organisé de manière à rassembler tout le matériel fantasmatique
d'une même sorte. Ainsi les chercheurs qui s'intéressaient par exemple,
aux fantasmes de « sauvetage » ou aux fantasmes sur des animaux,
pouvaient immédiatement trouver le matériel approprié.
On estima que le système existant n'était pas entièrement satis-
faisant, pour un certain nombre de raisons qui peuvent se résumer
ainsi :
1. Souvent, le matériel indexé se rapportait non seulement à des
rêveries exprimées verbalement, mais aussi à d'autres communications
verbales de l'enfant — par exemple, des observations, des événements
racontés (comme lorsqu'un enfant raconte une histoire qu'il a lue
auparavant), des théories sexuelles, d'une sorte ou d'une autre, ainsi
qu'une certaine quantité de matériel transférentiel lié aux spéculations
de l'enfant sur le thérapeute. Avec le système existant de classification,
pratiquement toute communication verbale pouvait être indexée dans
la section fantasmes, si le thérapeute qui indexait le cas, le jugeait
approprié.
2. En outre, il était permis d'enregistrer du matériel qui était non
pas exprimé verbalement, mais communiqué sous la forme d'activités
telles que la dramatisation et la peinture. Cela élargissait l'étendue
possible du matériel fantasmatique manifeste à pratiquement tous les
dérivés de la vie mentale inconsciente de l'enfant. En pratique cepen-
dant, de tels dérivés étaient généralement indexés ailleurs, c'est-à-dire
dans la section « défense » et « situation du traitement et technique »
de l'Index, sauf lorsque le thérapeute désirait éclairer le contenu du
matériel de l'enfant.
476 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Un article récent de David BERES (1962) sur Le fantasme inconscient étudie certains des
problèmes posés par l'utilisation du concept de fantasme par Freud. Nous sommes en grande
partie d'accord avec lui et certaines des idées exposées dans cet article sont extrêmement proches
de celles de Beres.
478 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
I. — Métapsychologie de la rêverie
Dans les Études sur l'hystérie (1895 d) (1), Freud et Breuer ont émis
l'idée que la base essentielle de l'hystérie est l'existence d'états hyp-
noïdes et que la rêverie (qui, excessive, pourrait être pathogène), appa-
raissait dans un tel état semi-hypnotique (2). L'expérience d'un trauma-
tisme au cours d'un tel état de dissociation rendait impossible la décharge
de l'affect et un « souvenir pathogène » pouvait s'implanter. A propos
de Mlle Anna O... les auteurs disaient : « Elle embellissait sa vie d'une
manière qui influença probablement de façon décisive son orientation
vers la maladie ; elle se laissait aller à une rêverie systématique qu'elle
décrivait comme son « théâtre privé ». Plus loin encore, les auteurs
parlent de « rêverie nuisible ». »
Plus tard, Freud abandonna l'idée qu'un traumatisme réel, tel
qu'une séduction sexuelle, était l'agent pathogène dans l'hystérie,
et fit porter l'accent sur le contenu et le destin des fantasmes eux-
mêmes.
Le matériel qui suit est présenté sous différentes têtes de chapitre,
sans adhérer à un ordre historique strict.
a) Le fantasme, processus mental distinct des autres. — Dans La
science des rêves (1900 à), Freud dit que, pendant qu'elles ont lieu,
les rêveries ne sont pas confondues avec la réalité. Cependant, dans
Gradiva (1907 a) il signale que dans les délires, les fantasmes l'ont
emporté, c'est-à-dire qu'ils ont obtenu la conviction et ont une influence
sur l'action. Cette qualité de conviction s'attache aussi aux hallucinations
et aux rêves (pendant le rêve).
Les fantasmes ont deux groupes de déterminants : les uns sont
conscients et manifestes pour le sujet. Les autres sont inconscients et
se révèlent par l'analyse. Le fantasme est le résultat d'une lutte et
représente un compromis entre ces deux groupes de déterminants.
Freud distingue entre le fantasme d'une part, et l'instinct et le désir
de l'autre. Le fantasme est un produit de l'imagination qui satisfait
un désir.
Dans Les deux principes (1911 b) Freud parle du fantasme comme
d'une sorte de pensée. Il dit : « Avec l'introduction du principe de réalité,
(1) Les références des écrits de FREUD se rapportent, dans la mesure du possible, à la
Standard Edition.
(2) Cette formulation semble être un compromis entre Breuer et Freud. Plus tard Freud
abandonna la notion de Breuer de rôle central des états hypnoïdes, en faveur d'une conception
plus dynamique du conflit mental, bien 'qu'il ait toujours attribué une grande importance
aux rêveries et à l'état rêveur.
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 479
Aussi tard qu'en 1930, dans Malaise dans la civilisation, Freud dit que
la fonction du fantasme est d'aider à rendre quelqu'un indépendant
du monde extérieur par la recherche de satisfaction dans les processus
psychiques internes. Cela donne au Moi le temps de modifier les cir-
constances extérieures afin de parvenir à une décharge instinctuelle.
Ainsi, la fonction du fantasme est de créer une situation qui satis-
fait le désir et qui permet une certaine quantité de décharge instinctuelle
— décharge que ne permettraient pas les circonstances existantes de la
réalité extérieure — et qui, dans l'imagination, corrige et modifie
également cette réalité.
En ce qui regarde la relation entre le fantasme et les activités mastur-
batoires (dans leur sens le plus large), Freud montre (1908 a) qu'à
une certaine époque, l'acte masturbatoire se composait de deux parties.
L'une était l'évocation d'un fantasme, et l'autre une forme de comporte-
ment actif et auto-gratifiant. « Au début, l'action était une procédure
purement auto-érotique destinée à obtenir un plaisir pour une partie
donnée du corps, que l'on pourrait décrire comme érotogène. Plus
tard, cette action se trouva mêlée à une idée de désir de la sphère de
l'amour objectai et servit de réalisation partielle de la situation dans
laquelle culminait le fantasme. »
c) L'époque du fantasme.
— Freud lie assez explicitement l'émergence
du fantasme et le développement du principe de réalité. Avant cela,
tout le fonctionnement mental est orienté vers le plaisir, et la pensée
dirigée vers la réalité n'apparaît qu'avec le principe de réalité. Il dit
ceci dans Les deux principes du fonctionnement mental (1911 b) où il
parle de la fantasmatisation comme d'une sorte d'activité de pensée
qui se scinda à l'introduction du principe de réalité.
Dans Introductionà la psychanalyse (1916-17) Freud décrit très claire-
ment la situation. Par nécessité externe, le Moi doit suivre le principe de
réalité et renonce temporairement ou de façon permanente à divers des
objets et des buts de son désir de plaisir. Ceci est très dur à supporter
et ne peut s'accomplir sans une sorte de compensation. En conséquence,
apparaît une activité mentale — le fantasme — dans laquelle sont auto-
risées ces sources abandonnées de plaisir. Ici, elles sont libérées des
exigences de la réalité et du principe de réalité. Les désirs se transfor-
ment en idées de réalisation. S'attarder, en fantasme, sur une réa-
lisation de désir apporte la satisfaction, bien que demeure claire
la conscience que ce n'est pas la réalité. Grâce au fantasme, l'homme
peut être alternativement un être raisonnable et un animal qui cherche
son plaisir. Freud remarque que le royaume du fantasme est comme une
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 481
les expériences passées, ainsi que des faits entendus à propos d'événe-
ments passés.
Dans La science des rêves (1900 a) Freud montre que les rêveries
partagent avec les rêves une grande partie de leurs propriétés et
pense que leur étude aurait pu constituer une voie d'approche très
courte et excellente à la compréhension des rêves. Comme les rêves,
ils satisfont des désirs ; ils se basent en grande partie sur des impressions
infantiles, et bénéficient dans une certaine mesure d'un relâchement de
la censure. Le désir qui est à l'oeuvre a réarrangé le matériel et lui a
donné une nouvelle forme. Leur relation aux souvenirs d'enfance à
partir desquels ils se forment, est assez semblable à celle de certains
palais baroques de Rome aux ruines anciennes dont les pavements et
les colonnes ont fourni le matériau pour les constructions plus récentes.
Dans Gradiva (1907 a) Freud étudie à nouveau la relation des
fantasmes aux souvenirs. Il les considère comme des dérivés modifiés
et déformés de souvenirs d'enfance, empêchés de se frayer un chemin
jusqu'à la conscience sous une forme non modifiée. Il y a en eux un
élément d' « aujourd'hui ». Freud parle des fantasmes comme du résultat
d'un compromis dans la lutte entre ce qui est refoulé et ce qui domine
dans le présent. Comme résultat de ce compromis, les souvenirs se
transforment en fantasmes.
Cependant les souvenirs d'enfance eux-mêmes montrent l'influence
de cette même lutte qui aboutit aux rêveries. Dans Léonard (1910 c)
Freud insiste sur le fait que, contrairement aux souvenirs conscients
d'une vie plus récente, les souvenirs d'enfance ne se fixent pas au
moment où ils sont vécus, mais ne sont mis en lumière qu'à un âge
plus avancé, alors que l'enfance est déjà passée. Au cours de ce processus,
ils sont modifiés et mis au service de tendances plus tardives, de sorte
qu'habituellement, il n'est pas aisé de les différencier nettement des
fantasmes.
Dans Ecrivains créateurs et rêverie (1908 e) Freud considère que le
moteur du fantasme est un désir insatisfait, et montre que tout fan-
tasme est la satisfaction d'un désir, la correction d'une réalité insatis-
faisante. Les deux principaux groupes intéressés sont ceux des désirs
ambitieux et érotiques. Dans les fantasmes, le lien affectif avec l'objet
réel se trouve diminué quand, en grandissant, l'enfant cesse de jouer,
mais en fait, ce lien est conservé dans le fantasme.
Freud dit ensuite, dans le même article, que les fantasmes ne sont
pas inaltérables, mais s'accommodent aux nouvelles impressions de la
vie du sujet et changent avec chaque changement dans la situation du
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 483
sur L'inconscient (1915 e) nous pouvons résumer comme suit les sources
du fantasme inconscient que nous avons étudiées jusqu'ici :
1. Les rêveries et souvenirs refoulés ;
2. Les fantasmes du système inconscient soumis à l'élaboration selon
les lois du processus primaire ;
3. Les dérivés des fantasmes inconscients qui se retrouvent dans les
rêveries où ils ont atteint la conscience, grâce à une nouvelle forme,
et qui sont de nouveau refoulés ;
4. Les dérivés des fantasmes inconscients, élaborés dans le système
préconscient, mais refoulés dans l'inconscient avant d'avoir atteint
la conscience;
5. Nous devons ajouter à ceci la possibilité de fantasmes dits primaires,
sujet auquel nous allons nous arrêter maintenant.
Il y a intérêt à noter, tout comme Freud l'a noté dans son Introduc-
tion à la psychanalyse (1916-17) que les rêveries sont tolérées dans le
conscient et le préconscient aussi longtemps que la somme de libido
qui y est attachée ne dépasse pas un certain niveau quantitatif. Si la
quantité de libido attachée aux rêveries devient trop grande, comme c'est
le cas dans des conditions de frustration, l'investissement des rêveries
devient si intense qu'elles sont poussées à se réaliser ; c'est alors que
survient le conflit, que les fantasmes de la rêverie sont soumis au refou-
lement, et exposés à l'attraction déployée de la part de l'inconscient.
La libido retourne alors aux points de fixation dans l'inconscient, et
il faut trouver un nouveau débouché à la libido amassée, par exemple
l'art. Sinon, des symptômes peuvent apparaître.
Dans l'article sur L'inconscient (1915 e) Freud signale que l'inves-
tissement objectai existe dans les fantasmes refoulés du conscient et que
c'est lui qui est recréé dans le transfert.
Une caractéristique des fantasmes inconscients, très importante
pour la compréhension du fonctionnement mental inconscient est
qu'ils possèdent une réalité psychique au lieu d'une réalité matérielle
(Introduction à la psychanalyse, 1916-17). Alors que le sujet sait que ses
rêveries conscientes ne sont pas réelles, ceci ne s'applique pas aux fan-
tasmes inconscients, traités comme s'ils étaient en fait des événements
réels. C'est ainsi que, dans l'inconscient, les souvenirs refoulés et les
rêveries refoulées ont le même statut.
Tournons-nous maintenant brièvement vers le problème contro-
versé des fantasmes inconscients primaires, c'est-à-dire des fantasmes
qui n'ont jamais été conscients et qui sont phylogénétiques ou hérités.
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 487
(1) Ceci nous donne un aperçu sur une distinction possible entre les processus qui caracté-
risent les personnes normales et névrosées. La personne normale peut traduire son fantasme en
action dans des circonstances propices, c'est-à-dire quand elle a l'occasion de satisfaire dans la
réalité extérieure sa rêverie et les désirs contenus dans celle-ci. Placé devant la même occasion
de gratifier ses désirs dans la réalité, le névrosé au contraire, peut réagir par la fuite accompagnée
du refoulement du fantasme auparavant toléré.
490 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Il en est de même pour les fantasmes parallèles aux rêves dits « hypocrites » (1900 a)
et qui montrent la satisfaction de tendances masochistes.
496 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Il serait légitime ici d'ajouter « préconscient » pour désigner le contenu inconscient qui
n'est pas refoulé mais momentanément latent ; cependant, d'un point de vue descriptif, même
les contenus momentanément latents sont inconscients. Il existe certains degrés de conscience
ou d'inconscience, et nous n'en possédons pas de nomenclature satisfaisante.
498 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) L'expression « contenu investi par le Ça » peut paraître maladroite, mais est utilisée ici
à la place de « contenu du Ça » car le contenu refoulé, au sens où nous l'employons ici, ne fait
pas partie du Ça. Le contenu investi par le Ça se réfère aux représentations mentales qui ont
été investies uniquement par les énergies instirictuelles, à la suite d'une réactivation de traces
de souvenirs. Si ce contenu investi par le Ça reçoit également, à côté de l'investissementpar le
Ça, un investissementpar le Moi, on en parlera comme de « contenu modifié par le Moi ».
(2) Nous nous proposons de ne pas discuter la question des contenus affectifs, car ce sujet
compliqué mérite une étude séparée. Cependant, si le lecteur accepte la notion d'affects refoulés,
il peut alors les classer ici.
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 499
ces deux derniers cas sont les extrêmes d'une série continue. En outre,
la fantasmatisation, bien qu'elle comporte une mise à l'écart de la réalité
immédiate frustrante, peut constituer un aspect important de la créa-
tivité scientifique et artistique. Il faut ajouter que ces remarques sur la
fantasmatisation n'excluent pas la possibilité que, dans certaines cir-
constances, la réalité soit par la suite changée de manière à permettre
une réalisation du fantasme.
A notre avis, tout travail sur le fantasme doit prendre en considéra-
tion les points suivants :
a) Étant donné que les contenus idéationnels (les représentations)
peuvent tirer leur origine d'un grand nombre de sources (sensations
inorganisées, pensées organisées, perceptions, images-souvenirs, fan-
tasmes, etc.), il semble qu'il serait inapproprié d'employer le terme « fan-
tasmatisation» pour désigner leur élaboration selon le processus primaire
en contenu de désirs instinctuels. Ce n'est que lorsque le Moi prend
part à l'organisation du contenu en productions imaginaires satisfai-
santes pour le désir, que l'on peut parler de formation de fantasme ;
b) Il ne serait exact de parler du contenu du système inconscient
comme d'un fantasme inconscient, que lorsque ce contenu dérive
de fantasmes refoulés. Lorsqu'on emploie le terme « fantasme incons-
cient », l'on devrait toujours préciser s'il s'agit des contenus de l'incons-
cient, dérivés de la fantasmatisation, ou d'un sens descriptif plus large.
c) Nous considérons le processus de la fantasmatisation comme une
fonction du Moi dont le résultat est un contenu imaginaire organisé
et satisfaisant un désir, perçu ou non consciemment. Le fantasme peut
être un dérivé, un compromis entre ce désir et les exigences du Surmoi
construit par le Moi. Lors de la formation de ce dérivé, le sujet peut
suspendre partiellement ou complètement sa connaissance de la réalité,
à moins qu'il ne l'utilise pour influencer fortement le fantasme. Le
contenu du fantasme peut être refoulé rapidement après sa création,
ou rencontrer d'autres défenses.
d) Le fantasme n'est qu'un des nombreux dérivés que le Moi
peut construire.
e) Il est possible que des fantasmes représentent la satisfaction de
désirs issus non du Ça et du Surmoi, mais du Moi lui-même.
Il s'ensuit que nous nous trouvons devant une situation dans laquelle
le Moi peut créer un fantasme qui utilise, de façon déformée et censurée,
un contenu investi par le Ça, dérivé par exemple, d'un souvenir refoulé.
(Il se peut, bien entendu, que des désirs préconscients et inconscients
aient déformé ce souvenir au moment où il constituait une perception.)
504 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
BIBLIOGRAPHIE
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Fantaisie, réalité, vérité
par D. LAGACHE (France)
I. — POSITION DU PROBLÈME
IL — LA FANTAISIE CONSCIENTE
(1) Les termes « fantaisie consciente » et « fantaisie inconsciente » sont la réplique des termes
usuels en allemand, en anglais et en espagnol, langues où « fantaisie » a conservé un sens appro-
chant du sens grec original. Ce sens est attesté en français jusqu'au XIXe siècle et même
au XXe [26]. Il n'est plus conforme à l'usage courant. C'est pourquoile vocabulaire psychanaly-
tique tend à utiliser « fantasme » dans le sens de « fantaisie inconsciente ». En grec, " fantaisie »
correspond plutôt à l'activité créatrice de l'esprit et « fantasme » à ses productions, voire à
l'apparition, au revenant. Il y aurait avantage à restituer à « fantaisie » son sens classique, en
distinguantla fantaisie de l'imaginationreproductive et constructive, contrôlée par le jugement.
On verra plus loin si « fantaisie " et « fantasme » peuvent désigner des choses différentes.
516 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Certes, on peut interpréter l'aversion par un désir de sécurité, un besoin de réductionde
tension. Mais en première analyse, psychologiquement et cliniquement, les fantaisies motivées
par l'aversion sont des faits incontestables; exemple : les phobies. Au minimum, on ne peut
éviter d'admettre un conflit de désirs ; les motifs de défense induits par le Surmoi, les compul-
sions défensives du Moi inconscient, même considérés comme des désirs, s'opposent aux désirs
inconscients du Ça ; exemple : les fantaisies de punition, de castration s'opposent aux fantaisies
d'inceste et de meurtre.
FANTAISIE, REALITE, VÉRITÉ 517
(1) Selon Husserl, fantaisie « désigne la représentation pure et simple de quelque chose
d'individuel (le fait qu'on l'a purement et simplement sous les yeux) ; mais en l'absence du
sentiment conscient d'existence... qui le poserait comme objet de perception ou de souvenir.
On l'a sous les yeux, mais sans décider si l'on y croit, ou même en n'y croyant pas » (Husserl E.
[26]).
REV. FR. PSYCHANAL. 34
518 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) On reviendra sur les distinctions sémantiques qui peuvent être proposées entre fantaisie
et fantasme, conscients ou inconscients, ainsi que sur leurs rapports avec l'interprétation et la
construction.
(2) L'angoisse, par exemple, témoigne de fantaisies inconscientes de dislocation du monde
personnel : perte des investissements objectaux et des identifications, morcellement et muti-
lation du corps propre.
(3) Exemple : l'interprétation du rêve par le rêveur est souvent une élaboration secondaire
qui va dans le sens de la défense du Moi.
520 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Cette isolation se réfère aussi à des présupposés empruntés à l'information psychana-
lytique du patient : que l'analyse doit être « vécue », qu'elle doit réveiller le souvenir d'expé-
riences infantiles.
524 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
confuse ; elle ne se déploie pas dans des mots ni des images ; sans la
perception, elle ne s'accomplit pas dans des fantasmes conscients ;
elle glisse à la faveur d'états et d'actes corporels qui la véhiculent sour-
dement. Certains psychanalystes ont pu tenter de construire les struc-
tures inconscientes dont elles procèdent, c'est-à-dire des fantasmes
inconscients organisés en une fantasmatique. Une telle fantasmatique
a priori existe-t-elle ? Et si elle existe, quelles sont sa nature et son
origine ? Certes, la psychanalyse a grandement contribué à poser et
élaborer de tels problèmes. Ils se situent cependant aux bornes de l'inves-
tigation psychanalytique; la démonstration et l'investigation d'une « fan-
tasmatique transcendantale » [10] relèvent d'une anthropologie inter-
disciplinaire ; Totem et tabou déborde largement la seule psychanalyse.
(1) Bien avant les travaux de l'École de Würzburg et d'Alfred Binet sur la psychologie de
la pensée, la difficulté de saisir la pensée dans son mouvement a été admirablement formulée
par Maine de Biran : « C'est Eurydice dont le souffle de vie se dérobe au simple regard. »
528 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Un commentaire psychanalytique sur les infiltrations de la fantaisie dans la vie et dans
l'action ne serait pas superflu mais entraînerait trop loin. Le fait n'a pas échappé aux mora-
listes classiques. Ainsi La Bruyère, faisant allusion à Lauzun, écrit : « Straton est né sous deux
étoiles : malheureux, heureux dans le même degré ; sa vie est un roman : non, il lui manque la
vraisemblance ; il n'a point eu d'aventures ; il a eu de beaux songes, il en a eu de mauvais ;
que dis-je, ou ne rêve point comme il a vécu » (La Bruyère, Les caractères ou moeurs de ce siècle,
De la Cour, 96). On pense encore à l'ouvrage de deux humoristes français contemporains :
La réalité dépasse la fiction [1] ; le hasard à sa part dans cette collection d'involontaires coq-à-
l'âne ; certes, mais quelle est celle de la fantaisie inconsciente ?
FANTAISIE, REALITE, VERITE 529
n'est pas radicale. Ce qui est perçu de l'entourage est moins ce qui
s'offre que ce qui se refuse au désir. Perception non seulement partielle
mais partiale, puisqu'elle forge et pose la réalité comme anti-
désir [32] (1).
L'ambiguïté se retrouve dans le principe de réalité : fondant la
connaissance objective, il fonde également la méconnaissance commune
aux mécanismes de défense, non sans la participation du principe de
déplaisir-plaisir : la compulsion défensive rejette le déplaisant.
C'est pourquoi il peut être opportun d'en détacher un principe
de vérité, mettant en jeu l'attention, la parole et la raison, introduisant
le sujet au-delà du monde commun dans « la communauté inter-
subjective des esprits » c'est-à-dire le monde de la raison [20]. Le
principe de vérité permettrait le dépassement de l'antithèse fantaisie-
réalité.
Il convient d'ajouter que la communauté inter-subjective des
esprits, en l'espèce des sujets de la connaissance, a d'autres impli-
cations. Ce qu'on appelle le consensus omnium, le consentement universel,
ne garantit pas à lui seul la vérité d'une proposition ; le consensus peut
s'établir sur des propositions fausses ou incomplètes, provisoires et
approximatives ; l'accord sur l'erreur procède dans de tels cas du
partage de préjugés, d'idéologies, de mythes, bref de représentations
qui sont de l'ordre de la fantaisie. A l'accord des esprits entre eux
il faut ajouter l'accord de l'esprit avec les choses et l'accord des choses
entre elles. L'accord de l'esprit avec les choses suppose que le jugement
s'étaye sur des données de fait et qu'il ne les dépasse pas, en d'autres
termes que l'hypothèse soit économe : elle ne peut aller au-delà des
faits qu'en tant qu'hypothèse de travail que des données nouvelles
sont propres à confirmer, modifier ou infirmer. L'accord des choses
entre elles signifie la cohérence que la recherche de la vérité parvient
ou ne parvient pas à établir entre les faits.
L'expérience psychanalytique le montre bien. L'accord entre le
psychanalyste et le psychanalysé peut être délusoire, reposer par
exemple sur une convergence entre l'autorité du psychanalyste et la
(1) Dans Das Ich uni dus Es, FREUD rattache « l'épreuve de la réalité » au moi et renonce à
l'attribuer à l'Idéal du Moi, comme il l'avait fait dans Massenpsychologie.Cette positiondemande
à être reconsidérée : non seulement la réalité est fantaisie sur l'autre, mais elle est pour une large
part fantaisie des autres. Le « sens de la réalité » est inculqué commeune règle morale ; on repré-
sente souvent à quelqu'unqu'il prend ses désirs — donc ses fantaisies — pour la réalité. Jusque
dans la recherche scientifique, l'objectivité fonctionne comme une valeur et une règle morales.
On gagnerait en clarté à parler non pas d'objets réels ou extérieurs, mais d'objets indépendants,
c'est-à-dired'existants indépendants de la fantaisie. L'opposition « intérieur-extérieur » appar-
tient à la topologie du « monde privé ».
530 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
taisie, c'est pour une large part la capacité de fantaisie de l'homme qui
confère à son désir l'ampleur de ses visées comme sa propre négation.
Il y a beaucoup de sens à dire que la vie n'est que songe ; l'homme
est cependant parvenu à constituer dans ce songe des îlots cohérents
et confluents de vérité et d'efficacité. Mais la recherche de la vérité est
elle-même une des intentions fondamentales du rêve de l'homme. S'il
n'y avait pas de fantaisie et d'imagination, l'homme comme l'animal
resterait englué dans le présent et dans les choses ; il n'y aurait ni
réalité ni vérité, il n'y aurait pas non plus de psychanalyse.
En revanche, s'il n'y avait pas de réalité indépendante, la fantaisie
ne serait pas reconnue ; et s'il n'y avait pas de raison, elle ne serait pas
connue. C'est en dernier ressort la logique qui permet de voir clair dans
la fantaisie, c'est-à-dire de parvenir à la vérité analytique ; mais elle
ne pourrait y parvenir si la raison n'était déjà, de quelque manière,
impliquée dans la fantaisie. Freud a souligné que des fantasmes incons-
cients pouvaient être hautement organisés [17]. On doit aller plus
loin; les fantasmes ne sont pas éparpillés, incohérents : ils ont leur
logique, qui certes n'est pas celle du sujet de la connaissance ; on peut
appeler « fantasmatique » cette sorte de systématisation des fantasmes
et cette fantasmatique est le véritable objet de l'investigation psychana-
lytique ; la découverte des fantasmes dominants éclaire beaucoup de
choses du présent et du passé ; les pièces du puzzle se rassemblent
dans un ordre.
C'est ainsi qu'une patiente, parlant d'une obsession de la légitimité
du mariage de ses ascendants, obsession depuis longtemps éteinte,
fit un lapsus : au lieu d' « ascendance » elle prononça le mot « descen-
dance » ; ce qui avait été supposé apparut ainsi d'une manière claire et
décisive : l'extraordinaire concentration sur l'histoire de sa famille
avait été un moyen de combattre a contrario la crainte obsessionnelle
d'avoir elle-même un enfant illégitime, et plus précisément, le désir
et la crainte d'avoir un enfant de son père ; c'était la teneur originelle,
le Wortlaut de l'obsession.
Un homme qui fréquentait exclusivement des prostituées avait le
fantasme inconscient d'être une femme subissant l'accouplement et
d'avoir un enfant ; certaines prostituées représentaient l'analyste, ce
qui, sans mentionner d'autres données, fut attesté un jour que le patient,
à la fin de la séance, déclara en se levant du divan : « Vous aussi, vous
me mettez sur le dos » ; or, il arrivait que dans de telles conditions,
c'est-à-dire lorsque le rapport avec la prostituée avait lieu le patient
étant sur le dos, la tentative de coït fît fiasco ; cet échec s'accompagnait
FANTAISIE, RÉALITÉ, VÉRITÉ 535
RÉSUMÉ
BIBLIOGRAPHIE
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Ontogenèse du fantasme
par M. BÉNASSY et R. DIATKINE
(1) FREUD, 1916 : Une perception que l'action ne fait pas disparaître est reconnue comme
«
externe, comme réalité. »
540 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
L'INCONSCIENT ET LE LANGAGE
vrai que nous ayons à choisir entre deux modèles d'explication. Nous
avons à choisir entre deux modèles d'analogies. Utiliser un langage psy-
chophysiologique, c'est établir une analogie avec un modèle réductif
physico-chimique. Utiliser le langage de tous les jours c'est établir une
analogie avec un modèle linguistique conscient, « en montrant claire-
ment ce qu'on peut dire, en donnant un sens à ce qu'on ne peut dire »
(Wittgenstein, 1918), un tel modèle se réfère en dernière analyse à
l'intuition du corps propre, à des événements, vécus. Mais le point
essentiel, c'est non seulement qu'on n'est pas obligé de choisir, mais
qu'on ne doit pas choisir. Car cela a un sens de chercher les corrélations
entre un événement physico-chimique et un événement vécu, comme
Fessard (1954) parmi d'autres l'a montré. Ce serait aussi facile qu'en-
nuyeux de décrire le fantasme inconscient, soit en termes de langage,
soit en termes de psychophysiologie. De plus de telles descriptions
seraient « indéterminées », c'est-à-dire qu'en l'état actuel de la science
on peut construire plusieurs modèles psychophysiologiques également
satisfaisants. Ajoutons que quel que soit l'état de la science, tout modèle
linguistique restera indéterminé. Nous voudrions donc, non pas décrire
l'inconscient en langage ordinaire, mais montrer comment fonctionne
l'inconscient, et comment ses fonctions s'articulent avec le langage.
C'est la méthode même de la science moderne, un savant ne décrit pas,
ne définit pas l'énergie, la matière, mais les phénomènes, les actions,
les fonctions qu'il rapporte au concept d'énergie et de matière. En fait,
nous partirons de Freud et de cette remarque de Jones (1953) : « Ce
n'est pas tellement en démontrant l'existence de l'inconscient que
Freud a apporté une contribution révolutionnaire à la psychologie,
qu'en montrant l'existence de deux catégories de processus mentaux
qu'il a respectivement appelé primaires et secondaires... » En d'autres
termes, les tendances primaires inconscientes de l'organisme sont
soumises à des lois originales différentes des lois qui régissent les pro-
cessus secondaires préconscients et conscients. Ces lois primaires
sont guidées par le principe de plaisir.
Deux d'entre elles sont essentiellement négatives :
1. Il n'y a pas de temps dans l'inconscient, c'est-à-dire que les tendances
primaires ne sont pas dans le temps, ou leur temps est discontinu
(ce qui se traduit par la nécessité de satisfaction immédiate, et l'ins-
tabilité des investissements) ;
2. Il n'y a pas de contradiction dans l'inconscient, c'est-à-dire que des
tendances primaires contradictoires existent simultanément.
542 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Nous l'avons trouvé dans J. FOURQUET (1958) qui l'a emprunté à Ch. F. HOCKETT
(A course in moderne linguistics, New York, 1958) et ajoute que Ch. C. PRIES (The Structure of
English, New York, 1952) en attribue l'idée à Eileen T. WITCKIN.
(2) Une bonne théorie du langage doit tenir grand compte des opinions d'Humpty Dumpty.
(3) Cf. Dame-Jane et demijohn.
544 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
On devra donc :
1. Décrire une infrastructure du fantasme hors de toute possibilité
de verbalisation, cette infrastructure ne peut être que psychophy-
siologique, impliquant différents niveaux d'intégration et une interac-
tion organisme-environnement. Elle ne devra pas être contradictoire
avec le fantasme verbalisé qui est l'événement vécu ;
2. Avec les symboles, les mots, leur structuration, introduire dans le
fantasme tout l'environnement social, humain. On mettra alors en
évidence le facteur social qui préside au choix des symboles, le
rôle de l'analyste qui insère le fantasme dans un comportement
verbal et dans une relation humaine.
(1) Nous remercions ici le Dr Segal et le Dr lagache. Ils nous ont aidés à comprendre que
toute discussion du fantasme doit considérer les points suivants : qu'est-ce qu'un fantasme
inné ? Un désir halluciné ? L'épreuve de la réalité ? De plus ce n'est pas par hasard que ces
exemples sont pris dans l'enfance, car un enfant ne parle pas.
546 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Rappelons que l'investissement qui est un événement vécu est facile à décrire dans le
langage de la psychophysiologie.
ONTOGENÈSE DU FANTASME 547
(1) Nous attendons avec intérêt les conclusions de l'enquête du Dr Sandler sur les dérivés
de l'instinct. Nous espérons que la présentation des résultats nous permettra de mesurer l'étroi-
tesse de la relation entre l'expression des dérivés et l'environnernent social.
ONTOGENESE DU FANTASME 549
CONSÉQUENCES TECHNIQUES
(1) Il est évident que les composantes du langage (effectrices, réceptrices, et affectives)
sont des résultats de l'activité. Pour devenir langage elles doivent « représenter » autre chose
qu'elles-mêmes, grâce au déplacement et à la condensation. C'est ce processus qu'on appelle
symbolisation.
Rappelons encore que les concepts de déplacement et de condensation qui sont psycholo-
giques sont non contradictoires avec les concepts d'inhibition, transmission, summation qui
appartiennent à la physiologie de la jonction synaptique.
REV. FR. PSYCHANAL. 36
550 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) Cela n'est vrai que dans les cas de névrose où l'on cherche à surmonter une résistance,
où l'on rend l'inconscient conscient. Cela n'est plus vrai, si par hasard, dans un cas limite, on
s'efforce d'aider les forces refoulantes, de construire un mécanisme intellectuel, etc.
(2) Si le langage possède une dimension corporelle, s'il est lié au mouvement et au jeu.
On peut admettre que l'analyste soit entraîné à interpréter mouvement et comportement cor-
porel (acting in et acting out) et non plus seulement comportement verbal.
(3) Ce paragraphe est en partie une paraphrase de P. Heimann, 1962. Seules les phrases
entre guillemets sont des citations.
552 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
CONCLUSIONS THÉORIQUES
APPENDICE
Nous avons écrit plus haut que le fantasme est un mode de relation
objectale parmi d'autres. La situation analytique favorise indiscutable-
ment l'activité fantasmatique dans la mesure où l'action en vue de la
satisfaction pulsionnelle est par définition empêchée. Cette opinion peut
paraître évidente si l'on pense aux fantasmes conscients — rêveries
compensatrices par rapport aux désirs insatisfaits — mais elle s'applique
tout autant aux fantasmes inconscients. Sans entrer dans la controverse
concernant l'origine des fantasmes inconscients par rapport aux proces-
sus primaires et à l'activité du Moi — nous avons déjà exprimé notre
avis à ce sujet dans le corps de cet article
— nous remarquerons que
l'attitude constante de l'analyste et l'inhibition de l' « agir » imposée
au patient augmentent la tension instinctuelle et mobilisent les dérivés
pulsionnels du Ça et du Moi en fonction de la situation insolite actuelle
et du passé vécu. Le déroulement dramatique qui en résulte présente
un aspect manifeste (discours du patient ou, s'il s'agit d'un enfant,
diverses productions qui peuvent s'y substituer) et un contenu latent,
fantasme inconscient à travers lequel nous pouvons appréhender l'acti-
556 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
Jean était âgé de 5 ans 8 mois quand il nous fut conduit pour des
difficultés caractérielles (colères, agressions sur son petit frère âgé de
deux ans qu'il houspille sans arrêt, peur du noir, peur des animaux,
cauchemars à répétition, énurésie, anorexie légère). C'est un enfant
intelligent et réfléchi avec lequel, dès la première consultation, un dia-
logue d'une certaine richesse se révèle possible. Son histoire est malheu-
reusement dominée par le fait qu'il est atteint d'une myopathie, dia-
gnostiquée précocement, entraînant au moment de la consultation une
gêne motrice modérée mais suffisante pour qu'il se sente très infériorisé
par rapport à ses camarades. Ses parents étaient au courant de ce
qu'impliquait le diagnostic. La mère oscillait entre des attitudes hyper-
protectrices et des attitudes réactionnelles pouvant la faire passer pour
assez rejetante à l'égard de l'enfant. Elle était sujette à des réactions
dépressives fort compréhensibles. A l'école, l'enfant était mal accepté
en raison de son infirmité malgré son authentique désir d'apprendre.
Jean fut confié à notre collaboratrice, Mme Filliozat, qui entreprit
une cure psychanalytique. Nous n'avons pas l'inten-
tion de retracer ici le déroulement de celle-ci — qui
mériterait d'être publiée dans sa totalité — mais
nous discuterons des fantasmes exprimés au cours des
premières séances. Après que sa psychanalyste lui eut
donné des explications concernant le traitement (« pour
comprendre ce qui le gêne et lui fait peur, il pourra
dire ce qu'il voudra, dessiner ce qu'il désirera ou se
servir du matériel qui est mis à sa disposition »), Jean
demande à dessiner (cf. dessin n° 1) et fait le commen- Fig. 2. — (Fait
taire suivant : « C'est un rêve que j'ai fait l'an dernier : au cours de la pre-
séance égale-
le sorcier et la sorcière, il pleut, la lune, le soleil... mière
ment). «C'est Blan-
l'arc-en-ciel. » Puis il associe directement en expliquant che-Neige... elle se
fait manger par la
à sa psychanalyste qu'il a peur la nuit : « Papa dit que sorcière. 1
range les petits animaux pour faire un zoo, en prenant bien soin de
ne pas mettre un animal avec un autre qui pourrait le dévorer. Mais ces
efforts pour empêcher toute agression ne suffisent pas. La vache se
bat avec le crocodile : « La vache donne son lait au crocodile et il est
quand même pas content ! »
Et c'est la fin de la première séance.
Ce début de traitement est tout à fait typique pour un enfant de
cet âge et c'est pourquoi nous l'avons choisi comme exemple. Jean a
une certaine habitude des rêves qui font peur, qui lui paraissent en
continuité avec ses peurs diurnes. Comme on peut le voir, ses désirs
oedipiens sont déjà refoulés et les objets investis sont transformés dans
—
ses productions conscientes de l'état de veille et dans ses rêves — par
la symbolisation.
Mais nous devons nous demander pourquoi Jean raconte un rêve
de scène primitive dès le début de son tête à tête avec une dame qu'il
ne connaît pas. Il est peu vraisemblable que l'enfant, malgré son intelli-
gence, ait perçu la réalité de l' « alliance thérapeutique » que lui a
proposée sa psychanalyste en lui donnant les consignes du traitement.
Même si nous avions la naïveté de croire en cette hypothèse, l'examen
détaillé du contenu de la séance nous détromperait vite.
Il est vrai que Jean a manifesté dès la première consultation un
certain désir d'être débarrassé de ses peurs. Dès qu'il se retrouve seul
avec une adulte qui n'exige rien de lui, ne le met devant aucune tâche
et lui indique qu'il peut exprimer ce qu'il veut, il investitimmédiatement
ce personnage insolite qui lui paraît d'autant plus dangereux qu'il ne
lui interdit pas de l'aimer. Aussi associe-t-il avec ses peurs oedipiennes,
la situation présente lui faisant évoquer l'intimité des parents, le sorcier
et la sorcière, la lune et le soleil, et il pense à ses peurs nocturnes.
Alors que son père lui interdit d'imaginer la scène primitive (« papa dit
que c'est pas vrai »), la remarque de sa thérapeute ne fait qu'augmenter
son angoisse : elle lui apparaît comme la permission de penser à tout
cela. Comme il est habituel, l'adulte est alors pour l'enfant doublement
dangereux puisque représentant à la fois les pulsions du Ça et la répres-
sion du Surmoi. Aussi Jean rompt-il le dialogue. Il fait un autre dessin
où, par le jeu des processus primaires, est évoquée une relation sadique
orale avec une mère dangereuse à laauelle il participe par identification
projective, ce qui donne la formule activo-passive : « Blanche-Neige
se fait manger par la sorcière. » La remarque de l'analyste sur la grande
bouche de Blanche-Neige est ressentie comme une manifestation du
Surmoi condamnant l'agressivité orale de l'enfant, d'où la nouvelle
ONTOGENESE DU FANTASME 561
SOMMAIRE
BIBLIOGRAPHIE
[1] BARTLETT (F. C), 1947- Some Problems of Display and Control (Quelques
problèmes de signaux et de commandes), in Miscellena Psychologica
Albert Michotte, Louvain, Paris.
[2] — 1948. The Measurement of Human Skill (La mesure de l'habileté
de l'homme), Occupational Psychology, 22, 34-38, 86-91.
[3] BENASSY (M.), 1959. Fantasme et réalité dans le transfert, Revue française
de Psychanalyse, 23, 619-628.
[4] — 1962. Colloque sur les interprétations en thérapeutique psychana-
lytique, Revue française de Psychanalyse, 26, 43-50.
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Revue française de Psychanalyse, 27, numéro spécial, 241-399.
[6] FEDERN (P.), 1952. Ego Psychology and the Psychoses (La psychologie du
moi et les psychoses), Basic Books, N.Y.
[7] FESSARD (A.), 1954. Mechanisms of Nervous Integration and Conscious
Experience, in Brain Mechanisms and Consciousness (Les mécanismes de
l'intégration nerveuse et l'événement vécu conscient, in Les mécanismes
cérébraux de la conscience), Blackwell, Oxford ; Masson, Paris.
[8] FOURQUET (J.), 1958. Pensée et grammaire, Les études philosophiques,
n° 4, 430-445, Presses Universitaires de France, Paris.
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mécanismes de défense), trad. C. BARNES, Hogarth Press, London, 1948.
[10] FREUD (S.), 1911. Formulations on the two Principles in Mental Func-
tionning (Formulation des deux principes du fonctionnement mental),
S.E., XII, Hogarth Press, London 1958.
[11] — 1916. Metapsychological Supplement to the Theory of Dreams
(Supplément métapsychologique à la théorie des rêves), S.E., XIV,
Hogarth Press, London, 1957.
[12] — 1920. Beyond the Pleasure Principle (Au-delà du principe de plaisir),
S.E., XVIII, Hogarth Press, London, 1955.
[13] — 1922. Psycho-analysis (La psychanalyse), S.E., XVIII, Hogarth
Press, London, 1955.
[14] — 1937. Analysis Terminable and Interminable (Les analyses qu'on
peut et qu'on ne peut pas terminer). Coll. Papers, V. Hogarth Press,
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facteurs de guérison dans la psychanalyse), Internat. J. Psychoanal., 43,
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de guérison dans la psychanalyse), Internat. J. Psychoanal., 43, 231.
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in psycho-analysis (Nature et fonction du fantasme in Developpements de
la psychanalyse), Hogarth Press, London.
[18] JACKSON (H.), 1897. Relations of Different Divisions of the Central
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(Relations des différentes divisions du système nerveux central entre
elles, et avec les parties du corps, OEuvres choisies), J. Taylor édit., 1931 ;
Basic Books, N.Y., 1958.
[19] JONES (E.), 1953. Sigmund Freud. Life and Work (SigmundFreud. Sa vie
et son oeuvre), vol. I, Hogarth Press, London.
[20] — 1957. Ibid., vol. III.
ONTOGENÈSE DU FANTASME 565
[21] — 1958. The Birth and Death of Moses (La naissance et la mort de
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[22] LAGACHE (D.), 1963. Contribution to the Symposium on Phantasy (Contri-
bution au symposium sur le fantasme), Stockholm, Internat. Psychoanal.
Congress.
[23] LASHLEY (K. S.), 1951. The Problem of Serial Order in Behavior in
Cerebral Mecanisms in Behavior (Le problème de la sériation dans le
comportement in Mécanismes cérébraux dans le comportement), The
Hixon Symposium, John Wiley, N.Y.
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Revue française de Psychanalyse, 18, 108-159.
[25] NACHT (S.), 1962. The Curative Factors in Psychoanalysis (Les facteurs
de guérison dans la psychanalyse), Internat. J. Psychoanal., 43, 206-211.
[26] PIAGET (J.), 1947. La psychologie de l'intelligence, A. Colin, Paris.
[27] SANDLER (J.), 1963. Contribution to the Symposium on Phantasy (Contri-
bution au symposium sur le phantasme), Stockholm, Internat. Psychoanal.
Congress.
[28] SAUSSURE (F. de), 1915. Cours de linguistique générale, publié par C. BALLY
et A. SECHEHAY, 5e éd., Payot, Paris, 1960.
[29] SEGAL (H.), 1963. Contribution to the Symposium on Phantasy (Contribution
au symposium sur le fantasme), Stockholm, Internat. Psychoanal. Congress.
[30] SPOERRI (Th.), 1957. La puissance métaphorique de Descartes in Descartes,
Cahiers de Royaumont, Ed. de Minuit, Paris.
[31] WITTGENSTEIN (L.), 1918. Tractatus logicophilosophicus (Discussion
logico-philosophique), English transl., 8e impres., Routledge Kegan Paul,
London, 1960.
[32] — 1945. Philosophical Investigations (Investigations philosophiques), English
transl., Anscombe and Rhees, 2e éd., Basil Blackwell Oxford, 1958.
comme le suggère Segal dans son travail. Les recherches d'un enfant
peuvent être plus ou moins complexes ou étendues, de l'observation
unique à des observations multiples ; avec comparaisons de données
et véritable expérimentation à un niveau primitif destiné à permettre
d'accepter ou rejeter. Étant donné l'état des tendances qui poussent
l'enfant, les limitations de l'environnement dans lequel il travaille, et
l'équipement mental à sa disposition ces constructions infantiles sont
les meilleures auxquelles il puisse parvenir, et fournissent un modèle
à bien des activités futures normales et pathologiques. Ainsi, non
seulement les souvenirs constitués de perceptions primitives (colorés
de qualités illusoires) sont nécessaires à ce processus mais il est aussi
nécessaire que l'appareil du moi et ses fonctions de différenciation et
de synthèse aient atteint un certain niveau de maturation. On peut
utilement concevoir de la façon suivante la relation entre ce qu'on
appelle fantasme conscient et inconscient : c'est la relation entre une
théorie latente et son élaboration manifeste d'une part, c'est aussi la
relation entre un mythe (ou une histoire romancée) latent et la théorie
manifeste qui en dérive d'autre part.
Ceci nous conduit à nous poser une question en ce qui concerne
la théorie topographique, question déjà posée par Arlow et Brenner [2]
et récemment par Gill [8]. Le concept de « fantasme inconscient » ne
me semble pas éclairci mais plutôt obscurci par le modèle topographique
et spécialement par les tentatives effectuées pour utiliser simultanément
les cadres de références topographiques et structuraux. La plupart
de ceux qui ont apporté leur contribution à ce symposium semblent
s'être donné à tâche d'identifier et de conceptualiser le processus de
fantasmatisation dans « l'inconscient topographique ». La réponse est
peut-être difficile à donner sous cette forme parce que la question est
mal posée. Il n'est pas difficile de montrer phénoménologiquement les
théories, les attitudes, les rêves éveillés, etc., et leurs différents éléments
dérivés des tendances et des activités primitives du moi dont le sujet
n'a pas conscience. Mais il est difficile de conceptualiser une activité
qui a les caractéristiques du processus secondaire et qui s'exerce à un
niveau psychique qui fonctionne suivant les principes du processus
primaire. Segal comme Lagache semblent affirmer que ce qu'on appelle
« fantasme inconscient » peut non seulement exprimer une tendance
instinctuelle mais encore être construit directement sans intermédiaire
par l'instinct (comme Bénassy l'a remarqué). Segal dit « la première
faim et la tendance instinctuelle de satisfaire cette faim sont accompa-
gnées du « fantasme » d'un objet capable de satisfaire cette faim ».
572 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
Quelques problèmes
de formulation métapsychologique
du fantasme( 1)
(1) Les paragraphes en petits caractères sont des résumés de l'original. Les paragraphes
en caractères courants sont traduits de l'original. Trad. M. BÉNASSY.
576 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
BIBLIOGRAPHIE
[1] FREUD (S.), Some General Remarks on Hysterical Attacks (1908), S.E., 9.
[2] — The Ego and the Id, S.E., 19 (1923).
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Formation of Psycbic Structure, Psychoanalytic Study of the Child, 2,
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J. Amer. Psa. Assoc, 7, 459-483, 1959.
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[8] REICHENBACH (H.), The Rise of Scientific Philosophy, Berkeley and Los
Angeles, U. of California Press, 1951.
Art et fantasmes
par PIERRE LUQUET
(1) Elle se sépare du délire par sa communicabilité. Ainsi elle élargit le sillon et permet
davantage l'intégration des richesses affectives luttant contre l'isolation, la rationalisation
et les autres formes d'écrasement libidinal.
REV. FR. PSYCHANAL. 38
582 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
(1) C'est dans l'effort de dépouillement et de transmutation de son propre vécu que s'effectue
réellement la « création ».
L'utilisation par un peintre
de ses rêves et de ses fantasmes
au bénéfice
de son activité créatrice
par PETER E. SIFNEOS (1)
I
La relation entre les rêves et les fantasmes
entre les fantasmes et l'art
Au-delà de l'importance des rêves dans la psychanalyse, importance
qui ne saurait être exagérée, Freud, dans son livre classique L'interpré-
tation des rêves et dans ses articles qui suivirent, de même que plus
récemment Fisher et Dement, pour ne mentionner qu'eux, nous ont
frayé un chemin dans la compréhension de l'esprit humain.
La distinction entre rêves et fantasmes, telle qu'elle est signalée par
Freud [1], met en évidence le fait que la personne qui rêve, en transfor-
mant les pensées en images visuelles, subit une expérience plutôt qu'elle
ne pense et crée une situation à laquelle elle attache une ferme croyance ;
elle se rend compte à son réveil qu'elle vient d'avoir un rêve. Celui qui
a un fantasme est éveillé, bien sûr, donc en contact plus direct avec
la réalité. On peut dire alors que les fantasmes sont faits d'une trame
plus légère que les rêves, le processus secondaire des premiers jouant
un rôle plus important. Le Moi joue un rôle prépondérant dans les
fantasmes. Cependant Freud nous dit aussi qu'après un examen plus
approfondi des fantasmes, ceux-ci présentent plusieurs aspects communs
avec les rêves, notamment la satisfaction d'un désir, les expériences
(1) Assistant Professor of Psychiatry, Harvard Medical School and Director, Psychiatric
Clinic, Massachusetts General Hospital, Boston, Massachusetts.
592 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
qui est en relation avec l'inspiration, mais l'artiste a encore une autre
tâche. Il faut qu'il possède du talent, quel que soit le sens de ce mot
merveilleux, il faut également qu'il soit capable de s'exprimer à l'aide
de l'un des moyens d'expression artistiques. Dans l'ensemble, sa
tâche est très difficile.
Dans l'article qui suit, j'ai montré comment un peintre utilise ses
rêves et ses fantasmes pour sa création artistique. J'ai montré également
comment des conflits névrotiques entravèrent ses processus créateurs
et finalement les étouffèrent. Je lui suis reconnaissant d'avoir partagé
avec moi quelques-uns de ses rêves et de ses fantasmes.
II
Le cas clinique
Cet article rapporte une expérience psychanalytique dont le sujet est
un peintre exceptionnellement doué. L'analyse a été interrompue par
le patient après neuf mois, mais pendant le temps qu'elle dura, il fut
possible d'en tirer de nombreuses informations qui éclaircirent le
processus de sa création artistique et ses sources.
La créativité artistique de mon patient présentait deux aspects.
Il avait le pouvoir de faire naître d'abondants fantasmes qui étaient
associés à une curiosité inhabituelle et enfantine de son monde intérieur.
Il possédait aussi le talent de donner à ces images une forme artistique,
ayant auparavant acquis les techniques de la peinture après une prépa-
ration assidue.
Sa curiosité enfantine était semblable à la soif inextinguible de
nouveauté propre aux enfants doués ainsi qu'à leur appétit insatiable
de connaître le monde qui les entoure. De plus elle possédait la qualité
d'innocence naïve et désarmante appartenant à un enfant de trois ans.
Il était évident que rêves et fantasmes étaient la source d'inspiration
de mon patient et qu'ils l'incitaient à concevoir de nouvelles peintures
dans son esprit. Il les utilisait également comme fragments, détails
ou symboles qu'il ajoutait, pour les compléter, aux toiles qu'il avait
commencées mais qu'il avait été incapable de terminer. La création
artistique dépendait d'un apport constant et égal de rêves et de fan-
tasmes. Il semblait qu'un équilibre eût été établi, qui nécessitait
l'engagement total et l'absorption complète de l'artiste. Son talent
remarquable lui permettait alors de reproduire ses images mentales
sur une toile. Lorsque son équilibre était rompu à la suite de difficultés
596 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
faut que je me montre plus matérialiste. Je déteste l'avouer, mais j'ai plus
envie de gagner de l'argent plutôt que d'être un artiste-peintre. Cette
attitude changera, mais c'est ainsi que je vois les choses à présent ». Le jour
suivant il m'annonça qu'il voulait déclarer le « jour d'indépendance ». Il
conclut comme suit : « Je suis un être extrêmement solitaire, c'est ce que
j'ai découvert. Je sors d'une famille médiocre, je suis obstiné, j'ai des
standards différents, j'évite les situations désagréables. Je marche sur
une corde raide, je suis ritualiste et rigide. Je m'impose des restrictions.
Quelquefois je me montre très agressif mais généralement je suis une
personne pleine de préjugés, qui déteste le monde et se considère lui-
même comme petit. Je me considère comme l'être le plus bas sur la
terre. »
Je lui dit que c'était là un portrait douloureux de lui-même mais que
je pensais que l'analyse pouvait sûrement l'aider. Il répondit qu'il
voulait prendre le risque de se tenir de lui-même sur ses deux pieds.
On lui dit que les heures d'analyse étaient à sa disposition pour le reste
du mois s'il désirait se raviser. Nous nous serrâmes la main.
DISCUSSION
(1) L'effet de la privation de rêves, W. DEMENT, Science, vol. 131, n° 3415, June 10, 1960.
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES RÊVES ET FANTASMES 607
BIBLIOGRAPHIE
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et V : The Interpretation of Dreams, pp. 49-50, p. 492, p. 535.
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608 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
[4] JONES (E.), The Life and Work of S. Freud, vol. III, Basic Books, Inc.
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[6] MAY (R.), Creativity and Being, Lecture delivered at Wellesley College,
Feb. 14, 1964.
Perspective psychosomatique
sur la fonction des fantasmes
par M. FAIN et P. MARTY
LA CONVERSION PRÉGÉNITALE
TOPIQUE PSYCHOSOMATIQUE
(1) ROBERT (M.), La révolution psychanalytique (la vie et l'oeuvre de Freud), 2 vol., Payot,
Paris, 1964.
624 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
Résumé d'auteur.
INFORMATIONS
INSTITUT DE PSYCHANALYSE
PROGRAMME DE L'ENSEIGNEMENT 1964-1965 (1)
(14 octobre au 30 juin)
L'enseignement de l'Institut de Psychanalyse, qui est réservé aux étudiants
de l'Institut, c'est-à-dire aux candidats admis aux cures contrôlées, comprend :
1° un enseignement clinique, théorique et technique ;
2° un enseignement de disciplines spécialisées ;
3° un enseignement complémentaire ;
4° un service de bibliographie.
I
ENSEIGNEMENT PSYCHANALYTIQUE
Cet enseignement est réservé aux étudiants de l'Institut (2).
I. — INTRODUCTION A LA PRATIQUE DES CURES
Les étudiants commenceront à fréquenter à titre d'auditeurs les séminaires
de contrôle collectif de leur choix trois mois au moins avant que d'entreprendre
eux-mêmes des analyses. La liste des contrôles collectifs sera fournie par le
secrétariat.
A) Séminaires de clinique
a) Sous la direction de S. Lebovici, avec la collaboration de R. Diatkine,
J. Favreau, E. Kestemberg :
1° Exposé d'un cas, discussions cliniques, théoriques et techniques;
2° Discussion de textes freudiens.
Le mercredi à 21 h 30. Première réunion : mercredi 14 octobre 1964.
b) Sous la direction de R. Barande :
Exposé d'un cas (au second semestre).
B) Examens de malades, suivis de discussions cliniques
Sous la direction de H. Sauguet, J. Mallet (un vendredi sur deux : H. Sau-
guet à 9 h ; un vendredi sur deux : J. Mallet à 9 h 30 ; première réunion :
vendredi 16 octobre, à 9 h).
C) Les étudiants trouveront en annexe la liste des consultations assurées
par d'autres membres de l'Institut dans les hôpitaux, dispensaires, etc., aux-
quelles ils peuvent assister, à condition d'y être autorisés par les chefs de
service.
III. ENSEIGNEMENT THÉORIQUE
II
ENSEIGNEMENT DE DISCIPLINES SPÉCIALISÉES (1)
CLINIQUE PSYCHOSOMATIQUE
Sous la direction de M. de M'Uzan, Ch. David
L'enseignement de la clinique psychosomatique aura lieu à l'Institut à
partir du mois de janvier 1965 (un lundi sur deux à 21 h 30, la date de la première
réunion sera fixée ultérieurement).
Cet enseignement comprendra :
— des exposés théoriques systématiques ;
— des illustrations cliniques.
Le texte détaillé relatif au programme de cet enseignement sera adressé
en octobre aux étudiants.
Les étudiants désireux de suivre cet enseignement pourront s'inscrire au
secrétariat à partir du mois d'octobre.
(1) Rappelons que cet enseignement est réservé aux étudiants de l'Institut.
INFORMATIONS 631
PSYCHOTHÉRAPIE
I. — PSYCHOTHÉRAPIE PSYCHANALYTIQUE DES ADOLESCENTS, DES CARACTÉRIELS
DES PRÉPSYCHOTIQUES ET VARIANTES DE LA CURE
Sous la direction de A. Berge, P. Mâle, J. Rouart(pendant le second semestre :
un vendredi sur deux à 21 h).
II. — PSYCHOTHÉRAPIE DES PSYCHOSES
Sous la direction de P.-C. Racamier, J. Kestenberg (le 3e mardi du mois :
P.-C. Racamier, J. Kestenberg ; le 3e mercredi du mois : J. Kestenberg).
Le lieu et la date de la première réunion seront indiqués après les inscrip-
tions à ce séminaire.
III. — PSYCHOTHÉRAPIE PAR LE PSYCHODRAME
Sous la direction de J. Kestenberg, avec la collaboration de R. Barande
Il est recommandé aux étudiants de s'inscrire auprès du secrétariat aux'
séminaires de leur choix.
III
ENSEIGNEMENT COMPLÉMENTAIRE
SÉMINAIRE D'ANTHROPOLOGIE PSYCHANALYTIQUE
Sous la direction de C. Stein (le jeudi à 12 h 30. Première réunion : jeudi
26 novembre 1964).
Le programme sera envoyé dès les premiers jours de novembre aux per-
sonnes qui auront bien voulu s'inscrire.
SÉMINAIRE DE SÉMANTIQUE DES CONCEPTS PSYCHANALYTIQUES
Sous la direction de A. Green. Les personnes désireuses d'assister à ce
séminaire sont priées de participer à la réunion préparatoire : lundi 23 novem-
bre 1964, à 21 h 30.
Le plan de travail y sera discuté, le séminaire ne commençant qu'au second
semestre.
Ce séminaire aurait pour but de soumettre à l'examen critique le ou les
sens de la théorie freudienne à travers ses concepts ou les étapes de sa pro-
gression.
PSYCHANALYSE ET PROBLÈMES DE LA CULTURE
Sous la direction de P. Luquet (première conférence le vendredi 6 novembre).
632 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964
PSYCHANALYSE ET CRIMINOLOGIE
Deux conférences par P. Mâle.
Il est recommandé aux étudiants de s'inscrire auprès du secrétariat aux
séminaires de leur choix.
ENTRETIENS BIBLIOGRAPHIQUES
Sous la direction de M. Bénassy (le vendredi matin de 11 h à 12 h). Thèmes
psychanalytiques généraux envisagés du point de vue bibliographique.
RECHERCHES BIBLIOGRAPHIQUES
Le Dr Bénassy sera le vendredi matin de 11 h à 12 h à l'Institut. Il sera à la
disposition des étudiants pour les aider dans leurs recherches bibliographiques
personnelles.
IV
BIBLIOTHÈQUE
Direction scientifique : Dr M. Bénassy.
Responsable de la Bibliothèque : Thérèse Der Terrossian.
RÈGLEMENT DE LA BIBLIOTHÈQUE
L'usage de la Bibliothèque est réservé aux membres et aux personnes
inscrites aux activités de l'Institut de Psychanalyse ayant régulièrement acquitté
les droits correspondant à leurs activités, et versé un cautionnement de 50 F.
Prêt à domicile. — Le prêt non limité dans sa durée ne dépassera pas deux
volumes ou périodiques. Les 15 premiers jours sont gratuits, le renouvellement
peut être effectué pour 15 autres jours, si le volume n'est pas demandé par
d'autres lecteurs, et s'il n'est pas nécessaire au travail des bibliothécaires.
— à partir de la date d'expiration du renouvellement, il sera facturé 3 F par
ouvrage et par semaine ;
— Les volumes ou revues empruntés à des fins d'analyse destinée à la Revue
française de Psychanalyse, ne sont pas soumis à ce régime.
La bibliothèque peut se charger de certains travaux bibliographiques.
Les fiches de référence seront confiées au lecteur auquel sera demandé un droit
de participation aux frais. Il devra les retourner à la Bibliothèque après utili-
sation afin de faciliter la constitution de fichiers de référence à l'usage de tous.
NOTE DE LA REDACTION
A la p. 483 du t. XXVII, Nos 4-5, 1963, de la Revue française de Psychanalyse,
la note (1) est incomplète : nous rappelons que les textes préparés pour le Congrès
d'Edimbourg par le Dr Greenacre et par le Dr Winnicott avaient également fait
l'objet d'une pré-publication dans notre Revue, t. XXV, 1961, n° 1, pp. 7-53.
COMMUNIQUÉS
Une séance de communications a été tenue le 17 avril 1964 au Département
d'Art psychopathologique de la Clinique des Maladies mentales et de l'Encé-
phale (Pr Jean DELAY), ainsi qu'une séance de création de la Société française
de Psychopathologie de l'Expression dont le bureau, nettement distinct de
celui de la Société internationale, fut ainsi constitué :
Présidents d'honneur Pr DELAY et Dr VINCHON
Président Pr DUCHÉ
Vices-présidents Drs AUBIN et FERDIÈRE
Secrétaire général Dr WlART
Trésorier Dr HENNÉ
Pour tous renseignements, s'adresser au secrétaire général : Dr WlART,
Clinique des Maladies mentales et de l'Encéphale, 1, rue Cabanis, Paris (14e).
NÉCROLOGIE
Odette Laurent-Lucas-Championnière
II
Pendant quelque temps, on a partiellement su, et partiellement
soupçonné, que la situation oedipienne aussi bien que le développement
pré-oedipien, la phase phallique aussi bien que les phases préphalliques,
et également la maturation et le développement du Moi influencent
la formation du Surmoi. Dans sa présentation classique de ce sujet,
Freud met l'accent sur les causes immédiates et décisives : la situation
oedipienne, la crainte de castration, et ces identifications-clés qui
forment le noyau du Surmoi. Ses déclarations essentielles sur le rôle
de ces facteurs sont aussi valables aujourd'hui qu'au temps où il les
formula (1). Plus tard, se sont ajoutées des connaissances plus étendues
et à certains égards, plus spécifiques, des déterminants plus précoces,
grâce à l'observation directe, et grâce à la reconstruction analytique.
Nous pensons cependant que ces connaissances additionnelles ne
contredisent en aucune façon les thèses fondamentales de Freud.
Nous considérons certains résultats des recherches ultérieures comme
bien établis, tandis que pour certains autres, demeure une interrogation.
Nous avons parlé du fait que l'on peut trouver les conditions
générales préalables, ou les déterminants psychiques précoces plus
spécifiques, de la formation d'un Surmoi, dans les relations d'objet
ou dans le développement du Moi et des pulsions instinctuelles. Dans
ce contexte, nous pourrions mentionner brièvement un autre point
(sur lequel nous nous proposons de ne pas revenir) : on pourrait se
demander si l'on peut ou non parler de traits héréditaires du Surmoi
— comme nous le faisons dans les cas du Moi et du Ça. Les biologistes
savent que les caractéristiques héréditaires peuvent faire leur apparition
non pas à la naissance mais souvent bien plus tard. Il est en outre
exact que la maturation peut se poursuivre indépendamment de
l'influence de la fonction propre (Weiss, 1949). Mais nous désirons dire
que, à notre avis, les connaissances actuelles ne fournissent aucune
raison valable de parler d'hérédité dans le cas du Surmoi. Ce que
l'on pourrait être tenté d'expliquer comme dû à l'hérédité, peut aussi
être ramené à la tradition, aux processus d'identification et aux carac-
téristiques héritées du Moi et des pulsions. A propos du premier
groupe de ces phénomènes, certains auteurs parlent d' « hérédité
sociale » mais ce concept peut aisément être mal interprété. Nous
pensons en outre qu'il est judicieux de ne pas employer le terme de
(1) Pour l'aspect historique, voir aussi les notes de J. STRACHEY, Le Moi et le Ça (1923).
NOTES SUR LE SURMOI 643
garçon et que sa formation s'étend sur une plus longue période, mais
aussi que chez la fille l'Idéal du Moi tend à s'établir plus tôt, c'est-à-dire
à un moment où l'intégration et l'objectivation, ainsi que leur fonction-
nement autonome, sont moins développés, comparativement parlant
(discussion de Hartmann sur la communication de Greenacre, 1948).
Le rôle que jouent les identifications dans la structure du Surmoi
constitue une partie essentielle des conceptions cliniques et théoriques
de Freud ; les psychanalystes l'acceptent généralement. Plus incer-
taines sont nos connaissances sur l'extension et la façon dont les
identifications plus précoces du Moi déterminent la formation du
Surmoi. A. Reich (1954) a étudié ce problème dans un article judicieux
et ses idées sont à beaucoup d'égards proches de notre propre façon
de penser. Plus récemment, Beres (1958), Spitz (1958), Sandler (1960)
et Ritvo et Solnit (1960) ont abordé divers aspects de ce problème — les
derniers auteurs cités, en utilisant des observations d'une étude longi-
tudinale. Chacune de ces études contient certaines découvertes et idées
que nous estimons importantes. Mais nous ne pouvons faire plus dans
cet article que d'étudier quelques aspects sélectionnés des problèmes
intrigants du Surmoi dans lesquels semblent converger de si nombreuses
questions de théorie et de formation de concept.
III
Avant de poursuivre cette discussion, il nous semble que nous
devrions dire au moins quelques mots sur certains termes analytiques
communément employés dans ce contexte : internalisation, identi-
fication, incorporation et introjection. Tandis que tous ces concepts
sont quelquefois employés de manière interchangeable dans notre
littérature, certains des auteurs cités plus haut en ont suggéré un
emploi différencié. Nous devrions parler à'internalisation lorsque des
régulations internes remplacent des régulations qui ont eu lieu en
interaction avec le monde extérieur (Hartmann, 1939). Un exemple
de ce dont nous parlons se trouve dans le développement au cours
duquel les activités d'essai dans le monde extérieur sont graduellement
remplacées par des processus de pensée. Dans ce cas comme dans la
plupart des cas de cette sorte, on voit facilement la différence entre
ce processus et, disons, l'identification. Mais nous admettons qu'il
y a aussi des exemples pour lesquels il est moins aisé de faire le partage.
Les analystes ne donnent pas tous exactement la même signifi-
cation au terme identification ; et nous avons déjà constaté qu'il y
a certainement différentes sortes d'identification. On discute diverses
646 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
Nous employons ce concept (Hartmann, 1939) dans un sens plus large que ne le fait
(1)
FREUD dans son Esquisse (1938).
648 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
les malentendus, il nous faut ajouter que même au niveau d'une plus
grande indépendance des identifications plus primitives peuvent être
utilisées ; certaines survivent des premiers jours. Nous ne devrions pas
non plus oublier : qu'après que le passage du complexe d'OEdipe a
conduit aux identifications qui représentent le noyau du Surmoi,
l'enfant développe encore de nouvelles identifications aux parents.
Celles-ci cependant sont de natures différentes et le plus souvent,
quoique pas exclusivement, affectent le Moi sans influencer le Sur-
moi (Freud, 1932).
Les premières identifications du Moi diffèrent, sous un autre aspect
encore, de celles plus tardives qui feront partie du Surmoi. Freud (1923)
dit que l'identification aboutit à la désexualisation. Ceci est probable-
ment vrai des deux formes d'identification examinées ici. En outre,
Freud a introduit une seconde hypothèse économique au sujet de
l'identification. Il suppose que, dans ce processus, de l'agressivité
est libérée. Nous n'avons pas l'intention de discuter ici si Freud
considérait cette assertion comme toujours valable ; nous pensons
plutôt qu'il n'avait pas l'intention d'y inclure les identifications qu'il
a décrites comme précédant les relations d'objet. Nous pouvons dire
— et ceci est le point relatif à notre présente discussion — que nous
sommes enclins à considérer l'hypothèse de Freud comme valable dans
la mesure où elle concerne la formation du Surmoi. Nous ne sommes
pas également convaincus de sa validité dans le cas de l'identification
précoce dont nous venons de parler, ou dans le cas des identifications
du Moi un peu plus tardives mais faisant encore partie du pré-Surmoi.
Notre impression est que cette libération d'agressivité est nettement
moins évidente dans ces cas que dans le cas de la formation du Sur-
moi (1). Les deux commentaires que nous venons de faire sont destinés
à faciliter une meilleure compréhension de la position particulière
que nous attribuons aux identifications qui constituent une partie
du Surmoi.
V
Si nous nous tournons maintenant vers les déterminants venant
des pulsions, il nous faudra limiter sévèrement la présentation de ce
vaste sujet. Nous avons déjà mentionné auparavant que du côté des
pulsions, la phase phallique aussi bien que les phases libidinales précé-
dentes, orale et anale, influencent les caractères généraux et individuels
nous trouvons une grande stabilité dans les différentes étapes succes-
sives de la théorie. Mais cependant, il décrit certaines activités à un
moment comme des fonctions du Moi, et à d'autres comme des fonctions
du Surmoi.
Nous supposons généralement connues par les psychanalystes
les principales tendances de l'histoire de la pensée de Freud sur ce
sujet ; aussi restreindrons-nous par conséquent notre exposé à quelques
questions. Freud avait d'abord attribué l'épreuve de la réalité au
Surmoi, comme une de ses fonctions. Plus tard, dans Le Moi et le
Ça (1923), il dit que c'est « un point qui nécessite une correction »,
et il ajoute : « Que cette fonction appartienne non au Surmoi mais au
Moi, rien ne paraît plus compatible avec les rapports existant entre
celui-ci et le monde des perceptions » (p. 28). Ceci ne signifie naturel-
lement pas que le Surmoi ne puisse pas influencer l'épreuve de la
réalité. Nous mentionnons ce point uniquement parce que dans cette
question-ci, on n'a pas toujours fait clairement la distinction entre
« être une fonction de » et « être accessible à l'influence de ». Freud
lui-même a donné un exemple convaincant (1936) du cas où le Surmoi
interfère avec l'épreuve de la réalité. Le fait que Freud ait changé
d'idée, et après avoir attribué l'épreuve de la réalité au Surmoi, l'ait
attribuée ensuite au Moi, appartient au chapitre que nous mentionnions
brièvement au début, à savoir ces changements dans la conception
du Surmoi, qui sont le résultat direct du développement de la psycho-
logie du Moi.
Mais c'est pour une autre raison que nous avons mentionné le
passage de l'article de Freud, dans Le Moi et le Ça. Nous trouvons
qu'on peut avancer un argument similaire à la suggestion faite il y a
quelque temps par l'un de nous (Hartmann, 1950 ; voir aussi Jacob-
son, 1954) d'assigner au Moi encore une autre des fonctions que Freud
avait primitivement attribuées au Surmoi. Nous voulons parler de la
perception interne, de la perception de ses propres processus mentaux.
Nous pouvons rappeler le fait que Freud lui-même a parfois parlé
— et de façon convaincante, pensons-nous — de la perception interne
comme d'une fonction du Moi. D'autre part, il est vrai aussi que
même dans un travail aussi tardif que les Nouvelles Leçons d'introduc-
tion (1932), il considérait l'observation de soi comme une des fonctions
principales du Surmoi.
A nouveau, comme nous l'avons dit dans le cas de l'épreuve de la
réalité, le fait que nous attribuons la perception interne au Moi n'im-
plique certainement pas qu'elle ne puisse être influencée par les fonc-
NOTES SUR LE SURMOI 655
(1) En allemand dans le texte. La traduction française est « celui qui se méprise lui-même,
s'estime néanmoins lui-même de cette manière, en tant que contempteur ».
NOTES SUR LE SURMOI 657
Nous avons déjà mentionné qu'il y a des différences dans les déter-
minants des divers aspects du Surmoi. A propos de l'Idéal du Moi,
nous avons déjà dit ailleurs que la pensée magique fait partie de ses
précurseurs et que l'idéalisation de la force ou du pouvoir précède celle
de la conduite morale (Hartmann, Kris et Loewenstein, 1946). A la
suite de ses confrontations avec la réalité, l'enfant est obligé d'aban-
donner une partie considérable de son « omnipotence » primitive, de
sa satisfaction hallucinatoire du désir et de sa pensée magique. Il
projette alors beaucoup de ceci sur les objets parentaux, ce qui explique
leur idéalisation. Pour modérer la perte narcissique consécutive à
ce processus, l'enfant s'identifie alors aux parents idéalisés. Mais nous
ne voulons naturellement pas nier par là que certaines parties de l'idéa-
lisation primitive survivent. De toute façon, il est bien connu que les
blessures et frustrations narcissiques peuvent contribuer à un inves-
tissement compensateur des précurseurs de l'Idéal du Moi. Envisagé
sous cet angle, on peut considérer l'établissement de l'Idéal du Moi
comme une opération de sauvetage pour le narcissisme. Ceci est impor-
tant au point de vue du développement et reste aussi significatifpour le
rôle que joue l'aspect de l'Idéal du Moi une fois que le Surmoi s'est
développé en tant que système. On peut relever un autre point dans ce
contexte, quoiqu'on connaisse très peu de choses à son sujet jusqu'ici,
à savoir la représentation habituelle ou particulière des diverses loca-
lisations du narcissisme dans l'image de soi.
L'idéalisation de soi et celle des parents jouent toutes deux un rôle
dans le développement de l'Idéal du Moi. Ces deux processus s'intè-
grent graduellement (voir aussi A. Reich, 1954) mais certainement
jamais complètement. Le degré auquel l'Idéal du Moi est déterminé
davantage par l'idéalisation de soi primitive ou davantage par l'idéa-
lisation de l'objet devient ensuite plus important pour le développement
normal ou pathologique. La persistance des formes primitives de sur-
évaluation de soi ou des parents peut faire obstacle à la formation de
types ultérieurs d'idéalisation et peut ainsi contribuer aux développe-
ments pathologiques futurs. Le désappointement ressenti par l'enfant
à l'égard de ses parents est un autre facteur typique important pour son
développement. Il peut conduire à une indépendance croissante de
l'enfant. Mais si ce désappointement intervient à un mauvais moment
ou sous une mauvaise forme, l'enfant se voit privé d'un support impor-
tant dans les conflits avec ses pulsions instinctuelles. Dans certains
cas, la suppression de l'idéalisation des parents peut aussi gêner, au
lieu de renforcer le développement chez l'enfant de l'estime de soi et
NOTES SUR LE SURMOI 659
de l'Idéal du Moi. Plus tard, la perte des idéaux, qu'elle soit due aux
objets ou à des facteurs de nature plus impersonnelle, peut conduire
à ce qu'on appelle habituellement du cynisme — derrière lequel cepen-
dant, peut se cacher un autre groupe d'idéaux (souvent, par exemple,
des valeurs de véracité). Il est bien possible que quelque chose de
semblable puisse déjà se produire dans l'enfance, quoique sans doute
pas dans les premières années.
Les précurseurs de l'Idéal du Moi se transforment durant et après
la phase oedipienne et par conséquent se confondent avec d'autres
aspects du Surmoi en train de se développer ; ils mènent alors à l'Idéal
du Moi au sens strict, c'est-à-dire en tant que fonction du Surmoi.
Les contenus de l'Idéal du Moi et des interdictions morales sont mis en
contact étroit. Les buts idéaux et la direction de ceux-ci sont graduelle-
ment intégrés et, sous l'influence du Moi, assument la position centrale
de ce qu'on a appelé le « système moral » de quelqu'un. Une fois cette
intégration réalisée, agir selon un groupe donné de normes en vient à
représenter non seulement une réduction des sentiments de culpabilité,
mais aussi une gratification narcissique. « Si le Moi a résisté avec
...
succès à la tentation de faire quelque chose qui serait inacceptable pour
le Surmoi, il sent croître le respect de soi et augmenter sa fierté »
(Freud, 1938, p. 122). Avec E. Jacobson (1954) nous pouvons ajouter
à cela que le degré d'estime de soi reflète l'harmonie ou la contradiction
entre la représentation de soi (tel qu'on se croit) et l'image de ce qu'on
voudrait être. Mais nous montrerons plus loin que chez l'adulte, ce
désir, cette image vers laquelle on aspire ne représente pas totalement
cette fonction de l'Idéal du Moi, qui consiste à établir des buts idéaux.
On devrait certainement étudier plus en détails qu'on ne l'a fait jusqu'à
présent la « fierté », en particulier dans sa relation avec l'Idéal du Moi.
Il serait également intéressant de comprendre pourquoi les évaluations
morales de la fierté varient tellement selon les divers systèmes de valeurs.
Nous pouvons dire que dans le cas que Freud avait à l'esprit, la frustra-
tion gêne moins le narcissisme parce que le sujet a trouvé une voie
détournée pour obtenir sa gratification. Ce cas fait partie du chapitre
vaste et important des nouvelles possibilités de plaisir qu'apporte
le développement structural (voir aussi Hartmann, 1956). La fierté
ne reste pas nécessairement liée, comme une sorte de récompense, aux
cas spécifiques de résistance à la tentation. Elle peut devenir un aspect
durable d'une personnalité, significatif du point de vue de la caracté-
rologie. En outre, la fierté n'est pas nettement limitée à la fierté morale.
Mais nous devons résister à la tentation de poursuivre ce sujet.
600 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) En citant Freud, nous suivons naturellement sa terminologie ; nous avons montré
ailleurs (Hartmann, 1950) pourquoi et dans quel cas on devrait parler de « soi », de « représen-
tation de soi », d' « image de soi », plutôt que de « Moi » (voir aussi Loewenstein, 1940).
NOTES SUR LE SURMOI 663
sommes peu disposés à insister sur ce qui sépare l'Idéal du Moi des
autres parties du Surmoi et c'est en partie sur cette question, de sépa-
ration que repose l'opposition structurelle entre culpabilité et honte.
Ainsi que nous l'avons déjà dit, nous voulons, sans négliger les diffé-
rences fonctionnelles, voir plus clairement ce qui, du point de vue du
contenu et économique, relie les « exigences idéales ». aux interdits
moraux.
Le fait qu'une « tension entre le Surmoi et le Moi » se résoud par
la soumission du second aux exigences du premier ne constitue pas en
soi un phénomène qu'il faut classer comme « masochisme », ainsi qu'on
l'a parfois suggéré (Loewenstein, 1938, 1940). L'objection de Freud
à ce qu'il appelait une « sexualisation » du concept de régression, vaut
également en ce qui concerne les relations du Surmoi. Leurs relations
normales ne doivent pas être considérées comme de nature sexuelle.
Avec Freud, nous devons cependant classer le besoin de se faire punir
comme masochiste. Il y a alors une sexualisation régressive de la mora-
lité, qui est une caractéristique essentielle du masochisme moral. II
n'est pas toujours aisé de trancher la question qui se pose souvent,
à savoir : faut-il attribuer la soumission au Surmoi, à sa force ou au
« masochisme du Moi » ? Nous nous référons à Freud (1924) et à un
article de Jeanne Lampl de Groot (1937).
Le Moi accepte et intègre souvent sans opposition les exigences du
Surmoi. Les exigences du Surmoi tout comme les exigences instinc-
tuelles peuvent être ou non en accord avec le Moi. Il y a aussi des cas
dans lesquels certaines des directions ou interdictions du Surmoi
peuvent agir parallèlement aux tendances du Moi. L'exigence de fran-
chise et l'interdiction du mensonge sont largement répandues dans de
nombreuses civilisations ; elles peuvent bien soutenir le Moi dans ses
essais vers une acceptation objective de la réalité. Mais l'acceptation
volontaire des exigences du Surmoi peut souvent aussi provenir de la
fonction d'organisation et de synthèse du Moi qui est responsable de
la coordination des « systèmes » psychiques. Dans beaucoup de cas, le
résultat est manifestement une formation de compromis. Il y a enfin
les situations où le Moi se rebelle contre les pressions du Surmoi. La
frustration a généralement comme résultat une rébellion généralisée
contre les exigences du Surmoi, et les exigences instmctuelles d'intérêt
personnel l'emportent sur la morale. Le Moi se défend par des activités
telles que la répression, la dénégation, l'isolement, la rationalisation, etc.
Il emploie dans le même but beaucoup d'autres méthodes qu'il n'est
pas toujours aisé de décrire. Il peut arriver qu'un but du Moi emprunte,
NOTES SUR LE SURMOI 665
(1) La phrase bien connue de Goethe, que les génies, à l'inverse des autres personnes, ont
des pubertés répétées, peut être intéressante à ce sujet.
674 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964-
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London, Hogarth Press, 1950.
NOTES SUR LE SURMOI 677
par la fécondité de l'esprit de découverte, qui amène au jour les intuitions les
plus remarquables sur la neurasthénie, la névrose d'angoisse, l'hystérie, les
obsessions, la mélancolie ou la paranoïa, en fait, il n'y a pas encore dans la
pensée de Freud de champ psychanalytique propre mais seulement des entités
qui se définissent et prennent leur cohérence par la découverte de leurs liens
réciproques les plus profonds. En outre, le champ psychanalytique n'est nul-
lement limité aux phénomènes pathologiques comme en témoignent L'inter-
prétation des rêves, La psychopathologie de la vie quotidienne et Le mot d'esprit
dans ses relations avec l'inconscient, ouvrages écrits entre 1899 et 1905.
Le champ psychanalytique s'est progressivement dégagé des études
cliniques, d'abord par les Études sur l'hystérie (1893-1895), mais surtout
avec l'Analyse de Dora en 1901, qui coïncide avec la découverte du
transfert. Le transfert fonde l'expérience psychanalytique, son objet, son
champ.
Freud n'a jamais écrit explicitement sur les indications de la cure
psychanalytique mais on peut déduire ce qu'il en a pensé à travers
certains écrits. Dans son article de la fin de son oeuvre, Analyse terminée,
analyse interminable (1937), ou mieux, finie et infinie, Freud fait inter-
venir dans l'appréciation de l'issue de l'analyse la force des pulsions
et la modification du Moi, ou encore la part de la constitution et des
événements (traumatismes). A ce stade de la réflexion de Freud,
cela suppose le problème résolu. Il s'agit des difficultés inhérentes aux
patients qui sont déjà à l'intérieur du champ psychanalytique, non de
la duscrimination entre ceux qui doivent y entrer et ceux qui restent
en deçà ou au-delà de l'approche analytique. Dans quelques passages,
il est pourtant signalé :
« 1° Que dans les états de crise aiguë, l'analyse est à peu près inutilisable,
parce que tout l'intérêt du Moi se porte alors sur la douloureuse réalité, échap-
pant à l'analyse qui fouille derrière cette façade pour découvrir les influences
anciennes. »
Le passage qui suit cette citation fait une place très importante aux méca-
nismes de défense qui sont la préoccupation sans cesse croissante de la partie
terminale de l'oeuvre freudienne dans ses aspects cliniques. Dès Inhibition,
symptôme, angoisse (1926), cette question est largement posée et même dès
Le Moi et le Ça (1923). Ces variables qui influent sur le résultat de la cure se
manifestent non seulement dans la constitution du Moi, mais dans les modalités
transférentielles : analyse du transfert, et analyse du Moi, se rapprochant
singulièrement (§ VI) (1).
Lorsque Freud classera les résistances on sera tenté de confondre certaines
typologiestransférentielles avec certaines typologies névrotiques. Par exemple les
notions de viscosité libidinale (résistance au changement), mobilité libidinale
(variabilité des investissements), disparition de la plasticité (difficulté à évoluer)
feront penser pour le deuxième et le troisième de ces aspects aux structures
hystéro-phobiques et obsessionnelles. En fait, l'analyse aboutit chez Freud
dans cet article à l'opposition Érôs-Thanatos et à l'irréductibilité du complexe
de castration. Enfin, dernier élément non négligeable de cette appréciation
du champ psychanalytique c'est le rôle intense joué par le contre-transfert,
témoin du désir de l'analyste (§ V).
Ce rappel d'Analyse terminée et analyse interminable (finie et infinie) était
nécessaire pour fixer les limites du champ.
1. Le champ psychanalytique exclut donc :
— les états de crise : les névroses traumatiques et les névroses actuelles ;
— les psychoses : maniaco-dépressives (par ce qui précède), paranoïa,
schizophrénie.
Ceci s'accorde avec notre proposition selon laquelle c'est le transfert
qui fonde l'expérience psychanalytique. Freud a toujours insisté sur
l'absence de transfert dans les névroses narcissiques. Les correctifs
modernes laissent la question ouverte. Il n'est pas du tout assuré, quoi
qu'on en dise, que la relation avec le psychotique soit celle du transfert.
Le problème de la perversion doit être également envisagé à part pour
deux raisons :
a) L'indication d'analyse est rarement posée sur la structure perverse
comme telle. Le pervers authentique ne vient pas jusqu'à l'analyste, c'est là
un fait connu. Ce sont les avatars du désir pervers, un « indice de névrotisation »,
qui le conduisent jusqu'à l'analyste (2).
b ) Les découvertes sur les perversions concernent moinsle désir pervers que
l'hypothèse de la perversité polymorphe de l'enfant dans le cadre de l'évolution
libidinale ou les modifications du Moi chez le pervers, telle la Spaltung (clivage)
décrite par Freud dans son article terminal Die Ichspaltung im der Abwehr
vorgang (1938).
Exception faite des relations de la perversion avec la pulsion de mort
(masochisme) et la bisexualité normale (homosexualité) qui ont des prolonge-
ments avec la normalité et la jiévrose.
(1) Puisque Freud souligne le caractère relatif de la distinction entre le Moi et le Ça.
(2) L'on peut en voir une des nombreuses preuves dans la réponse adressée par Freud à
la mère d'un homosexuel qui lui demandait de prendre en traitement son fils, rapportée par
JONES dans le tome III de son ouvrage sur La vie et l'oeuvre de Freud.
682 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) S.E., III, 49. Les autres articles de Freud de cette époque consacrés à l'hystérie ne
fout que répéter l'essentiel des découvertes des Studien. Cf. notamment: Les mécanismes
psychiquesdesphénomèneshystériques (S. E., III, 25) et L'étiologie de l'hystérie (S. E., III, 191).
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 685
tout dans les Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense (1896).
Son caractère essentiel tient à ce que la capacité de conversion n'opère
pas ici. Le sujet se trouve devant une impossibilité de liquidation et
de mutation de l'idée pénible qui va se manifester sous la forme déguisée
de reproches (où l'on perçoit déjà le rôle que Freud fera jouer plus
tard au Surmoi). En outre, Freud va, dès cet instant, remarquer la
tendance à la multiplication des défenses et la création de nouveaux
symptômes dans un sens évolutif.
Mais le trait dominant pour caractériser la névrose obsessionnelle
est la distinction entre l'idée et l'état émotif. Tandis que l'idée sera soumise
au changement, l'état émotif restera le même. Cet état émotif, dit
Freud, est justifié par sa relation au trauma. Ce à quoi l'on assiste dans
la névrose obsessionnelle, c'est à sa perpétuation, seule la modification
de l'idée étant intervenue. La conjonction de l'idée non déguisée et
de l'état émotif permet de reconstituer le trauma sexuel primitif.
Cependant un second caractère apparaît comme propre à la névrose
obsessionnelle, c'est celui d'un déroulement temporel caractéristiquepoly-
phasique qui fera de celle-ci la plus typique des névroses de défense.
Dans le premier temps surgissent des expériences traumatiques, passives
d'abord, actives ensuite, celles-ci étant les plus importantes, où Freud relève
déjà la teinture perverse du trauma. Ailleurs il dira que cet acte sexuel a
souvent un caractère agressif.
Dans un deuxième temps, après une décomposition de l'expérience et son
oubli, une circonstance à distance du trauma provoque la réactivation de
l'expérience traumatique initiale et réveille la réprobation qui l'accompagne
avec établissement d'une défense réussie sous la forme d'un symptôme primaire
de défense qui s'exprimera sous la forme de compromis d'une scrupulosité
excessive ou d'une tendance au remords comme trait de caractère général.
La création de cette forme de compromis est nécessaire au maintien de la santé,
moyennant ces premiers types de symptômes qui, à vrai dire, n'en sont pas
encore tout à fait. Dans un troisième temps, on assistera au retour du refoulé.
C'est la vraie obsession ; ici la défense va oeuvrer à plein dans son action de
séparation de l'idée et de l'état émotif avec substitution d'une idée par une autre.
Nous assistons ici à un double déplacement, où le présent remplace le passé et le
non sexuel remplace le sexuel avec maintien de l'état émotif de réprobation, celui
du déplaisir. Dans les Lettres à Fliess, Freud dira : « L'obsession résulte d'un
compromis exact au point de vue de l'affect et de la catégorie mais déformé par
son déplacement chronologique et par le choix analytique du substitut. » Deux
types d'obsessions seront essentiellement refoulés. Celles qui portent sur le
contenu de l'action refoulée et celles qui paraissent sous la forme du reproche.
Enfin, dans un quatrième et dernier temps, on voit paraître la création de mesures
protectrices. Ce sont des défenses secondaires qui seront ultérieurement connues
sous le nom de compulsions, rituels, vérifications, qui auront triomphé de
l'idée obsédante, mais seront devenus obsédants eux-mêmes.
La notion de contiguïté est manifestement ici en cause, celle de conta-
REV. FR. PSYCHANAL. 44
686 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
mination par contact de même que dans l'hystérie on peut dire que l'on
a vu la naissance d'une formation créée par similitude, c'est le « comme
si » du symptôme corporel dont l'établissement est concomitant de la
rupture des liens de signification par passage à un autre registre.
3) La phobie. — Sa définition émane de l'article de Freud de 1895.
L'affect, dit Freud, est toujours l'angoisse, l'idée est toujours le souvenir
d'une attaque d'angoisse, l'origine en est traumatique et sexuelle. Et
Freud de conclure : la phobie est la manifestation psychique de la névrose
d'angoisse. On peut donc dire que la phobie va représenter le chemin
récurrent du représentantde la pulsion pour retrouver la voie du domaine
psychique. Elle est différente de l'hystérie en ce qu'elle n'est pas liqui-
dée par la décharge énergétique — il y a dans la phobie un refus d'en
finir pour ainsi dire — et différente de l'obsession en ce qu'elle n'est
pas perpétuée par le reproche, ce qui est comme un refus de perdurer.
Ceci explique cette caractéristique essentielle qui a été oubliée par la
plupart des auteurs depuis Freud, de la limite mouvante de la phobie.
Il y a dans la phobie création d'une zone opaque, mais aussi création
d'un type de signifiant particulier, une « représentation limite », dira
Freud dans une lettre à Fliess, dont on conçoit qu'elle peut se modifier,
voire, si la régression s'accentue, changer de nature (obsessionnalisation).
A la racine de l'hystérie nous assistons à une subjugation du Moi, qui
subit passivement le trauma sexuel ou les effets de sa résurgence, cet
effroi crée une lacune dans le psychisme qui n'existe pas dans l'obsession
où l'on a vu qu'émergeaient des angoisses et des reproches conscients,
soulignant l'absence de solution de continuité entre le trauma et ses
effets. Ce qui oppose les trous de la mémoire de l'hystérique à la prodi-
gieuse conservation 'des souvenirs de l'obsessionnel. Cette représentation
limite opère un déplacement sur une représentation connexe (c'est le
cheval d'angoisse du petit Hans) qui fixe à la phobie sa situation inter-
médiaire. Néanmoins, si une certaine mobilité lui est permise, elle ne
connaît pas les astuces et les acrobaties du déplacement obsessionnel.
B) LE DEUXIÈME GROUPE DE TRAVAUX, de Dora à la deuxième topique.
Dans cette deuxième étape de la pensée freudienne, il est nécessaire
de distinguer quelques jalons intermédiaires.
Dora et L'homme aux rats
1.
a) Dora (1901). — Freud n'est pas pour l'hystérie dans la même
position que pour la névrose obsessionnelle. Il a en effet derrière lui
l'importante expérience des Studien. La rencontre avec Dora est
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 687
(1) Cinq Psychanalyses, trad. Marie BONAPARTE et R. LOEWENSTEIN, p. 89, Presses Uni-
versitaires de France, 1954.
(2) Freud découvre aussi ici une organisation lacunaire, mais différente de celle de l'hysté-
rique. Le sujet intercale un intervalle entre la situation pathogène et l'obsession, mais il le
comble en quelque sorte par généralisation.
688 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
3. La Métapsychologie (1915-1917)
Elle est le dernier jalon avant la modification profonde de la deuxième
topique freudienne, et comme telle, nous offre la possibilité d'un examen
récapitulatifdes positions freudiennes sur les distinctions cliniques struc-
turales présentes dans la phobie, l'hystérie conversion et la névrose
obsessionnelle. C'est à propos de la comparaison sur le destin de la
(1) S.E.,
IX, 209.
(2) IX, 115.
S.E.,
(3) S.E.,
IX, 167.
(4) S.E.,
XII, 311. Nous ne mentionnons pas Totem et Tabou (1913) où la névrose
obsessionnelle est grandement approfondie mais à partir d'un point de départ plus anthro-
pologique que clinique.
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 691
charge affective que Freud est amené à préciser ces distinctions (1).
Dans la phobie : on constate une substitution d'une représentation
par une autre et un échec de l'épargne en déplaisir (angoisse).
Dans l'hystérie de conversion, le représentant de la pulsion échappe
à la conscience en s'orientant vers le corps, et par condensation donne
lieu à une formation substitutive, mais à la différence de la phobie,
l'épargne en déplaisir arrive à un résultat efficace (la belle indifférence des
hystériques). Cependant ce résultat n'est pas entièrement satisfaisant et le
sujet est parfois obligé, soit de créer de nouveaux symptômes de conver-
sion, soit de constituer d'autres types de symptômes comme les phobies.
Dans la névrose obsessionnelle la régression domine, le sadisme
est au premier plan. D'une part représentants de la pulsion et affects
disparaissent sous l'effet de la formation réactionnelle, d'autre part on
assiste à la constitution de ce symptôme primaire de défense que nous
avons déjà mentionné plus haut. L'épargne en déplaisir échoue ici
totalement puisque l'affect reparaît et le représentant de la pulsion
n'est que déplacé.
(1) Sentiments médiatisés par des représentants bien entendu, mais l'accent, depuis la
deuxième théorie des pulsions, est mis sur la lutte des pulsions dans l'antagonisme de leur
action unificatrice ou séparatrice.
(2) S.E., XX, 105.
694 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Cf. La relation d'objet, Revue fr. Psych., XXIV, 723.L'oeuvre de M. BOUVET, Rev. fr. de
Psych., t. XXIV, 1960, p. 687.
(2) Au sens littéral.
698 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Cf. entre autres les conceptions de FAIRBAIRN, celles de GUNTRIP et J. O. WISDOM (cf. en
particulier le récent travail de celui-ci « A methodologicalapproach to the problem of hysteria »,
Int J. of Psychological, XLII, 1961, 224), en Grande-Bretagne. Aux États-Unis le lien avec le
kleinisme est plus lâche, mais son influence est sensible chez certains auteurs comme E. JACOB-
SON, BYCHOWSKI, PETO par exemple. En France, il est difficile de ne pas déceler une semblable
influence, malgré les protestations d'antikleinisme chez les auteurs aussi divers que BOUVET,
MARTY, FAIN, LUQUET, LEBOVICI et DIATKINE, J. KESTEMBERG, KACAMIER. Le « kleinisme »
de ces auteurs n'est pas l'unique référence, et il est le plus souvent fondu avec d'autres
influences dans l'alliage définitif, mais sa présence donne à l'ensemble une teinte très parti-
culière. Bien entendu, cette constatation n'implique de notre part aucun jugement de valeur,
mais signale les inconvénients de tout éclectisme même lorsque celui-ci est pratiqué au nom
d'une plus grande fidélité à la clinique.
700 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Dans la Psychanalyse des enfants, trad. J.-B. BOULANGER, Presses Universitaires de
France, 1959.
(2) LEBOVICI et DIATKTNE, d'une part (Les obsessions chez l'enfant Rev. fr. de Psych.,
1957, 21, p. 647), MALE, d'autre part, ont chacun insisté sur la fâcheuse signification pronos-
tique d'une structuration précoce de la névrose infantile, en insistant sur l'évolution possible
de ces états vers des formes de névroses graves de caractère chez l'adulte, dont les parentés
avec les structures psychotiques sont admises par la majorité des auteurs.
(3) Contribution à l'étude des phobies, Revue fr. de Psych., 1956, XX, 237.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 701
(1) GRUNBERGER (B.), Conflit oral et hystérie, Revue fr. de Psych., XVII, 1952, 250.
(2) Régression, perversion, névrose, Revue fr. de Psych., XXVI, 1962, 165.
(1) La relation entre régression topique et régression dynamique ne s'apprécie pas en termes
d'une moindre gravité de la première par rapport à la seconde. La régression topique en clinique
sert essentiellement une problématiquequi est celle de la génitalité pouvant prendre des aspects
plus dramatiques (et même à l'occasion plus gênants) que la régression dynamique qui se carac-
térise par la substitution d'une autre problématique à la problématique génitale. La confusion
naît ici d'une équivalence forcée entre investissement agressif et investissement destructif.
(2) Ces problèmes de diagnostic infléchissent bien des travaux de clinique psychanalytique.
Récemment M. FAIN, dans son article sur la Contribution à l'étude des variations de la sympto-
matologie, s'étendait longuement sur deux cas présentant, l'un une structure obsessionnelle, et
l'autre une structurehystérique. Or, comme cela apparut au cours de la discussion de ce travail,
le patient présentant une structure hystérique était, selon certains, un cas limite, les formations
hypocondriaques prévalant sur celles rattachables à l'hystérie.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 703
(1) Cf. les travaux de C. MULLER, RÜDIN, INGRAM, I. ROSEN, STENGEL, POLLITT.
704 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Cf. LECLAIRE (S.), La mort dans la vie de l'obsédé, La psychanalyse, vol. II, 1956, III.
L'obsessionnelet son désir, Evol. psychiat., 1959, fasc. II.
(2) PERRTER (F.), Phobies et hystérie d'angoisse, La psychanalyse, vol. II, 1956, 165.
(3) ROSOLATO (G.), L'hystérie, structures cliniques, Evol. psychiat., 1962, XXVII, 225.
(4) Le récent travail de Leclaire ne nous paraît pas combler tout à fait cette lacune. En insis-
tant comme il le fait sur la différence entre la satisfaction obtenue et la satisfaction recherchée,
il limite les effets du point de vue économique à la fixationlibidinale. S'il joue indiscutablement
en ces cas, ce ne sont peut-être pas ceux qui posent les problèmes théoriques et techniques les
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 707
plus pressants. C'est au contraire lorsqu'on a affaire à des organisations peu ou mal structurées,
où les modes de décharge sont ou complètement coupés, ou sujets à d'inquiétantes transforma-
tions, que nous avons à faire une évaluation permanente des dangers de toute modification
d'équilibre.
708 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
4. Les perversions
Nous en sommes, dans ce domaine, réduits au caractère partiel
des observations sur la perversion pour les raisons que nous avons
indiquées plus haut. Nous rappellerons une fois de plus que ce qui a
été essentiellement décrit sur les perversions répond précisément aux
altérations du Moi dont Freud parle dans divers articles et qu'il a
précisées dans la partie terminale de son oeuvre dans son article sur
Le clivage du Moi dans le processus défensif.
(1) Cf. A. GREEN, Sur la mère phallique, à paraître in Revue fr. de Psychanalyse et Fonction
du rêve dans l'Orestie, Les temps modernes, avril 1964, n° 215.
(2) Préliminaires critiques à la recherche psychosomatique, Revue fr. de Psychanalyse,
1960, XXIV, 19.
(3) La conversion psychosomatique généralisée, communication personnelle.
(4) MARTY (P.), de'MUZAN (M.), DAVID (C), L'investigation psychosomatique, Presses Uni-
versitaires de France, 1 vol., 264 p., 1963.
710 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) NACHT (S.), DIATKINE (R.), FAVREAU (J.), Le Moi dans la relation perverse, Revue fr. de
Psychan., 1956, XX, 457.
(2) F. PASCHE, Régression, perversion, névrose, Revue fr. de Psychanalyse, 1962, XXVI, 161.
(3) Cf. Les travaux d'E. KESTEMBERG, Problèmes diagnostiques et cliniques posés par les
névroses de caractère, Rev. fr. de Psychanalyse, 1952, XVII, 496, et l'article de H. SAUGUET
dans Encyclopédie médico-chirurgicale, Psychiatrie, vol. II.
(4) DIATKINE (R.) et FAVREAU (J.); Le caractère névrotique, Rev. fr. de Psychanalyse, 1956,
XX, 151.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 711
(1) Comme l'a précédemment relevé Lefebvre-Pontalis, la forme (gestalt) sert d'écran à
la structure. Or c'est là la caractéristique de la plupart des systèmes théoriques postérieurs
à Freud, exception faite, à certaines réserves près, du système de Melanie Klein. Cela est
notablement vrai pour le système d'Abraham, porte d'entrée de bien des déviations appau-
vrissantes du freudisme.
(2) Cf. le travail inédit de J. LAPLANCHE sur la réalité.
(3) Ce n'est pas que le désir en soit exclu ; disons seulement que le manque nécessaire au
sujet pour qu'il puisse s'y récupérer en identifiant son désir comme désir de l'Autre est sauté
chez le psychotique. Sauté mais non absent, amenant le psychotique qui éclipse ce temps de
manque à s'identifier totalement au vide au sein duquel il perd toute chance de se surprendre
dans un champ d'indétermination ayant conjoint dans la même opération le désirant et le désir.
Le sujet et l'Autre ne s'y repèrent que dans leurs permutations oscillantes qui sont autant
d'interrogations sans temps de réponse identifiable.
714 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
Ces modèles structuraux nous paraîtront être les seuls moyens d'une
lecture cohérente du champ psychanalytique freudien et de tous les
apports qui ont pu l'enrichir depuis Freud, sans rien concéder à l'exac-
titude clinique qui a toujours marqué la contribution freudienne à ces
problèmes. L'étude des variations du champ psychanalytique nous
invite au repérage préalable de ce par rapport à quoi il y a variation.
Particularité technique
du traitement des phobiques(1)
par S. NACHT
attitude qui peut culminer en souhaits de mort réels, mais qui ne peut
aller plus loin. Sous l'influence de l'éducation — et certainement aussi
sous celle de leur propre impuissance persistante — ces sentiments
hostiles cèdent au refoulement et se laissent transformer, de sorte
que les rivaux deviennent les premiers objets d'amour homosexuel.
Ici, Freud fait deux remarques. D'abord qu'une telle évolution est
en total contraste avec le développement de la paranoïa persécutive.
Dans celle-ci en effet la personne précédemment aimée devient le
persécuteur haï, tandis que dans le cas qui nous occupe les rivaux haïs
sont transformés en objets d'amour. Toutefois Freud n'en dit pas
plus, et l'hypothèse qu'à tort ou à raison j'avance, à savoir que la
paranoïa impliquerait le retour régressif à l'hostilité jalouse envers
l'aîné, il ne l'a pas émise. Incontestablement, il se représente l'homo-
sexualité psychotique comme identique à l'homosexualité névrotique,
c'est-à-dire comme s'adressant directement au père. Et pourtant, au
bout de sa deuxième remarque, Freud devrait retrouver encore la
paranoïa comme problème connexe. Cette remarque, c'est que l'évo-
lution homosexuelle particulière dont nous parlons représente aussi
une exagération du processus qui mène à la naissance des instincts
sociaux chez l'individu. (Dans les deux processus on trouve d'abord
des sentiments jaloux et hostiles qui ne peuvent s'assouvir ; et alors à la
fois les sentiments d'affection personnelle et d'identification sociale
adviennent en tant que formations réactionnelles contre les pulsions
agressives refoulées.) Or, Freud nous dit depuis Schreber que la frus-
tration des sentiments sociaux issus de l'homosexualité est un mode
(pour lui principal) de déclenchement de l'évolution paranoïaque,
ce que la clinique confirme... Bref, un an après Certains mécanismes...,
dans Le Moi et le Soi, les deux processus dont nous parlons, la forma-
tion des sentiments sociaux et l'évolution paranoïaque, sont presque,
mais presque seulement, considérés comme inversement identiques.
Dans les deux cas, la transformation de l'amour en haine, ou de la
haine en amour, se ferait pour des raisons purement économiques,
dictées par les seules possibilités d'assouvissement et indépendamment
de toute attitude de l'objet. Par exemple, l'hostilité rivale envers les
frères est supprimée en faveur de l'attachement homosexuel parce que
lui seul est susceptible d'être satisfait (1). Quant à la façon dont s'effectue
cette transformation, elle est la suivante : à la faveur de l'ambivalence,
(1) Cela implique que de telles satisfactions soient au fond tolérées. Dans la mesure où
plies ne le sont pas adviennent des tendances antisociales menant aux structures à proprement
parler délinquantes.
DE L'HOMOSEXUALITÉ PSYCHOTIQUE 725
(1) C'est à partir de 1922, dans La, théorie de la libido, que FREUD s'aperçoit qu'il ne s'agit
pas ici de sublimation vraie, mais de pulsions non désexualisées qui sont seulement inhibées
quant à leur but, déviées et vouées à se contenter de satisfactions approximatives.
726 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Même si, dans certains cas, par exemple s'il est poussé dans ses retranchements par
le psychanaryste, le masochistemoral, pour ne pas reconnaître son propre masochisme, accuse
autrui de sadisme à tort ou à raison. Pourquoi le masochisme moral s'avère-t-il le plus ina-
vouable des péchés ? Pour plusieurs motifs sans doute, l'un d'eux étant qu'il réduit le Surmoi
à l'impuissance (cf. BERGLER).
DE L'HOMOSEXUALITÉ PSYCHOTIQUE 727
La sublimation artistique(1)
par GÉRARD MENDEL
PRESENTATION
définit la sublimation.
En somme, sur le chemin qui mène de l'Inconscient à l'oeuvre d'art,
existeraient deux relais : le fantasme, de nature orale ; et les identifi-
cations secondaires à d'autres artistes, sous-tendues par Pérotisme
anal (1). Enfin l'érotisme phallique jouerait un rôle essentiel dans la
création considéré en tant qu'acre créateur.
Avant d'aborder ces deux thèmes, je voudrais mettre davantage
en relief certains caractères de la sublimation. La première moitié de
notre travail constitue en effet l'esquisse d'une théorie de la sublima-
tion, en partie telle qu'elle est contenue dans l'oeuvre de Freud, en
partie telle qu'il nous a paru qu'elle pouvait être déduite de cette oeuvre.
Déviation du but sexuel.
Absence de refoulement. « Celle-ci, écrit Freud de la sublimation,
est une issue par laquelle les exigences du Moi peuvent être satisfaites
sans nécessiter le refoulement. » Précision importante, puisqu'elle
permet de différencier sublimation et formation réactionnelle.
Il est fort instructif de noter combien souvent sublimation et per-
versions se trouvent rapprochées dans les textes freudiens. L'hypothèse
y affleure constamment que les pulsions partielles correspondant à
l'érotisme oral, anal, phallique, qui n'ont pu être secondairement
intégrées, unifiées dans le primat du génital et l'organisation du Moi
(1) Par érotisine oral, anal ou phallique, nous n'entendons pas des qualités de la libido,
mais cette interrelation de la pulsion, du plaisir et de la forme d'organisation du Moi, du Surmoi
et de l'Idéal du Moi correspondant à l'investissement d'une zone érogène.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 731
(1) Je partage sur ce point l'opinion exprimée par Lyaroche à une récente conférence de
l'Évolution psychiatrique, traitant des personnalités hystériques.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 735
celui de la jeune fille (La joie de vivre, de Zola), qui ayant commis enfant une
cruauté, plus tard se sacrifiera volontairement.
Dans Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci (1910), Freud reprend la
même définition d'une dérivation de but de la libido (p. 53) : « L'instinct sexuel
est (...) doué de la faculté de sublimation, c'est-à-dire capable d'abandonner
son but immédiat en faveur d'autres buts non sexuels et éventuellement plus
élevés dans l'estimation des hommes. »
Dans cet essai, Freud précise comment il conçoit la genèse de la sublimation.
Après la troisième année, « quand la période d'investigation sexuelle infantile
se termine par une violente poussée de refoulement sexuel », trois possibilités
se présentent (p. 58) :
Ou bien curiosité intellectuelle et sexualité sont ensemble refoulées : inhi-
bition névrotique, débilité acquise de la pensée...
Ou bien seule la sexualité est refoulée, alors que la curiosité, le développe-
ment intellectuels résistent au refoulement. Mais plus tard la curiosité sexuelle
« remonte du fond de l'inconscient » sous forme de pensée obsédante. « L'investi-
gation intellectuelle devient ici activité sexuelle, souvent même exclusive ; la
sensation de la pensée qui s'accomplit et se résout remplace la satisfaction
sexuelle. » Cette érotisation de la pensée, cette pensée obsédante (« refoule-
ment mal réussi », p. 199) peut être considérée comme une formation substi-
tutive, un symptôme névrotique.
Ou, enfin, une partie de l'instinct et du désir sexuels ne sont pas refoulés ; « la
libido se soustrait au refoulement, elle se sublime dès l'origine (1) en curiosité
intellectuelle et vient renforcer l'instinct d'investigation déjà par lui-même
puissant ». Et Freud établit, quelles que puissent être les ressemblances, une
« différence radicale » entre formation substitutive (irruption du désir sexuel
du fond de l'inconscient) et sublimation.
Dans cet ouvrage, Freud, s'il paraît implicitement les séparer, ne précise
pas quelles peuvent être, à son sens, les différences de caractère entre subli-
mation et formation réactionnelle (chez Léonard, la « pitié excessive envers les
animaux », et le fait d'être végétarien, par exemple).
Sans jamais aborder de front le problème de la sublimation (et en paraissant
même s'en garder : « Comme je ne compte pas traiter ici de la sublimation... »,
Métapsychologie, p. 42), Freud dans chaque essai apporte une contribution,
ajoute un trait, une nuance à l'étude de ce concept. Ainsi Du narcissisme : une
introduction (1914) (2).
Nous aurons à revenir, pour nous y appuyer, sur la définition très précise
proposée. Aussi citons-la dans son intégralité :
« Celle-ci (la sublimation) est un processus qui concerne la libido objectale
et qui consiste dans l'orientation de l'instinct vers un but différent et éloigné
d'une satisfaction sexuelle » (p. 29).
Freud distingue ainsi la sublimation de l'idéalisation, qui n'est qu'une
projection sur l'objet du narcissisme. « Un homme qui a échangé son narcis-
sisme contre l'adoration d'un idéal du Moi « élevé » n'a pas nécessairement
pour autant réussi à sublimer ses instincts libidinaux » (p. 29).
Ce sont bien les désirs et pulsions sexuels, la libido sexuelle, objectale,
qui sont ainsi en cause dans la sublimation. Celle-ci est une issue au conflit
pathogène entre instincts du Moi (Les « exigences du Moi ») et instincts
(1) Une origine se situant d'après le contexte (après trois ans) au moment du conflit
oedipien.
(2) Les citations en seront faites d'après la traduction du Dr Fr. Pasche, réservée à l'usage
intérieur de l'Institut de Psychanalyse.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 739
sexuels : « Une issue par laquelle les exigences du Moi peuvent être satisfaites
sans nécessiter le refoulement » (p. 30).
Ainsi, pour la seconde fois, Freud revient sur l'absence de refoulement
dans la sublimation.
Nous voudrions faire également remarquer ici que le processus de subli-
mation mettant en jeu la libido sexuelle, objectale, doit être distingué de ce
que Kris, Hartmann et Loewenstein entendent par neutralisation : désexuali-
sation des pulsions libidinales (et désagressivationdes pulsions destructrices) (1).
Rien dans les textes de Freud que nous avons jusqu'à présent cités, ne
permet de concevoir la sublimation comme une désexualisation. Tout au
contraire.
Quelle que soit l'opinion que l'on ait quant à la théorie des deux instincts
— de vie et de mort — l'observateur se doit de reconnaître que l'ensemble
des trois essais (2) recueillis sous le titre : Essais de psychanalyse est un ouvrage
fort difficile à bien entendre.
Ce livre enrichit-il la théorie freudienne de la sublimation ?
Il convient d'abord de remarquer que le concept de sublimation qui, au
fil des années, acquerrait peu à peu, et comme difficilement, un statut propre,
devient, là, plus fluide. C'est que, dans les Essais, Freud paraît, pourrait-il
sembler, entendre la sublimation non plus comme le fait d'une énergie sexuelle,
mais d'une énergie désexualisée.
Au moins à trois reprises Freud assimile nommément sublimation et
désexualisation :
« ... l'amour désexualisé, homosexuel et sublimé pour d'autres hommes
qui
naît du travail commun (p. 115).
« La transformation, à laquelle nous assistons ici, de l'attitude libidinale à
l'égard de l'objet en une libido narcissique implique évidemment le renonce-
ment aux buts proprement sexuels, une désexualisation, donc une sorte de
sublimation » (p; 184).
Et, enfin, cette citation extrêmement importante que nous préférons
donner dans son intégralité :
« Il me paraît plausible d'admettre que cette énergie qui anime le Moi
et le Ça, énergie indifférente et susceptible de déplacement, provient de la
réserve de libido narcissique, c'est-à-dire qu'elle représente une libido (Érôs)
désexuaîisée. (...) S'il est vrai que cette énergie susceptible de déplacement
représente une libido désexualisée, on peut dire également qu'elle est de
l'énergie sublimée, en ce sens qu'elle a fait sienne la principale intention d'Érôs
qui consiste à réunir et à lier, à réaliser l'unité qui constitue le trait distinctif, ou
tout au moins, la principale aspiration du Moi. En rattachant également à cette
énergie susceptible de déplacement les processus intellectuels au sens large du
mot, on peut dire que le travail intellectuel est alimenté, à son tour, par des
impulsions érotiques sublimées » (pp. 201, 202).
Pour la seconde citation, il semble s'agir d'une simple imprécision de
langage : Freud nomme désexualisation ce qui n'est qu'une déviation du but
sexuel.
Les problèmes soulevés par la dernière citation sont beaucoup plus
complexes.
(1) On pourra lire la distinction que fait Kris — et ses commentaires — entre sublimation
(déplacement de l'énergie déchargée d'un but inacceptable vers un but acceptable), et neutrali-
sation : « transformation de l'énergie déchargée », Psychoanalytic explorations in art, pp. 26-27-28.
(2) Au-delà du principe du plaisir (1920) ; Psychologie collective et analyse du Moi ; Le
Moi et le Ça (1923).
740 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
Tout d'abord, elle ne nous paraît pouvoir se comprendre que dans l'optique
générale de la partie de l'Essai où elle est incluse, et qui concerne le problème
des identifications secondaires. C'est là certainement l'apport essentiel des
Essais quant au concept de sublimation, et nous réservons plus loin un chapitre
à l'étude de cette question.
Un problème doit être discuté ici : l'occasion nous en est donnée par le
rattachement fluide mais bel et bien existant établi par Freud dans ce texte
entre processus intellectuel en général et sublimation.
Sur ce point, notre opinion, en accord avec des textes très précis de Freud,
est qu'attribuer à la sublimation tout travail intellectuel aboutirait à vider le
concept de son contenu spécifique (1).
On comprend mieux l'amalgame — certes, qui n'en est pas tout à
fait un — établi par Freud si l'on songe qu'un des problèmes fonda-
mentaux concernant la sublimation n'avait pas été résolu, ni même posé
par lui. Problème qui pourrait s'énoncer ainsi : comment reconnaître
dans le produit de la sublimation (l'oeuvre d'art, par exemple) la marque
de la libido sexuelle en l'absence de la réalisation sexuelle qui permet
habituellement de la reconnaître ? Ce problème n'ayant pas été posé (2),
le fait qu'il s'agisse de libido sexuelle peut en effet paraître n'avoir
guère d'importance.
Pourtant deux textes antérieurs de Freud avaient, nous semble-t-il, établi
la distinction entre « processus intellectuel au sens large du mot » et processus
de sublimation. Le premier date de 1910 :
« Il existe une orientation beaucoup plus opportune (que le refoulement)
désignée nous le nom de « sublimation » par laquelle l'énergie des pulsions
infantiles passionnelles n'est pas refoulée (censurée) mais maintenue en dispo-
nibilité, le but inaccessible des diverses impulsions étant remplacé par un autre
but plus élevé, plus noble, parfois même non sexuel. Il se trouve que ce sont
précisément les composants de l'instinct sexuel qui possèdent cette faculté
spéciale de sublimation, consistant à substituer au but sexuel un autre but plus
lointain et socialement acceptable. Il est probable que nous devons nos succès
culturels les plus grandioses à la contribution de l'énergie obtenue par cette voie
à nos jonctions mentales » (Cinq leçons sur la psych.) (3).
(1) Ce point est important, car en clinique, à l'intérieur de la cure, nous ne devons pas
confondre la simple levée d'une inhibition intellectuelle névrotique et une véritable ouverture
à la sublimation.
(2) Pour des raisons qui, à notre sens, tiennent à la personnalité de FREUD, et que l'on
peut déduire de la lecture des deux premières pages de son essai sur Le Moïse de Michel-Ange
(1914) : " Mais les oeuvres d'art font sur moi une impression forte, en particulier les oeuvres
littéraires et les oeuvres plastiques, plus rarement les tableaux. J'ai été ainsi amené, dans des
occasions favorables, à en contempler longuement pour les comprendre à ma manière, c'est-à-
dire saisir par où elles produisent de l'effet. Lorsque je ne puis pas faire ainsi, par exemple
pour la musique, je suis presque incapable d'en jouir. Une disposition rationaliste ou peut-être
analytique lutte en moi contre l'émotion quand je ne puis savoir pourquoi je suis ému, ni ce qui
m'étreint. » (C'est nous qui soulignons.)
(3) Nous avons traduit nous-mêmes la dernière phrase soulignée par nous, d'après le
texte anglais de la Standard Edition, la traduction française existant ne rendant absolument
pas la précision de la pensée. Cette traduction est en effet : « C'est à l'enrichissement psychique
succédant à ce processus de sublimation que sont dues les plus nobles acquisitions de l'esprit
humain » (p. 176).
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 741
Le second texte est une note ajoutée par Freud en 1915 à la réédition des
Trois essais sur la théorie de la sexualité :
« Nous distinguons la libido de l'énergie qu'il faut supposer à la base de
tous les processus psychiques en général » (1) (2).
Je pense, et cela sera précisé dans le chapitre suivant
— que si,
tous, nous sublimons plus ou moins, l'énergie produite par cette subli-
mation s'ajoute à l'économie des processus mentaux en général, mais
ne la crée pas. Je pense également que cette addition, cet apport ajoute
non seulement en quantité mais aussi en qualité : c'est-à-dire que,
selon les composantes libidinales sublimées, sont apportées certaines
particularités spécifiques reconnaissables.
Conclusion
Etant donné, par ailleurs, le nombre de pages consacrées par
Freud à l'illustration de la théorie psychanalytique grâce aux oeuvres
de l'Art, on peut s'étonner de la maigre part qu'il consacre dans son
oeuvre au processus de la sublimation. Une des raisons étant sans doute
qu'il lui attrait fallu prendre davantage en considération le produit
même de la sublimation, non plus dans ce qu'il pouvait avoir de
commun avec toute autre production humaine élaborée, mais dans ce
qu'il a de spécifique (accent mis alors sur la valeur esthétique propre
de l'oeuvre d'art et non sur son contenu anecdotique, sur le phénomène
esthétique, sur l'attitude esthétique, etc.).
Quoi qu'il en soit, nous appuyant sur les textes, nous ne croyons
pas sortir du cadre de la stricte orthodoxie freudienne en entendant
ce concept comme :
Une réalisation due à :
la mise en jeu des pulsions libidinales sexuelles (libido objectale)
ayant échappé au refoulement ;
non intégrables telles quelles par le Moi ;
mais déviées de leur but sexuel ;
par l'intermédiaire de ce Moi.
Cette possibilité d'utilisation par le Moi étant l'un des caractères
les plus importants et les plus mystérieux.
Il est bien certain que nous avons purifié, isolé à l'excès un processus
qui précisément n'existe pas à l'état pur. A toute activité de sublimation
culièrement dans l'érotisme anal, 1916, Freud s'interroge sur le destin de l'éro-
tisme anal et sur sa possibilité de « s'éteindre par sublimation ».
Et pourtant, bien que les textes, on le voit, existent, on a le sentiment — nous
y reviendrons — à la lecture de ces oeuvres que Freud ne s'est jamais engagé
complètement dans la conceptualisation du processus de sublimation.
Si l'on veut essayer de situer le problème sur un des plans plus élevés, il
est possible d'énoncer que si :
« Le conflit pathogène est un conflit entre les tendances du Moi (instincts
du Moi) et les tendances sexuelles (instincts sexuels) » (1), les possibilités
d'aménagement de ce conflit sont connues. Ce sont :
— l'intégration des pulsions partielles dans le primat du génital ; l'érotisme
génital et la maîtrise du conflit oedipien permettant une réalisation sexuelle.
Même dans ce cas, à notre sens, une partie de l'érotisme oral et anal garde
son originalité, agit pour son propre compte ;
— le refoulement incomplet : avec les diverses modalités de formations réac-
tionnelles et symptomatiques (retour du refoulé) ;
— l'absence de refoulement : certaines réalisations correspondant aux pulsions
partielles orales, anales ou phalliques :
— qui, si elles sont orientées vers un but sexuel, ont reçu le nom de per-
versions ;
— et qui, si elles sont déviées de leur but sexuel, représententles sublimations.
Si la sublimation est bien réalisation perverse avec déviation du but sexuel,
nous devons nous poser cette double question : pourquoi cette déviation (et
non pas une perversion simple), et comment est-elle possible ?
Nous consacrerons un chapitre au problème fondamental à notre sens de
l'identification à un personnage paternel, à un père spirituel. La problématique
que nous étudierons entre Moi, Surmoi et Idéal du Moi, n'est possible que si
ce Surmoi existe. Et si, comme l'écrit Viderman : « Le Surmoi n'est si bien
intériorisé que parce qu'il était déjà intérieur » (2), la part donnée à la consti-
tution, au facteur, inné, reprend toute sa valeur conformément à la pensée
de Freud (3). Autrement dit, la même raison qui explique l'impossibilité de la
satisfaction perverse simple (exigences du Surmoi), conditionnerait les possi-
bilités de sublimation en permettant le jeu des identifications.
Et les pulsions agressives ? Leur sublimation est-elle concevable ?
Sans vouloir aborder de front le problème si complexe de l'agressivité, il
convient de rappeler que de la Métapsychologie (Les pulsions et leur destin, 1915)
au Moi et au Ça (1923), de la théorie des instincts du Moi et des instincts
sexuels, à la dualité cosmogonique d'Érôs et de Thanatos, Freud a insisté sur
la plasticité plus grande des pulsions libidinales, et sur la rigidité, le caractère
stéréotypé des pulsions agressives (4).
(1) Certaines « techniques » modernes utilisées — telles que, par exemple, tirer à la carabine
sur une toile — ressortent de la réalisation perverse (ici, sadique anale) simple.
(2) Brève étude de la libido à la lumière des troubles mentaux.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 745
(1) «Dans la défécation, l'enfant est obligé de choisir une première fois entre l'attitude
narcissique et l'amour objectai. Ou bien il cède les excréments sans difficulté, les sacrifie à
l'amour ou bien, il les retient pour en tirer des jouissances érotiques, et plus tard pour affirmer
sa volonté. L'entêtement, l'obstination ont donc bien leur origine dans une fixation narcissique
à l'érotisme anal », FREUD, Sur les transformations des pulsions, (1916).
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 747
(1) L'enfant dans la mère représente une parfaite image de la plénitude : le phallus. Le
sujet de tableau le plus fréquent dans la peinture occidentale est d'ailleurs la mère et l'enfant.
Et, de toute manière, mène si le tableau représente une pomme, tout tableau en tant qu' « oeuvre
comme ensemble » renvoie à la plénitude narcissique et donc aussi à l'enfant dans la mère.
Rappelons d'ailleurs que l'autre grand sujet de la peinture du Paléolithique, avec la chasse,
est la femme au ventre et aux flancs exagérés : accent mis sur sa fonction de procréation.
(2) Remarquablement décrite chez l'hystérique par J. Laroche dans une conférence
récente à l'a Évolutionpsychiatrique » ; conférence où était soutenue la thèse que l'objet n'était
pas constitué chez les personnalités orales.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 749
(1) L'histoire des rapports de l'homme-oral avec la réalité est régie par ces vécus très
archaïques : ainsi, par exemple, les lieux où l'on peut s'enfoncer, être englouti, disparaître
(mer, sables lisants, brouillard, nuit) viennent par contamination figurer la relation pri-
mitive orale. De cette manière se crée le lien symbolique non conscient entre les imagos et
la réalité.
(2) Notes sur les perversions, 1955, n° 3, pp. 381-384.
(1) Ce qui est bien différent que d'être « connaisseur » — connaisseur du passé...
(2) De même dans les sociétés primitives, par exemple, il existe des signes de reconnaissance
permettant aux membres de la tribu de distinguerune fête ou cérémonie magiques et ses prota-
gonistes, d'une quelconque réunion. Le participant est prévenu par des signes (masques, parures,
musique, rites), qu'il s'agit là d'une cérémonie et non d'un attroupement. A un désir particulier
inhérent à l'homme de toutes les époques sont associés des signes de reconnaissance (appar-
tenant, eux, à l'ordre de la perception, à la fonction du réel), variant selon les cultures. Ces
« signes de reconnaissance » peuvent sans doute être considérés comme des éléments mineurs
du rituel.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 751
(1) Comme, par exemple, cette Araire des Hautes-Alpes exposée au Musée des Arts et
Traditions populaires.
(2) Tout amateur, sans toujours l'analyser, connaît bien ce jeu qui fait basculer l'objet.
Et, par exemple, lorsque devant un tableau figuratif il passe du spectacle peint (l'anecdote)
au spectacle de peinture (les lignes et les couleurs dont l'ensemble constitue le tableau). Cf.
cette analyse de Baudelaire :
« D'abord il faut remarquer, et c'est très important, que vu à une distance trop grande
pour analyser ou même comprendre le sujet, un tableau de Delacroix a déjà produit sur l'âme
une impression riche, heureuse ou mélancolique. On dirait que cette peinture, comme les
752 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Nous verrons plus loin les implications proprement psychanalytiques de chacune de
ces deux faces. Notons que le mot ci Esthétique » a été créé pour rendre compte du fait que
parallèlement à l'appréhension de l'oeuvre d'art par la raison ou l'intelligence (lecture d'un sens)
il restait une seconde appréhension » par les sens » (Esthétique a la même racine que esthésie).
Ce que nous appelons la prise en considération de l' « oeuvre comme ensemble » est une
troisième appréhension, sous-jacente aux deux premières,et se faisant par leur intermédiaire ;
troisième appréhension reliant l'oeuvre d'art à l'oralité, fondant, pour nous, la spécificité artis-
tique, et rapprochant le tableau d'un fantasme.
754 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
verte des oeuvres d'art que par celle des choses qu'elles représentent,
et peut-être celle des choses tout court. Pas un peintre n'est passé de
ses dessins d'enfant à son oeuvre. Les artistes ne viennent pas de leur
enfance, mais de leur conflit avec des maturités étrangères : pas de leur
monde informe, mais de leur lutte contre la forme que d'autres ont
imposée au monde. Jeunes, Michel-Ange, le Gréco, Rembrandt,
imitent ; Raphaël imite, et Poussin, et Vélasquez, et Goya ; Delacroix
et Monet et Cézanne, etc. Dès que les documents nous permettent de
remonter à l'origine de l'oeuvre d'un peintre, d'un sculpteur — de
tout artiste — nous rencontrons non un rêve ou un cri plus tard
ordonnés, mais les rêves, les cris ou la sérénité d'un autre artiste (...).
Le problème des causes premières n'est pas particulier à l'Art » (1).
On n'a en effet pas assez tenu compte dans les travaux psychana-
lytiques du fait qu'un artiste ne part pas de ce qui serait le point zéro
de l'Art, qu'il ne refait pas tout seul le long chemin de l'évolution de la
langue picturale depuis la première main cernée de noir sur la paroi
des cavernes au Paléolithique supérieur (le cerne de cette main n'appar-
tenant d'ailleurs pas au domaine de l'Art, mais à celui de la Magie.
Freud avait fort précisément perçu ce point) (2). Il n'existe pas d'art
spontané : Séraphine Louis avait, on le sait maintenant, contemplé et
étudié les vitraux de la cathédrale de Senlis. Le style d'une époque se
définit par l'impossibilité pour l'artiste de cette époque d'y échapper
(il peut, certes, pasticher les styles précédents, ou les parodier ; ou
rendre au mieux soit l'esprit pictural de l'époque, soit certaines de ses
plus extrêmes tendances : cette confluence parfaitement amalgamée
— cette réussite — du don inné, du drame personnel et des courants
actuels de l'Art, se nomme le génie). L'artiste le plus original, l'origi-
nalité de son oeuvre est mince en proportion de ce qu'il a pris, reçu,
accepté de ses prédécesseurs : dépositaire transitoire d'un pouvoir, il
répète plus qu'il ne modifie. Il est un officiant au moins autant qu'un
créateur. Et certes cette marge étroite dans laquelle il modifie ce qu'il
a reçu est-elle d'une importance extrême : l'évolution du genre est le
caractère qui distingue l'Art de la magie proprement dite et de ses rituels
stéréotypés. Dans la Magie, le propos est de répéter exactement. Alors
que l'Art se sépare de la magie et débute le jour où un homme introduit
dans ce rituel les variantes, la tonalité, le style de son conflit personnel.
(1) André MALRAUX, Les voix du silence, pp. 279-280. Ce thème de la tradition est le fil
conducteur du livre de Malraux ; il est certainement le critique d'art qui en a étudié les impli-
cations avec le plus de force et de brillant.
(2).. Totem et tabou, p. 127.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 755
(1) Notons au passage que la sublimation est toujours réalisation individuelle. Il n'existe
pas de sublimation collective.
(2) Dans ce domaine également l'ontogenèse contient la phylogenèse, la synchronie contient
la diachronie.
756 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
par lequel se perd une partie de soi et peut se gagner une partie de l'autre
(captation anale) avec tout le plaisir lié à l'érotisme anal (1).
Délimitation, précision, localisation dans le temps et l'espace,
passage du fantasme à la langue parlée...
Freud insiste sur ce point que : « Le boudin fécal (...) est pour ainsi
dire le premier pénis » (2). Lorsque l'intégration de l'érotisme anal
s'est développé normalement, tout est prêt pour que, au stade phal-
lique, le conflit se localise au pénis (ou à l'absence du pénis). Une grande
partie de l'énergie liée à l'érotisme oral et anal vient investir cet organe.
Ainsi, le risque du conflit oedipien normal n'est pas, pour le garçon,
être ou ne pas être ; mais : l'avoir et risquer de le perdre (et plus pro-
fondément : risquer de perdre le pouvoir du délimité, de perdre tout
pouvoir).
C'est au moment de cette phase ano-phallique (dont le point com-
mun est, dans les cas de maturation normale, l'accent mis sur la déli-
mitation), que le père devient vraiment le troisième personnage :
il incarne alors ce nouvel univers de la délimitation, dont il est le repré-
sentant en tant que porteur du pénis : il est le vivant témoignage que la
partie n'est pas le tout, que quelque chose peut être perdu (ou gagné :
identification secondaire) sans entraîner l'annihilation.
Au cours du stade anal, il existe, pourrait-on dire, un rapport à
trois : le sujet, le monde ancien (l'illimité) et le monde nouveau (le
délimité). Au moment où l'individu acquiert une connaissance de la
différence entre les sexes (3), il nomme mère l'illimité et l'indéfini ;
et père, le délimité, le localisé et le précis, dont l'image est le pénis
succédant au boudin fécal ; pénis représentant le phallus dans l'incons-
cient du sujet de ce stade phallique qui se caractérise, on le sait, par la
croyance en un seul organe sexuel : l'organe masculin (4).
Pour la personnalité orale, il n'est pas de « mère » ou de « père »,
d'image maternelle ou paternelle, mais une puissance de l'indéfini
(dont rendent compte le fantasme et la pensée magique), tantôt exercée
au profit du sujet, tantôt à son détriment.
Si nous avons insisté sur ces points, c'est qu'il nous paraît que la
sublimation est précisément un mode particulier, original, de passage
de la toute-puissance de l'indéfini (fantasme) au pouvoir du défini
(1) Bela Grunberger a insisté sur ce point : les échanges, et le contrôle et la maîtrise de ces
échanges sont investis narcissiquement (on peut parler de « narcissisme évolué » ayant suivi
parallèlement le développement de la maturation pulsionnelle).
(2) Sur les transformations des pulsions particulièrement dons l'érotisme anal, p. 6.
(3) Cf. Essai de psychanalyse, note au bas de la p. 185 (éd. de 1948).
(4) Trois essais sur la théorie de la sexualité, n. n° 63.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 759
(1) Cf. l'ouvrage très documenté de Jean LAPLANCHE, Hölderlin et la question du père.
760 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Celle-ci pouvant revêtir des aspects primitifs ou très élaborés. Mais de toute manière
cette illusion de toute-puissancenarcissique et cet amour foncier de soi (qui nous paraît corres-
pondre exactement au fameux « amour-propre » de La Rochefoucauld) existent en tout individu.
Ainsi que l'écrit René HELD : « Toute une échelle de valeurs narcissiques peut mener le clinicien
des confins de la schizophrénie aux abords du monde génital. Et nous savons aussi que dans
ce dernier subsistent des éléments narcissiques sans lesquels la vie elle-même serait impos-
sible », Psychothérapies d'inspiration psychanalytique freudienne, p. 40.
(2) Nous voulons évidemment dire par là que l'objet existe bien déjà, mais non de manière
stable et permanente.
(3) Selon les biographes, ni Léonard de Vinci, ni Beethoven, ni Edgar Poe n'auraient
eu de relations sexuelles au cours de leur existence.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 761
(1) Dans ses deux pathographies consacréesl'une à Léonard de Vinci, l'autre à Dostoïewsky,
Freud note, pour le premier, une tendance particulière à la passivité ; et pour le second, une
« forte disposition bisexuelle «.
762 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) «On porte toujours en soi une oeuvre d'art comme un tout. Même si la philosophie
esthétique prétend que les oeuvres du langage et de la musique, à la différence des arts figuratifs,
sont liées au temps et à sa succession, elles aussi pourtant cherchent à être présentes tout
entières dans chaque instant. Au début, le milieu et la fin ont déjà pris vie. Le passé imprègne
le présent et même dans la plus extrême concentration sur ce passé s'insinuele souci de l'avenir »,
Thomas MANN, Le journal du Dr Faustus, p. 209.
Cf. G. MENDEI. : « Le Roman comme Fiction et comme Ensemble. » Revue française de
Psychanalyse, n° 2-3, 1963, pp. 301-320.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 763
(1) Les sublimations artistiques féminines, si réussies soient-elles, nous paraissent se situer
à un niveau plus concret, plus « littéral » (Colette, par exemple), et ne pas pouvoir s'élever
jusqu'au Mythe. Une seule très grande artiste : Virginia Woolf. Rappelons qu'elle se suicida
en 1941. — Mais une évolution se dessine : certains artistes contemporains de qualité sont des
femmes : Germaine Richier, Vieira da Silva, Nathalie Sarraute...
(2) De plus à personnalité de fond oral égale à celle d'un homme, la femme a des possibilités
d'aménagement supplémentaires, rendant la captation anale de nécessité moins vitale. I,es
phénomènes hystériques sont une issue soniatique économique, assez bien admise socialement.
De plus, comme le rappelle souvent Favreau après Freud, le vagin lui offre une possibilité de
fuir l'analité.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 765
manière que le père), est davantage culpabilisé chez la femme que chez
l'homme : le fait d'avoir ou non réellement un pénis serait important
dans la mesure où, ce pénis, le garçon l'a déjà et que, morphologique-
ment, il est, se sait et se voit comme le père sans rien lui prendre. Il
s'agirait là non pas d'une incapacité foncière de la femme à la grande
sublimation artistique, mais d'une culpabilité supplémentaire (1).
Essayons de donner un schéma de la sublimation.
Classiquement, en cas d'aménagement satisfaisant du conflit oedi-
pien, les formes d'organisation prégénitales de la libido sont, pour une
part importante, intégrées dans le primat du génital (stade phallique)
dont la forme de réalisation après la puberté est la sexualité génitale
(stade génital).
Il serait possible — sans vouloir prendre à la lettre cette division
bien trop schématique — de distinguer trois cas.
Premier cas. — Cette intégration n'a pas eu lieu. Soit pour des
raisons qui tiennent à la constitution de l'individu (2), soit pour des
causes traumatiques réelles. Débuteraient alors — sous une forme larvée
ou évidente, typique ou atypique — les psychoses de l'enfance qui,
en cas d'évolution chronique, ne permettraient aucune possibilité de
sublimation. Ainsi s'expliquerait ce que Freud nomme « la débilité
acquise de la pensée ».
Second cas. — La prégénitalité tant orale qu'anale a été intégrée
heureusement, permettant l'abord et l'aménagement du conflit oedipien.
Mais dans ce cas, dit normal, le primat du génital reste, au moins sur
certains plans, tout virtuel puisqu'une véritable réalisation sexuelle
n'est possible qu'à la puberté. Durant la phase de latence, la plus grande
partie de la libido reste refoulée, et ce primat phallique ne s'exercera
que vers un but non sexuel : les acquisitions culturelles, scolaires et
sociales de la seconde enfance. Il s'agit là de l'exercice des processus
mentaux en général, à l'économie desquels vient s'ajouter l'énergie
propre des organisations prégénitales non intégrées (début de la subli-
mation proprement dite).
Troisième cas. — La prégénitalité orale et anale, ou seulement anale,
a été insuffisamment intégrée. Mais (en particulier par le jeu des fac-
teurs innés, « les bases organiques du caractère » : capacité de refoule-
(1) J. Chasseguet-Smirgel attribue cette culpabilité, en particulier devant la sublimation,
à des causes spécifiques différentes de celles que nous avons envisagées brièvement ici.
Cf. J. CHASSEGUET-SMIRGEL,La relation de la fille au père (la culpabilité féminine).
(2) Rappelonsle rôle attribué par FREUD à « une certaine déficience fonctionnelle de l'appa-
reil génital », correspondant « à une prédisposition constitutionnelle », Trois essais sur la
théorie, etc., p. 39.
REV. FR. PSYCHANAL. 49
766 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
sur cet « état ». Nous voulons parler du morceau sur lequel l'oeuvre
s'achève : la « Matinée chez la princesse de Guermantes ».
Plusieurs fantasmes se succèdent très rapidement :
Un fantasme proprioceptif : la même félicité réapparaît au moment
et le Ça, p. 175.
(1) Essais de psychanalyse : Le Moi
(2) Nous aurons en vue dans nos citations l'édition et la pagination de la Pléiade.
(3) Pp. 44-45 du t. 1er.
768 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
où le narrateur pose son « pied sur un pavé qui était un peu moins élevé
que le précédent » (1).
Un fantasme auditif : même plaisir au bruit, causé par un domestique,
d'une cuiller heurtant une assiette.
Un fantasme tactile : contact sur la bouche d'une serviette raide et
empesée (2).
Chaque fois, secondairement, Proust retrouve le souvenir ancien
éveillé par la sensation précédente : Venise, Rivebelle, Balbec. Cette
coalescence le temps d'un éclair de deux moments, l'un présent, l'autre
passé, lui paraît être la source de ce plaisir, et la raison de l'Art :
« ... ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n'a pas
dans le sens courant à l'inventer, puisqu'il existe déjà en chacun de
nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux
d'un traducteur » (3).
Élaborer ses fantasmes personnels, parvenir à rendre cette réalité
personnelle qui « est un certain rapport entre ces sensations et ces
souvenirs qui nous entourent simultanément », opérer cette traduction
du fantasme indicible et ineffable apparaît à Proust comme étant litté-
ralement son devoir.
Il caractérise cet état fantasmatique comme étant le propre d'un
« être qui n'apparaissait que quand, par une de ces identités entre le
présent et le passé, il se trouvait dans le seul milieu où il pût vivre, jouir
de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps ».
Proust insiste longuement sur ce caractère d'affranchissement de
l'ordre du temps. Ce qui lui paraît le plus proche de cet état est
« ... l'étourdissement d'une incertitude pareille qu'on éprouve parfois
devant une vision ineffable, au moment de s'endormir ».
Ainsi, par ce thème de l'endormissement et de l'attente de la mère
se trouve fermée la boucle parcourant l'oeuvre depuis sa première phrase,
et l'existence même de Proust depuis ses années d'enfance jusqu'à son
accomplissement d'écrivain.
Rapport donc du fantasme et de l'ancien temps perdu et retrouvé ;
à notre sens, le fantasme, tel que Proust le décrit, est cet instant extra-
temporel, fait de félicité, d'hébétude et de chaleur — du désir réalisé :
l'introjection orale de la mère comme « bon objet », source de plaisir
narcissique ; la réalité de cette froide journée d'hiver étant désinvestie,
refoulée, comme « mauvais objet ». Cette introjection orale correspon-
(1) Tous les fantasmes ne sont pas porteurs de cette « joie pareille à une certitude » ; les fan-
tasmes angoissants nous paraissent être aux « bons » fantasmes comme le cauchemar est au rêve.
(2) Nous étendons le cadre du fantasme qui, à notre sens, n'est pas seulement visuel, mais
peut être gustatif, proprioceptif, auditif...
(3) De même que, par exemple, l'on distingue entre sommeil et rêve.
(4) Science des rêves, p. 542.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 771
(1) " L'art est le seul domaine où la toute-puissance des idées se soit maintenue jusqu'à
nos jours. Dans l'art seulement il arrive encore qu'un homme tourmenté par des désirs, fasse
quelque chose qui ressemble à une satisfaction ; et, grâce à l'illusion artistique, ce jeu produit
les mêmes effects affectifs que s'il s'agissait de quelque chose de réel. C'est avec raison qu'on
parle de la magie de l'art et qu'on compare l'artiste à un magicien », Totem et Tabou, p. 127.
(2) Nous préférerions parler d'un double contenu : anecdotique (le « sujet » du tableau) et
formel (la « forme », le " style »). Mais l'habitude est de dire : contenu et forme.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 773
(1) Par exemple, dans le cas de la peinture, il a été dit, à juste titre, nous semble-t-il, que
l'avènement et le développement de la photographieont pu jouer un rôle capital dans l'essor de
la peinture non figurative.
(2) " Si quelqu'un cherche la ressemblance dans une peinture, son esprit est celui d'un
enfant », écrivait déjà SON TANG-P'O (Dynastie des Song, Xe au XIIIe siècle), cité dans l'excellent
catalogue composé à l'occasion de l'exposition du Musée Cernushi, Quelques peintures de lettrés,
nov. 62-février 63.
(3) Ou bien, ajouterions-nous, le monde serait, pour Pissarro, une blessure narcissique insup-
portable. La méthode est de ramener la nature à l'Art, de faire obéir l'objet nouveau (le paysage
réel) aux lois de la tradition esthétique, d'intercaler entre soi et l'objet un médiateur régulateur.
774 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(1) Ce qui ne préjuge en rien l'évolution future : la langue picturale ne se développant pas en
autarcie en fonction de son seul dynamisme interne, maisaussi en rapport avec des causes externes.
(2) « Je préfère encore être cordonnier qu'être musicien avec des couleurs. »
(3) C'est ce que nous paraissent avoir signifié Marty et Fain : « Nos mécanismes personnels,
identiques, de relation d'identification, basés sur notre propre sensorio-motricité, sont plus
aptes à enregistrer les mouvements nuancés des types de relation de nos malades que le système
de l'intellectualisation (...). Certaines formes de relation de nos patients trouvent en nous un
écho, un moule qui enregistre parfaitement et qui constitue une part importante de notre
intuition. L' « attention flottante » permet évidemment seule notre captation précise de ces
formes qu'une autre attitude de notre part, s'attachant intellectuellement au contenu, déna-
turerait. »
Le point d'impact du beau travail de J. CHASSEGUET-SMIRGEL (Marienbad : une esthétique
de l'achoppement) nous paraît se situer exactement là : un mode d'interprétationet de connais-
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 775
sauce d'un artiste grâce au style de son oeuvre et non plus simplement par le contenu anec-
dotique et les thèmes.
Notre propos est différent : ce n'est pas tant de savoir quel homme est cet artiste, et son
conflit particulier, qui nous intéresse, que ce par quoi son oeuvre est une oeuvre d'art. Des
dizaines d'artistes ont été analysés et nous n'en savons guère plus sur l'Art, sa spécificité,
son essence.
(1) Nous avons développé ce thème dans un texte paru en septembre 1962 dans le n° 31
des Cahiers des saisons : A propos d'Halpern.
776 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-I964
(1) Quel que soit le système couscient ou non conscient (pré-conscient) utilisé : ramener
la toile à d'autres toiles, le peintre à d'autres peintres (sources, influences, de l'art), ramener
le tableau à des activités ou productions extra-artistiques (gestualité, interprétations psycha-
nalytiques, diagnostic caractérologique, étude sémiologique, etc.). Est ainsi utilisé, pour lire
la toile, un certain nombre de « grilles », de structures néoformées, d'opérations réductrices.
(2) Il ne peut appartenir qu'à la psychanalyse d'aller au-delà du constat de ce mouvement
d'unification des éléments de la toile, de voir en lui une introjection, de relier ce mouvement à
une étape du développementlibidinal, d'évoquer les rapports existant entre fantasme et tableau
comme ensemble.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 779
Intervention de B. GRUNBERGER
Je félicite Gérard Mendel pour son étude qui constitue une contri-
bution aussi originale que substantielle à la théorie de la sublimation. Je
serais tenté d'ajouter que son exposé a pour nous — outre son contenu
intrinsèque — un intérêt multiple non seulement parce que le travail
analytique se rapproche de la création artistique et est par conséquent
tributaire des facultés de sublimation de l'analyste ainsi que j'ai essayé de
le montrer au Congrès de Barcelone, mais parce que les capacités de
sublimation de l'analysé sont un facteur important dans l'analyse et
dont nous avons presque toujours à nous occuper au cours d'une cure
analytique. Mais mon propos de ce soir n'est pas de vous présenter mes
propres vues sur cette question, il s'agit bien plutôt de reprendre l'idée
essentielle de la thèse de Mendel à laquelle je souscris du moins dans
sa portée générale ; je veux parler de la place centrale conférée par
Mendel à Voralité dans le processus de sublimation.
Je n'ai cependant pas besoin de dire — et Mendel le sait — que je ne
suis pas d'accord avec l'attribution des caractéristiquesde la sublimation
à la deuxième phase orale d'Abraham, la sadique-orale, qui pour moi
relève déjà de là phase suivante, c'est-à-dire de l'analité. Mais qu'en
outre il m'est difficile d'imaginer qu'un stade sadique où les objets sont
attaqués, coupés et broyés, aille de pair avec (je cite Mendel) « le caractère
global de l'objet perçu ; il n'est pas délimité, divisible ni anatomique-
ment, ni fonctionnellement : il est perçu comme un tout ». Si le stade
sadique-oral apparaît, comme le dit Abraham, avec la poussée dentaire,
il est difficile d'imaginer que ces instruments contondants que sont les
dents servent à une introjection globale de l'objet non mutilable, comme
le dit Mendel. Pour moi, c'est précisément le sadisme qui fait passer
l'objet (et le sujet) du flou et de l'illimité au défini et au précis.
En outre Mendel nous dit : « A notre sens cette phase orale secondaire
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 783
Ella Freeman Sharpe a publié jadis (1) un article sur Science pure
et art pur où elle a montré que pour l'artiste, comme pour le savant,
l'oeuvre n'a aucune portée utilitaire. Or cette idée d'Ella Sharpe qui
est plutôt une constatation (Jean Cocteau disait : « La poésie sert
peut-être à quelque chose, en tout cas, je ne sais pas à quoi »), exprime
l'essence même du narcissisme et de l'oralité par rapport à la composante
anale. C'est une idée qui « ne va pas dans le sens de l'histoire », et
dont on dirait volontiers aujourd'hui qu'elle est « de droite ». C'est
pourquoi « l'art pour l'art » est estampillé comme une formule
décadente.
Voici cependant un texte qui défend la gratuité de l'art : « L'écrivain
ne considère nullement ses travaux comme des moyens. Ils sont leur
but propre. Il y voit si peu un moyen qu'il sacrifie son existence à leur
existence quand c'est nécessaire, à peu près comme le prédicateur de la
religion érige en principe qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ».
Paroles profondes qui montrent le caractère narcissique-oral autonome
de la création sans oublier la référence à la religion, c'est-à-dire à la
projection narcissique de la toute-puissance. Ce texte est de Karl
Marx (2). L'idée de l'intégrité narcissique implique un accomplisse-
ment narcissique qui a sa justification en soi, le sujet tirant sa satisfac-
tion narcissique de sa valeur propre, reconnue comme telle par les
autres mais non créée ni octroyée par eux pour des mérites qui ne sont
pas déductibles de l'essence même de la création. Le but de l'oral sera
donc de supprimer tout élément anal de sa source d'inspiration, celle-ci
(1) Une oeuvre d'art est toujours chaste, non seulement quand il s'agit de Botticelli ou de
Rossetti mais même dans le cas de Boucher ou de Fragonard. L'artiste peut avoir une vie riche
en manifestations pulsionnelles, son oeuvre peut avoir un contenu agressif ou sexuel, les pulsions
en question seront toujours exprimées sur un mode qui, dans son essence, ne pourra être que
narcissique-oral. L'artiste créera ainsi de soi-même une image dont l'essence est orale-génitale
comme le dit Mendel, mais dont la conflictualité (sadique-anale) a été comme contournée.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 787
par le peintre, au prix élevé, d'une surface blanche unie encadrée. Rien
pour le substrat matériel mais tout pour lui. Cependantle caractère à la
fois absolu et inestimable de l'oeuvre d'art est totalement annulé dès qu'il
passe dans la dimension anale du circuit commercial : les marchands
de tableaux vendent les toiles aux points, autant dire au mètre.
L'artiste ne doit pas sortir de son univers narcissique-oral et lorsqu'il
fait mine de quitter sa tour d'ivoire, habitacle très décrié par tous ceux
qui n'y habitent pas, il le paie quelquefois de sa vie laquelle est déjà
assez fragile sans cela (voir Maiakowski ou Essenine). L'Art ne peut
pas être utilisé ou alors ce n'est plus de l'art et l'artiste qui met son art
au service d'une cause ou d'un intérêt, perd sa capacité créatrice authen-
tique. Que l'on compare ce que tel artiste a produit lors de son enga-
gement et en dehors de celui-ci et l'on mesurera la différence, qu'il
s'agisse d'un Aragon, d'un Guillevic, ou d'un Eluard, mais aussi de
Jozsef Attila voire de Rimbaud.
Pour cette même raison, il n'existe ni art dirigé (ni science d'ailleurs),
ni création collective, à moins que l'on ne donne un label d'artiste
d'après des critères qui n'ont rien à voir avec l'art. L'opposition entre
le facteur narcissique-oral et le facteur anal est décisive pour l'artiste
mais elle se reflète également dans l'attitude de son antagoniste, le
sadique-anal et que sa structure même détermine à être en quelque
sorte le négatif de l'oral, la rencontre de ces deux structures diamétra-
lement opposées ne peut qu'engendrer des tensions et de toute façon
rend toute compréhension réciproque impossible. Mendel a rappelé
cette différence en opposant l'érudition (élément anal) au « goût » facteur
oral comme son nom l'indique, et s'il a rappelé que ni Cézanne ni Van
Gogh parmi tant d'autres n'ont été reconnus par la critique, c'est pour
montrer l'abîme impossible à combler qui sépare l'artiste du critique,
l'oral de l'anal, étant donné qu'ils n'appartiennent pas à la même famille
spirituelle. En effet, l'essence de l'oeuvre se communique par « une
certaine saveur » du vécu (Mendel rappelle la fameuse histoire de la
madeleine de Proust), découverte par l'artiste dans l'inconscient et qui
désormais en fait partie non plus profondément cachée mais dans un
état communicable. Mais l'artiste tend à établir une communication
d'Inconscient à Inconscient en s'affranchissant le plus possible du sup-
port matériel (Poèmes sans paroles, roman sans histoire, peinture sans
modèle...).
S'il utilise un modèle c'est pour se distancer de lui et se réfléchir en
lui sur un mode narcissique. Gerhard Adler écrivait dans Psyché
(sept. 1963) : « Ainsi nous apparaît l'effacement de plus en plus accentué
788 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
Intervention de P. LUQUET
La recherche de Mendel me paraît louable dans la mesure où elle a
échappé à une tentative d'explication psychanalytique trop circonscrite.
Le désir d'intégrer son propos dans une perspective lui donne de l'assise
mais complique aussi sa tâche et elle nous amènera à discuter de nouveau
des grands problèmes de la théorie psychanalytique elle-même. Il a
(1) Voir le livre de GUSDORF, Pourquoi des professeurs? qui décrit les rapports du
maître et du disciple.
790 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
échappé aux solutions faciles que l'on peut proposer pour n'importe
quel problème psychanalytique à condition de l'isoler et d'oublier de
montrer les connexions avec ceux qui le bordent. L'autre danger est de
donner une explication partielle ou occasionnelle d'un phénomène en
le généralisant trop vite. Nous aurons à nous poser la question quant
aux conclusions de l'auteur.
Je proposerai donc de discuter un certain nombre de concepts qui
me paraissent indispensables de préciser, pour le propos même de
l'auteur et pour notre intérêt à tous. Tout d'abord, Mendel centrant
sa recherche sur la sublimation, il paraît utile de s'arrêter un instant
sur cette difficile question trop confuse. Dans Freud même il demeure
une certaine ambiguïté dans la mesure où la recherche de rapproche-
ment théorique et d'une synthèse plus vaste a amené celui-ci à affadir
sa première conception. Celle-ci est lumineuse et sa simplificationgéniale.
La sublimation existe quand il y a déviation des buts sexuels. Il la dis-
tingue (1914) de l'idéalisation qui concerne l'objet. En quelque sorte
il s'agit d'une variété particulière de déplacement qui permet d'intégrer
des formes pulsionnelles primitives, des tendances prégénitales, dans une
harmonie générale du Moi, lui permettant de bons rapports avec son
Surmoi et avec le monde extérieur, tout en sauvegardant une bonne
part de l'énergie libidinale. Mais Freud commence d'être inquiet du
sort du concept de libido sexuelle qu'il a créé et se demande s'il y a
quelque chose qui se modifie dans cette libido, tant dans sa genèse que
dans son évolution. Il rapproche le mécanisme de sublimation de
celui de l'identification et même de la formation réactionnelle et dit
que dans tous ces cas il y a désexualisation. Sa pensée me paraît claire
et je l'interprète différemment de Grunberger, je crois. Cette désexuali-
sation est justement la modification du but qui n'est plus sexuel mais est
utilisé dans l'intérêt du Moi. Une tendance psychanalytique le comprend
autrement — l'extrême en est Hartmann. Il y aurait un changement de
nature de la libido et — on ne peut rester à mi-chemin dans une telle
position — ce serait une neutralisation de la libido, ce qui, remarquons-le,
est très rassurant pour qui s'inquiéterait de la « pansexualité freudienne ».
Il y a alors contradiction avec la simple modificationfdu but. Ce qui permet
à ces auteurs un tel point de vue qui, à mon sens, appauvrit considéra-
blement et la valeur clinique et la richesse théorique, est une autre
proposition freudienne : il y aurait dans ces cas transformation de la
libido objectale en libido narcissique. S'agit-il d'un changement de
nature de la libido — ou bien là encore l'investissement est-il caractérisé
par ce à quoi il s'attache, c'est toute la question. Ce soir je n'en dirai
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 791
Je ne suis pas sûr que les mouvements oraux du Moi soient simples
mais je pense bien qu'il est impossible de parler de l'analité comme un
tout. Il y a une analité (et c'est là qu'on voit l'utilité de parler en termes
de mouvements structurants du Moi plutôt qu'en termes de stade
exclusivement libidinal), une analité dis-je qui intègre les différents
mouvements de l'oralité, d'une façon relativement harmonieuse, qui
prépare l'évolution ultérieure. Il y a une analité qui a peur de ses conflits
oraux actualisés, qui structure un Moi se ressentant dans un état de
danger permanent, qui se spasme et se fige dans une série de défenses.
Ce sera par exemple une forme préobsessionnelle qui va tendre à
s'accrocher à la causalité, à une ébauche de logique, à une certaine réalité,
comme à des bouées de sauvetage. A l'inverse l'analité qui sait organiser
les fantasmes de structure orale et les manier en les élaborant, me paraît
déboucher tout droit dans la création esthétique. Que l'inspiration ait de
profondes racines orales c'est certain, mais la forme primitive d'inspi-
ration d'origine orale est commune à tous les régresses oraux que nous
connaissons en clinique et qui ne sont en rien des créateurs d'oeuvres
d'art. Il n'y a rien de spécifique dans cette racine. Un homme a écrit
à onze ans un éloge de la constipation en même temps qu'un essai sur Le
Cid. Quelques lustres plus tard il produisit Madame Bovary. La lecture
de la correspondance de Flaubert est la plus belle description de toutes
les intégrations possibles de l'analité qui constitue l'essence même de la
structuration esthétique. L'oeuvre d'art apparaît entre autres comme
une image du Moi intégrant le maximum de libido dans une forme
satisfaisante qui enrichit le Moi sans l'inquiéter. Grunberger cherche
à séparer l'inspiration orale de la technique. L'artiste ne se pense qu'à
travers sa technique, c'est elle qui le spécifie en permettant l'accès à
l'inspiration commune. J'aimerai mieux parler de liberté anale devant le
jaillissement oral.
Si c'était ici le lieu je ferais remarquer qu'il n'y a pas qu'une analité
agressive mais aussi une analité constructrice « moulante », une analité
active, une analité de conservation, une analité d'expulsion et sans doute
justement, dans l'analité, la possibilité de commencer à dissocier ces
diverses formes et leurs divers agencements. D'une manière générale il
me paraît invraisemblable de tenter d'expliquern'importe quelle structure
adulte sans qu'elle intègre plus ou moins les différents plans génétiques.
Je pourrais discuter bien des détails, mais ceux-ci me paraissent
moins importants. Un artiste dont l'objet ne serait pas constitué à la
puberté serait à l'asile s'il n'était mort. Peut-être devrait-on parler
d'une meilleure structuration de l'objet ?
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 793
Intervention du Dr DALIBARD
Je voudrais limiter mon intervention, étant donné l'importance du
sujet, à quelques remarques concernant la notion de goût.
Mendel dit que « Érudition n'est pas goût ». Mais j'ajouterai que
le goût n'est pas l'art forcément. Or tout au moins je crois qu'il existe
un malentendu ; je crois que l'homme de goût, l'amateur d'Art de
l'enseigne de Gersain du XVIIIe siècle par exemple, est celui qui a
par rapport à l'Art une attitude relativement distante en cela même
qu'il pourrait à la rigueur s'en passer comme la plupart des hommes le
font d'ailleurs. Et si le goût évoque bien l'origine orale de la subli-
mation, il n'en reste pas moins un terme assez faible et plutôt passif.
Ne dit-on pas aussi goûter du bout des lèvres ce qui semble se rapporter
mieux à l'amateur qu'au peintre lui-même qui a, tout de même, plus
que du goût pour la peinture.
Ceci ne veut-il pas dire que la sublimation orale est réussie chez
l'homme de goût, l'homme classique, achevé, qui d'ailleurs goûte
bien d'autres choses que l'Art.
Par contre, je me demande si beaucoup de peintres si prodigues
et manquant d'analité, même s'ils ont franchi tant bien que mal les
différentes étapes de la personnalité, n'en conservent pas moins une
importante fixation orale que leur vie de dépendance dans la société
accuse, sans pour autant nier leurs identifications anales. On peut
penser, comme le dit Grunberger, que la conflictualisation anale,
semble avoir été en partie contournée.
D'autre part, cet artiste ne retrouve-t-il pas, ayant constamment
recours à la création d'images mille fois créées et rejetées (Soutine
en particulier lacérait, déchirait souvent ses oeuvres) ramené, reconfronté
avec cette vigoureuse manipulation l'objet « Mère » sadiquement
captivé, qui a été l'essentiel de son activité physique puis fantasmatique
dans sa lutte contre l'angoisse de séparation. Mais il est à noter que
lors de la phase orale et sadique-orale, il y a une activité de la main
importante dans la préhension du sein et quand je dis physique, je
pense à certains peintres qui donnent l'impression de transposer dans
leur activité manuelle cette manipulation de la « mère » dans une
saisie jubilatoire du matériau même de la peinture qui leur donne une
intense satisfaction vécue plutôt sur le mode de l'introjection.
Par ailleurs, l'art étant accepté par la loi comme métier, la tradition
des « pères » dont parle Mendel sera importante, mais à mon avis
moins qu'il ne le dit, surtout dans la peinture spontanée, expression-
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 795
niste qui s'est fait une place importante de nos jours et qui s'oppose à
la création élaborée des grands peintres classiques par exemple.
Il me semble que cette peinture expressionniste Fauve, voire
abstraite, pourrait prendre ses sources dans un univers plus marin,
plus mouvant, soulignant peut-être une nostalgie d'union narcissique
avec la mère, source auprès de laquelle les peintres restent souvent
ramassés.
Dans un autre ordre d'idées on peut se demander si parfois un
certain art, appelé « réactionnaire » ou « romantique », en cela qu'il
ignore la loi du moment, n'est pas une tentative de substituer à
l'OEdipe d'autres modèles de destins, sortes de solution de rechange,
garantissant dans son imperfection même une certaine liberté et
constituant une intégration, une sublimation des pulsions partielles trop
tumultueuses.
Oui, la mère de Rimbaud a été sa muse, mais elle ne l'a été que pour
ce temps de crise de l'adolescence. Strictement l'adolescence, où le
monde du possible est radical.
Le début de l'activité poétique coïncide avec la déchirure pubertaire.
Le monde tremble alors devant la fureur de possession et de négation
à la fois, de cet adolescent génial qui parle pour tous les adolescents.
C'est beaucoup plus qu'une révolte et la contemporaine « Commune »
de 1870, un moment inspiratrice de la révolte, pâlit bien à côté du flot
puisant des instincts du jeune Rimbaud. « La réalité rugueuse à étreindre,
ô Paysan », voilà le programme ! Tout cela fondu dans un syncrétisme
mystico-poétique, ésotérique par occasion, mais des fantasmes, des
fantasmes — au sens freudien du mot — qui rivalisent avec cette pseudo-
réalité que peut être pour un adolescent le monde des adultes. Rimbaud
est certainement le poète qui, à travers sa quête du réel, a certainement
senti — tragiquement — l'urgence et l'immanence du fantasme.
Le fantasme est le signe de l'hypothèse du monde. Pour Rimbaud, il
fallait justifier l'univers maternel, justifier et sacraliser l'absence du
père : « le forçat intraitable », « l'oeil bleu blanc des Gaulois », « le Cim-
mérien ».
Tout existe dans Rimbaud : une force incalculable, que seuls le
langage et le travail de ce langage — car quel langage et quel travail ! —
ont pu endiguer ; un « être de rapidité et de gloire ».
Tout existe, toutes les perversions, orales, homosexuelles ; les subli-
mations brusques et décisives : « l'entreprise de charité » avec Ver-
laine, etc. Tout existe comme dans ce moment de l'adolescence où
toutes religions sont possibles et comme ré-inventées, mais tout est
bref. La muse maternelle est avare et reprend rapidement son bien.
Après 19 ans, Rimbaud n'écrit plus.
Pour nous, Rimbaud est une source inépuisable de compréhension
de l'adolescent qui se caractérise, à mes yeux, par une tentative de
sacraliser le réel, c'est-à-dire de lui donner une identité, celle de « jadis »
comme disait Freud. Les difficultés d'identification de l'adolescent
ne gravitent pas uniquement autour d'une génitalisation plus ou moins
adéquate mais pour parler comme Yves Bonnefoy de Rimbaud : « Son
génie n'est pas un dieu qui se tournerait vers l'homme, c'est l'homme
absolu, libéré, menant à bien au sein de sa propre essence, les migrations
plus énormes que les anciennes invasions. » Ces migrations, la psycha-
nalyse en trace les linéaments. Nous pouvons suivre la nostalgie et la
liberté de Rimbaud dans son oeuvre comme dans sa vie. Il voulait une
mère qui enfantât un « fils du soleil ». Tant il l'aimait cette mère — haïe —
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 799
sublimé n'en a été évidemment que plus poussée, plus sublime. Mais
par la grande loi d'analogie, qui fonde toute activité artistique, l'objet
est toujours là, primordial.
Le regard ou la présence de Rimbaud et de Proust sur le monde
de leur oeuvre se réfère toujours à une grande tension spirituelle. C'est
sans doute une caractéristique de l'esprit moderne ou contemporain,
qu'il faille se tendre à ce point de se rompre pour sauvegarder à l'objet
culturel sa présence analogique, sa possibilité d'avatar symbolique...
à tel point que dans la littérature actuelle l'objet n'est plus posé spiri-
tuellement, idéalement, que comme étant déjà mort (d'où cette litté-
rature romanesque dite, du regard, de la description), du constat
(d'huissier) ou encore de l'objet-simulacre. Cette négativité de la subli-
mation est déréalisante.
La grande pantomime de la Renaissance, l'appel à une nature
initiatique de Nerval, la tendance sourde mais forte de la poésie actuelle
acceptent à divers titres la possibilité d'un échange perpétuel entre
l'objet et soi, une aube, un crépuscule, une vie, une mort. L'art peut
y devenir le prolongement naturel d'un instinct et non plus seulement,
malgré toute la révérence au génie de Mallarmé : L' « aboli bibelot
d'inanité sonore. »
Intervention de M. FAIN
Le travail que nous a présenté Mendel intéresse particulièrement
les psychanalystes. La voie de la sublimation, quand elle s'ouvre
devant nos patients, apparaît comme un garantie de la stabilité des
résultats thérapeutiques. Mais, qui dit sublimation ne dit pas toujours
art. Il n'est pas rare de voir un de nos analysés se mettre à peindre
ou à jouer d'un instrument après déblocage d'une certaine énergie
instinctuelle jusque-là mobilisée dans un contexte dramatique répé-
titif. Les possibilités expressives, caractérisant l'artiste authentique,
échappent à notre investigation. L'être humain naît avec un potentiel
de dons et de tares qui joueront leur rôle dans l'appréhension ulté-
rieure du monde. Il est alors évident que celui qui dispose de possi-
bilités d'expression, qui en font une véritable fonction sensible et
expressive de la société, trouvera plus facilement que d'autres les
possibilités de retrouver l'illusion de sa puissance narcissique perdue
et de la faire partager à ceux qui l'admireront. Je pense que cet
aspect, qui a été illustré avec brio par Mendel, est indéniable. Il me
semble, cependant, qu'il ne s'agit que d'un aspect, central certes,
802 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
tude sera retrouvée. C'est dans ce sens que j'ai compris l'exemple de
la charrue cité par Mendel. D'une part, objet utilitaire, d'autre part
oeuvre d'art abstraite. Rationalisation et abstraction, deux formes
expressives immobilisant l'image du soc fendant et préparant la terre
grasse à la fécondation.
En conclusion de cette première partie, je dirai que je doute sérieuse-
ment que l'on puisse retrouver chez l'adulte cet émoi océanique à l'état
pur. Il s'agit toujours d'un contexte défensif, le sujet investissant
avec plus ou moins de possibilités et suivant des modes différents,
les objets ou les activités qui, en lui permettant de nier l'existence
d'une autre face du monde, lui autorise de revivre cette illusion. Un
artiste qui utiliserait complètement ce système de défense s'amputerait
de la partie la plus riche de son inspiration.
J'aborderai maintenant un autre point qui me vient du matériel
d'analyse. Chez plusieurs patients, qui avaient des sublimations authen-
tiques, bien que n'étant pas toutes de nature artistique, un mécanisme
de défense commun s'est manifesté. Chaque fois que la situation ana-
lytique les amenait à aborder certains fantasmes, l'activité sublimatoire
se manifestait, pompant toute l'énergie qui avait tendance dans un
premier temps à se lier aux dits fantasmes. La sublimation apparaissait
alors comme un véritable acting-out. Sans prétendre qu'il en est toujours
ainsi, il faut cependant remarquer qu'il s'agit là, dans une perspective
économique, du même système que nous retrouvons dans les perver-
sions : la détente permet ainsi le refoulement efficace d'une série de
fantasmes qui avaient eu tendance à s'élaborer. Ce mécanisme peut
même revêtir des aspects troublants. Un jour, un de mes patients fit
un conte, exposant avec beaucoup de talent l'essentiel de son noyau
conflictuel. Il le lut au cours d'une séance et il s'avéra rapidement que
cette rédaction n'entraînait chez lui aucune modification. Autrement
dit, cette réalisation n'avait entraîné aucune amélioration de son insight,
et il n'était pas possible d'assimiler ce conte et sa lecture à un matériel
qui aurait été associé librement. Par contre il y avait, dans cette relation,
un accent dramatique tel qu'il m'avait permis de sentir profondément
ce qui se passait chez mon patient. L'action qui accompagne un tel
acte sublimé, son exhibition, font génétiquement remonter cet ensemble
au fantasme agi devant les parents, alors que l'intégration en tant
qu'activité fantasmatique intériorisée exige une identification à l'obser-
vateur, dans le cas cité plus haut à l'auditeur. Se montrer, voir la réaction
de l'autre, en acquérir un sentiment d'existence, séquence qui carac-
térise l'exhibitionnisme, montrent la difficulté vécue à être l'observateur
804 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
Intervention du Dr R. CAHN
L'exposé de Mendel apporte une contribution neuve sur bien des
points et toujours enrichissante sur les processus de sublimation,
avec ce qu'ils comportent de spécifique à la création artistique et au
fait esthétique. Or le caractère même de la structure et la dynamique
inconsciente de l'artiste ou de l'esthète en tant qu'individu, avec son
histoire propre, entrent en résonance avec une certaine condition
humaine qui, sur le plan de la réalité vécue, rejoint les fantasmes les
plus archaïques pour donner à cette angoisse et à son dépassement sa
dimension à la fois universelle et spécifiquement humaine.
A partir du moment où son évolution lui permet de mieux apprécier
la réalité du monde, l'homme prend peu à peu conscience que celui-ci
est sans limite, incompréhensible, indifférent, avec à son terme la mort.
Il y a certes la ressource de l'univers magique du primitif, de la foi ou
des relations humaines ou de l'action. Mais ils ne suffisent pas toujours
à réduire l'angoisse de la solitude et de la destruction finale.
Pour étayer mon propos, je voudrais reprendre le texte classique de
Proust cité par Mendel, pour mettre l'accent sur certains de ses aspects
qu'il n'a peut-être pas suffisamment soulignés bien qu'ils complètent
sa démonstration. Ce « plaisir délicieux... m'avait aussitôt rendu les
vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté
illusoire, de la même façon qu'opère l'amour en me remplissant d'une
essence précieuse... J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent,
mortel ».
Ce monde extérieur illimité, froid ou hostile, les frustrations qu'il
apporte, la certitude de la destruction finale sont bien proches de l'uni-
vers de l'oralité avec sa dimension indéfinie, et sa menace d'annihilation.
Or, l'art constitue une tentative pour restaurer la tonalité de plénitude
narcissique du plaisir en même temps qu'un mécanisme de défense
contre cette angoisse, par l'accord réalisé entre le sujet le plus vivant et
l'objet, même le plus inanimé. Il restitue à l'univers ses dimensions
humaines et, par l'émotion esthétique, fait de cet univers un moyen
de communion avec d'autres hommes, diminuant d'autant l'angoisse
de solitude.
C'est en ce sens que le processus de sublimation artistique et sa
finalité, à savoir la tentative de constituer l'objet à partir d'un monde
indéfini et annihilant me paraissent rejoindre un des besoins fonda-
mentaux de la condition humaine et que c'est à partir de cette double
dimension que pourrait être définie sa spécificité.
806 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
Intervention de F. PASCHE
Si intéressants et riches en aperçus que soient les travaux qui mettent
en évidence la participation de telle phase libidinale à l'activité artis-
tique, en estompant ou niant la participation des autres phases, ils
faussent la perspective selon laquelle doit être poursuivie l'investi-
gation de ce type d'activité.
Cette remarque concerne d'ailleurs beaucoup plus la brillante inter-
vention de Grunberger que le très intéressant rapport de Mendel,
qui exprime un point de vue nettement moins exclusif. Une oeuvre
d'art réussie implique en effet la mise en jeu de toutes les pulsions
partielles sans exception, elle est au niveau de la promotion génitale ;
si elle n'en dérive pas, elle lui est parallèle, et, comme celle-ci, réalise,
mais d'une autre façon, l'intégration de toutes ces pulsions, la richesse
inépuisable et la perfection de cette combinaison au sens chimique est
justement le fait du génie.
Mais je ne pense pas que nous puissions, nous autres psychanalystes,
faire davantage que l'inventaire des éléments de cette activité, nous ne
pouvons proposer ici d'explications du type de celles dont nous nous
servons pour élucider des symptômes. Elle n'est pas une sorte de
formation réactionnelle à une carence, à un excès ou à un conflit
pathologique particulièrement sévère ou spécifique. On peut, à ce sujet,
reprendre la riposte de Freud à Adler : les orateurs n'ont pas tous été
bègues ni les grands hommes des infirmes de petite dimension. Freud
a dit encore que si l'on pouvait expliquer la névrose d'un adulte par les
traumatismes de son enfance, on ne parviendrait jamais à expliquer
pourquoi tel autre adulte a échappé à la névrose en dépit de trauma-
tismes semblables. Je vois là beaucoup plus que de simples boutades.
Nos schèmes explicatifs ne nous permettent pas de rendre raison
du normal, celui-ci étant tout autre chose qu'une moyenne statistique,
ils nous permettent seulement de le dégager, de le laisser se manifester.
Or l'activité artistique est l'une des plus normales qui soient. Par
contre, nous pouvons et devons nous efforcer d'expliquer les inhibitions,
les échecs, les ratés de ces entreprises et y remédier. Quant à l'essence
du beau et à ses secrets de fabrication, en tant qu'analystes, cela ne
nous regarde pas.
Réponse de G. MENDEL
(6) KEIS (E.). — Decline and Recovery in the life of a tree-year-old, or, Data
in Psychoanalytic Perspective on the Mother-Child Relationship (Dégrada-
tion et retour à la santé dans la vie de l'enfant de trois ans, ou Etapes dans
une perspective psychanalytique de la relation mère-enfant), p. 175-215.
Le travail, qui n'était pas entièrement rédigé au moment de la mort de
l'auteur, décrit la dégradation et le retour à la santé d'une enfant de trois ans,
gravement traumatisée, dont la famille avait accepté de participer à l'observa-
tion interdisciplinaire à base psychanalytique de la recherche du Centre
d'Études Infantiles de l'Université de Yale. Les renseignements recueillis
proviennent des interviews avec les parents toujours centrés sur l'enfant.
Après le compte rendu de la biographie des parents, l'auteur retrace les premières
expériences du sujet étudié : Anne. Celle-ci souffrait du manque de contact
et des traits de caractère obsessionnel qui défendaient sa mère contre l'agressi-
LES REVUES 813
vité mal intégrée. Mais l'auteur s'efforce de décrire des attitudes concrètes et
d'éviter des clichés approximatifs pour décrire la conduite de la mère d'Anne.
L'histoire du retard de celle-ci comprend les observations des neuf premiers
mois, son manque de contact avec une mère qui attendait un garçon et qui
s'identifiait à ce garçon manqué, comme elle avait cru devoir se comporter
devant son père, désappointé d'avoir une fille ; puis la période suivante, avec
le déficit qui devint évident, en même temps que l'agression provocante, enfin
l'anxiété et le désespoir. Le retard très analogue à celui des enfants institu-
tionalisés — probablement par manque de stimulation maternelle — s'accompa-
gnait de véritables symptômes, ceux-ci calmant la tension provoquée chez les
deux partenaires de la relation mère-enfant. Cette observation amène à l'hypo-
thèse que le confort donné par la mère à l'enfant sert à construire la relation
objectale, tandis que la frustration stimule la différentiation et la structuration
de la psyché.
Ce chapitre comporte des détails nombreux sur l'observation directe des
enfants et la part qu'en peuvent tirer les psychanalystes. L'article se termine par
le plan de l'auteur pour apprécier l'anxiété, en particulier la peur de l'étranger
et ses caractères particuliers chez Anne, l'impossibilité d'être atteinte par son
père, bon objet, le fait que la mère seule peut réconforter, bien qu'elle soit
la mauvaise image.
(7) LUSTMAN (S. L.). — Defense, Symptom and Character (Défense, symptôme
et caractère), p. 216-244.
A travers l'analyse d'un enfant, on étudie les relations génétiques entre les
défenses, l'organisation du caractère et les symptômes (symptômes compul-
sionnels évoluant vers des traits de caractère plus ou moins intégrés, d'où
émerge la « bravade »). Rappel de l'intérêt de l'analyse d'enfant et des séquences
de jeu comme méthode scientifique d'observation. Intérêt de l'équipement pour
comprendre l'organisation défensive. Entre les défenses et le caractère, il n'y a,
au fond, qu'une différence de quantité.
(8) ROBERTSON (J.). — Mothering as an Influance on Early Development (Les
soins maternels et leur influence sur le développement précoce), p. 245-264.
A travers l'observation faite dans une clinique d'enfants bien portants, on
peut voir les facteurs subtils qui peuvent agir dans l'élevage organisé par des
mères bien portantes en apparence, et qui peuvent être à l'origine d'un appauvris-
sement durable et sévère dans l'organisation de la personnalité des enfants.
L'observation porte essentiellement sur des séquences de développement
moteur. Coupe horizontale à 12 mois sur 25 paires d'enfants. Dans 5 cas, le
comportement de la mère en présence de l'enfant était manifestement inadéquat
et dans ces cas seulement on observait à 12 mois un retard de la motilité et de la
communication, malgré une excellente curiosité visuelle. Description des
cinq enfants et du comportement maternel observé une heure et demie par
semaine.
Les soins maternels peuvent être parfaitement définis au cours de ce que
l'auteur appelle la période d'adaptation des huit premières semaines. A la fin
de cette période la « bonne » mère :
a) Ressent et exprime son plaisir, non seulement en tenant son enfant, mais
au cours de toutes les tâches de maternage ;
b) Est au courant de l'état affectif de son enfant et peut y répondre ;
c) Utilise son anxiété normale à cette période, au service de l'enfant.
REV. FR. PSYCHANAL. 52
814 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
(9) RUBINFINE (D. L.). — Maternal Stimulation, Psychic Structure, and Early
Objet Relations (With Special Reference to Aggression and Denial) (Stimu-
lation maternelle, structure psychique et relation objectale précoce. Référence
spéciale à l'agression et à la dénégation), p. 265-282.
Travail destiné à montrer que la dénégation au cours des expériences
objectales précoces facilite l'assimilation du monde extérieur et des objets,
pour obvier aux effets de la négligence maternelle. Illustration de la thèse :
1) Par l'observation du nourrisson normal ;
2) Par l'étude des enfants autistiques ;
3) Par le traitement des enfants psychotiques ;
4) Par des protocoles d'expérimentation animale.
SPITZ (R. A.). — Autoerotism re-examined (The Role of Early Sexual Behaviour
Patterns in Personality Formation) (Nouvel examen de l'auto-érotisme,
Le rôle des « patterns » sexuels précoces dans la formation de la personnalité).
p. 283-315.
(10) COOLIDGE (J. C.) and all. — Patterns of Aggression in School Phobia
(Les « patterns » agressifs dans la phobie scolaire).
On y met en évidence l'hostilité de l'enfant contre sa mère, laquelle est
également agressive contre son enfant, ce qui renforce la dépendance.
(11) ESMAN (A. H.). — Visual Hallucinoses in Young Children (Hallucinose
visuelle chez les jeunes enfants), p. 334-343.
Les hallucinations visuelles que l'auteur a observées chez cinq enfants,
en dehors des troubles toxi-infectieux ou métaboliques, semblent plus fréquents
chez les Noirs, comme manifestation d'une crise anxieuse non psychotique.
L'hypothèse du traumatisme visuel lié à de fréquentes expériences de scènes
primitives est soulevée. L'hallucination serait un effort projectif pour reconsti-
tuer l'image du parent qui apparaît dans une telle situation.
(12) KAVKA (J.). — Ego Syntheses of a life threatening Illness in Childhood
(Synthèse du Moi dans une maladie grave de l'enfance), p. 344-362.
On suppose ici que le transfert psychanalytique permet de comprendre
l'influence d'une maladie gravissime sur la formation du caractère à la période
oedipienne, l'événement valorisant au maximum la crainte de castration. Le
traitement a eu lieu chez un jeune homme qui avait alors 19 ans et qui avait
été traité pour une maladie de Hodgkin à 5 ans. Le traitement dura quatre ans
et demi et il avait été entendu que l'analyste pourrait être amené à dire au malade
la vérité sur ce diagnostic qui ne lui avait pas été révélé.
Le diagnostic, après avoir été celui d'une névrose de caractère avec imma-
turité et inhibition, fut celui d'une névrose obsessionnelle. Le patient apprit
à la fin de l'analyse la nature de sa maladie dont le traitement (radiothérapique)
avait été vécu comme une castration.
LES REVUES 815
KLEIN (Melanie), Our adult world and other essays (Notre monde adulte et
autres essais), W. Heinemann Medical Books Ltd, 1963 : Chap. I :
« Our adult world and its roots in infancy » (Notre monde adulte et ses
racines dans l'enfance) ; Chap. II : « Some reflections on the Oresteïa »
(Quelques réflexions sur l'Orestie) (I) ; Chap. III : « On identification » (De
l'identification) ; chap. IV : « On the sense of loneliness » (Du sentiment de
solitude).
(1) Some reflections on the Oresteïa (Quelques réflexions sur l'Orestie).
Ceux qui n'ont pas pour l'oeuvre de Melanie Klein une aversion qui souvent
confine à la démonomanie, mais la considèrent avec intérêt et même sympa-
thie, ne seront pas surpris de voir que l'ouvrage posthume que viennent de
publier ses exécuteurs testamentaires comprend une longue étude sur
l'Orestie (1). Pour peu qu'on se soit intéressé à cette projection légendaire et
à la trilogie eschyléenne, on aura vite compris comment cette oeuvre appelle
l'interprétation au moyen du système kleinien. La seule surprise aura été de
constater que Melanie Klein ait attendu si longtemps pour y trouver son bien.
Sans doute, cette étude ne déparera-t-elle pas l'oeuvre si riche de celle qui se
voulait une continuatrice de Freud. L'attention que nous avons nous-même
portée à l'Orestie (2) et la confrontation de nos conclusions avec les siennes nous
ont incité à revenir encore une fois sur le commentaire de cette oeuvre.
Après avoir donné un bref résumé de la trilogie d'après la traduction de
Gilbert Murray, Melanie Klein, avant de se livrer à son interprétation, présente
comme dans beaucoup de ses articles un résumé de ses thèses. On y relève ses
découvertes les plus récentes sur l'envie, M. Klein place à l'orée du dévelop-
pement à côté des mécanismes d'introjection, projection, de clivage, de frag-
mentation, de dénégation, l'envie qui sous-tend les relations de l'enfant à la
mère placées sous le signe de la dualité des pulsions erotiques ou destructrices.
L'envie de l'enfant pour la mère est envie de son pouvoir créateur et nourricier,
envie de s'approprier ce pouvoir et de le détruire. Cette soif de détruire se
porte sur l'objet de sa dépendance le sein maternel, dont le désir accroît la
haine et l'envie (3). Ce concept de l'envie qui est à la base des pulsions des-
tructrices entraîne, lorsque la phase dépressive est atteinte, et avec la menace
de la perte totale de l'objet qu'elle implique pour l'enfant, le concept corollaire
de réparation.
Melanie Klein voit dans la pensée grecque une confirmation de ses thèses.
(1) P. 23-55.
(2) Cf. Fonction du rêve dans l'Orestie, Les Temps modernes, avril 1964, et aussi : OEdipe
et Oreste, à paraître dans les Actes du Colloque de Cérisy sur la psychanalyse et l'art, tenu
en sept. 1962, Mouton édit., Paris-La Haye.
(3) Notons au passage le point de rencontre de ce concept d'envie avec le concept du désir
de Lacan.
LES LIVRES 817
que le matricide soit accompli sous une forme crue et directe (1). Dans la mesure
où ces fantasmes sont la règle pour elle, il n'y a rien là qui puisse surprendre.
Melanie Klein ne voit là qu'un signe de la négativité du complexe d'OEdipe
d'Oreste, sans plus. La constellation oedipienne totale, c'est-à-dire double, est
diversement attestée dans la trilogie. Electre présente un complexe d'OEdipe
positif et la rivalité entre Clytemnestre et Cassandre (celle-ci étant un substitut
filial) est un indice de la présence de ce complexe positif. Par contre, Apollon
qui pousse et soutient Oreste indique un OEdipe négatif. Tandis qu'Athéna,
fille préférée de Zeus et dont l'influence prévaut, est signe de complexe d'OEdipe
positif. Ainsi on pourrait écrire :
OEdipe + OEdipe —
Quant à Agamemnon, sa place ne peut être indiquée ici, car il est tantôt
signe d'OEdipe positif (Cassandre, Electre), tantôt signe d'OEdipe négatif
(Clytemnestre, Oreste). C'est pourquoi, à nos yeux, il mérite un statut parti-
culier. Melanie Klein ne voit en lui que l'agent de la démesure (sacrifice d'Iphi-
génie, offense d'orgueil aux dieux).
Le principal argument que nous soulèverons contre le système kleinien
— argument qui se soutient aussi à l'égard des nombreux systèmes qui, sans
se réclamer d'elle, s'en inspirent à la rigueur près — est la disparition de la
référence paternelle. Remarquons que nous ne disons pas la disparition du père.
Celui-ci est certes présent à de nombreuses reprises dans l'oeuvre de Melanie
Klein et la note proprement oedipienne est moins absente qu'on le dit dans ses
travaux. Mais il est présent comme double de la mère. C'est un objet second
parce que plus tardif — opinion qui rejoint ici celle des psychanalystes géné-
ticiens qui, pourtant, la critiquent tant — et parce que fonctionnant pratique-
ment comme s'il s'agissait d'un second objet maternel. Cela ne veut pas dire
que Melanie Klein ne lui reconnaisse pas des caractères spécifiques. C'est bien
d'un homme qu'il s'agit, attirant normalement les faveurs de sa fille, mais (et
la conception de la mère au pénis accentue cet infléchissement) nulle part il
n'est attesté de sa position comme référence. C'est-à-dire qu'il n'est pas l'objet
du désir de la mère, il n'est pas le représentant de la position tierce. Ce tiers
exclu/non-exclu, qui donne tant de relief à la conception psychanalytique de la
paternité. Il n'est pas le signe par lequel le phallus entre dans le monde de l'en-
fant par la découverte de son absence au niveau de la mère.
Autrement dit, le complexe d'OEdipe comme circuit d'échanges est ici
insensé, dépourvu de sens, c'est-à-dire de direction dans la circulation des
objets, des valeurs des investissements. Si Melanie Klein représente un des
courants les plus audacieux de la pensée postfreudienne, J. Lacan, par une
orientation diamétralement opposée, ramène l'équilibre vers l'autre pôle de la
balance, celui du rétablissement de la primauté paternelle.
(1) Par opposition à son expression sous une forme déguisée comme le triomphe d'OEdipe
sur la Sphynge, qui aboutit à la mort de celle-ci.
LES LIVRES 819
tél. WE 2.4562.
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M. CHENTRIER Th., 3203, Jean Brillant, Montréal 26, (Canada).
Mme GUEX G., 54, avenue de Beaumont, Lausanne (Suisse).
Mlle le Dr JACOBS VAN MERLEN Th., 124, rue Berkendaël, Bruxelles (Belgique),
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Mme LECHAT F., 137, avenue Albert, Bruxelles (Belgique), tél. : 44.07.03.
Dr SOCARRAS J. F., Calle 35, 17-39, Bogota (Colombie).
Dr ZAVITZIANOS G., 22, Cypress Street, Tenafly, New Jersey (U.S.A.).
INDEX
PAGES
CONTRIBUTIONS SCIENTIFIQUES.
..
BÉNASSY (Maurice) et DIATKINE (René). — Ontogenèse du fantasme. 539
Lu au XXIIIe Congrès International de Psychanalyse. Intervention
de V. H. ROSEN, 567.
BICK (Esther). — La psychanalyse infantile d'aujourd'hui 139
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Elisabeth GELEERD.
BION (Wilfred). — Théorie de la pensée 75
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution à
la discussion par Cecily de MONCHAUX, 85.
CAHN (R.). — Voir G. MENDEL 805
DALIBARD (Y.). — Voir G. MENDEL 793
DALIBARD (Y.). — Voir Roger MISES 388
DECOBERT (Simone). — Voir Jean KESTENBERG 393
DIATKINE (René). — Voir Maurice BÉNASSY 539
FAIN (Michel). — Voir Béla GRUNBERGER 232
FAIN (Michel). — Voir G. MENDEL 801
FAIN (Michel) et MARTY (Pierre). — Perspective psychosomatique sur
la fonction des fantasmes 609
FAVREAU (Jean). — Voir Roger MISES 390
FRANKL (Liselotte) et HELLMAN (Ilse). — La participation du moi dans
l'alliance thérapeutique 149
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Elisabeth GELEERD, 159.
FORNARI (Franco). — Condition dépressive et condition paranoïde dans
la crise de la guerre 251
GELEERD (Elisabeth). — Voir Esther BICK, Liselotte FRANKL et Ilse
HELLMAN 159
GILL (Merton). — In Memoriam David Rapaport (1911-1960) 341
GREEN (André). — Névrose obsessionnelle et hystérie, leurs relations
chez Freud et depuis 679
GRUNBERGER (Béla). — De l'image phallique 217
Discussion par Jean KESTENBERG, 231 ; Interventions de Michel
FAIN, 232 ; Serge LEBOVICI, 233 ; L. SPIEGEL, 234.
HARTMANN (H.) et LOEWENSTEIN (R.). — Notes sur le surmoi 639
HELLMAN (Ilse). — Voir Liselotte FRANKL 149
KESTENBERG (Jean). — Voir Béla GRUNBERGER 231
KESTENBERG (Jean). — Voir Roger MISES 388
KESTENBERG (Jean). — Voir Gérard MENDEL 780
KESTENBERG (Jean) et DECOBERT (Simone). — Approche psychanalytique
pour la compréhension de la dynamique des groupes thérapeutiques
(Variantes dynamiques dans les groupes dits stables ou instables) 393
830 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
PAGES
NÉCROLOGIE.
Franz Alexander (8 mars 1964) 634
Félix Deutsch (2 janvier 1964) 339
Laurent-Lucas-Champonnière (21 octobre 1964) 635
Rapaport (David) (1911-1960) 341
Marguerite Séchehaye (7 juillet 1964) 634
LES LIVRES.
AKLOW (Jacob) et BRENNER (Charles). — Les concepts psychanalytiques
et la théorie structurale (P. LÉVY) 819
BALINT (Michael et Enid). — Psychoterapeutic technics in medicine
(P. LÉVY) 289
BURSTIN (Jacques). — Désagrégation, régression et reconstruction dans la
schizophrénie (Résumé d'auteur) 626
GARMA (Angel). — Les maux de tête (J. KESTENBERG) 441
KADIS (A. L.)5 KRASNER (J. D.)5 WINICK (C.) et FOULKES (S. H.). —
Guide pratique de psychothérapie de groupe (Résumé d'auteur) 626
KLEIN (Melanie). — Our adult world and other essays (André GREEN) 816
LAPLANCHE (J.). — Hôlderlin et la question du père (M. C. BOONS) 280
LEMAY (M.). — Les groupes de jeunes inadaptés. Rôle du jeune meneur.
(C. GIRARD) 283
MARTY (Pierre), M'UZAN (Michel de) et DAVID (Christian). —L'investi-
tigation psychosomatique (Serge LEBOVICI) 285
ROBERT (Marthe). — La révolution psychanalytique. La vie et l'oeuvre de
Freud, 2 vol. (Serge LEBOVICI) 623
THOMA (Helmut). — Anorexia nervosa Geschichte, Klinik und Theorien
der Pubertäts Magersucht 279
TOMAN (Walter). — Family constellation (P. LÉVY) 284
WAELDER (Robert). — Les fondements de la psychanalyse 279
Livres parvenus à la rédaction 333
LES REVUES 291, 443, 809
SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS :
Compte rendu des activités scientifiques (octobre 1962 à décem-
bre 1963) 315
Liste des membres 823
INSTITUT DE PSYCHANALYSE :
Ve Séminaire de perfectionnement 317
Statistiques (arrêtées au 31 décembre 1963) 332
Programme de l'enseignement (1964-1965) 628
Bibliothèque 632
COMMUNIQUÉS 339, 633
INDEX ALPHABÉTIQUE 825