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Revue française de

psychanalyse (Paris)

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque Sigmund Freud


Socié t é psychanalytique de Paris. Aut eur du t ext e. Revue
française de psychanalyse (Paris). 1964.

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REVUE FRANÇAISE
DE PSYCHANALYSE
REVUE FRANÇAISE
DE
PSYCHANALYSE

TOME XXVIII

N° 1
JANVIER-FÉVRIER 1964

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1964
XXIIe Congrès International
de Psychanalyse
(Edimbourg, 30 juillet-3 août 1961)

SOMMAIRE
Suite des n°s 4-5, vol. XXVII

CRITÈRES DE SÉLECTION APPLICABLES


A LA FORMATION DES ÉTUDIANTS EN PSYCHANALYSE
I. MARIE LANGER.
II. PIETER J. VAN DER LEEUW.
Contribution à la discussion :
Robert WAELDER

LA RECHERCHE EN PSYCHANALYSE
JOSEPH SANDLER. L'index de HAMPSTEAD, outil de la recherche
psychanalytique.
Contribution à la discussion :
Ishak RAMZY

ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE DE LA PENSÉE


I. LAJOSSZEKELY. La signification, les schémas de la signification
et les schémas corporels de la pensée.
II. WlLFRED BION. Théorie de la pensée.
Contribution à la discussion :
Cecily de MONCHAUX
6 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

LA SITUATION PSYCHANALYTIQUE
I. R. VALENSTEIN : Affects, reviviscence des émotions
ARTHUR
et Prise de conscience au cours du processus analytique.
II. M. MASUD R. KHAN. La psychologie du rêve et l'évolution de
la situation psychanalytique (1).
Contribution à la discussion :
Emmanuel WlNDHOLZ

SYMPOSIUM SUR LA PSYCHANALYSE DES ENFANTS


I. ESTHER BICK. La psychanalyse infantile d'aujourd'hui.
II. LISELOTTE FRANKL et ILSE HELLMAN. La participation du
Moi dans l'alliance thérapeutique.

Contribution à la discussion et réponses :


Elisabeth GELEERD, Esther BICK
CLIFFORD SCOTT : Une reclassification des états psychopathologiques.

(1) Version élargie du texte lu au Congrès.


CRITÈRES DE SÉLECTION
APPLICABLES
A LA FORMATION
DES ÉTUDIANTS
EN PSYCHANALYSE

par MARIE LANGER (Buenos Aires) (1)

Dans nos travaux de recherche comme dans nos Congrès nous


sommes habitués à nous préoccuper de problèmes très divers dans les
domaines de la psychanalyse clinique, théorique et appliquée. Partout
nous dirigeons notre intérêt vers l'analyse et vers nos patients. Mais
généralement nous ne nous tournons pas vers nous-mêmes pour
examiner notre capacité en tant que psychanalystes.
Le colloque auquel contribue cet article a pour objet l'étude de
nous-mêmes analystes. Notre précurseur dans ce domaine a été Freud
lui-même lorsqu'il a analysé ses propres rêves ; le contre-transfert
constitue le descendant direct de cette auto-analyse. Les critères de
sélection concernent notre propre contre-transfert, nos idéaux du Moi
personnels, nos relations avec autrui, tous faits qui appartiennent à un
sujet plus vaste encore : l'analyse de l'analyste lui-même. Bien que les
critères de sélection soient liés au travail très concret de faire un choix
bien approprié parmi les futurs débutants dans notre profession, ils
impliquent quelque chose de beaucoup plus complexe et comportent
inévitablement des éléments personnels. En discutant des critères de
la sélection nous revivons tous, consciemment ou inconsciemment,
notre propre personnalité, nous considérons nos projections, nos
identifications personnelles courantes et aspirons à découvrir, choisir
et former ceux des aspirants que nous jugeons capables de devenir nos
héritiers idéologiques, auxquels nous pourrions léguer notre propre
mission, notre tâche et dans lesquels plus tard nous pourrions nous
projeter.

(1) Lu au XXIIe Congrès international, Edimbourg, juillet-août 1961.


8 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Tout cela signifie que dans le champ de notre sélection, nos émotions
jouent un grand rôle : ainsi, les qualités que nous cherchons chez nos
étudiants sont largement déterminées par nos propres idéologies, nos
propres rapports avec la psychanalyse et notre propre désir de recruter
des partisans de nos propres points de vue. Le fait même que cette
question ait un caractère aussi personnel nous force à recourir, afin de
rester objectifs, à des moyens impersonnels, étrangers à notre technique,
par exemple à des tests psychologiques, etc. La sélection a constitué
récemment le thème général de discussions dans les commissions, les
colloques et les projets de recherches. Il est donc improblable que
quelque chose de fondamentalement nouveau puisse être dit à ce sujet,
en particulier après la publication du livre de Holt et Luborsky [8]
et celle de l'étude plus récente et complète de Lewin et Ross [13].
Pour éviter toute répétition, qu'il soit question de découvertes ou
d'approches, je me bornerai à présenter et à discuter trois aspects
reliés entre eux du problème de la sélection. J'essayerai : 1) De diffé-
rencier les raisons intérieures et extérieures de notre préoccupation
à ce sujet ; 2) D'établir un lien entre l'aptitude du candidat et sa vocation ;
et 3) De montrer comment les caractéristiques de notre science imposent
certaines méthodes déterminées de sélection et en invalident d'autres.
Premièrement, pourquoi les critères de sélection qui, au début de
la psychanalyse, ne posaient aucun problème, sont-ils aujourd'hui
devenus un objet de préoccupation pour tous les Instituts psychana-
lytiques ? Les raisons extérieures de cet état de choses nous sont
connues. C'est le grand accroissement, depuis la deuxième guerre,
du nombre des étudiants. Il y a aussi la reconnaissance par les médecins,
comme par les non-médecins, de l'efficacité de la psychanalyse et,
en outre, le prestige et les garanties économiques que notre profession
assure maintenant à ses praticiens. Telles sont les raisons qui font que
les Instituts de Psychanalyse ne parviennent plus à satisfaire à toutes
les exigences et que la sélection constitue un problème. De plus, nous
craignons actuellement de commettre des erreurs en acceptant des
étudiants sans vocation réelle et dont le choix d'une carrière pourrait
être déterminé par des motifs névrotiques ou d'opportunisme. Et
même, nos pessimistes redoutent qu'une psychanalyse, aujourd'hui
reconnue et appréciée, qui procure honneur et argent, ainsi que la
poursuite d'une vérité maintenant incontestée et qui est une récompense
puisse cesser d'attirer un chercheur vraiment capable.
Telle est la situation objective. Mais il y a d'autres facteurs subjectifs
dont nous devons tenir compte dans l'exposé de ce problème.
CRITÈRES DE SÉLECTION 9

Le premier d'entre eux est commun à toutes les activités humaines.


C'est que nous « la vieille génération » des analystes contemporains
nous avons peut-être une tendance à idéaliser notre propre passé, avec
l'impression — bien connue dans d'autres domaines — que la jeunesse
d'aujourd'hui ne possède pas le caractère sérieux, la haute valeur de
notre génération.
Cette idéalisation générale du passé revêt une teinte spéciale par
suite de l'évolution historique de la psychanalyse. Au début, nous
analystes avons travaillé après avoir formé un petit groupe intime,
fermé. Les universités, les hôpitaux, les sociétés scientifiques ne nous
accueillaient pas. Nous nous inquiétions souvent de notre hygiène
mentale et nous efforcions de sortir pour un temps de notre cercle
fermé et de chercher un échange d'idées avec ceux qui ne s'y trouvaient
pas. Mais il fallut bientôt reconnaître que la chose n'était pas aisée.
Nous souffrîmes alors d'une crainte de claustrophobie sans nous rendre
pleinement compte qu'il en était ainsi. Aujourd'hui notre situation
est entièrement inversée. Le domaine de la science nous est ouvert,
nous ne sommes plus tenus à l'écart ou réduits à notre propre groupe.
Mais en face de notre liberté nouvellement acquise, des craintes ago-
raphobiques nous assaillent autant que la peur de faire de notre héritage
analytique un mauvais usage en l'affaiblissant par son contact avec
d'autres méthodes et d'autres disciplines. Une certaine dose de sentiment
de culpabilité joue son rôle dans ces craintes : culpabilité quand
nous songeons à tout ce dont nous profitons en le comparant à tout
ce que nos prédécesseurs ont eu à endurer. Les facilités qui nous sont
offertes nous portent à nous accuser d'opportunisme et à projeter ce
sentiment sur ceux qui deviendront nos successeurs.
Toutefois ce sentiment de culpabilité, cette appréhension de ne pas
trouver de jeunes analystes capables de nous succéder et d'augmenter
notre héritage, ont encore une autre cause. Une question qui a long-
temps provoqué parmi nous des dissensions, des discussions et des
luttes est celle des analystes non-médecins. Je ne me propose point
de discuter ici des aspects pratiques ou légaux de cette question. L'ad-
mission ou le rejet du non-médecin doit être décidé, comme on l'a
fait jusqu'à présent, à l'intérieur des diverses sociétés locales ou natio-
nales. Mais si j'aborde ce sujet c'est parce que, inconsciemment, il est
lié à nos préoccupations touchant le choix opportun de nos candidats
et aussi au manque relatif d'étudiants talentueux et brillants. Ce pro-
blème se rattache aussi à la question de la vocation dont j'espère pouvoir
parler à présent.
10 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Dans la longue liste des anciens analystes habiles passés et présents


se trouvent un grand nombre de non-médecins dont nul ne songerait
à discuter la valeur. Certains ne possèdent pas de diplômes universi-
taires ; d'autres, des psychologues, des philosophes, des pédagogues
de carrière, etc., sont venus à l'analyse. Le fait ne nous surprend pas
puisque nous savons que la psychanalyse se situe entre les sciences
biologiques et les humanités. Freud [3] a souligné que l'enseignement
de la médecine dirige l'attention de l'étudiant vers les faits anatomiques,
physiques et chimiques susceptibles d'être objectivement déterminés.
C'est pour cette raison qu'à l'époque le médecin n'était pas prêt à
prendre connaissance de la psychanalyse. Je pense que nous devrions
intervertir la cause et la conséquence. Ce que nous avons en commun
avec le médecin, c'est le désir et le besoin de guérir ; mais nos moyens
diffèrent. Étant donné le caractère spécifique et non « objectivement
déterminable » de notre méthode, le besoin de guérir « au moyen de la
parole » amènera l'étudiant, qui se sent une vocation d'analyste, à se
tourner vers les lettres plutôt que vers la médecine. Peut-être nous
objectera-t-on que le futur analyste, déjà attiré par la psychiatrie,
choisira, à cause de cela, la médecine. Mais ce fait aussi prête à la
discussion, car la vocation de psychiatre et les méthodes en psychiatrie
diffèrent, dans une certaine mesure, des nôtres. Si, à notre avis, la
tâche du psychanalyste se fonde sur la libre introjection, l'élaboration
et la reprojection des matériaux fournis par son malade sous une forme
interprétative verbale, si nous soutenons que son attitude est réceptive
et non pas défensive ou directive, nous voyons clairement ce qui dis-
tingue l'analyste du psychiatre.
De même que le psychiatre, l'analyste cherche à réparer ses objets
intérieurs endommagés, projetés sur le malade, mais en suivant une
voie différente. Le psychiatre ne s'engage pas intérieurement et s'efforce
de contrôler le caractère dangereux de ses objets en employant des
moyens de répression — traitements biologiques ou chirurgicaux — ou
des procédés directifs — suggestion, psychothérapie de soutien ou
d'autres systèmes du même genre ; l'analyste communique directement
avec les éléments dangereux de son malade. Je me rends bien compte
que cette description s'applique davantage au psychiatre classique qu'au
psychiatre actuel dynamique. Je sais aussi que, parmi les étudiants qui
sont déjà conscients de leur vocation de psychanalystes, beaucoup choi-
sissent la médecine parce que cette étude leur inspire un réel et sincère
intérêt, mais qu'un grand nombre d'autres s'y adonnent simplement
comme une condition nécessaire à la pratique de leur future profession.
CRITERES DE SELECTION II

En résumé : à l'heure actuelle il n'existe aucun enseignement univer-


sitaire capable de satisfaire pleinement aux nécessités de notre pro-
fession. Alors comment se fait-il que le plus grand nombre des sociétés
psychanalytiques exigent de l'étudiant qu'il suive exclusivement des
cours de médecine ? Les motifs en sont souvent objectifs et légaux.
Freud [3] (p. 220), dit : « Les psychanalystes... ressentent comme un
malaise l'isolement d'avec leurs collègues, ils voudraient bien être
regardés comme pleinement autorisés par la profession à laquelle ils
appartiennent et sont prêts, en échange de la tolérance qu'ils espèrent
à faire un sacrifice sur un point qui ne leur semble pas personnellement
vital. » Si nous nous préoccupons autant actuellement du manque de
futurs grands thérapeutes et chercheurs, c'est peut-être une conséquence
de ce sacrifice.
Mais, me direz-vous, qu'est-ce que tout ceci a à voir avec notre
critère de sélection ? Pour vous répondre, je m'en rapporterai aux
critères de sélection bien connus et tenus pour exacts. L'Institut de
Chicago [13] exige entre autres qualités, de ses candidats, « qu'ils
possèdent la faculté (c'est moi qui souligne) de communiquer avec
autrui, avec eux-mêmes et d'établir une communication entre les forces
intra-psychiques... ». Paula Heimann dans son importante contribution
à ce sujet [7] cite, entre autres qualités nécessaires au futur analyste :
« Qu'il s'intéresse aux êtres humains et éprouve le désir (c'est moi qui
souligne) de leur venir en aide mais en respectant l'individualité du
sujet. » Voilà sans aucun doute de bons critères, toutefois pour un
analyste, il faut être plus qu'un thérapeute ou un véritable chercheur
ou les deux à la fois, il faut quelque chose que nous pourrions définir
comme la passion de son métier. Et cette passion, qui le distingue de
l'opportuniste, découle non seulement de sa « faculté de communi-
cation » ou de son désir de « venir en aide », mais encore de son besoin
d'agir ainsi, besoin qui caractérise toute vocation véritable.
Melanie Klein [9, 10, 11] a élargi la définition de la sublimation
donnée par Freud en introduisant le concept de réparation. Dans notre
travail sublimé nous satisfaisons à la fois nos instincts de réparer les
dommages subits par les objets intérieurs et par certaines parties du
Moi. Et je crois que ce besoin de réparer est à la base de toute vocation.
Le mot vocation (du latin vocare) définit le sentiment d'être appelé
par une voix intérieure (le Surmoi) à réaliser une décision. Tout véritable
analyste, comme tout véritable médecin, se sent appelé à réparer cer-
taines parties de son Moi (de son Moi infantile) et ses objets intérieurs
endommagés. Mais pour réaliser cette tâche, il utilise un autre type
12 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

de sublimation et d'autres mécanismes de défense que le clinicien.


Par exemple il satisfait ses instincts partiels (en particulier son voyeu-
risme) et refoule le désir d'un contact physique direct permis au clinicien
ou la tendance au sadisme dont fait adéquatement usage, en la sublimant,
le chirurgien. Sa grande capacité de régression lui permet d'entrer en
contact avec l'enfant qui existe toujours dans chaque malade.
Le psychanalyste doit posséder et faire usage d'une certaine « psycho-
pathologie » alors qu'une autre lui fait défaut (particulièrement les
mécanismes psychopathiques qui tendent vers une action directe).
Le Moi de l'analyste, dit Liberman [14] doit se servir de mécanismes
schizoïdes pour comprendre le patient et le suivre dans sa régression
sans se laisser entraîner complètement. Il lui faut aussi utiliser des
mécanismes obsessionnels afin de verbaliser d'une façon adéquate sa
compréhension intérieure du malade, des mécanismes dépressifs pour
saisir le besoin d'estime de soi de ce dernier, des mécanismes hystériques
afin de dramatiser comme il convient.
Toutefois l'analyste commettra une faute si sa « psychopathologie »
vient à dépasser certaines limites car alors il ne sera plus en mesure de
réparer au niveau dépressif et se verra ainsi obligé de restaurer ses
objets d'une façon maniaque, omnipotente. Tout cela conduit à l'échec
et se produit du fait d'un déséquilibre de forces (un Surmoi trop
exigeant ou un moi trop faible, ou des objets intérieurs endommagés
au-delà du pouvoir de réparer) (1).
Une multiplicité de facteurs jouent ainsi leur rôle. Comment les
séparer par avance et en dehors de la situation analytique afin d'obtenir
une sélection réussie ? L'entretien constitue un instrument valable
qui nous permet d'observer les aspects les plus différents du postulant.
Notre attention peut se porter sur son intelligence ou ses attitudes
(libres, aisées, inhibées, paranoïdes, etc.), sur ce qu'il a à dire, sur sa
sexualité infantile, comment il le fait, et ainsi de suite. Cependant, à
mon avis, durant tout cet entretien nous ne devons jamais perdre de
vue le but spécial à atteindre : déterminer l'aptitude de l'étudiant
désireux d'embrasser notre profession. Pour ce faire, il nous faut au

(1) Grinberg a parlé d'étudiants dont la soumissionà un Surmoi cruel exige impérieusement
la réparation de leurs objets intérieurs endommagés et les amène à la compulsion de porter
remède. L'auteur montre que l'analyste qui évalue trop haut son travail se soumet masochi-
quement à ses malades et appauvrit ainsi son Moi. Il nous parle également des étudiants ou
des médecins analystes qui se sentent « appelés s à devenir analystes à la suite de certains
fantasmes transférentiels impliquant une identification à l'agresseur ou une façon de l'apaiser
ou encore une soumission du type pseudo-réparatoire (je veux donner ce plaisir à mon père-
analyste) ou enfin une identification résultant d'une rivalité avec l'analyste, le collègue,
l'ami, etc., ou d'une envie à son égard.
CRITERES DE SELECTION 13

moyen de ses dires, retrouver la raison pour laquelle il se sent poussé


à réparer et dans quelle mesure il a jusqu'à présent satisfait ce besoin.
Pour illustrer ce que je viens de dire je donnerai ici un exemple
frappant dans lequel le pour et le contre sont clairement manifestes.
Nous devons ces renseignements surtout aux propos spontanés du
candidat, mais aussi aux réponses qu'il a faites à des questions destinées
à expliquer sa vocation, les causes et les vicissitudes de cette dernière.
Mme le Dr A. fut, dans son enfance, très malheureuse à cause de
fréquentes et graves maladies de sa mère, sans le comprendre à cette
époque, actuellement, elle comprend que cela avait un fondement
psychologique. A... se maria jeune, mais ne tarda pas à divorcer sans
avoir eu d'enfant. Obligée de quitter l'endroit où elle était née, elle fut
obligée d'abandonner son travail d'assistante sociale qui lui avait
donné beaucoup de satisfaction et elle entra dans un laboratoire.
Affectée au service des recherches, elle y fit de rapides progrès, tout en
souffrant de ce qu'on y pratiquait des expériences sur des singes. Des
diplômes étant exigibles pour l'emploi qu'elle occupait, elle choisit
la médecine et termina ses études en un temps record. Le Bureau
d'immigration de son pays lui procura une situation médicale en Europe.
Là, sur le point de s'engager dans une autre voie, elle découvrit dans
l'hôpital même où elle travaillait quelques oeuvres d'art (elle mentionne
particulièrement une civière du XVe siècle sur laquelle on transportait
les cadavres) et fit des conférences sur ses découvertes. De retour en
Argentine, elle se spécialise en cardiologie, et découvre que pour sauver
les cardiaques gravement atteints, il faut rester en contact constant
avec eux. Elle est sur le point d'épouser un homme de son âge qui
appartient à la même catégorie sociale qu'elle.
Beaucoup de motifs s'opposaient à son admission comme candidate
à la psychanalyse : son âge, 47 ans et le refoulement relatif auquel elle
avait soumis sa vie instinctuelle. Mais sa vocation était certaine. A
travers les divers travaux professionnels qu'elle avait choisis, on dis-
cernait les intérêts et les capacités inhérentes à notre profession :
assistance sociale, recherches, pouvoir d'empathie, besoin de découvrir
le passé — la mort, la civière — de le ressusciter, compréhension de la
psychosomatique, etc. Le désir ardent d'exercer notre profession
semblait suffisamment bien adapté à la réalité sociale pour pouvoir se
réaliser pendant un temps — elle avait toujours réussi dans ses entre-
prises — mais des facteurs névrotiques l'avaient toujours empêchée
de continuer.
Douée d'un grand pouvoir de sublimation, elle n'en témoignait pas
14 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

moins d'une façon évidente du refoulement de ses pulsions erotiques


et agressives. Comment alors découvrir si, malgré son âge, elle serait
encore assez souple pour modifier de façon adéquate sa situation inté-
rieure ? D'une manière générale comment déterminer jusqu'à quel
degré quelqu'un est analysable et possède « ce flair psychologique qui
est comparable à ce que nous qualifions de talent chez l'artiste » [7].
Quel test, quelle méthode dont l'efficacité aurait été éprouvée dans
d'autres domaines pourraient nous aider dans notre tâche de sélection ?
Pour répondre à cette question, j'aurai recours à des déductions tirées
d'un domaine voisin, celui de la méthodologie des recherches psy-
chanalytiques.
Glover [4] montre comment, en psychanalyse, l'usage des méthodes
courantes de recherche se trouve gêné par le manque de définition des
faits observés, à la fois en qualité et en quantité, de sorte que, par suite
d'un manque d'entente à propos de concepts fondamentaux, les obser-
vations faites par un chercheur ne peuvent être comparées à celles d'un
autre. Il soutient que pour arriver à une recherche systématique en
psychanalyse, il faudrait passer par une longue phase préparatoire,
essentiellement nécessaire à la standardisation et à la définition des
termes et des concepts.
Glover a raison, même en ce qui concerne le sujet dont nous traitons
ici. Il nous faudra travailler beaucoup avant de pouvoir utiliser des
termes tels que « force du Moi » et « faculté de percevoir » d'une façon
bien précise au point de vue quantitatif et qualitatif, en nous servant
de définitions univoques. Ces termes devraient pouvoir être employés
par toutes les différentes écoles.
Mais avant que cette tâche soit réalisée, Glover propose qu'une
équipe d'analystes se livre à un travail intense — qui devra se pour-
suivre pendant dix ou vingt ans — pour unifier et définir les termes. Il
faudrait plus encore. Comme Baranger le dit [1] : toute observation
faite en dehors des deux sujets se trouvant dans la situation analytique,
situation qui concerne deux personnes, où il y a jeu réciproque de
transfert et de contre-transfert, cette observation, dis-je, ne peut valoir
pour nous car elle intéresse la psychologie d'un seul individu. C'est
pourquoi le meilleur des tests établi en tenant compte de la qualité et de
la quantité ne pourrait nous aider à déceler le flair psychologique inné
qui marque le véritable analyste et son attirance professionnelle.
En quête d'un procédé de sélection spécialement adapté à notre
science et à notre méthode, Cesio [2] a proposé ce qui suit : le postulant,
allongé sur un divan, nous livre ses associations comme dans toute
CRITERES DE SELECTION 15
séance d'analyse, avec cette seule différence que l'analyste enseignant,
qui plus tard émettra un jugement relatif à l'admission du candidat,
enregistre tout ce que dit celui-ci sans intervenir activement. Les
matériaux ainsi obtenus seront interprétés et appréciés a posteriori
suivant le critère de sélection. Laissons de côté l'évidente objection selon
laquelle un tel procédé crée un climat de transfert paranoïde étant donné
le mode d'examen et le silence absolu de l'analyste. Autre objection à
mon avis plus pertinente encore : bien que dans cette situation d'essai,
tous les règlements psychanalytiques soient observés en même temps
que la règle fondamentale (la libre association), un élément essentiel
fait défaut — je veux dire le rôle activant de l'interprétation qui seul
permet de transformer la situation d'une personne unique en celle de
deux personnes, fait qui caractérise la psychanalyse. Nous n'avons donc
aucune possibilité d'observer comment l'éventuel futur analyste se
comporte dans ce domaine où il devra plus tard exercer toute son
activité.
D'après ce critère, je crois que les seules méthodes à employer
actuellement sont :
1) La conversation qui sert à apprécier les qualités généralement
exigées dont personne ne doute : l'intelligence, l'empathie, l'honnêteté
morale, etc.; et qui permet aussi d'éliminer les candidats dont les dons
sont évidemment insuffisants ; en même temps, l'entretien nous permet
de juger de la vocation du candidat et du degré de sa capacité de
réalisation en ce domaine ;
2) L'analyse, unique moyen bien approprié de reconnaître les capa-
cités futures du candidat et de déterminer par là dans quelle mesure sa
vocation peut être débarrassée de ses entraves névrotiques. Conformé-
ment à ce critère et pour tenir compte du peu de temps dont dispose
l'analyste enseignant, nous avons l'habitude dans mon pays et dans la
plupart des pays de l'Amérique du Sud de conseiller au candidat de se
prêter d'abord à une analyse thérapeutique. Le rapport de ce thérapeute
sera, à un stade ultérieur, un moyen presque décisif d'évaluer les
dons du candidat;
3) Si, pour un motif quelconque, l'analyse thérapeutique préalable
n'était pas possible, une thérapeutique de groupe psychanalytiquement
orientée [6] offrirait aussi une occasion adéquate de déterminer les apti-
tudes, « l'analysabilité et la vocation. A dire vrai, ce moyen diffère d'une
»

analyse à deux personnes, mais il s'y trouve nombre de points communs.


Comme l'analyse, il montre le jeu réciproque du tranfert et du contre-
transfert, l'effet activant de l'interprétation, la capacité de percevoir
16 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

et ainsi de suite. De plus, comme chaque membre du groupe est aussitôt


patient et thérapeute, ce système montre mieux qu'une analyse indivi-
duelle la capacité et le besoin de chaque sujet de se réorganiser lui-même
en réorganisant les autres.
Je crois que l'opinion de celui avec qui la conversation a eu lieu, et le
rapport de l'analyste thérapeute ou, à son défaut, du thérapeute de
groupe, constituent les moyens les plus efficaces de juger et de décider
de l'admission d'un candidat ; ces modes d'action sont valables parce
qu'ils se fondent sur le processus de transfert-contre-transfert.Peut-être
m'objectera-t-on qu'ils se trouvent viciés par ce procédé qui implique
le « penchant » de l'analyste, c'est-à-dire son idéologie personnelle [12].
Mais nous devons nous résigner au fait que nos critères, nos méthodes
de sélection liés comme ils le sont à des situations entre individus, se
trouvent entachés de l'imperfection tenant à la nature même de la
condition humaine.

BIBLIOGRAPHIE
[1] BARANGER (Willy) (1959), Métodos de objectivacion en la investigation
psicoanalitica, Rev. Uriguaya de Psychoanal.
[2] CESIO (Fidias) (1960), Discusion sobre el valor de la entrevista, inédit.
[3] FREUD (Sigmund) (1926), The Question of Lay Analysis, trad. franc, par
Marie BONAPARTE, SOUS le titre Psychanalyse et médecine in Ma vie et la
psychanalyse, Paris, Gallimard, 1949.
[4] GLOVER (Edward) (1959).
[5] GRINBERG (Léon) (1960), Mesa Redonda sobre Vocacion Psychoanalitica,
inédit.
[6] GRINBERG (L.), LANGER (M.) et RODRIGUE (E.), Psychoanalytiche
Gruppentherrapie, Stuttgart, Klett (1960).
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Psycho-Anal., 35, 2.
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trists, London, Imago, 1958.
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VIII, IX, X), London, Hogarth, 1932.
[10] — (1935), A Contribution to the Psychogenesis of Manic-Depressive
States, Int. J. Psycho-Anal., 16, 2.
[11] — (1940), Mourning and its Relation to Manic-Depressive States, Int.
J. Psycho-Anal., 21, 2.
[12] LANGER (Marie) (1959), Ideologia e Idealizacion, Rev. de Psycoanal., 16, 4.
[13] LEWIN (Bertram) and Ross (Helen), Psychoanalytic Education in the
United States (New York, Norton, 1960).
[14] LIBERMAN (David) (1960), Mesa Redonda sobre Vocacion Psicoanalitica,
inédit.
II
par PIETER JVAN VAN DER LEEUW (Amsterdam)

Nous sommes tous d'accord pour penser qu'un échange d'idées


sur les critères de sélection applicables à la formation des étudiants
en psychanalyse ne pourra manquer de soulever une série de problèmes
compliqués, très difficiles et, à l'heure qu'il est, souvent insolubles
embrassant tous les aspects divers de notre profession aux points de
vue à la fois scientifique et pratique.
Un échange d'idées est nécessaire afin de mieux éclairer ce que
l'enseignement que nous donnons doit obtenir, le but vers lequel nous
tendons et pour arriver à avoir un aperçu des motifs inconscients qui
influencent nos actes.
Il n'existe, tout au moins en ce qui concerne l'Europe, aucune
recherche touchant la mesure et la façon dont nous pratiquons notre
sélection. En généralisant la question de la sélection, nous devrions
être très prudents parce que les influences culturelles jouent un grand
rôle et n'ont pas, jusqu'à ce jour, été étudiées en détail.
Il s'ensuit que ma contribution se fonde plus ou moins sur des
impressions. Dans cet article, j'ai tenté, d'une part, d'exposer les
opinions et les données expérimentales qui, lors d'une réunion des
membres des Commissions d'enseignement européennes à Amsterdam
en 1960, pendant les fêtes de la Pentecôte, suscitèrent un intérêt général,
tandis que, d'autre part, je me suis servi de l'occasion offerte pour
ajouter quelques vues personnelles aux épreuves de l'expérience. Il m'est
agréable d'avoir pu me servir des Remarques introductives sur les expé-
riences d'entretien avec les candidats et de sélection, observations que nous

2
devons au Dr F. D. Wride lors de cette réunion. Grâce à la collaboration
de mes collègues européens, il est possible d'obtenir un aperçu meilleur,
tout au moins sur l'étendue du travailde sélection. Le Ier septembre 1960,
167 demandes de postulants à l'enseignement ont été reçues, 95 furent
admises. A la même date, 506 futurs collègues faisaient leurs études.
Les sociétés européennes comprenaient 306 membres titulaires et
298 membres adhérents, soit un total de 604. La proportion de médecins

REV. FR. PSYCHANAI..


18 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

et/ou de psychiatres était par rapport aux non-médecins de 370 pour 234.
La sélection représente le côté le plus faible de notre système
d'enseignement. Sans aucun doute, il est plus facile d'indiquer ce qui
rend un candidat absolument incapable d'exercer l'analyse que de
déterminer les critères qui, avant tout, prouvent ou rendent probable
l'aptitude d'un candidat. La situation se trouve encore compliquée par
le fait que deux opinions contraires s'opposent ici. Pour certains, il
est dans l'intérêt de la psychiatrie, de la psychothérapie et de la psycha-
nalyse appliquée que le plus grand nombre possible de gens reçoivent
un enseignement psychanalytique. Pour d'autres, l'époque des pionniers
est passée, et, ne doivent recevoir l'enseignement que ceux dont on peut
attendre d'originales contributions à la psychanalyse et qui consacreront
tout leur plein temps à la pratique de celle-ci. En somme, on peut dire
des sociétés européennes qu'elles sont presque toujours favorables au
premier de ces points de vue. La psychanalyse est de plus en plus
considérée comme une méthode, une technique, semblable à toutes le"
autres, que le psychiatre doit être capable d'apprendre et d'appliquer.
Étant donné cet état de choses, la sélection porte plutôt sur l'exclusion
des incapables que sur le choix des plus capables. Cette attitude se
trouve même renforcée par le fait que le nombre des candidats reste
encore assez faible par rapport à la demande. Ni le nombre, ni les
conditions sociales ne sont donnés pour favoriser la sélection des
candidats les plus doués. En Europe, la situation du psychanalyste
reste encore celle d'un individu faisant partie d'une minorité. Être
psychanalyste ne fournit toujours pas le moyen d'accéder à une haute
situation ou de s'enrichir. Bien au contraire ; choisir la profession
d'analyste, c'est renoncer automatiquement à ces avantages. La
situation se complique encore en Europe du fait de l'existence, tout au
moins en France, en Allemagne et en Hollande, de groupes d'analystes
qui ne sont pas membres de la Société psychanalytique internationale
et qui possèdent leurs propres centres d'enseignement. Le grand danger
qui découle de cet état de choses est celui de la baisse de niveau de
l'enseignement par suite d'une compétition.
C'est, lorsqu'il s'agit du choix des candidats non psychiatres, que la
sélection est peut-être la plus rigoureuse. Le choix fait parmi les
psychologues et d'autres candidats non médecins est généralement
déterminé par le degré de leurs dons particuliers.
La méthode en général utilisée pour opérer la sélection est celle
de l'entretien. Au cours de ces conversations, nous désirons nous
procurer une image d'ensemble de la personnalité ; les faits réels nous
CRITÈRES DE SÉLECTION 19

importent moins que les implications inconscientes cachées par ces


faits ou qui se trouvent à l'arrière-plan. Si nous voulons résoudre le
problème des critères de sélection, la condition première est de savoir
quelles sont les conditions requises pour accomplir le travail analytique
et quelles qualités nous désirons trouver chez l'analyste. Une chose
reste certaine : la nature spécifique de l'inconscient détermine l'aptitude,
parce que c'est la sensitivité à son activité qui compte. C'est seulement
lorsque nous aurons acquis plus de connaissance de ces questions que
nous pourrons envisager de plus près la solution du problème de la
sélection. Le fait que nous soyons absolument obligés, en pratiquant
notre choix, de fournir quelques données sur le développement futur
de nos candidats constitue une difficulté toute particulière du problème.
Comment l'entretien pourrait-il révéler ce qui sortira dans et après
l'analyse personnelle, les possibilités que l'analyse offre en ce qui
concerne la maturation, l' « analysabilité », les degrés de réversibilité
des processus pathologiques et les dommages déjà subis par les fonctions
du Moi ? En d'autres termes, la sélection possède un aspect résolument
prophétique. Cet aspect a une importance particulière parce que la
capacité de l'analyste enseignant pour juger des dons analytiques du
candidat n'est pas très grande. Le talent, le don de psychanalyser
embrassent un vaste domaine.
Sans avoir la prétention de tout dire, sans vouloir indiquer une
hiérarchie, j'aimerais attirer l'attention sur les qualités suivantes.
I. Capacité pour l'introspection. — Elle nous donne un aperçu de
la distance que le candidat maintient avec ce qui le concerne lui-même,
la mesure de sa capacité à s'éloigner de lui-même. Est-il capable de
se soumettre à l'épreuve ? Que pense-t-il de ses motifs ? Tout ce qui
est humain lui inspire-t-il un intérêt sincère ? Est-il capable de ressentir
ses conflits comme des conflits intérieurs ? Dans quelle mesure
comprend-il ses sentiments, a-t-il été capable de les observer, de les
retenir, de les associer et de les évaluer ? Possède-t-il les qualités
nécessaires à une telle introspection contemplative, la patience tenace
qu'elle exige et la vigueur ? Est-il suffisamment clair dans ses expressions
et entraîné à transposer ses sentiments en pensée actuelle et en concepts
intelligibles ; en d'autres termes, parle-t-il le langage de ses semblables ?
II. Capacité pour l'identification. — Nous ne parlons pas ici de la
capacité pour l'identification en soi, mais de la façon dont elle s'est
intégrée dans la personnalité. L'identification est très importante dans
tous les processus d'apprentissage et joue un rôle essentiel en connexion
avec l'empathie.
20 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Son importance dans l'analyse didactique a été particulièrement


soulignée par Jeanne Lampl de Groot [8]. Une identification normale,
parvenue au point favorable, à la personnalité professionnelle de
l'analyste, peut favoriser, chez le jeune analyste, l'acquisition d'une
habileté technique et établir en partie, d'une façon définitive, le fonde-
ment de sa capacité future pour l'auto-analyse.
Il faut tenir compte des identifications peu souhaitables. La prise
de connaissance d'identifications particulièrement narcissiques est
nécessaire parce qu'elles se traduisent souvent par des troubles de
l'idéal du Moi et du Surmoi. Il est important d'obtenir une impression
relative à la mesure dans laquelle ce mécanisme est devenu une forme
pathologique de défense.
III. Capacité pour l'empathie. — C'est un état difficile à définir. Il
convient de distinguer l'identification de l'empathie. Il s'y trouve une
relation intime mais aussi une différence réelle. Par l'empathie, la
perception, la connaissance des sentiments d'autrui jouent un rôle
prépondérant.
Greenson [6] parle d'une « connaissance émotionnelle ». L'empathie
est le don de partager, de remarquer et de subir les émotions d'autrui.
Ce n'est pas tant l'intensité, la quantité du sentiment qui en repré-
sentent l'aspect principal, mais sa nature. Une plus grande distance
demeure en ce qui concerne les épreuves de l'autre, la participation est
temporaire. L'empathie diffère de la sympathie du fait que l'élément de
condoléance manque. Elle se traduit par un sentiment de compassion.
Dans la technique elle joue un rôle important, surtout s'il s'agit
de trouver le pont qui nous permettra de communiquer avec les sujets
gravement atteints ; la façon dont on se servira de la technique en
dépend dans une large mesure. La faculté de suivre le patient, le
réglage de l'interprétation, le pouvoir de trouver la manière la mieux
appropriée d'utiliser la technique dans des états différents, sont
largement déterminés par elle. En analyse, il faut généralement insister
sur l'empathie grâce à laquelle le besoin de modifications et de variations
techniques diminue.
IV. Capacité de s'analyser soi-même. — C'est le premier critère
mis en avant par Freud. On peut évaluer la faculté de psychanalyser
autrui d'un sujet par sa faculté de s'analyser lui-même. C'est ce qui se
trouve clairement démontré dans Ausden Anfängen der Psychoanalyse(1).

(1) La naissance de la psychanalyse, trad. par Anne BERMAN, Paris, Presses Universitaires
de France, 1956.
CRITERES DE SELECTION 21

Le processus en question doit commencer dans l'analyse didactique.


Ici, l'identification à l'analyste est de la plus grande importance. L'auto-
analyse doit se poursuivre ultérieurement, après l'achèvement de
« l'analyse didactique ».
V. Une prise de conscience de ses propres instabilités, de ses
propres défauts, de ses limitations, la possibilité de se rendre compte
de ses propres maladies, tout cela est d'une extrême importance.
Autrement dit, n'être pas capable de se reconnaître comme imparfait
constitue une contre-indication. Le diagnostic clinique n'a, dans une
large mesure, que peu d'importance puisque l'aptitude à faire un travail
analytique ne dépend pas beaucoup de lui. C'est la structure de la
personnalité qui constitue le point essentiel, c'est-à-dire le fonctionne-
ment des activités du Moi.
VI. Faire l'expérience de l'analyse comme de quelque chose de nouveau,
quelque chose d'inconnu, d'un caractère entièrement nouveau ; comme
d'une méthode sui generis.
Ce qui signifie qu'il existe et qu'il demeure une notion de cet
autre monde étrange qu'est l'inconscient. A cet égard, la sensibilité
est une chose qui offre une sauvegarde. On peut aisément la perdre,
mais il faut la maintenir.
VIL Intégrité. — L'intégrité est un garant du fait que l'analyste
reste, dans l'analyse, au point de vue de l'identification un bon objet.
C'est une qualité dont l'analyste ne peut se passer, parce qu'elle est
une condition de la discrétion. Freud a exigé qu'il y ait une certaine
Zuverlässigkeit des Charakters (un caractère méritant la confiance).
En ce qui concerne nos patients, nous avons presque entièrement
renoncé à cette exigence (névroses de caractère et délinquance), mais
elle demeure quand il s'agit d'un futur analyste. A ce point de vue il
convient d'observer les symptômes de négligence tôt apparue, de
délinquance et de perversions. Ces syndromes ne constituent pas
nécessairement en eux-mêmes une contre-indication à l'enseignement
donné au candidat. Dans ces trois cas, nous devons tenir compte des
structures archaïques de la personnalité qui peuvent réduire à néant
l'intégrité. Les sujets affectés de ce genre de caractère tendent à exploiter
le malade ; ils ont des difficultés relatives à leurs propres passages à
l'acte aussi bien qu'à ceux des patients. Il y a un manque d'empathie, ils
ne considèrent pas l'objet comme une entité en soi.
Ne sauraient donc être acceptés que ceux chez qui l'analyse rend
évident que les processus pathologiques peuvent être totalement
supprimés.
22 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

VIII. Maturité, en insistant spécialement sur le degré atteint d'inté-


gration, d'accord harmonieux et sur la possibilité de maturation à venir
plus grande encore. — A mon avis, il s'agit là du point le plus important
que notre procédé de sélection doive faire apparaître. Son importance
pratique en tant que critère est extrême. Comment envisager le processus
de maturation et quelles sont les possibilités d'un développement futur
de ce processus ?
Il me semble que dans ce domaine les problèmes recèlent le danger
d'une identification excessive du processus de l'apprentissage avec
celui de la maturation. Ce que l'on pourrait peut-être dire, c'est que,
dans la mesure où les divers processus d'identification ont quelque
importance, il existe un certain accord. Mon impression est que la
maturation a lieu indépendamment du processus d'apprentissage et
suivant des voies qui se rapprochent bien davantage du développement
de l'activité créatrice.
Pour notre sélection, c'est ce domaine qui nous paraît avoir une
importance capitale, parce qu'il nous importe moins de savoir qui n'est
pas apte que d'apprendre qui est particulièrement adapté au travail
analytique. Dans notre cas, notre choix dépend spécialement de la
mobilité psychique, de la souplesse, ou de la rigidité de la personnalité.
Quand il s'agit de personnes donnant l'impression de stabilité, nous
devons nous demander si cette caractéristique ne dénoterait pas une
certaine rigidité. La faculté d'abandonner d'anciennes attitudes et de
garder un contact avec les sentiments du passé, importante si le trai-
tement doit être productif, donne aussi l'impression d'une mobilité
de la personnalité.
IX. La chaleur des émotions, la bienveillance et la sympathie pour
autrui. — Ces qualités doivent être nettement distinguées d'une vie
intérieure riche et complexe. Celle-ci est plus étroitement liée à l'empa-
thie tandis que les premières peuvent se comparer à un sentiment
profond de bonté maternelle arrivée à maturité.
X. La capacité d'auto-discipline. — Elle ne se fonde pas sur une
attitude moralisante. Nous voulons dire que le travail analytique exige
que le sujet en question soit capable de se soumettre lui-même à une
certaine discipline, ce qui a déjà été souligné par Ella Freeman
Sharpe [12]. Elle a émis l'opinion que l'analyste devait, dans une
certaine mesure, adapter volontairement son mode d'existence aux
effets de son travail sur sa personnalité et sur sa vie personnelle. De
très bonne heure, Freud a dit : « Une longue et sévère discipline ainsi
que l'apprentissage d'une discipline personnelle sont exigibles (Histoire
CRITERES DE SÉLECTION 23

du mouvement psychanalytique). Cette qualité tient à la capacité de


supporter la solitude dans les relations avec autrui. L'expérience de
cet isolement ne signifie pas que l'on en souffre, mais qu'on le manie
d'une façon créatrice. »
L'ENTRETIEN

Le temps dont je dispose ne me permet pas d'entrer dans les


détails sur les problème de l'interview. Je me bornerai à énoncer
quelques remarques personnelles.
J'attribue une grande importance au fait d'établir ce que le candidat
a appris sur d'autres milieux sociaux et quelle expérience de la vie il
a déjà acquise lui-même. Je ne tente pas tout d'abord de faire un
diagnostic psychiatrique. Je sens que le caractère des troubles dont
nous souffrons n'est pas, pour notre travail, l'élément le plus important,
toutefois il est essentiel d'apprendre jusqu'à quel point la maladie a
endommagé la personnalité. J'essaie de découvrir ce que le candidat
a fait de sa vie en dépit de son affection. Ce qui m'intéresse, c'est le
fonctionnement de la partie saine de sa personnalité. Cela ne signifie
évidemment pas qu'un trouble psychique ne puisse être en soi une
contre-indication à l'enseignement analytique. Je pense seulement
que, dans une vaste mesure, le trouble lui-même ne constitue pas un
empêchement majeur à une possible admission.
En outre, j'essaie d'obtenir l'impression du degré de souffrance
causé par la maladie. Peut-on observer une complaisance à la maladie
et une aptitude à supporter et à subir les désagréments, la tension et
la souffrance ?
Je n'attribue pas une grande valeur à l'entretien. L'analyse person-
nelle doit devenir une condition de l'admission, bien qu'un fait demeure :
il arrive que des analyses même prolongées ne fournissent pas de
renseignements sûrs. C'est pourquoi la situation éducationnelle est
inévitablement compliquée, surtout du fait de l'élément d'imprévisibilité.
Je me suis demandé dans quelle proportion les nouveaux dévelop-
pements de la psychologie du Moi pouvaient fournir des points de vue
théoriques importants au point de vue de la découverte de critères
de sélection.
1) On a de plus en plus tendance à reconsidérer les renseignements
cliniques familiaux à la lumière des nouveaux progrès théoriques.
C'est ce qui apparaît bien évident au cours du Congrès, puisque le
programme comprend un colloque consacré à Un reclassement des
états psychopathologiques.
24 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Cette tendance est, entre autres causes, influencée par notre prise
de conscience de la structure du processus de défense et de son fonc-
tionnement. Nous voudrions apporter une réponse à la question
suivante : qu'est-ce qui endommage les mécanismes de défense indi-
viduels et comment les organisations défensives existantes [7,9] agissent-
elles sur les fonctions du Moi.
De plus, il importe de savoir dans quelle mesure les mécanismes
de défense ont pu devenir des formes de défense pathologiques. La
défense en soi n'est pas un phénomène pathologique.
Jusqu'à quel point la défense pathologique peut-elle être supprimée ?
Voilà ce qui nous permet une évaluation de l'aptitude du candidat.
Quel indice nous fait-il voir si un rôle majeur est joué par les
défenses ? Trouve-t-on leur origine dans les phases les plus précoces,
avant l'accession à la phase phallique, ou sont-elles ultérieures à celle-ci ?
Les processus régressifs provoqués par une défense pathologique
doivent être pris en considération pour évaluer les dommages.
Toute forme de défense comporte généralement un aspect positif
aussi bien qu'un aspect négatif en ce qui concerne le rôle qu'elle doit
jouer dans le travail analytique.
La projection aiguise la conscience de ce qui se passe chez l'autre
personne et produit un effet aveuglant par rapport à soi-même ; elle
révèle chez l'autre des aspects sans rapport avec la situation.
L'introjection facilite la participation avec l'autre, mais rend difficile
une discrimination entre les deux.
L'identification est une condition du travail et rend possible
l'empathie ; excessive, elle entrave le travail, voir la réalité devient
alors difficile.
La négation n'est que préjudiciable, elle endommage la perception.
Le refoulement est également nuisible et il perturbe la mémoire.
C'est spécialement quand on les considère sous cet angle que les
défenses jouent un rôle dans les critères de sélection.
2) L'importance croissante du monde préoedipien et de son vécu,
le retentissement de celui-ci sur l'évolution des phases ultérieures
influent certainement sur notre pénétration, dans ces critères de choix.
Les dégâts causés au Moi au cours de la phase préoedipienne
constituent le fondement sur lequel l'angoisse de castration et l'envie
du pénis peuvent exercer leur désastreuse influence. Dans les cas où
la personnalité conserve des indices de ses fixations préoedipiennes
précoces, il faut douter fortement de son aptitude à devenir psycha-
nalyste. C'est, comme l'a dit Freud [4], la réussite plus ou moins
CRITERES DE SELECTION 25

grande d'une suppression de l'angoisse de castration et de l'envie du


pénis qui pose la question de l'analysabilité comme celle de l'aptitude
au travail analytique. Le fondement de l'évolution du Moi, établi dans
la phase préoedipienne, détermine les chances de vaincre, l'angoisse
de castration et l'envie du pénis dans une bien plus grande mesure que
l'on ne le supposait jusqu'à ce jour. J'ai l'impression que les critères
de sélection dans le cas du mâle doivent en grande partie découler de
la manière plus ou moins poussée dont il a résolu les problèmes posés
par ses propres désirs féminins. Pour la femme, c'est le problème de
son envie du pénis qui est en jeu.
Eisendorfer a exprimé la même chose en disant : « Peut-être le
fondement, chez le mâle, du don psychanalytique réside-t-il dans sa
féminité latente, psychologiquement accessible, et dans la passivité qui
s'y trouve liée » [1].
Pour conclure, je voudrais revenir à la pratique quotidienne de
notre travail sélectif et attirer l'attention sur quelques faits cliniques.
Voici l'opinion générale exprimée lors de notre conférence :
1) Les candidats —même doués — qui pensent n'avoir aucun
problème à résoudre et ne désirent l'analyse que pour s'en servir
dans leur travail, doivent être éliminés ;
2) On a découvert que les soi-disant « gens normaux » sont les plus
difficiles à juger et c'est à leur sujet que les plus graves erreurs de
choix sont commises.
Gitelson a souligné les difficultés rencontrées dans l'analyse didac-
tique de ces gens. Je veux parler ici de ceux qui, en cette circonstance,
s'adaptent sans difficulté, aux types sociables, aux « bons » étudiants
ayant de nombreux contacts sociaux et occupant des situations en vue.
Ils semblent pleinement puissants en ce qui concerne leur vie sexuelle
et paraissent posséder une sexualité génitale d'adulte.
Un examen plus approfondi montre néanmoins que nous avons
affaire à des « pseudo bien portants ». Derrière une façade souvent fort
impressionnante socialement parlant, se dissimule un état chronique de
dépersonnalisation rigide et fixe. Cette dépersonnalisation échappe
facilement à notre attention, elle demeure cachée derrière une prétendue
émotivité. Une variété complexe d'émotions clairement visibles nous
aveugle, alors qu'une absence de chaleur affective, un certain manque
de sentiment, nous échappe. Il y a une soi-disant affectivité qui donne
l'impression d'être une émotion vraie alors qu'elle ne l'est pas. On sent
souvent que l'on a affaire à une personnalité hystérique. C'est, dans
ces cas précisément, que l'on se rend compte de l'importance d'un
26 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

critère de sélection permettant de distinguer l'émotion et l'affect véri-


tables de leurs contrefaçons [10]. On sent aussi chez eux un manque de
profondeur. La défense dissimule un violent besoin de dépendance ;
le désir d'être aimé est prédominant tandis que d'intenses sentiments
et fantasmes de grandeur sont présents aussi.
Le groupe des personnalités « brillantes » entre également dans cette
catégorie. L'expérience générale acquise durant notre conférence nous
a montré que les gens de ce type étaient toujours plus nombreux parmi
les futurs psychiatres qui demandaient une analyse didactique. C'est
pour cette raison que les expériences faites par nos collègues américains
m'intéressent tant. Ils n'ont affaire qu'à des psychiatres et j'ai, en outre,
l'impression que le nombre si élevé de postulants leur permet de ne
choisir que les candidats les plus capables.
Quand il s'agit de cas chroniques de dépersonnalisation, la diffi-
culté qu'il y a à juger est due au désir constant de stimulations. Il
convient de considérer celui-ci comme une défense contre les sentiments
de déréalisation, etc. Des sentiments désagréables, de souffrance, de
culpabilité, constituent particulièrement des agents bien appropriés
dans cette lutte défensive mais des faits sexuels y jouent aussi un rôle.
Ces gens donnent souvent l'impression d'avoir une personnalité
marquée et sexuellement mûre, alors qu'en réalité il n'en est rien.
C'est pour ce motif, à mon sens, que le critère de la puissance orgas-
tique [11], celui qui se fonde sur le fait d'avoir atteint la phase génitale
de l'évolution, critère souvent utilisé en matière de sélection, ne devrait
être employé qu'avec précaution en tant que preuve de capacité.
Lorsque ce phénomène a été incorporé dans l'ensemble de la per-
sonnalité, il facilite le travail analytique et diminue considérablement
le fardeau de l'analyste.
Et pourtant, certains qui n'arrivent jamais à avoir une vie sexuelle
bien équilibrée peuvent néanmoins accomplir un bon travail analytique.
Il en va, dans ce cas, comme dans tous les autres — un jugement exact
ne peut se faire que dans le cadre du développement général du moi.
Dans chaque cas, le point important est d'évaluer le dommage causé
aux fonctions du Moi essentielles pour le travail analytique. Il faut
voir dans quelle mesure ce dommage est réparable au cours de l'analyse
personnelle et s'il est déjà assez grave pour qu'il en puisse résulter
automatiquement une incapacité.
Le groupe des dépersonnalisés chroniques présente un aspect dif-
rérent qui rend malaisée l'estimation de leur aptitude et montre, en
même temps, combien critique doit demeurer notre attitude à l'égard
CRITERES DE SELECTION 27

de toutes les qualités considérées comme essentielles dans l'exercice


de la psychanalyse. Il s'agit de leur faculté d'identification fortement
développée. Ils peuvent très facilement s'identifier à d'autres personnes
d'une nature très différente. Cette particularité constitue elle aussi une
défense contre leur propre manque d'émotivité. Ils se sentent exister
via autrui et se servent pour eux-mêmes des sentiments des autres.
La chaleur affective ne peut se développer en eux. Il s'agit ici encore
du fait qu'en présence de cette aptitude à l'identification ce n'est pas
elle per se qui nous préoccupe, mais bien la façon dont elle s'est fondue
dans l'ensemble de la personnalité.

BIBLIOGRAPHIE
d'un enseigne-
[1] EISENDORFER (A.) (1959), Sélection des candidats en vue
ment analytique (Sélection of Candidates for Psychoanalytic Training),
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analyse interminable, trad. A. BERMAN, Revue fr. de Psychanalyse, 1939.
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Normal Candidate, Int. J. Psycho-Anal., 35.
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[11] REICH (W.) (1927), Die Funktion des Orgasmus (La fonction de l'orgasme),
Neue Arbeiten zur ärztlichen Psychoanalyse, 4.
[12] SHARPE (Ella) FREEMAN (1947), The Psycho-Analyst, in Collected Papers
(London, Hogarth, 1950).
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION

Le choix des candidats(I)


par ROBERT WAELDER (Philadelphie)

Dans l'enseignement de la psychanalyse, le choix des candidats


est peut-être ce qui importe le plus, tout au moins ce qui est le moins
susceptible d'être modifié par la suite. Une analyse didactique, moins
profitable qu'elle aurait dû l'être, peut être (ce qui arrive souvent)
complétée par une analyse ultérieure, la formation étant terminée.
A la lumière de l'expérience, les programmes d'études peuvent avoir
été modifiés et nombre d'analystes dûment agréés saisissent alors
l'occasion de se perfectionner. Un nouvel examen peut être recherché,
souvent de la part d'analystes appartenant à un autre Institut. Le choix
des candidats constitue, dans l'apprentissage analytique, la seule
condition qui ne puisse être, plus tard, soumise à quelque amélio-
ration une fois que les postulants ont obtenu leur permis d'exercer :
d'autre part, si la proportion d'analystes insuffisamment qualifiés
dépasse un certain niveau de tolérance, des limites effectives entravent
le développement ultérieur de la psychanalyse et nuisent même à ses
réalisations antérieures. Ce qui ne rend pas les choses plus faciles, c'est
le fait qu'il n'existe aucun critère de sélection et que les décisions
doivent être prises d'après des impressions, évaluées à la lumière de
l'expérience alors que cette dernière est évidemment bornée, même
lorsqu'il s'agit de l'enseignant le plus expérimenté.
On est, dans une large mesure, bien d'accord sur les qualités dési-
rables chez un futur analyste. Mais cet accord, contrairement à ce qu'on
en pourrait penser d'abord, n'est point totalement utile parce que la
liste des qualités requises est si longue que les chances de trouver un
candidat qui réponde vraiment à toutes les stipulations sont peu nom-

(1) Lu au XXIIe Congrès international, Edimbourg, juillet-août 1961.


30 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

breuses. Je pense quelquefois à ce sculpteur grec dont la légende rap-


porte qu'il choisit, pour faire la statue d'une déesse, plusieurs modèles,
empruntant à l'une la forme de son torse, à une autre celle de son visage,
à une troisième celle de ses jambes, etc., tout cela pour réaliser le modèle
parfait auquel il aspirait. Peut-être n'existe-t-il aucun être humain
doué de toutes les qualités que nous aimerions trouver chez les hommes
et chez les femmes.aux mains desquels sera confié l'avenir de la psycha-
nalyse. Ainsi il n'est pas seulement nécessaire de savoir quelles sont
toutes les qualités désirables, encore faudrait-il que nous ayons une
liste des qualités privilégiées, qui nous indique ce qui est le plus ou le
moins important et ce qu'il convient de faire quand quelque chose
manque dans une direction afin de préserver autre chose dans une
autre.
Les opinions en ces matières ne peuvent être que subjectives parce
qu'elles se fondent sur une expérience nécessairement incomplète.
C'est pourquoi je vais, avec la réserve et la timidité qui s'imposent,
ajouter mon propre avis à ceux qui ont été exprimés au cours de ce
congrès ou dans les travaux publiés.
Tout en insistant sur cette précaution, il me semble qu'il ne convient
pas d'attribuer une valeur trop grande à une caractéristique souvent
considérée comme une condition préalable car, en effet, deux autres
qualités, auxquelles l'on n'attache pas toujours assez d'importance, me
semblent en avoir beaucoup.
Je ferai moins de cas que beaucoup d'autres de ce qu'on appelle géné-
ralement empathie ou intuition psychologique si je m'en tiens à la façon
dont je comprends ces termes. Dans le cas où ils signifieraient qu'un
candidat doit garder un bon contact avec les êtres humains et en par-
ticulier avec ses malades, je trouve que ces qualités sont, en effet,
essentielles. Certaines gens restent aveugles aux faits psychiques comme
d'autres le sont, tout au moins partiellement, aux couleurs, et la pro-
fession d'analyste ne saurait davantage convenir aux premiers que la
profession de peintre, de critique d'art ou de membre d'un jury
d'expositions de peinture aux seconds.
Toutefois, il semble souvent que ceux qui recherchent l'empathie
chez un candidat pensent à autre chose qu'à un simple contact avec
les êtres humains et qu'à une aptitude à considérer les choses en utili-
sant l'enseignement reçu. Ils songent surtout à une faculté particulière-
ment développée de voir, de sentir ou de deviner, en s'appuyant sur
des indices infinitésimaux, ce qui se passe chez une autre personne — à
une sorte d'aperçu immédiat de l'inconscient d'autrui. Cette faculté
LE CHOIX DES CANDIDATS 31

est très rare ; je n'ai connu que très peu de gens capables d'en savoir
davantage sur un patient après un seul entretien d'orientation que
d'autres au bout d'un an d'analyse.
Un semblable talent est extrêmement important pour un praticien
de psychothérapie, en particulier de psychothérapie de courte durée,
et pour le directeur d'une clinique obligé de décider du classement
des cas après quelques entretiens seulement. Ce même don semble
précieux aussi pour le repérage à temps de dangers tels que celui de la
psychose ou du suicide, encore que des indices de ces éventualités
puissent apparaître à l'observateur consciencieux même s'il n'est pas
doué du génie de l'intuition. Mais cette faculté a certainement moins
d'importance pour le psychanalyste qui étudiera ses malades pendant
un temps plus long. Sur ce point, l'analyste consciencieux et expéri-
menté qui observe attentivement les productions de son malade et qui
les soumet soigneusement à la réflexion concurrencera même un collègue
plus doué que lui au point de vue psychologique et ayant pris sur lui
au départ une énorme avance grâce à des aperçus acquis sans effort
au début. Une fois écarté cet avantage initial de l'analyste si intuitif,
c'est même la tâche durement accomplie et qui fournit tant de détails
qui l'emportera sur l'intuition. J'ajoute que travailler sur des faits
minimes impatiente souvent ceux qui sont très intuitifs. Ainsi l'intuition
si impressionnante qu'elle puisse être, n'est pas souvent exacte et ceux
que les dieux ont favorisés de ce don sont quelquefois lents à reviser
leurs visions antérieures quand cela devient nécessaire.
Parmi les qualités requises pour l'exercice de la profession analy-
tique, j'insisterai spécialement sur l'intérêt profond que doivent inspirer
au candidat tout ce qui est humain et la vaste connaissance des choses
humaines. Cette exigence découle, à mon avis, du fait que la psychana-
lyse ne constitue pas l'intégralité de notre connaissance des affaires
humaines. Les suppléments qu'y apporte la psychanalyse modifient,
raffinent et approfondissent la psychologie du sens commun en y ajou-
tant ce qu'elle a découvert à propos d'une vie psychique inconsciente.
La psychanalyse ajoute des faits et des prises de conscience inaccessibles
à la psychologie consciente ou à la psychologie du sens commun, mais
cela sans les évincer. Dans ma jeunesse, on disait souvent que la psy-
chanalyse ajoutait une vue microscopique à l'analyse macroscopique
de la psychiatrie clinique. De cette formulation il fallait naturellement
déduire que le psychanalyste devait d'abord se familiariser avec la
psychiatrie clinique. Dans une certaine mesure cela peut être considéré
comme exact, mais les relations dont nous parlons ont une portée bien
32 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

plus grande qu'on ne le disait autrefois. Il existe, en ce qui concerne


les faits humains dont l'homme fait l'expérience, un vaste champ de
connaissances contenant à la fois la psychologie consciente et des visions
de l'inconscient telles que les hommes en ont toujours eues en certaines
occasions. La psychanalyse couronne l'édifice, réalise de très impor-
tantes modifications et, en certains cas, exige que des changements
s'effectuent dans la fondation ; mais sans la remplacer. Tout cela se
manifeste par le fait qu'une grande partie du temps réservé au trai-
tement analytique, la plus grande peut-être, doit être consacrée à
une sorte d'analyse pré-psychanalytique des choses, à une tentative
pour accéder au tréfonds des événements et des attitudes en se servant
pour commencer de termes non analytiques; c'est seulement lorsque
cela a été fait d'une façon précise dans toute situation donnée que l'on
peut recourir sans danger aux catégories plus simples de la psychanalyse.
Il n'existe nul endroit spécial où cette sorte de connaissance soit
condensée et prête à servir, nul cours universitaire, ni manuel. Ce sujet
est d'ailleurs trop vaste pour n'être traité que par une seule personne.
Une partie de son exposé peut se trouver dans l'expérience passée de
la race humaine, que nous appelons histoire — histoire politique,
économique, culturelle. Une autre partie se découvre dans la philo-
sophie et dans les productions de l'imagination littéraire, une autre
encore dans le recueil des expériences individuelles. Il y a aussi le
comportement des animaux avec leur immense variété de modèles,
de formes et de conduite. Il faut que l'analyste dispose d'une grande
connaissance dans ce domaine et qu'il s'intéresse vivement à tout cela
afin de se sentir poussé à élargir et à approfondir constamment ses
connaissances en la matière.
Un autre point caractéristique de la personnalité doit être envisagé :
je ne pense pas que la psychanalyse soit la meilleure occupation pour
ceux qui sont plats et manquent de profondeur, même s'ils sont très
intelligents de bien d'autres-façons, comme il faut, et sérieux. La pro-
fondeur est probablement dans une large mesure une réaction créatrice
à des souffrances endurées du fait d'expériences personnelles ou par
identification.
En résumé, je considérerai comme un candidat valable celui qui ne
présenterait aucune forme extrême d'anomalies
— c'est-à-dire qui ne
serait ni psychopathe, ni ivrogne, ni délinquant. Il doit s'intéresser
aux êtres humains, avoir avec eux de bonnes relations, être très intel-
ligent, avoir une personnalité profonde, s'intéresser de longue date aux
manifestations humaines et par là à la connaissance de celles-ci. Cette
LE CHOIX DES CANDIDATS 33

liste nous rappellera peut-être la fameuse phrase de Térence : nil


humani a me alienum puto, « rien de ce qui est humain ne m'est étranger ».
Si, en plus de tout cela, notre candidat dispose d'une étincelle de pouvoir
créateur, c'est qu'il y a en lui l'étoffe d'un grand analyste.
Alors que les conditions imposées aux candidats analystes ont été
discutées sans relâche, l'on a prêté moins d'attention à la question de
savoir comment l'Institut pouvait entrer en possession des renseigne-
ments relatifs à la décision à prendre dans les cas individuels. Un grand
nombre de ces informations parviendront évidemment des membres
des Comités d'Admission, des rapports de ceux qui ont connu le can-
didat, qui l'ont vu travailler, et, plus tard, quand le candidat est devenu
un étudiant, des appréciations des enseignants et des contrôleurs cli-
niques. Toutes ces informations, bien qu'indispensables, sont néces-
sairement incomplètes. Tout ce que ces informateurs savent sur le
candidat et l'étudiant ne consiste qu'en ces aspects qui apparaissent à
l'observateur non analyste. Ils connaissent le comportement, les réali-
sations de l'élève, les aspects extérieurs de sa personnalité. Mais cer-
tains traits de caractère, non apparents peut-être dans le comportement
et à l'époque présente, pourront avoir un grand retentissement dans
l'avenir et seul l'observateur analyste est en mesure de les connaître.
Ainsi, pour que l'on puisse se faire une image complète, l'analyste
didacticien peut être appelé à fournir sinon des informations détaillées,
du moins son appréciation.
Mais ici un problème nouveau se pose, celui du secret auquel l'ana-
lyste est astreint, secret qui ne découle pas seulement de la situation
privilégiée inhérente à l'exercice de l'art de guérir; il s'applique éga-
lement et spécifiquement au contrat analytique par lequel le malade
s'astreint à observer, autant qu'il le peut, la règle psychanalytique fon-
damentale. Fournir des renseignements analytiques à des tiers, parti-
culièrement à des personnes obligées de rester fidèles non au patient
mais à une institution et qui doivent décider de la satisfaction ou de la
frustration des aspirations du patient en question, ce fait introduit
dans la situation analytique un élément nouveau.

3
Tout cela place l'analyste dans une situation qui rappelle celle d'un
praticien faisant un rapport relatif à son malade pour une compagnie
d'assurances. Il abandonne le secret professionnel et le patient doit
signer le rapport en même temps que sa demande d'assurance. Nous
pensons aussi au médecin d'une compagnie, chez qui des employés
doivent se soumettre périodiquement à un examen médical. Bien des
gens ayant atteint la quarantaine tremblent à la pensée que, à la pro-
REV. FR. PSYCHANAL.
34 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

chaine visite, le médecin pourrait leur trouver une tension sanguine


trop élevée, non seulement à cause du fait banal que cette découverte
leur démontrerait la fin de l'illusion de leur immortalité, mais aussi
parce que ce résultat pourrait avoir pour eux de graves conséquences
immédiates : qu'ils ne pourraient plus accéder à une meilleure situa-
tion et qu'ainsi ce serait la fin de leur carrière. Le médecin, lui, est
légalement protégé dans ces deux cas puisque le patient, dans le premier
exemple, l'a autorisé à faire connaître son dossier à la compagnie et,
dans le second cas, s'est prêté à l'examen du médecin de l'établissement.
Naturellement, il s'est vu obligé d'agir ainsi pour contracter une assu-
rance sur la vie ou pour continuer à travailler à la compagnie.
On pourrait facilement dire que le psychanalyste doit se soumettre
non seulement à ses malades particuliers mais aussi à la psychanalyse
et que le maintien d'un certain niveau professionnel vise à la protection
des futurs patients ; que l'analysé, ayant compris la nécessité du procédé,
l'acceptera. Tout cela est exact, mais laisse sans réponse la question
de savoir comment une double obligation pareille agira sur l'analyse
et si la totale acceptation, par l'analysé, de ces règles de base, n'est pas
l'indice d'une attitude qui cessera dès qu'elle aura été analysée. Cette
attitude d'acceptation implique une identification totale aux normes
de la psychanalyse en général et à l'interprétation des principes de
celle-ci par son analyste dans son cas particulier — une identification
si complète que le candidat refuserait d'être accepté comme analyste
dans le cas où son analyste ne le trouverait pas apte à cette profession.
L'attitude de l'analysé devrait en quelque sorte nous rappeler la prière
de Jésus sur le mont des Oliviers : « Que ta volonté et non la mienne se
réalise... »
Toute personne normale doit être prête à se soumettre à une autre
quand il s'agit de ses fonctions : au professeur dans le domaine de l'ins-
truction, à un supérieur en ce qui concerne le travail, à un guide pour
escalader les montagnes ou à un médecin pour ce qui a trait à sa santé.
Mais dans tous ces cas la subordination n'est pas totale ; le sujet conserve
le droit de s'abstenir de révéler, au cours de pareilles relations, ses
pensées intimes. Ou, vice versa, tout être humain normal doit se montrer
capable d'ouvrir à un psychanalyste son sanctuaire le plus secret — mais
en pareil cas il a le droit de s'attendre à ce que le thérapeute ne soit
que son mandataire et n'utilise les informations qu'il reçoit qu'au
seul profit de son patient et non à celui de tierces personnes, sauf quand
il s'agit d'enfants ou d'autres personnes irresponsables. Le thérapeute
ne pourra agir qu'avec le consentement librement obtenu du patient.
LE CHOIX DES CANDIDATS 35

Ce serait vraiment trop demander à un adulte non psychopathe,


non incapable par ailleurs que de se soumettre à quelqu'un d'autre,
dans le sens fonctionnel de ce terme, sans garder le droit de conserver
par devers soi ses sentiments les plus intimes, que de l'obliger à révéler
ses secrets les plus personnels à une personne qui a des obligations
envers d'autres que lui.
Dans un article publié en 1951, j'ai suggéré que nous devions dis-
tinguer entre l'autoritarisme — l'absolutisme, par exemple de l'ancienne
monarchie traditionnelle d'un autre âge et le totalitarisme moderne
fondé sur un mouvement de masse enthousiaste et terrorisant. Ces
deux sortes de gouvernement exigent de chacun une obéissance incondi-
tionnelle à leurs lois et à leurs ordres ; mais alors que la pression exercée
par l'absolutisme monarchique ne va pas plus loin et que les citoyens
d'un gouvernement autoritaire peuvent vivre tranquilles sans être
inquiétés tant qu'ils ne contreviennent pas aux lois et qu'ils ne bravent
pas ce gouvernement, les totalitaires exigent, en outre, une acceptation
par le peuple, sans aucune réserve mentale, de leur foi, c'est-à-dire
un perpétuel et convaincant étalage d'approbation enthousiaste. Bref,
le totalitarisme s'attribue une autorité à la fois physique et spirituelle
et constitue un État absolu et aussi une Église obligatoire, tandis que
les exigences de l'autoritarisme se trouvent limitées au premier point,
le « séculier ».
Le pouvoir coercitif de l'État totalitaire avec ses tortures et ses
exécutions appartient évidemment à un tout autre ordre de puissance
que le pouvoir d'un Institut psychanalytique qui n'a, tout au plus,
que le pouvoir d'écarter un étudiant de l'analyse didactique — fait
blessant pour l'orgueil de celui-ci mais qui ne gênera pas sa carrière
de psychiatre ou ses possibilités de gagner sa vie. Toutefois, tout pouvoir,
si faible soit-il, exercé sur l'état physique, en combinaison avec un
pouvoir spirituel a nécessairement une influence démoralisante. Il
résulte de l'action combinée d'une influence morale et d'une contrainte
physique — sorte d'action de tenailles — soit une soumission virtuel-
lement totale à l'autorité, soit une tentative violente et finalement inef-
ficace pour se libérer par la révolte, et ces réactions me semblent toutes
deux très indésirables.
Comment agir alors lorsque les analystes didacticiens ne fournissent
pas d'informations aux Instituts sur leurs élèves et comment empêcher
des candidats possédant des caractéristiques troublantes, non aisé-
ment perceptibles à quelque observateur profane, d'être accrédités
comme psychanalystes ? Je ne saurais donner de réponse satisfaisante
36 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

à cette question. Si le manque de capacité du candidat


— défaut dont
il s'est toujours rendu compte ou qu'il a appris à connaître ou qu'il
a pu apprécier au cours de son analyse — s'avère tel que l'étudiant lui-
même doit le considérer comme un obstacle, alors la situation est
relativement bonne. Il renoncera probablement à poursuivre ses
études (1) jusqu'au moment où son état se sera notablement amélioré
et s'il n'y renonce pas, l'analyste pourra attirer son attention sur ces
symptômes et sur la nécessité de les surmonter, sans outrepasser son
rôle de thérapeute. En un tel cas, l'intervention n'apparaît pas comme
un abus d'autorité arbitraire mais plutôt comme un exposé de faits et
de limites telles que ceux-ci nous imposent à tous.
Toutefois comment agir lorsque certaines caractéristiques appa-
raissent à l'analyste comme incompatibles avec l'exercice de l'analyse
et pas à l'analysé ? Je ne puis répondre de façon satisfaisante à cette
question. A tout prendre, je préférerais parfois voir un candidat peu
doué obtenir son diplôme de l'Institut de Psychanalyse que de cons-
tater une transformation pour tous du climat fondamental de la psycha-
nalyse — climat dans lequel l'analyste n'est pas autre chose qu'un
analyste et n'a pas en même temps à jouer quelque rôle important dans
l'environnement professionnel du patient.
Mais qu'arrive-t-il, peut-on se demander, dans un cas extrême
où des incapacités qui, tout en ayant échappé à l'attention des ensei-
gnants, des collègues, des analystes contrôleurs, sont néanmoins si
sérieuses qu'elles rendent impossible l'espoir, la possibilité de laisser
accréditer le candidat ? Je ne conçois aucune réponse générale à cette
question. Mais, dans nulle affaire humaine, n'existe probablement de
domaine où toutes les éventualités possibles puissent être englobées
d'avance dans les lois et les règlements.

(1) Je parle en m'appuyant ici sur les règles qui prévalent inter alia dans mon Institut
et suivant lesquelles personne ne peut s'inscrire comme étudiant avant de s'être soumis à une
période d'analyse personnelle.
LA RECHERCHE
EN PSYCHANALYSE

L'Index de Hampstead
outil
de la recherche psychanalytique
par JOSEPH SANDLER (Londres)

C'est il y a sept ou huit ans que le projet de recherche désigné sous


le nom d'Index de Hampstead a pris naissance. Outre les résultats
concrets qu'il a permis d'obtenir, ce projet a fait prendre en considé-
ration lors de sa mise en oeuvre des problèmes de méthodologie dans
la recherche psychanalytique. Il en ressort que la technique de l'in-
«
dexation » peut fournir les fondements d'une méthode de recherche
en psychanalyse répondant aux exigences d'une méthode scientifique.
La première partie de cet exposé sera consacrée à un aperçu néces-
sairement bref de l'élaboration de l'Index de Hampstead ; la seconde,
à certaines de ses connotations théoriques du point de vue de la méthode
scientifique ; et la dernière, à quelques potentialités offertes par la
composition d'un index.
La documentation est l'une des tâches des thérapeutes, psychana-
lystes d'enfants et analystes d'adultes, qui suivent quotidiennement des

(1) Présenté au Symposium sur la Recherche, XXIIe Congrès international de Psychanalyse


Edimbourg, 1961. Traduit par Jeannme KALMANOVITCH.
Cette étude a été soutenue par une subvention accordée eu participationpar The Foundations'
Fund for Research in Psychiatry, New Haven, Connecticut, et The Psychoanalytic Research and
Development Fund, Inc., New York.
Le matériel employé provient de The Hampstead Child Therapy Clinic, Centre de Thérapie
et de Recherche financé par les fondations suivantes : The Field Foundation, Inc., New York ;
The Ford Foundation, New York ; The Foundations' Fund for Research in Psychiatry, New
Haven, Connecticut ; The Anna Freud Foundation, New York ; The Grant Foundation, Inc.,
New York ; The Estate of Flora Haas, New York ; The Old Dominion Foundation, U.S.A. ;
The Psychoanalytic Research and Development Fund, Inc., New York ; The Taconic Founda-
tion, Inc., New York.
38 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

cas en analyse au Centre de Hampstead, car tout le matériel psychana-


lytique recueilli là est la propriété du Centre et doit être accessible à la
recherche. Les thérapeutes rédigent des rapports hebdomadaires détaillés
et des rapports additionnels tous les deux mois.
Ce matériel s'accumulant, le Centre se trouva devant le problème
de l'utilisation de ces données à des fins de recherche. Amasser sim-
plement les rapports, si précis et si enrichissants qu'ils soient, ne constitue
pas une recherché. On aboutit à une solution de ce problème grâce à
Mme Dorothy Burlingham qui suggéra d'établir un index à ces comptes
rendus de cas, ce qui rendrait leur contenu plus accessible à la recherche,
à l'enseignement et à des fins de référence ; ainsi, en assemblant les
faits analytiques de telle sorte que soit facilitée la comparaison entre
les cas, des voies nouvelles seraient ouvertes à la recherche.
Pour composer cet Index, qui a été sous la direction de Mme Bur-
lingham dès l'origine, un groupe de travail a classifié le matériel, ana-
lytique et autre, de cinquante cas de la pratique quotidienne. Le but
était de fournir une classification systématique d'ensemble, tout en
gardant la flexibilité des comptes rendus des thérapeutes. Ceux-ci
furent priés de répartir (avec l'aide de conseillers), le matériel de leurs
comptes rendus suivant la façon dont chacun envisageait le cas qu'il
traitait, et de faire appel à la théorie psychanalytique pour établir les
catégories nécessaires.
A partir de cette étude témoin, il a été possible d'esquisser une série
préliminaire de catégories communes, un système commun de classi-
fication qui engloberait par la suite la plus grande partie des observations.
On appliqua d'un bout à l'autre le principe que le thérapeute devait
ordonner et classifier son matériel suivant les catégories qu'il considérait
comme les plus satisfaisantes ; de la sorte, s'il était possible de faire
appel à la série des catégories communes, il apparaissait clairement
que n'importe quelle donnée était accessible par plusieurs voies
conceptuelles.
Les faits à classifier peuvent se trouver sous l'une des deux rubriques
principales. La première a trait au matériel général et contient des
informations et des éléments relatifs à la réalité extérieure et à l'anam-
nèse infantile. La seconde, qui est de loin la partie la plus étendue de
l'Index, comprend le matériel psychanalytique. Elle se décompose en
plusieurs divisions et subdivisions d'intérêt clinique ou métapsycholo-
gique : relations objectales, matériel instinctuel, fantasmes, défenses,
ou autre matériel du Moi, Surmoi, symptômes, situation analytique,
technique.
L'INDEX DE HAMPSTEAD 39

Après l'indexation d'un cas, on a une série de fiches dactylographiées


auxquelles on ajoute un éventail de renvois, afin que le chercheur trouve
le matériel pertinent sans trop de difficultés. Sur chaque fiche dactylo-
graphiée figure un fragment de matériel — ce qu'on a appelé une
« unité d'observation » — et une référence aux pages du dossier d'où
on l'a tiré ou qu'on a résumées. En outre, il y a le nom du malade, son
âge à l'époque de l'indexation, etc.
La mise au point de plusieurs manuels destinés à aider les thérapeutes
dans leur travail d'indexation a été une partie essentielle de l'élaboration
de cet Index. Ces manuels ne donnaient pas une série organisée de
rubriques ; ils offraient plutôt une liste, tirée de l'indexation même des
cas et de l'expérience ainsi acquise avec des définitions détaillées. Avec
le temps, les manuels ont été modifiés et de nouvelles rubriques sont
apparues comme effet secondaire de divers projets de recherche et
d'intérêt pour des types de cas spéciaux.
A l'origine, le projet d'Index visait à établir un index des observa-
tions, mais il fut plus difficile d'atteindre ce but qu'on ne l'avait pensé
au premier abord. Les procès-verbaux volumineux des divers comités
de l'Index montrent clairement que des difficultés ont surgi les unes
après les autres. En premier lieu, il fallait voir ce qui constituait une
« unité d'observation
psychanalytique ». Dès que le thérapeute commença
à inventorier son matériel en termes métapsychologiques apparut le
problème de la définition des unités théoriques. Au fur et à mesure
que celles-ci se clarifiaient, la définition des « unités d'observation » se
modifiait parallèlement. Les thérapeutes durent parfois répartir le
matériel d'une fiche en plusieurs fractions, ce qui permettait de les
indexer sous les rubriques appropriées. L'interaction des observations
cliniques et du cadre de références théoriques était bien plus grande
qu'on ne s'y attendait et, lorsqu'il a fallu modifier ou étendre la défi-
nition acceptée, par exemple d'un mécanisme de défense, il a été égale-
ment nécessaire de donner des définitions plus précises pour éviter
toute confusion. Une grande partie du travail des comités a été consacrée
à la discussion théorique, discussion qui se rapportait toujours à une
série d'observations indexées. C'est ce qui a conduit à certaines for-
mulations nouvelles, car celles que l'on trouvait dans la littérature
analytique étaient parfois inadéquates, imprécises ou contradictoires.
Ces nouvelles formulations comprennent, par exemple, certaines défi-
nitions des défenses qui insistent particulièrement sur la distinction
entre mécanismes de défense et autres mesures défensives ; ou bien
des définitions relatives au fonctionnement du Surmoi [2, 3] qui ont
40 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

été formulées lorsqu'on s'aperçut que certaines distinctions générale-


ment acceptées dans le passé ne permettaient pas de classifier avec une
réelle précision les observations des thérapeutes — ainsi les distinctions
entre les concepts d'identification du Moi et du Surmoi. Les groupes
de recherche, stimulés par les problèmes qui ont surgi dans le travail
d'indexation examinent actuellement des sujets tels que les mécanismes
de régulation de l'estime de soi et la question de la régression.
Le processus de l'indexation a apporté des bénéfices secondaires, dont
l'accroissement de la précision théorique chez les étudiants et les théra-
peutes qui ont indexé les cas n'as pas été le moindre ; et il y a eu inévi-
tablement des répercussions parallèles dans leurs formulations cliniques.
Ainsi, ce travail qui au début avait un objet limité a largement
dépassé son but primitif. En outre, il est apparu que la composition
d'un Index des observations est un processus continu, une sorte de
spirale progressive : à mesure que les définitions employées s'élaborent
et se modifient, les observations qu'elles cherchent à cerner sont à leur
tour plus fines tandis que parallèlement l'acuité s'accroît dans l'obser-
vation et la conceptualisation.
II
Je me propose maintenant d'examiner d'un point de vue purement
théorique certains aspects de la méthode scientifique et de relier ces
quelques remarques à la technique de l'indexation dans la dernière
partie de cet exposé.
Pendant de nombreuses années, le physicien et le philosophe ont
exercé leurs droits de propriété sur les méthodes de la science. Pourtant,
ces méthodes sont psychologiques par essence car elles portent sur la
différence entre les perceptions de la réalité, d'une part et les théories
relatives à cette réalité qui s'édifient dans l'esprit du savant, de l'autre.
La perception est une fonction du moi, les théories scientifiques
qu'établit le savant pour rendre compte de ses perceptions sont, par
excellence (1) le produit du processus d'élaboration secondaire du Moi,
et tous les instruments du scientifique ne sont rien de plus que des
outils spécialisés qui assistent les fonctions normales du Moi. En outre,
étant donné que le contenu de la perception, de la mémoire et de la
pensée est si sensible à l'influence des facteurs inconscients déformants,
une grande partie des activités du savant représente nécessairement une
mise à l'épreuve de la réalité sous diverses formes.

(1) En français dans le texte. (N.d.T.).


L'INDEX DE HAMPSTEAD 41

Si l'on se place du point de vue de la psychologie du Moi, on peut


émettre l'hypothèse que les processus scientifiques sont analogues à
ceux qui se déroulent chez l'enfant au cours de l'adaptation progressive.
A partir de là, il est possible de soutenir qu'une étude serrée des
méthodes utilisées par l'enfant au cours de cette adaptation peut suggérer
des techniques formelles d'investigation répondant aux exigences d'une
méthode scientifique tout en s'appliquant spécialement à des obser-
vations et à la théorie psychanalytique.
L'adaptation progressive de l'enfant comprend l'élaboration de
représentations de plus en plus complexes et d'organisations du vécu [5].
Ceci s'effectue à mesure que s'étendent les activités sensorio-motrices
de l'enfant, que s'accroît son interaction avec le monde réel, et dans
la réalité de l'enfant, il nous faut inclure les modèles de réalité transmis
par ses parents et éducateurs. Ces organisations intérieures, ou cadres
de références, sont utilisées par l'enfant pour percevoir et comprendre
les aspects du monde qui sont significatifs pour lui, mais elles sont,
bien entendu, très influencées par ses désirs et ses fantasmes. A mesure
que le temps passe, elles fournissent à l'enfant un tableau de plus en
plus exact du monde réel, quoique l'image que se font du monde et
l'enfant et le savant restera toujours approximative et déformée.
Les cadres de références organisés de l'enfant sont essentiels non
seulement à la perception mais aussi au processus d'élaboration
secondaire. Toute perception est aperception, mais cette aperception
est contrôlée et limitée par le Moi. S'il n'en était pas ainsi et s'il était
permis au fonctionnement du processus primaire de se donner libre
cours, nos perceptions de la réalité seraient déformées et de qualité
hallucinatoire, telles qu'elles sont dans la petite enfance. La pierre de
touche de la perception organisée est la capacité de choisir, dans toute
une série de souvenirs emmagasinés ceux qui se rattachent à l'apercep-
tion immédiate et qui facilitent l'adaptation progressive. La sélection
des éléments appropriés à la réalité pour l'aperception appartient à la
fonction du Moi du test de la réalité [1]. De même, la pensée organisée
met en jeu la manipulation et l'intégration mentales des actions « d'essai »
et des perceptions « d'essai » appropriées (et des symboles qui en
découlent), avec une sélection très poussée de ce qui est approprié et
l'élimination de ce qui ne l'est pas. C'est ce qu'on peut désigner comme
la fonction du Moi d'épreuve du concept. J'ai à peine besoin d'ajouter
que dans la pensée créatrice, il est d'importance primordiale d'être
capable de permettre une certaine activité du processus primaire et de
l'utiliser.
42 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Le Moi se sert de ses cadres de référence intérieurs organisés pour


structurer et maîtriser à la fois la perception et la pensée, et ces activités
peuvent à leur tour modifier le monde intérieur de l'enfant. Dans le
développement du Moi progressif normal, c'est en reconstruisant ses
modèles perceptuels et conceptuels intérieurs que l'enfant fait face à
la contradiction et à l'incongruité que présentent certains aspects de la
perception ; cette restructuration facilite l'adaptation. Au sein du Moi,
il existe une tendance fondamentale à résoudre ces contradictions,
une tendance à la synthèse et à l'intégration. S'il en résulte une plus
grande capacité de l'enfant à mieux prévoir et maîtriser les faits, nous
disons que le test de la réalité est satisfaisant et, dans ce contexte, nous
pouvons parler aussi d'un test du concept couronné de succès.
Une réorganisation adaptive du monde intérieur ne se produit pas
toujours. Il se peut, et c'est même souvent ce qui arrive, que le Moi
manifeste une grande résistance à cette réorganisation. Cette résistance
a plusieurs sources. L'une est la résistance naturelle du Moi au chan-
gement, légère dans l'enfance et qui croît habituellement dans la
vieillesse. Une autre est que toute réorganisation du monde intérieur
peut constituer une menace à l'intégrité narcissique du Moi, en pro-
voquant l'angoisse par la promesse d'une gratification instinctuelle
défendue ou en amenant un conflit avec le Surmoi. C'est la résistance
qui motive chez les adultes, par ailleurs clairvoyants, la dénégation si
véhémente de l'existence d'une sexualité infantile, même lorsque
celle-ci se manifeste sous leur nez. Tous les mécanismes de défense du
Moi peuvent être amenés à entrer en jeu pour faire face à un tel conflit,
et parmi ceux qui méritent d'être mentionnés en liaison avec la per-
ception, il faut noter spécialement la dénégation et la scission.
Ces considérations s'appliquent directement à la recherche scien-
tifique. Le savant a un modèle théorique d'une partie du monde
extérieur et il modifie son modèle selon ses observations, ses prévisions
et ses processus mentaux. Il a pour techniques des formes spécialisées
de la réalité et du test du concept, et son attitude scientifique s'oppose
à l'utilisation de mesures non adaptives à la réalité pour résoudre les
divergences entre perception et concept. Toutefois, d'après l'histoire
de la science, nous savons que les scientifiques ne sont pas immunisés
contre les défenses ordinaires à l'égard de la résolution du conflit
perception-concept. Le savant diffère de l'homme de la rue en ce
qu'il a élaboré certaines techniques en règle pour faire ressortir les
divergences entre ce qu'il s'attend à trouver d'après son modèle
théorique et ses observations mêmes et pour mettre aussi en relief
L'INDEX DE HAMPSTEAD 43
les contradictions entre différents aspects de son modèle théorique.
Comme les autres scientifiques, le psychanalyste se préoccupe de
modifier les théories intérieures selon son expérience ; ses méthodes
sont essentiellement scientifiques, qu'il s'agisse de la mise à l'épreuve
progressive de ses théories concernant un malade donné ou de la
théorie psychanalytique dans son ensemble. Sa formation spéciale
devrait servir à lui rendre plus accessibles les composantes de ses
propres processus aperceptifs et ceux de son patient, à réduire sa
résistance aux idées nouvelles, et à lui permettre de tolérer et d'examiner
les contradictions entre ses perceptions et ses pensées. La connaissance
des processus mentaux en général et des siens en particulier, ainsi que
sa compréhension du transfert et du contre-transfert, sa capacité à
observer avec une attention flottante, à suspendre son jugement, à
tolérer des surprises et à influencer par son interprétation le contenu
du matériel qu'apporte le malade sont tous des adjuvants scientifiques
de son travail.
En regard de ces avantages, considérons certains désavantages. Tout
fragment de matériel psychanalytique peut être grossièrement sur-
déterminé et dans notre perception psychanalytique et notre évaluation
de ce matériel nous sommes, bon gré malgré, mêlés à des processus
de sélection en harmonie avec le modèle intérieur que nous nous faisons
du malade. Nous serons constamment tentés de percevoir et de
comprendre les aspects du matériel qui se conforment à notre modèle.
Il ne peut en être autrement, et il nous faut être sur nos gardes pour ne
pas utiliser les diverses parties de notre théorie préconçue pour tout
« expliquer ». (Nous savons tous que certains malades ont tendance à
être d'intelligence avec l'analyste à propos « d'explications » de ce
genre.) Cette nécessité de choisir certains aspects des données et d'en
supprimer d'autres peut nous empêcher d'évaluer d'un esprit critique
nos propres modèles intérieurs au moyen du test de la réalité et du
concept, car l'abondance même du matériel apporté par un malade
peut confirmer trop bien nos théories et conceptions établies. Ce qui
peut entraîner à son tour une résistance indue à l'intégration et à la
modification progressives de nos concepts, si nécessaires au développe-
ment scientifique. Cette résistance peut être partiellement surmontée
si l'analyste entretient une attitude critique à l'égard de ses idées,
discute avec ses collègues et s'astreint à une lecture honnête de la
littérature. Toutefois, si nous ne sommes pas placés directement devant
les contradictions de notre pensée, la résistance au changement causée
par des gains secondaires peut se révéler trop forte.
44 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

III
L'Index a d'abord été considéré comme une méthode permettant
de mettre en ordre le matériel psychanalytique pour des recherches
ultérieures et, pendant un certain temps, on a vu dans les difficultés
rencontrées pour l'établir des obstacles à la réalisation d'une oeuvre
complète. Ces difficultés ont été importantes ; j'ai fait allusion plus
haut à quelques-unes d'entre elles. Ces difficultés se centrent surtout
autour de deux problèmes principaux. Le premier : faire de l'Index
un instrument assez exhaustif et détaillé pour que tout chercheur puisse
y trouver assez de matériel pour répondre à ses questions. De temps
à autre, ceux qui utilisaient l'Index pour chercher des réponses à des
questions spécifiques se plaignaient qu'au lieu de réponses ils avaient
trouvé d'autres questions. N'importe quel fragment de matériel recueilli
dans l'Index se révélait plein de trous si on l'examinait au microscope,
car à moins que le thérapeute qui indexait le cas n'ait eu un intérêt
spécial pour ce problème particulier, les détails qu'il rapportait étaient
insuffisants, ou bien il indexait le matériel d'une autre façon.
Le second grand problème touchait à la nécessité constante de
modifier les définitions dans les manuels pour les rendre plus précises
et riches de sens suivant les observations des thérapeutes. De ces
modifications découlaient la réindexation de larges sections des obser-
vations, ce qui à son tour avait des répercussions sur les formulations
dans les manuels de l'Index.
Ces deux ordres de difficultés étaient source de grande frustration
et parfois de découragement pour tous ceux qui s'occupaient de l'Index.
Cependant, à mesure que les manuels prenaient forme, on s'est rendu
compte que, ce qui à l'origine paraissait être des sous-produits de
l'Index était des contributions substantielles à la théorie psychanalytique.
Nous avions fait de la recherche sans le savoir ! Une fois que nous
eûmes réalisé cela, la formation de plusieurs groupes de recherche
chargés d'étudier les problèmes théoriques soulevés par l'indexation
allait de soi.
Si l'on examine les processus en jeu dans la composition de l'Index,
on s'aperçoit qu'ils se répartissent en plusieurs temps intimement liés
entre eux. En premier lieu, il était nécessaire que les thérapeutes
conceptualisent et classent leur matériel en catégories suivant leur
connaissance personnelle de la théorie psychanalytique, ce qui avait
pour effet de lier plus étroitement la théorie et l'observation dans
l'esprit de chaque thérapeute. Il en résultait également une plus grande
L'INDEX DE HAMPSTEAD 45
acuité de la perception, puisqu'il fallait répartir des amas de matériel
en unités de théorie ; des failles dans le matériel et même des inexac-
titudes dans la compréhension furent dévoilées.
Au second stade, il fallait rendre nos modèles psychanalytiques
intérieurs plus subtils afin de les accorder avec plus de précision aux
observations. Les concepts et les perceptions étaient juxtaposés et
le modèle théorique devenait plus cohérent, plus précis et mieux intégré.
Les anomalies théoriques étaient mises en lumière et on s'efforçait
de les réduire.
A un troisième stade, se plaçait la réévaluation des observations
analytiques suivant les formulations théoriques révisées. Ceci correspond
au premier stade à un niveau différent, et au fur et à mesure qu'un
plus grand nombre de cas étaient indexés, on pouvait voir les effets
de ce processus de « va-et-vient ». Ces processus sont tout à fait ana-
logues aux processus de « va-et-vient » du développement perceptuel
et conceptuel à la fois de l'enfant et du savant. L'édification d'un Index
se conforme donc bien aux autres méthodes scientifiques : elle emploie
une technique spéciale d'épreuve de la réalité et du concept.
Partant de là, il n'y a pas un grand pas à franchir pour appliquer
le procédé de l'établissement d'un index à d'autres types d'observation
psychanalytique, à des cas d'adultes aussi bien qu'à des cas d'enfants,
ou à d'autres domaines spéciaux au sein de la psychanalyse et c'est
comme technique scientifique offrant la possibilité d'une vaste appli-
cation que ce mode de recherche est recommandé aux analystes.

BIBLIOGRAPHIE

[1] BELLAK (L.), Schizophrenia, New York, Logos Press, 1958.


[2] SANDLER (Joseph) (1960), On the concept of superego, Psychoanal. Study
Child, 15.
[3] SANDLER (J.) et al. (1962), The classification of superego material in the
Hampstead Index, Psychoanal. Study Child, 17.
[4] SANDLER (J.) and NAGERA (H.) (1962), Aspects of the metapsychology of
phantasy (Conférence faite à la Société britannique de Psychanalyse,
6 juin 1962) (à paraître).
[5] SANDLER (J.) and ROSENBLATT (B.) (1962), The concept of the representa-
tional world, Psychoanal. Study Child, 17.
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION( 1)
par ISHAK RAMZY (Topeka)

Ces vingt ou trente dernières années, les questions de recherche en


psychanalyse ont éveillé l'attention d'un nombre croissant d'analystes.
Les premiers à s'y intéresser furent des nouveaux venus dans la. pro-
fession, de jeunes analystes bien informés auxquels se joignirent de
plus en plus leurs aînés.
Cette récente tendance nous fait réfléchir sur les raisons de ce
renouveau d'intérêt pour la recherche, sur sa portée et sur sa valeur
réelle. Le moment est venu, peut-être, pour que la psychanalyse dépasse
le stade de la lutte pour la vie et vise à plus de précision dans sa méthode,
à plus de clarté dans ses concepts et à l'extension de son domaine.
Pourtant, si l'on y regarde de plus près, on s'apercevra que, contrai-
rement à ce que l'on croit généralement de la popularité de la psycha-
nalyse, ses théories et ses principes ne sont guère plus acceptés qu'ils ne
l'étaient dans les premiers temps. Même lorsqu'on prétend qu'elle est
acceptée, les journaux scientifiques et les périodiques populaires pré-
sentent des critiques acerbes et de violentes attaques, ouvertes ou
masquées. Quand d'éminents psychanalystes acceptent les invitations
à participer à des colloques de table ronde avec des spécialistes de la
logique ou de la philosophie de la science, le résultat final est plutôt
une perte qu'un gain pour la psychanalyse. Le renouveau de l'intérêt
pour la recherche n'est donc pas dû à quelque sécurité que notre science
aurait acquise depuis peu.
La raison en est-elle qu'à une époque où la curiosité et l'habileté de
l'homme l'emportent littéralement hors de cette planète vers les loin-
tains de l'univers, où son esprit inventif et son savoir l'ont déjà aidé à
créer des formes de vie à partir de la matière inerte, sans parler de
recherche à des fins commerciales en produits de beauté ou en aliments
pour la gent canine — à cette époque donc, la psychanalyse essaye-t-elle
de se mettre à la mode et de s'engager dans la recherche suivant l'esprit
de notre temps ?
La réponse à cette question est également négative. Selon la définition

(1)Présentée au XXIIe Congrès international de Psychanalyse, Edimbourgh, juillet-


août 1961. Discussion du rapport précédent (p. 37), par Joseph SANDLER et du rapport de
Marianne KRIS qui n'est pas publié pour le moment. Traduit par Jeannine KALMANOVITCH.
48 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

la plus ancienne et la plus authentique,la psychanalyse est une thérapie,


un ensemble de connaissances et une méthode de recherche. Par consé-
quent, l'intérêt actuel pour l'investigation psychanalytique peut être
essentiellement la reviviscence d'une fonction fondamentale de cette
discipline, fonction qui avait décliné ou avait été considérée comme
allant de soi, à moins qu'elle n'ait été cachée avec gêne.
Cet intérêt renouvelé pour la recherche diffère cependant sur un
point important de ce qu'avait fait la génération des pionniers. Alors
qu'à l'origine de la psychanalyse, les contacts avec les autres sciences
faisaient l'objet d'un solide dédain, d'allure plutôt défensive, la tendance
actuelle veut que l'on s'efforce non seulement d'établir des contacts de
cet ordre, mais aussi d'adopter les méthodes de ces sciences en soumettant
la recherche psychanalytique aux règles et conditions établies pour la
recherche dans d'autres domaines.
De plus en plus, nous nous sommes accoutumés à entendre exprimer
à très haute voix des opinions bien informées, quoique de toute évidence
préconçues, sinon outrageusement grossières, qui accusent la psy-
chanalyse de violer de façon flagrante la méthode scientifique telle
que l'appliquent toutes les disciplines bien assises de la connaissance
humaine. L'éventail de leurs critiques est très varié : la psychanalyse
aurait tendance en tant que science à négliger les principes géné-
raux et à se concentrer sur le cas individuel; les concepts psychana-
lytiques seraient vagues et contradictoires; la psychanalyse serait
inutile comme thérapie dans les formes graves de troubles mentaux et
dans les formes moins sévères, son utilisation serait du gaspillage. Les
critiques peuvent même citer plusieurs psychanalystes qui ont été si
découragés qu'ils admettent que la psychanalyse a négligé les règles
scientifiques : l'élaboration des hypothèses, leur mise à l'épreuve par
l'observation ou l'expérience, ou les deux conjuguées, l'utilisation de
contrôles, l'établissement de prévisions, l'épreuve de la validité et de la
solidité de ses conclusions, sans parler qu'elle néglige aussi d'appliquer
tout cela à un échantillonnage assez vaste et de vérifier les résultats
selon les règles de la statistique moderne. On peut encore ajouter que
l'on accuse les psychanalystes de former un cercle ésotérique et de
faire de leurs convictions un système clos, séparé des principes et des
faits des autres disciplines scientifiques. Que le psychanalyste cherche
à s'abriter sous l'aile des sciences naturelles et à adopter leurs méthodes
serait une preuve supplémentaire que la psychanalyse est une science
illégitime et peu satisfaisante — une discipline pleine de prétentions,
établie de façon précaire sur des observations de hasard, incontrôlées,
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION 49

non enregistrées et impossibles à mesurer, qui manquent de points de


comparaison ou de contrôles ultérieurs et ne se prêtent pas à une
vérification précise, une science dont les théories ne sont même pas
formulées de façon cohérente, dans un langage clair, ou dans un ensemble
de concepts acceptable.
Il est incontestable que, si déconcertant que cela soit, ces critiques
sont justifiées et valides pour une bonne part. Mais au revers de la
médaille, il est incontestable aussi que toute cette violente attaque est
lancée par ceux qui n'ont jamais su ce qu'est la psychanalyse, auxquels
se sont joints ceux qui la comprennent vaguement ou qui la pratiquent
sur un mode ambivalent. Le fait est que ces critiques reposent en
grande partie sur une erreur scientifique et un sophisme flagrant.
Selon l'une des règles fondamentales les plus simples de la logique,
il ne faut pas mêler les principes de classification. Il s'ensuivrait de la
confusion si les êtres humains, par exemple, étaient classés sans suite
d'après leur origine, leur couleur, leur religion, leur domicile, leur
taille, leur corpulence ou leur groupe sanguin, ou même suivant seule-
ment quelques-uns de ces caractères pris ensemble. Ainsi, il est évident
qu'être chrétien ou bouddhiste, cela ne coïncide pas forcément avec
une grande ou une petite taille, avec le sexe masculin ou le sexe féminin,
avec l'intelligence ou la stupidité. En classifiant les sciences, on peut
effectuer la classification suivant la matière, la méthode, l'application,
l'utilité, etc., et l'on tombe obligatoirement dans l'erreur si les bases
de la classification ne sont pas unifiées. D'après sa matière par exemple,
la psychanalyse est une science naturelle; d'après ses applications,
elle est plus proche de la médecine. Toutefois en ce qui concerne la
méthode, une réflexion de brève durée quoique très approfondie fera
conclure sans doute que le mieux serait de classer la psychanalyse avec
les sciences exactes.
Que la psychanalyse doive être placée parallèlement aux sciences
pures, exactes, de déduction, peut être accueilli avec incrédulité, sinon
rejeté de prime abord. Chacune des façons de voir trouvera assez de
justification dans les comptes rendus et formulations des livres et

4
périodiques psychanalytiques, qui sont rédigés dans un langage plein
d'abstractions et de généralisations, bâclé pour la communication
entre psychanalystes. Tout ceci est très éloigné, pour une grande part,
de ce qui se passe vraiment lorsque la méthode psychanalytique est
utilisée pour la thérapie ou la recherche dans la pratique concrète
quoditienne de l'analyste ordinaire.
Comment la méthode psychanalytique s'applique-t-elle dans la
REV. FR. PSYCHANAL.
50 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

pratique ? L'analyste moyen, méticuleusement formé pour aider autrui


à se comprendre, écoute ce que dit l'autre. Tout ce que l'analyste a pu
apprendre ou accepter comme constructions théoriques ou convictions
préalables, que ce soit le complexe d'OEdipe, la dualité des instincts,
la structure de l'appareil psychique, l'inconscient ou le transfert, tout
est écarté de la conduite actuelle d'une analyse. Quoi qu'il en soit,
même avec des notions de cet ordre, l'analyste commence son travail
avec rien de plus, et peut-être en fait moins bien outillé, que tout autre
savant dans le domaine qui lui est propre.
D'après ce que dit le patient, l'analyste essaye d'atteindre les
déductions logiques découlant de ce qui est exprimé; il s'efforce de
trouver la signification de ce qui lui est présenté. De ce point de vue,
la méthode va du général au particulier et est un mode de raisonnement
formel, déductif, aboutissant à des conclusions qui sont parfois commu-
niquées au malade.
Toutefois, parallèlement à cette façon de tirer des conclusions,
l'analyste essaye, avec le temps, de vérifier les propositions ; et d'après
les variations, les contradictions et les répétitions des données, les
prémisses sont peu à peu examinées et mises à l'épreuve par induction.
Les conclusions temporaires faites par déduction font ainsi l'objet
d'une réinvestigation par induction.
Mais pour sa tâche thérapeutique, l'analyste doit utiliser un autre
type de logique dont on pourrait entièrement se passer, s'il n'y avait des
raisons d'économie : il s'agit de la logique du raisonnement vraisemblable
pour l'interprétation des symboles, édifié essentiellement sur la logique
del'analogie, avec ce que cela peut comporter relativement comme erreur.
Que la méthode psychanalytique soit issue du travail avec des per-
sonnes qui peuvent raisonner jusqu'à un certain point — autrement dit,
avec des névrosés — et soit encore utilisée surtout avec des personnes
présentant des troubles affectifs de cette catégorie, témoigne du fait
que l'analyste ne travaille pas seul et sans contrôle ; il progresse en
compagnie de ce qu'Anna Freud a appelé simplement la « raison biolo-
gique » d'un autre, qui sert aussi à vérifier les conclusions de l'analyste
une fois qu'elles sont à portée de la faculté de raisonner innée de
l'individu, après que celle-ci a été libérée.
Tout ceci s'effectue par le moyen de la communication verbale, ou
parfois non verbale. Avant que les logiciens modernes eussent souligné
la nature trompeuse du langage, les psychanalystes s'étaient entraînés
à amener toute communication à son corrélatif le plus direct et le plus
exact et la parole au niveau d'abstraction le plus bas, aussi près que
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION 51

possible des racines physiologiques qui se trouvent dans le corps lui-


même. Si des spécialistes de la sémantique examinaient de près la façon
dont s'effectuent les échanges entre les deux parties en présence dans
l'analyse, surtout lorsque les régressions ont libre cours, ils constateraient
probablement que toutes les conditions rigoureuses nécessaires, d'après
ces logiciens, au seul mode de la pensée significative sont remplies.
De ce point de vue, la psychanalyse en tant que méthode de recherche
pourrait être définie comme la science qui traite les erreurs de l'esprit
humain. Le psychanalyste est donc un logicien médical ou un médecin
logicien. Il est vraisemblable que cette définition pourrait être acceptée
par le logicien ou le méthodologiste qui souhaite étudier comment opère
la psychanalyse, mais pas à partir des théories, des termes ou des
comptes rendus qui remplissent les livres des analystes. Tout logicien
qui se trouverait avoir la patience, sinon la neutralité, d'écouter une
analyse pendant une période de temps limitée — ou mieux du début
à la fin — pourrait découvrir que notre méthode n'est qu'une première
esquisse de l'application de la méthode scientifique à l'étude de
l'esprit humain dans le concret. D'autre part, il est probable que, soit
par humilité soit à la suite des attaques incessantes auxquelles ils ont
été soumis de la part des autres savants, les psychanalystes eux-mêmes,
surtout récemment, considèrent cela comme une prétention absurde
ou un objectif encore lointain.
Il faut espérer qu'en examinant de plus près les conditions requises
par la méthode logique et scientifique et ce qui se passe en fait dans le
traitement psychanalytique, on en viendra à considérer qu'après tout
la méthode psychanalytique classique est le meilleur instrument de
recherche pour la compréhension de l'esprit humain qu'on ait pu
proposer jusqu'à présent. Il peut se faire que tout analyste suivant
simplement la méthode qu'on lui a enseignée découvrira qu'il a fait
de la recherche, exactement comme le M. Jourdain de Molière a tout
à coup découvert qu'il faisait de la prose depuis quarante ans sans le
savoir. Toutefois, les psychanalystes ont grand besoin d'apprendre à
lire, écrire et orthographier correctement la prose qu'ils utilisent depuis
la naissance de leur discipline. Il est nécessaire qu'ils le fassent avant
de tenter d'améliorer leur style, de devenir des critiques littéraires, ou
d'adopter tout autre langage, style ou technologie, prévus ou employés
pour des matières qui, dans l'état actuel de nos connaissances, sont
distinctes de la matière de la psychanalyse en tant que telle.
Si important que soit l'accent ainsi porté sur la valeur intrinsèque
de la psychanalyse comme méthode de recherche, il ne faut pas y voir
52 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

une invitation à rompre les relations avec les autres disciplines scienti-
fiques connexes ou cesser de tenter de coopérer avec d'autres scienti-
fiques. On peut espérer que ces tentatives offriront des solutions à
quelques-uns des problèmes limitrophes relatifs à l'esprit humain.
En outre, mieux nous connaissons la façon dont les autres scientifiques
travaillent et les méthodes qu'ils emploient, mieux nous sommes à
même d'affermir les méthodes qui nous sont propres et mieux nous
réalisons ce que nous avons et ce qui nous manque.
Ce que nous voulons dire, c'est que les réponses aux questions
essentielles de la psychanalyse doivent être cherchées au sein même de
la psychanalyse et que c'est l'utilisation de la méthode psychanalytique
elle-même, et son énonciation, qui doivent fournir ce qui est nécessaire
à la correction de ses données, à la validation de ses conclusions, à la
précision de ses instruments et tout ce qui lui manque encore pour la
mettre à égalité avec des disciplines plus avancées. Pour ce faire, nous
avons un long chemin à parcourir, mais nous savons par où commencer.

Pour quelqu'un qui entretient depuis plusieurs années les idées


exposées ci-dessus, c'était une heureuse coïncidence que d'être invité
à ouvrir la série de commentaires à ces communications. La façon dont
Sandler et Kris abordent le problème, la méthode qu'ils emploient,
donnent matière à notre approbation et laisse peu de place à la critique.
Le projet de recherche de Marianne Kris séduit l'imagination de
tout analyste ou chercheur dans un domaine connexe. Je me souviens
que lorsque j'en ai entendu parler pour la première fois — à bas bruit —
je pouvais à peine contenir mon émotion et mon admiration devant
l'exploit que se proposaient d'accomplir Kris et son équipe.
La pluralité des causes en analyse, ce qu'on désigne de façon
redondante par « sur-déterminisme », est tellement considérée par les
analystes comme allant de soi que nombre d'entre nous ne réalisent,
ni ne formulent dans la théorie ou la pratique, la place centrale que cette
pluralité occupe dans tous les aspects de notre travail. En outre, on
trouve très peu de témoignages dans la littérature psychanalytique
prouvant que nous nous y attachons et que nous la comprenons. C'est
donc avec gratitude que nous recevons cet intéressant compte rendu
de l'analyse de toute une famille.
C'est dans le contexte de l'accueil chaleureux fait au projet de Kris
et de ses collaborateurs qu'il faut lire les commentaires qui vont suivre.
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION 53

N'importe lequel d'entre nous qui aurait eu la chance de disposer d'un


groupe de malades analogue, ainsi que du nombre d'analystes et du
temps et des fonds nécessaires, aurait pu laisser passer, dans le plan
d'une recherche de cet ordre et dans sa mise en oeuvre, bien davantage
que ce que Kris semble avoir laissé de côté.
Au premier stade, à propos des rapports des séances hebdomadaires,
des fiches d'information hebdomadaires, des résumés mensuels, des'
tableaux synoptiques et de l'index, il faut mentionner la sélection et la
déformation dans la sélection qui ne peut manquer de se produire,
sans qu'il y ait la possibilité de la contrôler à chaque étape. Et l'on se
demande si les fruits de l'Index de Hampstead pourraient être adoptés
de plus en plus pour corriger le stade initial de notation et de commu-
nication des faits bruts. Il faut aussi admettre que dans l'état actuel
de nos connaissances, il n'y a pas d'issue à ces imperfections. Il ne reste
que l'espoir qu'un jour un analyste ingénieux et de talent inventera un
système de notation non verbale qui pourrait être utilisé pour rap-
porter directement et collationner le matériel analytique.
D'après la description qui nous en est donnée, nous avons l'impres-
sion que cette recherche présente certaines des caractéristiques de ce
que les méthodologistes appellent « expérience à voir » (1). Cette expres-
sion désigne des études scientifiques qui sont entreprises aussi libres
et dégagées que possible de toute idée préconçue afin qu'elles puissent
aboutir à la formation d'hypothèses, à l'opposé des expériences orga-
nisées qui sont faites pour vérifier des hypothèses déjà formulées.
Cependant, la psychanalyse a atteint un stade où ses hypothèses peuvent
être mises à l'épreuve. Il est clair, incontestablement, que Kris est
d'accord sur ce point. L'extrême étendue de ce projet ne prouve toute-
fois pas, semble-t-il, que Kris et ses collaborateurs s'en soient tenus
en fait à leur plan initial.
Par ailleurs, alors que l'ensemble de la recherche est extrêmement
affranchi d'idées préconçues, un élément peut éveiller l'inquiétude
des analystes : la pression qu'exerce le désir de vérifier certains points
et la mesure dans laquelle elle peut orienter le matériel et affecter la
nature de l'association libre.
L'hypothèse sous-jacente, selon laquelle la connaissance des inci-
dents extérieurs et des interactions avec d'autres membres de la famille
est aussi importante que le mécanisme pyschique interne de chaque
malade, comporte également un risque. Cette remarque rejoint direc-

(1) En français dans le texte. (N.d.T.)


54 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

tement une réserve que fait Hartmann sur l'effet que peut avoir l'échange
d'informations entre psychanalystes ; et l'on se demande si en pratique
il est possible que l'analyste ne soit pas influencé par l'information
portée à son attention par une source autre que l'analyse. Il aurait
sans doute été plus prudent sur le plan de la méthodologie de laisser
les analystes isolés les uns des autres et de collationner leur matériel
seulement au niveau des contrôleurs. Même ces derniers n'auraient pas
été dégagés de l'influence des informations, mais du moins ils sont à
l'écart de la conduite de l'analyse. Les remarques de Loewenstein sur
la méthodologie, si appropriées qu'elles soient, ne sont peut-être pas
d'une importance aussi cruciale que la mise en commun du matériel
entre les divers analystes. Il n'est pas rare que le malade sache que son
traitement sert aussi à des fins didactiques ou de recherche, surtout
parmi les malades de dispensaire, de cabinets de groupe, les cas de
contrôle, etc., mais cela se résout habituellement par l'analyse, et les
résistances qui y sont liées ont plus de chance d'être surmontées si
l'analyse se déroule de façon satisfaisante.
Il reste à mentionner quelques points de moindre importance. Ainsi,
dans le compte rendu des collaborateurs de ce travail de recherche,
nous notons que le concours d'un spécialiste de la recherche et surtout
d'un statisticien fait défaut. Il est certainement regrettable que si peu
de psychanalystes se spécialisent autrement qu'en amateurs dans ce
domaine, si même il y en a. C'est que nous croyons probablement encore
que seule la tendance obsessionnelle explique un intérêt de cet ordre.
Mais jusqu'au moment où nous pourrons former nos propres statisticiens
analytiques ou nos propres spécialistes des plans de recherche, il nous
faudra faire appel à des spécialistes qui guideront nos efforts opiniâtres,
indispensables pour mettre de l'ordre dans ces immenses masses de
données et en tirer des conclusions. Des cerveaux électroniques nous
seront sans doute nécessaires pour assister nos capacités humaines
limitées dans notre quête de la vérité.

Sandler nous a montré, au nom de l'équipe de recherche dirigée par


Dorothy Burlingham à The Hampstead Clinic et en partant de ce travail
sur l'Index psychanalytique, la manière de mener une recherche avec
soin ; il nous a donné de plus l'exemple d'une recherche qui est fonda-
mentale pour la clarification d'une condition préalable, clarification
indispensable en psychanalyse à toute investigation digne de ce nom.
L'un des problèmes les plus ardus que nous rencontrons quand nous
pratiquons l'analyse et quand nous voulons en rendre compte, est la
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION 55

question de la communication. Cette question est abordée sur le mode


empirique et pratique entre l'analyste et son malade ; mais lorsqu'on
en vient, dans nos groupes ou nos publications, aux comptes rendus
de ce qui se passe en analyse, il y a beaucoup de différence entre ce qui
se produit et les rapports ou les discussions les concernant. Nos termes
sont ambigus et nécessairement très abstraits ; et notre langage est en
grande partie trompeur, pauvre, parfois redondant ; et parfois, il est
inadéquat pour exprimer ce qui nous occupe réellement. A part de la
psychanalyse en tant que telle, l'importance de la communication a fait
apparaître de nos jours des disciplines scientifiques entièrement nou-
velles au sein desquelles les linguistes, les spécialistes de la sémantique,
les ingénieurs et les spécialistes de la communication s'adonnent à
l'étude du langage à des fins de science pure ou de science appliquée.
Le rapport de Sandler nous expose non seulement les fruits et les
problèmes de l'étude de la signification de notre terminologie et des
corrélatifs qu'ont nos mots ; il nous montre aussi la nécessité d'enre-
gistrer nos observations et la façon d'y parvenir. Mais si nous enre-
gistrons les énormes quantités de matériel qui se présentent dans une
analyse, il est tout à fait inutile de le faire sans ordre ou méthode. Là
encore, on nous informe du travail de mise en ordre, c'est-à-dire de
l'établissement de systèmes de classification. A ce propos, on peut se
demander s'il n'y avait pas un autre système de classification possible,
moins alourdi par des abstractions à un haut niveau et par un plan
préconçu que celui qui a été adopté par les collaborateurs de l'Index,
avec ses divisions et subdivisions concernant, par exemple, la défense,
le Surmoi, la technique, les symptômes, etc. Certains considéreront
cette remarque comme futile, mais d'autres seront peut-être d'avis
que nous n'avons pas besoin de 300 ans pour faire au moins l'expérience
de formuler une nouvelle « version » de nos concepts.
56 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Un autre exemple (je cite) : ils « ont tenté de faire en sorte que l'Index
soit suffisamment exhaustif et détaillé ». Je suis certain que là aussi les
collaborateurs de l'Index se sont trouvés devant un problème logique,
le problème de l'induction, et qu'ils ont eu à s'occuper de ce qui relève
de l'induction complète ou partielle. Il vaut la peine de rappeler ici que,
d'après l'avis général des méthodologistes et des philosophes de la
science, il n'existe rien dans aucune discipline des connaissances
humaines que l'on puisse considérer comme la réalisation totale ou
même approximative d'une induction complète. Toute induction est
nécessairement partielle.
Quant aux deux problèmes qu'ils ont mentionnés, on ne sait si c'est
une question de style ou de modestie qui les a conduits à désigner leurs
réalisations comme problèmes. Que les chercheurs en quête de réponses
avancent des questions, des questions que l'on espère significatives,
nous paraît être la meilleure voie vers la connaissance.
Ce que nous avons entendu du travail de recherche de l'Index ne
peut être loué avec trop de vivacité. Néanmoins, si logique qu'ait été
constamment Sandler, dans la partie centrale de son exposé, il a commis
une erreur que l'on pourrait appeler, d'un point de vue extérieur à
l'analyse, un psychanalysisme », lorsqu'il a soutenu simplement que
«

la psychanalyse pourrait remplacer la logique ; en d'autres termes, que


la psychanalyse n'a pas besoin de suivre la logique et les méthodes de la
science, mais de les faire. En cela, il s'est laissé aller à une forme de
raisonnement circulaire de toute évidence, qui n'était pas du tout néces-
saire. Mais la conclusion de ce même paragraphe est pleinement accep-
table et quiconque sait ce qu'est la psychanalyse et quelle méthode elle
adopte, répéterait avec Sandler qu' « il n'y a pas de raison pour que le
psychanalyste ne puisse inventer ses propres techniques d'investigation
scientifique ». A quoi nous aimerions ajouter qu'il en est ainsi non parce
qu'il est psychanalyste, mais parce que le psychanalyste est un scien-
tifique qui applique la méthode scientifique à cette matière particulière,
tout comme n'importe quel autre savant dans le domaine qui lui est
propre. En outre, recourir à nos conclusions et à nos observations
relatives au développement du moi, à l'adaptation progressive et aux
formations de percepts et de concepts jusqu'au terrain glissant où l'on
met en parallèle l'image du monde de l'enfant et celle du savant, cela
peut nous mener loin des domaines de notre compétence, au coeur
de problèmes que nous préférerions laisser, du moins à l'époque
actuelle et probablement pour un certain temps encore, aux spécialistes
en épistémologie et aux philosophes.
ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE
DE LA PENSÉE

La signification
les schémas de la signification
et les schémas corporels
de la pensée( 1)

par LAJOS SZÉKELY (Stockholm)

Le fait d'inclure dans le travail de ce Congrès un symposium entier


sur l'étude psychanalytique de la pensée indique que l'on s'intéresse
actuellement davantage a ce sujet relativement négligé jusqu'ici. Cela
reflète à son tour le déplacement de l'intérêt psychanalytique qui
embrasse à la fois le Moi et le Çà. A l'origine, les psychanalystes s'inté-
ressaient à la pensée uniquement dans la mesure où celle-ci est le
théâtre de troubles pathologiques. L'intérêt scientifique se concentrait
sur l'influence des tendances instinctuelles et des conflits névrotiques
qui entraînaient des troubles mentaux. Par la suite, on estima que la
pensée était un instrument de la résistance qui empêche l'assimilation
des fantasmes instinctuels par le Moi [Hartmann, 13]. On considérait
le lien entre la pensée et la personnalité comme faisant partie du domaine
de la théorie de la motivation.
Parmi les troubles qui se présentent dans les processus de la pensée,
on peut distinguer deux groupes : 1) L'incursion régressive de signi-
fications infantiles ou archaïques dans les processus de la pensée adaptée

(1) Lu au XXIIe Congrès international de Psychanalyse, Edimbourg, juillet-août 1961.


58 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

à la réalité, qui n'utilise pas d'opérations régressives ; 2) L'utilisation


d'opérations régressives (infantiles) de la pensée et de méthodes de
pensée régressives. Dans cette étude, seul le premier groupe sera
illustré par un exemple tiré de l'analyse.
Une malade en analyse fut priée de donner son témoignage relati-
vement à un accident dans lequel une personne avait été renversée et
blessée par un camion venant de l'abattoir avec un chargement de bêtes
abattues.
On prétendait que le véhicule était trop lourdement chargé et que
c'était la raison pour laquelle le conducteur en avait perdu le contrôle.
La malade se troubla tout à coup. Elle eut l'impression terrifiante d'être
en face de quelque chose qu'elle ne pouvait pas comprendre et le sen-
timent que son esprit refusait de fonctionner. Pendant son analyse, elle
prit conscience soudain qu'elle avait toujours considéré les bêtes abattues
pour la boucherie comme sans poids. C'est pourquoi elle était incapable
de comprendre comment quelque chose qui n'avait pas de poids pouvait
provoquer une surcharge. Elle rit de cette découverte surprenante et
se demanda comment elle avait pu se faire cette idée.
Il y a dans ce trouble mental deux facteurs évidents : premièrement,
le fait qu'un contenu inconscient a opéré dans la pensée de la malade
(à savoir que les bêtes abattues pour la boucherie sont sans poids);
deuxièmement, la correction formelle et logique du trouble mental.
La malade réagissait contre le fait que cette idée était en contradiction
avec le reste du contenu de sa pensée, à savoir que le camion était trop
chargé.
Considérons maintenant l'arrière-plan génétique de ce trouble
mental par rapport à l'histoire personnelle de la malade et aussi sa
signification pour le transfert.
La malade avait grandi dans un foyer juif orthodoxe. En Suède, il
est interdit de tuer les bêtes selon la méthode rituelle juive ; c'était
une source constante d'irritation pour son père, qui, aux repas, parlait
souvent des lois mosaïques et suédoises concernant la façon de tuer
les bêtes. Ceci avait agacé la malade qui pensait que ce sujet, dont son
père parlait tellement, était sans importance. (Le sens premier du mot
suédois qui traduit « sans importance », oviktig est « sans poids »). L'idée
que les discussions sur la manière de tuer les bêtes sont sans importance
fut transférée, par association verbale, aux bêtes abattues, qui devinrent
ainsi sans importance (oviktig), c'est-à-dire sans poids.
A l'époque où eut lieu ce trouble mental passager, la malade avait
eu des idées analogues concernant les affirmations de son analyste :
LA SIGNIFICATION, LES SCHEMAS DE LA SIGNIFICATION 59

ce dont l'analyste parle tant est tout aussi dénué d'importance que la
question de l'abattage rituel. Sa théorie sexuelle infantile sur l'origine
des différences anatomiques fut interprétée pour elle par l'analyste.
Quand elle se sentit convaincue que les bêtes abattues sont sans poids,
cette idée ne sembla pas absurde ou étrangère à son Moi, car elle était
alors au stade de latence.
Les recherches de Piaget et de Inhelder [24] ont montré que les
enfants de moins de 9-10 ans ont une conception du poids différente
de celle des adultes ; ils imaginent que le poids est dû à des forces impul-
sives vers le haut ou vers le bas, sans rapport avec le volume, la substance,
ou autres conditions physiques. A l'âge de 9-10 ans, une révision de
cette conception du poids commence à se faire. Les opérations intel-
lectuelles permettant d'inclure un objet dans une classe commencent
à se développer et à prendre toute leur force (1). En conséquence, l'en-
fant devient sensible aux contradictions, c'est-à-dire qu'il ne tolère
plus aussi volontiers des vues et des informations contradictoires sur
les mêmes sujets. Il commence à organiser dans sa pensée des obser-
vations apparemment contradictoires. Ceci l'amène à abandonner peu
à peu les conceptions de la première enfance et à leur en substituer
d'autres plus adaptées à la réalité physique.
En conséquence, le contenu de pensée de cette malade qui concevait
comme sans poids les bêtes abattues pour la boucherie, venait d'un
courant régressif dans sa pensée. Cependant elle ne supportait pas la
contradiction logique entre ce contenu et le reste de ses informations
à cause des opérations d'inclusion dans une classe. La régression du
processus de la pensée est seulement partielle. Elle est limitée au contenu
de la pensée et ne s'étend pas à son modus vivendi. En conséquence du
sur-investissement du contenu régressif à l'aide d'énergie instinctuelle
agressive non neutralisée, la fonction synthétique du Moi subit un
trouble.
Des recherches expérimentales sur le processus de la pensée ont
montré [Szekely, 34, 35, 37] que la difficulté de penser en relation avec

(1) Par opération d'inclusion dans une classe, Piaget entend les moyens de penser qui
rendent possible la manipulation du rapport entre le tout et la partie à l'intérieur d'un groupe
de catégories. Par exemple : les garçons et les filles sont des enfants. Les enfants et les adultes
sont des êtres humains. On peut ajouter ensemble deux classes et ainsi les inclure dans une
classe plus grande. Quand les enfants sont capables de faire systématiquement l'opération
inverse, c'est-à-dire quand ils peuvent soustraire (par exemple : les êtres humains sans les
enfants sont les adultes), alors la réversibilité est présente dans leur pensée. Quand il doit
généraliserou différencier, l'enfant peut, en pensée, procéderde la partie vers le tout, ou l'inverse,
sans accepter de contradictions.
60 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

certaines tâches de problèmes à résoudre consiste dans le fait que,


pour pouvoir résoudre le problème, le contenu régressif de la pensée
doit être saisi par la fonction synthétique du moi. La difficulté spéci-
fique est due à la résistance à la régression. La poursuite des recherches
pourra faire la lumière sur l'intéressante question de savoir si les
contrôles cognitifs, au sens où Klein emploie ce terme, peuvent être
utilisés par cette résistance.
La pensée productive utilise parfois un mécanisme que, en accord
avec Kris [19], j'aimerais appeler régression provisoire et contrôlée en
liaison avec la mise à l'épreuve intacte de la réalité et la fonction synthé-
tique du moi. La pensée productive possède ce mécanisme en commun
avec la création artistique [19] et l'esprit [8]. Les théories proposées
par Piaget et par les adeptes de la psychologie de la Gestalt et de l'École
de la Théorie de l'Apprentissage ne tiennent pas compte du mécanisme
de la régression contrôlée (1). Cependant, le psychanalyste a de bonnes
raisons de s'intéresser à la théorie de la pensée d'un autre point de vue.
Notre instrument le plus important, à la fois pour notre travail théra-
peutique et pour la recherche, est l'interprétation [Freud, II]. Il est
nécessaire pour notre travail que le malade comprenne nos interpré-
tations et les saisisse intuitivement, bref que nous déclenchions certains
processus cognitifs [Kris, 19 ; Loewenstein, 21]. Dans des études
techniques on a fréquemment affirmé que l'opération dynamique de
l'interprétation dépend souvent des conditions très spéciales de la
formulation. Un médecin en traitement avec moi réagissait par des
sentiments de dépression et d'impuissance quand ses interventions
psychothérapeutiques étaient sans succès. Mon interprétation, qu'il
se sentait impuissant parce qu'il ressentait son échec avec le malade
comme un signe montrant qu'il n'était pas omnipotent, et de la même
manière, mon interprétation de son sentiment de culpabilité comme
étant dû à l'avortement de sa tendance à réparer, se révélèrent sans
effet. Ce fut seulement lorsque j'exprimai sous une forme logique
spéciale le même contenu interprétatif d'un désir de toute-puissance
que cette interprétation fut couronnée de succès. Je l'exprimai en ces
termes : si même un malade mental faible et sans défense peut vous
donner un sentiment d'impuissance, alors vous devez vour sentir
impuissant dans vos relations avec tout le monde. Peu à peu je finis
par me rendre compte qu'avec ce malade, les interprétations analy-

(1) Lorsque j'ai publié mes études sur la psychologie de la pensée, il y a dix et vingt ans,
je n'avais pas non plus conscience de l'existence de ce mécanisme.
LA SIGNIFICATION, LES SCHÉMAS DE LA SIGNIFICATION 61

tiques avaient une efficacité dynamique seulement quand elles étaient


formulées selon ce que j'aimerais appeler un style de pensée précis.
En accord avec Hermann [15], fappellerai ceci : style de pensée sélectif.
Le style de pensée d'une interprétation dynamiquement efficace cor-
respond au style de pensée pré-existant du malade.
La pensée sélective a été utilisée pendant un certain temps en mathé-
matiques ; et son élucidation méthodologique et axiomatique est due
au mathématicien Hilbert : si même l'irréprochable Aristide se révèle
corruptible, alors tous les hommes sans exception sont corruptibles.
Si, dans une série dont les éléments sont liés par un principe, nous
trouvons un élément représentatif de là série tout entière par une
caractéristique qui, en apparence ou en réalité, s'oppose à celle de la
série, alors l'examen de cet élément peut conduire à des déductions
valables pour la série entière. La différence entre Hilbert et mon malade,
c'est qu'Hilbert a choisi un bon exemple pour représenter sa série,
tandis que mon malade en a choisi un mauvais.
Je crois cependant qu'une étude systématique du style de pensée
ainsi que l'évaluation de telles connaissances peuvent nous faire pro-
gresser dans notre technique interprétative. Il y a dans ce domaine une
grande différence entre la théorie psychanalytique et la technique.
Dans cette dernière nous utilisons les processus cognitifs que nos inter-
prétations provoquent chez le malade. Mais nous ne pouvons pas
donner une explication théorique du rôle joué par la connaissance dans
le processus analytique et nous ne possédons aucune théorie psychana-
lytique de la pensée qui soit systématique et uniforme [Rapaport, 26].
Il existe un autre domaine dans lequel des conditions analogues
jouent : l'affectivité. Dans notre travail d'interprétation, les phénomènes
affectifs sont nos points de repère [Fenichel, 4]. Bien que nous puis-
sions utiliser les phénomènes affectifs dans notre technique, nous ne
possédons pas encore une théorie de l'affectivité cohérente et systé-
matique [Rapaport, 27].
De toute évidence, il est impossible, dans les limites d'un seul
article, de donner un aperçu systématique du sujet ou de rassembler
toutes les affirmations détaillées concernant le domaine de la pensée
que l'on rencontre dans la littérature psychanalytique. Je commencerai
ici par essayer de considérer ce qu'on peut attendre d'une théorie
psychanalytique de la pensée. En liaison avec ceci, je me propose de
discuter deux points particuliers : la question de la pensée cognitive
et celle de l'expérience des contradictions et de leur élimination de la
pensée adaptée à la réalité.
62 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

CADRE D'UNE THEORIE PSYCHANALYTIQUE DE LA PENSEE

Rapaport énumère les conditions qu'une théorie psychanalytique


de la pensée cohérente et systématique devrait remplir sous les rubriques
suivantes :
I. — Cette théorie doit nous renseigner sur l'aperception, c'est-à-
dire la manière dont les êtres humains acquièrent une connaissance de
leur environnement, de leurs propres besoins et autres motivations.
En outre, elle devrait éclairer la manière dont les connaissances acquises
sont organisées, afin qu'ils puissent les utiliser pour la satisfaction et
le contrôle de leurs besoins et pour leur orientation dans le monde
[Székely, 37].
Notre malade, par exemple, s'était servi d'une notion incorrecte :
à savoir que certains objets sont sans poids.
II. — Cette théorie doit couvrir un large éventail de phénomènes
car pensée consciente et inconsciente, rationnelle et imaginaire, normale
et pathologique, enfantine et adulte, toutes doivent être comprises
dans son champ.
III. — Cette théorie doit rendre compte non seulement du processus
de la pensée mais encore de son effet sur le comportement humain.
Dans la technique psychanalytique, par exemple, l'influence dynamique
de l'interprétation est un exemple de l'effet de la pensée sur le compor-
tement humain.
IV. — Une théorie psychanalytique de la pensée doit faire une
différence entre le processus de la pensée, les moyens ou instruments
de la pensée, et le produit de la pensée. Les produits de la pensée sont
par exemple les idées, les plans, etc. Comme exemples du processus
de la pensée, je citerai les descriptions que Freud a données des
démarches du rêve [7] et de l'esprit [8], et les descriptions de solu-
tions de problèmes données par des psychologues expérimentaux
[Wertheimer, 38 ; Duncker, 3 ; Székely, 33, 34]. Comme exemples des
instruments ou moyens de la pensée, je renverrai à des mécanismes
comme le déplacement, la condensation, etc., que Freud a fait ressortir.
On trouvera d'autres exemples dans les sphères de Schilder [30], les
opérations de Piaget [23], et les contrôles cognitifs et les styles cognitifs
décrits par Rapaport [28] et Klein [18].
Pour expliquer la différence entre les processus et les instruments
de la pensée, Rapaport [28, 29] déclare que les processus de la pensée
ont un déroulement unique et provisoire tandis que les instruments
de la pensée sont relativement permanents et typiques. Les processus
LA SIGNIFICATION, LES SCHÉMAS DE LA SIGNIFICATION 63

de la pensée sont des changements rapides ; les moyens de la pensée


sont des changements lents, c'est-à-dire que ce sont des structures
comparativement durables qui résultent d'un développement et d'une
maturation.
Beaucoup de théories de la pensée omettent d'établir une nette
distinction entre les processus, les instruments, et les produits de la
pensée ; et cela amène aussi à une incertitude concernant ce qui a un
développement. Dans ce même symposium, par exemple, Bion a soutenu
la thèse que les idées et les contenus de la pensée se développent [2].
Notre point de vue, c'est que les moyens et les instruments de la pensée
se développent [32], mais que les contenus de la pensée représentent
seulement des séquences temporaires qui ont lieu en tant que produits.
Les contenus de la pensée ont une histoire, mais pas de développe-
ment (1). Piaget, qui distingue clairement entre contenus de la pensée
et moyens de pensée, soutient aussi ce point de vue [23, 26]. D'autre
part, les théories de l'apprentissage font une différence entre processus
et produit seulement, ne rendent absolument pas compte des instru-
ments de la pensée et tentent d'expliquer le développement par n'im-
porte quelle série de processus temporaires. Ceci donne lieu à un cer-
tain nombre d'énigmes surprenantes. Smedlund [31] a trouvé, par
exemple, que chez des enfants à qui on a dû apprendre d'abord, au
moyen d'expériences d'apprentissage, la conception du poids constant
des corps solides, cette conception peut être également « effacée »
dans un laboratoire au moyen d'une réaction conditionnée. D'autre
part, chez des enfants du même âge qui ont auparavant acquis la même
conception par des moyens « naturels », elle ne peut pas être effacée

(1) Nous ne pouvons pas discuter ici en détail la distinction entre les stades du dévelop-
pement et les événements historiques. Dans notre contexte, deux points de vue sont décisifs.
Le développement ne consiste,pas en une quelconque série d'événements pris au hasard. La-
série d'événements que nous considérons ici comme un développement est cyclique ; elle est
caractéristique de l'espèce biologique et est reproduite par une génération après l'autre. D'autre
part, n'importe quelle succession d'événements donnée peut former une seule histoire. Deuxiè-
mement, le développement est assez fortement lié aux conditions intra-systémiques et résiste
assez fortement aux influences extérieures au système. Les événements historiques et leurs
dates sont assez fortement soumis à des influences extérieures au système.
Nous désirons appliquer cette distinction à la genèse de l'idée que les bêtes abattues sont
sans poids. Cela, ainsi que le moment où les moyens de pensée et les inclusions dans une classe
agiront, est une questionde développement. Le fait que le père de notre malade parlait tellement
des lois de l'abattage rituel des bêtes avant qu'elle eût atteint un stade assez avancé de son
développement, appartient à une histoire individuelle.
La distinction assez peu claire qui existe entre développement,et histoire personnelle est
principalenient responsable de l'incertitude concernant le rôle joué par l'expérience dans la
controverse constitution-environnement. Expérience et environnement ne sont pas des concepts
synonymes. Ce que nous appelons expérience personnelle est conditionné à la fois par le stade
du développement et par les événements historiques (Székely, 37).
64 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

expérimentalement. Dans les limites du cadre de la théorie de l'appren-


tissage, il n'est pas possible de supposer que ces derniers étaient
peut-être plus mûrs. Certaines structures opérationnelles avaient déjà
été développées en eux ; et en conséquence ils convertissaient les
impressions reçues en contenus d'expérience et en contenus de pensée
d'une espèce différente de ceux des premiers enfants du même âge
qui, cependant, étaient moins mûrs.
V. — On suppose que le processus de la pensée produit de novo
certaines de ses composantes, tandis que d'autres composantes repré-
sentent des moyens prêts à être utilisés.' De nouveaux concepts sont
formés et d'anciens concepts sont aussi appliqués.
VI. — On suppose que la pensée et les moyens et instruments que
la pensée produit et utilise sont chacun organisés d'une manière quasi
permanente et systématique.

L'AMARRAGE TRIPLEMENT TOPOLOGIQUE DE LA PENSÉE

Dans ses premiers écrits, Freud envisage la pensée et la théorie


de la pensée en termes de métapsychologie. La pensée est considérée
comme un essai avec une dépense d'énergie minimum [Freud, 7].
Cette formulation appartient à la période précédant la phase structu-
relle psychologique, dans laquelle les questions de dynamique instinc-
tuelle et d'économie d'énergie étaient au centre de la formulation
théorique. Dans la phase psychologique structurelle, la pensée était
considérée comme une action internalisée [Hartmann, 13]. ainsi la
pensée était amarrée à l'extrémité motrice de l'appareil mental. Dans
la psychologie classique, il y a aussi des écoles de pensée, par exemple
le groupe Cornell, qui essaie de faire découler le phénomène de la
pensée de processus moteurs.
Freud, cependant, n'a jamais été aussi exclusif concernant la ques-
tion de la pensée. Il a fait également des formulations qui rattachent
le processus de la pensée à l'extrémité sensorielle de l'appareil mental.
Les débuts de la pensée, l'image ou idéation, apparaissent quand la
satisfaction instinctuelle et la décharge d'énergie sont empêchées par
l'absence de l'objet procurant une satisfaction. Dans ces circonstances,
il se fait un sur-investissement de la trace mémorielle de la satisfaction.
et des hallucinations se produisent [9].
Dans l'ontogenèse humaine, le processus primaire de la pensée est
l'imagination, c'est-à-dire que c'est un dérivé du processus perceptif.
Enfin, il y a des formulations qui mettent en lumière la position
LA SIGNIFICATION, LES SCHÉMAS DE LA SIGNIFICATION 65

centrale de la pensée. La pensée naît avant tout du retard de la satis-


faction instinctuelle, et par la suite, dans le cours du développement,
elle devient un moyen de retarder la satisfaction instinctuelle. Un
essai internalisé remplace l'action immédiate [7].
Les formulations métapsychologiques concernant la position centrale
du processus de la pensée dans l'appareil mental rattachent ce processus
à la fonction de défense. D'autres, cependant, et Hartmann en parti-
culier, ont introduit la signification d'adaptation de la pensée dans la
théorie psychanalytique [13].
Nous pouvons résumer en disant que Freud a mis en avant deux
modèles d'activité de la pensée, l'un primaire et l'autre secondaire.
Dans le premier modèle, la tension instinctuelle atteint l'intensité
liminaire -> absence de l'objet procurant une satisfaction -> idée
hallucinatoire d'une satisfaction antérieure. Dans le second modèle :
l'instinct ou un dérivé de l'instinct atteint l'intensité liminaire -> délai
structuré -> essai avec une dépense d'énergie minimum afin de pré-
parer l'action, de la localiser et d'anticiper son effet [Rapaport, 29].
Le premier modèle est activé par le processus primaire et réglé par le
principe de plaisir. Le second est activé par le processus secondaire
et réglé par le principe de réalité.
Freud fait ressortir que la différence descriptive la plus importante
entre les deux sortes de pensée est que, dans la première, les contra-
dictions peuvent persister côte à côte, tandis que dans la seconde, les
contradictions sont éliminées ; une seule proposition, idée, conclusion,
un seul renseignement est tenu pour vrai, sans rien, au même moment,
qui puisse entrer en conflit avec lui [7, 10]. Pour nous, la question se
pose de savoir si la transition du processus primaire de la pensée au
processus secondaire est coordonnée avec l'élimination des contradic-
tions, et si cette élimination des contradictions de la pensée a lieu en
un ou plusieurs stades du développement.

L'ESSAI ET LES OPÉRATIONS DE LA PENSÉE

5
Il y a dans la théorie psychanalytique deux propositions impor-
tantes au sujet de la pensée. La première est une affirmation métapsy-
chologique, à savoir que la pensée est un essai comportant seulement
une légère dépense d'énergie. L'autre proposition importante est des-
criptive, et affirme que la pensée adulte n'accepte pas de contradictions,
tandis que la pensée infantile et la pensée inconsciente les acceptent.
L'une et l'autre proposition ont aussi des aspects génétiques et psycho-
REV. FR. PSYCHANAL.
66 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

logiques. Car l'action expérimentale se développe peu à peu à partir


d'autre chose ; et l'intolérance et l'élimination des contradictions sont
aussi le résultat du développement. Mais nous n'avons aucune intuition
nous permettant de savoir si, en théorie, l'internalisation de l'action
expérimentale et l'élimination des contradictions sont des phénomènes
liés ou non. Je crois cependant que les recherches de Piaget nous
donnent à ce sujet une réponse sans ambiguïté [23, 24].
Les études de Piaget semblent indiquer que l'élimination des
contradictions de la pensée se produit selon des étapes successives du
développement et qu'elle est complète seulement après que la puberté
a été atteinte. Cependant, une étape essentielle a lieu pendant la période
de latence. L'internalisation de l'essai, c'est-à-dire le développement
des opérations de la pensée à partir des actions concrètes, est aussi
parallèle à ce développement. Illustrons ceci à l'aide d'une expérience
de Piaget.
L'expérience consiste à demander à un enfant de mettre un nombre
égal de boules rouges et bleues dans deux récipients semblables, A
et B ; chaque fois qu'il met une boule bleue dans A, il doit en mettre
une rouge dans B. Toutes les boules bleues de A sont alors vidées dans
un troisième récipient, C, qui est plus haut et plus étroit que A et que B.
On demande alors à l'enfant si le nombre des boules bleues dans C est
le même que le nombre des boules rouges dans B. On s'aperçoit que
les enfants répondent à cette question de trois manières différentes,
mais typiques, selon leur âge et le stade de leur développement. Ceux
qui sont au premier stade, entre trois et cinq ans, pensent que le nombre
de boules rouges et bleues est maintenant différent; ou bien il y a
plus de boules bleues, parce que le récipient est plus haut, ou bien il
y en a moins parce qu'il est plus étroit. A un stade intermédiaire,
quand les enfants ont de 5 à 6 ans, ils sont hésitants. S'il n'y a qu'une
légère différence de forme entre A et C, ils pensent que le nombre de
boules rouges et de boules bleues est toujours le même, parce que toutes
les boules bleues ont été transvasées dans C, mais s'il y a une grosse
différence de forme, ils réagissent exactement comme les enfants plus
jeunes. C'est seulement au troisième stade, à partir de 7 ans, qu'ils
ne sont plus trompés par la forme des récipients. Il est remarquable,
cependant, que les plus jeunes, comme les plus âgés, savent très bien
que lorsqu'ils ajoutent des boules ou lorsqu'ils en enlèvent, leur nombre
change. Mais ils sont dans l'incertitude concernant ce qui se passe
quand ils «'en ajoutent pas et n'en enlèvent pas. Comment cela
s'explique-t-il ? Ajouter et enlever sont des actions concrètes que les
LA SIGNIFICATION, LES SCHÉMAS DE LA SIGNIFICATION 67

enfants accomplissent réellement. Et à ce stade du début du dévelop-


pement, ces actions concrètes sont les instruments de la pensée ; c'est-à-
dire que les enfants connaissent les conséquences de l'action d'ajouter
et de l'action d'enlever. Mais ne-pas-ajouter et ne-pas-enlever ne sont
pas des actions, et, à ce stade du développement, ne sont pas des instru-
ments de la pensée. Ce n'est qu'au stade de latence que les actions sont
internalisées et deviennent des opérations. Quelle différence y a-t-il
entre opérations et actions ? Les premières sont des actions réversibles.
Par réversibilité, Piaget veut dire que le contraire d'une action, c'est-à-
dire le non-accomplissement de cette action, devient un instrument
de la pensée. Ainsi, le contraire d'ajouter n'est pas ôter, mais ne-pas-
ajouter. Piaget décrit la phase du développement qui précède la période
de latence comme la phase pré-opérationnelle; pendant celle-ci les
seuls instruments de la pensée sont les actions concrètes. La période
de latence avant la puberté, il l'appelle la phase des opérations concrètes.
Car à ce stade, les actions internalisées, c'est-à-dire les opérations,
forment déjà un système et deviennent les instruments de la pensée.
A partir de la puberté ces opérations deviennent formelles. Je ne vais
pas ici étudier la différence entre opérations formelles et opérations
concrètes. Mais le fait sur lequel je désire attirer l'attention est le lien
entre l'élimination des contradictions de la pensée et le développement
des opérations, c'est-à-dire la formation de structures semi-permanentes
précises.
Pour revenir à l'exemple de l'erreur mentale de notre malade, il est
évident que sa pensée a eu Heu à un stade opérationnel. Les contradic-
tions en sont éliminées.
Nous allons maintenant aborder la question suivante, l'acquisition
des connaissances et leur signification.

CONNAISSANCE ET SIGNIFICATION

Nous avions commencé par affirmer qu'une des exigences d'une


théorie psychanalytique de la pensée est de fournir des renseignements
sur la manière dont l'expérience et les connaissances sont acquises.
La psychanalyse est une psychologie génétique. L'intérêt se concentre
sur les origines et le développement. Il ne me sera pas possible, ici
non plus, de donner un exposé systématique, mais je dois me contenter
de faire certaines suggestions.
Dans son Projet de 1895, Freud a exprimé quelques idées sur la
pensée dans son rapport avec l'appréhension et le jugement ; à l'excep-
68 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

tion de certaines suggestions dans son travail sur les plaisanteries, il


ne les a pas développées davantage. L'essentiel de ces idées, c'est que,
pour comprendre le complexe perceptif tout entier, les expériences
somatiques, les sensations et les images motrices sont nécessaires.
« Tant que celles-ci sont absentes, on ne peut pas comprendre la partie
qui concerne le complexe perceptif... » [6].
Les observations psychanalytiques d'Isakower [17], Lewin [20],
Petô [22], Spitz [32], et les travaux expérimentaux de Fisher et Friedman
sur les perceptions archaïques [12] nous amènent à supposer qu'il y
a une phase, peut-être dans les toutes premières semaines après la
naissance, où les impressions sensorielles, la tension-satisfaction, ne
sont pas encore organisées en perceptions cohérentes et chargées de
signification. Il y a seulement un chaos mais pas d'objets ni d'événements
et aucune signification n'est attachée à rien. Les sensations internes,
émanant de l'intérieur du corps, ou les sensations à sa surface, telles
que le toucher, la température et la pression, ou les impressions senso-
rielles externes ne sont pas isolées et organisées. Hartmann [14] et
Anna Freud [5] décrivent ce stade comme la phase indifférenciée.
Je ne désire pas aborder ici la question controversée de savoir quelle
est la première perception visuelle qui se cristallise et acquiert une signi-
fication. Isakower [17] et Lewin [20] supposent que c'est le sein,
Spitz [32] que c'est le visage. Mon point de vue personnel est que c'est
le schéma de l'ennemi représenté par le stimulus clé des deux yeux [36].
Prenons comme point de départ une observation de l'enfance. Un
enfant âgé de presque deux ans regarde par la fenêtre. Dehors, il neige,
et un oiseau sautille sur le rebord de la fenêtre en ramassant des miettes.
L'enfant regarde tout cela avec intérêt. Soudain, l'oiseau laisse tomber
quelque chose. L'enfant sort et voit quelque chose de blanc dans la
neige. « Le petit oiseau a fait sa grosse commission » s'écrie l'enfant.
Il n'y a rien de très remarquable là-dedans. Mais cette question se pose :
comment l'enfant découvre-t-il, ou sait-il, ce que l'oiseau a fait ?
D'après la psychologie classique, la perception et la reconnaissance
des événements et des objets se font par interaction entre l'image visuelle
immédiate et les traces mémorielles d'images visuelles analogues. Mais
comment l'enfant sait-il que l'oiseau a déféqué ? Le produit, l'excré-
ment de l'oiseau, ressemble à la neige puisqu'il est blanc, et non à celui
de l'enfant qui est brun. En outre, l'enfant n'a jamais vu l'acte de la
défécation, et par conséquent, il n'a pas de trace mémorielle visuelle
à laquelle il peut faire appel. Il a seulement des traces mémorielles
somatiques et coenesthésiques de la défécation, car l'enfant en a fait
LA SIGNIFICATION, LES SCHÉMAS DE LA SIGNIFICATION 69

l'expérience seulement en tant que processus corporel agréable pour


lui et non en tant qu'événement visuel. Alors, comment a-t-il identifié
ce qu'il a vu ? Rappelons la thèse de Freud, déjà citée, selon laquelle,
afin de comprendre le complexe perceptif, nos propres sensations
corporelles et images motrices sont nécessaires, et tant que celles-ci
sont absentes, il est impossible de comprendre l'élément élaboré
du complexe perceptif. Au premier abord, il peut sans doute paraître
surprenant que le mécanisme infantile fonctionne avec une certitude
et une exactitude aussi extrêmes et que l'enfant fasse ses découvertes
et appréhende son environnement aussi correctement. En fait, la réaction
n'est pas d'une exactitude aussi parfaite. A ce stade, l'esprit de l'enfant
fonctionne strictement selon certains schémas. Si l'enfant voit un paquet
tomber d'une voiture dans la rue, il s'écriera également : « L'auto a
fait sa grosse commission », c'est-à-dire qu'il croit que l'automobile
est en train de déféquer. En d'autres termes, l'enfant a tendance, à
ce stade, à interpréter comme fèces n'importe quel petit objet tombant
d'un objet plus grand.
Ce que Freud a nommé « pensée appréhensive » et que nous préfé-
rerions appeler l'attribution d'une signification à une aperception, et
l'acquisition de la connaissance et de l'expérience [37], a deux aspects.
L'un est l'appréhension que tel objet précis existe ou que tel événement
précis a lieu en face de moi, à côté de moi, dans le monde extérieur.
L'autre est l'appréhension que quelque chose m'arrive ou se passe
en moi, par exemple : je suis en train de me coucher, je suis assis, j'ai
faim, ou quelque chose me fait mal, etc. Les objets et les événements
extérieurs appréhendés sont dans l'espace et sont localisés par rapport
à nous. Les événements et les circonstances internes appréhendés ne
sont localisés que d'une manière diffuse [Piéron, 25].
Ces deux aspects, cependant, ne rendent compte de la totalité de
l'expérience que très incomplètement. Car les tendances instinctuelles
et appétitives et les satisfactions instinctuelles y sont associées. Cela
implique également des processus affectifs. Tout est ressenti en fonc-
tion du plaisir-déplaisir.
Pendant les deux premières années de la vie, la pensée appréhensive
passe par différents degrés et stades d'intégration. La phase indiffé-
renciée, durant laquelle les sensations des différents sens ne sont pas
encore organisées en structures cohérentes pourvues d'une signification,
est suivie de l'organisation coenesthésique, dans laquelle les sens qui
opèrent à une certaine distance, comme la vue et l'ouïe, ne jouent pas
encore de rôle [Spitz, 32]. La sensibilité profonde, les récepteurs de la
70 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

peau et les impulsions nerveuses intéroceptives ne transmettent que


des totalités diffuses. A ce stade de l'intégration, la fonction de la
sensibilité se limite à la régulation vitale et n'engendre pas encore
l'appréhension [Piéron, 25].
La pensée appréhensive, au sens où Freud emploie ce terme,
commence avec l'organisation diacritique [Spitz, 32]. Quand les récep-
teurs à distance, l'oeil et l'oreille, sont investis, alors, outre les objets
instinctuels, les choses et les événements perçus et reconnus par l'enfant
apparaissent dans son univers ; et la neutralisation de l'énergie instinc-
tuelle commence. Des schémas perceptifs visuels se forment mais les
traces mémorielles de ces images sont encore instables. Les traces
mémorielles visuelles n'ont pas encore leur propre organisation. Les
schémas perceptifs visuels et en particulier la perception des événements
et des mouvements sont intégrés avec les traces mémorielles des expé-
riences somatiques dans la série plaisir-déplaisir. Ce que l'oiseau fait,
ou bien un paquet tombant d'une voiture qui passe, ou encore un petit
objet se détachant d'un objet plus gros, est appréhendé et élaboré par
l'enfant à la lumière des expériences corporelles qu'il connaît ; ou
bien, en d'autres termes, l'enfant appréhende le monde visuel en incor-
porant ses impressions visuelles à son schéma corporel. Puisque cette
incorporation se fait selon un processus que l'on peut décrire avec pré-
cision, je suggère de désigner les résultats de ces processus appréhensifs
par le terme de schémas de signification archaïques. J'aimerais donner
au stade qui dure jusqu'au développement de la fonction du langage
le nom de stade de la pensée présymbolique. La chute d'un paquet qui
tombe d'une voiture n'est pas encore pour l'enfant un symbole de défé-
cation ; mais l'enfant croit que la voiture agit de la même manière que
lui. C'est seulement dans les rêves d'un enfant plus mûr que cette
image devient un symbole. Il est possible que les symboles usuels aient
leur origine dans les schémas de signification archaïques.
La communication cognitive entre l'enfant et l'objet de son amour
commence en même temps que le développement du langage. Un autre
niveau dans l'organisation de la pensée appréhensive commence avec
l'aide de la fonction d'attraction des mots et du langage et de leurs
fonctions expressives et cognitives.
En conclusion, j'aimerais citer Allport :
« Il y a dans la perception un caractèrefondamental... qui, bien qu'on
y fasse souvent allusion, n'a jamais été entièrement expliqué ni consi-
déré d'une manière assez détaillée dans aucune des théories. Il s'agit
du processus par lequel on perçoit le caractère concret des objets et
LA SIGNIFICATION, LES SCHEMAS DE LA SIGNIFICATION 71

des situations... de la signification que l'on vit par rapport à son propre
monde. »
L'attribution d'une signification est un problème relativement
négligé par la psychologie classique qui le relègue dans le domaine des
perceptions et des fonctions de la mémoire, et fait des hypothèses
concernant l'interaction entre le processus de la perception et les
traces mémorielles. Toutes ces théories sont basées sur le postulat
fondamental que le monde extérieur possède déjà des représentations
significatives endopsychiques. En fait ces théories ont seulement pour
but de définir les règles selon lesquelles un nouvel élément est accepté
dans la société des anciens éléments. La psychanalyse montre cependant,
que l'expérience corporelle que l'on éprouve dans la série plaisir-
déplaisir donne aux perceptions externes leur signification première.

ADDENDUM

Il y a une tradition de pensée en psychanalyse qui ne considère pas


la pensée comme une fonction autonome du moi. Selon cette conception,
la pensée est le résultat d'événements se produisant dans un système
de régulation d'énergie. D'après Bion [2] le facteur décisif est le degré
de tolérance d'une frustration. Si la frustration n'est pas suffisamment
tolérée, dans des cas extrêmes, le développement de la pensée ne peut
s'accomplir, et des objets persécuteurs mauvais, bons à être éliminés,
prennent sa place. L'appareil de l'identification projective se développe
tandis que l'appareil de la pensée, et surtout de la pensée abstraite et
mathématique, reste sans se développer.
Si je comprends bien Bion — mais il n'est pas très clair sur ce
point — il pense que sa description s'applique aux premières phases
de l'ontogenèse et non au dernier stade de la dégradation schizo-
phrénique. Le développement de la pensée et du mécanisme de la
pensée, et le développement des idées paranoïaques et du mécanisme
de l'identification projective sont les chemins divergents pris durant le
premier stade de l'ontogenèse psychique.
La thèse de Bion n'est pas corroborée par les faits cliniques, en par-
ticulier le fait que des prépsychotiques extrêmement doués et aussi
des schizophrènes manifestes — tant que la maladie n'a pas fait beau-
coup de progrès — sont capables de pensée très abstraite et de pensée
exempte de contradictions. Je n'en donnerai qu'un seul exemple.
Le mathématicien hongrois, Johannes Bolyai (1802-1860) s'est
fait, en tant que cofondateur de la géométrie non euclidienne, une
72 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

place très éminente dans l'histoire des mathématiques. A l'âge de


trente ans, il publia son Appendix Scientiam Spatii Absolute Veram
Exhibens. Dans cet ouvrage, il démontre qu'il est possible de construire
une géométrie logiquement cohérente, c'est-à-dire sans contradictions,
basée sur le postulat que l'axiome d'Euclide concernant les parallèles,
que l'on discutait depuis longtemps, n'est pas valable dans certaines
conditions. Hermann [16] a étudié la collection des manuscrits de
Bolyai à l'Académie des Sciences de Hongrie afin de découvrir « la
genèse de ces idées générales ». Ces études montrent que, dans le cas
de Bolyai, la première crise schizophrénique, entraînant l'expérience
vécue de la fin du monde, avait déjà eu lieu avant l'achèvement de son
oeuvre magnifique. La construction d'un système comportant des
quantités imaginaires dans sa géométrie non euclidienne représentait
une tentative de restitution. Les lettres de Bolyai montrent qu'il était
convaincu qu'au moyen de sa géométrie, le monde une fois détruit
pourrait être recréé à partir de rien.

RÉSUMÉ

Il n'existe pas encore une théorie psychanalytique de la pensée


uniforme et systématique. Toutefois, il est possible d'indiquer la posi-
tion occupée par la pensée dans le cadre de la théorie psychanalytique.
Dans la première partie de cet article, nous avons montré que la pensée
a occupé dans la période où la psychanalyse était centrée sur la théorie
des instincts une place différente de celle qu'elle occupe dans la période
actuelle où elle est centrée sur la structure. A présent la pensée est
conceptualisée comme fonction du Moi.
Nous distinguons le processus, les moyens (ou instruments) et le
produit de la pensée. Partant du matériel clinique, deux instruments
de la pensée sont décrits : en premier lieu, la régression temporaire
contrôlée, la mise à l'épreuve de la réalité et la fonction synthétique du
Moi étant conservées, et également les troubles de ce mécanisme de la
pensée ; en second lieu, le style de pensée sélectif fréquemment utilisé,
dans la pensée mathématique. Nous avons donné un exemple où il
est utilisé incorrectement, et nous avons parlé brièvement du rapport
entre le style de pensée du malade et la technique de l'interprétation.
Nous avons surtout insisté dans cet article sur l'aspect du dévelop-
pement psychologique, c'est-à-dire le développement des instruments.
Deux problèmes particuliers ont été choisis et élucidés en détail : le
développement de la pensée appréhensive (ou bien la manière dont les
LA SIGNIFICATION, LES SCHEMAS DE LA SIGNIFICATION 73

expériences sont faites) et le développement de l'intolérance des contra-


dictions. Nous avons montré que, dans la première phase présymbolique
de la pensée appréhensive, les impressions optiques sont incorporées
dans le schéma corporal et les expériences sont organisées à l'aide de
schémas de signification archaïques. L'intolérance des contradictions
apparaît pendant toute la durée de plusieurs phases du développement
et est liée au développement de certains instruments de la pensée, les
opérations, au sens où Piaget emploie ce terme. Les opérations sont des
actions internalisées, c'est-à-dire des actions expérimentales, comme
Freud l'a compris. L'internalisation des actions (c'est-à-dire la structu-
ration des opérations) et l'élimination des contradictions de la pensée
sont liées.
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II
Théorie de la pensée(I)
par W. R. BION (Londres)

1) Je tiens essentiellement, dans cette étude, à présenter un système


théorique. Sa ressemblance avec une théorie philosophique est due au
fait que des philosophes se sont intéressés au même sujet ; il diffère
d'une théorie philosophique dans la mesure où, comme toutes les
théories psychanalytiques, il est destiné à être utilisé. Il est conçu avec
l'intention que les psychanalystes qui exercent mettent au point les
hypothèses dont il se compose sous forme de données vérifiables empi-
riquement. A cet égard, il y a le même rapport entre ce système théo-
rique et des propositions analogues en philosophie qu'entre les proposi-
tions des mathématiques appliquées et les mathématiques pures.
Les hypothèses dérivées, destinées à être soumises à l'épreuve
empirique, et, dans une moindre mesure, le système théorique lui-
même, ont avec les faits observés dans une psychanalyse le même rap-
port que celui qui existe entre une proposition en mathématiques
appliquées, mettons au sujet d'un cercle mathématique et une propo-
sition au sujet d'un cercle dessiné sur le papier.
2) Ce système théorique est destiné à être applicable dans un nombre
de cas importants ; les psychanalystes devraient donc faire l'expérience
d'applications se rapprochant de la théorie.
Je n'attache à cette théorie aucune importance disgnostique, bien
que j'estime qu'elle peut s'appliquer chaque fois qu'on croit qu'un
trouble mental existe. Son importance diagnostique dépendra du
« schème » formé par la conjonction constante d'un certain
nombre de
théories dont celle-ci fait partie.
Cette théorie s'expliquera sans doute plus facilement si j'étudie

(1) Lu au XXIIe Congrès international de Psychanalyse, Edimbourg, juillet-août 1961.


76 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-1964

l'arrière-plan d'expérience émotionnelle d'où elle a été tirée. Je le


ferai en termes généraux, sans chercher la rigueur scientifique.
3) Il est commode de considérer que la pensée dépend de l'issue
heureuse de deux principaux développements mentaux. Le premier
est le développement des pensées. Elles ont besoin d'un appareil pour
les manipuler. Le second développement est donc celui de cet appareil
que j'appellerai provisoirement l'acte de penser (thinking). Je le répète,
l'existence de l'acte de penser doit être invoquée pour manipuler les
pensées.
On remarquera que ceci diffère de toute théorie considérant les
pensées comme un produit de la pensée dans la. mesure où la pensée
est un développement imposé de force à la psyché par la pression des
pensées, et non le contraire. Des développements psychopathologiques
peuvent être associés avec l'une ou l'autre phase, ou les deux, c'est-à-
dire qu'ils peuvent être rattachés à une rupture dans le développement
des pensées ou à une rupture dans le développement du mécanisme
de penser, ou pour disposer des pensées, ou les deux.
4) On peut classer les pensées, selon la nature de l'histoire de leur
développement, en préconceptions, conceptions ou pensées, et fina-
lement concepts ; les concepts sont désignés par un nom, et sont par
conséquent des conceptions fixées ou des pensées.
La conception est amorcée par la conjonction d'une préconception
avec une actualisation. On peut considérer la préconception comme
l'analogue en psychanalyse du concept kantien des « pensées vides ».
En psychanalyse, la théorie selon laquelle l'enfant a une disposition
innée correspondant à l'attente d'un sein peut être utilisée pour fournir
un modèle. Quand la préconception entre en contact avec une actuali-
sation approchée, l'issue mentale en est une conception. En d'autres
termes, la préconception (l'attente innée d'un sein, la connaissance
a priori d'un sein, la « pensée vide ») quand l'enfant entre en contact
avec le sein même s'unit à la prise de conscience de l'actualisation et
est synchrone au développement d'une conception. Ce modèle servira
pour la théorie d'après laquelle toute jonction d'une préconception
avec son actualisation produit une conception. On pourra donc s'attendre
à ce que les conceptions soient constamment conjointes à une expé-
rience émotionnelle de satisfaction.
5) Je restreindrai l'usage du terme de « pensée » à l'union d'une
préconception avec une frustration. Le modèle que je propose est celui
d'un enfant chez qui l'attente d'un sein s'unit à une « conscience »
qu'il n'y a pas de sein pouvant procurer une satisfaction. Cette union
THEORIE DE LA PENSEE 77

est ressentie comme une absence-de-sein ou non-sein en lui. L'étape


suivante dépend de la capacité qu'a l'enfant de tolérer la frustration ;
elle dépend en particulier de la décision prise : soit d'échapper à la frus-
tration, soit de la modifier.
6) Si la capacité de tolérance à la frustration est suffisante, le non-
sein en lui devient une pensée et un appareil pour le « penser » se déve-
loppe. Ceci marque le début de l'état décrit par Freud dans ses Deux
principes de fonctionnement mental dans lequel la prédominance du
principe de réalité est simultanée avec le développement d'une capacité
de penser, c'est-à-dire de combler le vide dû à la frustration, entre le
moment où un besoin est ressenti et le moment où une action propre
à satisfaire ce besoin culmine dans sa satisfaction. La capacité de
tolérance de la frustration permet ainsi à la psyché d'élaborer la pensée
en tant que moyen de rendre plus tolérable la frustration même qui
est tolérée.
7) Si la capacité de tolérance de la frustration est insuffisante, le
mauvais « non-sein » interne, qu'une personnalité capable de maturité
reconnaît finalement comme pensée, met le psychisme dans l'obligation
de décider entre la fuite devant la frustration et sa modification.
8) L'incapacité de tolérer la frustration fait pencher la balance dans
la direction de la fuite devant la frustration. Il en résulte qu'on s'écarte
significativement des événements, ce que Freud décrit comme carac-
téristique de la pensée dans la phase de prédominance du principe de
réalité. Ce qui devrait être une pensée, un produit de la juxtaposition
.
d'une préconception et d'une actualisation négative devient un mauvais
objet indiscernable d'une chose en soi propre à être évacuée. En consé-
quence, le développement d'un appareil pour penser est troublé et
à sa place se produit un développement hypertrophié du mécanisme de
l'identification projective. Le modèle que je proposerai pour ce dévelop-
pement est une psyché fonctionnant à partir du principe que l'évacuation
d'un mauvais sein est synonyme de l'obtention des moyens de subsis-
tance venant d'un bon sein. Le résultat final est que toutes les pensées
sont traitées comme si elles étaient indiscernables de mauvais objets
internes ; on sent que le mécanisme approprié est, non un appareil
pour penser les pensées, mais un appareil pour débarrasser la psyché
de l'accumulation de mauvais objets internes. Ce qui est crucial, c'est
la décision entre modification et fuite devant la frustration.
9) Les éléments mathématiques, à savoir les lignes droites, les
points, les cercles, et quelque chose qui correspond à ce qui devient
plus tard connu sous le nom de nombres, proviennent d'une prise de
78 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

conscience d'une dualité, comme dans sein et enfant, deux yeux, deux
pieds, etc.
10) Si la tolérance de la frustration n'est pas trop grande, la modifi-
cation devient le but dominant. Le développement des éléments mathé-
matiques, ou des objets mathématiques, comme Aristote les appelle,
est analogue au développement des conceptions.
11) Si l'intolérance de la frustration domine, des mesures sont
prises pour éluder la perception de la prise de conscience par des
attaques destructrices. Dans la mesure où préconcept et actualisation
s'unissent, des conceptions mathématiques se forment, mais elles sont
traitées comme si elles étaient indiscernables de choses en soi, et sont
évacuées à grande vitesse comme des projectiles pour annihiler l'espace.
Dans la mesure où espace et temps sont perçus comme identiques à
un mauvais objet qui est détruit, c'est-à-dire un non-sein, l'actualisation
qui devrait s'unir à la préconception n'est pas disponible pour
compléter les conditions nécessaires à la formation d'une conception.
La prédominance de l'identification projective rend confuse la dis-
tinction entre soi et l'objet externe. Ceci contribue à l'absence de toute
perception de dualité puisqu'une telle prise de conscience dépend de
la reconnaissance d'une distinction entre sujet et objet.
12) Quant à la relation avec le temps, un malade me l'a fait
comprendre graphiquement : il répétait toujours qu'il perdait du temps
— et continuait à le perdre. Le but du malade est de détruire le temps
en le perdant. Les conséquences en sont illustrées dans la description
dans Alice au pays des Merveilles du thé chez le Chapelier Fou : il est
toujours quatre heures.
13) L'incapacité de tolérer la frustration peut faire obstacle au
développement des pensées et d'une capacité de penser ; pourtant une
capacité de penser diminuerait le sentiment de frustration inhérent à
l'appréciation du hiatus entre un désir et son accomplissement. Les
conceptions, c'est-à-dire l'issue de l'union d'une préconception avec
son actualisation, répète sous une forme plus complexe l'histoire de
la préconception. Une conception ne rencontre pas nécessairement
une actualisation qui s'en approche assez près pour engendrer la satis-
faction. Si la frustration peut être tolérée, l'union de la conception
et des actualisations, soit négatives, soit positives, instaure des procédés
nécessaires à l'apprentissage par expérience. Si l'intolérance de la frus-
tration n'est pas assez grande pour activer les mécanismes de fuite
devant celle-ci, mais trop grande pourtant pour supporter la prédomi-
nance du principe de réalité, la personnalité fait naître et croître l'omni-
THEORIE DE LA PENSEE 79

potence comme substitut à l'union de la préconception ou de la concep-


tion avec l'actualisation négative. Ceci entraîne la présomption de
l'omniscience comme substitut à l'apprentissage par expérience à
l'aide des pensées et de l'acte de penser. Il n'y a donc aucune activité
psychique pour faire la discrimination entre le vrai et le faux. L'omni-
science substitue à la discrimination entre le vrai et le faux une affirma-
tion dictatoriale qu'une chose est normalement bien, et l'autre mal.
La présomption de l'omniscience qui nie la réalité a pour conséquence
fatale que la moralité ainsi engendrée sera une fonction de psychose.
La discrimination entre le vrai et le faux est une fonction de la partie
non psychotique de la personnalité et de ses facteurs. Il y a ainsi un
conflit virtuel entre l'assertion de la vérité et l'assertion de la domination
morale. Le caractère extrême de l'un contamine l'autre.
14) Certaines préconceptions se rattachent à des attentes qu'éprouve
la personne même. L'appareil préconceptuel est adéquat aux actuali-
sations faisant partie de l'étroit champ de circonstances propres à assurer
la survie de l'enfant. Une circonstance qui touche à la possibilité de
survie est la personnalité de l'enfant lui-même. Ordinairement, la
personnalité de l'enfant, comme les autres éléments de l'environnement,
est suscitée par la mère. Si la mère et l'enfant sont ajustés l'un à l'autre,
l'identification projective joue un rôle de premier plan dans la relation
dirigée par la mère; l'enfant est capable, par l'opération d'un sens
rudimentaire de la réalité, de se comporter de telle manière que l'iden-
tification projective — qui est habituellement un fantasme omni-
potent —, est un phénomène réalistique. J'ai tendance à croire que
c'est là sa condition normale. Quand Klein parle d'identification pro-
jective « excessive », je pense que le terme d' « excessif » devrait se
comprendre comme applicable, non seulement à la fréquence de l'uti-
lisation de l'identification projective, mais à une croyance exagérée en
l'omnipotence. En tant qu'activité réalistique, elle se révèle comme
un comportement raisonnablement calculé pour susciter chez la mère
des sentiments dont l'enfant désire être débarrassé. Si l'enfant a le
sentiment qu'il est en train de mourir, cela peut éveiller chez la mère
des craintes qu'il ne meure. Une mère bien équilibrée peut accepter
ces craintes et avoir une réaction qui produise un effet thérapeutique ;
c'est-à-dire réagir d'une manière qui donne à l'enfant le sentiment qu'on
lui rend sa personnalité effrayée, mais sous une forme qu'il peut tolérer
— la personnalité de l'enfant peut maîtriser ces craintes. Si la mère
ne peut pas tolérer ces projections, l'enfant en est réduit à continuer
l'identification projective effectuée avec une force et une fréquence
80 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-1964

croissantes. La force croissante semble dépouiller la projection de sa


pénombre de signification. La réintrojection est affectée d'une force
et d'une fréquence analogues. Si je déduis les sentiments du malade
de son comportement dans le cabinet de consultation, et si j'utilise ces
déductions pour former un modèle, l'enfant conforme à mon modèle
n'a pas le comportement que j'attends normalement d'un adulte qui
pense. Il se comporte comme s'il sentait qu'un objet interne s'est
construit, avec toutes les caractéristiques d'un « sein » avide comme
un vagin qui dépouille de son caractère « bon » tout ce que l'enfant
reçoit ou donne, en ne laissant que des objets dégénérés. Cet objet
interne prive son hôte de toute compréhension disponible. En analyse,
un tel malade semble incapable de tirer profit de son environnement
et par conséquent de son analyste. Les conséquences qui en résultent
sur le développement d'une capacité de penser sont graves ; je n'en
décrirai qu'une, à savoir le développement précoce de la conscience.
15) Par conscience, j'entends dans ce contexte ce que Freud a
décrit comme un « organe sensoriel de la perception des qualités
psychiques ».
J'ai décrit précédemment (à une réunion scientifique de la Société
Britannique de Psychanalyse) l'utilisation d'un concept de « fonction
alpha » comme instrument de travail pour l'analyse des troubles men-
taux. Il semble commode de supposer une fonction alpha pour convertir
les données sensorielles en éléments alpha, et ainsi fournir à la psyché
le matériel des pensées du rêve, et de là la capacité de s'éveiller ou de
s'endormir, d'être conscient ou inconscient. D'après cette théorie,
la conscience dépend de la fonction alpha, et c'est une nécessité logique
de supposer qu'une telle fonction existe si nous devons admettre que la
personne est capable d'être consciente de soi dans le sens de se connaître
par expérience de soi-même. Cependant, échouer à établir entre l'en-
fant et la mère une relation dans laquelle l'identification projective
normale soit possible, empêche le développement d'une fonction
alpha et par conséquent d'une différenciation des éléments en conscients
et inconscients.
16) On évite cette difficulté en restreignant le terme de « conscience »
à la signification qui lui a été attribuée par la définition de Freud. Si
l'on utilise le terme de « conscience » dans ce sens restreint, il est pos-
sible de supposer que cette conscience produit des « données senso-
rielles » de soi, mais qu'il n'y a pas de fonction alpha pour les convertir
en éléments alpha, et permettre par conséquent l'acquisition d'une
capacité d'être conscient ou inconscient de soi. La personnalité de
THEORIE DE LA PENSEE 81

l'enfant par elle-même est incapable d'utiliser les données sensorielles,


mais doit évacuer ces éléments dans la mère, en comptant sur elle pour
faire tout ce qui doit être fait pour leur donner une forme appropriée
à leur utilisation comme éléments alpha par l'enfant.
17) La conscience limitée définie par Freud, dont je me sers pour
définir une conscience infantile rudimentaire, n'est pas associée avec
un inconscient. Toutes les impressions de la personne ont une valeur
égale ; toutes sont conscientes. La capacité de rêverie chez la mère est
l'organe récepteur de la moisson de sensations de soi acquises par le
conscient de l'enfant.
18) Un conscient rudimentaire ne pourrait pas accomplir les tâches
que nous considérons normalement comme du domaine de la conscience
et ce serait trompeur de tenter de soustraire le terme de « conscient »
a son champ d'utilisation ordinaire où il s'applique à des fonctions
mentales de grande importance dans la pensée rationnelle. Pour le
moment, je fais la distinction uniquement afin de montrer ce qui se
produit s'il y a une rupture de l'interaction par l'identification projec-
rive entre la conscience rudimentaire et la rêverie maternelle.
Un développement normal se fait ensuite si la relation entre l'enfant
et le sein permet à l'enfant de projeter un sentiment (mettons le senti-
ment qu'il est en train de mourir) dans la mère et de le réintrojecter
après que son séjour dans le sein l'a rendu tolérable pour la psyché de
l'enfant. Si la projection n'est pas acceptée par la mère, l'enfant sent
que son impression de mourir est dépouillée de toute la signification
qu'elle peut avoir. Il réintrojecte donc, non pas une crainte de mourir
rendue tolérable, mais une peur sans nom.
19) Les tâches que la rupture de la capacité de rêverie chez la mère
a laissées inachevées sont imposées à la conscience rudimentaire ; elles
se rattachent toutes, à des degrés différents, à la fonction de corrélation.
20) La conscience rudimentaire ne peut supporter le fardeau qui
repose sur elle. La formation interne d'un objet-rejetant-l'identifi-
cation-projective signifie, qu'au lieu d'un objet compréhensif, l'enfant
a un objet volontairement incompréhensif, avec lequel il s'identifie.
En outre, ses qualités psychiques sont perçues par une conscience
précoce et fragile.
21) L'appareil à la disposition de la psyché peut être considéré
comme quadruple :
a) La pensée, associée à la modification et à la fuite devant la frus-
tration ;
REV. FR. PSYCHANAL. 6
82 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

b) L'identification projective, associée à la fuite par l'évacuation ;


elle ne doit pas être confondue avec l'identification projective nor-
male (§ 14 sur l'identification projective « réalistique ») ;
c) L'omniscience (basée sur le principe de tout savoir tout condamner) ;
d) La communication.
22) L'examen de l'appareil que j'ai décrit sous ces quatre rubriques
montre qu'il est destiné à manipuler les pensées, au sens large du terme,
c'est-à-dire en comprenant tous les objets que j'ai décrits comme
conceptions, pensées du rêve, pensées, éléments alpha et éléments
bêta, comme si c'était des objets qui doivent être maniés ;
a) Parce que, sous une forme ou sous une autre, ils contenaient ou
exprimaient un problème ;
b) Parce qu'ils étaient eux-mêmes ressentis comme des excroissances
indésirables de la psyché et exigeaient une attention, une élimination
par un moyen ou par un autre, pour cette raison.
23) En tant qu'expressions d'un problème, il est évident qu'elles
exigent un appareil destiné à jouer le même rôle en comblant le vide
entre connaissance et appréciation d'un manque, d'une part, et action
destinée à modifier ce manque, d'autre part, que le rôle joué par la
fonction alpha qui comble le vide entre données sensorielles et appré-
ciation des données sensorielles. (Dans ce contexte, j'inclus la perception
des qualités psychiques car elles exigent le même traitement que les
données sensorielles.) En d'autres termes, de même que les données
sensorielles doivent être modifiées et élaborées par la fonction alpha
pour les rendre disponibles pour les pensées du rêve, etc., de même les
pensées doivent être élaborées pour les rendre disponibles pour la
traduction en action.
24) La traduction en action implique publication, communication
et bon sens. Jusqu'ici, j'ai évité de traiter ces aspects de la pensée, bien
qu'ils soient implicites dans ce débat, et que j'en aie esquissé un expli-
citement ; je veux parler de la corrélation.
25) A l'origine, on peut considérer la publication comme une fonc-
tion des pensées et rien de plus, c'est-à-dire le fait de rendre les données
sensorielles disponibles à la conscience. Je désire réserver ce terme aux
opérations nécessaires pour rendre publique la prise de conscience
intime, c'est-à-dire la prise de conscience particulière à l'individu.
On peut considérer que les problèmes impliqués sont techniques et
émotionnels. Les problèmes émotionnels sont liés au fait que l'individu
THÉORIE DE LA PENSÉE 83

humain est un animal politique, ne peut pas trouver de satisfaction en


dehors d'un groupe, et ne peut pas non plus satisfaire aucune tendance
émotionnelle sans l'expression de sa composante sociale. Ses impulsions,
j'entends toutes ses impulsions et pas seulement ses impulsions sexuelles,
sont en même temps narcissiques. Le problème est la résolution du
conflit entre narcissisme et socialisme. Le problème technique est
celui qui touche à l'expression de la pensée ou de la conception par le
langage ou sa contrepartie en signes.
26) Ceci m'amène à la communication. A l'origine la communi-
cation est effectuée par l'identification projective réalistique. Le procédé
primitif chez l'enfant subit des vicissitudes variées, y compris, comme
nous l'avons vu, une altération par hypertrophie d'un fantasme d'omni-
potence. Si la relation avec le sein est bonne, il peut se transformer en
une capacité pour la personne de tolérer ses propres qualités psychiques
et le terrain est ainsi préparé pour la fonction alpha et la pensée normale.
Mais il se développe également en tant que partie de la capacité sociale
de l'individu. Ce développement, très important en dynamique de
groupes, n'a pour ainsi dire pas attiré l'attention : son absence rendrait
impossible même la communication scientifique. Pourtant, sa présence
peut éveiller des sentiments de persécution chez ceux qui reçoivent la
communication. Le besoin de diminuer les sentiments de persécution
contribue à la tendance vers l'abstraction dans la formulation des
communications scientifiques. La fonction des éléments de communi-
cation, mots et signes, est d'exprimer, soit par des substantifs seuls,
soit en groupements verbaux, que certains phénomènes sont constam-
ment conjoints dans le schème de leur relation.
27) Une fonction importante de la communication est de réaliser
une corrélation. Alors que la communication est encore une fonction
intime, les conceptions, les pensées et leur verbalisation, sont néces-
saires pour faciliter la conjonction d'un ensemble de données sensorielles
avec un autre. Si les données conjointes sont en harmonie, on a un
sentiment de vérité et il est souhaitable que ce sentiment reçoive une
expression sous la forme d'une proposition analogue à une proposition
ayant fonction de vérité. L'échec pour amener cette conjonction des
données sensorielles et par conséquent d'une manière de voir banale
provoque chez le malade un état mental de débilité, comme si la priva-
tion de la vérité était en quelque sorte analogue à la privation de nour-
riture. La vérité d'une proposition n'implique pas qu'il y ait une actua-
lisation approchée de la proposition vraie.
28) Nous pouvons maintenant considérer d'un peu plus près le
84 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-1964

rapport de la conscience rudimentaire avec une qualité psychique. Les


émotions remplissent pour la psyché une fonction analogue à celle des
sens par rapport aux objets dans l'espèce et dans le temps ; c'est-à-dire
que la contrepartie de la manière de voir du sens commun dans la
connaissance intime est la manière de voir émotionnelle commune ;
on a un sentiment de vérité si la vue d'un objet qui est haï peut être
conjointe à la vue du même objet quand il est aimé, et la conjonction
confirme que l'objet vécu avec des émotions différentes est le même
objet. Une corrélation s'établit.
29) Une corrélation analogue, rendue possible en amenant le cons-
cient et l'inconscient à s'intéresser aux phénomènes qui se passent dans
le cabinet de consultation, donne aux objets psychanalytiques une
réalité indubitable, quoique leur existence même ait été contestée.

BIBLIOGRAPHIE

[1] BION (W. R. ) (1962), A Theory of Thinking, Int. J. Psycho-Anal, 43.


[2] FREUD (S.) et BREUER (J.) (1893-1895), Studies on Hysteria, S.E., 2.
[3] FREUD (S.) (1900), The InterprEtationof Dreams, S.E., 4 et 5.
[4] — (1901), The Psychopathology of Everyday Life, S.E., 6.
[5] — (1907), Delusions and Dreams in Jensen's Gradiva, S.E., 9.
[6] — (1917), Metapsychological Supplement to the Theory of Dreams,
S.E., 14.
[7] — (I925), Negation, S.E., 19.
[8] HOFFER (W.), The Mutual Influences in the Development of the Ego and
Id : Earliest Stages, Psychoanal. Study Child, 7.
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION

La pensée
et l'hallucination négative(I)
par CECILY DE MONCHAUX (Londres)

La théorie psychanalytique de la pensée est basée sur le modèle que


Freud [3] a utilisé dans sa théorie du rêve. Il concevait un mécanisme
semblable à un télescope dans lequel la disposition spatiale des systèmes
de lentilles correspondrait à l'agencement temporel des systèmes psy-
chiques. Dans l'état de veille normal de l'adulte, on considérait que
l'excitation est transmise à partir du système perceptif par des systèmes
mémoriels conscients et inconscients et un système de censure, en pro-
gressant jusqu'au préconscient, et de là aux systèmes d'action (moteurs).
Dans l'enfance, la psychose hallucinatoire et le sommeil, cependant,
on considérait que l'excitation accomplit une démarche rétrograde,
les besoins intérieurs incitant le mécanisme à transmettre l'excitation,
non pas vers l'extrémité motrice, mais vers l'extrémité sensorielle. On
considérait que le résultat de cette « régression » est une ré-excitation
des images mémorielles spécifiques qui, à moins d'être corrigée par
un « courant d'excitation allant en sens contraire » (c'est-à-dire vers
l'extrémité motrice comme dans les états de maturité, de santé d'esprit
et de veille), produit un retour hallucinatoire des images perceptives,
comme dans les rêves. Le prototype de telles hallucinations est l'image
(théorique) du sein chez le bébé à la première occasion (théorique) où
la faim est suscitée après le premier repas (théorique). Cette image

(1) Communication faite air Symposium sur La pensée, à une réunion de la Société britan-
nique de Psychanalyse, le 15 novembre 1961. Ceci est une version un peu développée d'une
communication faite au XXIIe Congrès international de Psychanalyse à Edimbourg, en
août 1961, pour ouvrir le débat du Symposium sur L'étude psychanalytique de la pensée.
86 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-1964

interne du sein — image mémorielle d'une source de satisfaction


passée — sert d'objet substitutif et, comme la décharge d'affect qui
l'accompagne, aide le bébé à surmonter un moment pénible. Il est
probable que l'image mémorielle conserve toujours quelque chose
de sa fonction de réduction de tension, mais elle devient subordonnée
à ses fonctions de signal. Pour que l'adaptation à l'environnement soit
possible, il faut un changement tel que la régression à l'hallucination
ne se produise pas, et que pourtant l'image mémorielle d'une source
de satisfaction passée soit conservée comme signe du but à atteindre.
Les psychanalystes ont considéré que les conditions nécessaires à
cette transition de l'image hallucinatoire à la pensée adaptée à la réalité
résident dans l'équilibre délicat entre l'éveil des besoins et leur satis-
faction par une figure maternelle adaptée au bébé et dans leur interac-
tion au bon moment. Si l'image anticipée que le bébé a de la mère, et
la réaction de la mère à son bébé sont déphasées, soit parce que la mère
intervient au mauvais moment, ou parce que, pour une raison quel-
conque, elle ne peut pas discerner et satisfaire les besoins de son bébé,
alors l'enfant ne parviendra pas à intégrer expérience interne et expé-
rience externe. En conséquence, la capacité hallucinatoire primaire
sera dissociée des autres formes de connaissance, et, au lieu de les
soutenir et de les enrichir, elle sera inhibée et peut-être ressentie seu-
lement comme une crainte imaginaire. Elle n'aura alors que peu de
force pour imposer la croyance à la réalité interne, tandis que la réalité
externe, privée de l'éclat que lui donne la conjonction avec le fan-
tasme, semble terne et sans vie. Ou encore, pour se défendre contre
ce genre de dissociations, on peut sacrifier l'image interne agréable à
une tentative hallucinatoire de projection, destinée à revivifier un monde
extérieur mort.
Les contributions les plus fécondes de la psychanalyse à la psycho-
logie de la pensée sont issues de ce modèle des fonctions de l'image
positive primaire et de la manière dont elle est intégrée, ou non, avec
la stimulation extérieure. Car ce modèle a été la base de la théorie de la
formation du symbole et c'est de là que Freud a tiré la thèse selon
laquelle la pensée, comme tout autre processus psychologique, peut
être inconsciemment symbolisée en termes de fonctions corporelles
ou en termes de produits du corps ou d'objets humains qui prennent
part aux premiers échanges sociaux. Certains types de troubles mentaux
peuvent se comprendre comme des difficultés à exercer l'art de penser
avec des moyens inadéquats. C'est comme si, par la régression, les
éléments mentaux nécessaires perdaient leur qualité de pensées flexibles
LA PENSÉE ET L'HALLUCINATION NÉGATIVE 87

et étaient remplacés par des images mémorielles statiques d'une vivacité


hallucinatoire. Car Freud a montré que la régression à des stades anté-
rieurs du fantasme entraîne des changements, non seulement dans la
signification du contenu, mais aussi dans les formes d'expression. Il
a découvert que les régressions de la pensée sont marquées par un retour
aux premiers stades du développement, où l'image et l'objet se dis-
tinguent à peine l'un de l'autre, si bien que le malade psychotique
investit l'image verbale d'un objet comme si c'était l'objet lui-même.
Dans des cas de régression aussi extrêmes, le mot, qui est le sceau
même de la pensée consciente, est entraîné dans les profondeurs de la
symbolisation inconsciente.
Mais, quoique le modèle de l'appareil mental donné par Freud
se soit révélé valable pour comprendre la régression du processus
secondaire au processus primaire, il reste encore l'autre aspect du
problème : le progrès du processus primaire au processus secondaire (1).
Si nous examinons ce que dit Freud sur le problème de cette transition
dans le développement, nous trouvons peu d'allusions à son modèle
de base. Les termes employés dans la majeure partie du débat
s'appliquent aux conditions dans lesquelles le changement se fait, par
exemple : « L'expérience amère de la vie a dû changer cette activité
mentale primitive en une activité mentale secondaire plus adaptée » [3].
Quand il fait vraiment une allusion explicite à son modèle, il parle
de la pensée rationnelle comme étant provoquée par l'inhibition de
la régression vers l'image hallucinatoire : «... il est nécessaire d'arrêter
la régression avant qu'elle devienne complète, afin qu'elle n'aille pas
au-delà de l'image mémorielle et qu'elle puisse chercher d'autres
sentiers conduisant finalement à l'établissement, à partir du monde
extérieur, de l'identité perceptuelle souhaitée... La pensée n'est après
tout que le substitut d'un désir hallucinatoire... dans le processus
secondaire la tentative hallucinatoire pour établir une « identité per-
ceptuelle » (répétition de la perception qui était liée à la satisfaction
du besoin) est abandonnée et remplacée par l'établissement d'une
« identité mentale » [3].
Mais nous pouvons nous demander comment se fait cette inhibition
de la régression vers l'hallucination. Pouvons-nous en rendre compte
dans les termes du modèle original, ou devons-nous supposer que la

(1) Le problème n'était pas résolu quand Freud donna une nouvelle formulation de son
modèle de l'appareil mental après 1920, car nous le retrouvons, transposé de termes de fonction
eu termes de structure, dans la controverse portant sur la question : le Moi a-t-il des origines
exemptes de conflit ?
88 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

maturation amène des principes de fonctionnement entièrement nou-


veaux ? A mon avis, nous pouvons déduire le processus secondaire
du modèle de la fonction primaire donné par Freud, sans invoquer de
nouveaux principes. Tout ce que nous devons faire, c'est d'étendre les
fonctions du modèle du processus primaire pour qu'elles comprennent
l'hallucination négative aussi bien que l'hallucination positive.
Freud (1) [6] lui-même a suggéré la possibilité que l'hallucination
primaire puisse être négative plutôt que positive dans une note de son
Mémoire : Supplément métapsychologique à la théorie du rêve, mais
il semble qu'il n'ait pas exploré les conséquences de cette suggestion,
ni révisé son modèle à sa lumière. Autant que je sache, la seule personne
qui ait repris la suggestion de Freud est Hoffer [8] dans son étude sur
Les influences mutuelles dans le développement du Moi et du Ça. Il y a
décrit l'hallucination négative comme une sorte de « surdité sensorielle
et affective » et il a suggéré que c'est peut-être une forme primaire de
refoulement.
Pourtant, si nous définissons l'hallucination négative par analogie
avec l'hallucination positive (« une perception subjective de ce qui
n'existe pas »), comme « une perception subjective que quelque chose
n'existe pas », alors on pourrait la considérer avec plus d'exactitude
comme la forme primaire de la dénégation, plutôt que comme celle
du refoulement. Le mécanisme du refoulement désigne une inhibition
défensive portant sur la mémoire, tandis que la dénégation inhibe la
perception. (On peut dire que le refoulement a une influence sur la
perception, mais c'est là un effet secondaire du trouble de la mémoire.)
Voyons ce qui s'ensuit si nous étendons les fonctions du modèle de
l'appareil mental donné par Freud jusqu'à y inclure l'hallucination
négative, aussi bien que l'hallucination positive. Cette addition revient
à interpoler un concept de contenu qui puisse correspondre au concept
fonctionnel de « retrait de l'investissement ». On peut alors résumer

(1) Les allusions antérieures de Freud [2, 4, 5] à l'hallucination négative sont, à une excep-
tion près, plus descriptives qu'explicatives. Cette exception se trouve dans La psychopathologic
de la vie quotidienne. Freud y emploie ce terme pour expliquer une « coïncidence » apparemment
remarquable, où il avait aperçu des amis juste après avoir pensé à eux. Il explique cela par une
hallucination négative dans laquelle il a dû « écarter sa perception originale » de ces amis. Il ne
semble pas que Freud ait fait le rapport entre l'hallucination négative et la négation, car lorsqu'il
a été amené à débattre le sujet de La négation [7] en 1925, il se souciait surtout de démontrer
l'expulsion et la destruction symboliques latentes dans le contenu manifeste de la négation
intellectuelle. En même temps, toutefois, il a effectivement montré comment le moi utilise le
symbole de la négation — « non » — pour permettre aux idées inconscientes de pénétrer dans
la conscience, mais avec méfiance pour ainsi dire : ainsi l'éternuementqui suit la pensée que l'on
n'a pas eu de rhume récemment, et l'orgueilleuseaffirmation de l'avare que, s'il existe un travers
dont il n'est pas coupable, c'est bien la ladrerie.
LA PENSÉE ET L'HALLUCINATION NÉGATIVE 89

comme suit les rapports entre le concept de fonction et le concept de


contenu :
Description fonctionnelle

moteurs
Investissement régressif de l'image
mémorielle
Retrait de l'investissement des sys-
tèmes
Description du contenu

On peut considérer les deux événements hallucinatoires, positif


Hallucination positive ("voit"

l'image moderne

Hallucination négative ("aveugle"


au stimulus externe

et négatif, comme les fonctions intrinsèquement liées d'un système


dans lequel il y a deux directions possibles d'excitation : vers l'investis-
sement des images mémorielles (organisées par rapport aux tendances
en tant qu'ayant un pouvoir de réducteurs de tendances) ou vers l'inves-
tissement du monde extérieur des stimuli. Le mode dé fonctionnement
le plus simple de ce système serait un fonctionnement du type « tout
ou rien » dans lequel, quand l'excitation est « déclenchée » dans la direc-
tion de l'éveil des images mémorielles, elle est alors « interrompue »
dans la direction de la. capacité de réponse au milieu extérieur (1).
On peut concevoir le processus primaire comme une approximation
de ce mode de fonctionnement : marqué par une vive imagerie à prédo-
minance visuelle, la symbolisation concrète, l'absence du sentiment du
temps, l'absence de la négation et la coexistence de contradictions
logiques. Ce qui est désiré est mis en image et ressenti comme possédé
d'une manière omnipotente, comme coïncidant avec soi-même (puisque
la différenciation entre soi et autrui implique des fonctions différentes
et le manque de satisfaction du désir). Ce qui est évité et haï est ignoré
d'une manière omnipotente, et son existence est niée. Le meilleur
exemple de système fonctionnant de cette manière nous est fourni par
le rêve, puisque l'état de sommeil entraîne la réduction de la capacité
de réponse au monde extérieur. Mais, même dans le rêve, la condensa-
tion et le déplacement, quoique épargnant la représentation de désirs,
comportent des processus rudimentaires de comparaison, et par là
révèlent déjà une modification du principe du « tout ou rien » dans la
direction du processus secondaire.
Car ce sont les actes de comparaison et de sélection qui caractérisent
le processus secondaire : l'établissement de catégories, de relations

(1) Freud [3] : La mémoire et la qualité qui caractérise la conscience s'excluent mutuel-
lement.
90 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

logiques, d'ordre temporel et de négation. L'aspect fondamental de


tous ces processus est l'estimation d'un rapport entre l'image d'un sti-
mulus passé et la nature d'un stimulus présent. Pour que cet acte de
comparaison se fasse, il faut que l'hallucination positive et l'hallucination
négative soient l'une et l'autre inhibées, puisque leur fonctionnement
du type « tout ou rien » aboutit à ce que la représentation imaginée soit
dissociée de l'impact du stimulus. Si l'hallucination positive de l'objet
qui satisfait devait toujours être renforcée par l'expérience vécue de la
satisfaction, alors il n'y aurait aucune inhibition du fonctionnement
du processus primaire. Mais le désaccord inévitable entre l'éveil du
besoin et sa satisfaction, qu'il porte sur le moment ou sur l'intensité
de la satisfaction, entraîne l'association de l'image de la source de satis-
faction passée avec des expériences émotionnelles de privation. Si nous
supposons, à la suite de Freud, que ce qui est ressenti comme doulou-
reux est expulsé (par analogie avec les processus corporels) dans l'envi-
ronnement, alors l'image du sein liée à la douleur serait projetée et
ressentie comme une partie de l'environnement. Alors une tentative
serait faite pour en disposer par l'hallucination négative, qui est le
moyen utilisé dans le processus primaire pour échapper à un stimulus
externe perturbateur. Mais nous parvenons alors à un stade où une
image hallucinatoire positive est hallucinée d'une manière négative,
en d'autres termes inhibée. Par la projection, par conséquent, une inhi-
bition mutuelle des processus primaires hallucinatoires se produit. Ceci
entraîne le détournement de l'hallucination négative de l'environnement
extérieur vers l'image intérieure et en conséquence les seuils des stimuli
externes sont surélevés. En même temps, l'inhibition de l'image halluci-
natoire positive réduit le pouvoir de celle-ci à la fois en tant que substitut
satisfaisant et en tant que persécuteur (lorsqu'elle est associée à la
douleur de la privation et projetée au-dehors). Les conditions sont alors
établies pour que le système fonctionne selon le processus secondaire.
Dans sa théorie de la pensée, Bion a proposé l'hypothèse théorique
d'un événement vécu primaire de connaissance, dont le contenu cor-
respond à l'état affectif et conatif dans lequel on tolère la frustration.
Je soutiendrai que cette capacité de penser « absence de sein », de tolérer
l'idée négative avec l'aspect douloureux qui l'accompagne, est le pro-
totype du processus secondaire et dépend de l'inhibition mutuelle des
processus hallucinatoires positif et négatif. Si l'on définit la pensée
comme l'art de combler les lacunes des témoignages des sens, alors la
capacité de percevoir une lacune est essentielle à son exercice. On
pourrait soutenir que la différence critique entre le processus primaire
LA PENSÉE ET L'HALLUCINATION NÉGATIVE 91

et le processus secondaire réside dans l'action de tolérer le négatif. Le


rêveur n'a aucun moyen direct d'exprimer le négatif, mais doit avoir
recours à l'utilisation du contraste, du renversement ou de l'interruption
de thème pour indiquer les négations et les antithèses. Comme Bion l'a
montré, l'antithèse au niveau de la connaissance, de « sein » par opposition
à « absence de sein » correspond à l'antithèse au niveau émotionnel de
« amour » par opposition à « absence d'amour ». La régression défensive
vers le processus primaire introduit de force ces antithèses simples dans
les contrastes complexes entre « sein » et « sein attaqué » et entre « amour »
et « haine ». L'étendue des exigences imposées à l'enfant d'accepter des
expériences d' « absence de sein », aussi longuement et aussi fréquemment
qu'elles apparaissent, en plus probablement des facteurs constitutionnels
en rapport avec l'intensité de la douleur ressentie, déterminerait la rigi-
dité avec laquelle l'enfant niera la pensée négative et y substituera d'une
manière régressive une imago hallucinatoire positive du sein qui sera
attaquée en fantasme à cause de la douleur vécue qu'elle a provoquée.
Tout en établissant avec juste raison une corrélation entre les
troubles mentaux et les fantasmes régressifs et destructeurs vers des
imagos internes, les psychanalystes ont souvent supposé d'une manière
trop simpliste que la pensée efficiente et créatrice pouvait être consi-
dérée comme équivalente aux rapports mentaux symboliques avec de
« bonnes » imagos internes. On peut aimer ou haïr une imago interne,
mais on ne peut pas penser avec elle. Car il est impossible de faire des
expériences avec une imago positive, à moins de pouvoir la rattacher
à son négatif — c'est-à-dire à moins de pouvoir accepter de considérer
la possibilité que l'événement en question peut se produire, ou peut
ne pas se produire. La manière dont Bion aborde le problème est plus
ingénieuse, et il reconnaît la nature intrinsèque de la pensée créatrice —
à savoir l'absence de préoccupation au sujet des imagos internes, qu'elles
soient « bonnes » ou « mauvaises ». La pensée d' « absence de sein »
est un élément du travail mental beaucoup plus adapté que l'image de
« bon sein » et il faut insister sur ce point, en dépit du fait que la tolé-
rance d'une pensée d' « absence de sein » dépend, entre autres conditions,
en tout premier lieu de l'expérience vécue d'une imago de « bon » sein
internalisé. Si les conditions primitives nécessaires à l'exercice et au
renforcement graduel de cette fonction du moi sont absentes, alors la
pensée ne parviendra pas à se libérer du lien avec les imagos primitives
et l'activation des drames émotionnels internes primitifs. La pensée
adulte devrait pouvoir transcender le passé et parvenir à la liberté
d'explorer de nouvelles possibilités créatrices.
LA SITUATION
PSYCHANALYTIQUE

I
Affects, reviviscence des émotions
et prise de conscience
au cours
du processus analytique(I)
par ARTHUR R. VALENSTEIN (Boston)

Dans une brève discussion sur un sujet aussi vaste que celui de la
situation psychanalytique, nous ne pouvons porter toute notre attention
que sur l'un ou l'autre de ses aspects sans avoir l'intention de les
embrasser tous. Néanmoins, le fait de limiter une étude théorique à un
aspect technique unique ou à quelque élément curatif particulier
ressemble à une approche arbitraire quand on l'envisage sur le plan
du si complexe processus psychanalytique, avec toute la diversité des
principes et des agents thérapeutiques qui, avec le temps, isolément ou
combinés, rendent compte du changement. Toutefois, si nous compre-
nons qu'une semblable limitation n'est due ni à une omission par oubli,
ni à une dévalorisation intentionnelle des autres effets essentiels concou-
rant au processus analytique, la clarté conceptuelle peut être renforcée,
avec pour conséquence pratique une utilisation possible sur le plan du
diagnostic et de la technique. Après ce préambule explicatif, j'aimerais
envisager la fonction des affects et le rôle de l'émotion, au sens de
remémoration à charge émotionnelle et de reviviscence des émotions,
par rapport aux progrès de la prise de conscience.
Ce qui s'avère essentiel dans toute discussion sur les affects au cours
de la situation analytique, c'est la nécessité d'une théorie psychanalytique
d'ensemble des affects ainsi que d'une théorie générale de la thérapeu-
tique psychanalytique, l'une et l'autre se situant parmi les plus difficiles
(1) Version élargie du texte lu au Symposium sur La situation psychanalytique : le cadre et le
processus de la cure, au XXIIe Congrès international, Edimbourg, juillet-août 1961.
94 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

et les moins bien déterminées en psychanalyse. J'examinerai rapidement


l'évolution d'une théorie générale des affects et je citerai quelques aspects
pertinents d'une théorie de la thérapeutique analytique en tant que
système de référence touchant le sujet principal de cet exposé.
THÉORIE GÉNÉRALE DES AFFECTS
Parmi les articles les plus méthodiques concernant une théorie des
affects il convient de citer le très important travail de Rapaport [24] 1953 :
De la théorie psychanalytique des affects. Voici en résumé ce qu'il a
écrit : « Sigmund Freud, Fenichel et Anna Freud concluent que la
libération des pulsions refoulées s'accompagne nécessairement d'une
apparition d'affects, et l'effet thérapeutique dépend de la forme sous
laquelle ils apparaissent et de la façon de les traiter alors. »
La théorie psychanalytique, en se développant, a souvent été un
reflet de la technique psychanalytique utilisée à diverses périodes
historiques ; et également, comme on l'a si souvent fait remarquer, la
technique a été pari passu un résultat de progrès en théorie. Histori-
quement parlant, en ce qui concerne le problème des affects, les choses
n'en ont pas été autrement, tant sur le plan conceptuel que dans la
pratique.
Donnons une brève description du développement historique : à
l'époque préhistorique de la psychanalyse, avant que celle-ci ne fût
devenue une méthode organisée, le choc causé par le cas célèbre
d'Anna O... traité par Breuer (1880-1882), avait fortement impressionné
Freud qui se servait de la méthode cathartique pour le traitement de
l'hystérie. Si nous devions actuellement en donner une description,
nous qualifierions la théorie de cette thérapeutique de pure psychologie
du Moi, de théorie de maniement d'une tension où la névrose était
attribuée à un. excès d'affect étouffé, directement lié à certains souvenirs
perturbants. En conséquence, la « cure » consistait à faire resurgir
dans le conscient les idées traumatisantes, accompagnées de leur
quantum entier d'émotion refoulée : une totale abréaction était consi-
dérée comme essentielle. L'affect, c'est-à-dire, l'émotion, et la tension,
quoi que l'on ait entendu par là (et cela avant que naisse la conception
de la libido en tant que charge variable d'énergie psychique) étaient en
quelque sorte équivalentes.
Mais déjà Freud [11] avait élaboré un projet qui devait l'amener à la
métapsychologie psychanalytique : Esquisse d'une psychologie scienti-
fique (1895) et, très vite, après être allé au-delà de sa collaboration avec
Breuer, Freud formula une véritable théorie dynamique du conflit
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 95

à un niveau inconscient. La psychanalyse et l'emploi technique des


libres associations firent alors leur apparition. La théorie mécaniciste
primitive, suivant laquelle les tensions refoulées équivalaient à des
affects puissants, fut cependant maintenue dans la première théorie
de l'angoisse. D'après cette théorie, on pouvait supposer qu'une super-
fluité de libido refoulée se trouvait directement et automatiquement
convertie en angoisse. Ce concept était aussi lié à l'idée de la manière
dont on se débarrasse des affects dans la vie normale, par des manifes-
tations telles que les pleurs, le rire, la colère, etc.
A cette époque (après 1896), suivant la théorie de l'affect, affect et
libido étaient des expressions interchangeables. L'angoisse et la libido
refoulée étant considérées comme identiques, la thérapeutique corres-
pondante, bien que se fondant dès lors sur la connaissance du transfert
et sur celle d'une résistance à la liquidation du refoulement et au rappel
des souvenirs traumatisants, avec l'établissement de connexions géné-
tiques propres à tout expliquer, continuait à exiger une décharge totale
de l'affect. Il semblait ainsi que l'abréaction, en tant que fin thérapeu-
tique en soi, allait de pair avec la mise au jour des éléments inconscients
et des progrès de la prise de conscience.
A partir de la publication de La science des rêves (1900), une nouvelle
hypothèse, « relative à la nature du développement des affects fut
formulée. Il s'agit d'une fonction motrice ou sécrétoire pour laquelle
la clef des innervations se trouve dans les représentations de l'incons-
cient ». Freud s'en explique plus clairement dans son article sur L'in-
conscient (1915) où il écrit : « L'affectivité se traduit essentiellement
par des phénomènes moteurs (sécrétoires, vaso-moteurs), provoquant
une modification du corps même du sujet, mais sans rapports avec le
monde extérieur ; la motilité, elle, se manifeste par des actions desti-
nées à modifier le monde extérieur » (1).
Tout cela montra qu'un changement ou tout au moins un addendum
avait été apporté à la théorie des affects. L'affect dénotait une décharge
et se voyait, dès lors, lié à la théorie clairement formulée des pulsions
instinctuelles (1914,1917). Comme le dit Rapaport [24] (1953): " . . .tous
les affects, y compris l'affect d'angoisse, sont des vicissitudes fragmen-
taires des pulsions ». Freud [15] dans son article sur Le refoulement (1915)
avait écrit : « Le facteur quantitatif du représentant pulsionnel peut
subir trois sorts différents, comme nous l'enseigne le moindre coup
d'oeil jeté sur les observations de la psychanalyse ; ou bien la pulsion

(1) In Métapsychologie, trad. Marie BONAPARTE et Anne BERMAN, Paris, Gallimard, 1940.
96 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

se trouve totalement réprimée, de sorte qu'aucune trace n'en est plus


décelable, ou bien elle apparaît sous forme d'affect coloré qualitative-
ment de quelque façon, ou bien encore elle se mue en angoisse. Ces
deux dernières éventualités nous obligent à considérer comme un
nouveau destin des pulsions la transformation des énergies psychiques
pulsionnelles en affects et tout particulièrement en angoisse. »
Du fait que les affects étaient maintenant considérés comme des
vicissitudes partielles des pulsions, il résulta implicitement l'apparition
d'une « théorie du conflit ». Il fallait logiquement en conclure que lorsque
les pulsions ne parvenaient pas à se décharger par quelque action directe,
une manifestation affective pouvait en résulter. Autrement dit, si le
conflit mettait obstacle à une décharge directe des pulsions instinctuelles,
les investissements pulsionnels accumulés pouvaient se trouver partiel-
lement déchargés grâce à une élaboration et à une manifestation de leur
équivalent affectif, à la façon d'un débordement. Voilà qui rappelle
l'ancienne théorie de l'angoisse d'après laquelle on supposait que
« l'excédent » de libido en état de refoulement se trouvait converti
en angoisse et se manifestait comme telle.
Après l'apparition en 1923 d'une psychologie systématique du Moi,
les affects acquirent une nouvelle signification et, en 1926, dans Inhi-
bitions, symptômes et angoisse, Freud [17] appliqua particulièrement
l'étude psychologique du Moi au problème de l'angoisse. A l'exception
de quelques points peu nombreux, brièvement cités, de l'ancienne
théorie de l'angoisse, implicitement destinés à appuyer ses vues, Freud
supposait maintenant que l'angoisse surgit dans le Moi comme une
réponse à un signal avertisseur d'un danger. Comme un paradigme,
cette nouvelle formulation de l'angoisse signifie que les affects sont
des communications non seulement intrapsychiques, à l'intérieur de
soi, mais aussi qui s'étendent au niveau interpersonnel.
Très tôt dans la vie, les réactions motrices reflétant une détresse
affective commencent à représenter une communication sur le plan de
l'adaptation. D'une façon générale, pour toute une série d'affects,
qu'il s'agisse d'affection, de colère, de culpabilité et de remords, de
tristesse, de désespoir, etc., la manifestation qu'ils comportent est
significative : une réaction qui lance une information pour le soi comme
pour autrui, souvent avec l'intention, implicite ou explicite, de pro-
voquer une intervention utile, bien adaptée, de l'entourage. Mais l'uti-
lisation des affects en tant que signaux et communications exige une
modération, une modulation de leur état et de leur forme originels,
un « apprivoisement » suivant l'expression de Fenichel [7] (1941). Le
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 97

processus d' « apprivoisement » des affects est particulièrement un concept


de développement, qui dénote une activité efficace du Moi et la mise en
branle de défenses contre les affects. Les affects primitifs, eux, se trouvent
plus proches des pulsions et de la décharge de celles-ci et sont, à ce
point de vue, conformes au processus primaire et, en termes structuraux,
au Ça ; les affects dits « apprivoisés » parvenus dans la sphère du Moi
et du conscient, prennent une bien plus grande valeur d'adaptation
fonctionnelle en tant que signaux et moyens de communiquer. En.
réalité, l'ancienne théorie du Ça concernant les affects avait été complétée
par une théorie du Moi relative aux mêmes phénomènes. La manifes-
tation de l'affect, de façon prédominante sous une forme modérée,
s'accordait avec le fonctionnement du Moi et en faisait partie sous la
forme de signal et de communication [5]. Cependant, empiriquement
comme théoriquement, l'affect demeurait étroitement lié au concept
de tension et de décharge instinctuelle... En 1953, Jacobson proposa
de modifier la théorie de la décharge de tension des affects, en faisant
observer que les affects ne constituaient pas tant le substitut d'une
décharge instinctuelle par acte direct inhibée qu'un fait intérieur sub-
jectif également associé à des modifications de la tension instinctuelle
soit croissante, soit déchargée.
Ce qui semble se produire, dans les circonstances d'une évolution
normale, c'est que le Moi gagnant en force et en importance vis-à-vis
du Ça, du Surmoi et de la réalité extérieure, les affects, bien qu'ils
gardent leur corrélation instinctuelle, se modèrent et perdent en partie
leur caractère massif primitif. Toutefois, dans certains cas exceptionnels
de trouble violent et capable de susciter de fortes émotions, certains
affects primitifs puissants peuvent se réimposer en même temps que
se manifeste une faculté virtuelle du Moi à régresser.
Comme le concept freudien [14] d' « instincts », le concept d'affects
semblerait « se situer à la frontière séparant le psychisme du somatique ».
Lorsque Freud indique [16] que « les affects et les émotions corres-
pondent à des processus de décharge » par « une... altération sécrétoire
et vaso-motrice du corps même du sujet », il rapproche beaucoup les
affects, et particulièrement les affects primaires, des pulsions. Le
concept d'affects primaires, toutefois, reste quelque peu vague, puisque
nous ne sommes nullement fixés sur la phénoménologie, ni sur les
conditions de la fonction psychique à la période la plus ancienne et la
plus primitive de la vie. A cet égard, d'ailleurs, notre situation n'est
pas pire que celle où nous nous trouvons devant le processus primitif
de la pensée, de la perception ou de n'importe quelle autre fonction
REV. FR. PSYCHANAL. 7
98 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

durant une phase de l'évolution où prédomine l'action du processus


primaire et où les capacités fonctionnelles d'adaptation ne sont encore
que des prototypes antérieurement à la différenciation d'un Moi de
plus en plus cohérent. Le concept d'affect primaire est théoriquement
nécessaire et empiriquement corroboré, tout au moins sur la base d'une
extrapolation rétroactive.
Pour être bref, je passe ici sous silence quelques remarques concer-
nant une théorie spéciale des affects qui retrace plus méthodiquement
la forme et l'utilité des affects tels qu'ils apparaissent à différents
moments de l'évolution psychique. Une théorie aussi particulière se
situe peut-être en dehors du sujet principal de cet exposé, mais s'avère
contenue implicitement et de façon essentielle dans un schéma géné-
tique des affects, qui pourrait avoir son utilité diagnostique et son appli-
cation dans une appréciation clinique de la situation analytique au cours
de ses diverses phases. Je pense surtout aux particularités progressives
et régressives et à l'équilibre instable de forces entre les mondes exté-
rieur et intérieur, y compris, en ce qui concerne ce dernier, les diverses
instances psychiques : le Ça, le Moi et le Surmoi.

AFFECTS ET « AFFECTUALISATION » EN TANT QUE DÉFENSE


Qu'il s'agisse de la répartition des forces entre les systèmes ou à
l'intérieur d'eux, de l'équilibre des forces ou du processus analytique,
non seulement la défense contre les affects est extrêmement de mise,
mais il est possible aussi de voir les affects eux-mêmes servir de défense.
Le résultat de la défense contre les affects constituerait un sujet qui
serait, en soi, en dehors des limites de cet article. Cependant, j'aimerais
parler brièvement du concept d'un mécanisme de défense spécial,
édifié à partir des affects, que j'ai choisi d'appeler : l'affectualisation.
Chez certains sujets destinés à avoir une structure de caractère
de type obsessionnel, ce qui semble le plus frappant n'est pas seulement
la répression des pulsions et tout particulièrement la répression des
pulsions agressives, mais aussi le fait de séparer l'affect de l'idée et la
réduction des investissements affectifs à un état de division subtile [19],
avec éparpillement et déplacement vers d'apparentes banalités. Pendant
l'analyse, ces sujets-là « intellectualisent » et isolent l'affect de leur
expérience consciente et de leurs communications, cela afin d'éviter
une prise de conscience en privant le matériel analytique de sa qualité
d'authenticité émotionnelle.
Un autre groupe de malades, par contre, résiste à la prise de
conscience d'une façon opposée. Ce sont en général, des hystériques
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 99

qui ne sont pas seulement affectés d'une forte propension à la vie fan-
tasmatique et au passage à l'acte, mais dont les réactions touchant les
affects sont souvent aussi fortes et relativement primitives. Ces sortes
d'hyperémotifs possèdent parfois une structure du Moi relativement
inefficace, quand il s'agit pour eux de modérer des affects intenses. La
capacité de posséder un degré de détachement compatible avec une
prise de conscience qui leur permettrait de réfléchir sur eux-mêmes se
trouve d'autant réduite. Ils investissent habituellement de manière
outrancière certains éléments à l'aide d'une forme d'affect plus proche
de la tension instinctuelle en tant que telle ; ainsi, sous une charge
excessive, le Moi tend à se tirer d'affaire, en ce qui concerne cette
tension, grâce à une décharge directe, sous forme de tempête émotion-
nelle ou de passage à l'acte. En pareilles circonstances, les fonctions
du Moi sont intensément libidinalisées ou prennent une teinte agres-
sive et, étant donné que le fonctionnement du Moi, ce qui concerne
son rôle d'intégrateur, se trouve à un niveau régressif, il se produit
une diminution correspondante dans l'utilisation de l'affect en tant que
signal et communication. La perception cognitive et la compréhension
sont, elles aussi, atteintes en même temps que se réduit cette conscience
de soi étendue que nous appelonsfaculté de prendre conscience (insight).
A première vue, il semble que cette instabilité et ce manque de
modération émotionnels ne puissent être considérés que comme des
symptômes de la névrose de ces patients, étroitement liés à leur mode
de satisfaction instinctuelle. Toutefois, c'est bien plus que cela. Un
excédent d'affects se trouve inconsciemment employé à des fins de
défense, souvent en association avec des dérivés instinctuels et leur
décharge et cette action excessive des affects est assez habituelle chez
certains malades. Elle peut être suffisamment spécifique pour que nous
ayons le droit de la qualifier de mécanisme de défense. Cela serait
compatible avec une approche théorique de l'aménagement de la
tension et des modes de décharge pulsionnelle, avec les défenses qui en
découlent, si on l'envisage de la façon suivante : la pensée et son utili-
sation excessive, inconsciemment déterminée, dans un but défensif,
c'est-à-dire l'intellectualisation; l'action et son utilisation inconsciente
dans des « agissements » fantasmatiquement organisés en vue d'une
défense, c'est-à-dire le passage à l'acte; l'affect et son intensité accrue,
son excès, avec une utilisation, une exploitation destinées à défendre
le sujet contre une appréciation cognitive des aboutissements à charge
trop affective et la reconnaissance rationnelle des connexions expli-
catives, c'est-à-dire. l'affectualisation.
100 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

Siegman a publié en 1954 un article sur L'émotivité : une défense


de caractère hystérique. Il y décrit certains analysés hystériques qui
manifestent « une abondance d'affects » sous une forme si dramatique,
si exhibitionniste, qu'elle fait penser à quelque « manifestation théâtrale
destinée non seulement au spectateur, mais peut-être aussi à certains
observateurs intériorisés ». Il souligne le caractère changeant, instable
d'une grande quantité d'émotions dont l'expression semble presque
« affectée ».
L'idée d'affectualisation a bien des points communs avec la descrip-
tion de ce type d'émotivité. La conception de Siegman semble, néan-
moins plus complexe en ce qu'elle combine, comme en un symptôme,
un certain nombre d'éléments fondamentaux sous là forme d'un syn-
drome caractériel qui, virtuellement ou effectivement, possède une
grande valeur défensive. Pourtant, dans son expression il est plus que
défensif en raison des satisfactions de caractère exhibitionniste et
masochique qu'il fournit.
En vous proposant le concept d'affectualisation en tant que méca-
nisme défensif [4], mon intention est de préciser l'aspect de défense
du Moi d'un processus psychique familier ; d'établir son utilité cli-
nique et, en même temps, sa valeur théorique spéciale due à une
irréductibilité essentielle et à une finesse conceptuelle ; critère pouvant
avoir quelque rapport avec une formulation systématique des méca-
nismes de défense fondamentaux que l'on peut décrire de façon précise.
Donnons un exemple clinique de ce type de renforcement incons-
cient d'affect dans un but de défense :
Une jeune femme atteinte d'une névrose de caractère hystérique
se fait analyser parce qu'elle traverse des périodes de dépression et
que ses rapports avec les gens sont gâchés car elle agit de manière peu
judicieuse ses conflits oedipiens et préoedipiens. Dès son jeune âge,
elle s'était montrée affectivement changeante et violente. D'une façon
trop optimiste, elle manifestait des attachements et des intérêts intenses
et y investissait euphoriquement et avec enthousiasme toutes ses
énergies. Ensuite désenchantée ou déçue dans son attente, elle réagis-
sait par un découragement alternant avec des accès de colère et de
rageuses récriminations.
Pendant un certain temps, elle réagit surtout à la frustration qu'en-
traînait la situation analytique et aux interventions interprétatives par
une argumentation et un négativisme qui, souvent, se transformaient
rapidement en pleurs, cris, crises orageuses de mauvaise humeur. Vers
la fin de ces épisodes, elle devenait plus accessible.
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS IOI

Elle avait toujours senti peser sur elle le sentiment de son impuis-
sance et de son incapacité. Elle craignait fort que la psychanalyse ne
mît à jour non seulement des traits de caractère indésirables et des
goûts dépravés, mais aussi sa nullité fondamentale. En outre, elle
redoutait que la psychanalyse ne limitât sa liberté d'action et la réduisît
à un état de médiocrité bien agencé.
Il apparut que son émotivité et, en particulier, ses accès de colère
ne constituaient pas seulement une réaction infantile à la frustration
et une conséquence de sa vulnérabilité narcissique ; ils servaient aussi,
à la manière d'un rideau de fumée, à voiler le champ analytique, à
contrecarrer l'émergence des associations de la malade et l'apparition
de l'introspection et de la conscience intellectuelle de soi à un degré
suffisant pour que le comportement et les associations de la patiente
prissent un sens, pussent être interprétés de façon adéquate et faire
l'objet d'une prise de conscience toujours plus approfondie. Peu à peu,
la malade se rendit compte qu'elle entretenait des émotions en excès
pour éviter ou pour brouiller la notion de ce qu'elle craignait.
Vers la fin de cette phase, quand elle se sentit moins menacée par
l'analyse et les aperçus que fournissait cette dernière, son état s'améliora
beaucoup. La plupart du temps elle put écouter tranquillement, en
réfléchissant, ce que je pouvais lui dire — et cela sans plus se mettre en
colère. En dehors des séances, les événements vécus furent considérés
avec plus de sagesse et elle se trouva moins poussée au passage à l'acte
comme si elle avait vraiment eu affaire au ciel ou à l'enfer.
Voici ce qu'elle me" dit alors : « Pendant les séances analytiques je
me suis souvent demandé ce que je faisais dans l'analyse, pourquoi je
m'étais astreinte à une pareille tâche. Il existe une forte attraction
dans des sens opposés — le désir de connaître les mystères que je
recèle en moi et la peur de découvrir ce que j'ignore de moi-même.
L'une des plus grandes menaces de la découverte, c'est d'apprendre à
savoir comment utiliser ce qu'on vient d'apprendre. Car bien que l'on
m'ait dit que je n'avais pas besoin de changer, que c'est seulement
par la connaissance que je pourrais changer et qu'à ce moment-là,
le choix m'appartiendrait, ce n'est pas ainsi que je considère la chose.
Car il faut que je sois sincère envers ma conscience et mon honnêteté
intérieures et comment continuer dans une direction qui se trouve en
contradiction avec les découvertes que je fais ? J'irais à l'encontre des
desseins de la psychanalyse. Bien que la tentation de m'en tenir à ce
qui est familier, connu, soit grande, le but à atteindre est « la vérité
qui devra vous rendre libre » et selon laquelle je devrai agir. »
102 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE I-I964

QUELQUES RÉFLEXIONS A PROPOS D'UNE THÉORIE DE LA PSYCHOTHÉRAPIE


ET DE LA PSYCHANALYSE
J'aimerais maintenant parler de certains aspects d'une théorie
générale de la psychothérapie et de son application à la compréhension
du rôle de l'affect dans la situation et le processus analytiques. Il arrive
bien souvent qu'une théorie de la thérapeutique à dessein ou par inad-
vertance reflète la prédilection psychothérapique du théoricien. Il
arrive que, par une insistance particulière sur un principe quelconque
de psychothérapie, on le mette indûment en lumière, en recommandant
même souvent — explicitement ou implicitement — la modification
de la technique psychanalytique en vue d'appliquer généralement tel
ou tel principe psychothérapique, et cela au détriment des autres.
L'efficacité de la méthode psychanalytique classique, standardisée,
telle qu'elle s'est développée et qu'elle s'est maintenue pendant soixante
années, est due à ce qu'elle s'avère en soi (pour paraphraser
Hartmann [20] mieux préadaptée à toute éventualité clinique moyenne
que celle ordinairement utilisée. C'est dire qu'elle est applicable à
un nombre considérable de cas cliniques à moins d'être déformée, du
fait de déviations cliniques ou d'innovations qui ne permettraient plus
de la considérer comme une psychanalyse au sens classique du mot.
On pense, en général, que classicisme signifie rigidité alors que cette
manière de voir est loin d'être exacte en ce qui concerne la psychanalyse.
Anna Freud [9], suivant une formulation d'Edward Bibring, dit,
dans une conférence dédiée à la mémoire de celui-ci, qu'en analyse
il n'y a pas qu'un seul principe thérapeutique actif. Je me souviens de
ce qu'elle compara le processus psychanalytique à un dîner où, comme
dans certains repas (Smorgasbord), un certain nombre de mets se
trouvent disposés sur la table et laissés au choix du dîneur. Celui-ci
se sert suivant ses besoins et l'ordre du repas. C'est de façon analogue
que le psychanalysé, suivant la nature de sa névrose et le cours du pro-
cessus analytique, utilise les divers principes psychothérapeutiques,
au nombre de cinq d'après Bibring [3] : la suggestion, l'abréaction, le
maniement (c'est-à-dire l'usage intentionnel du transfert en vue d'un
soutien, d'une mobilisation d'angoisse, etc.), la prise de conscience
par clarification et la prise de conscience que permet l'interprétation.
De toute évidence, c'est la prise de conscience qui joue en psychanalyse
un rôle particulier et final, mais elle ne s'obtient jamais indépendamment
des effets préparatoires et concomitants des autres principes psycho-
thérapiques qui participent à la cure.
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 103

AFFECTS ET REVIVISCENCE ÉMOTIONNELLE

Sur ce fond historique et théorique, examinons à nouveau certains


points nodaux dans le développement de la technique analytique, points
se rapportant particulièrement aux affects et à l'élément émotif. Les
affects occupent une place spéciale dans le processus de prise de cons-
cience, surtout dans le traitement des troubles très graves soumis au.
champ d'action élargi de la psychanalyse.
Au cours de cet exposé, la théorie cathartique de la psychothérapie
a déjà été brièvement discutée. On l'a considérée comme une théorie
de l'aménagement de la tension au moyen d'une abréaction ; et l'on a
décrit la façon dont ce procédé a été remplacé par un autre fondé sur
la théorie neurogénétique d'un conflit inconscient. Grâce à l'élaboration
de la méthodeanalytique des associationslibres, qui tend techniquement
à annuler la résistance et le refoulement, le but curatif fut de réaliser
la prise de conscience en faisant parvenir les conflits inconscients
jusqu'au niveau conscient.
Néanmoins, un aspect du maniement de la tension par abréaction
demeura valable et bien approprié au but recherché : la prise de cons-
cience par les interprétations psychanalytiques. L'abréaction, telle
qu'on la conçoit dans le cadre théorique de la psychologie analytique
moderne du Moi, n'a pas qu'un effet thérapeutique très réduit [3].
En offrant au malade l'occasion d'une libération émotionnelle, cela
grâce à la verbalisation d'impressions et d'idées chargées d'affect,
l'effet des idées fortement perturbantes est, tout au moins temporaire-
ment, affaibli. Elles sont alors plus accessibles à une influence corrective
s'exerçant sur le Moi, à une appréciation de la réalité, à l'usage de
réflexions permettant la connaissance de soi.
Par exemple, il m'est une fois arrivé d'analyser un malade qui,
pendant quelque temps, réagissait à toute intervention thérapeutique
par une négation irritée qui, rapidement, se transformait en arguments
violents, en accès de colère dirigés contre moi. En attirant,systématique-
ment l'attention du patient sur ce modèle de conduite, en lui expliquant
qu'il lui servait de défense contre une position passive, une soumission,
tout en lui offrant, en même temps, un débouché pour ses besoins agres-
sifs, peu à peu il se rendit compte en conséquence du style de sa réac-
tion. Finalement, un jour où il avait eu son habituel accès de colère,
après s'être calmé, il se mit à parler avec quelque émotion de sa mère
qui le dirigeait et le tracassait agressivement. Il déclara ensuite avoir
pensé à sa mère dès le début de son accès de colère, mais s'être vu
104 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

obligé de faire cette sortie violente d'abord, avant de pouvoir en parler.


Bien que quarante et un ans se soient écoulés depuis que Ferenczi
a, le premier, proposé [8] « une thérapeutique active » dans le but de
résoudre les cas de « stagnation de la psychanalyse » qui ralentissaient
ainsi le cours de celle-ci et menaçaient son résultat, il convient mainte-
nant de reconsidérer en critique, d'une façon détaillée, à la fois les avan-
tages et les inconvénients de ses propositions et cela pour plusieurs
raisons. En premier lieu, même si les modifications techniques les plus
importantes qu'il ait faites n'ont pas été admises telles quelles dans la
méthode analytique classique, un grand nombre de ses propositions
se sont introduites dans divers modes d'approche de psychothérapie
active, qui se servent de la théorie et des connaissances analytiques. Et
cela s'est produit souvent sans qu'on n'ait apparemment tenu compte
des apports historiques de Ferenczi, ni reconnu leur influence implicite
ou explicite sur la technique. De même, son explication de l'importance
des faits émotionnels en psychanalyse a sa place dans la compréhension
du processus et de la situation analytiques, sans se voir attribuer
cependant la forme trop absolue ou trop littérale, ni la portée d'une
expérience conative, comme le font Ferenczi et ses adeptes.
Ferenczi et Rank [9] ont écrit en collaboration (1922) une petite
monographie Le développement de la psychanalyse, rédigée dans un esprit
de controverse, tant à propos de la théorie de la thérapeutique qu'elle
présente qu'à propos des suggestions techniques qui en découlent.
Ils insistent plutôt sur le fait de répéter et de subir que sur la remémo-
ration et la compréhension (la prise de conscience), celle-ci nettement
limitée. Ils suggèrent que pour ce qui est de « ces seules parties du
développement qui ne relèvent pas de la mémoire, il n'est pas d'autre
issue pour le malade que la répétition, conformément à l'automatisme
de répétition ». Pour eux, il y a nécessité d'une sorte de « passage à
l'acte » à l'intérieur du transfert (ou, comme disent certains analystes,
d'acting in), mécanisme aidant le malade à reproduire les situations
refoulées qu'il ne peut se rappeler en tant que telles, parce que « celles-ci
n'ont jamais été conscientes ».
Par cette formulation, ils donnaient au terme « vécu » une signifi-
cation littérale, un sens technique qui impliquait une révision totale
de la technique psychanalytique. Elle aboutissait finalement à une théra-
peutique presque entièrement fondée sur des considérations de relations
entre individus et à un apprentissage vécu grâce à la façon active de
traiter le transfert. Il en résulta, à la fin des années 40, l'introduction
par Alexander [2] de l' « expérience émotionnelle corrective » comme
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 105

condition sine qua non de la psychanalyse. Il arrive que des psychana-


lystes qui mettent de préférence l'accent sur les aspects du transfert
appliquent ces théories sans même s'en rendre compte, et même ils
peuvent bien croire (ou rationaliser) que leur « activité » implicite n'est
qu'interprétative et orientée vers une prise de conscience.
Il est certain qu'un passage à l'acte important se produit dans cer-
tains cas dans le transfert, même si le psychanalyste ne l'a pas recherché.
Il est même possible que dans quelques types de troubles névrotiques,
tels que certains passages à l'acte hystériques des névroses d'impulsion
et divers désordres narcissiques de cas limite, ce soit le seul moyen,
tout au moins au cours de la longue phase initiale du traitement, qui
permette d'atteindre les souvenirs traumatiques essentiels survenus
au cours de l'évolution. Pour de tels troubles, la décharge des pulsions
et des affects et l'action jouent un rôle réellement prédominant dans la
structure du caractère, probablement en tant que résultat des trau-
matismes uniques subis dans la petite enfance, incluant même peut-être
de réelles séductions et des attentats sexuels ou agressifs. Dans la struc-
ture de telles névroses, la décharge directe des pulsions par l'action
et l'affect est fortement surdéterminée et c'est une chance si le passage
à l'acte peut se limiter à la situation psychanalytique.
Bien que j'insiste sur l'avantage essentiel du vécu dans la situation
transférentielle et sur sa contribution au succès du traitement psycha-
nalytique, je ne suis ni Ferenczi ni ses adeptes en ce qui concerne la
signification conceptuelle particulière et l'importance qui a été donnée
aux termes « vécu » et « revécu », et je ne préconise pas non plus les
révisions majeures de technique qu'ils proposent en rapport avec le
principe de reviviscence littérale.
Ces psychanalystes d'aujourd'hui qui reprennent, sciemment ou
non, le point de vue de Ferenczi dans leurs innovations techniques ou
théoriques, soulignent en effet la nécessité absolue de la répétition du
vécu. Et en conséquence, ils suggèrent que la psychanalyse, de type
courant, est une expérience trop intellectuelle. Peut-être cette conception
erronée résulte-t-elle en partie du fait pratique que les interprétations
et les prises de conscience descriptibles, quand on les formule verba-
lement en vue d'une notation et d'une communication, portent la
marque du processus de cognition et de sa traduction en symboles
verbaux. Il faut toutefois probablement l'attribuer plutôt à une
recommandation de Freud [13] dans un de ses rares articles sur la
technique, paru en 1912. Il suggère que « le médecin soit imperméable
à ses malades et, tel un miroir, ne leur montre que ce qui lui est pré-
106 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

senté ». Ce conseil a été notoirement mal compris, mal cité, et conservé.


Freud a fait cette comparaison à une époque historique où il était
précisément visé au sujet du mauvais usage éventuel des relations de
transfert et de contre-transfert. Cela se passait avant que la psychana-
lyse didactique ne fût devenue une expérience préparatoire pour le
futur psychanalyste. Il est parfaitement compréhensible que cette
possibilité ait préoccupé les praticiens à cette époque et que Freud ait
souligné expressément le point de vue strictement professionnel et
de non-engagement du psychanalyste. Ce principe du psychanalyste-
miroir est toujours valable, mais en pratique, ce dernier est un être
humain et l'on ne saurait exiger de sa part une attitude rigide et distante.
La question de la reviviscence actualisée accompagnée d'une émotion
totale, et de l'apprentissage à travers « l'expérience » réelle, est toujours
vivement controversée. La preuve en est attestée par l'accent de plus
en plus marqué mis sur l'importance grandissante des modes d'approche
psychothérapiquedu groupe, du rôle social et du milieu social. De même
que le principe de la technique « active » de Ferenczi a été au début
extrêmement utile dans le traitement des psychotiques, des délinquants
et des névrosés à caractère fortement narcissique, qui sont si fréquem-
ment des cas limites, ainsi également, et pour de tels cas, particulièrement
dans un milieu hospitalier, l'attitude psychothérapique du groupe et
du milieu peut avoir un rôle thérapeutique distinct. Après tout,
les malades dont les troubles tirent leur origine de graves prédispo-
sitions constitutionnelles [21] et de graves traumatismes survenus
au cours de la première phase, préverbale, de leur développement, ne
seront certainement pas capables de retrouver les souvenirs explicites
des événements perturbateurs originels. Il est vraisemblable que leurs
réactions seront fixées dans des modèles de décharge instinctuelledirecte
et d'affect global, qui se répéteront inévitablement dans la névrose et
la psychose transférentielles, ce qui s'accorde avec les impressions de
Ferenczi. Dans de telles maladies le traitement est nécessairement et
surtout une reviviscence exacte ; il est correctif dans sa nature comme
une rééducation dans laquelle prédomine le facteur interpersonnel.
Cette manière d'aborder le traitement, quelque appropriée qu'elle
puisse être dans de telles conditions, n'est pas procédé thérapeutique
de choix pour les névroses de transfert où le Moi, plus développé, n'est
pas gravement atteint dans sa structure même. Et la situation de cure
qui s'applique au maniement de problèmes cliniques spécialement
narcissiques doit être distinguée très nettement d'une situation de
caractère « psychanalytique ». A cet égard, l'article d'Eissler [6] de 1953
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 107

sur La structure du Moi et la technique psychanalytique est particulière-


ment pertinent : il montre clairement que ce qui détermine si l'état
du malade relève ou non de la psychanalyse est exactement la mesure
dans laquelle le Moi s'écarte d'une position de normalité idéale mais
hypothétique. Par exemple, l'excellente méthode rééducative utilisée par
Aichhorn [1] pour aborder le problème des jeunes délinquants avait une
valeur hautementthérapeutique et était solidementfondée sur l'apprécia-
tion analytique du phénomène de transfert et sur les effets de l'automatisme
de répétition, mais en tant que traitement on ne pouvait le qualifier de
psychanalytique. Je n'ai pas l'intention de discuter les principes et les
connaissances psychanalytiques dans le traitement d'une vaste série
d'états. Je préfère rendre plus clairesles qualités essentielles de la méthode
psychanalytique classique et ses possibilités d'adaptation avec toutes les
nuances et les séries de caractéristiques émotionnelles et intellectuelles.
La psychanalyse peut être qualifiée d' « expérience » dans un large sens
philosophique, c'est-à-dire qu'elle est à la fois source de connaissance
affectiveconative (résultant d'une prise de conscience à travers une relation
émotionnelle et empirique), et aussi de connaissance cognirive (découlant
d'une prise de conscience surtout intellectuelle). En 1953, Richfield [26]
fit une distinction semblable dans Une analyse du concept de prise de
conscience. Lui, toutefois,avait recours à la définitionlarge,plus usuelle du
processus cognitif général. Il distinguait, dans la connaissance intérieure
les prises de conscience « manifestes » (acquises grâce à des rapports
avec autrui) et les prises de conscience « descriptives » (connaissance
acquise par la compréhension d'interprétations verbales appropriées).
Dans la psychanalyse, l'élément émotionnel, du fait qu'il s'applique
à une quantité de reviviscence émotionnelle proportionnée et convena-
blement intégrée dans le temps, semblerait jouer un rôle fondamental
dans le développement final de la prise de conscience. Pour la plupart
des cas de psychonévroses analysables par la technique classique, la
remémoration, particulièrement dans les relations de transfert, constitue
une expérience personnelle suffisante pour représenter une « revivis-
cence » authentique, dans la mesure où ce qui est personnel, affectif
et qui est en majeure partie non verbal et même inarticulé peut se prêter
à la remémoration. Je parle de l'Erlebnis (1) phenomenon que Wittels [32]
a décrit en 1947 comme « une expérience intérieure et une réponse
intérieure », « un phénomène primitif... dont la dissection ne peut être
poussée plus avant ». Il a parlé de l'Erlebnis comme de quelque chose

(1) Erlebnis = ce qui est ou a été vécu.


108 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

qui peut être éprouvé, mais qui se situe au-delà des mots ou de la défi-
nition et « au-delà des limites de la psychanalyse ». Pourtant il le situait
« tout proche de nos limites » et spécifiait que par l'analyse, l'analysé
est amené « à un nouvel Erlebnis (une nouvelle expérience vécue) de
lui-même ». Le phénomène d'Erlebnis pour lequel il n'existe de terme
équivalent ni en anglais (ni en français), ne saurait être conçu sans une
manifestation émotionnelle des affects ; par exemple sous la forme du
rire, des pleurs, de l'anxiété, de la honte, de la tristesse, de la joie, etc.,
et de l'utilisation d'une syntaxe et d'une diction, qui présentent fréquem-
ment des éléments enfantins et primaires. La communication directe
d'une expérience émotionnelle intérieure se fait fréquemment par l'uti-
lisation d'un langage familier et argotique, et avec différentes caracté-
ristiques de l'expression poétique, telles que l'emploi de termes courants
exprimant la sensualité des images, des métaphores, des onomato-
pées, etc., ce qu'expose si clairement Sharpe [27] dans son livre paru
en 1937 sur L'analyse du rêve.
Les souvenirs qui ont un caractère &Erlebnis font de la reviviscence
une expérience vitale et une vérité personnelle. La prise de conscience
qui surgit à de tels moments constitue une connaissance de soi d'ordre
affectivo-conatif. C'est exactement à de tels moments que des commen-
taires interprétatifs appropriés ont un pouvoir dynamique efficace, ou,
comme l'a dit Strachey [29] en 1934, favorable aux modifications,
pourvu que les interprétations soient écoutées avec une lucidité cogni-
tive, c'est-à-dire comme des remarques logiques qui ont une perti-
nence explicative. En outre, pour que se développe une conscience de
soi définitive, une certaine prise de distance à l'égard de soi-même doit
être possible. Les interprétations, en tant qu'interventions explicatives
riches de sens, s'adressent à un Moi qui est activement capable d'expé-
rience dans le sens de participation émotionnelle et de relation avec
des événements actuels et passés. Elles font appel également à un Moi
capable d'introspection, d'auto-observation et de réaction en matière
de conception intellectuelle et d'explication. Un transfert chargé d'affect,
des expériences extra-transférentielles, des communicationsdans l'actuel
et des souvenirs du passé émotionnellement actifs, constituent le trait
vital empirique d'une psychanalyse. Et ils sont aussi pleinement authen-
tiques que les plus ou moins « exactes répétitions » préconisées par
Ferenczi et provoquées par une technique active à l'excès. En outre,
du fait d'une place quelque peu plus limitée dans la vie du malade,
l'expérience ou la reviviscence émotionnelle, suivant le sens dans lequel
je l'ai décrite, est bien moins compliquée, au point de vue de la réalité
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS 109

et s'accorde à la situation psychanalytique telle qu'elle évolue tradition-


nellement. Avec un réglage approprié du temps et une fusion appropriée
de l'intellectuel et de l'émotionnel, les matériaux amenés à la conscience
sont dynamiquement accessibles aux interprétations et les prises de
conscience qui s'ensuivent sont ressenties comme authentiques et
immédiatement applicables à la vie extérieure et intérieure.
Parfois l'état émotionnel ou l'affect guide la représentationde lapensée,
c'est-à-dire l'idée, et parfois c'est l'idée qui dirige l'affect vers l'état
conscient et vers l'expression. Ce qui importe, c'est qu'il y ait une associa-
tion toute prête de l'un avec l'autre, et la capacité de les combiner pour
ensuite les communiquer de façon adéquate et en pleine connaissance.
En ce qui concerne leur développement, les affects et les idées ont
entre eux d'intéressants rapports. Les affects étant étroitement liés aux
pulsions instinctuelles et aux niveaux des tensions, sont proches du
processus primaire, et dans ce sens sont plus archaïques que les idées.
Les idées, en tant que représentantes de la pensée, sont l'expression
d'un processus secondaire et du fonctionnement du Moi. La capacité
de réagir promptement, grâce aux qualités cognitives de critique intel-
lectuelle et de jugement, à l'affect et à l'expérience, indique la maturité
psychologique du Moi. La situation psychanalytique produit un effet
de régression sur le malade, et tandis qu'elle mobilise les souvenirs
précoces propres à nous éclairer et maints modèles de transfert, elle
favorise certaines réactions de l'affect primitif concordant avec une
activité et une expression plus grandes du processus primaire. Les
fortes réactions affectives, atteignant parfois l'intensité de véritables
orages émotionnels, qui peuvent alors surgir, sont d'habitude relative-
ment inaccessibles à la réflexion sur soi-même et à l'observation
cognitive. En d'autres termes, la régression apporte avec elle une perte
du détachement du Moi et une diminution dans l'investissement de la
fonction d'auto-observation. Toutefois, l'élément sauveur dans la situa-
tion psychanalytique, c'est la présence de l'analyste et l'effet rassurant
et réconfortant de son alliance avec le malade, grâce à quoi le Moi qui
s'observe et qui fonctionne selon le.processus secondaire, est renforcé
dans sa position vis-à-vis du Moi qui subit l'expérience et qui est
immergé dans les affects et impliqué dans le processus primaire.
L'objectif du travail psychanalytique est de mobiliser à la fois les
affects et les pensées dans leurs rapports mutuels et d'établir une rela-
tion complémentaire suffisante sous la forme d'expériences émo-
tionnelles, incluant le phénomène d'Erlebnis, et des idées corrélatives
concomitantes qui reflètent l'aspect intellectuel cognitif de l'expérience
110 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

et de la mémoire. But technique : mobiliser d'abord un aspect quand il


s'agit d'un état relatif d'inhibition ou de refoulement, et ensuite, si
possible mobiliser l'autre aspect tendant ainsi à une représentation
complémentaire bien équilibrée des deux dans une pleine expérience
psychanalytique. Le but final vise à la prise de conscience réfléchie,
à l'auto-appréciation et à la compréhension de l'unité : idée-affect.

POSTFACE : PRISE DE CONSCIENCE ET SYSTÈME D'ACTION


La discussion qui précède aboutit, pour conclure, à une postface
qui, je l'espère, constituera la base d'un autre article se rapportant aux
effets curatifs de la prise de conscience élaborée à fond en vue du
système d'action (1).
La prise de conscience, quelque vitale et authentique qu'elle puisse
devenir, ne comporte rien de magique. En elle-même et par elle-même,
elle n'équivaut pas à une modification du comportement, et elle ne
produit pas non plus directement la réadaptation relativement libre de
conflit, qui est le résultat espéré d'une psychanalyse réussie. Car pour
qu'il y ait un changement final d'adaptation, des modifications de
comportement, évidentes ou subtiles, n'apparaissent en quelque sorte
que comme le résultat de modifications des modèles d'action. En 1950,
Wheelis [31] a publié un article, qui mérite de retenir l'attention, sur
La place de l'action dans le changement de la personnalité. Il y écrit :
« La thérapie ne peut amener de changement dans la
personnalité que
dans la mesure où elle amène le patient à adopter un nouveau mode de
comportement. Un changement réel survenant en l'absence d'action
est pratiquement et théoriquement impossible. »
Une prise de conscience « complète » qui est « mutative », pour
employer une fois de plus le terme de Strachey, peut difficilement exister
dans la conscience et exister néanmoins, en fait, dans le vide, isolée du
système d'action. Ce que j'appelle connaissance affective, c'est-à-dire
connaissanceaccompagnée de la part d'affect correspondante, se trouve à
l'intérieur du Moi. Et pourtant, à cause d'un lien étroit avec les poussées
instinctuelles, la connaissance affective baigne dans la conation, que
Webster [30] définit comme « une force biologique motivée instinctuelle-
ment qui peut faire son apparition dans la conscience en tant que voli-
tion ou désir, ou dans le comportement comme tendances vers l'action ».
Le comportement ne répond pas seulement à une réalité interne

(1) Le Dr Robert Waedler, en discutant une version précédente de cet article avança cette
remarque intéressanteque prise de conscience signifie « réalisation» élaborée ou, en fait, « subie »,
et ceci m'amena à considérer plus avant la nature de l'élaboration de ce point de vue.
AFFECTS, REVIVISCENCE DES EMOTIONS III
ou externe, mais aussi aux conflits névrotiques, et à ce point de vue,
il reflète l'expression symptomatique de conflit et de défense incons-
cients. Le conflit névrotique est résolu par la suppression du refoule-
ment, c'est-à-dire de la défense, et l'apparition du conflit au niveau
de la conscience où il affronte la réalité et l'évaluation rationnelle cogni-
tive. L'énergie, jusqu'alors liée ou structurée, dans la lutte défensive
contre des penchants instinctuels repoussés, est libérée pour une redis-
tribution à un niveau d'adaptation plus réaliste et plus mûr. Comme le
dit Freud [18] : « Là où fut le Ça, il y aura le Moi. » Une connaissance
étendue de soi, combinant les composantes à la fois affectivo-volitives
et intellectuelles-cognitives, signifie une prise de conscience mutative
ou dynamique supprimant la structuration névrotique du Moi, rendant
possible, après cela, une modification du fonctionnement du Moi sous
la forme de nouveaux modèles d'action. Comme l'élaboration (working
through) avance rapidement au cours de cette interminable phase
d'auto-analyse, qui suit la conclusion de l'analyse sous sa forme conven-
tionnelle, ces nouveaux modèles d'action, de même que les nouveaux
modèles de pensée et d'affect, aboutissent à un degré croissant de struc-
turation. C'est exactement cette restructuration du Moi, à mesure qu'elle
acquiert une autonomie appréciable, qui explique la stabilité d'une
réadaptation plus saine et durement gagnée comme résultat final.

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Q., 18, pp. 44-59.
II

La psychologie du rêve
et l'évolution
de la situation psychanalytique( 1)

par M. MASUD R. KHAN (Londres)

I. —
L'AUTO-ANALYSE DE FREUD
ET LA DÉCOUVERTE DE LA SITUATION ANALYTIQUE

Dans sa biographie de Freud, Jones [47] nous dit : « Deux parties


importantes des recherches de Freud se trouvent intimement liées à
son auto-analyse : l'interprétation des rêves et son estimation toujours
plus poussée de la sexualité infantile » (p. 320), Kris a également sou-
ligné ce fait dans son introduction à la Naissance de la psychanalyse
(p. 26). Ce que l'on n'a pas suffisamment indiqué, c'est que le gain
unique pour la science psychanalytique, acquis grâce à l'auto-analyse
de Freud, qu'il a entreprise au cours de l'été 1897 et poursuivie toute
sa vie durant, fut l'invention de la situation analytique comme théra-
peutique et comme instrument de recherches. Il s'agit de comprendre
et de dissiper les conflits intrapsychiques inconscients d'un sujet,
conflits qui se trouvent symbolisés et résumés dans ses symptômes et
sa maladie. L'auto-analyse de Freud a été conduite sur deux lignes paral-
lèles : a) Par l'interprétation de ses rêves ; et b) Grâce à l'empathie et
aux aperçus que lui apporta le traitement clinique de ses patients. Ce
dernier fait découlait d'un vieux penchant de Freud qui, dès le
28 octobre 1882, écrivait à sa fiancée : « Je trouve toujours étrange de

(1) Version élargie du texte lu au Symposium : La situation psychanalytique : le cadre


et le processus de la cure, au XXIIe Congrès de l'Association psychanalytique internationale,
Edimbourg, août 1961.
REV. FR. PSYCHANAL. 8
114 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

ne pas arriver à appliquer à quelqu'un les méthodes d'explication que


je m'applique à moi-même » (Jones [47], p. 320).
L'auto-analyse de Freud ne nous a pas seulement donné son monu-
mental travail sur les rêves et ses théories touchant la sexualité infantile
aussi bien que des hypothèses sur l'étiologie des névroses dans la
vie psychique infantile, mais encore elle a essentiellement et irrévoca-
blement modifié le dessein des efforts thérapeutiques. L'invention de
la situation analytique a changé le but du processus analytique. Comme
Szasz [96] l'a justement dit : « Le but d'aider le patient est devenu un
moyen subsidiaire ajouté au but d'acquérir une compréhension scien-
tifique. » Cette modification de la direction et de l'intention du procédé
thérapeutique de Freud lui a valu, à ce moment-là, autant d'hostilité
et de critiques de la part de ses propres disciples que lui en avaient
jadis valu ses théories des mécanismes du rêve et de la sexualité infantile
attaquées par le grand public. La plupart, et peut-être tous les abandons
ultérieurs de certains de ses disciples (Jung, Adler, Rank, Reich,
Reik, etc.), sont dus, d'une façon ou d'une autre, à leur vif désir de
venir en aide au patient aux dépens des garanties offertes par la prise
de conscience et la compréhension. Freud lui-même se rendait très
bien compte de la résistance que lui opposaient ses disciples et c'est
en y songeant que dans son allocution, lors du Congrès de Psychanalyse
tenu à Budapest en 1919, il décrivit, en termes clairs, la tâche fonda-
mentale de l'analyse : « Faire connaître au patient les pulsions incons-
cientes qui existent en lui et, dans ce but, découvrir les résistances qui
s'opposent à sa connaissance de lui-même... nous espérons y réussir
en nous servant du transfert que fait l'analysé sur la personne du
médecin, nous espérons atteindre ce but et faire partager au patient
notre propre conviction en lui montrant l'inutilité du refoulement
établi dans l'enfance et l'impossibilité de diriger la vie suivant le
principe de plaisir... Le processus analytique doit autant que possible
s'effectuer dans un état de frustration, d'abstinence... En ce qui concerne
ses relations avec le médecin, le malade doit conserver suffisamment
de désirs irréalisés. Il est indiqué de lui refuser justement celles des
satisfactions auxquelles il aspire le plus ardemment et qu'il exige le
plus impérieusement » [31]. Pour établir une comparaison entre les
buts thérapeutiques, il n'y a qu'à jeter un regard sur le dernier para-
graphe des Études sur l'hystérie [25] dans lequel Freud promet au
malade « secours ou amélioration par le traitement cathartique » grâce
à une « transformation de sa misère hystérique en malheur banal »
(p. 247 de la trad. franc.).
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 115

Ce fut vraiment l'auto-analyse de Freud qui l'amena à créer la


situation analytique, donc si nous voulons arriver à mieux comprendre
celle-ci, c'est dans cette voie qu'il faut nous appliquer avec plus de
soin à chercher des indices. Je me hâte d'ajouter que je ne propose pas
de réanalyser les éléments subjectifs d'information donnés par Freud,
ce qui serait non seulement impertinent mais aussi totalement vain.
Freud l'a fait pour nous et suivant l'heureuse expression de Jones « ce
qui est fait reste fait pour toujours ».
Eissler [10] nous a décrit de la façon la plus vivante la dure lutte
que Freud fut obligé de mener pour s'acharner à comprendre le mysté-
rieux fonctionnement de son propre psychisme.
« Freud a été capable de lever — sans aide — ses refoulements
personnels par ses propres efforts... On peut justement dire de cette
auto-analyse qu'en tant que type d'un événement psychologique et
historique, elle ne pourra jamais être répétée. C'est un type d'événement
réalisé une seule et unique fois, unique dans son genre et qui ne saurait
être reproduit par nul autre... Le processus de l'auto-analyse, à l'époque
de l'histoire humaine où Freud le réalisa, était, pour ainsi dire, contre-
nature... »
Ce qui permit à Freud de transformer son héroïque expérience
subjective d'auto-analyse (« cette analyse est plus difficile que toute
autre »), en un procédé thérapeutique, fut le génie de l'abstraction qui
l'amena à recréer tous les éléments essentiels de la situation du rêveur
dans la situation analytique, de telle sorte que tout en demeurant dans
un état conscient de veille, l'analysé peut psychiquement resubir, grâce
à la névrose de transfert, les troublés psychiques inconscients et les
états d'arrêt qui faussent le fonctionnement de son Moi et sa liberté
affective.
En outre, grâce à la découverte si lourde de conséquences de sa propre
analyse, la prise de conscience de l'usage qu'il avait fait de sa relation avec
Fliess durant cette période, Freud reconnut que cette reviviscence
au moyen d'une névrose de transfert n'est possible qu'avec l'aide d'une
autre personne compétente. Cette personne en consentant à jouer le
rôle d'un objet et d'un soutien du Moi peut aider le patient à exprimer ,

et à travailler ses conflits personnels de façon à arriver au but théra-


peutique de l'intégration de soi. On pourrait presque dire que son auto-
analyse a révélé à Freud l'impossibilité où se trouvaient la plupart des
humains de pratiquer celle-ci et l'a contraint à créer un traitement et
les moyens d'établir une relation permettant d'y parvenir.
L'hypothèse que je propose touchant les sources génétiques du
116 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

traitement analytique d'après l'auto-analyse de Freud est la suivante :


grâce à l'analyse de ses propres rêves et à l'empathie que provoquait
l'expérience clinique due à ses malades dans les états hypnotiques et
cathartiques au cours des traitements, Freud recréa intuitivement dans
le traitement analytique une ambiance physique et psychique qui cor-
respond de façon significative à l'état intra-psychique du rêveur, état
favorable à « un bon rêve ». Je détaillerai plus tard les aspects du Moi
dans cet état intra-psychique.

II. — SITUATION HYPNOTIQUE, PSYCHOLOGIE DU RÊVE


ET SITUATION ANALYTIQUE

On a souvent discuté du stimulant de la régression dans la situation


analytique et de son rapport avec la situation hypnotique et les états
de sommeil (cf. Lewin, Fisher, Gill et Brenman, Macalpine, Fliess, etc.).
Lewin, en particulier, dans une série d'articles propres à encourager
et à stimuler, a étudié l'influence de la dérivation de la situation analy-
tique à partir de la situation hypnotique. Il a tenté [61] « de projeter
sur le divan et la situation analytiques l'idée que le patient était, en
quelque sorte, endormi » et il a élaboré la conclusion suivante :
« Génétiquement parlant, la situation analytique est une situation
hypnotique modifiée... le sommeil, qu'un accord préalable exclut de
la situation analytique, y accède sous une autre forme : la méthode des
libres associations... Le désir de se voir endormi que le patient exprime
dans la situation hypnotique a été supplanté par le désir d'associer
librement dans la situation analytique. Le patient reste allongé, non
pour dormir mais pour associer... Le narcissisme du sommeil... coïncide
avec le narcissisme sur le divan. Le texte onirique manifeste coïncide
avec les matériaux analytiques manifestes... La formation du rêve peut
se comparer à la formation de la « situation analytique »... »
Lewin, à la suite de Rank (mais avec sagesse), voit dans cette répé-
tition régressive « l'expérience directe vécue par le bébé dans la situation
de la période d'allaitement ». Lewin souligne cependant (comme l'avait
fait Kris), que « l'attention accordée aux contenus et au monde oniriques
nous a détournés, ici encore, du problème posé par le sommeil et d'une
prise en considération du sujet analysé en tant que rêveur ou dormeur
partiel... Sur le divan, le patient est prima fade un névrosé et accessoi-
rement un rêveur ».
Trois aspects du sommeil ont été souvent étudiés dans la littérature
psychanalytique :
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 117

1) Le sommeil en tant que besoin biologique (Freud [27]) et la fonction


du rêve qui est de maintenir le sommeil ;
2) Le sommeil en tant que réaction de défense régressive dans la situa-
tion analytique contre les pulsions agressives, masochiques et pas-
sives qui menacent l'équilibre des défenses du Moi (v. Bird [7],
Ferenczi [20], Stone [91], etc.) ;
3) La régression dans le sommeil qui reprend les phases ontologiques
du développement lors de la petite enfance et la relation première
du nourrisson avec le sein (Isakower [45], Lewin [61], Spitz [87], etc.).
On a relativement négligé la relation du désir de sommeil et de ses
dérivés avec le désir de guérison et l'investissement de la conscience
du Moi (conscience de soi). Lewin [61] en étudiant le passage du trai-
tement hypnotique vers la situation analytique s'exprime là-dessus
de façon fort juste :
« Ce fut durant cette transition entre le traitement hypnotique et le
traitement cathartique et l'analyse que le névrosé, cessant d'être un
sujet hypnotisé, devint un sujet confiant et le thérapeute pari passu
un psychanalyste... L'endormeur magique devint le confident et la
situation analytique devint historique... Conclusion : l'analyste est un
réveilleur. »
J'ai l'impression que nous n'avons pas jusqu'à ce jour rendu pleine
justice aux conséquences découlant de cette modification extrêmement
importante du rôle joué par le thérapeute qui d'hypnotiseur devint
« éveilleur » (Lewin [61]). Lorsque Freud entreprit de respecter les
résistances du malade plutôt que de les supprimer magiquement dans
le sommeil hypnotique, il amorça un processus nouveau dans l'évolution
du conscient humain, un processus servant à relier les bords d'une
brèche entre le conscient et l'inconscient. En pensant que l'on pouvait
trouver, dans le Moi du patient, plus de coopération utilisable en vue
de la guérison que celle du désir d'être hypnotisé et guidé par ses obser-
vations auto-analytiques, Freud créa la situation analytique où le malade,
grâce à l'aide de son analyste serait capable de devenir tout aussi réceptif
aux rêves que dans le sommeil ou qu'en état d'hypnose au contenu
refoulé. Autrement dit, alors que la raison d'être de la thérapeutique
hypnotique avait été de provoquer des « états oniriques » avec lesquels
le patient pourrait être ensuite confronté, c'est-à-dire des états où le
sujet était endormi afin de « rêver » et finalement était réveillé et rendu
capable de se rappeler « le rêve » fait en état d'hypnose, dans la situation
modifiée et nouvelle, l'analyste aidait le Moi conscient du sujet à
118 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

récupérer ce qui avait été refoulé et inconscient. Le caractère même de


la situation thérapeutique et du rôle de l'analyste se transforma dès
que Freud eut remplacé, dans le processus thérapeutique, le sommeil
hypnotique en rappel conscient, avec toutes les résistances concomi-
tantes que le Moi oppose au relâchement de ses refoulements. De
nouveaux domaines d'activité psychique devinrent accessibles au
processus thérapeutique. Par exemple, ce qu'on n'avait jusqu'alors
considéré que comme l'influence restrictive de la censure dans la for-
mation du rêve (Freud [27]) devint cliniquement accessible en tant que
résistances à l'intérieur du patient au processus analytique. C'est ce
qui nous permit à un moment donné, d'acquérir une connaissance
approfondie des fonctions pathogènes d'un Surmoi archaïque et sadique
dans des graves névroses de caractère.

III. — ÉTAT DE VEILLE, SOMMEIL ET SITUATION ANALYTIQUE


La psychologie du rêve qui nous a enseigné tant de choses touchant
les processus inconscients et les contenus primitifs du Ça dans le psy-
chisme humain, nous a laissés dans une relative ignorance en ce qui
concerne la nature du sommeil lui-même et de son importance psycho-
logique pour l'être humain. Le désir de dormir, celui de se réveiller
ont été en quelque sorte considérés, à la fois par les psychanalystes et
par les biologistes, comme des besoins naturels. Je ne puis brièvement
citer ici que les précieuses recherches d'un petit nombre d'analystes
dont l'attention a été retenue par ce problème mystérieux et complexe :
Jekels [46], Federn [18], Grotjahn [40] et Scott [83]. Ce qu'il nous
importe de signaler c'est le fait clinique que les observations des oscil-
lations du sommeil et de l'état de veille dans la situation analytique ont
éclairé avec quelque profit le désir de guérison de l'analysé et sa
bonne volonté pour se tenir éveillé et fournir ses libres associations.
Clifford Scott [80, 84] s'est, avec bonheur, appliqué à faire comprendre
ce problème. Il a, en effet, poussé plus loin les hypothèses de Jekels,
d'Isakower et de Federn relatives à l'examen direct des rythmes dans
le sommeil et dans la situation analytique. L'hypothèse de Scott est la
suivante : « La satisfaction totale du sommeil est le réveil ou l'acte de
se réveiller » [80]. Il postule l'existence, dans le psychisme, d'un « désir
de réveil » motivant l'acte de se réveiller.
Il est intéressant de comparer les recherches de Scott à celles de
Lewin [60] et de Jekels [46]. Jekels considère les faits de la façon sui-
vante : « Je suppose que la fonction du réveil est naturelle dans tous les
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 119

rêves et qu'elle constitue leur quintessence, leur tâche essentielle » ;


Lewin attribue à l'analyste le rôle d'un « réveilleur ». Il s'ensuit que
l'analyste remplit, dans l'analyse, une des fonctions du rêve, celle
de l'éveilleur. Jekels, dans son étude extrêmement intéressante des
états schizophréniques, de l'activité du Moi dans les rêves et des pro-
cessus qui amènent le sommeil, arrive à la conclusion suivante : « Le
rétablissement du Moi, identique au réveil, est amorcé par le Moi
mental ; il se réalise tout à fait comme dans la schizophrénie par des
moyens d'ordre hallucinatoire, c'est-à-dire par les moyens du rêve. »
Si ma déduction est exacte, alors l'analyste assume ce rôle de « rétablis-
seur » relativement aux états plus régressifs des malades plus gravement
atteints (v. Winnicott [103, 104]; Bion [5, 6]). Toutefois, dans la situa-
tion analytique l'analyste n'agit pas par l'hallucination mais par les
interprétations, sa faculté d'interprétation s'appuie en grande partie
sur la force de son Moi, qui comporte une activité préconsciente expéri-
mentale contrôlée mise au service du patient. C'est là ce qu'on appelle
normalement empathie et intuition. C'est pourquoi si le narcissisme
du sommeil est remplacé par le narcissisme du divan analytique [61],
alors la fonction de réveil du rêve se trouve assignée à l'analyste. C'est
à l'analyste qu'il appartient de garder éveillé et de diriger le mouvement
régressif des processus affectifs du patient comme de leur donner un
sens et une forme par ses interprétations. Grâce à une fréquente pra-
tique clinique des états régressifs aigus propres aux sujets gravement
atteints, grâce à la vigilance et à l'activité de son Moi qui se traduit par
sa vivacité corporelle et par ses interprétations, l'analyste parvient à
faire évoluer le malade et à l'empêcher de se soumettre à l'activité du
processus primaire (Khan [49]).
J'aimerais attirer brièvement l'attention sur les troubles plus graves
et plus profonds de la qualité et de l'expérience subjective du sommeil
comme de l'état conscient chez un certain type de malades régressifs
schizoïdes. Chez ces derniers dont le comportement manifeste révèle
soit une hyperactivité, une excitation maniaque, soit des formes
extrêmes d'inertie et d'apathie, il apparaît que c'est seulement quand
ils peuvent progressivement commencer à s'appuyer sur leur analyste,
à faire fond sur la présence effective, sur la vigilance de celui-ci et
sur ses fonctions au cours de l'analyse, qu'ils parviennent à s'endormir
sans avoir été angoissés. Et c'est en pareil cas seulement, qu'ils se
réveillent dans un état affectif qui ne provoque pas le déclenchement
de mécanismes de morcellement du Moi. Chez ces malades, ce n'est
que lorsque le véritable rythme primitif de sommeil et de veille a été
120 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

rétabli que l'on peut voir fonctionner la faculté de faire de bons rêves
et d'associer librement.
Cette longue digression a eu pour but de montrer comment la situa-
tion analytique, une fois établie, permet d'observer les processus véri-
tables dont elle découle : c'est-à-dire le désir de dormir, le désir de se
réveiller et la capacité de rêver.
En éliminant le sommeil hypnotique en tant qu'agent thérapeutique
et en répartissant, dans la situation analytique, la totalité des forces
psychiques qui agissent chez le dormeur, Freud a permis d'évaluer le
rôle et la fonction du sommeil et de la veille à la fois dans la situation
thérapeutique et dans l'évolution ontologique (v. Fliess [23] ;
Isakower [45] ; Lewin [60] ; Federn [18] ; Gifford [32] ; Hoffer [44] ;
Spitz [87] ; Scott [84] ; Winnicott [103, 104]).

IV. — HYPOTHÈSE DU « BON RÊVE »


Une grande partie de notre littérature, de nos mythes, de nos cou-
tumes sociales, de nos rites et de nos découvertes intellectuelles se
fondent sur la capacité de rêver ou en découlent (v. Sharpe [86] ;
Lewin [62] ; Rôheim [77]). A ce point de vue, le fait de rêver fournit
le prototype de toute création psychique chez l'adulte humain. Je pro-
pose ici l'adoption du concept de « bon rêve », prenant pour modèle
le concept de Kris relatif à la « bonne séance analytique ». Je parlerai
de certains traits saillants caractérisant la situation infra-psychique du
dormeur et permettant à un « bon rêve » de se former.
I. — Une ambiance de calme et de sécurité physique où le Moi
peut sans risque retirer ses investissements au monde exté-
rieur et renforcer le désir de dormir.
II. — Un état de confiance dans le Moi relatif au fait que ce monde
extérieur accueillera votre retour après qu'on aura satisfait
le désir de dormir.
III. — La capacité du Moi d'être en contact avec le désir de sommeil.
IV. — Une source inconsciente de trouble qui constitue la force
motrice du rêve et qui est articulée au moyen du travail
onirique.
V. — Une mise à la disposition du Moi des résidus diurnes pour
structurer la forme du « désir de rêve » latent.
VI. — La possibilité de supporter les processus régressifs qui se
déroulent dans l'appareil psychique : partant de la motilité
pour aboutir à l'hallucination (Kris [56]).
LA PSYCHOLOGIE DU RÊVE 121

VII. — Une sûreté des processus d'intégration dans le Moi. Cette


sûreté présuppose que les stades les plus précoces de l'inté-
gration du psyché-soma dans le Moi naissant(Winnicott [101])
ont été fermement établis.
VIII. — Une faculté narcissique du Moi de profiter d'une satisfaction
fournie par le monde onirique, au lieu de celle du narcissisme
pur du sommeil ou de la satisfaction concrète venue de la
réalité. Cela comporte la capacité pour le Moi de tolérer la
frustration et d'accepter des satisfactions symboliques.
IX. — Dans le Moi, une capacité de symbolisation et de travail oni-
rique où un contre-investissement suffisant contre le pro-
cessus primaire se trouve soutenu de façon à ce que le rêve
devienne une expérience de communication intra-psychique.
X. — Une capacité de se tenir légèrement distant des éléments pri-
mitifs et sadiques du Surmoi de façon à alléger les barrières
du refoulement.
XI. — Une capacité pour le Moi de recevoir les désirs du Ça et
de s'y soumettre tout en se sachant capable de « résister » à
leur afflux chaotique et excessif.
XII. — Une unité temps-espace de l'expérience, acquise de façon
sûre et dans laquelle tout cela peut être mis en oeuvre et
répété à des intervalles bien prévus.
XIII. — Une disponibilité dans le Moi d'énergie neutralisée suffisante
pour que celui-ci se montre capable d'aménager et d'harmo-
niser les pulsions du Ça, libidinales ou agressives, envahis-
santes (Hartmann [41]).
XIV. — La possibilité de retenir à l'état de veille, après coup, une
image du rêve si cela paraît nécessaire.

Dans un état intra-psychique semblable, une personne peut avoir


un « bon rêve ». D'après moi, un « bon rêve » est celui qui incorpore,
grâce à un travail du rêve réussi, un désir inconscient et peut ainsi
permettre au rêve de se poursuivre tout en servant, après le réveil du
sujet, à l'épreuve psychique du Moi. Dans ce contexte, il est intéres-
sant de comparer l'activité du Moi du dormeur par rapport au « bon
rêve » avec ce que Winnicott [102] a décrit comme étant les fonctions
psychiques primitives utilisées par le petit enfant en relation avec l'objet
transitionnel (voir aussi Milner [66, 67]).
La possibilité de faire un « bon rêve » tout en étant une condition
préalable de la santé psychique, ne s'en porte cependant pas garante.
122 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Elle donne la mesure de la capacité psychique d'un sujet ou, comme


l'a suggéré le Dr Valenstein, elle constitue le produit onirique de la
force du Moi.

V. — LA SITUATION ANALYTIQUE CLASSIQUE ET SES FONCTIONS

Examinons maintenant brièvement la « situation analytique ». Elle


peut, d'une façon quelque peu arbitraire, se diviser en trois parties
composantes :
a) Le patient ;
b) L'analyste ;
c) Le cadre analytique.
Les réactions réciproques entre ces trois éléments constituent le
processus et le procédé analytiques.
Le patient lui, apporte le désir de guérir, base de l'alliance thérapeu-
tique. Suivant la psychologie du rêve, sa capacité de se soumettre à
l'obligation du divan analytique découle d'un désir de sommeil narcis-
sique (Lewin [61]). Son symptôme traduit le « désir latent du rêve »,
c'est-à-dire ses désirs et ses conflits refoulés inconscients. Il apporte aussi
une possibilité de réalisation du travail analytique étroitement dépen-
dante de son aptitude au travail onirique dans le sommeil (v. Kris [55]).
Là où les aptitudes d'un patient au « travail onirique » sont gravement
perturbées par des déformations du Moi, des mécanismes primitifs de
défense ou des anxiétés psychotiques (v. Bion [5, 6]), nous constatons
toujours que le malade ne peut ni se soumettre à la règle fondamentale
ni librement associer. En pareils cas, l'utilisation défensive ou régressive
à dose élevée du sommeil et du silence constitue un élément caracté-
ristique de leur comportement dans la situation analytique. Inversement,
les états hypomaniaques d'exaltation et de passage à l'acte peuvent
bouleverser l'élaboration transférentielle (v. Klein [51] et Winnicott [99],
à propos de la défense maniaque).
L'analyste dans sa personne se montre réceptif à l'égard des maté-
riaux que lui apporte le patient, c'est-à-dire de ses associations. C'est
par là qu'il renforce le « désir de se réveiller » (« L'analyste est un réveil-
leur », Lewin) et qu'il remplit aussi le rôle du Moi du dormeur qui
articule le travail du rêve. Par ses interprétations des résistances du
patient et le soulagement des sentiments primitifs de culpabilité de
celui-ci, il l'aide à libérer et à organiser ses désirs inconscients. Il agit à
la façon d'un Moi auxiliaire dans la situation analytique (Heimann [42]).
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 123

Il prête également au patient sa plus libre aptitude touchant les asso-


ciations symboliques. Il maintient « vivant » et tout le temps bien centré
le matériel du malade. Il veille à ce que ne se produise aucune clôture
défensive, à faux et précipitée, du processus psychique et affectif.
C'est ainsi qu'il suscite un mouvement dans la situation analytique
(Glover [36]).
L'analyste, comme le Moi qui rêve, ne satisfait sous forme concrète
aucun des désirs inconscients du patient lorsqu'ils s'expriment dans la
névrose de transfert, mais borne son rôle à celui de l'être qui sympathise,
aide et comprend. Telles sont les satisfactions symboliques qu'il offre.
Afin de faciliter au patient l'expression de ses désirs et la manifes-
tation de son comportement autant que pour agir lui-même d'une façon
créatrice et libre, il instaure une ambiance physique : le cadre analytique.
Je pense par là à l'ambiance matérielle au milieu de laquelle un analyste
entreprend d'amorcer et de poursuivre, avec son patient, le processus
analytique. Dans nos nombreux travaux, l'étude approfondie du patient
et de l'analyste est aisément accessible. Ce ne fut que dans les années
de l'après-guerre que le cadre en soi a été soumis à une investigation
et à un examen plus poussés (v. Winnicott, Spitz, Scott, etc.). On consi-
dère généralement comme admises les raisons et la manière dont Freud
a établi les conditions matérielles de la situation analytique. J'aimerais
préciser ici que je ne m'occuperai pas des raisons subjectives qui ont
dicté à Freud le choix de certains éléments de cette situation, par
exemple l'aversion qu'il éprouvait à être regardé et qui lui fit choisir
d'être assis derrière son patient [28]. C'est le génie de Freud qui lui
permit, en partant de faits subjectifs, de toujours réussir à en tirer un
procédé thérapeutique général et valable (v. Eissler [10]). Le cadre
analytique consiste en une pièce où l'intimité et une sûre protection
contre l'intrusion et les empiétements du monde extérieur sont assurées.
On y trouve aussi une douce et agréable température, de l'air et un
divan sur lequel s'allonge le patient pour s'y détendre. Un laps de
temps bien établi, répété est prévu avec un commencement et une fin.
Freud a également entrepris de se tenir éveillé, d'avoir l'esprit réceptif
et en alerte, d'être capable d'agir sans se montrer importun (Rycroft [78] ;
Winnicott [103]).
Une comparaison bien que banale montre avec quelle ingéniosité
Freud a redistribué l'état intrapsychique du dormeur, dans la situation
analytique, entre trois éléments : le patient, l'analyste, le cadre analy-
tique ; combien aussi ces trois constituants de la situation analytique
totale se prêtent au déplacement et à la projection de la structure tri-
124 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

partite de la personnalité humaine, je veux dire Ça, Moi et Surmoi.


Le fait a été montré ingénieusement et de façon très détaillée par divers
analystes (v. Fenichel, Bion, Fairbairn, Klein, Strachey, etc.).
Il existe une différence décisive entre l'état du dormeur et celui
de l'analysé, c'est que l'analyste à travers sa personne, rend valable une
relation (le transfert) qui se trouve opposée à l'extrême à l'isolement du
Moi en état de rêve. Et c'est précisément cette relation transférentielle
qui donne à l'analyse, contrairement au fait de rêver, son caractère théra-
peutique. Autre trait distinctif de l'activité de l'analyste : les interpréta-
tions, quand on les compare au travail onirique du rêveur. L'analyste
a affaire à des pulsions inconscientes, non par le moyen de méca-
nismes régressifs tels que ceux dont se sert le Moi du rêveur : déplace-
ments, condensation, hallucination, etc., mais en s'occupant à la fois
des résistances et de l'utilisation pathogène des mécanismes de défense
primitifs. Il n'évite pas les résistances, comme dans l'hypnose, mais
s'en sert et agit sur elles, permettant ainsi graduellement au Moi du
patient d'accéder à de nouvelles sources d'énergie et à des processus
plus efficaces. Grâce à la relation transférentielle, Freud a rendu le
Moi humain capable de réaliser au maximum la conquête de l'incons-
cient pour le transformer en conscient. Il a aussi ramené dans le champ
de la conscience de soi et de la communication de vastes domaines
d'affectivité et de vie intérieure psychique (imagination) qui jusqu'alors
n'avaient été que métaphoriquement accessibles grâce aux productions
des poètes, dés artistes et des rêveurs doués. En un siècle presque exclu-
sivement consacré à l'exploration et à la conquête de l'environnement
physique, Freud a formulé les techniques permettant l'exploration de
la vie intérieure et de ce que l'homme a fait à l'homme. Avec patience
et imagination, il a rendu possible l'étude des forces et des facteurs qui
nous rendent humains, je veux parler de nos émotions, de notre psyché,
de nos instincts et de notre conscience. Le Moi humain put trouver
en lui son premier véritable allié et non point encore un autre prophète
inspiré ou quelque tyran intellectuel ou thérapeute. Les adversaires eux-
mêmes de Freud admettent qu'il nous a permis de pénétrer dans l'in-
conscient ; ce que l'on ne conçoit pas assez clairement, c'est qu'après
lui et grâce à son travail, la fonction et la portée réelles de la conscience
humaine se sont modifiées et élargies intérieurement et extérieurement
(Trilling [97]). Ce que Freud attribue à l'esprit de Michel-Ange dans
sa création de Moïse serait sans doute plus applicable à la lutte de
Freud contre lui-même, lutte qui aboutit à la création de la situation
analytique :
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 125

« Cependant Michel-Ange a placé un Moïse différent sur la tombe du


pape, un Moïse supérieur au Moïse historique ou traditionnel. Il a
modifié le thème des Tables brisées ; il ne laisse pas le prophète les
briser dans sa colère mais le représente influencé par le danger qu'elles
soient brisées et le figure calmant son courroux ou, en tout cas, empêchant
ce dernier de se manifester par un acte. Par là, il a ajouté quelque chose
de nouveau et de plus qu'humain à la figure de Moïse ; de cette façon,
la taille du géant avec sa formidable puissance physique n'est plus que
l'expression concrète de la réalisation mentale la plus élevée possible
chez un homme, celle d'une lutte victorieuse contre une passion intérieure,
lutte menée pour une cause à laquelle il s'est consacré tout entier... ainsi,
il s'agit d'une auto-critique devenue plus forte que sa propre nature » [29],
pp. 223-224. (Les italiques ont été mises par l'auteur de ce travail.)
Tournons notre attention vers les aspects cliniques de la situation
analytique. Durant les deux premières décennies de la psychanalyse,
cette situation avait pour but de faire face aux besoins et aux exigences
des névrosés (Freud [31]). Autrement dit, on considérait que le malade,
supposé apte à se soumettre à l'analyse, devait fort probablement avoir
atteint un degré satisfaisant d'intégration du Moi et de développement
libidinal. Les conflits devaient résulter de tensions non résolues entre
le Moi, le Surmoi, les pulsions prégénitales et les relations objectales.
Chez ces patients, les fonctions du Moi étaient restées plus ou moins
intactes et leurs symptômes résultaient d'une intrication des dites
fonctions intactes du Moi avec les pulsions primitives du Ça et les
sentiments de culpabilité. Les conflits n'avaient à aucun degré miné
ou altéré les fonctions du Moi elles-mêmes. C'est pourquoi ces malades
pouvaient utiliser avec confiance la fonction transférentielle de la situa-
tion analytique. Comme dans le cas du « bon rêve », les pulsions du
Ça perturbantes ne brisent pas le contrôle de la régression du Moi dans
le travail du rêve pour se transformer en motilité (autrement le dormeur
se réveillerait) et le Moi n'a pas besoin de faire usage de défenses pri-
mitives globales dans ses rapports avec le rêve (comme dans la psychose,
v. Nunberg [72], et Bion [5]). De même, pour ces patients le potentiel
transférentiel de la situation analytique suffit à soutenir la pensée
régressive et les investissements de désir et à les traduire en paroles
dans le processus analytique. Ces malades ne se servent de « passages
à l'acte » ni dans l'analyse ni dans leur vie sociale de façon nuisible ou
exagérée. Mon expérience clinique m'a appris que les patients qui ne
peuvent avoir un « bon rêve » s'avèrent incapables d'utiliser de façon
profitable la situation analytique.
126 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

VI. —CAS LIMITES, RÉGRESSION


ET LES NOUVELLES EXIGENCES DE LA SITUATION ANALYTIQUE

Au cours des trois dernières décennies, toutes sortes de malades


sont venus pour se faire traiter parce que, à cause de la nature même de
leur maladie, ils n'étaient pas arrivés à profiter d'une manière construc-
tive de la situation analytique classique. Les troubles de leur person-
nalité les ont empêchés de pouvoir se soumettre à ce qui est attendu
d'eux dans l'analyse comme d'obéir aux règles qu'elle impose. Ils
viennent se faire traiter sans présenter de symptômes spécifiquement
identifiables, sans même ressentir un désir bien établi de guérir.
Bien qu'intellectuellement ils puissent tous trop aisément saisir les
exigences de la situation analytique, affectivement et au point de vue
du processus du Moi, ils sont incapables d'en tirer profit (Reich [76]).
Ils se figent au lieu d'associer librement ; ils se cramponnent régressi-
vement à divers éléments de leur analyse et à la personne de l'analyste
(Fliess [23]) et ne peuvent établir ni alliance thérapeutique (Zetzel [109]),
ni une névrose de transfert (Sterba [90] ; Stone [91]) exploitable. Placés
dans la situation analytique, il se produit chez eux une confusion régres-
sive, un brouillage continuel des limites de soi, de l'analyste et du
cadre analytique. Les cas de semblables patients ont été diversement
qualifiés : cas limites (Greenacre [37] ; Stone [92]) personnalités schizoïdes
(Fairbairn [14] ; Khan [50]), névroses narcissiques (Reich [76]), per-
sonnalités « comme si » (Deutsch [8]), troubles de l'identité (Erikson [13];
Greenson [38]), malades d'une déficience « spécifique du Moi »
(Gitelson [35]), « fausse personnalité » (Winnicott [105] ; Laing [57])
et « imperfection fondamentale » (Balint [4]), etc. Les déformations
primitives du Moi de ces malades n'ont pas amené chez eux « cette
scissure bénigne » qui constitue une condition préalable du succès
du processus clinique dans la situation analytique classique. En pareils
cas, les confusions de soi avec l'objet, les désirs pressants de maîtriser,
par la motilité et la défense intellectuelle, les expériences affectives
psychiques régressives (A. Freud [24]), le transfert illusoire (Little [64] ;
Stone [92]), et les états de dépendance symbiotique envahissent très
rapidement la situation analytique (Sterba [90]). Et ils s'acharnent,
à l'aide de toutes sortes de mécanismes de défense bizarres et primitifs,
à faire entrer cette situation analytique tendue dans le champ de leur
omnipotence (Winnicott [108]).
Les procédés techniques nouveaux, les modifications, les innovations
proposés durant ces trois dernières décennies par les analystes, avec
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 127

plus ou moins de conviction et d'assurance résultent tous d'une honnête


tentative clinique pour faire face à ces états cliniques.
Et pourtant l'examen le moins approfondi nous convainc qu'ils
sont contradictoires (v. Balint [3]). Certains analystes sont portés à
exploiter les processus régressifs de leur patient et les situations analy-
tiques dans le but de recréer la personnalité de ce dernier (v. Little [64]).
D'autres se méfient du potentiel transférentiel régressif et de la situation
analytique et imposent de ce fait au patient des restrictions et des obli-
gations prudemment choisies, tout cela dans l'espoir de le guider grâce
à des « expériences correctives émotionnelles » vers une liberté et une
vitalité nouvelles de ses fonctions du Moi et de sa santé psychique
(v. Alexander [2] ; Macalpine [65], etc.). Aujourd'hui, la plupart d'entre
nous s'accordent à croire qu'en ce qui concerne l'étiologie de ces troubles
nous devons nous reporter dans le passé bien avant la situation oedi-
pienne, les conflits préoedipiens du Ça et les relations objectales. Gitelson,
traitant de ces cas, dit que « notre pensée s'est engagée dans une direc-
tion qui suppose une défectuosité spécifique du Moi ». Nous sommes
de plus en plus enclins à attribuer ces troubles aux perturbations sur-
venues au stade primitif de la différenciation du Moi et de son émergence
à partir de l'ambiance des soins nourriciers vers une unité de soi. De ce
fait et par définition, le caractère même de notre tâche thérapeutique
et de la fonction du cadre analytique se trouve modifié. Il ne nous
est plus possible de consacrer exclusivement notre art à l'évolution
de la névrose de transfert dans la situation analytique où s'exprimeraient
les conflits latents du malade, et où l'interprétation et l'élaboration
les résoudraient. Je n'ai pas le temps de traiter cette question en détail
(v. Eissler [9] et Khan [48]). Je me contenterai d'indiquer brièvement
que lorsque le processus clinique dépasse « les limites du transfert »
de la situation analytique et que le malade compulsivement et de façon
concrète agit ses besoins (comme s'il agissait contre des désirs, pour
lesquels l'expression symbolique verbale suffisait), et lorsqu'il existe
des déformations primitives du Moi, alors l'analogie entre le sommeil
et la situation analytique cesse d'être vraisemblable. Dans le chapitre VII
de La science des rêves, Freud explique clairement que, dans les rêves,
la réalisation d'un désir n'est possible que si les images mnémoniques
de l'ancienne satisfaction des besoins restent utilisables pour l'investis-
sement. C'est ce qu'il résume en quelques mots : « Le premier désir
semble avoir été un investissement hallucinatoire du souvenir de quelque
satisfaction. » Ajoutons que chez un sujet qui n'aurait pas obtenu,
étant nourrisson, de semblables satisfactions, par suite du caractère mal
128 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

assuré, inconstant ou mal adapté de celles-ci, la faculté d'utiliser ces


« images mnémoniques de satisfaction » en vue de faire apparaître un
désir onirique doit, par définition, manquer ou être déformée (v. Winni-
cott [100]). En pareilles circonstances, le développement ultérieur du
Moi peut servir de moyen magique pour compenser l'insuffisance des
expériences de satisfaction précoce. Au point de vue intrapsychique,
on peut penser à un emploi abusif du rêve pour créer un monde onirique
magique tout puissant tendant à donner l'illusion d'une satisfaction
des besoins réels avec négation omnipotente de la nécessité, pour se
satisfaire, d'objets réels et d'une dépendance à leur égard. C'est un
état que nous observons de la façon la plus frappante dans certaines
psychoses (Bion [6]). L'expérience m'a montré que les malades atteints
de ces déformations très primitives du Moi, sont incapables de tirer
profit du transfert symbolique propre à la situation analytique. Ou
bien ils refusent radicalement de s'y soumettre, ou bien ils tentent de
contraindre cette dépendance à se muer en une omnipotence magique
de la pensée, ou encore la régression les amène à exiger la satisfaction
de besoins réels absolument hors de la portée de l'analyste ou de son
cadre. Celui-ci n'a pas qualité pour agir sur les crises cliniques de ces
patients et si nous ne voulons pas nous égarer en présence d'un cas
pareil, nous ne devons jamais oublier que ce n'est pas la situation ana-
lytique qui a créé cet état de choses, comme l'ont suggéré Macalpine,
Alexander et Fairbairn, mais le besoin du patient. Ce qui permet
d'affronter ces crises cliniques c'est le fait que l'instrument analytique
de Freud est élastique et assez souple pour faire face à ces « besoins »
et peut supporter toutes les « illusions » primitives (Little), toutes les
déformations auxquelles le patient les soumet. Comme l'ont dit Win-
nicott, Spitz, Milner, Scott et d'autres encore, dans de telles circons-
tances le langage « transférentiel » de la situation analytique se transforme
en un mode d'action plus primitif, primaire, rappelant beaucoup la
situation du petit enfant que l'on soigne. Et quand cliniquement tout
se passe ainsi, la validité d'un procédéthérapeutique spécifique dépendra
de la « théorie » suivant laquelle l'analyste travaille. Et plus nous pour-
rons discuter ouvertement les théories, les espérances et les attitudes
prévues avec lesquelles nous abordons ces crises cliniques, plus nous
tirerons profit de ces entretiens et plus nous arriverons à améliorer nos
méthodes et à mettre réellement au point nos procédés analytiques,
En attendant, le mieux pour nous sera de tenir compte des avertis-
sements donnés par Freud à son auditoire au Ve Congrès international
tenu à Budapest en 1919 :
LA PSYCHOLOGIE DU REVE 129

« Nous avons refusé de la façon la plus catégorique de faire d'un


malade qui se remet entre nos mains pour y chercher un secours notre
propriété, de le contraindre à adopter nos propres idéaux et, avec
l'orgueil d'un Créateur, de le former à notre propre image et de trouver
cela bien. »
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CONTRIBUTION A LA DISCUSSION( 1)
par EMANUEL WINDHOLZ (San Francisco)

Les tentatives bien connues faites pour étudier la situation analy-


tique et la comparer avec la situation hypnotique ont été poursuivies
par M. Khan à l'aide de la psychologie du rêve. En présentant un
nouveau concept, celui du « bon rêve », Khan établit une relation entre
le travail onirique et le travail analytique. Tant qu'il traite des aména-
gements matériels qui fournissent les conditions favorables à la régres-
sion, tant qu'il décrit le rôle passif de l'analyste, sa réceptivité, sa
sympathie, sa compréhension, des analogies comme le renforcement du
« désir de réveil », etc., restent possibles. Une fois que le rôle du transfert,
qui rend l'analyse thérapeutique, entre en jeu, le contraste avec le
fait de rêver devient évident. Ce qui reste est, naturellement, l'utili-
sation par le patient et l'analyste de l'agencement analytique et la
question est de savoir si la psychologie du rêve peut nous aider à
envisager plus clairement le résultat. Quand j'ai essayé de suivre le
raisonnement de Khan, il me vint à l'esprit que cet auteur avait bien
pu modeler son nouveau concept d'un « bon rêve » sur le concept de
Kris relatif à « la bonne séance analytique » [6] pour une raison très
spéciale. En décrivant cette « bonne séance », Kris ne se réfère pas à
une qualité hypnotique du transfert. Cependant, rappelez-vous que
c'est dans cette situation que la passivité de l'analyste ainsi que son
intimité avec le patient atteignent leur point culminant. Ce fait a pu
impressionner Khan et se rapprocher pour lui au maximum de la
situation endo-psychique qu'il déclare être favorable à la matérialisation
d'un « bon rêve ». C'est jusque-là que j'ai pu suivre l'analogie et je suis
certain que les quatorze points de Khan intéresseront tous ceux qui
attachent quelque prix à la psychologie du rêve. Toutefois, la « bonne
séance analytique » est un phénomène clinique résultant d'actions réci-

(1) Lue au XXIIe Congrès psychanalytique intern., à Edimbourg,juill.-août 1 961. Discussion


àpropos des articles du Dr Arthur VALENSTEIN et de MM. Masud R. KHAN, ce dernier travail
paru dans une version amplifiée sous le titre Psychologie du rêve et évolution de la situation
psychanalytique, in The Intern. J. Psycho-Anal., p. 21, n° 1, vol. XLIII, 1962.
134 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

proques complexes dont nous ne pouvons trouver d'exemples analogues


dans la formation du rêve.
Peut-être l'intérêt porté par Khan aux troubles du sommeil qui
surgissent au cours de l'analyse constitue-t-il une autre source de son
besoin d'avoir un concept, comme celui du « bon rêve », qui soit utili-
sable pour mesurer le succès analytique. Néanmoins, cet intérêt ne
devrait pas nécessiter des généralisations semblables à la suivante :
l'affirmation que l'aptitude au travail analytique dépend étroitement de
l'aptitude au travail du rêve dans le sommeil. La « bonne séance ana-
lytique » est un critère de l'aptitude du patient au travail analytique.
Nous avons une certaine connaissance des facteurs qui rendent possible,
en un cas donné, ce progrès. Beaucoup, sinon la plupart, des conditions
ne nous sont pas encore connues. Citons ici Ernst Kris : « ... Une
grande partie, si ce n'est la plus grande, de la thérapeutique analytique
se pratique dans les ténèbres avec, de temps en temps, un aperçu
fugitif, une lueur pour éclairer notre route » et « bien des choses demeu-
rent inconnues sur les conditions dans lesquelles le Moi accomplit son
silencieux travail ». Le seul motif que j'aie d'attirer votre attention sur
le fait que l'aptitude à l'analyse s'acquiert au cours de l'analyse elle-
même, est de désirer discuter la partie clinique finale de l'article de
Khan. Il y tente de traiter plus explicitement de l'organisation de
l'analyse et de la faculté que possède le patient d'utiliser ce qu'il
appelle sa fonction transférentielle. Il établit une distinction entre les
patients auxquels convient l'analyse en les opposant aux cas limites,
et il décrit les changements correspondants qui s'effectuent dans le
fonctionnement de l'analyse. Khan parle des réactions inhabituelles à
l'analyse, propres à ces cas limites, de leur incapacité à utiliser le
potentiel de transfert de la situation analytique. Il en conclut que pour
ces patients, l'analogie entre le sommeil, le rêve et la situation analytique
ne peut être soutenue plus longtemps. Nous pouvons, de nouveau,
approuver entièrement les observations cliniques, tout en trouvant
difficile de comprendre l'explication qui suit. En se référant à Winni-
cott, il croit que, par définition, les « images mnémoniques de satisfac-
tion », nécessaires à la mobilisation du désir du rêve doivent manquer
ou être déformées chez ces malades. Ce manque découle du fait que le
sujet a, dans sa petite enfance, reçu des satisfactions inadéquates.
Bien que tel puisse être le cas et que ces constructions théoriques soient
utiles, on aurait nettement tort d'admettre tout cela « par définition ».
Ce désavantage est analogue à celui qui découlerait du fait d'aborder
le problème de l'analysabilité par définition. Des distinctions aussi
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION 135

nettes ont été possibles tant que nous n'avons appliqué la psychanalyse
qu'aux névroses symptomatiques.
L'analyste dispose de plusieurs moyens de protéger et de maintenir
la situation analytique sans l'emploi de nouveaux procédés techniques,
de modifications et d'innovations que Khan repousse. Citons-le encore.
Ce qui préserve la vertu de ces crises cliniques c'est que les ressorts
dont Freud s'est servi dans la situation analytique sont suffisamment
souples et flexibles pour faire face à ces « besoins » et peuvent résister
à toutes les « illusions », à toutes les déformations primitives que le
patient leur soumet. « Il est exact qu'un grand nombre de ces états ne
peuvent être abordés en se servant de la méthode classique, tel le cas
de « la personnalité schizoïde » traitée par Khan avec une rare habileté
et tant d'esprit inventif » [3]. Étant donné la difficulté qu'il y a à
comprendre le comportement de ces patients, en particulier dans la
première phase de l'analyse, il est sage de ne pas avoir d'idée préconçue
au sujet de l'analysabilité. J'aimerais citer une description de la méthode
exposée aujourd'hui par Valenstein. Elle se rapproche de celle donnée
par Khan, dans sa communication. « La beauté de la méthode psycha-
nalytique classique, telle qu'elle s'est développée et maintenue au cours
de ce demi-siècle, tient à ce qu'elle est en soi bien plus préadaptée à toute
éventualité cliniquemoyenne qu' on ne le croit habituellement. » Valenstein
a parlé de la conférence d'Anna Freud à Boston, dans laquelle elle a
exposé, avec plus de détails, les idées déjà énoncées à San Francisco et qui
sont particulièrement pertinentes. Elle nous a exposé un système de
référence, destiné à faciliter la compréhension des attitudes du malade, qui
utilise sélectivementla situation analytique selon ses besoins individuels.
C'est maintenant l'article de Valenstein qui va retenir mon attention.
Durant les quelques minutes dont je dispose pour discuter, il ne me
sera pas possible de rendre hommage à son savant exposé. C'est une
vaste étude de l'évolution de la théorie des affects. A la fin de chaque
chapitre, il nous dit quels problèmes restent à résoudre et quel domaine
doit être exploré plus à fond. Le temps dont il dispose ne lui permet
pas de présenter des exemples cliniques venant à l'appui de son concept
de « l'affectualisation » en tant que défense. Ces exemples fournissent une
preuve impressionnante du double aspect de ce « syndrome caractériel ».
Les dangers d'une implication de l'analyste se trouvent esquissés
dans une discussion sur « l'expérience émotionnelle corrective ». Les
indications thérapeutiques concernant de telles interventions dans des
conditions qui ne conviennent pas à la psychanalyse proprement dite,
y sont clairement décrites. Dans son étude de la « thérapeutique active »
136 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

de Ferenczi, Valenstein établit une distinction entre une véritable


reviviscence, avec toutes ses émotions, et l'apprentissage qui se fait
à travers une nouvelle expérience vécue.
Nous disposons de plusieurs théories touchant les critères de
réaction du patient en ce qui concerne les interprétations exactes. Elles
reflètent les façons variées d'envisager le processus analytique. Très
proche de la reviviscence émotionnelle, nous trouvons la théorie de
Reik sur la réaction de surprise qui apparaît lorsque l'analyste révèle
verbalement le contenu refoulé inconnu. C'est ce qui appartient,
dirions-nous, au domaine de l'analyse du Ça. Edward Bibring [1] sou-
tient une thèse entièrement contraire dans sa description du manque
de toute réaction dramatique. Suivant Bibring une interprétation exacte
place le Moi en face d'une tâche nouvelle. Il n'y a dans cette reconnais-
sance, ni soulagement, ni satisfaction. Bibring décrit le fait en l'appelant
« processus de Réorientation et de Rajustement ». Valenstein parle de
deux réactions différentes : on constate parfois que c'est l'émotion qui
dirige la pensée, et parfois que c'est l'idée qui entraîne l'affect. Kris
a comparé l'élaboration (le working through) au processus du chagrin
et du deuil. Dans la Technique psychanalytique, Glover [2] étudie
l'élaboration à la lumière de nos vues changeantes relatives au rôle
du refoulement. Dans son article sur la Récupération des souvenirs
infantiles, Kris [7] fait observer que ce ne sont pas seulement les souvenirs
qui se trouvent dissimulés et refoulés. Les faits d'ordre affectifsubissent le
même sort. Lewin [9] explique que ceux-ci peuvent bien être exactement
reproduits en analyse mais sans toujours reproduire les sentiments
originaux de l'enfance. C'est pourquoi Lewin les qualifie d'affects écrans.
Ce qui différencie les théories émises par Bibring, Kris et Lewin
se rapporte aux différentes phases de l'analyse. Dans l'explication de
Kris, le thème principal concerne l'importance de la faculté de neutra-
lisation dans la situation analytique même. Il explique son rôle dans
« l'ajustement au refoulement, la progression, l'oubli de soi et la réap-
parition de l'observation de soi-même ». En appréciant le rôle de la
remémoration, il parle de causalité circulaire [5]. Le fait de lever le
refoulement renforce le Moi et la force croissante du Moi facilite la
diminution toujours plus grande des énergies de contre-investissement.
Valenstein étudie le problème d'un mélange bien approprié et
convenable de ce qui est intellectuel et de ce qui est affectif. Les prises
de conscience qui suivent ce mélange bien approprié s'affirment comme
étant vraiment et immédiatement applicables à la vie intérieure et à la
vie extérieure. Le sentiment authentique peut se muer en un vécu
CONTRIBUTION A LA DISCUSSION 137

convainquant. Suivant les théories de Lewin et celles de Kris, ce vécu


convainquant, qui apparaît pendant la « bonne séance analytique »
s'expliquerait de la façon suivante : le contrôle total qu'exerce le Moi
sur ses affects rend possible le plein investissement de ce Moi par de
forts sentiments d'omnipotence, puisqu'il s'assortit d'un contrôle de
la régression au service du Moi. L'auto-observation demeure intacte
et la connaissance est investie d'un sentiment de conviction qui trans-
forme l'expérience « Je sais » en une expérience « Je crois » [9]. Une fois
de plus, le patient peut projeter ses sentiments d'omnipotence sur
l'analyste et lui attribuer une grande puissance. Il peut même ressentir
une inspiration [6] venue de l'extérieur. Le patient perçoit avec exac-
titude le fonctionnement autonome du Moi de l'analyste, qui, au cours
de la « bonne séance analytique » s'harmonise pleinement avec l'in-
conscient du malade. Une forte conviction dérivée du narcissisme
primaire est alors présente dans les deux Moi — dans celui du patient
comme dans celui de l'analyste. L'investissement du Moi par un
narcissisme primaire et son fonctionnement autonome sont ressentis
subjectivement et perçus objectivement. Projection et auto-observation
fusionnent en une identité d'épreuve.
Valenstein expose les conditions prévalentes pour achever l'inté-
gration. L'alliance de l'analyste avec son patient protège le fonction-
nement d'auto-observation du Moi et en assure la bonne marche en
accord avec le processus-secondaire.

BIBLIOGRAPHIE

[1] BIBRING (E.) (1954), La psychanalyse et les forces vives de la psychothé-


rapie, J. Amer. Psychoanal. Assoc, 2.
[2] GLOVER (E.), Technique de la psychanalyse (London, Baillière, 1928).
[3] KHAN M. MASUD (R.) (1960), Regression and Integration in the Analytic
Setting. Régression et Intégration dans l'agencement psychanalytique,
Int. J. Psycho-Anal., 41.
[4] KRIS (Ernst) (1950), On Preconscious Mental Processus (Des processus
mentaux préconscients), Psychoanal. Quart., 19.
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domaine des Arts) (N. Y., Int. Univ. Press, 1952).
[6] — (1956), On some Vicissitudes of Insight in Psa, Int. J. Psyco-Anal., 73.
[7] — (1956), Recovery of Childhood Memories in Psa (Remémoration de
souvenirs infantiles en Psa), Psychoanal. Study Child, 11.
[8] LEWIN (Bertram D.) (1939), Some Observations on Knowledge Belief and
the Impulse to Know (Quelques observations sur la connaissance, la
croyance et l'impulsion à savoir), Int. J. Psycho-Anal., 20.
[9] — The Psychoanalysis of Elation (Psychanalyse de la joie) (N.Y., Norton,
1950).
SYMPOSIUM
SUR LA PSYCHANALYSE
DES ENFANTS

La psychanalyse infantile
aujourd'hui ( 1)

par ESTHER BICK (Londres)

Ce symposium a le caractère d'un événement historique, car c'est


le premier symposium sur l'analyse des enfants qui ait lieu dans le cadre
d'un Congrès international de Psychanalyse. En mai 1927, se tenait un
symposium de ce type devant la Société britannique de Psychanalyse.
A cette occasion, Melanie Klein fit ressortir le contraste entre le déve-
loppement de l'analyse de l'enfant et celui de l'analyse de l'adulte ; elle
exposa le fait remarquable que, tout en ayant environ dix-huit ans
d'existence, la psychanalyse infantile n'avait pas encore de principes
de base clairement énoncés, alors qu'après une période de cet ordre,
l'analyse d'adultes avait posé ses principes essentiels, les avait vérifiés
de façon empirique et avait fermement établi les principes fondamen-
taux de sa technique. M. Klein avait examiné ensuite les raisons pour
lesquelles l'analyse des enfants avait été tellement moins heureuse
dans son développement.
Je me rends bien compte qu'on a fait des progrès au cours des
trente-quatre dernières années, à la fois dans l'analyse infantile même,
et dans les domaines connexes, comme les centres médico-pédagogiques;
ces progrès ont été profondément et diversement influencés par les
travaux de Melanie Klein et d'Anna Freud. En voici des exemples :

(1)Présenté au XXIIe Congrès international de Psychanalyse, Edimbourg, juillet-août 1961.


Traduit par Jeannine KALMANOVITCH.
140 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

l'éventail de cas d'enfants qui relèvent d'un traitement s'est étendu;


le jeu est une technique maintenant généralisée, quoique souvent sous
une forme modifiée ; l'importance des interprétations a été largement
reconnue et, dans la formation des psychothérapeutes d'enfants et des
psychiatres d'enfants, le point de vue psychanalytique est plus large-
ment admis.
Toutefois, si l'on examine la position de l'analyse infantile dans
l'ensemble du domaine de la psychanalyse, on voit quelle place restreinte
elle occupe, sous l'angle de la pratique de l'analyse infantile, de la
formation, des discussions et des publications scientifiques. Il n'y a
qu'un très petit nombre de praticiens formés à l'analyse d'adultes qui
poursuivent la formation d'analystes d'enfants, très peu d'instituts de
psychanalyse peuvent offrir une formation systématique en psychana-
lyse infantile, l'Institut britannique étant le seul actuellement, je crois,
à donner une qualification spéciale. Et l'on reconnaît que même cette
formation est inadéquate. Les contributions d'analystes d'enfants aux
discussions scientifiques sont numériquement très faibles — par
exemple, moins de 5 % des rapports aux Congrès internationaux
concernent des cas d'enfants.
Ce manque d'attention à l'égard de l'analyse infantile est d'autant
plus frappant si l'on considère l'intérêt capital que les analystes portent
à la psychologie des enfants en tant que source de compréhension du
développement affectif et l'importance que nous attachons aux aspects
prophylactiques de l'analyse infantile. La place de la psychanalyse dans
les services offerts au public doit dépendre aussi dans une large mesure
de l'aide qu'elle offre aux enfants et de la compréhension qu'elle donne
de leurs problèmes affectifs.
Il doit donc y avoir des difficultés spécifiques qui entravent le dévelop-
pement de l'analyse infantile et ne s'appliquent pas au même degré à
l'analyse d'adultes. Dans ce rapport, je me propose d'examiner cette
question. Pour ce faire, j'envisagerai quelques-unes des différences qui
existent entre analyse d'adultes et analyse d'enfants, du point de vue
de l'étudiant et du point de vue de l'analyste praticien, et j'étudierai
stresses et gratifications en jeu, qu'ils aient leur source à l'intérieur ou à
l'extérieur.
Tout d'abord, considérons quelques formes de stresses externes :
l'étudiant qui s'engage dans l'analyse infantile peut être limité en raison
d'obligations liées à sa formation en analyse d'adultes, à la fois sur le
plan financier et sur le plan des heures dont il dispose et qui peuvent
ne pas convenir aux parents de l'enfant. Une autre difficulté pour
LA PSYCHANALYSE INFANTILE AUJOURD'HUI 141

l'étudiant, c'est que d'ordinaire le parent n'amènera l'enfant cinq


fois par semaine pendant des années que si l'enfant est gravement
malade, et des cas de ce genre ne conviennent pas à l'analyste d'enfants
débutant.
Un analyste qui voudrait se limiter à l'analyse d'enfants trouverait
cela peu satisfaisant du point de vue financier. Certains aspects de
l'analyse infantile, tels que les contacts avec les parents et la mise en
ordre de la salle de jeu peuvent prendre beaucoup de temps. Il s'agit là
de difficultés réelles, mais celles-ci peuvent être utilisées comme ratio-
nalisations pour masquer les problèmes affectifs relatifs à l'étude et à la
pratique de l'analyse infantile.
Cependant, avant d'examiner les pressions affectives, il est important
de rappeler les plaisirs et les gratifications que l'on tire de l'analyse
infantile ; ainsi, c'est une occasion unique d'avoir des contacts intimes
avec les couches primitives de l'inconscient de l'enfant ; on se sent
privilégié de se voir confier l'enfant par ses parents ; on a conscience
d'avoir affaire à un être humain qui a presque toute la vie devant lui
et qui en est encore aux premiers stades du développement de ses
potentialités.
Je vais maintenant examiner les stresses intérieurs en y distinguant
deux catégories : premièrement, ceux qui sont du type des angoisses
pré-établies, relatives au traitement des enfants en tant que tels, et
deuxièmement, les questions spécifiques de contre-transfert. Dans la
première catégorie entrent les angoisses génitales de l'étudiant concer-
nant sa compétence pour communiquer avec des enfants, surtout s'il
a eu peu, ou pas, d'expérience avec les jeunes enfants. Prendre des
responsabilités suscite aussi des angoisses. Celles-ci sont bien plus
grandes avec les enfants qu'avec les adultes en raison de la double
responsabilité — à l'égard de l'enfant ainsi qu'à l'égard des parents — et
aussi parce que moins le Moi du malade a atteint de maturité, plus la
responsabilité qui incombe à l'analyste est grande.
L'étudiant doit voir clairement quelle est sa responsabilité quand
il analyse un enfant, même si c'est en discordance avec ce qu'il sent
que les parents attendent vraiment de lui. Ainsi, par exemple, la respon-
sabilité d'analyser des problèmes tels que l'hostilité de l'enfant et ses
désirs sexuels vis-à-vis des parents. L'étudiant peut en ressentir de
l'angoisse dans sa relation avec les parents. Il y a une autre question,
étroitement liée à la précédente : celle de fixer à l'analyse de façon
indépendante, sur la base de son propre jugement clinique, des objectifs
distincts du but recherché dans la guérison des symptômes pour lesquels
142 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

l'enfant a été amené initialement au traitement. On peut aussi redouter


de s'attacher à l'excès à l'enfant ou de lui porter atteinte. La première
attitude engendrera une plus grand rigueur, un type de comportement
qui entrave le déroulement du transfert positif. L'autre conduira à
rassurer, à nier les sentiments hostiles de l'enfant et son angoisse per-
sécutoire, ou entraînera un comportement du type de celui qui fait
appel à la raison de l'enfant — ce qui laisse penser que l'analyste a été
incapable d'accepter une responsabilité analytique pénible et a assumé
le rôle d'un substitut parental.
Les angoisses de ce type, en rapport avec les aspects pénibles de la
responsabilité, peuvent être circonscrites et souvent même atténuées
avec l'aide d'un contrôleur qui partage la responsabilité. Mais si elles
sont trop sévères, elles peuvent si sérieusement limiter l'efficacité
thérapeutique que le contrôle apportera peu ou pas d'aide, et ce n'est
qu'une analyse plus poussée qui pourra permettre à l'étudiant de sur-
monter les conflits inconscients qui l'inhibent. Des angoisses de cet
ordre sont proches de celles de la seconde catégorie qui concernent les
phénomènes de contre-transfert.
Ainsi que Freud l'a exprimé en 1910 : « Nous avons pris conscience
du contre-transfert, qui surgit en lui (le médecin) par suite de l'influence
du malade sur ses sentiments inconscients... Nous avons remarqué
qu'aucun psychanalyste ne va au delà de ce que lui permettent ses propres
complexes et ses résistances intérieures. » J'ai dit plus haut que les
stresses contre-transférentiels sont plus lourds pour l'analyste d'enfants
que pour l'analyste d'adultes, tout au moins lorsqu'il s'agit d'adultes
non psychotiques. Ceci est dû, à mon avis, à deux facteurs spécifiques :
premièrement, les conflits inconscients qui surgissent par rapport
aux parents de l'enfant ; et deuxièmement, la nature du matériel
qu'apporte l'enfant.
En ce qui concerne le premier facteur, l'analyste d'enfants a constam-
ment le problème de ses identifications inconscientes. Il peut s'iden-
tifier à l'enfant contre les parents ou aux parents contre l'enfant, ou
prendre une attitude parentale protectrice envers l'enfant. Ces conflits
mènent souvent à une attitude persécutoire et de culpabilité vis-à-vis
des parents, ce qui rend l'analyste trop critique à leur égard et trop
dépendant de leur approbation. En outre, l'étudiant éprouve de la
difficulté à comprendre la nature double de la relation de l'enfant avec
ses parents : sa dépendance normale et saine, due à son âge, et les
éléments infantiles de cette relation, attribuables à ses difficultés inté-
rieures. Plus l'étudiant l'admet et l'accepte, plus les secteurs infantiles
LA PSYCHANALYSE INFANTILE AUJOURD' HUI 143

de son jeune malade peuvent entrer dans le transfert, ce qui amène une
amélioration de sa relation avec ses parents, même dans les premiers
mois de l'analyse. L'étudiant peut alors prévoir que les parents risquent
de perdre de vue la maladie de l'enfant et voudront arrêter le traitement.
Il y sera préparé ainsi qu'à l'intensification des difficultés à la maison
au cours de l'interruption de l'analyse pendant les vacances.
Je ne peux pas entrer dans le détail et examiner toutes les vicissitudes
des difficultés de l'analyste dans sa relation avec les parents. C'est là
une partie intégrante de son travail, compliquée et délicate à manier, qui
nécessite de la flexibilité et une confiance considérable dans la psycha-
nalyse infantile en général et dans son propre travail en particulier.
Si toutes ces conditions sont remplies, la relation avec bien des parents
peut devenir une source supplémentaire de gratification.
Le second facteur spécifique à l'analyse infantile concerne l'effort
qu'imposent au système mental de l'analyste aussi bien le contenu du
matériel infantile que son mode d'expression. L'intensité de la dépen-
dance de l'enfant, de son transfert positif et négatif, la nature primitive
de ses fantasmes, tendent à éveiller les propres angoisses inconscientes
de l'analyste. Les projections violentes et concrètes que fait l'enfant
dans l'inconscient de l'analyste peuvent être difficiles à contenir. La
souffrance de l'enfant tend aussi à faire appel aux sentiments parentaux
de l'analyste ; ceux-ci doivent être maîtrisés pour que soit maintenu
le rôle analytique qui convient. Ces problèmes risquent d'obscurcir
la compréhension de l'analyste et d'accroître en retour l'angoisse et la
culpabilité qu'il ressent à propos de son travail.
En outre, le matériel infantile peut être plus difficile à comprendre
que celui de l'adulte, car il est de sources plus primitives et son mode
d'expression exige une connaissance plus profonde des niveaux primitifs
de l'inconscient. Avec les enfants, il arrive que l'on reste longtemps
sans rien comprendre de ce qui se passe, jusqu'au moment où tout à
coup quelque chose surgit des profondeurs qui nous éclaire et l'on
interprète sans être toujours en mesure de voir comment cette conclusion
a été atteinte. Cela impose à l'analyste d'enfants une plus grande
dépendance à l'égard de son propre inconscient qui lui fournit les
indices de la signification du jeu de l'enfant et des communications
non verbales.
Voici deux exemples cliniques qui illustreront ce que je viens d'exposer.
Le premier est un cas que j'ai eu en traitement, le second celui d'un analyste
que je contrôlais. L'extrait cité est tiré de la première séance d'un garçon de
neuf ans, qui m'était adressé pour cause d'énurésie, de timidité et parce qu'il
144 REVUE: FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

était trop accroché à sa mère. Il entra dans le box de traitement avec moi et
resta debout, tortillant son béret et rougissant. Je lui dis qu'il se pouvait
qu'il se sente mal à l'aise parce qu'il ne savait peut-être pas ce que nous allions
faire là. Pas de réponse. Je lui montrai sa boîte à jouets en lui disant que c'était
pour lui pendant les séances. Il ne bougea pas et resta planté là comme s'il
était abasourdi. Je lui dis qu'il avait été informé qu'il viendrait me voir cinq fois
par semaine et que j'essayerai de l'aider à résoudre ses soucis, mais il me sembla
qu'il s'attendait à quelque chose de tout à fait différent qu'il n'était pas capable
de me dire ou qu'il ne savait peut-être pas lui-même. Il resta silencieux et
immobile, mais paru tendu et troublé. Puis il jeta un coup d'oeil vers le papier
sur la table. Je dis qu'il montrait que cela lui serait plus facile de me raconter
quelque chose sur le papier que de parler. Il fit signe que oui, s'assit et dessina
une hutte sur la montagne, un chemin et un arbre. Lorsque je lui demandai
des explications, il me répondit qu'il s'agissait d'un jeune homme qui vivait
seul dans une cabane de bois dans les montagnes. Un cerf lui tenait compagnie.
Une nuit un homme est venu voler le cerf. Lorsque le jeune homme s'est
réveillé le matin, il n'a pas trouvé son cerf. Il est sorti de la cabane et a vu
les traces d'un homme et de son cerf dans la neige. Il a suivi ces traces. Il avait
peur que l'homme le tue, mais il a continué son chemin. Il me raconta cette
histoire de façon morne et solennelle. Je lui dis qu'il y avait un arbre de Noël
dans le dessin et que de la sorte il me disait l'une des choses qu'il attendait
de moi : que je sois comme le Père Noël qui rend tout merveilleux ; il avait
peut-être attendu l'analyse comme il attendait le Père Noël quand il était petit.
Il sourit, son visage s'éclaira et il dit : « C'est drôle que vous disiez ça ! Ce
matin un garçon à l'école m'a demandé si une fée m'accordait la réalisation de
trois voeux, qu'est-ce que je souhaiterais. »
J'interprétai cela en lui disant que nous pouvions maintenant comprendre
pourquoi il ne pouvait pas parler au début de la séance. D'une part, il espérait
trouver en moi une fée capable de remplir tous ses souhaits par magie ; et il
craignait en même temps que je sois une sorcière qui lui jetterait un sort et
l'immobiliserait ; il semblait l'avoir ressenti au début de la séance lorsqu'il ne
pouvait ni bouger ni parler. Dans l'histoire, il y avait deux personnages
masculins : l'un était le Père Noël et l'autre, l'homme qui avait volé son cerf
et aurait pu le tuer. Ainsi, comme avec la fée et la sorcière, il espérait aussi
que je serais un père qui, tel le Père Noël, lui donnerait ce qu'il désirait le
plus — garder son cerf toujours. Mais il avait également peur que je sois
comme l'homme qui le lui volait. Tels étaient ses espoirs et ses craintes avant
de venir, et quand il m'a rencontrée il ne savait pas lequel j'étais, du Père Noël
ou du voleur. Quoiqu'il ait eu très peur, il est venu avec moi dans la salle en
pensant peut-être que s'il faisait ce que je lui demandais, je ne lui ferais pas de
mal, et aussi parce qu'il voulait tellement être aidé à dépister ses soucis et à s'en
guérir.
Il dit : « C'est vrai, je n'ai pas dit au garçon que mon souhait serait de ne
plus faire pipi au lit. Je ne peux rien faire. Je ne peux pas aller camper avec les
Scouts. Je ne peux pas m'en empêcher. » Nous passâmes alors aux autres
significations importantes du cerf.
Ce que l'on peut voir chez ce garçon, comme chez beaucoup d'autres
jeunes malades, c'est avec l'espoir de trouver une solution à ses pro-
blèmes intérieurs, un profond pessimisme : le monde adulte ne le
comprend pas. C'est ce que l'on peut voir clairement quand le garçon
tout ému s'écrie : « C'est drôle que vous disiez ça ! »
LA PSYCHANALYSE INFANTILE AUJOURD'HUI 145

Mon second exemple est tiré de la première séance d'une petite fille de
trois ans. Elle suivit l'analyste dans la salle de jeu avec raideur mais facilement.
Il lui dit que les jouets sur la table et dans le tiroir étaient là pour qu'elle s'amuse
avec. Elle regarda dans le tiroir, sortit un mouton, s'assit et commença à mani-
puler le crayon. L'analyste demanda si c'était une maman, un papa ou un bébé
mouton ; mais cette question ne fit qu'accroître son repli. Elle se mit à se
balancer et à sucer un bonbon qu'elle avait dans la bouche. L'interprétation
que donna l'analyste fut qu'elle se sentait seule et avait peur et qu'elle voudrait
être avec sa maman ; il fit le rapprochement avec ce qu'elle ressentait la nuit et
son désir de se blottir contre maman et de prendre son biberon avec celle-ci.
Elle laissa tomber la tête, joua un peu avec ses doigts en les prenant un à un,
comme pour la contine du « petit cochon ». L'analyste lui dit qu'elle voudrait la
douce poitrine de Maman pour dormir. Elle laissa aller la tête qui heurta
la table. L'analyste y mit un oreiller. Sa tête s'inclina en arrière et il mit le
coussin derrière elle, mais elle l'évita systématiquement. Son interprétation fut
que l'oreiller ne pouvait remplacer là poitrine de Maman, et qu'elle n'était
donc pas à son aise et en voulait à l'analyste. Elle se frotta les yeux, se gratta la
figure et mit les doigts dans le nez. L'analyste lui interpréta sa déception d'avoir
un homme comme analyste et dit qu'elle avait sans doute espéré avoir une
femme, comme son frère qui était aussi en analyse. Il indiqua aussi qu'il était
presque l'heure de s'arrêter. Elle lui rendit le mouton, le regarda et parut être en
assez bon contact avec lui avant de partir. A la séance suivante, le caractère du
contact avec l'analyste était nettement modifié. Elle présenta un matériel
détaillé et riche dans lequel apparaissaient ses angoisses concernant le transfert
fraternel sur lui.

Nous voyons dans la séance de début avec la petite fille comment


ce qui semblait être du matériel peu abondant est devenu plus riche et
plus détaillé à la suite des interprétations, tandis que dans le cas du
garçon plus âgé, le matériel riche de détails mais pauvre d'émotion fut
envahi de sentiments et le contact établi par l'interprétation. Dans l'un
et l'autre cas, les interprétations reposaient à l'origine sur la réponse
intuitive de l'analyste à la situation qui ressortait du processus pré-verbal
projetant de l'inconscient de l'enfant jusque dans celui de l'analyste.
Dans le cas de la petite fille, lorsqu'elle veut dormir et tombe presque,
cela projette dans l'analyste une angoisse considérable ; il craint pour
sa sécurité et traite cette angoisse en fait en lui donnant un véritable
oreiller. Qu'elle évite systématiquement l'oreiller, cela lui donne encore
plus le sentiment qu'il est impuissant à la protéger. Ces deux projections
opérèrent ensemble : « Je ne peux pas aider cette enfant ; en fait, je lui
ferai du mal parce que je n'ai pas le bon coussin. » Ce ne fut qu'à l'in-
terprétation de sa déception d'avoir pour analyste un homme, sans
de vrais seins, qu'elle est entrée en contact avec l'analyste au moment de
partir et a présenté le matériel plus riche de la séance suivante, expri-
mant son angoisse lorsqu'elle répète avec l'analyste la relation sexuelle
qu'elle a avec son frère.
REV. FR. PSYCHANAL.. 10
146 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Dans le cas du garçon, dès le début, il montre sa détresse par son


comportement non verbal. L'angoisse de l'analyste l'amène à donner
des explications sur les modalités du traitement. Dans cette situation
particulière, ces explications revenaient à rassurer et n'établirent donc
pas de contact avec l'enfant. Lorsqu'elle vit son coup d'oeil, l'analyste
l'invita à dessiner. Le dessin et l'histoire furent présentés de façon terne,
sans vie, quoique l'histoire en soit parût vitale et lourde d'angoisse.
L'analyste sentit que l'impuissance qu'il projetait en elle d'une part
au début de la séance et d'autre part, par sa façon morne, dénuée de
vie, de raconter l'histoire, provenait d'un niveau plus primitif que le
matériel oedipien. Elle réagit à l'arbre de Noël en considérant qu'il
représentait un processus bien plus profond, scindant ses objets en
objet idéalement bon et objet effrayant, qui persécute, avec les pouvoirs
magiques pour le bien ou pour le mal qui s'y rattachent. Elle put
entrer en contact avec son monde intérieur primitif de sorcières et de
bonnes fées, et put atteindre de la sorte les affects ainsi isolés d'espoir
d'un bon objet omnipotent.
Dans l'un et l'autre cas, les analystes suivirent lés indices issus des
profondeurs de l'inconscient, indices qu'ils découvrirent en eux apportés
par la projection de la détresse de l'enfant. Les interprétations qu'ils
furent en mesure de faire touchèrent donc aux couches plus profondes.
Dans le cas de la petite fille, il s'agissait de son espoir de trouver un
sein pour dormir et têter ; dans le cas du garçon, l'espoir qu'une bonne
fée omnipotente le protégerait de ses persécuteurs.
A l'aptitude nécessaire pour traiter le type de matériel que l'enfant
produit spontanément et pour supporter ses projections concrètes,
s'ajoute la difficulté de laisser l'enfant ressentir de la peine sans inter-
venir sur un mode non analytique. Supporter la souffrance de l'enfant
pèse davantage qu'avec les adultes, pas seulement en raison du Moi
plus faible de l'enfant mais parce qu'il fait appel aux sentiments
parentaux. C'est pénible lorsque l'enfant est persécuté ou pleure, mais
surtout lorsqu'il essaye d'être sage et de réparer et n'y parvient pas en
raison de ses conflits intérieurs. Une petite fille cassa la plupart des
jouets représentant des personnages après le premier congé interrompant
l'analyse. Après une élaboration de ses sentiments relatifs aux vacances,
elle décida de réparer le personnage maternel dont elle avait cassé la
tête et un bras. Elle réussit avec difficulté à fixer la tête avec de la
plasticine, mais fut plus maladroite pour le bras. Il tombait tout le temps.
Elle en fut très malheureuse mais persévéra pendant un long moment.
Finalement, elle dit en montrant la figurine : « Elle est fatiguée », et
LA PSYCHANALYSE INFANTILE AUJOURD' HUI 147

renonça. Dans une situation de ce genre, l'analyste peut trouver qu'il


est très difficile de résister à la prière muette de l'enfant qui voudrait une
aide directe.
Mes remarques sur les stresses intérieurs de l'analyste d'enfants
peuvent très bien être résumées par une citation tirée dû travail de
Gitelson [2], The emotional position of the analyst in the psycho-analytic
situation (Position affective de l'analyste dans la situation psychanalytique).
Après avoir cité la définition première que Freud donne du transfert,
il poursuit : « Si le transfert doit être une récapitulation vraiment irra-
tionnelle des relations infantiles soumises à l'interprétation psychana-
lytique, rien alors de la réalité actuelle ne doit intervenir pour lui
donner concurremment une autre validité. Tels sont encore les principes
directeurs de la technique psychanalytique classique. » Cette citation
se réfère à l'analyse d'adultes. C'est par ce même principe de la technique
psychanalytique classique que Klein a été guidée dans son travail avec
les enfants. Elle a montré que pour ce faire, le psychanalyste d'enfants
doit fournir un cadre analytique extérieur et en lui-même qui permet
à l'enfant de revivre les relations irrationnelles de son enfance et de
sa petite enfance. Je me suis efforcée de montrer qu'il est plus facile
d'accepter le cadre extérieur que Klein a édifié dans sa technique du
jeu que d'accepter et de tolérer le stress produit par l'adhésion à l'atti-
tude psychanalytique fondamentale dans le travail avec des enfants.
L'étudiant en psychanalyse infantile est donc exposé à de fortes
angoisses. Par conséquent, il est important qu'il suive cette formation
pendant qu'il est lui-même encore en analyse, et, en fait, la résolution
de ces angoisses l'aideront à approfondir son analyse. Je suis d'avis
que l'analyse des enfants convainc davantage l'étudiant de la réalité
de la fantaisie inconsciente que son travail avec les adultes. Voir cela
concrétisé dans le jeu de l'enfant et dans ses communications spontanées,
et voir immédiatement le soulagement ou la modification de la nature
de l'angoisse à la suite d'interprétations immédiates constitue en soi
une source infinie d'émerveillement et de satisfaction pour bien des
analystes d'enfants.
En conclusion, le but de ce rapport est d'attirer l'attention sur la
gravité du manque d'intérêt que l'on note à l'égard de la psychanalyse
infantile. J'ai isolé deux facteurs qui sont cause de la lenteur de ce déve-
loppement : les stresses extérieurs qui dépendent des difficultés finan-
cières et des questions d'horaire, et sont rendus constamment plus
aigus par le manque de formation adéquate, et les multiples stresses
intérieurs qui sont partie intégrante de la nature de l'analyse des enfants.
148 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

J'ai aussi montré les gratifications inhérentes à cette analyse et j'ai


souligné qu'il était important de développer davantage ce travail, à
la fois en fonction de sa valeur pour la compréhension psychanalytique
en général et pour sa contribution aux services offerts au public.

BIBLIOGRAPHIE

[1] FREUD (S.) (1910), The future prospects of psycho-analytic therapy, Standard
Edition, 11.
[2] GITELSON (Maxwell) (1949), The emotional position of the analyst in the
psycho-analytic situation, Int. J. Psycholo-Anal., 33.
[3] KLEIN (Melanie) (1927), Symposium on child analysis, in Contributions
to psycho-analysis, 1921-1945 Londres, Hogarth Press, 1948.
[4] — The psycho-analysis of children Londres, Hogarth Press, 1932.
II

La participation du Moi
dans l'alliance thérapeutique ( 1)

par LISELOTTE FRANKL et ILSE HELLMAN (Londres)

Certains aspects du problème de la participation du Moi dans


l'alliance thérapeutique ont été examinés récemment du point de vue
des malades adultes à un colloque de l'Association psychanalytique
américaine intitulé : Criteria for analyzability (Qui est analysable ?
Les critères du choix) (1960). A cette occasion, Elisabeth Zetzel a parlé
des critères inhérents à la situation analytique : la motivation qui fait
chercher plus que le soulagement des symptômes, la capacité de tolérer
l'angoisse et la frustration, l'aptitude à maintenir une relation stable
et un processus de pensée secondaire. C'est tout ce qui permet au
malade de rester dans la situation analytique malgré les angoisses
vécues dans la névrose de transfert. Pour que l'analyse soit réussie, il
faut que le patient puisse préserver dans la situation analytique quelques
attributs du Moi mature malgré les angoisses engendrées par le processus
analytique. Il faut aussi au malade suffisamment de flexibilité pour
mobiliser des conflits non résolus dans une névrose de transfert régres-
sive. Loewenstein [9] a écrit plusieurs rapports qui apportent une
contribution précieuse à la question de l'alliance thérapeutique.
Il nous a semblé important d'étudier l'alliance thérapeutique chez
les enfants, telle qu'elle se manifeste dans le traitement des enfants de
différents âges. Il est nécessaire de faire un examen plus attentif des
divers aspects du développement du Moi et du rôle de frein ou de
promoteur qu'ils jouent dans nos efforts thérapeutiques. Cela peut

(1)Présenté au XXIIe Congrès international de Psychanalyse, Edimbourg, Juillet-


août 1961. Traduit par Jeannine KALMANOVITCH.
150 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

aussi apporter plus de lumière sur certaines difficultés du traitement


des adultes, qui proviennent d'un arrêt de quelque aspect du déve-
loppement du Moi, de la régression ou de certains défauts du Moi.
Accéder au contenu inconscient et le comprendre, c'est ce qui
constitue, avec les communications qui nous parviennent par le transfert,
le fondement du travail analytique. Le processus thérapeutique repose
sur les communications que nous faisons au malade de ce que nous
avons compris et de ce que nous avons senti de son monde intérieur.
La communication que nous avons choisi de faire s'adresse au premier
chef à son Moi et c'est par l'intermédiaire du Moi que la communication
devient effective. Il est donc essentiel pour les progrès du traitement de
se rendre compte du rôle important que joue le Moi qui transmet à la
personnalité les communications de l'analyste et les y intègre.
L'analyste qui en a conscience considère qu'il lui appartient d'évaluer
avec soin les relations du Moi au monde extérieur aussi bien qu'au
monde intérieur. Le choix des interprétations, y compris ce que Freud
appelle le tact, ainsi que le moment approprié pour les faire et leur
formulation, doivent être des questions que l'analyste se pose constam-
ment. Pour effectuer ce choix, il nous faut évaluer à l'avance la capacité
qu'a l'enfant d'absorber et d'assimiler ce que nous lui communiquons
à un moment donné. Notre façon de faire savoir à l'enfant que nous
restons en contact avec ses sentiments du moment, par exemple son
angoisse ou sa tristesse et le soulagement qu'il en ressent, fraye la voie
à une relation qui lui permet peu à peu de sentir qu'il désire partager
avec son analyste une plus grande partie de sa vie fantasmatique, ainsi
que de son vécu quotidien.
Ce qui aide l'enfant à développer encore davantage cette relation,
c'est l'expérience de l'empathie de l'analyste et le sentiment que celui-ci
comprend que l'enfant a besoin de se défendre. Sur cette base, il est
capable d'affronter les premières expériences d'angoisse et de culpabi-
lité, qui résultent des interprétations de défenses, ainsi que des phases où
la résistance est intense et le transfert négatif. En faisant comprendre
à l'enfant — essentiellement par la verbalisation — que nous sommes
en contact avec ses sentiments, qui changent rapidement, nous aidons
la fonction auto-observatrice du Moi de l'enfant à entrer en action et
nous l'aidons aussi peu à peu à devenir cet allié précieux nécessaire
à la réussite du travail analytique.
L'essentiel n'est pourtant pas seulement d'être en contact avec les
fantasmes et les sentiments de l'enfant et de les traduire en mots. Mais
ce faisant, il ne faut pas oublier que le Moi dispose d'une capacité
PARTICIPATION DU MOI DANS L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE 151

variable pour utiliser les mots et il est nécessaire de rester proche de la


nature du processus de la pensée de l'enfant à mesure que les mots
apparaissent. Dans le travail avec les très jeunes malades, ceux de 2 ans,
2 ans 1/2, il est particulièrement important de réaliser que la pensée
causale ne se développe que lentement. Il n'est donc pas possible
d'utiliser pleinement la formulation d'interprétations compliquées
basées sur la compréhension de la causalité.
Quoique tout analyste se rende compte qu'il est essentiel de connaître
le niveau de développement atteint par le jeune enfant, dans la pratique,
on a tendance à surestimer selon nous les capacités qu'ont les enfants
d'absorber et d'assimiler les interprétations. Les formulations qui leur
seront proposées risquent donc d'être très au-dessus de leur niveau
en raison de l'emploi de concepts et d'abstractions qui ne signifient
rien encore pour eux. Cela ne fait que risquer d'ajouter aux conceptions
erronées et confuses de l'enfant. La différenciation entre l'enfant qui
n'a pas encore atteint le stade où il est à même de trouver la relation
causale spécifique et celui dont cette capacité est bloquée dépend de
notre connaissance intime des détails du développement de cette
fonction du Moi.
Ce point de vue, qui repose sur les facteurs du développement,
n'est pas non plus pris en considération quand l'analyste entre en
contact avec le jeune patient en le mettant directement en présence
des contenus du Ça étrangers au Moi. Cette façon de faire présente de
sérieux dangers : une confrontation immédiate qui dépasse largement
l'organisation défensive du Moi peut amener des réactions analogues
à la panique et faire de l'analyste un magicien. Les fantasmes initiaux
de l'enfant sur les qualités d'omnipotence et de magie de l'analyste
sont ainsi confirmés. De la sorte, l'analyste contrarie plutôt qu'il ne
facilite le développement de l'aptitude de l'enfant à sentir que, à côté
de ses fantasmes projetés, il existe une personne qui a pour but de
l'aider à faire la distinction entre fantasme et réalité au-dedans et au-
dehors de lui-même.
Il y a une autre raison essentielle de rester en contact avec le Moi
du malade : une confrontation directe avec les exigences instinctuelles
inconscientes, plutôt qu'avec leurs dérivés qui sont plus proches de la
conscience peut avoir un effet immédiat de séduction. C'est surtout
avec le très jeune malade qui nous offre un accès relativement facile à
son inconscient que la tentation est grande. Si on l'aborde directement,
l'enfant est aisément précipité dans des. crises d'angoisse qui le font
fuir les interprétations menaçantes, ou bien il est poussé à des mesures
152 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

défensives plus intenses que celles qui étaient édifiées en lui avant
d'entrer en traitement.
La tendance du développement à la période de latence est d'esquiver
l'intensité des désirs oedipiens et préoedipiens antérieurs, et les conflits
qui en découlent ; c'est en renforçant les mesures défensives du Moi
qu'on y parvient. Le travail analytique peut donc être ressenti comme
une menace pour l'équilibre qui est en train de s'établir. Toutefois,
une autre tendance importante pendant la période de latence vise à
établir plus fermement le lien avec la réalité extérieure. C'est pour cette
raison que l'enfant peut accepter l'analyste comme représentant de la
réalité et comme allié sur la voie d'une meilleure différenciation entre
la réalité et le fantasme, entre les sentiments contradictoires, les forces
qui s'opposent et son monde intérieur et extérieur. Comme Elisabeth
Geleerd [5] l'a clairement montré, l'analyste a toujours pour rôle, entre
autres, d'être le représentant de la réalité. Ce rôle est indispensable
au succès du travail analytique, même s'il est temporairement submergé
au cours de certaines phases du traitement. L'enfant à l'âge de latence
éprouve de plus en plus le besoin de faire la différence entre le fantasme
et la réalité et c'est pourquoi il souhaite utiliser aussi l'analyste pour
l'aider à y parvenir. Cela contribue à l'édification de ce lien qui le
soutiendra à travers les phases pénibles du traitement.
Les problèmes spécifiques que présentent les enfants dans la période
de latence au cours du traitement analytique ont été longuement
examinés par Bertha Bornstein [2]. Dans son article sur Latency (La
période de latence) comme dans sa contribution au symposium sur
Technique related to development (La technique en rapport avec le déve-
loppement) [3], elle a attiré l'attention sur les obstacles au traitement qui
proviennent des tendances inhérentes au développement au cours de
cette phase. Nous en avons trouvé confirmation dans ceux de nos cas
d'âge scolaire chez lesquels les caractères du développement appropriés
à l'âge étaient déjà présents dès le début. Par contre, chez les enfants
dont le développement avait été arrêté et qui n'atteignaient un stade
approprié à leur âge qu'à la suite du travail analytique, il est intéressant
de noter que ces résistances typiques au traitement se sont rencontrées
seulement lorsque l'analyse était avancée. Bien que les enfants à l'âge
de latence amènent au traitement certaines caractéristiques qui leur
permettent de former une alliance thérapeutique, il y a aussi des cas
où des enfants de ce groupe d'âge ne montrent pas le désir d'entrer
en contact avec l'analyste. C'est de ces cas que nous apprendrons
comment, en approchant pas à pas, soigneusement, par la voie de
PARTICIPATION DU MOI DANS L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE 153

l'affect et de l'interprétation des défenses, on peut épanouir la capacité


à établir une relation, à communiquer et finalement à prendre une
part active au travail, analytique.
Si on rencontre un patient de ce groupe d'âge qui ne se montre pas
désireux d'établir un contact, de communiquer quoi que ce soit le
concernant et certainement pas d'être aidé, on peut choisir diverses
façons de faire. Le but initial est commun à tous : réduire l'angoisse
suffisamment pour permettre à l'enfant d'entrer dans une relation et
d'utiliser l'analyste à des fins thérapeutiques. Par une observation
attentive du comportement et de communications non verbales, par
la connaissance de détails de circonstances présentes ou passées et avec
l'aide constante d'au moins un parent, il est possible de parvenir à
établir une relation thérapeutique purement sur la base d'un travail
interprétatif même chez des enfants qui à l'origine avaient une violente
hostilité à notre égard.
Dans le cas d'une fille de 10 ans, amenée contre sa volonté, il fut possible
de suivre en détails les étapes qui ont abouti à une « alliance thérapeutique »
et à un résultat favorable jusque dans la vie adulte.
A la suite d'une séparation prolongée d'avec sa mère à dix-huit mois,
la personnalité d'Angela s'était trouvée très changée après le retour de sa mère.
Le plaisir intense qu'elle ressentait quand elle faisait mal à sa mère s'était vite
étendu aux animaux qu'elle tourmentait et plus tard à son petit frère qui était
né lorsqu'elle avait six ans. Elle paraissait forcée de faire des attaques sadiques
brusques, et sa surexcitation et son plaisir lorsqu'elle infligeait une douleur se
montraient librement. L'absence de culpabilité manifeste et de désir de réparer
ce qu'elle avait fait étaient cause que les adultes qui l'entouraient trouvaient
extrêmement difficile d'avoir une attitude de sympathie à son égard. Ses
parents avaient tous deux de violentes colères, plus particulièrement son père.
Le mariage avait suscité des querelles incessantes dont l'enfant était témoin.
Plus tard, son sadisme s'était tourné sur son petit frère, mais c'est bien avant
qu'elle avait commencé à prendre plaisir à tourmenter des animaux et la
naissance du frère n'y changea rien. A l'âge de dix ans, sa cruauté semblait
parfois atteindre des proportions dangereuses ; des animaux et de petits
enfants n'avaient échappé plusieurs fois à de sérieux dangers que grâce à
l'intervention inopinée d'un adulte. Son hostilité ouverte à l'égard de son père
et une grave inhibition d'apprentissage qui retardait le développement scolaire
malgré un Q.I. de 167 avaient convaincu la mère de la nécessité d'un traitement
analytique, tandis que son père n'y croyait guère.
Angela traita l'analyste comme un ennemi dangereux de la minute où elle
la vit et concentra sur elle toute sa haine et son agression. Elle refusa d'entrer
dans la pièce, de retirer son chapeau et son manteau, et elle ne parla pas. Elle
surveilla de l'oeil chaque mouvement de l'analyste avec une expression tendue
et dans un état analogue à la panique, prête à s'échapper ou à attaquer. Elle fit
tantôt l'un tantôt l'autre, s'enfuyant après les premières minutes ou parfois
s'approchant de l'analyste et l'attaquant brusquement en lui marchant sur
le pied ou la pinçant par derrière. Ses premières paroles furent des gros mots
en réponse aux premières communications de l'analyste. Ces communications
154 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

visaient à réduire les attaques hostiles en montrant à Angela l'aspect défensif


d'où provenait leur intensité. Constamment, l'analyste interpréta son compor-
tement comme issu de son identification à un agresseur fantasmatique et
amena ainsi les premières communications verbales. Angela y révéla le contenu
de ses propres fantasmes et activités sadiques, qu'elle avait immédiatement
projetés sur l'analyste inconnu. Peu après, elle révéla sa crainte des violents
éclats de son père. Les premières interprétations qui lui avaient fait voir la
nature fantasmatique des attaques qu'elle s'attendait à subir de la part de
l'analyste l'amenèrent à reconnaître les deux sources principales de son attitude
envers l'analyste en tant que dangereux ennemi : la projection de ses propres
désirs sadiques et les précurseurs du transfert dans lequel la situation de danger
faisait immédiatement de l'analyste le père dangereux.
La phase d'attaques corporelles directes et d'insultes verbales fut suivie
d'une phase dans le traitement où elle était tentée de mettre l'analyste de force
sous son contrôle, lui indiquant chaque geste qu'elle avait à faire, chaque mot
qu'elle devait dire, la menaçant sévèrement si elle manifestait le moindre
signe de volonté ou de puissance personnelle. Tout mouvement ou toute
parole inattendue amenait une réaction analogue à un shock, comme si elle
s'attendait à être malmenée. De la sorte, elle faisait vivre à l'analyste ses propres
frayeurs et évitait en même temps l'angoisse qui surgissait de la projection de
sa propre impulsion à faire du mal. L'analyste continua à traiter sans cesse les
mesures défensives, s'en tenant seulement aux domaines où l'affect était le
plus immédiat. Elle évita d'entrer dans le contenu des fantasmes terrifiants et
de leur signification inconsciente profonde. En conséquence, les projections
qui avaient empêché tout d'abord Angela de voir ou de sentir, à côté de ses
fantasmes, la réalité de l'analyste et ses intentions réelles, dirninuèrent peu à
peu. Angela en vint à comprendre son besoin de renverser les rôles et de
contrôler chacun des mouvements de l'analyste. Ainsi s'ouvrit à elle graduelle-
ment la voie où elle pouvait mettre à l'épreuve l'analyste en tant qu'objet réel
de confiance, qui reste indemne et inchangé malgré les aspects multiples
transférés sur lui.
Un cas extrême comme celui-ci est instructif de bien des points
de vue. En ce qui concerne notre tentative pour distinguer l'alliance
thérapeutique des phénomènes de transfert, nous pouvons voir là que,
dans la grande majorité des cas, nous ne ressentons pas le transfert
négatif comme un obstacle qui conduit le traitement à un arrêt prolongé,
parce qu'un élément du Moi reste en contact avec la réalité de l'analyste
et avec son rôle réel. Cette perte de contact avec la réalité ou l'incapacité
d'absorber et de réagir à des caractères réels et bons des objets extérieurs
est habituellement caractéristique des malades psychotiques. Dans
certains cas, chez des enfants et surtout des adolescents, il apparaît
que l'angoisse concernant la personne et le rôle de l'analyste est consi-
dérablement renforcée de façon temporaire parce que coïncident une
projection intense, un objet réel dans la famille qui fait peur et dont les
caractères sont transférés sur l'analyste et le stade de développement de
la relation objectale qui fait de l'adulte un intrus à écarter.
Dans le cas d'Angela, comme chez les autres qui résistent obstiné-
PARTICIPATION DU MOI DANS L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE 155
156 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Simultanément, au cours de cette première partie du traitement,


le lent processus, avec ses interprétations données à des moments soi-
gneusement choisis, avait peu à peu rendu l'enfant libre de sentir et de
maintenir la relation avec l'aspect réel de l'analyste dans sa fonction
thérapeutique, à côté des sentiments intenses dus aux aspects changeants
ressentis dans le transfert.
Chez Angela, la phase de méfiance totale où elle s'attendait à l'hos-
tilité de son analyste fut relativement brève. Dans ses réactions positives
aux interprétations sur la nature défensive de ses craintes, son expérience
fondamentale d'un maternage satisfaisant dans la toute première partie
de sa vie a joué un rôle important. Au cours de l'analyse, il devint
évident que malgré la séparation traumatique dans sa seconde année
et malgré la haine de la mère qui en découlait, l'image de la mère — per-
sonne aimante et gratifiante, qui était capable de savoir ce qu'elle sentait
et d'apporter du bien-être — était solidement établie en elle, et pouvait
donc jouer son rôle dans le traitement. On en vit l'expression dans
l'apparition des sentiments de transfert positif qui dérivaient de sa
relation avec sa mère, et en même temps dans le fait qu'elle était capable
de croire que l'analyste désirait l'aider et pouvait le faire. De la sorte,
elle put participer activement à son traitement.
Dans les cas où l'expérience d'un bon maternage a été sérieusement
compromise dès le début, par exemple s'il y avait des éléments psy-
chotiques chez la mère, on ne peut parvenir à une alliance thérapeutique
avec l'analyste qu'après une phase de travail bien plus étendue. Ce n'est
qu'après un travail prolongé que l'enfant est à même de distinguer ses
propres sentiments d'amour et de haine et de réagir aux qualités réelles
positives et négatives qu'il rencontre chez autrui. Au cours de cette
phase, les aspects projectifs de méfiance doivent être analysés, mais
même lorsqu'on est parvenu à les réduire largement, il faut que l'enfant
mette et remette à l'épreuve la réalité de l'analyste pour voir s'il est
digne de confiance, parce que d'un bout à l'autre de sa vie passée et
dans son expérience actuelle avec sa mère, les impulsions et les actions
réelles de celle-ci tendent à confirmer les fantasmes qu'il a. Prenons
par exemple le cas d'un garçon dont la mère avait des impulsions des-
tructrices et séductrices qui la rendaient peu capable de prendre soin
de lui convenablement, spécialement tout au début ; son attitude à
l'égard de l'analyste fut longtemps caractérisée par ce qu'il ne s'attendait
absolument à rien de bon de sa part.
Il est bien connu que l'analyste affronte des problèmes divers
lorsqu'il tente d'établir et de maintenir une alliance thérapeutique avec
PARTICIPATION DU MOI DANS L' ALLIANCE THERAPEUTIQUE 157

les malades à la puberté et dans l'adolescence. On peut comprendre


ces problèmes en fonction des changements dus au développement au
cours de ces phases. Que ces changements au sein de la structure de la
personnalité coïncident avec l'intensification des exigences instinctuelles
du Ça et qu'il y ait simultanément une lutte pour se libérer du lien aux
objets d'amour infantile, cela crée une situation où bien des éléments
contenus dans le processus analytique et surtout le lien à l'analyste
sont ressentis comme une menace.
On rencontre au début des problèmes spécifiques issus des facteurs
du développement chez les malades qui ont atteint la phase où l'une
des multiples formes de la révolte de l'adolescence s'est fixée. Parmi
les malades de ce groupe d'âge qui sont envoyés en traitement, on en
voit beaucoup qui viennent pour la raison justement que leur dévelop-
pement a été arrêté. Le travail analytique vise ici à libérer le mouvement
en avant et ce n'est qu'après y être parvenu que nous ressentons les
obstacles typiques à une participation active dans le traitement avec
les répercussions dans le transfert du besoin qu'éprouve l'adolescent
de relâcher le lien objectai.

RÉSUMÉ

Alors qu'on a beaucoup réfléchi aux problèmes de l'interprétation


dans le traitement des adultes, on n'a pas encore étudié ces problèmes
et toutes leurs implications dans le cas des enfants. Un aspect important
est celui des changements dans le Moi de l'enfant qui se développe
— partie de la personnalité à laquelle s'adressent les interprétations.
Au cours du développement, il est clair que les questions relatives par
exemple à la capacité croissante de tolérer la frustration ou de maîtriser
l'angoisse doivent affecter le choix, les formulations et le moment des
interprétations. Il ne faut pas oublier que dans bien des cas qui se
présentent au traitement les différents aspects du Moi ne sont pas
au niveau correspondant à l'âge de l'enfant. Il faut y rester attentif
afin de trouver les conditions les meilleures pour transmettre les inter-
prétations aux jeunes malades et qu'ils les assimilent à leur personnalité.

BIBLIOGRAPHIE

[1] BORNSTEIN (B.) (1949), The analysis of a phobie child. Some problems of
theory and technique in child analysis, Psychoanal. Study Child, 3-4:
[2] — (1951), On latency. Psychoanal. Study Child., 6.
[3] BORNSTEIN (B.), FALSTEIN (E.) et RANK (B.) (1951), Panel : Child analysis.
158 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Réunion de l'Association psychanalytique américaine. Compte rendu


in Bull. Amer. Psychoanal. Assoc, 7.
[4] FREUD (A.) (1958), Adolescence, Psychoanal. Study Child, 13.
[5] GELEERD (E.) (1957), Some aspects of psychoanalytic technique in ado-
lescence. Psychoanal. Study Child, 12.
[6] KLEIN (M.) 1927, Contribution to « Symposium on child analysis »,
Int. J. Psycho-Anal., 8.
[7] — (1927), The psychological principles of infant analysis, Int. J. Psycho-
Anal., 8.
[8] KNAPP (P. H.) et al. (1960), Suitability for psychoanalysis. A review of one
hundred supervised analytic cases, Psychoanal. Quart., 29.
[9] LOEWENSTEIN (R. M.) (1954), Some remarks on defences, autonomous ego
and psycho-analytic technique, Int. J. Psycho-Anal., 35.
[10] RANK (B.) (1942), Where child analysis stands to-day, Amer. Imago, 3.
CONTRIBUTIONS A LA DISCUSSION (1)

Intervention de ELISABETH GELEERD (New York)

Je tiens à féliciter Mrs. Bick et les Drs Frankl et Hellman de leurs


intéressants exposés qui ouvrent bien des voies à la discussion. Mrs. Bick
nous rappelle que ce symposium est le premier sur l'analyse des enfants
qui ait lieu à un Congrès de l'Association psychanalytique internationale.
Il me semble difficile de considérer que cela dénote que l'analyse des
enfants vient juste de se constituer. Les deux rapports présentés à ce
symposium sont extrêmement condensés. Plus d'un paragraphe pourrait
faire l'objet d'un article en soi. On ne peut produire un matériel aussi
riche, une connaissance et des formulations rhétoriques que si un corps
de connaissances est bien constitué. Laissez-moi vous rappeler qu'il
existe une littérature solide de grande envergure en psychanalyse
infantile. Les observations de Mrs. Bick sur les difficultés que rencontre
l'analyste d'enfants sont bien prises. Elle mentionne les facteurs de
réalité, tels que le temps, l'argent et la fatigue, ainsi que les problèmes
de contre-transfert à l'égard de l'enfant et en outre, à l'égard de ses
parents, ce qui exigé des compétences plus nombreuses et autres que
celles que demande le travail avec les adultes.
Les Drs Frankl et Hellman se réfèrent à l'alliance thérapeutique
avec le Moi autonome, telle qu'elle est décrite par Loewenstein. En
psychanalyse infantile, l'alliance thérapeutique s'établit à mesure que
l'analyse se déroule. Toutefois, il nous faut aussi la coopération des
parents, une alliance thérapeutique avec leur Moi sain à eux, si je peux
le formuler ainsi. Nous avons besoin des parents pour amener l'enfant
lorsqu'il est en résistance. Nous avons égalementbesoin d'eux pour nous
informer des choses actuelles et pour combler les failles et corriger les
déformations du souvenir dans l'anamnèse du développement telle
qu'elle est donnée au début à l'analyste. Il faut pour ce faire, tout au
long du traitement, sans agir comme un thérapeute — ou un conseiller

(1) Présenté au XXIIe Congrès de l'Associationpsychanalytiqueinternationale,Edimbourg,


juillet-août 1961. Traduit par Jeannine KALMANOVITCH.
160 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

omnipotent — à l'égard de la famille, un tact particulier pour ne pas


compromettre l'analyse de l'enfant. L'évaluation concernant le parent
fait partie du travail diagnostique lorsqu'on recommande qu'un enfant
soit analysé, et il faut une compétence spéciale pour développer cette
espèce d'alliance thérapeutique particulière avec le parent.
J'ai été heureuse de voir que Frankl et Hellman étaient du même
avis que moi : comme dans l'analyse des adultes, l'analyste des enfants
doit toujours représenter la réalité, à part de ses nombreuses autres
fonctions, pour soutenir et favoriser la maturation de la fonction de
mise à l'épreuve de la réalité chez le patient. Le développement du sens
de la réalité permet de passer progressivement d'une image d'un parent
omnipotent, omniscient au début du développement du Moi à une
évaluation du parent ou de l'adulte en tant qu'être humain avec tous
ses points faibles. Ainsi dans l'analyse infantile encore plus que dans
l'analyse d'adultes, l'analyste doit se garder d'apporter un appui même
indirect à ces fantasmes du patient. Frankl et Hellman ont fort bien
décrit comment elles s'efforcent d'être en contact avec les sentiments
de l'enfant, et cela fraye la voie au développement de la conscience de
soi et de la verbalisation. Cette façon de faire établit l'alliance théra-
peutique avec le Moi de l'enfant.
Compte tenu de la mesure du développement du Moi de l'enfant,
ce qui demande une modification de la technique, la méthode de l'ana-
lyse infantile est la même que celle de l'analyse d'un adulte. Le but du
traitement est l'analyse des défenses en partant de la surface, l'analyse
du transfert et, après une préparation suffisante du Moi, l'interpréta-
tion des souvenirs et des fantasmes inconscients refoulés. Il est toujours
vrai de dire avec Freud : « Là où était le Ça sera le Moi », si on le considère
comme un enrichissement du Moi dû au retour du refoulé et une
neutralisation de l'énergie du Ça, accompagné d'une plus grande
souplesse du Moi qui découle de la réduction de la culpabilité et de
l'angoisse. Dans l'analyse infantile, nous désirons aussi parvenir à
la compréhension des sentiments et des relations affectives au moyen de
la verbalisation, ce qui conduit le patient à mieux se. rendre compte
de ses réactions. La clarification à laquelle on parvient ainsi prépare
le Moi à l'interprétation des défenses, du transfert et des fantasmes du
Moi. Cependant, le choix de ce qu'il faut interpréter en premier dépend
de ce que le Moi du patient peut accepter, exactement comme dans
l'analyse des adultes.
Frankl et Hellman nous rappellent aussi que dans l'analyse infantile
l'analyse des défenses n'est pas toute naturelle, ce qu'elle est dans l'ana-
CONTRIBUTIONS A LA DISCUSSION 161

lyse des névrosés adultes, et que dans la période de latence l'édification


des défenses fait partie du développement normal du Moi. Savoir
quand et comment analyser une défense devient un problème essentiel
de tact analytique. Cela ne veut pas dire, d'après ces auteurs, que
pendant cette période il faut donner des interprétations du Ça en évitant
le Moi. L'observation qu'elles citent est un excellent exemple des
problèmes que présente un cas de la période de latence. Mais, à mon
avis, un cas comme celui-là, qu'il s'agisse d'un adulte ou d'un enfant,
demande plus encore — le choix le plus minutieux possible de ce que
nous avons l'intention d'analyser afin d'établir une alliance thérapeu-
tique. En fait, les cas d'adultes comme celui-ci tirent avantage des
compétences acquises en travaillant avec des enfants et des adolescents.
Les défenses de leur malade paraissaient si évidentes que certains
analystes auraient pu facilement être entraînés à interpréter au hasard
la projection, le déni, l'identification, ou ce que d'aucuns auraient appelé
l'introjection. Il y a en effet des malades qui réagissent à toute interpré-
tation comme à une attaque — une raclée verbale. L'interprétation
précoce des défenses contre le fantasme d'être battu, et celle du contenu
de ce fantasme est intolérable aux malades de ce type.
Les auteurs ont fait ressortir la nécessité d'évaluer soigneusement
le moment de l'intervention de l'interprétation et sa formulation. En
fait, dans ce cas précis, il s'agissait de voir la petite partie du Moi libre
de conflit qu'il y avait de disponible. Dans des cas de ce genre, la formu-
lation est aussi importante que le choix de l'interprétation.
Pour montrer le travail de présentation et de clarification et l'acquisition
progressive d'insight, je décrirai maintenant le début d'une psychanalyse
infantile. Lorsque je vis en consultation une fille de 7 ans, elle rencontra par
accident un autre de mes patients, un garçon plus âgé — situation qui est
parfois inévitable. Elle me posa immédiatement des questions à son sujet,
auxquelles je m'efforçai de répondre par des généralités, mais elle demanda
aussi ce qu'il faisait là, et fournit elle-même la réponse : « Fait-il des dessins ? »
et elle se mit à dessiner. Elle ne fut pas satisfaite du résultat. Lorsque le traite-
ment commença, il fut important pour elle que je dessine avec elle. Elle copiait
tout ce que je faisais. Ses dessins n'étaient jamais assez bons. Et bientôt elle
révéla qu'elle n'était jamais satisfaite de ce qu'elle faisait. Tout le monde était
meilleur qu'elle : sa mère, son frère, son cousin (son père était mort quelques
années auparavant). Les seules personnes qui ne l'étaient pas, ou qui étaient
pire qu'elle, étaient deux filles à l'école, plus jeunes qu'elle. Le thème qui
suivit dans l'analyse, mêlé au précédent, fut pendant des mois : « Qui est plus
jeune ? Qui est plus vieux ? » Le rêve de sa vie était d'être l'aînée de jumeaux
et d'être un garçon. Cette préoccupation revenait sans cesse, de sorte qu'elle
commença à s'en apercevoir. Nous en riions ensemble. La petite fille de ses
dessins devait toujours être plus âgée et plus intelligente et plus forte que le
garçon. Nous étions parvenus à une verbalisation, dans ses propres termes et
REV. FR. PSYCHANAL. 11
162 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

dans son propre concept, de ses sentiments intenses de détresse et de tristesse


relatifs à ses imperfections, réelles en raison de son sexe et de son âge et fantas-
matiques à propos de son défaut de pénis.
La petite fille qui rencontre le petit garçon et veut faire ce qu'il fait était
le reflet de sa compétition avec son frère, compétition qui existait avant l'ana-
lyse. Dans la première partie de l'analyse, elle emmenait la plupart de ses dessins
chez elle. Elle essayait ainsi de faire prendre part à l'analyse sa mère à laquelle
elle était excessivement attachée. D'ailleurs, cette enfant qui avait un problème
d'apprentissage ne pouvait apprendre que ce que sa mère lui enseignait. Quand
nous en parlions, elle n'y voyait rien d'étrange. Si je suggérai que ce pourrait
être un problème parce que sa mère n'était pas toujours là, elle dit : « Eh bien,
alors je viens vous voir ! » Elle exprimait ainsi que j'étais devenue un substitut
maternel. Cet aspect du transfert était devenu une vérité vivante pour elle.
Elle répéta bientôt dans le transfert sa compétition avec son frère pour l'amour
de la mère et que le garçon qu'elle avait rencontré en venant à la séance était
devenu le substitut de son frère. Quand cela lui fut interprété, elle acquiesça
d'un signe de tête.

J'ai décrit dans ses grandes lignes ce début d'une psychanalyse


infantile pour le comparer au compte rendu des cas présentés par
Mrs. Bick. En écoutant le premier cas rapporté par celle-ci, j'ai remarqué
qu'elle a essayé de verbaliser la réticence du garçon. Mais d'après la
façon dont elle le rapporte, il n'est pas clair si c'est le garçon qui a
décrit l'arbre qu'il a dessiné comme arbre de Noël ou si c'est l'idée
de Mrs. Bick. Son explication de l'ambivalence à l'égard de ce qu'il
attend du traitement m'a paru convaincante, parce qu'en général
lorsqu'un enfant énurétique arrive à l'analyse, c'est parce que tout le
reste a échoué. J'aurais aussi interprété au garçon son silence et sa
timidité. Mais lorsque Mrs. Bick présente cela au garçon en fonction
de Père Noël, ou d'une bonne fée et d'une mauvaise sorcière, je suppose
qu'il s'agit d'une introduction et d'une préparation à l'interprétation
des tout premiers fantasmes archaïques de la bonne et de la mauvaise
mère. Cependant, cela n'était pas dans le matériel tel qu'il a été présenté
et n'appartenait donc pas à l'inventaire des pensées préconscientes du
garçon à ce moment-là. L'étudiant de Mrs. Bick dans son analyse de
la petite fille de trois ans lui interpréta immédiatement son désir de se
blottir contre sa mère comme un désir du biberon et puis comme le
désir de « la douce poitrine de maman ». Quoique nous puissions
supposer qu'à trois ans le désir du sein de la mère pourrait être pré-
conscient dans certaines situations, nous avons beaucoup de témoi-
gnages cliniques prouvant que le désir du sein de la petite enfance
a subi bien des changements en raison des vicissitudes de l'interaction
de l'oralité et du processus de sevrage. Ainsi, le désir primitif du Ça
a depuis longtemps été refoulé. Ses dérivés dans le préconscient dus
CONTRIBUTIONS A LA DISCUSSION 163

aux processus secondaires et la maturation concomitante du Moi


doivent donc être soigneusement retrouvés et explorés en analyse ;
de la sorte, par clarification et par une interprétation progressive, on
peut lever le refoulement par l'analyse des défenses et des réactions
de transfert, et familiariser ainsi le Moi avec des fantasmes cannibales.
On voit souvent un enfant plus âgé observant un nourrisson qui tête
le sein ou prend le biberon désirer être nourri de la même façon. Ce désir
conscient mis en lumière par une situation de rivalité peut exister en
même temps que le désir primitif du Ça qui avait depuis longtemps été
refoulé, et pourtant ne pas s'y rattacher. Je crois que quelque chose
d'analogue s'est passé lorsque l'élève de Mrs. Bick a interprété que sa
petite malade voulait dormir sur la poitrine de sa mère. Si sa mère avait
l'habitude de parler à sa petite fille de cette façon, celle-ci a peut-être
compris ce que l'analyste disait. Autrement, je me demande si tout ce
qui lui est parvenu de cette interprétation était les mots « dormir »
ou « se blottir » ou « biberon ». L'allusion au biberon pouvait être aussi
un sujet délicat, par exemple s'il y avait un problème pour abandonner
le biberon. Peut-être que le frère l'avait taquinée à ce sujet à un moment
donné.
Frankl et Hellman ont insisté sur la nécessité d'adapter nos inter-
prétations à la formation du concept de l'enfant. L'exemple présenté
par Mrs. Bick est un cas intéressant à ce sujet. En fait, la façon dont le
matériel analytique a été manié me fait voir deux courants : l'un est
une voie d'approche où je me sens en territoire familier. Il s'agit du
moment où le garçon confesse que son symptôme le rend malheureux,
qu'il est honteux, isolé des autres garçons parce qu'il ne peut pas
camper. (Je crois qu'il l'a aussi montré dans son fantasme de l'homme
sur la montagne qui avait un cerf comme seul compagnon et l'a perdu.)
La dernière interprétation à la petite fille (qu'elle voulait une analyste
femme comme son frère) semblait aussi être bien prise. Il ne faut pas
oublier que cette petite fille de trois ans est entrée dans le cabinet de
l'analyste un crayon à la main. Je crois qu'elle indiquait déjà qu'elle
était en compétition avec son frère. Je voudrais me référer ici à une
considération théorique de Winnicott. Dans ses Collected Papers, il
dit qu'il y a deux séries de fantasmes qui agissent depuis la petite
enfance. Nous sommes familiarisés avec l'une des séries : le dévelop-
pement progressif des traces mnésiques des réponses motrices et
sensorielles. Puis vient la différenciation entre le Ça et le Moi ; entre
le soi et l'objet — le monde extérieur qui acquiert une nouvelle signi-
fication lorsque le petit enfant apprend à marcher. Les vicissitudes des
164 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

interactions entre le Ça, le Moi et le monde extérieur, et le développe-


ment du Surmoi représentent l'expansion progressive du monde intérieur
de l'enfant. Néanmoins, selon Winnicott, des fantasmes hautement
structurés mais archaïques, issus de la toute première enfance, agissent
en même temps dans l'esprit de l'enfant. S'il en est ainsi, je peux
comprendre la façon de faire que décrit Mrs. Bick. Elle et son élève ont
fait des interprétations profondes et d'une grande portée qui sont
censées atteindre directement ces fantasmes archaïques, quoiqu'ils
n'apparaissent pas dans le préconscient.
Le second type d'interprétation est celui que j'ai mentionné à
propos de la jalousie à l'égard du frère chez la petite fille, ou du garçon
qui verbalise qu'il souffre de son énurésie ; il s'agit de fantasmes relatifs
au conflit et aux réactions qui s'en suivent, dont les dérivés sont acces-
sibles à l'interprétation, en partant de la surface. Pourtant, lorsque j'ai
lu Narrative of a child analysis par Mrs. Klein, j'ai remarqué qu'elle
interprétait la scène primitive dès la première séance, et à la suivante
elle y ajoutait les désirs de mort que ressentait le petit malade à l'égard
de son père, la jalousie du frère, le complexe d'OEdipe et plusieurs
autres fantasmes. Dans certaines interprétations, il s'agissait de pensées
auxquelles le Moi a accès ; ce n'était certainement pas le cas pour la
scène primitive et l'hostilité à l'égard du père. Ainsi nous ne pouvons
pas dire que dans la méthode kleinienne toutes les interprétations
profondes du début ne visent qu'à atteindre les fantasmes archaïques
primitifs. Cette façon d'employer un mélange d'interprétations pro-
fondes et de surface, traitant de fantasmes ou de désirs à divers niveaux
du développement, me rappelle un peu ce que Freud écrivait de ses
premiers procédés techniques. En 1913, Freud suggérait que l'analyste,
lorsqu'il estimait pouvoir reconstruire un événement passé ou un
fantasme, le dise au malade dès qu'un transfert utile était établi. Ceci
ne pouvait certes jamais être réalisé dans les premières séances. Il
pensait toutefois que, même si la reconstruction n'était que partiellement
correcte et que la résistance ne permettait pas réellement à cette connais-
sance d'entrer en contact avec l'inconscient refoulé, cela pénétrerait
pourtant. Freud avait le sentiment que ces constructions créaient des
résistances qui pourraient ensuite être analysées. Cependant, il souligna
à plusieurs reprises que l'interprétation avant qu'une névrose de
transfert soit formée troublait le malade et lui était même préjudiciable.
Cette technique fut exposée et bien démontrée et discutée dans L'homme
aux rats. A la suite de ses conclusions cliniques sur ce sujet, Freud
écrivit l'article sur L'inconscient. Il y décrit très clairement que ce qui
CONTRIBUTIONS A LA DISCUSSION 165

est refoulé dans l'inconscient ne peut être atteint que par la levée du
refoulement par l'analyse de la résistance. A l'heure actuelle, en raison
d'une meilleure compréhension du Moi et des mécanismes de défense,
nous n'utilisons plus de constructions de cette façon. Il me semble
que la technique décrite par Mrs. Bick dans son cas et celle de l'étudiant
emploient encore les moyens primitifs de Freud, quoique leurs inter-
prétations aient été données avant que ne soit établi un transfert utile.
Toutefois, ils supposent, semble-t-il, qu'un malade arrive en traitement
avec une névrose de transfert tout à fait constituée. Les données cliniques
et les présentations de cas d'aujourd'hui ne semblent pas avoir résolu
ces différences d'opinion entre analyse classique et analyse kleinienne.
Lorsqu'un groupe de personnes soutient qu'il voit quelque chose qui
n'est pas perceptible à un autre groupe d'investigateurs également
compétents, il faudra trouver la solution de ce dilemne par une inves-
tigation ininterrompue et par la comparaison des méthodes.
J'exprime l'espoir que ce symposium sera l'introduction à de
nombreuses autres rencontres ayant pour thème la psychanalyse infan-
tile dans le cadre des Congrès de l'Association psychanalytique inter-
nationale. Il y a dans ce domaine bien des sujets à élucider. L'échange
des idées sur notre travail nous amène toujours à de nouveaux secteurs
dignes d'intérêt.

Réponse de ESTHER BICK


Je voudrais tout d'abord discuter ce que Geleerd nous a dit. En
ce qui concerne la question qu'elle a soulevée, à savoir si la psychanalyse
infantile est bien établie ou non, je me suis concentrée sur l'insuffisance
de la formation rattachée à des instituts de psychanalyse et le petit
nombre de contributions à The InternationalJournal.
Je suis d'accord avec le Dr Geleerd sur l'importance de la relation
avec les parents, sur la nécessité d'évaluer la coopération des parents
dans les entretiens que nous avons avec eux, de se faire une idée de ce que
sera notre relation avec eux, de la façon dont ils soutiendront le trai-
tement.
J'abonde moins dans son sens lorsqu'elle considère que l'analyste
est le représentant de la réalité pour l'enfant. L'analyste de l'enfant,
j'en conviens, doit constamment aider celui-ci à faire la distinction
entre fantasme et réalité. Je dois souligner, toutefois, que la fonction
fondamentale de l'analyste est d'examnier la réalité psychique de
l'enfant sans agir dans un sens ou dans l'autre. La question est de
166 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

savoir comment l'analyste doit présenter la réalité. Il serait inutile que


l'analyste qui s'occupe, par exemple, d'une phobie dise à l'enfant que
l'objet phobique n'est pas dangereux en réalité. Il faut qu'il aide l'enfant
à découvrir le persécuteur dans la réalité psychique et qu'il lui montre
ensuite son origine et ses Mens dynamiques, y compris ceux qui le
relient à la réalité extérieure surtout dans le transfert. Telle est la méthode
fondamentale de la psychanalyse : différencier et clarifier de sorte que
le jugement de l'enfant puisse fonctionner, et non pas se substituer à
son jugement ; fortifier plutôt que rassurer.
Lé Dr Geleerd a suggéré que dans l'exemple du garçon à l'arbre
de Noël, on ne trouvait pas dans le matériel ses désirs d'une fée bien-
faisante et aussi sa crainte de la sorcière. Le dessin représentait de toute
évidence un arbre de Noël. Je me suis fiée à mon intuition de la situation
et j'ai fait une tentative d'interprétation, comptant sur le matériel qui
suivrait pour la confirmer ou la réfuter. Je crois que le garçon a donné
une confirmation évidente et notable lorsqu'il dit : « C'est drôle que
vous disiez ça » et se mit à raconter que le garçon à l'école lui a demandé
ce qu'il souhaiterait si une fée lui accordait trois souhaits. C'est à partir
de cette confirmation et ce matériel complémentaire sur les fantasmes
des fées que j'ai interprété ce que le Dr Geleerd appelle « les fantasmes
archaïques ». J'ajouterai, cependant, que j'ai interprété plus profon-
dément que ce que le Dr Geleerd indique, je crois, en parlant de « l'in-
ventaire des parties préconscientes » du garçon.
J'aborderai ensuite la question des interprétations à différents
niveaux que le Dr Geleerd a soulevée à propos du livre de Klein, Narrative
of a child analysis. Klein a toujours souligné que le principal critère de
l'interprétation du matériel de l'enfant est l'angoisse immédiate et la
plus pressante dans la situation quel que soit le niveau d'où elle pro-
vienne, qu'il soit profond ou plus superficiel. Le choix du moment
qui est un concept centré sur l'aptitude de l'enfant à accepter consciem-
ment une interprétation particulière, n'aurait pas sa place dans le
travail d'un analyste qui serait convaincu qu'interpréter les angoisses
apporte un soulagement plutôt que ce n'est ressenti comme une menace.
Je ne peux reprendre tous les autres points mais je pense que
beaucoup se groupent autour de la question du transfert. C'est pourquoi
j'ai trouvé si excellente la citation de Gitelson que rien dans la réalité
actuelle, c'est-à-dire celle du comportement de l'analyste, ne doit
intervenir pour lui donner une validité concurrente. Que se passe-t-il
lorsque nous agissons avec l'enfant, prenons le rôle du substitut parental,
lorsque nous enseignons, réassurons ou interdisons, au lieu d'inter-
CONTRIBUTIONS A LA DISCUSSION 167

préter les angoisses inconscientes et leur origine ? Il est certain que nous
rendons réelle à l'enfant sa projection sur nous des images intérieures,
idéales et persécutoires, avec toute l'omnipotence qu'implique l'objet
archaïque, c'est-à-dire que nous lui donnons une validité concurrente.
Dans une brève réponse, j'aimerais reprendre les points suivants
qui ressortent de la discussion : les problèmes du choix de l'interpré-
tation, le moment propice à l'interprétation et le transfert en analyse
infantile ; en fait, tout le contenu de notre article. Il est évident que je
ne peux m'y étendre à fond ici.
Je dirais seulement que le concept du moment propice qui s'est
perdu dans toute la technique de Klein est un problème qui exige d'être
pensé et discuté soigneusement. Il est curieux de constater que nous ne
nous sommes jamais centrés là-dessus. Si le choix du moment propice
est considéré comme quelque chose de négatif et si on le décrit comme
« cacher des interprétations », ce qui signifie que l'analyste ne devrait
pas avoir ou parvenir à un insight qu'il ne communique pas immédiate-
ment; je crois que cela ouvre la voie à un très grand désaccord, un
désaccord fondamental dans le travail analytique. Des idées de cet
ordre ne tiennent aucun compte de l'aspect structural de la personnalité,
de tout le concept d'inconscient, de préconscient et de la capacité du
Moi à assimiler et à aborder le contenu refoulé. Toute la signification
du choix du moment, au sens où nous l'avons avancé, se rattache au
fait que les conflits intrapsychiques profonds et les fantasmesinconscients
connexes sont inacceptables pour le Moi. Nous effectuons le travail
d'interpréter en allant de la surface vers la profondeur. La nécessité de
travailler sur les défenses jusqu'à ce que le contenu défendu devienne
acceptable et conscient est un processus lent. Je n'ai pas trouvé ce
processus dans l'analyse kleinienne avec laquelle je pense être familia-
risée, et j'ai consacré beaucoup de temps à comprendre sa technique.
J'ai le sentiment qu'il est très nécessaire d'étudier ce problème et ses
implications dynamiques et de ne pas dire simplement « choisir le
moment, c'est cacher des interprétations, donc c'est une mauvaise
analyse ». Il est vraiment nécessaire que nous sachions ce que nous
voulons dire lorsque nous parlons des concepts de l'inconscient et du
préconscient, de ce qui peut être assimilé, et ce que nous entendons
réellement par interpréter des défenses, atteindre graduellement les
profondeurs au lieu d'aller droit vers les profondeurs et de remettre à
plus tard, ou peut-être à jamais, l'analyse des dérivés.
L'autre point que je désire soulever concerne le concept du transfert
en analyse infantile. Je crois qu'il y a beaucoup d'éléments sur ce sujet
168 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

et je dirais que nous en sommes arrivés aujourd'hui à un point très bien


défini en fait. Bien sûr, l'enfant arrive avec quelque chose qu'il transfère
sur l'analyste, de même qu'il transfère quelque chose sur la jardinière
d'enfants ou le facteur ou toute autre personne. Mais l'essentiel réside
dans la différence entre un tel transfert immédiat et la névrose de
transfert. La distinction faite par nous est entre ce que nous appelons
parfois les précurseurs du transfert, c'est-à-dire ce que l'enfant apporte
immédiatement, et la névrose de transfert qui se développe peu à peu
dans la relation et aboutit à ce que ses fantasmes et ses sentiments du
vécu quotidien se centrent sur la personne de l'analyste. Je crois que
c'est important pour nous et que cela nous gagnerait beaucoup de temps
de distinguer cette facilité de transfert que tout enfant apporte dans le
cabinet de consultations au moment où il y pénètre, de la névrose de
transfert au cours du processus analytique. La différence entre l'analyste
et la jardinière d'enfants, c'est que l'analyste comprend, utilise et
interprète. Je crois qu'à des fins de communication il est nécessaire de
faire la différence entre ces deux concepts.
Une reclassification
des états psychopathologiques
par W. CLIFFORD M. SCOTT (Montréal)

Le modèle actuel d'état anormal métapsychologique que nous avons


progressivement établi a remplacé les anciens modèles plus simples
de la formation des symptômes en tant que réaction à un traumatisme.
Nos plus récents modèles devraient nous permettre à la fois : a) Une
classification, mieux appropriée, des aspects normaux et anormaux
d'un sujet quel que soit son âge ; et b) Une classification plus adéquate
de nos malades au point de vue des discussions avec des collègues,
dans d'autres sciences.
Nous observons des faits d'ordre constitutionnel plus nombreux
que ceux dont nous discutons souvent. Notre classification, notre
description de ces faits devraient améliorer nos relations avec les
généticiens. Il faudrait soumettre les aspects héréditaires à une modifi-
cation de la plupart sinon de toutes les descriptions actuelles relatives
aux mécanismes psychiques, mais cela ne devrait pas nous empêcher
d'observer les limites de la variabilité.
Nos observations de la décharge locale, de la libido et de la mortido
primaires et de leurs dérivés, ainsi que celles relatives à la désintrincation
ou au manque de désintrication, devraient être classées et décrites de
façon à favoriser nos relations avec les éthologues, les anatomistes et
les physiologistes.
Nous tenons le Moi pour un dispositif en développement grâce
auquel le Ça prend contact avec le monde, ce qui nous oblige à étudier
sa maturation et son évolution à tous les stades. Nous observons les
fonctions multiples du Moi à la fois au point de vue du développement
de l'affect, à celui de la série des différenciations cognitives et à celui
de tous les mécanismes psychiques décrits jusqu'à ce jour. Ces faits
exigent un reclassement et une description propres à favoriser nos
rapports avec les psychologues.
170 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

L'occasion nous a été donnée de confirmer ou de mettre en doute la


marche du développement cognitif exposée par Piaget et Werner et,
en même temps, d'observer dans quelle mesure toute séquence peut
être altérée soit par inhibition d'un certain aspect de l'évolution, soit
par stimulation précoce d'un autre aspect. Notre classification, notre
description des stades plus tardifs du développement favoriseraient nos
relations avec les psychiatres et les criminalistes.
Nous ne cessons d'observer les conséquences persistantes des
traumatismes ou des mutilations, de l'introjection, de l'identification,
comme aussi les effets d'une tension remémorée, immédiate ou anticipée.
Nous devons le faire en n'oubliant jamais l'action réciproque qui se
produit entre notre état de conscience et celui du malade, en nous
rappelant toujours que la voie royale menant vers l'inconscient passe
par le conscient. Pensons aussi sans cesse qu'il nous est difficile d'évaluer
dans quelle mesure tout ce que le patient nous rend conscient lui est
aussi ou non à lui-même conscient. Ne manquons jamais de nous
rappeler que le fait de devenir conscient ou de rester inconscient
constitue un problème majeur dans les hypothèses que nous ne cessons
jamais d'utiliser comme bases de la description et de la classification.
Nous remarquons, à tous les âges, des heurts avec le milieu et parvenons
à classer et à décrire des contraintes et des aménagements de courte
ou de longue durée, d'une façon qui devrait faciliter nos relations avec
les sociologues, les anthropologues culturels et les théoriciens de la
communication.
On a souvent reproché à la métapsychologie de ne fournir aucune
base à la compréhension de ce qui est normal comme de ce qui est
anormal.
Avec les progrès de la métapsychologie, les analystes se sont toujours
plus clairement rendu compte que durant le traitement psychanalytique,
en cours d'observation, la psychopathologie cède la place à la normalité
et qu'ils sont en train de créer un modèle toujours plus utile à eux-mêmes
et toujours plus utile et plus stimulant pour beaucoup d'autres savants
qui travaillent sur le contenu du conscient, sur ce qui peut devenir
conscient et sur des faits qui se rattachent à l'un et à l'autre.
Ainsi que l'a souligné Rangell, c'est en décrivant la nature du
refoulement, du traumatisme et de l'angoisse que les auteurs ont
établi leurs toutes premières descriptions et distinctions, mais dès
qu'un tableau plus large représentant l'évolution à partir des stades
prégénitaux jusqu'à la génitalité, a pu être brossé, les points de
fixation, la progression inadéquate ou morbide à partir de ces points
UNE RECLASSIFICATION DES ETATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 171

et la régression vers, ces derniers ont toujours été mentionnés..


Plus tard, toute description du travail analytique a comporté une
description de la névrose de transfert, d'abord en tant que névrose
apparaissant dans la situation analytique comme une réplique de ce
qui avait existé avant l'analyse, ensuite comme une nouvelle situation
transférentielle — répétition d'une névrose infantile présente à l'époque
de la première difficulté ; troisièmement, comme une situation transfé-
rentielle à affect névrotique devenue consciente à mesure que l'analyse
a progressé, même lorsque ce type de réaction n'a jamais existé dans
la vie quotidienne du malade, antérieurement à l'analyse.
La description de ces faits de transfert dont le changement est
rapide au cours de l'analyse constitue, à mon avis, la réplique des
difficultés auxquelles ont à faire face les analystes et les psychiatres
d'enfants lorsqu'ils décrivent, d'une part, les réactions présentes de
l'enfant, qu'elles soient névrotiques ou psychotiques ou, d'autre part,
les divergences au cours de son évolution qui sont éphémères et ins-
tables et qui, de ce fait, ne sont pas considérées comme morbides. On
dit couramment que ce problème ne se pose que dans l'enfance, mais
une symptomatologie éphémère névrotique, psychosomatique ou
gravement psychotique, pose le même problème. Quand il s'agit de
l'enfant, nous essayons de devenir plus précis en ce qui concerne
l'intensité et la nature des réactions qui peuvent ne durer que quelques
minutes, quelques heures ou quelques jours. Avec les adultes, nous
tentons d'être précis touchant les réactions brèves qui ne persistent
que quelques heures, quelques jours ou quelques semaines.
Quand on a vu plus clairement que, par la répétition, tous les
aspects affectifs et cognitifs de l'évolution peuvent réapparaître dans
l'analyse sous une forme normale ou anormale, les détails des stades
de l'évolution psychosexuelle, leur relation avec l'immense variété des
symptômes de conversion, des troubles psychosomatiques ou des
fonctions physiologiques sont devenus, eux aussi, plus clairs. Rangell
a observé que Fenichel avait décrit des variétés de tics, allant de troubles
moteurs hystériques, extrêmement proches de mouvements impulsifs
normaux, jusqu'à des mouvements catatoniques des plus graves pouvant
se ranger à la limite d'une motilité désorganisée.
Rangell a fait remarquer que les psychotiques sont capables aussi
de réaliser de grandes choses, que la désorganisation peut s'accompagner
d'organisation et de création. En pareils cas, on a l'occasion de constater
le rapport étroit existant entre certaines catégories d'états anormaux
et certaines catégories d'activité créatrice normale. Citons par exemple
172 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Nijinsky dont la rupture avec la réalité se produisit à une époque où il


aspira non seulement à mieux danser mais à symboliser sa danse par
une nouvelle et utile notation de la danse. La maladie de Van Gogh le
frappa à une époque où augmentaient sa productivité artistique et son
don de création.
Nous observons à partir de dates dont la précocité est controversée
des relations objectales et les identifications possibles qui résultent
de celles-ci. Nous voyons les débuts des fonctions affectives du Moi,
grâce auxquelles des variétés de l'affect vont être déchargées, faisant
contraste avec les fonctions du Moi qui sont relativement libres,
autonomes et le demeurent ou ne le demeurent pas. Nous assistons
au développement d'une série de mécanismes dont chacun, sauf peut-être
celui du retrait ou de la décharge la plus explosive — épileptique — sert
à la fois au développement de l'état anormal et de la normalité, même
si cette dernière ne constitue que la capacité de régresser au service
du Moi.
Quand nous commençons à retracer les aspects quantitatifs de ce
qui est normal et anormal, et que nous remontons à leurs débuts,
nous sommes amenés non seulement aux virtualités dystoniques mais
aussi aux virtualités syntoniques au Moi et il convient de les décrire
en termes qui conviendront aux psychologues désireux d'essayer
de mesurer de grandes quantités. Quand nous commençons à parler de
quantités, nous nous heurtons à la citation que Rangell a tirée de
Stone — à savoir que la quantité doit se rapporter non seulement au
degré de quelque facteur, mais à l'équilibre quantitatif de ce qui est
anormal et de ce qui est normal. Quand nous décrivons les aspects
quantitatifs du fondement inconscient libidinal ou agressif d'un
symptôme, il nous faut également penser à l'importance aussi des
racines inconscientes libidinales et agressives des décharges syntoniques
au Moi de la même énergie ou aux possibilités inhibées inconscientes
du Moi d'utiliser cette énergie à créer. De telles opinions diffèrent
de celles suivant lesquelles notre tâche consiste à offrir des identifi-
cations permettant une décharge normale ou à éduquer nos patients
plutôt que de rester toujours sur le qui-vive à propos de l'équilibre
délicat qui se réalise entre les utilisations dystoniques et syntoniques
de l'énergie, cela à une époque de l'évolution où l'énergie se dirige vers
la formation d'un symptôme. Dans le traitement des sujets schizophrènes
ou gravements atteints, l'on reste surpris de la répétition de ce que l'on
peut appeler une situation infantile en couteau de balance où se trouvent
à la fois des possibilités de développement favorable ou défavorable,
UNE RECLASSIFICATION DES ÉTATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 173

à des moments où une légère modification d'équilibre entraînerait


une grande différence. Au début, Freud a donné une description nouvelle
de ses relations avec certains patients. Lorsque Freud décrivit pour la
première fois un cas nouveau (l'histoire d'une existence à un moment
donné, les problèmes de ce moment et les perspectives pour l'avenir),
ce ne fut pas seulement une nouveauté, mais l'auteur raconta cette
histoire de façon que l'identité de la malade restât secrète et tout en
désappointant l'auditeur, il lui apprit beaucoup de choses. Bien que
Freud cherchât parfois à comprendre et à contrôler les faits qu'il
observait chez quelqu'un en utilisant des moyens neurophysiologiques
ou biochimiques, ses élèves considèrent ceux-ci de plus loin que leurs
confrères neurophysiologues ou biologistes. La plupart d'entre nous,
intéressés comme nous le sommes par les effets spécifiques de produits
chimiques récemment découverts, hésitent à penser que les faits méta-
psychologiques soient comparables aux avitaminoses.
Bien que les idées de Freud aient abouti à une compréhension
nouvelle de la synthèse, de l'organisation et de l'intégration, il a pu
écrire : « J'ai bien rarement senti le besoin d'une synthèse. L'unité
de ce monde me semble être quelque chose qui va de soi, quelque chose
qu'il n'est point besoin de souligner. Ce qui m'intéresse, c'est la division
et le morcellement de ce qui autrement devrait s'unir en une pâte
primaire. » Freud a parlé, d'une part, de séparation, d'autre part, de
morcellement. La valeur d'un classement tient d'abord au fait de
séparer telle chose d'une autre, ensuite de mesurer ce qui est plus grand
et ce qui est moindre. Un grand nombre des difficultés auxquelles
nous nous heurtons en décrivant, classant, diagnostiquant, dénom-
mant, etc., peuvent être des tentatives tendant à venir à bout des
manifestations de ce que Freud a appelé division et morcellement.
Nous désirons classifier les morceaux de cette pâte primitive mor-
celée. Rangell dit qu'en agissant ainsi nous devons rester logiques et
parcimonieux et établir un compromis quelconque entre le fait de nous
résigner, d'une part, à une écrasante confusion et, d'autre part, espérer
qu'une machine en marche, alimentée par un grand nombre de données,
pourra fournir une classification assez simple pour être utile. Stengel
a dit que nous devrions classifier d'abord pour décrire le travail expé-
rimental, ensuite pour permettre l'établissement du traitement et,
troisièmement, pour rendre possible une étude épidémiologique.
Les faits que nous observons sont multiples, nous devons les intégrer
assez rapidement pour que ceux d'entre eux qui ont été intégrés
demeurent utiles depuis la première séance jusqu'à la dernière. La toute
174 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

première information, toute minime, sera répétée, complétée, modifiée


durant les observations suivantes. Nos renseignements finaux auront
atteint le maximum, mais en les obtenant, la réaction qu'ils ont suscitée
chez le patient a été maintes et maintes fois observée. En agissant ainsi,
nous nous heurtons au problème de l' « indétermination », ainsi appelé
par les physiciens (Heisenberg). Moins nous interprétons, moins nous
découvrons jusqu'à quel point l'état du patient est modifiable, mais plus
nous apprenons de choses sur cet état. D'autre part, plus notre inter-
prétation est opportune et précise, plus nous-mêmes et nos patients
découvrons de faits nouveaux et moins nous en savons à propos de son
état. Plus nous observons l'évolution du malade, à la lumière des occa-
sions qui se présentent, dans la direction d'une décharge instinctuelle
normale, mieux nous voyons l'identité émerger dans un monde chan-
geant, plus nous devenons capables d'évaluer l'équilibre entre l'iden-
tification finale du patient avec nous, en tant qu'analystes, concernant
son aptitude à devenir son propre analyste d'une part, et, d'autre part,
sa faculté de distinguer et de différencier sa propre identité de la nôtre
et moins nous obtenons de renseignements sur la « maladie ».
Nous savons et devons accepter le fait que Indétermination est
toujours présente :
Premièrement, en ce que nous ne pouvons connaître aucun état de
façon plus détaillée sans sacrifier la connaissance de ce qui arrivera
si nous interprétons ; et
Deuxièmement, en ce que nous ne pouvons en savoir davantage
sur le chemin que va suivre le malade ni sur l'usage qu'il va faire de nos
interprétations sans sacrifier une partie de nos connaissances sur
son état.
Parmi les physiciens, l'acceptation de l'incertitude a sans doute eu
quelque rapport avec une libération de leur imagination créatrice.
Pauling a récemment dit, lors d'une discussion sur l'imagination
créatrice, qu'il fallait peut-être distinguer entre la pensée du biologiste
qui se demandait ce qu'on devait forcément conclure d'après les résultats
obtenus et celle du physicien qui, dans des circonstances semblables,
se demandait quelles idées, aussi générales et esthétiques que possibles,
pourraient n'être pas éliminées par les résultats. Le succès dans le
domaine des sciences physiques lui a fait penser que les sciences sociales
pourraient bénéficier de cette méthode.
Je pense que parfois dans nos écrits nous tendons à oublier certaines
hypothèses aussi fondamentales que celle suivant laquelle le Moi est
primairement un Moi corporel et que ses aspects les plus anciens se
UNE RECLASSIFICATION DES ÉTATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 175

rapportent à la formation d'une démarcation entre le Ça toujours


inconscient et ce quelque chose qui se trouve autant au-delà de la per-
ception des objets que le Ça se trouve au-dessous de la représentation
d'un désir. Cette démarcation se situe bientôt entre deux voies, l'une
extérieure vers le monde — l'alter ego — et l'autre, intérieure, vers tout
ce qui est limité par sa surface.
Si j'ai dit tout cela c'est pour vous rappeler que la résultante que
nous observons à tout moment a été considérée comme découlant d'un
parallélogramme de forces. Une métaphore mécanique aussi simple
rend mal compte de la complexité de ce que nous observons. Ne vau-
drait-il pas mieux penser à la complexité d'une résultante momen-
tanée provenant d'un polygone de forces ? Comme me l'a dit un
jour un malade : « Décrire et classer la résultante est peut-être aussi
difficile que d'essayer de dire combien d'anges et combien de démons
peuvent danser à la pointe d'une aiguille, parce que ce qui se produit
à chaque instant est dû à celui qui repousse les autres de cette pointe-là
à l'instant de l'observation .»
Discrimination, curiosité, synthèse, etc., telles sont quelques-unes
des dénominations que nous donnons aux sublimations qui nous aident
à comprendre l'intérêt de la classification. Elle représente pour nous
l'épreuve de la réalité de nos fonctions du Moi analytico-scientifiques.
Je suggérerai que l'analyse de telles sublimations nous amène aujour-
d'hui aussi profondément que nous pouvons parvenir. Grâce à cette
analyse nous pouvons tenter de saisir le fondement des paradoxes
logiques qui ne sont pas eux-mêmes sans avoir quelques rapports avec
nos difficultés quand nous désirons utilement classifier. Nous pourrions
ici aborder la théorie des nombres et la définition du nombre, mais
une telle discussion, quelle que puisse être sa pertinence quant à la
compréhension plus poussée du problème envisagé, devrait être réservée
à des groupes restreints.

Pour passer d'une question d'ordre général à une question plus


particulière, je parlerai maintenant de l'opinion d'autres auteurs.
L'intérêt que portait Kraepelin à « l'entité maladie » s'appuyait sur
la description et une observation prolongée. L'attitude métapsycho-
logique de Freud, l'attitude psychobiologique d'Adolf Meyer expri-
maient l'unicité de l'individu, comme celle récente de Karl Menninger,
mais, en même temps, elles ne s'opposaient pas à leurs classifications
qui ne diffèrent pas beaucoup de celle de Kraepelin.
176 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

En 1940, Fenichel propose l'adoption de douze catégories qui


s'excluent et d'une catégorie de « combinaisons », mais il omet les
catégories de défectuosité, de délire, de troubles dus à la dégénérescence
et de criminalité.
Meyer, en élaborant, en vue du diagnostic, ce qu'il appelle le pro-
blème de la maladie, déclare que, le plus succinctement possible, nous
devrions résumer de façon adéquate l'histoire des aspects constitu-
tionnels, somatogéniques, neurogéniques, évolutifs, psychogéniques,
sociogéniques de la réaction et leur rapport avec l'état actuel du malade.
Un semblable exposé, s'il est formulé en termes métapsychologiques,
peut devenir ce que Rangell redoutait. Il dit que nous n'avons nul
besoin et que nous ne devons pas tenter de faire une analyse méta-
psychologique en établissant une catégorie diagnostique. Ce que nous
discutons peut-être réellement, c'est la question de savoir si rien vaut
moins la peine d'être entrepris que l'analyse métapsychologique utile
la plus courte.
Cette année Kety à partir de Johns Hopkins a critiqué l'imprécision
de telles vues qui peuvent aboutir au résultat suivant : « le diagnostic
est sous-évalué et une maladie mentale est considérée moins comme
une « affection » ou même comme un « trouble » que comme « un mode
de vie » ou comme « une adaptation individuelle à une situation unique ».
Bien que les termes de Freud (par exemple celui de paraphrénie)
et ceux de Meyer (par exemple celui de parergasia) aient presque été
oubliés, les catégories de types de réactions dues à Meyer et se rappor-
tant aux anomalies de l'adulte sont peut-être plus utilisées en Amérique
du Nord que toutes les autres (1). Néanmoins quand Kanner tenta de

(1) Les cinq types généraux de réactions totales et plusieurs types de réactions partielles
peuvent, suivant Meyer, se résumer de la façon suivante :
1) Variétés de réactions normales (Energasias) ;
2) Variétés de réactions anormales (Pathergasias) :
a) Variétés de réactions qui englobent la personnalité totale (Holer gasias) ;
a) Les réactions les plus désorganisatrices nées d'une habitude ou d'une désorganisation
du sujet-objet (Parer gasias) ;
(3) Réactions émanées d'humeurs désordonnées et maintenues par elles (Thymergasias) ;
y) Réactions dues à une maturation et à une évolution défectueuses — réactions consti-
tutionnelles statiques (Oliger gasias) ;
S) Réactions de détérioration (Anergasias) ;
e) Réactions de désorganisation temporaire, affect instable, troubles de la perception y
compris la désorientation (Dysergasias) ;
b) Variétés de réactions englobant une partie de la personnalité (Merer gasias) :
oc) Nervosité générale ; (3) Neurasthénie ; y) Hypocondrie ; S) États anxieux ; s) Réac-
tions substitutives de dissociation dysmnésique ; Ç) États compulsifs de tension avec
rumination obsessionnelle; 6) Névroses motrices.
Meyer laisse ranger les anomalies sexuelles avec l'une ou l'autre des réactions partielles et
ne tente pas de classer les crimes.
UNE RECLASSIFICATION DES ETATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 177

se servir du classement de Meyer en psychiatrie infantile, le plan échoua


lorsqu'il divisa les difficultés se manifestant clairement en tant que
dysfonctions totales de l'individu en cinquante sous-catégories. La
désorganisation du Moi, du Soi, de l'identité, etc., ou des troubles nés
d'un affect dystonique et entretenus par lui constituent l'éssence de
« la fonction totalement perturbée », en opposition avec « la fonction
partiellementperturbée », et pour beaucoup se rapportent à la distinction
entre psychose et névrose et à celle entre perte et maintien du contact
avec la réalité.
Récemment Karl Menninger a résumé sa manière de voir en disant
qu'en psychiatrie le classement réel doit considérer soit l'individu
malade soit tout le genre humain perturbé — il n'existe pas d'entités
dans les troubles mentaux naturels. Toutefois, il reconnaît l'existence
d'une hiérarchie des réactions à partir d'une légère nervosité, en passant
par des phénomènes névrotiques jusqu'aux décharges épisodiques et
explosives puis aux syndromes de désorganisation grave et persistante,
en insistant pour chacune sur l'effet du traitement, et sur celui du
milieu qui détermine l'équilibre de l'organisation, de la désorganisation
et de la réorganisation.
Menninger pense en fonction de l'homéostasie (Cannon) et des
états persistants des systèmes ouverts (von Bertalanffy) (1). La pression
des nécessités instinctuelles, des besoins somatiques, des menaces, des
manques et des occasions dont le milieu est responsable, de la culture
et de la conscience, tout cela pèse sur le Moi pour produire tel ou tel
mode ou degré et telle ou telle rapidité de désorganisation. Menninger
souligne la fonction synthétisante du Moi à tous les stades de l'évolution
en la mesurant à la santé, au bonheur, au bien-être, au succès, aux
réalisations, à la productivité ou à l'augmentation du développement, ou
aux diverses sortes de misère, d'échec, de crimes ou de délires. Les
relations réciproques de ces dix-neuf types de faits, que l'on pourrait
souvent définir d'un point de vue quantitatif, mènent à ce qui se peut
décrire, ou ce qui est conscient.
On doit à Glover d'importantes observations relatives au diagnostic.
Il dit que « puisque l'interprétation psychanalytique ne peut être direc-
tement contrôlée... la négligence d'un contrôle statistique des rensei-
gnements d'observation ne saurait se justifier ». Il souligne la diversité

(1)Bien des gens penseront que nous devons inventer et définir nos propres termes — ana-
logues mais non similaires, par exemple l'homéostasie et les états persistants des systèmes
ouverts.
REV. FR. PSYCHANAL. 12
178 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

des aspects constitutionnels que nous observons et met en relief la


différence entre les caractéristiques rigides et souples ; il en conclut
que nous ne pouvons parler de modèles synthétisés de caractère qu'à
partir de la puberté. Pourtant il pense que l'analyste ou le psychiatre
d'enfants doivent porter plus d'attention aux troubles du caractère
qu'aux symptômes (1). Glover considère qu'une hiérarchie des méca-
nismes devrait être reconnue et qu'il existe une série régression, projec-
tion, introjection, identification, refoulement, formation réactionnelle et
sublimation que beaucoup voudraient compléter. Néanmoins, sans se
préoccuper de savoir si cette hiérarchie serait généralement admise,
la hiérarchie de l'évolution normale est une basé à partir de laquelle
une évolution anormale peut être définie.
En 1960, Eysenck, psychologue fécond mais beaucoup et fort
justement critiqué, a souligné que tout principe de classification des
anomalies doit admettre des catégories de normalité, dont chacune
aurait besoin d'être décrite avec autant de précision que les autres.
Deuxièmement, il ajoute qu'en psychiatrie (et j'ajouterai en psycha-
nalyse) la tradition médicale a entravé et entrave encore l'utilisation
des faits recueillis par les psychologues. Il cite les plaintes des psychiatres
eux-mêmes et le fait du peu de confiance que peut inspirer l'utilisation
actuelle de tous les systèmes de classification par des psychiatres
expérimentés [1].
Selon lui l'explication par conjonction et l'explication par relation
causale se complètent et ne se contredisent pas. L'analyse de l'inter-
dépendance (conjonction) et celle de la dépendance (relation causale)
sont toutes deux utiles.
Eysenck cherche une confirmationen citant Jaspers [7] qui recomman-
dait de bannir l'idée de maladie du domaine des anomalies mentales
fonctionnelles et qui proposa l'adoption de trois catégories de réactions
psycho-pathologiques : a) Celles qui sont associées à des troubles
du système nerveux ou d'autres systèmes somatiques ; b) Les troubles
graves (psychoses fonctionnelles) qui ne se manifestent pas par des
troubles somatiques importants ; c) Le groupe des troubles formant
« les indésirables spécimens de l'humanité ».
Distinction établie par Marzoff qui introduisit l'étude du compor-
tement individuel et général dans les différentes catégories de per-
sonnalités.

(1) Bien des gens considéreront que la somme d'attention prêtée aux aspects caractériels
de tous les troubles dont souffrent les adultes est souvent insuffisante.
UNE RECLASSIFICATION DES ETATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 179

Pour Eysenck l'analyse de l'une et l'autre de ces distinctions doit


aboutir à des concepts de continuité remplaçant ceux de discontinuité ;
les méthodes de mesure prenant la place des catégories discontinues.
Ces opinions ont abouti à un système « dimensionnel » dans lequel le
syndrome est considéré fondamentalement comme une notion statis-
tique établie sur une co-variation.
Les analystes qui plaident en faveur de l'emploi des statistiques
seront tout disposés à adopter de telles méthodes, sans se préoccuper
de savoir jusqu'à quel point les résultats de ces sortes d'analyses publiés
jusqu'à présent peuvent être critiqués. Eysenck conclut qu'une inté-
gration des lois de la psychologie générale (j'ajouterai de la métapsy-
chologie) et l'analyse des différences individuelles apparaissent totale-
ment indispensables si les facteurs statistiques doivent former une partie
de la psychologie moderne. Il faut que les systèmes de classification en
psychologie normale ou pathologique prennent en considération les lois
générales et les types de réaction.
A mon avis, trop peu d'exemples de ce que l'on pourrait appeler
des « modèles » de diagnostic ont été apportés dans les discussions
récentes. En traitant, il y a peu de temps, de la nosologie, Zetzel a cité
trois malades dont les anxiétés aiguës émanaient de tensions similaires,
mais dont l'histoire et les symptômes ne lui permirent pas d'établir
tout de suite une distinction métapsychologique. L'anxiété de l'un des
malades était attribuable à des anxiétés oedipiennes : une phobie se
déclara. L'anxiété du deuxième était due à des fixations sadiques
anales : la défense contre les anxiétés homosexuelles s'établissait par
des formations réactionnelles hétérosexuelles. Les défenses du troisième
patient se rattachaient à des fixations orales et aboutissaient à une
dépression et à une dépendance avec altération de la personnalité. De
telles formulations, quelque portée qu'elles aient, ne constituent pas
des exemples de « diagnostics modèles ». La nature de l'angoisse, divers
facteurs constitutionnels et la tension spécifique devraient s'y adjoindre
pour fournir un diagnostic plus poussé.
Dans le même débat, Frosch, en essayant de préciser ce qu'est
" un trouble de caractère psychotique » et de remplacer des concepts
aussi vagues que ceux « d'états limites », de « schizophrénie ambulatoire »,
de « schizophrénie pseudo-névrotique », de « psychose larvée », etc.,
fit ressortir le besoin d'établir une distinction entre des aspects toujours
plus subtils de la fonction du Moi — à savoir le rapport avec la réalité,
le sens de la réalité et la faculté de faire l'épreuve de celle-ci. En agissant
ainsi, Frosch renforçait la description métapsychologique et critiquait,
180 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

comme tant d'autres, les diagnostics psychiatriques plutôt que de lier


ses discriminations à quelque modèle général de classification méta-
psychologique.
Anna Freud, dans sa conférence de 1960 à New York sur la défini-
tion de la pathologie, parle d'observations cliniques qui doivent être
incluses dans toute classification générale : la tolérance aux frustra-
tions, la tolérance à l'angoisse et la faculté de substitution en tant que
facteurs constitutionnels ; les conflits du Ça et le développement
pulsionnel en tant que composantes instinctuelles zonales ; l'équilibre
entre les mécanismes de régression et de progression en tant que
problèmes touchant l'évolution du Moi ; le conflit du Surmoi, en
tant qu'exemple des problèmes relatifs à l'évolution de celui-ci ; et le
conflit avec le monde extérieur, en tant qu'exemple des problèmes de
la réalité.
Pendant la deuxième grande guerre, Brock Chisholm et d'autres Cana-
diens se sont trouvés en face du problème suivant : décrire les soldats en
termes fonctionnels en vue d'une sélection personnelle et ils ont trouvé
que les termes de pathologie utilisés dans les services médicaux n'étaient
pas utilisables. Ils développèrent ce qui a été nommé depuis le « système
de classement Pulhems », adopté d'abord en Grande-Bretagne et plus
tard ailleurs. D'après ce système sept facteurs entrent en jeu : capacité
physique (physical capacity), membres supérieurs (upper limbs),
locomotion, audition (hearing), vue (eyesight), faculté mentale
(intelligence), stabilité (l'émotivité), évalués suivant leurs niveaux.
Si nous adoptons une classification comportant une liste de nombreux
facteurs qualitatifs dont la plupart peuvent être évalués en quantités,
suivant une échelle qui ne comprendrait pas que les mots « présent »,
ou « absent », nous deviendrons capables d'établir une classification
qui ne sera ni un résumé complexe métapsychologique ni une liste de
diagnostics désignés par un mot.
Négligeant le nombre de fonctions continues, nous savons que
certaines peuvent être discontinues ou échelonnées, vues sous l'angle
des aspects de la perception ou des niveaux de conscience. Certains
événements ne sauraient se produire sans provoquer d'importants
changements. Certains changements sont si rapides qu'ils apparaissent
dans le conscient comme des fonctions en gradins. Nous n'admettons
pas qu'il y ait vraiment une différence réelle entre une série quelconque
de rêves, une quantité quelconque de fantasmes avec ses conséquences,
d'une part, et l'effet de l'épreuve de la réalité, qu'elle soit frustrante
ou satisfaisante, d'autre part. Nous nous trouvons périodiquement
UNE RECLASSIFICATION DES ÉTATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 181

placés en face du problème qui s'est posé à Freud quand il découvrit


qu'un grand nombre des traumatismes décrits par ses patients n'étaient
pas réels mais fantasmatiques. Néanmoins nous pouvons dire que nous
sommes parvenus à une certaine discrimination et que nous arrivons
à évaluer bien des choses :
Premièrement : un nombre surprenant de facteurs constitutionnels ;
Deuxièmement : une façon très détaillée de considérer le développe-
ment zonal et la désintrication ;
Troisièmement : l'évolution du Moi de façon bien détaillée ;
Quatrièmement : très clairement aussi le développement du Surmoi;
Cinquièmement : une description précise des tensions extérieures
présentes ou qui, après s'être produites dans le passé, ont persisté.
Si nous étudions ces cinq aspects de la question, nous pourrons
nous demander,le nombre des sous-aspects suivants qui devraient être
compris dans la classification.
Aspects constitutionnels. — Le sexe, la carrure, le degré de croissance,
la maturation retardée ou précoce, les modes de sommeil, les variations
orgastiques, la fertilité, la parturition, la lactation ; les seuils de la
douleur et du plaisir, les agencements zonaux ; la tendance libidinale
ou agressive ou anxieuse; la faculté de supporter la frustration et
l'angoisse ; la production d'énergie et la rapidité des réactions ; la
sensibilité, y compris la réactivité allergique et d'immunisation; la
faculté de substitution ; l'intelligence.
Aspects zonaux. — Primauté ou prédominance avec intrication ou
désintrication et avec fixation, régression ou progression précoce ;
développement hiérarchique ou parallélisme ; conflits du Ça.
Aspects du Moi. — Age, développement des niveaux de conscience ;
affects d'amour, de haine, mégalomanie, dépression, manie, anxiété,
sentiment de culpabilité, et tous leurs dérivés plus complexes ; fonctions
cognitives et executives autonomes, neutralisées ou affectivement
influencées, avec ou sans inhibition ou facilitation ; Moi corporel et
formation de l'identité ; fonctions d'épreuves de la réalité, du rêve et
du fantasme ; conséquences de traumatismes et de mutilations, toutes
les formations de symptômes ou du caractère, y compris l'équilibre
entre les mécanismes régressifs et progressifs.
Aspects du Surmoi. — Évolution consciente ou inconsciente liée à
des images entièrement ou partiellement libidinalisées ou agressives,
identification plus ou moins poussée avec les fonctions conscientes ou
inconscientes du Moi.
182 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 1-1964

Milieu. — Difficultés ou facilités de longue durée ou nouvelles ;


heurts entre divers modes sociaux et culturels ; heurts entre des méthodes
changeantes de communication.
Suit un exemple d'utilisation de cet exposé pour l'établissement
du diagnostic d'un malade.
Constitutionnel. — Un homme très énergique et très intelligent,
seuil bas pour les plaisirs et les douleurs gastriques, potentiel orgastique
élevé.
Zonal. — Manque de désintrication entre les zones respiratoires
et orales d'une part et les zones génitales d'autre part, d'où fixation
consécutive.
Moi. — Trente ans : difficultés passagères d'affect paranoïde
dépressif et d'affect paranoïde persécutoire ; conflit entre le talent
musical, le talent littéraire et l'enseignement des sciences mécaniques ;
oscillation entre les fantasmes homo- et hétérosexuels ; mariage avec
l'un des deux types prédominants de ses préférences féminines ;
ambivalence et sentiment de culpabilité relatifs à son fils comme à sa
fille ; ulcères duodénaux périodiques ; compulsion à se ronger les
doigts ; combinaison rapide d'étirement et de léchage des doigts ;
phobie des araignées.
Surmoi. — Introjection d'un grand nombre d'images féminines
investies de façon ambivalente et identification partielle du Moi fort
avec celles-ci ; introjection aussi (et identifications) de beaucoup — mais
moins quand même — d'images masculines moins ambivalentes,
c'est-à-dire plus libidinalement investies.
Milieu. — Persistance du trouble provoqué par sept changements
de maison et de substituts des parents au cours de ses deux premières
années.
Un semblable diagnostic est bien inférieur à une analyse méta-
psychologique et bien supérieur à une liste de diagnostics par mots.
Si nous désirions établir une classification plus simple, nous pourrions
établir une sorte de compromis entre les catégories peu nombreuses
de Meyer et celles encore moins nombreuses de Menninger ou un
compromis entre la classification de Fenichel et la quantité de catégories
ou de groupes statistiques qui s'établiraient si les psychologues s'atta-
quaient à une analyse factorielle de toutes les variables mentionnées
par Rangell et moi-même.
Mais en ce qui nous concerne, comment établir un plan pour l'avenir ?
Je propose en vue du travail à venir, que tous ceux qu'intéresse le
diagnostic devraient décrire les cas de leurs malades chaque fois que le
UNE RECLASSIFICATION DES ÉTATS PSYCHOPATHOLOGIQUES 183

résultat de la thérapeutique présente un intérêt général et est facilement


évaluable. Ils doivent publier, mettre en valeur et comparer leurs avis
touchant les diagnostics établis au cours d'un long traitement. J'ai-
merais que l'on traitât de deux de ces problèmes, notamment de celui
de la frigidité féminine et de celui de l'homosexualité mâle. Les problèmes
relatifs à la constitution, l'équilibre des dysfonctions zonales, les pro-
blèmes de l'évolution du Moi (affect, exécution, etc.), y compris les
troubles du Moi corporel ; les développements du Surmoi et les diffi-
cultés présentes ou passées relatives au milieu, devraient toutes être
établies en termes toujours plus acceptés et plus précis.
Autrement dit, je propose de voir si nous devons avancer plus
rapidement en partant d'un simple symptôme morbide et en découvrant
jusqu'où peut aller notre discrimination diagnostique, plutôt qu'en
essayant de couvrir toute l'étendue du champ diagnostiqueen se mettant
d'accord sur une nouvelle classification.

BIBLIOGRAPHIE

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Le gérant : Maurice BÉNASSY.

1964. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)


EDIT. N° 27 970 Dépôt légal : 2-1964 IMP. N° 18 348
IMPRIMÉ EN FRANCE
MÉMOIRES ORIGINAUX

Quelques prototypes précoces


de défense du Moi(1)
par RENÉ A. SPITZ (2)
Traduit de l'anglais par Jeannine KALMANOVITCH

Conflit et défense font partie des concepts les plus fondamentaux


et les plus importants que Freud ait introduits dans ses premières
publications psychanalytiques. Ils apparaissent déjà dans ses lettres à
Fliess et demeurent au coeur de notre attention à ce jour. Freud a
continué à travailler ces concepts et en 1915, parlant de l'instinct qui
est retourné sur le Moi et de l'instinct qui d'actif devient passif, il
notait :
Peut-être qu'ils représentent des tentatives de défense qui, à des stades plus
avancés du développement du Moi, sont effectuées par d'autres moyens [15].
Ici il suggère clairement que les défenses passent d'un stade primitif
à un stade plus organisé. Par la suite, cette suggestion a été reprise
par d'autres auteurs, et il faut citer tout d'abord l'étude d'Anna Freud
sur la suite chronologique des mécanismes de défense (1936) [9].
En 1939, Hartmann [22] a commencé à examiner quelques proto-
types physiologiques précoces de défenses psychologiques ultérieures.
Cette question a été reprise plus récemment par Menninger (1954) [29]
et Greenacre (1958) [21].
Le présent travail a pour but d'appliquer le principe génétique
à quelques-uns des mécanismes de défense du Moi pour tenter de
découvrir certains de leurs prototypes physiologiques. Ce faisant, nous
examinerons des phénomènes du comportement du nouveau-né,
ainsi que du fonctionnement néonatal, d'ordre perceptuel et d'ordre
neuro-physiologique. J'ai choisi d'étudier ces phénomènes parce que

(1) Du « Department of Psychiatry University of Colorado », School of Medicine, Denver,


Colorado.
(2) Traduction d'un exposé intitulé Some early prototypes of ego defenses (Panel on some
aspects of early psycnic functioning), American Psychoanalytic Association, New York, 1958.
REV. FR. PSYCHANAL.
186 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

leur mode d'action m'a paru présenter assez d'analogie avec le mode
d'action des mécanismes de défense spécifique ultérieurs pour faire
l'objet de recherches. Il y a des cas où je serai en mesure de souligner
certains caractères transitionnels, mais il appartiendra à l'avenir d'éla-
borer un enchaînement génétique assez rigoureux pour justifier l'hypo-
thèse selon laquelle le développement ontogénétique a conduit à utiliser
des prototypes physiologiques comme modèles des mécanismes
psychologiques.
Pour prévenir toute interprétation erronée de notre position théo-
rique, notons qu'en parlant des prototypes perceptuels et neuro-
physiologiques des mécanismes de défense, nous ne voulons nullement
suggérer qu'un quelconque des mécanismes de défense du Moi est
inné. Ce qui est inné, c'est la capacité variable pour apprendre et les
modes d'adaptation variables (Benjamin, 1960) pour tirer parti des
données neuro-physiologiques et morphologiques en vue de faire face
aux conditions du rnilieu. Au cours de ce processus s'élaborent des
dispositifs d'un plus haut niveau de complexité. On y compte les
mécanismes de défense du Moi où il entre donc certaines propriétés
de la fonction neuro-physiologique innée qui serviront de prototypes
aux dispositifs adaptatifs élaborés à la suite d'interactions avec l'entou-
rage. Il est à peine nécessaire de souligner que dans ces interactions la
mère est au début le représentant exclusif du milieu : dans ce rôle,
elle demeure la personne la plus importante au cours des deux premières
années, et ensuite l'une des plus importantes.
Ce qui veut donc dire non seulement que les mécanismes de
défense sont créés ou tout au moins influencés de façon décisive par les
relations mère-enfant, mais que ces mécanismes utilisent pour ce faire
certaines propriétés, certains modes de fonctionnement existant à la
naissance soit en fait, soit en potentialité. Ce sont ces propriétés,
ces modes de fonctionnement que nous considérerons comme étant
les prototypes des mécanismes de défense ultérieurs pour lesquels
ils servent de modèle.
Hartmann et Greenacre ont limité leurs études de ces prototypes
à des fonctions physiologiques qui leur semblent servir à une fonction
défensive déjà chez le nouveau-né. La défense physiologique néonatale
que choisissent ces auteurs a surtout une fonction défensive analogue
en quelque sorte à celle que rempliront éventuellement les mécanismes
de défense psychologiques. Dans le cas de Hartmann cette limitation est
assez surprenante car, spécifiquement et à plusieurs reprises, il a
souligné (1939) [22] qu'à leur origine les mécanismes de défense psycho-
QUELQUES PROTOTYPES PRÉCOCES DE DÉFENSE DU MOI 187

logiques du Moi sont au service de l'adaptation et ce n'est qu'ultérieu-


rement qu'ils serviront à la défense. Alors pourquoi chaque prototype
de fonction physiologique d'un mécanisme adaptatif de défense du Moi
devrait-il servir à un but défensif analogue à celui que le mécanisme
adaptatif de défense aura par la suite ?
Parallèlement à Hartmann et indépendamment de lui, j'ai élaboré
l'idée de prototypes physiologiques de défense en développant la propo-
sition de Freud (1893-95) [10] selon laquelle les défenses ne devien-
nent pathologiques que si elles sont utilisées exagérément. Naturel-
lement nous n'excluons pas que certains des prototypes des mécanismes
de défense puissent aussi avoir des fonctions adaptatives ou autres et
il n'est pas obligatoire qu'ils servent uniquement à la défense.
Greenacre (1958) [21] traite cette question d'une façon très originale
et différente dans ses concepts fondamentaux. Elle aussi ne considère
que les processus qui, déjà en physiologie, assument des fonctions de
défense. Mais ses considérations sont centrées principalement sur les
fonctions physiologiques défensives qui n'ont pas de contrepartie dans
les mécanismes de défense du Moi dont nous nous occupons habi-
tuellement. Un exemple topique est fourni par ce qu'elle appelle « la
défense par l'eau ». Voici ce que Greenacre entend par ce concept nou-
veau : le système utilise l'eau à différents endroits du corps et pour
différentes fonctions régulatrices et protectrices, comme tampon
mécanique, comme dissolvant, comme agent de refroidissement,
comme facteur de l'équilibre hydrodynamique et de l'équilibre chi-
mique. Et elle relie cette réaction de défense purement physique à
divers phénomènes :
1° Au mécanisme de déplacement ;
2° Aux allergies dans des systèmes organiques largement séparés ;
3° A la symbolisation somatique et à la somatisation.
Il me semble que son approche offre un principe heuristique pro-
metteur à des recherches psychosomatiques futures. Il reste à voir
s'il y a plus qu'une analogie dans le domaine des prototypes des défenses
du Moi tels que nous avons l'habitude de les classifier.
Karl Menninger (1954) [29] considère la question des mécanismes
de défense dans une large perspective. Il tente de les placer dans le
cadre d'une théorie unitaire de la vie organique et de ses manifestations
tout en offrant aussi une transition continue avec l'inorganique.
Menninger expose un système théorique des processus adaptatifs
qui comprend quatre ordres hiérarchiques de dispositifs de régulation.
188 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Du point de vue des mécanismes de défense, tels qu'ils sont décrits


par Sigmund Freud et Anna Freud, cela implique une réorganisation
importante de notre pensée sous plusieurs rapports. Comme mon
exposé suit les lignes de notre concept traditionnel des défenses, il
me faudra renoncer à examiner l'approche nouvelle introduite par
Menninger.
Dans cet exposé, je me propose de souligner certains modes primitifs
de fonctionnement, surtout chez le nouveau-né. Les modes de fonc-
tionnement ont trait : 1) Au domaine de la perception ; 2) A la modi-
fication des stimuli à la fois dans le secteur afférent du système nerveux
central et dans son secteur efférent ; 3) A l'accumulation des tensions
et aux moyens utilisés pour les décharger.
Je ne vais pas faire l'examen systématique des points de vue des
auteurs que je viens de citer, mais je reprendrai quelques-unes de leurs
idées lorsque, à mon sens, elles diffèrent de façon significative de celles
que je vais présenter.
Comme je l'ai déjà dit, je ne crois pas que les prototypes neuro-
physiologiques précoces suivent nécessairement le même schéma
défensif que les défenses du Moi ultérieures. Certains de ces prototypes
sont des données du développement embryologique, et comme telles
nous paraissent être éminemment somatiques. D'autres encore sont
d'origine phylogénétique — Anlage qui mûriront après la naissance de
l'individu ; ils peuvent donc être soumis, quoique le somatique joue
encore le rôle le plus important, aux forces du développement onto-
génétique et s'en trouver modifiés. Enfin, certains prototypes ne se
manifesteront que bien après la naissance ; leur développement et
leur édification seront ultérieurs à l'apparition et à l'élaboration d'un
certain nombre de schémas ontogénétiques. Pour ces prototypes, la
participation des facteurs somatiques phylogénétiques est moins
significative et ce sont les forces du milieu qui prédominent.
La plus apparente de ces forces est naturellement l'influence de la
mère qui se fait sentir dans les relations mère-enfant. Il n'est guère
besoin de rappeler à des psychanalystes que la nature des relations mère-
enfant, les vicissitudes de leur épanouissement et leur destin ultime
déterminent la sélection de la série particulière des mécanismes de
défense que l'enfant élaborera et à partir desquels il modèlera sa
structure caractérielle individuelle.
Nous pouvons dire avec certitude que les prototypes dont nous
parlons ci-dessous représentent simplement ce dont dispose l'enfant
au cours de la première ou des deux premières années. Ce sera la nature
QUELQUES PROTOTYPES PRÉCOCES DE DÉFENSE DU MOI 189

des relations mère-enfant, à mesure qu'elles s'épanouissent au cours


du développement, qui régira le choix des prototypes particuliers
convenant à la situation donnée. En fait, le terme de « choix » implique
une liberté de sélection qui n'existe pas à cet âge. Nous ferions mieux
de dire des relations individuelles mère-enfant qu'elles portent le
développement psychologique de l'enfant vers l'emploi au service
de la défense d'un certain prototype, de préférence à tout autre.
Ce n'est pas le but de cette étude d'examiner les processus de
sélection en jeu dans les relations mère-enfant et les prototypes précoces
des mécanismes de défense. Il faut toutefois mentionner que dans des
circonstances normales, certains mécanismes de défense émergeront
à des points donnés du développement de l'enfant.
Je me suis déjà efforcé (1957) [33] d'examiner l'émergence d'un
mécanisme de défense de ce genre au cours du développement normal,
à savoir celui de l'identification avec l'agresseur. Il semblerait souhai-
table d'entreprendre d'autres investigations de cet ordre en vue de
s'assurer à quel point du développement normal les prototypes physio-
logiques des mécanismes de défense se muent en véritables mécanismes
de défense naissants. Nous obtiendrons ainsi ce qu'on pourrait appeler
un inventaire des mécanismes de défense suivant l'âge de leur appa-
rition. Cette connaissance permettrait une approche plus systématique
de la question de l'influence des relations mère-enfant sur la formation
des défenses possibles.
On a déjà commencé à travailler dans ce sens. Greenacre (1958) [21],
Bergmann et Escalona (1949) [4] ont formulé des propositions relatives
aux quantités de stimulation excessive et inopportune qui mènent à la
formation prématurée du Moi. Je préférerais dire de cette stimulation
inopportune qu'elle entraîne une activation prématurée des défenses
au niveau somatique et aboutit à une formation du Moi aberrante.
Rappelons qu'au cours des mois qui suivent la naissance la mère
agit comme protecteur de l'enfant contre les stimuli qui arrivent. Si
elle échoue dans ce rôle, il se peut qu'au heu de protéger elle accentue
la stimulation et active les prototypes des mécanismes de défense, ou
même de façon prématurée les véritables mécanismes.
Toutefois ces questions dépassent le cadre de ce travail. Si nous les
examinons, c'est pour que notre position soit claire lorsque, dans ce
qui suit, nous parlerons des prototypes des mécanismes de défense.
Il ne faut pas considérer que ces prototypes aboutissent nécessairement
aux mécanismes de défense en question. Au contraire, ils représentent
l'inventaire des modes de fonctionnement possibles et des modes de
190 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

comportement possibles auxquels l'enfant peut faire appel lorsqu'il est


forcé par les relations mère-enfant de chercher une ligne de conduite
à l'égard de son entourage.
Nous nous proposons actuellement d'examiner certaines données
neuro-physiologiques à la naissance et pendant la première année, qui
peuvent servir de prototypes aux mécanismes de défense ultérieurs
du Moi. L'étude du destin de ces prototypes dans les cas individuels
fournira le sujet d'autres recherches.
Les mécanismes de défense fondamentaux du Moi, tels qu'ils ont
été étudiés par Freud à plusieurs reprises et particulièrement tels que
les décrit Anna Freud dans le chapitre d'introduction de son livre sur
Le Moi et les mécanismes de défense (1936) [9], comprennent :
1° Le refoulement ;
2° La régression ;
3° La formation réactionnelle ;
4° L'isolation;
5° L'annulation rétroactive ;
6° La transformation en contraire ;
7° Le retournement contre soi ;
8° La projection ;
9° L'introjection ;
10° La sublimation.
Il faut encore leur ajouter le déni, le déplacement et l'intellectua-
lisation. Pour des raisons diverses, ces derniers ne figurent pas dans
toutes les énumérations des mécanismes de défense.
Par exemple, le concept de déni a été élaboré spécifiquement par
Anna Freud (1936) [9] dans plusieurs chapitres de son livre et distingué
de la négation. En termes très simples, on pourrait dire que, alors que
le déni est un mécanisme inconscient, il n'en est pas de même de la
négation. En ce qui concerne le déplacement, certains auteurs (Greenacre
par exemple) semblent le compter parmi les défenses. La plupart
d'entre nous le considéreront non pas tant comme un mécanisme de
défense mais plutôt comme un mode fondamental de fonctionnement
de l'inconscient.
Quant à l'intellectualisation,il n'y a pas de doute qu'elle joue un rôle
important comme mécanisme de défense surtout à certains stades du
développement tels que la puberté. Il serait intéressant de définir les
limites qui la séparent de la sublimation ; pour le moment disons que,
tandis que la sublimation reste entièrement dans le domaine du déve-
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 191

loppement normal désirable, l'intellectualisation a dans une large


mesure une fonction pathologique (1).
Nous commencerons par ce qui me paraît être le mécanisme de
défense le plus familier : le refoulement. C'est celui qui a été décrit
le plus tôt, avec le concept de défense, dans les Études sur l'hystérie
(Freud 1893-95) [5]) dans la correspondance de Freud avec Fliess
et dans ses divers projets pour Esquisse d'une psychologie scienti-
fique (1895) [10]. Cela me donne aussi l'occasion de présenter dès le
début une illustration des quelques différences qui existent entre mon
concept des prototypes des mécanismes de défense et celui des autres
auteurs.
D'une part je suis d'avis, comme Hartmann en particulier, que le
prototype du refoulement se trouve dans le phénomène infantile de la
barrière de défense contre les stimuli. Ce phénomène a été décrit par
Freud pour la première fois en 1914 dans son travail sur Le Narcis-
sisme [14] et il l'a étudié longuement en 1920 dans Au-delà du principe
duplaisir (Freud, 1920) [16]. Freud y développe — ce qu'il fera plus tard
avec plus de détails encore dans Note sur l'ardoise magique (1925) [17] —
l'idée que l'enveloppe externe sert de moyen de protection contre les
excitations venant de l'extérieur, alors que la couche suivante a été
différenciée en tant qu'organe servant à la perception des stimuli.
Mais même cette seconde couche achemine seulement des quantités
minimes, des échantillons pour ainsi dire, des excitations qui par-
viennent du monde extérieur.
Cet état de choses est extraordinairementfrappant chez le nouveau-
né. Là le seuil de la barrière protectrice est si élevé que les stimuli ne
pénètrent tout simplement pas, à moins de percer littéralement la
couche protectrice, inondant l'organisme de quantités d'excitations
intraitables. Cette irruption a heu en fait au cours du processus de la
naissance et c'est ce que Freud décrit sous le nom de « traumatisme de
la naissance ».

(1)Il devient évident qu'en restreignant notre étude aux prototypes les plus précoces des
mécanismes de défense dans la première année et une partie de la seconde année de la vie,
nous éliminerons de nos considérations certains des mécanismes énumérés ci-dessus tels que
la sublimation, la formation réactionnelle et l'intellectualisation. Nous ne pensons pas que
tous ceux-ci aient des prototypes somatiques. Ils paraissent appartenir à une série de dispositifs
psychologiques qui se développent à un niveau de complexité plus élevé et sont basés sur des
dispositifs psychologiques institués antérieurement.
La formation de la sublimation est, de toute évidence, fondée sur la présence du Surmoi.
Il en est sans doute de même de la formation réactionnelle. L'intellectualisation a, selon nous,
son prototype juste à la ligne de transition entre le niveau d'âge dont nous nous occupons,
c'est-à-dire entre les 12 à 18 premiers mois, et le stade qui suit.
192 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

La théorie de Freud selon laquelle le traumatisme de la naissance


est le prototype de l'angoisse ultérieure nous sert de modèle dans notre
approche des processus physiologiques et des phénomènes physio-
logiques en tant que prototypes de mécanismes de défense ultérieurs.
Voici quelques citations [19] :
Le foetus ne peut rien remarquer qu'un trouble dans l'économie de sa
libido narcissique. De grandes sommes d'excitation pénètrent en lui, produisent
des sensations désagréables d'un nouveau genre, maints organes imposent au
psychisme des investissements accrus... (Freud, 1926, p. 62).
Le processus de la naissance est la première situation dangereuse vécue ;
l'ébranlement de l'économie objective qu'il produit devient le prototype de
la réaction par l'angoisse (Freud, 1926, p. 83).
On attribuait ainsi, dans la vie ultérieure, à l'angoisse, deux genres d'origines
qui étaient l'une non voulue, automatique, chaque fois justifiée au point de vue
de l'économie des forces psychiques lorsque se produisait une situation dan-
gereuse analogue à celle de la naissance, l'autre produite par le Moi, quand une
pareille situation était seulement menaçante, pour nous inciter à l'éviter
(Freud, 1926, p. 98).
Tout de suite après la naissance le système se débarrasse de l'exci-
tation causée par la percée de la couche protectrice. Dans des cas nor-
maux, moins de 10 secondes sont nécessaires pour que la quiétude
revienne et que la barrière protectrice soit rétablie. Je ne partage
pas l'opinion de Hartmann et de Greenacre selon laquelle cette barrière
est créée par un désinvestissement du sensorium. Cela aboutirait aussi
à une protection à l'égard des stimuli qui arrivent de l'extérieur ;
mais je crois que ces auteurs introduisent des forces dynamiques
dans un processus où elles ne jouent pas encore de rôle.
Je ne crois pas qu'un investissement du sensorium ou, pour être
plus exact, d'une représentation psychique sensorielle existe à la nais-
sance, du moins pas au sens où les psychanalystes utilisent le terme
d'investissement. Ni Hartmann, ni Greenacre n'ont tenté de poser en
postulat que le sensorium a été investi déjà in utero et a été désinvesti
au cours du processus de la naissance, quoique pratiquement c'est
ce que Greenacre implique. A mon avis, la maturation neuro-
physiologique à la naissance n'a pas encore progressé au point où le
sensorium pourrait être « investi » au sens courant du terme (Spitz,
1957-1958) [33-34-]
Je pense, toutefois, qu'il n'y a pas qu'une stimulation très élevée
aboutissant à une rupture de la barrière protectrice pour faire effet chez
le nouveau-né. Des stimuli minimes provoquent une réaction, même
si celle-ci est irrégulière et inconstante. S'il n'en était pas ainsi, nous ne
pourrions pas susciter de réflexe chez le nouveau-né, sans parler de
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 193

cette lente orientation posturale vers la chaleur mentionnée à plusieurs


reprises par des observateurs.
Nous ne pouvons qu'offrir une suggestion quant à la nature des
forces dynamiques en jeu dans les réactions du nouveau-né aux stimuli
minimes. Nous répétons que nous ne croyons pas qu'une représentation
psychique existe à la naissance, ni qu'un déplacement d'investissement
vers une représentation de cet ordre puisse être supposé; nous ne
croyons même pas qu'on puisse parler de précurseurs de représentation
psychique ou d'investissement. Ce que nous suggèrent l'irrégularité
et l'inconstance des réponses aux stimuli minimes c'est que l'excitation
est généralisée mais passera tantôt par cette voie neurale-ci, tantôt par
celle-là. Quand il lui arrivera de toucher le sensorium du secteur par-
ticulier que nous stimulons, nous obtiendrons une réponse dans ce
secteur et la fois suivante, si elle ne le touche pas, nous n'en aurons pas.
Cela explique bien aussi l'orientation vers la chaleur (probablement
par un I.R.M. (Innate Releaser Mechanism) et son stimulus-clef acquis
par phylogenèse car le stimulus de la chaleur est présent pendant de
longues périodes et agira en conséquence comme une continuité dans
le temps et non comme un événement unique isolé où les risques de la
généralisation de l'excitation sont de toute évidence bien plus restreints
que dans le cas d'un stimulus continu. Si un stimulus subsiste pendant
des périodes étendues, il sera alors possible qu'une partie de l'excitation
diffuse déborde dans les voies qui provoqueront les réactions à la chaleur.
Cette proposition permet aussi d'expliquer pourquoi il est possible
d'établir un réflexe conditionné après une ou deux semaines de vie.
Si un secteur sensoriel — toujours le même — est stimulé de façon
répétée, une partie de cette stimulation pénétrera et amènera de temps
en temps une réponse. Si ce processus est reproduit assez souvent, les
répétitions contribueront à la canalisation de cette voie particulière,
car à la répétition vient s'ajouter la récompense qu'offre la décharge
de l'excitation ainsi rendue possible.
Pourtant, dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne croyons
guère que cette canalisation soit possible dans des situations qui ne
seraient pas renforcées effectivement, comme l'alimentation, sur le
plan positif, ou dans des situations qui impliquent de la douleur, sur
le plan négatif.
Une comparaison servira à clarifier ce que je veux dire lorsque je
déclare que la maturation de l'appareil neuro-physiologique à la nais-
sance n'a pas encore atteint le point où le sensorium pourrait être
investi. Soit par exemple une sonnette anti-vol que vous avez installée
194 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

chez vous : vous pouvez la débrancher. Quelle que soit la personne qui
pénètre sur les lieux, la sonnerie ne se déclenche pas. De même, prenez
le cas où votre maison est neuve et où la centrale électrique de la ville
ne lui fournit pas encore de courant, la sonnerie d'alarme ne fonction-
nera pas non plus, que vous la branchiez ou non. L'état du système
perceptuel du nouveau-né est celui de la maison qui n'est pas encore
reliée à la centrale électrique. Les stations réceptrices, c'est-à-dire la
représentation du sensorium, ne sont pas encore fournies en énergie
et avant qu'elles le soient il faudra un processus de maturation.
Dans la proposition de Freud (1925) [17], l'enveloppe externe sert
de barrière de protection contre les excitations venant du monde
extérieur, tandis que la couche suivante a été différenciée comme organe
de perception des stimuli. La première couche continuera à fonctionner
comme barrière protectrice sans modification pendant toute la vie. La
seconde couche est destinée à servir de médiateur à la perception et
sera modifiée éventuellement pour ce faire ; mais elle ne fonctionne pas
encore de la sorte à la naissance parce que sa représentation psychique
n'a pas encore été investie. Ainsi, à la naissance, la seconde couche
encore non investie s'ajoute à la première couche protectrice et offre
une protection complémentaire contre les stimuli qui arrivent. Ceci
explique le seuil élevé de la barrière chez le nouveau-né. C'est la diffé-
rence qui existe entre la perception du nouveau-né d'une part, et la
perception à des stades ultérieurs du développement de l'autre, après
que la représentation psychique de la seconde couche a été progres-
sivement investie par suite de l'interaction de la maturation et du
développement.
La barrière de défense contre les excitations est une forme extrê-
mement élémentaire des prototypes du mécanisme très compliqué du
refoulement. Le seul élément que le refoulement et cette barrière ont
en commun est le manque d'investissement. Mais tandis que pour la
barrière protectrice à la naissance la station réceptrice n'a pas encore
été investie, dans le cas du refoulement non seulement l'investissement
à proprement parler a été retiré, mais un contre-investissement s'est
produit. C'est très frappant dans le cas spécial de refoulement que
Laforgue (1926) [27] a appelé la scotomisation.
Cette dernière remarque nous fait penser qu'il peut exister des
étapes intermédiaires entre le refoulement et son prototype le plus
archaïque. Hartmann (1950) [23] a émis l'idée que le fait de clore les
paupières représente une étape transitionnelle, un pré-stade de la
défense ultérieure à la fois contre l'intérieur et contre l'extérieur. Je
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 195

ne crois pas que fermer les paupières soit le prototype spécifique du


refoulement, il semble plutôt que la forme particulière de défense pour
laquelle la fermeture des paupières pourrait être un prototype est le
mécanisme de déni. Si vous vous rappelez ma comparaison avec la
sonnette d'alarme, fermer les paupières c'est débrancher la sonnette
parce que nous avons trop peur du voleur et espérons qu'il ne fera pas
attention à nous. Le déni et la scotomisation atteignent tous deux
exactement cet objectif.
Naturellement, il ne faut pas oublier que dans les premières heures
de la vie la fermeture des paupières est encore très insuffisamment
organisée. Il est possible d'observer — rarement il est vrai — des enfants
de cet âge qui dorment avec un oeil ouvert et un oeil fermé, ou même
avec les deux yeux ouverts. La fermeture des paupières s'organisera
peu à peu et fonctionnera proportionnellement à la mesure où s'abais-
sera le seuil de la barrière protectrice contre les stimuli. Cette relève
de la fonction de la barrière protectrice dans un secteur particulier du
sensorium illustre bien les transitions dont nous parlons. Nous pouvons
faire des conjonctures sur la fermeture des paupières considérée comme
le prototype du retrait de l'investissement dans le refoulement, tandis
que la barrière protectrice serait le prototype du phénomène d'absence
d'investissement.
Je me rends très bien compte que nous n'avons pas affaire ici à des
homologues mais seulement à des analogues. Ce qui manque main-
tenant au tableau des forces de refoulement, c'est la façon dont le
contre-investissement entre en jeu.
Une possibilité a été étudiée par Freud dans Au-delà du principe
du plaisir (1920) [16]. Quandil parle du déplaisir spécifique de la douleur
physique, Freud dit que «... il est fait appel à toutes les charges d'énergie
existant dans l'organisme afin de constituer dans le voisinage de la région
où s'est produite l'irruption une charge énergétique d'une intensité
correspondante. Il se forme ainsi une formidable " contre-charge " ».
La recherche des prototypes physiologiques des mécanismes de
défense nous conduit ainsi à examiner des phénomènes très différents
les uns des autres par leur nature et leur signification pour l'organisme
tout entier, phénomènes qui diffèrent entre eux comme le seuil neuro-
physiologique de la barrière de protection contre l'excitation à la nais-
sance diffère de l'action neuro-musculaire en oeuvre lorsqu'on ferme
les paupières devant trop de lumière, sans parler même de la réaction
à la douleur. Et nous verrons ultérieurement un autre prototype possible
de désinvestissement.
196 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Les deux premiers, le seuil et la fermeture des paupières, sont des


phénomènes observables. Ils se présentent à des niveaux d'organisation
différents et tous deux sont analogues dans leur « objectif » fonctionnel.
Le troisième, la réaction à la douleur, n'est pas du même ordre ; c'est
une proposition qui a sa place dans le contexte de la théorie de la libido,
mais une proposition bien fondée. Le principe fonctionnel de chacun
de ces trois phénomènes servira de prototype à une opération psycho-
logique accomplie à un stade du développement plus tardif où l'orga-
nisme a déjà une structure psychique. A ce stade, il parvient pour le
moins à la différenciation entre le Moi et le Ça. A ce niveau le principe
fonctionnel en jeu dans les phénomènes du seuil, dans celui de la fer-
meture des paupières et dans les opérations d'investissement en réponse
à la douleur sera intégré au processus que nous appelons le mécanisme
de refoulement.
Il faut laisser aux chercheurs de demain le soin de découvrir si on
peut trouver une continuité génétique entre ces phénomènes proto-
types et le développement ultime du mécanisme de refoulement. Notre
proposition relative à ces prototypes prend modèle sur le fait que Freud
a eu recours au principe génétique à propos de données embryologiques
et neuro-physiologiques. La valeur heuristique extraordinaire de cette
méthode nous encourage à risquer de l'appliquer aussi dans le domaine
des défenses.
Il y aurait très peu d'intérêt à s'adonner à des exercices aussi spé-
culatifs si les mécanismes de défense ne représentaient pour l'homme
l'équipement nécessaire à l'adaptation et à la maîtrise, à la survie et
finalement à une évolution ultérieure. Les mécanismes de défense sont
à l'origine même de la capacité de l'homme à penser, à parler, à accomplir
des opérations mentales (Spitz, 1957) [33]. Nous devons nous préoc-
cuper de découvrir comment ils prennent naissance et ce qui peut
amener des perturbations dans leur formation. Par conséquent, même
si à l'heure actuelle l'examen de leur prototype peut paraître une
démarche vaine, cela fait partie, dans le domaine de la psychanalyse, de
ce que j'appellerai les bases scientifiques. Comme pour toute recherche
de base, nous ne sommes pas en mesure de dire à présent où elle nous
mènera. Et de peur qu'on se méprenne, je ne considère pas ce que je
présente ici comme des résultats — comme des résultats tangibles —
d'une recherche, mais seulement comme des signes indiquant la voie
dans laquelle des recherches plus approfondies pourraient être
entreprises.
Je me suis appesanti sur un seul mécanisme de défense dans le but
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 197

de vous faire prendre conscience des complexités du problème. J'es-


sayerai de traiter plus brièvement les autres mécanismes que j'ai men-
tionnés, en commençant par la projection et l'introjection.
Dans Au-delà du principe du plaisir, Freud a fait une suggestion
concernant l'origine de la projection. Il dit que lorsque l'excitation
interne provoque un trop grand accroissement du déplaisir, il y a alors
une tendance à la traiter comme si elle venait de l'extérieur. La raison
en est que, si le stimulus cause des déplaisirs est extérieur, alors la
défense de la barrière protectrice peut être utilisée contre lui.
Nous pouvons ajouter à cette proposition des informations tirées
de l'observation du développement perceptuel. Au cours des premières
semaines de la vie, jusqu'au second mois, il n'y a pas de différence
dans la réaction de l'enfant aux stimuli venant de l'intérieur et à ceux
venant de l'extérieur. Le premier comportement observable qui sug-
gère que l'enfant distingue le « Je » du « non-Je » apparaît dans le second
mois de la vie.
Le manque de frontière entre le « Je » et le « non-Je » forme la
condition nécessaire non seulement à la projection mais aussi à l'intro-
jection. La limite sera peu à peu consolidée du 3e au 6e mois de la vie
par des actions accomplies lors des relations de l'enfant avec le « non-
Je ». Au cours de ces actions, le « Je » s'identifie de plus en plus à ce que
l'on sent à l'intérieur de soi. Le « non-Je » devient de plus en plus ce
que l'on peut voir seulement à l'extérieur, après l'avoir perdu. Aupara-
vant, on le sentait à l'intérieur parce qu'à ce stade cela appartenait
encore à la totalité indifférenciée.
J'ai parlé à dessein en termes d'oralité car nous avons coutume de
mettre en parallèle l'introjection et l'incorporation en prenant l'ab-
sorption de nourriture comme modèle. C'est aussi cette voie que j'ai
suivie lorsque j'ai examiné par ailleurs (1957) [33] comment s'établissent
les frontières du « Je » et du « non-Je ».
En ce qui concerne la projection, Abraham (1924) [1] a émis la
proposition selon laquelle au début de la vie la projection peut être
rattachée à l'élimination anale et urinaire, ce qui, selon moi, est une
extrapolation issue de l'analyse d'adultes. J'en suis venu à conclure
d'après l'observation directe que dans des circonstances normales,
au cours des 4 ou 5 premiers mois de la vie, l'enfant ne se rend pas très
bien compte de ce qui se passe dans la région anale. Il en prend gra-
duellement conscience vers la fin de la première année de la vie. Ceci
s'accorde bien aussi avec les constatations relatives au développement
neural.
198 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

A l'opposé d'Abraham, nous croyons que, au stade de 3 mois, le


prototype utilisable pour la projection est la régurgitation et le vomis-
sement. C'est une conviction qui s'impose à l'observateur lorsqu'il
regarde certains nourrissons qui refusent la nourriture. Il est difficile
de résister à l'impression que ce qui a été incorporé, c'est-à-dire intro-
jecté par la bouche, est re-jeté et puis projeté par cette même voie.
Ceci s'accorde aussi aux distinctions que fait Freud (1925) [18] dans
son article sur La négation où il écrit : « ... ce qui est mauvais doit être
extérieur à moi ».
Ce n'est pas seulement dans le refoulement, le déni, la projection
et l'introjection que nous pouvons voir les analogues des modes de
fonctionnement de la perception infantile et de ses inhibitions. Par
exemple, il serait facile de se représenter comme l'un des prototypes
du mécanisme d'isolation les étapes qui conduisent de la perception en
totalité de l'enfant à la distinction entre le « Je » et le « non-Je », et de
là à la perception diacritique détaillée de l'entourage.
Burness Moore, dans un article récent (1958) [30] sur les origines
de l'isolation, a soutenu que les expériences de séparation faisaient
partie de ses précurseurs. Il a émis l'idée que la première de ces expé-
riences est celle de la naissance ; ensuite viennent les vicissitudes des
relations mère-enfant dans le cadre des soins aux enfants, la différen-
ciation du soi et du non-soi ; elles culminent dans les expériences anales
des selles et du contrôle du sphincter. Moore déclare spécifiquement
qu'il ne considère pas la séparation comme la seule origine du méca-
nisme de défense de l'isolation comme je l'ai indiqué précédemment ;
je suis d'accord avec lui.
Je crois que, comme dans bien d'autres mécanismes de défense,
les modalités perceptives et les modifications dynamiques qui y sont
rattachées sont probablement les prototypes les plus anciens de l'iso-
lation. En particulier, des prototypes de l'isolation paraissent être
fournis par l'évolution qui va d'une perception diffuse indifférenciée
à la séparation de Gestalten d'avec l'entourage classique, puis à la
délimitation des éléments essentiels de ces Gestalten.
Toutefois, ce groupement progressif des éléments essentiels d'une
Gestalt s'effectue aussi dans le cadre des relations d'objet qui se déve-
loppent. L'hypothèse de Moore selon laquelle la séparation opère
comme prototype de l'isolation est correcte. Mais il nous faut ajouter
qu'une sélection se fera à partir de l'expérience de la séparation qui
sera façonnée suivant les modalités du développement perceptif pré-
valant à l'époque où cette expérience a lieu.
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 199

Comme il a été dit ailleurs (1957) [33], la perception de la différence


entre le « Je » et le « non-Je » provient de l'expérience répétée indéfi-
niment de la perte du pré-objet qui gratifie un besoin dans la situation
alimentaire selon les termes de Moore, de la séparation d'avec le pré-
objet. L'expérience perceptive et la séparation sont en étroite interaction,
l'une facilitant et dirigeant l'autre et nous ne pouvons pas dire quelle
est la première.
Le sommeil offre un autre exemple de prototype d'une défense du
Moi qui se trouve dans l'inhibition de la perception. Nous avons parlé
ailleurs (1957) [33, PP- 74-81] de l'efficacité du sommeil comme défense
dans la petite enfance en l'illustrant du cas de Monica (G. L. Engel et
F. Reichsman, 1956) [6]. J'ai émis l'idée que l'enfant se retire d'un
percept de déplaisir en s'endormant et en régressant en fantasme jus-
qu'au sommeil archaïque de satiété consécutif à l'allaitement. Par la
même occasion, je proposais de parler du sommeil comme du prototype
de toute défense. Peut-être aurais-je dû plutôt parler du sommeil
comme d'une défense idéale, ou même mieux, de la défense la plus
précoce. Sans doute, quelques défenses ont d'autres prototypes. C'est
une défense anaclitique, car, en tant que défense, elle s'appuie sur la
fonction physiologique du sommeil.
Dans le sommeil, l'investissement est retiré du sensorium. C'est
un processus dynamique qui servira de prototype au retrait de l'inves-
tissement dans la régression.
Cela n'infirme pas la proposition selon laquelle la fermeture des
paupières joue un rôle de prototype à la fois du refoulement et du déni.
Après tout, la première étape pour se préparer à dormir est de fermer les
yeux. Il est bien de se souvenir toutefois que dans la toute petite enfance
le « sommeil » peut se produire sans que les yeux se ferment, quoique
cela soit rare. Ce paradoxe apparent montre qu'aucun phénomène
physiologique ne remplit toutes les conditions nécessaires pour être
le prototype des mécanismes de défense ultérieurs. Pouvons-nous
donc considérer que le sommeil comme tel est le prototype de la
régression ?
Cette question devra trouver réponse dans deux directions. D'abord,
selon la théorie psychanalytique le sommeil lui-même implique une
régression. Nous devons donc nous demander : « Vers quoi le nouveau-
né régresse-t-il et d'où régresse-t-il ? » Cette question nous impose le
second point, à savoir la réalisation que « sommeil » est un terme trop
général et qu'il est possible qu'il y ait des espèces de sommeils différents
à différents stades de la vie.
200 REVUE- FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Une recherche approfondie sur les problèmes du sommeil et de la


veille a été dirigée par Kleitmann (1939) [25] et ses collaborateurs,
sur des enfants à partir de la 3 e semaine de la vie. Cette recherche ainsi
que d'autres ont récemment fait l'objet d'une discussion psychana-
lytique dans un travail érudit de Sanford Gifford (1958) [20] ; il y
montre que le schéma sommeil-veille et son évolution peuvent per-
mettre d'évaluer le progrès du développement primitif du Moi.
Gifford conclut, comme je l'ai fait, que le niveau de 3 mois est un
point nodal dans ce processus. Il explique que les échanges entre mère
et enfant sont indispensables à ce développement et les appelle des
relations pré-objectales. Je pense comme Gifford que cela n'est pas en
contradiction avec mon hypothèse que le pré-objet—levisage humain—
n'est établi que dans le cours du troisième mois. Le pré-objet est
nécessairement le produit des relations pré-objectales. C'est dans le
cadre des relations pré-objectales que se situent les prototypes physio-
logiques que nous nous efforçons de décrire. Au cours des relations pré-
objectales, le rythme nycthéméral du sommeil et de la veille, l'activité
adréno-corticale, la courbe de température, l'établissement du rythme
occipital alpha, etc., sont acquis progressivement.
A l'heure actuelle nous n'avons pas une connaissance suffisante du
schème sommeil-veille dans les trois premières semaines de la vie.
En gardant en mémoire les données d'observation mentionnées
ci-dessus, il me semble que nous devrions reconsidérer notre concept
du sommeil. Analytiquement nous postulons que, dans le sommeil,
l'investissement est retiré du sensorium (ou plutôt de sa représentation
psychologique). En regardant le nouveau-né et en nous remémorant
ce que nous avons postulé à propos de la barrière néonatale de défense
contre l'excitation, nous pouvpns nous demander : de quel ordre se
trouve l'investissement qui est retiré ? Et de quelle représentation ?
Suivant le tableau du nouveau-né tel que je le vois, il n'y a pas encore
d'investissement du sensorium et donc il ne peut y avoir désinvestis-
sement. Il n'y a pas non plus de niveau psychologique d'où une régres-
sion pourrait s'accomplir, même si nous ne parlons de cette régression
qu'en terme de systèmes mnémoniques et de système de perception.
Tout cela n'existera que dans l'avenir.
Je suis donc enclin à considérer le « sommeil » du nouveau-né comme
quelque chose de très différent du sommeil à un âge plus avancé.
J'hésite un peu à le dire mais, à mon avis, même physiologiquement, le
« sommeil » néonatal s'avérera différent du sommeil tel que nous le
connaissons, une fois le Moi établi. C'est ce que laisse entrevoir la
QUELQUES PROTOTYPES PRÉCOCES DE DÉFENSE DU MOI 201

synthèse ci-dessous des diverses fonctions physiologiques présentées


par Gifford.
Après tout, il nous suffit de nous reporter à quelques heures ou
quelques jours avant l'accouchement pour nous rendre compte que les
termes de « sommeil » et « veille » sont devenus sans signification.
L'activité du foetus in utero n'implique certainement rien de compa-
rable à « être éveillé », que ce soit une activité de la musculature du
squelette ou une activité musculaire viscérale, comme dans le cas de
singultus, péristalsis, etc. (Benjamin, 1960) [3].
Pourquoi devons-nous supposer que le sommeil est acquis tel quel
à la naissance ? Natura non fecit saltum.
Je suis plutôt enclin à penser que ce que nous appelons le sommeil
chez le nouveau-né est un phénomène sui generis à partir duquel le
sommeil, tel que adultes nous le connaissons, se développe ultérieure-
ment. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours dit du nouveau-né
qu'il était en repos, quiet et non pas endormi. C'est à la suite de l'interac-
tion de la maturation et du développement que le sommeil et la veille
seront isolés de cet état encore innominé. Le chapitre concernant ce
développement et ses détails reste encore à écrire. D'autre part nous
avons accumulé quelques renseignements sur la formation du système
perceptuel et des systèmes mnémoniques.
Pour les édifier l'enfant a besoin de temps et d'expérience et il est
intéressant de noter que, avec la marche du temps, à mesure que l'enfant
amasse de l'expérience, que des traces de souvenirs se déposent, le
mode de sommeil change. Les périodes de demi-veille, demi-sommeil
tendent à disparaître de plus en plus et le sommeil s'organise en par-
celles de temps plus étendues, coordonnées à l'alternance du jour et de
la nuit d'une part, et au rythme alimentaire de l'autre.
Étant donné ma manière de voir, vous comprendrez que je sois
peu porté à discuter si le sommeil représente le désir de revenir à la
situation intra-utérine. Comme je l'ai dit ailleurs (1955) [32] j'aurais
plutôt tendance à suivre les propositions de Lewin (1946) [28] et
d'Isakower (1938) [24] et à considérer le sommeil réel comme une régres-
sion à la satiété au moment de l'allaitement. Voici ce qui distingue
le sommeil réel du sommeil du nouveau-né : Le sommeil réel, la sorte
de sommeil qui est le produit du développement et qu'on peut observer
après le 3 e mois de la vie, est chargée de signification, de contenu
psychologique. Mais son prototype, le sommeil physiologique du
nouveau-né, est dénué de contenu psychologique.
Vous voyez que, dans cette discussion sur la régression et le sommeil,
REV. FR. PSYCHANAL. 14
202 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

il est devenu très difficile de distinguer le cheval de la charrette. On a


l'impression nette que la régression et le sommeil apparaissent simul-
tanément au cours des premiers mois de la vie. Il faut considérer le
sommeil, ainsi qu'on l'a déjà dit, comme un processus physiologique
— du moins à son origine — alors qu'au sens où nous utilisons ce mot
la régression est sans aucun doute d'ordre psychologique.
Permettez-moi de reprendre :
1. Le sommeil au sens propre du terme paraît se développer à partir
de la barrière de défense contre l'excitation ;
2. Le développement se produit en fonction de l'accumulation crois-
sante des traces mnémoniques et de l'expérience ;
3. Dans le sommeil, différant en cela de la barrière défensive à la nais-
sance, l'investissement est retiré du sensorium ;
4. La régression commence à opérer parallèlement.
Nous pouvons donc conclure qu'il est probable que nous voyons ici
étroitement liés dans le temps un prototype physiologique, le sommeil
néonatal, et un mécanisme de défense psychologique, la régression.
Naturellement cette connexion n'existe pas seulement dans le
temps. Il est inévitable que le mécanisme du sommeil influence d'une
façon ou d'une autre la régression et que la régression influence le
mécanisme du sommeil. Il faut donc parler de leur action réciproque.
Nous pouvons en outre supposer qu'avec l'aide du mécanisme de
régression les relations pré-objectales précoces feront sentir à leur tour
leur influence sur le développement du schéma de sommeil éventuel.
On serait probablement fondé à dire que dans ce sens le premier
mécanisme de défense à apparaître est la régression plutôt que le som-
meil. Mais alors on réalise immédiatement qu'à ce stade précoce on ne
peut pas encore admettre l'existence d'un Moi. En conséquence, il
semble que nous ayons ici devant nous un mécanisme de défense sans
le Moi. En fait, nous devrions dire que cette régression très primitive
est le prototype du mécanisme ultérieur de défense du Moi de la
régression. C'est ainsi que la fonction physiologique, le sommeil,
devient le prototype physiologique du prototype psychologique.
Car ne vous trompez pas : la régression, que nous posons comme
postulat pour les premiers mois au cours du processus du sommeil,
se retrouvera très largement modifiée lorsqu'elle deviendra un méca-
nisme de défense que le Moi pourra utiliser à ses fins. Et même
cette conception est encore très différente de ce que Kris (1944) [26]
a décrit comme régression au service du Moi.
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 203

Comme il l'a déjà été dit, le sommeil peut servir de prototype aux
divers mécanismes de défense ; la régression n'est que l'un d'eux. Je
ne crois pas que nous forcions les choses si nous considérons le sommeil
aussi comme le prototype du déni. Il ne semble pas nécessaire de pré-
senter des arguments en faveur de ce point de vue qui découle prati-
quement de la relation que j'ai établie antérieurement entre le déni
et la barrière de protection contre l'excitation.
On pourrait encore envisager le sommeil comme étant le prototype
de l'annulation rétroactive. On sent qu'il y a quelque part une relation
entre les deux. Après plus ample réflexion, on réalise que l'annulation
est en jeu dans un phénomène spécial rattaché au sommeil — le rêve.
L'illustration probablement la plus éclatante se trouve dans le Rêve
des fraises, fameux à juste titre (Freud, 1900) [11].
Il n'entre pas dans l'objet de cet exposé de pénétrer plus avant dans
la théorie des rêves, leur relation avec le passé, leur dynamique, etc.
Je vous rappellerai simplement l'action du résidu de la journée qui
déclenche le rêve et vous comprendrez sans peine pourquoi j'appelle
volontiers les rêves « tâches inachevées ». Les tâches inachevées, les
fins qui ne sont pas heureuses sont reprises dans le rêve, revécues
encore une fois et, si le Surmoi le permet, menées jusqu'à ce qu'elles
finissent bien. C'est dans ce sens aussi que Lewin (1946) [28] a avancé
ses hypothèses sur l'écran du rêve.
Nous pouvons donc conclure que c'est un stade ultérieur du phéno-
mène psychologique du sommeil qui sert de prototype à l'annulation
rétroactive : le stade auquel le rêve devient possible. Le prototype de
l'annulation n'est pas le processus physiologique du sommeil, ni son
aspect psychologique, à savoir la régression, mais un processus psycho-
logique concomitant — le rêve.
Il va sans dire que je me rends bien compte que l'annulation rétroac-
tive pourrait être reliée à un autre prototype archaïque, à la compulsion
répétitive. Je n'ai pas l'intention d'aborder cette question maintenant.
A mon avis, une proposition de cet ordre ne pourrait être examinée
qu'après une investigation approfondie et la clarification de toute la
controverse centrée sur le concept de la compulsion répétitive.
Je suppose qu'en suivant le cours des pensées que j'ai présentées
il a pu paraître déroutant de pouvoir parfois faire remonter un seul
mécanisme de défense à plusieurs prototypes bien distincts tandis qu'à
d'autres moments je décrivais des prototypes physiologiques à la base,
semble-t-il, de plusieurs mécanismes de défense ; et enfin, à certains
points, les deux cas s'associaient. Je ne peux nier que ce soit confus ;
204 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

la confusion d'ailleurs caractérise bien ce stade de développement,


que j'ai appelé pour de bonnes raisons le stade de non-différenciation.
Les fonctions et les systèmes physiologiques ne sont pas clairement
différenciés les uns des autres à ce stade ; et encore moins les fonctions
psychologiques qui en dérivent.
Nous ne devrions probablement pas utiliser le terme « dérivation »
pour décrire le rôle des prototypes physiologiques dans l'évolution des
défenses du Moi. Ce qui paraît se passer, c'est que les modalités d'une
fonction dans un ordre donné archaïque et surtout physiologique seront
appliquées à un niveau de fonction plus élevé et plus complexe, au
niveau de fonction psychologique. A ce niveau plus élevé les modalités
archaïques fonctionnelles s'intègrent en une nouvelle entité, le méca-
nisme de défense ; et ce, sans égard pour leur rôle et leurs fonctions
antérieurs.
Ce qu'on appelle les prototypes ne sont donc pas, comme tels, des
parties constituantes de la nouvelle intégration au niveau plus élevé ;
ce ne sont que des modèles pour certains aspects des niveaux plus élevés,
les niveaux de fonctions psychologiques.
C'est là, à mon avis, une des raisons pour lesquelles on peut trouver
plusieurs prototypes influençant un seul et même mécanisme de défense ;
c'est aussi pour cette raison qu'un seul prototype peut fournir un mode
de fonctionnement qui s'applique à plusieurs mécanismes de défense.
Je n'ai pas la place ici d'approfondir l'examen des autres mécanismes
de défense; je n'y consacrerai que quelques phrases. Freud et Anna
Freud ont souligné que « la transformation en contraire » et le « retour-
nement contre soi » ne tirent pas leur origine du fonctionnement du
Moi mais sont plutôt caractéristiques de la pulsion même.
En ce qui concerne « la transformation en contraire », je suis porté
à lui voir comme prototype l'ambivalence archaïque. Ce que je désigne
ainsi est un phénomène que je suis enclin à considérer comme le pré-
curseur de l'ambivalence psychologique. Ce phénomène a rapport à la
non-différenciation dans tous les secteurs de la personnalité du nouveau-
né, non-différenciation qui pour l'observateur se manifeste nettement
dans le comportement de l'enfant, depuis la naissance et pendant
toute la première année de la vie (Spitz, 1957) [33]. Le fonctionnement
et le comportement erratiques dans tous les secteurs de la personnalité
ne seront coordonnés en schèmes bien définis qu'étape par étape.
L'observateur adulte est le plus souvent incapable de prédire la direc-
tion que prendra un acte de l'enfant. Il est même difficile de dire d'après
l'expression du visage si l'enfant va pleurer ou rire. Il reste encore
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 205

quelque chose de cette non-différenciation à la fin de la première année


et après, quoique cela aille en décroissant.
La différenciation des pulsions pendant les six premiers mois aussi
est encore incomplète, facilitant ainsi et favorisant même « la trans-
formation en contraire ».
Cela s'applique probablement aussi au « retournement contre soi ».
Seulement ici la différenciation incomplète des pulsions s'associe à la
différenciation incomplète entre le « Je » et le « non-Je ». On voit par
exemple des enfants au cours de la première année se faisant du mal
à eux-mêmes en réponse à une frustration. Le cas d'un garçon de 8 mois
que j'ai observé dans un orphelinat en donne un exemple remarquable.
Chaque fois que quelque chose lui causait du déplaisir il se mettait à
pleurer et se frappait en même temps le côté gauche du visage avec son
poing droit fermé jusqu'à ce que l'excitation causant du déplaisir ait
disparu ; il le faisait avec une telle violence qu'on pouvait l'entendre
de loin. Les excitations en question pouvaient être tout à fait imper-
sonnelles ; j'ai filmé cet enfant alors qu'il se frappait ainsi parce qu'il
avait le soleil dans les yeux.

CONCLUSION

Au cours de cette étude des mécanismes de défense, je n'ai pas


présenté beaucoup de faits nouveaux. J'ai simplement indiqué une voie
où la recherche pourrait s'engager et se développer. Car il ne fait pas
de doute que les prototypes des défenses du Moi passent par la filière
de la relation mère-enfant au cours du développement. Il vaudrait la
peine d'examiner les questions suivantes :
1. Quel est le genre de relation mère-enfant qui favorise et facilite tel
ou tel type de mécanisme de défense ?
2. A quel moment les relations mère-enfant transforment le prototype
physiologique pour amorcer un mécanisme de défense ?
3. Il semblerait souhaitable de vérifier les hypothèses de Gree-
nacre (1958) [21] et de Bergmann et Escalona (1949) [4], selon
lesquelles la formation prématurée du Moi aboutit à une formation
défectueuse du Moi ou, comme je le formulerais, de voir quelles
quantités de stimulation amenant une activation prématurée des
défenses aboutissent à cette formation défectueuse. Je me permets de
vous rappeler que l'hypothèse de Greenacre se réfère à des trau-
matismes vécus par l'enfant au cours de la naissance.
206 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Cette proposition pourrait être étendue et comprendre, au cours


des mois qui suivent la naissance, le rôle de la mère comme protectrice
de l'enfant contre les excitations de l'extérieur. Il arrive qu'elle échoue
dans ce rôle et au lieu de protéger l'enfant le stimule exagérément.
Est-ce qu'elle n'activera pas alors prématurément les prototypes de
mécanismes de défense ou même d'actuels mécanismes de défense ?
La plus grande partie de nos prototypes — je me réfère à la bar-
rière défensive contre le stimulus, à la fermeture des yeux, au cycle
veille-sommeil, au processus de différenciation entre le « Je » et le « non-
Je », etc. — sont situés au stade indifférencié et appartiennent à ce qui
formera plus tard la sphère du Moi libre de conflit. Ils contribuent au
processus de formation du Moi avec l'aide des relations objectales.
On peut s'attendre à ce que leur activation prématurée dans la direction
des défenses entraîne un développement défectueux du Moi, ce que
j'ai décrit ailleurs (1959) [35] comme le développement asymétrique
du Moi. Il semblerait donc approprié et souhaitable d'étudier le rôle
des prototypes de mécanismes de défense et le rôle des mécanismes
de défense les plus précoces dans la formation de la structure
psychologique.
Bien d'autres questions mériteraient d'être posées. Par exemple
on pourrait rechercher quel prototype mène probablement à la défense
contre l'extérieur, tel que le déni, et quel est celui qui aboutit à la
défense contre l'intérieur, comme la projection. Il est évident que cet
exposé ne peut traiter les problèmes nombreux qu'il soulève et que leur
étude reste à faire.

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PUBLICATIONS (1)

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II. Die Genesis der magischen und transzendenten Kulte,
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2. 1930. Angstaffekt und Beduerfnisstauung,Int. Zeitschrift fuer Psychoa-
nalyse, vol. XVI, pp. 417-419.
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Int. Zeitschrift fuer Psychoanalyse, vol. XVIII, pp. 529-530.
4. 1932. VAGADU, Eine Analyse im Spiegel kuenstlerischer Intuitionen,
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5. 1933. Ein Beitrag zum Problem der Wandlung der Neurosenform,
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Bibliothèque psychanalytique, Denoël & Steele, Paris.
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(1) Bibliographie générale des travaux de Spitz.


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New York, International Universities Press.
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pp. 63-81.
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de psychologie de la vie sociale et d'hygiène mentale (ed. by
Fédération des Sociétés de Croix-Marine, Clermont-Ferrand),
n° 2, pp. 41-46.
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gen an Saeuglingen waehrend des ersten Lebensjahres, Stut-
gart, Klett Verlag.
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Schweizerische Zeitschrift fuer Psychologie und ihre Anwen-
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furter Beiträge zur Soziologie (Freud in der Gegenwart),
Band 6, Frankfurt am Main, Europäische Verlagsanstalt.
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des Psychanalystes de Belgique, bulletin d'activités, n° 27,
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Mind), vol. III, Tokyo, Kyobunshya, Publishers.
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107. 1959. Nein und Ja (Die Ursprunge der menschlichen Kommunikation),
Stuttgart, Ernst Klett Verlag.
108. 1960. Die Entstehung der Ersten Objektbeziehungen (zweite, erweiterte
Auflage), Stuttgart, Ernst Klett Verlag.
109. 1960. Das Selbst und das Ich, Arztilche Mitteilungen, Deutsches
Ârzteblatt, Heft 19, 45. Jahrgang, pp. 957-961.
110. 1960. Zur Entstehung der Oberich Komponenten, Psyche (Heidel-
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ni. 1960. Discussion of Dr Bowlby's Paper (Grief and Mourning in Infancy
and Early Childhood), The Psychoanalytic Study of the Child,
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112. 1960. Desenvolvimetito Emocional do Recem — Nascido, Rio de Janeiro,
Biblioteca Brasileira de Psycanâlise (série A : Psicanâlise da
Crianca), vol. I.
113. 1960. Psychogene Krankheiten im Ersten Lebensjahr, Praxis der
Psychotherapie, Heft 6.
114. 1960. Infantile Depression and the General Adaptation Syndrome,
A Crianca Portuguesa, Ano XIX, Lisbon.
115. 1961. El Primer Ano de Vida del Nino, Madrid, Aguilar.
116. 1961. No y Si : Sobre la Génesis de la Comunicatiôn Humana, Buenos
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118. 1962. Il Primo Anno di Vita del Bambino, Firenze, Editrice Universitaria.

sous PRESSE

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120. Ontogenesis of the Expression of Emotions.
121. La première année de la vie de l'enfant (Child and Mother),
Second, revised edition.
122. Autoerotism Re-examined.
123. On the Genesis of Superego Components (French).
124. Life and the Dialogue.
214 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

125. Review : Un cas de psychose infantile (S. LEBOVICI and Joyce


MCDOUGALL).
126. The Evolution of Dialogue.

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2. 1947. Grief : A Peril in Infancy, Distributeur : New York University
Film Library, 3 bobines, 360 m.
3. 1948. Genesis of Emotions, Distributeur : New York University Film
Library, commentaire, 3 bobines, 270 m.
4. 1948. Smiling Response : An Experimental Investigation into the Onto-
genesis of Social Relations, Distributeur : New York University
Film Library, commentaire, 2 bobines, 240 m.
5. 1948. Smile of the Baby, Distributeur : New York University Film
Library, commentaire, film sonore, 3 bobines, 360 m.
6. 1948. Somatic Consequences of Emotional Starvation in Infants, Distri-
buteur : New York University Film Library, commentaire,
3 bobines, 280 m.
Note. — Ces films de 16 mm, en noir et blanc et non
sonorisés à l'exception du n° 5, sont présentés en bobines
de 120 m.
7. 1949. Grasping, Distributeur : New York University Film Library,
commentaire, 2 bobines, 240 m.
8. 1952. Motherlove, Distributeur : New York University Film Library,
commentaire, 2 bobines, 220 m.
9. 1952. Psychogenic Diseases in Infancy : An Attempt at their Classification,
Distributeur : New York University Film Library, commen-
taire, 2 bobines, 210 m.
10. 1953. Anxiety : Its Phenomenologyin the First Year of Life, Distributeur :
New York University Film Library, commentaire, 2 bobines,
240 m.
11. 1953. Shaping the Personality : The Role of Mother-Child Relations in
Infancy, Distributeur : New York University Film Library,
commentaire, 2 bobines, 210 m.

FILMS NON PRÉSENTÉS

12. 1947. Bayb Tests (version modifiée), CU stock, commentaire, 1 bobine,


120 m.
13. 1947. Birth and the First 15 Minutes of Life (version abrégée), CU stock,
commentaire, 1 bobine, 90 m.
14. 1947. Race versus Environment, CU stock, commentaire, 1 bobine,
120 m.
15. 1948. Autoerotism in Infancy : As Illustrated by Three of its Manifes-
tations, CU stock, commentaire, 2 bobines, 240 m.
16. 1948. Felicia : A Pathogenic Mother-Child Relationship, CU stock,
commentaire, 1 bobine, 120 m.
17. 1950. Mother-ChildRelations, CU stock, commentaire, 2 bobines, 220 m.
18. 1952. Stress : Emotional Deprivation in Infancy as a Stressor Agent,
CU stock, commentaire, I bobine, 120 m.
QUELQUES PROTOTYPES PRECOCES DE DEFENSE DU MOI 215

19- 1955- Cavity : Earliest Precursors of Object Relations, CU stock, commen-


taire, 2 bobines, 180 m.
20- 1955. Cavity : Emergence of Perceptual System, CU stock, commentaire,
1 bobine, 120 m.
21. 1955. Learning : Imitation and Memory, CU stock, commentaire,
4 bobines, 460 m.
22. 1955. Object Relations, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 120 m.
23. 1956. Baby Tests, CU stock, commentaire, 2 bobines, 240 m.
24. 1956. Equipment Demonstrated on the Moro, CU stock, commentaire,
4 bobines, 460 m.
25. 1957- No and Yes : Motor Prototypes of Semantic Communication, CU
stock, commentaire, 1 bobine, 120 m.
26. 1961. Unusual Infantile Reaction to a Doll, CU stock, commentaire,
2 bobines, 180 m.
27. 1962. Life and the Dialogue, CU stock, sans commentaire, 2 bobines, 180 m.
28. 1962. Dialogue (short version), CU stock, sans commentaire, I bobine,
120 m.
29. Weaning (project), CU stock, sans commentaire, 4 bobines, 460 m.
Note. — Films de 16 mm non sonorisés, présentés en
bobines de 120 m.

SUJETS COURTS : FILMS NON PRÉSENTÉS

30. 1958. Smiling Response, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 45 m.


31. 1959. Cuna Panic, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
32. 1959. Identification with Aggressor, CU stock, sans commentaire,
1 bobine, 15 m.
33- 1959. Role-Playing, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
34. 1959. Space Mastery, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
35. 1960. Eight-months Anxiety, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
36. 1960. Bail-Play, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
37. 1960. Bell and String, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
38. 1960. Communication by Gesture, CU stock, sans commentaire, 1 bobine,
30 m.
39. 1960. Distributing Diapers : Role Playing, CU stock, sans commentaire,
1 bobine, 15 m.
40. 1960. Earliest Imitation, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
41. 1960. Imitation of Drumming, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
42. 1960. Loss of Object, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
43. 1960. Piaget Experiment, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 30 m.
44. 1960. Pride, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 30 m.
45. 1960. Prohibition, CU stock, sans commentaire, I bobine, 30 m.
46. 1960. Sucking Reflex, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 30 m.
47. 1961. Automutilation, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 24 m.
48. 1961. Breastfeeding, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
49. 1961. Peek-a-Boo Game, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
50. 1961. Perseveration, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 30 m.
51. 1962. Maternal Attitude, CU stock, sans commentaire, 1 bobine, 15 m.
Note. — Films de 16 mm, en noir et blanc, non sonorisés,
présentés en bobines de 30 ou 60 m.
De l'image phallique
par B. GRUNBERGER

I. — INTRODUCTION
Au cours de son travail, l'analyste se trouve en constante confron-
tation avec l'image phallique qui domine les péripéties de la cure.
Quels que soient, en effet, la nature du matériel, le niveau du dévelop-
pement auquel il se rattache, l'histoire individuelle du sujet, c'est, en
dernière analyse, autour de la problématique phallique, que se situent
les conflits. Cela est si vrai que Freud considérait que cette problé-
matique débordait la cure elle-même dont elle constituait la pierre
d'achoppement pour ainsi dire, ceci pour tous les sujets et pour les
deux sexes (Analyse terminée et interminable).
L'image phallique apparaît, en fait, à chaque moment significatif
du travail de défoulement, sous les camouflages les plus différents et
sous la forme positive ou négative (phallus et castration).
Manifestement, ce que les apparitions fréquentes de cette image
particulière recouvrent dépasse la signification sexuelle proprement
dite même si nous admettons avec Freud que le phallus est le seul
organe sexuel pour l'inconscient. Nous allons nous attacher à l'étude
de cette image (et de ses significations multiples) qui semble avoir une
place si privilégiée dans l'inconscient humain en général.
La place centrale de l'image phallique et de la castration est évi-
dente aussi bien dans la psychologie normale et pathologique que dans
le langage, le folklore, la mythologie, la religion ou la morale. La
confrontation de l'homme moderne avec cette problématique semble
même se faire sur un niveau relativement plus proche du conscient
qu'autrefois, du moins lorsqu'on en saisit le reflet dans un certain
nombre de créations artistiques contemporaines. Je cite au hasard Kafka
et Beckett, la série noire et la science-fiction, Ionesco et Dubillard, etc.
Freud a montré (Eine Beziehung zwischen dem Symbol und einem
Symptom) l'ambiguïté de l'image phallique dans l'inconscient qui
signifie simultanément le phallus dans ses aspects positifs et négatifs,
c'est-à-dire la présence phallique et la castration. Nous savons éga-
lement que le complexe de castration est antérieur à l'OEdipe et qu'à
chaque phase prégénitale correspond un mode particulier de castration
REV. FR. PSYCHANAL. 15
218 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

jusqu'à la castration la plus précoce qui est la naissance elle-même.


Nous reviendrons à l'étude de ces castrations primitives mais, dès
maintenant, nous pouvons constater que la castration, à des niveaux
différents, comporte l'extension de l'image phallique à des objets
multiples, ce qui nous permet de déduire que phallus et castration sont
des notions qui recouvrent non des actes ou des états mais désignent
les vicissitudes d'une fonction.
J'ai insisté ailleurs sur le fait que l'homme qui a connu la complé-
tude parfaite dans la vie prénatale cherche par la suite à reconstituer
son intégrité perdue en multipliant les tentatives de ce que j'ai appelé
le « rétablissement narcissique ». Il m'était apparu que la cure analy-
tique constituait l'une de ses modalités.
J'ajouterai aujourd'hui que, pour moi, le névrosé n'est nullement
celui qui n'a pas accepté la castration inhérente à la « condition humaine »
mais bien plutôt celui qui a raté les différentes possibilités de rétablis-
sement narcissique de son intégrité perdue aux différents niveaux
de sa maturation pulsionnelle.
En effet, chaque stade de l'évolution offre à l'homme des modalités
multiples et spécifiques de rétablissement narcissique pour peu qu'il
aboutisse à un achèvement de l'intégration des pulsions propres à chaque
stade et qui sont l'objet d'un investissement narcissique adéquat (1).
Certes, le retour à la complétude prénatale totale ne peut être
atteint qu'à travers une régression pathologique, mais compte tenu
de la nature de la modification fondamentale que représente le passage
à la vie post-natale, les modalités de récupération de l'intégrité se
feront de façon radicalement différente et qui non seulement sont
compatibles avec une évolution normale mais en constituent la condi-
tion nécessaire.
(Nous sommes ici confrontés au problème du narcissisme sain
et du narcissisme pathologique mais qu'il nous est impossible de
développer aujourd'hui.)
J'ai utilisé la notion d'intégrité dans un précédent travail (2) par
référence au narcissisme mais la portée de cette notion est plus vaste
et elle englobe tout le processus de maturation pulsionnelle (3). Il semble

(1) Ferenczi a montré que l'accès au sens de la réalité se faisait selon des degrés successifs
de tentative de récupération de la toute-puissance. Mais la complétude dont je parle est donnée
par la simple correspondance entre une pulsion et son investissement narcissique adéquat.
(2) Considérations sur le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle.
(3) Il serait peut-être intéressant de mentionner en passant qu'en hongrois le mot « santé »
se dit « intégrité » (ou complétude) et quand on souhaite bonne santé à quelqu'un on exprime
le souhait qu'il conserve sa « bonne intégrité ".
DE L'IMAGE PHALLIQUE 219

bien — et c'est la première hypothèse qu'il nous paraît permis de for-


muler au cours de ce travail — que l'image phallique exprime l'inté-
grité sous toutes ses formes et que la castration représente les difficultés
de tous ordres qu'éprouve le sujet à se constituer sous le signe de
l'intégrité.
Je voudrais insister sur la caractéristique essentielle du processus
de maturation pulsionnelle qui nous permettra de mieux saisir la notion
d'intégrité telle que je l'entends. Il existe un parallélisme entre la satis-
faction pulsionnelle et l'investissement narcissique. Chaque satisfaction
pulsionnelle a, en effet, deux aspects : la satisfactionpulsionnelle propre-
ment dite, constituée par l'acte qui fait cesser la tension. L'investis-
sement narcissique du même acte constitue d'autre part une référence
à la valeur de l'acte accompli qui satisfait l'amour-propre du sujet.
Il s'agit là d'un coefficient particulier lié à la qualité unique et person-
nelle de l'acte rapporté au sujet. Aux différents niveaux de maturation,
la pulsion tout comme l'investissementnarcissique concomitant subiront
des modifications. Ainsi au stade narcissique-oral, à la gratification
alimentaire (pulsionnelle) s'ajoute la gratification narcissique mégalo-
maniaque (j'ai été satisfait car je suis l'univers). Il est évident qu'il
s'agit là d'un vécu ineffable dont l'articulation dans le langage est encore
impossible.
Au stade anal, l'enfant qui, par exemple, fait de l'exercice a une
satisfaction pulsionnelle motrice, mais aussi la satisfaction narcissique
d'avoir un corps propre à accomplir des exploits, qui fonctionne bien
et lui obéit parfaitement et qui augmente son sentiment de valeur.
Au stade génital, le coït est bien une décharge de tension sexuelle
mais aussi la fusion narcissique probablement la plus proche — comme
l'a déjà dit Ferenczi — de l'état prénatal.
Nous observons de plus près la nature des facteurs qui font pro-
gresser ce processus parallèle de maturation et ceux qui entravent son
progrès et surtout son achèvement.
La constatation que nous pouvons faire dès maintenant est que :
1° Les points critiques de cette évolution sont extrêmement
nombreux ;
2° Qu'ils revêtent un aspect d'intégrité positive et négative;
3° Dans l'inconscient ces points critiques sont marqués du signe
phallique positif ou négatif.
En effet, dans l'inconscient il existe deux possibilités concernant
l'image phallique : ou bien il y a un phallus, ou bien il y a un phallus
châtré en partie ou dans sa totalité. Il ne s'agit pas d'une opposition
220 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

entre présence et absence de phallus, mais entre deux présences :


celle d'un phallus et celle d'un phallus tronqué, mutilé, abîmé ou
perdu et ceci toujours sur un mode violent, agressif ou sadique (1) (2).
S'il existe dans l'inconscient une image de la féminité fondée sur
l'équation « femme = homme châtré », c'est dans la mesure où la dyna-
mique de l'inconscient oscille entre les deux pôles de l'acquisition du
phallus et de sa mutilation partielle ou totale. Ceci témoigne de la
référence la plus fréquente de la problématique de la castration à la
phase sadique-anale. Ainsi l'image phallique représente le mouvement
vers la complétude ou l'achoppement de ce mouvement.
Quant à la fréquence aussi extraordinaire que monotone de l'image
phallique, elle se comprend aisément, si nous tenons compte d'une
particularité de l'Inconscient par rapport à un processus qui se déroule
dans le Moi, à un niveau préconscient. Si nous suivons en effet le travail
qui se fait dans et par le Moi, nous constatons que le progrès dialec-
tique a heu par prises de positions fondamentales et par des reculs, des
compromis, mouvements d'envergure et que nous pouvons qualifier
de stratégiques.
Quant à un niveau plus profond de l'inconscient, une dialectique
différente y règne, faite de changements d'équilibre continuels, fruits
d'un travail minutieux, en profondeur et en nuances, le changement des
charges d'investissement variant avec beaucoup plus de fréquence
qu'au niveau du Moi. Or, il semble bien que les signes qui traduisent
ce dernier mouvement marquent les étapes du processus tactique exac-
tement comme ils marquent les variations fondamentales du processus
stratégique se déroulant au niveau du Moi. Ainsi quand le sujet aura

(1) La représentation du manque ou de l'absence n'existe pas dans l'inconscient, pas plus
que celle de la Mort en tant que fin (v. Freud), Le travail du deuil qui suit une perte ne consiste
pas à intégrer ce manque dans l'inconscient mais à remanier sa relation à l'objet (v. Deuil et
mélancolie). Dans l'inconscient la mère absente n'est pas manque de mère mais mauvaise mère.
Tout comme les mots primitifs expriment des sens opposés comme haut et profond, grand
et petit (v. Freud), l'image phallique révélera et la complétude et la castration ; seule la qualité
de la représentationvariera dans l'inconscient, lui imprimant — pour nous — un sceau positif
ou négatif.
(2) Le transfert négatif de défense des malades à structure paranoïaque ou présentant
un important noyau persécutif oscille entre deux pôles : il s'agit de châtrer l'analyste dont le
pénis anal sur lequel le malade a projeté toute son agressivité constitue une menace dangereuse
de pénétration destructrice mais la castration fantasmatique (défensive) de l'analyste ne
constitue pas une moindre menace car le pénis châtré joue le rôle d'un objet terrifiant et qui
pourrait par son contact même contaminer le malade et le châtrer de ce fait. D'ailleurs, nous
connaissons la crainte profonde et universellement répandue des images de castration, non
seulement parce qu'elles en rappellent l'éventualité mais aussi parce que le contact — même
visuel — avec l'objet châtré constitue en soi une menace pour l'intégrité du sujet. Ceci nous
montre encore combien il est impossible de concevoir la castration comme équivalence à un
manque dans l'inconscient.
DE L' IMAGE PHALLIQUE 221

choisi la position sadique au niveau du Moi, cette orientation aura pour


marque le phallus, donc la castration de l'objet ; quant aux applications
partielles et pour ainsi dire incessantes de cette position, elles auront
des qualités topiques différentes, selon leurs différents degrés d'éloi-
gnement du Moi conscient ou préconscient mais seront toujours repré-
sentées par le même signe.
Si nous nous attachons, maintenant, à établir une définition de
l'image phallique, nous pourrions proposer provisoirement la formule
suivante :
L'image phallique représente dans l'inconscient les mouvements
dialectiques de la maturation pulsionnelle se déroulant sous le signe
de l'intégrité dont le prototype est l'état pré-natal.

II. — NARCISSISME ET PULSION

Nous savons que l'image phallique peut représenter, dans les


rêves par exemple, le rêveur tout entier et aussi que le phallus peut
être absent d'un corps qui représente en lui-même le phallus, la fonc-
tion phallique étant projetée sur le corps tout entier et les deux pôles
de la complémentarité pouvant ainsi figurer l'un pour l'autre, le phallus
représentant le corps tout entier, mais le corps tout entier pouvant
aussi bien représenter le phallus (v. Ferenczi et Bertram Lewin).
Le phallus représente le Moi corporel mais aussi les dimensions
topiques différentes du Moi psychique, l'idée de l'intégrité du Moi
étant liée à l'intégrité de l'organe de la copulation et vice versa. L'image
phallique, comme tout ce qui relève de l'Inconscient, ayant des signi-
fications surdéterminées, recouvrira l'aspect purement physiologique
du pénis-organe sexuel, ainsi que toutes les implications de cet organe
par référence à la phase phallique par exemple.
Mais nous nous attacherons à l'étude du dénominateur commun
de toutes les images phalliques c'est-à-dire l'intégrité (positive ou
négative).
Nous venons de voir au sujet de la maturation pulsionnelle, que
l'évolution psycho-sexuelle suit deux voies parallèles, celle de la matu-
ration pulsionnelle proprement dite et celle de l'investissement narcis-
sique. La recherche de l'intégrité ou de la complétude se déroulera
donc sur deux modes, pulsionnel d'une part et narcissique de l'autre
ou, en d'autres termes, au moyen de la maîtrise énergétique ou de la
valorisation narcissique. Or, ces deux moyens nous ramènent à l'inves-
tissement libidinal et le premier porteur des émois libidinaux est le pénis.
222 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Nous allons tenter d'étudier les deux formes de l'intégrité phallique,


narcissique et pulsionnelle et nous parlerons désormais de pénis
lorsqu'il s'agira du facteur pulsionnel et de phallus lorsque nous envi-
sagerons le facteur narcissique.
Au sujet de l'identification réciproque possible du corps et du
pénis, du tout et de la partie, nous pouvons noter que de ce fait non
seulement les extrémités du corps mais aussi les organes des sens et à
la limite n'importe quelle partie du corps pourront revêtir des carac-
téristiques péniennes négatives ou positives. C'est ce que certains
peintres semblent exprimer. Par exemple les cubistes, Picasso, Gleizes,
Gromaire, représentent l'organe de la vision sous la forme d'un étroit
cylindre allongé (voir aussi toutes les croyances au mauvais oeil, organe
pénétrant et destructeur homologue du pénis anal).
On a aussi rationalisé le caractère pénien de l'oreille en disant
qu'elle dépasse les contours qui limitent le corps, en fait il semble
que ce soit sa fonction même qui en fasse un pénis énergétique. Michel
Fain a dit dans une intervention que tout ce qui fonctionne de façon
adéquate a pour l'Inconscient une signification pénienne. L'origine
fonctionnelle de cette valeur pénienne est confirmée par le fait que non
seulement les objets allongés ont une signification pénienne, comme il est
classique de le dire, mais les objets à forme sphérique également. La
sphère est en effet une forme parfaite, d'une complétude absolue.
Le pénis, nous l'avons dit, est l'image de la complétude obtenue
par la maîtrise et, en effet, tous les signes de la soumission et du pouvoir
relèvent, comme nous le savons, du symbolisme pénien, du sceptre du
souverain à la baguette du chef d'orchestre. En outre, la maîtrise objec-
tale relève de la phase sadique-anale et nous connaissons l'importance
de la composante anale dans la sexualité. Il existe une conception de
la sexualité dans laquelle cette composante énergétique occupe, pour
ainsi dire toute la place, comme toutes les manifestations inconscientes
ou même conscientes en témoignent. Ceci est particulièrementmanifeste
dans le vocabulaire courant et surtout argotique ou populaire qui porte
la marque du sadisme anal aussi bien dans la désignation de l'organe
sexuel que dans celle du coït lui-même. Je rappellerai en outre la fré-
quence des symboles sadiques-anaux du pénis (couteaux, épées,
fusils, etc.).
Quant à la cure analytique il est inutile d'insister sur l'importance
de toute la dialectique de la castration (je te châtre, tu me châtres,
je me châtre, moi châtré — toi châtré, etc.). La majeure partie de
la conflictualité au cours de l'analyse peut être envisagée sous l'angle
DE L'IMAGE PHALLIQUE 223

de la problématique de la castration. Or, la castration même lorsqu'elle


porte sur le pénis génital est d'essence sadique-anale. L'hypothèse
même selon laquelle l'envie du pénis chez la fille serait basée, en partie
du moins, sur son désir d'uriner comme les garçons porte la marque
de la conception anale de la sexualité et, de plus, le désir même d'uriner
à la manière des garçons semble fondé sur la différence entre la miction
en jet, si l'on peut dire, du garçon comparativement à la miction plus
passive et manquant de valeur balistique de la petite fille. Mais en
fait il s'agit là d'une conception très superficielle de l'envie du pénis.
Une hypothèse complémentaire me semble possible à proposer et qui
relève, elle aussi, de la conception du monde à la phase anale. En effet,
l'anal ne reconnaît pour réel que ce qui est précis, mesurable, compa-
rable et donc visible. Il existe au reste toujours, nous le savons, une
composante exhibitionniste dans l'analité. Or, le support anatomique
de la sexualité féminine est plus ou moins caché, autant dire, pour
l'anal, inexistant. L'équation femme-homme châtré me semble donc
relever de la phase anale et si la femme elle-même se vit comme châ-
trée, ce n'est certes pas parce qu'elle manque d'organe sexuel satisfai-
sant sur le plan de la sexualité mais parce que cet organe manque de
certaines caractéristiques qui, du point de vue anal, sont indispensables.
Comme je l'ai souligné au sujet de la relation objectale anale, l'investis-
sement du sadique-anal ne porte pas tant sur l'objet que sur la relation
qu'il entretient avec celui-ci, c'est-à-dire le rapport de forces qui lui
assurera la maîtrise objectale. Or, la maîtrise équivaut à priver l'objet
de son autonomie ; c'est donc le châtrer et cette castration de l'autre
a la valeur de l'acquisition d'un pénis personnel dans l'inconscient.
A ce stade le pénis est conçu comme unique et « si tu ne l'as pas, je l'ai ».
Nous voyons que l'image du pénis recouvre tous les avatars de l'inté-
grité corporelle, depuis la réalité physiologique jusqu'à l'idée abstraite.
C'est la représentation unique d'une série de positions à dignité psycho-
logique différente et séparées par toute une gamme de formes de
transition.
A ce sujet, et en marge d' « Un souvenir d'enfance de Léonard de
Vinci » de Freud, nous dirons quelques mots du fétichiste qui paraît
se situer pour nous à la fois dans la dimension pulsionnelle pénienne
et la dimension narcissique à laquelle correspond le phallus. Cette
position intermédiaire du fétichiste nous permettra d'aborder la pro-
blématique de la recherche narcissique de l'intégrité.
Je rappellerai que le pénis que le fétichiste recherche chez sa
partenaire se trouve être souvent — comme certains auteurs l'ont
224 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

remarqué avant moi — doté de caractéristiques anales. Nous savons


ainsi que le fétichiste affectionne les objets sales, usagés, parfois même
répugnants, imprégnés d'odeurs, en un mot, fécalisés.
Pour la théorie classique, le fétichiste dote sa partenaire d'objets
symbolisant le pénis et le plus souvent, comme nous venons de le
voir, le pénis fécal pour se défendre de la peur de la castration. Or,
il nous semble bien que ce soit en effet là le but ultime poursuivi mais
qu'en fait le fétichiste y parvienne par un détour qui passe par la
castration de son objet afin de s'approprier fantasmatiquement ou réelle-
ment le pénis symbolique qu'il lui a préalablement conféré. Ceci semble
particulièrement clair dans le cas bien connu des coupeurs de nattes.
Même lorsque le fétichiste ne s'empare pas réellement du fétiche,
équivalent du pénis anal, il châtre sa partenaire comme le veut la concep-
tion régressive du coït réel ou fantasmatique chez le sadique anal.
Dans le même registre, l'essence du strip-tease paraît résider dans
« l'effeuillage » successif des divers symboles péniens dont la femme
s'est affublée (longs gants noirs, bas noirs, chaussures à talons ou
bottines, corset, etc.), comme si l'intérêt de la chose ne résidait pas
dans le fait que la femme porte, un pénis ni dans sa nudité, mais dans
sa castration progressive et multiple.
Tout ceci nous expliquerait la signification du pénis ainsi acquis
dont nous voyons les aspects sexuels énergétiques sadiques-anaux
intriqués à des éléments narcissiques qui en font un phallus. En effet
le fait que tel chiffon sale puisse pour l'inconscient devenir pénis
témoigne de la présence du même élément de toute-puissance qui d'un
bâton de coudrier fait une baguette magique (1). Au reste, qu'une
pareille juxtaposition d'éléments différents — pulsionnels et narcis-
siques — concernant l'image phallique, existe dans l'inconscient me
paraît confirmé par l'existence paradoxale d'homosexuels fétichistes, la
vision seule du pénis chez leur partenaire ne suffisant apparemment pas
à combler leur quête. Nous sommes donc amenés à penser que le fétiche
ne se superpose pas, dans sa fonction, uniquement à l'organe sexuel.
En fait le clivage entre éléments pulsionnels et éléments narcis-
siques, entre pénis et phallus, n'est pas toujours aisé d'autant plus
que les deux facteurs sont toujours présents dans des proportions bien
entendu différentes.

(1) PASCHE et RENARD, dans leur remarquable étude sur Les problèmes essentiels de la perver-
sion, insistent aussi sur les composantes prégénitales et surtout anales du fétiche et de son
idéalisation, c'est-à-dire sur son aspect narcissique. Quant à la théorie générale du fétichisme,
ils se retrouvent avec moi dans la même ligne freudienne, celle de la régression.
DE L'IMAGE PHALLIQUE 225

Nous avons vu au sujet de l'envie de pénis de la petite fille qu'elle


voudrait avoir une miction en jet et un organe sexuel visible mais
en même temps elle jalouse le pénis car « les garçons font tout ce qu'ils
veulent » (toute-puissance narcissique).
Nous voyons donc déjà à travers cet exemple l'intrication perma-
nente du facteur pénien et du facteur phallique, ce qui nous rappelle
en même temps la nécessité de cette intrication car les pulsions doivent
être investies narcissiquement et inversement, la composante narcis-
sique ne peut exister que grâce à un support pulsionnel réel.
Aussi bien voyons-nous que le narcissisme totalement dépourvu
d'éléments pulsionnels réels ne peut aboutir qu'au délire alors que
l'analité non intégrée narcissiquement aboutit pour sa part à toutes
sortes de formations pathologiques dont probablement le processus de
somatisation en soi. (Ceci à titre d'hypothèse.)
Pour nous le narcissisme lui-même repose sur une réalité qui est
la vie pré-natale, complétude réelle dont le souvenir est inscrit en nous
et notre exigence permanente d'une récupération de cette intégrité est
donc basée sur cette réalité qui est représentée dans l'inconscient
par le phallus. D'ailleurs, quand nous parlons du phallus que tel
ou tel « se donne », nous ne pensons en général pas au pénis mais au
phallus en tant que toute-puissance et c'est ainsi que nous devons
comprendre la majeure partie du matériel phallique analytique,onirique
ou fantasmatique.
Toute la problématique de la castration de l'objet qui existe aussi
bien chez l'homme pourvu d'un pénis que chez la femme et qui s'exerce
aussi bien sur un objet masculin que sur un objet féminin, témoigne
également de la juxtaposition dans l'inconscient du pénis et du phallus.
Ce double aspect de l'image phallique-pénis pulsionnel et phallus-
complétude permet de mieux cerner le problème de la peur de castra-
tion chez la femme. D'autre part, le pénis pulsionnel confère au désir
des possibilités de réalisation mais aussi des limites tandis que le
phallus restera le représentant de la toute-puissance, de la grandeur,
de l'ineffable qui subsiste chez chacun tout au long de la vie.
L'élan narcissique se déploie d'autant plus facilement vers l'absolu,
vers l'illimité, que rien de réel ne peut s'opposer à lui et que son
accomplissement est accompagné d'un sentiment élationnel spécifique
d'autant plus satisfaisant qu'il est à l'abri de la culpabilité parce que
aconflictuel et préambivalent.
Nous savons que l'enfant réussit à sauvegarder sa toute-puissance
narcissique en la projetant sur les parents divinisés et les divinités.
226 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

en général, autant de notions qui seront représentées dans l'Inconscient


par l'image phallique sous des formes différentes et adaptées à leur
signification spécifique.
Le phallus — tout en conservant sa forme originelle pénienne

peut perdre ses qualités purement pulsionnelles et ne revêtir que ses
significations narcissiques. A ce degré, la différenciation sexuelle
disparaît et avoir le phallus signifie non pas être homme ou femme mais
être d'une façon complète du point de vue narcissique, c'est-à-dire être
ce que l'on est.
Quant à la cure analytique, elle est portée par l'espoir et la convic-
tion d'atteindre cet idéal de complétude sans lequel la reviviscence
des conflits objectaux serait insupportable pour l'analysé. J'ai montré
par ailleurs que la situation analytique en elle-même induisait l'analysé
à la reviviscence de certains états élationnels homologues du narcis-
sisme prénatal, vécus anticipateurs en quelque sorte de l'idéal de
complétude qui sera figuré dans le processus de la cure sous forme d'un
désir d'appropriation sur différents modes du pénis de l'analyste qui
renvoie ici en fait au phallus.

III. — LA DIALECTIQUE

C'est en s'engageant dans le processus de maturation pulsionnelle


que le narcissisme, originairement a-pulsionnel et préambivalent, se
conflictualise.
Sans entrer ici dans la démonstration des origines de ce mouve-
ment, nous rappellerons simplement quelques constatations.
Ainsi, en début d'analyse, les malades déclarent souvent qu'ils
n'osent parler d'eux-mêmes, que s'occuper ainsi de soi est mal, etc.
En un mot, ils n'osent s'aimer et s'accepter et nous savons que l'une des
tâches de l'analyste consiste à les amener à se le permettre. Déjà par leur
venue en analyse les malades montrent qu'ils ont pu vaincre un obstacle
lié à la culpabilisation de leur narcissisme. Le Surmoi judéo-chrétien
est ennemi du narcissisme, lui pour qui le péché d'orgueil est le péché
par excellence.
La maturation pulsionnelle se déroulera donc sous le signe d'une
culpabilité parallèle du narcissisme et de la pulsion et principalement
de la composante anale (Idéal du Moi et Surmoi) et nous rendra compte
d'une véritable antinomie pénis-phallus qui fera naître entre eux un
mouvement dialectique.
Nous savons que l'enfant procède souvent à une opération tactique
DE L'IMAGE PHALLIQUE 227

en s'appuyant sur l'un des parents pendant qu'il règle son conflit
avec l'autre. Dans l'analyse cette tactique se répète. Il est aisé de
constater que le malade qui réalise un progrès dans un domaine aura
souvent tendance à reculer dans un autre. Je ne pense pas que nous
puissions nous contenter d'invoquer un mécanisme économique et dire
« c'était trop beau, il fallait que ça se gâte », mais plutôt nous poser la
question : « Qu'est-ce qui était trop beau ? » et « Qu'est-ce qui s'est
gâté ? »
Nous voyons alors que les oscillations se produisent dans des
domaines toujours spécifiques et l'on peut constater qu'un progrès sur
le plan anal, matériel, par exemple (gain important, progrès sur le plan
professionnel...) est accompagné d'un recul sur le plan affectif sous
forme de blessure narcissique provoquée, de perte de prestige, d'amour
ou d'amour-propre.
Cette alternance est l'expression d'un processus particulier, dialec-
tique, qui mène le sujet au cours de la cure analytique, à une intégra-
tion parallèle de plus en plus achevée de son narcissisme et de ses
relations objectales, le progrès se faisant par gains quantitativement
petits mais cumulatifs, chaque mouvement étant marqué de l'image
phallique négative ou positive comme nous l'avons indiqué dans l'in-
troduction de cet exposé.
Au cours de ce mouvement dialectique la charge libidinale sera
toujours placée sur l'élément du couple le moins conflictualisé dans
le moment, et nous savons qu'une pulsion fortement investie peut
— avec un investissement libidinal diminué — fonctionner comme une
défense et réciproquement. Tel peut ainsi accepter sa castration pul-
sionnelle pour se ménager une déconflictualisation sur le plan narcis-
sique, ou bien renoncer à une gratification narcissique pour se permettre
une satisfaction pulsionnelle, s'assurant ainsi un progrès au prix d'un
sacrifice qui est moindre (la qualité moindre du sacrifice étant fonction
de l'investissement).
La dialectique peut ainsi varier dans de larges proportions ; elle
a lieu non seulement entre pénis — pénis énergétique et phallus —
mais aussi entre les différentes modalités pulsionnelles et narcissiques,
entre les différentes phases maturationnelles qui sont très diverses
quant à leur dignité psychosexuelle en quelque sorte.
Nous savons par exemple combien il est plus facile pour certains
peintres de satisfaire leur pulsion anale en sublimant le jeu fécal lui-
même dans l'exercice de leur art que de préparer une exposition,
organiser un vernissage, concevoir les modalités d'un contrat et vendre
228 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

leurs toiles, toutes opérations mettant en jeu d'autres aspects de la


composante anale.
Dans l'envie du pénis chez la femme, il est nécessaire également,
à mon avis, de distinguer entre toutes les significations du pénis et du
phallus.
Interpréter toute envie de pénis comme une défense devant la
féminité risque d'aboutir à une méconnaissance de la signification
du désir d'intégrité narcissique et de complétude qu'elle recouvre sou-
vent et qui s'exprime dans l'inconscient par l'image phallique dans les
deux sexes.
En fait, la féminité achevée s'exprime aussi dans l'inconscient
par cette image. Aussi bien la compréhension erronée des positions
féminines à l'égard du phallus-complétude ne pourrait-elle conduire
qu'à l'exacerbation et à la pérennisation de l'envie du pénis (en tant
qu'organe sexuel).
L'attitude d'une femme refusant les rapports sexuels peut équiva-
loir, entre autres, à se donner, par ce refus, un pénis anal mais si une
femme se refuse parce que vierge et ayant investi narcissiquement
sa virginité, elle se donne alors un phallus.
Les théologiens du Moyen Age l'ont bien compris, qui faisaient
monter sur le bûcher — pour péché d'orgueil — de jeunes vierges
récalcitrantes d'une grande beauté.
L'attitude des hommes à l'égard des femmes s'inscrit souvent
en effet également dans cette dialectique pénis-phallus. Ainsi tel
homme qui encouragera sa femme à avoir une position dominante dans
le couple quant aux décisions à prendre, ne tolérera pas qu'elle mani-
feste ses qualités intellectuelles et jalousera sa vie professionnelle. Tel
autre supportera aisément que sa femme fasse des affaires mais non
qu'elle conduise une voiture.
Toutes les variantes de cette position sont possibles mais elles vont
sans doute plus souvent dans le sens d'un refus d'accorder le phallus.
Sans vouloir entrer ici dans l'analyse de ce fait sociologique qu'est
l'initiation, nous rappelons qu'elle comprend presque toujours des
actes apparemment homosexuels, qui en constituent une composante
spécifique survivant d'ailleurs sous des formes édulcorées et symbo-
liques dans les bizuthages et autres rituels analogues d'admission à
des cercles, clubs, sociétés secrètes et groupements divers... Or, même
si l'on admet qu'il y a là, pour les seniors, une occasion de vivre leur
homosexualité en sodomisant les jeunes sujets sur un mode symbolique
ou réel, et que l'institution même a un contenu franchement homosexuel,
DE L'IMAGE PHALLIQUE. 229

on doit voir, cependant, qu'elle sert, en même temps, un but essentielle-


ment différent : l'introjéctionau phallus paternelen tant que projectiondu
narcissisme du junior qui devient ainsi le dépositaire de cette puissance;
participant de la dimension narcissique, elle se situe en dehors du temps
et persiste ainsi éternellement à travers son support qu'est la sexualité
mais en partie détournée de son but original, c'est-à-dire sublimée.
L'inconscient se sert, dans les deux cas, de la même image, sur-
déterminée, comme le sont les représentations oniriques dont il nous
incombe également de cliver les significations stratifiées. C'est sous cet
éclairage que doit être envisagée — à mon avis du moins — l'analyse de
la composante homosexuelle passive dans les deux sexes.

IV. — LA COMPLÉTUDE NARCISSIQUE


Contenu-contenant
Je rappelle, ici encore, le rôle que je fais jouer à l'état prénatal
dans la recherche de l'intégrité narcissique.
L'enfant dans le sein de sa mère réalise un état de complétude
grâce à l'unité qu'il forme avec la mère, c'est-à-dire dans la fusion du
contenu et du contenant.
L'enfant à ce stade ne distingue certes pas les deux éléments qui
constituent son univers fusionnel, mais, soit qu'il en garde quelque
imprégnation, soit qu'il reconstitue fantasmatiquement sa position
originelle, le fait est qu'à chaque étape de son développement, il tentera
de reconstituer, sur des modes différents, l'unité du contenu et du
contenant. Le phallus se définira donc comme la complétude réalisée
par l'unité contenu-contenant.
Ainsi au stade oral l'enfant comblé par le sein réalise cette unité,
au stade anal il l'obtient par la maîtrise de l'objet sur lequel il se ren-
ferme et au stade génital le coït qui réalise l'union de deux partenaires
complémentaires fonde une nouvelle complétude contenu-contenant.
(Janine Chasseguet, dans un travail inédit sur Le fantasme d'engloutis-
sement dans la phobie et du piège dans la paranoïa a décrit les avatars fan-
tasmatiques du contenu et du contenant dans ces entités nosologiques.)
Comme je l'ai déjà dit plus haut, la castration correspond (Stärcke)
à une série analogue, la castration sexuelle, la castration anale (perte
des selles, pertes matérielles, perte du contrôle), la castration orale
(le sevrage) et enfin la naissance (castration primitive).
Nous voyons ainsi la symétrie parfaite de la série « complétude »
et de la série « castration ».
230 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

La question se pose de savoir si la réalisation de la complétude,


dans la vie ou la cure analytique, est possible.
En fait, elle n'est jamais parfaitement atteinte, sans cela aucune
évolution ne serait concevable. Elle reste cependant une promesse,
une virtualité, l'homme projetant dans l'avenir ce qu'il a connu une fois
et sa recherche n'est jamais totalement vaine car s'il n'obtenait jamais
une satisfaction élationnelle, il n'y aurait là encore aucune évolution
possible. L'affirmation de l'atteinte de la complétude absolue, comme sa
négation totale, constituent toutes deux une méconnaissance de la réa-
lité de la vie de l'homme et de celle de l'humanité qui repose sur une
succession d'élans et de mouvements dynamiques.
En fait, dans le développement individuel, nous avons vu que le
sujet, à chaque stade, obtenait une nouvelle possibilité de « rétablis-
sement narcissique » fondée sur l'investissement narcissique de la
maturation pulsionnelle, propre au stade envisagé.
Il faut souligner ici qu'à chaque stade il n'y a pas substitution
d'une possibilité de « rétablissement narcissique » par rapport à celle
de la phase précédente, mais addition d'une possibilité nouvelle.
La phase génitale les contient toutes et dispose ainsi d'une gamme
étendue et nuancée de virtualités. Je pense que je rejoins ici non seule-
ment l'idée de Freud du « faisceau à primauté génitale » mais aussi celle
de Maurice Bouvet qui voyait dans la capacité de régression libre une
des caractéristiques essentielles de la génitalité. Cette conception cor-
respondrait en tout cas à une définition partielle classique du coït
génital qui suppose un abandon spontané à la régression en même temps
qu'elle intégrerait la théorie d'amphimixis de Ferenczi pour qui le coït
serait une récapitulation de tous les stades du développement. Quant au
pénis génital, il est le résultat d'une pareille synthèse d'éléments pul-
sionnels des stades antérieurs et tout particulièrement du stade sadique-
anal et d'éléments narcissiques.
Comme la notion de complétude narcissique représentée par le
phallus et réalisée par l'union contenant-contenu nous a amenés à la
conception d'une interdépendance absolue entre l'unité fusionnelle et
la castration, elle nous permet aussi de cerner le problème de l'OEdipe
sur un mode quasi biogénétique.
Le matériel que nous fournissent nos analysés montre, en effet,
que le fantasme de la scène primitive correspond à une représentation
de l'union contenant-contenu que dans l'imagination de l'enfant les
parents sont en train de réaliser. Il voudra (je parle ici du garçon) briser
cette union, c'est-à-dire séparer les parents mais cette séparation équi-
DE L'IMAGE PHALLIQUE 231

vaut à la destruction du phallus (identique dans l'inconscient avec l'union


contenant-contenu) et à châtrer ainsi le père (c'est la castration du père
qui est primitive et la peur de la castration est la crainte de la rétorsion).
Déjà le désir de la mère constitue ainsi la destruction du contenant-
contenu parental et donc la castration, avec le désir de l'enfant de recréer
l'union avec sa mère, c'est-à-dire de reconstituer à son tour l'union
contenu-contenant = posséder le phallus. On pourrait même ajouter
qu'ayant réalisé la fusion contenant-contenu avec sa mère avant que ses
parents aient réalisé la leur (au moins de son point de vue) l'enfant
puisse avoir une certaine intuition de cette priorité et soit ainsi fondé à
considérer son père comme un intrus avec d'autant plus de conviction.
Quant au fantasme de séduction par la mère il semble correspondre
à une double projection sur la mère, celle du désir du garçon de consti-
tuer l'unité contenu-contenant avec elle en même temps que de la cas-
tration du père, la mère étant responsable de la cassure de l'unité qu'elle
formait avec lui dans la scène primitive.
Ainsi se trouvent fondues dans une unité conceptuelle cohérente
les trois principaux « fantasmes collectifs ou universels » de Freud :
la castration, la séduction et la scène initiale.

DISCUSSION
Le Dr Pasche remercie vivement l'orateur et souhaite la bienvenue
au Dr Spiegel de New York.
Une vive discussion s'engage. Fain félicite l'auteur pour la haute
tenue de son exposé, mais souligne que sa théorie diverge de la position
classique. Après avoir rappelé les positions de Freud sur la fin du
narcissisme primaire et sur l'idéal du Moi et en se basant sur des
exemples sociaux et cliniques, Fain pense que sa divergence avec
Grunberger est surtout basée sur les faits et ce dernier n'admet pas la
dualité (l'instinct de vie et de mort), les deux pôles d'attraction dis-
tincts : le retour à la fusion, contemporain de la toute-puissance narcis-
sique, et le mouvement vers le pénis sur lequel a été projetée cette
toute-puissance.
Stein est d'accord avec les positions de Grunberger mais remarque
que si le phallus est le symbole de l'intégrité il est préférable de parler
du symbole phallique plutôt que de l'image phallique. D'autre part,
tant que la fusion entre le sujet et l'objet existe il est difficile de parler
de l'intégrité et de la castration. Le problème de la castration se pose
après la séparation de même que l'intégrité.
232 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Lebovici n'adhère pas aux thèses développées par Grunberger.


Il pense que le phallus est une image du pénis investi de la complé-
tude narcissique mais sa réalité se situe dans l'histoire des avatars
de la castration ; il reproche à Grunberger de ne pas situer les pro-
blèmes : phallus et castration, dans les perspectives génétiques.
Mendel considère que la sublimation est le carrefour où le narcis-
sisme et les pulsions se rencontrent.
Spiegel est en désaccord avec Grunberger quant à l'antithèse entre
la gratification instinctuelle et la gratification narcissique ; cette dernière
étant nécessairement instinctuelle.
Pasche souligne le danger qu'il y a à opposer le « narcissique »
au « pulsionnel » et rappelle qu'il y a des pulsions dirigées vers le Moi
et des pulsions dirigées vers les objets 3 le contraire du narcissisme ce
n'est pas les pulsions.
Grunberger répond longuement à chacune de ces interventions.
Jean KESTENBERG.

Intervention du Dr M. FAIN
Je m'associe à mes collègues pour féliciter Bela Grunberger de
la haute tenue de son exposé. Ce dernier reste fidèle à sa façon générale
de penser dont il nous expose régulièrement le développement. Il
a aujourd'hui défini le point précis où sa théorie diverge de la posi-
tion classique. Avec S. Freud nous admettons en général que la fin du
narcissisme primaire est vécue a posteriori comme la perte de la toute-
puissance. Celle-ci est alors projetée sur l'objet dont la reconnaissance
a accompagné ce sentiment de perte, projection qui le transforme en
premier Idéal du Moi. Pour B. Grunberger c'est le souvenir de l'union
indifférenciée avec la mère qui constitue le point d'appel. Il ne s'agit
pas alors d'une querelle de définition mais d'un bouleversement de la
théorie freudienne qui distingue nettement ces deux pôles attractifs :
l'un investit l'avenir dans un mouvement en avant ; l'autre veut revenir
en arrière vers les états dépassés. Nous savons qu'il s'agit là de modes
différents de penser qui ont agité la philosophie depuis longtemps,
l'amour de l'homme primitif de Rousseau s'opposant à l'amour du
progrès des encyclopédistes, le spiritualisme métaphysique dans sa
conception de l'atteinte de l'intemporalité, de la suppression des
limites devant survenir après la mort, s'opposant au matérialisme
visant le bonheur terrestre pour les générations à venir.
En fait, la notion de régression qui domine la compréhension psy-
DE L'IMAGE PHALLIQUE 233

chanalytique de la pathologie transporte cette discussion sur le plan


clinique. La nostalgie de l'état passé ne se confond jamais avec l'attrait
exercé par l'Idéal du Moi. Quand cette confusion apparaît, elle traduit
un phénomène particulier à certaines formes cliniques de névrose
de caractère : le Surmoi et le Moi sont fusionnés en un comportement,
Idéal du Moi proclamé, à la poursuite de toutes représentations qui
pourraient troubler cette union. Il y a alors effectivement une scission
entre le narcissisme qui caractérise cette fusion, et les pulsions, mais
alors il s'agit d'un phénomène pathologique. Nous observons souvent
également en clinique psychosomatique des moments où une brutale
nostalgie du passé vient supprimer tout appel de l'avenir. Il s'agit de ces
troubles fréquents de la maturité. Lorsque cette dernière n'est pas l'en-
fant des fantasmes de la jeunesse, et que son apparition entraîne la ruine
des possibilités de réalisation jusque-là imaginées, on assiste à des désin-
vestissements brutaux du futur entraînant d'importantes régressions.
Autrement dit, ce sont sur ces arguments sociaux et cliniques
montrant deux pôles d'attraction distincts — le retour à la fusion
contemporaine de la toute-puissance narcissique et le mouvement
vers le pénis sur lequel a été projetée cette toute-puissance narcissique
que se base ma divergence avec le postulat sur lequel B. Grunberger
développe une nouvelle théorie psychanalytique néo-freudienne. N'ou-
blions pas cependant combien la défense d'une théorie contraint tout
le monde à se mouiller, à argumenter, pour le plus grand bien de notre
discipline et dans ce sens les opinions si bien exprimées par B. Grun-
berger animent remarquablement notre mouvement.

Intervention de S. LEBOVICI
Dans son travail consacré à l'image phallique, Grunberger appro-
fondit son oeuvre consacrée au narcissisme. Sa thèse essentielle est
d'étudier la dialectique de deux séries, complétude-phallus, investisse-
ment objectal-pénis-castration.
A bien des égards, on comprend mieux, en écoutant chaque nouveau
travail de notre collègue, le sens de sa thèse et on peut mieux le suivre
dans le développement de sa pensée sur le narcissisme. L'étude du
destin des investissements narcissiques primaires a conduit Freud à
l'élaboration de la théorie de l'Idéal du Moi, par la projection de la
surestimation mégalomaniaque de soi sur l'image des parents. D'un
autre côté, le Surmoi se constitue d'une manière définitive, à titre
d'instance, dans le cadre des vicissitudes identificatoires de l'évolution
REV. FR. PSYCHANAL. 16
234 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

oedipienne génitalisée. Il apparaît donc que Grunberger reste fidèle à


la pensée freudienne dans son étude de la problématique pénis-phallus.
Il pourrait donc paraître simpliste ou spécieux de revenir sur son
argumentation et de souhaiter qu'on n'oublie pas de nécessaires dis-
tinctions sur le plan théorique et clinique, voire peut-être technique.
Nous admettrions volontiers une définition selon laquelle le phallus
est l'investissement narcissique du pénis, mais je plaiderais en faveur
de la thèse selon laquelle l'étude du narcissisme nous conduit à diffé-
rencier une série de données parallèles, mais non synonymes.
Le narcissisme est un concept limite : l'investissement narcissique
primaire est une nécessité pour comprendre l'investissement secondaire
de l'objet (et éventuellement les réinvestissements secondaires et les
conflictualisations narcissiques auxquelles fait allusion Grunberger).
Son étude n'est pas seulement nécessaire dans les états profondément
régressifs, mais elle est indispensable pour tenir compte des phéno-
mènes énergétiques divers qui s'instituent dans la cure psychanaly-
tique et qui constituent un des aspects des « bénéfices primaires » de
la maladie.
Le stade narcissique que j'ai essayé d'individualiser dans l'histoire
naturelle de la relation dite préobjectale nous conduit à soulever
l'hypothèse d'une instance, le Soi, très proche de l'instance narcissique
de Grunberger.
Le phallus est une image du pénis investi de la complétude narcis-
sique, mais sa réalité, attestée anthropologiquement — il n'est pas
utile de le montrer — se situe dans l'histoire des avatars de la castration.
En d'autres termes, la remarquable conférence de Grunberger
aurait toute mon adhésion si les séries complémentaires phallus et
castration étaient situées dans leurs perspectives génétiques et dans
leur valeur d'actualité spécifique.

Intervention du Dr SPIEGEL
La discussion des thèses du Dr Grunberger a été très stimulante,
il existe beaucoup de points d'accord entre nous. J'aimerais insister sur
un aspect de son exposé qui fait apparaître une différence substantielle
entre nos points de vue.
Le Dr Grunberger souligne l'antithèse : gratification instinctuelle-
gratification narcissique. Il est difficile de maintenir cette opposition,
puisque la construction du narcissisme peut vraiment être instinctuelle.
NOTES CLINIQUES
ET THÉORIQUES

La situation analytique :
remarques sur la régression
vers le narcissisme primaire dans la séance
et le poids de la parole de l'analyste(1)
par CONRAD STEIN

I. — LES FAUSSES LIAISONS

Il se produit, au cours des séminaires de cures contrôlées, que


l'analyste débutant après avoir rapporté une interprétation qu'il a
fournie à son patient s'entende répondre par son contrôleur qu'il a
fort bien compris ce qu'il est convenu d'appeler, d'un terme assez
malheureux, « le matériel » associatif de son patient, mais qu'il a eu
tort de lui communiquer ce qu'il avait compris. Il aurait mieux fait
de se taire. L'erreur inverse est tout aussi fréquente : le contrôleur
demande : « Comment comprenez-vous ce que le patient vous a dit
et que vous venez de me rapporter ? », et le disciple de répondre fort
pertinemment et le premier de rétorquer : « Pourquoi ne l'avez-vous
point communiqué au patient ? » (D'autres fois encore c'est parmi ce
qu'il a compris que le choix de ce qu'il aura livré dans son interpré-
tation paraîtra inopportun.) — Quelque chose peut-il être dit de ce qui
sépare nos deux interlocuteurs, de cette expérience de l'analyste qui,
à première vue, paraît être faite de pure intuition ?
L'expérience est celle de l'analyse du transfert. Or, dès les Études
sur l'hystérie, Freud note que « le transfert sur le médecin est la consé-
quence de fausses liaisons » (2). Que sont ces fausses liaisons ? L'exemple

(1) Travail achevé en novembre 1963, parvenu à la rédaction en février 1964.


(2) « Die Ubertragung auf der Artzt geschieht durch falsche Verknüpfimg », Studien über
Hysterie (1895), G.W., I, p. 308-309.
236 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

donné est le suivant : une patiente qui se trouvait en compagnie d'un


homme a souhaité que cet homme lui impose un baiser. Or, les résis-
tances de cette patiente au cours d'une séance, c'est-à-dire ce qui
faisait obstacle au travail de l'analyse, c'était le désir que son médecin
lui donne un baiser. Freud note que tant que cette idée qui gêne la
patiente n'a pas été exprimée, il n'est pas possible d'avancer et qu'il
est donc nécessaire de l'élucider : le voeu de recevoir un baiser est lié
à la représentation d'un homme qui est Freud, au heu d'être lié à la
représentation de l'homme dont elle désirait véritablement le baiser.
Voilà la fausse liaison dont le transfert sur le médecin est la conséquence.
A la représentation destinée à combler le voeu a été substituée celle du
psychanalyste. Si j'aborde la question de ces fausses liaisons c'est pour
mettre d'emblée l'accent sur l'absence de symétrie entre les positions
respectives de l'analyste et de l'analysé. La symétrie en cette matière
rendrait la cure impossible. L'échec de l'analyse d'Irma l'atteste.
Le premier rêve que Freud rapporte dans son livre sur L'interprétation
des rêves (1) et qui est aussi le premier rêve qu'il lui ait été donné
d'analyser complètement, celui de l'injection faite à Irma, était motivé,
nous dit Freud, par le désir de dégager sa responsabilité de l'échec
de la cure d'Irma. Il avait proposé à sa patiente une solution (eine
Lösung) (2). Cette solution restait la bonne, la cause de l'échec n'était
que le refus d'Irma de l'accepter. L'épisode rapporté en 1900 datait
de cinq ans, d'une époque où Freud pensait que le devoir de l'analyste
se bornait à proposer la solution, c'est-à-dire l'interprétation, au patient :
à ce dernier de l'accepter s'il pouvait. La question de l'opportunité
de l'interprétation et du « remémorer, répéter, remettre sur le métier »
(Erinnern, Wiederholen, Durcharbeiten) (3) n'avait pas encore été posée,
le transfert apparaissait comme une complication de l'analyse, c'était
avant l'auto-analyse de Freud, il n'était pas à l'abri de ces fausses
liaisons qu'on appelle contre-transfert. Ainsi ce qu'on appelle le
contre-transfert ne peut s'expliquer d'une manière rationnelle que si
on le considère comme strictement corrélatif d'une fausse compréhen-
sion. Il tient tout entier dans les fausses Maisons faites par l'analyste.
Les sentiments que l'analyste éprouve, d'une manière tout à fait
consciente, pour son malade, au contraire n'entravent pas la cure.
Aimer son malade n'appartient pas au contre-transfert. D'ailleurs, il

(1) S. FREUD, Die Traumdeutung, G.W., II-III, p. 110-126.


(2) Le mot répond en allemand comme en français au même double sens de dissolution
(Auflösung) et de dénouement ou résolution.
(3) S. FREUD (1914), G.W., X, pp. 126-136.
LA SITUATION ANALYTIQUE 237

faudrait que l'analyste soit bien ingrat pour ne pas aimer ceux qui lui
apportent l'essentiel de ses satisfactions professionnelles (l'ingratitude
réside dans la peur des fausses liaisons). De même, il faudrait être bien
indifférent pour n'être pas à l'occasion irrité par le comportement d'un
patient. La question n'est pas là, elle est dans les fausses liaisons.
Essayer de communiquer ce qui concerne l'expérience du psycha-
nalyste et l'opportunité de donner l'interprétation, c'est élucider le
mode d'action de l'interprétation. Pour pouvoir aborder utilement la
question, il faut se demander auparavant en quoi réside le pouvoir de
la parole de l'analyste au cours de la séance, quel que soit le choix du
contenu de l'interprétation, ce qui débouche sur le problème du
pouvoir de la parole en général. Certains moments de l'analyse four-
nissent à cet égard des indications d'une manière privilégiée. La ques-
tion restera posée de savoir si ce qui apparaît en quelque sorte à l'état
microscopique dans ces moments privilégiés de l'analyse, a une valeur
qui, pour ne pas faire l'objet de la conscience de l'analyste, n'en a pas
moins une portée générale. S'il est bien évident que l'analyste ne saurait
à tout moment de la séance être conscient de la nature de l'effet de
sa parole, car cela l'empêcherait de parler à bon escient, il reste que le
problème peut être utilement abordé avec le recul que procure la
réflexion a posteriori sur la séance.

II. — L'ATTENTION FLOTTANTE

Le transfert sur l'analyste est le fait d'une fausse liaison. Voilà


notre point de départ. Mais c'est une liaison que le patient fait sans
la sentir, a priori, fausse. Elle est. Qu'est-ce qui autorise l'analyste
à la juger fausse ? C'est une question d'extrême importance à laquelle
Freud donne, à propos de l'amour de transfert, une réponse qui reste
valable pour tous les sentiments que le patient peut porter à son ana-
lyste : ce dernier « se doit de reconnaître que la patiente s'énamoure
...
sous la contrainte de la situation analytique et que cette passion ne
saurait être attribuée aux avantages de sa personne » (1). Ainsi, on est
amené à se demander ce qui spécifie la situation analytique. En quoi la
séance d'analyse se distingue-t-elle de toute autre relation entre deux
personnes où les fausses liaisons ne seront pas de cette même manière
jugées fausses ? Nous rapportant de nouveau à la Traumdeutung, nous
apprenons que les associations d'idées sont la clé de l'interprétation

(1) S. FREUD, Bemerkungen über die Ubertragimgsliebe, G.W., X, p. 308.


238 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

du symptôme ou de l'interprétation du rêve, et qu'elles ne peuvent


être obtenues que dans la mesure où le patient se met dans un état
d'attention flottante. En même temps que l'analyste prescrit au patient
de s'étendre devant lui sur un divan, il lui demande de faire tout son
possible pour se mettre en état d'attention flottante. Cet état, Freud
l'a décrit comme étant celui de l'introspection, au sens exact du terme.
On dit souvent que la psychanalyse et l'introspection n'ont rien à voir
ensemble. C'est une erreur qui résulte de ce que l'introspection telle
qu'elle est généralement conçue par les philosophes n'est pas une
observation de ce qui se passe en dedans de soi, mais un raisonnement
sur ce qui se passe en dedans de soi. Freud définit l'introspection comme
l'observation, par le patient, de ce qui se passe à l'intérieur de lui-même,
en faisant abstraction de toute critique. Il note que c'est précisément à
l'occasion de la séance d'analyse qu'il lui a été donné de voir toute
la différence entre l'état d'introspection et l'état de réflexion, entre
l'état d'un sujet observant ce qui se passe en lui pour le communiquer
sans rien soumettre à la critique et l'état d'un sujet qui réfléchit sur
lui-même. L'attention flottante s'oppose à l'attention critique.
La situation analytique (1) se caractérise, telle est sa première
définition, par l'attention flottante du patient. Or l'usage à prévalu par
la suite d'attribuer l'état d'attention flottante à l'analyste. Actuellement
pour qualifier son mode d'écoute nous disons qu'il reste assis derrière
son patient en état d'attention flottante. L'attribution est-elle légitime,
qui revient à considérer que le psychanalyste se livre à l'introspection
pendant que son patient parle ? La réponse affirmative à cette question
demande à être fondée sur un examen plus approfondi de la situation.
Le patient dans l'état d'attention flottante traduit en paroles tout
ce qu'il perçoit en dedans. Dans l'hypothèse, jamais parfaitement
réalisée mais que je retiens pour pouvoir mieux cerner les choses, où

(1) Grunberger a isolé « un aspect du comportement du sujet en analyse comme étant une
régression narcissique spécifique, propre à la situation analytique... " (B. GRUNBERGER, Consi-
dérations sur le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, in Revue française de
Psychanalyse, t. XXVI, 1962, nos 2-3, p. 179 ; Essai sur la situation analytique et le processus
de guérison, in Revue française de Psychanalyse, t. XXI, n° 3, pp. 373-421, 1957 ; Über Ich
und Narzissmus in der analytischen Situation, in Psyché, pp. 270-90).
Les très intéressantes études de B. Grunberger ont certainement contribué à m'orienter
dans une voie qui aboutit au présent travail. L'impulsion ayant ainsi été donnée, j'ai été
conduit, comme on le verra, à m'opposer à Grunberger sur des points fondamentaux.En parti-
culier, je ne puis considérer la régression narcissique propre à la situation analytique comme un
processus « pour ainsi dire autonome » qui « fournit au processus (analytique) sa force propul-
sive ". Contrairement à Grunberger, je ne pense pas qu'elle échappe à l'interprétation et si,
tout comme lui, je l'oppose aux manifestations du transfert proprement dit qui font le contenu
habituel du discours analytique, c'est précisément dans cette opposition que je verrais une
constante spécifique de l'analyse.
LA SITUATION ANALYTIQUE 239

le patient serait vraiment dans l'état où il lui est demandé de se mettre,


il parlerait sans discontinuer, mais son discours, au demeurant parfai-
tement incohérent, ne serait pas prononcé en personne. Il reste vrai,
dans les faits, que pendant de longues périodes de son analyse, quelle
que soit l'imparfaite liberté de ses associations, il ne parle pas à l'ana-
lyste. Il présente au moins ce caractère de l'attention flottante, qu'il
écoute en dedans et parle dans un seul et même mouvement. La per-
ception de sa parole et l'émission de sa parole sont confondues. Il ne
parle pas, « ça parle ». Ceci nous permettrait de comprendre un peu
mieux ce qui se passe du côté de l'analyste, et de comprendre ce para-
doxe qui nous fait dire que l'analyste se livre à l'introspection, pendant
que son patient associe sur le divan. Ça parle, et l'analyste qu'écoute-
t-il dans son introspection ? Que perçoit-il en dedans ? Aussi ce qui
parle, le « ça parle ». Dans la mesure où l'attention flottante est réalisée
aussi bien du côté du patient que du côté de l'analyste, il n'y a qu'un
seul « ça parle ». Le patient ne parle pas en personne et il ne s'adresse
pas à l'analyste, et l'analyste n'écoute pas en personne ce qui viendrait
de l'objet parlant, du patient. Ça écoute mais la parole et l'écoute ne
font pas deux. Voilà ce qui caractérise de la manière la plus schéma-
tique, qui ne saurait jamais être parfaitement réalisée, la situation
analytique. Ça parle et ça écoute en quoi ? Ça parle et ça écoute en
la séance. Et le patient et l'analyste sont tous deux en la séance. Ça
parle à qui ? il est évident que ça ne parle pas à l'analyste, et tout le
problème de l'analyse est justement de savoir à qui ça parle (1).

III. — EXPANSION NARCISSIQUE ET DÉPERSONNALISATION

Comment l'état qui caractérise la situation analytique se manifeste-


t-il du côté du patient ? Freud le compare à l'état qui précède l'endor-
missement. Le patient et l'analyste y tendent à y être tous les deux en
un, en lequel est contenu tout. La situation analytique, idéalement
(1) Le " ça " n'est pas l'inconscient. On ne confondra pas les deux topiques successivement
créés par Freud. Ce qu'il faut soulignerici c'est que la question « ça parle à qui ?» est corrélative
de la question « Qui, en la séance, parle au lieu de l'Autre ? ». Il me semble que le « ça parle »
est dans la collusion de « qui parle » et de « à qui est parlé ». Poser la double question, c'est déjà
introduire la coupure en dehors de laquelle il n'y a pas en réalité de parole, coupure qui, dans la
situation analytique, n'est pas celle qui sépare la représentation du patient de celle de l'ana-
lyste mais celle qui, selon l'expression de Freud, introduit la double polarité sujet et objet du
moi (Psychologie collective et Analyse du Moi) et partant fonde l'identification du sujet en
analyse. C'est tout aussi bien un commentaire de la formule : " Wo Es war soll Ich werden ». On
voit que la parole introduit dans la situation analytique une double coupure : ce n'est pas
en définitive l'identification à l'analyste mais l'identification à celui qui n'est pas là qui offre à
l'analyse une issue. Que la visée de la cure ne soit pas dans une identification à l'analyste, c'est
ce que J. Lacan a très vigoureusement et opportunément souligné.
240 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

réalisée, ressemblerait tout à fait au sommeil et le discours qui s'y


ferait entendre serait un rêve (1). Paraphrasant la Traumdeutung, on
dirait que l'analyse du rêve exige que l'on rêve à nouveau dans l'analyse.
La similarité avec l'endormissement indique que la situation analy-
tique est le fait d'une régression topique qui, superposant les faces
respectivement tournées en dehors et en dedans du plan qui limite
l'appareil psychique, abolit les limites entre le monde intérieur et le
monde extérieur aussi bien du côté du patient que du côté de l'analyste
qui, de ce fait, tendent à être fondus tous deux en un (2). Ou, en termes
plus précis, leurs images tendent à l'association par contiguïté qui carac-
térise le processus primaire. De même que dans le rêve le monde
entier est à l'intérieur du rêveur, en cet un le monde entier est contenu
car on ne saurait concevoir la fusion de deux êtres finis en un seul être
fini. S'ils occupent le même espace, ils doivent occuper tout l'espace.
Les limites de la situation analytique, tout comme les limites du rêve,
sont celles du monde.
Reprenons la question : en quoi la spécificité de la situation ana-
lytique se manifeste-t-elle ? La contiguïté vers quoi tend la régression
topique dans la situation analytique est celle du narcissisme primaire
par opposition au narcissisme secondaire qui est de nature spéculaire.
Le narcissisme primaire ne saurait se traduire par des affects pas plus
qu'il ne saurait être. Les manifestations qu'on peut observer au cours
de la cure analytique sont celles d'un progrès de la tendance au narcis-
sisme primaire, caractéristique de la situation analytique. Elles ont
en commun, dans leur diversité, une certaine manière de bien-être
qui mériterait d'être appelé le sentiment d'expansion narcissique (3).
Le léger état confusionnel qui peut accompagner le passage à la station

(1) Il sera utile de comparer le point de vue exprimé ici à celui de M. FAIN et C. DAVID
exposé en particulier au chapitre : « Séance de psychanalyse et rêve. Analogies et différences
de structure du rêve et de la séance de psychanalyse, de leur intéressant rapport : Aspects fonc-
tionnels de la vie onirique », in Revue française de Psychanalyse, t. XXVII, 1963, numéro spécial.
(2) Voir mon commentaire (à propos du rapport de M. FAIN et C. DAVID : intervention de
C. Stein, pp. 383-5) de la remarque de FREUD (Die Traumdeutung, G.W., II-III, p. 546) selon
laquellel'enroulementsur lui-même de son schéma de l'appareil de l'âme aboutit à la superposi-
tion de la perception et de la conscience (« W " = « Bw ») cette dernière étant, on le sait, pour
Freud une perception endopsychique.
(3) S. NACHT (La présence du psychanalyste, Presses Universitaires de France, 1963, p. 194),
écrit : " Il arrive en effet que l'être se sente alors (au sein d'un certain silence dans la séance)
un avec le monde et comme confondu dans un tout où s'effacent les limitations inhérentes à
la condition humaine. Il ne désire alors plus rien, mais vit l'intense joie d'être, " Et il ajoute
(p. 195) : " D'ailleurs peut-on parler au sens propre du terme, d'une relation non verbale ? Et ce
terme de « relation " n'est-il pas bien plutôt l'apanage de la parole, née de la séparation sujet-objet
et essayant d'y remédier ? Ce que l'on appelle assez improprement « relation non verbale » établit
justement l'être à un niveau où la séparation est abolie : il n'y a plus relation à deux, mais
union. La dualité sujet-objet est effacée, fonduedans un tout où leurs distinctions s'abolissent. »
LA SITUATION ANALYTIQUE 241

debout en fin de séance en est un exemple bien connu. Telle patiente


a le sentiment qu'au cours de la séance un grand silence est entré en
elle. Tel autre patient, habituellement silencieux, manifeste que son
silence le remplit, lui appartient et qu'on ne saurait le lui arracher.
Un moment privilégié de vivacité jusque-là inconnue de toutes les
perceptions sensorielles au cours duquel les choses avaient enfin vrai-
ment une couleur, vraiment une odeur, est un autre exemple de cette
expansion narcissique au cours de laquelle tout ce qui est extérieur
devient en même temps intérieur. Tous ces phénomènes sont inconstants
et éphémères. A la même catégorie appartient ce bien-être qui, mar-
quant souvent le début de la cure, peut remplir toute l'existence du
patient pendant des jours, des semaines ou des mois. Habituellement
il ne fait l'objet d'aucun commentaire particulier. Parfois, au contraire,
le patient célébrant les bienfaits de l'analyse note qu'il se sent tout
comme s'il était en possession de tel objet, en soi insignifiant, qui lui
manquait jadis et dont le désir était la cristallisation de son manque
à être. Se sentir comme s'il l'avait, l'objet de son désir, c'est bien là
éprouver dans l'analyse la réparation de l'irréparable. Le sentiment
d'expansion narcissique est aussi de réparation, d'illusion d'avoir
l'objet du désir. Tous ces phénomènes quelque inconstants soient-ils,
ne traduisent-ils pas en affects, d'une manière privilégiée, une tendance
constamment présente dans l'analyse et en dehors de laquelle elle ne
saurait point se concevoir, alors même qu'en apparence elle n'est pas
ce dont il est parlé tout au long des séances ? Nous verrons plus loin
qu'en vérité ces phénomènes relèvent d'une tendance contraire à celle
qui anime le discours analytique. Toute l'analyse est dans cette opposi-
tion. Aussi le syndrome de béatitude accompagnant le début de l'ana-
lyse, syndrome peu fréquent au demeurant mais exemplaire, peut-il
être compris comme une résistance massive au progrès de la cure à la
condition de savoir quel respect lui est dû.
Le sentiment de bien-être qui accompagne les phénomènes d'ex-
pansion narcissique s'apparente à celui qui est communément attribué
à relation. Mais cette impression de s'élever au-dessus du monde
n'est-elle pas toujours et en même temps celle d'une inclusion du monde
en soi ? Le sentiment d'expansion narcissique comporte un sentiment
de changement, de changement qui affecte — cela va de soi puisqu'ils
y tendent vers l'indistinction — l'intérieur et l'extérieur de soi à la
fois. Il en est de même, me semble-t-il, du sentiment de changement
dans la crise de dépersonnalisation. En outre les deux états sont marqués,
quoiqu'ils puissent durer bien au-delà d'un jour, d'une impression
242 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

d'instabilité, du même signe de l'éphémère. L'un et l'autre répondent


à ces mêmes critères cliniques qui sont, selon M. Bouvet, ceux de la
crise de dépersonnalisation, à ceci près que le sentiment pénible est
remplacé dans l'expansion narcissique par le sentiment de bien-être.
Je rappelle ces quatre critères (1) : le sentiment de changement (que
je complète par les deux caractères sus-mentionnés : changement du
monde intérieur et du monde extérieur à la fois dans leur tendance à
l'indistinction et caractère éphémère du changement) ; le sentiment
pénible (dans le cas de la dépersonnalisation et de bien-être dans
l'autre) ; l'absence de « délusion » ; l'incapacité de réponse affective.
(L'acceptation de ce dernier critère en ce qui concerne l'expansion
narcissique peut surprendre, il s'y applique pourtant dans toute la
mesure où la satisfaction dans cet état exclut toute demande, toute quête.)
L'illusion d'une élévation de la stature — impression d'être devenu
plus grand — est d'une observation courante. En dehors de la paranoïa
elle est éphémère. Une de mes patientes, lorsqu'il advient qu'elle se
sente grandie, est gonflée d'un orgueil qui exclut tout besoin de son
analyste ; quand elle redevient petite son recours est celui d'une péche-
resse. Un patient qui me fut adressé par M. Bouvet avec le diagnostic
de névrose de dépersonnalisation présentait avant l'endormissement
des accès très pénibles d'une sensation de grandissement de tout son
corps. Tel autre patient me signale qu'en entrant dans mon bureau il
s'était senti devenir plus grand ; c'était au lendemain d'une séance où,
dit-il, j'avais prononcé des paroles qui lui avaient été agréables ; l'illu-
sion de l'élévation de sa stature était accompagnée d'un sentiment de
bien-être. Le sentiment d'un même changement corporel peut appar-
tenir tantôt à la dépersonnalisation, tantôt à l'expansion narcissique.
On est en droit de supposer que les deux états relèvent de la même
régression topique vers le narcissisme primaire. Ces formes de déper-
sonnalisation qui modifient l'extension spatiale de l'individu sans
affecter notablement la qualité de ses limites doivent être cliniquement
distinguées des états de dépersonnalisation véritable (dont en fait il
est seul traité dans le rapport de Bouvet). Elles ne sont pas rares au
cours des séances analytiques. Elles affectent tantôt le corps du patient,
plus souvent encore peut-être le corps du psychanalyste dans l'esprit
du patient et souvent les deux à la fois. Par exemple, une patiente se
sent devenir immensément grande alors que l'analyste s'éloigne et

(1) M. BOUVET, Dépersonnalisation et relation d'objet, in Revue française de Psychanalyse,


t. XXIV, 4-5, 1960, pp. 471-76 et 482.
LA SITUATION ANALYTIQUE 243

devient tout petit ; cette illusion est accompagnée d'un sentiment


pénible, elle est la répétition d'épisodes analogues survenus au cours
de l'enfance à ceci près qu'alors, bien entendu, elle ne pouvait pas
affecter en même temps le corps de l'analyste. Une forme dégradée
et extrêmement fréquente de la dépersonnalisation affectant en même
temps la représentation du patient et celle de l'analyste est la percep-
tion de variations de la distance qui les sépare dans l'espace réel.
Plus démonstratif sera un exemple de dépersonnalisation véri-
table — car l'exemple de la modification de la stature répond trop
imparfaitement au critère de la tendance à l'indistinction du monde
intérieur et du monde extérieur dans leur changement — exemple
d'un cas où le même changement se produit au cours des séances,
affecté soit du signe de l'expansion narcissique, soit du signe de la
dépersonnalisation. « C'est parfois délicieux et d'autres fois terrifiant »,
me signale la malade. De quoi s'agit-il ? A la suite de l'analyse de
crises de dépersonnalisation extrêmement pénibles, survenues au cours
de la cure dans l'intervalle des séances, son état s'est amélioré au
point qu'elle paraisse assez largement débarrassée de la panique qui
l'accompagnait tout au long de ses journées ; toujours est-il — car
ceci ne nécessite point d'aveu — que physiquement elle est devenue
plus florissante et que les séances ont cessé de consister en le déborde-
ment d'une violente agressivité. Dans sa vie quotidienne, elle accuse
ce qu'elle appelle une « frigidité totale » ; ses perceptions sensorielles
quelles qu'elles soient n'évoquent aucun affect. Au cours des séances,
au contraire, elle se sent comme formée d'une cavité tendue d'un voile
très léger. Toute représentation d'un contact cutané ou visuel avec
ma personne lui procure l'effet à la fois rassurant et insatisfaisant
d'être bien limitée par la surface que constitue ce voile, imperméable.
Tout sentiment, au contraire, d'une communauté avec moi, qu'elle soit
de pensée, d'amour ou de substance, et surtout de silence, lui donne
l'impression que, traversant le voile qui la limite, je tombe dans l'espace
qui est le sien propre. Elle met toutes ses forces à éviter cela, car lorsque
le phénomène se produit, il s'accompagne tantôt d'infinies délices, tantôt
de l'angoisse de ses crises de dépersonnalisation. Tels sont dans ce cas
extrême les effets contradictoires, en ce qui concerne l'affect de la régres-
sion dans la situation analytique, aussi la patiente l'a-t-elle évitée long-
temps en se soustrayant à l'analyse par le moyen de « l'acting-in » (1).

(1) Voir mon intervention à la suite du rapport de M. BOUVET (in Revue française de Psycha-
nalyse, 1960, pp. 656-8) où j'évoquais un stade antérieur de la cure de cette même patiente.
244 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

IV. — L'ATTENTION CRITIQUE


Lorsque des phénomènes tels que ceux que je viens d'évoquer
se produisent dans la séance, ils manquent rarement de susciter l'évo-
cation du passé au point d'apparaître comme des réminiscences des
fantasmes de jadis. La régression topique dans la situation analytique
est la condition de la régression dans le temps, de l'apparent retour
vers les positions d'un passé, de l'enfance ou de l'adolescence (1).
C'est dans la régression topique qui caractérise la situation analytique
que s'actualise un conflit paraissant répétitifdu passé. Ce qui se passe à
l'occasion de cette actualisation est analogue à ce qui se produit lors-
qu'au moment du réveil le rêveur formule le texte de son rêve : on
constate que le patient sort de son état de libre association, d'attention
flottante, pour adresser la parole à l'analyste. Ça ne parle plus. Il parle
en première personne, il réfléchit sur lui-même ; à l'état que Freud
caractérise comme étant celui de l'introspection, de l'attention flot-
tante, de la libre association, fait suite celui de sujet réfléchissant ;
il interprète les associations qui se sont livrées précédemment : il
s'adresse à l'analyste comme à l'objet de son discours. Dans les cas
extrêmes, il se dresse sur le divan, regarde l'analyste, se lève, en un
mot agit dans la séance. C'est toujours à ce point précis qu'émerge
l'agressivité, car l'agressivité, comme le dit Freud, naît avec l'objet.
De même que le sommeil est la condition de la satisfaction halluci-
natoire du désir, en rêve, de même la tendance à la régression au
narcissisme primaire dans la séance est la condition d'une activité
projective qui, n'aboutissant pas à l'hallucination, restitue la sépa-
ration des personnes du patient et de l'analyste dans le conflit. Le
conflit est l'autre face de la situation analytique. La répétition du
conflit en quoi consiste le transfert proprement dit relève d'une ten-
dance de sens opposé à celle de la régression au narcissisme primaire (2).

(1) Littéralement Freud attribue le narcissisme primordial à la régression du moi dans le


temps et non à la régression topique aboutissant à la réalisation hallucinatoire du désir (voir
S. FREUD, Metapsychologische Ergänzung zur Traumlehre, G.W., X, pp. 412-26 (Complément
métapsychologique à la science des rêves)), liais il dit aussi que le sommeil réalise une régression
narcissique : or, il est le fait d'une régression topique. A mon sens, il n'y a qu'une régression,
la régression topique vers le narcissismeoriginaire, la régression dans le temps résultant de la
valeur rétrospective de la réalisation hallucinatoire du désir ce qui, à la limite, résulte de la
Traumdeutung (chap. VII B : « Die Regression »). On comparera mon point de vue avec celui
de F. PASCHE (Régression, perversion, névrose, in Revue française de Psychanalyse, t. XXVI,
1962, nos 2-3, pp. 161-78.
(2) Une tendance « progrédiente » s'oppose à la tendance « régrédiente » : S. FREUD, Die
Traumdeulung, G.W., II-III, p. 547. Il me paraît clair que le refoulement est corrélatif du
succès de la tendance « progrédiente ».
LA SITUATION ANALYTIQUE 245

La compulsion de répétition apparaît comme la négation d'une compul-


sion à la régression topique.
Dans la fiction de la situation analytique réalisée rien ne distingue
le patient de l'analyste, ils sont un, un dans le narcissisme. Cela ne veut
pas dire qu'ils sont semblables : dès lors qu'ils sont deux, leurs positions
ne sont pas similaires, ne serait-ce que parce que la régression dans la
séance n'est pas angoissante pour l'analyste, qu'il ne saurait y réagir
en rétablissant sa singularité dans le conflit, en se manifestant d'une
manière agressive, en faisant de fausses liaisons que la situation ana-
lytique induit. Il n'en reste pas moins qu'à l'occasion l'analyste parle,
s'adressant, apparemment, en tant que sujet au patient pour lui fournir
une interprétation. Les conditions dans lesquelles il le fait ne sont pas
les mêmes que celles où le patient sort de la régression pour s'adresser
à l'analyste. La symétrie des positions de l'analyste et du patient
n'est qu'une illusion. Ils ne sont semblables que dans l'attention
flottante, dans le « ça parle dans la séance », mais séparés, parlant de
personne à personne, ils ne le sont plus. C'est d'ailleurs la raison
pour laquelle l'analyste doit être analysé : la régression ne doit pas
être pour lui une source de conflits, d'un besoin d'introduire une
coupure dans le narcissisme primaire tout d'un coup devenu source
d'angoisse.
Parler sans discontinuer n'est pas toujours, loin de là, laisser parler
« cela » à la faveur de l'attention flottante, associer librement. A l'in-
verse, le « ça parle » ne se traduit pas toujours nécessairement dans la
voix. Les patients qui craignent leur propre silence sont ceux qui y
trouveraient la chute dans la situation analytique, l'unité avec l'ana-
lyste dans la régression narcissique ; leur discours est le bruit de cré-
celle qui doit préserver la distance. La patiente déjà citée qui redoute
que je ne tombe à l'intérieur de son espace, me faisait l'impression de
remplir de bruit l'espace de la séance à tel point qu'il advint que je
lui demandai à l'occasion de garder le silence. S'il ne fut point long,
il aboutit à une véritable association d'idées contrastant avec le torrent
de récriminations que j'avais interrompu. La répétition de cette inter-
vention inhabituelle (qui n'est point contraire aux règles de l'analyse
dans ce seul cas de mon expérience où la situation l'exige et dans la
mesure où elle fait elle-même l'objet de l'analyse) n'en émoussa pas
l'effet bénéfique. Bien d'autres patients, lorsqu'il leur arrive de se taire,
sont chassés du silence par l'angoisse. Le phénomène de l'endormis-
sement du patient pendant la séance présente aussi à ce point de vue
de l'intérêt tout aussi bien que la remarque qu'il n'est pas rare d'en-
246 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

tendre : « Je ne puis réussir à dormir pendant la séance » ; le remarquer


a la même portée que ne pas pouvoir se taire.
Le parler sans discontinuer dans la crainte du silence s'oppose
au parler facile dans la situation analytique de l'attention flottante.
N'arrive-t-il pas assez fréquemment qu'un patient s'éveille effrayé,
s'apercevant tout à coup qu'il était en train de se laisser aller à la
parole facile alors qu'il lui semblait habituellement avoir à faire un
effort pour communiquer ce qui lui venait à l'esprit ?
De même qu'au parler facile s'oppose le parler sans discontinuer,
tous les silences du patient ne sont pas de qualité identique. A l'extrême,
on peut distinguer d'une part le silence qui caractérise au maximum
la régression dans la situation analytique et qui est parfois pratiqué
avec un sentiment d'expansion narcissique alors que, d'autres fois,
on s'en garde de crainte de tomber dans l'angoisse de dépersonnalisa-
tion, d'autre part un silence vigile qui mérite d'être qualifié de mutisme.
Le patient mutique et le patient silencieux sont vraiment à l'opposé
l'un de l'autre.

V. — LE DOUBLE EFFET DE LA PAROLE DE L'ANALYSTE

Nous n'avons pas perdu de vue la question du silence et de la


parole de l'analyste. Très schématiquement et pour autant que l'ana-
lyste ne parle point, son silence est complémentaire de la parole facile
ou du silence dans l'expansion narcissique du côté du patient — dans ce
cas, il n'y a en la séance qu'une parole ou un silence — alors que l'éven-
tualité de sa parole fait l'objet d'une attente anxieuse dans le parler sans
discontinuer ou le mutisme.
Dans son attente anxieuse, la parole de l'analyste est en même
temps espérée, voire sollicitée, et redoutée. Vouloir à tout prix que
l'analyste parle, c'est n'être pas suffisamment certain de pouvoir se
tenir par ses propres moyens, par sa propre parole adressée à l'ana-
lyste sur le mode non associatif, au plus loin de la régression topique,
c'est chercher le secours de la parole de l'analyste pour éviter de som-
brer dans le narcissisme — ou plus immédiatement pour couper court
à l'émergence d'un courant associatif. Mais n'est-ce pas dans la régres-
sion seulement qu'il peut émerger ? Si la parole espérée est en même
temps redoutée, ce n'est pas seulement parce que prononcée elle aurait
de fortes chances de s'insérer dans le courant associatif dont il s'agit
d'éviter l'émergence, mais aussi parce que le secours reçu priverait
le patient d'une satisfaction substitutive de l'expansion narcissique
LA SITUATION ANALYTIQUE 247

qu'il ne peut supporter, à savoir de l'exercice de la toute-puissance


narcissique. Les patients qui prétendent ne pas supporter le silence
de l'analyste sont bien souvent ceux qui le réduisent au silence. Les
exemples où l'analyste est en même temps sommé de parler et réduit
au silence, parfois tout aussi bien sommé de se taire, sont trop courants
pour qu'il soit nécessaire d'en rapporter. Réduire l'analyste au silence,
c'est introduire entre le patient et l'analyste cette même coupure,
cette même séparation qu'introduit la parole adressée en personne à
l'autre, c'est échapper à l'angoisse de la contiguïté narcissique en ren-
dant l'analyste présent en deuxième personne, extérieur ; c'est en
même temps exercer sur lui un pouvoir dont la jouissance est substi-
tutive de la fusion narcissique, c'est aussi dans cette séparation le
châtrer pour le conserver vivant, c'est en un mot échapper à la situa-
tion analytique en s'en faisant l'ordonnateur. — Il reste que, si la parole
attendue est redoutée, la parole redoutée est espérée. Lorsqu'elle se
fait réellement entendre dans l'attente angoissée, elle a souvent pour
effet de lever l'angoisse en fournissant une représentation substitutive
de celle dont le refoulement se traduisait précisément par l'angoisse.
Il peut se produire alors qu'elle favorise l'établissement de la régression
dans la situation analytique.
Il se produit souvent, alors que le patient associe librement, que
« ça parle », qu'en sursaut il éprouve le besoin de vérifier si l'analyste
est toujours là. Il a été saisi par la peur que son analyste ait disparu.
Le sentiment de l'absence de l'analyste dans la situation analytique est-il
de fusion ou de séparation ? Le patient dans son sursaut affirmerait
invariablement qu'il est de séparation. Mais à y regarder de plus près
on constaterait tout aussi invariablement que cette séparation est
dans la négation de la fusion narcissique devenue angoissante. Cette
alternative de la fusion et de la séparation est bien celle sur laquelle
porte l'essai de Freud Die Verneinung, elle est celle de la levée de l'an-
goisse de mort dans la fusion par le moyen de la mort de l'autre dans la
séparation. Exercer un pouvoir sur l'analyste pour le conserver vivant
c'est au contraire, comme on l'a vu, la stabilité dans le compromis.
La distinction entre l'expansion narcissique dans la situation analy-
tique et la jouissance du pouvoir d'y échapper en s'en faisant l'ordon-
nateur est tranchée si l'on ne considère que l'espace de la séance. Elle
l'est beaucoup moins dans l'intervalle des séances. Éprouver dans l'ana-
lyse un sentiment de bien-être qui ne s'interrompt que pendant la
durée de la séance, abandonner sa joie de vivre à la porte du cabinet
de l'analyste pour la retrouver à la sortie, on peut se l'entendre confirmer
248 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

expressément par le patient, c'est porter l'analyste en soi et converser


avec lui à sa guise sauf lorsque sa présence réelle fait peser la menace
d'une parole de son fait propre.
L'examen des situations où paraît assurée la continuité entre les
séances d'analyse et leur intervalle nous permet de mieux entrevoir
quelle est la pesée de la parole de l'analyste vis-à-vis de l'expansion
narcissique. Prenons l'exemple où le patient fait état des progrès de son
analyse dans le sentiment que les perspectives de son existence sont
comme un prolongement de ses séances — il faut souligner cette notion
de prolongement de la séance et non pas de ce qui fut pensé et dit
par l'un ou l'autre (le patient ou l'analyste) à l'occasion des séances.
Il peut se produire qu'il évoque à cette occasion la satisfaction que
l'analyste doit certainement éprouver devant les bons résultats de son
travail. Faire remarquer en la circonstance au patient qu'il a somme
toute l'impression que l'analyste et le patient éprouvent des satisfac-
tions similaires, qu'il compare les perspectives de son existence propre
aux perspectives de la réussite thérapeutique, c'est introduire une
coupure dans le narcissisme de la situation analytique. Le sentiment
bienheureux d'expansion du patient s'évanouit. Pourquoi ? parce qu'il
voit tout d'un coup son image semblable à celle de l'analyste dans une
relation spéculaire. D' « ensemble contents » devenant contents l'un
comme l'autre, ils cessent de l'être chacun pour soi. La parole de
l'analyste a introduit une coupure qui, à l'identification primaire de
l'être dans l'unité de la situation analytique, substitue l'identification
hystérique, dans le registre de l'être-comme (1).
Voilà qui permet d'éprouver que la parole sépare alors qu'on la
tenait pour un trait d'union — ainsi que je me l'entendis dire — ou
bien qu'il n'est de pire souffrance que celle due à la parole qui ne vient
point combler la brèche qu'elle a ouverte.
Qu'en conclure quant à la fonction de la parole effectivement pro-
noncée par l'analyste dans la cure si ce n'est que, prononcée en per-
sonne, elle rompt l'expansion narcissique dans la régression topique
qui caractérise la situation analytique, alors que se faisant entendre
dans la séance comme participant du « ça parle » elle favorise cette
régression en atténuant l'angoisse de dépersonnalisation que la menace
de la régression provoque. Cette participation se traduit volontiers dans
le style et dans l'intonation de la voix de l'analyste (des altérations de

(1) Cf. mon article sur L'identificationprimaire,in Revue française de Psychanalyse,t. XXVI,
1962, numéro spécial, pp. 257-65.
LA SITUATION ANALYTIQUE 249

même ordre caractérisent chez le patient, en d'autres moments privi-


légiés, un accent régressif). A quoi la parole de l'analyste doit-elle l'un
ou l'autre de ces caractères ? Elle le doit peut-être à la forme ou au .
contenu de l'intervention, mais certainement au choix du moment où
elle est faite.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter de l'opportunité d'intervenir
dans le sens d'une coupure du narcissisme ou dans le sens favorisant
la régression puisque mon propos n'est pas de traiter pour l'instant
de l'évolution de la cure mais de tenter d'en dégager une constante
fondamentale. C'est ce qui explique qu'au lieu d'avoir recours à des
fragments de l'évolution de la cure d'un patient j'aie choisi de m'ap-
puyer sur quelques exemples tels que tout analyste peut en rencontrer
en l'espace de peu de temps dans sa pratique quotidienne, en un même
moment de son évolution à lui. Encore est-il qu'ils ont trait à des
situations extrêmes où le diagnostic différentiel entre la libre association
dans la situation analytique et la vigilance devant l'éventualité de la
régression s'impose avec netteté. Habituellement, la séance est faite
d'un plus subtil alliage de ces deux extrêmes et l'interprétation est
fournie en un moment où l'analyste ne saurait avoir une claire conscience
d'un tel critère. Aussi me semble-t-il que l'étude du pouvoir de la
parole de l'analyste, voire même celle du pouvoir de la parole en général,
devra être fondée sur le fait qu'elle va toujours à la fois dans l'un et
l'autre sens ici envisagés. Considérer le contenu des paroles prononcées
ne suffit jamais à rendre compte du changement produit par la parole en
celui qui l'entend. Envisager comme je l'ai fait ici, contrairement à la
coutume, le discours analytique autrement que du strict point de vue
du contenu des paroles prononcées, me paraît être un pas à la suite
duquel l'intelligence dudit contenu se trouvera fondée sur celle du
pouvoir de la parole. Car c'est bien en apparence sur l'intelligence
du contenu que se fonde pour l'essentiel l'action consciente de l'analyste
dans le progrès de la cure.

REV. FR. PSYCHANAL. 17


PSYCHANALYSE APPLIQUÉE

Condition dépressive
et condition paranoïde
dans la crise de la guerre (1)

par FRANCO FORNARI

Lorsque Bertrand Russel, le 9 juillet 1955, fit connaître au monde


entier le testament d'Albert Einstein, afin de témoigner à tout être
humain de la possibilité et de la responsabilité de la destructionde toute vie
sur notre planète, je fus terriblement frappé de lire que, sur un des plus
importants journaux anglais, avait paru un article de fond sur cet
événement, dans lequel l'auteur soutenait la thèse qu'il existe certaines
valeurs dont la conservation pourrait aller jusqu'à exiger le sacrifice
de toute l'humanité, en une guerre qui l'amènerait à périr tout entière.
Je chercherai à démontrer dans cet article, à travers une étude
psychanalytique sur la signification des lois, qu'une semblable thèse,
au moment historique actuel, peut être considérée comme une forme
d'instigation au délit, inconsciemment exercée par des personnes probes,
au nom d'une espérance illusoire et inauthentique de conservation de
l'objet d'amour.
En 1932 déjà, à la suite d'une initiative de l'Institut international
de Coopération intellectuelle de Paris, initiative qui sollicitait un échange
d'idées entre d'éminentes personnalités mondiales sur les plus importants
problèmes liés à la vie collective de l'humanité, Albert Einstein avait
adressé à Sigmund Freud une lettre ouverte dans laquelle il lui deman-
dait de prendre position à propos d'une « question qui, dans les condi-
tions actuelles, semble la plus importante dans le domaine de la civili-
sation : existe-t-il ou non un moyen pour que les hommes soient
délivrés de la menace de la guerre ? »
Le fait qu'Einstein, en 1932, ait posé cette question à Freud ne
nous apparaît en rien dû au hasard. En effet, en 1917 déjà, dans Le

(1) Paru sous le titre Condizione depressiva e condizione paranoidea nella origine delle
leggi e nella crisi della guerra, dans la revue AUT AUT, 64, 1961.
252 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

malaise dans la civilisation, Freud, malgré sa réputation de pansexualiste,


avait prévu pour les hommes la perspective pantoclastique à travers
ces paroles : « Les hommes ont atteint un tel pouvoir sur les forces
de la nature qu'à présent, s'ils les employaient, ils pourraient facilement
exterminer jusqu'au dernier des humains. Ils le savent, et c'est de là
que dérive une grande partie de leur inquiétude actuelle, de leurs
appréhensions et de leur absence de bonheur. »
Il n'est pas sans intérêt d'examiner ces deux lettres, dans lesquelles
deux des plus importants représentants du monde de la culture de notre
siècle s'interrogeaient réciproquement sur le problème de la guerre et la
possibilité de l'éviter.
Einstein, dans sa lettre, suggérait explicitement, comme moyen
pour éviter la guerre, l'avènement d'une loi qui priverait les États
de leur souveraineté, ce qui permettrait d'arriver à une organisation
juridique internationale, qui résoudrait les conflits éventuels entre
les États.
L'obstacle essentiel qu'Einstein voyait à l'application d'une loi
de ce genre est « l'ambition politiquede puissance » des classes dirigeantes
des différents États et surtout de « ce groupe qui se trouve au sein de
chaque peuple et qui, peu nombreux mais composé d'individus bien
décidés, ne considère la guerre que comme une bonne occasion pour
réaliser des profits et étendre le domaine du pouvoir personnel ».
Cherchant toutefois à s'expliquer comment il pouvait se faire que
les différentes masses populaires se laissent exalter par le groupe diri-
geant jusqu'à la folie et au sacrifice, Einstein émet le postulat que
« l'homme a en lui-même le besoin de haine et de destruction, habituel-
lement latent, mais qui peut être excité avec une relative facilité et
dégénérer en psychose collective : là est le problème essentiel ».
Le grand physicien, tout en soulignant la responsabilité des chefs
devant la guerre, étend cette responsabilité à tous les hommes et pose
à Freud cette interrogation précise :
« A-t-on la possibilité d'orienter le développement psychique de
l'homme de façon à le rendre mieux préservé de la psychose de la haine
et de la destruction ? »
Dans sa réponse, Freud se déclare avant tout « épouvanté » de son
incompétence, car il voit dans la question posée par Einstein « un
problème pratique qui serait normalement du ressort d'hommes
d'État » ; après un tel préambule, qui dénonce une évidente résistance à
affronter la question posée, il reconnaît : « Vous avez dit tout l'essentiel
et en même temps vous avez suivi le vent qui gonfle mes voiles. » Mais
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 253

en affrontant le problème de base, relatif à l'emploi du droit comme


moyen pour s'opposer à la violence, Freud a soin d'observer avant tout
que « bien qu'aujourd'hui violence et droit nous apparaissent comme
antithétiques, le droit dérive de la violence ». La voie qui conduit de
la violence au droit est formée de « l'union des faibles contre le fort.
Après avoir brisé la violence moyennant l'union, la force des faibles
réunis en vient à représenter le droit, en opposition à la violence d'un
seul : nous voyons ainsi que le droit est la force d'une collectivité :
mais cela aussi est violence. La différence consiste uniquement dans
le fait que ce n'est plus la violence de l'individu qui triomphe, mais celle
de la collectivité ». Et plus loin : « La violence de la collectivité serait
toutefois impuissante à conserver l'état juridique si la communauté
d'intérêts ne déterminait pas des liens de nature sentimentale, des
sentiments de communion sur lesquels est justement fondée la force
de la collectivité. La société gouvernée par le droit pourrait être stable
seulement dans la mesure où les individus seraient égaux et le droit
égal pour tous. La société gouvernée par le droit est toutefois en équi-
libre instable, à cause de l'inégalité des différents individus qui la
composent, inégalité qui fait que deux forces antithétiques travaillent
la vie de la collectivité. Il y aura des groupes de dominateurs, qui ten-
dront à asservir par la violence le droit à leur propre intérêt, créant ainsi
un droit inégal ; et vice versa les dominés seront poussés par une force
opposée à reconquérir les droits que les dominateurs tendaient à leur
soustraire, réclamant le passage du droit inégal au droit égal pour tous.
D'où l'insurrection, la guerre civile, et par conséquent la suppression
provisoire du droit et les manifestations de violence, après lesquelles
un nouveau régime de droit est instauré. »
A propos de l'organisation juridique mondiale souhaitée par
Einstein, Freud répond : « Deux nécessités s'imposent, en une telle
éventualité : celle d'instituer une telle cour suprême, et celle de lui
assurer une force adéquate ; sans la seconde, la première est parfai-
tement inutile. » La tentative de remplacer l'influence cogente, habituel-
lement basée sur le fait de pouvoir disposer de la force, par le rappel
de certains principes idéaux, comme cela se produisait à la Société des
Nations, est ensuite commentée en ces termes : « On commet une erreur
de calcul en négligeant le fait qu'à l'origine le droit était la force brute
et qu'il ne peut se passer du concours de la force. » Conclusion entiè-
rement pessimiste donc, relativement à l'avènement d'une nouvelle
légalité, d'un nouvel ordre juridique, souhaité par Einstein dans le but
d'empêcher la guerre.
254 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Le désir de haine et de destruction auquel se réfère Einstein, en


tant que cause principale de toute guerre, a été introduit par Freud
dans sa dernière classification de la vie instinctive sous forme d'ins-
tincts de vie et instincts de mort : il se refuse toutefois à assumer à
leur sujet aucune position éthique. « Il ne s'agit que d'une transposition
théorique de l'antagonisme universellement connu entre l'amour et
la haine (pulsions erotiques et pulsions destructives), mais que l'on
ne me fasse pas passer trop rapidement aux notions de bien et de mal.
Ces pulsions sont indispensables, les unes exactement autant que les
autres, car les phénomènes de la vie dépendent de la coordination et
du contraste de leur action... Je voudrais pourtant traiter un moment
encore de notre instinct de destruction, dont on s'occupe bien peu en
comparaison de son importance. Cette pulsion agit au sein de tout être
vivant et le porte à sa ruine ; une telle tendance méritait bien vraiment
d'être appelée instinct de mort... La créature animée protège, pour ainsi
dire, sa propre existence en détruisant l'élément étranger. Mais une
partie de l'instinct de mort reste active à l'intérieur de l'être, et nous
avons tenté de mettre en relation toute une série de phénomènes nor-
maux et pathologiques avec cette rétroversion à l'intérieur de la pulsion
destructive... Nous avons même commis l'hérésie d'expliquer l'origine
de la conscience morale par un de ces retours de l'agressivité vers le
dedans. »
Puisque toutefois l'exaspération de ce retour de l'agressivité vers
l'intérieur porte à des situations autodestructives, Freud voit là un
prétexte biologique à la guerre et conclut à l'inutilité de tout effort
visant à supprimer les pulsions destructives chez l'homme. Et il ne
peut s'empêcher d'exprimer son scepticisme envers la société socialiste,
qui était désormais entrée dans l'histoire : « La haine qu'ils (les Bolche-
viques) entretiennent envers tous ceux qui ne suivent pas leurs idées
ne facilite en rien la cohésion entre leurs partisans. »
Il ne reste donc à Freud qu'à lancer un platonique appel aux forces
de l'Erôs, aux forces de la raison, et à former une « catégorie supérieure
de penseurs indépendants, inaccessibles aux intimidations et dédiés
à la recherche de la vérité » ; et il termine en formulant l'espoir que la
culture inculque à tous les hommes « une répugnance constitutionnelle,
une idiosyncrasie extrêmement développée envers la guerre ».
Il me semble difficile de se soustraire à une impression de déception
devant la réponse de Freud à Einstein, mais une certaine tendance à
désillusionner les hommes, en relevant l'aspect caché et troublant qui
se trouve à la base de leurs constructions de valeurs, est bien dans le
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 255

style de Freud ! Il s'en rend compte lui-même d'ailleurs (« si mes


observations vous ont ôté vos illusions, je vous prie de m'en excuser »)
et ne manque pas de s'excuser d'avoir exposé comme éléments nouveaux
quelques faits généralement connus et reconnus.
Un problème surgit alors ; la position de Freud, conformiste sous
un certain aspect, par rapport à la validité du droit contre la violence
doit-elle être interprétée comme une position liée à la Weltanschaung
personnelle de Freud ou bien comme une position indissoluble de la
psychanalyse en tant que psychologie scientifique ?
Pour répondre à cette question, je voudrais aujourd'hui reproposer
la lettre d'Einstein à la conscience psychanalytique actuelle, après
désormais trente autres années de développement de celle qui, en 1932,
n'était encore appelée qu'une jeune science, et après qu'une autre
guerre mondiale et les bombes atomiques ont présenté historiquement
au désir de destruction des hommes la perspective pantoclastique.
« Existe-t-il une possibilité de guider le développement psychique
de l'homme de façon à le rendre mieux préservé de la psychose de la
haine et de la destruction ? Existe-t-il ou non un moyen pour que les
hommes soient libérés de la menace de la guerre ? »
Puisque ces questions posées par Einstein, qui sont au fond celles
de l'homme de la rue de notre temps, sont dictées davantage par la
préoccupation attristée de qui voudrait que les choses se passent d'une
façon différente de ce qu'elles ont toujours été, que par une attitude
purement objective devant la réalité, la position pessimiste de Freud
semblerait absolument naturelle, bien que lui-même d'ailleurs n'ait pu
s'empêcher de lancer un pathétique appel à l'espoir dans la culture.
Pour qui a le respect de la répétition ponctuelle des choses humaines,
il semblerait donc logique d'attendre tranquillement le pire. On sait
en effet que pendant toute la période d'histoire connue, qui couvre
quelques millénaires, l'espèce humaine, dans son ensemble, ne serait
restée entièrement exempte de guerre que pendant quelques lustres ;
et le fait même de se poser le problème d'une paix perpétuelle risque
de révéler une dose d'optimisme qui frise la naïveté hypocritique, s'il
est vrai que le thème de l'abolition de la guerre se trouve souvent
comme thème favori dans le délire de rédemption des paranoïaques.
On pourrait en tirer comme conséquence un corollaire, en vérité
assez peu édifiant, selon lequel on devrait affirmer que si les aspirations
éthiques prévalent chez l'homme, elles risquent de détériorer ses
facultés critiques de jugement, liées au principe de réalité.
Les choses se compliquent davantage encore si l'on accepte les
256 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

conclusions auxquelles est parvenue la psychanalyse, au sujet de l'ori-


gine des tendances éthiques. La psychanalyse en effet a commis
l'hérésie d'expliquer l'origine de la conscience morale à travers le
retour de l'agressivité vers l'intérieur : en d'autres termes, la morale
serait apparentée à Thanatos.
Et pourtant, même si tout se passait exactement comme Freud
l'entend, c'est-à-dire si le droit comme l'éthique, prise dans son sens le
plus général, puisaient leur force dans l'instinct, il n'est pas dit que les
conséquences devraient être obligatoirement pessimistes. Au contraire,
si le droit a en lui-même la force de l'instinct, il pourrait alors être
qualifié pour se battre contre son rival. S'il est vrai que le droit à
l'origine était violence, on pourrait penser justement à cause de cela
qu'il a ses papiers en règle pour se mesurer avec la violence.
Un renversement du pessimisme auquel Freud était arrivé à l'égard
du droit, ou tout au moins une atténuation de cette position sont-ils
donc licites ?
Le problème embrasse en un certain sens toute l'histoire de la
pensée humaine et est en particulier du ressort de la philosophie du
droit. Le lecteur me pardonnera toutefois si, dans cet écrit, je renonce
à poser les problèmes traités dans la perspective culturelle qui leur serait
la plus propre, pour me limiter à les aborder sous l'angle de la psycho-
logie générale : j'examinerai donc l'origine du droit et de la conscience
morale (Surmoi), compris l'un et l'autre comme instances qui président
à la rétroversion de la violence sur le sujet même de la violence, aussi bien
dans la vie des groupes que dans celle des individus. J'utiliserai en
particulier dans cette étude les concepts de condition paranoïde et
condition dépressive, au sens que leur ont donné la psychanalyse post-
freudienne, à la lueur des recherches de Melanie Klein, et celle qui a
pris le nom d'école anglaise de psychanalyse. Par condition paranoïde,
on entend un rapport de violence dans lequel le sujet, percevant l'objet
comme une menace, en elle-même illusoire mais psychologiquement
réelle, à sa propre existence, est porté à le détruire, en une illusoire
perspective de survivance. Par condition dépressive, on entend au contraire
un rapport de violence qui entre en crise, par le fait que la violence
s'adresse à l'objet d'amour : il advient alors qu'au lieu de s'adresser à
l'objet, la violence est réfléchie sur le sujet, condition indispensable
pour conserver l'objet et pour survivre à travers l'identification à cet
objet.
Tandis que dans la condition dépressive, le sujet se préoccupe de
sauver l'objet d'amour à travers lequel il se sent vivre, au point d'arriver
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 257

au sacrifice de lui-même pour l'amour de l'objet ; dans la condition,


paranoïde au contraire le sujet se préoccupe de sauver le Soi en détrui-
sant l'objet par lequel il se sent détruit. Aussi bien la condition
dépressive que la condition paranoïde tendent donc à la survivance ;
mais la condition dépressive y arrive à travers le sacrifice du Soi en
faveur de l'objet d'amour, vécu comme constitutif du Soi, tandis que
la position paranoïde veut affirmer sa propre survivance à travers la
destruction de l'objet, perçu comme destructeur du Soi.
Les points de référence qui peuvent servir de base à la discussion
sur les rapports entre les pulsions destructives et le droit, entre la
violence et les lois, ou entre les instincts et le Surmoi en général peuvent
être déduits du contexte de l'oeuvre entière de Freud et en particulier
de Totem et tabou (1913), des Considérations actuelles sur la guerre et la
mort (1915), de Le malaise dans la civilisation (1917), de Au-delà du
principe du plaisir (1921) et de la Psychologie des masses et analyse du
Moi (1923), écrits qui, à l'exception de Totem et tabou, semblent tous
liés plus ou moins directement aux méditations suggérées à Freud par
l'expérience de la première guerre mondiale, qui avait marqué le
naufrage définitif du sort magnifique vers lequel la civilisation occi-
dentale croyait progressivement s'acheminer. Dans Totem et tabou,
le rapport entre la violence et le droit s'identifie avec le problème des
origines de la civilisation : problème auquel Freud était arrivé à travers
les découvertes psychanalytiques relatives au complexe d'OEdipe,
dans sa tentative pour éclaircir le sens de la civilisation totémique, en
relation surtout avec les lois qui interdisent le parricide et l'inceste.
Se référant à l'hypothèse darwinienne de la horde primitive, Freud
trouva ces lois particulièrement significatives : celles-ci le portèrent à
croire que la civilisation humaine et ses lois en général pouvaient tirer
leur origine d'un crime originel : le meurtre du progéniteur archaïque,
imaginé chef de la horde primitive.
L'hypothèse de Freud à propos de la transformation originaire
de la violence en loi totémique constitue un problème encore actuel.
Il semble en tout cas que le point de départ de la civilisation humaine
n'ait pas tant été un acte primitif de violence (condition qui est commune
à l'homme et à tous les animaux) mais plutôt la transformation du
meurtre en loi qui interdit de tuer. Freud base l'explication de cette
transformation sur le fait que le progéniteur archaïque était bien haï
mais aussi aimé, et cette précision semble d'une importance capitale,
dans la mesure où elle permet d'affirmer qu'un rapport de violence entre
en crise seulement parce que l'objet de violence est aussi objet d'amour.
258 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

La naissance des lois ne se concevrait donc pas simplement comme une


dérivation de pulsions agressives mais bien comme une modification
dans l'économie de l'agressivité, modification radicale et, semble-t-il,
spécifique de l'homme, rendue possible et nécessaire par le fait que
l'objet auquel s'adresse l'agressivité est également objet d'amour.
La civilisation totémique mettrait ainsi en éyidence, au niveau
philogénétique, une transformation radicale de l'économie agressive
qui, en bien des aspects, est comparable à la position dépressive mise
en évidence par M. Klein durant la première année de vie de l'enfant :
transformation mystérieuse et absolument surprenante, du point de vue
éthologique, qui porte un animal déprédateur à cesser ses déprédations
et à transformer sa propre proie en une entité sacrée qui donne la vie
et la mort. Dans la civilisation totémique, ranimai-père tué se trans-
forme en entité sacrée qui interdit de tuer et qui s'approprie tous les
droits de vie et de mort dans le clan. Ainsi le totem fait naître les enfants
et donne la mort : non plus toutefois comme réalisation d'un acte de
férocité mais comme punition automatique du coupable, en vertu de
laquelle l'individu qui s'aperçoit qu'il a transgressé les lois en violant
un tabou se retire dans le bois et se laisse mourir, en proie à ce que nous
appellerions aujourd'hui un raptus mélancolique.
Les lois tabouiques seraient donc pour Freud la représentation
actualisée du père tué, devenu père toujours-vivant et toujours-présent,
qui donne la vie et la mort. Cette condition par laquelle les hommes
sont fait vivre et sont fait mourir par cela même que leur férocité
voudrait détruire, semble renfermer l'aspect le plus ésotérique de l'ori-
gine de la civilisation : le sang du tué retombe sur le meurtrier, pour
que les hommes ne soient plus tentés de tuer, et le fait que cette rétrover-
sion de l'agressivité sur les agresseurs soit conçue par les hommes non
seulement comme loi mais aussi comme rédemption, comme libération
du mal et de la mort, est lourd de sens.
On sait que ces réflexions sur l'origine de la civilisation en tant que
fait dépressif sont à la base du pessimisme freudien relativement à la
civilisation, car celle-ci aurait été rendue possible au prix d'un grave
sacrifice de la vie instinctive, sacrifice qui, à son tour, aurait comme
corollaire le malheur humain et la névrose.
Puisque toutefois l'homme se crée lui-même en tant qu'individu,
sur la base de l'identification à l'objet d'amour, les raisons ne manquent
pas pour affirmer que la condition dépressive s'est présentée à l'aube
de la civilisation, et se représente à chaque homme durant son premier
développement psychique, comme nécessité indérogeable et comme
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 259

réponse originelle donnée par l'homme afin de conserver sa vie, devant'


les graves risques que pouvait courir sa survivance, risques non réso-
lubles en termes paranoïdes puisque l'objet auquel s'adresse la violence
est l'objet d'amour, qui le fait vivre.
L'homme ne semble en effet pouvoir vivre à un niveau humain qu'en
tant qu'il a à sa disposition le rapport avec un objet d'amour qui, se
constituant comme objet primaire d'identification, assume un rôle fon-
damental d'individualisation et de structuration de l'entier dévelop-
pement de l'homo sapiens.
Si on compare l'origine de la civilisation à celle du Moi et du Surmoi
sur le plan individuel, en tant qu'événements nécessaires à l'humani-
sation de l'homme, on pourrait la concevoir comme le passage d'une
condition paranoïde-déprédatrice originaire à une condition dépres-
sive-conservatrice, par rapport au monde des objets. Dans cette pers-
pective dépressive-conservatrice, l'origine des lois révélerait non
seulement sa dérivation de la violence primitive mais encore tout un
contexte d'expériences d'amour, constitutives de l'individu et des
groupes, expériences qui veulent être conservées et dont le sens le
plus profond semble le fait que l'existence de l'objet par lequel
on est fait vivre devient plus important que la vie même. S'il est vrai
donc que la conservation dépressive de l'objet par lequel on est
fait vivre porte au sacrifice du Soi (mauvais) et expose par conséquent
au danger d'autodestruction, cela ne comporte pas nécessairement une
vision pessimiste de la civilisation mais en exprime au contraire les
aspects les plus typiquement conservateurs, en un sens spécifiquement
humain (1).
Les hypothèses théoriques pour la compréhension du rôle de la
condition paranoïde et de la condition dépressive dans l'évolution
civile des groupes humains se trouvent dans Au-delà du principe du
plaisir et dans Psychologie des masses et analyse du Moi.
Avec le premier, considéré généralement comme son travail à la fois
le plus génial et le moins convainquant, Freud arrive à un tournant
décisif dans l'élaboration de la théorie générale des instincts. Tandis
que jusqu'alors la libido constituait l'énergie instinctive agissant
en un système essentiellement moniste (et Jung l'élaborera en ce sens),

(1) On peut penser, par exemple, que la découverte de l'agriculture de la part de l'homme
soit due à un processus dépressif. Celle-ci en effet présupposele passage de la voracité dépré-
datrice à la conservation des objets par lesquels on vit ; elle semble donc concevable
seulement dans la mesure où l'homme déprédateur a réussi à transformer sa propre proie en
objet d'amour, à préserver de sa propre avidité et à faire prospérer.
260 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

avec Au-delà du principe du plaisir, Freud énonce le dualisme fonda-


mental de la vie instinctive. La libido n'est plus désormais qu'une
partie de cette dernière et se rattache aux instincts de vie, tandis que
l'autre partie est constituée par les instincts de mort. Erôs cède ainsi la
première place à Thanatos, auquel il cherche à contester, plus ou moins
victorieusement, la domination des vivants. Le conflit psychique en
vient ainsi à être conçu sous un jour tout nouveau : avant d'être vécu
entre l'individu et le milieu, en effet, il trouve désormais son origine
dans les racines biologiques mêmes de l'existence. Le monde originaire
de la vie est alors défini comme conflit entre intentionnalité de vie et
intentionnalité de mort (« le vivant veut mourir en son temps à lui et
à sa façon »). Mourir devient, pour un vivant, le produit d'une force
instinctive qui, au lieu d'être dominée par le principe du plaisir, l'est
par le besoin de la répétition, conçu comme retour répétitif du vivant
à l'état inorganique. Le vivant vit et meurt parce que, malgré le fait
qu'il semble vouloir seulement vivre, il veut aussi mourir et c'est à ce
vouloir mourir, que se rattacherait en définitive la folie de la haine et
de la destruction à laquelle Einstein faisait allusion dans sa lettre à
Freud.
L'aspect le plus déconcertant de cette théorie est le fait que Freud,
après avoir rendu les hommes psychologiquement responsables devant
leurs rêves, devant la névrose, devant les lapsus, etc., arrive enfin,
et d'une façon cohérente, à les rendre responsables même devant leur
mort (Paci), bien qu'ils soient en général enclins à croire que mourir
soit pour eux un événement qu'ils subissent malgré eux.
Cette conclusion qui a semblé à certains purement spéculative appa-
raît au contraire non seulement cohérente avec la pensée freudienne tout
entière mais aussi inévitable, si l'on ne veut pas isoler le monde des
intentionnalités humaines (qu'elles soient positives ou négatives) du
contexte biologique intime dans lequel elles s'animent.
La propension universellement reconnue des hommes à croire que,
si cela dépendait d'eux, ils voudraient être seulement vivants (et qui a
comme- corollaire leur penchant à se sentir liés uniquement à des inten-
tionnaHtés positives) dériverait donc d'un manque d'appropriation,
sur le plan conscient, d'une partie fondamentale de leur destin biolo-
gique. Ce manque d'appropriation, de la part de l'homme, de la volonté
de sa propre mort se trouverait donc à la base du manque d'appropria-
tion de ses propres intentionnalités négatives et Freud le ramène à un
processus primaire de déflexion à l'extérieur de l'instinct de mort. A
travers ce processus, les pulsions destructives, qui agissent silencieu-
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 261

sement à l'intérieur du vivant, seraient perçues comme une externalité


persécutrice, contre laquelle se retourne le sadisme primaire, compor-
tement déprédateur typique, élaboré en une position paranoïde. Les
comportements destructifs envers les objets tireraient ainsi leur origine
d'une attaque sadique contre sa propre mort, aliénée et placée dans les
objets.
Dans cette perspective, la guerre, comme tout comportement des-
tructif qui s'adresse aux objets, peut être considérée comme le résultat
de la négation et de l'aliénation de notre volonté de mourir dans la
mesure où, à travers la déflexion de l'instinct de mort, cette négation
et cette aliénation portent à la constitution de l'ennemi, perçu ainsi
comme l'externalité persécutrice qui veut nous faire mourir et que par
conséquent nous devons détruire pour pouvoir vivre.
C'est pourquoi les hommes se livrent à la guerre comme les animaux
déprédateurs qui rêvent de vivre en dévorant leurs ennemis, dans la
mesure où la guerre leur permet de perpétuer l'illusion originaire de
nier la mort en détruisant les ennemis dans lesquels ils l'ont placée. De
là naît l'illusion toujours renouvelée en vertu de laquelle la guerre
constitue une défense contre un danger mortel et une affirmation de
survivance, sur le plan paranoïde.
Dans son bref écrit Considérations actuelles sur la guerre et la mort,
après avoir observé que l'homme civil se défend de différentes façons
de la représentation de la mort et après avoir noté que la guerre, en
particulier, nous contraint à être des héros incapables, comme Siegfried,
d'avoir peur et de croire à notre mort, Freud se demande : « Ne serait-il
pas préférable de restituer à la mort, dans la réalité et dans notre pensée,
la place qui lui revient ? »
Dans Psychologie des masses et analyse du Moi, Freud étudie la
formation des collectivités sous l'impulsion de deux processus fonda-
mentaux dans lesquels les différentes configurations des pulsions
agressives, que j'ai appelées condition paranoïde et condition dépres-
sive, deviennent observables comme en un milieu de culture pure,
c'est-à-dire d'une façon plus directement accessible que dans la vie des
individus.
Dans la constitution du groupe, la condition paranoïde se manifeste
à travers la déflexion à l'extérieur du groupe des intentionnalités des-
tructives des individus appartenant au groupe. De cette façon, la cohé-
sion d'un groupe devient directement proportionnelle à l'existence d'un
ennemi vers lequel convergent les tendances destructives qui, si elles
ne subissaient pas cette déflexion, rendraient précaire la cohésion du
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groupe. La déflexion sur l'ennemi du sadisme des individus d'un groupe


déterminé est un processus tellement actif dans la vie du groupe que,
lorsqu'il manque un ennemi extérieur sur lequel réaliser la déflexion
des pulsions destructives, un ennemi tend à se créer à l'intérieur du
groupe, et le sadisme converge sur les minorités qui existent au sein
du groupe.
La condition dépressive participe à la formation du groupe surtout
en créant les conditions favorables à la formation de ces « liens de nature
sentimentale et de ces sentiments de communion sur lesquels se fonde,
en vérité, la force des collectivités ». En tout groupe, le chef (ou, au
sens général, l'idéal du groupe) se constitue comme objet d'amour.
Celui-ci se place dans le Moi de chaque individu comme objet d'identi-
fication, à travers la répétition, au niveau social, du processus primitif
d'identification de l'enfant à sa mère, objet d'amour primitif.
L'identification de chaque individu avec le chef (ou l'idéal du
groupe) a pour conséquence le fait que chacun des individus du groupe
(comme l'enfant envers sa mère puis envers son père) doit retenir en
lui-même les pulsions destructives qu'il se sentirait porté à diriger
contre les membres d'un même groupe, car toute violence contre un
seul membre du groupe, en vertu de l'identification de chaque individu
avec l'objet d'amour (chef ou lois en tant qu'idéal du groupe) est sentie
comme la destruction du groupe tout entier. A travers la condition
dépressive les lois requièrent donc le sacrifice de l'individu, pour donner
à ce même individu la possibilité de survivre dans le groupe, de la même
façon qu'à l'enfant est demandé le sacrifice de soi, en faveur de sa mère
d'abord puis de son père, en tant qu'objets d'amour à travers lesquels
il se sent vivre. Pour Freud, en effet, l'instinct de l'homme de s'unir
en groupe ne constituerait pas un instinct primaire (instinct de gréga-
risme) mais serait une dérivation secondaire de la condition primitive,
moyennant laquelle, dans le but d'éviter l'angoisse et afin de s'indivi-
dualiser, l'enfant a besoin de se rapporter à l'objet d'amour auquel il
s'identifie.
Selon cette conception de la vie des groupes, la guerre permettrait
aux groupes à la fois la déflexion de la destructivité à l'extérieur du
groupe et la conservation de l'objet d'amour, à travers l'acceptation
du sacrifice des individus pour défendre l'objet d'amour perçu comme
menacé par l'ennemi.
Je chercherai toutefois à démontrer premièrement que la condition
dépressive, qui participe à la guerre et qui rend la guerre légitime
aux hommes, est en fait et de par sa nature même, illusoire et inau-
CONDITION DÉPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 263

thentique et deuxièmement que les conditions historiques actuelles


permettent finalement de rendre cet aspect inauthentique et illusoire
particulièrement évident et explicite, en rapport avec la crise que subit
la guerre, comme instrument de défense de l'objet d'amour.
Dans la guerre donc, à part la condition paranoïde d'aliénation de
la mort, placée dans l'ennemi, et à part l'illusion de survivre à travers
la destruction de l'objet dans lequel a été placée sa propre mort, agit
également, et de façon déterminante, la condition dépressive, ce qui
fait que la guerre, tout en étant un événement de toute évidence
criminel, est vécue en réalité comme imposée par les lois des
groupes.
Le héros, par conséquent, non seulement nie sa propre mort mais
l'accepte aussi, dans la mesure où son acceptation du risque de mourir
devient un moyen à travers lequel il est convaincu de faire vivre l'objet
d'amour avec lequel il s'identifie (chef ou idéal du groupe, qui
en pratique peut être un idéal économique, politique, religieux,
culturel, etc.). Le héros, en un mot, pense et sent qu'il est juste que lui
meure, pourvu que l'objet d'amour vive.
Il semblerait que l'idéal éthique de Socrate (« S'il était nécessaire
de faire ou de pâtir de l'injustice, pour ma part, je préférerai certainement
en pâtir à la faire », Gorgia, § 469 a), idéal typiquement dépressif,
par lequel Socrate sent et affirme la nécessité du sacrifice de soi, pourvu
que vive l'objet d'amour (la vérité, les lois), il semblerait donc que cet
idéal dépressif de Socrate ait en lui-même quelque chose de commun
avec l'idéal dépressif exprimé par le kamikaze des soldats japonais, qui
correspond au sacrifice de soi-même pour obtenir la survivance en tant
que héros, à travers la sauvegarde de l'empereur-objet d'amour et
d'identification. Dans la mesure où la vie du soldat japonais provient
de l'empereur, la perte de l'empereur impliquerait l'impossibilité de
vivre, tandis que la mort pour l'empereur permet au soldat de faire
vivre l'empereur et lui-même identifié avec lui. Il est évident que la
guerre ne se nourrit pas seulement de férocité et d'aliénation mais aussi
de la capacité de souffrir par amour. Le pacifisme facile oublie trop
souvent cette vérité fondamentale qui, si elle n'est pas révélée sous son
jour véritable, risque de laisser au pouvoir des dominateurs une force
incommensurable pour traîner les dominés vers la folie destructive,
dans l'illusion de commettre un acte d'amour. Dans la mesure où,
comme nous l'avons vu, l'objet idéal qui se consitue dans le groupe
devient la raison même de vie de ceux qui le composent, la sauvegarde
de cet objet idéal devient plus importante que celle des individus ;
264 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

si bien que le sacrifice originaire de soi pour sauver l'objet d'amour


— dans le premier développement psychique, il marque le passage
de l'oralité déprédatrice de l'enfant à son humanisation à travers
l'expérience d'amour — à part le fait de rendre nécessaire la sauvegarde
de toutes les valeurs qui prendront la place de cet objet primitif, porte,
dans la vie du groupe, à l'acceptation de la part de ses membres de la
nécessité du sacrifice de l'individu, afin que l'individu puisse survivre
dans l'idéal du groupe, qui a pris la place de l'objet d'amour primitif.
Il vaut la peine toutefois de préciser tout de suite que, tandis que
chez l'enfant la conservation de l'objet d'amour individualisant est
obtenue par l'enfant lui-même grâce au sacrifice de son propre sadisme
(sacrifice du Soi mauvais), lorsqu'il s'agit de la guerre, la condition
dépressive ne peut jamais, en réalité, devenir effectivement et authen-
tiquement agissante car, dans la guerre, la vie des groupes porte les
individus à aliéner leur propre sadisme en le plaçant dans l'ennemi.
La condition paranoïde prépondérante qui gouverne la vie des groupes,
en vertu de laquelle les pulsions destructives de tous les individus d'un
même groupe sont aliénées, à travers la guerre, et placées dans l'ennemi,
est cause du fait que le sacrifice du héros est à nouveau rendu sadiste, ou
mieux encore détérioré, en un univers sado-masochiste, comme cela
se produit dans les névroses et plus spécialement dans les psychoses
des individus. La retraflexion conservative des instincts de mort sur le
Soi, à travers les lois, devient donc impossible : le sacrifice du Soi,
rendu sadiste, est au contraire mis au service de la destruction de
l'ennemi, dans lequel ont été placées les parties mauvaises de tous les
individus du groupe.
La condition dépressive, comme les lois, agit donc à l'intérieur du
groupe mais demeure inefficace dans les rapports entre les groupes,
à cause de la condition paranoïde, fondamentale dans ces derniers.
Il est donc évident que les rapports entre les groupes en sont restés
à un stade pré-humain et par conséquent en dehors de la civilisation
et en dehors des lois, même si les individus appartenant à un groupe
qui lutte contre un groupe ennemi sont persuadés qu'ils sont tenus à
tuer l'ennemi au nom des lois. C'est pourquoi la guerre permettrait
aux individus de se donner à nouveau à leur condition déprédatrice
paranoïde originaire : condition qui tente tout homme, toujours.
Le processus fondamental d'aliénation, qui fait que tout individu
appartenant à un groupe met dans le groupe ennemi son propre désir
de destruction de l'objet d'amour, rend illusoire pour les groupes la
sauvegarde de l'objet d'amour, car celle-ci est fondée sur l'équivoque
CONDITION DÉPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 265

que ce sont les autres, les étrangers, ceux qui se trouvent au-delà de la
frontière, qui le veulent détruire, ce qui empêche les individus de se
sentir responsables et les rend par conséquent eux-mêmes incapables
d'authentiques processus réparateurs. Cette équivoque de base fait
que la condition apparemment dépressive du kamikaze est en réalité
paranoïde et donc impuissante à sauver l'empereur, parce que le
sadisme se dresse continuellement vers l'objet persécuteur (l'ennemi),
dans lequel a été placé le propre désir de détruire l'empereur.
Ceci permet de constater, au niveau de la civilisation, la différence
radicale qui existe entre le kamikaze du soldat japonais et l'idéal dépressif
de Socrate. Ce dernier en effet affirme l'existence de son propre objet
d'amour (la vérité) à travers le sacrifice de soi, pour s'empêcher soi-même
de le trahir (de le détruire). Le soldat japonais, au contraire, se sert du
kamikaze pour nier dans les autres son propre désir de détruire l'empereur.
Quant à l'efficacité des deux sacrifices, il faut reconnaître que celui
de Socrate atteint son but d'une façon intégrale, car il modifie la racine
originaire et interne de la destruction de l'objet d'amour (le propre
sadisme) ; le sacrifice du soldat japonais, au contraire, est en lui-même
impuissant à atteindre son but. Son efficacité en effet est réglée moins
par sa capacité d'amour que par celle de destruction et reste en réalité
subordonnée au fait que la capacité de destruction de l'ennemi soit
inférieure à la sienne propre : en d'autres termes, la guerre place la
sauvegarde de l'objet d'amour à la merci de l'ennemi. Nous voyons
ainsi que, tandis que l'idéal de Socrate ne semble pas condamné à
périr, celui du Mikado a été détruit par une guerre perdue.
Tout en donnant aux hommes l'impression de traduire en actes
leurs exigences réparatrices envers l'objet d'amour, la guerre les leur
fait vivre d'une façon illusoire, à cause de l'équivoque de base de vouloir
nier son propre sadisme en le plaçant dans l'ennemi : équivoque qui
en exprime l'acte constitutif fondamental. C'est peut-être dans cette
inauthenticité et dans cet aspect illusoire de réparation et de conser-
vation que la guerre donne au sacrifice du héros, que peuvent être
recherchées, au moins en partie, me semble-t-il, les raisons de la caducité
de la civilisation des groupes, qui fit que des civilisations arrivées aux
plus grands faîtes s'acheminèrent ensuite vers une ruine fatale.
La sauvegarde de l'objet d'amour, qui, chez l'individu, se trouve
à la base de la possibilité de toute évolution du Moi, implique pour
ce même individu la nécessité de se sentir responsable de sa destruction,
car une telle responsabilité constitue la condition sine qua non pour le
développement d'authentiques processus réparateurs, comme réponse
REV. FR. PSYCHANAL. 18
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de l'Erôs à l'angoisse dépressive de destruction de l'objet d'amour.


Dans la guerre, au contraire, le sacrifice de soi est essentiellement
utilisé par les individus d'un même groupe pour nier leur propre désir
de détruire l'objet d'amour, désir aliéné et placé dans l'ennemi. De
cette façon, un tel désir se soustrait au contrôle des individus auxquels
il appartient et la guerre, sur le plan psychologique, malgré ses
apparences conservatives, apparaît comme l'incitation réciproque du
sadisme des deux groupes qui, projetant chacun sa propre férocité sur
l'autre, se masquent tous deux à eux-mêmes leur désir de détruire leur
propre objet d'amour. Puisque chacun des deux est porté à sentir
l'autre en une réciproque condition paranoïde, chacun voit l'autre
comme la représentation actualiséede son propre désir de détruire, aliéné
et vécu comme une externalité persécutrice. De cette façon, le héros
préfère tuer et être tué plutôt qu'affronter sa propre angoisse dépres-
sive, dérivée du fait de reconnaître en lui-même la source de la des-
truction de son propre objet d'amour. Le désir de détruire l'objet
d'amour ainsi aliéné finit en réalité par être indéfiniment satisfait,
sans pouvoir être jamais reconnu comme tel car, dans la condition
paranoïde ainsi déterminée, plus le sadisme primitif est mobilisé, plus
il est projeté et représenté par l'ennemi comme entité persécutrice
qu'il faut détruire (nier).
C'est là le résultat le plus terrifiant de l'aspect illusoire et équivoque
du processus dépressif qui participe à la guerre et qui conduit à per-
cevoir le propre sadisme comme défense de l'objet d'amour, tandis
qu'en réalité il est la cause de sa destruction. Hitler lui-même commença
son délire de guerre en partant du fantasme persécutif de l'Allemagne-
mère suffoquée et massacrée par les peuples qui l'entouraient : d'où
la guerre illusoirement fantasmée comme moyen pour procurer à
l'Allemagne un « espace vital ».
La vérité est qu'au-delà du délire érotico-mégalomane d'Hitler
pour l'Allemagne, il y avait un désir inavoué de la détruire et c'est
dans ce but qu'il fut porté, à la fois avec lucidité et inconsciemment,
à dresser contre l'Allemagne le monde entier. A cause de cela, peut-être,
dans l'incommensurabilité de son mal, Hitler pourra aider les hommes
à comprendre certaines choses et peut-être même à se sauver, à condition
toutefois qu'ils aient le courage de reconnaître en Hitler leur mal le
plus profond, caché derrière d'illusoires apparences d'amour.
La fondamentale inauthenticité des processus réparateurs que la
guerre peut, d'une façon illusoire, faire vivre aux hommes organisés
en groupes, nous porte à présent à chercher à rendre plus clair, par
CONDITION DÉPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 267

rapport à l'exercice de la violence, le rôle soutenu par la souveraineté


de l'État, en tant que prérogative, d'une instance qui se pose comme
objet d'amour et gardienne des lois, aussi bien dans les rapports internes
des groupes que dans les rapports externes des groupes entre eux.
A ce propos, dans les Considérations actuelles sur la guerre et la
mort, Freud écrit : « Les peuples, plus ou moins, sont représentés par
les États qu'ils constituent, et ceux-ci par leurs gouvernements. Le
citoyen privé, durant la guerre, a le moyen de s'apercevoir avec terreur
d'un fait dont il avait déjà eu l'intuition, peut-être, en temps de paix :
l'État interdit au particulier l'emploi de la violence, non parce qu'il entend
la supprimer, mais seulement parce qu'il veut la monopoliser, comme le
sel et les tabacs. ».
Cette affirmation que Freud fait en passant, pour ainsi dire, réap-
paraîtra, plus systématiquement développée, dans Psychologie des
masses et analyse du Moi.
Voulant préciser, toutefois, les modalités à travers lesquelles l'État
exerce le monopole de la violence, on rencontre deux situations radi-
calement différentes, selon que ce monopole s'exerce sur les rapports
de violence des individus à l'intérieur du groupe ou concerne au contraire
les rapports de violence entre les Etats.
Le monopole de la violence que l'État exerce à l'intérieur du groupe
naît du fait que c'est au nom des lois comme idéal du groupe (lois
comme objet d'amour) que les individus renoncent à faire usage de la
violence et qu'ils autorisent l'État à exercer la violence sous une forme
punitive à l'égard de ceux qui, en violant les lois, mettent en danger
l'existence même du groupe, à travers la lésion de l'idéal du groupe.
Dans ce cas, donc, le monopole de la violence de la part de l'État est
un instrument de conservation des lois, dans la mesure où il conduit
à la rétorsion de la violence sur les individus qui ont enfreint le pacte
originaire de ne pas placer la mort hors de soi-même. Il existe par
conséquent en ce cas une économie de la violence, un « Doit » et un
« Avoir » de la violence, conformément au
principe dépressif selon
lequel qui a placé la mort dans l'objet d'amour doit la voir retomber
sur lui-même sous la forme et dans la mesure où il l'a mise.
L'État, ainsi, administrerait simplement les échanges de violence
entre les individus, restant dans la juste dimension, restituant à chacun
sa propre violence, et empêchant par là l'inflation de la violence à
travers la spirale sado-masochiste de la vengeance, en vertu de laquelle
les actions de tuer et d'être tué s'exciteraient l'une l'autre, comme les
caresses. réciproques excitent les désirs réciproques des amants. En
268 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

ce cas donc le monopole de la violence de la part de l'État reflète l'exi-


gence des lois et ne porte pas à une accumulation de violence de
sa part.
Même les révolutions auxquelles Freud se réfère dans sa réponse
à la lettre d'Einstein, bien que portant à une crise temporaire du droit
dans la vie des groupes, se relieraient en définitive à une perspective
analogue à celle que nous avons illustrée, de rétorsion sur les domi-
nants de la violence qu'ils exerçaient sur les dominés.
Il existe en effet la possibilité que, à l'intérieur des communautés
humaines, le chef unique ou le groupe des dominants, au lieu de res-
pecter les lois comme idéal du groupe, devant lequel tous ont les
mêmes droits et les mêmes devoirs, asservissent au contraire les lois
à eux-mêmes, corrompant leur sens originaire pour les rendre instru-
ment de mortification injuste (sous une forme physique ou économique)
des dominés. Les problèmes de l'exploitation, de l'aliénation et de
l'appropriation au sens économique, mis en relief par le marxisme,
pourraient ainsi, à la lumière de la théorie des instincts de mort, être
considérés comme des procédés à travers lesquels les dominants, au
Heu de conserver en eux-mêmes leur part de mort, affirment leur vie
à travers la mortification des dominés. Ainsi, dans la mesure où la
révolution, au nom de la loi égale pour tous, retourne contre les domi-
nants la quantité de mort qu'ils ont placée hors d'eux-mêmes, elle
révèle une fois encore la parenté entre Nomos et Thanatos : la loi égale
pour tous est la mort, en effet, la faux qui égalise toutes les herbes
du pré.
La loi comme idéal de groupe inspiré du droit égal pour tous se
révèle par conséquent, à travers la révolution, comme primaire par
rapport au groupe dominant et par rapport au chef lui-même. Puisque
le chef et les dominants peuvent asservir les lois à eux-mêmes, les
transformant et les corrompant en droit inégal, et les rendant par
conséquent instrument de la violence primitive, les révolutions, dans
la mesure où elles expriment la tendance des dominés à réinstaurer
le droit égal, représentent fondamentalement une suspension momen-
tanée du monopole de la violence de la part de l'État, pour pouvoir
réinstaurer, dans ce même État, l'idéal des lois qui fut enfreint. La
révolution qui vise au droit égal exprimerait donc un authentique
processus réparateur à l'égard des lois.
Du moment que les dominants perpètrent l'injustice d'asservir les
lois, les corrompant en les faisant devenir instrument de violence,
les révolutions qui tendent à la loi égale pour tous visent à la répa-
CONDITION DÉPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 269

ration des lois violées et reconstituent le monopole de la violence de la


part de l'État en une légalité authentique. Même en ce cas, toutefois,
il n'y aurait pas accumulation de violence de la part de l'État mais sim-
plement rétroversion de violence sur les individus qui l'ont commise,
en vertu du principe dépressif selon lequel ceux qui ont placé la mort
hors d'eux-mêmes en mortifiant les autres doivent la reprendre en
eux-mêmes, sous la forme et dans la mesure où ils l'ont mise.
Les lois, qui ont une exigence fondamentale et originaire de sur-
vivance, peuvent bien être rendues inauthentiques par les dominants,
les hommes n'en seront pas moins toujours portés à les rétablir dans leur
signification originaire, qui est celle d'engager les hommes à retenir en
eux-mêmes leur mort, égale pour tous. Chaque période historique tendra
donc à mettre les lois en crise, dans la mesure où celles-ci seront senties
comme déchues de leur signification originaire, car la nécessité de
rendre historiquement vraie l'intériorisation de la mort sous une
forme totale ne cesse jamais de se poser : c'est là un idéal dépressif donc,
qui contraint les hommes à la civilisation mais qui, à cause du danger
d'autodestruction qu'il contient, suscite continuellement chez les
hommes la tendance à le nier. Mais, d'autre part, puisque la négation
des lois conduirait à la destruction de la civilisation, perçue comme
destruction de l'objet d'amour dont elle exprime la continuité histo-
rique, naît pour les hommes la nécessité continuelle de réaffirmer les
lois, en un continuel renouvellement des valeurs, conçues comme actes
réparateurs. Ainsi se renouvellent par rapport aux lois, conçues comme
idéal du groupe, les mêmes conditions dépressives qui alimentent la
vie de l'objet d'amour originaire, qui font que l'idéal du groupe, senti
comme continuellement trahi, doit être continuellement sauvé, pour
permettre la survivance de tous.
De cette façon, la négation et la ré-affirmation des lois comme idéal
du groupe travaillent la vie des communautés humaines, les poussant
vers des formes de civilisation qui demandent aux hommes une renon-
ciation toujours plus radicale à l'emploi de la violence. Ainsi, tandis
que, durant des civilisations encore récentes, le droit de propriété écono-
mique d'un homme sur d'autres hommes, sous la forme de l'esclavage,
était considéré comme légitime aussi bien par les maîtres que par les
esclaves, la période historique présente semble au contraire caractérisée
par le fait que les lois visent actuellement à faire sentir aux hommes
comme criminels non seulement l'esclavage au sens strict mais aussi la
propriété des instruments de production économique qui, inflationnant
toujours davantage leur pouvoir sur les hommes, se prêtent à être
270 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

employés comme instruments de la domination des dominants sur les


dominés ; si bien que, considéré dans son ensemble, le monopole
économique de la part de l'État apparaît comme tendu vers une réa-
lisation toujours plus radicale du sens originaire de la loi égale pour tous,
afin d'empêcher chaque homme d'éluder sa propre mort en mortifiant
les autres hommes.
Toutefois, lorsque, après avoir examiné le sens de la souveraineté
de l'État et du monopole légitime de la violence que l'État détient à
l'intérieur des groupes, on passe à examiner le sens que le monopole
de la violence de la part de l'État assume dans les rapports entre les
groupes, il est difficile d'éviter l'effroyable impression à laquelle Freud
se réfère.
Le monopole de la violence de la part de l'État dans les rapports
entre les groupes est en effet la guerre, comme négation de toute loi.
Et depuis que désormais la guerre, historiquement, en tant que guerre
absolue, guerre donc qui n'admet plus la défense et l'offense mais
seulement la destruction totale, est entrée en crise dans sa fonction de
nous donner l'illusion de pouvoir survivre en aliénant de nous-mêmes
notre propre mort, nous nous trouvons dans un vide de loi tragique et
en même temps contraints de devoir admettre la nécessité de nous
approprier notre propre mort, pour éviter la mort totale à travers la
guerre totale.
Et nous nous trouvons si désorientés devant cette perspective et si
peu préparés à l'accueillir que ne plus pouvoir faire la guerre nous
apparaît à la fois comme une nécessité dont on ne peut faire abstraction
et comme une chose contre nature, comme si ne pas pouvoir faire la
guerre nous laissait désarmés contre notre mort, incombante à l'ennemi
et représentée par lui.
C'est pourtant justement par le même processus de transfor-
mation duquel elle est née que la civilisation humaine semble devoir
être sauvée : un processus dépressif donc, qui fit que les hommes,
au nom des lois, s'obligèrent à se mortifier eux-mêmes au heu de tuer,
dans la mesure où le banquet totémique, par lequel le père-totem tué
était assumé d'une façon rituelle, semble indiquer, au-delà des appa-
rences du méfait originaire, la première révélation sacrale de la loi
en tant que nécessité d'internaliser l'ennemi tué : c'est-à-dire d'inter-
naliser la mort préalablement placée au-dehors, comme si la loi, dans
son essence, était justement un processus contraire au processus de
déflexion à l'extérieur de l'instinct de mort et signifiait pour les hommes
la nécessité de retourner vers eux-mêmes, sous forme de mortification,
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 271

la destruction qu'ils sont portés à diriger vers l'extérieur, dans l'illusion


de ne pas mourir.
Après avoir précisé en ces termes le sens de la guerre, comme
aliénation illusoire de notre mort, ce qui, avec l'avènement de la guerre
absolue, implique la nécessité d'une ré-appropriation de sa propre mort
de la part de chaque homme, je chercherai à démontrer qu'à l'origine
de la crise actuelle de la guerre et de la situation pantoclastique à
laquelle l'humanité se trouve à présent exposée, nous rencontrons non
seulement le monopole mais la capitalisation de la violence de la part de
l'État.
On sait que Marx était arrivé à la théorisation de l'aliénation de
l'activité humaine productrice de moyens économiques, en antithèse
avec Feuerbach, qui avait mis en évidence, polémiquant avec Hegel,
l'aliénation de l'homme au sens absolu. Pour Marx, l'aliénation de
l'homme au sens absolu concerne une forme d'aliénation de type idéo-
logique et abstrait, qui peut être réassumée par l'homme en une réap-
propriation elle aussi idéologique et abstraite. La véritable aliénation
concrète de la condition humaine est toutefois pour Marx celle qui fait
que l'homme travailleur travaille pour produire ce qui le rend esclave,
c'est-à-dire le profit du capitaliste. Dans le profit du capitaliste, Marx
voit une réalité qui fait que l'activité de l'homme, considéré sous son
aspect d'agent transformateur de la nature, en vient à se trouver « contre
lui », comme une « puissance étrangère et ennemie ». L'accumulation
capitaliste serait donc le résultat du travail aliéné.
L'affirmation de Freud, rapportée plus haut, selon laquelle l'État
interdit au particulier l'usage de la violence non parce qu'il entend la
supprimer mais parce qu'il veut la monopoliser comme le sel et les
tabacs, permet de distinguer dans la guerre arrivée à présent à l'absolu
de la destruction, le résultat concret d'une aliénation absolue qui
s'exerce à travers la capitalisation de la violence de la part de l'État.
Cette capitalisation naît d'un processus d'aliénation entièrement
concrète, à travers laquelle l'État détient une accumulation de violence
qui, en fait, est le résultat soit de la violence « économisée » par les
individus soit de travail aliéné, si bien que l'activité civile et productive
de l'homme et ses lois (prises comme expression du fait qu'il est agent
transformateur de la nature humaine, en un sens dépressif) se trouvent
placées contre l'homme même, sous forme de guerre absolue, comme
une puissance étrangère et ennemie.
La conception qu'a Lénine de la guerre, en tant que guerre impé-
rialiste, dans laquelle les drapeaux suivent les capitaux, pourrait donc
272 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

se traduire en une conception plus radicale, exprimée par le fait que


les drapeaux suivent la capitalisation de la violence de la part de l'État :
condition devant laquelle il n'est plus possible, en réalité, de faire une
distinction nette, dans les conditions historiques actuelles de guerre
absolue, entre guerre impérialiste et guerre de libération du prolétariat,
guerre offensive et guerre défensive ; impossibilité de distinction qui
comporte la nécessité de la coexistence.
La guerre absolue nous place donc devant une aliénation de la
violence des hommes et de leur travail producteur de civilisation, à
travers l'absolu de la capitalisation de la violence de la part de l'État,
qui n'est plus un absolu idéologique et abstrait mais un absolu entiè-
rement concret.
Le caractère concret de l'absolu de la capitalisation de la violence
de la part de l'État, sous forme d'aliénation totale du genre humain à
travers la destruction totale, peut être rendu plus évident moyennant
l'étude de deux facteurs constitutifs essentiels, dont un est de nature
psychologique (tendance paranoïde au contrôle sadique omnipotent)
et l'autre de nature historico-industrielle (armes thermonucléaires).'
La spirale paranoïde de la violence qui se concrétise dans la guerre
et que nous avons illustrée plus haut, se trouve, sur le plan psycho-
logique, étroitement liée à un mécanisme spécifique, qui fait partie
de la condition paranoïde et que la psychanalyse a défini comme
tendance au contrôle sadique omnipotent, comme défense contre l'objet
persécuteur.
La défense contre Pexternalité persécutrice est primitivement
orientée vers le contrôle omnipotent de l'objet perçu comme ennemi,
à travers une mobilisation continuelle et de plus en plus exaspérée
du sadisme originaire. Puisque l'objet persécuteur naît de la projection
du propre sadisme, plus le sadisme est stimulé dans un but de contrôle
absolu et omnipotent, plus la déflexion vers l'extérieur du propre
sadisme provoque l'inflation du caractère épouvantable de l'objet
persécuteur, et par conséquent la tendance au contrôle sadique omni-
potent acquiert en réalité le sens de vouloir éteindre un incendie en y
versant des jets toujours plus puissants de substance inflammable.
Si l'on accepte les résultats de l'expérience psychanalytique selon
laquelle une telle réalité est présente en chaque homme, comme première
élaboration du rapport avec l'objet mauvais, on en arrive à devoir faire
la déconcertante constatation que le fait terrifiant de la course fréné-
tique des États en vue de disposer d'armes toujours plus puissantes,
course qui, avec la révolution industrielle, est maintenant arrivée,
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 273

historiquement, à la toute-puissance destructive, exprime d'une façon


concrète et exemplaire la condition paranoïde originaire, vécue par
tout homme-enfant envers sa propre mère, au moment où celle-ci
est vécue comme ennemie (moment de la frustration). Les armes
absolues comme défense contre l'ennemi se trouveraient ainsi réfléchies
dès l'origine des hommes-enfants dans leurs rêves de disposer d'une
possibilité de contrôle omnipotent sur l'objet persécuteur. Les États,
à travers le monopole et la capitalisation de la violence, en construisant
les armes absolues, auraient ainsi rendu concret l'antique rêve para-
noïde, typique de chaque homme.
C'est pourquoi, en définitive, on peut affirmer qu'aucun homme
ne peut, sur le plan psychologique, se sentir étranger à la responsabilité
de la destruction par les armes nucléaires, car chaque homme a, pour
ainsi dire, en lui-même la bombe H sous forme de désir de contrôle
sadique omnipotent sur son propre ennemi. C'est pour cette raison
que la guerre, dans la mesure où elle représente le résultat de la capi-
talisation de la part de l'État de la violence économisée par les individus
et la concrétisation de leurs désirs de contrôle tout-puissant sur la
mort-ennemi, semble mêler dans une même responsabilité dominants
et dominés, attaqués et attaquants, car les uns et les autres sont à
présent entraînés dans l'absolu de destruction, qui correspond en fait
à leurs désirs de contrôle omnipotent réciproque. Mais dès que l'on
admet cette responsabilité de tous les individus, on s'aperçoit avec
terreur que la souveraineté de l'État, monopolisant et capitalisant la
violence, a aliéné cette responsabilité même des individus et que, par
conséquent, elle se trouve à présent contre les individus, comme une
puissance étrangère et ennemie qui les empêche de disposer de leur
propre responsabilité comme moyen pour contrarier leurs désirs de
destruction.
Puisqu'ils sont ainsi empêchés d'élaborer leur propre responsabilité
en sens dépressif par ce même État qui devrait au contraire en être le
promoteur au nom des lois, les hommes, forcés par cette condition
d'aliénation, se livrent à leur condition paranoïde originaire et courent
donc le danger de continuer à penser que la guerre peut être une
légitime défense contre un danger mortel, déterminé par un ennemi
réel. Les recherches psychanalytiques induisent cependant à penser
que ce n'est pas tant l'existence réelle de l'ennemi qui fait naître la
guerre comme légitime défense mais, au contraire, que c'est la condition
paranoïde réciproque qui fait en sorte que les États se perçoivent
mutuellement comme des ennemis.
274 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Si l'on accepte la théorie de la psychanalyse selon laquelle la vie


des groupes trouve son origine dans le rapport dyadique mère-enfant,
dans lequel se concrétise le premier rapport social, il devient possible
de démontrer la priorité réelle de la position paranoïde par rapport à
la menace réelle de la part d'un ennemi réel.
En effet, lorsque se développe chez l'enfant, à son huitième mois
de vie la première réaction de défense contre l'ennemi, connue comme
angoisse de ce qui est étranger, celui-ci projette sur la personne humaine
inconnue une intentionnalité agressive, sans que l'étranger ait jamais en
réalité démontré à l'enfant qu'il ait des intentions agressives à son
égard (1).
Les groupes, par rapport à la guerre, seraient donc, du point de
vue psychologique, conditionnés à exister au niveau de l'angoisse
de l'enfant à son huitième mois de vie, si bien que l'histoire des groupes
se trouverait, comme d'ailleurs Marx lui-même l'observait, à un stade
infantile et précisément à l'état psychotique, par rapport à l'histoire des
individus.
Le processus de capitalisation de la violence de la part de l'État
contraindrait donc les individus à se livrer à nouveau à leur position
paranoïde primitive, à cause d'un processus d'aliénation totale autant
de leur violence que de leur responsabilité, si bien que les hommes
se trouvent impuissants, malgré leur patrimoine de civilisation, à
contrôler leur propre sadisme à travers la condition dépressive des
lois.
Le sadisme des individus, épargné par ceux-ci, monopolisé et
capitalisé par l'État, se transformerait ainsi en un absolu de violence
qui incombe à ces mêmes individus ; ceux-ci se trouvent alors menacés
et esclaves de la violence qu'ils n'ont pas exercée, en une condition
d'exploitation, toujours plus absurde, de leur travail producteur de
civilisation, aliéné par l'État et mis au service de la destruction
de tous.
Un tel état de choses amène à penser qu'au début le capital de
violence dont l'État disposait pour la guerre pouvait être considéré
comme la somme des violences physiques individuelles mais qu'au fur

(1) Ce caractère illusoire de l'émergence originaire de l'ennemi donne à la condition paranoïde


un caractère fondamental de déréalité, qui est également, sur un plan individuel,un des exemples
les plus typiques de déflexion à l'extérieur de l'instinct de mort, sous forme d'extemalisation
d'un objet mauvais autoplastique. L'enfant donc, projetant l'objet autoplastique mauvais
(Thanatos) sur l'étranger, s'efforcerait de dériver sur un objet différent de sa mère ses pulsions
destructives qui, primitivement, s'adressent à la mère elle-même.
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 275

et à mesure que les instruments matériels pour faire la guerre se sont


perfectionnés, l'écart entre la capacité de violence des individus et la
capacité de violence capitalisée par l'État est devenu plus évident,
avec le résultat que la violence épargnée par les individus est devenue
à présent, avec le progrès incessant de la révolution industrielle, un
absolu de destruction, capable non seulement de détruire le genre
humain tout entier mais aussi, selon le témoignage d'Einstein,
jusqu'à la vie même sur toute la terre (qui pourrait bien être même
toute la vie existante). A ce point, la capitalisation de la violence de
la part de l'État ne correspond plus tant à la capacité réelle de violence
des individus, mais plutôt à leurs fantaisies sadiques de contrôle
omnipotent.
Il est évident par conséquent que cet aspect terrifiant de la capi-
talisation de la violence de la part de l'État dépasse de beaucoup, dans
ses aspects d'aliénation de la vie des hommes, n'importe quelle autre
aliénation, y compris celle qui dérive de la capitalisation économique.
Cette coexistence effroyable de la civilisation à l'intérieur des groupes
et de la barbarie dans les rapports entre les groupes, que l'humanité
traîne avec elle depuis toujours, comme une espèce d' « excuse biolo-
gique » à la guerre, semble désormais arrivée toutefois à un point de
rupture. La guerre est donc entrée en crise et cette crise de la guerre
semble pousser les hommes vers la nécessité de changer, même si,
à cause de leur antique vice de vouloir aliéner leur propre mort,
ils n'apparaissent absolument pas préparés à affronter une situation
nouvelle qui, bon gré mal gré, implique, à travers le problème dra-
matique posé par le risque que court la survivance de l'espèce, une
mutation, au sens le plus strict que la biologie donne au terme.
Contrairementà Freud, qui exprima ouvertement son scepticisme envers
les lois, j'oserais dire que, pour moi, cette transformation nécessaire
à la survivance ne semble concevable qu'à travers un retour à la loi
comme fait originaire, c'est-à-dire comme condition dépressive, qui
implique., moins une ré-appropiation de la part des individus de la
violence aliénée par l'État (solution anarchique) qu'une ré-appropriation
de la responsabilité de chaque individu devant la guerre : condition
préalable nécessaire à la réalisation du processus de rétroversion à l'inté-
rieur des groupes humains de l'instinct de mort, les lois prenant alors
une valeur radicale qui porte l'État à leur obéir tout en les transmettant
et en les imposant aux individus.
Le moment historique semble donc venu de penser à transformer
l'Etat-bête, que Machiavel découvrit « fondé sur le renard et sur le
276 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

lion », en État-homme, c'est-à-dire en État qui obéisse aux mêmes lois


qu'il a données aux hommes, pour empêcher cet État, qu'il soit socia-
liste ou capitaliste, de se faire l'industriel de la violence épargnée par
les individus.
Il semble alors inévitable qu'une telle transformation de l'État
comporte l'avènement d'une révolution qui implique une gigantesque
condition dépressive de l'humanité, condition qui est crainte par les
hommes, dans la mesure où elle porte chacun d'eux à sentir en lui-
même sa propre mort. Mais ce pourrait bien être là le mythe nouveau,
qui d'ailleurs est un mythe antique : ce pourrait bien être le mythe de
la mort en nous qui permette aux hommes de se sentir héros sur le
plan des lois, du moment que la guerre désormais ne peut plus nous
donner cette illusion sur le plan de la violence.
Il n'est peut-être pas insensé de penser que c'est justement la
capitalisation de la violence des individus dans l'absolu de la violence
de l'État qui peut recréer les conditions originaires qui poussèrent les
hommes à découvrir les lois. Depuis que la capitalisation de la violence
de la part de l'État a atteint la limite de l'absolu de la destruction, le
processus inauthentique qui donnait à la barbarie de la guerre un visage
de civilisation et d'amour révèle finalement l'équivoque paranoïde
sur laquelle il se fonde.
Mais si la guerre se dévoile comme pur processus destructif, elle
entre en crise et cela juste au moment où elle acquiert la possibilité
de traduire en réalité le rêve paranoïde d'omnipotence sadique. L'omni-
potence destructive crée les conditions mêmes qui font perdre à la
guerre toute possibilité de donner un sens à la destruction, la faisant
passer comme nécessaire à la sauvegarde de l'objet d'amour. Il est clair
désormais que la guerre, situation pantoclastique, ne peut plus être
conçue que comme destruction de tout objet d'amour. Ainsi, depuis
que la guerre ne permet plus l'illusion de sauver l'ami en détruisant
l'ennemi, c'est-à-dire ne permet plus de fantasmer la survivance de
l'objet d'amour mais seulement la destruction de toute vie, elle offre
finalement aux hommes la possibilité de la considérer simplement
comme l'instigation réciproque de leur propre mort.
Ainsi, devant l'identité de la guerre et de la mort, périt l'antique
erreur de l'illusion originaire de pouvoir sauver l'objet d'amour en
tuant les ennemis : en tuant les ennemis, on détruit l'objet d'amour.
Et puisque pour survivre il est nécessaire de ne pas tuer l'ennemi, la
conservation de l'ennemi devient la condition de notre survivance,
de la même façon que l'enfant survit en sauvant sa mère d'abord, puis
CONDITION DEPRESSIVE ET CONDITION PARANOIDE 277

son père, de son propre sadisme, au moment où il les perçoit comme


ennemis (1).
Dans la mesure où la crise de la guerre contraint l'humanité à
traiter l'ennemi comme s'il était l'objet d'amour, les hommes pourront
peut-être redécouvrir le lien mystérieux qui les lie à l'ennemi, redé-
couvrant en lui le père-totem, tué au cours du crime originaire, et dont
la conservation permet à nouveau de vivre ; ainsi se renouvellera la
condition dépressive originaire qui fit que, à l'aube de la civilisation,
l'homme, animal déprédateur, cessa de tuer sa proie et découvrit les
lois en transformant la proie morte en un Dieu qui interdit de tuer.
A nouveau l'ennemi tué, l'antique père féroce, devra être redécouvert
comme objet d'amour pour devenir le totem, l'entité sacrale qui donne
la vie et la mort, les lois qui interdisent de tuer l'ennemi-ami.

(1) La crise de la guerre comme situation dans laquelle la destruction de l'ennemi entraîne
aussi celle de l'ami, correspond en fait à la crise de la position paranoïde de l'enfant, crise qui
ouvre la porte à la position dépressive infantile, dans le passage des objets partiels, bon et
mauvais, à l'objet total (Klein).
LES LIVRES

Dr Robert WAELDER, Les fondements de la psychanalyse : Le développement de


la pensée psychanalytique. Les pulsions. L'instinct de destruction et la
haine. L'angoisse. Psychologie analytique du Moi. Les principes de la théorie
psychanalytique. Valeur de la psychanalyse, 224 p., traduit de l'anglais
par Pierre BERLOT, Paris, Payot, 1962.
Dans la « Bibliothèque Scientifique » des Éditions Payot, Paris, qui comprend
déjà un grand nombre d'ouvrages sur la psychanalyse (dont les plus importants
travaux de Freud), vient de paraître un ouvrage du Dr Robert Waelder, pré-
sident de l'Institut de Psychanalyse de Philadelphie, sur Les fondements de la
psychanalyse.
Se défendant d'écrire une étude exhaustive de la théorie psychanalytique,
l'auteur s'est proposé de ne traiter que ce qu'il considère comme « fondamental ».
Dans ce choix, il aborde tour à tour les principes de la psychanalyse et les pro-
blèmes qu'ils impliquent, tels que les possibilités et les méthodes de contrôle
scientifique des interprétations, la notion d'instinct et les raisons pour lesquelles
les psychanalystes semblent y attacher une importance que les biologistes
tendent à lui refuser, le rôle de la sexualité, la signification de l'instinct de des-
truction, du Moi, les principes, les indications et les limitations de la thérapie
psychanalytique, le rôle de la prise de conscience dans cette thérapie, etc.
Ce faisant, l'auteur espère contribuer à détruire certains malentendus, à
rétablir la psychanalyse dans sa juste signification et à préciser son rôle et son
importance dans le cadre de notre culture.
La clarté et l'aisance du style de l'auteur, la précision des définitions et des
commentaires font de cet ouvrage un manuel indispensable pour quiconque
veut faire le point sur l'un des courants de pensée les plus féconds de notre
siècle.

Helmut THOMA, Anorexia nervosa, geschichte, klinik und theorien der puber-
täts magersucht (Anorexie mentale, histoire, clinique et théorie de l'anorexie
mentale de la puberté), Bern und Stuttgart, Hans Huber, 1961, 352 p.,
26 tableaux, cartonné toile.
Cette maladie, que l'on rencontre presque exclusivement chez les jeunes
filles lors de la puberté, a été observée ces dernières années beaucoup plus
fréquemment qu'auparavant et de ce fait a provoqué un intérêt clinique et
psychopathologique toujours plus grand.
Le tableau clinique de l'anorexie mentale de la puberté se situe, pour
ainsi dire, à la frontière de la médecine interne et de la psychiatrie. Les cas
les plus sérieux de sous-alimentation, qui peuvent parfois entraîner la mort
par suite d'une abstention fanatique de nourriture, sont étroitement liés à des
distorsions extrêmes de la personnalité.
Dans les comptes rendus détaillés de traitements, le monde de l'expérience
280 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

vécue des malades prend un relief suffisant pour permettre de vérifier les
déductions théoriques. Les observations de 30 cas ont été rassemblées dans
des tableaux synoptiques.
Le travail s'adresse en premier lieu au médecin qui y trouvera une
excellente vue d'ensemble de la définition, de la fréquence, de la symptomato-
logie corporelle, de l'anatomie pathologique et de la thérapeutique de ce
syndrome. Comme la plupart de ces malades sont d'âge scolaire, le présent
exposé sera d'une grande aide pour les éducateurs et les psychologues soucieux
de comprendre les adolescents perturbés dans leur développement. A l'exemple
de l'anorexie mentale, des questions fondamentales de médecine psychosoma-
tique seront discutées.

LAPLANCHE (J.), Hölderlin et la question du père, Presses Universitaires de


France, Paris, 1961, 144 p.
L'étude de Laplanche sur Hölderlin pose en termes dialectiques le problème
de la relation entre la schizophrénie de ce poète, la création de son oeuvre et
ses rapports à autrui.
Éliminant tout point de vue duel, d'un côté l'oeuvre, de l'autre, la maladie,
Laplanche nous fait assister à travers lettres, événements, écrits philosophiques,
poèmes, à ce devenir où la montée lente de la schizophrénie se noue à l'histoire
des relations du poète, lesquelles ne trouvent de dépassement possible que dans
l'oeuvre : si Hôlderlin est « fait » par sa maladie, il se produit aussi en elle, par
la médiation créatrice d'une oeuvre en laquelle il tente de constituer, au sein d'un
univers différencié, soi-même et l'autre.
L'investigation porte sur 7 années capitales de la vie d'Hölderlin : celles,
de 1793 à 1800 qui, aboutissant à la création des Grands Hymnes débouchent
finalement sur le temps proprement dit de la folie.
En 1793, refusant contre le désir de sa mère d'occuper une chaire pastorale,
Hölderlin est introduit comme précepteur par Schiller chez Charlotte von
Kalb. Pas même un an après, voulant se couper d'un amour devenu insuppor-
table pour lui, il quitte brusquement cette maison et va s'installer à Iéna où
il fréquente les « grands », Fichte, Goethe, spécialement Schiller qui s'occupe
paternellement de lui. Bientôt, la relation à Schiller s'avère elle aussi mena-
çante ; fasciné, détruit, sombrant dans l'incohérence ou le mutisme, Hölderlin
ayant rompu d'avec Schiller passe l'été de 1795 chez sa mère. Puis il semble
se remettre. Le voilà, en 1796, précepteur à Francfort chez Suzette Gontard,
celle qui vient prendre la place de la mythique Diotime, la dame élaborée au
cours des différentes versions de l'Hypérion. A Francfort, Hölderlin livré à
celle qu'il aime et en qui il se retrouve, passe trois années de « bonheur » pendant
lesquelles semble s'amorcer une certaine stabilisation psychologique. En fait,
comme il a dû quitter soudain Charlotte von Kalb et Schiller, ainsi devra-t-il
fuir Suzette Gontard pour s'établir finalement seul à Homburg en 98, où
s'accomplit à travers un délabrement psychologique de plus en plus profond
une maturation capitale : solitaire, coupé de tous ceux qu'il a aimés, Hölderlin
écrit alors la série des Empédocle, période préparatricedes Grands Hymnes (1800),
ceux qui font de lui un des plus grands poètes de tous les temps.
Au cours de ces années, il apparaît qu'Hölderlin en se constituant pas à pas
poète, tente de se conquérir contre sa mère : obtenir « l'usage de ses forces »,
s'appartenir, garantir en quelque sorte son autonomie semble lié pour lui au
pouvoir créateur de (se) dire, soit en poèmes, soit en textes philosophiques.
Or, le projet de ce « dire », s'il sous-tend tous les moments de la vie
d'Hölderlin et s'il se réalise dès les premiers poèmes et dans l'Hypérion n'atteint
LES LIVRES 281

sa pleine maturité qu'à Homburg, une fois les objets perdus, sortis du réel,
mais c'est en ce moment aussi que peu à peu la folie le submerge.
Au fond, après chaque rupture d'avec un objet finalement ressenti comme
dévastateur, le poète, dans une solitude réelle ou une impression de solitude,
tente de se retrouver en écrivant et cela ne va pas sans un progrès des symp-
tômes schizophréniques. Les années de bonheur avec Suzette Gontard cor-
respondent à un « malheur de la lettre », ultérieurement c'est le contraire : le
malheur de la relation à autrui fait proliférer la lettre.
On voit que la création de l'oeuvre (ici essentiellement poétique) garantit
au moins pour un temps, une maîtrise à celui qui l'engendre : un tiers terme
apparaît, « pôle chargé d'énergie négative » qui vient ordonner un monde où
tout se vit en termes de dualité fascinante. Connoter de négatif un rapport
duel, instaurer en son sein un manque, n'est-ce pas là la fonction du père qui,
dans son principe marque la mère d'un manque autant que d'un interdit, mère
mortifère sinon, et qui finalement prend la place de tout autre ?
Hölderlin a manqué de ce manque dont c'est la fonction du père d'en
imprimer la marque : cela l'obligea à s'éloigner radicalement d'un autrui
éprouvé trop proche ou trop semblable, soit mère dévorante venant « combler
trop » le désir du poète voué à ce mouvement de plénitude et de vide dont
Laplanche décrit si soigneusement le rythme, soit image de soi sans différence.
Dans ce contexte, l'oeuvre, d'un point de vue fonctionnel, constitue une ten-
tative de pallier à la situation : elle désigne la place du père ou plutôt fonctionne
à sa place ; par l'instauration d'un pôle négatif qui manquait, elle maintient
« ouvert ce qui chez la plupart des psychotiques s'est fermé en mode d'être »
(p. 132). Telle est, très schématiquement résumée, la grande hypothèse de cette
étude. S'il prête spécialement attention au point de vue fonctionnel, Laplanche
n'oublie jamais pour autant que toute création poétique transcende ce point
de vue ; qu'une vérité universelle advienne en l'oeuvre d'Hölderlin, voilà qui
est présent à chaque page du livre.
Revenons maintenant d'une manière moins systématiquement braquée
sur Hölderlin, encore que nous y pensions sans cesse, à ce problème particulier
de la création d'une oeuvre poétique comme tentative de solution ou tout au
moins comme mode d'ajournement d'une évolution pathologique.
D'abord, on pourrait dire que l'engendrement d'une oeuvre marquant la
place d'un inexprimable, nommant l'inconnu d'une certaine manière, est une
façon d'échapper symboliquement à un monde fermé où toute fécondité,
tout échange entre l'extérieur et l'intérieur s'avéraient finalement impossibles
pour entrer dans un monde ouvert où je me signale à moi-même autant qu'à
l'autre, en un certain message, comme être fécond, quelle que soit la teneur
par définition plus ou moins cachée de ce message. Le créateur devient à lui-
même son propre père et sa propre mère, ceux-là mêmes qui lui ont fait de
quelque manière défaut ; le faire de son oeuvre lui assure symboliquement le
monde fécond de la paternité et de la maternité conjuguées.
Plaçons-nous au point de vue de ce faire qui est ici une certaine façon de
dire ; le faire implique le recours à des lois (celles dans le cas qui nous occupe
qui régissent la poésie mais il pourrait tout aussi bien s'agir des lois musicales,
picturales ou autres...), lois qui font que le secret de l'être le plus originel et le
plus caché, s'anime non dans un simple message verbal mais dans une oeuvre
d'art.
Jakobson dit que les lois structurales du poème président à un usage
second de la langue : suivant une distorsion de la dichotomie signe-objet,
le principe d'équivalence phonétique, sémantique est promu au rôle consti-
tutif de la séquence ; l'axe de la sélection des phonèmes, des sémantèmes
REV. FR. PSYCHANAL. 19
282 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

s'aligne sur l'axe de leur combinaison, leur similitude est au principe même
de leur contiguïté et c'est ainsi que la structure du message s'ordonne non
en fonction du code ni du contexte mais du message lui-même (1). Par ailleurs,
la règle esthétique d'Hölderlin veut notamment que « la forme comporte le
caractère de l'opposition et de la séparation ».
Pas de raison de faire ici une étude approfondie des lois structurales du
poème mais de les éprouver comme ce pôle de négation à quoi le poète recourt
spontanément pour donner une forme contrôlée à un monde inconscient qui
risque toujours de le submerger dans la mesure même où justement la loi du
négatif, liée au père, lui a fait défaut.
Dans le moment de la création, le poète, ni purement actif, ni purement
passif, laisse venir au jour, en une synthèse où « le percevoir et le remémorer
s'allient », les images de son monde inconscient ; il en est comme saisi, mais
par cet ensemble spécifique de mots que constitue le poème qu'il élabore, il
les maîtrise. Si le poème le « travaille », il travaille son poème et c'est dans ce
travail qui est imposition de forme, qu'une distance s'instaure entre le poète
et son monde intérieur, que l'effusion dévorante qui menaçait les deux termes
de ce couple est soumise à un ordre.
A sa manière, c'est-à-dire en créant un poème, le poète livré à son incons-
cient devient donc maître des images qui le maîtrisaient ; il établit dans la
durée ce qui échappait au temps ; il impose une marque de distinction sur
l'indistinct ; il arrête ce qui était mouvant-indéfini en un mouvement défini ;
il met en discontinuité le continu, en forme le sans-forme, mais dans ce mou-
vement, cette forme, cette discontinuité, l'indistinct, le sans-forme, le continu,
l'indéfini mouvant prolongent toujours leurs échos et sont plus présents que
jamais. En d'autres termes, on pourrait dire que les lois du processus primaire
viennent imprégner d'une certaine façon l'élaboration secondaire (2) : le pro-
cessus primaire trouve dans le poème une expression autant qu'une limite
à son déploiement. C'est parce qu'il y a limitation dans le faire qui est un
dire où joue à sa manière la négation, qu'on peut à son propos évoquer la
fonction paternelle. Hölderlin en écrivant tente donc de faire vivre cette loi du
père dont on peut dire qu'il n'avait pu en recevoir la marque, la mère du poète
occupant toute place. Ajoutons qu'à la différence du rêveur, le poète participe
à ce « faire » en qui il se situe au niveau le plus profond et le plus universel de
la communication inter-humaine.
Mais reprenons ce qui précède par un autre biais. Si l'on voulait résumer de
la manière la plus générale le contenu de la poésie hölderlinienne, on pourrait
dire qu'elle oscille entre la nostalgie d'une fusion avec une totalité où tout est
joie pure, plénitude, innocence, et le renoncement à cette fusion, et qu'elle
débouche sur la « nuit de l'absence des dieux » en laquelle finalement se trouve
un appui, un secours. Dans l'oeuvre, il y a, en dernière analyse, institutionali-
sation de l'absence comme absence et le poète devient le médiateur de cette
absence des dieux.
Du point de vue envisagé ici qui est celui de l'équilibration psychique par
la création poétique, cela ne signifie-t-il pas que l'oeuvre prend la valeur d'un
lieu privilégié où le désir peut être maintenu parce que le fait de le dire intro-
duit la coupure nécessaire à son existence ? Si dans un poème, je dis que j'ai
la nostalgie de la totalité (maternelle) je me constitue comme énonçant cette

(1) R. JAKOBSON, Style in language, New York, London, Whiley and Sons, 1960.
(2) Cf. à ce sujet, l'analyse du poème de BAUDELAIRE, Les chats, faite par R. JAKOBSON
et C. LÉVI-STRAUSS. L'homme, Rev. fr. d'anthropologie, Mouton & Co., Paris-La Haye, janvier-
avril 1962.
LES LIVRES 283

nostalgie et c'est un moyen de la conserver tout en échappant à la destruction


qu'elle implique ; l'acte du dire instaure une mise à distance nécessaire qui
doit protéger de l'imminence de la totalité ; je puis me constituer en face
d'elle comme sujet mais par ce biais la totalité est aussi préservée, maintenue
comme totalité.
Ce processus, s'il s'effectue de la sorte n'a pourtant pu réussir à endiguer
la menace de ce qui va rendre Hölderlin fou ; il n'a fait que retarder la psychose.
C'est pour cela qu'on voit Hölderlin, en un suprême effort, proclamer, offrir
« au peuple enveloppé dans son chant » l'absence des dieux comme secours.
Créer un manque, une absence à tout prix ne joue plus seulement au niveau du
faire de l'oeuvre, mais dans les thèmes qu'elle évoque. Plus la nostalgie de la
totalité menaçait, plus il fallait dire l'absence. Mais en ce qui concerne l'absence,
le même processus intervient que celui énoncé plus haut : nommer l'absence
des dieux, c'est aussi d'une ultime manière maintenir la relation à ces dieux.
Dans l'éloignement progressif des objets humains en lesquels le manque
manquaittoujours, l'oeuvre constitue la tentative de créer un objet, une demeure
viable, un « asile » où le manque existe : c'est un point d'amarre signifiant à
partir de quoi le sujet peut risquer l'affrontement de son monde et du monde.
Moyen d'échapper à la fascination, pour Hölderlin, ce moyen finalement échoue.
Laplanche nous montre patiemment, avec un grand respect des données
qui s'offrent à lui, ce cheminement au sein duquel brille l'insondable vérité
d'un créateur aux prises avec son destin.
M. C. BOONS-GRAFÉ.
M. LEMAY, Les groupes de jeunes inadaptés. Rôle du jeune meneur, Paris, Presses
Universitaires de France, 1 vol., 1961, 213 p.
L'auteur nous présente une étude clinique des groupes de jeunes inadaptés,
de leurs meneurs, des inter-relations entre le meneur et le groupe, qui le conduit
à préciser les moyens d'une action préventive ou éducative.
La personnalité du meneur et son action ne peuvent se définir que par
rapport au groupe. Une grande attention est de ce fait accordée à l'analyse
préalable des groupes d'enfants :
Évolution du groupe chez l'enfant normal : le premier groupe apparaît déjà
vers 3 ans lors de la crise d'opposition, comme un refuge et un appui du fait
de cette opposition, comme cela se reproduira à l'adolescence. Mais le groupe
stable ne s'organise que vers 9 ou 10 ans.
Évolution des groupes d'enfants inadaptés : groupe spontané évoluant en trois
phases, pré-groupe, groupe constitué hiérarchisé et codifié, phase de disso-
lution. Ils remplissent diverses fonctions mais sont avant tout un refuge avant
d'évoluer vers la délinquance et l'expression possible de l'agressivité contre
l'adulte. Les groupes imposés (internat, observation) ont un équilibre qui
repose sur l'adulte responsable, mais leurs exigences dépassent souvent les
possibilités adaptatives de l'enfant ; aussi la mise en groupe de ces sujets dans
un but éducatif n'a pas forcément un effet socialisant.
L'étude du meneur ne permet pas de le définir par un type physique ou
psychologique, mais de souligner certains traits. Dès 6 mois, l'enfant en groupe
se comporte selon diverses modalités dont les deux pôles sont l'indifférence et
l'indépendance.Puis l'âge intervient pour créer une relation du type supériorité-
infériorité, et le meneur est alors un despote. Le véritable meneur n'apparaît
que vers 10 ans.
L'auteur analyse les diverses exigences requises pour être meneur, il dis-
tingue les faux meneurs des vrais meneurs dont les qualités sont en rapport
direct avec celles du groupe dont il émane.
284 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Le chapitre réservé aux interactions du meneur et du groupe est de ce fait


le plus important. L'auteur se limite à l'étude du comportement malfaisant du
meneur et à l'évolution du groupe qui au début représente une certaine forme
de socialisation pour l'enfant, mais que de multiples raisons font évoluer vers
la délinquance. Le meneur assure l'unité du groupe en amenant les membres
à s'identifier à lui-même, il protège et devient source de sécurité, en face des
obstacles le groupé se hiérarchise et se ferme, le meneur ayant un rôle impor-
tant dans la ségrégation et la formation des tabous.
Le groupe imposé a des caractères différents car l'adulte doit en devenir le
noyau, mais il se heurtera à des défenses individuelles ou collectives dans
lesquelles le meneur aura sa part ; dans ces relations du meneur et du groupe
intervient surtout le degré de contagion du groupe.
L'auteur termine par l'étude du maniement des groupes d'enfants inadaptés
dans un but thérapeutique : rôle de l'éducateur qui doit tenir compte de la
personnalité du meneur, de celle des membres du groupe et de leurs relations
humaines ; rôle du médecin ou du psychologue dans la supervision.
Dr Cl. GIRARD.

TOMAN (Walter), Family constellation, New York, Springer Publishing Company,


1961, 248 p., bibliog.
Ce livre qui reprend des idées déjà exprimées par l'auteur dans divers
articles, se présente comme un jeu, c'est-à-dire que ses prétentions ne sont
pas très grandes.
En réalité, il est très riche et contient une analyse systématique, qui se veut
statistiquement fondée, de l'influence sur chaque individu de sa situation
à l'intérieur de sa fratrie.
L'hypothèse de base est que l'enfant acquiert dans le milieu formé par ses
frères et soeurs un certain nombre d'habitudes qui laisseront en lui une
empreinte définitive et le besoin compulsionnel de recréer toute sa vie durant
la situation initiale ; et que la morphologie de cette situation initiale et des
systèmes relationnels qui s'y créent est déterminée essentiellement et avant
tout par l'âge relatif des divers enfants. Les relations objectâtes parentales sont
volontairement et systématiquement laissées de côté, et l'influence des parents
n'est prise en considération que dans la mesure où peut se transmettre à l'enfant
la patrie de la structure parentale qui résulte elle-même de la situation originaire
du parent dans sa propre fratrie.
Sont envisagés successivement le cas du garçon qui n'a qu'un ou plusieurs
jeunes frères ou soeurs ; ou qui a plusieurs frères ou soeurs aînés ; et de même
la situation de la fille dans ces mêmes conditions. Bien entendu, les redites sont
inévitables mais il se dégage un certain nombre d'idées générales intéressantes.
Par exemple que l'aîné occupe une situation conductrice dans la fratrie et a des
facilités d'identification avec le parent du même sexe, et des dispositions pour
un rôle social dominant, etc. ; que le benjamin qui a toujours vécu dans une
situation où des aînés ont résolu tous les problèmes restera toute sa vie un être
plutôt dépendant et insouciant, le destin étant chargé, comme autrefois les
frères et soeurs plus âgés, de pourvoir à ses besoins ; que dans le comportement
vis-à-vis de ses propres enfants chacun apporte les séquelles de son origine,
qu'ainsi par exemple les benjamins se résoudront mal à n'être plus le plus jeune
et auront des difficultés dans leur rôle d'aîné vis-à-vis de leurs propres enfants ;
que dans les relations amicales et surtout conjugales deux individus s'entendront
d'autant mieux que leur situation originelle dans leur fratrie respective aura
été complémentaire (un frère aîné habitué au rôle de chef s'accordera bien avec
LES LIVRES 285

une fille cadette habituée à la soumission ; entre deux aînés, il y aura des
conflits d'autorité, et entre deux cadets des exigences de dépendance qui ne
pourront être satisfaites mutuellement) ; que les possibilités de relations har-
monieuses avec des individus de l'autre sexe dépendent en partie de leur
préparation dans l'enfance et qu'ainsi les sujets issus de fratries isosexuelles
établiront très difficilement des relations hétérosexuelles et seront, dans leurs
relations sociales, dominateurs s'ils ont été l'aîné, compétitifs s'ils ont été le
benjamin ; qu'un enfant unique échappe, dans la mesure où il ne les a pas
héritées de ses parents, aux pulsions dominatrices ou compétitives en restant
toute sa vie un égocentrique pour lequel il n'y a pas, pour son comportement,
d'échelle de valeurs en dehors de lui ; que le sujet qui a été le seul de son sexe
dans une nombreuse fratrie aura toute sa vie besoin d'objets hétérosexuels
multiples ce qui chez la femme, selon le niveau mental, peut donner une
courtisane de grande classe ou une prostituée de bas étage, etc.
Il est intéressant, on pourrait presque dire amusant, de noter combien les
caractéristiquespsychologiques décrites par Toman a posteriori et après examen
de plusieurs centaines de sujets, ont un caractère d'évidence intellectuelle ;
on a presque l'impression de pouvoir les définir a priori avant tout examen du
matériel concret ; et cette concordance entre les données d'observation et ce
que la théorie permet de prévoir fait penser, toutes proportions gardées, à la
démarche intellectuelle de la physique théorique.
Après l'analyse des diverses éventualités particulières, l'auteur propose
une méthode de mise en formule de la situation d'un individu donné. Cette
formule d'allure mathématique, expose de façon claire la situation de l'individu
dans sa propre fratrie, celle de ses parents et même de ses grands-parents, et
celle de son conjoint lorsqu'il y en a un.
Et sur quelques exemples précis, l'auteur essaie de démontrer la valeur de son
hypothèse selon laquelle il serait possible de prévoir, avec une approximation
suffisante, la destinée d'un sujet donné en ne tenant compte que des situations
chronologiques dans le milieu originaire.
Il manque à ce livre les indications des résultats des analyses que Toman
a pratiquées sur ses sujets. Il ne nous apprend pas si les conditionnementsacquis
dans la fratrie sont définitifs ou modifiables. Il ne tente pas non plus de corré-
lation entre ce nouveau système de référence proposé par Toman, et qui consiste
dans la situation temporelle du sujet à l'intérieur de sa fratrie, et le système de
référence habituellement utilisé constitué par le bipôle sujet-parents. La ten-
tative de Toman apparaît donc trop isolée du contexte analytique habituel et
il reste une coordination synthétique indispensable à faire. Le livre est cepen-
dant intéressant et important par l'introduction, dans le penser psychologique
et psychanalytique, d'un paramètre nouveau qui jusqu'à présent avait été
négligé et qui pour la première fois est systématiquement analysé.
Pierre LÉVY.
L'investigation psychosomatique, par Pierre MARTY, Michel de M'UZAN et
Christian DAVID (1).
Je ne puis résister au plaisir d'écrire quelques réflexions après avoir lu
le livre de Marty et de ses collaborateurs : ce sont celles d'un psychanalyste de
bonne volonté, très éloigné de la psychosomatique.
Je n'avais eu jusqu'à présent avec cette discipline que peu de contacts,

(1) MARTY (P.), M'UZAN (M. de), DAVID (C), L'investigation psychosomatique-, Presses
Universitaires de France, Paris, 1963.
286 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-I964

ceux qui m'assuraient que les conflits pouvaient se somatiser et qu'une ligne
sans discontinuité conduisait du fonctionnel à l'organique. Comme beaucoup
de collègues cependant, j'étais rebuté par deux tendances assez simplistes,
au moins dans l'apparence, celle qui me laissait l'impression que la psycho-
somatique ne faisait qu'élargir le domaine de la conversion, celle qui me
donnait l'impression lassante d'une liste de batailles considérées comme spéci-
fiques avec l'image maternelle, dont on disait qu'elles sous-tendaient le champ
de la psychosomatique, d'une manière trop précise pour ne pas me paraître
monotone.
Voulant spécifier la « chose psychosomatique », et nous introduire concrè-
tement dans le domaine de ses investigations, Marty et ses deux collègues,
après une introduction, nous présentent le compte rendu sténographique ou
magnétophonique de sept observations cliniques.
La lecture en est, à elle seule, tout à fait passionnante : l'examinateur a
recueilli ce matériel dans une situation de groupe. Dans chaque cas, les malades
purent parler et furent interrogés dans des conditions qui mettent non seulement
à jour la dramatique histoire de leurs conflits, mais qui explicitent aussi les
premiers éléments des déplacements transférentiels. Une exceptionnelle maî-
trise des positions contre-transférentielles permet à l'examinateur de pousser
parfois le patient au-delà de ses retranchements défensifs, de le ramener,
quand la situation devient dangereuse (cf. l'observation du coronarien) à un
stade relationnel non régressif. Il me semble que le lecteur psychanalyste se
trouve lui aussi dans une situation privilégiée devant ces sept observations ;
il se trouve grâce au talent de l'examinateur, en état de s'identifier de façon
relativement contrôlée aux patients, ce qui lui permet de lire d'une façon
vraiment nouvelle ces observations : comme les auteurs le font remarquer, la
présentation typographique elle-même permet de suivre les scansions drama-
tiques du dialogue, ses débouchés sur des noeuds conflictuels, ainsi que les
résistances qui naissent et s'expriment dans le registre somatique.
Ces observations sont destinées à nous familiariser avec le spectre psycho-
somatique et à nous en faire saisir l'organisation, « dont la base est constituée
moins par des mécanismes mentaux que par des activités sensorio-motrices
et diverses modalités physiologiques plus ou moins isolées, surchargées ou
distordues ». Le « spectre psychosomatique » peut être compris, selon les
auteurs, à la lumière de la théorie psychanalytique des névroses. Mais la relation
d'objet du psychosomatique aurait un style qui lui est propre. Sa singularité
fait comprendre que la pathologie psychosomatique n'est ni d'ordre névrotique,
ni d'ordre psychotique. Elle s'apparenterait parfois à la perversion, plus souvent
à la névrose de caractère. Le terme de « névrose de comportement » qu'emploient
plusieurs fois Marty et ses deux collègues est séduisant pour un psychanalyste
d'enfants. Il m'a expliqué en tout cas pourquoi je m'identifiais si facilement à
l'examinateur dans ces sept observations.
En bien des occasions en effet la situation m'a rappelé le contact avec un
enfant et ma manière d'être avec lui, dans le cas d'une consultation. Comme
Marty en effet, je ne crois pas qu'il convienne de nous attacher exclusivement à
dresser le bilan des conflits qui ont pu être pathogènes. J'ai été frappé par l'im-
portance dramatique des moments où l'examinateur s'attaque à ce que Marty
décrit comme « une mimique de fantasme ». Le somatique, comme l'enfant,
ne pense alors souvent « à rien ». L'un compte les carreaux du sol, l'autre se
raccroche à ses soucis professionnels, comme l'enfant à ses problèmes scolaires
et plus souvent à ses activités ludiques.
Tout ceci fait parler à Marty de « pauvreté » et de « précarité » des instru-
ments intellectuels et fantasmatiques. « On en vient donc à saisir une autre
LES LIVRES 287

caractéristique du malade psychosomatique : la pauvreté qualitative plus ou


moins marquée de son système de relation à l'égard de l'objet mental, qu'il
s'agisse de la représentation de l'objet extérieur ou de l'objet intérieur. L'inves-
tigateur ne laisse pas d'être frappé par le peu d'intérêt relationnel — au sens
habituel du terme — qu'il paraît susciter chez le malade, et par le caractère à la
fois peu nuancé et peu différencié de la façon dont il est appréhendé par lui.
Leur relation ne donne pas lieu à une réelle élaboration, elle ne semble pas
non plus pouvoir être récupérée pour entrer dans un ensemble dynamique qui
en assure la promotion. Elle est statique et morcelée dans une large mesure.
Dans les cas les plus purs, le malade tend à répondre mécaniquement, sans
attendre semble-t-il autre chose qu'un jeu automatique de stimulations et de
réponses. Bien plus, il paraît inconsciemment animé par un besoin de ravaler
l'interlocuteur au plan de sa somaticité. D'une façon générale, le malade
psychosomatique donne l'impression que son intérêt profond est absorbé
par ce qu'on pourrait appeler un objet intérieur somatique. Or celui-ci, à la
différence de l'objet intérieur du névrosé par exemple, présente une opacité
de sens, une résistance à l'interprétation, et, en outre, il se prête mal ou pas du
tout à être ressaisi dans une activité mentale consciente fantasmatique pu
intellectuelle. Au reste, même lorsqu'une telle activité semble prendre un
certain développement, on est en mesure de vérifier qu'elle ne comporte qu'une
valeur fonctionnelle minime, que son rôle est faible énergétiquement. C'est ce
dont on doit se souvenir devant certains psychosomatiques qui pourraient à
première vue paraître appartenir au niveau génital, et chez lesquels la vie
mentale peut même revêtir une réelle richesse. Leur adaptation à la réalité,
qui est parfois satisfaisante, contribue à donner le change car, de même que
l'activité, elle est essentiellement pratique, opératoire, et ne correspond pas
à un investissement libidinal effectif. Mais cette aisance est illusoire et masque
un profond assujettissement. De tels malades, et à plus forte raison d'autres
moins évolués, conduiraient à parler d'une sorte de « carence mentale », à
condition de mettre l'accent sur la valeur fonctionnelle de l'activité mentale,
sur son rôle dans l'économie pulsionnelle.
« Il n'est pas du tout dans notre esprit — même si au cours de nos commen-
taires certaines façons de parler pouvaient le laisser croire — de conclure à
un défaut radical, chez les psychosomatiques, des activités de représentation
et des systèmes défensifs et adaptatifs du type névrotique, voire « normal ».
Cependant, si l'on est quelquefois en droit, sémiologiquement, de rattacher
le tableau morbide à telle ou telle entité névrotique classique, on s'aperçoit
bientôt, par exemple au cours de la psychothérapie, que cette assimilation
était liée à la reconnaissance d'une première ligne de défense qui se révèle
fragile, en fait beaucoup moins structurée qu'on ne le croyait, et masque une
organisation pathologique d'un autre ordre, précisément psychosomatique. »
On saisit mieux maintenant la remarquable originalité du travail qui est
ici analysé : nous nous essayons tous à mettre en valeur les perspectives éco-
nomiques de chaque cas, sans oublier l'analyse dynamique et topique. Marty
le fait avec un rare bonheur, soit dans les remarques qui suivent les mouvements
des patients et qui s'inscrivent dans un commentaireimmédiat en bas de page,
soit dans les commentaires généraux qui forment la conclusion de chacune des
sept observations.
Je voudrais seulement retenir ici deux notions qui m'ont paru nouvelles
et éclairantes, celle de la pensée opératoire et de la réduplication projective.
Ces quelques lignes empruntées à la conclusion du livre définissent bien
la pensée opératoire.
« Il s'agit d'un sujet qui donne l'impression première d'une adaptation
288 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

sociale correcte, voire excellente, qui ne présente pas d'organisation névro-


tique ou psychotique à proprement parler, et chez lequel l'écart par rapport
à la norme paraît exclusivement lié aux anomalies somatiques.
« L'absence de liberté fantasmatique constitue l'une de ses caractéristiques
les plus importantes, pour nous l'un des éléments sémiologiques essentiels.
La charge liée aux affects et aux émois, mal véhiculée et peu ou pas élaborée
par les fonctions mentales, paraît s'engager rapidement dans la voie somatique.
Il y a une pauvreté de la rêverie comme de la vie onirique, un appauvrissement
des échanges interpersonnels, associés à un dessèchement et à une sclérose de
l'expression verbale, de sorte que les vagues inconscientes ne semblent pas
d'ordinaire troubler la surface lisse d'une conscience apparemment simple.
Ensemble de traits qui témoignent souvent en réalité d'un processus somatique
pathologique grave.
« En un mot, on a le sentiment net que le sujet est coupé de son inconscient :
le magma fantasque de première enfance, mélange de sensations et d'affects,
étranger à la logique, indifférent dans une large mesure à la réalité, est chez lui
tenu à distance et, sinon perdu, comme absent. A considérer globalement l'évo-
lution de la personnalité, on retire l'impression d'un cloisonnement étanche
établi entre ses différents niveaux, d'où sans doute cette impossibilité de l'in-
conscient à se faire jour sous la forme de représentations. En tout cas celles
que l'on peut observer sont prises dans un contexte d'urgence pratique et ne
dépassent guère la réalité actuelle.
« Elles sont incluses dans un mode original d'appréhension et de mani-
pulation du réel — un réel étroit et comme fossilisé — que nous avons désigné
à maintes reprises comme pensée opératoire. Le Ça, donc, qui n'est plus repris
au niveau mental pour y trouver une expression, mais qui n'en reste pas moins
dynamique et sensible à tous les stimuli, reste figé en des formes somatiques
plus ou moins distordues où l'intégration des fonctions perturbées se trouve
compromise. Il faut rattacher à cet ordre de faits le sentiment très fort que cause
le psychosomatique de donner le pas au quantitatif sur le qualitatif, sans jamais
bien distinguer entre les valeurs pulsionnelles. »
La réduplication projective est un trait qu'il faut différencier de l'identi-
fication processus essentiel pour le maintien de la relation objectale. L'autre y
devient une image du sujet qui ne peut imaginer que son interlocuteur a des
particularités individuelles différentes des siennes. « Incapable de discriminer
entre les qualités d'autrui, il manifeste aussi un refus total de les introjecter,
de sorte que si l'autre affirme une originalité irréductible, il perd aussitôt toute
valeur objectale. Il en est ainsi, parce que le malade s'est lui-même nivelé,
est devenu une sorte de stéréotype dont l'autre n'est jamais qu'un tirage indé-
finiment reproductible. Isolé de ses forces vives, le sujet se trouve peu à peu
livré à son seul Surmoi, dont sa vie consciente tend à ne plus constituer qu'une
émanation directe. C'est pourquoi, lorsque l'autre n'est pas conforme au Soi-
Surmoi, ou ne peut y être réduit, du fait soit d'une singularité flagrante, soit
d'une situation particulièrement pressante, le sujet, hormis les troubles soma-
tiques, ne peut avoir d'autre issue que la rupture de la relation. On conçoit
donc aisément que ses contacts aillent s'amenuisant au cours de sa vie, ce qui
crée un véritable cercle vicieux. Le monde qu'il se fabrique ainsi est néces-
sairement uniforme, sans attrait, sans horizon. »
Les psychiatres d'enfants, pour définir certains caractères de l'organisation
psychotique, parlent du mécanisme défensif de l'identification projective. Il
s'agit d'une façon d'éviter l'attaque de l'objet ou l'attaque contre l'objet c'est-à-
dire la néantisation morcelante, en prêtant à l'autre les mêmes désirs et senti-
ments qu'à soi-même. Il serait intéressant d'établir les différences entre ce
LES LIVRES 289

mécanisme de défense psychotique et celui que les auteurs ont mis en évidence
chez les somatiques : ce dernier semble à première vue plutôt lié à un manque
de nuances dans l'assimilation fonctionnelle de l'objet, comme si ce dernier
s'appauvrissait de tout investissement objectai, au profit d'un reploiement
narcissique, qui semble bien fondamental dans ces cas.
Avec ce rappel de deux caractères particuliers de la somatisation, on voit
que les auteurs, tout en se référant à la théorie psychanalytique, ont été conduits
à tenter de spécifier la psychosomatique en se référant à trois niveaux : le mental,
le comportement, le somatique. Ils définissent en effet ce qu'ils appellent un
principe d'équivalence énergétique, « qui s'est révélé immédiatement fructueux,
tant au niveau du diagnostic qu'à celui du pronostic et de la thérapeutique. Sur
la base de notre expérience psychosomatique, nous pensons qu'il existe en
effet une certaine équivalence énergétique entre l'activité relationnelle avec
un objet extérieur ; l'activité relationnelle avec la représentation d'un objet
extérieur ; l'activité mentale en tant que telle, intellectuelle ou fantasmatique ;
et l'activité fonctionnelle somatique perturbée. Dans cette chaîne analogique, il
faut bien souligner que la qualité de l'intégration de l'énergie se dégrade
progressivement — sans préjuger ici sa valeur agressive ou libidinale — en
même temps que la notion de relation objectale s'abâtardit et s'efface au profit
de celle d'activité fonctionnelle distordue. C'est ainsi qu'on peut voir un trouble
viscéral ou musculaire se substituer à la relation avec une personne significative
de l'entourage. »
Ces quelques réflexions sur la pensée de Pierre Marty, Michel de M'Uzan
et Christian David convaincront de lire, je l'espère, leur travail exceptionnel-
lement enrichissant.
S. LEBOVICI.

Michael et Enid BALINT, Techniques psychothérapiques en médecine (Psycho-


iherapeutic Techniques in Medicine), Tavistock Publications, 1961.
Nos connaissances actuelles sont encore insuffisantes pour une présen-
tation systématique du domaine de la psychothérapie. En attendant, ce livre
tente de clarifier les sources de certains des plus aveuglants parmi les préjugés
et les incompréhensions, et d'établir un certain nombre de principes heuris-
tiques qui pourraient ultérieurement être incorporés dans une description
exhaustive de la théorie et de la pratique psychothérapique.
La première partie du livre montre que le cadre dans lequel la thérapeutique
est exercée détermine, dans une grande mesure, les techniques à utiliser et les
résultats susceptibles d'être obtenus. Les auteurs espèrent avoir suffisamment
bien démontré que chaque cadre médical — et pas seulement le cadre psychia-
trique — comporte ses propres possibilités et ses propres limitations. Plutôt
que d'annexer les techniques propres à une autre branche de la médecine,
chaque branche devrait essayer de développer des techniques psychothérapiques
appropriées à son propre cadre particulier.
La deuxième partie est consacrée à la description de certains problèmes
fondamentaux qui se présentent sous une forme à peu près identique, indépen-
damment du cadre dans lequel la psychothérapie est exécutée.
Dans la médecine organique, le travail est essentiellement intellectuel,
tandis qu'en psychothérapie, en plus des problèmes intellectuels rencontrés,
les problèmes émotionnels qui se présentent à la fois chez le patient et chez le
médecin doivent être observés et compris.
La troisième partie montre combien il est nécessaire, en médecine psycho-
logique, que le traitement ait un sens à la fois pour le malade et pour le médecin.
290 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Pour obtenir ce résultat, le médecin doit accomplir un travail en deux étapes :


d'abord il doit arriver à comprendre son patient, et ensuite il doit aider son
patient à se comprendre lui-même.
La quatrième partie est consacrée à une étude de l'entretien psychothé-
rapique et de ses nombreux problèmes encore irrésolus.
Dans ce travail, contrairement à l'habitude, la discussion gravite non pas
autour de la psychopathologie, mais plutôt autour des processus thérapiques
eux-mêmes et autour des voies par lesquelles les médecins peuvent arriver
à les influencer ou à être influencés par eux.
Les auteurs espèrent que ce livre apportera un essai de solution à certains
problèmes que les médecins et d'autres travailleurs du domaine médical et
social ont à manier dans leur travail quotidien avec leurs malades.
L'ouvrage expose de façon fort claire certaines des questions quotidien-
nement discutées dans les cercles scientifiques spécialisés, entre autres la
nécessité pour le médecin d'amener le malade à jouer le rôle actif dans la prise
de conscience progressive de ses problèmes. Il ne s'adresse donc pas à des
lecteurs déjà avertis de ces questions, mais à un public beaucoup plus large
qui ne peut que retirer un large bénéfice de sa lecture.
Pierre LÉVY.
LES REVUES

INTERNATIONAL JOURNAL OF PSYCHO-ANALYSIS


(41, 1, 1960)
BENEDEK (T.). — The organization of the reproductive drive (L'organisation
du besoin de reproduction) (1) (p. 1).
LOEWALD (H.). — On the therapeutic action of psycho-analysis (Sur l'action
thérapeutique de la psychanalyse) (2) (p. 16).
HOEDMAKER (E.) — Psychoanalytic technique and ego modifications (Technique
psychanalytique et modifications du Moi (3) (p. 34).
RACKER (H.). — A study of some early conflicts through their return in the patient's
relation with the interpretation (Etude de quelques conflits précoces revécus
dans la relation du patient avec l'interprétation) (p. 47).
RYCROFT (C). — The analysis of a paranoid personality (L'analyse d'une per-
sonnalité paranoïde) (4) (p. 59).
STOKES (A.). — A game that must be lost (Un jeu qu'on doit perdre) (p. 70).

(1) BENEDEK (T.). — The organization ofthe reproductive drive (L'organisation


du besoin de reproduction), Int. J. Psa., 1960, 41, 1, 1-15.
L'auteur qui, on le sait, est une femme, et qui a poursuivi naguère une
recherche sur les aspects psychosexuels du cycle menstruel chez la femme,
en corrélation avec ses aspects endocriniens, souligne d'abord la différence
entre la fonction sexuelle reproductive du mâle, qui culmine dans l'orgasme
du coït, et celle de la femelle, qui comprend deux autres phases successives :
celle de la grossesse et celle de la lactation.
Benedek reprend la méthodologie et les principaux résultats de la recherche
précédente, recherche qui lui permet finalement de prévoir avec exactitude
les modifications du statut hormonal et les dates d'ovulation d'après les seuls
renseignements analytiques. Dans un second temps, elle s'attache à dessiner
la courbe fluctuante des processus inconscients qui tendent à se dérouler au
cours du cycle menstruel. Ceci l'amènera finalement à préciser les pulsions et
tendances particulièrement activées par telle ou telle hormone gonadique ainsi
que l'appréciation quantitative de la force du Moi en fonction du niveau
hormonal ; tous ces facteurs de variation sont encore modifiés par la tolérance
ou la défense du Moi devant telle ou telle activation pulsionnelle.
L'auteur passe ensuite à l'étude de la relation mère-enfant dans la grossesse
et dans la phase anaclitique. Elle montre que le succès de la maternité dépend
pour beaucoup de l'heureuse intégration des tendances passives et actives.
Benedek insiste sur le fait que le modèle masculin de la sexualité n'est pas
une référence suffisante pour la compréhension de l'organisation psycho-
affective des fonctions reproductives féminines. Elle montre dans son travail
comment cette compréhension peut s'acquérir en se basant strictement sur les
phénomènes spécifiquement en jeu chez la femme.
A bien des égards, ce travail constitue le résumé des divers travaux et des
conceptions de Th. Benedek.
292 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

(2) LOEWALD (H. W.). — On the therapeutic action of psychoanalysis. (Sur


l'action thérapeutique de la psychanalyse), Int. J. Psychoanal., 1960, 41,
1, 16-33.
Selon l'auteur de ce travail intéressant, bien pensé et bien écrit, notre
conception de la thérapeutique psychanalytique n'est pas à la hauteur de l'état
actuel de nos connaissances et même de notre pratique psychanalytiques. Il
tente en particulier d'intégrer à la compréhensiondu processus psychanalytique
nos connaissances concernant les relations d'objet et leur signification pour la
formation de l'appareil psychique.
On admet qu'il existe une relation mutuelle entre l'analyste et le patient,
mais les formulations classiques n'en tiennent guère compte. A considérer
l'appareil psychique comme un système clos, on conçoit l'analyste comme un
miroir neutre et purement extérieur. Il n'est pas dans les intentions de l'auteur
de discuter la nécessité de ce qu'on appelle la neutralité analytique ; il discute
le sens qu'on veut lui attribuer. L'assimiler à la neutralité du pur savant lui
paraît erroné, et l'on ne peut manquer de tomber d'accord avec lui sur ce point.
L'analyste est objectif, mais il vise à modifier le sujet qu'il observe, ce qui n'est
pas le fait du savant pur. De plus l'image du miroir n'est pas exacte : l'analyste
ne réfléchit au sujet pas seulement ce que celui-ci lui communique, pas seu-
lement les distorsions transférentielles. Dans les interprétations il implique des
aspects de réalité non altérée, que le patient pas à pas saisit dans la mesure où
les mouvements transférentiels sont interprétés et résolus. Comme le sculpteur
classique, selon la comparaison de Freud, l'analyste dégage la forme réelle du
patient par élimination des distorsions et surcharges névrotiques. L'analyste
se forme en lui et « tient » la réelle image de la personne du patient pour qui
elle est perdue et à qui il la restitue.
L'auteur se réfère à la notion de « crise d'identité » par laquelle on désigne
(avec Erickson) une période de régression et de désorganisation du Moi,
normalement suivie d'une réorganisation et une nouvelle intégration du Moi
à un niveau supérieur. C'est une telle crise que l'analyste provoque, en déclen-
chant une régression contrôlée. Le patient est pris entre la tendance à répéter
les anciennes relations vécues et la tendance à vivre une relation d'objet nou-
velle, s'appuyant sur celle-ci pour revivre celles-là.
Une redécouverte de soi-même est une nouvelle découverte de l'objet.
Ce qui en quelque sorte, met l'analyste et l'analysé dans une relation
nouvelle pour celui-ci, c'est l'activité d'observation scientifique prolongée.
Ceci est une activité intégrative du Moi, qui est nouvelle pour l'analysé.
Jamais elle ne se développerait dans le vide absolu d'une expérience de labo-
ratoire. L'auteur veut dire que l'analyse est non pas une activité scientifique
pure en soi, mais une relation utilisant la méthode scientifique. Au reste il y a
selon Loewald à discuter la thèse selon laquelle l'homo scientificus est le plus
achevé qui soit.
Ce qui est « réel » et vécu dans la relation par l'analyste c'est son amour et
son respect pour la personne de l'analysé. Et l'on ne saurait se dissimuler,
quelque soin que prenne l'analyste de ne pas modeler le patient à son image
propre, que l'analyse est tournée vers le futur du malade. L'analyse classique
de sujets classiques laisse inaperçus parce qu'ils vont alors de soi, des aspects
pourtant essentiels de l'analyse, lesquels apparaissent mieux avec les patients
à Moi plus perturbé.
L'auteur entreprend ensuite une étude de la notion d'instinct telle qu'elle
s'est développée dans les écrits freudiens, et montre combien les instincts
sont en interrelation avec la réalité extérieure. Il rappelle ensuite comment
LES REVUES 293

s'institue la personnalité de l'enfant dans la relation première à la mère ; il


rappelle que rien n'est introjecté par l'enfant, qui ne soit vécu et fourni, en
général inconsciemment, par la mère. C'est en même temps, dans la même
aspiration d'air et de lait, que s'instaurent et se mettent en forme l'organisation
pulsionnelle et celle de l'entourage. Il est nécessaire que l'entourage soit plus
évolué que l'enfant. De même il est nécessaire et important que l'analyste
fonctionne comme représentant d'un stade d'intégration plus élevé que celui
où se tient le patient. Il y a donc un parallèle étroit entre le processus normal et
infantile de développement et le processus de développement dans l'analyse.
« Les interprétations analytiques représentent, à de plus hauts niveaux
intégratifs, la reconnaissance naturelle impliquée dans la création d'une
identité d'expérience chez deux individus situés à des niveaux différents
d'organisation du Moi. »
En somme l'analyse est un processus inter-réactionnel.
L'auteur termine son travail par des réflexions sur le transfert, dont le
concept lui semble s'être rétréci à l'usage. Le transfert est par rapport à l'objet
ce que sont les charges inconscientes par rapport aux représentations sub-
conscientes en lesquelles elles s'investissent et dont elles se couvrent. Il se
réfère à l'interaction entre le psychisme et le monde objectai et aussi entre le
pré-conscient et l'inconscient. Il ne s'agit pas de ne pas effectuer de mouve-
ments transférentiels, mais de les effectuer simplement, et non d'une façon
stéréotypée et en vase clos. Il n'y a pas de réalisation réelle qui ne comporte
son transfert.
Et Loewald de citer, pour finir, ce passage d'une lettre de Freud à Ferenczi
en 1910 : « (Le patient) s'est débarrassé d'une peau et la laisse à l'analyste.
Dieu fasse qu'il ne reste pas nu, sans peau ! »
(3) HOEDEMAKER (E. D.). — Psychoanalytic technique and ego modifications
(Technique psychanalytique et modifications du Moi), Int. J. Psychoanal.,
1960, 41, 1, 34-46.
Cette contribution à l'étude des variations de la technique psychanalytique
s'occupe d'un point précis et important : l'imposition de certaines limites par
l'analyste (setting limits) — chez divers malades : caractériels, délinquants,
psychotiques — ayant en commun la tendance à s'introduire dans le domaine
des activités du Moi d'autrui et à laisser ou même à pousser autrui à en user
de même.
Le procédé lui-même n'est pas nouveau. Pour ne prendre qu'Eissler et
Rnight à peu près seuls cités par l'auteur, ces praticiens ont pratiqué et
recommandé des mesures de fermeté restrictive envers tels de leurs patients,
délinquants, psychotiques ou pré-psychotiques. C'est généralement l'intuition
qui dicte empiriquement de telles mesures, dont la réflexion reconnaît ensuite
la légitimité.
Exemple d'une limite imposée : une schizophrène aisée qui vient de
commencer la cure, s'aggrave durant une grossesse ; son internement est
envisagé ; elle se pose la question de la reprise de son analyse après l'hospi-
talisation et du paiement des séances durant son absence ; elle demande à ne
pas les payer ; l'auteur répond qu'elle aura à payer les séances, qu'il pourrait
évidemment prendre des consultations pour boucher les trous de son absence,
mais qu'il ne peut pas le faire, ne voulant pas prendre un patient sans être sûr
de pouvoir poursuivre sa cure et la mener à bien. La malade réagit favorable-
ment, prit conscience que son analyste ne la considérait pas comme un pion
remplaçable, et put exprimer ses positions à ce sujet et se les faire interpréter.
Ainsi l'auteur montre que l'imposition d'une limite, quand elle est nécessaire,
294 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

loin de remplacer l'interprétation, la rend possible et féconde. (Opinion que


l'analyseur de cet article avait exprimée il y a quelques années, au sujet des
schizophrènes).
Hoedemaker discute surtout des raisons psychodynamiques d'une telle
intervention et de sa situation dans le cadre de la technique.
Il rappelle, comme il l'avait montré dans un précédent travail (1955)
que les patients envisagés ont à faire à des identifications ego-aliénantes à des
personnes parentales qui se sont comportées à leur égard d'une façon non
cohérente et non consistante (variable, contradictoire, envahissante). Le patient
est « pris » dans son Moi par ces identifications pathologiques. Il ne sait pas
faire le départ entre sa personne et celle d'autrui, son activité propre et celle
d'autrui. Il envahit et se laisse envahir. C'est pourquoi l'imposition de certaines
limites est indispensable.
En particulier, l'analyste doit préserver l'autonomie de son travail profes-
sionnel. Ce qui est bon pour l'analyste doit l'être pour le patient.
Pour l'auteur, contrairement à l'opinion d'Eissler, il s'agit dans l'imposition
des limites, d'une variation de degré et non pas de nature en rapport aux règles
de la technique standard. Il rappelle justement que des limites sont imposées,
explicitement ou implicitement, au patient dans la technique standard. Il
prend appui des formulations et préceptes de Freud. Quand elle est nécessaire,
l'imposition des limites pare aux déficiences particulières du Moi de certains
malades et elle favorise l'action interprétative et le travail analytique.
(4) RYCROFT (Ch.). — The analysis of a paranoid personality (L'analyse d'une
personnalité paranoïde), Int. J. Psychoanal., 1960, 41, 1, 59-69.
A propos d'un cas (malade présentant une tendance paranoïde délirante
plus qu'un délire proprement dit), l'auteur revient sur la formulation freudienne
des mécanismes inconscients des délires de persécution. Rycroft signale
qu'en 1911, Freud était plus occupé des points de fixation (donc ici de l'homo-
sexualité et du narcissisme) que des mécanismes de défense spécifiques. L'au-
teur développe au contraire le terme de contradiction utilisé par Freud pour
définir les postulats des délires de persécution. La négation s'ajoute néces-
sairement à la projection. En fait, le délirant ne se contente pas de nier et de
projeter. Il construit un nouveau schème de conduite et de pensée, une nouvelle
et toute différente forme d'expérience. Il est donc partisan de concevoir le
mécanisme délirant non pas comme une somme ou une mosaïque de défenses
variées et d'ailleurs nombreuses, mais comme une totalité, qui se manifeste
à la fois comme une fantaisie inconsciente et comme une stratégie défensive.

INTERNATIONAL JOURNAL OF PSYCHO-ANALYSIS


(vol. 41, nos 2-3, 1960)
BOWLBY (J.). — Separation anxiety (Angoisse de séparation) (p. 89).
BRYCE BOYER (L.). — A hypothesis regarding the time of appearance of the
dream screen (Une hypothèse concernant le moment de l'apparition de l'écran
du rêve) (p. 114).
HARRIS (I.). — Unconscious factors common to parents and analysts (Facteurs
inconscients communs aux parents et aux analystes) (1) (p. 123).
MASUD KHAN (M.). — Régression and intégration in the analytic setting (Régres-
sion et intégration dans la séance analytique) (p. 130).
MYERSON (P.). — Awareness and stress : Post-psycho-analytic utilization of
insight (Conscience et stress : utilisation post-analytique de l'insight) (p. 147).
LES REVUES 295

DEVEREUX (G.). — Retaliatory homosexual triumph over the Father (La rétorsion
du triomphe homosexuel sur le père) (p. 157).
(1) HARRIS (I. D.). — Unconscious factors common to parents and analysts
(Facteurs inconscients communs aux parents et aux analystes).
Ce travail part de l'hypothèse que la croissance psycho-affective qui se
produit normalement chez l'enfant à la faveur de sa relation avec ses parents
est analogue à celle qui se produit chez l'analysé à la faveur de sa relation avec
l'analyste.
(C'est vraisemblable, mais l'auteur ne le considère pas comme démontré.)
Quels sont dès lors les facteurs de facilitation de la croissance qu'on rencontre
en commun chez un parent et chez un analyste ?

INTERNATIONAL JOURNAL OF PSYCHO-ANALYSIS


(vol. 42, année 1961)
BALKANYI (C). — Psychoanalysis of a stammering girl (Psychanalyse d'une
fillette bègue) (p. 97).
BELLAK (L.). — Free association : Conceptual and clinical aspects (L'association
libre : aspects conceptuels et cliniques) (1) (p. 9).
BOWLBY (J.). — Processes of mourning (Processus du deuil) (2) (p. 317).
BRYCE BOYER (L.). — Provisional evaluation of psycho-analysis with few para-
meters employed in the treatment of schizophrenia (Évaluation préliminaire
de la psychanalyse avec quelques paramètres utilisés dans le traitement des
schizophrènes) (3) (p. 389).
BRADLEY (N.). — The Doll (La poupée) (p. 550).
BICHOWSKY (G.). — The Ego and the object of the Homosexual (Le Moi et l'objet
de l'homosexuel) (p. 255).
CAMERON (N.). — Introjection, Reprojection and Hallucination in the interaction
between schizophrénie patient and therapist (Introjection, reprojection et
hallucination dans l'interaction entre le schizophrène et son thérapeute) (4)
(p. 86).
CARLSON (H. B.). — The relationship of the acute confusional state to Ego deve-
lopment (Relation entre l'état confusionnel aigu et le développement du
Moi) (5) (p. 517).
CHERTOK (L.). — On the discovery of the cathartic meihod (Sur la découverte
de la méthode cathartique) (p. 284).
EDEL (L.). — The Biographer and the Psycho-analysis (Le biographe et la psy-
chanalyse) (p. 458).
EISSLER (K.). — A hitherto unnoticed letter by Sigmund Freud (Une lettre de
Freud passée inaperçue) (p. 197).
GARMA (A.). — Colour in dreams (La couleur dans les rêves) (p. 556).
GIOVACCHINI (P.). — Résistance and external object relation (Résistance ' et
relations objectates externes) (p. 246).
HOLLENDER (M.). — Prostitution, the body and human relatedness (La prosti-
tution, le corps et le contact humain) (6) (p. 404).
KOFF (R.). — A definition of identification : A review of the literature (Une
définition de l'identification : Revue de la littérature) (7) (p. 362).
KRAPF (E.). — The concepts of normality and Mental Health in Psycho-analysis
(Les concepts de normalité et de santé mentale en psychanalyse (p. 439).
LEVETON (A.). — The night residue (Le reste nocturne) (p. 506).
LEVIN (S.) et MICHAELIS (J.). — The participation of psychoanalysts in the
296 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

medical institution of Boston (La participation des psychanalystes aux insti-


tutions médicales de Boston) (p. 271).
LEWY (E.). — Responsibility, free-will and Ego-Psychology (Responsabilité,
libre-arbitre et psychologie du Moi) (p. 260).
BORJE-LOFGREN (L.)- — A case of bronchial asthma with unusual dynamic
factors treated by psychotherapy and psycho-analysis (Un cas d'asthme
bronchique avec des facteurs dynamiques inhabituels traité par psychothérapie
et psychanalyse) (p. 414).
LOMAS (P.). — Family role and identity formation (Le rôle de la famille et la
formation de l'identité) (p. 371).
NACHT (S.), LEBOVIGI (S.), DIATKINE (R.)- — Training for analysis (La formation
psychanalytique) (p. 110).
NOVEY (S.)- — Further considérations on affect theory in psycho-analysis (Nouvelles
contributions à la théorie des affects en psychanalyse) (8) (p. 21).
OSTOW (M.). — The clinical estimation of Ego Libido content (L'évaluation
clinique du contenu libidinal du Moi) (9) (p. 486).
PEDERSEN (S.)-
— Personality formation in adolescence and its impact upon the
psychoanalytical treatment of adults (La formation de la personnalité dans
l'adolescence et son influence sur le traitement psychanalytique des adultes)
(P. 381).
PETO (A.). — The fragmentizing function of the Ego in the transference neurosis
(La fonction de fragmentation du Moi dans les névroses de transfert) (p. 238).
PLEUNE (G.). — Aggression and the concept of aim in psycho-analytic drive
theory (L'agression et le concept de but dans la théorie des pulsions) (p. 479).
POLLOCK (G.). — Mourning and adaptation (Deuil et adaptation) (10) (p. 341).
RACKER (G. de). — On the formulation of the interprétation (Au sujet de la
formulation de l'interprétation) (p. 49).
RAMZY (I.). — The range and the spirit of psycho-analytic technique (L'extension
et l'esprit de la technique psychanalytique) (p. 497).
ROSE (G.). — Pregenital aspects of pregnancy fantasies (Aspects prégénitaux des
fantasmes de grossesse) (p. 544).
ROSEN (V.). — The relevance of « style » to certain aspects of defence and the
synthetic function of the Ego (Le rapport du style à certains aspects des défenses
et à la fonction synthétique du Moi) (p. 447).
RUDDICK (B.)- — Agoraphobia (Agoraphobie) (11) (p. 537).
SAUL (L.) et BECK (A.).
— Psychodynamics of male homosexuality (Les aspects
psychodynamiques de l'homosexualité masculine) (p. 43).
SEARLES (H.).
— Anxiety concernitig change as seen in the psychotherapy of
schizophrenic patients — with particular reference to the sense of Personal
identity (La peur de changer telle qu'elle apparaît au cours de la psychothérapie
des schizophrènes — avec référence spéciale au sens de l'identité personnelle) (12)
(p. 74).
SHENGOLD (L.). — Chekov and Schreber : Vissicitudes of a certain kind of
Father-Son relationship (Tchékov et Schreber : vicissitudes d'un certain type
de rapport père-fils) (p. 431).
SHOR ( J.). — The ethic of Freud's psycho-analysis (L'éthique de la psychanalyse
de Freud) (p. 116).
SPERLING (O.). — Variety and analysability of hypnagogic hallucinations and
dreams (La variété et l'accessibilité à l'analyse des rêves et hallucinations
hypnagogiques) (13) (p. 216).
STERN (M.). — Blank hallucinations : Remarks about trauma and perceptual
Disturbances (Hallucinations sans contenu : remarques sur le trauma et les
troubles de la perception) (14) (p. 205).
LES REVUES 297

STEWART (H.). — Jocasta's crimes (Les crimes de Jocaste) (p. 424).


VESZY-WAGNER (L.). — The analytic screen : an instrument or an impediment
in the psycho-analytic technique (L'écran analytique : un instrument ou une
entrave dans la technique analytique) (p. 32).
WHITE (R.). — The Mother-Conflict in Schreber psychosis (Le conflit maternel
dans la psychose de Schreber) (p. 55).
WISDOM (J.). — A methodological approach to the problem of hysteria (Une
approche méthodologique du problème de l'hystérie) (15) (p. 224).

(1) BELLAK (L.). — Free association : conceptual and clinical aspects (L'asso-
ciation libre : aspects conceptuels et cliniques).
Dans une mise au point générale et théorique du concept et des processus
de l'association libre, l'auteur en étudie d'abord les racines historiques, citant
en particulier les écoles anglaises du sensationnisme et de rassociationnisme,
et rappelant, à la suite de Jones, Wyss et Zilboorg, l'influence que peuvent
avoir eue sur le fondateur de la psychanalyse les travaux contemporains de
Galton et de Brentano.
Le concept d'associationlibre est resté dépendant des premières formulations
topologiques sur l'inconscient et le conscient dans le cadre d'un déterminisme
mécaniciste et n'a pas été revu sous l'angle des concepts modernes plus
élaborés.
L'association libre n'obéit qu'aux déterminants intrapsychiques. En fait,
il apparaît que l'analyste induit la communication libre, pas seulement par la
règle qu'il énonce, mais aussi, plus subtilement, par ses réactions courantes
(ne réagissant par exemple qu'à ce qui est librement associé, pour schématiser).
Dans la plupart des cas nous recevons plutôt des associations contrôlées que
vraiment libres. Entre analyste et analysé il se produit une série d'accords
implicites sur le choix des terrains successifs où se déroule l'analyse. Il ne sert
à rien de bon, énonce Bellak, de vouloir prétendre que l'analyste observe une
conduite invariable ; il ne faut pas non plus confondre flexibilité et licence ou
désordre. Bellak soutient également que l'analyste doit se concevoir comme
un thérapeute, appliquant une science, plutôt que comme un chercheur pur
et détaché.
Le processus de l'association libre s'explique par la « fonction oscillante »
du Moi, c'est-à-dire par la capacité qu'a le Moi de s'exclure à son propre ser-
vice, opérant les régressions contrôlées étudiées par Kris et Hartmann ; il se
produit une réduction relative des fonctions cognitives (Bellak insiste sur le
caractère relatif et non absolu de cette réduction). Cette réduction est moins
marquée dans le processus d'A. L. que dans le rêve mais moins que dans les
rêveries. Consécutivement l'acuité du Moi augmente et de nouvelles « formes »
se construisent.
La plupart des troubles de l'associationlibre se réfèrent à la première phase,
à laquelle s'oppose l'attachement obsessionnel, rigide et défensif à des séries
éprouvées de faits extérieurs. Par contre, les hystériques et schizophrènes,
s'ils se laissent aller dans ce premier temps, manquent le second temps (1)
par excès défensif de passivité ou par défaut de conceptualisation,de réduction
des capacités d'abstraction. D'autres perturbations sont signalées qui entrent
plus nettement dans les résistances de transfert.
Toutes ces notions guident évidemment la technique.

(1) Cf. l'aphorisme de S. Nacht : l'analysé doit apprendre son métier.


REV. FR. PSYCHANAL. 20
298 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

(2) BOWLBY (J.). — Processes of mourning (Les processus du deuil).


Antérieurement (Deuil et chagrin dans la prime et la petite enfance,
P. S. Child, 15), l'auteur a montré que la réaction du jeune à la perte de sa mère
est analogue à celle de l'adulte à la perte d'un être cher. Ce rapprochement est
souvent négligé ; on s'occupe surtout du sevrage et d'autres événements de la
première année.
L'auteur, en bref, cherche à montrer qu'à partir de l'établissement de la
relation proprement objectale (6 mois), la perte de la mère conduit à l'angoisse
et au chagrin du deuil, et que ces processus de deuil infantiles suivent assez
souvent un cours néfaste au développement de la personnalité et propice à de
futurs troubles mentaux.
Le deuil (mourning) désigne ici le processus psychique déterminé par la
perte d'un objet aimé ; le chagrin (grief) désigne l'état vécu dans le deuil.
Les études psychanalytiques se sont surtout occupées des maladies
dépressives.
Quant à la nature du processus psychique impliqué dans le deuil normal,
on connaît à cet égard la théorie classique et freudienne du retrait de la libido
de l'objet perdu. Pour Bowlby, l'identification n'est pas seule en jeu, elle est
indépendante de l'oralité bien que souvent associée à elle ; enfin l'auteur
n'approuve pas le modèle hydrodynamique de l'instinct.
B... propose la conception suivante du deuil, en s'appuyant sur sa conception
selon laquelle l'attachement de l'individu à l'objet aimé s'effectue par plusieurs
systèmes de réponses instinctuelles : dans une première phase les systèmes
restent centrés sur l'objet originel, mais n'aboutissent pas à leurs fins du fait
de l'absence de cet objet ; d'où déception amère et répétée, angoisse de sépa-
ration, et tristesse de deuil. Cependant les systèmes maintiennent leur effort
pour retrouver l'objet, en dépit de la vanité de ces efforts ; là sont semés les
germes de la pathologie. Quand ces efforts cessent, se produit une désorga-
nisation de la personnalité, avec douleur et désespoir, et c'est la seconde phase.
La troisième phase est une phase de réorganisation, en rapport à la fois avec
l'image de l'objet perdu et celle de l'objet nouveau.
Dans les théories classiques, la douleur est attribuée à la persistance de la
nostalgie de l'objet perdu et (ou) à la culpabilité et à la peur (paranoïde selon
l'école kleinienne) de la destruction en retour.
Selon une conception freudienne partagée par l'auteur, l'angoisse est la
réponse à l'absence temporaire de la mère, le deuil à son absence permanente.
La motivation majeure dans le deuil est constituée par le besoin de retrouvre
l'objet. Elle est très importante aux yeux de Bowlby.
A ses yeux également l'ambivalence et l'agressivité font inéluctablement
partie du deuil normal et pas seulement du deuil pathologique. L'agressivité
s'exerce contre ceux conçus comme responsables de la perte et contre ceux
conçus comme obstacles à la réunion.
Bowlby remet à un travail suivant le problème de la différence entre deuil
normal et pathologique, en remarquant que Freud ne l'a pas clairement
résolu.
L'article est par ailleurs nourri des conceptions (concernant le deuil) de
Freud, M. Klein, Lindemann et E. Jacobson. Il s'appuie aussi sur des obser-
vations de comportements de deuil chez les animaux.
Les trois phases successives du deuil sont ensuite exposées en détail. La
réponse usuelle, humaine autant qu'animale, à la suite de la perte est l'expres-
sion agressive, qui est une manière de rappeler l'objet qui manque ; la réaction
se produit tout autant et plus encore dans les cas (rares au regard des innom-
LES REVUES 299

brables autres) où l'objet ne peut pas revenir et où la réaction d'appel agressif


n'a pas de but objectif.
Quant à la dépression « normale », elle constitue l'aspect clinique de l'état
de désorganisation de la seconde phase du deuil.
Dans le deuil pathologique, la motivation majeure est aussi le désir de
réunion avec l'objet perdu ; et c'est l'occurrence de pertes répétées dans
l'enfance qui prédispose aux affections dépressives.
(3) BRYCE-BOYER (L.). — Provisional evaluation of psycho-analysis with few
parameters employed in the treatment of Schizophrenia (Évaluation préli-
minaire de la psychanalyse avec quelques paramètres utilisés dans le traitement
de la schizophrénie).
Rapport sur le traitement analytique de 13 schizophrènes sur une durée
de 13 ans (schizophrènes ambulatoires non détériorés).
La technique utilisée, et jugée très satisfaisante dans ces cas, est très
proche de la technique standard : patient étendu, autorisé à s'asseoir seu-
lement en cas de grande anxiété, associations libres, règles de paiement
strictes, etc.
L'analyste prend des notes durant les séances et il estime que cela favorise
la cure en montrant au patient la valeur accordée à ses dires et en maintenant
une distance relative.
La première phase de la cure comporte l'établissement du contact. Certaines
manoeuvres sont utilisées pour soutenir en même temps le Moi et le Surmoi
du patient. De rares réassurances sont données. Dans d'autres cas, transi-
toirement, il est demandé à un patient de s'abstenir de boire ou de s'exposer
à certaines situations.
Le traitement se divise schématiquement en deux phases ; la première est
l'établissement chez l'analysé d'introjects stables du Moi et du Surmoi, avec
disparition des mécanismes psychotiques de la pensée et établissement d'un
vrai transfert ; en second lieu, vient l'analyse de la névrose.
Bref, l'auteur a utilisé une technique plus proche de l'analyse standard
qu'on ne l'admet d'habitude avec les schizophrènes.
Le patient est d'emblée appelé à collaborer à la cure. Les règles sont claire-
ment établies et fermement maintenues.
Les premières introjections effectuées par le malade, tant par la voie de
données préverbales que de données verbales, sont très importantes. Le contre-
transfert peut être le principal obstacle au succès de l'analyse.
(4) CAMERON (N.). — Introjection, reprojection and hallucinationin the interaction
between schizophrenic patient and therapist (Introjection, reprojection et
hallucination dans l'interaction entre le schizophrène et le thérapeute).
Le rapport détaillé d'un cas clinique permet à l'auteur de décrire les phéno-
mènes de reprojection régressive sous forme hallucinatoire de fonctions pri-
mitives du Surmoi — ainsi que l'évolution maturative de ces phénomènes
et la remise en place des fonctions intéressées dans le cours d'une cure
psychanalytique.
A première vue la malade, une étudiante de 25 ans, ne présentait que des
symptômes assez banaux de fatigue, de découragement, de malaise social et
d'incertitude quant à son avenir, mis à part du somnambulisme. Il apparut
au début du traitement analytique qu'il s'agissait d'une structure psychotique,
car elle était sans cesse assaillie par des voix intérieures accusatrices, et distin-
guait avec peine le sien du non-sien, le rêve de la veille, et la réalité psychique
300 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

de la réalité extérieure ; beaucoup de ses expériences vécues étaient marquées


du sceau de l'étrangeté.
Il apparut que la fermeté du thérapeute renforçait sa stabilité intérieure ;
si par exemple l'analyste lui refusait un changement d'horaire et lui donnait à
choisir ce qui était pour elle le plus important, elle ressentait cette fermeté
comme une borne sur laquelle elle pouvait s'appuyer. Elle s'incorporait la
fermeté de l'analyste et sa solidité psychique.
Un ordre introjecté pouvait reparaître en rêve à plusieurs mois d'inter-
valle ; c'est ainsi qu'un jour la malade sur le divan devint tout à fait confuse ;
l'analyste lui commanda de s'asseoir ; elle le fit, puis se recoucha, et reprit
contact ; quatre mois plus tard elle rêve qu'elle se saigne pour une bonne
cause et va mourir ; elle entend alors qu'on lui commande de s'asseoir, puis de
se recoucher, en la prévenant que si elle reste assise elle va réellement perdre
tout son sang ; elle cherche ensuite à récupérer son sang, elle évite la mort.
Un Surmoi archaïque maternel fonctionnait chez la malade sous forme
hallucinatoire intérieure, ne cessant de lui donner des ordres ou des critiques ;
mais une autre instance ne cessait d'autre part de la tourner en dérision, de la
dévaloriser, et la malade l'appelait « No-Girl » ; elle réussit à en faire le tour et à
s'en débarrasser. Alors la voix maternelle se fit entendre sous forme d'hallu-
cinations extériorisées, esthésiques mais critiquées et conçues par la malade
elle-même comme une extériorisation du Surmoi maternel. Par la suite la
voix maternelle disparut pour être remplacée par celle de l'analyste, plus tolé-
rante, qui disparut à son tour ; mais une sorte de voix maternelle se fit de
nouveau entendre à l'occasion d'une absence prolongée du thérapeute pour
maladie et plus tard ensuite après un rejet maternel. La patiente décrivit le
processus d'introjection : « Je vous ai pris en moi ; c'est votre Moi intérieur
qui me rend folle. »
Le traitement se termina par la guérison clinique de la malade, avec modi-
fication sensible bien que non complète des résultats des tests par rapport aux
examens pré-thérapeutiques.
Il est à noter que les voix hallucinées reproduisaient pour une large part
des situations vécues réelles, l'instance critiquante répondant à l'attitude mater-
nelle, et l'instance dévalorisante à celle qu'avait eue la soeur aînée. Remarquable
aussi était la variabilité de la nature des phénomènes pathologiques (ou le degré
d'extériorisation hallucinatoire), indiquant les fluctuations fonctionnelles du
Moi. La malade elle-même considéra l'extériorisation hallucinatoire de la voix
maternelle comme un pas progressif et nécessaire vers sa propre individuali-
sation et sa libération du Surmoi persécuteur interne. Cameron estime que la
patiente n'osa régresser au point d'être hallucinée que parce qu'elle se sentait
en sécurité, et que, à travers l'expérience thérapeutique déjà acquise, elle se
sentait capable d'affronter l'objet maternel, sans crainte de le détruire ou d'être
détruite ; le sens de son identité personnelle s'en trouva accru. Il s'agit donc
d'une régression thérapeutique. Il fallait aussi que la patiente se sentît plus
sûre d'exister en soi pour oser halluciner au-dehors d'elle la voix de sa mère.
Son assomption d'un monde externe et interne s'était faite à la suite d'échanges
agressifs avec le thérapeute et après vérification que cette agressivité n'avait
rien détruit.
La voix maternelle ne s'était hallucinée qu'au terme d'une longue phase
où elle avait fait corps avec la patiente dans un état symbiotique et était restée
purement intérieure.
La voix maternelle hallucinée disparut pour faire place à la voix hallucinée
du thérapeute, voix née d'emblée au-dehors, disparue ensuite pour être clai-
rement introjectée.
LES REVUES 301

(5) CAKLSON (Helen B.). — The relationship of the acute confusional state to
ego development (Relation de l'état confusionnel aigu avec le développement
du Moi).
Des études antérieures, auxquelles l'auteur a participé, ont décrit l'état
confusionnel aigu, chez une vingtaine d'étudiants en psychothérapie. L'état
est par définition transitoire.Peu de chose le déclenche. Mais ce qui le détermine
est le désarroi du Moi devant les exigences du dehors ou du dedans, et en par-
ticulier lorsque le sujet, traumatisé dans son enfance, physiologiquement mûr,
est pressé de réaliser cette maturité sur le plan psychologique.
La crise ainsi déclenchée se déroule en trois phases : une phase de rage
violente et diffuse, avec rêves de destruction — la phase confusionnelle, avec
confusion, sentiment d'extrême isolement, recherche d'aide et d'objet, impul-
sions suicidaires, et rêves d'isolement terrifiant ou d'incarcération et enfin
une phase résolutive, avec retour des défenses du Moi, rêves de réintégration
et de reprise en main de soi (retour à la maison et auprès d'un objet aimé et
aidant), et retour à l'état antérieur ou bien opposition de formations sympto-
matiques, dépression, schizophrénie, formation réactionnelle, coup de foudre
amoureux.
La séquence compte aussi un état préliminaire, ou pré-confusionnel, auquel
elle s'arrête souvent, et qui comporte cliniquement un trouble diffus de l'at-
tention, de l'irritabilité et de l'hypersensibilité sensorielle (au bruit en par-
ticulier).
Les malades dans de tels états ne se sentent pas psychologiquement bien
définis ; ils sont, suivant le mot de l'auteur, impersonnalisés, cette imperson-
nalisation répondant à un défaut du développement et non à une régression (1).
Aussi s'efforcent-ils de se conformer à leur entourage, et adoptent la person-
nalité « Comme si ».
L'auteur fait une revue de la littérature sur la question.
Le présent travail a pour but de démontrer l'existence d'états confusionnels
non plus chez des adolescents, mais aussi chez des adultes (8 cas en psycha-
nalyse), de relier ces états aux traumatismes infantiles et à la poussée
maturative, et enfin de montrer les relations de ces états avec les aspects
transférentiels.
Quatre cas sont présentés assez extensivement. Ils permettent à l'auteur
de relever chez les patients, à titre pathogénique :
— un défaut d'identification aux parents par suite de leur attitude punitive,
restrictrice ou réjectrice ;
— la croissance et surtout l'adolescence accroissent la vulnérabilité ;
— passage d'un milieu sécurisant à un milieu non familier ou hostile.
Le matériel clinique de l'auteur l'amène de plus à mettre en relation l'état
confusionnel avec la dépression anaclitique — avec le processus schizophré-
nique et, d'une façon générale, avec l'acquisition ou plutôt la perte du sens
de l'identité.
(6) HOLLENDER (M. H.). — Prostitution;, body and human relatedness (La
prostitution, le corps et le contact humain).
L'analyse de deux jeunes femmes qui pendant une période déterminée,
s'étaient livrées à la prostitution en tant que call-girls, révèle certains facteurs
dynamiques communs qui pour l'auteur, sont fondamentaux dans toute forme

(1) Voir les mêmes conceptions dans les travaux de Nacht et Racamier.
302 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

de prostitution. Ce qui est fondamental, c'est la recherche éperdue, plus ou


moins compulsive, de contacts sexuels, l'incapacité d'établir une relation de
proximité simultanément émotionnelle et sexuelle. « Centrée comme elle l'est
sur le corps, la prostitution est bien faite pour fournir une sorte de relation
humaine non personnelle. Elle se tient tout près de l'hypochondrie dans l'échelle
des relations d'objet. L'une et l'autre ne sont séparées que d'un pas d'un état
complètement anobjectal. Dans l'hypochondrie, le corps est pris pour objet
par le Moi. Dans la prostitution, la relation se fait avec le corps d'un autre,
mais non avec une personne déterminée. Il peut y avoir, dans l'hypochondrie,
une recherche de contacts physiques fournis par des médecins ou d'autres.
Dans la prostitution aussi, il existe une relation avec son propre corps. »
L'objet est interchangeable. Il ne vaut que pour la détente qu'il apporte.
Il est partiel et pré-objectal.
Un « rapport » véritable (au sens de Bouvet) avec un objet proprement dit,
n'est ni recherché ni supporté par la prostituée. La prostitution est un problème
essentiellement prégénital et pré-objectal.
Il existe une position homosexuelle très primaire vis-à-vis de la mère, qui
— et c'est là un facteur complémentaire — a fourni l'exemple de la licence
sexuelle. L'attachement maternel, très ambivalent, est très profond. Le père
a manqué.
La peur de l'homme, la peur et l'attaque du pénis sont pour l'auteur
secondaires (nous dirions qu'elles sont vécues sur un mode oral). Tout ce qu'il
y a, par ailleurs, de suicide psychologique dans la prostitution est également
secondaire, et rapporté en fait aux aléas d'une relation très primaire avec
l'objet maternel.
(7) KOFF (R. H.). — A definition of identification (Définition de l'identification).
L'identification est
— économiquement un essai de conserver la libido ;
— structuralement un changement du self destiné à opérer la ressemblance
avec l'objet ;
— dynamiquement un moyen de conserver la libido en offrant une portion
du self à la place d'un objet extérieur.
Une véritable identification (secondaire) est la conséquence d'une véritable
relation d'objet.
Maints autres phénomènes sont décrits comme identifications, qui ont une
fonction diffuse et des aspects ou des déterminismes communs avec l'identi-
fication, mais en diffèrent sur le plan structural ou dynamique.

(8) NOVEY (S.). — Further contributions on affect theory in psycho-.analysis


(Nouvelles contributions à la théorie des affects en psychanalyse).
Suite à des articles antérieurs (en particulier en 1959 dans la même revue).
La conception de l'auteur est basée sur les représentations intérieures d'objet,
éléments dynamiques à la fois conscients et inconscients.
Ce sont originellement des états affectifs, dont la traduction verbale idéa-
toire est à fonction communicatrice. La maturité comprend une capacité
typique d'établir des représentations d'objet plus réalistes « dans le contexte »
des expériences antérieures, mais non dominées par elles. Les affects ne sauraient
se concevoir en dehors de leurs fonctions objectales, comme de purs processus
de décharge. Le concept de sentiment se situe à la charnière fonctionnelle
entre affect, objet et conduite.
LES REVUES 303

(9) OSTOW (M.). — The clinical estimation of ego libido content (Evaluation
clinique du contenu libidinal du Moi).
L'auteur établit une échelle d'états du Moi comprenant une plus ou moins
grande quantité de libido : minimale dans la mélancolie, débordante dans la
manie. Certaines données varient progressivement quand on parcourt l'échelle
aux extrêmes de laquelle se situent la mélancolie et la manie : il en est ainsi
du comportement, de plus en plus vif et alerte quand on va vers le pôle maniaque,
la libido objectale, très intense dans la manie, la sensibilité aux affects objec-
taux, qui varie dans le même sens ; l'auto-observation, qui est très élevée au
pôle mélancolique ; l'estime de soi, qui varie en sens inverse ; la projection et
l'introjection, qui varient en sens inverse l'une de l'autre, la relation du Moi
avec le Surmoi, le Moi étant dominé dans la mélancolie, dominateur dans la
manie.
L'auteur établit ainsi une échelle allant de 0 à 10, de l'orientation narcis-
sique à l'orientation objectale.
D'autres données varient autrement : elles sont maximales au milieu de
l'échelle (telles que la capacité d'auto-observation détachée et d'une façon
générale les fonctions du Moi) ou à ses extrémités (comme le narcissisme pri-
maire ou l'angoisse durable). L'angoisse apparaît comme signal quand il y a
changement de niveau de l'état du Moi dans quel que sens que ce soit.
(10) POLLOCK (G. H.). — Mourning and adaptation (Deuil et adaptation).
Le deuil est un processus d'adaptation interne à un milieu externe perturbé,
l'adaptation comprenant aussi bien l'adaptation antérieure que la capacité de
s'adapter à l'échec de cette adaptation antérieure.
Le processus de deuil comprend une phase aiguë et une chronique, la
première étant observable chez les animaux, la seconde essentiellement chez
l'homme pourvu d'un psychisme et d'un Moi plus évolués.
(11) RUDDICK (B.). — Agoraphobia (L'Agoraphobie).
Selon l'auteur, l'agoraphobie, compromis de pulsion et de défense, n'est
pas seulement un trouble hystérique, mais peut s'associer avec la névrose de
conversion, la névrose obsessionnelle, la dépression et des troubles du carac-
tère. Trois cas sont rapportés (tous trois de femmes) , chez l'une, l'agoraphobie
se développe en cours d'analyse en rapport avec l'accession au niveau oedipien.
Les deux autres cas de sujets à Moi faible, chargés de lourds problèmes et de
symptômes oraux, chez qui l'agoraphobie est en rapport non seulement avec
les pulsions sexuelles interdites mais aussi avec des projections de pulsions
orales et anales sadiques. Dans ces deux cas, l'identification à la mère a été
bloquée.
(2) SEARLES (H.). — Anxiety concerning change in schizophrenic patients (as
seen in the psychotherapy of schizophrenic patients, with particular reference
to the sense of Personal identity) (La peur de changer chez les schizophrenes
(vue dans la psychothérapie de schizophrènes, avec référence spéciale au sens
de l'identité personnelle) ).
En introduction l'auteur montre l'anxiété universelle de l'homme devant
le changement de son être, changement qui se résout finalement en sa propre
disparition. Par la croyance religieuse à l'éternité et la participation à un Dieu
immuable, par certaines philosophies posant l'immuable à travers le mouvant,
par certaines tendances enfin de la théorie scientifique, l'homme cherche à se
défendre contre cette angoisse du changement. Il n'est pas jusqu'à la théorie
304 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

psychanalytique où l'auteur ne décèle des traces de ce besoin que nous avons


de croire à notre immuabilité (et dans le concept, en particulier, que l'inconscient
et le Ça ne changent et ne vieillissent pas).
En clinique la peur de changer est un facteur universel de résistance à la
maturation par la cure psychanalytique.
Chez nul autre que le psychotique cette peur ne se manifeste aussi puissante.
Le passé du schizophrène est tel que le changement pour lui ne représente
rien de positif et d'enrichissant, rien que perte, drame et désarroi.
Les parents du schizophrène sont décrits comme des sujets qui ne suppor-
tent pas le changement en eux et en leurs proches, et s'en défendent par une
armature rigide et de plus en plus serrée, à travers laquelle éclatent parfois,
redoutables parce qu'étranges et cataclysmiques, leurs émotions réprimées et
non élaborées. Aucun modèle n'incite à changer. Par ailleurs, ou bien les
parents injectent projectivement dans l'enfant des images variées sorties d'eux-
mêmes, ou bien ils restent confinés en eux-mêmes. Dans tous les cas l'enfant
grandit dans le vide émotionnel, incapable d'éprouver les changements comme
émanant d'une force intérieure intégrée, acceptée et positive, et réduit à les
éprouver comme des forces étrangères et menaçantes. Ses parents ne peuvent
accepter qu'il s'individualise et ne peuvent imaginer qu'il « tourne bien ».
A son tour il réprime ses pulsions et émotions, et va bientôt les éprouver
comme des forces étrangères, s'orientant ainsi vers le délire d'influence.
A toutes ces raisons de craindre le changement personnel que le schizo-
phrène tient de son éducation, s'ajoute enfin la peur qu'il éprouve et qu'il
garde du dramatique changement que va constituer son entrée dans la psychose :
alors et souvent soudainement, il sent changer et lui-même et le monde exté-
rieur : la perte où il est entraîné de toute pensée conceptuelle lui livre des
fragments dissociés et changeants du monde extérieur. Comme il ne supporte
pas l'ambivalence il va fragmenter ses expériences et ses éprouvés ; il remanie
son passé en le disséquant, en déconnectant des événements voisins et liés,
afin d'éviter l'angoisse devant les changements qu'il a subis.
Ainsi le schizophrène est-il livré au changement qui est ce qui l'angoisse
le plus.
C'est que le changement est lié pour lui à la perte du sentiment d'identité.
Et l'auteur de rapporter ici des exemples de la fragilité et de la perte du senti-
ment d'identité chez les schizophrènes. Celui-ci est fait chez les schizophrènes
d'introjections partielles dont ils souffrent mais ont très peur d'être privés.
Plus un psychotique est atteint, plus il a peur de changer (ce qui, incidemment,
doit mettre le thérapeute en garde contre son désir de le guérir à tout prix),
et plus il a besoin de projeter sur autrui ses propres variations émotionnelles.
En changeant, en acceptant un « rapproché » avec le thérapeute le schizo-
phrène a peur de perdre son identité (rapproché que tel patient se représentait
par exemple comme la rencontre et la fusion de deux nuages). Et pourtant une
phase de réunion symbiotique doit normalement survenir, entre le patient et le
thérapeute, phase qui est décisive pour le patient, redoutée de lui, et, semble-t-il
assez difficile à traverser pour le thérapeute, qu'il n'est pas très rare de voir
accueillir les progrès de son malade avec ennui ou retard. Chacun craint de se
sentir changé au sortir de cette expérience de symbiose à laquelle il tient par
ailleurs pour les gratifications qu'elle comporte et parce qu'elle permet de
renier les sentiments hostiles. Le malade ne se rénove qu'après une recru-
descence de ses troubles familiers et sans oser le reconnaître, parfois en exhi-
bant une conduite qui risque de le faire rejeter, y compris par le thérapeute,
qui ne devrait point s'en blâmer. D'autres fois le malade se défend contre le
changement personnel en voulant changer le thérapeute.
LES REVUES 305

Par ailleurs il ne se permet pas de changer à la fois avec le thérapeute et


dans le milieu hospitalier : il se garde un domaine où il reste ce qu'il était.
Selon l'auteur l'équipe soignante a besoin (inconsciemment) qu'il reste toujours
quelques patients qui ne changent pas.
Il importe en tout cas que le thérapeute accueille sans démonstrations les
améliorations du malade. Il peut lui interpréter son angoisse de changer. Il
importe enfin que nous puissions reconnaître que le malade lui-même, dans le
cours de son traitement, nous a fait changer et nous a enrichis.
(13) SPERLING (O. E.). — Variety and analyzability of hypnagogic hallucinations
and dreams (La variété et l'accessibilité à l'analyse des rêves et hallucinations
hypnagogiques).
Les hallucinations hypnagogiques surviennent à une période où le sujet a
du mal à s'endormir, en particulier au sevrage des activités de suçage du pouce
et de masturbation avant l'endormissement. La satisfaction instinctuelle est
remplacée par le fantasme, et l'hallucination représente à la fois une satis-
faction substitutive et une représentation de l'interdiction intériorisée. L'hallu-
cination hypnagogique est un sommeil avorté (et avorte du fait de l'angoisse).
Le phénomène est vague et plus difficile à analyser qu'un rêve.
Sperling, à l'inverse de Isakower (et de Stern), ne pense pas qu'il soit
nécessaire de remonter à la phase orale pour expliquer ce phénomène. Cela
peut être le cas, mais pas nécessairement. Il demande pourquoi on prendrait
directement l'image d'un visage pour la représentation du visage maternel,
alors que nous n'avons pas l'habitude de confondre le contenu manifeste avec
le contenu latent d'un rêve. Il insiste sur le caractère monotone du phénomène,
s'opposant aux manifestations infiniment variées inspirées par l'instinct de vie.
(14) STERN (M. M.). — Blank hallucinations : remarks about trauma and per-
ceptual disturbances (Hallucinations sans contenu : remarques sur le trauma
et les troubles perceptifs).
Les hallucinations informelles (dénuées de contenu relatif à des personnes,
des objets ou des événements) sont l'objet de ce travail. Elles apparaissent
dans l'OEdipe, et resurgissent en état de frustration, de rage ou d'anxiété,
à l'endormissement, avec la fièvre ou dans la rêverie éveillée. On peut observer
des manifestations cénesthésiques, tactiles, auditives ou visuelles, toujours
vagues et globales, réunies en un ensemble typique ou se présentant seulement
sous une composante partielle qui équivaut en fait à l'ensemble. Le phénomène
d'Isakover est une forme typique ; l'écran du rêve de Lewin et les perceptions
abstraites de Deutsch et Murphy en font également partie.
Toutes ces expériences sont des élaborations défensives de situations trau-
matisantes orales précoces, une régression limitée évite une régressionnécessaire.
La reviviscence des hallucinations informelles à l'OEdipe représente le retour
régressif à une défense plus ancienne. Le phénomène survient par ailleurs,
chez l'adulte ayant été gravement frustré.
(15) WISDOM (O.). — An approach to the problem of hysteria (Abord du pro-
blème de l'hystérie).
L'auteur reprend, d'abord sur le plan méthodologique, l'étude de l'hystérie.
En rappelant qu'on est passé des premières conceptions de niveau oedipien à
des conceptions de style prégénital, il demande qu'on fasse d'abord le plus
grand usage possible des premières découvertes considérées comme centrales.
Après avoir opéré une distinction entre l'introjection « orbitale (par laquelle
306 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

l'objet introjecté devient bien intérieur mais n'est pas absorbé comme une
part intégrante de soi) et l'introjection « nucléaire » (par laquelle l'objet est
complètement assimilé), il expose que la dynamique centrale de l'hystérie est
constituée par une relation sadique du sujet avec l'objet maternel introjecté
sur le plan orbital. Les organes génitaux mâles et femelles sadiquement repré-
sentés font l'objet des introjections nucléaires.

INTERNATIONAL JOURNAL OF PSYCHO-ANALYSIS


(vol. 43, n° 1, 1962)
MILLER (S.). — Ego-autonomy in sensory deprivation, isolation and stress (L'auto-
nomie du Moi dans les états de privation sensorielle, l'isolement et le stress) (1)
(P- 1).
MASUD KHAN (M.). — Dream psychology and the evolution of the psycho-
analytic situation (La psychologie du rêve et l'évolution de la situation ana-
lytique) (2) (p. 21).
RYCROFT (C). — An observation on the defensive function of schizophrenic
thinking and delusional formation ( Une observation sur la fonction défensive
de la pensée schizophrénique dans la formation du délire) (3) (p. 32).
ELLES (G.). — The mute sad-eyed child, collateral analysis in a disturbed family
(L'enfant muet aux yeux tristes, analyses collatérales dans une famille per-
turbée) (p. 40).
LORAND (S.). — Psychoanalytic therapy of religious devotees (Thérapie psycha-
nalytique des dévots) (p. 50). R. C. ASTLEY ; Commentaire sur l'article du
Dr LORAND (p. 56).
HAMPSHIRE (S.). — Disposition and memory (Tempérament et souvenir) (p. 59).
MARTIN (James H.). — Infantile narcissistic trauma. Observations on work of
Dr Winnicott (p. 69).
(1) MILLER (Stuart C). — Ego autonomy in sensory deprivation, isolation and
stress (L'autonomie du Moi dans les états de privation sensorielle, l'isolement
et le stress).
L'auteur se place, du point de vue psychanalytique, sur le plan de l'auto-
nomie du Moi dans cette étude consacrée aux effets de la privation sensorielle
expérimentale ou de l'isolation accidentelle ou délibérée.
Tout d'abord est signalée la complexité de la situation dénommée diverse-
ment mais jamais exactement ; isolation perceptuelle, ou sensorielle, ou d'affé-
rences, déprivation sensorielle ou de stimuli, interférence expérimentale avec
la réalité, etc. L'immobilité motrice est un facteur inhérent de ces expériences,
dont il n'est pas toujours tenu compte.
La plupart des sujets d'expérience étant des volontaires étudiants, plus
rarement des malades, plus rarement encore les expérimentateurs eux-mêmes,
les différentes afférences sensitivo-sensorielles sont « mises à la diète » : la
vision par des masques ou lunettes translucides ou opaques, l'immersion dans
l'eau profonde ou dans une pièce obscure ; l'audition par l'annihilation des
bruits ou leur couverture par un bruit monotone, le toucher par des gants,
l'eau et l'immobilité. L'expérience a pu durer de 10 minutes à 10 jours. Le
tableau composite de la séquence observée est le suivant : détente et plaisir à
être tranquille ; ennui compensé par quelques jeux mentaux; besoin de bailler,
parfois douloureux et recherche de stimuli ; adhérence aux stimuli restants ;
anxiété et parfois panique ; exacerbation de l'activité fantasmatique ; difficulté
de concentration et diminution (non proportionnelle) des capacités testées ;
hallucinose.
LES REVUES 307

Après une série de situations comprenant la privation sensorielle, l'auteur


cherche la théorie explicative des faits décrits. Selon Rapaport, l'autonomie du
Moi par rapport au Ça et celle par rapport à la réalité extérieure varient en
proportions inverses. Les pulsions sont les garants ultimes de l'autonomie du
Moi par rapport à l'extérieur, le monde intérieur (Moi et Surmoi) en étant le
garant le plus proche. Les appareils et fonctions assurant le lien du Moi avec
le corps garantissent l'autonomie vis-à-vis de l'extérieur. La privation senso-
rielle coupe court à l'alimentation sensorielle et livre le Moi au Ça. Gill et
Brenman ont adopté en gros la même conception, en insistant sur le point de
vue de l'information : dans la privation sensorielle, l'information émanant de
l'extérieur est diminuée, alors que le besoin intérieur, la pression intérieure et
l'information émanant du dedans ne changent pas. Les sujets qui supportent le
mieux l'expérience sont ceux qui peuvent utiliser le monde intérieur, et, à
cette fin, accepter et apprécier une certaine régression (au service du Moi),
des processus mentaux, ou un renoncement à l'autonomie du Moi par rapport
au Ça.
L'auteur utilise ces données et commentaires pour réviser la théorie de
l'autonomie du Moi, en montrant que cette autonomie comporte la capacité
d'autogouvernement et l'autonomie par rapport aux stimulations de nature
non pressante (non demanding).
(2) KHAN (M. M.). — Dream psychology and the evolution of the psycho-
analytic situation (La psychologie du rêve et l'évolution de la situation
psychanalytique).
L'auteur montre que la technique analytique créée par Freud vise à placer
l'analysé dans cet état intrapsychique qui amène le rêveur à faire un « bon
rêve ».
On a souvent (et en particulier Lewin), montré l'aspect narcissique de la
situation analytique, en héritage de la situation d'hypnose et en relation avec
le narcissisme du sommeil et du nourrissage.
Si Phypnotiste endort, l'analyste éveille (Lewin). On doit d'ailleurs tenir
compte avec C. Scott du fait que la pleine satisfaction de dormir est atteinte
par le réveil. Et ce réveil est atteint par la voie du rêve (comme il l'est dans la
schizophrénie, par la voie hallucinatoire : Jekels). C'est l'analyste qui redonne
forme aux processus primaires par suractivité interprétative.
Les schizoïdes n'arrivent de nouveau à dormir sans angoisse et à rêver
que lorsque l'analyste, par sa présence et ses interprétations, a rétabli en eux
le rythme sommeil-réveil.
Une bonne séance d'analyse et un bon rêve ont la même structure.
Un bon rêve requiert comme conditions la capacité de retirer des inves-
tissements extérieurs, l'assurance du Moi de revenir au monde extérieur, sa
capacité d'utiliser à titre structurant les résidus de la veille, de tolérer la régres-
sion formelle, d'accepter le Ça et d'établir quelque distance envers ses pro-
duits, etc. Cet état du Moi qui rêve est apparenté à celui qui s'établit en
présence de l'objet transitionnel.
L'auteur ramène à ces conditions fondamentales les éléments et fonctions
de la situation analytique. Il évoque enfin le cas des patients (marginaux, régres-
sifs, etc.), qui se montrent incapables d'utiliser instinctivement la situation
analytique. Chez les patients, les premières satisfactions (dans la relation pri-
maire) n'ont pas été suffisantes ou assez solides : elles ne peuvent donc être
réinvesties ; le mécanisme du rêve s'en trouve donc faussé et coupé à son origine.
Le transfert de ces patients prend de ce fait une tournure toute nouvelle, il
ne peut être une réélaboration à partir des premières expériences de satis-
308 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

faction, et la situation analytique sera utilisée pour satisfaire des besoins


jamais satisfaits.
L'auteur pose ce dernier problème sans s'engager à le résoudre sur le plan
technique.
(3) RYCROFT (Ch.). — An observation on the defensive function of schizophrenic
thinking in delusion formation ( Une observation sur la fonction défensive de
la pensée schizophrénique dans la formation du délire).
Ce travail de clinique et de théorie est basé sur l'analyse d'un schizophrène
de 25 ans ; l'analyse ambulatoire fut conduite de manière classique, sans grand
espoir de réussite, et en effet elle fut terminée par l'hospitalisation du malade,
mais là n'est pas le problème traité dans ce travail. L'intérêt de l'observation
vient de ce que la formation délirante se constitua au cours et en fonction de
l'analyse, qui fut précédée durant une longue période de l'état que pour ma part
je dénomme dépersonnation.
Le patient avait une manière particulière d'appréhender le monde extérieur
et intérieur. Négligé dans sa tenue, ne faisant aucun cas de son apparence,
s'exprimant sans inflexion émotionnelle, incapable d'humour, il ne distinguait
pas les différents registres de sa pensée, et ne différenciait pas le possible du
certain ni le réel de l'imaginaire, les diverses modalités du vécu étant nivelées
et englobées dans le même sentiment universel que tout était hypothétique,
et que rien n'importait réellement.
Retrait des investissements, comme Freud l'a montré chez Schreber pour
la phase où les hommes apparaissaient au patient miraculés et bâclés ? Certes,
mais aussi, souligne Rycroft : position de défense, grâce à laquelle aucun aspect
de la réalité ne pouvait être considéré comme tentateur ou effrayant, et aucun
aspect de sa pensée comme délirant ; du même coup les catégories pulsionnelles,
sans absolument cesser d'être repérées, deviennent sans valeur. Ceci toutefois
ne lui épargnait ni une certaine et subtile angoisse, ni ne l'écartait d'intenses
désirs de dépendance qu'il trouva le moyen de satisfaire (auprès d'un substitut
maternel et sur le divan analytique).
Le patient, non plus que son père, ne faisaient état de la mère, et la famille
était difficile à définir dans son régime affectif, sous une surface soigneusement
établie de conformité à un idéal familial. Après cinq premières années passées
dans les délices de la découverte du monde, à 5 ans, dès l'apprentissage de la
lecture, il s'absorba avec un succès précoce dans le domaine intellectuel des
adultes et se mit à s'imaginer d'autres pères que le sien, dont il doutait qu'il fût
vraiment son père. Mais la psychose se déclara à 18 ans. Avant l'analyse, des
traitements biologiques furent effectués, qui n'eurent pour effet que de le
désintoxiquer des stimulants intellectuels qu'il s'était mis à absorber.
Sur le divan, il ouvrit très largement les vannes de sa vie fantasmatique,
sans rien rapporter de sa vie quotidienne, d'ailleurs vide. L'important était
d'analyser la manière de penser elle-même. Une vie fantasmatique dégagée
d'affects et dégagée de la réalité était un simulacre défensif de processus
primaire, se situant sur le seul plan de la manipulation verbale ; une sorte
de masturbation désaffectivée ; mais aussi une recherche de soi, de sa propre
signification, hors du domaine angoissant de l'amour et de la haine.
Le système de défense ayant cédé après trois ans d'analyse, fit place à
des formations délirantes (persécutives). Devant une menace de plus en plus
imminente d'invasion terrestre et sidérale, il se mit à agir, et bientôt l'analyse
ne fut plus possible et l'internement nécessaire;
Selon Rycroft, le moment dynamique important de la trajectoire schizo-
phrénique est constitué par un désinvestissement soit du réel extérieur, soit
LES REVUES 309

de ses représentations inconscientes. Ceci mène le patient à un état dans lequel


rien ni personne n'a plus de signification ni de racines. Il faut alors sortir de
cet état d'inanité par une voie qui évite la reconnaissance des pulsions. Le monde
ne peut être reconstruit qu'avec des matériaux épargnés, comme sans impor-
tance, par la régression antérieure. Le sentiment de miraculation succède
à celui d'improvisation. Ce monde recréé se trouvant en désaccord avec le réel
extérieur et la société, un nouveau compromis doit être établi.
P. C. RACAMIER.

THE BRITISH JOURNAL OF MEDICAL PSYCHOLOGY


(Part 2, 1962)
SANDLER (J.). — Psychology and Psychoanalysis (Psychologie et Psychanalyse)
(P- 91).
LEVETON (A. F.). — Reproach : the art of shamesmanship (Le reproche ou l'art
de gouverner en faisant appel aux sentiments de honte) (p. loi).
DEWHURST (K.). — A seventeeth century symposium on manic-depressive psy-
chosis (Un symposium du XVIIe siècle sur la psychose maniaco-dépressive)
(p. 113).
BRONSON (G.). — Gritical periods in human development (Périodes critiques
dans le développement humain) (p. 127).
HAYMAN (A.). — Some aspects of regression in non-psychotic puerpéral breack-
down (Quelques aspects de la régression dans la dépression puerpérale non
psychotique) (1) (p. 135).
GRUNEBAUM (H.). — Group psychotherapy of fathers : problems of technique
(Psychothérapie d'un groupe de pères : problèmes de technique) (p. 147).
ROBERTS (E. L.) and LINDSAY (J. B. S.). — The Mental Hospital : Structure,
function and communication (L'hôpital psychiatrique : structure, fonction
et communication) (p. 155).
SEMEONOFF (B.). — Self-description as an instrument in personality assessment
(L'autodescription comme instrument dans l'évaluation de la personnalité)
(p. 165).
COATES (S.). — Homosexuality and the Rorschach Test (Homosexualité et test
de Rorschach) (p. 177).
(1) HAYMAN (A.). — Some aspects of regression in non psychotic puerperal
breakdown (Quelques aspects de la régression dans la dépression puerpérale
non psychotique).
L'étude de Mme Hayman porte sur 16 cas de femmes tombées malades
dans la période qui suivit leur accouchement et traitées à l'hôpital à l'aide d'une
psychothérapie individuelle d'inspiration psychanalytique qui donna géné-
ralement des résultats positifs rapides.
L'auteur décrit le type de régression libidinale (phallique, anale, orale)
prévalente chez ces patientes, ainsi que la régression du Moi. La relation
objectale de la mère avec son bébé est également envisagée. La plupart des cas
décrits se situent dans le registre névrotique. Les problèmes en rapport avec
les désirs d'identification masculine (envie du pénis) qui mettent en cause la
relation avec l'image paternelle se situent au centre de ces cas, tandis que les
cas plus graves (cas-limites) sont confrontés avec des problèmes d'identité
et les conflits se situent par rapport à l'image maternelle. Le bébé est considéré
comme objet partiel chez les malades les plus graves et est impliqué dans
l'utilisation de défenses telles que la projection et le splitting. Le bébé est alors
310 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

généralement vécu comme porteur des qualités abhorrées de la malade (pénis-


anal persécuteur par exemple). Le fantasme d'avoir volé ce bébé à la mère
accompagne souvent ces mécanismes de défense. Dans les cas moins graves
le bébé est généralement vécu comme un objet total (un « semblable », voire
un double), bien qu'un cas de psychose puerpérale franche présentât également
une relation à l'objet total selon l'auteur.
Psychoanalysis, psychology and literature (A bibliography) (Psychanalyse,
psychologie et littérature) (une bibliographie), Compiled and Edited by
Norman KIELL, Madison, 1963, The University of Wïsconson Press,
225 pages, reliées toile.
Ce livre qui sera accueilli avec plaisir par tous ceux qui s'intéressent à la
psychanalyse de la littérature et des mythes est un instrument de travail
agréable, facile à manipuler, bien présenté mais malheureusement incomplet.
Il est tout à fait admissible de ne pas y trouver les références concernant toutes
les études faites sur tel auteur particulier. Il est plus regrettable de trouver fort
incomplète la rubrique « sublimation ». Tel qu'il est ce livre n'en constitue pas
moins un auxiliaire sympathique.

BRITISH JOURNAL OF MEDICAL PSYCHOLOGY


(Part 3, 1962)
Memorial Meeting to C. G. Jung.
LAMBERT (K.).
— Jung's later work. Historical studies (Les travaux postérieurs
de Jung. Les études historiques) (p. 191).
JACKSON (M.).
— Jung's later work. The archetype (Les travaux postérieurs de
Jung. L'archétype) (1) (p. 199 (1)).
FORDHAM (M.). — An interpretation of Jung's thesis about synchronicity (Une
interprétation de la thèse de Jung sur la synchronicité) (p. 205).
MILLER (E.). — Individual and social approach to the study of adolescence
(Approche individuelle et sociale de l'étude de l'adolescence) (p. 211).
HAYWARD (L. R. C).
— Attitudes towards respiratory apparatus and their
relations to stress reactivity (Attitudes à l'égard de l'appareil respiratoire et
leurs relations à la réaction au stress) (p. 225).
ORME (J. E.).
— Intelligence and season of birth (Rapports entre l'intelligence
et la saison de naissance) (p. 233).
VOLKAN (V.).
— Sleep (A Biographical study) (Le sommeil [Etude biblio-
graphique]) (p. 235).
(1) JACKSON (M.). — Jung's later work. The archétype (Les travaux postérieurs
de Jung. L'archétype).
(Il nous a paru intéressant de signaler à ceux des lecteurs de la revue qui
seraient peu familiarisés avec l'oeuvre de Jung, cette mise au point sur la notion
d'archétype qui pourrait constituer une première approche des conceptions
du chef de l'école psychanalytique de Zurich, ceci au moment même où les
conceptions structuralistes se fraient un chemin dans l'analyse freudienne.)
L'idée d' « archétype » serait, selon Jung, empruntée à saint Augustin.
Jung en propose successivement, entre 1936 et 1954, un certain nombre de
définitions. Ainsi, il s'agirait des « images inconscientes des instincts », des
« « modèles » du comportement instinctuel », « la possibilité de représentation
qui est donnée a priori », « ce sont les formes de perception fondamentalement
analogues, qui peuvent être trouvées partout », ce sont aussi « les régulateurs
LES REVUES 311

de l'activité fantasmatique créatrice » (régulateurs : qui imposent leur règle)


« qui se comportent exactement comme les forces motivantes du rêve ».
A travers les hallucinations, les fantasmes, les rêves et certaines formes de
comportement, Jung isola des thèmes récurrents. Il découvrit alors la présence
de ces mêmes thèmes dans le comportement des primitifs, la littérature et la
mythologie. Cela le conduisit à l'idée de l'existence de « modèles » d'expérience,
de modes uniformes par lesquels les êtres humains se conduisent et se perçoivent.
Il serait possible de relever ces modèles, ces formes, en nombre limité. Jung
tenta de le faire à travers la littérature, la mythologie, la religion, les primitifs,
les psychotiques, les névrosés, les normaux.
Le terme d'archétype se réfère, en dernière analyse à un régulateur de
l'inconscient, c'est-à-dire, à ce qui impose sa règle à l'inconscient. Ce régulateur
contrôle les formes de l'archétype et ces formes créent des thèmes archétypiques.
L'archétype correspondrait au système axial d'un cristal. La forme, le modèle,
archétypique, correspondrait à la structure stéréométrique du cristal, et le
thème archétypique à la forme définitive, la configuration percevable du cristal.
Ainsi, l'archétype du héros est associé à uns forme, un modèle où se retrou-
vent toujours une séparation, un exil, une épreuve et une réunion finale et
triomphante, le héros ayant ramené quelque trophée. Le thème du héros est
l'entrée dans un espace clos, dangereux, terre, mer, souterrain, labyrinthe ou
bien corps d'un monstre, baleine ou dragon d'où il retire le trésor après un
combat farouche (cf. les fantasmes de pénétration dans le corps maternel afin
d'en dérober les contenus, relevés par Melanie Klein). L'approche de Jung,
dit l'auteur de cette étude, est plus comparative que génétique.
Jung a étudié les attributs du thème archétypique. Tout d'abord il est
fréquent, ensuite il est universel (dans le temps aussi bien que dans l'espace),
il apparaît à travers une multiplicité de médiums (littérature, mythologie,
rites, etc.). Son apparition dans le vécu subjectif personnel est accompagnée
d'un affect très intense. L'origine de l'archétype est innée au moins quant à sa
forme (non quant à son contenu). Les archétypes sont des entités primaires
de la psyché. Ils se réfèrent à une potentialité innée, commune chez tout le
monde. Leur ensemble constitue l'inconscient collectif.
Pour Jung, l'archétype n'est pas le vestige archaïque d'un passé lointain,
mais un système psychique fonctionnant au présent. L'archétype a une fonction
synthétique, une tendance à agglomérer des éléments pour former des ensembles.
Cette fonction synthétique est médiatisée par le symbole. Le symbole est utilisé
par Jung dans le sens particulier de « la meilleure expression possible pour
un contenu inconscient dont la nature peut seulement être devinée car il est
encore inconnu ». Le symbole conduit à un élargissement de la relation du
Moi à la réalité tant externe qu'interne. Jung met l'accent sur l'aspect créateur
du symbole et il a un souci constant d'éviter les interprétations qui n'envi-
sagent que le côté défensif des processus psychiques, aux dépens de leurs
aspects créateurs.

THE BRITISH JOURNAL OF MEDICAL PSYCHOLOGY


(Part 4, 1962)
MASUD KHAN (M.). — The role of polymorph-perverse body experiences and
object-relations in ego-integration (Le rôle des expériences corporelles perverses
polymorphes et les relations objectales dans l'intégration du Moi) (1) (p. 245).
NOVEY (S.). — The meaning of history in psychiatry and psychoanalysis (Les
significations données à l'histoire en psychiatrie et psychanalyse) (p. 263).
312 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

GUNTRIP (H.). — The schizoid compromise and psychotherapeute stalëmate


(Le compromis schizoïde et l'impasse psychothérapique) (p. 273).
BRUHN (J. G.). — An operational approach to the sick-role concept ( Une approche
opérationnelle de la conception du rôle du malade) (p. 289).
INMAN (W. S.). — Ophtalmic adventure : A story of frustration and organic
disease ( Une aventure ophtalmique : Une histoire de frustration et de maladie
organique) (p. 299).
BROWN (L. B.). — Social and attitudinal concomitants of illness in pregnancy
(Facteurs sociaux et attitudes accompagnant la maladie en cours de grossesse)
(p. 311).
PLESH (E.). — On the ontogenic hierarchy of « patental » identification Systems
(Sur la hiérarchie ontogénétique des systèmes d'identification paternelle)
(P- 323)-
ORMONT (L. R.). — Establishing the analytic contract in a newly formed thera-
peutic group (L'établissement du « contrat » analytique dans un groupe théra-
peutique de formation nouvelle (p. 333).
LOMAS (P.). — The origin of the need to be special (L'origine du désir d'être
singulier) (p. 339).
MASUD KHAN (M.). — Le rôle des expériences corporelles perverses polymorphes
et les relations objectales dans l'intégration du Moi.
L'auteur envisage dans cet intéressant article, une catégorie de malades
dont la description clinique ne manquera pas de frapper le lecteur par son
authenticité. Il s'agit d'individus (des deux sexes) qui semblent à première vue
parfaitement adaptés tant socialement que professionnellement. Ils viennent
en général en analyse en se plaignant d'un manque de vitalité, d'insatisfaction
et d'humeur dépressive. En fait il s'agit de malades souffrant de graves pertur-
bations maturationnelles et caractérisés par une scission entre certains aspects
de leur maturation pulsionnelle et affective, d'une part, et celle de leur Moi,
de l'autre ; ce dernier aspect est vu, en particulier sous l'angle d'une défectueuse
intégration du narcissisme (narcissisme primaire), en liaison avec une précoce
maturation du Moi.
L'auteur met l'accent, dans sa description, sur certains comportements
sexuels pervers-polymorphes, prégénitaux bien entendu, qu'il considère comme
pathologiques , bien qu'il les qualifie de pervers-polymorphes, il leur dénie
tout caractère de perversion réelle, car ces patients sont par ailleurs capables
d'atteindre l'orgasme génital sans passer par ces pratiques.
En fait il semble bien — et nous ne pensons pas déformer ici la pensée
de l'auteur — que ces pratiques ne soient pas pathologiques en elles-mêmes,
mais bien plutôt en ce qu'elles tendent à assumer une fonction spécifique. En
effet, ces patients qui sont considérés par l'auteur comme schizoïdes (il est
spécialisé dans l'étude clinique et théorique de la schizoïdie) viseraient, à travers
ces pratiques corporelles perverses polymorphes, à réunir les parties scindées
de leur Moi global. Ces pratiques constitueraient une tentative d'effectuer une
« expérience correctrice », à travers une extase partagée avec un partenaire
(fusion narcissique). Cette fusion peut parfois amener des troubles dans la
saisie du corps propre (il semble qu'il s'agisse de troubles assez voisins de la
dépersonnalisation).
L'auteur considère qu'il est aisé, et ses remarques cliniques heureuses le
confirment, de reconstituer, à partir des conduites qu'il décrit, la structure de
la mère de ces patients, mère dont il précise le rôle historique pathogène.
Les mères de ces sujets ont la particularité de prendre leur enfant pour confi-
dent de leurs relations conjugales, ce qui, d'une part, actualise le conflit oedipien
LES REVUES 313

tout en en empêchant la fantasmatisation et, d'autre, part joue le rôle d'une


tentative de séduction. Elles empêchent ainsi l'enfant d'atteindre à l'auto-
nomie, interférant avec les conduites exploratrices et expérimentales néces-
saires à une maturation adéquate... De même ces mères se rendent indispen-
sables à l'enfant, à un âge où celui-ci doit pouvoir se séparer de sa mère — de
telle façon que les enfants deviennent incapables d'un investissement objectai
authentique, et se satisfont dans de pseudo-relations objectales, apparemment
très chargées d'affects, voire extatiques mais profondément auto-érotiques.
C'est ce comportement maternel qui mène à un développement précoce du
Moi, mais d'un Moi dont le développement est arrêté à un certain niveau,
celui d'un investissement auto-érotique du Moi corporel, de sa surface, de
ses organes et de ses orifices, confondus avec la mère, source ainsi de satisfactions
auto-érotiques. La synthèse entre le développement libidinal et le dévelop-
pement du Moi proprement dit ne pouvant se faire, le résultat en sera un Moi
global faible. La position de ces malades toujours eh quête d'un objet ou
plutôt d'une relation mettant fin à cette scission, et qui s'exprime à travers
ces pratiques corporelles perverses-polymorphes, s'analyse particulièrement
bien dans le transfert. Il est aisé de montrer à ces malades que leur relation
objectale s'épuise dans ces intimités corporellesprégénitales et qu'ils ne trouvent
dans leurs relations aucune sécurité, celles-ci étant basées sur une séduction
mutuelle très ambivalente. En effet nous avons vu que la mère a gêné l'enfant
dans son accession à l'indépendance et, par régression, l'enfant la vit comme
omnipotente, projetant ainsi sur elle son narcissisme ; en même temps, l'enfant
exprime sa rage contre sa mère sur un mode très agressif. La mère réagit en
le séduisant, ce qui traumatise gravement l'enfant sur le plan de l'évolution
de son Moi. L'auteur insiste ici sur l'importance de cette séduction qui,
accroissant l'érotisme de l'enfant de façon trop précoce le vide de sa libido
narcissique (libido du Moi). Il arrive dans ces cas de séduction par la mère que
l'enfant, pour parer ce déficit de la libido du Moi, déplace la charge libidinale
sur son Moi pour renforcer les processus d'évolution du Moi, les fonctions
égotiques et ses mécanismes de défense, ce qui aboutit à une neutralisation
excessive de son potentiel pulsionnel qui se manifeste par une peur du vide
instinctuel ; l'anxiété qui en résulte explique la recherche des expériences
corporelles perverses-polymorphes et aboutit donc à un cercle vicieux. L'objet
sera donc recherché non seulement en vue d'une satisfaction pulsionnelle
mais — et ceci sur un mode plus compulsiormel — pour combler les besoins
égotiques primitifs. Le but de cette recherche relationnelle n'est pas d'aimer
et d'être aimé mais de trouver la participation d'un partenaire (d'un adulte)
pour transformer ce qui est étranger au Moi (ego-alien) en ce qui est lié au
Moi (ego-related).
Ce travail nous semble intéressant en ce qu'il tient compte des phénomènes
économiques et donne sa juste place au problème de la prématuration du Moi
et de ses conséquences.
J. CHASSEGUET-SMIRGEL.

REV. FR. PSYCHANAL. 21


INFORMATIONS

SOCIETE PSYCHANALYTIQUE DE PARIS


COMPTE RENDU DES ACTIVITÉS SCIENTIFIQUES
(octobre 1962 à décembre 1963)

16 octobre 1962. Exposé du Dr LUQUET, Ouverture sur l'art, le psychanalyste et


l'artiste.
20 novembre 1962. Exposé du Dr PASCHE, Le symbole personnel et la psycha-
nalyse.
18 décembre 1962. Exposé du Dr GREEN, Pour une nosographiepsychanalytique
freudienne.
15 janvier 1963. Suite du colloque : Pour une nosographie psychanalytique
freudienne.
19 février 1963. Suite et fin du colloque : Pour une nosographiepsychanalytique
freudienne.
19 mars 1963. Exposé du Dr GRUNBERGER, De l'image phallique.
21 mai 1963. Exposé du Dr MISES, A propos de la participation du père aux
conflits prégénitaux, étude d'un cas.
18 juin 1963. Colloque des membres titulaires : Exposé du Dr BENASSY,
La relation contrôleur-contrôle au cours de contrôles. — Exposé du Dr FAVREAU,
Les avantages du contrôle collectif. — Exposé du Dr SAUGUET (avec la colla-
boration de M. FAIN), Son expérience des contrôles individuels et, en parti-
culier des contrôles individuels imposés.
20, 21, 22 et 23 juillet 1963. XXIVe Congrès des Psychanalystes de Langues
romanes, sous les auspices et organisé par la Société Psychanalytique de
Paris avec le concours des Sociétés de Psychanalyse Belge, Canadienne,
Italienne, Luso-Espagnole, Suisse et la collaboration des Sociétés Latino-
Américaines. — Hommage à Mme Marie Bonaparte. — Travaux divers à
propos de son oeuvre.
Rapports : Dr Angel GARMA, Intégration du schéma corporel au cours de la cure
psychanalytique. — Dr Michel GRESSOT, Psychanalyse et psychothérapie
(leur commensalisme). « L'esprit de la psychanalyse est-il compatible
avec la psychothérapie ?» — Dr René HELD, Rapport clinique sur la psy-
chothérapie d'inspiration psychanalytiquefreudienne.
15 octobre 1963. Exposé du Dr J.-A. GENDROT, Les groupes de médecins
selon la technique de M. Balint.
19 novembre 1963. Exposé du Dr G. MENDEL, La sublimation artistique.
17 décembre 1963. Discussion des membres titulaires sur le problème de
l'analyse didactique et la sélection des candidats.
ACTIVITÉS D'ENSEIGNEMENT DE NOS MEMBRES A L'ÉTRANGER EN 1963
Le Dr R. DIATKINE a dirigé un séminaire mensuel de Psychothérapieinfan-
tile à Genève, dans le service du Pr de Ajuriaguerra, et deux séminaires à Lau-
sanne à l'Office médico-pédagogiquevaudois dans le service du Dr Henny.
Le Dr GRUNBERGER a fait, en mai 1963, une conférence sur L'Image phallique,
à la Société Psychanalytique Suisse, groupe de Genève, puis en allemand, devant
le groupe de Zurich et devant la Société Psychanalytique Allemande, groupe
Francfort-Heidelberg.
Mme KESTEMBERG a fait un contrôle trimestriel de Psychodrame de Groupe
à Lausanne.
316 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

Le Dr LEBOVICI a participé au séminaire de l'Organisation Mondiale de la


Santé sur le Traitement des enfants en internat, à Francfort, en octobre 1963.
Le Dr LUQUET a assuré un Séminaire mensuel de théorie, de clinique, et de
technique psychanalytique à Lisbonne, sous les auspices de la Société Luso-
Espagnole.
Mme BACKES a été élue membre titulaire de la Société Algérienne de Psychia-
trie, Neurologie et d'Hygiène mentale. Elle fait partie de 3 commissions :
— Commission d'Hygiène mentale ;
— Commission d'Enseignement ;
— Commission de Législation (Délinquants mineurs).
Elle est chargée de cours de psychologie de l'enfant et de l'adolescent à
l'Université d'Alger.
Mme CHASSEGUET-SMIRGEL a été invitée à Londres pour exposer devant
le groupe « Imago » un travail intitulé A propos de l'année dernière à Marienbad :
Pour une méthodologie d'approche psychanalytique de l'oeuvre d'art (en
février 1963).
Le Pr KOURETAS a poursuivi son enseignement à Athènes, il a fait en parti-
culier une conférence en janvier 1963, sur L'influence psycho-caihartique de la
tragédie et son mode d'action. Interprétation proposée. Il a fait de très intéres-
santes communications par ailleurs dans les journaux scientifiques grecs.
M. G. MAUCO a fait, en 1963, des conférences sur les consultations psycho-
pédagogiques, d'inspiration psychanalytique, à Caracas au Venezuela.
— Conférences sur les traitements pédagogiques des adolescents, à des
médecins psychiatres et psychanalystes, et à l'Alliance française, sur l'éducation
affective, à Bogota en Colombie (juillet).
— Conférence sur la psychanalyse et l'éducation à l'Université de Lima
— conférence à des médecins et psychologues à Lima — en juillet 1963, confé-
fence sur l'évolution de la vie affective, à Rio de Janeiro.
— Conférence internationale de la famille (25 juillet 1963).
— Enfin, conférence à l'Université de Bruxelles sur les psychothérapies
d'enfant.
Le Dr RACAMIER dirige un séminaire de psychopathologie dynamique et de
psychothérapie psychanalytique des psychoses à la clinique psychiatrique
universitaire de Lausanne.
— Un Séminaire psychanalytique sur les formes archaïques de la relation
d'objet, à Prangins, depuis octobre 1963, dans le cadre de l'enseignement du
Groupe Suisse Romand de Psychanalyse.
— Il a fait une conférence, en décembre 1963, à la Société Suisse de Psycha-
nalyse sur quelques aspects de la réalité en psychanalyse.
M. SAMI ALI a fait deux conférences publiques :
a) En français :
1. Psychologie des dessins d'enfants (1961) ;
2. Aspects psychologiques de la prostitution (compte rendu d'une recherche
effectuée dans la zone du Caire) (1962) ;
b) En arabe :
1. Psychologie des dessins d'enfants (1961) ;
2. La psychanalyse et les problèmes de l'enfance (1962).
Le Dr M. SOULÉ a fait, en octobre 1963 en Italie (Bologne), plusieurs
exposés à un colloque sur les enfants privés de famille et notamment sur les
problèmes affectifs de ceux-ci les et méthodes de psychothérapie.
INSTITUT DE PSYCHANALYSE

Ve SÉMINAIRE DE PERFECTIONNEMENT (1)


25-26-27 janvier 1963
Avant d'ouvrir la discussion, le directeur du Séminaire, le Dr Nacht, insista
sur le fait que l'homosexualité s'inscrivait dans la destinée biologique de
l'homme. Aussi transparaît-elle tout ,au long de son développement psycholo-
gique. Toute la psychologie peut être étudiée au travers du prisme de l'homo-
sexualité latente. On ne peut donc pas classer l'homosexualité dans le cadre
des névroses, des psychoses ou des perversions. Les résultats thérapeutiques
peuvent être bons ou satisfaisants. Toutefois, on ne peut jamais être certain
qu'un homosexuel soit définitivement à l'abri des rechutes et qu'il soit défini-
tivement installé dans des positions hétérosexuelles. Ce trait oppose l'homo-
sexualité aux autres perversions.

ASPECT THÉORIQUE ET CLINIQUE DE L'HOMOSEXUALITÉ


Présentation de F. PASCHE
Je n'exposerai ici que mon point de vue personnel, sans chercher à rappeler
tout l'historique des travaux psychanalytiques sur la question de l'homo-
sexualité. M'appuyant d'ailleurs sur les idées de Freud, j'estime que l'homo-
sexualité ne doit pas être classée dans le cadre des perversions : c'est un trouble
de la sexualité ; mais il n'est pas lié à la réalisation d'une tendance partielle

(1) Le Ve Séminaire de Perfectionnement de l'Institut de Psychanalyse a eu lieu les 25-26


et 27 janvier 1963 sous la présidence du Dr Nacht. Le Dr Sauguet en était le secrétaire.
Il a réuni environ 60 participants. Outre ceux qui venaient de province, d'autres partici-
pants sont venus de pays francophones, Belgique, Espagne, Italie, Portugal et Suisse.
A côté des présentations de cas en petits groupes, chaque matin, eut lieu une série de discus-
sions. Les problèmes théoriques furent présentés par F. Pasche et R. Diatkine. P. Male et
P. Marty étudièrent les rapports entre l'homosexualité et la paranoïa d'une part, l'homosexua-
lité et la médecine psychosomatique d'autre part. Enfin les problèmes techniques furent étudiés
par J. Favreau, M. Fain, P. Luquet et C. Luquet.
Les présentes notes constituent un résumé de l'ensemble des discussions qui ont eu lieu en
table ronde. L'auteur de ce résumé en prend la responsabilitéet s'excuse à l'avance des erreurs
ou des omissions qu'il a pu commettre.
Les discussions furent animées par S. Lebovici.
Pour la commodité de l'exposé, nous n'avons pas suivi l'ordre chronologique et les discussions
ont été regroupées en deux chapitres :
I. — Aspect théorique et clinique de l'homosexualité.
II. — Problèmes techniques posés par l'homosexualité.
Ces notes ne peuvent prétendre fournir un aperçu complet des discussions, mais elles consti-
tuent un canevas qui pourra en donner une idée, en essayant de les rendre aussi fidèlement
que possible.
318 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

et il ne donne pas lieu à un investissement partiel. De même, j'estime que


l'homosexualité doit être franchement séparée des névroses.
Je décrirai ici les comportements pathologiques aussi bien que normaux,
c'est-à-dire ceux qui impliquent une sublimation, et je définirai l'homosexualité
comme l'ensemble des conduites qui expriment une relation féminine avec le
père.
A partir de cette définition, on peut mettre en évidence trois aspects sémio-
logiques et nosographiques de l'homosexualité.
I. — Le destin prend l'homosexuel au mot ; il s'identifie à la mère et il en
résulte chez lui un investissement du corps total aux dépens de son pénis.
Comme chez la femme, c'est le corps qui est investi.
Cette particularité explique de nombreux aspects cliniques de l'homo-
sexualité, et, en particulier, l'envie du pénis, ainsi que la jalousie du pénis.
II. — Un trait fondamental de l'homosexuel, c'est son exigence vaine
mais insistante, de recevoir un enfant du père. En effet, l'homosexuel est
constamment jaloux de sa mère ou de sa soeur qui peuvent avoir un enfant.
Ce fait se retrouve dans toute analyse. Chez certains homosexuels tout le
matériel est axé autour de la fabrication d'un enfant par parthénogenèse. Le
sujet se sent en quelque sorte hermaphrodite et veut fabriquer ses selles comme
un enfant. C'est à cet effort que se consacre tout son Moi pulsionnel. Ce désir
se retrouve dans toutes les formes de l'homosexualité, celles que je décrirai
plus tard comme démiurgiques, aussi bien que dans la forme féminoïde.
Dans cette dernière, l'homosexuel qui singe la femme réagit agressivement
au fait qu'il n'obtient pas d'enfant. C'est à partir de cela qu'on peut comprendre
l'activité destructrice par rapport aux valeurs humaines que l'on observe si
souvent chez ces sujets.
III. — L'homosexuel est pourtant un homme qui a des tendances oedi-
piennes positives et qui redoute la castration. Il n'échappe pas, en tout cas à
celle de ne pouvoir être la femme du père sans être châtré par le père. Son
Surmoi est viril, son statut social est viril. Aussi bien peut-on comprendre
ici l'aphorisme célèbre de Freud : « L'homosexuel renonce à être le père pour
avoir le père. » Mais en même temps il garde l'ambition d'être le père, et il le
jalouse.
J'estime nécessaire de distinguer deux formes d'homosexualité chez
l'homme.
1° La forme féminoïde : l'homosexuel a renoncé à toutes les qualités viriles.
Il se fait femme et c'est ce qui entraîne son agressivité. Ces sujets imitent moins
les femmes qu'ils ne les singent. Ils ravalent ainsi la virilité en eux-mêmes.
Leur activité de dénigrement est castratrice, elle aboutit à la destruction du
partenaire. Elle est aussi autocastratrice, d'où l'homosexualité passive, large-
ment infiltrée de masochisme.
2° Dans la forme démiurgique, celle du Vautrin de Balzac, du Méphisto
de Goethe, du Lucifer de Milton, la réaction à la passivité aboutit à une struc-
ture mégalomaniaque, l'homosexuel est à la fois plus qu'une femme et plus
qu'un homme. C'est le type phallique narcissique. Ces homosexuels veulent
modeler et refaire des jeunes hommes auxquels ils s'intéressent. Mais la subli-
mation que de tels désirs comportent n'est qu'apparente ; il s'agit bien plutôt
d'une régression à la phase anale. L'homosexuel peut être comparé à l'enfant
qui traite ses selles comme l'objet de sa puissance.
Il me reste à étudier les facteurs étiologiques de l'homosexualité. Ils sont
toujours associés et donnent lieu à une sur-détermination étiologique. Parmi
les facteurs accessoires qu'on peut décrire, je citerai :
1° Les facteurs constitutionnels, dont le rôle est souvent important. Il
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 319

n'est pas impossible de voir un enfant qui a une allure extrêmement virile
jusqu'à 4 ou 5 ans et qui prend une allure homosexuelle à la suite de l'influence
de facteurs événementiels ou environnementaux. Son aspect, sa voix, sa
pilosité peuvent en témoigner.
2° Des affections chroniques précoces peuvent être découvertes dans le
passé des homosexuels. Il en est ainsi particulièrement de la chétivité qui
condamne l'enfant à ne pas s'exercer virilement dans les jeux musculaires.
3° Il faut mentionner également l'importance et la fréquence de la séduc-
tion. Si les jeux sexuels entre jeunes garçons sont sans importance, il ne me
semble pas en être de même dans les cas où a existé une relation entre un enfant
jeune et un homme âgé, surtout lorsque cette relation a été durable.
Mais j'estime nécessaire d'insister sur des facteurs plus importants et plus
constants...
1° Il en est ainsi en particulier du mode d'investissement du garçon par sa
mère. Il ne s'agit pas ici que des cas, à vrai dire rares, où le comportement de la
mère a maintenu un état manifeste de féminisation, en habillant les garçons
comme des filles ou en les coiffant comme des filles. L'influence féminisante
de la mère peut être plus subtile et plus nocive. Il s'agit ici d'un investissement
profond par la mère qui valorise le corps de l'enfant, sa beauté en en faisant
en quelque sorte son ornement. L'enfant sent alors qu'il ne peut être aimé
qu'en valorisant son corps aux dépens du phallus et du pénis. De telles mères
prônent les qualités passives de l'enfant et vantent la douceur et l'obéissance
de leur fils.
2° Le comportement viril de la mère que l'on observe très souvent à titre
de facteur étiologique, aboutit à la valorisation de la féminité chez le garçon
et constitue en quelque sorte une castration continue ; d'où l'identification à
l'agresseur central qui n'est autre que la mère.
3° J'insisterai particulièrement sur le caractère très érotisé de la relation de
l'homosexuel avec son père. Il s'agit de pères trop absents sur le plan erotique
dans la petite enfance, d'autant plus pathogènes qu'ils sont incapables de
s'éloigner progressivement ou de désexualiser leurs relations avec leurs fils.
Le détachement du père est nécessaire pour qu'il soit idéalisé. Lorsque ce déta-
chement ne se produit pas, tout se passe comme si le père venait à manquer
et il apparaît alors dans les fantasmes comme une image castratrice dont je
considère qu'elle est la conséquence de traces ataviques.
Dans ces cas, la mère réapparaît, car elle empêche par sa virilité que son
fils ait besoin de son mari. Elle n'est pas, comme cela est le cas normal, le tru-
chement entre le père et le fils. Celui-ci vit alors dans la nostalgie d'un père
érotisé.
4° Freud a souligné l'importance du narcissisme dans l'homosexualité.
On connaît l'importance des fantasmes de miroir où l'homosexuel recherche
un partenaire identique à lui-même. Mais ce qui caractérise plutôt ce narcis-
sisme, c'est qu'il est raté car l'enfant n'a pas de phallus, étant le phallus de
sa mère. Pour s'autonomiser, il doit s'identifier à elle et renoncer au phallus.
Il recherche donc un autre phallus chez son partenaire, et c'est l'existence de
celui-ci qui atteste l'existence du sien propre.
Il n'y a pas de relations entre une mère phallique et son fils, mais une
mère phallique dont le phallus est son fils.
5° Je n'insisterai pas sur les relations qui seraient assez caractéristiques
dans l'homosexualité du paranoïaque, entre les homosexuels et leurs frères plus
âgés. Elles ne s'observeraient que chez les paranoïaques qui ont une vie
homosexuelle.
320 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

DISCUSSION SUR LES ASPECTS THEORIQUES ET CLINIQUES DE L 'HOMOSEXUALITE

La définition, les caractères de l'homosexualité, son étiologie tels qu'ils


avaient été présentés par F. Pasche, furent, dans l'ensemble, acceptés. Toute-
fois, à plusieurs reprises, on estima que des aspects mis en évidence par
F. Pasche caractérisaient essentiellement l'homosexualité névrotique et qu'à
côté des formes déterminées par la régression devant la situation oedipienne,
il fallait tenir compte de deux autres aspects psychopathologiques : d'une
part, homosexualité par intégration de la fonction sexuelle et de la repré-
sentation du pénis et du phallus ; d'autre part, homosexualité avec noyau
psychotique où s'observent volontiers des toxicomanies, des positions de
déséquilibre, des phénomènes de masochisme érogène qui, sous l'homo-
sexualité, témoignent souvent d'une lutte assez vive contre la dépersonnali-
sation (P. Luquet).
La discussion présentée par R. Diatkine porta essentiellement sur l'or-
ganisation libidinale de l'homosexualité. Il estime que la structure mise en
évidence au cours de la relation thérapeutique ne permet pas de conclure à
une équivalence pathogénique. La qualité de l'organisation oedipienne de
l'homosexuel ne permet pas de l'opposer de façon aussi stricte que Pasche le
voudrait, à celle des névrosés et des pervers.
La qualité des investissements spécifie la situation oedipienne de l'homo-
sexuel. C'est à partir d'une étude des inter-réactions dans le triangle oedipien
qu'on peut comprendre l'infléchissement narcissique sur le Moi qui caractérise
le thème constant de besoin d'un rapprochement sexuel où est vérifiée l'image
sexuelle du partenaire. L'homosexuel n'obtient la sécurité de son pénis qu'en
constatant que le pénis de son partenaire est solide.
R. Diatkine a été particulièrement frappé par le noyau oedipien de l'homo-
sexualité, qu'il estime tout proche de la psychose ; c'est grâce à son homo-
sexualité que l'homosexuel contracte des relations avec sa mère. D'ailleurs,
comme on le verra à propos de la discussion technique, les participants à la
table ronde insistèrent sur le fait que l'analyse précoce de la situation oedipienne
était une nécessité technique, mais qu'elle ne reposait que sur des données assez
fragiles, alors qu'une situation oedipienne vraie et solide doit marquer la fin
du traitement psychanalytique des homosexuels.
En étudiant l'organisation oedipienne qui caractérise ces sujets, F. Pasche
remarqua la fréquence du déplacement oedipien sur les soeurs, fait qui fut
confirmé par plusieurs participants.
A partir de cette tentative pour une étude de la spécificité des investis-
sements oedipiens de l'homosexuel, R. Diatkine propose la définition suivante :
« L'homosexuel est celui qui possède une mère dont le phallus visible peut
le protéger contre l'agression paternelle et maternelle. »
Les thèmes de discussion peuvent être groupés en un certain nombre de chapitres
qui seront maintenant évoqués.
A) Le narcissisme phallique
F. Pasche avait étudié le narcissisme dans le cadre de la recherche de l'exis-
tence du pénis chez le partenaire de l'homosexuel, R. Diatkine s'opposa, à
ce propos au moins sur quelques nuances. F. Pasche veut que le narcissisme
aboutisse au fantasme de capter le pénis de l'autre et, ainsi, de se faire attester
la réalité du sien.
R. Diatkine, de son côté, insiste sur la hiérarchie des fantasmes et montre
que le réinfléchissement narcissique se fait à partir de la peur de castration.
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 321

A Francis Pasche qui remarquait que la mère de l'homosexuel n'a pas de


pénis, alors que la mère normale dispose de celui de son mari, R. Diatkine
répondait en considérant que cette forme d'organisation ne lui paraissait pas
spécifique de l'homosexualité, le fétichiste aussi reconstitue le phallus de sa
partenaire. Mais la mère du fétichiste est phallique, sans avoir besoin de lui
(F. Pasche). Le fétichiste est séparé de la mère, l'homosexuel est partie de la
mère.
Michel Fain insiste sur certains aspects de l'investissement narcissique
chez l'homosexuel ; Freud parle d'une homosexualité primitive et d'une
homosexualité évoluée.
En considérant certains travaux des psychanalystes d'antan, on pourrait
penser qu'il existe un stade normal du développement caractérisé par l'inves-
tissement du corps, mais que l'homosexuel dépasse ce stade : chez lui, il y
aurait passage de l'image au fonctionnel. Dans le premier cas, on pourra parler
de défense homosexuelle (se présenter comme un être châtré au père, le rival).
Dans le second cas, il s'agit de l'homosexualité vraie (intégrer dans un avenir
lointain une image, celle du père).
On pourrait dire à ce point de vue que la libido de l'Idéal du Moi est homo-
sexuelle, mais que chez l'homosexuel pervers c'est la libido narcissique qui est
profondément troublée, car l'objet aimé reste à l'extérieur, ce qui est contraire
à l'évolution normale.
R. Henny s'étonne de certains aspects de la discussion sur le narcissisme
phallique, qui ne vont pas sans contredire les avis habituels sur le surinves-
tissement du pénis chez l'homosexuel. Il se demande si on ne pourrait pas
parler chez l'homosexuel d'un investissement alternatif du corps propre,
comme le veut Pasche, et du pénis, comme on le dit souvent.
F. Pasche répond : « L'homosexuel n'est jamais complet, car son pénis
n'est pas investi au niveau du corps propre, et c'est le pénis de l'autre qui est
surinvesti. »
P. Luquet donne la précision suivante : le pénis reste en dehors des inves-
tissements chez l'homosexuel. Il n'est pas investi comme support des fonctions
viriles, mais uniquement par la libido qui le cherche chez l'autre.
L'emploi du mot « investissement » est critiqué par R. Diatkine qui préfé-
rerait qu'on parle en termes de pulsion et qu'on spécifie les charges liées à la
nature pulsionnelle. A ce propos, il insiste sur l'investissement agressif qui ne
peut être séparé de l'investissement libidinal en raison de l'ambivalence
foncière.
Lorsqu'on parle de l'investissement du pénis du sujet, on doit le comprendre
en fonction de la variabilité des investissements libidinaux et agressifs. C'est
le cas aussi bien lorsqu'on parle d'investissement objectal que d'investissement
narcissique. On connaît la fréquence des accès dépressifs chez l'homosexuel,
ils détruisent la partie essentiellement investie de leur corps et ont à lutter
contre ce danger. En retrouvant chez l'autre l'amour de leur propre pénis,
ils luttent victorieusement contre le danger de la perte d'objet.
P. Luquet : en dehors de l'ambivalence qui se reflète dans les investissements
libidinaux et agressifs, il faut également parler des investissements primitifs
et secondaires. L'homosexuel est amoureux du pénis qui n'est, secondairement
que la mère, en tant que besoin fondamental du Moi.
R. Diatkine revient sur l'importance de l'investissement secondaire du
pénis comme mode de lutte contre la perte de l'objet. Il mentionne en parti-
culier le fantasme d'un pervers qui s'imaginait dans un bain de vapeur pouvoir
choisir des verges en érection sortant des trous d'un rideau qui cachait leur
possesseur. Il pouvait choisir ainsi la plus belle.
322 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

De même, dans certaines périodes du traitement des homosexuels, pendant


les phases de dépression, on a souvent des rêves où la destruction du corps sur
le mode oral et anal est liée à l'existence d'un personnage maternel très
dangereux.
L'investissement du pénis peut se traduire dans des stades ultérieurs
du traitement de ces homosexuels dépressifs par des localisations hypo-
condriaques souvent digestives qui en sont une forme ultime d'investissement
local.
F. Pasche insiste à nouveau sur l'importance du désir d'avoir un enfant
du père et voit dans les manifestations d'hypochondrie, qui viennent d'être
décrites, le témoignage de ce fantasme.
Le narcissisme phallique fut également considéré au cours de la discussion,
comme le témoignage de la réassurance que l'homosexuel doit construire contre
sa peur d'être châtré.
R. Diatkine mentionne que celle-ci est indispensable devant la réalisation
oedipienne où le vagin apparaît souvent comme denté. D'ailleurs, si l'accès
à une mère vraie était possible,l'homosexuel pourrait y trouver le même danger
que chez son père. Il risque d'être châtré aussi bien par le père que par la
mère.
A ce propos, Michel Fain note que le danger vécu par l'homosexuel dans
ces conditions est comme celui qu'il pourrait éprouver dans la pénétration
par un objet morcelant. A la manière d'un véritable phobique, il désire loca-
liser le danger au pénis avec lequel il entre en contact et par lequel il désire
être pénétré.
On connaît les idées théoriques qui insistent sur la valeur énergétique du
pénis, objet de l'investissement narcissique ; en particulier, selon la théorie
de Nünberg, que F. Pasche rappela, l'homosexuel passif se fait pénétrer pour
prendre la puissance de celui qui le pénètre. Ainsi le pénis introduit ne serait-il
pas seulement conducteur mais il aurait la valeur d'une puissance positive qui
correspondrait à la façon dont la mère dite phallique investit son enfant,
comme un appendice qui pourrait lui échapper.
P. Luquet remarque : l'homosexuel avéré est précisément celui qui ne veut
pas utiliser le pénis énergétique. On pourrait dire à ce point de vue, pour
reprendre l'expression de Shentoub, qu'il est un pseudo-homosexuel, car il
ne peut pas introjecter le pénis qui n'est pas pour lui un support de fonction,
mais seulement un objet libidinisé.
Michel Fain confirme cette hypothèse ; dans un cas qu'il eut l'occasion de
traiter, il put observer comment son patient jouait en quelque sorte avec son
interprétation, véritable pénis dont il refusait la valeur fécondante. Il la pre-
nait, jouait avec elle pendant de longs moments, allant jusqu'à imaginer le
dialogue avec son analyste. Après les interprétations de ce dernier, il imitait
sa voix.
J. Favreau mentionne ici certains travaux ethnologiques de Devereux :
il est certains homosexuels passifs qui se constipent pour simuler ensuite un
accouchement, en invitant alors leurs amis à assister à la défécation. Mais il se
demande s'il ne s'agirait pas ici peut-être d'une annulation du désir d'être
pénétré par un comportement contre-investi d'expulsion. Selon lui, le pénis
énergétique peut être décrit sous deux aspects : tout d'abord l'homosexuel est
pénétré par un pénis pour avoir un pénis, ensuite il est au sens strict du terme,
un enfant.
Dans certains cas, quelques patients ne peuvent accepter d'être pénétrés
par le pénis paternel parce qu'ils ont investi sur lui l'affect maternel pré-génital.
Cette discussion à propos du pénis énergétique permet à René Diatkine
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 323

de proposer une classification des homosexuels en fonction de la position qu'ils


prennent par rapport au pénis de l'autre : chez les uns, il aboutit à la resti-
tution de l'objet, chez les autres il témoigne du rejet de l'acceptation de la
pénétration.
Cette discussion sur l'investissement narcissique de l'homosexuel ne
pouvait manquer de conduire à un essai pour préciser la différence entre phallus
et pénis.
En particulier, M. Stittelman a évoqué certains traitements psychanaly-
tiques précoces où les enfants purent faire la différence entre phallus et pénis.
Certains sujets déclaraient désirer un enfant de leur mère, enfants équivalant
à la nourriture qui ne reste pas dans leur corps et qui s'en va avec les matières
fécales. Cette particularité n'existait pas dans certains cas, et ainsi verrait-on
dès l'analyse précoce se dessiner différentes classes d'homosexualité suivant
que le phallus est attribué au père (homosexualité démiurgique), ou à la mère
(homosexualité féminoïde).
Une précision est apportée par le Dr Dierkens qui souligne que les
divinités démiurgiques des religions primitives ont souvent des attributs
féminins.
Dans les jours suivants, on revint sur la distinction entre phallus et pénis.
D'une manière schématique, on peut dire que le phallus est un fantasme et
le pénis une réalité. L'image du phallus se constitue sur le mode de la structu-
ration pré-génitale, comme un remplissage automatique du Moi à partir
duquel le pénis peut s'investir au fur et à mesure du développement libi-
dinal (P. Luquet).
B) Homosexualité réalisée et homosexualité fantasmatique
Pour Pierre Marty, il y a intérêt à étudier l'homosexualité dans le cadre
du fantasme et du comportement. Les homosexuels manifestes sont souvent
ceux qui n'acceptent pas la pénétration fantasmatique et jouent un rôle actif.
Ceux qui vivent leur homosexualité sur un mode de comportement n'ont
souvent pas de processus fantasmatique et ont un fonctionnement psychique
purement opératoire. Il cite l'observation d'un sujet atteint d'un infarctus
du myocarde qui, lorsqu'il était anxieux, allait chercher de manière compul-
sionnelle son semblable, sans que l'on puisse parler ici de réelle homosexualité.
L'homosexuel est, en particulier, un sujet fixé au stade anal, c'est-à-
dire un sujet capable de retenir et de manipuler l'objet sans en souffrir
immédiatement. C'est une des raisons pour lesquelles l'homosexuel doit
être obligé à manipuler ses fantasmes pour pouvoir avancer dans sa cure
psychanalytique.

C) Moments d'apparition des fantasmes homosexuels


René Diatkine avait estimé que les fantaisies homosexuelles apparaissent
dès la période de latence, au moins pour autant qu'on peut le reconstituer dans
la cure psychanalytique des adultes.
Ce thème fut discuté : il est des jeunes garçons qui ont très précocement
un découpage féminin de la réalité ; investis par la mère, ils agissent avec ses
gestes féminins. Tous ne deviennent pourtant pas des homosexuels. Avec
R. Henny, Pierre Male se pose d'ailleurs le problème de la validité des indica-
tions de la psychanalyse chez les adultes qui disent n'avoir fantasmatisé que
des rapports homosexuels.
Pour René Diatkine, le psychiatre d'enfants ne peut pas apporter des
documents décisifs sur cette question : les enfants ne nous livrent que certaines
324 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

de leurs fantaisies masturbatoires et nous ne connaissons pas leurs fantasmes,


en particulier à partir de la période de latence.
Il faut également se méfier des contre-attitudes des psychiatres d'enfants
qui risquent d'être projectifs, certains sujets déclenchant chez eux des réactions
analogues à celles qu'ils ont devant des adultes. D'ailleurs, il est probable
que nous ne voyons pas dans les consultations de psychiatrie infantiles de
futurs homosexuels, qui sont des enfants sages. Nous ne voyons que les cas où
l'homosexualité complique des conduites déséquilibrées.
Ces remarques sont complétées par Pierre Luquet qui souligne que nous
ne voyons pas les enfants qui deviendront homosexuels, car ils se classent
généralement dans la névrose de comportement. On nous conduit parfois des
enfants passifé qui appellent chez l'adulte des contre-mouvements assez ana-
logues à ceux que déterminent les homosexuels mais qui n'évoluent pas forcé-
ment vers l'homosexualité.
D) Homosexualité et socialisation chez l'enfant
J. Mallet : la socialisation suppose l'acceptation préalable de l'homosexua-
lité. Le déplacement énergétique peut se faire alors des tendances agressives
vers des tendances hbidinales puisque celles-ci sont acceptées. Lorsque cette
évolution ne se fait pas, il y a lieu de craindre la délinquance. Une telle évolution
était, selon Freud, la traduction de la sublimation des pulsions homosexuelles.
Plus tard, Freud dira qu'il ne s'agit pas d'une vraie sublimation, mais d'une
inhibition de la pulsion quant à son but.
Grâce à ce processus s'établit un lien permanent entre soi et autrui. Mais
ce lien est moins solide que celui qui serait assuré par la sublimation, car il
n'y a pas de libidinisation.
E) L'homosexualité chez la femme (C. Luquet)
L'homosexualité féminine est généralement considérée comme moins
grave que celle de l'homme. Je me demande si ce jugement est bien exact
et si ce n'est pas celui des hommes qui se trouvent exclus. Son point de départ
est comparable à celui de l'homosexualité masculine ; elle est caractérisée par
la même recherche de réassurance narcissique qui nous conduit à la mère
phallique.
Dans l'éducation et au bout de l'évolution on trouve dans les deux sexes
l'impossibilité d'établir une relation génitale avec l'autre. Les homosexuelles
se privent de leur identification non sexuée, comme le faisait remarquer
Mme Backes, en excluant l'autre sexe ; sous le prétexte d'identification conflic-
tuelle liée aux relations erotiques, les homosexuelles n'excluent pas seulement
le sexe de l'autre, mais la vie de l'autre sexe. L'univers masculin et féminin
(ensemble) n'est pas atteint par les homosexuelles, qui échappent ainsi à un
aspect important de la réalité.
L'homosexualité féminine n'est généralement pas connue à l'occasion
de cures, mais dans le cadre d'un transfert sexuel de patientes femmes sur des
analystes femmes.
La période phallique sur laquelle a insisté Pasche existe aussi chez la femme
homosexuelle, organise son homosexualité. On peut la situer entre la période
anale et ce qui deviendra la période génitale.
Plusieurs variétés peuvent être distinguées :
1° Les homosexuelles actives s'identifient aux hommes et ont une forte
revendication virile. Elles ont été déçues par le père et ont introjecté ce père
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 325

décevant et leur identification peut se caractériser ainsi : « Je n'ai pas eu le


père, j'ai son pénis, je suis son pénis » ;
2° L'identification peut se faire au phallus de la mère et l'homosexualité
est alors plus profondément inscrite dans la structure de la personnalité ;
3° Certaines femmes se présentent comme des hommes homosexuels avec
une érotisation très marquée de leur corps : il s'agit d'un véritable narcissisme
qui n'a rien à voir avec l'érotisation féminine habituelle, mais à propos duquel
on pourrait parler d'une phallicisation du corps tout entier.
Ici on se trouve dans une situation très différente de l'investissement
secondaire, du narcissisme féminin, réinvestissement du corps sans pénis
par rapport au partenaire qui a un pénis, stade qui n'est pas atteint par
l'homosexuelle.
Le noyau psychotique des homosexuelles les défend en fait contre la psy-
chose. La preuve s'en trouve dans un matériel assez spécial recueilli au cours
de psychothérapies chez des femmes névrosées ou psychotiques, se décompen-
sant vers la cinquantaine, et pour lesquelles on doit appliquer des techniques
spéciales de psychothérapie. L'importance des éléments homosexuels dans le
transfert, constitue un véritable appui thérapeutique.
Chez les filles, l'évolution de la relation mère-enfant conduit, comme
chez le garçon, à établir une équivalence enfant-pénis-matière fécale. La mère
prend position par rapport à cette évolution et, dans l'éducation des filles se
situent de véritables moments homosexuels que certaines mères ne peuvent
pas dépasser, ce qui aboutit à exclure l'homme de la vie de la petite fille.
J. Favreau insiste sur l'analité des homosexuelles. Ce sont elles qui repré-
sentent la forme la plus pure de l'homosexualité, fuyant le problème de la
pénétration. Elles tirent de leur perversion des bénéfices plus importants
que les hommes car les zones érogènes sont satisfaites. La décompensation
survient chez elle, lorsque se pose le problème de la pénétration, soit à l'occa-
sion d'essais de rapports hétéro-sexuels, soit lorsque les problèmes anaux
deviennent cruciaux, car les matières fécales peuvent devenir alors une verge
qui pénètre et qu'on perd.
La discussion porta sur la fréquence avec laquelle les femmes homosexuelles
viennent consulter. Plusieurs participants (P. Marty, R. Henny) remarquèrent
que ce sont les partenaires des homosexuelles viriles qui viennent généra-
lement consulter et encore souvent pour des troubles connexes, sans que leurs
tendances lesbiennes soient mises en cause.

HOMOSEXUALITÉ ET PSYCHOSE
I. — Introduction (J. MALLET)
II. — Discussion
I. — J. Mallet fut amené à préciser les rapports entre la projection et la
persécution.
Selon lui, la projection est une dénégation simple selon laquelle l'autre est
homosexuel, tandis que la persécution qui est l'échec de la projectionnie l'exis-
tence de la projection, selon l'expression de Freud « partie de l'intérieur, elle
revient du dehors ».
M. Fain n'admet pas totalement cette position et souligne que la projection
a déjà un côté actif. C'est pourquoi F. Pasche propose de remplacer le terme
« projection » par celui de « transitivisme » et rappelle le rapprochement possible
entre les mécanismes projectifs et phobiques qui peut être compris si l'on
326 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

recourt à la théorie des images ataviques. Le rapport entre la paranoïa et les


mécanismes phobiques est repris par J. Favreau qui, comme Fain, estime que
dans la projection on trouve un souhait d'agression homosexuelle, tandis que
René Diatkine définit la spécificité de la phobie par le mécanisme qui consiste
à localiser sur le même objet l'agression et la projection.
II. — Le noyau de l'homosexuel ne peut être assimilé, selon Pierre Luquet
dans tous les cas, à celui qui fut décrit par Mallet à propos de la paranoïa :
chez l'homosexuel psychotique le « Moi » est pré-génital. Les mécanismes qui
fonctionnent sont élémentaires et de niveau oral. L'identification défensive se
fait sur un mode très différent de l'introjection structurante du névrosé. La
relation avec la mère y est symbiotique et non identificatoire. Avec le père,
la libidinisation de l'agressivité s'observe à tous les niveaux. Chez ces sujets,
le passage à l'acte a une signification particulière : celle d'un court-circuit qui
permet la décharge pour échapper aux fantasmes.
Chez l'homosexuel, le niveau de régression est variable. Si l'on peut se
ranger à l'avis de F. Pasche suivant lequel la régression du psychotique ne
dépasse pas que le stade phallique, il n'en est pas de même, selon Pierre Luquet,
en cas d'homosexualité psychotique. Il est ainsi impossible d'exclure l'univers
maternel qui peut être dissimulé derrière les problèmes fraternels évoqués
par Mallet. Le frère n'est-il pas ici le fantasme réalisé d'un phallus maternel ?
Cette position de P. Luquet est critiquée par F. Pasche. L'inscription dans
l'homosexualité psychotique d'un conflit maternel initial primitif, comporte
des inconvénients car elle amène à confondre toutes les structures psychotiques.
D'ailleurs les fantasmes d'identification fusionnelle sur lesquels Luquet
insista, n'ont peut-être pas une valeur historique. De toute façon, la nécessité
de positions nosographiques s'impose. Elle spécifie l'homosexualité du para-
noïaque. D'ailleurs, comme on le sait, certains homosexuels pratiquants
peuvent être paranoïaques et les homosexuels féminoïdes ont souvent une
attitude paranoïaque.
A F. Pasche qui rappelait à ce sujet la pensée freudienne distinguant l'his-
toricité vécue et l'historicité vraie, René Diatkine propose comme hypothèse
que le problème de l'historicité vécue ne peut être jugé qu'au nom dé l'utilité
thérapeutique que l'on en peut tirer. Si la position nosographique est intéres-
sante en matière de classification, on se trouve dans une position très différente
devant un malade qu'on analyse. D'ailleurs, le texte de Freud évoquant les
rapports de l'homosexualité et de la paranoïa est essentiellement celui qui fut
consacré à l'analyse des documents du président Schreber. En fait, quand nous
nous trouvons devant un malade dont l'attitude paranoïaque semble due à
une jalousie fraternelle, nous avons à nous demander ce que ce personnage
fraternel signifie dans la position analytique. Il ne s'agit pas d'expliquer le
matériel en évoquant l'historicité vécue du frère ou de la mère. Nous avons à
savoir ce que le patient dit, ce qu'il ne dit pas, ce qu'il veut obtenir et ce qu'il
n'obtient pas. Ceux qui ont un père et une mère sont, même lorsqu'ils ont deux
ans, des « adultes » parce qu'ils ont vécu un drame oedipien où ils ont voulu
être « comme » et « avoir » les avantages des personnages du même sexe, en
même temps qu'ils ont voulu prendre leur place, avec la peur que cela a déter-
minée chez eux. Aussi bien lorsqu'un patient parle d'un de ses parents, on doit
se demander plutôt pourquoi il ne parle pas de l'autre. A plus forte raison en
est-il ainsi lorsqu'il parle d'un frère au lieu de parler du parent.
Au cours de cette discussion, J. Rouart nota que la régression pré-génitale
est difficile à appréhender chez le paranoïaque, parce que les délirants ont une
structuration tardive qui contraste avec l'oedipification précoce et efficace du
névrosé.
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 327

HOMOSEXUALITÉ ET MÉDECINE SOMATIQUE


(Pierre MARTY)
L'absence de vie fantasmatique chez les malades du registre psycho-
somatique explique la rareté de la référence homosexuelle. Mallet a parlé de
« reduplication » de l'objet du paranoïaque. Je reprendrai volontiers ce mot en
médecine psychosomatique car la reduplication projective caractérise le
monde de certains malades que nous y observons. Ils y.trouvent le sentiment
de leur existence, car ils veulent quelque chose (« comme eux », et non quelque
chose de « plus qu'eux » comme les paranoïaques).
Mais on se trouve ici dans une situation très différente de celle qui fut
décrite dans le cadre du narcissisme phallique. On peut à peine parler d'homo-
sexualité ; la pensée opératoire est uniquement liée à l'action et tout infiltrée
de mécanismes secondaires où ne pénètre pas le fantasme, ce dernier exerce
des ravages somatiques. La symptomatologie somatique se manifeste en outre
lorsque la pression sociale impose à ces malades l'image de l'autre différent
d'eux, ils s'en séparent alors. Il en est peut-être autrement chez les grands
allergiques où la vie fantasmatique est au contraire très riche. Mais il y a ici
totale indifférentiation sexuelle. Il s'agit ici d'une relation fusionnelle à l'autre,
où l'objet n'est plus traumatisant. Tout se passe comme si les allergiques
avaient des possibilités homosexuelles sans conflit.
Dans la discussion qui suivit ces propositions, Michel Fain tenta de pré-
ciser le concept de reduplication projective qui ne doit pas évoquer le mythe
de Narcisse, car il s'agit essentiellement d'un aspect fonctionnel de la relation.

PROBLÈMES TECHNIQUES
POSÉS PAR LA CURE PSYCHANALYTIQUE
CHEZ LES HOMOSEXUELS
Introduction par J. FAVREAU

Plutôt que de tenter de spécifier des techniques particulières qui s'appli-


queraient à diverses variétés d'homosexualité, suivant le degré et les moda-
lités du désir, suivant l'intensité de l'érotisation et suivant l'utilisation très
différente de l'homosexualité, je considérerai d'une manière un peu artificielle
sans doute que l'homosexualité est une et que ce n'est pas elle qui fait la gra-
vité des cas que nous avons à traiter et qui s'expriment en fait dans leur struc-
ture spécifique.
Ainsi n'avons-nous pas à traiter l'homosexualité mais la souffrance ou la
peur qu'elle soulève. Nous n'avons pas à prétendre changer l'homosexuel,
mais nous avons à renforcer son Moi et, par là, lui permettre peut-être d'investir
le sexe opposé. Toutefois, nous ne devons pas nous satisfaire de transformations
qui sont parfois rapides et qui ne sont faites que de la névrose de transfert
et des résistances qu'elle détermine. Parce que l'homosexuel a souvent peur
de nous, il bâcle son identification et risque de devenir hétérosexuel tout en
restant gravement névrosé.
A ce point de vue, comme Bouvet le fit remarquer dans son travail sur l'uti-
lité de la position homosexuelle phallique dans le traitement de la névrose
obsessionnelle, l'homosexualité reconnue est souvent une arme thérapeutique
pour l'analyste, bien plutôt qu'une gêne.
L'analyse amène l'homosexuel à posséder un Moi fort, lorsque le travail
328 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

sur sa peur de castration a été suffisamment avancé, pour accepter avec plaisir
sa passivité devant le pénis paternel, pour éviter de souffrir de la pénétration
du phallus maternel.
Cet aspect des choses doit aussi nous rendre circonspects sur l'évolution
de cures qui s'arrêteraient à une pseudo-acceptation de l'homosexualité.
Les problèmes du contre-transfert doivent être étudiés en premier lieu lors-
qu'on étudie les problèmes techniques de la cure psychanalytique des homo-
sexuels. Celle-ci est réputée, en effet, comme difficile.
I. — Les difficultés contre-transférentielles reflètent la crainte que nous
éprouvons généralement vis-à-vis de l'homosexualité. Analystes, nous pouvons
espérer être conscients de notre homosexualité, mais les éléments inconscients
de notre homosexualité peuvent continuer à agir, ce qui risque de nous amener
à deux positions dangereuses :
— soit le rejet du patient qui ressent comme agression les blessures narcis-
siques ;
— soit, tout aussi dangereux, le désir de le guérir, qui fait que nous considé-
rons malheureusement l'homosexualité comme une maladie.
II. — Dans d'autres cas, nos positions contre-transférentielles sont dues
à nos tendances inconscientes à nous identifier à nos patients homosexuels et à
leur plaisir. Ici nous favorisons l'acting-out, nous maintenons nos malades dans
leurs positions comme le font souvent les parents qui favorisent inconsciem-
ment l'homosexualité de leurs enfants.
III. — La passivité des patients homosexuels risque de provoquer chez
l'analyste les réactions du démiurge que Pasche a individualisées. Elle ne doit
pas être plus refoulée que nos contre-attitudes passives qui nous protègent
contre les positions actives de nos patients.
IV. — Nous avons trop tendance à ne pas considérer l'érotisme anal dans
sa spécificité, à l'articuler dans le cadre des manifestations sado-masochistes
du comportement. De fait, il existe parfois une frigidité anorectale qui
conduit les sujets qui en sont victimes à éprouver du plaisir à la séduction ou
à la souffrance.
Cette position est très isolée dans le cadre du contre-transfert et l'analyste
y échappe souvent en négligeant l'érotisme anal pour centrer son travail autour
de la manipulation des matières fécales.
V. — Les contre-attitudes nuisibles de l'analyste peuvent être déclenchées
par l'agressivité perverse et nuancée de l'homosexuel. On peut poser à titre
de règle générale que l'attitude contre-transférentielle adéquate est celle de la
sérénité avec laquelle l'analyste supporte les fixations érogènes évoquées à propos
de certaines zones.
De cette étude du contre-transfert résultent quelques règles techniques
qui doivent s'appliquer dès la première entrevue avec les homosexuels : les
analystes ont souvent tendance à les rejeter et à essayer de les convaincre qu'ils
ne doivent pas se faire traiter. Il faut en tout cas chercher à éviter toute atti-
tude qui leur donnerait l'idée que l'on veut modifier leur homosexualité.
On serait tenté de mettre en avant les indications de la cure qui sont liées à
leur peur ou à des phobies dont ils souffrent. De même l'évolution de la cure
n'impose pas, du moins dans les cas particuliers, de règles particulières, mais
elle comporte des temps difficiles qui peuvent être schématisés de la manière
suivante :
1° Parce qu'il est nécessaire de prendre grand soin de mettre en évidence
les éléments oedipiens dès le début de la cure, on peut avoir du mal à le faire,
d'une part parce qu'ils sont particulièrement incertains, comme on l'a vu au
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 329

cours de la discussion théorique ; d'autre part, parce que l'homosexuel a sou-


vent vécu avec sa mère seule. L'absence du père rend difficile la référence
oedipienne.
2° L'homosexualité latente est généralement mal supportée lorsqu'elle
s'exprime dans le transfert avec un analyste homme. L'homosexuel pratiquant
est, ici, plus à l'aise car il ressent le désir. Mais le désir de pénétration anale
peut devenir en lui-même mode de résistance ou il peut être une cause de
rupture du traitement.
3° Dans ces cas, lorsqu'on a affaire à des patients qui n'ont pas été élevés
par leur père, la situation thérapeutique est caractérisée par un investissement
massif qui dépasse de beaucoup les qualités d'un transfert souple et conduit
à une relation difficile à manier.
4° La relation avec le père peut être analysée dans un double sens suivant
les cas : chez certains malades c'est une position oedipienne franche qui s'ana-
lyse sous l'angle de la peur de la castration ; chez d'autres sujets, on se trouve
en présence de positions passives immédiates, très difficiles à maîtriser et exi-
geant une grande patience lorsqu'on veut utiliser le matériel anal.
5° C'est en effet ici le temps essentiel et le plus difficile de la cure au point
de vue technique. La longue et patiente analyse de la relation erotique anale
avec le père doit conduire à l'analyse de la crainte de pénétration par la mère.
Mais ce thème ne peut être abordé que si la relation oedipienne au père a été
travaillée suffisamment et que si le patient a pris pleinement conscience du désir
d'être pénétré.
A ce stade, les interprétations ne doivent pas être trop précoces et le patient
doit reconnaître son désir d'être pénétré par le père, en même temps qu'il doit
élaborer son désir d'avoir un enfant du père, comme l'a montré F. Pasche.
Il lui serait trop facile de se défendre par l'idée que ce fantasme est irréalisable,
ce qui le conduirait à passer trop vite au transfert maternel. Le fantasme de
pénétration par la mère doit d'abord être interprété comme une défense. Et
c'est lorsque le désir de pénétration anale par le père a été solidement reconnu
et travaillé qu'on peut commencer à déceler des intérêts pour la manipulation
des matières fécales. C'est la seule manière de rapprocher le désir d'être pénétré
par le père et la conception fécale du phallus féminin : à ce moment et au sens
strict du terme, l'homosexuel devient hétérosexuel puisqu'il désire être pénétré
par une femme. A ce stade-là, l'analyse de l'oralité passive devient nécessaire,
mais on assiste souvent à des restructurations de la relation anale avec l'analyste,
en transfert paternel. C'est au cours de ces oscillations que l'introjection anale
de la pulsion homosexuelle passive peut être considérée comme structurante.
Tout au cours de cette longue phase oscillante qui conduit de l'introjection
anale du pénis paternel à la peur d'être pénétré par le phallus maternel,
l'homosexuel doit s'identifier finalement à la femme au cours du rapport
sexuel et analyser son inquiétude de ressentir pleinement le désir de la
femme pénétrée.

DISCUSSION
I. Importance de l'analyse des positions oedipiennes chez les homosexuels. —
Elles furent reconnues par tous ceux qui participèrent à la discussion qui
montra les oscillations entre les positions oedipiennes trop facilement reconnues
au début de l'analyse, parfois liées à une inhibition de l'érotisme anal (selon
Michel Fain), et les restructurations oedipiennes tardives qui conduisent à une
identification solide au père.
REV. FR. PSYCHANAL. 22
330 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

II. Problèmes techniques particuliers posés par les homosexualités à noyau


psychotique(P. Luquet). — Dans ces cas, les homosexuels se considèrent comme
repoussés du monde objectai où nous vivons. Ils ne peuvent introjecter qu'un
objet partiel, seul lien au monde extérieur, grâce à quoi ils peuvent se modi-
fier. Ils vivent souvent en groupe et constituent des cercles très proches du
gang : ils se satisfont d'une pseudo-virilité qui appelle les attitudes confrè-
rejetantes de l'analyste.
Précisément, le psychanalyste doit saisir en quelque sorte une position
contre-transférentielle permissive qui permette à l'homosexualité de jouer le
rôle de lien avec le monde extérieur. C'est ultérieurement qu'on pourrait
montrer l'intérêt d'éviter l'homosexualité, ce qui permettrait au malade d'en-
visager qu'il a le droit d'avoir des relations plus extensives.
Avant d'arriver à ce stade, il faut patiemment montrer à ces sujets comment
leur exclusion de la relation objectale différenciée est en fait significative.
L'analyse de l'érotisme anal est ici totalement insuffisante, il faudra en revenir
à celle de l'investissementphallique de la mère prégénitale.
III. La valeur structurante de la pulsion homosexuelle introjectée analement
fut soulignée par Michel Fain qui montra comment la relation homosexuelle
avec le père peut être très séparée du désir de pénétration anale par la mère.
C'est seulement chez les sujets qui ne sont pas homosexuels que l'on peut
observer la coïncidence de cette pulsion sur un objet qui est à la fois père et
mère. C'est dire aussi l'importance de l'aspect fantasmatique de la relation
homosexuelle contre laquelle se défendent, en fait, les homosexuels pratiquants.
L'importance de Pintrojection anale est donc un moment décisif de l'or-
ganisation fantasmatique au cours du traitement des homosexuels.
IV. Les interdictions des pratiques homosexuelles dans la cure de l'homosexualité.
— Au cours des discussions du séminaire, diverses positions s'affrontèrent
à ce sujet. Certains estimèrent que, dans quelques cas précis, il y a lieu de
conseiller aux patients de s'abstenir de pratiques homosexuelles. C'est le
cas de Francis Pasche qui estime que ce conseil s'impose, pour des raisons
économiques ; il évite l'hémorragie libidinale qui conduit l'homosexuel à
désinvestir la relation thérapeutique. Satisfaction homosexuelle aboutissant
à un assouvissement instinctuel, son interdiction reconstitue la névrose et
permet l'organisation de la névrose de transfert. L'interdiction est essentiel-
lement opportune lorsque la pratique homosexuelle permet des satisfactions
masochiques morales, sans que celles-ci conduisent à la désapprobation de
l'homosexualité.
Une position analogue fut soutenue par Pierre Marty qui montra combien
le passage dans le comportement interdit l'organisation des fantasmes et gêne
la psychanalyse. Il cita le cas d'un patient homosexuel latent qui passa à l'acte
et qui ne progressa dès lors plus dans sa cure. Tout naturellement, la question
d'un choix entre la poursuite de l'analyse et celle de la conduite homosexuelle
s'imposa.
Pierre Mâle estime également que le comportement homosexuel auto-
punitif de ceux qui se livrent à des pratiques masturbatoires dans les urinoirs
constitue une manifestation masochique qui tourne en rond et qu'elle ne peut
être dépassée que par l'interdiction formulée par l'analyste, seule manière
de lever la castration intellectuelle qui s'observe dans de tels cas.
Ces arguments furent combattus par d'autres participants.
Il en fut ainsi de S. Nacht selon lequel l'homosexualité, qui est une réalité
bio-psychologique, impose une attitude permissive du psychanalyste. Le sujet
agit comme s'il savait que l'homosexualité fait partie de lui-même. Cette posi-
tion est conflictuelle puisqu'il ne peut pas lutter contre elle. Il en résulte que
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 331

l'attitude permissive du psychanalyste donne un point d'appui au patient et


sa présence lui permet de faire face à sa bi-sexualité.
De même, René Diatkine, remarquant que l'homosexuel suppose que son
analyste n'est pas homosexuel, suppose en même temps qu'il l'attire vers les
pratiques homosexuelles. Dans cette perspective, la permission de réaliser
l'homosexualité est, en fait, une frustration.
Ce point de vue fut également soutenu par Viderman, selon lequel la psy-
chanalyse est par elle-même une interdiction implicite qu'il ne convient pas
de confirmer dans les faits.
Jean Favreau qui estime que l'homosexuel n'est jamais convaincu de l'hé-
térosexualité de son thérapeute, n'est pas partisan de l'interdiction des pratiques
homosexuelles. Il accepterait plutôt, à la rigueur, les interdictions du type de
celles qu'imposait Ferenczi à certains de ses patients à propos de leur fonc-
tionnement urétral ou anal. Il remarque qu'on serait parfois tenté d'interdire
la pratique homosexuelle lorsque l'homosexuel tente de se l'interdire à lui-
même et qu'il a l'impression que le psychanalyste le pousse au contraire à
l'accepter. Il estime qu'en n'interdisant pas la pratique homosexuelle, il garde
le bénéfice de pouvoir montrer les déplacements latéraux qui s'aperçoivent
si fréquemment dans les passages à l'acte.
V. Le contre-transfert dans le traitement des homosexuels par les analystes-
femmes (discussion entre J. Favreau et C. Luquet). — Chez l'analyste du sexe
féminin (J. Favreau) l'investissement vaginal ne suffit pas, car la thérapeute
doit pouvoir, en outre, le vivre sur le plan anal et oral, Dans ces conditions,
un contre-transfert équilibré permet à l'analyste-femme de ne pas craindre
l'homosexuel, de le voir avec intérêt et curiosité. Cette position équanime
risque de provoquer l'homosexuel à une agressivité qui s'exerce souvent de
façon maligne. L'agressivité conduit l'analyste-femme à aller trop vite dans
l'étude des positions pré-génitales. Il vaudrait mieux qu'elle valorise longue-
ment les éléments oedipiens qui sont généralement concentrés dans le transfert
latéral sur le partenaire masculin de l'analyste.
L'analité, dans les cas de transfert-contre-transfert bien équilibré, peut
être abordée sans crainte par la psychanalyste. Elle doit cependant éviter que
sa passivité ne l'amène à traiter son patient en nourrisson. Elle a généralement
plus de facilité à manier les matières fécales et les fantasmes de matières fécales
que l'homme. Par contre, la difficulté de l'analyste-femme est de manier les
fèces comme un pénis fécal.
Évoquant les travaux de C. Luquet sur le transfert homosexuel paternel
que certains patients font sur les analystes-femmes, J. Favreau émet quelques
doutes sur son existence, mais pense que l'utilisation d'éléments de ce
genre permet à l'analyste-femme d'éviter de passer trop vite en transfert
maternel.
Tel n'est pas l'avis de C. Luquet qui estime que le transfert des patients
du sexe masculin sur l'analyste du sexe féminin peut être authentiquement
paternel. Elle estime en même temps qu'il existe des difficultés contre-trans-
férentielles spécifiques à la femme qui doit traiter un homosexuel ; elle ne
peut pas s'identifier dans une relation entre deux hommes. Il lui faut exercer
une gymnastique identificatoire qui n'est possible que si elle est capable de
renoncer à sa revendication féminine et maternelle. Il lui faut éviter de se
réintroduire comme femme sous la forme de bonne mère ; il lui faut supporter
la projection d'une image valide. Mais le transfert homosexuel paternel risque
de ne pas tenir à cause de la réalité de la personne de l'analyste.
S. L.

REV. FR. PSYCHANAL. 22*


332 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 2-1964

STATISTIQUES
(arrêtées au 31-12-1963)
Conférences d'introduction 31
Étudiants à l'Institut (il s'agit des étudiants ayant été admis à commencer
leurs contrôles)

62-63)
22
Étudiants à l'Institut « ancien régime » (c'est-à-dire n'ayant pas encore
commencé leurs contrôles et ayant été inscrits à l'Institut avant l'année
scolaire 11
Personnes ayant suivi les conférences d'introduction en 62-63 et ne
suivant aucune activité actuellement 11
Auditeurs étrangers 2
Stagiaires (1) :
— en contrôles : 57
— ayant terminé leurs contrôles (cette statistique ne donne pas le
résultat qualitatif) 61
— n'ayant pas encore satisfait à l'exigence de deux contrôles 9
— « ancien régime » n'ayant pas été autorisés à commencer leurs
contrôles 14
Groupe de Lyon 5
Membres adhérents 38
Membres titulaires 30

CANDIDATURES PRÉSENTÉES A LA COMMISSION DE L'ENSEIGNEMENT


(du 1-1-1963 au 31-12-1963)

1. Candidatures à la formation psychanalytique :


a) Absence de contre-indications actuelles :
Hommes' 9
Femmes 12
Médecins 16
(dont psychiatres) 10
Psychologues 5
Autres -
b) Pas d'inconvénients, conseil d'analyse personnelle avant décision définitive :
Hommes 13
Femmes 8
Médecins 17
(dont psychiatres) 12
Psychologues 4
Autres -
(1) Les stagiaires sont les personnes ayant suivi trois années d'enseignement à l'Institut.
INSTITUT DE PSYCHANALYSE 333

c) Contre-indications :
Hommes 24
Femmes 20
Médecins 32
(dont psychiatres) 21
Psychologues 6
Autres 6
Analyses commencées pendant cette période (chiffres donnés sous
toute réserve, la mise à jour des listes des candidats ayant commencé une
psychanalyse s'effectuant une fois par an). 9 analyses commencées
+ 2 homologations.
2. Candidatures aux cures contrôlées :
Acceptées Refusées

Médecins 19 9
Non-médecins 6 4
3. Candidatures au titre de membre adhérent :
Commission de l'Enseignement Société Psa de Paris
Acceptées Refusées Acceptées Refusées

Médecins 2 - 1 1

BIBLIOTHÈQUE

SERVICE DE PRESSE
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Books, 1961, 594 p.
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Universitaires de France, 1962, 220 p.
ANDERSSON (Ola). — Studies in the Prehistory of Psychoanalysis. The Etiology of
Psychoneuroses and some Related Themes in S. Freud's Scientific Writings
and Letters 1886-1896, University books, Scandinavie, 237 p.
L'Année psychologique, 1961, fasc. 2, Paris, Presses Universitaires de France,
1962, 641 p.
L'Année psychologique, 1962, fasc. 1, Paris, Presses Universitaires de France,
1962, 342 p.
L'Année psychologique, 1962, fasc. 2, Paris, Presses Universitaires de France,
1962, 700 p.
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1963, 287 p.
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Buchform und Anthologien erschienenen übersetzungen, 1945-1960/1961,
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BERGES (J.) et LÉZINE (I.), Test d'initiation de gestes, techniques d'exploration du
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LAUF (Jean), Essais vers une psychothérapie à double courant, Toulouse, 1962.
COMMUNIQUÉS

Le XIIIe Congrès de la Société internationale de Logopédie et de Pho-


niatrie aura lieu à Vienne, du 23 au 29 août 1965. Il sera organisé par l'Académie
viennoise de Culture médicale.
PROGRAMME
1. Le diagnostic différentiel des troubles infantiles du langage.
2. La thérapie du bégaiement (1re partie).
3. La thérapie du bégaiement, notamment aux Etats-Unis (2e partie).
4. L'aspect neuro-psychiatrique de la dysphonie spastique.
5. Les recherches expérimentales sur la dysphonie spastique.
Toutes demandes doivent être adressées à : Tagungssekretariat der Wiener
Medizinischen Akademie, Alserstrasse 4, Wien 9 (Frau M. A. Jörg).
Les langues officielles du Congrès seront l'allemand, l'anglais et le français.

Le Ve Congrès international de Criminologie aura lieu à Montréal, du


29 août au 3 septembre 1965.

SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS


Le Dr BARANDE R., 4, rue Marbeuf (8e), ÉLY. 76-36,
Le Dr GREEN A., 6, rue du Val-de-Grâce, Paris (5e), DAN. 60-56,
Le Dr MISÉS R., 21, rue Barbet-de-Jouy, Paris (7e), INV. 33-62,
Psychanalytique .Paris
ont été élus membres titulaires de la Société de au
cours de la séance administrative du mardi 19 novembre 1963.
Mme le Dr LUBTCHANSKY J., 7, rue de Verneuil, Paris (7e), BAB. 33-66,
a été élue membre adhérent de la Société Psychanalytique de Paris au cours
de la séance administrative du mardi 17 décembre 1963.
Dr René DIATKINE,
Secrétaire de la Société.

NÉCROLOGIE
Nous avons le regret d'annoncer la nouvelle qui nous a été communiquée
de la mort de Félix Deutsch de la Boston Psychoanalytic Society and Instilute,
survenue le 2 janvier 1964.

PRIX MAURICE-BOUVET
— Le Prix Maurice-Bouvet 1964 a été attribué à Mlle Anne Berman
pour l'ensemble de ses traductions des oeuvres de Sigmund Freud.

Le gérant : Maurice BÉNASSY.


1964. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)
EDIT. N° 27 970 Dépôt légal : 3-1964 IMP. N° 18 405
IMPRIMÉ EN FRANCE
In memoriam

DAVID RAPAPORT (1911-1960)


d'après MERTON M. GILL (1)

De santé fragile depuis l'enfance, David Rapaport est mort subitement


le 14 décembre 1960. Ce fut un choc douloureux pour sa famille, ses amis,
la communauté psychanalytique et les psychologues du monde entier. Son
travail est si important qu'on ne peut le résumer dans les limites étroites
d'un article nécrologique.
Né en Hongrie, en 1911, d'une famillejuive citadine de classe moyenne,
il se montra précoce tant sur le plan intellectuel que sur le plan social.
Avant vingt ans, il était le leader d'un mouvement sioniste de gauche et
un orateur politique accompli. Après avoir poursuivi pendant quatre ans,
à l'Université de Budapest, des études de mathématiques et de physique,
il rejoignit le kibboutz de son groupe en Palestine où il vécut deux ans.
Renvoyé en Hongrie pour y reprendre la direction du mouvement de
jeunesse, il s'y fit psychanalyser de 1935 à 1938 et obtint son doctorat de
psychologie de l' Université royale hongroise.
En 1938 il émigra aux États-Unis et travailla pendant une courte
période à l'hôpital Mont-Sinaï à New York, puis à l'Osawatomie State
Hospital au Kansas, pour se fixer finalement en 1940, à la Menninger
Clinic.
Là, grâce à ses dons et à la perspicacité des dirigeants de la clinique,
il s'éleva rapidement dans l'organisation, devenant d'abord psychologue
principal puis directeur du Département de la Recherche.
En 1948 il quitta la Menninger Clinicpour aller travailler, jusqu'à sa
mort, à l'Austen Riggs Center, à Stockbridge (Massachusetts). Il laisse sa
femme, le Dr Elvira Strasser Rapaport, mathématicienne, et deux filles.
Spécialisé dans la psychologie clinique, David Rapaport n'a jamais

(1) Article publié intégralementdans le Journal de l'American Psychoanalytic Association,


vol. 9, 4 octobre 1961, pp. 755-759, sous le titre : « In Memoriam : David Rapaport, 1911-1960. »
REV. FR. PSYCHANAL. 23
342 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

pratiqué la psychanalyse ; mais il a toujours gardé le contact avec les


données cliniques. En 1949, dans le but d'étudier l'organisation de leur
pensée, il entreprit une tâche thérapeutique avec quelques malades schizo-
phrènes et borderline. Il écrivit dans l'un des comptes rendus de son travail
que le « fil rouge » de sa vie intellectuelle était son intérêt pour les processus
de la pensée, et, en particulier, pour la progression de celle-ci depuis l'au-
tisme du petit enfant jusqu'à la pensée de l'adulte orientée vers l'adaptation
à la société et au réel. Sa thèse de doctorat portait sur l'histoire du concept
d'association, de Bacon à Kant.
S'orientant bientôt vers l'exploration psychologique par la méthode
des tests, il créa un ensemble d'épreuves qu'il apprit à interpréter à la
lumière des vues « en profondeur » et de la théoriepsychanalytique. Convaincu
que cette dernière éclairait le mieux les processus de la pensée, il jugeait
cependant qu'elle manquait d'une systématisation critique et il consacra
une grande part de sa vie professionnelle à la tâche de combler cette lacune.
Dès 1942 il publia une étude intitulée : Émotions et mémoire, dans laquelle
il estimait n'avoir pas assez tenu compte de la psychologie du Moi. En 1945
il résuma ses investigations par la méthode des tests dans : Diagnostic
psychologique par les tests, fort intéressant par la lumière qu'il projette
sur les processus de la pensée. A Riggs, en 1951, il termina : Organisation
et pathologie de la pensée, un livre merveilleux de références commentées
et une série d'études sur le modèle de base, la pensée, l'affect, la psychologie
du Moi, le développement, la motivation et une étude générale : La struc-
ture de la théorie psychanalytique : essai de systématisation. Vers 1957,
il entreprit une série d'expériences destinées à mettre à l'épreuve sa théorie
de l'investissement de l'attention en tant que fondement d'une théorie
psychanalytique de l'apprentissage. Enfin, sans faire un catalogue de ses
publications, il faut signaler ses importantes traductions de Fenichel,
Schilder et Hartmann.
Rapaport exerça une puissante influence sur ses contemporains, tendant
à faire des psychologues non plus seulement des techniciens mais des clini-
ciens. Il a été le fondateur et le premier secrétaire de la Section de Psycholo-
gie clinique et pathologique de /'American Psychological Association.
Conférencier remarquable et passionné, il se produisit fréquemment dans
les Instituts de Psychanalyse des Etats- Unis. La plupart des textes de ces
conférences ne sont pas encore publiés. Sa correspondance volumineuse
comprend des échanges avec les principaux penseurs psychanalytiques de
notre temps.
A ses étudiants, avec lesquels il partageait généreusement ses connais-
sances, il enseignait sans relâche le sens de la discipline, du travail acharné
DAVID RAPAPORT 343

et de la précision de la pensée. Son but principal fut défaire de la psycha-


nalyse une psychologie générale, pouvant intégrer la psychologie du Moi
et la psychologie sociale tout en préservant les premières et révolutionnaires
découvertes de Freud sur la psychologie du Ça. Il fut sans aucun doute le
principal interprète de la théorie générale de la psychanalyse auprès des
psychologues. Mais comme tous ceux qui sont à cheval sur deux disciplines,
il ne fut accepté pleinement par aucune d'elles, quoiqu'il fut membre libre
de plusieurs sociétés psychanalytiques et en particulier de l'Association
psychanalytique internationale. Pour être juste, ajoutons que Rapaport
n' « acceptait » pas les organisations trop strictes de la psychanalyse ou de la
psychologie.
Son caractère même était fait de contrastes comme ses livres qui malgré
leur clarté doivent être étudiés plutôt que lus, comme son rôle de sage conseil-
ler et son acceptation de la critique d'un humble débutant. Luttant avec
tous ceux qui refusent une tyrannie, il ne méprisait que la malhonnêteté
intellectuelle et l'insensibilité émotionnelle.
David Rapaport sentait le poids de son énorme dette envers le passé,
de son énorme responsabilité envers le futur.
Il a travaillé pour payer sa dette et répondre à cette exigence, à sa
place dans la chaîne des générations. Il n'était pas religieux, cependant
il était profondément attaché à la culture juive.
Zichrono l'vrocho : Que sa mémoire soit bénie.
MÉMOIRES ORIGINAUX

La théorie
de l'autonomie du moi :
généralisation(1)
par DAVID RAPAPORT, docteur en philosophie (2)

Mon intention est de remettre au point le résumé de la théorie de


l'autonomie que j'ai présentée en 1950 [61]. Cette tentative nous intro-
duit inévitablement dans des régions théoriquement peu explorées où
je ne peux faire plus qu'identifier les problèmes et signaler des solutions
possibles.
Pour ouvrir le débat, j'opposerai la conception berkeleyenne de
l'homme à la conception cartésienne. Dans la conception berkeleyenne,
le monde extérieur est créé par l'imagination humaine. Dans cette
perspective solipsiste, l'homme est totalement indépendant de l'envi-
ronnement et totalement dépendant des forces et des images qui résident
en lui : il lui est impossible d'envisager un monde externe indépendant
de ces forces intérieures. En retour, il n'a pas à s'accorder avec le monde
extérieur : puisque ce monde est créé par des forces inhérentes à
l'homme, l'homme est a priori en harmonie avec lui. Dans le monde
cartésien d'autre part, l'homme naît, ardoise vierge sur laquelle s'inscrit
l'expérience. Ni forces ni images n'existent en l'homme sinon celles
qu'engendrent les prises de contact avec le monde extérieur. Dans
cet univers, l'homme est totalement dépendant du monde extérieur et
en harmonie avec lui. En retour, il est totalement indépendant, — c'est-à-

(1) Présenté à l'Institut de Psychanalyse de Topeka, le 11 décembre 1956. Cet articles'appuie


sur les concepts d'autonomie primaire et secondaire présentés par Heinz Hartmann, sur le
point de vue psychologique présenté par Erik Erikson et sur les considérations théoriques non
publiées de Merton Gill concernant l'hypnose. Les références spécifiques à ces auteurs ne reflè-
tent pas assez combien cet article leur doit. Traduit par Françoise Nozet.
(2) Centre Austen Riggs, Stockbridge, Massachusetts.
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 345

dire autonome, — de ces forces internes qui n'existent pas dans cette
conception (1).
L'observation ne confirme ni l'une ni l'autre de ces thèses. Elle
montre que si la conduite de l'homme est déterminée par les forces
pulsionnelles qui ont leur origine en lui, il n'est pas totalement à leur
merci puisqu'il a une certaine indépendance à leur égard. Nous rappor-
tons cette indépendance à l'autonomie du Moi à l'égard du Ça (2).
L'observation la plus commune imposant cette conception est le
fait de la responsabilité de la conduite et de son rapport avec la réalité
externe. Mais cette dépendance de la conduite à l'égard du monde
extérieur et de l'expérience n'est pas complète non plus. Non seulement
l'homme peut interposer délai et réflexion entre son action et ses pulsions
instinctuelles, modifiant, voire même différant indéfiniment la décharge
pulsionnelle, mais il peut, de la même manière, modifier et différer
sa réaction à la stimulation extérieure. Nous rapporterons cette indépen-
dance de la conduite à l'égard de la stimulation externe à l'autonomie
du Moi à l'égard de la réalité externe (3). Puisque le Moi n'est jamais
complètement indépendant ni du Ça, ni de la réalité externe, nous
parlerons toujours d'autonomie relative.

I
Ma précédente discussion de l'autonomie était centrée sur l'indé-
pendance relative de la conduite à l'égard des pulsions internes. La
grande découverte de la psychanalyse fut celle de l'existence de ces
forces inconscientes. Il fallut un certain temps pour prendre conscience

(1) Cette esquisse des théories de Berkeleyet de Descartesest simplifiée à l'excès. Ni l'une ni
l'autre ne correspond réellement à cette interprétation forcée. Dans le système de DESCARTES
par exemple (voir ses Passions de l'âme), les forces internes (les passions) sont conçues en parti-
culier comme des interférences avec le fonctionnement ordonné du mécanisme d'association
véridique.
(2) Cette conception a été formulée par HARTMANN [29-31]. Ses racines remontent cependant
à la thèse freudienne du processus secondaire dans le septième chapitre de The Interpretation of
Dreams (L'interprétation des rêves) [rs], dans Formulations Regarding the two Principles in
Mental Functioning (Considérationsrelatives aux deux principes du fonctionnementmental) [17],
et The Problem of Anxiety (Le problème de l'anxiété) [23].
(3) Bien que les réactions de la psychanalyse aux théories des culturalistes (Horney, Sulli-
van, etc.), impliquent une idée de cette nature, celle-ci n'a pas été jusqu'ici explicitementfor-
mulée. Noter cependant HARTMANN [32] : « Une fois que le Moi a accumulé un réservoir d'énergie
neutralisée qui lui est propre, il développera — en interaction avec le monde du dehors et le
monde du dedans — des visées et des fonctions dont la cathexis peut dériver, ce qui signifie
qu'ils ne dépendent pas toujours nécessairement de neutralisationsad hoc. Cela donne au moi une
indépendance relative à l'égard de l'extérieur immédiat ou de la pression intérieure, fait qu'on a
l'habitude de considérer (bien que ce ne soit pas courant dans cette terminologie) comme une
tendance générale du développement humain » (souligné par nous, D. R.).
346 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

du fait que cette découverte ne nous contraint pas à adopter une théorie
solipsiste selon laquelle une cheminée est primitivement un symbole
phallique et en second heu seulement le moyen de faire sortir la fumée
de la maison. Il fallut un certain temps pour que nous commencions
à voir dans la cheminée une cheminée d'usine, du fait que ces signifi-
cations réalistes ne se trouvaient pas au centre de nos intérêts
premiers (1). Néanmoins, lorsque la psychanalyse eut étendu au
Moi le champ de son étude, il devint possible et à vrai dire nécessaire
de créer des outils conceptuels permettant de traiter de ces signifi-
cations réalistes et de leur rôle dans la conduite. Cela mena à l'étude de
l'autonomie relative du Moi (2) à l'égard du Ça, garantie de notre
relation relativement solide et stable avec le monde extérieur.
J'essayai d'élucider l'autonomie du Moi à l'égard du Ça à l'aide
d'une vieille histoire juive (3) qui veut qu'un portrait de Moïse fût
apporté à un roi d'Orient, portrait d'après lequel les phrénologues et
es astrologues du roi conclurent que Moïse était un homme cruel,
glouton, avide, intéressé. Le roi qui avait entendu dire que Moïse
était un chef plein de bonté, généreux et hardi fut troublé et alla
voir Moïse. Il constata, le rencontrant, que le portrait était fidèle et
il dit : « Mes phrénologues et mes astrologues ont eu tort. » Mais
Moïse n'en convint pas : « Vos astrologues et vos phrénologues ont
eu raison, ils ont vu ce que j'étais ; ce qu'ils n'ont pas pu vous
dire, c'est que j'ai lutté contre tout cela pour devenir ce que je
suis. » En d'autres termes, le Moi qui se constitue au cours des luttes
de la vie peut devenir différent des impulsions originelles — peut
être relativement autonome à leur égard — et peut leur imposer son
contrôle.
J'ai maintenant une autre histoire [60] pour éclairer la notion d'auto-
nomie du Moi par rapport à la réalité externe. Un roi rentrait dans sa
capitale suivi de son armée victorieuse. La fanfare jouait et le cheval du
roi, l'armée, le peuple, tout se déplaçait en mesure. Le roi contemplait,
ébahi, le pouvoir de la musique. Il remarqua soudain un homme qui
ne marchait pas au pas et suivait lentement derrière. Profondément
impressionné, le roi fit venir l'homme et lui dit : « Jamais je n'ai vu
d'homme qui soit aussi fort que vous. La musique entraînait tout le
monde, excepté vous. Où prenez-vous la force de résister ? » L'homme

(1) Mais voir FREUD [17].


(2) Pour le concept d'autonomie relative, voir RAPAPORT [61].
(3) Je l'attribuai par erreur au Tatomd. J'ai appris du regretté Dr Maurice Finkelstein que
cette version remonte au XVIIIe siècle. Pour la version originale, voir GINZBERG [21].
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 347

répondit : « J'étais en train de méditer et c'est ce qui me donnait la


force » (1).
Autrement dit, il est possible à l'homme de conserver une auto-
nomie relative, c'est-à-dire un certain degré d'indépendance par rap-
port à son environnement. Cette autonomie relative de l'homme
par rapport à son environnement constitue le sujet de la discussion
qui suit.
Bien que la conception de l'autonomie relative du Moi à l'égard
du Ça ait rectifié la position du concept du Ça dans la théorie psycha-
nalytique, elle n'a pas pour autant rejeté la théorie du Ça ni ne l'a
même radicalement modifiée. De même, la théorie de l'autonomie
relative du Moi par rapport à l'environnement n'élimine ni la théorie
de l'autonomie du Moi à l'égard du Ça, ni la théorie du Ça. En fait,
loin d'être devenues superflues, nos théories du Ça, du Moi en général
et de l'autonomie du Moi en particulier peuvent apparaître sous un
jour nouveau, et certaines lacunes de notre connaissance peuvent se
trouver comblées par une élaboration de la théorie de l'autonomie
relative du Moi par rapport à l'environnement.
Il n'y a en réalité rien de radicalement neuf dans ce qui suit. Le
fait que la matière inerte ne puisse échapper à l'impact de son environ-
nement et que ses réactions soient strictement (statistiquement) pré-
dictibles, mais que des organismes puissent échapper à ces impacts,
éviter d'y répondre et, s'ils le font cependant, soient en mesure de le
faire sur des modes divers et l'un à l'autre substituables, c'est un lieu
commun pour le praticien. La relative dépendance et la relative indé-
pendance simultanées de l'homme par rapport à son environnement est
une question qui se situe bien dans la ligne de la tradition biologique.
Quoiqu'en général la théorie psychanalytique ait eu dès l'origine un
moule biologique, elle n'est pas allée jusqu'à considérer le rôle de l'envi-
ronnement dans la détermination de la conduite (2).
Notre tâche consiste à chercher des réponses à deux ques-

(1) En réalité, l'histoire ne finit pas là. L'homme parle au roi de deux nommes plus forts
encore. « Le premier était si fort que lorsqu'il le voulait, le soleil n'était pour lui que soleil,
la lune que lune, le vent que vent et la montagne que montagne, et tout cela n'avait pas d'autre
sens pour lui. » (Le fait d'exclure l' « enrichissement cormotatif » est un mécanisme de formation
et de pathologie du caractère obsessionnel-compulsif; cf. RAPAPORT [62]. Le roi demanda :
« Qu'arriva-t-il à cet homme ? » « Il s'entoura d'un haut mur ». Mais le deuxième homme était
encore plus fort : « Il avait la même faveur pour chacun, beau ou laid, riche ou pauvre. Il
donnait les meilleurs conseils aux rois et aux princes, mais ceux-ci ne l'écoutaient pas. On le
croyait intéressé : et loin dans le désert de Gobi, Confucius mourut, seul, vieux et dans la
misère. »
(2) Mais voir HARTMANN [30] et ERKSON [10].
348 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

tions : quelles sont les garanties de l'autonomie du Moi par rapport à


l'environnement ? Comment l'autonomie du Moi par rapport à l'envi-
ronnement est-elle liée à l'autonomie du Moi à l'égard du Ça ?

II
Pour aborder la première question, j'examinerai les garanties de
l'autonomie relative du Moi à l'égard du Ça. Cette autonomie est
assurée par les appareils du Moi de l'autonomie primaire et de l'auto-
nomie secondaire (1).
Nous n'admettons plus que le Moi se forme à partir du Ça, mais
plutôt que le Moi et le Ça se forment tous deux par différenciation à
partir d'une matrice [34] commune indifférenciée dans laquelle existent
déjà les appareils qui deviendront les instruments de l'orientation du
Moi, de l'épreuve de la réalité et de l'action. Ceux-ci, répondant à la
dénomination d'appareils de l'autonomie primaire, servent la satisfaction
instinctuelle et entrent en conflit en tant que facteurs indépendants du
Moi. Ce sont les appareils mnémonique, moteur, perceptif et les appa-
reils de seuil (y compris les seuils de décharge affective et motrice).
Il s'agit de donnés évolutifs qui, en vertu de leur longue histoire sélec-
tive et modificatrice, sont devenus les garanties primaires de l' « ajuste-
ment » de l'organisme (adaptation à) à son environnement [30]. En
d'autres termes, les garanties primaires de l'autonomie du Moi à
l'égard du Ça semblent être les appareils mêmes qui assurent l'adapta-
tion de l'organisme à son environnement.
Les appareils de l'autonomie secondaire se forment soit à partir de
modes et vicissitudes instinctuels comme ceux qui deviennent « étran-
gers » à leurs sources instinctuelles [9], soit à partir des structures de
défense formées au cours du processus de résolution des conflits comme
ceux qui subissent un « changement de fonction » [30] et deviennent des
appareils servant l'adaptation. Autrement dit, les appareils de l'auto-
nomie secondaire ne sont pas « innés » mais issus de l' « expérience ».
Ainsi cette seconde garantie de l'autonomie du Moi implique-t-elle
aussi des rapports avec le réel. Alors qu'il est évident que privés de
toutes relations avec un environnement externe réel nous serions des
êtres solipsistes, il fallut un long détour pour nous faire percevoir
clairement que l'autonomie du Moi à l'égard du Ça — notre sauve-
garde contre le solipsisme — est garantie par ces appareils innés et

(1) Ces concepts ont été formulés par HARTMANN [29, 31].
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 349

acquis qui nous maintiennent à l'unisson de notre environnement.


Voyons maintenant les garanties de l'autonomie du Moi par rapport
à l'environnement.
Les théories culturalistes de la psychologie empiriste — théories
associationnistes et simples théories pavloviennes du conditionne-
ment — n'ont pas recherché de telles garanties. Elles ont partagé la
conception humienne-cartésienne du monde qui, n'admettant pas de
garanties de l'autonomie de l'homme par rapport à son environnement
en font virtuellement l'esclave. Le meilleur des mondes de Huxley est
une caricature de ce genre de psychologie. Le fait que la psychologie
académique ait reconnu que l'homme n'est ni un percipient passif,
ni une toile vierge sur laquelle peut sans restriction s'inscrire l'expé-
rience,implique la conception d'une autonomie [35, 64], mais le manque
de concept explicite demeure son défaut majeur. Seule une théorie
humienne-cartésienne peut se passer d'un concept d'autonomie et la
validité d'une telle thèse est puissamment contredite par les observations
de la psychanalyse qui démontrent avec ampleur la survivance de
formes pathologiques de conduite dans la méfiance à l'égard des condi-
tions et des exigences de l'environnement. En fait, la théorie et les
observations psychanalytiques indiquent que les pulsions instinctuelles
sont les agents de causalité et les ultimes garanties de la survivance des
modes de conduite (pathologiques et normaux) réprouvés par l'envi-
ronnement (1). La psychanalyse clinique a établi de manière irréfutable
le rôle causal des pulsions dans la persistance de tous les symptômes
et de nombreux traits de caractère.
Il semble bien évident aussi que l'organisation cognitive, les intérêts
du Moi, les valeurs, les idéaux, l'identité du Moi et les influences du
Surmoi — le tout relativement autonome à l'égard des pulsions —
jouent également un rôle causal dans la persistance de nombreuses
formes de conduite. Néanmoins, puisque l'autonomie de ces éléments
est secondaire, ils ne peuvent être considérés que comme garanties
proximales de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement. Que
les pulsions instinctuelles (par exemple la sexualité, la faim) susceptibles,
lorsqu'elles sont portées au paroxysme de leur tension, de susciter
l'esclavage par rapport à l'environnement soient les garanties ultimes

(1) HARTMANN [33] écrivait : « Dans ses périodes de rébellion, l'individu en cours de déve-
loppement se révolte aussi contre la conceptioncommunémentadmise de la réalité. Sa tendance
vers la connaissance objective peut également entraver l'aide des pulsions instinctuelles. Il lui
est cependant possible, lorsqu'il a accédé à l'autonomie, d'atteindre un niveau considérable de
stabilité. "
350 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

de l'autonomie par rapport à l'environnement, il. y a là un paradoxe


qui, — comme je tenterai de le montrer plus loin peut pourtant être
résolu.
L'équipement instinctuel constitutionnel de l'homme paraît être
l'ultime garantie (primaire) de l'autonomie du Moi par rapport à l'envi-
ronnement, c'est-à-dire sa sauvegarde contre l'esclavage engendré par
la réponse au stimulus. Mais cette autonomie a aussi des garanties
proximales (secondaires) : entendons les superstructures du Moi et
du Surmoi ainsi que les motivations qui leur appartiennent. De même
qu'à l'égard du Ça, l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement
n'est aussi que relative.
Ainsi, alors que les ultimes garanties de l'autonomie du Moi à l'égard
du Ça sont les appareils de relation avec la réalité, donnés constitution-
nels de l'homme, les ultimes garanties de l'autonomie du Moi par rapport
à l'environnement sont les pulsions, donnés constitutionnels de l'homme.

III
Pour aborder la relation entre les deux autonomies, examinons les
conditions qui interfèrent avec l'une, avec l'autre, avec l'une et l'autre.
Trois exemples illustreront les conditions dans lesquelles se dété-
riore l'autonomie du Moi à l'égard du Ça. Il y a d'abord les périodes
de développement au cours desquelles les pulsions s'intensifient et
menacent cette autonomie du Moi. A l'époque de la puberté, les pulsions
intensifiées interfèrent si largement avec l'autonomie du Moi que le
Moi les combat — entre autres modes de défense — par l'intellectuali-
sation qui est peut-être le moyen le plus puissant d'engager la réalité
extérieure et les appareils de mémoire et de pensée contre les empiéte-
ments du Ça [14]. La subjectivité de l'adolescent, sa révolte contre
son environnement et son goût de la solitude tout comme les attitudes
inverses — par exemple sa fringale d'objectivité et de compréhension
intellectuelle, sa quête d'une camaraderie avide de tout — manifestent
l'intensification pubertaire des forces du Ça et l'affaiblissement corré-
latif de l'autonomie du Moi. La ménopause (pour les deux sexes,
masculin et féminin) comporte souvent une perte similaire de l'auto-
nomie du Moi.
Certaines expériences récentes fourniront un second exemple.
Hebb et ses étudiants [3, 36-38] placèrent des sujets dans une chambre
noire, insonorisée, où les sensations tactiles et kinesthésiques étaient
réduites au minimum. Ils firent deux observations importantes : a) Les
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 351

sujets éprouvèrent des hallucinations autistiques et notèrent un décrois-


sement de leur capacité à poursuivre des séquences ordonnées de
pensée ; b) Une information verbale réitérée transmise aux sujets.
— se détachant sur un arrière-plan dépourvu de stimulus — produisit
sur leur esprit un tel choc que certains d'entre eux en vinrent à la
prendre pour « vérité » [62], c'est-à-dire que cette impression frôla
l'intensité hallucinatoire et persista durant plusieurs semaines. Lilly
[51, 52] procéda à une expérience analogue en se servant d'un réservoir
à eau étanche et insonorisé dans lequel le sujet flottait, soustrait à
toute stimulation d'ordre gravitationnel, tactile et kinesthésique. Ses
conclusions corroborèrent celles de Hebb. Ainsi la privation de stimulus
est-elle aussi une condition susceptible d'interférer avec cette autonomie.
Notre troisième exemple est l'état hypnotique (1). Une technique
habituelle pour provoquer l'état d'hypnose consiste à obtenir que le
sujet se concentre sur quelque chose, ceci ayant pour effet de réduire
l'apport d'autre stimulation externe. L'hypnotiseur interfère en outre
avec l'attention portée à la stimulation externe en débitant un « laïus »
ininterrompu. Ces mesures préviennent les investissements d'attention
disponible et interfèrent non seulement avec l'apport de stimulus, mais
aussi avec la pensée organisée, logique, orientée vers la réalité. Ainsi,
les sources de signaux d'origine externe et d'origine interne — qui
favorisent l'orientation vers la réalité et soutiennent l'autonomie du
Moi — se trouvent bloquées. Il en résulte — chez les sujets hypno-
tisables — un état régressif dans lequel se fluidifient les barrières de
contre-investissement qui différencient les processus du Moi et ceux
du Ça ; les images, les idées et les visions qui représentent le contenu
du Ça arrivent à la conscience et le sens de la volonté disparaît. A
défaut d'autre stimulation qui puisse servir de terme de comparaison,
de pivot ou d'instrument pour tester la réalité, les litanies de l'hypno-
tiste tout comme l'information répétitive serinée au sujet dans la chambre
de Hebb atteignent une forte puissance d'impact. Le fait de réduire,
dans l'hypnose, les relations avec la réalité à une seule relation inter-
personnelle altère l'autonomie du Moi à l'égard du Ça.
Abandonnant pour l'instant la sensibilisation accrue du sujet à
l'information donnée par l'hypnotiste ou dans la chambre de Hebb,
nous ne considérerons, dans ces trois exemples, que les interférences avec
l'autonomie du Moi à l'égard du Ça.

(1) Cet article a pour origine l'ouvrage de Merton GILL et Margaret BRENMAN concernant
l'hypnose ainsi que nos communes discussions au cours de l'année 1940. Voir aussi KUBIE
et MARGOLIN [46, 48].
352 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

La thèse généralement soutenue suivant laquelle les structures du


Moi (contrôles, défenses, comme aussi les moyens mis en oeuvre dans
l'épreuve de la réalité et l'action) sont douées de stabilité et ne peuvent
être altérées que par des désordres majeurs est amplement justifiée
par la continuité du caractère et de la conduite ainsi que par la grande
« résistance » qu'opposent ces structures à l'intervention thérapeutique.
Comparé aux processus de tension, d'accumulation et de décharge
pulsionnelles, le concept même de « structure » implique un lent régime
de transformation. Les expériences de Hebb, de Lilly suggèrent
cependant que la stabilité de ces structures dépend de la stimulation ou,
pour user des termes de Piaget [57]. que leur maintien requiert un
aliment de stimulation. Si cet aliment fait défaut, l'efficacité de ces
structures touchant le contrôle des impulsions du Ça peut se trouver
compromise et l'autonomie du Moi à l'égard du Ça partiellement
abolie (1). L'exemple de l'induction hypnotique semble corroborer cette
inférence, et l'interférence des pulsions intensifiées avec l'autonomie
du Moi peut être imputée aux représentations pulsionnelles qui com-
mandent l'attention, prévenant ainsi les investissements d'attention
nécessaires à l'apport effectif d'aliment-stimulus (voir référence [15],
p. 529). L'interférence de l'amour-passion et du deuil profond avec
l'autonomie du Moi et l'épreuve de la réalité est un phénomène bien
connu et le travail de deuil semble être le processus réel de domination
de l'état d'absorption qui milite contre l'apport de l'aliment-stimu-
lus [20]. Si l'on se refuse à admettre que l'autonomie efficace et même
le simple maintien des structures du Moi (autres que celles de l'auto-
nomie primaire) exigent un aliment-stimulus, le processus même de la
thérapie devient inconcevable (voir section V). Nous connaissons
depuis longtemps cette dépendance de l'aliment que présentent cer-
taines structures, celles par exemple qui sous-tendent le Surmoi
conscient. Lorsqu'un homme se déracine et évolue loin des lieux où son
passé est connu, il est pris de tentations : au cours de son voyage en
mer, le corniaud qu'il a laissé derrière lui peut devenir un saint-bernard
ou la peinture d'amateur local qu'il possède se métamorphoser en
un Rembrandt. Le Surmoi est une structure vivace, mais ses éléments

(1) L'étude de I,. GOLDBERGERet R. R. HOLT sur l'état d'isolement montre que la privation
de stimulus entraîne des altérations différentielles de structures diverses chez les sujets indi-
viduels. R.-R. HOLT (communication personnelle) soulève la question de la compatibilité
éventuelle de ces conclusions avec l'explication d' « aliment » donnée ici. L'explication de
telles différences peut résider dans la « relativité d'autonomie " dont le degré varie natu-
rellement d'un individu à l'autre et d'une structure à l'autre, ou encore dans l'aliment
interne ".
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 353

conscients semblent exiger un aliment-stimulus. La pénurie de nutri-


tion le porte au compromis et à la corruption, et plus ces attitudes
prennent d'ampleur, plus le Surmoi inconscient pèse impitoyablement
sa livre exacte de chair : le sentiment inconscient de culpabilité [22].
Le maintien de la conscience semble requérir l'apport continu d'une
nourriture aisément dispensée par un environnement stable, tradition-
nel, au sein duquel l'individu est né, grandit et achève sa vie ; c'est-à-
dire le stimulus de la présence, de l'opinion et des souvenirs des « autres »
qui l'ont toujours connu et toujours voulu. Il semble que nous choisis-
sions les liens sociaux du mariage, de l'amitié, etc., pour garantir
ce pattern familier (paternel, maternel) de stimulation dont nous avons
besoin en tant qu'aliment des diverses structures de notre Moi et de
notre Surmoi (celles par exemple qui sous-tendent nos valeurs et nos
idéologies) (1).
Voyons maintenant quelques exemples d'interférence de l'auto-
nomie du Moi par rapport à l'environnement.
Je mentionnerai d'abord ces conditions catatoniques d'échopraxie,
d'écholalie et cerea flexibilitas qui sont les prototypes de démission de
l'autonomie par rapport à l'environnement. Nous voyons dans ces
désordres mineurs mal compris les effets d'un blocage massif des pul-
sions libidineuses et agressives. S'il en est bien ainsi, il va sans dire que
lorsque ces ultimes garanties de l'autonomie du Moi par rapport à
l'environnement sont rendues inefficaces, il en résulte un état d'asservis-
sement au stimulus. La pensée littérale et concrète des schizophrènes (2)
peut être considérée comme une forme bénigne de cette perte d'auto-
nomie.
Je prends pour second exemple l'ensemble des procédés groupés
sous l'expression « lavage de cerveau » (3). Plutôt que d'évoquer toute
la littérature, je discuterai le 1984 d'Orwell [55] dans lequel l'intuition
de l'auteur résume les moyens employés par la plupart des techniques
de « lavage de cerveau » pour amener l'individu au point d'abolition
de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement. L'objectif de
ces techniques n'est pas uniquement de contraindre à une fausse
confession de culpabilité, mais plutôt de provoquer une profession
de, ou une conversion à un point de vue particulier et une croyance
en les « faits » qu'il implique [49, 50].

(1) Ceci est l'une des implications de la théorie psycho-sociale d'ERIKSON [8, 11].
(2) Voir KASANIN [39], en particulier les contributions de BENJAMIN et de GOLDSTEIN.
(3) R.-R. HOLT a inventorié, dans un article non publié, les points essentiels de la littérature
relative à la question. S. C. MILLER prépare un vaste exposé de cette littérature.
354 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

Dans le monde de 1984, l'individu est dépossédé de son intimité,


l'environnement l'envahit : dès que l'individu est seul, il est guetté
par l' « écran de télévision » ; dès qu'il n'est plus guidé par son travail,
il est guidé par l' « écran de télévision » qui le bombarde continuellement
d'informations et d'instructions auxquelles il doit obéir. Le langage est
à tel point simplifié qu'il ne peut véhiculer que des relations de faits et
des ordres ; il ne porte ni implications, ni connotations, ni allusions, ni
expression individuelle. La mémoire est sapée : lorsque changent les
alliances politiques de l'État, les collections de livres et de journaux sont
détruites et remplacées par une version révisée des faits qui s'ajuste
aux nouvelles circonstances. Finalement, la crainte d'un châtiment
inconnu mais horrible est constamment entretenue. Le manque d'inti-
mité secrète associé à la grêle constante d'information et d'ordres
divers, le manque d'expression personnelle, les disques changeants
qui attaquent jusqu'à la continuité octroyée par la mémoire et la crainte
mortelle de la punition sont les moyens par lesquels le monde de 1984
dépossède le moi individuel de son autonomie et transforme la personne
en automate sur commande de l'environnement. 1984 est une caricature
chargée de notre propre monde et un montage correct des procédés
de « lavage de cerveau ». La révolte individuelle que décrit Orwell
prend racine dans un besoin éperdu de tendresse, d'amour et de
sexualité, lesquels — comme je le suggérais ci-dessus — sont les ultimes
garanties de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement. 1984
est une fiction, mais ses implications sont corroborées par l'évidence
valable concernant le « lavage de cerveau » qui assigne aux mesures
résumées ci-dessus un pouvoir effectif de détérioration de l'autonomie
du Moi par rapport à l'environnement [49, 50, 65].
Le troisième exemple, l'article de Bettelheim : Conduite individuelle
et collective dans les situations extrêmes [1] (voir aussi Bettelheim [2])
représentera ici la littérature relative aux camps de concentration et
aux méthodes nazies de psychologie de masse. L'étude de cette litté-
rature montre que, dans les camps de concentration, deux séries imbri-
quées de conditions interfèrent avec l'autonomie du Moi par rapport
à l'environnement, lesquelles — bien que la question n'ait pas été
discutée ci-dessus — réalisent toutes deux, à des degrés variables, les
situations de « lavage de cerveau ».
La première série de conditions inclut l'extrême besoin (faim,
froid, etc.), ainsi que l'attaque portée contre l' « identité » des détenus
(voir Erikson [11]). Dans les cas d'extrême besoin et de danger, les
pulsions — qui sont autrement les ultimes garanties de cette autonomie —
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 355

dotent les objets de la satisfaction instinctuelle d'un pouvoir dont l'effet


est d'instaurer l'asservissement et d'abolir l'autonomie. L'attaque contre
l'identité (opérant à travers l'identification à l'agresseur, dépendance
d'une autorité arbitraire apparentée à celle de l'état infantile, et l'absence
de tout éloge de rang et autres supports de l'identité) compromet les
garanties proximales de l'autonomie.
La seconde série de conditions inclut la pénurie d'information et de
stimulation (moins sévère pourtant que dans la chambre de Hebb),
et sur ce fond vide de stimuli, un courant permanent de déclarations
humiliantes, dégradantes, génératrices de culpabilité (dont le rôle
s'apparente à celui de l'information répétitive de la chambre de Hebb
et des litanies de Phypnotiste). La privation contribue à la ruine de
l'autonomie à la fois en accroissant le besoin et en imprimant au
contexte l'impact soutenu et insurmontable de l'environnement.
Ainsi, les conditions primordiales de la détérioration de l'autonomie
du moi par rapport à l'environnement sont : 1) Le blocage intra-
psychique massif des pulsions qui sont les ultimes garanties de cette
autonomie ; 2) Le paroxysme du besoin, le danger, et la crainte qui
engage les pulsions (garanties habituelles de cette autonomie) pour
accélérer la démission de l'autonomie ; 3) Le manque d'intimité, la
privation d'aliment-stimulus, des supports mnémoniques et verbaux,
dont l'ensemble paraît nécessaire au maintien des structures (struc-
tures de la pensée, valeurs, idéologies, identité) qui sont les garanties
proximales de cette autonomie ; 4) Un courant stable d'instruc-
tions et d'informations qui, en l'absence d'autre aliment-stimulus
atteignent une telle puissance qu'ils tiennent le moi complètement à
merci (1).
Tout comme pour les garanties de l'autonomie à l'égard du Ça,
ni les garanties ultimes, ni les garanties proximales de l'autonomie
par rapport à l'environnement ne sont absolues. Le maintien et l'effi-
cience des deux autonomies requièrent une stimulation externe et (ou)
pulsionnelle d'intensité et de qualité spécifiques (2).

(1) Cf. l'explication du trouble de Korsakow fournie par GRUENTHALdans BUERGER-PRINZ


et KAILA [5] (pp. 659 et suiv., en particulierles notes en bas de pages).
(2) Heinz HARTMANN et Bruno BETTELHEIM me font tous deux remarquerindépendamment
(communicationspersonnelles) que cette thèse des autonomies traite exclusivementdu problème
d' « autonomie par rapport» (c'est-à-dire liberté à l'égard de) aux pulsions et à l'environnement,
alors que le problème clinique spécifique crucial et le problème psychologiquegénéral sont ceux
de « liberté de » impliqué dans ces autonomies. Je suis d'accord avec eux : la tâche cruciale
...
est l'étude des motivations du Moi autonome, des méthodes du Moi pour fixer ses buts, de la
capacité du Moi à donner libre règne et à exécuter les motivations qui dérivent du Ça. Néan-
moins, mon objectif, dans cet article, est simplement de clarifier la théorie des autonomies.
356 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

IV
Nous voici prêts à examiner les deux autonomies. Dans les états
hypnotiques (comme dans la chambre de Hebb) les deux autonomies,
à l'égard du Ça et de l'environnement sont détruites. Comment de
telles démissions sont-elles liées l'une à l'autre ?
L'examen de certains aspects des désordres compulsifs et obsession-
nels peut servir à clarifier les relations [18]. Ce qui suit n'est qu'une
considération ex parte de ces conditions, un supplément, non un
substitut de la connaissance que nous en avons. L'un des concomi-
tants des conditions obsessionnelles-compulsives est l'élaboration
accrue du processus secondaire. Cette élaboration revêt deux aspects :
d'une part, elle fournit des moyens aux défenses de l'intellectualisation
et de l'isolement ; d'autre part, elle permet, de substituer l'observation
intensifiée et l'analyse logique aux signaux affectifs et idéationnels,
ces régulateurs naturels du jugement et de la décision supprimés par
les défenses obsessionnelles-compulsives.
La défense obsessionnelle-compulsive maximise ainsi l'autonomie
du Moi à l'égard du Ça, mais elle le fait au prix d'une démission sans
cesse accrue de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement ; la
suppression des injonctions affectives et idéationnelles d'origine pul-
sionnelle rend les jugements et les décisions du Moi toujours plus
dépendants des injonctions externes. D'où l'indigence de conviction
et la crédulité de certains obsédés, mais aussi — en formation de
réaction — l'adhésion aveugle et rigide à un point de vue une fois
adopté. Une forme extrême du manque de direction interne propre à
l'obsédé est le doute paralysant, susceptible de frôler l'esclavage au
stimulus des conditions catatoniques discutées ci-dessus. Mais tandis
que se réduit l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement, une
autre évolution se produit. Les pulsions et leurs représentations dont
l'accès à la motilité et à la conscience était si énergiquement barré,
envahissent la réalité « objective » en s'infiltrant dans les processus mêmes
de pensée et de logique élaborés pour les réprimer et parviennent à
remplir de magie et d'animisme la perception et la pensée de la personne.
Ainsi, la maximisation de l'autonomie du Moi à l'égard du Ça
réduit l'autonomie du Moi à l'égard de l'environnement et se résout en
esclavage au stimulus. Réciproquement, la réduction de l'autonomie du
Moi à l'égard du Ça (par intensification des pulsions par exemple),
se résout en une perte de contact avec la réalité, ce qui équivaut à une
autonomie maximisée par rapport à l'environnement. L'exagération
LA THEORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 357

maximum de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement


(en cas de privation de stimulus par exemple) se résout à son tour en
une réduction de l'autonomie du Moi à l'égard du Ça ; et la réduction
de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement peut se résoudre
en autonomie exagérée au maximum à l'égard du Ça. Mais une telle
autonomie maximisée ou minimisée du Moi, en relation soit avec le
Ça, soit avec l'environnement, peut-elle encore être considérée comme
autonomie au sens propre du terme ?
Examinons par exemple la privation de stimulus en tant qu'auto-
nomie maximisée. Ce n'est pas que l'autonomie du Moi par rapport
à l'environnement atteigne son maximum, mais plutôt que le Moi ait
à composer avec un environnement procurant à ses structures un
aliment-stimulus insuffisant. La privation de stimulus fournit un test
des limites de l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement (1).
L'examen des autres instances de l'autonomie « maximisée » ou « mini-
misée » conduit à des conclusions similaires.
Ces instances extrêmes fournissent cependant de bons modèles des
relations entre autonomies. Elles montrent que l'autonomie du Moi à
l'égard du Ça est susceptible de se détériorer, soit lorsque sa nécessaire
dépendance par rapport à l'environnement est accrue de manière
excessive, soit lorsque le support de l'environnement est excessivement
amoindri. De même, l'autonomie du Moi par rapport à l'environnement
est susceptible de se détériorer lorsque sa nécessaire indépendance ou sa
nécessaire dépendance à l'égard du Ça devient excessive. Puisque ces
autonomies sont toujours relatives, leurs extrêmes ne sont jamais
atteints. D'où une implication nouvelle de la relativité des autonomies, à
savoir que : seule une autonomie relative du Moi à l'égard du Ça
— c'est-à-dire une autonomie en deçà du degré optimal — est compa-
tible avec une autonomie relative — c'est-à-dire optimale — du Moi
par rapport à l'environnement et vice versa. Cette conclusion rejoint
celle à laquelle nous sommes parvenu dans notre discussion des garanties
de l'autonomie. Puisque les relations avec le réel garantissent l'auto-
nomie à l'égard du Ça ; et puisque les pulsions sont les garanties ultimes
de l'autonomie par rapport à l'environnement, un excès d'autonomie à
l'égard du Ça doit altérer l'autonomie par rapport à l'environnement.
Il nous reste à voir s'il est plus utile de traiter ces problèmes en
termes d'autonomies et de relations réciproques plutôt qu'en termes de
dépendance de (ou de distance à) par rapport au Ça et à l'environnement.

(1) Cette thèse a été suggérée par le Dr Stuart C. MILLER.


REV. FR. PSYCHANAL. 24
358 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

V
Le concept d'autonomie du Moi et de ses relations réciproques
a-t-il un rapport direct avec la psychanalyse clinique et la psychothé-
rapie ? [24]. Tel paraît être le cas bien qu'il soit difficile de dire s'ils
captent quelque chose de neuf ou ne font que traduire en un nouveau
langage quelque chose qu'on connaît déjà.
Les conditions techniques de la psychanalyse — le divan, les
consignes qui vont à l'encontre du « passage à l'acte », le caractère
d'écran neutre présenté par le psychanalyste, etc. — entraînent la
privation de stimulus. La technique psychanalytique reconnaît expli-
citement qu'une réduction du contact avec le réel est nécessaire pour
permettre aux dérivés du Ça d'émerger à la conscience. L'application
efficace de cette technique introduit un décalage dans l'équilibre de
l'autonomie, renforçant l'autonomie par rapport à l'environnement,
diminuant l'autonomie à l'égard du Ça. La théorie de l'autonomie,
une fois consolidée, peut devenir une pierre angulaire de la théorie de la
technique psychanalytique : notre connaissance de la théorie psychana-
lytique, de ses applications, de ses problèmes [12, 13] n'a cessé de
s'étendre, mais la théorie de la technique est fâcheusement restée
en arrière.
Les conceptions de l'autonomie ont aussi un rapport direct avec la
psychothérapie des cas marginaux [40-42]. Les modifications de la
technique psychanalytique ont remplacé à dessein le divan par la
situation dyadique, le psychanalyste relativement silencieux par le
psychothérapeute qui participe et soutient, etc., amoindrissant ainsi
la privation de stimulus [7]. Néanmoins, on ne sait pas encore clairement
à quel moment un cas marginal ou un grand névrosé doit être ou non
« retiré du divan ». On ne sait pas encore à quel moment la privation de
stimulus tendra à dépasser la « régression au service et sous le contrôle
du Moi » thérapeutiquement nécessaire pour conduire à une régression
de nature pathologique. Mais ce dont on est sûr, c'est que la relative et
réversible réduction de l'autonomie du Moi à l'égard du Ça — que les
règles techniques sont destinées à favoriser — peut échapper au
contrôle.
Comment mener à bien une thérapie efficace de l'insight, tout en
préservant l'autonomie du Moi à l'égard du Ça d'une régression patho-
logique plus poussée et d'une détérioration plus poussée des relations
du malade avec le réel, c'est là l'un des problèmes fondamentaux de la
psychothérapie des cas marginaux et peut-être de toute thérapie.
LA THEORIE DE L AUTONOMIE DU MOI : GENERALISATION 359

Les hôpitaux psychiatriques spécialisés dans la psychothérapie des


cas marginaux et des psychotiques se trouvent face à un problème
d'organisation de la vie quotidienne des malades qui consiste à combattre
la tendance de l'hospitalisation et de la psychothérapie visant l'insight
à favoriser la régression [58, 59]. L'hospitalisation tend à réduire
l'aliment-stimulus fourni par l'environnement, aliment nécessaire à
ces structures qui garantissent l'autonomie du Moi à l'égard du Ça
et de l'environnement. L'amortissement de soi qui sert la psychothé-
rapie accentue cet effet de l'hospitalisation. D'autre part, le fait d'extraire
le malade de son entourage habituel pour le mettre à l'hôpital et la
psychothérapie elle-même tendent à priver de leur aliment-stimulus
ces structures défensives devenues parties intégrantes de la pathologie
du malade et par conséquent, de saper, leur résistance et leur efficacité.
(L'effet de l'hospitalisation sur le cercle vicieux d'une symbiose sado-
masochiste en est un exemple évident.)

VI
Le concept d'aliment nous vient de Piaget [57] (1). Selon cet auteur,
les « structures de l'intelligence » se forment par différenciation des
coordinations sensori-motrices congénitalement données, mais, requiè-
rent à cet effet un aliment-stimulus. Rien de probant n'existe jusqu'ici
pour clarifier la relation entre les structures de Piaget et ces structures
qu'a conceptualisées la théorie psychanalytique. Mais puisque nos
considérations suggèrent que le maintien et l'efficacité de ces « structures »
psychanalytiques requièrent un aliment-stimulus, la question se pose :
le développement de ces structures psychanalytiques requiert-il, comme
leur maintien et leur efficacité, un aliment-stimulus ?
Pour explorer cette question, considérons les différences entre les
stimuli supprimés dans les diverses situations discutées. Les expériences
de privation de stimulus suppriment cet aliment-stimulus qui, véhiculé
par les sens, est nécessaire au maintien et à l'efficacité de l'élémentaire
orientation vers la réalité. Cet aliment n'est jamais directement ni
massivement soustrait dans la situation psychanalytique qui, bien que
favorisant le renoncement volontaire et (ou) spontané à l'aliment en
question vise effectivement l'aliment de ces structures sous-jacentes
des convenances, de l'ordre logique, des défenses, etc. [16]. Bien qu'elles
en usent à titre de technique auxiliaire, ni les méthodes du camp de

(1)Noter en particulier la distinctionqu'il établit entre ce concept et la théorie du « renfor-


cement » et de la « pratique " de l'apprentissage.
360 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

concentration, ni celles du lavage de cerveau ne comptent essentielle-


ment sur le retrait de cet aliment-stimulus élémentaire. Le camp de
concentration soustrait d'abord l'aliment des structures qui sous-
tendent la dignité, le respect de soi-même et l'identité [1, 2]. L'objectif
du lavage de cerveau est de soustraire l'aliment des structures qui
sous-tendent les croyances, les convictions politiques, l'idéologie, les
inféodations sociales et personnelles et, en fin de compte, l'identité
[49, 50]. Ces différences accusent ce que la psychanalyse a déjà décou-
vert concernant les défenses, les contrôles, etc., à savoir que les structures
psychologiques constituent une hiérarchie complexe au sein de l'appa-
reil psychique [66]. Ces différences suggèrent en outre qu'à chaque
niveau hiérarchique, les structures peuvent requérir un aliment diffé-
rent, depuis les stimulations sensorielles simples d'organisation mini-
mum jusqu'à ces expériences complexes qu'une société dispense en
vue de maintenir, chez les individus qui la composent, des croyances
idéologiques et des identités compatibles avec elle.
Maintenant que nous avons noté les différences relatives à l'aliment-
stimulus requis pour le maintien des diverses structures, nous commen-
çons à discerner quels sont les indices manifestes d'un rapport entre
les structures de la psychanalyse et l'aliment-stimulus requis pour leur
développement. Les vicissitudes instinctuelles, le développement de
défenses et de contrôles sont co-déterminés par l'expérience, et les
reconstructions thérapiques montrent que l'efficacité de l'expérience en
question remonte toujours à un antécédent de « séries complémentaires »
d'expériences. Ainsi la dépendance d'un tel développement de structures
sur raliment-stimulus devient probable, bien que nos reconstructions
de ces séries complémentaires ne nous renvoient ordinairement pas
aux simples aliments-stimuli sensoriels.
Néanmoins, la dépendance d'un tel développement de structures
sur les aliments-stimuli a été établie en termes plus spécifiques par
Erikson. Il a montré que le développement des modalités sociales de
la conduite procède des modes organiques en général et des modes des
zones érogènes en particulier, tels ceux qui deviennent « étrangers »,
c'est-à-dire différenciés de leur zone. Il a démontré aussi que l'occurrence
de cette différenciation et la qualité de la modalité de conduite qu'elle
produit sont co-déterminées par l'impact de traditions et d'institutions
inhérentes à la société dans laquelle l'individu se développe et par les
« cases » sociales qui y sont disponibles [10, 8] (1). Ainsi les modes orga-

(1) Voir en particulier les chapitres II, VI et VII.


LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 361

niques d'Erikson et les coordinations sensori-motrices de Piaget semblent


être des points de départ analogues du développement des structures ;
de même, les institutions d'Erikson et les stimuli de Piaget paraissent
être des aliments analogues pour le développement des structures. Ainsi,
tout comme les « structures de l'intelligence » de Piaget, les structures
psychologiques étudiées par Erikson (y compris ces modalités primi-
tives de conduite telles que donner et prendre ainsi que de plus complexes
telles que valeur, rôle, idéologie et identité) paraissent dépendre de
l'aliment-stimulus fourni par l'environnement. Puisque ces structures
masquent celles que discute habituellement la psychanalyse, le rôle de
l'aliment-stimulus dans le développement des structures peut faire
preuve d'ubiquité (1). Mais il convient de noter que l'aliment des
structures dont traite la psychanalyse en général, et en particulier
Erikson, présente un caractère hautement organisé contrastant avec
l'aliment de ces structures discuté par Piaget.
Erikson a de plus mis l'accent sur le fait que le développement des
structures — désigné sous le terme de développement du Moi —
qu'on discute ici, bien qu'étant co-déterminé par les pulsions et l'ali-
ment-stimulus fourni par l'environnement, respecte une séquence de
principe qui lui est propre, c'est-à-dire qu'il est autonome. Cet aspect
dé l'autonomie n'a pas été discuté jusqu'ici (2), bien qu'il soit d'impor-
tance cruciale puisque, si le développement du Moi n'était pas auto-
nome, seule l'autonomie secondaire du Moi (dérivée soit des pulsions,
soit des influences de l'environnement ou de combinaisons ad hoc
des unes et des autres) serait concevable. Le développement autonome
du Moi (sa séquence et ses principes régulateurs) est une garantie
primaire de l'autonomie du Moi : il relie les appareils de l'autonomie
secondaire à ceux de l'autonomie primaire et règle à la fois les contri-
butions des pulsions et celles de l'environnement à la formation de la
structure du Moi.
Avant de quitter ce sujet, il nous faut au moins évoquer l'observation
cruciale selon laquelle les structures, même lorsqu'elles sont privées
d'aliment-stimulus externe, peuvent persister et rester efficaces. Quels
sont les faits et comment peuvent-ils s'expliquer ?
L'étude déjà citée de Goldberger et Holt montre que certaines
structures (les « structures-styles » par exemple) sont relativement peu

(1) La littérature relative aux enfants « sauvages " et « autistes » est ici pertinente.
(2) Le développement autonome du Moi a été discuté à maintes reprises par HARTMANN.
Voir aussi R. LOEWENSTEIN [53]. Mais ERIKSON est le premier a en avoir décrit le cours [9] et
à avoir proposé un schème qui en enveloppe les phases [8, 10].
362 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

affectées par une privation de stimulus à court terme et se restaurent


rapidement lorsque la privation a cessé. Le fait de la persistance en
dépit de la privation est un cachet d'autonomie. Puisque l'autonomie
est relative, la persistance durable en dépit de la privation exige un
supplément d'explication. Bien que quelques-uns d'entre eux seulement
aient survécu pour relater l'histoire [4, 69], il est bien connu que des
individus ont passé des années de réclusion solitaire sans souffrir des
démissions brutales de l'une ou l'autre des autonomies du Moi, et que
d'autres ont maintenu l'autonomie de leur Moi en dépit du « lavage de
cerveau ». Il y a la figure familière de l'Anglais qui, complètement isolé
du contexte qui fournirait à ses convenances, ses traditions, ses vues et
ses valeurs leur nourriture naturelle, maintient celles-ci intactes dans la
solitude de la jungle et du désert. Dernier fait, mais non le moindre,
l'observation clinique et thérapeutique montre que les défenses (sous la
forme des traits de caractère et des symptômes tout à la fois) peuvent sur-
vivre sans apport nutritif tangible de l'environnement ou lorsque l'indi-
vidu doit « provoquer » cet apport nutritif issu de l'environnement (1).
La psychanalyse a rendu compte de cette survivance des structures
de défense privées d'aliment-stimulus externe : ces structures sont
maintenues, en dernier ressort, par l'aliment-stimulus interne (les
pulsions) [23]. Le témoignage clinique montre que les valeurs, les idéo-
logies, et même des structures plus complexes (telles que l'identité)
peuvent aussi être maintenues par l'aliment-pulsion dans la mesure où
elles participent d'un système de défense. L'explication du maintien
de ces structures d'ordre supérieur du Moi en cas de réclusion solitaire
semble au premier coup d'oeil également évidente : la méthode de survie
paraît être une application délibérée de l'exercice mental et physique
visant à empêcher l'affaiblissement de l'autonomie du Moi et sa
dérive en rêve éveillé de crainte ou de désir ou en démission indiffé-
rente et vide. Cette application délibérée a pris des formes diverses :
exercice physique, évocation chronologique du passé, calcul mental,
résolution de toutes sortes d'autres problèmes, fabrication de diction-
naire en plusieurs langues ou révision de connaissances d'autre espèce.
Mais quelle est, en de tels cas, la source intra-psychique de cette
application délibérée qui est le pourvoyeur proximal de l'aliment-sti-

(1) Les conduites « provocatrice » et « revendicatrice » peuvent fort bien apparaître sous un
éclairage différent si on les traite en tant que quêtes d'aliment-stimulus. Une discussion de
A. SCHMALE (memoranda non publiés des Conférences sur la séparation, la dépression et la
maladie, du Département de Psychiatrie, Faculté de Médecine de l'Université de Rochester),
relative au concept d' « objet », en relation avec le rôle que joue la « séparation » dans les désordres
psycho-somatiques, peut être considérée comme un pas effectué dans cette direction.
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 363

mulus ? Nous ne pouvons chercher cette source dans l'ultime aliment-


pulsion du fait que, comme nous l'avons vu, l'aliment-pulsion tend à
encourager la démission de l'autonomie par rapport à l'environnement.
Nous ne pouvons la chercher davantage simplement dans l'identité
du moi [11] : bien que l'attaque majeure de telles réclusions porte sur
l'identité du moi et que les identités les plus fortes résistent le mieux,
localiser uniquement et sans autre analyse la source de l'aliment-stimulus
dans l'identité du Moi reviendrait à établir un cercle vicieux.
Les rapports des survivants indemnes de la détention cellulaire
sont peu révélateurs quant à la source interne d'aliment. Ceux des
individus dont l'autonomie à l'égard du Ça ou de l'environnement fut
au bord de la destruction, mais restaurée au dernier moment par ce
qui pourrait être décrit comme expérience de conversion [6, 28, 54]
se montrent plus suggestifs.
Bien que nous soyons loin d'une pleine compréhension des expé-
riences de conversion, ce que nous en savons et ce que nous pouvons
inférer de ces rapports désigne principalement le Surmoi, mais aussi
les intérêts du Moi et l'identité du Moi comme sources d'application
volontaire.
On peut alors risquer l'hypothèse que, d'une façon frappante chez
certains individus, mais probablement chez tous à quelque degré,
l'aliment-stimulus externe peut être remplacé par la nourriture interne.
Cette nourriture peut prendre la forme d'activités délibérées diverses
dont les motivations (c'est-à-dire l'ultime source de nutrition) peuvent
être les pulsions, le Surmoi, l'identité du Moi ou les intérêts du Moi
qui dépendent de la structure impliquée. Hartmann [29, 31] a établi de
manière plausible que nous avons à assumer l'existence de conflits
intra-systémiques au sein du Moi ; il peut de même devenir nécessaire
d'assumer la coopération intra-systémique de forces par lesquelles une
substructure du Moi engendrerait des forces du Moi qui, prenant
l'initiative d'une activité (motrice ou mentale) fournirait aux autres
sub-structures l'aliment-stimulus leur permettant de fonctionner et
d'engendrer des intérêts du Moi marqués de leur sceau, lesquels, à
leur tour, instaureraient l'activité apte à fournir l'aliment-stimulus pour
d'autres substructures du Moi. En réalité, il paraît probable que les
cercles clos de pareilles structures se soutenant mutuellement peuvent
persister — au sein de ces limites qui se révèlent en fin de compte
comme la relativité d'autonomie. Puisque des structures variées requiè-
rent un aliment-stimulus externe différent, il est probable que chacune
d'elles requiert aussi une espèce différente d'aliment interne.
364 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

VII
Cet article a négligé les aspects du Ça dans le phénomène discuté
et n'a qu'à peine mentionné les points faisant apparaître que cette
conception de l'autonomie est de type phénoménologique et de ce fait
incomplète. Le concept d'autonomie n'est cependant qu'un aspect de
la psychologie du Moi qui, à son tour — tout comme la psychologie
du Ça — n'est qu'une partie de la théorie psychanalytique. La méta-
psychologie a été négligée aussi, de sorte qu'on peut avoir l'impression
que ces considérations relatives à l'autonomie sont de style phénomé-
nologique et manquent de fondement métapsychologique. Mais le
concept d'autonomie du Moi est justiciable d'une analyse métapsy-
chologique [63, 68].
La métapsychologie classique inclut les points de vue dynamique,
économique et structural. Gill et moi [26] avons tenté de démontrer
que cette triade doit être augmentée du point de vue génétique (lequel
a toujours été explicite dans la théorie psychanalytique) et du point de
vue adaptatif (dont le caractère indispensable s'est nettement affirmé
au cours des vingt dernières années). La discussion de Gill [25] rela-
tive à la métapsychologie de la régression en général et de la régression
hypnotique en particulier a fourni la charpente d'une appréhension
métapsychologique des autonomies, et nous disposons effectivement
de thèses métapsychologiques partielles de l'autonomie du Moi à
l'égard du Ça. Ma discussion de la hiérarchie des dérivés des pulsions
(motivations) traite implicitement de cette autonomie du double point
de vue dynamique et génétique [63, 66] (1) ; l'emploi par Hartmann [29]
et Kris [43, 44] du concept de neutralisation a posé le fondement d'une
conception de l'autonomie envisagée sous l'angle économique. Les
discussions de Hartmann concernant l'autonomie, l' « automatisation »
et le « changement fonctionnel » [50] et les discussions de Kris ayant
trait à la « régression au service du Moi » [45] traitent de cette autonomie
du point de vue structural. La conception d'adaptation et réalité de
Hartmann [33] et la conception ériksonienne de l'épigenèse psycho-
sociale du moi [10, 8] (2) traitent du point de vue adaptatif.
Mais nous ne disposons pas jusqu'ici de thèses comparables de l'auto-
nomie du Moi par rapport à l'environnement. Il faut trouver ce maillon
manquant pour être en mesure d'élaborer une théorie métapsycholo-

(1) Voir spécialementla section VII.


(2) Voir chapitre VII.
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 365

gique complète des autonomies et de leurs rapports mutuels. Pour


tenter de combler partiellement cette lacune, j'examinerai ici un article
encore non publié [67] dans lequel je propose de doubles modèles
conceptuels pour l'activité et la passivité.
Le premier modèle de passivité est la situation d'abandon qui s'ins-
taure lorsque la tension croissante des pulsions rencontre une barrière
contre-cathectique et que la décharge se trouve empêchée. Le second
modèle de passivité est la situation dans laquelle la décharge de la tension
pulsionnelle accumulée se produit sans la participation du Moi. Puisque
la décharge pulsionnelle enrôle toujours les appareils exécutifs du Moi,
la dernière situation n'existe jamais dans la réalité, mais elle existe
effectivement en tant que réalité psychologique dans les visions d'accom-
plissement et les reconstructions thérapeutiques. Le premier modèle
d'activité est la décharge de la tension pulsionnelle au moyen des appa-
reils exécutifs et des appareils de contrôle du Moi. Le second modèle
d'activité est l'opposition défensive et, ou de contrôle, ou l'ajournement
par le Moi de la décharge pulsionnelle.
Comparons le premier modèle de passivité au second modèle d'acti-
vité. Le premier modèle de passivité se rapporte à un Moi non auto-
nome qui ne règle pas la tension du Ça mais est plutôt réglé par elle,
puisque plus s'accroît la tension pulsionnelle, plus s'affermit la fonction
de barrage exercée sur la décharge par le Moi. Par contraste, le second
modèle d'activité se rapporte à un Moi relativement autonome qui
contrôle, diffère ou empêche la décharge pulsionnelle en restant en
liaison avec les demandes de sa propre organisation, mais en considérant
aussi l'état de l'organisme tout entier et les circonstances réelles. De
même, une comparaison entre le second modèle de passivité et le premier
modèle d'activité montre que le premier cité se rapporte à un Moi non
autonome, c'est-à-dire soumis à la domination et à la régulation de la
tension pulsionnelle, tandis que le second se rapporte à un Moi auto-
nome qui effectue la décharge pulsionnelle en restant en liaison avec ses
contrôles, mais en considérant aussi l'économie de tout l'appareil psy-
chique (ou organisme) et les circonstances réelles.
Ces modèles doivent être maintenant complétés par un parallèle
représentant l'endurance passive et la réponse passive à la stimulation
externe autant que l'endurance active et la réponse active à cette stimu-
lation. Il semble que, dès que les « barrières anti-stimulus » et les seuils
sensoriels deviennent insuffisants pour ramener la stimulation externe
à des intensités maîtrisables, les barrières psychologiques — c'est-à-dire
de contre-investissement — entrent en jeu. Celles-ci, à leur tour,
366 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

semblent s'intégrer naturellement — et souvent s'identifier — aux


barrières de contre-investissementqui contrôlent la décharge pulsion-
nelle. Si ces relations peuvent être démontrées de manière concluante,
l'explication des inter-relations entre les autonomies comme celle des
inter-relations entre les stimuli externes et les pulsions sera à notre
portée. L'article évoqué ne traite pas de ces derniers modèles d'activité
et de passivité et demeure, de ce fait, incomplet (1).
Si l'on conçoit que l'établissement du « monde intérieur » [30] et
de représentations (de pulsions comme d'objets externes) est (ainsi
que l'a démontré Piaget) [56, 57, 70] une transformation en activité de
l'expérience sensori-motrice passive, si l'on songe en outre que les faits
cliniques qui montrent la transformation de l'expérience passive en
performance active sont au coeur du développement des structures
psychologiques [19, 21] ; et si l'on note enfin que l'opposition des pul-
sions et/ou des stimulus exprimée dans ces conceptions de l'activité et
de la passivité est au coeur des problèmes de pathologie, alors la relation
suggérée entre les autonomies du Moi et les conditions d'activité et de
passivité du Moi place les concepts d'autonomie au centre même de
notre thèse clinique et métapsychologique. De plus, puisqu'une analyse
métapsychologique de l'activité et de la passivité paraît possible, une
voie semble s'ouvrir vers une thèse métapsychologique achevée des
autonomies.

VIII
En résumé, l'organisme est doté par l'évolution des appareils qui le
préparent au contact avec son environnement, mais son comportement
n'est pas esclave de cet environnement puisqu'il est aussi doté de pul-
sions issues de son organisation qui sont les ultimes garanties contre
l'asservissement au stimulus. A son tour, le comportementde l'organisme
n'est pas simplement l'expression de ces forces internes puisque les
appareils mêmes par lesquels l'organisme est en contact avec son envi-
ronnement sont les ultimes garanties contre l'asservissement aux
pulsions. Ces autonomies ont aussi des garanties proximales dans les
structures intra-psychiques. L'équilibre de ces facteurs se contrôlant
mutuellement ne dépend pas du résultat de ces interactions fortuites
mais est contrôlé par les lois de la séquence épigénétique ayant pour
terme final le développement autonome du Moi.

(1) Le Dr Merton Gill et le Dr A. Wheelis appelèrent l'attention sur cette déficience lorsque
l'article fut présenté pour la première fois.
LA THÉORIE DE L'AUTONOMIE DU MOI : GÉNÉRALISATION 367

Tous les types de structures intra-psychiques protectrices sont des


composantes essentielles de la structure et de l'organisation du Moi
et les attributs de la conduite, conceptualisés en tant qu'autonomies
du Moi, sont les caractéristiques de cette structure et de cette organisation
du Moi. Le développement, le maintien et l'efficacité de ces structures
exigent un aliment, et leurs ultimes aliments sont les stimuli pulsionnels
d'une part, les stimuli externes d'autre part. Mais cet aliment est égale-
ment dispensé par d'autres structures du Moi et par les motivations
qu'elles suscitent, et plus le Moi est autonome, plus l'aliment émane de
ces sources internes. Mais cette « proportionnalité » ne s'obtient qu'à
l'intérieur d'une marge optimale puisque l'autonomie du Moi à l'égard
du Ça et l'autonomie du Moi à l'égard de l'environnement ne se garan-
tissent réciproquement qu'à l'intérieur d'une marge optimale. L'exagé-
ration maximale ou la réduction minimale de l'une ou de l'autre
rompt leur équilibre. Ainsi ces autonomies sont toujours relatives. Dans
les termes de l'histoire par laquelle j'ai présenté notre problème, la
force qui rend un homme indépendant de la stimulation de la réalité
tend à l'amener à construire autour de lui un mur impénétrable.
L'autonomie du Moi peut être définie en termes d'activité du Moi,
et la détérioration de l'autonomie en termes de passivité du Moi.
Le vieil adage selon lequel la liberté réside dans l'acceptation des
contraintes de la loi nous revient ici avec une signification rénovée.
La phénoménologie élémentaire de laquelle nous sommes parti semble
nous avoir introduit au coeur même de considérations métapsycho-
logiques.

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370 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

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L'intégration du père
dans les conflits précoces(1)
par ROGER MISÉS

Ce cas clinique permettra de discuter de quelques problèmes posés


par un patient dont l'anamnèse faisait indiscutablement retrouver un
rituel précoce et serré de la défécation. Son père avait participé très
tôt à ce rituel — à un âge considéré classiquement comme celui de la
prégénitalité. Or, dans le transfert s'est organisée une relation à trois
personnages de signification très particulière qui ne me semble pas
correspondre à la simple et traditionnelle expression régressive d'une
relation vécue historiquement sur un plan génital.
Je vais tenter de montrer que par suite d'une dysharmonie d'évo-
lution le père avait été différencié et reconnu dans son rôle alors que le
niveau libidinal restait celui de l'analité, de ce fait il avait été constitué
en rival mais en rival prégénital.Cette altération précoce de l'image pater-
nelle a contribué ultérieurement à empêcher son investissement sur le
plan génital — il en est résulté une structure pathologique originale
marquée par l'analité, aussi bien en ce qui concerne les mécanismes
défensifs que l'expression de l'érotisme. Sans entrer dans une dis-
cussion nosographique approfondie de cette forme morbide, on peut
en souligner d'emblée la cohérence, assurée par, de solides fixations
anales.
La discussion pathogénique mettra en face des problèmes méthodo-
logiques concernant la reconstruction en psychanalyse, néanmoins ce
cas, par ses particularités, par les repères précis qui jalonnent son his-
toire, limite notablement les critiques habituelles concernant les études
rétrospectives.

(1) Conférence prononcée devant la Société psychanalytique de Paris, le 19 mai 1963. Parve-
nue à la rédaction, le 25 mars 1964.
372 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3- 1964

Agé. de 30 ans au début d'une cure entreprise depuis quatre ans,


ce patient avait consulté pour un sentiment pénible d'incapacité, sur
le plan physique et intellectuel, qui remontait à sa plus lointaine enfance
et n'était en rien modifié par les multiples activités ritualisées auxquelles
il se soumettait. Ses contacts sociaux étaient réduits à des échanges
conformistes et sa vie professionnelle, dans une banque, ne lui apportait
aucune satisfaction.
Les perturbations de la vie amoureuse étaient majeures car sa
timidité pathologique excluait tout essai de rapprochement. Sa vie
sexuelle en dehors d'une seule aventure avec une femme peu désirable
et qui pratiquement l'avait séduit, se limitait à des rapports avec des
prostituées. Sa puissance sexuelle était apparemment normale mais les
relations génitales constituaient seulement le complément, fort peu
investi, du désir compulsionnel de voir et toucher les fesses d'une
partenaire féminine — l'envie de « brusquer, de manipuler » sans
fantasme précis de pénétration anale. La honte qu'il éprouvait de ce
désir ne lui permettait que rarement de le satisfaire — et sa gêne était
encore accusée par le fait que sa conception de la femme le poussait
vers un être idéal plein de fraîcheur et de pureté dont il pensait que ses
désirs — qualifiés de bestiaux — l'écartaient irrémédiablement.
Spontanément, il rattachait ses difficultés à l'ambiance très pénible
de son milieu familial.
Le père, artisan aisé, présente effectivement des traits pathologiques
indiscutables : autoritaire, méfiant, plein de suspicion, il exerçait sur les
siens un contrôle de tous les instants ; les faits les plus anodins étaient
régulièrement l'objet d'investigations non exemptes de sadisme, il
exigeait ainsi qu'un compte rendu des activités de la journée lui soit
fait de façon purement « objective » — et il punissait si l'enfant, au
lieu de décrire impersonnellement, se laissait aller à revivre les événe-
ments avec émotion. Le châtiment usuel consistait à mettre le fautif
au garde-à-vous, avec consigne de garder l'immobihté absolue, toute
infraction entraînait une prolongation. La mère apparut en première
approximation malheureuse et insatisfaite — l'enfant l'avait toujours
sentie en position de retrait, comme menacée d'un danger qu'il pourrait
lui-même partager — également différente des autres femmes, atten-
tive à ne pas déclencher les reproches du père et à protéger ses enfants
parmi lesquels mon patient a été et demeure le préféré. D'un frère
et d'une soeur plus âgés, il sera peu question alors qu'un frère de
L'INTEGRATION DU PERE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 373

18 mois plus jeune, constitue un repère chronologique intéressant.


J'ai volontairement isolé une part de la symptomatologie faite de
rituels et d'obsessions dont la succession fut clairement établie. Le
premier symptôme de cette série concerne un rituel de la défécation.
Mis sur le pot à un âge normal l'enfant avait développé vers 9 à 10 mois
un rite élaboré auquel participait la mère. Refusant l'exonération il
demeurait assis en face de cette dernière qui ne le quittait pas du regard.
Ce face à face se prolongeait jusqu'à ce que, apparemment lassée, la
mère lui remette ses vêtements, il se soulageait alors d'un seul jet,
d'où s'ensuivaient des soins périnéaux, au cours desquels il conservait
le contrôle de la mère. Sur la réalité de ces faits existent deux témoi-
gnages objectifs — d'une part le repère fourni par le frère cadet de
18 mois plus jeune qui devint propre avant mon patient, d'autre part
un document photographique dont l'intérêt est multiple. En effet,
au moment où le matériel analytique mettait en question le plaisir pris
dans cette relation particulière, il advint que la mère découvrit fortuite-
ment une photo la représentant en face de l'enfant dans l'accomplisse-
ment du rituel — ce qui témoignait de sa part d'un remarquable pouvoir
de communication car elle se trouvait à quelques milliers de kilomètres
et ne possédait aucun élément sur le déroulement de la cure. Elle
envoya donc la photo avec un commentaire qui exprimait sa nostalgie
profonde de ces temps révolus. Le plus intéressant dans ces faits concer-
nait le père photographe qui avait voulu garder un document de cette
révolte incroyable d'un garçon alors âgé de trois ans, qui le bafouait
ouvertement plusieurs fois par jour. A ce propos, la mère évoquait la
rage du père dépossédé et il était facile de percevoir quelle jouissance
la mère et l'enfant avaient retirée de ce défi triomphant et renouvelé,
lancé au père.
En continuité immédiate avec le précédent devait s'organiser un
autre rituel : mis à l'école, l'enfant refusa d'y déféquer, se réservant pour
l'exonération à domicile, quelque effort qu'il dut faire pour y parvenir.
En même temps, il élaborait le fantasme d'une femme qui le suivait
du regard sur le chemin de l'école, femme qui apparaissait lorsque sa
mère du seuil de la maison familiale, le perdait elle-même de vue,
ainsi l'enfant était constamment suivi par un regard féminin, jusqu'à
son entrée en classe où il commençait à lutter pour ramener intact à
la maison le contenu intestinal. Vers la puberté, l'apparition d'une
constipation opiniâtre rendit inutile le maintien d'un effort conscient.
Entre-temps, vers 7-8 ans, était apparu le désir obsédant de regarder
les fesses de ses camarades, mêlé à l'idée que cet acte lui conférerait
REV. FR. PSYCSANAL. 25
374 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

sur eux une supériorité absolue. Cet intérêt fut rapidement retourné
vers lui, et il cédait parfois au besoin compulsionnel de se dénuder et de
regarder ses fesses — avec bientôt l'idée d'une surveillance extérieure
exercée contre lui — ce qui accentuait les sentimentsde honte. Enfin,
à la puberté, les compulsions à voir et toucher les fesses d'une femme
firent leur apparition dans la forme décrite précédemment. Notons que
la masturbation ne fut découverte qu'à l'âge de 17 ans, et que l'adoles-
cence fut traversée dans un climat d'écrasement instinctuel massif.
Dans leur chronologie précise, ces différents symptômes rendent
compte de la continuité de la symptomatologie depuis le premier âge,
avec des cycles successifs mais où l'on voit déjà clairement qu'ils ne
font que répéter le rituel initial de la défécation, sans parvenir à dépasser
ce mode d'organisation primitive.

Un tableau sommaire des principales séquences de la cure permettra


d'insister spécialement sur l'intégration du père dans un conflit de
nature prégénitale.
Pendant environ un an, le patient se limita à l'expression de mouve-
ments affectifs dominés par des sentiments d'élation comparables à
ceux décrits par Grunberger : il se voyait par exemple remontant à
ski, comme poussé par une force magique, une pente neigeuse infinie
illuminée par le soleil. A d'autres moments, il était envahi par un chagrin
plein de douceur. Sur ce fond il ressassait de façon monotone à propos
de ses difficultés et de ses symptômes. Il hallucinait également des repré-
sentations partielles du corps humain, un visage en mouvement, un
petit sexe d'où s'éloignait ou s'approchait une petite main, une grande
main, des fesses — et il soliloquait de façon rituelle en dénommant
les organes, ceci dans un climat plutôt agréable et sans vivre par ailleurs
de phases de dépersonnalisation.
Ces éléments renvoient assurément aux mécanismes de structuration
de l'image de soi et de réintégration des fantasmes primitifs — mais le
vécu n'avait aucune parenté avec l'angoisse de morcellement et je
mettrai, au contraire, l'accent sur l'aspect positif de cette réassurance,
sur sa valeur hédonique même dans un climat narcissique.
Une relation transférentielle stable s'organisa vers le début de la
deuxième année de la cure à partir des sentiments amoureux concernant
une camarade de bureau qui resta longtemps à l'état quasi mythique.
Sans avoir fait le moindre mouvement réel d'approche, le patient
imagina qu'il pouvait l'attirer par son regard, triste et lourd, par un
appel muet mais pressant, sans faire un geste, sans proférer une parole.
L' INTEGRATION DU PERE DANS LES CONFLITS PRECOCES 375

Cet amour serait parfait, immense, mais il se posait la question,


comment accepterait-elle « le charnel », elle si douce, si pure, si fragile ?
Il luttait donc, cherchant à effacer, à écraser les désirs qui montaient
en lui — et qui ne pouvaient que ternir cette image et le rejeter dans
la honte.
On retrouvait cette même peur de « laisser échapper » dans le trans-
fert : jusqu'alors j'étais apparu seulement comme un abri, une protection
— il se mit à craindre de « sortir » des paroles choquantes — et même,
ce qui est plus intéressant, de me blesser par le seul son de sa voix
qu'il pourrait ne plus contrôler.
Ceci se reliait à un fantasmemasturbatoire, celui d'une femmegrande,
belle, impassible, sévère même, qu'il fixait intensément en demandant
pardon de l'activité honteuse à laquelle il cédait dans le même instant.
Cette image, il la maintenait immuable, immobile pendant toute la
masturbation. Tout dans cette lutte le ramenait à la longue période de
sa vie où, assis sur le pot, face à sa mère, il ne la maintenait réelle, entière,
qu'en différant son besoin d'évacuer les matières et en écartant les
fantasmes crus qui pouvaient altérer cette relation parfaite.
De cet ensemble forcément schématisé, retenons surtout que l'objet
féminin se trouvait investi de deux mouvements contradictoires,
l'un qui poussait à le reconnaître comme un objet entier, idéalisé, et
l'autre qui le ramenait au niveau d'une relation sadique, dangereuse
— dangereuse, même si on la considère sur le seul plan de la relation
sadique anale à l'objet partiel ; plus dangereuse encore si on retient la
menace d'une régression profonde avec destruction totale de l'objet.
On peut dégager les différents mécanismes qui visaient à protéger
l'objet de ce danger. Le plus évident concerne la sublimation indirecte
de la tendance partielle sadique et voyeuriste par le processus de l'idéa-
lisation que Pasche définit « comme ayant pour résultat d'épurer l'objet
de ceux de ces caractères qui provoquent l'excitation sexuelle tout en
lui conférant un attrait propre à satisfaire selon un mode indirect les
pulsions du sujet ». Par ailleurs, le fait même de se vouloir petit, sans
forces, d'attirer par sa faiblesse et sans initiative exprimée constitue
en soi une négation de son désir de toute-puissance sur l'objet; s'y
articule la transformation du désir actif de se porter vers l'objet (de
pénétrer) en celui passif d'attirer (d'être pénétré). Dans l'analyse même,
la répression s'exprimait de façon directe de sorte qu'au cours de cette
période apparut une constipation totale qui abolissait toute perception
du besoin même de déféquer — ce qui plongeait le malade dans un
désarroi extrême. La tentative d'aménagement se manifesta également
376 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

dans un essai de rapprochement avec une prostituée, pour qui le


malade se trouva absolument Sans désirs. Sa lutte contre les tendances
interdites se révéla tellement efficace qu'il réalisa seulement son fan-
tasme d'une relation avec une femme intouchable — il s'assit en effet
devant elle et se borna à la regarder dans un sentiment d'exaltation où
il ne percevait aucune excitation sexuelle.
Il semble bien que la décharge instinctuelle interdite s'était ici
condensée dans l'acte du paiement préalable — simplement renversé
dans sa signification anale par rapport à ses fantasmes habituels.
Enfin, le contrôle par le regard représente ici une technique privi-
légiée, qui fait de l'action sur l'objet une manipulation à travers laquelle
le patient s'en saisit, s'en approche ou s'en éloigne, se fond et se dis-
tancie, se montre actif ou attire passivement — tout en éprouvant des
sentiments qui vont de l'ineffable à la satisfaction la plus précise. Le
jeu entier de la distance à l'objet se trouve ici en raccourci. Or, il
apparut bientôt que ces tentatives de maintien à distance de l'objet et
de contrôle des pulsions ne suffisaient pas à établir une barrière dans
une relation où le père ne figurait pas encore explicitement. Ceci fut
révélé à travers un acting-out : le patient vivait chez une dame âgée
aimable mais obsessionnelle qui le traitait amicalement à condition qu'il
respectât un ordre méticuleux. Au moment précis où dans l'analyse
il se trouvait directement confronté avec ses désirs dangereux pour
l'objet, il répandit à plusieurs reprises de l'eau savonneuse autour du
lavabo et fut congédié. S'ensuivit une phase d'anxiété avec élaboration
de thèmes dépressifs. Vis-à-vis de moi son langage se modifia, il me
reprochait, à travers ses plaintes, de ne pas être intervenu pour le proté-
ger de ses pulsions dangereuses et dans les jours suivants, il mit en
scène un personnage interdicteur, il imaginait des interventions diverses
qui avaient pour but de le séparer de son objet d'amour. Il pensait
qu'on avait remarqué ses habitudes de vie en retrait, qu'il était jugé
suspect et que pour cette raison un homme s'asseyait par exemple à la
cantine entre la jeune fille blonde et lui afin de protéger cette dernière
d'une agression éventuelle. Comme il avait eu un moment d'humeur,
d'ailleurs immédiatement contrôlé vis-à-vis de la propriétaire de son
hôtel, il se voyait jeté dehors par le mari et désormais sans abri. Enfin,
sa gêne à me regarder à la fin de la séance lui fit penser que mon regard
était dur, impérieux, ce qui lui rappelait de façon irrésistible l'oeil
sévère de son père avec sa méfiance, sa suspicion, sa recherche perpé-
tuelle des sentiments interdits.
Cette situation est assurément différente de la simple bipartition
L'INTÉGRATION DU PÈRE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 377

de l'objet maternel. Elle n'est pas non plus un simple paravent destiné
à cacher le désir homosexuel derrière la relation à un persécuteur.
Certes, ultérieurement, on pourra dégager la signification erotique de la
relation au père, mais dans le moment même où cette relation triangu-
laire s'est organisée, elle ne correspondait pas à la classique tentative de
reconstruction sous forme de persécuteur de l'objet d'amour perdu.
Il s'agissait réellement d'un conflit à trois personnages et le père mena-
çant intervenait sans équivoque pour interdire une satisfaction sadique
qui n'était permise qu'à lui seul — ainsi, un jour où ma bonne était
absente, il imagina non seulement que je l'avais écartée parce qu'il était
dangereux pour elle, mais encore que moi-même je prenais plaisir à la
maltraiter.
Cette situation lui permettait donc de faire jouer au père le rôle du
personnage frustré et en même temps de se faire interdire par ce dernier
la satisfaction prégénitale dangereuse.
Parallèlement, il détournait sur le père une part de son agressivité,
car, disait-il, cette situation était injuste ; il insistait sur le fait qu'en
défendant son objet d'amour ce n'était pas un désir sexuel qu'il voulait
satisfaire mais un besoin élémentaire comme boire et manger et il
retrouvait le souvenir-écran d'un père cruel qui sans égards pour ses
besoins de petit enfant, écartait la mère de son lit à barreaux tandis qu'il
l'appelait et pleurait en vain. Il se souvenait également d'un accident
survenu alors qu'il avait 13 ans et de son père furieux qui voulait l'arra-
cher à la sollicitude maternelle et le renvoyer à l'école alors qu'il avait
« besoin » de tous ses soins. Moi-même je pourrais de façon identique le
« jeter » hors de la séance.
La situation ainsi revécue dans le transfert permet de comprendre
l'aménagement du rituel primitif du fait de l'introduction du père.
Primitivement, le rituel comportait trois phases : dans la première,
l'enfant s'assurait d'abord la maîtrise de la mère comme objet entier
maintenu à distance et néanmoins manipulé par le jeu de l'érotisation
du regard ; dans un deuxième temps, lorsque la mère, lassée, se détour-
nait, l'enfant en se soulageant, cédait au désir de satisfaction partielle ;
dans un troisième temps, enfin, il faisait revenir sa mère comme per-
sonnage entier par le regard triste dont il veut user exclusivement pour
attirer aujourd'hui son nouvel objet d'amour. Comme on le voit, l'intro-
duction du père lui permet de nier les deux premières phases et de
n'être plus que l'enfant passif dans l'attente d'une mère dont il a
« besoin ».
Cet aménagement de la relation conduisit plus loin dans l'analyse
378 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

des pulsions dirigées vers la mère ; mais ici une parenthèse est néces-
saire. Les conditions du mariage des parents permettent, en effet, de
mieux comprendre le sens profond des identifications offertes au
patient. Je rapporte ce récit tel que la mère le lui communiqua lorsqu'il
était adolescent.
Le père, qui à 40 ans n'avait aucune connaissance des femmes,
jugea un jour que son commerce marchait assez bien pour lui permettre
le mariage. Il écrivit à sa famille en France de lui envoyer une femme à
cet effet. On lui adressa une jeune fille qui, par romantisme, souhaitait
s'exiler, il l'épousa 48 heures après son arrivée — mais s'il avait pu
réduire la durée des fiançailles, il devait se heurter à un obstacle inat-
tendu — celui de l'hymen qui résistait, de sorte qu'après 6 mois d'essais
infructueux, il fallut recourir au chirurgien. Relatant ces faits, le patient
me dit qu'il ne voit pas clairement lui-même comment est constitué
l'appareil génital de la femme — alors que moi médecin, je n'en ignore
rien. Cette remarque permit de découvrir le désir de castration sadique-
anale recouvert par l'expression édulcorée de son besoin compulsion-
nel à « voir et toucher les fesses » : il excluaitla représentation de la partie
antérieure du corps humain car elle pouvait révéler la castration — et
surtout en laissant ainsi entendre que je pourrai le faire accéder à
cette identification au chirurgien mutilateur ; il en exprimait clairement
le voeu.
A partir de là, il fut possible de ramener vers la mère qui en avait été
le premier objet une partie de l'agressivité détournée vers le père — ce qui
mit à jour le danger dans la relation binaire d'une agression destructive
de l'objet. Deux rêves rendront schématiquement compte de ce mou-
vement.
Le premier date de la période où il met en avant sa lutte contre le
père : « Je suis allongé avec une couverture marron sur la moitié infé-
rieure du corps, un homme vient me l'enlever, me secoue, je me mets en
colère contre lui. » Cet homme lui fait penser à l'analyste ou à son père
qui voulait le séparer de sa mère en intervenant dans le rituel de la
défécation.
Le deuxième rêve sera relié au premier par un manteau marron
porté par lui qui fait le pendant de la couverture du rêve précédent. Il
suit la mise en évidence de ses désirs d'agression, dissimulés jusqu'alors
par le simple intérêt érotique.
« J'entre dans un restaurant, j'enlève mon manteau marron, je me
débarrasse d'un livre à couverture rouge et or, comme un prix, je sors
alors un livre comportant deux tomes enfermés dans un boîtier, on ne
L' INTEGRATION DU PERE DANS LES CONFLITS PRECOCES 379

voit que la tranche — je sais que ce sont des mémoires de guerre — puis
je vais aux W.-C; et je défèque copieusement, mais je me salis, je me perds
ensuite dans des endroits où il y a beaucoup de monde, je reviens au
restaurant, mais la maison est défoncée, je ne retrouve plus mon
manteau — et je ne sais à qui m'en prendre. »
Le sens de ce rêve est clair : l'abandon de ce qui le protège, c'est-à-
dire de la lutte contre le père, le met en face de son agressivité contre la
mère — et même s'il ne la découvre pas complètement (les livres sont
dans un boîtier) il perd l'objet, se retrouve plongé dans les matières
fécales, descendu de son piédestal, entouré de rivaux, sans abri et sur-
tout ne retrouve plus son manteau, c'est-à-dire la protection que lui
fournissait la lutte contre son père.
Dans la perspective où je me place, un point mérite d'être discuté.
On me demandera en effet ce que cache la couverture, si le pénis n'est
pas clairement spécifié par ce qui le dissimule ici. A ceci je dirai qu'effec-
tivement les fèces sont là pour cacher le pénis mais que rien de tel ne
put être mis à jour et revécu avec une référence historique. Le père
n'avait jamais cherché à arracher à son fils autre chose que le bâton
fécal par lequel l'enfant s'assurait la possession de la mère.
En un mot, ce qui fonde la puissance et le lien avec la mère c'est
encore le bâton fécal — que le père veut arracher.
Il reste à indiquer rapidement pourquoi ce système clos n'avait pu
trouver une issue vers la génitalité. L'analyse du masochisme en fournit
l'argument : aux alentours de la puberté, le patient avait été battu
par un « père » dans le collège religieux qu'il fréquentait ; il exprima au
rappel de ce souvenir son étonnement de n'avoir pas été déculotté
et fessé, mais seulement frappé sur la cuisse. Je lui suggérai qu'il avait
était déçu, il nia le sens de relation amoureuse de cette correction, mais
se souvint qu'il l'avait provoquée et surtout que peu auparavant il
avait cru voir son propre père en conversation avec le religieux. Il
associa sur l'idée que son père pouvait m'écrire pour être tenu au
courant de l'évolution de la cure.
Il apparut ainsi que le religieux et l'analyste représentaient le
chirurgien délégué par le père pour mutiler l'enfant comme la mère
l'avait été autrefois. Le père n'intervenait donc même pas lui-même,
mais se faisait représenter par un personnage qui n'avait rien d'humain
— il se trouvait réduit à un rôle d'instrument d'où l'aspect intolérable
de cette intervention mutilante qui s'effectuait sans compensation ni du
côté de l'amour objectai, ni de celui de la valorisation narcissique. Cette
figuration du père trouve évidemment son origine dans ses interventions
380 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

au niveau des conflits sphinctériens qui en avaient fait une image


terrifiante, au lieu de constituer une représentation corrective vis-à-vis
des images primitives.
On notera à ce sujet, l'ambiguïté du personnage actif (le religieux :
un homme en jupe) qui ramenait le danger au plan de la prégénitalité
— de même que l'intervention chirurgicale conçue non comme une
section du pénis, mais comme l'ablation de quelque chose d'imprécis,
à l'intérieur du corps — symétrique de ce qui était visé chez la mère
par l'agression sadique. Enfin, il faut accorder dans le refus des émois
homosexuels une place importante à la façon dont la mère elle-même
concevait l'identification féminine.
Pour ces motifs, seul avait subsisté le courant agressif dirigé vers
le père — ce qui avait conduit à l'instauration d'un système fermé du
côté de la promotion génitale. Effectivement, dans le transfert, des
scènes où le patient se voyait me souriant, jouant avec moi, me faisant
participer à des échanges fécaux prenaient pour la première fois une
signification plaisante.
Mais bientôt il en vint à penser que l'analyste ne se contenterait
pas d'échanges de matières dévalorisées — qu'en somme le pénis était
en jeu : ce sentiment il le vivait pour la première fois, son père s'étant
satisfait effectivement de relations qui ne mettaient pas en cause une
virilité parcimonieusement mesurée.
A ce moment, son père étant venu à Paris, le patient entreprit en
s'appuyant sur l'analyste autant qu'on peut le faire dans une cure ortho-
doxe de comparer l'image terrifiante de son enfance avec l'image réelle
du père. Il reconnut alors que le monstre terrifiant n'était en réalité
qu'un pauvre homme — impuissant, défaillant, timoré, et progressi-
vement il « l'expulsa », ce qui le libéra de l'étreinte qui avait jusqu'alors
pesé sur lui et lui permit du même coup d'accéder à une relation authen-
tiquement génitale. Cette partie de la cure qui n'est pas absolument
nécessaire pour la discussion proposée sera laissée de côté.

Il faut retenir comme élément central le rituel de la défécation qui


maintint l'enfant dans une relation anale à laquelle le père vint bientôt
participer. Pendant cette phase anormalement prolongée, l'image du
père s'est individualisée, différenciée et celui-ci a été progressivement
reconnu dans son rôle et dans ses fonctions — et non pas seulement
représenté par un de ses attributs. Il est hors de doute que cette acces-
L'INTÉGRATION DU PÈRE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 381

sion du père au statut de personnage entier pendant qu'il participait au


rituel — sans que le conflit prégénital soit un instant dépassé, évite de
rapporter la relation à trois personnages élaborée dans le transfert à
l'expression régressive d'un conflit génital et conduit à penser, au
contraire, qu'elle s'est effectivement construite sous le signe de la
relation d'objet anale — qu'on se réfère par ce qualificatif à la forme de
l'investissement, à la nature de l'objet ou à la zone érogène prévalente.
Les mouvements instinctuels phalliques n'ont pas permis d'inves-
tir réellement la génitalité. L'énergie des pulsions phalliques n'ayant
pu trouver à s'intégrer dans le faisceau génital, est venue renforcer les
tendances partielles — et plus particulièrement leur signification
agressive, ce qui est sensible dans le sens donné au désir de « voir »
et de « toucher » et plus encore pour l'érotisme de la zone anale propre-
ment dite. Quant aux représentations phalliques, le fait qu'on n'en
trouve aucune trace renvoie à l'hypothèse de Freud d'un refoulement
total qui ne permet même pas l'accès au conscient.
On en vient donc à cette conception d'une dysharmonie entre le
niveau instinctuel qui reste prégénital alors que le Moi a atteint un
niveau d'organisation élevé. Or ceci a été retenu par Freud : « Il y a
lieu de prendre en considération quant à la prédisposition à la névrose
obsessionnelle le fait que l'évolution du Moi soit en avance sur celle
de la libido. Cette avance expliquerait que le choix objectai se fait avant
que la fonction sexuelle n'ait encore atteint sa constitution définitive
et qu'il y eut fixation au stade prégénital. »
Il faut noter que dans l'article d'où se trouve tirée cette citation,
Freud désigne du nom de névrose obsessionnelle des états fort divers
qui n'ont en commun que l'utilisation des mécanismes de défense
obsessionnels — ou pour mieux dire propres à l'analité.
Il oppose en effet les cas restés traditionnels où il y a réactivation
par voie de régression à « ceux où l'organisation sexuelle d'où procède
la prédisposition obsessionnelle n'est une fois établie jamais complète-
ment dépassée ».
Ainsi, en ce qui concerne du moins le secteur obsessionnel de ce
patient, les références tirées de Freud confirment les arguments liés à la
chronologie de ce cas en faveur de la prévalence de la fixation, et d'une
évolution dramatique qui laisse en présence des protagonistes reconnus
comme entiers, différenciés dans leurs fonctions, mais sans cesse menacés,
dans une relation partielle d'une agression sadique destructrice.
A ce niveau, l'hypothèse d'une intégration du père est étayée par
les travaux de Lebovici et de Diatkine fondés sur des arguments neuro-
382 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

biologiques confrontés eux-mêmes avec leur expérience de psychana-


lystes d'enfants, ils en montrent en quelque sorte la genèse en décrivant
sous le terme d'oedipification la situation suivante : « Dans la relation
binaire partielle à l'objet maternel, l'enfant introduit au fur et à mesure
des progrès de la maturation de son système nerveux, l'image paternelle.
Le père devient le support de la frustration projetée et l'enfant ne peut
pas ne pas imaginer que ce père cherche précisément les satisfactions
prégénitales dont il est privé. »
Certes, on peut difficilement comparer ce patient aux psychotiques
étudiés à ce propos par Lebovici et Diatkine mais le mécanisme qu'ils
décrivent joue certainement un rôle voisin dans certaines structures
prépsychotiques et prénévrotiques graves — où l'on aurait tort de
rattacher tous les conflits triangulaires à l'avènement d'une forme oedi-
pienne génitale.
J'ai développé en cours d'exposé les fonctions les plus évidentes de
cette intégration du père dans le conflit binaire : d'une part, il devient
effectivement « le support de la frustration projetée », d'autre part, il
détourne vers lui une agressivité dangereuse pour l'objet, enfin il s'oppose
efficacement aux agressions dirigées contre la mère.
Ce frein rudimentaire apparaît, en effet, d'autant plus nécessaire
que le pouvoir d'investir la mère en tant qu'objet complet et même
idéalisé n'implique pas forcément la création simultanée d'un Surmoi
— ce que souligne fort justement Pasche. Dès lors, la protection de
l'objet ne peut plus être assurée que par un personnage qui s'oppose,
sanctionne, punit, puisque les références éthiques propres au Surmoi
font encore défaut.
J'ai vivement insisté sur le fait que cette fonction interdictrice est
conflictualisée, c'est-à-dire que le père s'opposait à ce que l'enfant parti-
cipât à un plaisir prégénital qui n'était permis qu'à lui-même. Il faut
donc distinguer ce conflit de la simple relation alternée à une bonne
mère qui donne et à une mauvaise mère qui refuse ou encore de l'iden-
tification successive aux deux protagonistes de la scène primitive, et
surtout de la pure expression régressive d'un conflit génital.
Cet inventaire des différentes formes de participation du père au
conflit prégénital conduit nécessairement au problème économique.
Mallet l'a posé très nettement lorsque reprenant les études de Reich
et de Freud sur ce thème il écrit « le Moi s'effraye devant la pleine satis-
faction, insupportable en soi des exigences instinctuelles tout à fait
indépendamment du fait qu'elles l'engagent dans des conflits dange-
reux pour lui avec l'objet, le milieu ou le Surmoi » ... ce qu'il craint c'est
L'INTÉGRATION DU PÈRE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 383

« la destruction de son organisation dynamique particulière et la perte


de son indépendance par rapport au Ça ».
Ce serait une erreur méthodologique que de valoriser ces facteurs
au point de se demander s'ils ne permettent pas de réduire l'importance
des conflits précoces. Il y a là en fait deux modes différenciés d'approche
de ce cas clinique qu'on ne saurait opposer par exclusion réciproque.
Sur le plan technique, par contre, il est nécessaire de les différencier en
sachant reconnaître notamment ce qui est la simple mise en avant d'un
interdit en tant que « garde-fou externe ».
Nous en arrivons à la conséquence majeure de cette participation
du père — plus exactement au versant négatif caractérisé par l'échec
de l'introjection conservatrice qui n'a pas pu se réaliser sur cette image
dangereuse et, plus encore, dévalorisée.
Bouvet, Grunberger, Marty et Fain ont consacré à ce problème
des travaux récents qui semblent concorder avec les données de notre
observation. Mais à côté de la dynamique même de cette phase et de
l'investissement homosexuel proprement dit — je crois utile d'accorder
une large place à la simple prise en considération du père comme modèle.
Voici ce qu'écrit Freud : « Le petit garçon manifeste un grand intérêt
pour son père, il voudrait devenir et être ce qu'il est, le remplacer à
tous égards. Disons-le tranquillement il fait de son père son idéal. Cette
attitude à l'égard du père (ou de tout autre homme en général) n'a rien
de passif ni de féminin, elle est essentiellement masculine. Elle se
concilie fort bien avec le complexe d'OEdipe qu'elle contribue à prépa-
rer » car initialement, et c'est Freud qui le souligne, l'attachement
pour la mère comme objet sexuel et l'identification au père comme
modèle à imiter peuvent coexister — le conflit n'apparaît que plus tard.
Je désire essentiellement souligner que la participation du père aux
conflits prégénitaux le marque irrémédiablement et le rend strictement
impropre à constituer le modèle sur lequel s'appuie le mouvement qui
conduit à l'identification.
Freud a montré ailleurs que le parent restait à l'état d'objet sexuel
quand il n'avait pu être idéalisé et que « les parents ne pouvant être
introjectés dans le Moi que désexualisés » l'échec de cette introjection
était décisif.

Si cet échec dans la phase introductive à la génitalité joue un rôle


essentiel, on ne saurait toutefois l'isoler artificiellement en minimisant
l'importance de la peur de la castration ou le rôle des phases constitu-
tives de l'objet.
384 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

En ce qui concerne l'angoisse de castration, retenons seulement que


tout l'édifice défensif a finalement pour résultat de différer la mise en
question du pénis en tant que tel. L'absence de toute référence à la
castration génitale apparaît par elle-même hautement significative.
Dans cette observation où le refoulé se fait jour avec une grande clarté,
il convient de valoriser l'amputation réelle que le malade a subie — ou
acceptée — sur le plan génital.
Vis-à-vis des phases primitives du développement, devant ce rituel
de la défécation précoce et envahissant, il faut d'abord en reconnaître
le sens premier qui renvoie à l'intégration de fantasmes primitifs, à
l'organisation de l'image de soi, à la structuration du Moi.
Indépendamment de la référence conflictuelle, la mère est un facteur
de réassurance spéculaire, ce qui apparaît évident dans le face à face
du rituel.
On peut aisément admettre que la complaisance et l'attitude incons-
ciente de la mère ont contribué à faire de ce mécanisme de structuration
le support d'une relation érotisée — ce qui n'est pas pour surprendre mais
rend compte des difficultés d'une classification stricte de ces structures
évolutives, car, selon qu'on mette l'accent sur la dysmaturation ou sur
l'érotisation consécutive, on infléchit le diagnostic respectivement vers
la prépsychose ou la prénévrose. Ces facteurs dysmaturatifs contribuent
donc à raccorder le danger d'une satisfaction régressive, destructive de
l'objet maternel à une menace précise réelle, inscrite de façon prégnante
dans l'évolution neurobiologique. Or, le pouvoir d'accéder à une relation
à trois personnages permet justement l'organisation d'une structure
stable et prémunit contre de tels dangers.
Mais cette organisation pathologique pour être oedipienne ou « oedi-
pifiée » n'en est pas pour autant génitale : il faut reconnaître le caractère
primitif des mécanismes mis en jeu. Les défenses renvoient à une orga-
nisation anale non évoluée qui n'a jamais été dépassée et n'est qu'une
répétition du rituel initial. On est loin de l'organisation spécifiée par
la régression propre à la névrose obsessionnelle classique où l'accession
à un OEdipe génital a été la règle. Il ne s'agit pas non plus de défenses
de caractère au sens strict du mot dont on considère qu'elles prennent
leur origine dans l'érotisme anal mais qu'elles sont également toujours
intégrées au niveau d'une relation génitale, comme Freud y a insisté.
On ne saurait d'ailleurs réduire cette structure à son organisation
défensive, au sens limité du mot, il faut aussi y reconnaître l'expres-
sion primitive de l'analité dans les diverses modalités relationnelles
qui permettent à l'érotisme anal de se satisfaire de la façon la plus
L'INTÉGRATION DU PÈRE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 385

précise ; corollairement, les références éthiques restent sommaires,


le patient est surtout protégé par des instances interdictrices primi-
tives, c'est la honte qui sert d'abord à freiner les élans instinctuels,
lesquels tendent à se satisfaire aussi bien par l'activité, que dans la
passivité, cette alternance jouant un rôle important dans l'équilibre
économique.
Comment ne pas reconnaître dans cet ensemble l'équivalent des
formes décrites par Freud où la fixation anale n'est jamais dépassée :
de ce fait, tous les infléchissements vers la génitalité ont été régulière-
ment réduits et pratiquement sans conflit vécu à un niveau génital,
notamment à l'adolescence où l'écrasement instinctuel massif évoque
certaines évolutions pubertaires décrites par Mâle.

Cette discussion ne prend un sens que dans la mesure où l'on


conserve le cadre de la théorie freudienne, avec la distinction entre
phase prégénitale et phase génitale, cette dernière ne pouvant s'instau-
rer sous la forme d'une relation avec un personnage entier et fonction-
nellement différencié qu'à un âge « raisonnable » ; la maîtrise des fonc-
tions perceptivo-motrices les plus évoluées y est en outre inséparable
de la prise en considération de l'évolution libidinale.
Il n'y a problème que dans la mesure où, pour comprendre notre
cas clinique, on garde les références freudiennes, tout en écartant l'hypo-
thèse de la régression. Pour les kleiniens, par exemple, la question ne se
poserait même pas, puisqu'en situant le complexe d'OEdipe avec menace
de castration génitale vers le milieu de la première année, leur théorie
permet de considérer que toute la période sur laquelle j'ai insisté dans
l'histoire de ce patient, se trouve placée dans la phase post-oedipienne.
Une autre façon d'esquiver le problème serait de classer notre sujet
parmi les malades névrosés dont Gitelson écrit que leur complexe
d'OEdipe est inexistant sous prétexte que la phase phallique n'a pas été
investie. Pour Gitelson, un tiers des malades traités aux U.S.A. entre-
raient dans ce cadre.
Ces deux positions — entre autres — altèrent gravement le sens
freudien du complexe d'OEdipe. Les théories kleiniennes ont fait l'objet
de critiques que je n'ai pas le loisir de reprendre ici. Quant à Gitelson,
il répond d'une façon inacceptable à la question posée déjà en 1927
par Odier qui intitulait un article Névrose sans OEdipe ; en effet, il
faut conserver au complexe d'OEdipe son sens, qui dépasse la notion
même de phase génitale : il s'agit d'un concept de valeur universelle,
tel qu'avant même tout investissement objectai, l'enfant se trouve placé
386 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

sous le signe d'une relation à trois personnages — la référence au père


étant toujours virtuelle et implicite.
Sous l'angle limité de la dramatisation, où je l'envisage ici, on doit
retenir les arguments tirés des études longitudinales qui rendent compte
d'une différenciation et d'une intégration progressive du père, à un
moment où l'investissement reste prégénital. Dans la majorité des cas,
ces notions ne modifient pas les schémas évolutifs classiques — mais
elles peuvent faire comprendre la genèse de certaines dysharmonies
évolutives développées dans des conditions pathogènes indiscutables
tenant soit à un déficit de l'équipement, soit à une perturbation grave
de l'environnement.
Ce qui, en première approximation, pourrait apparaître de ma part
comme une démarcation vis-à-vis de la thèse traditionnelle, c'est donc,
avant tout, le refus d'admettre l'équation relation binaire = relation
prégénitale. L'anamnèse de mon patient, l'évolution de la cure, la prise
en considération de son évolution perceptivo-motnce plaident, en effet,
selon moi, en faveur de l'élaboration d'une relation triangulaire qui conduit
à aborder le complexe d'OEdipe au niveau prégénital avec un personnage
paternel reconnu dans ses fonctions, maisfoncièrement impropre à constituer
un modèle pour un investissement génital.
J'ai essayé de montrer que cette conception pouvait s'appuyer sur cer-
tains écrits de Freud ; à côté des travaux cités en cours d'exposé, il faut
également retenir l'opinion de Nacht qui s'oppose, de même, à l'assimi-
lation entre pré-oedipien et prégénital : selon lui dans la phase prégé-
nitale deux objets différenciés peuvent déjà être proposés à l'investisse-
ment libidinal qui demeure bien entendu sous le signe de la prégénitalité.
On pourrait ajouter d'autres annotations tirées par exemple de
l'article sur La sexualité de la femme où Freud discute la valeur nodale
du complexe d'OEdipe, dans son acception classique et de L'abrégé de
psychanalyse où il admet un chevauchement des différentes phases
d'évolution de la libido.
Sur le plan technique dans la phase préliminaire à l'analyse du
complexe d'OEdipe à côté des facteurs propres au transfert homosexuel,
à travers lesquels l'établissement d'un lien positif vient réparer dans le
transfert les carences vécues, il faut faire une place particulière à tout ce
qui permet de différencier clairement une image paternelle acceptable.
On a beaucoup insisté sur les aspects dynamique, énergétique, pulsion-
nel qui conduisent à l'introjection conservatrice. Sans en réduire, si
peu que ce soit, l'importance, il faut souligner parallèlement la mise en
forme, à travers le jeu des pulsions anales les plus évoluées, d'un
L'INTÉGRATION DU PÈRE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 387

modèle d'identification qui permet de faire évoluer de façon décisive


la relation à la mère en constituant par rapport à celle-ci une référence
stable et protectrice. Toute référence transférentielle à une relation simul-
tanément oedipienne et génitale qui serait faite préalablement à l'établis-
sement de ce modèle, aurait pour seul effet de projeter dans une situa-
tion fabriquée un personnage qui resterait marqué par la prégénitalité.
Réciproquement, une analyse réduite à l'échange prégénital d'objets
partiels élaborés en dehors de la référence au père, contribuerait à
enfermer le patient dans un monde dominé par la menace de la perte
de l'objet — et à lui refuser l'ouverture vers la génitalité, qui toujours
implicite dans l'appel à l'analyste, doit être, sur le plan technique,
reconnue en temps opportun.
OUVRAGES CITÉS
[1] ABRAHAM (K.), Versuch einer Entwicklungs-Geschichte der Libido auf
Grund der Psycho-analyse seelischer Storûngen, Int. P.V., 1924.
[2] BOUVET (M.), Importance de l'aspect homosexuel du transfert dans le
traitement de quatre cas de névrose obsessionnelle masculine, Revuefrançaise
de Psychanalyse, XII, n° 3, 1948.
[3] FAIN (M.) et MARTY (R.), Aspects fonctionnels et rôle structurant de
l'investissement homosexuel au cours des traitements psychanalytiques
d'adultes, Revue française de Psychanalyse, XXIII, n° 5, 1959.
[4] FREUD (S.), La prédisposition à la névrose obsessionnelle (trad. PICHON
et HOESLI), Revue française de Psychanalyse, III, 1929.
[5] FREUD (S.), Psychologie collective et analyse du Moi (trad. S. JANKÉLÉVITCH),
Payot, Paris, 1924.
[6] FREUD (S.), Female Sexuality, in Collected Papers, Hogarth Press, London,
1931.
[7] FREUD (S.), Abrégé de psychanalyse (trad. A. BERMAN), Presses Universi-
taires de France, Paris, 1955.
[8] GITELSON (M.), Reevaluation of the Role of the OEdipus Complex, Int.
J. Psychanal., XXXIII, 1952.
[9] GRUNBERGER (B.), Étude sur la relation objectale anale, Revue française de
Psychanalyse, XXIV, n° 2, 1960.
[10] LEBOVICI (S.), Considération sur la relation d'objet psychotique, Revue
française de Psychanalyse, XXIII, n° 5, 1959.
[11] MALE (P.), Étude psychanalytique de l'adolescence, in La psychanalyse
d'aujourd'hui, Presses Universitaires de France, 1956.
[12] MALLET (J.), Les troubles névrotiques de la sexualité, in La psychanalyse
d'aujourd'hui, Presses Universitaires de France, 1956.
[13] NACHT (S.), Discussion au colloque sur l'interprétation prégénitale,
Revue française de Psychanalyse, XXII, 2, 1953.
[14] ODIER (Ch.), Névrose sans complexe d'OEdipe, Revue française de Psycha-
nalyse, n° 3-4, 1933.
[15] PASCHE (F.), Régression, perversion, névrose, Revue française de Psycha-
nalyse, XXVI, n° 2-3, 1962.
[16] REICH (W.), La fonction de l'orgasme, coll. « Psyché », L'Arche éd., Paris,
1952.
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DISCUSSION

Après que Sauguet, qui préside la séance, ait félicité l'orateur, la


discussion s'engage par l'intervention de Dalibard qui insiste sur un
aspect particulier lié au fait, qu'à son avis, très précocement, l'enfant
participe aux rapports qui se situent entre les parents dans le sens d'une
appréhension de la revendication phallique et de la peur de la castration.
Il donne des exemples cliniques pour illustrer ses dires.
Stein est d'accord sur le rôle du père dans les phases d'organisation
de la libido. Il pense, d'autre part, à l'existence du père, d'emblée, père
qui représente la Loi. Par ailleurs, il pense que dans l'exemple clinique
cité par Misés, notamment dans les scènes de défécation, le père s'est
comporté comme un voyeur au lieu d'être un véritable « père ».
Lebovici remercie Misés et trouve son exemple clinique un peu
trop démonstratif. Il pense que le travail de Misés montre l'intérêt
qu'il y a à distinguer la triangulation oedipienne et l'évolution génitale.
Rappelant le travail qu'il a fait avec Diatkine sur l'oedipification il
s'oppose aux conceptions de Stein, pense que l'originalité de la psycha-
nalyse est dans la reconstruction mnésique, que le père n'existe pas
d'emblée et que l'oedipification doit se faire à partir des expériences
précoces de l'enfance.
Favreau insiste surtout sur l'homosexualité du patient décrit
par Misés. Ce patient, d'après Favreau, a toujours lutté contre le désir
d'être pénétré par le père ; il vit avec l'analyste (père non dangereux)
une relation quasi-homosexuelle qu'il ne pouvait pas vivre avec son père
(relation fécale, mais non érotique anale), contre laquelle il se défend
« savamment » en utilisant l'expérience de sa relation avec sa mère.
Evelyne Kestemberg insiste sur la discordance entre l'accent mis
sur l'agressivité et la valeur libidinale du transfert.
Misés remercie et répond aux interventions.
Jean KESTEMBERG.

Intervention de M. DALIBARD

Je féliciterai Misés de son exposé et je voudrais apporter une petite


remarque clinique. Je suis tout à fait d'accord avec lui quand il parle
d'une relation triangulaire élaborée dans la prégénitalité et je voudrais
insister sur un aspect particulier lié au fait qu'à mon avis très précoce-
L'INTÉGRATION DU PÈRE DANS LES CONFLITS PRÉCOCES 389

ment l'enfant participe au rapport qui se situe entre les parents dans
le sens d'une appréhension de la revendication phallique d'un côté et
d'une peur de la castration de l'autre (ce qui est un mode d'introduction
du père) et l'enfant joue alors (d'autant plus que les relations entre les
parents sont peu génitales) le rôle d'un conduit qui relie les vases
communicants et grâce auquel tendent à s'équilibrer les variations de
niveau. Un patient dont j'ai parlé autrefois vivait une sorte de rôle
régulateur entre ses parents sous forme de restitution anale ou orale
alternativement à l'un ou à l'autre parent en fonction du manque et de
l'appel de chacun d'eux.
Chez ce malade, le complexe d'OEdipe fut à peu près inexistant ou
tout au plus consommé, comme le dit Misés, au niveau de l'ana-
lité et sa vie génitale était quasi inexistante. Un tel investissement
prégénital sur le père rendait celui-ci impropre au rôle nécessaire à
l'OEdipe.
Par contre chez un autre patient chez lequel également le père
fut une véritable « mère » en conflit avec celle-ci, l'investissement pré-
génital sur le père fut important.
Mais la mère ayant eu, dès les premières années de la vie de l'enfant
un amant, ce fut avec l'amant comblant la mère qu'a pu se faire l'OEdipe
et se réaliser une génitalité, le véritable père restant dans une sorte de
halo prégénital, entre autres, sous l'aspect d'un être « manquant de quelque
chose » et qu'il fallait combler. Il est à noter que la mère ayant perdu
l'amant redevient celle à laquelle il fallait toujours restituer quelque
chose selon ce mécanisme de régulation orale et anale qui je crois existe
chez l'enfant vis-à-vis des parents antérieurement ou parallèlement à
l'OEdipe — facteur dont l'importance paraît fonction de la plus ou
moins grande maturité génitale des parents et surtout de celle du père,
ce qui rejoint ici la notion indispensable du modèle à choisir dont parle
Misés et que l'analyste a assumé.

Intervention de M. LEBOVICI

Il faut remercier Misés d'avoir présenté pour notre discussion ce soir


un cas. L'exemple clinique est démonstratif, sans doute l'est-il dans
sa nudité et dans sa clarté un peu trop, et il est toujours difficile de savoir
exactement ce que sont les régressions.
Toutefois, la conférence de Misés nous montre l'intérêt qu'il y a
à distinguer la triangulation oedipienne et l'évolution génitale. Il a
REV. FR. PSYCHANAL. 26
390 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

montré clairement qu'il existe des triangulations au niveau prégénital,


en indiquant d'une manière précise comment le père s'était introduit
au niveau anal dans la relation entre l'enfant et la mère. Ce secteur mort,
figé, de la relation nous montre comment peuvent se comprendre cer-
tains phénomènes de transmission culturelle.
Je remercie Misés d'avoir repris le concept que Diatkine et moi
avons décrit, celui de l'oedipification qui indique en effet que la trian-
gulation se fait au moment où l'enfant peut faire du père l'agent de
la frustration projetée. Nous savons que ce concept pourrait être
repris et affiné, mais nous nous opposons à certaines conceptions
actuelles, comme celles que Stein a autrefois défendues dans son
travail sur les identifications précoces et qu'il a reprises aujourd'hui
lorsqu'il parle de l'existence du père d'emblée, père qui représente
la loi.
C'est parce que nous croyons que l'étude génétique de l'évolution
des structures de la personnalité de l'enfant est d'un réel intérêt pour
nous, parce que nous croyons, d'ailleurs comme Freud, que l'observa-
tion directe de l'enfant n'est pas sans intérêt, et que l'originalité de la
psychanalyse est dans la reconstitution d'une histoire dramatique vécue,
que nous pensons que le père n'existe pas d'emblée et que d'une manière
ou d'une autre l'oedipification doit se faire à partir des expériences
précoces de l'enfance.
Nous remercierons donc Misés de nous avoir fourni l'occasion d'af-
firmer avec force notre position à ce sujet en souhaitant d'ailleurs qu'elle
fasse l'objet d'un débat contradictoireultérieur.

Intervention de M. FAVREAU
C'est avec plaisir que je félicite Misés de son bel exposé. Il a réussi,
tout en restant bref, à nous situer son patient et à nous permettre de
sentir l'évolution de sa relation avec lui. Peut-être n'insiste-t-il pas
assez sur l'importance de la relation du malade avec son père et sur les
conséquences de cette situation sur la position prise dans l'analyse.
Bien sûr, l'échange entre l'enfant et sa mère agi et vécu à propos de
l'échange anal est important et certains comportements vis-à-vis de
l'analyste peuvent paraître pouvoir y être superposés. Mais il me
paraît plus important de souligner que ce jeu avec la mère se passait
en présence du père avec mise en jeu de l'orifice anal en tant que zone
érogène.
La conséquence semble avoir été dans la vie sexuelle du malade
L' INTEGRATION DU PERE DANS LES CONFLITS PRECOCES 391

une grave inhibition des désirs liée à la peur d'une résurgence de


désirs anaux aussi bien actifs que passifs, dans l'analyse un transfert
paternel homosexuel massif contre lequel le patient se défend « savam-
ment » en utilisant l'expérience de sa relation avec sa mère.

Réponse de M. MISES
Je remercie tous ceux qui, par leur intervention, ont manifesté de
façon explicite leur intérêt pour mon exposé.
Stein a évoqué, devant ce cas clinique, l'investissement anal de
l'objet dans la formation de l'idéal du Moi. Je suis tout à fait d'accord
avec ses arguments théoriques, néanmoins, mon observation ne permet
pas de donner à cet aspect du problème, l'élaboration souhaitable.
J'ai limité, en effet, volontairement cet exposé à la seule partie de la
cure qui me paraissait indispensable à l'illustration de ma thèse. Cette
remarque vaut bien entendu pour les autres interventions.
En ce qui concerne la controverse entre Lebovici et Stein, sur
l'apport respectif de l'observation directe et de la reconstruction, il
me semble que mon observation fait valoir comment ces deux modes
d'approche peuvent se compléter.
Dalibard exprime dans sa communication, un point de vue extrê-
mement proche du mien, qu'il prolonge d'ailleurs par la perspective
économique. Toutefois, on ne peut dire, avec lui, du complexe d'OEdipe,
qu'il est « inexistant » s'il a été consommé au niveau de la prégénitalité,
ceci pour son premier malade. De même, le fait que son second patient
ait accédé à un complexe d'OEdipe classique grâce à l'amant de sa mère,
oblige à parler pour lui de « régression ». C'est justement pour préciser
ces données, que j'ai entrepris ce travail.
Lebovici, à l'encontre d'autres intervenants, juge l'exposé de ce
cas un peu trop démonstratif. En dehors de mon souci d'être clair,
ce fait est largement lié à la rigidité de la structure du malade qui
s'exprimait seulement dans des limites étroites, circonscrites par l'analité.
Je sais gré à Lebovici d'avoir souligné l'incertitude où nous nous trou-
vons devant des malades semblables, pour décider de la part éventuelle
de la fixation et de la régression. Ce cas m'a paru démonstratif sur ce
point et c'est pourquoi je l'ai rapporté ce soir.
Par contre, je ne suivrai plus Lebovici quand il rejette la notion
d'un OEdipe inscrit « dans la loi » ; conserver cette notion me paraît
parfaitement compatible avec l'ensemble des arguments que j'ai déve-
loppé par ailleurs, en ce qui concerne la « dramatisation ».
392 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

Evelyne Kestemberg et Favreau mettent l'accent sur des perspec-


tives qui sont naturellement inscrites dans l'évolution de la cure de ce
malade, aussi bien pour l'agressivité que pour les diverses variétés
d'expression de l'analité.
Sur ce dernier point, les jugements de Favreau me semblent aller
dans le sens de mon argumentation.
NOTES CLINIQUES
ET THÉORIQUES

Approche psychanalytique
pouf la compréhension
de la dynamique
des groupes thérapeutiques
(Variantes dynamiques
dans les groupes dits stables ou instables)

par JEAN KESTEMBERG et SIMONE DECOBERT

L'idée de traitement psychologique par méthodes de groupe n'est


pas nouvelle. On sait qu'elle a fait l'objet, voici une quinzaine d'années,
de recherches entreprises avec conviction. Tant sous la forme de
psychanalyse verbale de groupe que sous la forme de psychanalyse
dramatique, de sérieux essais ont conduit à de premiers bilans, objets
de diverses publications. Mais l'utilisation de ces techniques s'est
heurtée à de telles difficultés pratiques et théoriques, qu'elles ont fina-
lement semblé aboutir à des réserves plutôt qu'à des encouragements.
En effet, d'une part les résultats obtenus ont pu paraître parfois
nettement insuffisants, d'autre part, l'évolution du transfert a pu faire
redouter un certain engagement dans la voie de l'analyse interminable.
De plus, tous les auteurs se sont accordés à souligner les inconnues
et les difficultés du transfert, ainsi que la nécessité de définition et de
limitation des ambitions thérapeutiques dans les groupes.
Les avantages théoriques, cliniques et économiques des traitements
collectifs ont donc rapidement été remis en question et un abandon
relatif de ces techniques s'en est suivi. Certaines expériences ont
cependant été poursuivies — en particulier par les analystes — dans
le cadre du dispensaire et de l'hôpital et nous ont permis, compte tenu
394 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

de l'évolution de la connaissance et de la compréhension psychanalytique


de la dynamique des groupes, d'aboutir à des conclusions sensiblement
différentes de celles qui avaient été initialement proposées : nous
pensons en effet qu'il est non seulement possible de parvenir à une
heureuse réadaptation sociale, mais encore, dans certaines conditions de
sélection des malades, à des résultats thérapeutiques nettement positifs.
Nous essaierons de montrer ces faits au travers de l'étude de trois
problèmes importants des techniques de groupe qui sont :
— les rôles de la stabilité et de l'instabilité du groupe dans la consti-
tution du fantasme commun ;
— l'intervention de la notion de temps dans les variantes de la dyna-
mique de groupe;
— l'incidence de ces notions sur les phénomènes de transfert.
Nous donnerons plus loin les caractères anamnestiques et diagnos-
tiques des malades intéressés — en précisant seulement pour l'instant
qu'il s'agissait de sujets psychotiques ou pré-psychotiquesfaisant l'objet
d'une contre-indication d'analyse mais qui ne justifiaient pas l'abandon
de tout espoir thérapeutique.
Nous exposerons d'abord la technique utilisée, en insistant sur deux
particularités essentielles :
A) L'originalité de la méthode thérapeutique employée dans ces
groupes qui est celle de « la psychanalyse dramatique », comportant
une partie verbale et une partie dramatisée.
B) L'orientation vers le groupe d'un certain type de patients de
structure psychotique.
La technique de la psychanalyse dramatique de groupe que nous
employons et qui a été définie par les travaux des psychanalystes de la
Société psychanalytique de Paris est la suivante :
La composition du groupe limite à cinq ou six le nombre des
malades pour deux thérapeutes de sexe différent. Le thérapeute mas-
culin joue généralement un rôle prépondérant : c'est lui en effet qui
organise la séance, arrête le jeu et donne les principales interprétations.
Mais en fait, l'autre thérapeute a un rôle pratique et surtout transfé-
rentiel tout aussi important, comme le montre l'absence d'inconvénients
— et souvent même l'intérêt — de sa participation à la mise en route
ou à l'interprétation de la séance. Toutefois le rôle le plus actif est
réservé au thérapeute masculin pour que soit préservé l'équilibre du
couple — selon nos normes culturelles — lorsqu'il sera utilisé comme
support des fantasmes et comme modèle identificatoire par les patients.
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 395

Une première partie, verbale, comporte la recherche d'un thème


(soit récit, soit rêve, soit souvenir, etc.), l'élaboration de ce thème en
commun, puis le choix des rôles par chaque patient et leur distribution
aux thérapeutes après accord de l'ensemble du groupe. Souvent le
thème s'élabore à partir des difficultés rencontrées dans la vie quoti-
dienne, chaque patient découvrant dans celles d'un autre, une similitude
ou une opposition avec les siennes, à partir desquelles un scénario
se construit. Le thérapeute ne fournit ni le thème, ni les éléments d'un
thème mais aide parfois à leur élaboration, surtout en début de traite-
ment. Ce premier temps est important pour la compréhension de la
dynamique du groupe ainsi que pour celle du transfert et de l'effet
thérapeutique. Par exemple, le silence, l'exhibition d'un sujet qui
cherche à inhiber les autres, ou la multiplicité de thèmes apparemment
inconciliables, peuvent être analysés en termes de résistance, et per-
mettent de montrer au groupe ce qu'il attend et ce qu'il craint, en
utilisant cette résistance même, comme thème de jeu.
Le choix des rôles se fait par chacun, pour lui-même, sauf en ce
qui concerne les rôles des thérapeutes pour lesquels l'accord du groupe
est requis. Si deux patients désirent le même rôle, le groupe envisage
de dédoubler celui-ci, travail qui donne immédiatement lieu à la
compréhension des positions vis-à-vis du couple des thérapeutes.
Souvent certains désirent se cantonner dans des rôles muets de témoins
ou d'observateurs pour tenter d'échapper momentanément à l'intensité
des échanges affectifs et pour nier leurs pulsions au sein du groupe.
Cette situation est immédiatement utilisée dans le traitement. De même,
les hésitations dans le choix des rôles attribués aux thérapeutes peuvent
être l'occasion de montrer le désir inconscient de chaque patient de
conserver une relation privilégiée avec les analystes, ou avec l'un d'eux.
Le jeu commence immédiatement après la distribution des rôles,
sans décor, sans mise en scène, mais il est demandé aux patients de se
lever et d'évoluer dans la pièce, si le rôle l'exige. Les thérapeutes doivent
garder le contrôle de l'ensemble des associations et des divers mouve-
ments du groupe qui se resserre ou se désagrège, tant en fonction des
associations, qu'en fonction de l'évolution du transfert. Ces divers
« moments » sont perçus par les patients et peuvent donner lieu soit à
un arrêt de la séance pour explication, soit à une interprétation après
la séance.
En général la séance est interrompue (après un temps variable de 20
à 30 minutes) par le thérapeute principal qui choisit l'instant où l'évolu-
tion du thème ou bien l'intensité dramatique suffisent à un insight
396 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-964

et nécessitent une interprétation. Il n'y a jamais intérêt à prolonger une


séance au-delà de l'acmé perçu dans son déroulement : des défenses de
groupe très intenses s'organiseraient alors et créeraient des résistances
supplémentaires inutilisables.
La technique de l'interprétation requiert le maniement précis de
la dynamique de groupe et de la compréhension psychanalytique, du
transfert — ainsi que l'équilibre souple et tacite du couple des théra-
peutes. Ceux-ci ne se concertent ni pendant la séance ni avant l'inter-
prétation ; ils peuvent jouer des rôles très contradictoires au cours de
la scène, mais ils ne manquent pas d'exprimer leur accord sur la signi-
fication du jeu et sa compréhension. Au cours de la séance le thérapeute
privilégié doit, sans coercition, par le maniement du jeu, maintenir la
cohésion du groupe et éviter la constitution de sous-groupes tant autour
d'un des thérapeutes qu'autour d'un malade. C'est aussi lui, qui généra-
lement souligne en fin de séance ce qu'il veut montrer au groupe, le
plus souvent au nom du couple ou bien avec la participation active de
l'autre thérapeute. Les interprétations portent sur le thème, sur le jeu,
sur l'écart entre le thème proposé et le jeu réalisé, sur le choix des rôles,
sur leur réalisation, sur les blocages, les retraits, les émotions vécues
par rapport au groupe ou par rapport aux thérapeutes. L'expérience a
montré que la seule formulation possible est l'interprétation en « termes
de groupe » c'est-à-dire l'explication des conduites individuelles par les
inter-relations du groupe dans le passé et dans le hic et nunc. Ainsi il
existe certaines séances qui n'ont pas besoin d'être « jouées ». Quand le
groupe a acquis une certaine cohésion et une certaine maturité, l'inter-
prétation peut être donnée par rapport au groupe à partir des incidents
d'élaboration des thèmes, de distribution des rôles, et des réactions de
chacun à ces incidents. L'intensité des émotions au cours de la discussion
a suffisamment « dramatisé » la situation globale pour que « l'effet de
jeu » soit obtenu pour l'ensemble du groupe.
Les circonstances de notre travail nous ont conduits à mener paral-
lèlement deux types de groupes que nous avons appelés l'un « stable »
et l'autre « instable ».
Le choix des termes « stables » et « instables » correspond aux carac-
téristiques suivantes du fonctionnement des groupes :
a) La durée du groupe stable est présentée aux participants, dès
le départ, comme limitée, le choix de la date de fin de traitement étant
laissé aux patients qui la fixent avec les thérapeutes au cours de l'évo-
lution. C'est un groupe « clos », dans lequel les arrivées de patients et
les départs s'opèrent globalement ;
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 397

b) La durée du groupe instable n'est pas fixée : il accueille les


malades nouveaux au fur et à mesure des vacances de places. C'est un
groupe « ouvert » à l'arrivée comme au départ et « permanent ». L'insta-
bilité se rapporte au mode de succession des patients, renouvelés indi-
viduellement après une période d'environ 18 à 24 mois et non à la
fréquentation, qui reste régulière et généralement très assidue.
Dans les expériences rapportées, un groupe stable a duré 9 mois,
un autre 24 mois et le groupe instable fonctionne depuis trois ans.
La seconde particularité de la technique employée dans ces groupes,
concerne le choix d'un certain type préférentiel de patients de structure
psychotique : ceux dont l'isolement, apprécié par l'étroitesse et la rigidité
des rôles qu'ils sont susceptibles d'assumer dans leurs groupes naturels
a besoin d'être explicité par l'analyse du vécu dans un groupe privilégié.
La notion de « rôle » désigne le comportement, résultant de l'interaction
de la structure de l'individu et de sa situation dans un groupe, compte
tenu des réactions des autres à sa présence dans le groupe.
C'est par l'étude de cette notion de rôle, en particulier par l'essai
d'appréciation du niveau de la personnalité à partir du rôle assumé
dans les groupes naturels, qu'est décidée l'orientation vers le traitement
de groupe.
Diatkine, Lebovici et E. Kestemberg ont donné une description
de quatre éléments permettant d'apprécier la personnalité au travers
des rôles. Ce sont :
1° Le niveau de structure personnelle déterminé par les phénomènes
répétitifs liés à la propre biographie et donnant la qualité du passé
vécu du sujet, ainsi que celle des aménagements réalisés par son Moi
(par exemple la qualité particulière de ses mécanismes de défense) ;
2° Le rôle que le patient est capable de tenir individuellement quand
il se trouve dans une situation de groupe, c'est-à-dire la « figure »
qu'il représente sur le « fond » du groupe ;
3° La possibilité ou l'impossibilité d'effets structurants déterminés sur
son comportement par la pression des divers groupes dans lesquels
il vit, avec le degré de tolérance ou le besoin d'identification qu'il a à
l'égard des figures centrales du groupe — représentées ici par les
thérapeutes, ailleurs par les « meneurs » ;
4° Le niveau des inter-relations réciproques qu'il établit avec les diffé-
rentes structures individuelles ou de groupes, extérieures à lui et
qui mesurent son insertion sociale (despotisme, dépendance, fusion,
rejet, activité valable, etc.).
398 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

C'est en essayant d'apprécier les possibilités et les insuffisances du


sujet dans ces quatre aspects de ses « rôles possibles » que nous sommes
conduits à le diriger vers le traitement collectif parce que le groupe
est un des moyens privilégiés pour montrer à des malades de structure
psychotique, les bénéfices qu'ils tirent de diverses situations dans le
groupe, en même temps que les frustrations qu'il s'y imposent. Nous
retrouvons là la notion freudienne d'équilibre économique de la person-
nalité dont l'appréciation entre pour une grande part dans toute décision
thérapeutique.
Le choix se porte, donc sur des patients souffrant de troubles
apparemment névrotiques, c'est-à-dire gênés par un symptôme ou
par leur insatisfaction générale, cependant capables d'une vie sociale
— bien qu'isolés et mal intégrés dans les groupes naturels — mais
présentant au cours des entretiens préliminaires une fantasmatisation
de la réalité ou un passé d'échecs thérapeutiques, derrière lesquels une
structure psychotique se révèlera souvent au cours du traitement.
Ce sont en pratique des sujets actuellement non asilaires — parfois
avec un passé asilaire — possédant une famille ou vivant dans un foyer
d'étudiants, mais sans contacts sociaux valables, sans conscience de la
pression des groupes sociaux sur leur structure interne, ni des inter-
relations réciproques entre les individus, les groupes et eux.
Par exemple, le groupe instable était composé de trois femmes
— dont une hystérique, une névrose obsessionnelle serrée, un délire
mystique avec tics — et de trois hommes — dont un hypocondriaque
avec troubles somatiques, un malade longtemps interné comme maniaco-
dépressif mais se présentant à nous comme un déprimé et une person-
nalité psychopatique avec tentative de suicide. — L'âge moyen était
de 24 ans.
Le groupe stable était composé de trois hommes, dont deux schizo-
phrènes et une névrose obsessionnelle grave, et d'une femme, personna-
lité psychopatique avec tentative de suicide. L'âge moyen était de 27 ans.
Un autre groupe stable plus âgé comprenait : deux névroses de
caractère pour les hommes et pour les femmes ; une névrose obsesison-
nelle, un délire érotomaniaque, une personnalité psychopatique avec
épisodes délirants, hallucinations et fugues.
Il s'agit donc bien de malades graves. Plusieurs ont été internés,
ont subi des cures de Sakel, ont été « coupés », plus ou moins longuement
de la vie sociale. Ils ont repris celle-ci au moment du traitement de
groupe, mais souvent avec de grandes difficultés. Certains, comme les
névroses de caractère, ont mené une vie apparemment normale, ont un
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 399

foyer, une profession, des enfants, mais se sont décompensés à l'occasion


de drames familiaux : divorce, échec névrotique dans leur profession
ou dans les études des enfants.
La coexistence de malades graves et de malades moins psychotiques
ne semble pas entraîner de difficultés durables dans les groupes — du
moins dans notre expérience : la communauté des fantasmes et des
souvenirs réduisant rapidement celles-ci.
A titre d'exemple nous citerons quelques observations qui illus-
treront le choix des malades orientés vers le groupe. Les trois premières
concernent des patients du groupe stable. La dernière un patient du
groupe instable.
Pierre, 31 ans, décorateur, a présenté depuis l'âge de 23 ans plusieurs états
maniaco-dépressifstraités dans les hôpitaux psychiatriques. Il s'agit en réalité
d'épisodes d'excitation et de dépression dont l'identification nosologique est
restée assez imprécise. Pierre était en effet considéré par plusieurs psychiatres,
tantôt comme un maniaco-dépressif, tantôt comme un névrosé et au cours
de certains épisodes il a parfois donné l'impression de présenter des états aigus
symptomatiques d'une évolution discordante possible. Fils unique d'un
ménage uni. Long séjour outre-mer, de 4 à 18 ans. Études normales. Bacca-
lauréat, puis grande école ajoutée à d'autres études supérieures pour élargir
ses possibilités professionnelles. A propos de ces études, conflit avec le père qui
estime les capacités de son fils insuffisantes pour lui permettre de faire front à
des ambitions intellectuelles aussi vastes et finalement l'oblige à renoncer à
certaines des disciplines auxquelles il se consacrait ; il le considère comme un
mégalomaniaque relevant de la psychiatrie. Un premier internement est
demandé par le père à la suite de « folie des grandeurs » dans les projets d'instal-
lation de Pierre. Service militaire au cours duquel il assume des responsabilités
importantes. A l'occasion d'une correction banale de la vision, Pierre décide
de porter des verres de contact qui sont rapidement l'occasion d'une grave
infection de la cornée entraînant une cécité totale. Il tombe alors dans un état
de prostration dont il ne sort que pour passer à un état d'excitation à l'annonce
d'une greffe de cornée. Le malade attribue à ses espoirs et aux progrès de sa
vision ses périodes d'excitation.
Il consulte à l'Institut de Psychanalyse après un long séjour dans un hôpital
psychiatrique. Il présente alors une certaine apathie, un certain « taedium
vitae », mais aucun trouble de la pensée. Il ne sait pas ce que le traitement
pourra lui apporter ; il est néanmoins décidé à l'entreprendre puisque le
médecin directeur de l'hôpital psychiatrique le lui a conseillé. Il est aussi sur
le point de trouver une situation dans la publicité, ses troubles oculaires lui
interdisant l'exercice de sa profession.
Les nombreux internements et l'isolement dû à la cécité, ainsi que les
contre-indications d'une psychanalyse classique nous ont incités à mettre ce
malade en rapport avec un groupe.
Au cours du traitement, Pierre reste longtemps dans l'expectative, obéissant
et passif. Il choisit ses rôles en fonction d'un Surmoi paternel très rigide. Au
début il apporte peu de thèmes et joue de préférence un rôle « éloigné ». Après
un certain temps, il semble rassuré, participe beaucoup plus activement,
s'intègre davantage et exprime une violente agressivité contre l'image pater-
nelle sans jamais mettre directement en cause son propre père. On comprend
400 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

pourtant qu'il le rend responsable de ses multiples internements considérés


comme injustifiés et de tout ce qui a pu empêcher son affirmation virile. Ses
progrès ne s'expriment dans le groupe que par une phrase lapidaire « ma vue
s'améliore ». Cette phrase — nous l'avons compris plus tard — traduisait en
fait ses fiançailles, la reprise de ses activités professionnelles et la modification
de ses relations avec son père ; toutes choses dont le malade parle ensuite très
facilement au cours d'entretiens individuels qu'il parvient à demander à la
thérapeute féminine à la fin du traitement. Son agressiviténe s'exprimait dans le
jeu que par le contenu du thème ou par l'intermédiaire d'un transfert latéral sur
un des participants âgés du groupe, plutôt que directement sur les thérapeutes.
Après le traitement, Pierre a fait part de son mariage et continue à voir
l'un de nous une fois par trimestre. A l'occasion de ces entretiens nous avons
noté l'évolution constante de ses progrès d'adaptation sociale tant dans le
domaine sentimental que dans le domaine professionnel, ainsi que l'aména-
gement très positif de sa relation avec ses parents.
Edouard, âgé de 25 ans, sans profession, nous est adressé par le médecin-
chef d'une clinique psychiatrique après cinq ans d'internement. Pendant cette
période, il a subi des traitements divers : insuline, électro-chocs, psychothé-
rapie, ergothérapie, etc. Il se présente alors comme très angoissé, il a des cépha-
lées intenses et il se plaint surtout de « douleurs morales », en fait de déperson-
nalisation et sentiment de morcellement (« je suis en petits morceaux qui
n'ont jamais été recollés »). De plus, attitudes hallucinatoires, idées d'influences,
troubles du cours de la pensée.
Edouard est né à l'étranger, de parents israélites. Il a connu les persécutions
et la fuite. A l'âge de 8 ans, il est obligé de se séparer de sa mère et erre tout
seul à travers un pays occupé par les nazis, à la recherche d'une famille de
paysans amis. Après la guerre, il parvient à retrouver sa mère qui, croyant son
père disparu, s'est remariée, et la nouvelle famille vient habiter en France.
Le beau-père disparaît à son tour après quelques mois de vie conjugale et la
mère complètement submergée par les difficultés tombe dans un état dépressif
chronique : elle a peur d'être arrêtée par la police, peur de mourir et elle fait
partager ses angoisses à Edouard. Celui-ci mène une vie complètement déréglée
et déréelle. Autodidacte, il travaille beaucoup mais de façon désordonnée. Il
abandonne ses études et vit seul, allongé toute la journée sur le lit, dans la
chambre de sa mère, dans un état d'apragmatisme total.
Sur le conseil d'un médecin et avec le diagnostic de schizophrénie, il est
envoyé à la clinique où il passe, nous l'avons vu, cinq années de sa vie — long
séjour entrecoupé par des tentatives de recherche de son père qu'il accuse
d'être l'auteur de tous ses malheurs et de ses troubles. Il retrouve effectivement
celui-ci qui, entre-temps, s'est remarié et a deux enfants. Le contact avec le
père, chaleureux au début, devient de plus en plus négatif, le père ne pouvant
supporter la rêvasserie, l'apragmatisme, la revendication de son fils, et Edouard
reprochant à son père son manque d'affection. Il quitte ce dernier pour revenir
en France et entre à nouveau à la clinique. Lorsqu'il en sort, il mène la vie
d'un semi-clochard, isolé social, travaillant très irrégulièrement, vagabondant
et présentant dans ses rares contacts, une énorme revendication affective
accompagnée de commentaires logorrhéiques sur ses sentiments de nullité
et de dépersonnalisation.
Au cours du traitement, Edouard fait sur le couple des thérapeutes un
transfert massif et vit la présence des autres malades comme la preuve de
l'existence de rivaux qu'il faut éliminer à tout prix. Pendant longtemps il essaie
de démontrer que le traitement de groupe ne lui convient pas. Il prend une
attitude passive s'il ne réussit pas à imposer son thème (thème caractérisé par
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 401
une agressivité énorme contre son père et contre le thérapeute-homme) il
reste à l'écart comme si le choix des rôles et le jeu se passaient dans un autre
monde. Il peut ainsi demeurer toute une séance à ruminer la même idée sans
sembler participer à l'action des autres. Il ignore les femmes du groupe, sauf
la thérapeute qui est longtemps objet de crainte et de désir d'affection. A chaque
séance il nie toute amélioration, bien que son aspect extérieur lui-même change,
comme ses camarades le lui font remarquer et bien que des progrès à l'extérieur
du groupe viennent se manifester, dans le fait par exemple qu'il trouve la
possibilité d'entrer dans un centre de formation accélérée pour préparer un
C.A.P. intéressant. Il a besoin de se présenter au thérapeute masculin comme
un malade et de lui faire ainsi, en permanence, le reproche de le soigner mal.
Ce même reproche il le fait ensuite à la thérapeute en lui disant que sa méthode
n'est pas bonne et en suggérant d'autres techniques de traitement.
Petit à petit il prend conscience des autres, surtout d'un autre schizophrène
qu'il voit comme « l'autre ». Après une période homosexuelle brève, les relations
entre eux se changent bientôt en rivalité. Dans un deuxième temps, il admet
l'existence des femmes — et entre dans une phase de crainte de castration par
le thérapeute masculin. La qualité des thèmes, du comportement, du trans-
fert, donne alors l'impression qu'il est passé de la relation psychotique à
la relation névrotique. Les progrès dans le groupe et à l'extérieur deviennent
évidents, même pour lui-même qui les reconnaît enfin : recherche vestimentaire,
adaptation sociale, etc. Dans l'évolution du jeu, à partir de cette phase, appa-
rition de thèmes oedipiens.
Marthe, 36 ans, vient consulter au centre sur le conseil de plusieurs généra-
listes parce qu'elle ne peut plus supporter une compulsion d'errance par les
rues à la recherche de contacts hétéro et homosexuels. Elle insiste beaucoup
sur son homosexualité qui semble à la fois passive et active, fantasmatique et
pragmatique. Climat familial d'enfance peu intéressant pour elle : prédomi-
nance de la mère qui dévalorise et insulte le père devant sa fille (le père a quitté
le milieu familial lorsque notre malade avait 16 ans).
A 20 ans, liaison homosexuelle, rompue sans motif apparent, puis mariage
à 24 ans. Rapports conjugaux très satisfaisants pendant six ans. Deux enfants.
Après la naissance de sa deuxième fille, Marthe s'adonne à des rêveries et des
fantasmes homosexuels, surtout à propos d'aventures d'homosexuels masculins
et commence ses errances à la recherche de l'occasion d'être la spectatrice
d'un coït homosexuel masculin. Nombreuses préoccupations intellectuelles
à la même époque : elle change plusieurs fois de religion, fait des recherches
métaphysiques interrompues par des épisodes de dépersonnalisation avec
angoisse de morcellement, évasion dans la rêverie, projection, etc., qu'une
activité artistique et littéraire parvient difficilement à canaliser. Lors d'échecs
de cette compensation, deux tentatives de suicide dont une au cours de laquelle
elle court sur l'autoroute dans le but d'être écrasée par une voiture, mais avec
l'idée que son mari la rattrapera à temps.
A en permanence la « hantise du bleu », « du regard bleu » (du regard de sa
mère).
A déjà été soignée par psychothérapie courte et par narcose qui ont échoué.
Au moment du début du traitement de groupe, Marthe se présente sous
l'aspect d'une « échappée d'asile », sale, mal vêtue, très angoissée, avec par
moments une pensée déréelle semblant pouvoir être difficilement contenue et
manipulée.
Éléments de dépersonnalisation, compulsion à l'errance difficilement main-
tenue. Elle est épuisée par ses fugues à la recherche d'un homme homosexuel
aux yeux bleus. Elle souffre de ne pas « sentir » ses enfants ni son mari (avec
402 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

lequel elle n'a plus de relations sexuelles). Richesse intellectuelle certaine. En


dépit de la sévérité des manifestations cliniques, l'urgence d'une interven-
tion (qui ne pouvait être une psychothérapie en raison de l'échec préalable)
a fait orienter vers le groupe cette malade pour laquelle un traitement de type
psychodramatique paraissait particulièrement indiqué.
Au cours du traitement, ses facultés intellectuelles et ses connaissances
psychologiques permettent à Marthe de prendre pendant une première période
un rôle de leader dans le groupe. Elle se conduit alors envers les autres comme
s'ils étaient de « pauvres types », toutefois avec une gentillesse condescendante,
malgré son activité délirante. Grâce au transfert sur le thérapeute masculin
elle peut constater que son père n'est pas aussi châtré qu'elle accusait sa mère
et elle-même de l'avoir fait, et grâce à la permanence du couple des thérapeutes
elle parvient à reconstruire une relation valable avec le couple parental, puis
au sein de son propre couple conjugal.
Gabriel, 22 ans, nous est adressé pour un état dépressif grave, passivité,
possibilité de décompensation brutale, impuissance.
Dans les antécédents on note : élevé en France par les grands-parents
maternels par suite du désaccord de ses parents : père oriental, violent, tyran-
nique, très déséquilibré, en conflit permanent avec la mère dont la névrose de
caractère à composante masochique a toujours aggravé les tensions familiales.
Un examen de dépistage systématique au lycée révèle une tuberculose
pulmonaire. Il est envoyé dans un sanatorium d'étudiants où il commence à
présenter des symptômes de la série psychosomatique : douleurs gastriques de
type ulcéreux et urticaire. Le psychiatre attaché au sanatorium note une
structure névrotique avec passivité, inhibition, auto-dépréciation. Pendant
son séjour au sana il fait une fixation affective sur une infirmière mariée plus
âgée que lui, fixation qui a été l'occasion de deux tentatives de suicide à un an
d'intervalle par ingestion de médicaments. La première tentative de suicide
donne lieu à un transfert à l'hôpital psychiatrique où son état dépressif est
soigné par électrochocs ; la seconde nécessite une hospitalisation de quatre
mois : les lavages d'estomac ayant déclenché une forte poussée de gastrite
ulcéreuse. A la suite de ce grave incident il est transféré à la clinique psychia-
trique des étudiants où il bénéficie d'une première psychothérapie individuelle
qui lui permet de s'équilibrer tant bien que mal, les idées de suicide persistant
longtemps. C'est dans cette clinique qu'il fait connaissance de sa future femme.
Il l'épouse non par amour mais par un besoin affectif d'autant plus intense
qu'il apprend à cette époque le remariage de sa mère.
L'entente conjugale est compliquée dès le début car en épousant la jeune
femme il s'aperçoit qu'elle est trop protégée par sa mère et que celle-ci exige
de cohabiter avec le jeune couple. Les nécessités financières l'obligent alors à
renoncer à ses études et à prendre le premier travail venu, aucunement en
rapport avec ses facultés intellectuelles et ses études passées. Les gains sont
très faibles mais il accepte cependant d'assumer les études supérieures de sa
femme qui l'exige, d'entretenir sa belle-mère et de payer à l'occasion les
dettes de son père qui vient périodiquement le solliciter ou le menacer.
Il perd complètement de vue la réalité objective et s'enfonce de plus en
plus dans des situations sans issue. Une impuissance sexuelle s'installe, seul
symptôme qui l'inquiète et pour lequel il vient consulter au dispensaire.
Son mode d'existence négligeant complètement la réalité de ses besoins et
de ses possibilités, l'absence de confrontation avec la vie des autres en raison
de son isolement malgré l'apparence d'une vie familiale nous ont incités à
choisir pour ce patient la thérapeutique de groupe de préférence à une cure
analytique classique.
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 403

Au cours du traitement, amélioration lente, progressive, interrompue par


un épisode dépressif brutal avec menace de suicide. Atténuation d'un Surmoi
paternel rigide. Acceptation de la virilité après une longue période d'auto-
castration. Reprise d'un travail normal.

Les groupes étant définis « stables » ou « instables » par leur durée


—limitée ou illimitée—dontdécoulent leur composition et l'organisation
matérielle de leur fonctionnement, la notion de temps nous a semblé
prendre une valeur fondamentale dans l'étude différentielle.
La constatation intuitive et clinique d'une meilleure qualité des
échanges et de leur évolution dans les groupes stables nous a conduits
à une étude plus détaillée et comparative des phénomènes spécifiques
de groupe en fonction de leur durée et de la signification inconsciente
de cette durée pour le patient.
La notion de temps nous a paru déterminante dans les variations
de structuration et d'évolution des deux types de groupes considérés.
Elle est introduite par celle de durée limitée ou illimitée de la vie du
groupe, qui entraîne un mode de début et de fin de traitement individuel
(donc échelonné) ou global. Rappelons que la durée du groupe instable
n'est pas fixée ; il accueille les nouveaux arrivants au fur et à mesure des
vacances de place : c'est un groupe ouvert et permanent. La durée du
groupe stable est présentée dès le départ comme limitée, le choix de la
date finale étant laissé aux patients qui la fixent avec les thérapeutes au
cours de l'évolution (on sait que Foulkes a employédans l'armée anglaise
une formule de groupe stable d'une durée fixée d'avance à trois mois).
Dans notre expérience, la limitation du temps s'est révélée présenter
une valeur structurante et aider au dépassement de l'angoisse ou des
mécanismes de défense pathologiques, au sein des groupes stables.
Par contre, l'absence de limitation du temps a semblé entraîner
une attitude régressive, nuisible à la cohésion, au sein du groupe
instable dans lequel les patients ont tendance à prolonger leur traitement,
afin de conserver et de renforcer leurs relations avec les thérapeutes à
l'occasion des départs d'autres participants.
Dans le premier cas en effet, la limitation du temps est non seulement
un élément sécurisant (parce qu'elle réduit les rivalités de fratrie)
mais encore elle introduit deux éléments particulièrement favorables
à l'évolution de la dynamique des groupes thérapeutiques qui sont :
— la réduction des bénéfices secondaires ;
— et la valorisation identificatoire.
404 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964.

Il y a en effet réduction des bénéfices secondaires de groupe par le


groupe.
Le jeu des réactions de prestance avec leurs contre-réactions, la
satisfaction ambiguë d'essayer de manoeuvrer les autres membres du
groupe, ou les thérapeutes, et le plaisir qui en découle, pourraient
conduire les patients à une véritable « installation » dans le traitement.
On constate que l'exhibition plus ou moins spectaculaire des
troubles et des faits anamnestiques, l'attrait de la fréquentation d'un
milieu valorisant par rapport au milieu habituel, l'occasion renouvelée
d'une participation voulue comme ésotérique qui existent dans les
deux sortes de groupes, se trouvent exacerbés de façon répétée dans
le groupe instable. C'est ce qui pourrait y expliquer — comme peut-être
dans le cas des groupes verbaux — la tendance à l'analyse interminable,
ou tout au moins la difficulté à renoncer au traitement, en fonction
de la persistance d'apport de bénéfices secondaires.
Dans le groupe stable ce risque est détourné par la fixation de la
date de fin de traitement. Pour le cas étudié, il semble que ce besoin
de fixer une date soit apparu dans les séances, au moment où les patients
étaient devenus capables de se réunir en dehors des thérapeutes — par
exemple au café ou chez l'un d'eux — c'est-à-dire au moment où ils
n'avaient plus qu'un besoin atténué ou transposé des bénéfices
secondaires du groupe (1).
On pourrait considérer également, en reprenant la remarque de
Foulkes, qu'il s'agit du moment où l'angoisse change de qualité : de
verticale et génétique (pré-oedipienne ou oedipienne) elle devient
horizontale et socialisée, portant sur un ensemble d'inter-relations.
Le second élément est la valorisation identificatoire constituée par
l'implication d'un contrat d'égal à égal entre le patient et les thérapeutes
lors de l'accord commun sur la limitation du temps de cure.
La passation de ce contrat précipite et cristallise l'évolution des
phénomènes de groupe en renforçant l'identification aux thérapeutes.
Ainsi il est courant que des malades ne soient pas au même niveau quand
l'un d'eux provoque la discussion de la date de fin de traitement. Nous
avons pu constater qu'il se produit alors un remaniement interne du
groupe qui tend à l'homogénéisation des niveaux. Le même phénomène
survenant plus précocement dans le traitement serait vécu comme une
tentative de passage à l'acte, et le « déviant », en avance dans sa structu-
ration sur celle du groupe, serait rejeté, pour avoir donné, de l'évolution

(1) Voir plus loin l'observation de Jean.


DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 405

des patients, en miroir, une image anticipée, insupportable. Il y aurait


dans ce cas resserrement autour du thérapeute, alors que dans le cas
de fin de traitement, il y a, à partir du « contrat », établissement d'une
relation plus lâche mais aussi plus adultisée avec les thérapeutes.
Citons à ce propos l'exemple suivant :
Jean, 51 ans, artisan, présente une névrose de caractère assez serrée.
Fils d'émigrés, il vit en mésentente avec ses frères. Il réussit très bien techni-
quement dans sa profession mais ressent une perpétuelle angoisse devant le
rythme saisonnier de son travail. Difficultés de caractère liées à la rigidité
de ses défenses : il se considère comme normal mais le doute s'introduit en
lui à la constatation du fait qu'il ne parvient pas à être heureux. Divorce en
cours; deux filles adolescentes qui préfèrent rester avec leur mère, choix que
le malade ressent douloureusement et qui lui a donné l'idée de consulter un
neuropsychiatre, car il ne comprend pas pourquoi ses filles, pour lesquelles
il a pensé être toujours un bon père, ont préféré vivre avec leur mère. C'est à
partir de ce fait qu'il a pris conscience que « quelque chose n'allait pas » et
que cela pouvait apparaître dans son comportement et dans son caractère.
Depuis la séparation, il vit seul, mortifié par l'abandon de ses enfants, très
préoccupé par le besoin de se comprendre et de se justifier, serait-ce par la
maladie.
Avant le traitement de groupe il est suivi en psychothérapie individuelle
par un psychiatre qui porte le diagnostic de névrose de caractère à structure
obsessionnelle et qui l'aide à prendre une certaine distance par rapport à son
échec professionnel, ses problèmes conjugaux et ses difficultés affectives.
Le groupe lui procure un soulagement spectaculaire de son anxiété et de sa
culpabilité. Il est surpris et « instruit » par « le malheur des autres ». Le choix
de ses rôles reste longtemps stéréotypé : il est un bon fils, il se châtre pour ne
pas être châtré par le père. Il est très déférent devant le couple des thérapeutes
et ne peut dépasser cette position. Mais en même temps il découvre par l'inter-
médiaire du groupe les bénéfices paradoxaux qu'il retire de sa maladie.
L'évolution des autres participants semble à un moment donné précipiter
la sienne. Sa réadaptation et son retour à l'efficience deviennent nets à partir
du moment où il sort en groupe et est invité chez les autres patients ; réunions
au cours desquelles la limitation du temps du traitement est fixée (en dehors
des thérapeutes) (1).
La fixation du terme en commun a finalement une valeur anti-
régressivante et l'on peut voir, après la passation du contrat, les malades
les plus avancés s'efforcer d'arracher les autres à leurs tentatives de
régression, c'est-à-dire prendre à peu près la position du médecin qui,
dans l'analyse individuelle, propose de fixer un terme parce qu'il sent
le patient guéri mais au bord de ces mêmes risques de nouvellerégression.
Ce maniement fécond de la « limitation du temps » ne saurait nous

( 1)Noter la récupération de la libre disposition, du sens de l'humour en fin de traitement :


Il montre un attachement reconnaissant aux thérapeutes et entretient avec eux une corres-
pondance par cartes postales dont l'évolution des thèmes lui est consciente et ne manque pas
d'humour puisqu'elle va de « Heureuse enfance » à " La colombe de la paix » et « La place de la
Concorde », jusqu'à « Chevaux au galop », un an après l'arrêt du groupe.
REV. FR. PSYCHANAL. 27
406 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

étonner car notre expérience quotidienne nous apprend l'intérêt de la


limitation du temps dans toute tâche humaine et notre expérience
d'analyste ne nous permet pas d'ignorer combien l'utilisation adéquate
du temps de la séance par le patient est significative de progrès dans
le déroulement de la cure.
Un autre aspect de la notion de temps est la possibilité de réduire
la durée des séances à 30 minutes ou moins en leur conservant un
maximum d'efficacité.
Les séances sont organisées selon un rythme fixe, hebdomadaire,
la nécessité de les rapprocher ou de les espacer n'ayant guère été
ressentie, ni par les thérapeutes ni par les patients (par contre, parmi
ceux-ci, il en est toujours qui recherchent des entretiens individuels
plus ou moins rapprochés en plus des réunions du groupe). Différents
auteurs qui avaient commencé par 3 séances par semaine ont adopté
la séance hebdomadaire. Elle semble finalement le rythme optima.
Comme nous l'avons dit précédemment, il arrive que les patients se
réunissent, sur leur propre initiative, en dehors des thérapeutes. Ceux-ci
restent neutres à l'égard de ces réunions qui témoignent d'une bonne
cohésion du groupe et d'une évolution favorable du transfert.
Ces possibilités de réduction de la durée et de la fréquence résultent
de l'emploi du jeu et de la valeur hédonique inhérente au jeu.
On sait que le plaisir est un des éléments les plus refoulés et les plus
culpabilisés chez tous les malades. La technique du jeu lui restitue une
présence intense sous la double forme :
— du plaisir direct à jouer ;
— et de l'autorisation au plaisir par les thérapeutes.
Ce remaniement de la censure ne va d'ailleurs pas sans difficultés
ni sans appels au Surmoi pour éviter l'apparition de l'angoisse qui, dans
l'organisation pathologique des patients, peut s'intensifier en même
temps que l'hédonisme. C'est ce qui explique la nécessité technique
de couper la séance à certains moment favorables, même en deçà de
trente minutes. En l'absence d'interruption et d'interprétation — sur-
tout dans les groupes instables — la situation « se refroidit », mais aussi se
déstructure et le groupe régresse — en raison de la croissance de l'anxiété.
L'hédonisme du jeu augmente au cours de l'évolution du traitement,
en particulier dans le groupe stable, plus clos. La fixation du terme
de la cure a certainement une valeur surmoïque utile par la hmitâtion
et la prise de distance qu'elle introduit dans l'exercice du plaisir du
groupe. En ce sens, certaines tensions, dues à la Techerche d'interdiction
du plaisir, qui pourraient sembler des risques de passage à l'acte,
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 407

(tensions peut-être plus fréquentes dans le groupe stable) doivent être


comprises comme le besoin de restaurer le Surmoi et de trouver des
limitations obligatoires au plaisir.
En effet l'augmentation de l'hédonisme n'est pas sans danger et
doit être parfaitement contrôlée dans le jeu. Dans l'un de nos groupes
stables une malade érotomane tente de frapper le thérapeute masculin
et rencontre l'opposition générale du groupe qui jusque-là l'avait bien
supportée, mais trouve alors son comportement inadmissible. Le groupe
s'érige en Surmoi, apprécie son départ comme seule solution puis
manifeste envers elle rejet et désapprobation.
A partir de ce moment, la cohésion du groupe s'accroît.
Quant à la notion de temps vécu, elle est utilisée différemment par
les deux types de groupes.
Le groupe instable a tendance à utiliser le temps vécu comme
résistance à l'analyse de groupe ou comme moyen de s'opposer, par
l'analyse longitudinale à l'analyse transversale des inter-relations au
sein du groupe. Par exemple, le rappel des données anamnestiques
particulières, le rappel de séances anciennes où les autres malades
n'étaient pas présents, la négation de la valeur du nouveau groupe
par rapport à l'ancien, ou la négation d'une amélioration présente en
fonction « des traces indélébiles » de faits « irréparables » du passé,
doivent être compris dans le sens fondamental de la résistance au
transfert par le passé, c'est-à-dire dans la constatation (grossie par
l'effet de groupe) que nous nous défendons du présent par le passé.
Le groupe instable tend à partir du passé pour détruire le présent.
Le groupe stable tend à utiliser la reviviscence du passé vécu pour ce
qu'elle apporte dans le hic et nunc et essaie de partir du présent
— par
exemple du transfert — pour trouver les voies de renoncement au
passé insatisfaisant.
Il ne faut donc pas nous étonner de ce que le maniement particulier
du temps décrit ici semble avoir une importante incidence sur l'évo-
lution thérapeutique. Nous venons de rejoindre, au travers du groupe,
la notion de temps telle qu'elle est fondamentalement décrite et utilisée
dans la psychanalyse avec sa valeur structurante ou régressivante, et
nous comprenons pourquoi elle intervient — comme dans l'analyse
classique - à tous les niveaux de la dynamique des groupes.

Nous pouvons aborder maintenant la comparaison des manifesta-


tions dans le transfert de la dynamique des groupes stables et des
groupes instables,.
408 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

Nous centrerons notre étude sur la comparaison des aspects des


investissements observés, tant dans le matériel fantasmatique que dans
les phénomènes transférentiels.
A) Quelle est l'incidence de la durée sur le contenu et l'évolution
des fantasmes et du comportement des malades, comportement réac-
tionnel pour les uns à l'extériorisation des fantasmes des autres ?
Globalement, et en regroupant ce matériel par la notion du « fan-
tasme commun » définie par Ezriel, nous pouvons noter que le passage
des fantasmes individuels au fantasme commun est favorisé dans le
groupe stable que l'hédonisme pousse à chercher rapidement son
« dénominateur commun ».
Dans les deux types de groupes, le matériel tend à se centrer sur
le conflit oedipien au travers duquel transparaît un matériel plus
archaïque. Une évolution des éléments prégénitaux vers l'OEdipe se
produit au cours de l'élaboration du thème en commun. Elle semble
beaucoup plus difficilement réalisable dans le groupe instable qui
présente des réactions plus outrées, plus divergentes, plus individuelles
destinées pour chacun à manoeuvrer les autres participants vers un
rejet du thème angoissant.
Dans les groupes instables en effet la rivalité est au maximum.
Chacun tend à rester à l'intérieur de son propre fantasme pour se
protéger du fantasme commun, donc du transfert et des problèmes
oedipiens. Les réactions de prestance, ainsi que les réactions de rejet
sont nombreuses. Les malades ne se voient pas en dehors des séances
et témoignent d'une hostilité de groupe à des entretiens particuliers
de l'un d'eux avec les thérapeutes ou à des rencontres sentimentales
supposées de deux d'entre eux, à l'extérieur.
Dans le groupe stable au contraire le besoin d'une communauté de
fantasmes rassure les participants. Ils ont volontiers recours aux
notions ou aux lois de groupe découvertes en commun, ou directe-
ment, au thème oedipien.
Par exemple dans le groupe instable, aucun participant n'ose parler
spontanément de la relation qu'il suppose entre Mme E... et un autre
patient — tous deux d'ailleurs feignant de s'ignorer pendant les
séances —. Dans le groupe stable au contraire Mlle X... donne comme
thème de séance la peur que lui a causée l'invitation d'Edouard à la
suite de la dernière réunion. Celui-ci ne se trouble nullement de cette
« révélation » et le cas est discuté
puis joué.
Cette attitude différente devant l'OEdipe du groupe peut sans doute
s'expliquer par les variations des phénomènes d'identification réduc-
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 400
trice (1), c'est-à-dire par les phénomènes « de réduction à l'on ». Ceux-ci
sont favorisés dans le groupe stable où règne une plus grande égalité
de possibilité d'identification, où chacun peut avoir moins peur du rival
et ne pas se sentir isolé devant le conflit oedipien. La notion de contrat,
de solidarité avec le groupe et avec les thérapeutes diminue la culpabilité
liée à la rivalité oedipienne et au désir de séparer le couple. Aussi le
groupe stable parvient-il beaucoup plus vite que les autres à transposer
à l'extérieur la structure du groupe, à créer de nouveaux groupes sans
les thérapeutes.
En incluant les thérapeutes dans « la réduction à l'on » ou dans le
contrat de fin de traitement les patients trouvent à la fois la preuve de
l'autorisation à l'identification aux thérapeutes et la reconnaissance de
la nécessité d'un Surmoi oedipien qu'ils sentent indispensable à leur
intégration dans les groupes naturels, but de notre action thérapeutique.
On aura reconnu là les deux composantes essentielles de la réalité
du conflit oedipien, en même temps que les possibilités évolutives et
intégratives qui y sont incluses. On peut dire pour conclure que le
groupe stable aura vécu son OEdipe dans la réalité, tandis que le groupe
instable vit son OEdipe sans bases identificatoires réelles.
B) Voyons maintenant l'incidence du temps et de la durée sur les
phénomènes de transfert.
Dans les types de groupes considérés, le transfert paraît être plus
et mieux qu'ailleurs, l'illustration de la conduite répétitive puisqu'il
met les patients en présence d'un couple de thérapeutes immédiatement
assimilé à un couple de parents.
Il y a là, par rapport à l'analyse individuelle, un effet de raccourci
et de simultanéité, les phases de transfert maternel et paternel qui sou-
vent se succèdent se trouvant condensées et conjuguées dans l'utilisation
d'emblée d'un transfert sur un couple. Cet effet de raccourci est natu-
rellement discutable dans le déroulement d'une analyse classique.
Notre expérience nous a montré qu'il ne créait pas de difficultés « inuti-
lisables » dans le maniement du transfert au sein du groupe mais au
contraire qu'il semble être parfaitement productif dans ce type de
technique.
Et c'est à partir du vécu par rapport à ce couple que va se structurer
la situation de groupe. Certes, on pourrait voir une sorte de forcing
dans cette confrontation d'emblée du patient avec des images oedi-

(1) LACAN et LEBOVICI, Possibilité d'une attitude collective due aux analogies des situations
infantiles des membres du groupe.-
410 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

piennes et de scène primitive. Mais cette « orthopédie » semble immé-


diatement compensée par l'instauration simultanée de plusieurs trian-
gulations : un homme, une femme, le groupe, ou encore : un patient,
un couple, un groupe. Elle matérialise l'image du rival oedipien ou
la relation à l'objet partiel de la mère. On peut penser que l'objectivation
de ce schéma à trois est d'emblée structurante, et au minimum rassu-
rante, par la permanence impliquée des « formes » dans l'inconscient
des individus et des groupes.
Nous étudierons les différences qualitatives des manifestations de
transfert dans les groupes stables et instables par l'intermédiaire de
deux sortes d'éléments significatifs :
1° La qualité respective des émergences anxieuses et de l'angoisse
sous-jacente ainsi que le rythme du développement des relations
transférentielles ;
2° Le phénomène original par lequel le groupe devient l'image projéc-
rive du couple des thérapeutes.
L'angoisse devant le désir de séparer le couple des thérapeutes est
commune aux deux types de groupes, mais le niveau conflictuel où se
situent cette angoisse et ses effets varie d'un type à l'autre.
Dans le groupe instable chaque admission est une rupture d'équi-
libre impliquant l'idée de séparation, avec ce qu'elle comporte de
peur, de plaisir, de culpabilité et aussi de retour aux sources les plus
profondes de l'anxiété traumatique. Elle représente, à des degrés divers
mais souvent marqués, la répétition de situations archaïques anxiogènes
masquées derrière l'aspect plus superficiel de la confrontation du
groupe avec la scène primitive. Le groupe instable a tendance à refuser
le rapprochement du hic et nunc et du passé vécu. Aussi réagit-il à
l'arrivée d'un nouveau par une régression transférentielle massive
extériorisant souvent des éléments d'angoisse archaïque. Par exemple
en dehors des attitudes de gêne, de refus, de silence, il est possible
que le groupe essaie d'inquiéter au maximum le « nouveau », voire de le
sadiser par des propos évoquant la destruction, le morcellement, le
rejet du traitement, puis par l'essai inconscient de manoeuvrer les
thérapeutes vers le conflit et la séparation du couple. Il semble que les
patients conjurent par là ce qui justement leur a fait peur et qui fina-
lement les pousse à reconstituer le couple après avoir mesuré leurs
possibilités de le détruire — mouvement qui, s'il se réalise, est déjà par
lui-même un effet de dépassement et de structuration —. Le choc passé,
la difficulté pourra persister un certain temps et s'exprimer dans la
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 411

préparation du jeu par l'impossibilité, longtemps maintenue dans le


groupe instable, de distribuer aux thérapeutes d'autres rôles que celui
d'un couple parental. En résumé le groupe instable recourt à une
organisation prégénitale pour se défendre contre l'intensité du conflit
oedipien constamment renouvelé par la confrontation réitérée avec la
destruction du couple. Cette réitération même empêche le dépassement
de l'organisation prégénitale. Tout se passe comme si l'instabilité du
groupe maintenait de fait une situation régressivante en obérant dans
une certaine mesure ses possibilités évolutives.
Dans le groupe stable au contraire, l'évolution du transfert tend
à suivre une progression régulière plus rarement et moins profon-
dément coupée par des plongées brutales dans le refuge des positions
archaïques.
L'absence de répétition de situations traumatisantes ou de rivalité
et de morcellement, conserve à l'évolution du transfert, ses possibilités
classiques d'évolution, son rythme régulier sécurisant, mais surtout,
l'acceptation et la recherche du lien entre le passé et le présent trans-
forment immédiatement l'angoisse en un facteur dynamique pré-
structurant.
Aussi chaque patient peut, par exemple, former beaucoup plus tôt
un « couple » avec un des thérapeutes parce que la stabilité du groupe
lui a permis de ressentir la séparation du couple des parents comme
non dangereuse pour eux ni pour lui (1). Le type de fonctionnement
du groupe et l'absence de choc régressivant semblent donc ici éviter à
l'angoisse de se mobiliser jusqu'à ses bases les plus profondes. Elle
constitue alors pour le thérapeute un élément directement utilisable à
l'interprétation et au maniement utile des défenses.
Par contre, les régressions massives du groupe instable, si elles
n'étaient pas surmontées, pourraient prendre cette allure fusionnelle
qui représente non seulement une résistance globale au transfert mais
un risque de désinvestissement et d'anéantissement dans la fusion avec
le thérapeute.
Ainsi lorsque Mme E... sadise le nouvel arrivant, celui-ci s'absente
à la séance suivante, et le groupe régresse massivement. Tous sont
amorphes, aucun thème n'est produit, et même personne ne peut parler.
La dépendance à l'égard du couple des thérapeutes est totale. Lorsque le
meneur met en relation cette régression et le départ du patient, la
prise de conscience de l'agressivité castratrice de Mme E... contre le

(1) Voir l'observation de Marthe.


412 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

nouveau venu — projetée sur le couple des thérapeutes devenu vulné-


rable et risquant castration ou morcellement, comme chacun d'eux
d'ailleurs — mobilise l'angoisse profonde. L'interprétation de cette
agressivité et de l'angoisse permet une restructuration du groupe et du
couple. On a pu voir alors chaque patient sortir du fond de son fauteuil,
avec une mobilisation motrice importante et exprimer ses réactions qui
ont permis la constitution d'un nouveau thème.
La complexité du transfert du groupe ouvert, corrélative à son
instabilité pourrait sans doute être interprétée comme la projection
sur le couple des thérapeutes de cette instabilité vécue comme morce-
lante en fonction de la valeur destructrice du fantasme sous-jacent
de la scène primitive.
Les malaises du groupe résultant de l'absence d'un des patients,
ou a fortiori, d'un des thérapeutes, montrent en le grossissant, le phéno-
mène selon lequel le groupe s'investit comme une projection du couple
des analystes et vit la relation transférentielle dans la conviction que
tout ce qui arrive au couple peut arriver au groupe et réciproquement.
Ce qui peut donner la sécurité et diminuer l'angoisse, c'est donc la
permanence des thérapeutes, c'est-à-dire leur présence régulière et leur
non-destruction. Ces dernières constituent un réinvestissement narcis-
sique du groupe indispensable. Elles expliquent pourquoi le groupe
stable — narcissiquement moins menacé — rejette le passage à l'acte
qui dénivelle la relation, parce qu'il est une tentative de séparation des
thérapeutes — donc du groupe — et pourquoi les résultats sont plus
cohérents et mieux structurés dans le groupe stable. En effet c'est la
stabilité qui facilite l'intégration du vécu transférentiel dont la valeur
repose sur le caractère indestructible du couple, projection de l'intégrité
de chacun.
Les malaises du groupe instable résultant des silences des patients
à l'arrivée d'un nouveau peuvent prendre, pour chaque individu, la
signification régressive d'un moyen de conserver à soi, dans un transfert
individuel, le couple des thérapeutes devenu indifférencié, en faisant
du reste du groupe le troisième personnage de la triangulation. Mais la
projection intervient aussi à ce niveau :
1) Le nouvel arrivant est ressenti comme capable de détruire le couple
ou un des membres du couple (projection du désir de détruire et de
la peur d'être détruit comme le couple) ;
2) Le groupe se sent capable de détruire le nouvel arrivant, ou de
l'éliminer pour ne pas le détruire.
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 413

Les silences (1) sont rares dans le groupe stable, fréquents dans le
groupe instable qui y exprime globalement son désir de destruction
et son besoin de renforcer la solidité du couple jusqu'à la fusion.
Par ailleurs, le transfert présente certaines différences d'aspect selon
le sexe des participants.
Dans le groupe instable, les femmes qui ont pris rapidement une
attitude castratrice à l'égard des hommes, s'y maintiennent, s'y réfu-
gient et prétendent ainsi préserver d'un même sort le thérapeute
masculin. Les imagos masculine et féminine sont d'ailleurs mal diffé-
renciées dans ce type de groupe en raison de l'angoisse archaïque
sous-jacente entretenue par l'instabilité et qui semble aller bien au-delà
du complexe de castration.
Dans le groupe stable, le thérapeute masculin est beaucoup plus
rapidement et beaucoup plus facilement attaqué, mais la solidité du
couple et du groupe semble permettre un renoncement plus rapide au
besoin de castration.
Quant aux hommes, dans le même désir de fuir la situation oedi-
pienne, ils ont tendance à rechercher une attitude d'homosexualité
passive devant le meneur de jeu.
Dans les deux types de groupe considérés nous n'avons pas eu
l'occasion d'observer les phénomènes de facilitation de l'expression de
l'agressivité centrée sur un camarade. Nous ne laissons pas l'agressivité
s'exprimer dans une situation extra-transférentielle sans la ramener à
la situation analytique, et ceci dès les premières séances s'il y a lieu.
Pour la même raison il est impossible à un patient de s'installer dans un
rôle fixé par rapport au groupe sans qu'il lui soit montré la signification
de ce « rôle de composition » par rapport au transfert. D'ailleurs les
participants perçoivent parfaitement par eux-mêmes cette référence
permanente au transfert par l'intermédiaire de l'identification au couple
des thérapeutes, et le montrent par la facilité avec laquelle ils explicitent
la conduite de leurs camarades alors qu'ils sont souvent incapables
d'appréhender la signification inconsciente de leur propre conduite.
La qualité du contre-transfert diffère selon le type de groupe
considéré.
Dans le groupe instable le couple des thérapeutes est placé dans une
situation permanente de mise à l'épreuve. En effet, dominée par le

(1) Le silence dans le traitement de groupe est toujours un signe de malaise et non de commu-
nication comme dans l'analyse individuelle. Ceci est en rapport avec les phénomènes spécifiques
de groupe.
414 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

stress et l'insécurité, la plupart des membres essaient de pousser un des


thérapeutes indifféremment dans une attitude au-delà de son rôle dans
le groupe (essaient par exemple de susciter sa mauvaise humeur, sa pitié
ou sa colère).
Les silences du début sont aussi une épreuve de force dans le but
de « tâter » les autres, de jauger les thérapeutes et de vérifier les possi-
bilités de les mener au bout de leur position. Dans la même perspective
le groupe instable a tendance à pousser à l'acting-in, c'est-à-dire à
enfreindre les consignes à l'intérieur du traitement.
La situation pourrait donc être difficile pour les thérapeutes s'ils ne
bénéficiaient pas du confort affectif que constitue le soutien mutuel
du travail d'équipe et de l'insight en commun. Sans cette sécurité et
cette valorisation réciproque, le contre-transfert pourrait risquer d'être
à chaque instant influencé par les effets de grossissement, d'amplifi-
cation, qui rendent certains patients plus difficiles à supporter, dans le
groupe instable, parce que l'on y trouve plus fréquemment l'issue de
pulsions agressives, ou d'attitudes de provocation et de dévalorisation
du thérapeute.
Le thérapeute dominant, qui mène la partie verbale, est en parti-
culier plus exposé dans le groupe instable où le patient le pousse parfois
à une protection contre-transférentielle en l'obligeant à une attitude
d'entretien ou d'interrogatoire (par exemple par l'importance qu'il
donne au récit de son symptôme particulier, ou d'un événement de
sa vie personnelle ou d'un rêve).
Ainsi, Edouard, utilisant son curriculum vitae très mouvementé,
garde le silence pendant l'élaboration du thème de jeu, et une fois
celui-ci accepté par tout le monde, ne manque pas de s'adresser au
thérapeute en précisant que tout cela est injouable et ne l'intéresse pas,
car ce qu'il voudrait, c'est raconter un souvenir de son enfance, parce
que les thérapeutes n'étant pas au courant de cet élément, ne peuvent
ni juger son cas, ni le guérir.
Il ne manque pas non plus, à la fin de la séance, de demander au
thérapeute s'il a reçu ses lettres (correspondance très abondante et
écrite de façon illisible) toujours postées de façon telle qu'elles arrivent
le lendemain de la réunion du groupe.
Une autre attitude caractéristique du même malade est de mettre
ses mains sur les hanches et de déclarer au milieu de la séance que le
leader est aussi insatisfaisant pour lui que l'était son père. Il apporte
souvent avec lui des livres de Sartre dont il cite avec un plaisir évident
certaines phrases en expliquant au leader qu'il ne peut exercer convena-
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 415

blement sa profession sans tenir compte de ces importantes citations.


Le contre-transfert dans le groupe stable est assez semblable à celui
qui se rencontre en psychothérapie, mais s'augmente des problèmes et
réactions propres aux groupes. On peut évoquer les questions suivantes :
Le groupe en tant que tel ne pose-t-il pas des problèmes particuliers
de contre-transfert ? En quelle mesure les thérapeutes ne sont-ils pas
amenés, peut-être par périodes, à choisir de s'intéresser à un malade
plus qu'à un autre ? Est-il absolument possible d'avoir les mêmes
contre-attitudes à l'égard de tous les patients ? De même, ne « participons »-
nous pas authentiquement au fantasme commun du groupe, ou bien
l'utilisons-nous seulement ? Cette réalité qu'il représente pour des
auteurs comme Ezriel est-elle la même pour nous, ou l'utilisons-nous
seulement comme instrument dans notre recherche et notre action
thérapeutique ?
Autant de questions qui restent actuellement posées et pour les-
quelles nous redoutons un manque d'objectivité et de données suffi-
santes pour répondre.
Ainsi, l'ensemble des phénomènes de la dynamique des groupes
thérapeutiques semble passer toujours par le pôle de la situation
transférentielle.
Si nous avons insisté sur les aspects différentiels du transfert, c'est
parce qu'ils permettent de pénétrer la notion sans doute trop globale
de « groupe » et semblent en partie la démystifier en y montrant le rôle
de l'image des thérapeutes et du couple.
Le groupe est investi comme l'image des thérapeutes qui n'est ni
mystique ni archétypique mais qui figure la recherche essentiellement
dynamique d'un rapport satisfaisant avec le couple des analystes,
rapport transposable dans les relations interpersonnelles extérieures
au groupe.
C'est l'investissement par chacun, du groupe comme image des
thérapeutes — investissement d'abord projectif, ensuite défensif —
qui fait que le traitement de groupe se déroule d'une façon spécifique,
d'autant plus thérapeutique que le transfert est mieux structuré par la
stabilité du groupe.
On aura pu constater que le maniement du transfert et les références
au passé vécu mobilisent des phénomènes collectifs et de défenses
individuelles dans le groupe qui permettent une étude privilégiée des
relations objectales les plus primitives.
L'étude des modalités d'investissement dans les groupes stables
et les groupes instables que nous venons de rapporter n'aura pas
416 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

manqué d'évoquer les différenciations de qualité de la névrose de


transfert et de sa résolution dans les deux cas comparés.
Les caractéristiques de la névrose de transfert des groupes instables
mettent en relief leurs positions régressives, prégénitales, l'aspect
archaïque des défenses, l'intensité des investissements narcissiques indi-
viduels et de groupe, l'importanceattachée aux bénéfices secondaires et la
facilité du refus de la réalité. Ces traits sont finalement très proches de la
description d'une partie des manifestations transférentiellespsychotiques.
Il semble en effet que le groupe instable à son début et à l'entrée
de chaque « nouveau », se cristallise, en tant que groupe, sur des posi-
tions aux caractères assez semblables à ceux des relations d'objet
psychotiques. Ainsi son état de besoin, sa demande, ses refus, sa
recherche de fusion avec le couple des thérapeutes, son activité projec-
tive, sa difficulté à établir un lien entre l'analyse présente et les situa-
tions infantiles passées, semblent être une sorte de transposition au
niveau de l'investissement du groupe de relations de type archaïque ou
psychotique.
Le groupe stable par opposition possède beaucoup plus vite des
possibilités de prise de distance entre le fantasme et la réalité et des
possibilités de compréhension de la valeur répétitive des expériences
passées dans la situation de groupe. Il nous semble pouvoir être comparé
dans ses caractéristiques évolutives au transfert névrotique.
Nous avons vu que ces différences s'expliquent par l'importance
et l'origine de l'angoisse mobilisée, primitive et fusionnelle pour les
uns, élaborée et personnalisée pour les autres, c'est-à-dire peu maniable
voire dangereuse dans le premier cas, mobilisable et structurante dans
le second.
C'est dire que l'évolution du groupe instable sera compliquée par
l'existence d'éléments psychotiques dans ses manifestations de transfert
et obligera les thérapeutes à éviter — à la limite — tout processus
inducteur d'une psychose de transfert ou plus concrètement à
éviter de laisser le groupe se satisfaire de solutions déréalisantes voire
délirantes.
Une partie importante de l'évolution sera donc la névrotisation
des éléments de nature psychotique apparus dans le transfert du groupe.
Cette phase peut exister — elle sera alors brève — dans les groupes
stables. Elle est dépassée grâce à la plasticité des liens entre le hic et
nunc et le passé vécu.
Dans le groupe instable c'est au contraire une phase qui se prolonge
et dont l'évolution progressive est remise en question à chaque admis-
DYNAMIQUE DES GROUPES THERAPEUTIQUES 417

sien, la réalité extérieure, les expériences infantiles et la réalité de la


cure ne parvenant pas à se superposer ni à se confondre, et cette
dysharmonie pouvant être entretenue par le groupe pour exclure le
nouveau venu (1).
Un des avantages de la technique de jeu paraît être la possibilité
qu'elle offre de faire émerger les angoisses archaïques en les privant
de leur valeur terrifiante et destructrice par la possibilité de dénégation
incluse dans l'activité ludique à laquelle s'ajoutent les possibilités
particulières de la dynamique de groupe.
Dans les cas les plus favorables, on verra le groupe instable, évoluer
non seulement de la structure psychotique vers la structure névrotique,
mais encore tendre à devenir un groupe stabilisé fonctionnant avec une
relative cohésion telle qu'il devient effectivement impossible d'y intro-
duire de nouveaux patients. Sans doute est-il important d'accepter
cette « clôture », prélude à la possibilité de « rupture » par fixation d'une
date de fin de traitement et qui représente, comme nous l'avons noté, le
moment où le mouvement continu déclenché dans chaque personnalité
par l'évolution du groupe, aboutit au désir de rejeter les thérapeutes en
même temps que la maladie, pour affirmer l'autonomie de la personne.
Dans les cas difficiles, on peut craindre par contre, la transformation
du groupe instable en groupe stable mais fixé dans la régression et
n'évoluant plus que vers sa forme d'analyse interminable — dans une
position duelle (groupe restreint-couple) procurant des bénéfices
secondaires et primaires si importants qu'aucune compensation n'est
assez forte pour provoquer le renoncement. Il est vrai que de tels
groupes sont en général obérés au départ par leur constitution car ils
sont souvent formés de déchets d'autres groupes, condition également
défavorable au contre-transfert.
Quant aux différences dans les résultats obtenus dans les deux types
de groupes, elles consistent surtout dans la comparaison du rythme et
de la durée de l'évolution, nettement plus rapides dans le groupe stable,
l'évolution du groupe instable étant en effet ralentie par l'intervention
du facteur traumatisant et pathogène que constitue justement son
instabilité. De plus comme nous pensons l'avoir montré, la qualité
de la restructuration du Moi est certainement aussi favorisée par les
possibilités plus grandes de meilleure intégration du vécu transférentiel
dans le groupe stable et dans le groupe « stabilisé ».

(1) C'est peut-être ces caractéristiquesdu transfert qui expliquent les difficultés rencontrées
par différents auteurs dans les thérapeutiquesde cet ordre.
418 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

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PSYCHANALYSE APPLIQUÉE

Psychanalyse, ethnologie
et ethnologie psychanalytique
par S. A. SHENTOUB

« Les mécanismes essentiels des non-Euro-


péens, y compris les peuples sauvages et les
barbares apparaissent comme étant les mêmes
que les nôtres. »
C.-G. SELIGMAN dans son
discours présidentielau Royal
Anthropological, 1924 (cité
par ROHEIM).

L'ethnologie, comme toute discipline scientifique, ne peut se


contenter d'une cumulation de faits, fussent-ils les mieux observés,
décrits et analysés. Il faut, pour qu'elle devienne science, et que cette
science puisse servir de guide aux rapports des hommes et des peuples
entre eux — but plus ou moins manifeste d'une partie de l'ethnologie
moderne — que les faits accumulés soient organisés. Et comment
comprendre, grouper et comparer des expériences humaines, sans un
système de référence ?
L'ethnologie du XIXe siècle [26], comme la biologie darwinienne,
se basait sur l'idée d'une évolution générale et unique du genre humain
allant du simple au complexe, du « primitif » au « civilisé ». Cette soi-
disant « échelle des valeurs » servait aux ethnologues à classer les faits
rapportés par les ethnographes. Mais l'évidente complexité des faits
sociaux observés chez lesdits « primitifs » et la pensée sociologique
durkheimienne ont amené les ethnologues à abandonner l'idée de l'évo-
lution unique, à rejeter toute idée de comparaison d'une culture à une
autre et à décrire chaque peuplade, ses institutions, ses moeurs, ses
croyances, ses pratiques et ses techniques.
Mais il est évident que la quantité même, la richesse du matériel
observé créent le besoin d'un système d'organisation de ce matériel.
La sociologie n'a pas su le donner, et il n'est pas d'écrit moderne d'eth-
420 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

nologie ou d'anthropologie [32] qui ne permette de déceler ce besoin (I).


La recherche des pattern, des modèles de base devient une préoc-
cupation constante. Mathématiques et statistiques sont à l'honneur.
Leslie White [31], par exemple, mesure la quantité moyenne d'énergie
disponible dans chaque société par tête d'habitant. Daryl Forde [8]
définit les propriétés abstraites qui se dégagent de l'étude des corré-
lations et de la dépendance des variables tels le niveau de producti-
vité matérielle, le degré de densité de la population, le degré et la nature
des spécialisations professionnelles. Mais mathématiques et statis-
tiques ne sont pas applicables si l'analyse préalable des faits n'est pas
faite de façon homogène, si l'observation même n'est pas « objectivée »,
en bref, si le travail de l'ethnologie n'est pas intégré dans un système
de référence valable.
Les chercheurs modernes s'évertuent donc de recueillir, de grouper
et de comprendre leur matériel selon des disciplines et des méthodes
variées, historiques, démographiques, linguistiques, psychologiques.
Et comme toute manifestation culturelle, tout fait social est en rapport
direct et réciproque avec les hommes qui le créent et qui le vivent,
l'intérêt des chercheurs se porte de plus en plus sur l'homme même.
Mais le problème essentiel ne semble pas pour autant résolu : comment
trouver la signification, la valeur des faits observés ? Comment dis-
tinguer ce qui est spécifique si on ne peut évaluer le spécifique par
rapport à l'universel ? Comment savoir à quel besoin profond corres-
pond telle ou telle manifestation culturelle si on ignore ces besoins ?
Comment enfin comparer des systèmes d'interaction complexes sans
qu'un système de référence préside à l'analyse des facteurs déterminants ?
Ce système de référence, ce mode de penser, certains anthropo-
logues l'ont perçu dans la psychanalyse. Mais, croyant améliorer les
conceptions freudiennes, ils sont arrivés à nier l'universalité de la
structure psycho-biologique de l'homme et se sont ainsi privés de l'ins-
trument même qu'ils recherchaient. En effet, rares sont encore les ethno-
logues qui comprennent les faits sociaux, variables selon les cultures,

(I) Les ethnologues anglo-saxons ont abandonné le terme " ethnologie ». Le terme « anthro-
pologie » lui est substitué. Levi-Strauss est, en France, le seul à avoir suivi cette modification
terminologique, accentuant ainsi la direction donnée à la recherche qu'il poursuit. Car, en fait,
il ne s'agit pas seulement d'une question de terminologie. Cette nouvelle dénomination est
employée essentiellement par les chercheurs qui éprouvent le besoin d'une " scientification »
de l'ethnologie. Les anthropologues ont, aujourd'hui, de très grandesambitions : ils considèrent
l'anthropologie comme la « science de l'homme », annexant toutes les disciplines humaines, y
compris la sociologie et la psychanalyse. Ils s'attribuent ainsi la fonction « présidentielle » qu'ils
refusent désormais aux sociologues.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 421

par rapport à l'homme dont les structures de base et de dynamisme


psycho-social sont connues grâce à la psychanalyse freudienne.

Cependant, même les ethnologues non psychanalystes proclament


aujourd'hui qu'un des intérêts essentiels de l'ethnologie consiste à
saisir, à travers les structures manifestes et conscientes de la vie sociale,
les expressions et les significations inconscientes : tout en écartant la
psychanalyse ou en la dénigrant, ils emploient, bon gré mal gré, certains
concepts psychanalytiques et même, de façon partielle, un mode de
pensée psychanalytique [18, 19, 20, 22]. L'empreinte de la psychanalyse
est très sensible, par exemple dans les travaux de Lévi-Strauss et, fait
significatif, plutôt que dans ses travaux théoriques, dans son livre
Tristes tropiques que l'on pourrait qualifier de « confessions d'un ethno-
logue ». Du reste, cette empreinte ne caractérise pas seulement l'ethno-
logie moderne : la sociologie et la psychologie classiques doivent
les nouvelles impulsions qui leur permettent de survivre, aux pers-
pectives dynamiques que la psychanalyse leur a ouvertes, à leur insu
bien souvent [24].

Pourquoi donc et en quoi la psychanalyse peut-elle fournir à


l'ethnologie une théorie de la connaissance qui lui ouvre une voie
d'approche dans son propre domaine et la pourvoit de l'instrument
nécessaire à la compréhension et la coordination des faits observés ?
Nous l'avons dit : la psychanalyse établit l'universalité des structures
humaines de base, conscientes et inconscientes. Connaissant la généra-
lité du fait de l'immaturité de l'enfant humain, les stades de développe-
ment par lesquels il passe nécessairement, le rôle formateur des pre-
miers rapports de l'enfant avec son milieu, l'importance des forces
instinctuelles, de la libido, de sa différenciation, de sa répression, de
son refoulement et de sa sublimation, de l'ambivalence des besoins et
notamment de l'agressivité fondamentale liée à toute activité psychique,
l'ethnologue peut évaluer les faits sociaux et montrer leur signification
par l'étude des répercussions qu'ils ont sur l'individu. Étudier ainsi la
façon dont les hommes d'une culture donnée vivent cette culture et son
maintien et l'évaluer par rapport à d'autres cultures, c'est conférer à la
méthode comparative, tant décriée, une nouvelle réalité (I).

(I) Parmi les concepts psychanalytiques, le concept de l'immaturité de l'enfant humain


a retenu plus particulièrement les analystes abordant des problèmes ethnologiques. L'enfant
humain comparé à l'animal jeune, est un être biologiquement inachevé et immature. Ce qui est
transitoire chez les anthropoïdes est permanent chez les hommes. Les caractères primaires chez
REV. FR. PSYCHANAL. 28
422 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

Il semble donc que rien ne soit plus naturel qu'une prise de contact
entre ethnologie et psychanalyse. Ce n'est pourtant pas un ethnologue,
mais un psychanalyste, Freud lui-même, qui a jeté les premiers ponts.
En effet, alors que la méthode psychanalytique, sa technique et ses fon-
dements étaient à peine élaborés, Freud a tracé à l'ethnologie les voies
d'approche en cherchant tout d'abord et essentiellement à valider, sur
le plan universel, les découvertes qu'il avait faites en clinique (et
nullement dans l'intention de « substituer » la psychanalyse à la socio-
logie ou l'ethnologie). Cette confrontation des données psychanalytiques
avec les observations ethnographiques disponibles à l'époque s'avéra fort
riche : ainsi Freud retrouva dans les moeurs des « primitifs », sous une
forme manifeste et institutionnalisée, l'interdit qui est à la source de
toute névrose, notamment, le tabou rigoureux de l'inceste dont dérive
entre autres la pratique de l'exogamie. « Les diverses organisations
socio-culturelles ne sont en définitive que des variations sur un même
thème », a constaté Roheim par la suite. Voir à ce sujet [9], [24].
Il ne nous semble pas nécessaire de rappeler ici l'historique du
cheminement de la pensée freudienne qui procède du pathologique
au normal, de l'individuel au collectif, de l'inconscient à l'institu-
tionnel, du biologique au social. Freud a montré l'importance dyna-
mique de la répression de la vie instinctuelle et son empreinte dans
les institutions. Il a évalué les distorsions psychiques que subit l'indi-
vidu pour que la société puisse maintenir sa force et sa cohésion.
Nous savons depuis Freud ce que coûte, à l'individu et à la société,
la répression de la vie instinctuelle : névrose et malaise dans la
civilisation.
A la recherche des origines ultimes du complexe d'OEdipe et des
fantasmes, Freud a cru devoir situer celles-ci dans le passé de la race
humaine. C'est ainsi qu'il élabora son hypothèse de la horde primitive,
abandonnée aujourd'hui par la plupart des psychanalystes. Mais celui
qui critiquait Jung pour avoir eu recours à des explications phylo-
génétiques, connaissait bien leur fragilité et l'on sait que sur le plan

l'homme sont des formes foetales, devenues permanentes. Les phases de développement de la
personnalité découvertes par Freud, se trouvent insérées, dans le contexte des phases du déve-
loppement et du fonctionnement particulier du corps humain. Mais il y a inégalité et dyshar-
monie dans le développement de l'organisme humain : le développement corporel est retardé
en comparaison avec le système sexuel, fait neutralisé par le fonctionnementretardédu système
sexuel (période de latence et puberté). Cette immaturité et ce retardement, spécifiquement
humains, comportent nécessairement des situations traumatisantes, étant donné qu'ils rendent
l'enfant dépendant de l'adulte tant du point de vue biologique que psychologique et social.
Freud y a beaucoup insisté pour montrer qu'une des fonctions de la culture était de pallier cette
immaturité. Voir à ce sujet aussi : [3], [10], [11], [12], [26], [27], [29], [30].
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 423

clinique, Freud-l'analyste n'y a jamais eu recours. La théorie de la


horde primitive qui a fait couler tant d'encre, comme du reste certaines
autres hypothèses phylogénétiques, difficiles à prouver et que le philo-
sophe Freud a cru nécessaire d'émettre au cours de ses recherches, ne
modifie en rien le système de ses conceptions ontogénétiques, fait que
l'on a tendance à oublier.
Ainsi, pour comprendre le complexe de la castration, l'analyste
n'a nul besoin, on le sait, d'avoir recours à l'hypothèse du père primitif,
assassiné par ses fils. L'investigation portant sur le rôle du père réel et
imaginaire, la façon dont les rapports sont vécus par l'enfant donnent
un matériel suffisant, pratiquement inépuisable, ce que Freud, le clini-
cien, a démontré. Depuis, la clinique psychanalytique s'est encore
enrichie : la psychanalyse de l'adulte a mené à la psychanalyse de
l'enfant qui a apporté un matériel considérable permettant d'approcher
les problèmes génétiques dont Freud cherchait encore la solution dans
des spéculations phylogénétiques.
Dans ses premiers écrits ethnologiques, en situant la relation oedi-
pienne au coeur et à l'origine même du conflit, Freud semblait accorder
au complexe d'OEdipe une importance exclusive. Mais si on envisage
l'oeuvre de Freud dans son unité dynamique on comprend l'impor-
tance relative des différents éléments constituants. L'importance des
découvertes concernant les premiers stades de l'évolution de l'en-
fant, les stades préoedipiens, élaborées par Freud en collaboration
avec Abraham [I], n'a pas été, en effet, tout de suite reconnue.
C'est par rapport aux relations précoces de l'enfant avec sa mère et
par rapport aux stades préoedipiens que se dégage l'importance du
complexe d'OEdipe qui doit être considéré comme l'aboutissement
des premières structures de la vie instinctuelle et psycho-sociale de
l'enfant.
Ainsi, si l'évolution naturelle de la recherche psychanalytique est
de passer de l'universel au diversifié, la valeur essentielle de cette
théorie de la connaissance pour la recherche ethnologique est d'avoir
déterminé un ensemble de données et de situations constantes (I),
par-delà l'espace et le temps, qui se manifestent de façon différente et
spécifique suivant l'individu, dans son milieu.
Les données dynamiques qui caractérisent le développement de

(I) Hartmann, Kris et Loewenstein [voir 12] signalent que, envisagées de très près, les
situations conflictuelles dans lesquelles se trouve l'enfant, se réduisent finalement à un nombre
très limité ; ces situations sont constantes et liées dynamiquement et de façon aussi constante
aux données psycho-biologiques et psycho-sociales du développement de l'enfant.
424 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

l'enfant humain se retrouveront infailliblement chez tout enfant observé


selon les modes d'approche psychanalytiques :
— la liaison étroite entre les stades du développement psycho-affectif
de l'enfant (dont les dates d'apparition peuvent varier d'un enfant à
l'autre, même dans le même milieu familial ou social) et le dévelop-
pement biologique de son corps ; ces deux formes du développement
sont donc dynamiquement indissociables ;
— ce double développement se fait, dès la naissance de l'enfant, au
contact de l'entourage ;
— c'est en fonction de ces trois mouvements — développementpsycho-
affectif, biologique et social — que l'enfant établit ses premières
relations avec les objets (par objets il faut entendre aussi bien les
personnes, les choses, ou le corps, considérés selon leurs propriétés
intrinsèques, que ces mêmes objets intériorisés par l'enfant).
Ainsi, les premières structures du Moi de l'enfant s'élaborent à
la fois en fonction des propriétés « objectives » des données de
base universelles, et de la façon, non moins universelle, dont elles
sont investies affectivement par l'enfant ;
— ainsi envisagée, l'action du social (au même titre que celle du biolo-
gique et du psychologique) sur le développement de l'enfant se
comprend comme un des éléments non exclusif de la formation de
la personnalité. Une voie d'approche se dessine donc nettement
pour l'étude de la signification et de la valeur des faits sociaux vécus
par les enfants des différents peuples.
Voici donc, très brièvement exposées, certaines caractéristiques
essentielles de l'instrument psychanalytique sans cesse affiné et perfec-
tionné par la clinique et dont se sert aujourd'hui un certain nombre
d'ethnologues. Mais l'application s'avère difficile.
En effet, les anthropologues américains modernes de l'école dite
« culturaliste » ont basé leurs travaux sur des conceptions psychana-
lytiques, mais on pourrait dire, pour les uns, que l'instrument leur a
glissé des mains, et pour d'autres, que son maniement imparfait les
a empêchés d'arriver à une vue d'ensemble cohérente.
Prenons un exemple pour illustrer comment, tout en partant de
conceptions psychanalytiques, un chercheur comme Kardiner arrive
à nier l'universalité de la structure psycho-biologique et se prive ainsi
de l'instrument même de la recherche.
Au cours de son analyse de la culture des Commanches, Kardiner [14]
constate l'absence, chez cette peuplade, du tabou des rapports sexuels
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 425

avant la bataille, tabou si répandu ailleurs. Il en conclut à l'absence,


chez les Commanches, de la constellation plaisir sexuel-culpabilité-
punition et nie ainsi la répression sexuelle en tant que trait universel.
En fait, Kardiner ne se donne pas la peine de rechercher ce trait
dans d'autres manifestations de la culture qu'il analyse. En effet, la
description qu'il donne lui-même des rapports interpersonnels chez les
Commanches permet de déceler aisément la présence de la constel-
lation en question : il nous dit en effet que dans cette société harmo-
nieuse les conflits entre hommes à cause d'une femme sont réprimés
(are not permitted to arise) ; que les frères se partagent une même
femme et que l'homme qui couche avec la femme d'un autre est reconnu
par le mari comme son frère. Il est évident que nous nous trouvons ici
en présence d'une défense contre le sentiment inconscient de culpa-
bilité. L'hostilité contre le rival est déplacée sur la femme qu'on punit.
La crainte de la castration s'exprime dans le renforcement des liens
homosexuels, mécanisme bien connu des psychanalystes de tous les
pays et qu'on retrouve dans le monde occidental, notamment dans les
ménages à trois.
Peu de pages plus loin, Kardiner nous dit encore que chez les
Commanches la soeur aînée est « strictement tabou » ; c'est elle qui
fait régner la discipline, c'est elle qui est la « cible de toutes les haines ».
Voici donc une autre preuve bien précise que le désir incestueux
— la
soeur étant le substitut de la mère — est chargé ici comme ailleurs
de sentiments de culpabilité très intenses et que la crainte de la castra-
tion qui en découle — le complexe d'OEdipe — détermine les rapports
familiaux.
Mais allons plus loin encore : chez les peuplades d'Australie cen-
trale chaque acte de vendetta est précédé, comme nous dit Roheim,
de masturbation et de coït incestueux. Tout se passe comme si le guer-
rier voulait se prouver sa force et la justesse de sa cause en bravant les
interdits les plus absolus, en faisant fi des craintes les plus profondes.
Ne pourrait-il pas en être de même chez les Commanches ? Qui nous
dit que les rapports sexuels autorisés avant la bataille ne s'avéreraient
pas, analysés en profondeur, comme un acte conjuratoire, comme une
manifestation de la constellation même dont Kardiner croit devoir
souligner l'absence ?
Ces quelques remarques suffisent pour prouver ce que nous avan-
cions : au heu de se servir des conceptions de base de la psychanalyse,
Kardiner les abandonne au profit d'un révisionnisme où la notion freu-
dienne d'un dénominateur commun des cultures — l'homme — est
426 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

remplacée par l'idée de la relativité des cultures et des faits psycho-


sociaux. La recherche ethnologique ainsi conçue renonce donc à toute
articulation en fonction d'une structure précise.
Un autre exemple nous prouvera aisément que sans la compréhen-
sion psychanalytique en profondeur une vue cohérente de l'ensemble
d'une culture sera difficile à obtenir, même si l'observation, très poussée,
des faits sociaux est faite à partir de données psychanalytiques, comme
c'est le cas dans certains travaux de M. Mead.
Dans Le caractère balinois [2], M. Mead et G. Bateson étudient les
rapports entre la situation infantile et les manifestations culturelles à
Bali.
Le comportement de la mère vis-à-vis de son enfant est ici tout
spécialement captatif et sexuellement stimulant ; elle dort par exemple,
comme nous disent les auteurs, « allongée sur l'enfant comme l'homme
sur la femme dans le coït ». Son emprise se retrouve non seulement dans
les moeurs — les parents exigent que les enfants épousent leurs cousins
germains et restent ainsi à l'intérieur du clan — mais aussi dans les
manifestations artistiques, danses et jeux dramatiques. Les auteurs
décrivent par exemple une pantomime dansée par une fillette séduisante
qui fascine tous les hommes. Mais au milieu de la danse, la fillette se
transforme tout d'un coup en sorcière qui menace et maltraite un bébé-
poupée pour redevenir ensuite séductrice. « Cette danse exprime la
peur obsédante, la conviction profonde de chaque Balinois que, même
en cherchant de toutes ses forces la belle inconnue en dehors de son
village familial, il épousera finalement la sorcière, la femme dont l'atti-
tude vis-à-vis des rapports humains sera exactement celle de sa mère »,
écrit Margaret Mead. Le thème principal des jeux dramatiques à
Bali reflète cette même dépendance : traditionnellement, le prince
qui veut enlever une belle princesse, emporte par hasard sa vilaine
soeur.
Jusqu'ici nous suivons volontiers le raisonnement de M. Mead et
G. Bateson. Il n'y a, en effet, aucun doute sur le rapport entre la situa-
tion infantile et les manifestations culturelles. Mais est-il juste de voir,
dans ces manifestations, uniquement le reflet d'un comportement insti-
tutionnalisé de la mère balinoise, c'est-à-dire d'un élément significatif
d'une culture donnée ?
La réponse devient évidente si nous analysons le thème des jeux dra-
matiques cités ; l'axe même de l'intrigue est ici le complexe d'OEdipe [2].
La substitution de la belle par la vilaine n'est ni fortuite, ni due unique-
ment à la situation infantile balinoise.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 427

Il est cependant évident que le caractère spécifique de la culture


balinoise réside dans l'issue « régressive » donnée au complexe d'OEdipe
dans cette culture en comparaison avec d'autres (on sait par exemple
que certains rites matrimoniaux en Europe centrale ont le même thème
oedipien que les jeux dramatiques balinois : on présente au fiancé qui
vient chercher sa belle une vilaine vieille à la place. Mais ici, le jeune
homme la refuse et s'en va avec sa bien-aimée : solution « progressive »).
Donc, l'attachement à la mère, justement souligné par M. Mead,
n'est pas dû uniquement à la situation infantile spécifique. C'est un fait
universel. Mais ce complexe est orienté dans cette culture de façon
spécifique. Son issue « régressive » implique sans doute le mode de vie
fortement traditionnel de ce peuple.
En suivant cette voie, c'est-à-dire, répétons-le, en négligeant l'uni-
versalité des éléments essentiels de la structure psycho-biologique de
l'homme — les stades de développementet les conflits qui leur sont inhé-
rents — en escamotant le rôle des instincts, en combattant un soi-disant
biologisme freudien souvent mal compris et en ramenant toute manifes-
tation culturelle à la situation infantile, comprise uniquement comme
produit de la culture spécifique, les culturalistes oublient « que jamais
individu ne saurait recevoir, comme une cire passive, l'empreinte des
opinions sociales et des institutions, pas plus que celle des événements de
son enfance. » Tout en se servant de la pensée freudienne pour élaborer
leur mode d'approche, ce qui leur permet de réunir un matériel d'ob-
servation de valeur inestimable, ils font bon marché de la découverte
essentielle de la psychanalyse freudienne, l'intériorisation inconsciente
des objets : ils ne peuvent évaluer la signification réelle des faits sociaux,
puisqu'ils se refusent de chercher comment ceux-ci sont vécus par
l'individu.
Après tout ce que nous venons de dire, il est évident que la psycha-
nalyse culturaliste cherchera dans la thérapeutique à réadapter le névrosé
à son milieu, tandis qu'une psychanalyse freudienne essayera d'adapter
le sujet à lui-même en fonction de son milieu en sorte qu'il récupère
les moyens intérieurs qui lui permettent de faire face à la société, de
l'intégrer, et non seulement de s'y adapter. Individu et société, tout en
agissant l'un sur l'autre, gardent ainsi leur domaine et leurs lois propres.
Vouloir réduire tout conflit aux seuls conflits extérieurs, interpersonnels,
ne voir l'individu que comme un produit de sa culture, mène l'anthro-
pologue à une vue morcelée des réalités culturelles, le psychiatre et le
psychologue à un conformisme social utile sans doute, mais scienti-
fiquement peu valable.
428 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE (I)


La personne qui participe à une culture
ne l'expérimente pas simplement comme
quelque chose d'extérieur, mais au contraire
comme quelque chose de profondément inté-
riorisé qui forme une composante intégrale
de sa structure et de son économie psychique.
G. DEVEREUX, The Anthro-
pological Roots of psychoana-
lysis.

L'intérêt des ethnologues et avant tout des anthropologues améri-


cains se porte, nous l'avons dit, de plus en plus, sur l'homme dans sa
culture. L'étude de l'apprentissage de la culture par l'enfant à travers
ses premières relations avec sa mère est au premier plan des préoccupa-
tions et doit permettre de connaître une culture. (Nous sommes bien
loin ici de l'ethnologie classique et il semble inutile de souligner à quel
point la formulation même des problèmes porte l'empreinte de la
pensée freudienne !) Ces problèmes, d'une importance capitale, peuvent
être abordés dans le field-work, l'observation directe ; les techniques
comme l'enquête, l'interview, l'analyse des dessins d'enfants, etc.,
permettent de déterminer « objectivement » le comportement de la mère,
celui de l'enfant, l'insertion des phénomènes culturels et institutionnels
dans ce comportement, etc. (approche anthropologique) [13]. Le rôle
réel de ces phénomènes dans l'édification de la personnalité de l'enfant,
donc le caractère réel de la culture dont l'enfant fait l'apprentissage
ne peuvent cependant être compris que si l'on étudie la manière dont
la mère et l'enfant vivent leurs expériences personnelles et culturelles.
Ceci est le domaine de l'exploration clinique, d'inspiration direc-
tement psychanalytique. Ce n'est donc pas l'institution seule et en
elle-même qui déterminera le développement de l'enfant, mais la
manière dont elle lui est transmise et la manière dont il l'intègre, donc
s'en sert intérieurement.
Un exemple illustrera ce que nous venons d'avancer : une enquête,
effectuée aux États-Unis, avait pour but d'élucider le rôle de l'allaite-
ment dans le développement psychique de l'enfant. On étudia donc
l'influence sur l'enfant des deux modes institutionnalisés d'allaitement

(I) La nouvelle branche de l'anthropologie, ayant pour objet les rapports de la culture
et de la personnalité, prédomine en effet de plus en plus dans l'anthropologie moderne et tend
même à l'absorber. Les recherches intéressantes sont, dans la plupart des cas, entreprises par
équipes interdisciplinaires, souvent avec la collaboration d'un psychanalyste. C'est, sans nul
doute, une voie riche en perspectives qui s'ouvre à la recherche.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 429

(allaitement régulier à heure fixe ou allaitement suivant les besoins


exprimés par l'enfant) pour arriver à une conclusion entièrement néga-
tive : il s'avéra en effet qu'il n'y avait pas de différence significative
pour l'enfant entre les deux modes d'allaitement. Il est pourtant
indéniable que l'allaitement se répercute sur le développement psycho-
biologique de l'enfant mais nous savons par l'expérience clinique qu'un
autre facteur que le mode, notamment l'attitude inconsciente de la
mère en face du processus institutionnalisé de l'allaitement est de
première importance. Deux mères de personnalités différentes éroti-
seront de façon différente le même mode d'allaitement. Aussi pour
comprendre le rôle réel de cette institution il ne suffit pas d'étudier ses
modalités, il faut comprendre comment sont-elles vécues (I).
Cet aspect du problème n'échappe nullement à certains ethnologues
qui ont été amenés, comme les psychanalystes, à définir la culture à la
fois comme une expérience intérieure et la manière de la vivre.
L'analyse d'une légende des Indiens de la Grande Plaine, donnée
par Devereux [4] dans un travail récent, légende bien connue des ethno-
logues qui étudient ses éléments comme l'enquête citée étudie les modes
de l'allaitement, nous semble pouvoir donner à cette définition tout
son poids. Il s'agit ici d'une légende racontée par une femme indigène
au cours de la psychanalyse pratiquée sur elle par Devereux : il y avait
une fois un bébé cannibale qui se levait de son berceau toutes les
nuits pour aller dévorer d'autres bébés et revenait ensuite se coucher
avec des débris de chair humaine entre les dents. « Il devait se sentir
très mal à l'aise avec cette chair entre les dents, j'ai toujours eu pitié
de lui », déclara la femme.
En effet, la légende vécue par cette Indienne nous livre la clef
culturelle de cette société qui est la virulente rivalité fraternelle, fait
observé aussi chez d'autres tribus indiennes (un Sioux par exemple
se vante en disant que ses parents l'ont tellement aimé qu'ils ont cessé
d'avoir des rapports sexuels pour éviter la naissance d'un frère cadet).
Par l'identification au personnage légendaire — bébé cannibale dévorant
d'autres bébés — cette femme met en relief toute l'importance des
conflits liés aux toutes premières relations de l'enfant avec sa mère,
conflits qui se situent au niveau du stade oral, et principalement au
niveau de la phase sadique de l'oralité. Par sa pitié pour le bébé canni-

(I) Dans son travail Quelques problèmes d'adaptation du jeune enfant en fonction de son
type moteur et du régime éducatif, dans Enfance, 1959, Presses Universitaires de France,
Irène LÉZINE constate également le rôle décisif du comportement de la mère vis-à-vis de l'enfant
qu'elle allaite.
430 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

bale l'Indienne, en « régressant » vers ce stade, exprime librement et


sans angoisse ses propres pulsions agressives et dévorantes.
Le caractère institutionnel de la légende permet à l'Indienne de
« folkloriser » ses fantasmes sadiques, favorisant ainsi une « régression »
individuelle mais institutionnellement permise et encouragée, ce qui
amène un renforcement du Moi par une légitimation de l'agressivité.
Cette manière d'aborder l'item culturel que présente la légende, en
analysant comment elle est vécue, utilisée, exploitée inconsciemment
par les membres d'une peuplade, nous paraît riche en enseignement,
non seulement pour la connaissance des sujets qui participent à une
culture, pour savoir ce que l'individu peut s'en approprier, mais par
là même pour évaluer les possibilités qu'une culture offre à ses membres
(possibilités d'investissement libidinal et de sublimation).
Les ethnologues qui reprochent aux psychanalystes de sous-estimer
les facteurs de la réalité ne se rendent pas assez compte de ce que la
réalité représente pour l'individu, quelles occasions de décharge directe
offre-t-elle et quelles défenses elle encourage. Bien plus souvent le
comportement de l'homme est déterminé par sa manière de vivre les
institutions que par la force objective que celles-ci exercent sur lui [12].
Les institutions peuvent affecter les individus de façon différente :
a) En fonction du niveau de développement, c'est-à-dire du degré
d'autonomie du Moi ;
b) En fonction des instances de la personnalité mises à contribution
(Moi, Surmoi, Ça) ;
c) En fonction de l'influence qu'elles exercent soit sur l'aspect social,
conventionnel de la personnalité, soit sur son aspect privé et intime.
Dans ce contexte le travail de Kris et Leites [16] sur Les tendances
de la propagande au XXe siècle nous semble important à mentionner.
Les auteurs étudient les modes différents de propagande employée
pendant la guerre par les pays démocratiques et totalitaires ; chez ces
derniers, la propagande avait essayé d'exacerber les pulsions les plus
archaïques et les plus violentes en les attribuant à l'ennemi (juifs man-
geurs d'enfants, bolchevique avec le couteau entre les dents, etc.).
Ce faisant, elle légitimait les pulsions de ses propres sujets, les déculpa-
bilisait et « institutionnalisait » les cruautés réprouvées par le code moral.
Le Surmoi les prenait en charge, le Moi étant exclu de l'opération.
Dans les pays démocratiques, les possibilités plus larges d'information
et l'évolution sociale, ont fait naître une forme de propagande centrée sur
la participation consciente du Moi. Le discours que Churchill a tenu
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 431

lors des premiers bombardements de Londres en est un exemple. Il


expliqua comment l'action de chacun était liée à la situation dont
l'analyse détaillée empêcha la montée de l'anxiété. La fonction de ce
discours peut être comparée à celle du Moi dans l'individu.
Pour illustrer le fait que les institutions, en l'occurrence les moeurs,
peuvent influencer, soit le secteur social, conventionnel de la personna-
lité en lui donnant des modèles d'identification, soit la partie « privée »,
plus authentique de cette personnalité, nous rappellerons le fait bien
connu des psychanalystes, que des malades amenés par les moeurs de
leur milieu non seulement à parler librement de leur masturbation,
mais à s'en vanter, s'avèrent au cours de l'analyse particulièrement
culpabilisés par cette masturbation.
Soulignons toutefois que les modèles d'identification offerts à l'indi-
vidu par la culture n'agissent pas nécessairement au détriment de l'auto-
nomie du Moi. La culture peut aussi fournir au Moi des possibilités
de sublimation. (Si, au heu d'inciter le sujet à « crâner » à propos de la
masturbation, le milieu familial et social lui fournissait une compréhen-
sion plus authentique et des moyens de sublimation, le conflit entre
le secteur privé et le secteur social de la personnalité serait moins
important.)
Dans leur travail précité, Hartmann, Kriss et Loewenstein montrent
d'autre part que des personnalités de structure analogue peuvent
exprimer une même tendance à se saisir de schémas culturels fort dif-
férents offerts par leur culture nationale, et d'autre part qu'un compor-
tement similaire peut avoir des significations très diverses selon la
culture dans laquelle il s'insère (un Américain qui suit le pattern de
comportement de son groupe peut sembler « crâneur ». Un Anglais
qui fait de même dans son milieu semblera arrogant, ce qui ne veut
pas dire que tout individu américain est « crâneur », tout Anglais
arrogant, seulement que, dans des milieux différents, des pulsions analo-
gues peuvent trouver des expressions différentes : l'exhibitionnisme des
Anglais, par exemple, ne produira pas des « crâneurs », mais un esprit
de sarcasme froid, dépréciant jusqu'aux propres attitudes du sujet).
Il y a donc lieu de tenir compte des limites et même des possibilités
d'erreur de l'observation directe et de l'extérieur, observation si chère
aux behavioristes. Bien que, ce qui apparaît à l'extérieur renferme
implicitement le contenu intérieur, celui-ci n'est pas toujours aisé à
saisir par des méthodes empiriques et directes.
C. Kluckhon [15] n'hésite pas à dire que « le travail des anthropo-
logues restera plat et non substantiel aussi longtemps qu'il n'abordera
432 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

pas les facteurs subjectifs dans la vie de l'individu ». Leites, dans un


travail consacré à cette question, propose des hypothèses de travail
permettant de pallier à la déficience de la démarche anthropolo-
gique ; mais elles ne semblent pas avoir inspiré beaucoup d'anthro-
pologues [17].
Certains psychanalystes-anthropologues, peu nombreux il est vrai,
pensent que les études d'anthropologie devraient nécessairement être
complétées par une formation psychanalytique très poussée. G. Roheim
affirme même que, pour des raisons inhérentes à cette science, cette
formation devrait être suivie de l'exercice pratique de la psychanalyse.
Ces rêves semblent difficilement réalisables.
Il n'en reste pas moins désirable, comme le soulignent entre autres
Hartmann, Loewenstein et Kris [12], que des psychanalyses proprement
dites soient faites chez des sujets appartenant à des cultures différentes.
N'est-il pas en effet paradoxal que, depuis les attaques de Malinovski
contre les thèses freudiennes formulées dans Totem et Tabou et
jusqu'aux controverses actuelles entre culturalistes et psychanalystes,
basées en grande partie sur des données recueillies chez les Tobriandais,
aucun sujet de cette peuplade n'ait été psychanalysé !
Le grand mérite de G. Devereux est d'avoir su, malgré les difficultés,
cumuler la fonction de psychanalyste et d'anthropologue. Ces nombreux
travaux sont très intéressants et ses conclusions convaincantes. Nous
voudrions donc nous y attarder ici un peu plus longuement [4], [5], [6], [7].
Soulignons tout d'abord qu'après 20 années de travail anthropolo-
gique Devereux constate que personne n'a pu apporter ne serait-ce
qu'une seule donnée sérieuse nécessitant la modification des concepts
psychanalytiques freudiens. Il affirme que ceux qui prétendent le
contraire « manquent ou bien de connaissances psychanalytiques ou
anthropologiques approfondies ou des deux à la fois ». C'est d'ailleurs
aussi l'opinion de Roheim. Devereux admet, et à juste titre, que les
travaux anthropologiques exigent certains raffinements des concepts
psychanalytiques ; reprenant les hypothèses de Leites qui fait une clas-
sification des items d'une culture, il se pose la question suivante :
qu'est-ce que la psychanalyse de sujets non occidentaux apporte comme
données anthropologiques ? En réponse à cette question il expose sa
théorie des matrices dans lesquelles s'insèrent nécessairement tous les
items d'une culture : matrices primaires, universelles et invariables et
matrices secondaires, variables, déterminées par les conditions ethno-
graphiques. Les matrices dans les deux séries peuvent être manifestes
ou latentes. Pour avoir une connaissance réelle d'une culture, il est
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 433

indispensable de déterminer les matrices, universelles autant que spéci-


fiques, d'un item donné. Il est évident que, sans la connaissance appro-
fondie du dynamisme psychique de la personnalité et sans l'instrument
d'investigation qu'offre l'étude psychanalytique sur place, il sera impos-
sible de déterminer l'insertion d'un fait culturel dans une matrice uni-
verselle. A la différence de l'anthropologue qui rapporte des données
ethnographiques sans les comprendre, dans leur rapport avec les struc-
tures humaines universelles, le psychanalyste-anthropologue détermi-
nera les significations et les valeurs de ces données grâce à leur insertion
dans les matrices de base.
L'observation suivante, apportée par Devereux dans son travail
Psychanalyse et Field Work anthropologique, illustre bien ce que nous
venons de dire : « Tous les chercheurs anthropologues qui ont étudié
les Mohaves et les River Yumans ont souligné la croyance de ces
Indiens que les jumeaux étaient des visiteurs du ciel et qu'il fallait
les accueillir les bras ouverts et les combler de cadeaux. » Devereux
connaissant en tant que psychanalyste les matrices universelles humaines
et en l'occurrence l'ambivalence essentielle des sentiments humains
a pu obtenir par une simple question la confirmation de cette ambiva-
lence concernant l'attitude envers les jumeaux. A sa question : « Qu'est-
ce qui vaut mieux, un jumeau ou une personne ordinaire ? », il s'est
entendu expliquer que les jumeaux étaient des esprits des morts, hau-
tement possessifs et peu désirables, qui s'incarnent uniquement pour
rapporter finalement une double portion de cadeaux funéraires. Devereux
a ainsi mis à jour une série secondaire de croyances hautement déve-
loppées que les anthropologues avaient entièrement ignorées.
Il en est de même en ce qui concerne les notions aussi simples que
celle du bon chien, fidèle serviteur de l'homme qui devient dans le
langage incontrôlé le « sale chien », etc. L'analyste-anthropologue
découvrira souvent que des ambivalences subjectives de l'analysé sont
étroitement liées aux ambivalences de base caractéristiques de sa
culture.
Mais Devereux va encore plus loin. En plus de la connaissance
approfondie de la structure et du dynamisme du psychisme humain,
il exige de l'anthropologue-psychanalyste d'avoir présent à l'esprit,
en étudiant une culture, comment les items envisagés s'insèrent dans
d'autres cultures. Cette étude comparative permet également de déceler
les matrices du fait culturel et ainsi de saisir sa signification. Cette
idée devient évidente par les quelques exemples suivants : « La deuxième
série de croyances mohaves concernant les jumeaux, écrit Devereux, ne
434 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

serait pas restée ignorée pendant un demi-siècle si les Field-worker


s'étaient rappelés le fait que, dans d'autres aires culturelles, les jumeaux
sont ouvertement rejetés et parfois tués. D'autre part, même le field-
worker le plus caninophile n'aurait pu perdre de vue la matrice hostile
de l'item « chien » s'il avait eu présent à l'esprit que les Arabes consi-
dèrent le chien comme un animal impur. »
Ayant ainsi reconnu l'importance de l'exploration d'une même
donnée culturelle dans ses expressions manifestes et latentes dans un
grand nombre de cultures, Devereux s'est proposé de voir l'extension
d'un item assez curieux qui relève à la fois des fantasmes, des pratiques
et des légendes : il s'agit de la représentation du pénis réversible et
rétractable comme un doigt de gant.
L'expérience psychanalytique montre, en effet, que les fantasmes
se rapportant à cet item, sont nombreux et se manifestent chez les sujets
de nos cultures de façons variées, par exemple par des exhibitions devant
le miroir en camouflant le pénis entre les jambes, etc. Ils apparaissent
le plus clairement chez les travestis qui, en confondant le fantasme et la
réalité, revendiquent la castration chirurgicale, persuadés de posséder
les organes féminins internes. Ces « exercices » correspondent en
réalité à des fantasmes universels dont Devereux retrouve les traces
conscientes et inconscientes sous les formes les plus diverses. Voici
ce qu'il écrit à ce sujet : « Chez les Indiens tupari et tapirape de l'Amé-
rique du Sud, chaque garçon apprend à luxer son pénis de façon à le
cacher entièrement à l'intérieur de son corps et à ne le sortir que pour
uriner ou coïter... En Chine et en Indonésie, la croyance veut que
l'homme meurt si son pénis se rétracte dans son corps. Ce phénomène
a pour nom koro en Indonésie. Les Indiens mohaves plaisantent en
déclarant que leurs jeunes travestis broyaient leur pénis pour le faire
ressembler à un vagin ; une femme eskimo qui attendait la naissance
d'un fils et mit au monde une fille, réussit à convaincre tout le village
que l'enfant avait bien été un garçon, mais que sous l'influence de sa
soeur aînée le pénis du petit s'était rétracté et qu'il était devenu une
fille. La légende raconte que Zarathustra guérit le cheval favori du
roi dont les jambes s'étaient rétractées dans son corps. Dans la littéra-
ture érotique française du XVIIIe siècle, on trouve une anecdote étrange
dont le motif est également la rétraction du pénis. « Ainsi ce même item
se manifeste autant par les costumes traditionnels, les maladies suppo-
sées ou réelles, l'humour ; le mensonge socialement accepté, la cure
magique, l'anecdote scabreuse, que par le comportement psychotique,
les fantasmes névrotiques et les jeux d'enfants. En ce qui concerne
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 435

l'existence et la signification d'un item, une exploration poussée, sur


le plan anthropologique, correspondra donc nécessairement à une
psychanalyse approfondie chez un sujet d'une culture donnée. Autre-
ment dit, une psychanalyse complète, de n'importe quel sujet, dans
n'importe quel pays pourra mettre à jour tous les éléments qui se
retrouvent insérés dans les matrices culturelles différentes chez n'im-
porte quelle peuplade. »
Cette conclusion à laquelle arrive Devereux nous paraît intéressante
et fructueuse dans le cadre du travail interdisciplinaire de l'ethnologie
à la psychanalyse.
L'on conçoit facilement qu'ainsi orientée, la pensée exploratrice en
ethnologie met en question l'objet à explorer, la méthode d'explication
et la personnalité du chercheur.
Des problèmes partiels, comme celui du normal et du pathologique
reçoivent ainsi une nouvelle dimension. Ce n'est pas, comme le pro-
clament les culturalistes, la seule « relativité culturelle » qui sera la pierre
de touche pour juger de la normalité, ni seulement la faculté de s'adapter
comme le veut la psycho-pathologie classique, aux normes sociales,
mais aussi et surtout la capacité du Moi de supporter les frustrations
imposées par la culture et de se saisir des possibilités de sublimation
que celle-ci lui offre.
Les jeunes filles de Samoa, étudiées par Margaret Mead, économisent
les crises psycho-somatiques et névrotiques de la puberté, si fréquentes
dans nos civilisations occidentales. Grâce à la possibilité de se saisir
des rites et coutumes institutionnalisés accompagnant l'initiation, elles
projettent et « dépersonnalisent » leurs conflits et évitent ainsi l'isole-
ment intérieur, générateur de symptômes pathologiques. Au lieu de
devenir anorexiques, elles font un jeûne rituel [23].
Une brève analyse des frustrations extrêmes qu'impose aux enfants
d'Uganda la culture de ce peuple à l'occasion du sevrage et des réactions
des enfants à ces frustrations peut illustrer ce que nous venons d'avancer.
La morbidité et la mortalité surprenantes, dépassant 50 % parmi les
enfants ganda en Uganda (Afrique équatorialeanglaise) après leur sevrage
(20 à 24 mois) ont attiré l'attention de l'Organisation mondiale de la
Santé et un pédiatre fut délégué chez cette peuplade pour y examiner
les enfants atteints par le Kwashiorkor et appliquer des tests psycholo-
giques. Le médecin se rendit très vite compte que ces enfants qui,
jusqu'au moment du sevrage, étaient bien portants, gais et communi-
catifs et accusaient sur le plan psychomoteur, une avance très consi-
dérable en comparaison aux petits Européens (2, 3 mois à partir
436 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

du 6e mois), présentaient après le sevrage, des symptômes somatiques


graves et des troubles importants du développement psychomoteur,
affectif et social. Ce n'est que vers la troisième année, après une sélec-
tion naturelle des plus sévères que les enfants survivants reprennent
lentement leur rythme normal.
Que s'est-il passé et pourquoi le sevrage affecte-t-il ces enfants plus
gravement que d'autres ?
Chez les Ganda l'enfant vit, jusqu'au sevrage, en symbiose réelle
avec sa mère. Assis sur son dos (elle ne le dépose que la nuit), l'enfant
participe à toutes les expériences de la vie quotidienne et, chacun de ses
besoins est gratiné immédiatement, la mère sachant les « ressentir »
et les différencier de manière infaillible. Vers deux ans, à la suite d'une
décision prise par la femme la plus âgée de la lignée maternelle, l'enfant
est sevré. Du jour au lendemain, sans aucune transition, il est « mis sur
pied », ne dort plus avec sa mère, doit être propre, se nourrir comme les
adultes, etc. De plus, l'enfant est fréquemment éloigné de la mère.
C'est alors qu'il devient triste, taciturne, apathique, fatigable et que,
comme nous l'avons dit, plus de 50 % de la population enfantine tombe
gravement malade.
Pour le lecteur familier avec les concepts psychanalytiques,la conclu-
sion que le Dr Gerber donne à ses observations semble évidente : le
milieu est le facteur déterminant dans la genèse des troubles que subit
l'enfant après le sevrage. Mais selon quels mécanismes s'opère cette
influence du milieu culturel ? L'enfant est mis d'emblée non seulement
dans une situation qui dépasse ses possibilités biologiques d'adapta-
tion, mais cet être jusqu'alors gratifié au plus haut degré par sa mère
(et aux dépens du père) (1) doit faire front, du jour au lendemain, à la
rivalité oedipienne. Cet éloignement institutionnalisé de l'enfant (qui
permet d'ailleurs une reprise des relations sexuelles des parents)
envoie l'enfant, au sens le plus direct du mot « au diable », et favorise
chez l'enfant des régressions importantes aux stades qu'il venait à peine
de dépasser.
Il est évident que ces enfants hypergratifiés n'ont eu aucune occa-
sion de faire les premières démarches vers une autonomie du Moi.
Ils sont donc incapables de supporter les frustrations, surtout celles
qui non seulement les privent de l'amour exclusif de la mère, mais en
font la proie des conflits infra-psychiques assumés ailleurs par des
enfants beaucoup plus âgés.

(1) Le père ne doit pas avoir de rapports sexuels avec sa femme avant la période du sevrage.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 437

Les institutions culturelles qui hyper-gratifient les enfants jusqu'au


sevrage tardif pour les frustrer brutalement ensuite posent des questions
importantes à élucider.
Dire qu'il s'agit d'une « carence de soins » ou de la « surprotection
maternelle », pour défendre une culture à la manière des culturalistes,
c'est prendre un élément isolé pour un tout et transformer la psycha-
nalyse en une sorte de recette pseudo-sociale et pédagogique. Il est
évident, par contre, que l'insertion de la notion de frustration dans le
contexte du développement de la personnalité (et non pas de la « per-
sonnalité de base ») permettra de comprendre le rôle de ces frustrations
pré-génitales.
Cette manière de poser les problèmes représente à notre sens
un enrichissementde la recherche psycho-pathologique autant qu'ethno-
logique. Elle permettra la révision de certains travaux déjà effectués
et donnera un nouvel essor à l'étude de problèmes importants.
La psychanalyse n'établissant pas de frontières entre le normal et
le pathologique il est évident que même des analyses de sujets
névrosés ou psychotiques de différentes cultures permettent d'éclaircir
les cultures spécifiques tout en livrant du matériel apte à élucider des
questions générales comme celle, par exemple, des limites entre le
rêve, le fantasme et la réalité. (Nous savons que certains indigènes
convertis confessent un adultère commis en rêve ; des indigènes au
Congo belge confondent également ces deux sortes de réalité, ce qui
ressort de l'analyse du T.A.T. pratiqué par Ombredane dans cette
peuplade ; le problème est aussi important dans nos cultures) [25].
Ainsi, l'étude du pathologique sert à son tour à mieux définir les
données générales du psychisme humain, ce qui nous ramène à nouveau
au point de départ des travaux de Freud.
La psychanalyse possède un arsenal d'expériences humaines quasi
inépuisable. Nous avons essayé d'en montrer l'utilisation possible
dans le domaine de la recherche ethnologique. Il est certain que la
démarche qui tend à diversifier les caractères spécifiques d'une culture
en les rattachant à ce qui est universellement humain, constitue un
premier pas vers l'édification de cette science de l'homme, qui, sans
priver les individus et les peuples de leur personnalité, ouvre une voie
à une meilleure connaissance mutuelle.
Cependant, comparer les peuples, en trouver les schèmes universels
sans rien sacrifier du caractère spécifique d'une culture donnée, n'est
pas et ne peut être l'ultime ambition des ethnologues. Soulignons que,
la psychanalyse apporte à l'ethnologie un système de référence, un
REV. FR. PSYCHANAL. 29
438 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

mode de penser et d'observation qui tient compte du contexte histo-


rique des faits observés.
Lévi-Strauss, dans l'ouvrage déjà cité, s'élève contre toute analogie
entre le malade adulte occidental, l'adulte primitif ou l'enfant. Nous
irons volontiers dans son sens, sinon au-delà de cette formulation car
s'il existe, du point de vue psychanalytique, une analogie ou une iden-
tité, elle se place au niveau de l'universalité du complexe d'OEdipe, de
l'inceste, des tabous, etc. — au niveau de cet « univers des règles » dont
parle Lévi-Strauss, bien que dans un tout autre contexte. La différence
persiste ; elle relève du contexte historique et Lévi-Strauss a raison
après M. Mauss, après Boas, de le souligner. En effet, comparer l'occi-
dental au primitif, c'est établir une échelle des valeurs puis, qu'on le
veuille ou non, établir une hiérarchie entre peuples civilisés et les
peuples sous-développés, après avoir parlé des peuples « sauvages »
ou « primitifs ». Primitifs par rapport à quoi et à qui ? On s'en doute,
c'est le dualisme de la phylogenèse et de l'ontogenèse, c'est le problème
de la nature et de la culture qui se trouve remis en question, d'autant
plus qu'on sait ce qu'il en est advenu depuis le « réalisme » des anthro-
pologues culturalistes. Nous n'avons pas à y insister ici. Il convient
cependant de souligner encore que les hypothèses métapsychologiques
de Freud lui-même, comme celle du meurtre originel du père, n'empiè-
tent nullement sur les démarches cliniques et sur le principe de la
reconstitution historique des faits observés. Cette démarche ne repose
pas, seulement, sur la réalité biologique et sociale mais également sur
un ordre de faits originaux — sur les fantasmes — qui constituent une
réalité indissociable de tout phénomène, qu'il soit « naturel » ou
« culturel ». Et nous pensons que l'intérêt ethnographique et ethnolo-
gique devrait résider justement dans la confrontation des complexités
structurales et des significations de ces fantasmes érigés en institutions,
en traditions orales ou écrites, dans les populations qu'on a tort de
considérer comme originelles ou quasi « naturelles ». Tant qu'il s'agit
de l'étude des hommes, il y a autant de culture dans la nature que de
biologique dans le social.
Le propre de Freud, entre autres, est de nous avoir appris à penser
d'une façon non linéaire et non circulaire. Sa dialectique se veut histo-
rique et l'anthropologie du fantasme, si elle était faite et chez les judéo-
chrétiens et chez les « autres », montrerait qu'aucun fantasme, pas plus
qu'aucun mythe, ne pourrait subsister et se perpétuer, à travers le temps
et l'espace s'il ne reposait sur des réalités et des expériences quoti-
diennement éprouvées et répétées.
PSYCHANALYSE, ETHNOLOGIE ET ETHNOLOGIE PSYCHANALYTIQUE 439

Le mode de pensée psychanalytique nous permet, dans les meil-


leures conditions, sans réduction des valeurs ontogénétiques et sans
déductions historiques, de reconstituer l'objet à observer, dans son
authenticité. L'ethnologie, à son tour, enrichit la psychanalyse, en
diversifiant son objet d'étude.

BIBLIOGRAPHIE

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440 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

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Revue française de Psychanalyse, t. XX, 1/2, Presses Universitaires de
France, 1957, pp. 245-246.
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moyen d'une épreuve projective, Mémoire de la Section des Sciences
morales et politiques, t. 37-5, Bruxelles, 1954.
[26] Paul RIVET, Ce qu'est l'ethnologie, Encyclopédie française, t. 7 : L'espèce
humaine.
[27] G. ROHEIM, Psychoanalysis of Primitive Cultural Types, Int. Journ. of
Psychoanalysis, vol. 13, 1932.
[28] G. ROHEIM, The Riddle of the Sphinx, Hogarth Press, London, 1934.
[29] G. ROHEIM, Psychoanalysis and Anthropology, reprint in Anthropology
Culture, Personality and the Unconscious. Int. Univers. Press, New York,
1950.
[30] SHENTOUB S. A., Remarques cliniques sur la conversion psycho-somatique
et la conversion psycho-sociale, Rev. fr. Psychanal., n° 4, oct.-déc. 1948.
[31] SHENTOUB S. A., Remarques méthodologiques sur l'analyse psycho-sociale,
Rev.fr. Psychanal., n° 3, juillet-sept 1950.
[32] SHENTOUB S. A., Le rôle des expériences de la vie quotidienne dans la
structuration des préjugés. Temps Modernes, n° 92, juillet 1953, Paris.
[34] Simon WEYL, Retardation, Acceleration and Psychoanalysis, Journ. of
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[35] Leslie WHITE, Energy and the Evolution of Culture, American Anthro-
pologist, vol. 45, N.Y., 1943.
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sociales dans l'enseignement supérieur, U.N.E.S.C.O., Paris, 1954.
LES LIVRES

GARMA (Angel), Les maux de tête, Paris, Presses Universitaires de France, 19623
113 pages.
Le Dr Angel Garma, professeur à l'Université de la Plata et membre de la
Société psychanalytique argentine a réuni dans un livre, paru à Buenos-Aires
en 19583 les travaux d'un colloque sur les céphalées en le marquant d'un cachet
personnel. Ce livre, traduit de l'espagnol, par Aime Eisa Hawelka a paru en
France amputé de chapitres écrits par d'autres psychanalystes, laissant en
113 pages de texte, exclusivement la thèse du Dr Garma.
D'après l'auteur, parmi toutes les céphalées, celles que provoquent les
conflits psychiques, sont les plus fréquentes. Ces conflits, inconscients et
refoulés, provoquent des céphalées parce que leurs élaboration, résolution et
répétition psychique, sont pénibles, et parce que, étant donné l'unité psycho-
somatique de l'homme, ils entraînent des modifications organiques doulou-
reuses. Celles-ci ont lieu parce que les conflits psychiques s'accompagnent
d'émotions et de réactions instinctuelles qui produisent des troubles de l'inner-
vation et de l'économie hormonale corporelle.
Les maux de tête causent des modifications organiques qui sont surtout
musculaires et vasculaires et ont le même aspect et la même signification que
celles motivées par des conflits psychiques à réactions émotionnelles.
La migraine est considérée par l'auteur comme une céphalée typiquement
vasculaire : au début de l'accès il y a une vaso-constriction des artères occipi-
tales, la phase douloureuse ultérieure est en rapport avec la vaso-dilatation des
artères occipitales et temporales ; la phase finale se caractérise par des contrac-
tures musculaires.
Dans les céphalées produites par contracture musculaire le malade a
l'impression de porter un casque et la douleur s'étend à la nuque. Les céphalées
d'origine nasale ou para-nasale provoquent une douleur dans la région frontale
pré-maxillaire ; cette douleur est superficielle et s'atténue lorsque le malade
se couche.
Le Dr Garma pense que parmi les motifs acquis qui prédisposent aux cépha-
lées se trouvent ceux qui supposent une surestimation de la tête, ou une souf-
france de la tête (traumatisme), la pseudo-débilité intellectuelle causée par des
inhibitions, ou son contraire : le souci d'intellectualisation.
Dès qu'il existe une prédisposition particulière, n'importe quel conflit
psychique inconscient peut provoquer des céphalées. Ainsi la crainte d'un
revers de fortune, provoque des céphalées, lorsqu'elle ravive des idées incons-
cientes de culpabilité instinctuelle ou de perte, soit de l'objet d'amour, soit de
la puissance génitale. On constate que dans les céphalées les conflits inconscients
sont ceux qui se rapportent soit à la génitalité soit à la mort.
Les malades céphalalgiques ont souvent une activité sexuelle peu mûre :
précaire ou perverse ; chez la femme on rencontre souvent la frigidité, chez
442 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

l'homme l'immaturité génitale n'est pas tellement manifeste, mais souvent


il souffre d'éjaculation précoce.
L'auteur étudie la signification de la céphalée chez les obsédés, chez les
psychotiques et chez les malades hystériques en apportant des illustrations
cliniques intéressantes.
Quatre chapitres sont consacrés à l'étude de la migraine, à la genèse et aux
significations psychiques inconscientes des scotomes et autres symptômes
oculaires de la migraine.
En quelques pages, Garma fait une étude psychanalytique de la migraine
du héros d'un livre de Benito Perès Galdos.
Il conclut après avoir étudié différentes méthodes et traitements des cépha-
lées, que seul le traitement psychanalytique est indiqué pour toutes les per-
sonnes ayant des maux de tête, qu'ils soient intenses ou légers.
Ce livre dont la densité surprend, se termine par l'analyse des erreurs d'inter-
prétation dans le traitement psychanalytique des personnes céphalalgiques.
Jean KESTEMBERG.
LES REVUES

AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY


(XXXII, n° 5, octobre 1962)
REDL (F.). — Crisis in the children's field (Crise dans le domaine de l'enfance) (1)
(P- 759-780).
EISENBERG (L.). —If not now, when ? (Si pas maintenant, quand ?) (2) (p. 781-
793)-
Nursing in the psychiatrie treatment of children (Les infirmières et le traitement
psychiatrique des enfants), Séminaire :
1. PETRICK (A. C.) et GODBOUT (R. A.). — Graduate collegiate education
in nursingin child psychiatry (Les diplomés de l'enseignement secondaire
et les soins en psychiatrie infantile) (p. 794-799).
2. SUTTON (H.), MAAS (C. C.) et KRUG (O.). — Child psychiatrie nursing
in the comprehensive residential treatment of emotionally disturbed
children (Les infirmières psychiatriques d'enfants et le traitement
compréhensif des enfants avec troubles émotionnels) (p. 800-807).
3. BOATMAN (M. J.), PAYNTER (J.) et PARSONS (C). — Nursing in hospital
psychiatrie therapy for psychotic children (Les infirmières et le trai-
tement psychiatrique en hôpital des enfants psychotiques) (p. 808-817).
The work camp as a resourcefor the treatment of delinquents (Le camp de travail,
ressource pour le traitement des délinquants ). Séminaire :
1. CARY (L. J.). — History of the work camp as a method of treating delin-
quents (Histoire des camps de travail en tant que méthode de traitement
des délinquants) (p. 818-823).
2. WEBER (G. H.). — The organization of camps for delinquents boys
(L'organisation des camps pour garçons délinquants) (p. 824-836).
3. VERVEN (N.). — The technique of therapeutic intervention in a treat-
ment camp (La technique de l'intervention thérapeutique dans les
camps de traitement) (p. 837-840).
4. SCANNELL (R. F.). — The place of individual counseling in the work
camp (La place des conseils individuels dans le camp de travail) (p. 841-
845).
5. BOND (R. J.). — Work as a therapeutic medium in the treatment of
delinquents (Le travail, moyen thérapeutique dans le traitement des
délinquants) (p. 846-849).
6. LUGER (M. J.). — Extending the work camp concept (L'extension du
concept des camps de travail) (p. 850-853).
LA VIETES (R.). — The teachers'role in the education of the emotionally disturbed
child (Le rôle de l'instituteur dans l'éducation de l'enfant à troubles émo-
tionnels) (3) (p. 854-862).
444 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

CHESS (S.). — Psychiatric treatment of the mentally retarded children (Traitement


psychiatrique de l'enfant retardé) (4) (p. 863-869).
BECK (H. L.). — Casework with parents of mentally retarded children (Case-
work avec les parents des enfants retardés) (5) (p. 870-877).
SCOTT (J. P.). — Genetics and the development of social behavior in mammals
(Génétiques et développement du comportement social chez les mammifères)
(p. 878-893)-
(6) THOMAS (A.). — Pseudo-transference reactions due to cultural stereotyping
(Réactionspseudo-transférentielles dues à des stéréotypes culturels) (p. 894-900).
(7) BLOS (P.). — Intensive psychotherapy in relation to the various phases of the
adolescent period (Psychothérapie intensive au cours des diverses phases de
l'adolescence) (p. 901-910).
HALLECK (S. L.) et HERSKO (M.). — Homosexual behavior in a correctional
institution for adolescent girls (Comportement homosexuel dans une insti-
tution pour adolescentes) (p. 911-917).
HAMPTON (P. J.). — Group psychotherapy with parents (Psychothérapie de
groupe avec les parents) (p. 918-926).
(1) REDL (F.). — Crise dans le domaine de l'enfance.
F. Redl profite de l'assemblée annuelle de 1962 de l'Association d'Ortho-
psychiatrie pour lancer un cri d'alarme et souligner les divers domaines de
psychiatrie infantile où tous les membres de cette association devraient se
sentir le devoir d'insister lourdement et à haute voix en vue d'obtenir des
solutions meilleures, au lieu de s'enterrer dans leur travail de clinicien indif-
férent au reste des problèmes.
Cet énergique réquisitoire aborde divers points dont plusieurs pourraient
sans doute être repris en France quoique les États-Unis soient sans doute déjà
mieux organisés à certains points de vue. Il constate la négligence en ce qui
concerne la santé mentale de la jeune population normale; les stéréotypes
souvent empreints d'une certaine hostilité, qui font partie des discussions de
groupe (exemple : teenager) ; les vogues qui font porter tout le poids des réali-
sations sur un seul point, en négligeant le reste (exemple : les instituts qui ont
un thérapeute mais n'occupent pas les enfants le reste du temps) ; la querelle
vaine et lamentable entre travail clinique et recherche, et ses incidences finan-
cières ; les modèles démodés sur lesquels sont organisés services, traite-
ments, etc. (exemple : la Sainte Trinité de Guidance Infantile) ; le problème mal
posé de la thérapie par des non-médecins, etc.
(2) EISENBERG (L.). — Et si pas maintenant., quand ?
Cet exposé est une réaction à un rapport paru aux États-Unis sur la santé
mentale. L'auteur défend l'idée qu'il est possible en santé mentale, non pas
de faire disparaître les conditions responsables des maladies mentales et par
conséquent, celles-ci ; ce point de vue part d'une position erronée, beaucoup
trop générale ; mais qu'il est possible avec nos connaissances actuelles d'amé-
liorer certaines des conditions responsables de certaines des maladies et il
développe comme exemple le cas de la « déprivation » dont on connaît plusieurs
causes qui pourraient être immédiatement améliorées. Il analyse ensuite la
responsabilité des professions de santé mentale dans l'absence de progrès et
attaque surtout l'orientation actuelle trop uniquement tournée vers la pratique
de la psychanalyse, de l'entretien individuel, isolé. Il estime que la formation
des jeunes psychiatres devrait être plus étendue, qu'ils devraient avoir un
contact plus long et approfondi avec le travail et les problèmes des hôpitaux
psychiatriques.
LES REVUES 445

Les infirmières et le traitement psychiatrique des enfants. Séminaire.


Trois exposés qui traitent des - programmes de formation d'infirmières
diplômées en vue de leur travail avec des enfants perturbés.
Avec certes des différences, ces trois méthodes comportent chacune des
cours, du travail pratique dans des centres, consultations, avec collaboration
aux réunions d'équipe, de synthèse, et une supervision individuelle plus ou
moins fréquente.
Le dernier rapport concerne une recherche organisée sur ce sujet. Il étudie
l'évolution des conceptions des auteurs sur les qualités nécessaires aux infir-
mières pour s'adapter dans un centre pour enfants psychotiques et y fournir
un travail utile et thérapique. Les auteurs analysent ensuite les différentes
méthodes utilisées pour la formation spécialisée de ces infirmières et les résultats
de la première année d'expérimentation.
(3) LA VIETES (R.). — Rôle de l'instituteur dans l'éducation de l'enfant à troubles
émotionnels.
L'instituteur qui passe une grande partie de la journée avec les enfants doit
être considéré comme membre de l'équipe thérapique dans le cas des classes
d'enfants inadaptés. Ses buts et ses méthodes sont différents de ceux des écoles
traditionnelles, d'enfants normaux, s'il veut jouer un rôle éducatif et théra-
peutique. Il lui faut des qualités particulières de personnalité, de formation ;
il doit connaître les difficultés de ses élèves, en comprendre la dynamique
et participer aux réunions de discussion ; il peut retirer une grande aide d'une
supervision conjointe d'un éducateur et d'un clinicien.
(4) (5) Enfants retardés et traitements psychiatriques. Articles de CHESS (S.) et
de BECK (H. L.).
Deux articles, de deux équipes totalement indépendantes.
Un premier article, de S. Chess, Traitement psychiatrique de l'enfant retardé,
passe en revue les cas d'enfants retardés traités et arrive à la conclusion qu'une
aide psychothérapique peut dans plusieurs cas être appréciable car elle permet
à l'enfant une meilleure adaptation, une diminution de ses craintes, et une
meilleure utilisation de ses capacités réduites.
Il arrive même que le niveau de fonctionnement s'élève sensiblement.
Un second article de H. L. Beck, Casework avec les parents d'enfants retardés,
montre l'intérêt d'un soutien psychothérapique des parents d'enfants retardés,
indépendamment d'une éventuelle aide à l'enfant lui-même. L'aide fournie
aux parents permet d'alléger leurs problèmes émotifs, ce qui entraîne souvent
un meilleur ajustement social et émotionnel de toute la famille et une utili-
sation meilleure par l'enfant, de ses possibilités.
Exemple clinique de l'évolution de toute la vie familiale d'un cas ainsi traité.
(6) THOMAS (A.). — Réactions pseudo-transférentielles dues à des stéréotypes
culturels.
,
Les attitudes stéréotypées, déterminées par la culture et dérogatoires du
thérapeute, envers son malade, basées sur son sexe, sa religion, ou sa situation
socio-économique, peuvent provoquer des. réactions négatives troublées, de
la part du patient, envers son thérapeute qui peut les interpréter de façon
erronée comme des phénomènes de transfert névrotique. Lorsque patient
et thérapeute ne se rendent pas compte de la nature de ces soi-disant réactions
de transfert, il peut s'ensuivre des modifications importantes du diagnostic
et du processus thérapeutique.
Exemples cliniques et tirés de la littérature, à propos du sexe, de la race.
446 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

(7) BLOS (P.). — Psychothérapie intensive au cours des diverses phases de l'ado-
lescence.
Pendant l'adolescence, la psychothérapie intensive exige des modifications
spécifiques. L'auteur étudie celles-ci en relation avec la phase initiale, à propos
de l'attitude active ou passive du thérapeute, et en fonction de la structuration
des conflits. Le but de la thérapie est ici de remettre en marche le dévelop-
pement progressif. Dans ce but, une orientation dans le processus de l'adoles-
cence est nécessaire, car il faut relier la psychothérapie aux diverses phases
de cette période. L'auteur donne des exemples tirés de la phase de préadoles-
cence, chez la fille et le garçon, pour montrer comment le traitement est lié à
et guidé par les organisations respectives du Moi et des pulsions.
HALLECK (S. L.) et HERSKO (M.). — Comportement homosexuel dans une insti-
tution pour adolescentes.
On a depuis longtemps reconnu l'existence de comportements homosexuels
dans les internats pour adolescentes. Un questionnaire anonyme a montré que
69 % des jeunes filles y avaient participé. Les formes peuvent être diverses,
mais il y a rarement des contacts génitaux directs. Les auteurs expliquent la
prévalence de ce comportement surtout par l'interaction des problèmes de
personnalité des adolescentes, des tensions provoquées par l'internat et des
attitudes erronées du personnel.
J. MASSOUBRE.
AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY
(vol. XXXIII, n° 1, janvier 1963)
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d'apprentissage : observations et recherches aux États-Unis et ailleurs) (4)
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prévalence en maladie mentale) (5) (p. 72-86).
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categories de difficultes d'apprentissage chez les adolescents) (6) (p. 87-91).
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les sexes dans les troubles de l'apprentissage et du comportement) (7) (p. 92-98).
LES REVUES 447

BRUCH (H.). — Disturbed communication in eating disorders (Communication


troublée dans les troubles de la nutrition) (8) (p. 99-104).
ALDRICH (C. K.) et BERNARDT (H. E.). Evaluation of a change in teaching

psychiatry to medical students (Évaluation d'un changement dans l'enseigne-
ment de la psychiatrie à des étudiants en médecine) (9) (p. 105-114).
WATSON (A. S.). — Teaching mental health concepts in the law school (L'ensei-
gnement des concepts de santé mentale dans les écoles de droit) (10) (p. 115-122).
GOLDSTIEN (A. S.). — The psychiatrist and the legal process : the proposais for
an impartial expert and for preventive detention (Le psychiatre et le processus
legal : les propositions d'un expert impartial et d'une détention préventive)
(p. 123-131).
Leo Berman Memorial Meeting : some psychoanalytic aspects of group therapy
(Réunion en souvenir de Leo Berman : quelques aspects psychanalytiques de
la thérapie de groupe) (11) :
1. MICHAELS (J. H.). — The psychoanalytic contributions of Leo Berman
(Les contributions psychanalytiques de Leo Berman) (p. 132-134).
2. REDL (F.). — Psychoanalysis and group therapy : a developmental
point of view (La psychanalyse et la thérapie de groupe : le point de vue
du développement) (p. 135-147).
3. LEVIN (S.). — Some comparative observations of psychoanalytically
oriented group and individual therapy (Quelques comparaisons de
thérapies individuelles et de groupe, d'orientation psychanalytique)
(p. 148-160).
ALPERT (A.). — A special therapeutic technique for prelatency children with
a history of deficiency in maternai care ( Une technique thérapeutique spéciale
pour des enfants de la période de pré-latence ayant une histoire de déficience
des soins maternels) (12) (p. 161-182).
(1) SCHARR (J. H.). — Violence in juvenile gangs : some notes and a few analogies
(La violence dans les gangs d'adolescents : quelques notes et quelques analogies).
La violence des groupes d'adolescents provient d'une rage collective due
à la privation de succès, d'autorité et d'avenir. On ne pourra l'arrêter qu'en
s'attaquant aux causes de la rage. Pour cela, il faut que la société reconnaisse
d'abord que le gang a des revendications réelles à formuler et ensuite, qu'elle
négocie sur cette base. L'autorité de la société ne se fera accepter que si elle
peut proposer des raisons et une vision de l'avenir qui procure aux membres
des gangs juvéniles une idéologie formative de l'identité et une alternative
attrayante aux réalités présentes qui forment le milieu du gang.
(2) LEICHTY (M. M.). — Les attitudes familiales et la conception de soi chez des
enfants américains et vietnamiens.
(3) Ross (A. O.) et BRUNER (E. M.). — Interaction familiale à deux niveaux
d'acculturation à Sumatra.
Ces deux articles établissent une comparaison entre groupes différents
d'un point de vue ethnique ou socio-culturel en se basant sur des tests projectifs
et des interviews ; d'une part des enfants d'un milieu agricole vietnamien et
des élèves du même âge du Michigan ; de l'autre des Indonésiens vivant isolés
à la campagne et des citadins de même origine « occidentalisés » par le change-
ment de milieu.
448 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

L'intérêt de telles recherches est de poser le problème de la compréhension


réciproque entre « civilisés » et « non-civilisés » et celui de l'adaptation à la
pénétration de la civilisation occidentale des colonisateurs ou de l'aide écono-
mique ou autre apportée aux pays sous-développés.
(4) SCHWEBEL (M.)- — Différences individuelles dans les aptitudes d'apprentissage :
Observations et recherches aux États- Unis et ailleurs.
L'auteur met en doute la valeur généralement reconnue au groupement
des enfants d'après leur capacité d'apprendre, tel qu'il est pratiqué dans les
écoles américaines. Il estime que cette éducation différentielle, contrairement
à ce qui est généralement admis, ne fait qu'accentuer les différences et les
difficultés d'apprentissage, perpétuant ainsi une espèce de stratification sociale.
Il étudie divers systèmes scolaires, actuels ou passés, et compare leurs
résultats. Ceci l'amène enfin, après l'analyse de diverses recherches, à s'op-
poser à la conception d'une intelligence immuable et à proposer de nouveaux
concepts sur l'apprentissage et l'enseignement.
(5) PASAMANICK (B.). — Quelques concepts erronés sur les différences de prévalence
en maladie mentale.
Le problème de la déségrégation semble remuer toujours beaucoup de
passions aux États-Unis. L'auteur s'élève contre divers articles anciens ou
récents qui veulent prouver des différences raciales au point de vue des troubles
mentaux et en montre les défauts.
Il reprend ensuite diverses études faites à Baltimore et en tire la conclusion
qu'il n'y a pas de différences significatives entre Noirs et Blancs dans l'oc-
currence des psychoses, psychonévroses et troubles psychophysiologiques,
mais que par contre, le fait existe au point de vue déficience mentale, ce qu'il
explique principalement par des données socio-culturelles.
L'intérêt plus général de cet article est d'attirer l'attention sur les difficultés
auxquelles se heurtent les études épidémiologiques et toutes les précautions
dont elles doivent s'entourer dans leur interprétation des faits.
(6) HIRSCH (K. de).
— Deux catégories de difficultés d'apprentissage chez les
adolescents.
Cet article différencie deux groupes parmi les adolescents intelligents qui
présentent des difficultés scolaires. Chez les uns, l'échec scolaire est lié à des
troubles du Moi ; rééducation et psychothérapie sont difficiles car ces sujets
sont passifs et inatteignables sous une bonne volonté apparente ; le pronostic
est médiocre. Chez les autres, les problèmes scolaires sont secondaires à un
résidu de difficultés du langage et, entreprise à temps, l'aide rééducative et
thérapeutique peut être efficace.
(7) BENTZEN (F.). — Proportions selon les sexes dans les troubles de l'appren-
tissage et du comportement.
L'auteur rappelle les travaux qui établissent que l'organisme humain mâle
évolue et se développe plus lentement que celui de la femme du même âge
chronologique, et que les troubles de l'apprentissage et du comportement se
présentent 3 à 10 fois plus souvent parmi les garçons que les filles. L'auteur
développe l'hypothèse que certains de ces troubles sont la réponse d'un orga-
nisme immature aux exigences d'une société qui ne tient pas compte de ces
différences d'âge biologiques et, par exemple, impose les mêmes programmes
scolaires aux deux sexes de même âge.
LES REVUES 449

BRUCH (H.). — Communication troublée dans les troubles de la nutrition.


Les habitudes nutritives anormales des enfants et adolescents obèses
et anorexiques sont généralement considérées comme des solutions de substitut
à divers conflits sociaux et émotionnels. Il semble qu'à ces explications on
peut en substituer ou en ajouter une autre qui est qu'un besoin corporel est
représenté symboliquement de façon erronée, à la suite de premières commu-
nications et interactions confuses dans un groupe familial perturbé. Il semble
en effet que tous ces sujets ne parviennent pas à différencier correctement les
sensations indiquant un besoin nutritif des autres besoins corporels et émo-
tionnels. Leur expérience est qu'ils fonctionnent sous l'influence et au service
de quelqu'un d'autre. C'est cet aspect qu'il importe de mettre à jour si l'on veut
effectuer une psychothérapie durable.

— Évaluation d'un changement dans


(9) ALDRICH (C. K.) et BERNARDT (H. E.).
l'enseignement de la psychiatrie à des étudiants, en médecine.
Cette étude tente de comparer l'efficacité de deux méthodes différentes
d'enseignement de la psychiatrie à des étudiants en médecine : l'une par cours,
l'autre par des séminaires avec études de cas. Il semble que la quantité d'infor-
mation acquise n'est guère différente dans les deux cas. L'article décrit aussi
les énormes problèmes rencontrés lors des tentatives faites pour mesurer par
divers moyens les changements d'attitude des élèves et les modifications de leur
sensibilité aux nuances des relations interpersonnelles.
(10) WATSON (A. S.). — L'enseignement des concepts de santé mentale dans les
écoles de droit.
Certaines facultés de droit reconnaissent maintenant l'intérêt qu'il y a à y
enseigner les concepts psychodynamiques. L'auteur expose les moyens qu'il a
employés pour intéresser ses étudiants, qui se rapprochent des groupes
thérapeutiques.
(11) Réunion en souvenir de Leo Berman.
Exposés faits au cours d'une réunion commémorative en l'honneur de
Léo Berman.
Michaels (J. J.) présente les apports psychiatriques et psychanalytiques
et l'application de la psychologie psychanalytique de groupe aux disciplines
telles que l'éducation, la santé mentale, le travail social, la psychiatrie et la
médecine préventive.
F. Redl passe en revue les diverses étapes par lesquelles est passée l'évolu-
tion des relations entre la psychanalyse et la thérapie de groupe, partant de le
méfiance pour aboutir à la reconnaissanceofficielle. La psychothérapie de groupe
pose actuellement divers problèmes à la psychanalyse ; il y a intérêt pour le
psychanalyste à les étudier car leur compréhension et leur explication enrichiront
tout autant sa science que la thérapie de groupe. Par exemple, comment se
fait-il que le groupe ait une telle influence sur le comportement d'un enfant,
et comment se fait-il que l'enfant ait une telle perception de la raison du compor-
tement des autres. Ou bien, qu'est-ce qui provoque dans un groupe de telles
modifications du Surmoi, de la culpabilité, comment expliquer l'importance
des qualités matérielles du milieu de thérapie (éclairage, objets, etc.).
S. Levin compare les psychothérapies individuelles et de groupe, d'orien-
tation psychanalytique et montre l'intérêt de chacune du point de vue trans-
fert, de la perception de la réalité, etc.
450 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

(12) ALPERT (A.). — Une technique thérapeutique spéciale pour des enfants de la
période de pré-latence ayant une histoire de déficience des soins maternels.
L'auteur expose une approche thérapeutique, d'orientation psychanalytique,
avec des enfants jeunes, avant la période de latence, qui ont subi une défi-
cience de maternage. Elle décrit le syndrome, la technique restitutive (maté-
riellement et verbalement) et ses bases théoriques. A. Alpert appelle cette
méthode « relation d'objet corrective » ; elle décrit très en détail le déroulement
du traitement d'une jeune enfant de trois ans et demi, et reprend ensuite les
différentes étapes pour justifier théoriquement les interventions de la thérapeute.
J. MASSOUBRE.

AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY


(vol. XXXIII, n° 2, mars 1963)
Ce numéro est composé des résumés des exposés qui seront faits lors
de la 40e réunion annuelle de l'Association américaine d'Orthopsychiatrie.
Il intéresse donc surtout les participants américains de ce congrès à qui
il permet de se faire une première idée des travaux, groupes, etc., auxquels ils
choisiront de participer ou d'assister.
Mais il ne nous permet guère de nous livrer à l'analyse de la valeur de ces
exposés dont le journal ne nous propose que des résumés succincts.
Il faut cependant noter que l'ensemble des travaux de la première journée
est consacré au thème de l'homme de science (du comportement) et à ses pos-
sibilités de contribution à la résolution des problèmes de la survie de l'humanité
devant le danger atomique.
J. MASSOUBRE.
AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY
(XXXIII, 3, avril 1963)
PASAMANICK (B.). — On the neglect of diagnosis (La négligence du diagnostic)
(p. 397-398).
GAVRIN (J. B.) et SACKS (J. S.). — Growth potential of pre-school-aged children
in institutional care (Possibilités de croissance d'enfants d'âge pré-scolaire
placés) (1) (p. 399-408).
HILGARD (J. R.) et NEWMAN (M. F.). — Early parental deprivation and alcoho-
lism (Privation parentale précoce et alcoolisme) (p. 409-420).
OVERALL (B.) et ARONSON (H.). — Expectations of psychotherapy in patients
of lower socioeconomic class (Ce que les patients de classe socio-économique
faible attendent de la psychothérapie) (2) (p. 421-430).
EISENBERG (L.), LACHMAN (R.), MOLLING (D. A.), LOCKNER (A.), MI-
ZELLE (J. D.) et CONNERS (K.). — A psychopharmacologicalexperiment in a
training school for delinquents boys ( Une expérience psycho-pharmacologique
dans un centre pour garçons délinquants) (p. 431-447).
KUCERA (O.), MATEJCEK (Z.) et LANGMEIER (J.). — Dyslexia in children in
Czechoslovakia (La dyslexie chez les enfants en Tchécoslovaquie) (3) (p. 448-
456).
MEDNICK (S. A.) et SHAFFER (J. B. P.). — Mothers' retrospective reports in child-
rearing research (Rapports rétrospectifs des inères sur l'éducation de leurs
enfants, et leur utilisation dans des recherches) (4) (p. 457-461).
CHOPE (H. D.) et BLACKFORD (L.). — The chronic problem family (La famille
— problème chronique) (p. 462-469).
LES REVUES 451

(5) CAPLAN (G.)- — Types of mental health consultation (Types de consultation


mentale) (p. 470-481).
PECK (H. B.). — The psychiatrie day hospital in a mental health program (L'hôpital
de jour psychiatrique dans un programme de santé mentale) (p. 482-493).
GORWITZ (K.), BAHN (A. K.), CHANDLER (C. A.) et MARTIN (W. A.).
— Planned
uses of a statewide psychiatrie register (Utilisations planifiées d'un registre
psychiatrique à l'échelle de l'état) (6) (p. 494-500).
TABER (R. C). — The critical dilemna of the school dropout (Le dilemne critique
de l'abandon de la scolarité) (7) (p. 501-508).
FREEDMAN (M. K.). — Part-time work and potential early school-leavers (Tra-
vail à mi-temps pour les sujets susceptibles d'abandonner précocement leurs
études) (8) (p. 509-514).
ROSENBAUM (M.). — Psychological effects on the child raised by an older sibling
(Effet psychologique chez un enfant élevé par un aîné) (p. 515-520).
STEIN (J.). — Music therapy treatment techniques (Techniques de traitement
par la thérapie musicale) (p. 521-528).
(1) GAVRIN (J. B.) et SACKS (J. S.). — Possibilités de croissance d'enfants d'âge
pré-scolaire placés.
Les auteurs s'élèvent contre l'opinion généralement établie selon laquelle
le placement familial est toujours meilleur que celui en maison d'enfants. Ils
démontrent un sujet bien délimité parmi d'autres, le Q.I. d'enfants d'âge pré-
scolaire issus d'un milieu négligent, s'élève lorsqu'ils sont placés dans une
institution qui leur fournit la possibilité de relations affectives individuelles avec
un adulte. L'augmentation débute quelques mois après l'arrivée, sans doute
après une période d'adaptation, et se termine au bout d'un an ; ces données
ont des implications quant à la durée de tels placements.
Il semble qu'il faut se garder de généraliser ces faits et qu'il importe de
tenir compte de l'organisation de la maison d'enfants, de l'atmosphère qui y
règne, de la personnalité du personnel et de la direction, et également peut-
être de l'âge des enfants.
(2) OVERALL (B.) et ARONSON (H.). — Ce que les patients de classe socio-écono-
mique faible attendent de la psychothérapie.
L'abandon du traitement étant très élevé parmi les clients de la classe
socio-économique inférieure, les auteurs. en ont recherché les causes dans ce
que ces personnes attendent d'une psychothérapie.
Un questionnaire concernant les espoirs possibles a été appliqué avant et
après un premier entretien, au client et au thérapeute.
Comme ils s'y attendaient, les auteurs constatent l'attente d'un entretien
médico-psychiatrique, avec un thérapeute actif mais permissif. Ce sont les
clients dont les attentes s'éloignent le plus de ce qu'ils ressentent dans leur
premier entretien qui ne reviennent pas. Se basant sur les réponses au ques-
tionnaire, les auteurs reposent le problème de la psychothérapie avec les sujets
de ce milieu et discutent l'intérêt de certaines modifications.
(3) KUCERA (O.), MATEJCEK (Z.) et LANGMEIER (J.). — La dyslexie chez les
enfants en Tchécoslovaquie.
Devant les nombreuses théories sur la dyslexie, et leurs controverses,
les auteurs ont tenté d'élaborer une théorie multifactorielle ; ils se basent sur
des recherches épidémiologiques, des données cliniques et des thérapies de
plusieurs disciplines. Ils finissent par distinguer 4 types : les atteintes cérébrales,
452 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

les troubles héréditaires, les atteintes cérébrales chez des sujets à prédisposition
héréditaire, les névroses. Ils différencient également quatre groupes d'erreurs
dont la fréquence est variable selon le type. Ils décrivent ces divers types et les
thérapies appropriées à chacun.
(4) MEDNICK (S. A.) et SHAEFER (J. B. P.). — Les rapports rétrospectifs des
mères sur l'éducation de leurs enfants, et leur utilisation dans des recherches.
On utilise beaucoup en recherche sur l'éducation des enfants, les rapports
rétrospectifs des mères. Est-ce une source valable de renseignements ? La
comparaison de telles réponses, sur le développement de leur enfant, avec les
dossiers médicaux élaborés à l'époque, montre que l'on ne peut guère faire
confiance aux souvenirs maternels dans certains domaines.
(5) CAPLAN (G.). — Types de consultation d'hygiène mentale.
L'auteur entend ici par consultation un processus qui se rapproche de
ce que nous appelons contrôle : une interaction entre deux personnes profes-
sionnelles, le consulté qui est un spécialiste, et le consultant qui demande
l'aide du premier pour un problème de travail qu'il a du mal à résoudre et qu'il
estime de la compétence du consulté.
Il distingue quatre types de « consultation » et s'étend surtout sur celle qui
traite du problème du consultant avec un client (et non d'un problème admi-
nistratif) et qui tente d'améliorer son insight et son objectivité.
(6) GORWITZ (K.), BAHN (A. K.), CHANDLER (C. A.) et MARTIN (W. A.). —
Utilisations planifiées d'un registre psychiatrique à l'échelle nationale.
Intérêts multiples d'un registre établi sur une base nationale, des malades
psychiatriques, des services qu'ils ont reçus dans les hôpitaux psychia-
triques, les cliniques et toutes les agences sociales, éducatives, etc. Dossiers
longitudinaux.
Utilité pour les études épidémiologiques, pour l'établissement des pro-
grammes locaux ou nationaux de santé mentale, etc.
(7) et (8) L'abandon de la scolarité : deux articles : TABER (R. C.) et FREED-
MAN (M. K.).
Les Américains ont érigé en outil psychothérapique l'habitude de leurs
élèves de travailler en dehors de leurs heures de scolarité ; ceci afin de diminuer
les cas trop nombreux d'abandon des études.
Le premier article décrit les raisons de cette politique : ses avantages et les
améliorations désirées.
Le second adopte une attitude critique et reprend le même problème en
en montrant les inconvénients et les insuffisances.
J. MASSOUBRE.

JOURNAL OF THE AMERICAN PSYCHOANALYTIC ASSOCIATION


(Janvier 1962, vol. 10, n° 1)
GREENSON (Ralph R.). — On Enthusiasm (A propos de l'enthousiasme) (1),
P- 3-22.
SEARLES (Harold F.). — The Differentiation between Concrete and Metaphorical
Thinking in the Recovering Schizophrenic Patient (La différenciation entre
la pensée concrète et la pensée métaphorique chez le schizophrène en cours de
traitement) (2), p. 22-49.
LES REVUES
.
453

KEISER (S.)- — Disturbance of Ego Functions of Speech and Abstract Thinking


(Les troubles du langage et de la pensée abstraite comme altérations des fonc-
tions du Moi) (3), p. 50-73.
LIDZ (Th.), SCHAFER (S.), FLECK (S.), CORNELISON (A.), TERRY (D.). — Ego
Differentiation and Schizophrenic Symptom Formation in Identical Twins
(La différenciation du Moi et le développement d'une schizophrénie chez des
jumeaux), p. 73-90.
MARCUS (M.). — Masturbation, reported by I. M. Marcus (La masturbation),
p. 91-101.
RITVO (S.). — Object Relations, reported by S. Ritvo (Les relations d'objet),
p. 102-117.
LEWIN (Bertram D.). — American Psychoanalytic Education : Historical
Comments (L'enseignement de la psychanalyse en Amérique : historique),
p. 119-126.
BONNET (Sara A.).
— Development of the Educational Program (Le développe-
ment du programme d'enseignement), p. 127-139.
LEWIN (Bertram D.). — The Consultation Service (Le service de consultation),
p. 139-145.
ASTLEY (Royden). — Group I for Study of Curriculum and Didactic Teaching :
a Sketch of Their Meeting and their Work (Groupe I pour l'étude du curri-
culum et de l'analyse didactique), p. 145-152.
KOHUT (Heintz). — The Psychoanalytic Curriculum, p. 153-163.
WiNDHOLZ (Emarmei). — Future Plans of the Committee on Psychoanalytic
Education (Projets de la Commission d'enseignement de la Psychanalyse),
p. 164-166.
(1) GREENSON (Ralph R.). — On Enthusiasm (A propos de l'enthousiasme).
L'auteur différencie diverses formes du sentiment d'enthousiasme dont
il tente une formulation métapsychologique. Il en voit l'origine dans les expé-
riences de nursing.
L'extase bienheureuse exprime l'abandon de soi à la mère après la satis-
faction de la tétée. Il semble en être de même dans tous les sentiments
de bonheur qui impliquent un abandon passif à quelque chose de plus
gros ou de plus grand que soi, lorsqu'on désire être incorporé, dévoré ou
endormi.
L'enthousiasme paraît modelé sur d'autres aspects de la situation de
nursing. L'enfant affamé, mis au sein suce avidement ; il peut se souvenir du
plaisir anticipé de la satisfaction, mais aussi de la privation et du sentiment de
faim. Lorsque l'enfant retrouve ce souvenir de la faim, il se nourrit avec enthou-
siasme aussi longtemps que le sein est donné chaleureusement. Il n'est pas
encore satisfait, mais il est enthousiaste, sachant qu'il est sur la voie de la satis-
faction. La joie mutuelle et de l'enfant et de la mère qui nourrit est une compo-
sante nécessaire, puisqu'elle est l'élément de sécurité que requiert l'enthou-
siasme.
L'enthousiasme plus tardif a les mêmes composantes. Privation, objet
idéalisé qui offre une possibilité de satisfaction, possession de l'objet qui apporte
le sentiment d'enthousiasme. La personne enthousiaste n'est pas encore complè-
tement satisfaite, mais elle a goûté à certaines satisfactions, elle espère plus, et
le souvenir de la privation passée est temporairement recouvert par le senti-
ment d'enthousiasme. L'enthousiaste recherche des complices à son enthou-
siasme, il en nourrit d'autres qui le nourrissent en retour de leur relation, ce
qui rend l'enthousiaste si dépendant des autres et si vulnérable.
REV. FR. PSYCHANAL. 30
454 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

(2) SEARLES (Harold F.). — The Differentiation between Concrete and Meta-
phorical Thinking in the Recovering Schizophrenic Patient (La différenciation
entre la pensée concrète et la pensée métaphorique chez le schizophrène en
cours de traitement).
Chez le schizophrène profondément atteint, chez qui l'ensemble de la
vie affective, et de l'expérience perceptive de lui et du monde se trouvent altérés,
la pensée concrète peut être très perturbée, le sujet ne différenciant pas signi-
fications concrètes et significations figurées. Au cours d'une psychothérapie
prolongée et intensive dans un milieu favorable, les composantes de ce désordre
peuvent apparaître et la différenciation se faire entre l'expérience littérale et
l'expérience métaphorique.
Ce trouble de la pensée n'existe qu'en proportion de la fluidité des liens du
Moi et ne se résout qu'en proportion de l'établissementde liens fermes au cours
de la thérapie.
Ces liens s'établissent par degrés, lorsque le patient devient capable de
faire face aux émotions intenses et conflictuelles contre lesquelles son système
schizophrénique le protégeait.
Chez le malade en voie de récupération, on s'aperçoit que c'est cette fluidité
des liens du Moi, qui, par l'expérience indifférenciée qu'elle entraîne, a défendu
jusqu'alors le patient contre la connaissance des émotions. La dissolution des
liens du Moi, fin du processus schizophrénique, est un des mécanismes de
défense les plus énergiques de ce processus.
L'auteur discute la place de cette régression, de cette désymbolisation,
dans le cadre du développement de la pensée chez l'enfant, et en fonction des
relations précoces entre le patient et sa mère, ou la constellation familiale.
(3) KEISER (Sylvan). — Disturbance of Ego Functions of Speech and Abstract
Thinking (Les troubles du langage et de la pensée abstraite comme altérations
des fonctions du Moi).
Le langage décousu et absurde, ainsi que les troubles de la pensée abstraite,
servent de nombreux besoins défensifs, et peuvent avoir leurs racines dans le
fantasme mère-enfant, image d'un seul corps. Le langage absurde ne permet
pas la communication, et l'expression des états affectifs d'amour et de haine.
Le fantasme de fusion, en bloquant l'introjection de l'image du corps de la
mère, facilite une détérioration du Moi au niveau du développement de la
pensée. Le besoin de dénier la séparation d'avec la mère fait que l'enfant ne la
voit pas et ne peut pas en faire un objet d'identification, cela permet aussi une
dénégation de la réalité de la féminité de sa mère. La mère psychotique ou
border-Une qui exhibe aimablement sa nudité à son fils jusqu'à sa maturité,
impose à celui-ci le besoin de dénier ce qu'il a vu, renforce le mécanisme
archaïque de dénégation, et entretient le fantasme de fusion avec elle. Cette
absence d'incorporation, d'introjection et d'identification à la mère, endom-
mage les fonctions du Moi que sont le langage et la pensée abstraite.

JOURNAL OF THE AMERICAN PSYCHOANALYTIC ASSOCIATION


(Avril 1962, vol. 10, n° 2)
RANGELI (Leo). — Prospect and Retrospect (Perspectives et rétrospectives),
p. 227-257.
FURMAN (Erna). — Some Features of the Dream Function of a Severely Disturbed
Young Child (Quelques aspects de la fonction du rêve chez un jeune enfant
gravement atteint) (1), p. 258-270.
LES REVUES 455

HARLEY (Marjorie). — The Role of the Dream in the Analysis of a Latency


Child (Le role du rêve dans l'analyse à la période de latence) (2), p. 271-288.
BERNSTEIN (Isidor). — Dreams and Masturbation in an Adolescent Boy (Rêves
et masturbation chez un adolescent), p. 289-302.
ROOT (Nathan N.). — Some Remarks on Anxiety Dreams in Latency and Ado-
lescence (Quelques remarques sur l'anxiété dans les rêves à la période de latence
et à l'adolescence) (3), p. 303-322.
HOLLENDER (Marc H.). —Is the Wish to Sleep a Universal Motive for Dreaming ?
(Le désir de dormir est-il une motivation universelle des rêves ?), p. 323-328.
SACHS (Lisbeth J.).
— A Case of Castration Anxiety Beginning at Eighteen
Months (Un cas d'angoisse de castration ayant débuté à 18 mois), p. 329-337.
FRAIBERG (Selma).
— Technical Aspects of the Analysis of a Child with a Severe
Behavior Disorder (Aspects techniques de l'analyse d'un enfant ayant de
graves troubles du comportement), p. 338-367.
FELDMAN (Sandor S.).
— Blushing, Fear of Blushing and Shame (Rougeur,
peur de rougir et honte), p. 368-385.
WIEDEMAN (George H.). — Survey of Psychoanalytic Literature on overt Male
Homosexuality (Examen de la littérature psychanalytique concernant l'homo-
sexualité masculine), p. 386-410.
(1) FURMAN (Erna). — Some Features of the Dream Function of a Severely
Disturbed Young Child (Quelques aspects de la fonction du rêve chez un jeune
enfant gravement atteint).
Analyse d'un enfant de 4 ans 1/2 ayant un langage asyntaxique, des troubles
sphinctériens, une activité stéréotypée, un isolement, des colères incontrôlées,
et une fixation très symbiotique à sa mère. L'auteur décrit trois aspects de la
relation entre le Moi de l'enfant et ses rêves :
— quand le Moi est assez fort pour donner naissance à un comportement
en réalité pathologique, mais qui sert les défenses, le conflit sous-jacent
apparaît dans une intense activité onirique. Le Moi peut alors composer
avec la pression exercée par certains conflits internes, soit par un comporte-
ment défensif lorsqu'il est éveillé, soit dans le sommeil au moyen des rêves ;
— quand la réalité devient moins effrayante pour l'enfant, c'est en premier
lieu dans les rêves que certaines fonctions du Moi peuvent apparaître :
le sommeil le protège des dangers de la réalité et le Moi peut détendre ses
défenses ; l'enfant apparaît alors comme indifférencié, débordé par ses
impulsions et capable seulement de processus primaires. L'étude des
rêves montre que son Moi peut fonctionner à un meilleur niveau que ne le
laisserait supposer la symptomatologie défensive qu'il présentait ;
— quand les contenus instinctuels des rêves deviennent trop lourds pour le
Moi, il s'en détache comme s'ils ne faisaient pas partie de lui-même ;
cette défense dérive de certains aspects spécifiques de la relation précoce
avec la mère.
(2) HARLEY (Marjorie). — The Role of the Dream in the Analysis of a Latency
Child (Le rôle du rêve dans l'analyse à la période de latence).
Fragments d'analyse d'une fille à la période de latence ; l'auteur montre
comment le rêve est non seulement une valve de sécurité pour la décharge
d'excitations excessives chez une enfant soumise à une très forte pression de ses
premières pulsions, mais encore un moyen permettant la substitution de la
pensée réflective à l'action impulsive.
Son soulagement fut énorme lorsque, au début du traitement, son Moi
put maintenir une distance suffisante avec l'instinct, et par le rêve entrevoir une
456 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

certaine compréhension des forces hors de son contrôle. Alors que le Moi
gagnait en soulagement, et que les urgences instinctuelles baissaient, le matériel
du rêve disparut progressivement de l'analyse pour réapparaître avec les ten-
sions renouvelées de la puberté.
En réalité, à la période de latence, le matériel onirique joue rarement un
rôle prédominant dans l'analyse. Quand il prédomine, c'est que ces enfants
subissent une pression considérable de leurs instincts, parfois seulement à
certaines périodes de leur analyse, comme des impulsions qui forceraient par
ce moyen leur voie jusqu'à la surface ; elles peuvent être le résultat soit d'une
stimulation due à l'interprétation analytique, soit en relation avec des expé-
riences extérieures. Il faut toutefois que le Moi soit capable de maintenir
une distance suffisante en face des processus du Ça pour permettre observation
et réflexion.
L'appréciation différente de l'utilisation des interprétations de rêves dans
l'analyse d'enfants, tient probablement à des différences de techniques. Actuel-
lement, la technique d'analyse des défenses implique une approche plus gra-
duée et plus sélective des contenus du Ça, avec un plus grand respect des
efforts de l'enfant à la période de latence vers la maturation et la suprématie
des processus secondaires, tandis qu'autrefois la période de préparation était
le prélude à un abord plus direct du Ça ; les premières techniques étaient
plus proches d'une séduction de l'instinct de l'enfant conduisant à un plus
haut degré de tension dans la situation analytique.
(3) ROOT (Nathan N.). — Some Remarks on Anxiety Dreams in Latency and
Adolescence (Quelques remarques sur l'anxiété dans les rêves à la période de
latence et à l'adolescence), p. 303-322.
Les rêves des enfants ne sont pas aussi simples qu'on l'a cru au début de la
psychanalyse, et il existe une distorsion des pensées latentes du rêve plus impor-
tante encore à la période de latence que chez le jeune enfant, surtout dans les
rêves anxieux. L'analyse des rêves est rendue encore plus difficile par l'impos-
sibilité d'utiliser la méthode de libre association. Lorsque les rêves sont désa-
gréables et terrifiants, l'enfant évite de rêver et d'en parler, il redoute de s'endor-
mir, ou supprime le rêve s'il se produit. L'adolescent parle plus facilement des
rêves anxieux.
L'auteur étudie des enfants chez lesquels tous les rêves sont désagréables
avec anxiété grave ; chez les plus jeunes, avant la période de latence, il existait
une anxiété diurne plus importante que chez les autres. Le rêve anxieux est
un essai d'achever une décharge orgastique qui fait défaut, l'anxiété offre une
décharge partielle à travers une excitation anxieuse érotisée et agressive. Le
Moi et le Surmoi utilisent déplaisir et punition pour une décharge partielle.
Les rêves et l'excitation anxieuse peuvent apparaître ainsi comme une disposi-
tion habituelle, mais être vus aussi comme une décharge sado-masochique,
comme un accès de rage. L'anxiété sert aussi à inhiber la décharge liée au
fantasme de dévoration vécue comme une destruction.
Le facteur étiologique de ces rêves anxieux paraît être la répétition de stimu-
lations diverses qui entraînent un degré élevé de tension chronique et que l'on
peut comparer à un traumatisme. On peut rapprocher ces rêves anxieux répétés
des enfants aux rêves répétés de traumatismes, dans la mesure où tous deux
servent à maîtriser la sur-stimulation et à contrôler les pulsions libidinales et
agressives. Mais il existe aussi un grand besoin de décharge dans un but de
gratification et de soulagement, être submergé par l'attaque panique, en rêve
ou éveillé, représente un manque de maîtrise, mais aussi offre des gratifications
masochiques mêlées à de fortes composantes sadique et agressives.
LES REVUES 457

JOURNAL OF THE AMERICAN PSYCHOANALYTIC ASSOCIATION


(Juillet 1962, vol. 10, n° 3)
ERIKSON (Erik H.). — Reality and Actuality (Réalité et actualité), p. 451-474.
HOLT (Robert R.). — A Critical Examination of Freud's Concept of Bound or
Free Cathexis (Étude critique du concept freudien d'investissement libre ou
lié), p. 475-525.
APFELBAUM (Bernard). — Some Problems in Contemporary Ego Psychology
(A propos de certains problèmes concernant la théorie actuelle du Moi) (1),
p. 526-537.
SILVERMAN (Samuel). — Ego Functions and Bodily Reactions (Les fonctions du
Moi et les réactions somatiques ), p. 538-563.
ROSNER (Albert A.). — Mourning Before the Fact (Deuil anticipé), p. 564-570.
KAPLAN (Elizabeth). — Classical Forms of Neurosis in Infancy and in Early
Childhood (Les formes classiques de la névrose dans la première enfance)
(2), p. 571-578.
SOCARIDES (Charles W.).
— Theoretical and Clinical Aspects of Overt Female
Homosexuality (Aspects cliniques et théoriques de l'homosexualité féminine),
P- 579-592.
MARBURG (Rudolph O.). — Narcissism (Le narcissisme), p. 593-605.
FURER (Manuel). — Psychic Development and the Prevention of Mental Illness
(Le développement psychologique et la prévention des troubles mentaux),
p. 606-616.
WAELDER (Robert). — Psychoanalysis, Scientific Method and Philosophy
(Psychanalyse, science et philosophie), p. 617-637.
(1) APFELBAUM (B.). — Some Problems in Contemporary Ego Psychology (A
propos de certains problèmes concernant la théorie actuelle du Moi).
Le progrès essentiel que les théoriciens actuels pensent avoir accompli
concernant la théorie du Moi, est d'avoir pourvu le Moi d'une force de moti-
vation sans avoir diminué par ailleurs le rôle des pulsions instinctuelles. L'auteur
pense que ce but n'est pas atteint. Il critique les conceptions de Kris et
Hartmann.
Les conceptions du Moi et du Ça chez Freud, et leurs relations ont évolué
au cours des diverses élaborations de la théorie. Si au début le Moi est une
structure autonome opérant avec sa propre source d'énergie, l'instinct de conser-
vation, plus tard il devient un système établi par l'expérience, sans énergie
propre. Si on attribue au Moi une énergie biologique indépendante, le Moi
perd son caractère de défense acquise et la différence avec le Ça s'atténue.
On lui attribue toutefois une énergie neutre déplaçable, désexualisée.
Dans la théorie actuelle on distingue une autonomie du Moi secondaire,
réaffirmation du processus de sublimation, développement des idées de Freud
sur la désexualisation de la libido et son utilisation par le Moi, et une autonomie
du Moi primaire : le Moi ne dépend pas que de l'énergie sublimée mais il peut
agir en harmonie avec les instincts. Moi et Ça se développeraient à partir d'une
matrice indifférenciée. L'auteur critique surtout dans la théorie de Hartmann
et Kris le développement, dans une terminologie de plus en plus complexe,
de l'analogie entre l'énergie du Moi et l'énergie thermo-dynamique. Ces
conceptions s'éloigneraient de la clinique. Enfin l'opposition entre les formes
qualitatives et quantitatives de l'énergie est une difficulté que la clinique ne
permet pas encore de surmonter.
458 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

(2) KAPLAN (E.). — Classical Forms of Neurosis in Infancy and in Early Child-
hood (Les formes classiques de la névrose dans la première enfance).
Il s'agit d'un résumé des rapports présentés à la réunion de l'Association
psychanalytique américaine en 1961 et qui fait suite à une discussion sur les
problèmes de la névrose infantile qui avait eu lieu en 1954.
L. Jessner étudie les deux formes d'abord de la névrose infantile : recons-
truction du passé lors d'une analyse d'adulte, ou étude directe chez l'enfant.
Elle distingue deux groupes de névrose dans la première enfance : 1) Réactions
transitoires du type hystérique, phobique ou compulsif au cours d'un dévelop-
pement normal et qui s'atténuent lorsqu'un palier maturatif est atteint ;
2) Perturbations moins passagères qui conduisent à un trouble du développe-
ment du Moi en altérant certaines fonctions du Moi. Le conflit est alors par-
tiellement internalisé.
J. Richmond présente des observations directes de troubles du comporte-
ment chez des enfants de 6 mois à 1 an en insistant sur la complexité des
interactions parents-enfants et leur rôle sur le développement. Les psychana-
lystes ont été surtout attirés par l'étude de l'anxiété de séparation mais il est
nécessaire d'entreprendre une étude plus systématique de l'environnement et
de l'écologie propre à chaque âge qui permettrait de définir les facteurs impli-
qués dans l'équipement constitutionnel et les interactions avec le milieu.
A titre d'exemple, l'auteur étudie la maturation de la perception visuelle, qui
permet la discrimination de la mère, dans son rôle au cours du développement
des relations d'objet. Il a étudié aussi les variations d'activité du système ner-
veux autonome et du système moteur. Dans certains troubles des relations avec
l'environnement, l'enfant peut utiliser son corps comme objet et cela entraîne
des troubles physiologiques, marasme, spasmus nutans.
Une perturbation de la relation parents-enfants avec manque de la stimu-
lation appropriée de la part des parents peut conduire : 1) A des désordres des
fonctions autonomes : coliques, régurgitations, vomissements, diarrhée,
eczéma. Si la stimulation ne se produit pas au moment où s'est développée la
discrimination perceptive, l'enfant y substitue une stimulation de gratification
venant de son propre corps ; 2) A des désordres de la formation des habitudes :
nutrition, sommeil, motricité rythmique. Les expériences précoces qui influen-
cent l'organisation du système nerveux central et les fonctions psychologiques
concomitantes jouent un rôle majeur dans la détermination de l'état affectif
que les psychanalystes observent lors du développement de l'enfant.
A. J. Solnit étudie les relations entre le traumatisme et la fixation chez le
jeune enfant. La fixation peut être décrite comme la consolidation d'un symp-
tôme ou un type de réaction difficilement influençable par le traitement ou
l'éducation. C'est au moment de la résolution de l'OEdipe que se fait une conso-
lidation de la personnalité. L'auteur pense qu'à cette période, de nombreux
symptômes provenant des traumatismes de la période pré-oedipienne peuvent
se renforcer et devenir indépendants des conflits qui les ont fait naître. Il est
important d'influencer ces réactions névrotiques avant la période de résolution
de l'OEdipe afin d'éviter une infiltration des autres lignes de développement
du Moi. C'est surtout important pour les fonctions du Moi qui ont été altérées
du fait de leur développement au moment où ont eu lieu les traumatismes,
dans la période pré-oedipienne : tics, bégaiement, maladresse physique, troubles
du langage, contrôle du corps, coordination motrice, qui apparaissent dans la
2e et la 3e année. Si le traitement ne peut pas les réduire, ces symptômes se
fixeront et deviendront un obstacle au développement. Des traits de caractère
apparaissent ainsi comme des réactions pathologiques à des conflits plus
LES REVUES 459

subtils. Il faut donc traiter avant la période de latence les enfants qui ont subi
des traumatismes répétés et précoces.
J. Anthony reprend à propos de l'analyse de deux cas d'enfants à la période
préscolaire, l'étude des deux formes de névrose infantile, diffuses et circons-
crites, telles que A. Freud les a décrites. Ce sont deux extrêmes dans un conti-
nuum névrotique. L'auteur oppose le cas du Petit Hans, névrose circonscrite,
phase de développement, non constitutionnelle, de bon pronostic, au cas de
l'Homme aux Loups, névrose diffuse, troubles précoces, et non spécifiques,
environnement pathogène, influence constitutionnelle probable, pronostic
sévère. L'auteur précise certaines conditions techniques de l'analyse à la
période préscolaire.

JOURNAL OF THE AMERICAN PSYCHOANALYTIC ASSOCIATION


(October 1962, vol. 10, n° 4)
Ross (Donald W.), KAPP (Frédéric T.). — A Technique for Self-Analysis of
Countertransferrence : Use of the Psychoanalyst's Visual Images in Response
to Patient' Dreams ( Une technique pour l'auto-analyse du contre-transfert :
l'utilisation des images visuelles du psychanalyste en réponse aux rêves du
patient) (1), p. 643-657.
NOVEY (Samuel). — The Principle of « Working Through » in Psychoanalysis (Le
principe de l'élaboration interprétative dans la psychanalyse) (2), p. 658-676.
ROSE (Gilbert J.). — Unconscious Birth Fantasies in the Ninth Month of
Treatment (Fantasmes de naissance inconscients au neuvième mois du traite-
ment), p. 677-688.
JARVIS (Wilbur). — Some Effects of Pregnancy and Childbirth on Men (Quelques
effets de la naissance et de la grossesse sur les hommes), p. 689-700.
BRENNER (Arthur B.). — Onan, the Levirate Marriage and the Genealogy of
the Messiah (Onan, le mariage lévitique et la généalogie du Messie),
p. 701-721.
BEHARRIELL (Frederick J.). — Freud's « double » ; Arthur Schnitzler (Le
« double » de Freud : Arthur Schnitzler), p. 722-730.
KLIGERMAN (Charles). — A Psychoanalytic Study of Pirandello's « Six Cha-
racters in Search of an Author » (Étude psychanalytique de la pièce de Piran-
dello : « Six personnages en quête d'auteur »), p. 731-744.
WEISSMAN (Philip). — The Psychology of the Critic and Psychological Criticism
(La psychologie du critique et la critique psychologique), p. 745-761.
STAMM (Julian I.). — Altered Ego States Allied to Depersonalization (Les états
d'altérations du Moi associés à la dépersonnalisation), p. 762-783.
SARLIN (Charles N.). — Depersonalization and Derealization (Dépersonnalisation
et altération de la réalité), p. 784-804.
(1) Ross (D. W.), KAPP (F. T.). — A Technique for Self-Analysis of Counter-
transferrence : Use of the Psycho-Analyst's Visual Images in Response to
Patient Dreams (Une technique pour l'auto-analyse du contre-transfert :
l'utilisation des images visuelles du psychanalyste en réponse aux rêves du
patient).
Les auteurs exposent à l'aide d'exemples une technique d'auto-analyse
des composantes inconscientes qui surviennent dans les réactions de l'analyste
à son patient et au transfert de celui-ci. Les images visuelles de l'analyste en
réponse aux descriptions des rêves faites par le patient, sont utilisées par l'ana-
lyste comme point de départ pour la découverte d'un contre-transfert incons-
cient. Cette technique est conforme aux idées actuelles qui considèrent comme
460 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

inévitables certaines réactions de contre-transfert, et même comme utiles


lorsqu'elles sont reconnues. Cette méthode peut permettre d'éviter des fautes
techniques. Elle présuppose le talent et la motivation de l'analyste pour la
poursuite constante de l'insight, mais est un procédé simple qui facilite l'auto-
analyse.
(2) NOVEY (S.). — The Principle of Working Through in Psychoanalysis (Le
principe de l'élaboration interprétative en psychanalyse).
Le principe de l'élaboration interprétative n'a pas encore été complètement
intégré à la théorie psychanalytique. L'auteur étudie les raisons de cette défi-
cience : il insiste sur le rôle des conceptions théoriques de l'expérience affective
et de la théorie de l'apprentissage.
Certains principes généraux émergent d'une revue de la littérature ; il
existe un temps résiduel long entre la reconnaissance de la résistance et l'impact
sur la névrose du patient. C'est durant ce temps que prend place l'abréaction
des affects réprimés. Les abréactions isolées dramatiques sont en général de
valeur thérapeutique limitée. La durée de ce temps de latence n'est pas fonction
de la justesse de l'interprétation. L'intervalle de temps résulte de la nécessité
pour l'élaboration interprétative, de la répétition compulsive dérivée de la
résistance du Ça. La reviviscence dans la situation de transfert des attitudes
répétitives permet un réentraînement dans l'appréciation émotionnelle correcte.
Les analystes utilisent par ailleurs le terme d'élaboration interprétative de
façon erronée pour rationaliser certains faits inadéquats. Enfin une corrélation
peut être faite entre l'élaboration interprétative et le processus du deuil.
Tandis qu'il est reconnu que le processus de l'élaboration interprétative
résulte de l'acceptation des interprétations riches en insight, avec leur potentiel
d'expériences réorganisatrices, il est difficile de comprendre le temps de latence
impliqué. Certains aspects du transfert pourraient expliquer ce besoin de
temps. La psychanalyse a pour but l'établissement d'une liberté relative dans
l'organisation névrotique et caractérielle, ouvrant la voie à de nouveaux modes
de fonctionnement, elle diffère des psychothérapies de soutien qui aident à
surmonter un état émotionnel passagèrement décompensé.
Dr GIRARD.
PSYCHÉ (t. XV, n° 10, janvier 1962)
Dr J. O. WISDOM. — Ein methodologischer Versuch zum Hysterieproblem (Essai
méthodologique concernant le problème de l'hystérie), p. 561.
Dr Ludwig EIDELBERG. — Ein Beitrag zum Studium der àsthetischen Lust
(Contribution à l'étude des plaisirs esthétiques), p. 588.
P. D. Dr phil. Ulrich MOSER. — Übertragungsproblem in der Psychoanalyse
eines chronisch schweigenden Charakterneurotikers (Problème du transfert dans
la psychanalyse d'un névrosé de caractère chroniquement silencieux) (1), p. 592.
Pr-Dr méd. C. A. MEIER. — Psychosomatik in Jungscher Sicht (Psychosomatique
dans la perspective jungienne), p. 625.
Dr A. E. MEYER. — Die psychosomatische Medizin der französichsprechenden
Autoren (La médecine psychosomatique des auteurs de langue française),
P- 639-
(1) Ulrich MOSER. — Problème du transfert dans la psychanalyse d'un névrosé
de caractère chroniquement silencieux.
U. Moser présente longuement le traitement analytique aménagé d'un
adolescent posant le problème du silence. Il procède à une revue critique des
LES REVUES 461

auteurs qui ont abordé le même sujet, en particulier dans le symposium de


l'Association psychanalytique américaine. Personnellement, il distingue :
1) Le silence, mécanisme de défense ;
2) Le silence, symptôme qu'il compare au bégaiement ;
3) Le silence, position caractérielle d'origine prégénitale où règne la dénégation
primaire et où une position magique-autistique-narcissique se fixe à la
phase anale du développement ; enfin
4) Les silencieux psychotiques catatoniques, proches des précédents chez
lesquels les idées délirantes existent à l'état permanent.
Moser souligne que la fixation prégénitale du Moi des silencieux conduit à
une accentuation des conflits liés au développement dans les étapes suivantes
(homosexualité, peur de la castration, conflit oedipien). Enfin l'auteur semble
devoir évoquer ce « silence d'avant la naissance », contemporain d'une modifi-
cation du Moi s'accomplissant au cours d'un retrait des investissements objec-
taux, qui constitue une dernière résistance, une ultime dénégation couvrant
une maturation.
PSYCHÉ (février 1962, XV, Heft 11)
WINNIK (H. Z.). — Bemerkungen zu einem tanatophilen Aspekt des Masochismus
(Remarques sur un aspect tanatophile du masochisme) (1), p. 641.
KUIPER (P. C). — Betrachtungen über die psychoanalytische Technik bei der
Behandlung neurotischer Patientinnen (Considérations sur la technique psycha-
nalytique au cours du traitement de patientes névrosées) (2), p. 651.
MITSCHERLICH-NIELSEN (M.). — Besonderheiten der Behandlungstechnik bei
neurotischen Patientinnen (Particularités de la technique de traitement des
patientes névrosées) (3), p. 669.
LAMPL DE GROOT (J.). — Die Behandlungstechnik bei neurotischen Patientinnen
(La technique de traitement des patientes névrosées) (4), p. 681.
LOCH (R.). — Anmerkungen zur pathogenese und Metapsychologie einer schizo-
phrenen Psychose (Remarques sur la pathogenèse et la metapsychologie d'une
psychose schizophrénique), p. 684.
(1) WINNIK (H. Z.). — Bemerkungen zu einem tanatophilen Aspekt des Maso-
chismus (Remarques sur un aspect tanatophile du masochisme).
L'auteur nous propose à partir d'observations cliniques, ses réflexions sur
le thème du masochisme tel que Freud l'a étudié en 1924.
Il insiste — à côté du sentiment de culpabilité et du besoin d'être puni —
sur la part de satisfaction libidinale qui s'exprime dans le caractère indolent,
voire extatique, de certaines auto-mutilations, auto-suppressions, de certains
suicides : « Parfois on peut avoir l'impression que les idées et les fantasmes de
mort sont littéralement devenus le contenu de la vie du patient, comme si
sans le thème de la mort, la vie n'en vaudrait plus la peine. » L'auteur invoque
une « tendance masochique originelle, tanatophile ».
Les observations cliniques sont évidemment sommaires puisqu'il s'agissait
de sujets sans besoin de recours médical et avec lesquels s'établit à l'occasion
d'une hospitalisation un dialogue à portée d'investigation. H. Z. Winnik sou-
ligne l'aspect « idée prévalente » de Wernicke du tableau.
L'intérêt est celui que l'auteur accorde au sentiment infantile de toute-
puissance (défense inconsciente, dénégation de la douleur) qui fait de la mort
un accomplissement dans le contexte d'une personnalité à Moi faible.
I. BARANDE.
462 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

( 2) (3) (4) KUIPER (P. C). — Betrachtungen über die psychoanalytische Technik
bei der Behandlung neurotischer Patientinnen (Considérations sur la technique
psychanalytique au cours du traitement de patientes névrosées).
En l'illustrant d'un certain nombre d'erreurs et d'échecs possibles, l'auteur
tente d'établir un planning analytique selon diverses formules de présentation
et de déroulement du début du traitement. C. Kuiper souligne les possibilités
de rester au plus près de ce que la malade sent et peut assumer et les difficultés
contre-transférentielles qui peuvent entraver la progression. Il se situe essen-
tiellement sur un plan oedipien.
Il conclut en préconisant l'application du principe phénoménologique dans
le traitement analytique : celui de partir de ce que la patiente vit vraiment.
Dans Particularités de la technique de traitement des patientes névrosées,
Margaret Mitscherlich-Nielsen insiste sur les interprétations de transfert — en
particulier de l'activité projective qui court tout au long de la biographie
rapportée. Celle-ci ne réapparaît pas aussi systématiquement à l'envers que le
dit C. Kuiper. Par ailleurs, elle apporte des atténuations à certaines formules
systématiques de l'article précédent.
Puis Jeanne Lampl de Groot, Amsterdam, apporte sa contribution à La
technique de traitement des patientes névrosées en insistant sur la nécessité de
l'absence de tout préjugé concernant le déroulement de la cure — et sur l'inté-
rêt de la mobilité de l'analyste.
Enfin, après C. Kuiper et M. Mitscherlich, elle souligne la différence
qui existe entre la passivité infantile et les aspirations sexuelles infantiles à but
passif.
PSYCHÉ (mars 1962, XV, Heft 12)
BRUCKNER (P.). — Sigmund Freud Privatlekture (Les lecturesprivées de Sigmund
Freud) (1), p. 881.
(1) BRUCKNER (P.). — Sigmund Freud Privatlektüre (Les lectures privées de
Sigmund Freud).
Bruckner, à l'aide des citations littéraires contenues dans ses articles et sa
correspondance dresse le bilan des lectures de Freud et tente de comprendre
ses goûts. Il ne considère pas les oeuvres dont Freud a fait l'investigation psy-
chanalytique.
Nous ne ferons que citer ici les textes retenus auxquels Freud a voué une
préférence : Paradise lost de J. Milton ; Don Quichotte de Cervantes ; Tom
Jones de Henry Fielding ; Tristam Shandy de Laurence Sterne — énumération
d'ailleurs partielle car P. Bruckner annonce une suite.
I. BARANDE.
PSYCHÉ (avril 1962, XVI, Heft I)
HOCHHEIMER (W.). — Probleme einer Politischen Psychologie (Problèmes d'une
psychologie politique) (1), p. I.
ROSENFELD (M.).
— Analyse einer Angsthysterie, nach 21 Jahren kritisch betra-
chtet (Analyse d'une hystérie d'angoisse. Révision critique 21 ans après) (2),
P- 34-
KLAUBER (J.). — Freuds Ansichten zur Religion aus der heutigen Sicht (Vue
actuelle des points de vue de Freud sur la religion), p. 50.
KUNZ (H.). — Die eine Welt und die Weisen des In-der-Welt-Seins, I
Teil
(Le monde un et les sages de l'être dans le monde, 1re Partie), p. 58.
LES REVUES 463

(1) HOCHHEIMER (W.). — Probleme einer Politischen Psychologie (Problèmes


d'une psychologie politique).
L'article de W. Hochheimer est à la fois documenté, passionné, ambitieux
et pourtant prudent. Il voudrait promouvoir une psychologie politique qui
réviserait certaines thèses fondamentales, qui nous apprendrait « comment et
si l'homme est accessible à la culture socialisable, intégrable, susceptible d'une
communauté » et qui réduirait les leurres anthropologiques dangereux. Il
aimerait que cette science s'avérât capable d'engendrer une prophylaxie.
A titre d'exemple, il analyse des proclamations et textes du national-socia-
lisme allemand, ce qu'ils sollicitent, et ce à quoi ils répondent chez l'individu
dans le contexte du groupe.
Il examine les travaux d'un certain nombre d'auteurs, de : G. Le Bon,
Ortega y Gasset, W. Moede, W. Trotter, P. Feldkeller, G. Wallas, Krech
et Crutchfield, D. Laswell, S. Freud.
Nous apprenons qu'il existe une section et une publication, la Politische
Psychologie rédigée par W. Jacobson.
Si les perspectives d'études que W. Hochheimer nous propose sont vastes
et intéressantes, son article laisse l'impression qu'il s'est trop exclusivement
— quoique peut-être volontairement — attaché à un aspect certes essentiel
des problèmes en écartant de son propos la composante socio-économique.
Donnée évolutive, elle ne se superpose que partiellement aux questions envi-
sagées et garde une valeur de base et de variable à certains égards comparable
à la base biologique dont une psychophysiologie de l'homme ne peut pas
s'épargner la prise en considération.
(2) ROSENFELD (E. M.). — Analyse einer Angsthysterie, nach 21 Jahren kritisch
betrachteî (Analyse d'une hystérie d'angoisse. Révision critique 21 ans après).
C'est à l'occasion d'un entretien avec son ancienne patiente que l'auteur
reprend le déroulement de son traitement.
Il s'agissait d'un cas pour le moins marginal de la psychose. L'auteur était de
ce fait tenté de l'aborder selon la decoding-methodde M. Klein. Elle entreprend
de différencier cette technique s'adressant à un « Moi » particulier, des interpré-
tations du transfert qui seules lui semblent mériter le qualificatif de « profondes ».
Celles-ci sont opposées au déchiffrage des processus internes dont l'effet
dynamique est moindre et que l'auteur compare à un conte dont la valeur de
réalité psychique est indubitable. Cette confrontation est d'un grand intérêt
pour nous.
Elle s'élève finalement contre une élaboration univoque, grâce à une
méthode, ne prenant en considération qu'une phase du développement.
I. BARANDE.
PSYCHÉ (mai 1962, XVI, Heft 2)
BERNA (J.). — Die Indikation zur Kinderanalyse (L'indication de la psychanalyse
chez l'enfant) (1), p. 81.
SCHRANDT (C).
— Angsthysterie bei. einem zehnjährigen Mâdchen (Hystérie
d'angoisse chez une petite fille de dix ans), p. 100.
MERIAN (D.). — Phantasiegeschichten in der Kindertherapie (Histoires imaginées
au cours des traitements d'enfants) (2), p. III.
BIERMANN (G.).
— Die Familien-Neurose in ihrer Projektion im Familien-
Zeichentest (La projection de la névrose familiale dans le test du dessin de la
famille), p. 127.
464 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

KUNZ (H.). ;— Die eine Welt und die Weisen des In-der-Welt-Seins (Fort-
setzung) (Le monde un et les sages de l'être dans le monde) (suite), p. 142.
(1) BERNA (J.). — Die Indikation zur Kinderanalyse (L'indication de la psycha-
nalyse chez l'enfant).
L'auteur traite plus particulièrement des problèmes des relations avec
les parents (entretenues par le thérapeute de l'enfant) et des aspects particuliers
du contre-transfert compliqué de ce fait.
I. BARANDE.

(2) MERIAN (D.). — Phantasiegeschichten in der Kindertherapie (Histoires


imaginées au cours des traitements d'enfants).
Ce texte argumente et illustre la valeur prévalente des « vécus » en commun
avec l'enfant. S'il y a là une réalité profonde, il semble cependant — à la
lecture — qu'un abstentionnisme aussi poussé favorise à l'excès l'ineffable au
détriment de l'élaboration verbale et de la mise en place du sens précis des
comportements et des fantasmes.
I. BARANDE.

AMERICAN JOURNAL OF ORTHOPSYCHIATRY


(XXXIII, 4, juillet 1963)
RABINOWITZ (C). — Human Rehabilitation in the Sixties (Réhabilitation
humaine des personnes âgées), p. 589-590.
Symposium 1962. — Social Reinforcement and Behavior Change : Behavioral
Research Symposium (Renforcement social et changement de comportement) :
1. BANDURA (A.), Behavior Theory and Identificatory Learning (Théorie du
comportement et apprentissage par l'identification), p. 591-600.
2. KRASNER (L.), Reinforcement, Verbal Behavior and Psychotherapy
(Renforcement, comportement verbal et psychothérapie), p. 601-613.
3. SIGLER (E.), Social Reinforcement, Environment and the Child (Renfor-
cement social, milieu et enfant), p. 614-623.
4. LINDSLEY (O. R.), Experimental Analysis of Social Reinforcement (Ana-
lyse expérimentale du renforcement social), p. 624-633.
MASSIMO (J. L.) et SHORE (M. F.). — A Comprehensive Vocationally Oriented
Psychotherapeutic Program for Delinquent Boys (Un programme thérapeu-
tique orienté vers la formation professionnelle, pour garçons délinquants) (1),
p. 634-642.
MURPHEY, SILBER, COELHO, HAMBURG et GREENBERG. — Autonomy and
Parent-Child Interaction in Late Adolescence (Autonomie et interaction
parents-enfant, en fin d'adolescence) (2), p. 643-652.
CALDWELL, HERSCHER, LIPTON, RICHMOND, STERN, DRACHMAN, ROTHMAN. —
Mother-Infant Interaction in Monomatric and Polymatric Familles (Inter-
action mère-enfant dans les familles à une ou plusieurs images maternelles),
p. 653-664.
FROSTIF (M.). — Visual Perception in the Brain-Injured Child (Perception
visuelle chez l'enfant avec atteinte cervicale) (3), p. 665-671.
CHANCE (E.). — Interdisciplinary Différences in Case Description (Différences
entre disciplines, dans la description d'un cas) (4), p. 672-677.
RIOCH, ELKES, FLINT, USDANSKY, NEWMAN et QILBER. — Nimh pilot Study
in Training Mental Health Counselors (Expérience pilote pour la formation
de conseillères en santé mentale), p. 678-689.
LES REVUES 465

DETRE (Th. P.), KESSLER (D. R.) et JARECKI (H. G.). — The Role of the General
Hospital in Modem Community Psychiatry (Le rôle de l'hôpital général en
psychiatrie moderne) (5), p. 690-700.
BEARD (J. H.), PITT (R. B.), FISHER (S. H.), GOERTZEL (V.).
— Evaluating the
Effectiveness of a Psychiatrie Rehabilitation Program (Evaluation de l'effi-
cience d'un programme de réhabilitation), p. 701-712.
GLITTENBERG (J.).
— The Nurse in the Outpatient Psychiatrie Clinic (L'infir-
mière en clinique psychiatrique pour malades non hospitalisés), p. 713-716.
Brèves communications (6).
(1) MASSIMO et SHORE. — Un programme thérapeutique orienté vers la formation
professionnelle pour garçons délinquants.
Les essais de traitement classiques, traditionnels, échouent souvent avec
les adolescents délinquants. Par contre, on obtient une amélioration impor-
tante des études, de la structure de la personnalité et du comportement mani-
feste, par l'application d'un programme à orientation psychothérapique,
administré par une seule personne qui utilise le placement au travail, les réédu-
cations et une psychothérapie intensive, de manière concrète et individualisée.
(2) MURPHEY, SILBER, COELHO, HAMBURG et GREENBERG. — Autonomie et
interaction parents-enfant, en fin d'adolescence.
Cette étude explore la relation entre la capacité d'acquisition d'un compor-
tement autonome chez les étudiants de première année d'université, et leur
type d'interaction avec leurs parents pendant la période de transition du lycée
à la vie universitaire dans une ville éloignée.
Il semble que la capacité d'intégrer un comportement autonome, respon-
sable, tout en maintenant des liens positifs (quoique modifiés, sur un plan
d'égalité) avec la famille est liée à un type particulier de relations familiales,
décrit dans l'article.
(3) FROSTIF. — Perception visuelle chez l'enfant à atteinte cérébrale.
Le développement de la perception chez l'enfant entre 3 et 7 ans est une
indication sensible de son développement général. Cette opinion est prouvée
par la corrélation entre les résultats aux tests de perception visuelle et le classe-
ment de l'institutrice d'après l'adaptation à la classe. Les troubles de la percep-
tion sont divers ; il est possible de les déceler tôt et d'y remédier par une réédu-
cation spécifique.
(4) CHANCE. — Différences entre disciplines, dans la description d'un cas.
Les différences de formation, de profession, de bases théoriques, ont-elles
une conséquence sur l'estimation des malades ?
La comparaison de l'estimation par des psychologues, des assistantes sociales,
des psychiatres, des psychanalystes, d'une séance analytique et d'un entretien
psychothérapique montre les différences en divers domaines. Les auteurs en
tirent des conclusions qui concernent la psychothérapie, la formation et la
recherche.
(5) DETRE, KESSLER, GOERTZEL. — Le rôle de l'hôpital général en psychiatrie
moderne.
Cet article met en évidence l'intérêt des services de psychiatrie dans les
hôpitaux généraux. En plus des facilités de laboratoire, de recrutement du
personnel, d'admission précoce, etc., cette situation présente l'avantage de la
466 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1964

proximité du milieu social : facilités de contact, de thérapie, de préparation du


retour ; diminution de l'isolement, analyse des, et travail sur les transactions
familiales, de travail, etc. Dans ce cas, l'hospitalisation si elle n'est pas curative,
constitue une intervention thérapeutique qui permet le retour du patient dans
la communauté préparée à ce traitement.
(6) Communications brèves.
L'abondance d'articles acceptés oblige le journal à ne publier qu'un résumé
de beaucoup d'entre eux, qu'il est donc difficile de commenter, mais dont nous
aimerions signaler l'intérêt.
Un séminaire sous la présidence de Fritz Redl, sur l'interview au moment
même où il est nécessaire, dans le milieu scolaire. F. Redl s'est beaucoup
occupé de ce qu'il appelle The life space interview, c'est-à-dire l'entretien
thérapique mené au moment même du conflit, pour résoudre la tension immé-
diate. Il ne s'agit ici que d'un des milieux, d'un des cas où cette technique
peut s'appliquer.
Notons encore : la thérapie de groupe des délinquants ; les modifications
de langage chez les enfants psychotiques pendant un traitement réussi, etc.
J. MASSOUBRE.

Le gérant : Maurice BÉNASSY.


1964. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)
EDIT. N° 27 970 Dépôt légal : 3-1964 IMP. N° 18 452
IMPRIME EN FRANCE
LE FANTASME

Les éditeurs de The International Journal of Psycho-Analysis nous


ont autorisés gracieusement, cette année comme en 1959 et en 1961 à
traduire et à reproduire les Actes du Congrès international de Psychanalyse
de Stockholm 1963, tels qu'ils apparaissent dans leur revue, nous les en
remercions ici très vivement.
Nous avions déjà séparé en deux parties les Actes du Congrès d'Edim-
bourg. Cette fois nous publions en plusieurs fois, malgré des inconvénients
incontestables, le contenu du n° 2-3 du volume XLV de l'International
Journal ; mais nous ne disposons pas d'un nombre de pages qui permette
de rendre compte intégralement, à la fois du mouvement psychanalytique
mondial, du mouvement plus restreint animé par les psychanalystes de
langues romanes, et de l'activité de la Société de Paris. Nous avons choisi
cette année de publier en plusieurs fois le compte rendu des Actes du Congrès
de Stockholm, rassemblant les divers articles autour de quelques thèmes,
en résumant certains partiellement ou totalement, ajoutant lorsque c'est
possible des articles originaux qui se rapportent au sujet traité. C'est
ainsi que le présent numéro est consacré au Fantasme. Il est centré sur la
discussion qui a eu lieu à Stockholm, et cette partie théorique se suffit à
elle-même. Mais nous avons pensé qu'il était intéressant d'envisager le
rôle du fantasme dans certains aspects de la vie mentale, et nous avons
demandé à quelques collègues de montrer comment ils conçoivent l'exercice
de la fonction fantasmatique dans la vie artistique (P. Luquet, P. Sifneos),
et comment des troubles somatiques peuvent apparaître, liés aux anomalies
de cette fonction (M. Fain et P. Marty). Nous les remercions d'avoir
bien voulu nous aider.

LA RÉDACTION.

REV. FR. PSYCHANAL. 31


SYMPOSIUM SUR LE FANTASME
HEINZ KOHUT (président)

INTRODUCTION
La position du fantasme
dans la psychologie
psychanalytique(1)
par HEINZ KOHUT
Il est un fait depuis longtemps connu qui s'est de nouveau imposé
à l'historien de la psychanalyse avec une grande force depuis la publi-
cation des lettres de Freud à Wilhelm Fliess. On le trouve dans, le
chapitre de l'histoire héroïque de la vie de Freud où des profondeurs de
ce qui semblait une grande défaite — Freud s'aperçoit que les histoires
de séduction que racontent ses malades hystériques sont « fausses » (voir la
lettre à Fliess du 21 septembre 1897 [2] pp. 215-216) — il fit surgir une
grande victoire, cette intuition fondamentale que ces histoires « fausses »
sont de « vrais » fantasmes qui proviennent du noyau de l'Inconscient, le
complexe d'OEdipe [3] (p. 34). Cette découverte fut de la plus grande
importance : elle ouvre la voie que devait suivre la psychanalyse, elle
établit que la vie intérieure de l'homme étend très loin son influence et
elle établit en particulier la position centrale du fantasme (spécialement
du fantasmeinconscient) dans le développement psychologiqueet la moti-
vation. De l'interaction de l'enfant et de son environnement (ou plus exac-
tement des tendances et des fonctions rudimentaires du Moi de l'enfant
d'une part, et de l'environnementd'autre part) surgit cette zone de riche
élaboration intérieure de l'expérience qui est devenue le centre de
l'investigation psychanalytique. Cf. Ernst Kris [4] (spéc. pp. 73-77).
Récemment, au cours d'une discussion amicale avec un spécialiste
éminent d'une autre discipline, il m'apparut avec évidence que le
fantasme avait une position fondamentale dans le cadre de la psychologie
psychanalytique. Ce spécialiste avait entendu parler d'un symposium
sur le fantasme et mettait en doute la pertinence de telles préoccupations
psychanalytiques. Pour lui, la découverte qu'avaient faite les étholo-

(1) Les paragraphes en petits caractères sont des résumés de l'original. Les paragraphes
en caractères courants sont traduits de l'original. Trad. par M. BÉNASSY.
472 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

gistes du mécanisme d'empreinte perceptive (imprinting, Prägung) [5]


avait enfin donné une base scientifique solide aux spéculations vagues
et aux reconstructions de la psychanalyse. Les psychanalystes, pensait-il,
devraient bien abandonner ce sujet perfide — la perception psycholo-
gique endogène — pour travailler suivant la méthode de ceux qui
tirent leurs conclusions de l'observation directe, externe, du comporte-
ment. En lui répondant, je voyais de plus en plus clairement à quel
point son affirmation s'éloignait de la vérité. Quoiqu'on puisse citer des
facteurs additionnels, c'est surtout la tendance de l'homme à élaborer
intérieurement son expérience, et de façon fort étendue, qui a nécessité
la création du cadre conceptuel complexe que constitue la métapsycho-
logie psychanalytique. Il y a longtemps que la psychanalyse l'a établi.
L'homosexualité d'un homme ne vient pas habituellement du fait qu'il
a été environné d'hommes pendant son enfance. Son homosexualité
vient bien plus fréquemment de l'élaboration de l'expérience de sa
relation avec sa mère [6] [1] (p. 297), de la recherche de son Moi
infantile grandiose et de la représentation en action d'un désir de
satisfaire un fantasme narcissique en aimant une image idéalisée de
soi-même qui vient du passé. Une telle conception est bien loin d'une
simple théorie de l'empreinte perceptive.
Si le fantasme occupe une place si grande et si centrale en psychanalyse, il
nous faut définir le fantasme, le détacher des autres phénomènes psychiques.
Nous ne pouvons aborder toute l'analyse à son sujet car il touche à tous les
aspects de la psychanalyse. Nos prédilections, l'école de psychanalyse à laquelle
nous appartenons, nous détermineront dans notre choix. Nous aurons profité
des circonstances si nous apprenons à suspendre temporairement notre
sens critique pour saisir l'essence de chaque présentation et en apprécier la
.

fécondité. Nous ne devons ni repousser des idées nouvelles ni les accepter sans
critique. En lisant les communications de ce symposium, il m'est apparu qu'il
existe parmi nous un noyau de compréhension basée sur deux faits : nous
utilisons la méthode la plus fructueuse d'observation de la psyché humaine et
nous nous fondons sur des principes psychanalytiques qui sont directement
dérivés de cette méthode d'observation.

BIBLIOGRAPHIE
[1] FERENCZI (S.), The Nosology of Male Homosexuality (1911), in Sex in
Psycho-analysis, Brunner, 1950.
[2] FREUD (S.), The Origins of Psychoanalysis : Letters to Wilhelm Fliess,
Drafts and Notes, 1887-1902, New York, Basic Books, 1954.
[3] FREUD (S.), An Autobiographical Study (1925), St. Ed., 20.
[4] KRIS (E.), The Recovery of Ghildhood Memories, Psychoanalytic Study
of the Child, 11, 54-88, 1956.
[5] LORENZ (K.), New Light on Animal Ways, New York, Crowell, 1952.
[6] SADGER (J. I.), Heinrich von Kleist, Grenzfragen des Nerven- und Seelebens,
70, 5-63, 1909.
Aspects de la métapsychologie
du fantasme(1)
par JOSEPH SANDLER, Ph.D. et HUMBERTO NAGERA, M.D.
Londres

I. — INTRODUCTION
Il y a un an ou deux, un certain nombre d'analystes et de psycho-
thérapeutes d'enfants se trouvèrent devant la nécessité d'élaborer une
classification pratique du matériel clinique observé, en relation avec
le concept du Surmoi, tel que l'ont développé Freud puis ensuite la
littérature psychanalytique. Ceci a abouti à une formulation du Surmoi
(Sandler, 1960 ; Sandler et al., 1962), qui soulignait entre autres
choses, sa fonction comme source de bien-être et d'estime de soi,
et son rôle général dans la régulation de l'énergie narcissique. Sur la
base de ces formulations et de leur interaction avec les observations
cliniques enregistrées dans l'Index, il devint évident que devant un
investissement narcissique de leur soi diminué, certains enfants
employent comme principal mécanisme de défense, la création de
rêveries où ils peuvent rétablir leur estime de soi diminuée, grâce à la
création de situations idéales et satisfaisantes dans lesquelles ils jouent
un rôle central, souvent héroïque. (Bien entendu, ceci s'applique

(1) L'étude rapportée dans cet article a été financée par un don commun du Fonds des
Fondations pour la Recherche en Psychiatrie, New Haven, Connecticut, et du Fonds pour la
Recherche et le Développementpsychanalytiques,New York.
Le matériel utilisé a été recueilli à la Clinique de Thérapie infantile de Hampstead, centre
de thérapie et de recherche, financé par les fondationssuivantes : Fondation Field, New York ;
Fondation Ford, New York ; Fondation Anna Freud, New York ; Fondation Grant, New York ;
Succession de Flora Haas, New York ; Fondation du Vieux Dominion, U.S.A. ; Fonds pour la
Recherche et le Développement psychanalytique, New York ; Fondation Taconic, New York.
Le groupe de recherche sur le fantasme, de l'Index de Hampstead se compose des psycha-
nalystes, psychothérapeutesd'enfants et étudiants suivants : Mme L. Neurath, Mme M. Kawe-
noka, Mine H. Kennedy, M. Goldblatt, Pr I. Janis, Mlle S. Baker, Mlle A. Schnurmann, A. Holder,
Mlle E. First, D. Meers, H. Nagera et J. Sandler.
Ce travail a fait l'objet d'un exposé devant la Société psychanalytiqueanglaise, le 6 juin 1962.
Trad. par Mme Massoubre.
474 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

également aux adultes ; cf. A. Reich, 1960.) Provisoirement, on appela


ce mécanisme « compensation par le fantasme », et l'étape suivante fut
tout naturellement de se tourner vers le matériel de fantasmes recueilli
dans l'Index, afin de l'explorer plus à fond. Un petit groupe de recherches
s'organisa et se chargea d'examiner et d'élaborer la classification de
notre matériel indexé de fantasmes, afin de différencier les fantasmes
de différents types et remplissant différentes fonctions.
Jusqu'alors, les fantasmes des jeunes patients se classaient, pour plus
de facilité, en fonction des « thèmes manifestes ». A propos des fantasmes,
le manuel de l'Index donnait lés instructions suivantes pour les thèmes
manifestes :
Seul le texte ou le contenu des fantasmes conscients est indexé, d'après ce
que le thérapeute estime être le thème principal... La carte du thème manifeste
devrait contenir : a) Le contenu (texte) du fantasme ; b) Le contexte dans lequel
il a été compris et interprété (c'est-à-dire la signification latente).
A côté de chaque carte notant un matériel fantasmatique, on en
préparait également une seconde qui indiquait le sujet du thème
latent.
Voici l'exemple d'une carte « fantasme » de l'Index ; comme elle
n'apparaît ici que comme illustration du type de matériel recueilli
sur les cartes, nous n'exposerons pas l'ensemble de son contexte.
Nom : J... Age : 10 Thérapeute : Miss S. Baker
Fantasmes : thème manifeste : Végétarisme
thème latent : Incorporation orale du pénis paternel.
J... dit qu'il était dangereux de manger de la viande parce que, à l'intérieur,
l'animal pourrait se venger et se mettre à manger votre intérieur. Il exprima
des soucis à propos de la santé de la thérapeute et de sa grand-mère paternelle
(qui mangent de la viande). Puis il raconta un fantasme compliqué selon lequel
les animaux morts pourraient se venger contre la famille des mangeurs de
viande. Il s'inquiéta aussi parce qu'on lui avait un jour fait manger du foie à
l'école maternelle. Il estimait que cela ne méritait pas de représailles, puisque
c'était involontaire ; il dit aussi qu'il était permis de manger des choses qui,
vivantes, avaient été inoffensives (rapport hebdomadaire, 2-12-60).
La thérapeute verbalisa le secret entourant les relations du père avec K...,
et le relia à l'anxiété de J... à propos des repas que K... prenait chez eux (et
qu'il savait que toute la famille désapprouvait), ainsi que sa crainte que K...
ne devienne enceinte, ce qu'il savait être tout aussi défendu. Les repas étaient
donc dangereux, au même titre que manger des animaux sauvages qui pour-
raient se venger sur la famille, car, à la suite d'un scandale public, le père
pourrait perdre sa situation et être alors incapable de nourrir convenablement
les enfants (rapport hebdomadaire, 9-12-60).
J... apporta un matériel qui montrait le lien entre son végétarisme et ses
défenses contre le désir de prendre et de manger le pénis du père (rapports
hebdomadaires, 18-3-61, 25-3-61). Quand la thérapeute verbalisa son désir
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 475

de manger de la viande, J... l'admit mais déclara que c'était difficile parce
qu'il vivait dans une famille de végétariens, mais que cependant, il ne tiendrait
pas compte d'une objection de son père à ce qu'il mangeât de la viande (rap-
port hebdomadaire, 31-3-61). Le matériel direct sur le végétarisme fut ensuite
lié au désir masculin de J... de manger de la viande afin d'avoir un grand
pénis, mais pendant une longue période, ce fut précédé des peurs de J... de
manger de la viande, issues de son identification à la mère enceinte.
En plus des thèmes manifestes et latents, la section Fantasmes de
l'Index comprenait une sous-section sous la dénomination générale de
« caractéristiques ». Ici, les cartes indexées ne notaient pas le contenu
des fantasmes, mais des remarques faites par les thérapeutes sur la
fréquence des fantasmes chez l'enfant, la forme sous laquelle ils étaient
habituellement exprimés, leurs fonctions, et tout autre détail jugé
important sur la production fantasmatique.
Le système existant de classification, en thèmes latents et manifestes,
était organisé de manière à rassembler tout le matériel fantasmatique
d'une même sorte. Ainsi les chercheurs qui s'intéressaient par exemple,
aux fantasmes de « sauvetage » ou aux fantasmes sur des animaux,
pouvaient immédiatement trouver le matériel approprié.
On estima que le système existant n'était pas entièrement satis-
faisant, pour un certain nombre de raisons qui peuvent se résumer
ainsi :
1. Souvent, le matériel indexé se rapportait non seulement à des
rêveries exprimées verbalement, mais aussi à d'autres communications
verbales de l'enfant — par exemple, des observations, des événements
racontés (comme lorsqu'un enfant raconte une histoire qu'il a lue
auparavant), des théories sexuelles, d'une sorte ou d'une autre, ainsi
qu'une certaine quantité de matériel transférentiel lié aux spéculations
de l'enfant sur le thérapeute. Avec le système existant de classification,
pratiquement toute communication verbale pouvait être indexée dans
la section fantasmes, si le thérapeute qui indexait le cas, le jugeait
approprié.
2. En outre, il était permis d'enregistrer du matériel qui était non
pas exprimé verbalement, mais communiqué sous la forme d'activités
telles que la dramatisation et la peinture. Cela élargissait l'étendue
possible du matériel fantasmatique manifeste à pratiquement tous les
dérivés de la vie mentale inconsciente de l'enfant. En pratique cepen-
dant, de tels dérivés étaient généralement indexés ailleurs, c'est-à-dire
dans la section « défense » et « situation du traitement et technique »
de l'Index, sauf lorsque le thérapeute désirait éclairer le contenu du
matériel de l'enfant.
476 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

3. Le fantasme, tel qu'il était noté par le thérapeute, contenait


souvent un mélange du matériel réel du patient, et de l'insight psychana-
lytique du thérapeute dans ce matériel. Souvent, il était impossible
d'extraire des données rapportées le contenu de la communication
de l'enfant. En effet, dans un certain nombre de cas, il n'y avait pas
moyen de démêler le matériel de l'enfant des interprétations du
thérapeute.
4. Le matériel fantasmatique enregistré ne différenciait pas claire-
ment les divers éléments qui pouvaient entrer dans le fantasme mani-
feste. Souvent le matériel noté sur les cartes ne permettait pas d'isoler
le rôle des pulsions instinctuelles, des désirs inconscients, des sou-
venirs refoulés, des pensées préconscientes, et en particulier des
fantasmes précoces refoulés qui entrent dans la formation des dérivés
manifestes ; et parfois même, ce travail n'était pas possible avec
les rapports hebdomadaires plus extensifs auxquels les cartes se
rapportaient.
5. La classification des thèmes latents n'était pas du tout systé-
matique, et employait des rubriques telles que : « avortement »,
« bisexualité », « conception accidentelle », « culpabilité autour de la
saleté », « faire et défaire », « masochisme », « sacrifice des parents »,
« équation pénis-fèces », et « traitement ». Pulsions, contenu,
fixations prégénitales, affects et défenses, tout cela trouvait sa
place dans la liste virtuellement sans fin des thèmes latents de
fantasmes.
6. L'indexation des théories sexuelles infantiles semblait présenter
une difficulté particulière. Cette difficulté existait depuis un moment,
et ce groupe n'était placé dans la section Fantasmes que de façon provi-
soire. Cependant la question se posait fréquemment de savoir si une
théorie sexuelle donnée était ou non un fantasme.
Nous ne provoquerons aucune surprise en disant que cet état
de choses donna lieu à une certaine méfiance quant à l'usage du
terme fantasme, et le groupe de recherche se donna comme tâche de
formuler un ensemble plus précis de définitions afin de permettre
une organisation plus précise du matériel de la section Fantasme.
Tel qu'il était utilisé, le terme permettait pratiquement de qualifier
de fantasme, ou de tendance au fantasme, tout dérivé des pulsions
instinctuelles.
La première étape de cette tentative de clarification fut d'entre-
prendre une revue des travaux de Freud sur ce sujet, et le lecteur trou-
vera dans cet article en deuxième partie, un résumé de ses opinions.
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 477

La troisième partie comporte un certain nombre de propositions théo-


riques avancées pour essayer d'étendre les idées de Freud. Enfin, la
quatrième partie présente une discussion des utilisations variées du
terme fantasme.
Afin de faciliter un peu notre tâche, et de minimiser autant que
possible les controverses, nous ne nous occuperons ici ni de la date des
fantasmes, ni de leur contenu spécifique.

II. — LES OPINIONS DE FREUD SUR LE FANTASME

Freud eut beaucoup à dire au sujet du fantasme, et ses idées sur le


sujet suivent un développement progressif à partir de 1895. Cependant
comme pour beaucoup de ses concepts, il a utilisé le terme dans plu-
sieurs sens différents à diverses occasions, et cela nécessite un examen
attentif du contexte dans lequel il apparaît. Il employa le mot « fan-
tasme » à propos de rêveries conscientes aussi bien que pour leurs
analogues inconscients. Parfois aussi, « fantasme » était employé dans
un sens plus général, pour désigner tous les processus mentaux incons-
cients, ainsi que les pensées inconscientes. Il s'est appliqué aux phéno-
mènes normaux aussi bien que pathogènes, et a également servi à
désigner la réalité psychique en contraste avec les faits réels. En plus,
le contenu des délires psychotiques était considéré comme un fantasme.
Cependant, malgré de légères inconséquences dans l'usage du terme,
on voit émerger une théorie claire et cohérente du fantasme conscient
et inconscient (1).
Il faut noter que Freud a amplement développé la théorie du fan-
tasme avant d'introduire la théorie structurale, en 1923, et n'a pas
ensuite essayé de la formuler de façon systématique, en termes de
structure.
Au départ, Freud a élaboré la métapsychologie du fantasme en
liaison avec les rêveries conscientes et nous commencerons notre pré-
sentation par l'examen de ses écrits sur la métapsychologie des rêveries.
Suivra ensuite la description des extensions que Freud a trouvées
nécessaires afin de comprendre la nature et la fonction du fantasme
inconscient.

(1) Un article récent de David BERES (1962) sur Le fantasme inconscient étudie certains des
problèmes posés par l'utilisation du concept de fantasme par Freud. Nous sommes en grande
partie d'accord avec lui et certaines des idées exposées dans cet article sont extrêmement proches
de celles de Beres.
478 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

I. — Métapsychologie de la rêverie
Dans les Études sur l'hystérie (1895 d) (1), Freud et Breuer ont émis
l'idée que la base essentielle de l'hystérie est l'existence d'états hyp-
noïdes et que la rêverie (qui, excessive, pourrait être pathogène), appa-
raissait dans un tel état semi-hypnotique (2). L'expérience d'un trauma-
tisme au cours d'un tel état de dissociation rendait impossible la décharge
de l'affect et un « souvenir pathogène » pouvait s'implanter. A propos
de Mlle Anna O... les auteurs disaient : « Elle embellissait sa vie d'une
manière qui influença probablement de façon décisive son orientation
vers la maladie ; elle se laissait aller à une rêverie systématique qu'elle
décrivait comme son « théâtre privé ». Plus loin encore, les auteurs
parlent de « rêverie nuisible ». »
Plus tard, Freud abandonna l'idée qu'un traumatisme réel, tel
qu'une séduction sexuelle, était l'agent pathogène dans l'hystérie,
et fit porter l'accent sur le contenu et le destin des fantasmes eux-
mêmes.
Le matériel qui suit est présenté sous différentes têtes de chapitre,
sans adhérer à un ordre historique strict.
a) Le fantasme, processus mental distinct des autres. — Dans La
science des rêves (1900 à), Freud dit que, pendant qu'elles ont lieu,
les rêveries ne sont pas confondues avec la réalité. Cependant, dans
Gradiva (1907 a) il signale que dans les délires, les fantasmes l'ont
emporté, c'est-à-dire qu'ils ont obtenu la conviction et ont une influence
sur l'action. Cette qualité de conviction s'attache aussi aux hallucinations
et aux rêves (pendant le rêve).
Les fantasmes ont deux groupes de déterminants : les uns sont
conscients et manifestes pour le sujet. Les autres sont inconscients et
se révèlent par l'analyse. Le fantasme est le résultat d'une lutte et
représente un compromis entre ces deux groupes de déterminants.
Freud distingue entre le fantasme d'une part, et l'instinct et le désir
de l'autre. Le fantasme est un produit de l'imagination qui satisfait
un désir.
Dans Les deux principes (1911 b) Freud parle du fantasme comme
d'une sorte de pensée. Il dit : « Avec l'introduction du principe de réalité,

(1) Les références des écrits de FREUD se rapportent, dans la mesure du possible, à la
Standard Edition.
(2) Cette formulation semble être un compromis entre Breuer et Freud. Plus tard Freud
abandonna la notion de Breuer de rôle central des états hypnoïdes, en faveur d'une conception
plus dynamique du conflit mental, bien 'qu'il ait toujours attribué une grande importance
aux rêveries et à l'état rêveur.
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 479

se détachait une sorte d'activité de pensée, qui demeura indépendante


de l'épreuve de réalité et soumise au seul principe du plaisir. C'est
l'acte de fantasmatisation qui commence déjà dans les jeux infantiles
et qui se transforme ultérieurement en la rêverie, où il cesse de dépendre
d'objets réels. »
Freud exprime à différents autres endroits l'idée que la fantasmati-
sation est un type de pensée (par exemple 1922 b). Dans son Introduc-
tion à Varendonck (1921 b), il montre que la rêverie est une pensée
fantasmatique qui erre librement, et s'oppose à la réflexion, dirigée de
façon intentionnelle, c'est-à-dire une pensée sans fantasme.
Les pensées, qui comprennent les fantasmes, diffèrent des rêves
en ce que, dans ces derniers, seul le sujet concret de la pensée est repré-
senté visuellement, et non pas la relation entre les divers éléments, qui
est la caractéristique spécifique de la pensée. Le fantasme est donc plus
qu'une pensée en images, car il comprend des relations, il est donc,
pour cette raison, en liaison étroite avec le développement verbal.
Depuis Le Moi et le Ça (1923 b) et les écrits suivants, nous savons
également qu'il ne faut pas confondre un contenu mental tel que les
fantasmes avec les aspects du Moi inconscients tels que les mécanismes
de défense.
b) La fonction du fantasme. — Selon Freud, les fantasmes sont la
réalisation des désirs secrets et réprimés, et protègent le Moi de l'anxiété
provoquée par une tension instinctuelle sans décharge. On peut les
comparer à un rêve dans la vie éveillée et le terme « rêverie » est donc
approprié. C'est à cause de l'aspect dans l'ensemble insatisfaisant de la
vie, que nous développons une vie de fantasme où nous compensons
les insuffisances de la réalité par la production de réalisations de désirs.
En 1897, dans une lettre à Fliess, Freud parle des fantasmes comme de
« structures défensives, sublimations et embellissements des faits
(qui)... servent en même temps à une auto-justification ». Dans Le
petit Hans (1909 b) et dans L'homme aux rats (1909 d), il parle à nouveau
de fantasmes défensifs, auto-justificatifs. Dans ses fantasmes sur son
enfance, l'individu essaye de biffer le souvenir de ses activités auto-
érotiques. C'est ainsi qu'il peut fantasmer des séductions et des assauts
à la place des souvenirs de telles activités.
Les fantasmes peuvent être un substitut de jeu. Lorsque le jeu doit
devenir secret, il peut se poursuivre en fantasme. Le fantasme permet
aux souvenirs refoulés de devenir conscients sous un aspect déformé.
Dans les fantasmes qui, accompagnent la satisfaction, l'objet sexuel
s'élève à un degré de perfection qui ne se retrouve pas dans la réalité.
480 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Aussi tard qu'en 1930, dans Malaise dans la civilisation, Freud dit que
la fonction du fantasme est d'aider à rendre quelqu'un indépendant
du monde extérieur par la recherche de satisfaction dans les processus
psychiques internes. Cela donne au Moi le temps de modifier les cir-
constances extérieures afin de parvenir à une décharge instinctuelle.
Ainsi, la fonction du fantasme est de créer une situation qui satis-
fait le désir et qui permet une certaine quantité de décharge instinctuelle
— décharge que ne permettraient pas les circonstances existantes de la
réalité extérieure — et qui, dans l'imagination, corrige et modifie
également cette réalité.
En ce qui regarde la relation entre le fantasme et les activités mastur-
batoires (dans leur sens le plus large), Freud montre (1908 a) qu'à
une certaine époque, l'acte masturbatoire se composait de deux parties.
L'une était l'évocation d'un fantasme, et l'autre une forme de comporte-
ment actif et auto-gratifiant. « Au début, l'action était une procédure
purement auto-érotique destinée à obtenir un plaisir pour une partie
donnée du corps, que l'on pourrait décrire comme érotogène. Plus
tard, cette action se trouva mêlée à une idée de désir de la sphère de
l'amour objectai et servit de réalisation partielle de la situation dans
laquelle culminait le fantasme. »
c) L'époque du fantasme.
— Freud lie assez explicitement l'émergence
du fantasme et le développement du principe de réalité. Avant cela,
tout le fonctionnement mental est orienté vers le plaisir, et la pensée
dirigée vers la réalité n'apparaît qu'avec le principe de réalité. Il dit
ceci dans Les deux principes du fonctionnement mental (1911 b) où il
parle de la fantasmatisation comme d'une sorte d'activité de pensée
qui se scinda à l'introduction du principe de réalité.
Dans Introductionà la psychanalyse (1916-17) Freud décrit très claire-
ment la situation. Par nécessité externe, le Moi doit suivre le principe de
réalité et renonce temporairement ou de façon permanente à divers des
objets et des buts de son désir de plaisir. Ceci est très dur à supporter
et ne peut s'accomplir sans une sorte de compensation. En conséquence,
apparaît une activité mentale — le fantasme — dans laquelle sont auto-
risées ces sources abandonnées de plaisir. Ici, elles sont libérées des
exigences de la réalité et du principe de réalité. Les désirs se transfor-
ment en idées de réalisation. S'attarder, en fantasme, sur une réa-
lisation de désir apporte la satisfaction, bien que demeure claire
la conscience que ce n'est pas la réalité. Grâce au fantasme, l'homme
peut être alternativement un être raisonnable et un animal qui cherche
son plaisir. Freud remarque que le royaume du fantasme est comme une
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 481

réserve, ou un parc naturel qui a été récupéré sur les empiétements du


principe de réalité.
Plus tard, Freud reprit ceci à la lumière de la théorie structurale.
En 1924, dans son article sur La perte de la réalité dans les névroses et
les psychoses (1924 e) il parle d'un monde du fantasme, d'un domaine
qui s'est séparé du monde extérieur au moment de l'introduction du
principe de réalité. Ce domaine, dit-il, est resté depuis lors, libre des
exigences de la vie. Il n'est pas inaccessible au Moi, mais n'y est
rattaché que de façon très lâche. C'est de ce monde du fantasme que la
névrose tire du matériel pour ses nouvelles constructions pleines de
désirs, et elle trouve généralement ce matériel le long du chemin de la
régression vers un passé réel plus satisfaisant. A nouveau, dans Malaise
dans la civilisation (1930 a) Freud parle de l'intention de se rendre
indépendant du monde extérieur en cherchant une satisfaction dans
les processus psychiques internes. En se tournant vers ces processus
internes, la relation avec la réalité se relâche ; la satisfaction s'obtient
à partir d'illusions, reconnues comme telles, sans laisser leur contra-
diction avec la réalité venir troubler le plaisir. La région d'où viennent
ces illusions est le monde de l'imagination. Au moment où se développa
le sens de la réalité, cette région, c'est-à-dire l'imagination, fut expressé-
ment exemptée des exigences de l'épreuve de réalité et fut mise à l'écart
afin de satisfaire les désirs difficiles à réaliser. Le psychotique fait un
pas de plus et applique ces délires (fantasmes) à la réalité.
Il ne fait donc pas de doute que Freud lie l'apparition du fantasme
comme une activité mentale distincte chez l'enfant, au développement
du sens de la réalité. Ceci sépare spécifiquement des phénomènes tels que
la gratification hallucinatoire du nourrisson de ce que Freud appelait le
fantasme. Comme le sens de la réalité constitue un des caractères distinc-
tifs du Moi, il nous paraît évident que la fantasmatisation, telle que
Freud la voyait, doit être considérée comme une fonction du Moi,
et il n'a pas parlé de l'existence possible du fantasme avant l'appa-
rition d'un Moi capable de différencier la réalité des autres formes
d'expérience.
d) Les composantes des fantasmes. — Tout au long de ses écrits
psychanalytiques, Freud s'est soucié de la relation entre les souvenirs
et les fantasmes. En 1897, dans une lettre à Fliess (1887-1902) il définit
les fantasmes comme des façades psychiques élevées afin de barrer
la route aux souvenirs. En même temps, les fantasmes servent à modifier
et purifier les souvenirs. Ils sont construits à partir d'impressions
préalables, qui ne sont employées que par la suite ; ils combinent donc
482 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

les expériences passées, ainsi que des faits entendus à propos d'événe-
ments passés.
Dans La science des rêves (1900 a) Freud montre que les rêveries
partagent avec les rêves une grande partie de leurs propriétés et
pense que leur étude aurait pu constituer une voie d'approche très
courte et excellente à la compréhension des rêves. Comme les rêves,
ils satisfont des désirs ; ils se basent en grande partie sur des impressions
infantiles, et bénéficient dans une certaine mesure d'un relâchement de
la censure. Le désir qui est à l'oeuvre a réarrangé le matériel et lui a
donné une nouvelle forme. Leur relation aux souvenirs d'enfance à
partir desquels ils se forment, est assez semblable à celle de certains
palais baroques de Rome aux ruines anciennes dont les pavements et
les colonnes ont fourni le matériau pour les constructions plus récentes.
Dans Gradiva (1907 a) Freud étudie à nouveau la relation des
fantasmes aux souvenirs. Il les considère comme des dérivés modifiés
et déformés de souvenirs d'enfance, empêchés de se frayer un chemin
jusqu'à la conscience sous une forme non modifiée. Il y a en eux un
élément d' « aujourd'hui ». Freud parle des fantasmes comme du résultat
d'un compromis dans la lutte entre ce qui est refoulé et ce qui domine
dans le présent. Comme résultat de ce compromis, les souvenirs se
transforment en fantasmes.
Cependant les souvenirs d'enfance eux-mêmes montrent l'influence
de cette même lutte qui aboutit aux rêveries. Dans Léonard (1910 c)
Freud insiste sur le fait que, contrairement aux souvenirs conscients
d'une vie plus récente, les souvenirs d'enfance ne se fixent pas au
moment où ils sont vécus, mais ne sont mis en lumière qu'à un âge
plus avancé, alors que l'enfance est déjà passée. Au cours de ce processus,
ils sont modifiés et mis au service de tendances plus tardives, de sorte
qu'habituellement, il n'est pas aisé de les différencier nettement des
fantasmes.
Dans Ecrivains créateurs et rêverie (1908 e) Freud considère que le
moteur du fantasme est un désir insatisfait, et montre que tout fan-
tasme est la satisfaction d'un désir, la correction d'une réalité insatis-
faisante. Les deux principaux groupes intéressés sont ceux des désirs
ambitieux et érotiques. Dans les fantasmes, le lien affectif avec l'objet
réel se trouve diminué quand, en grandissant, l'enfant cesse de jouer,
mais en fait, ce lien est conservé dans le fantasme.
Freud dit ensuite, dans le même article, que les fantasmes ne sont
pas inaltérables, mais s'accommodent aux nouvelles impressions de la
vie du sujet et changent avec chaque changement dans la situation du
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 483

sujet. Ils reçoivent ce qu'on pourrait appeler une estampille datée de


chaque nouvelle impression. Freud montre que le fantasme évolue
entre trois moments dans le temps :
1. Une impression immédiate qui éveille un des principaux désirs
du sujet;
2. Ceci réveille le souvenir d'une expérience ancienne (habituellement
une expérience infantile dans laquelle le désir a été satisfait) ;
3. Le fantasme crée alors une situation située dans le futur, qui repré-
sente l'accomplissement du désir.
Il s'ensuit donc que la rêverie, comme le rêve nocturne, se base sur
des éléments de l'expérience récente, présente, aussi bien que sur les
souvenirs passés refoulés. Il nous faut ajouter à ceci la modification et
l'élaboration de ces souvenirs au cours de rêveries précédentes, mainte-
nant refoulées. Mais nous étudierons le rôle des fantasmes refoulés
dans le chapitre du fantasme inconscient, et il en sera de même pour
une brève discussion des souvenirs et fantasmes primitifs, attribués à
l'héritage phylogénétique.

II. — Les fantasmes inconscients


Jusqu'ici nous n'avons pris en considération que les théories de
Freud sur la métapsychologie des rêveries conscientes. Mais la notion
de fantasmes inconscients est centrale dans la théorie psychanalytique,
et l'élucidation de leur nature et de leur fonction constitue une tâche
difficile.
Dans La science des rêves (1900 a) Freud dit que l'apparition fré-
quente de fantasmes conscients pendant le jour nous fait connaître les
« structures » c'est-à-dire les rêveries ; mais il ajoute que, tout comme il
y a des fantasmes, de cette sorte, de même existent beaucoup de fan-
tasmes inconscients, qui doivent rester inconscients parce qu'ils tirent
leur origine d'un matériel refoulé.
Arrivés à ce point, nous aimerions attirer l'attention sur un point
qui est de la plus grande importance dans les écrits de Freud sur le
fantasme inconscient, et qui nous paraît être à l'origine d'une grande
confusion dans la littérature postfreudienne sur le sujet. C'est simple-
ment ceci : quand Freud parlait de fantasmes inconscients, il avait en
vue deux classes bien distinctes de fantasmes, et il est nécessaire, pour
chacun de ses textes, d'examiner attentivement le contexte dans lequel
ses opinions apparaissent, afin de déterminer laquelle des deux classes
il décrit. Le premier groupe de fantasmes comprend ceux qui viennent
484 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

principalement du refoulement de rêveries conscientes et préconscientes


et qui, à la suite du refoulement, entrent dans le système inconscient.
Ils sont soumis aux lois de fonctionnement qui caractérisent le système
inconscient, soit les processus primaires. La seconde classe de fantasmes
contient ceux qui se forment dans le système préconscient et y restent ;
ils sont donc assujettis à la modification et à l'élaboration selon le pro-
cessus secondaire. Et cependant ces deux groupes de fantasmes sont
non conscients, c'est-à-dire qu'ils sont inconscients dans un sens descriptif.
L'investissement et l'attention de la conscience ne s'y attachent
pas.
Ceci nous met devant un problème de sémantique. Devrions-nous
parler des fantasmes qui appartiennent au système inconscient comme
de fantasmes inconscients, et de tous les fantasmes qui n'ont pas la
caractéristique de la conscience comme de fantasmes inconscients ?
Ou devrions-nous plutôt réserver le terme de fantasmes inconscients
à tous les fantasmes qui se trouvent dans le système inconscient, et
appeler fantasmes préconscients tous les fantasmes restant incons-
cients ? Cette dernière proposition peut paraître préférable à la première,
mais si nous faisons cette distinction,il ne faudrait pas oublier que Freud
a dit très nettement dans son article sur L'inconscient (1915 a) que la
censure peut agir entre le système conscient et le système préconscient,
aussi bien qu'entre les système préconscient et inconscient. Il écrit :
« L'inconscient à la limite du préconscient est repoussé par la censure,
ses rejetons peuvent éviter cette dernière, s'organiser hautement et
prendre dans le préconscient une certaine intensitéd'investissementmais,
une fois ce degré d'intensité dépassé, alors qu'ils veulent s'imposer à la
conscience, ils sont reconnus être des rejetons de l'inconscient et se
trouvent à nouveau refoulés vers la nouvelle limite de la censure, entre
le préconscient et le conscient. C'est ainsi que la première censure
fonctionne contre l'inconscient lui-même, la seconde contre les rejetons
dans le préconscient de ce dernier... Au cours du traitement psychana-
lytique nous avons la preuve indéniable de l'existence d'une seconde
censure, celle qui agit entre les systèmes préconscient et conscient. »
Il s'ensuit que l'on ne peut considérer que les fantasmes préconscients
possèdent la capacité d'entrer dans la conscience sans entrave. Tout
comme ceux qui appartiennent à l'inconscient, les fantasmes précons-
cients peuvent être soumis au refoulement, et peuvent peut-être n'at-
teindre jamais la qualité de conscience. C'est l'existence de problèmes de
cette sorte qui a fourni l'impulsion à formuler plus tard la théorie
structurale.
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 485

Nous prierons donc le lecteur de ne pas perdre de vue que lorsque


Freud parle de fantasmes inconscients, il peut aussi bien envisager
l'un ou l'autre de ces types de fantasmes. Heureusement, il n'est pas
difficile de décider s'il parle d'un groupe ou l'autre, et par la suite,
nous emploierons le terme fantasme inconscient pour désigner les
fantasmes qui appartiennent au système inconscient, et nous préciserons
chaque fois qu'il faut le comprendre en référence au système pré-
conscient.
a) L'origine des fantasmes inconscients. — Freud considère nettement
qu'une des sources, sinon la principale, des fantasmes inconscients
est les rêveries et souvenirs conscients refoulés. C'est ainsi que
dans Gradiva (1907 a) il remarque que le refoulement agit sur les
sentiments, mais nous ne pouvons être conscients de ceux-ci que
dans leur association avec les idées, aussi, si les sentiments ero-
tiques sont refoulés, les souvenirs de l'objet de ces sentiments sont
oubliés.
Dans son travail classique sur Les fantasmes hystériques (1908 a),
Freud remarque que ou bien les fantasmes inconscients se sont formés
dans l'inconscient, ou bien, comme c'est le plus souvent le cas, ce sont
des fantasmes, rêveries, un jour conscients, qui depuis, ont été oubliés
à dessein et sont devenus inconscients par refoulement. Par la suite,
leurs contenus peuvent être restés les mêmes ou avoir subi une altération
de sorte que les fantasmes actuels inconscients sont des dérivés des
fantasmes conscients.
Qu'en est-il de ces modifications inconscientes du contenu du
fantasme ? Dans son travail sur Le refoulement (1915 d), Freud dit que le
refoulement n'empêche pas le représentant des instincts — c'est-à-dire
le fantasme — de continuer à exister dans l'inconscient, de s'organiser,
d'avoir des dérivés et d'établir des connexions. Il continue en disant
que le représentant de l'instinct se développe avec moins d'entraves,
et plus abondamment, si le refoulement l'écarté de l'influence du
conscient (et nous devons ajouter, du préconscient). Il prolifère dans
l'ombre, pour ainsi dire, et prend des formes d'expressions extrêmes,
qui, une fois traduites et présentées aux yeux, non seulement doivent
paraître étranges, mais en plus effrayantes car elles donnent l'image
d'un instinct d'une force extraordinaire et dangereuse. Cette force illu-
soire de l'instinct, dit Freud, est le résultat du développement sans
inhibition du fantasme et de l'accumulation consécutive à une satis-
faction frustrée.
Si nous tenons compte des remarques de Freud dans son article
REV. FR. PSYCHANAL. 32
486 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

sur L'inconscient (1915 e) nous pouvons résumer comme suit les sources
du fantasme inconscient que nous avons étudiées jusqu'ici :
1. Les rêveries et souvenirs refoulés ;
2. Les fantasmes du système inconscient soumis à l'élaboration selon
les lois du processus primaire ;
3. Les dérivés des fantasmes inconscients qui se retrouvent dans les
rêveries où ils ont atteint la conscience, grâce à une nouvelle forme,
et qui sont de nouveau refoulés ;
4. Les dérivés des fantasmes inconscients, élaborés dans le système
préconscient, mais refoulés dans l'inconscient avant d'avoir atteint
la conscience;
5. Nous devons ajouter à ceci la possibilité de fantasmes dits primaires,
sujet auquel nous allons nous arrêter maintenant.
Il y a intérêt à noter, tout comme Freud l'a noté dans son Introduc-
tion à la psychanalyse (1916-17) que les rêveries sont tolérées dans le
conscient et le préconscient aussi longtemps que la somme de libido
qui y est attachée ne dépasse pas un certain niveau quantitatif. Si la
quantité de libido attachée aux rêveries devient trop grande, comme c'est
le cas dans des conditions de frustration, l'investissement des rêveries
devient si intense qu'elles sont poussées à se réaliser ; c'est alors que
survient le conflit, que les fantasmes de la rêverie sont soumis au refou-
lement, et exposés à l'attraction déployée de la part de l'inconscient.
La libido retourne alors aux points de fixation dans l'inconscient, et
il faut trouver un nouveau débouché à la libido amassée, par exemple
l'art. Sinon, des symptômes peuvent apparaître.
Dans l'article sur L'inconscient (1915 e) Freud signale que l'inves-
tissement objectai existe dans les fantasmes refoulés du conscient et que
c'est lui qui est recréé dans le transfert.
Une caractéristique des fantasmes inconscients, très importante
pour la compréhension du fonctionnement mental inconscient est
qu'ils possèdent une réalité psychique au lieu d'une réalité matérielle
(Introduction à la psychanalyse, 1916-17). Alors que le sujet sait que ses
rêveries conscientes ne sont pas réelles, ceci ne s'applique pas aux fan-
tasmes inconscients, traités comme s'ils étaient en fait des événements
réels. C'est ainsi que, dans l'inconscient, les souvenirs refoulés et les
rêveries refoulées ont le même statut.
Tournons-nous maintenant brièvement vers le problème contro-
versé des fantasmes inconscients primaires, c'est-à-dire des fantasmes
qui n'ont jamais été conscients et qui sont phylogénétiques ou hérités.
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 487

La notion que des fantasmes pouvaient être un héritage a été avancée


dans l'Introduction à la psychanalyse (1916-17), et dans l'Histoire d'une
névrose infantile (1918 b), écrite en 1914 et revue en 1918. Freud avait
le sentiment qu'il pouvait être nécessaire de postuler de tels fantasmes
pour rendre compte de l'universalité du matériel qui concerne la séduc-
tion dans l'enfance, la mère phallique, le spectacle de la scène primitive,
le roman familial et la menace de castration, même en l'absence
d'expériences réelles pertinentes. Il doutait cependant lui-même de la
validité de la supposition de fantasmes hérités et attirait l'attention sur
le fait que les enfants peuvent réagir plus tard, dans leurs fantasmes, à
des expériences très précoces qu'ils n'avaient pas comprises à l'époque.
Il présente une explication alternative à l'apparition universelle du
matériel de scène primitive dans l'analyse des névroses. Après avoir
vécu une expérience telle que, par exemple, voir des animaux copuler,
l'enfant construit le désir de voir les relations sexuelles de ses parents,
ce qui amène un fantasme dont il se souviendra plus tard. Il remarque
cependant que tout le problème des fantasmes hérités est loin d'être
clair. Ajoutons que durant les quarante-cinq années suivantes, il ne
s'est pas éclairci.
Nous voudrions revenir rapidement sur la question des fantasmes
qui appartiennent au système inconscient et de ceux qui montrent
l'influence du système préconscient. De la distinction entre ces deux
types de fantasmes, inconscients sur le plan descriptif, dépend la possi-
bilité de traduire de façon adéquate ce que Freud avait à dire à propos
des fantasmes en termes de structure. Il est bien évident que la pensée
logique, telle qu'elle caractérise les idées conscientes, peut influencer
la forme des fantasmes inconscients. Mais on ne peut supposer une
influence de modes de pensée organisés et formés qu'avant et en dehors
du système inconscient, soit dans la constructionde rêveries conscientes,
soit dans la formation de dérivés préconscients qui n'ont pas réussi à
atteindre la conscience.
Dans Les deux principes (1911 b) Freud fait une remarque cruciale
à ce sujet quand il dit : « Dans le royaume du fantasme, le refoulement
reste tout-puissant ; il provoque l'inhibition des idées in statu nascendi
avant que la conscience puisse les noter, si leur investissement est
susceptible d'occasionner un déclenchement du déplaisir. » A nouveau,
dans son introduction au livre de Varendonck sur Les rêveries (1921 b), il
parle du fait qu'une pensée, même strictement dirigée, peut apparaître
sans la coopération de la conscience, c'est-à-dire, préconsciemment.
b) Le rôle et le destin des fantasmes inconscients. — Les fantasmes
488 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

inconscients, et en particulier les rêveries refoulées, jouent un rôle


important dans la détermination de la forme et du contenu des rêveries
ultérieures, qui sont alors de nouveaux dérivés, mais ils occupent aussi
une place cruciale dans la formation des symptômes névrotiques et de
certains symptômes psychotiques et dans la détermination du contenu
des rêves. Ils entrent en fait dans tous les dérivés de la vie mentale
inconsciente qui peuvent s'exprimer dans la conscience ou la motilité.
Il y a intérêt à traiter du matériel de cette section sous différentes
rubriques. Ici, le terme « fantasme » signifiera fantasme inconscient
du système inconscient, à moins qu'il n'en soit spécifié autrement.
c) Fantasmes et pathologie. — Il faut rappeler que dans les Études
sur l'hystérie (1895 d), Freud attribue une grande importance à l'état
de rêverie, élément qui prédispose à la maladie hystérique. Plus tard,
dans les Lettres à Fliess (1887-1902), en 1897, il insiste encore sur l'im-
portance des rêveries comme bases des symptômes hystériques.
Dans une de ses lettres Freud remarque que les structures mentales
plus élevées qui constituent les fantasmes donnent lieu, lorsqu'elles
sont refoulées en même temps que les pulsions perverses associées, à la
détermination la plus élevée des symptômes qui découlent des souvenirs,
et à de nouveaux motifs de se cramponner à la maladie. Il dit aussi
que les fictions défensives de la paranoïa sont des fantasmes qui par-
viennent à la surface sous une forme déformée, imposée par un
compromis.
Dans La science des rêves (1900 a) Freud dit que le fantasme d'une
femme hystérique d'être séduite par un docteur est l'apparition d'un
fantasme dans la réalité. Dans le même ouvrage, il dit que les symptômes
hystériques se rattachent en premier lieu aux fantasmes, et que le
précurseur de l'attaque hystérique est un fantasme de rêverie refoulé.
Il parle aussi des fantasmes liés aux phobies et aux autres symptômes.
Dans Les fantasmes hystériques (1908 a), Freud parle des fantasmes
inconscients qui s'expriment dans les symptômes et les attaques. Les
fantasmes inconscients peuvent être les mêmes et dans la paranoïa
et dans l'hystérie. Dans la paranoïa ils deviennent conscients et le sujet
y croit; dans l'hystérie ils deviennent conscients par le canal des
attaques et des accès. Dans le même article, Freud parle des fantasmes
conflictuels, hétéro- et homosexuels, qui se retrouvent derrière les
attaques hystériques. L'année suivante (1909 a) dans l'article sur Les
attaques hystériques;, il dit de façon plus explicite que l'attaque est le
résultat de fantasmes traduits dans la sphère motrice, projetés sur la
motilité et représentés dans la pantomime. Il avait en fait déjà écrit
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 489

dans une lettre à Fliess, que le vomissement hystérique pouvait être la


conséquence d'un fantasme qui satisfait le désir d'avoir un enfant en
même temps que celui de cesser d'être attirante. Dans Gradiva (1907 a),
il discute de la relation des fantasmes aux délires, et dans L'homme aux
rats (1909 d) aux symptômes obsessionnels.
Dans son article sur La perte de la réalité dans la névrose et la psy-
chose (1924 e), Freud dit que la névrose tire le matériel de nouvelles
constructions de ses désirs, du monde du fantasme, et trouve générale-
ment ce matériel le long du chemin de la régression vers un passé réel
plus satisfaisant. Dans la psychose, le monde intérieur prend la place
de la réalité, tandis que dans la névrose, au contraire, nous le trouvons
attaché à un morceau de réalité qui a une signification symbolique.
Et la réalité et le fantasme jouent un rôle dans la formation d'une
névrose. Si ce que la réalité présente est trop proche de ce que les rêve-
ries désirent, le névrosé la fuit. Au contraire, un sujet s'adonne d'autant
plus facilement aux fantasmes de la rêverie qu'il n'y a pas de danger
de les voir réalisés (Un cas d'hystérie, 1905 e) (1).
Finalement, tout comme dans le rêve, ainsi que nous allons le
voir maintenant, la relation entre un fantasme et son expression comme
symptôme est semblable à celle qui existe entre la pensée latente du
rêve et son contenu manifeste.
Jusqu'ici nous avons parlé du destin des fantasmes inconscients
comme s'ils pouvaient mener une vie propre. Ceci peut induire en
erreur à moins de ne pas oublier que la motivation qui se cache derrière
le fantasme est la pulsion instinctuelle qui l'a investie et qu'il a tenté de
satisfaire. Freud disait nettement que le degré de résistance à un fan-
tasme inconscient est fonction du degré d'investissement instinctuel.
d) Fantasmes et rêves. — Jusqu'ici, nous avons vu que Freud parle
de fantasmes du système inconscient qui tirent principalement leur
origine de rêveries conscientes expérimentées antérieurement. Nous
savons également, toujours d'après Freud, que la rêverie consciente
(et nous pouvons ajouter préconsciente) représente, tout comme le
rêve nocturne, un essai de fabriquer une situation qui satisfasse un
désir ou un besoin. L'étude du rôle des divers types de fantasmes
dans la formation du rêve a clairement montré que le fantasme incons-

(1) Ceci nous donne un aperçu sur une distinction possible entre les processus qui caracté-
risent les personnes normales et névrosées. La personne normale peut traduire son fantasme en
action dans des circonstances propices, c'est-à-dire quand elle a l'occasion de satisfaire dans la
réalité extérieure sa rêverie et les désirs contenus dans celle-ci. Placé devant la même occasion
de gratifier ses désirs dans la réalité, le névrosé au contraire, peut réagir par la fuite accompagnée
du refoulement du fantasme auparavant toléré.
490 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

cient — pour autant qu'il existe dans le système inconscient — se


présente non comme la réalisation d'un désir, ainsi qu'il le faisait
originellement dans la rêverie, mais comme un désir insatisfait qui a pris
une forme particulière imposée par la rêverie, lorsqu'il était conscient.
La création de la rêverie qui réalise un désir, se trouve transformée,
une fois refoulée, en un désir qui augmente en proportion de la pulsion
instinctuelle investie. Ceci nous conduit à la conclusion, implicite dans
les travaux de Freud sur le fantasme inconscient, que le fantasme
inconscient est fondamentalement un désir inconscient élaboré et
insatisfait.
Les rêves sont pour Freud la voie royale de l'inconscient, et les
fantasmes inconscients refoulés se montrent clairement dans l'analyse.
d'un rêve nocturne. Dans La science des rêves (1900 a) Freud dit que
certains rêves sont purement la répétition d'un fantasme diurne cons-
cient ou préconscient. Plus souvent cependant, le fantasme tout fait
ne forme qu'une partie du rêve. Le fantasme y est, en général, traité
comme toute autre partie du matériel latent mais peut souvent rester
reconnaissable comme un tout.
Comme toutes les autres composantes du rêve, divers fantasmes
peuvent être comprimés et condensés, superposés, etc. Nous pouvons
donc avoir toute la série avec, à une extrémité, le cas où les fantasmes
constituent le contenu manifeste complet du rêve, et à l'autre extrémité,
le cas où ils ne sont représentés dans le rêve que par un de leurs éléments
ou une allusion distante. Le destin des fantasmes présents dans les
pensées du rêve est déterminé par les avantages qu'ils offrent par rapport
aux exigences de la censure et de la révision secondaire, et par leurs
possibilités de condensation. Moins le dérivé du fantasme ressemble
au contenu mental originel associé à la pulsion, plus il a de chance
de parvenir à la conscience.
Freud a proposé une explication au rêve d'être guillotiné que fit
Maury lorsqu'un morceau de bois tomba sur son cou. Il considère
qu'un fantasme inconscient a servi à la création d'un rêve apparemment
long. Le fantasme est ici retrouvé sous la forme d'un rêve. Freud
emploie cet exemple pour expliquer la rapidité apparente des processus
mentaux dans le rêve. En outre, il n'est plus nécessaire de construire
une façade au rêve (par l'élaboration secondaire) si un fantasme tout
prêt est à la disposition du rêveur.
Les représentations symboliques des rêves sont l'expression de
certains fantasmes inconscients qui dérivent probablement des pul-
sions sexuelles qui trouvent à s'exprimer non seulement dans le rêve
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 491

mais aussi dans les phobies hystériques et dans d'autres symptômes.


Il est intéressant de noter qu'en 1925 encore (Notes additives à la
science des rêves, 1925 i) Freud décrivait le rêve comme une partie de
fantasme, à l'oeuvre pour maintenir le sommeil.
e) Fantasmes et créativité. — Quand les instincts surinvestissent les
fantasmes, l'issue n'est pas nécessairement la formation de symptômes.
Dans son article sur Les écrivains créateurs (1908 e) Freud parle de la
possibilité qu'ont les fantasmes de s'exprimer dans des histoires.
Celles-ci ressemblent aux rêveries, mais il existe aussi des productions
créatrices dans lesquelles on reconnaît l'écrivain en tant que soi. Dans
son article sur Les droits de la psychanalyse à l'intérêt scientifique (1913 j),
il dit que l'artiste représente comme satisfaits ses fantasmes pleins de
désirs mais cela ne devient une oeuvre d'art que lorsque ces fantasmes
ont subi une transformation qui modifie leurs éléments offensifs et
cache leur origine personnelle. Dans l'Introduction à la psychana-
lyse (1916-17), Freud montre que le fantasme peut trouver une issue
dans la réalité par le canal de l'art. Ce qui explique, dit-il, pourquoi
l'artiste n'a pas un grand pas à faire pour devenir un névrosé. Dans
son travail, il exprime un flot de plaisir qui ajuste temporairement les
choses pour lui. A nouveau, dans Malaise dans la civilisation (1930 a)
Freud explique que, à la tête de toutes les satisfactions par le fantasme,
se situe le plaisir par les oeuvres d'art.
Déjà, dans La science des rêves (1900 a) Freud suggère que ce qui
est neuf et essentiel dans les créations d'hommes tels que Goethe vient
sans préméditation et presque comme un ensemble tout prêt. Freud
songe sans doute ici au résultat de l'activité mentale du préconscient.
En ce qui concerne la valeur du fantasme pour l'adaptation à la
réalité, sujet élaboré par la suite par Hartmann et autres, Freud montre
dans les Cinq leçons sur la psychanalyse (1910 a) que l'homme heureux est
celui qui réussit à tourner ses fantasmes vers la réalité. S'il échoue,
il peut se retourner vers le fantasme dont le contenu se transforme en
symptômes s'il tombe malade. Ou bien, il peut trouver un autre chemin
qui conduit des fantasmes à la réalité, c'est-à-dire les dons artistiques.
S'il ne peut trouver un tel moyen, la libido reste à la source des fantasmes,
suit le chemin de la régression, revit les désirs infantiles et finit en
névrose. Celle-ci, dit Freud, remplace les monastères qui servaient de
refuge à tous ceux que la vie avait désappointés.
f) Autres dérivés du fantasme. — Tout comme le contenu idéationnel
des désirs instinctuels insatisfaits, les fantasmes inconscients trouvent
lechemin de la conscience par de multiples moyens. La rêverie cons-
492 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

ciente n'en est qu'un, et nous avons mentionné quelques autres ;


il y en a encore beaucoup plus. Freud a, par exemple, montré comment
les souvenirs retrouvés cachent des fantasmes inconscients refoulés.
De même, il a décrit le passage à l'acte et la reviviscence de relations
d'objet dans le transfert comme des dérivés de fantasmes refoulés.
Les plaisanteries et l'humour permettent une décharge des fantasmes
instinctuels défendus et il en est de même du jeu, des dramatisations et
des créations artistiques de nos jeunes patients. (A propos de jeu, il
faut noter que l'on peut déduire des écrits de Freud une distinction
entre deux sortes de jeux. La première est le jeu précoce de l'enfance
d'où, peuvent dériver des fantasmes. On peut en un certain sens, consi-
dérer les fantasmes comme un jeu intériorisé. Le second type de jeu,
plus tardif, est celui où s'expriment les désirs inconscients, sous une
forme censurée et symbolique.)

Pour conclure ce second chapitre, nous pourrions résumer les


données principales qui ressortent de. cette étude des écrits de Freud
sur le fantasme :
1. Le fantasme conscient, ou rêverie, survient en réaction à une
réalité extérieure frustrante. Il implique la création d'une situation
imaginaire qui satisfait un désir et apporte ainsi une diminution tempo-
raire de la tension instinctuelle. L'épreuve de réalité est tenue à l'écart
quoique le Moi reste conscient de ce que la construction imaginaire
n'est pas la réalité, sans que cette connaissance interfère avec la grati-
fication ainsi obtenue.
Le fantasme conscient diffère de la satisfaction hallucinatoire du
désir en ce que normalement, le sujet ne confond pas la rêverie avec la
réalité, tandis qu'il ne peut distinguer la gratification hallucinatoire de
la réalité.
2. On peut diviser les fantasmes décrits comme inconscients en deux
grandes classes : tout d'abord, ceux qui se forment dans le système
préconscient, et qui peuvent se comparer à la formation des rêveries
conscientes, si ce n'est qu'ils ne possèdent pas la qualité de conscience ;
et deuxièmement, ceux qui sont relégués dans le système inconscient
par le refoulement. Nous devons ajouter aux rêveries refoulées du sys-
tème inconscient les très nombreux dérivés des fantasmes et des souve-
nirs, formés selon les lois du processus primaire, ainsi que les dérivés
qui ont atteint les systèmes préconscient et conscient, ont été soumis à
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 493

l'élaboration secondaire, et ensuite refoulés. Pour être complets, nous


pouvons ajouter les hypothétiques fantasmes primaires ou hérités.
3. Une fois qu'un fantasme conscient ou préconscient a été refoulé
dans le système inconscient, il fonctionne exactement comme un souve-
nir de satisfaction instinctuelle et peut fournir le contenu idéationnel des
pulsions instinctuelles. Les fantasmes dans le système inconscient
— peut-être pourrions-nous dire les vrais fantasmes inconscients —
ne sont pas des satisfactions de désir, mais le contenu idéationnel des
désirs instinctuels. Ils ne méritent le nom de fantasme que dans la mesure
où ils dérivent de fantasmes conscients ou préconscients. Les fantasmes
du système inconscient et ceux du système préconscient et conscient
peuvent se ressembler par leur contenu idéationnel. Ils peuvent s'oppo-
ser par leur sens descriptif, dynamique et topographique.
4. Les fantasmes inconscients peuvent trouver à s'exprimer dans de
nouvelles rêveries conscientes ou préconscientes ; mais ils peuvent
aussi trouver un grand nombre d'autres moyens d'expression et de
gratification, dont aucun ne mérite nécessairement la qualification
de « fantasme ».

III. — QUELQUES EXTENSIONS DES IDÉES DE FREUD SUR LE FANTASME


1. Il semble découler de tout ce qui a été dit jusqu'ici que le terme
« fantasme inconscient » peut avoir plus d'une interprétation dans les
écrits de Freud et que son utilisation sans précision peut mener à
quelque confusion. Freud lui-même n'a pas toujours spécifié dans
quel sens il employait ce terme, bien que cela puisse généralement se
déduire du contexte dans lequel apparaît l'expression.
Le fantasme inconscient (au sens descriptif, c'est-à-dire non
conscient) inclut le fantasme du système inconscient aussi bien que
celui du système préconscient et il semble y avoir une distinction
théorique nette entre les deux types.
Nous avons vu que c'est le fonctionnement par processus primaire
plutôt que par processus secondaire qui domine dans le fantasme de
l'inconscient (le terme « fantasme inconscient » est souvent employé
pour ne désigner que ce type). En outre, ce type de fantasme ne constitue
pas une satisfaction de désir, mais fournit plutôt le contenu idéationnel
de désirs insatisfaits — une expérience désirée mais non obtenue. Dans
l'inconscient, le fantasme fonctionne comme un souvenir d'une expé-
rience gratifiante réelle qui, une fois investie ou ré-investie par les
pulsions, fournit le contenu du désir dans l'inconscient.
494 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Le fantasme préconscient (au sens descriptif, ceci également est


une forme de fantasme inconscient) peut constituer une tentative pour
satisfaire un désir, exactement de la même façon que les rêveries
conscientes. (Parfois de tels fantasmes peuvent être refoulés avant qu'ils
aient pu atteindre la conscience, et leur contenu s'ajoute au contenu
de l'inconscient) (1915 a).
Dans le système préconscient nous pouvons distinguer :
a) Le fantasme préconscient en tant que réalisation d'un désir, le
fantasme préconscient propre ;
b) Le fantasme préconscient en tant que contenu d'un désir précons-
cient insatisfait. Dans ce cas, le désir préconscient est un désir
dérivé d'un désir insatisfait de l'inconscient et va chercher une
forme de décharge. Une des formes par lesquelles il peut obtenir
satisfaction est un fantasme préconscient ou conscient.
Un exemple clinique peut rendre ceci un peu plus clair.
Un patient, au cours de ses associations, apporte une rêverie : il
est séduit par une actrice. Il reçoit l'interprétation que c'est la réalisation
d'un désir d'être séduit par l'analyste. Cette interprétation est la recons-
truction d'un désir préconscient (mais inconscient d'un point de vue
descriptif) formé au cours de l'analyse et qui avait été tenu à l'écart.
Lorsqu'il s'était rapproché de la conscience, il n'avait pu aller plus
loin, et n'avait pu trouver une expression et une satisfaction qu'au
moyen d'un dérivé supplémentaire (la rêverie apportée dans le matériel).
Mais le désir transférentiel préconscient n'était cependant lui-même
qu'un dérivé d'un désir dans l'inconscient d'être séduit par la mère.
Ce dernier désir rencontrait naturellement plus de résistance que le
désir transférentiel préconscient qui en dérivait. Le contenu du désir
inconscient (le fantasme inconscient) dérivait à son tour d'un fantasme
infantile, une rêverie oedipienne satisfaisant un désir, et créée comme
réalisation du désir d'avoir des relations sexuelles actives avec la mère.
Ceci fut soumis au refoulement au moment de la résolution du complexe
d'OEdipe. Lors du refoulement la rêverie oedipienne satisfaisante se
transforma et devint le contenu du désir insatisfait d'être séduit par la
mère qui chercha une satisfaction sous la pression des pulsions instinc-
tuelles qui l'investissaient et qu'il avait autrefois satisfaites par la
rêverie infantile.
Ceci peut se résumer comme suit :
a) De nombreux précurseurs qui conduisent à
b) Un désir oedipien d'avoir des relations sexuelles avec la mère ;
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 495

c) Ce désir est satisfait par la rêverie (préconsciente ou consciente)


d'être séduit par la mère ;
d) Le contenu du fantasme (préconscient ou conscient) est soumis au
refoulement ;
e) Le contenu du fantasme devient alors le contenu d'un désir dé
l'inconscient ;
f) Quand il est réactivé dans le transfert, ce désir inconscient se
transforme en un désir préconscient d'être séduit par l'analyste ;
g) Ce désir (sans doute) préconscient se manifeste dans un fantasme
préconscient d'être séduit par l'analyste ;
h) Comme le fantasme préconscient ne peut être accepté, il est lui-
même mis à l'écart et le désir est finalement satisfait par la création
d'une rêverie consciente d'être séduit par une actrice.
Cet exemple est naturellement très condensé et schématique.
2. Les idées présentées jusqu'ici sont incomplètes en ce sens que les
opinions de Freud sur la question datent généralement d'avant la
théorie structurale, et on retrouve donc dans leur présentation les diffi-
cultés que cette théorie avait pour tâche de résoudre. Freud n'est pas
revenu sur l'ensemble du sujet des fantasmes après avoir élaboré la
théorie structurale (1923 b), et il reste un grand nombre de lacunes à
combler dans ses écrits.
A un certain point de vue, cette tâche n'est pas très difficile, car
Freud a fait un grand nombre d'additions à la théorie des rêves dans
ses derniers écrits, et l'on peut les étendre aux fantasmes. En parti-
culier, il a ramené à la théorie de la satisfaction d'un désir les rêves
d'angoisse et les rêves de châtiment — rêves qu'au départ il considérait
comme des exceptions à la théorie (1).
Il est bien connu qu'il existe des fantasmes d'angoisse et de châti-
ment qui ressemblent par leur contenu aux rêves d'angoisse et de châti-
ment. Dans les quelques remarques qui suivent, nous avons ajouté
entre parenthèses le mot fantasme lorsque c'est le mot rêve qui apparaît
dans les descriptions de Freud, et on verra que les définitions s'adaptent
aussi bien aux fantasmes qu'aux rêves.
Fantasmes d'angoisse. — Freud a montré que l'agent de censure
(le Moi) peut être pris par surprise quand le contenu du rêve (fantasme)
est si abominable qu'il n'avait pas été anticipé. Quand de tels rêves
(fantasmes) affrontent la censure, le Moi ressent de l'angoisse. Celle-ci

(1) Il en est de même pour les fantasmes parallèles aux rêves dits « hypocrites » (1900 a)
et qui montrent la satisfaction de tendances masochistes.
496 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

indique l'échec de la censure à contrôler ou déformer les contenus de


rêves (fantasmes) (1917 d, 1925 i). Dans ses Nouvelles leçons d'intro-
duction (1933 a) Freud a modifié son idée que le rêve est la satisfaction
d'un désir en ce sens : « Le rêve est une tentative de satisfaire un désir »,
ce qui est certainement vrai pour les fantasmes également.
Fantasmes de châtiment. — Freud dit (1933 a) que même les rêves
(fantasmes) de châtiment sont la satisfaction d'un désir « mais ils ne
satisfont pas les désirs de pulsions instinctuelles, mais bien ceux des
fonctions de critique, de censure et de châtiment de l'esprit ». Dans
une note ajoutée en 1930 à La science des rêves (1900 a), à propos des
rêves de châtiment (et nous pouvons l'extrapoler aux fantasmes), il
dit : « Comme la psychanalyse a divisé la personnalité en un Moi et
un Surmoi... il est aisé de reconnaître en eux... la satisfaction des désirs
du Surmoi. »
3. Avec la transmutation du système préconscient-conscient en
concept structural de Moi, le terme « inconscient » a été utilisé en un
sens plus descriptif. Ce changement a apporté un certain déplace-
ment de perspective. Le point de vue topographique comportait cette
conception que les systèmes préconscient et conscient occupaient une
place relativement superficielle dans l'appareil mental. Maintenant,
cependant, on considère que certains domaines du Moi sont profondé-
ment inconscients. Ces parties inconscientes du Moi ne coïncident
pas avec le refoulé, mais représentent les aspects de ses fonctions,
structure et opérations qui, tout comme le Ça et certaines parties du
Surmoi, sont tenues à l'écart de l' « organe des sens » que constitue
la conscience.
Il semblerait qu'il découle de ceci que les fantasmes inconscients
peuvent être bien organisés et structurés, en vertu des activités du Moi
inconscient, et qu'ils peuvent avoir part aux propriétés de la rêverie
consciente, à l'exception de la qualité de conscience.
Néanmoins, avant d'accepter cette proposition, il y aurait intérêt
à étudier sa signification par rapport aux diverses significations que le
terme « fantasmes » peut assumer dans le contexte présent. Particulière-
ment importante à ce point de vue est la différenciation entre le « fan-
tasme » représentation d'un contenu sensori-moteur particulier, et le
« fantasme », fonction mentale (le fait de fantasmer) ; distinction souvent
oubliée dans les discussions sur ce sujet.
La fonction de fantasmatisation. — Freud considérait ce processus
mental comme un effort pour obtenir la réalisation d'un désir non
satisfait, grâce à la création d'une situation satisfaisante imaginée qui
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 497

représentait le désir comme satisfait (habituellement sous une forme


déguisée). La réalité frustrante est connue, mais provisoirement mise de
côté. Du point de vue structural, on peut sans difficulté considérer ce
processus, qui comporte la connaissance de ce qui est « réel » et de ce qui
est « irréel » comme une fonction du Moi. Il constitue une technique
par laquelle le Moi évite momentanément le déplaisir ou la déception
en tenant la réalité à merci. Le fait de fantasmer peut représenter un
compromis entre les désirs instinctuels et les exigences du Surmoi
et en général, il se prête bien à un usage défensif.
Étant donné que l'on peut considérer comme une fonction du
Moi la fantasmatisation prise dans ce sens, elle utilise des processus
secondaires (aussi bien que primaires) et peut, en tant qu'activité,
atteindre un haut degré d'organisation. C'est une forme de pensée,
qui peut se différencier de la pensée orientée en ce sens qu'elle comporte
une mise à l'écart de la réalité frustrante, bien qu'elle puisse se mettre
au service de la réalité (comme dans la création de solutions d'essais,
fantasmatiques, aux problèmes ; fantasmes qui, plus tard, peuvent se
réaliser par une manipulation de la réalité).
La fantasmatisation implique un travail de fantasme qui est très
proche du travail du rêve, bien que l'influence du processus secondaire
soit plus évidente dans la première. Le travail de fantasme du Moi
comprend beaucoup de ce qui, dans le rêve, constitue l'élaboration
secondaire ou révision. Tout comme dans le processus du rêve, le
travail de fantasme utilise des contenus mentaux refoulés et non refoulés
(souvenirs récents, perceptions, contenu de fantasmes anciens et
d'autres dérivés, etc.), et il emploie souvent des éléments de la connais-
sance de la réalité pour élaborer le fantasme (on pourrait considérer
que ceci correspond à l'usage des résidus diurnes dans la formation
du rêve).
Le résultat de ce processus — le contenu du fantasme — peut être
conscient ou inconscient (1) (d'un point de vue descriptif).
Le fantasme comme contenu. — Les produits de la fonction de fan-
tasmatisation du Moi représentent des fantasmes organisés, structurés
et souvent hautement symboliques. Leur forme leur est imposée par
l'organisation du Moi et par les exigences de la censure.
Le contenu du fantasme produit ainsi peut être l'objet d'un inves-

(1) Il serait légitime ici d'ajouter « préconscient » pour désigner le contenu inconscient qui
n'est pas refoulé mais momentanément latent ; cependant, d'un point de vue descriptif, même
les contenus momentanément latents sont inconscients. Il existe certains degrés de conscience
ou d'inconscience, et nous n'en possédons pas de nomenclature satisfaisante.
498 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

tissement, d'attention, et être perçu comme une rêverie consciente;


il peut rester en dehors de la conscience, mais n'être latent que tempo-
rairement, avec la possibilité d'être ramené inchangé dans la conscience,
où il peut provoquer un signal d'alarme, même après qu'il a été formé,
et être refoulé. Ce refoulement impliquerait : 1) Le retrait de tout
investissement qui avait pu être dirigé vers lui, ou qui était en train
de se diriger vers lui ; 2) La construction de contre-investissements
dirigés contre le contenu, sous cette forme particulière. Le refoulement
du contenu du fantasme peut donc se produire sans même qu'il ait été
conscient.
Les motifs d'un tel refoulement sont nombreux. Nous pouvons
inclure des facteurs tels que l'accroissement des investissements instinc-
tuels attachés au contenu, l'augmentation de la qualité dangereuse du
contenu quand la réalité tend à y correspondre, la tendance du contenu
à trouver un moyen d'expression dans la motilité, etc.
Une fois refoulé, le contenu du fantasme devient un contenu de
désir en puissance. Il s'ajoute au conglomérat de contenus refoulés
qui, par une grande variété de moyens, sont devenus associés à la pulsion
instinctuelle en question. L'investissement de la pulsion peut alors se
déplacer d'un contenu à un autre, les contenus peuventse condenser, etc.,
bref, ils sont soumis au processus primaire. Si l'investissement de la
pulsion ne se retire pas d'un contenu refoulé, ou s'il se retire et s'applique
à nouveau, il sera poussé vers la conscience ou la motilité, mais ne pourra
se décharger que sous la forme d'un nouveau dérivé.
Nous en venons maintenant à un point important. Quand un
fantasme devient ainsi une partie du contenu refoulé investi par le
Ça (1) (une meilleure formule pourrait être : représentation du Ça),
il prend sa place à côté d'autres contenus mentaux refoulés qui ne
viennent pas nécessairement de fantasmes. De tels contenus comprennent
des souvenirs de toute sorte ; des contenus imaginaires non fantas-
matiques tels que des pensées orientées vers la réalité ; des représenta-
tions de mots (des mots en tant que « choses ») et en fait, des images
sensori-motrices de toutes les variétés possibles (2). En général, toute

(1) L'expression « contenu investi par le Ça » peut paraître maladroite, mais est utilisée ici
à la place de « contenu du Ça » car le contenu refoulé, au sens où nous l'employons ici, ne fait
pas partie du Ça. Le contenu investi par le Ça se réfère aux représentations mentales qui ont
été investies uniquement par les énergies instirictuelles, à la suite d'une réactivation de traces
de souvenirs. Si ce contenu investi par le Ça reçoit également, à côté de l'investissementpar le
Ça, un investissementpar le Moi, on en parlera comme de « contenu modifié par le Moi ».
(2) Nous nous proposons de ne pas discuter la question des contenus affectifs, car ce sujet
compliqué mérite une étude séparée. Cependant, si le lecteur accepte la notion d'affects refoulés,
il peut alors les classer ici.
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 499

expérience qui laisse une trace dans la mémoire peut constituer le


contenu d'un désir lorsque cette trace se trouve réinvestie par les pul-
sions du Ça. En outre, si la voie de la décharge directe de ce contenu à
travers le Moi se trouve coupée, il possédera une « réalité psychique »
puisque c'est une fonction du Moi d'appeler « irréel » un contenu.
Toute élaboration inconsciente de ces contenus, dans la mesure où cela
concerne le Ça, suivra le processus primaire.
Ici surgit apparemment un paradoxe. Il est évident, en particulier
d'après la théorie des rêves (1900 a) que le contenu d'un fantasme peut
conserver un haut degré d'organisation et de cohérence, même après
que le fantasme a été refoulé. Cependant le Ça, par définition, est inor-
ganisé et incapable d'organiser le contenu mental investi par les pulsions
instinctuelles (excepté au moyen du processus primaire). C'est au Moi
qu'il appartient d'organiser le contenu selon le processus secondaire.
Il semble donc qu'il faille distinguer d'une part la capacité du Moi
d'organiser le contenu mental (comme il le fait dans la perception, la
mémoire organisée, la pensée orientée vers la réalité, ainsi que dans le
fantasme) et d'autre part, Informe organisée imposée au contenu mental,
résultat du travail du Moi. Une fois qu'il a été formé par le Moi, le
contenu du fantasme qui devient un contenu investi par le Ça (contenu
d'un désir) peut garder tout ou partie des qualités qui lui avaient été
imposées. Ceci est manifestement vrai également pour les souvenirs
refoulés, car un souvenir vient d'une perception (consciente ou incons-
ciente) fonction du Moi qui produit dans la perception un contenu
mental très organisé. (Nous parlons ici de l'état de choses qui existe
après que le Moi a atteint un degré suffisant de développement car il
faut excepter les impressions non organisées enregistrées avant les
débuts du Moi, dans ce qu'on appelle l'état indifférencié; en effet,
l'organisation du contenu mental est, par définition, une des fonctions
que nous appelons le « Moi ».)
4. Jusqu'ici nous n'avons pas abordé le problème de l'époque où
apparaît le fantasme. Il était sous-entendu tout au long de la discussion
que les processus décrits surviennent chez un enfant ou un adulte qui a
développé un Moi capable de différencier les produits de l'imagination
et les perceptions réelles. Avant que le principe de réalité ne soit actif,
on peut supposer que l'enfant peut obtenir une gratification partielle et
temporaire par le processus de la satisfaction hallucinatoire du désir. Ceci
implique que les expériences qui, précédemment, avaient été associées
à une réduction de la tension instinctuelle, sont perçues (ou mieux
vaudrait dire, sont ressenties) comme si elles survenaient de l'extrémité
500 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

sensorielle de l'appareil psychique primitif. D'après la description de


Freud, la gratification hallucinatoire est distincte du fantasme, activité
du Moi qui survient après que se sont développés un certain type
d'épreuve de la réalité et la capacité d'imaginer (distincte de la percep-
tion). Il semble cependant clair que la gratification hallucinatoire est le
précurseur de base de la fantasmatisation plus tardive. La différence
entre les deux reflète la différence entre les processus primaire et
secondaire.

IV. — ASPECTS DE L'UTILISATION DU TERME « FANTASME »

Nous avons essayé dans cet article de décrire le concept de fan-


tasme tel que nous l'avons compris d'après le travail de Freud, et de
l'intégrer dans la mesure du possible, à la théorie structurale. Cette
tentative est issue de la nécessité de classifier et de ranger par catégories
le fnatériel fantasmatique de l'Index de Hampstead, travail au cours
duquel nous avons fait largement appel au point de vue structural.
Le matériel présenté ici constitue également un effort en vue de
faciliter la communication non seulement au sein d'un groupe ana-
lytique, mais aussi entre personnes de points de vue différents. Les
termes « fantasme » et « fantasme inconscient » ont des significations
différentes pour des travailleurs différents ; et cependant, il arrive
souvent, au cours de discussions scientifiques, qu'on considère que,
parce qu'un mot utilisé est le même, sa signification est constante.
En gros, on peut discerner deux façons d'envisager la notion de
fantasme, dans les travaux psychanalytiques. La première considère
comme fantasme, le contenu de tous les processus mentaux inconscients,
même les plus primitifs. C'est celle de Melanie Klein, que Susan
Isaacs a explicitée dans son travail bien connu sur Le fantasme (1948),
où elle dit nettement, en se basant sur des idées qu'elle développe tout
d'abord, que : 1) Les fantasmes sont les contenus primaires des pro-
cessus mentaux inconscients ; 2) Qu'ils sont, en premier lieu, les
représentations psychiques des instincts libidinaux et destructifs et
que, très précocement dans le développement, ils s'élaborent en tant
que défenses aussi bien qu'en tant que satisfaction de désirs et contenus
de l'angoisse ; 3) Que les fantasmes les plus précoces sont vécus dans
les sensations ; plus tard ils prennent la forme d'images plastiques et de
représentations dramatiques.
Mme Isaacs dit qu'elle a étendu le concept de Freud, de fantasme,
et de fantasme inconscient, de manière à donner au terme une signifi-
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 501

cation plus large. Glover a étudié (1945) les implications métapsycho-


logiques de cette théorie et nous nous bornerons à remarquer que dans
son utilisation du terme « fantasme », elle perd la distinction entre
fantasmatisation, fonction du Moi, et gratification hallucinatoire. Chez
les kleiniens, le terme est devenu un synonyme des représentants
psychiques des pulsions.
La seconde façon d'aborder le fantasme considère la fantasmati-
sation comme une fonction du Moi et le fantasme comme simplement
un type ou une source de contenu mental conscient ou inconscient.
C'est la théorie inhérente aux travaux de Freud, celle que nous avons
essayé de définir et d'élargir dans cet article. Elle comporte un concept
de fantasme plus étroit que dans le premier cas, et est moins simple ;
elle implique par exemple la reconnaissance d'une double signification
du terme fantasme inconscient et d'une distinction entre d'une part le
contenu dérivé des fantasmes, et d'autre part la fonction ou le processus
de la fantasmatisation.
La distinction entre la fantasmatisation, fonction du Moi, absente à
la naissance, et la satisfaction hallucinatoire du désir, est importante,
même si ce dernier processus peut être considéré comme un précurseur
de la fantasmatisation, fonction qui ne se développe que graduellement,
avec la maturation, et l'expérience.
Nous pouvons estimer que les traces de souvenirs d'expériences
associées à la tension et la décharge des pulsions s'installent très tôt
et que, lorsqu'elles sont investies à nouveau par les énergies des pul-
sions, ces traces peuvent être à l'origine d'images de souvenirs qui
représentent une gratification instinctuelle. Ainsi le nourrisson qui a
expérimenté la satisfaction de ses besoins oraux, va, quand il aura faim,
halluciner de façon provisoire, les expériences associées à un soulage-
ment de la faim et au plaisir associé. Ceci permet une satisfaction par-
tielle et transitoire, qui disparaît lorsque augmente la tension de la
pulsion. On peut ajouter aux contenus agréables et satisfaisants associés
à la réduction des pulsions, ceux qui sont associés au déplaisir et même
au traumatisme, qui peuvent également parvenir à une intensité
hallucinatoire.
L'hallucination dont nous parlons ne se distingue pas d'une expé-
rience sensorielle réelle. Elle possède une réalité psychique, car le Moi
n'a pas encore acquis la capacité de ne pas croire, d'investir des contenus
psychiques tout en connaissant leur irréalité psychique. Nous pouvons
supposer que le nourrisson se met peu à peu à différencier reviviscence
hallucinatoire et impressions fraîches, en particulier à la suite de cir-
REV. FR. PSYCHANAL. 33
502 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

constances où le contenu halluciné n'est pas renforcé par la réalité.


Le fonctionnement par processus primaire commence à passer sous le
contrôle du processus secondaire, le Ça sous le contrôle du Moi en
développement. L'enfant abandonne la satisfaction du désir halluci-
natoire quoique nous puissions supposer que sa perception du monde
extérieur restera longtemps colorée par de grossières déformations
perceptives.
Avec le progrès de l'épreuve de réalité et le développement du prin-
cipe de réalité s'instaure le royaume de la perception et de l'action mises
à l'épreuve et nous pouvons maintenant parler de la fonction d'imagina-
tion du Moi, fonction qui, nous le savons, peut créer des contenus de
fantasmes conscients et inconscients (au sens descriptif). L'imagination
peut agir à côté de la perception, et bien qu'une fonction influence
constammentle contenu produit par l'autre, elles ne sont pas identiques.
La pensée est maintenant possible, et en particulier cette forme de
pensée particulière que nous appelons fantasme. Pour Freud, le fan-
tasme est un produit de l'imagination qui satisfait un désir, sensiblement
différent de la satisfaction hallucinatoire du désir, pour laquelle le
terme « fantasmatisation » semblerait en tout cas trop doux et trop
faible. Les produits de la satisfaction hallucinatoire sont plus percep-
tifs qu'imaginaires, et au début, ne se distinguent pas des sensations
venues du monde réel.
On peut considérer la fantasmatisation comme une fonction du
Moi, qui produit un contenu imaginaire organisé et satisfaisant, qui
peut être conscient ou non. Elle implique une mise à l'écart momen-
tanée de la réalité, bien que des éléments de la réalité puissent s'utiliser
dans la création du fantasme. Une fois formé par le Moi, le contenu
du fantasme qui peut présenter un haut degré d'organisation et de
symbolisation, peut être refoulé et soumis au seul fonctionnement
selon le processus primaire. La pensée fantasmatique diffère de la
pensée orientée vers la réalité précisément par le fait qu'elle ignore
totalement ou partiellement les exigences de la réalité. Elle ne tend pas
à changer la réalité afin d'obtenir une satisfaction ; elle comporte
plutôt la création d'un état imaginé, différent et satisfaisant. Elle
survient comme conséquence des frustrations inévitables imposées
par la réalité, et bien que le Moi reste conscient de ce que cette cons-
truction imaginaire n'est pas la réalité, il parvient à une gratification
partielle et immédiate.
Beaucoup de pensées occupent, évidemment, une position inter-
médiaire entre le fantasme et les pensées orientées vers la réalité ;
ASPECTS DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 503

ces deux derniers cas sont les extrêmes d'une série continue. En outre,
la fantasmatisation, bien qu'elle comporte une mise à l'écart de la réalité
immédiate frustrante, peut constituer un aspect important de la créa-
tivité scientifique et artistique. Il faut ajouter que ces remarques sur la
fantasmatisation n'excluent pas la possibilité que, dans certaines cir-
constances, la réalité soit par la suite changée de manière à permettre
une réalisation du fantasme.
A notre avis, tout travail sur le fantasme doit prendre en considéra-
tion les points suivants :
a) Étant donné que les contenus idéationnels (les représentations)
peuvent tirer leur origine d'un grand nombre de sources (sensations
inorganisées, pensées organisées, perceptions, images-souvenirs, fan-
tasmes, etc.), il semble qu'il serait inapproprié d'employer le terme « fan-
tasmatisation» pour désigner leur élaboration selon le processus primaire
en contenu de désirs instinctuels. Ce n'est que lorsque le Moi prend
part à l'organisation du contenu en productions imaginaires satisfai-
santes pour le désir, que l'on peut parler de formation de fantasme ;
b) Il ne serait exact de parler du contenu du système inconscient
comme d'un fantasme inconscient, que lorsque ce contenu dérive
de fantasmes refoulés. Lorsqu'on emploie le terme « fantasme incons-
cient », l'on devrait toujours préciser s'il s'agit des contenus de l'incons-
cient, dérivés de la fantasmatisation, ou d'un sens descriptif plus large.
c) Nous considérons le processus de la fantasmatisation comme une
fonction du Moi dont le résultat est un contenu imaginaire organisé
et satisfaisant un désir, perçu ou non consciemment. Le fantasme peut
être un dérivé, un compromis entre ce désir et les exigences du Surmoi
construit par le Moi. Lors de la formation de ce dérivé, le sujet peut
suspendre partiellement ou complètement sa connaissance de la réalité,
à moins qu'il ne l'utilise pour influencer fortement le fantasme. Le
contenu du fantasme peut être refoulé rapidement après sa création,
ou rencontrer d'autres défenses.
d) Le fantasme n'est qu'un des nombreux dérivés que le Moi
peut construire.
e) Il est possible que des fantasmes représentent la satisfaction de
désirs issus non du Ça et du Surmoi, mais du Moi lui-même.
Il s'ensuit que nous nous trouvons devant une situation dans laquelle
le Moi peut créer un fantasme qui utilise, de façon déformée et censurée,
un contenu investi par le Ça, dérivé par exemple, d'un souvenir refoulé.
(Il se peut, bien entendu, que des désirs préconscients et inconscients
aient déformé ce souvenir au moment où il constituait une perception.)
504 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

D'autre part, le contenu d'un fantasme, investi par le Ça et refoulé peut


s'exprimer dans des dérivés modifiés par le Moi tels que les apercep-
tions, les créations artistiques, les productions dramatiques, les asso-
ciations libres, les délires, etc.
Ceci peut s'exprimer de la façon schématique suivante :

Contenu investi par le Ça Contenu des dérivés


dérivé du refoulé : exprimé dans :
Images souvenirs. Images perceptuelles (apercep-
tions).
Pensées orientées vers la réalité. Désirs.
Images de rêves Répression Action.
Pensées orientées vers la réalité.
Rêves.
Jeu.
Fantasmes. Retour du Associations libres.
Etc. refoulé. Souvenirs écran.
(Y compris les souvenirs pri- Souvenirs déformés.
maires ?) Contenu manifeste du transfert.
Délires.
Théories scientifiques.
Phénomènes hypnagogiques.
Créations littéraires et artis-
tiques.
Fantasmes des rêveries.
Etc.

Dans ce schéma nous distinguons :


1. Le contenu investi par le Ça, soumis au seul processus primaire,
qui forme des désirs instinctuels. Ce contenu consiste en images qui
surgissent de traces de souvenirs quand ces traces sont investies à
nouveau par les pulsions auxquelles elles étaient primitivement asso-
ciées. Dans la mesure où elles ne sont investies que par une pulsion, la
fonction du Moi de juger si elles constituent un contenu réel ou imagi-
naire n'agit pas et elles possèdent une « réalité psychique » ;
2. Contenu modifié par le Moi. Comme le contenu refoulé ne peut
parvenir à une décharge directe, il ne peut y arriver que par la formation
de dérivés. Nous pouvons penser qu'afin de circonvenir la censure,
s'est produit un certain degré de modification et/ou d'organisation du
contenu investi par le Ça, de manière à ce que le Moi permette la
décharge de la pulsion. On peut aussi penser qu'en plus de l'investisse-
ment de la pulsion qui le pousse vers la décharge, le contenu du dérivé
a reçu des investissements du Moi de degrés variés.
On pourra nous objecter que beaucoup des dérivés de cette liste
ASPECTS DE LA METAPSYCHOLOGIE DU FANTASME 505

ressemblent aux fantasmes et méritent d'être étiquetés comme tels.


Faire cela, croyons-nous, obscurcirait certaines des caractéristiques
essentielles du fantasme et conduirait à une généralisation du terme à
tous les dérivés, avec comme conséquence, l'obscurcissement des dis-
tinctions théoriques significatives.
Il est certain que beaucoup des dérivés non fantasmatiques sur-
viennent simultanément, ou en association étroite avec des fantasmes
de satisfaction d'un désir ; mais pour d'autres, ce n'est pas le cas, ils
sont plutôt des alternatives des fantasmes. Au cours du traitement psy-
chanalytique, nous interprétons souvent un dérivé comme le résultat
d'un fantasme sous-jacent. Même si ce n'est pas exact, le patient peut
apporter du matériel qui semble confirmer cette interprétation. Il
s'est passé que par l'interprétation, nous avons fourni des dérivés alter-
natifs (fantasme, pensée et désirs). C'est un pas important dans le
processus thérapeutique, qui conduit finalement à plus d'insight et à
« rendre conscient l'inconscient » (1).
Bien que nous ayons, tout au long de ce travail, fait une distinction
entre la fonction de fantasmatisation du Moi et les autres, et entre le
contenu du fantasme et les autres contenus idéationnels, on ne peut
surestimer l'importance des fantasmes dans la vie mentale. Nous avons
essayé dans cet article de sortir un peu de la confusion qui s'attache
à l'usage des termes « fantasme » et « fantasme inconscient » et de pro-
poser certaines idées, basées sur le travail de Freud, tendant à clarifier
les problèmes scientifiques et sémantiques impliqués. Nous avons
hésité à introduire de nouveaux termes, mais il ne fait pas de doute
que les termes de « couverture » devraient être complétés d'une façon
ou d'une autre si l'on veut différencier plus clairement les divers concepts
qu'ils rassemblent.
C'est le problème pratique de classer les « fantasmes » de l'Index
de Hampstead qui est à l'origine de cette recherche et à la suite des
considérations présentées dans cet article, nous avons commencé à
établir une classification basée sur la différenciation des divers types
de dérivés, ainsi que sur la signification dynamique de leur contenu.
Du point de vue des dérivés, le fantasme n'est qu'un parmi beaucoup
d'autres, bien que les fantasmes refoulés puissent dominer le contenu
de dérivés autres que le fantasme. Cette classification se révèle pleine
de promesses car il apparaît que la distinction précise des divers dérivés

(1) On peut comprendre la thérapie psychanalytique, en particulier avec les enfants, en


termes de changements survenus dans les dérivés, de substitution de nouveaux dérivés aux
anciens. Une étude basée sur ce mode d'approche est en cours de préparation.
506 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

éclairera les différences de développement des instincts et du Moi chez


des enfants différents. La porte semble être ouverte à une recherche
sur l'histoire naturelle des dérivés, au moyen de l'analyse d'enfants et
de l'observation, ce qui pourrait ensuite permettre une plus grande
précision diagnostique et thérapeutique.
Contribution
au symposium sur le fantasme( 1)

par HANNA SEGAL

Ma communication sera nécessairement plutôt abstraite et sché-


matique car je désire dans l'espace qui m'est accordé évoquer un
matériel bien connu et un autre qui, je l'espère, l'est moins. Je m'inté-
resserai à la relation entre la fonction du fantasme et d'autres phéno-
mènes mentaux, les instincts, les mécanismes mentaux, la structure et les
processus mentaux plus élevés comme la pensée. Susan Isaacs dans
son article Nature et fonction du fantasme établit la relation entre le
fantasme inconscient et les instincts et les mécanismes mentaux. Elle
affirme que le fantasme peut être considéré comme la représentation
psychique ou le phénomène mental corrélatif, l'expression mentale des
instincts. James Strachey dans ses commentaires éditoriaux de l'article
de Freud Les instincts et leurs vicissitudes attire l'attention sur le fait que
Freud hésite entre deux définitions des instincts. Dans certains articles
il décrit l'instinct comme « un concept à la frontière entre le mental et
le somatique, la représentation psychique des stimuli qui ont leur
origine dans l'organisme et qui atteignent le mental » ou dans un autre
article « le concept à la frontière entre le somatique et le mental, la
représentation psychique des forces organiques ». Strachey dit : « Ces
citations semblent montrer clairement que Freud ne faisait pas de
distinction entre l'instinct et sa représentation psychique. Il considérait
probablement l'instinct lui-même comme la représentation psychique
de forces somatiques. Si cependant nous nous tournons maintenant
vers ses derniers articles, nous le voyons distinguer nettement l'instinct
et sa représentation psychique. » Et Strachey cite plusieurs passages,
par exemple, dans l'article sur l'inconscient, « un instinct ne peut jamais
devenir un objet de conscience, seule l'idée qui représente l'instinct

(1) Trad. par M. BÉNASSY.


508 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

en est capable. Qui plus est, même dans l'inconscient, un instinct ne


peut être représenté autrement que par une idée ».
Il me semble que la façon dont Isaacs utilise le concept de fantasme
établit un pont entre les deux façons dont Freud envisage l'instinct.
Les idées qui représentent l'instinct seraient les fantasmes originaux
primitifs. Dans cette perspective l'activité d'un instinct est exprimée
et représentée dans la vie mentale par le fantasme de la satisfaction de
cet instinct par un objet approprié. Puisque les instincts sont actifs
dès la naissance, on peut supposer qu'une vie fantasmatique rudimen-
taire existe dès la naissance. La première faim, et l'effortinstinctuel pour
satisfaire cette faim sont accompagnés du fantasme d'un objet capable
de satisfaire cette faim. Puisque les fantasmes dérivent directement des
instincts à la frontière entre l'activité somatique et psychique, ces
fantasmes originaux sont vécus en tant que phénomènes somatiques
aussi bien que mentaux. Tant que le principe de plaisir-déplaisir
exerce son pouvoir les fantasmes sont tout puissants et il n'existe pas
de différence entre fantasme et expérience de la réalité. Les objets
fantasmes et la satisfaction qu'on en tire sont vécus comme des événe-
ments physiques. Freud suppose qu'au commencement l'enfant répond
à des situations de frustration par la réalisation hallucinatoire de la
satisfaction du désir. Ces hallucinations primitives sont des expressions
de la vie fantasmatique, si l'on utilise ce concept comme l'ont suggéré
Isaacs et Melanie Klein.
Les formulations qu'a données Freud de la réalisation hallucinatoire,
satisfaction du désir, précèdent sa découverte de l'instinct de mort ;
c'est pourquoi ces affirmations concernant la réalisation hallucinatoire
de la satisfaction du désir doivent être comprises comme se rapportant
seulement aux désirs libidinaux. Nous avons cependant des raisons de
supposer que l'instinct de mort et les impulsions destructrices qui en
sont l'infléchissement donnent également lieu à des réalisations hallu-
cinatoires de la satisfaction du désir. Au désir d'aimer et de manger
correspond le fantasme d'un sein idéal qui donne l'amour, la vie, la
nourriture. Au désir de détruire correspondent des fantasmes aussi
vifs de mettre en pièce, détruire et attaquer un objet. Si l'enfant qui
suce son pouce avec satisfaction halluciné un bon événement vécu,
l'enfant qui se réveille en poussant des cris, en donnant des coups de
pied et quelquefois en se détournant de sa mère et de son sein halluciné
probablement des objets mauvais et persécuteurs.
La toute-puissance du fantasme n'est cependant jamais complète.
Dès le commencement il existe une interaction du fantasme et de la
CONTRIBUTION AU SYMPOSIUM SUR LE FANTASME 509

réalité. Le fantasme du sein idéal s'effondre si la frustration est trop


prolongée ou trop intense. De même les fantasmes persécutoires peuvent
être adoucis ou surmontés par la réalité d'un bon événement vécu.
Cependant, l'enfant perçoit en même temps la réalité en fonction de
son fantasme omnipotent, le bon événement vécu se confondant
avec ses fantasmes idéalisés ; et la frustration et la privation sont vécues
comme une persécution par des objets mauvais.
La réalité vécue dans son interaction avec le fantasme inconscient
modifie progressivement le caractère de ce fantasme, et les traces
mémorielles de la réalité vécue sont incorporées dans la vie fantas-
matique. J'ai insisté, tout à l'heure sur le fait que les fantasmes origi-
naux sont rudimentaires et primitifs, directement liés à la satisfaction
des instincts, vécus aussi bien sur le plan somatique que mental, et
puisque nos instincts sont toujours actifs une gratification primaire de
fantasmes primitifs est toujours en activité chez chacun de nous. C'est
à partir de ce noyau que les fantasmes ultérieurs se développent.
Ils sont altérés par le contact avec la réalité, par les conflits, par les
maturations de la croissance. De même que les instincts donnent
naissance aux dérivés de l'instinct, de même les fantasmes primitifs
donnent naissance à des dérivés plus tardifs, ils peuvent être déplacés,
symbolisés, élaborés et même pénétrer dans la conscience sous forme
de rêves éveillés, d'activité imaginaire, etc.
Le concept de fantasme inconscient est implicitement contenu
dans beaucoup des formulations de Freud quoiqu'il l'utilise rarement
de façon explicite. Il parle d'idées inconscientes de toute-puissance ou
de théories inconscientes qu'on peut considérer comme des manifesta-
tions d'une activité fantasmatique inconsciente. Les théories sexuelles
des enfants qu'a décrites Freud peuvent être considérées comme des
dérivés conscients de fantasmes sexuels inconscients.
J'ai considéré jusqu'ici la relation entre le fantasme et l'instinct.
Isaacs, dans son article, établit une autre relation importante entre le
concept de fantasme et celui de mécanisme mental. Nous avons l'habi-
tude de considérer le fantasme comme une fonction défensive. C'est
une fuite loin de la réalité et une défense contre la frustration. Il semble
que ce soit là une conception contradictoire avec celle qui fait du
fantasme une expression de l'instinct.
La contradiction cependant est plus apparente que réelle : puisque
le fantasme tend à satisfaire un désir instinctuel en l'absence de satis-
faction réelle, cette fonction elle-même est une défense contre la réalité.
Mais, quand la vie mentale se complique, on fait appel au fantasme en
510 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

tant que défense dans diverses sortes de situations pénibles. Par


exemple, les fantasmes « maniaques » servent de défense contre une
dépression sous-jacente. On peut alors se poser la question de la relation
entre la fonction défensive du fantasme et les mécanismes de défense.
C'est l'opinion d'Isaacs que ce que nous appelons mécanisme de défense
n'est qu'une description abstraite, du point de vue d'un observateur,
de ce qui est, en fait, une fonction du fantasme inconscient. Par exemple,
quand nous parlons de refoulement, le malade a peut-être un fantasme
précis, disons de barrages construits à l'intérieur de son corps et qui
retiennent une inondation, l'inondation étant une façon de représenter
les instincts en fantasme. Quand nous parlons de dénégation, nous
pouvons trouver un fantasme dans lequel les objets niés sont réellement
annihilés, etc. Les mécanismes d'introjection et de projection qui
précèdent de loin le refoulement et existent dès le commencement de la
vie mentale sont liés à des fantasmes d'incorporation et d'éjection : fan-
tasmes qui sont d'abord très concrets, de nature somatique. Clinique-
ment, si nous voulons que l'analyse soit pour le patient une expérience
vivante ce ne sont pas des mécanismes que nous interprétons au malade ;
nous lui interprétons et nous l'aidons à revivre les fantasmes qui sont
contenus dans les mécanismes.
Isaacs s'est appliquée à discuter la manière dont les fantasmes dérivent
de la matrice du Ça et la relation de cette dérivation avec les mécanismes
mentaux. Je tenterai d'établir l'existence de deux autres relations, le
lien entre le fantasme et la structure de la personnalité, et le lien entre
le fantasme et les plus hautes fonctions mentales, par exemple, la pensée.
Si l'on considère que les mécanismes de projection et d'introjection
sont basés sur les fantasmes primitifs d'incorporation et d'éjection,
le lien entre fantasme et structure mentale apparaît immédiatement.
Les fantasmes des objets qui sont introjectés dans le Moi, de même que
la perte que subit le Moi grâce aux fantasmes d'identification projective,
agissent sur la structure de la personnalité. Lorsque Freud a décrit le
Surmoi comme un objet interne en relation active avec le Moi et le
Ça, les psychologues classiques l'ont accusé d'anthropomorphisme.
Mais, en fait, que décrivait-il donc ? Des fantasmes complexes aboutis-
sent en fin de compte à cette structure à l'intérieur du Moi. L'enfant qui
fait des fantasmes projette certaines de ses propres agressions sur l'image
parentale ; en fantasme il incorpore cette image et en fantasme encore
attribue à cette image diverses attitudes et fonctions. Melanie Klein
a montré que d'autres objets, avant qu'existe le Surmoi décrit par Freud,
sont introjectés de la même façon et qu'un monde intérieur complexe
CONTRIBUTION AU SYMPOSIUM SUR LE FANTASME 511

est ainsi construit en fantasme et structuré. Le fait que la structuration


soit partiellement déterminée par le fantasme inconscient est d'impor-
tance capitale du point de vue thérapeutique, puisque dans la situation
analytique nous avons accès à ces fantasmes, et que en les mobilisant
en aidant le malade à les revivre et à les remodeler suivant le processus
du traitement analytique, nous pouvons agir sur la structure de la
personnalité du malade.
Je voudrais maintenant envisager la relation entre le fantasme et ce
qui semble son opposé, la pensée. Le fantasme appartient originellement
aux fonctions guidées par le principe de plaisir-déplaisir. Dans Les
deux principes du fonctionnement mental Freud dit : « Avec l'avènement
du principe de réalité, un des deux modes d'activité mentale est dissocié.
Il reste à l'abri de l'épreuve de la réalité et soumis au seul principe de
plaisir. C'est l'activité fantasmatique. La pensée, d'autre part, s'est
développée au service de l'épreuve de la réalité et primitivement comme
un moyen de prolonger la tension et de retarder la satisfaction. » Citons
encore dans le même article : « La pensée est douée de qualités qui
permettent à l'appareil mental de supporter la tension qui s'accroît
lorsqu'un processus de décharge est retardé. Cependant ces deux acti-
vités mentales ont en commun une chose importante. Toutes deux
permettent au Moi de soutenir la tension en l'absence de décharge
motrice immédiate. » L'enfant qui est capable de maintenir un fantasme
résiste à la décharge qui, comme dit Freud, débarrasserait son psychisme
de l'accumulation des stimuli.
Grâce au fantasme il peut prolonger son désir pendant quelque
temps jusqu'à ce que la satisfaction réelle lui soit accessible. Si la
frustration est trop intense, ou si l'enfant est très difficilement capable
de maintenir son fantasme, la décharge motrice survient, souvent
accompagnée de la désintégration du Moi pas encore mûr. Ainsi tant
que l'épreuve de la réalité et les processus de pensée ne sont pas solide-
ment établis, le fantasme joue dans la vie mentale primitive quelques-uns
des rôles que jouera plus tard la pensée.
Dans une note à son article Formulations concernant les deux principes
dufonctionnement mental;, Freud dit : « On aura raison de faire remarquer
qu'une organisation qui serait l'esclave du principe de plaisir et négli-
gerait la réalité du monde extérieur ne pourrait exister. Cependant
l'emploi de cette fiction est justifié si l'on considère que l'enfant
— pourvu qu'on y ajoute les soins qu'il reçoit de sa mère — constitue
presque un système psychique de ce genre. » J'insiste sur le mot
« presque » car très tôt l'enfant normal a quelque sentiment de ses
512 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

besoins et est capable de le communiquer à sa mère. Dès le moment où


l'enfant commence avec le monde extérieur une relation d'interaction,
il commence à mettre à l'épreuve ses fantasmes dans une situation
réelle. Ce que je désire suggérer, c'est que l'on trouve l'origine de la
pensée dans ce processus qui consiste à mettre à l'épreuve le fantasme
grâce à la réalité ; c'est-à-dire que la pensée n'est pas seulement opposée
au fantasme, mais fondée sur lui et qu'elle en dérive.
Je voudrais me servir ici d'une comparaison. On imagine naïvement
que le savant observe les faits sans aucun préjugé et tire ses conclusions
de ses observations. Nous savons que le savant qui procéderait ainsi
n'aboutirait à aucune conclusion. Le savant part d'une hypothèse
bien définie ou d'une série d'hypothèses mutuellement exclusives,
sans parler de ses espérances préconscientes et même inconscientes.
Ainsi armé il observe des faits par rapport à une certaine question qu'il
s'est posée. Il peut alors mettre ses hypothèses à l'épreuve des faits,
les confirmer, les corriger, ou même les repousser et en formuler de
nouvelles qui lui sont suggérées par les faits. Il serait de même naïf
de penser que pour apprendre à penser suivant le réel, l'enfant renonce
à ses fantasmes. Au contraire, l'enfant qui s'approche de la réalité
est armé, pour ainsi dire, d'espérances fournies par son fantasme
inconscient. En les mettant à l'épreuve de la réalité, il apprend graduelle-
ment à distinguer ceux d'entre ses fantasmes qui restent applicables,
et parmi les modalités de ses propres fonctions celles qui lui permettent
d'entrer en relation avec la réalité.
Dans un livre récemment publié Learning from experience, Bion
trouve l'origine de la pensée dans ce qu'il appelle « l'appareillage (1) de
la préconception et de la réalisation ». Il compare cette préconception
au concept kantien de pensée vide. Je suggérerai que cette préconception
n'est encore que le fantasme de l'enfant, et d'abord celui du bon et
du mauvais sein. Bion insiste sur le fait que l'aboutissement de cet appa-
reillage de la préconception et de la réalisation est largement déterminé
par la capacité que possède l'enfant de supporter la frustration, autant
que par la capacité que possède l'environnement de maintenir cette
frustration dans les limites tolérables. Si l'enfant peut supporter la
frustration et si ses fantasmes rencontrent une réalité différente de ce
qu'il attend, il s'établit une différenciation entre ce qui est attendu,
c'est la pensée, et la réalité de la perception. Comme dit Bion, l'enfant
peut conclure « pas de sein, donc une pensée ». Si les circonstances sont

(1) En anglais matching.


CONTRIBUTION AU SYMPOSIUM SUR LE FANTASME 513

telles que l'enfant ne peut tolérer la désillusion qu'impose la réalité,


la toute-puissance du fantasme s'accroît et la perception de la réalité
est niée et annihilée. Le psychisme de l'enfant doit alors continuer
à fonctionner en termes de toute-puissance du fantasme et la pensée ne
peut se développer. De plus, puisque son fantasme tout-puissant ne
peut en fait le libérer des stimuli douloureux il sera entraîné à utiliser
de plus en plus le fantasme d'identification projective et à attaquer son
propre Moi, en particulier celui qui correspond aux organes de percep-
tions, en un effort pour se libérer de ces stimuli. C'est alors qu'on trouve
les plus graves des troubles psychotiques de la pensée.
Nous savons que le principe de réalité n'est qu'une modification
du principe de plaisir, modification provoquée par l'épreuve de la
réalité ; je voudrais suggérer que la pensée est une modification du
fantasme inconscient, modification elle aussi provoquée par l'épreuve
de la réalité. La richesse, la profondeur et l'exactitude de la pensée
d'une personne dépendront de la qualité et de la malléabilité de sa vie
fantasmatique inconsciente, aussi bien que de sa capacité de la mettre à
l'épreuve de la réalité.
Dans cet article, j'ai suivi Isaacs et fait du concept de fantasme la
représentation psychique de l'instinct, j'ai essayé de montrer ce que pou-
vait aussi impliquer cet usage du concept. Cette utilisation du concept
de fantasme inconscient tire sa valeur du fait qu'elle établit une relation
dynamique entre les différents aspects de l'appareil mental, soudant
ensemble les concepts d'instincts, de mécanisme mental et de structure
mentale, établissant un pont entre les processus primaires et secondaires.

BIBLIOGRAPHIE
BION (W. R.) (1962), Learningfrom Experience (London, Heinemann).
FREUD (S.) (1908), Creation Writers and Day Dreaming, S.E., 9.
FREUD (S.) (1911), Formulations on the two Principles of Mental Functionning,
S.E., 12.
FREUD (S.) (1915), Instincts and their Vicissitudes, S.E., 14.
ISAACS (S.) (1948), The Nature and Function of Phantasy, Int. J. Psycho.
Anal., 19.
Fantaisie, réalité, vérité
par D. LAGACHE (France)

I. — POSITION DU PROBLÈME

On parle en psychanalyse de « fantaisie consciente » et de « fantaisie


inconsciente » (1). La symétrie des termes dissimule la différence des
concepts. Le concept de « fantaisie consciente » se réfère à la « psycho-
logie de conscience » ; il est assez facile d'en dégager les principaux
caractères. Il n'en va pas de même de la « fantaisie inconsciente » ;
l'expression est contradictoire ; « fantaisie » a la même racine que « phé-
nomène » ; un phénomène est quelque chose qui apparaît : or l'existence
et la nature de la fantaisie inconsciente ne peuvent être établies que par
inférence. Historiquement et logiquement, c'est en partant de la fan-
taisie consciente que l'on peut esquisser une première définition de la
fantaisie inconsciente.

IL — LA FANTAISIE CONSCIENTE

On appelle « fantaisie consciente » soit un certain type d'activité


créatrice de l'esprit, soit les fictions ou fantasmes produits par cette
activité ; il est préférable de ne pas dissocier les fantasmes de la fan-
taisie dont ils procèdent et de considérer celle-ci comme un tout. Ce
tout est donc un processus, un mouvement de l'esprit qui se déroule
dans le temps ; il est plus difficile à saisir que les fictions auxquelles
le processus aboutit ; non seulement ce sont ces fictions qui intéressent
le sujet mais, relativement immobiles et spatialisées, elles sont plus

(1) Les termes « fantaisie consciente » et « fantaisie inconsciente » sont la réplique des termes
usuels en allemand, en anglais et en espagnol, langues où « fantaisie » a conservé un sens appro-
chant du sens grec original. Ce sens est attesté en français jusqu'au XIXe siècle et même
au XXe [26]. Il n'est plus conforme à l'usage courant. C'est pourquoile vocabulaire psychanaly-
tique tend à utiliser « fantasme » dans le sens de « fantaisie inconsciente ». En grec, " fantaisie »
correspond plutôt à l'activité créatrice de l'esprit et « fantasme » à ses productions, voire à
l'apparition, au revenant. Il y aurait avantage à restituer à « fantaisie » son sens classique, en
distinguantla fantaisie de l'imaginationreproductive et constructive, contrôlée par le jugement.
On verra plus loin si « fantaisie " et « fantasme » peuvent désigner des choses différentes.
516 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

faciles à saisir. C'est pourquoi l'attention des psychologues s'est concen-


trée sur les images plutôt que sur l'imagination, celle des psychanalystes
sur le fantasme plutôt que sur la fantaisie.
La fantaisie consciente est une certaine manière d'entrer en relation
avec des objets, que ces objets existent ou non d'une manière indépen-
dante de la fantaisie ; c'est ce que l'on exprime en disant que ces objets
sont « visés en image » [34].
La fantaisie consciente met en jeu une attitude par rapport à ces
objets. Sous l'influence de la psychanalyse, la littérature caractérise
souvent cette attitude par le désir [11]. Cette vue est en contradiction
avec le fait que cette attitude peut être l'aversion ; un exemple banal est
celui de l'anxiété qui précède l'action et disparaît lorsque le sujet entre
en action. L'attitude qui prélude au développement de la fantaisie
consciente peut donc être l'approche ou l'évitement, ou un conflit
entre l'approche et l'évitement. Corrélativement, l'objet peut être
investi d'une valeur positive, négative ou mixte (1).
L'attitude initiale d'approche ou d'évitement ne reste pas immuable
pendant que la fantaisie consciente se développe. Le développement de
la fantaisie consciente s'accompagne de changements du ton émotionnel
de l'ordre du plaisir et du déplaisir. Si le désir reste dans les limites de
la fantaisie sans passage à l'acte, la satisfaction reste dans les limites du
plaisir préhminaire et peut se mêler de déception. Inversement, une
fantaisie déplaisante peut se muer en « réassurance » du fait que les évé-
nements redoutés sont seulement imaginaires. Une fantaisie sado-
masochique, suicidaire par exemple, peut trouver une limite dans
l'horreur ou la culpabilité. Si le désir passe à l'acte dans une mise en
scène bien réglée, il arrive que tout se gâte lorsque le partenaire, sortant
du rôle que lui allouait la fantaisie et se prenant au jeu, se met à agir
pour son propre compte : il fait irruption comme objet indépendant de
la fantaisie et trouble le plaisir. Sans même qu'il y ait passage à l'acte,
la fantaisie consciente n'admet pas toutes les idées d'action qui peuvent
se greffer sur elle ; par exemple, une fantaisie-éclair de défenestration
peut ne pas « faire corps » avec les moyens d'exécution que le sujet se
représente ou « imagine », comme approcher une chaise de la balustrade

(1) Certes, on peut interpréter l'aversion par un désir de sécurité, un besoin de réductionde
tension. Mais en première analyse, psychologiquement et cliniquement, les fantaisies motivées
par l'aversion sont des faits incontestables; exemple : les phobies. Au minimum, on ne peut
éviter d'admettre un conflit de désirs ; les motifs de défense induits par le Surmoi, les compul-
sions défensives du Moi inconscient, même considérés comme des désirs, s'opposent aux désirs
inconscients du Ça ; exemple : les fantaisies de punition, de castration s'opposent aux fantaisies
d'inceste et de meurtre.
FANTAISIE, REALITE, VÉRITÉ 517

d'un balcon afin de la franchir ; cette manipulation d'ustensiles est


déclarée « inimaginable » ; en fait, le sujet se la représente ou l'imagine,
si l'on distingue l'imagination de la fantaisie comme une forme d'acti-
vité mentale reconstructive et constructive, visant dans le cas présent
les moyens pratiques de passer du fantasme à l'action ; dans ce cas, le
fantasme se suffisait à lui-même ; sa fonction n'était pas d'aboutir à
une action, avec quelque effroi qu'il fût vécu, mais d'exprimer des.
intentions émanant d'un fantasme inconscient qui ne comportait pas
le recours à la manipulation prosaïque d'instruments d'exécution ;
en fait, ce qui motivait ce fantasme de défenestration n'était nullement
un désir de mort mais un sentiment d'abandon et une demande d'amour;
c'était un appel dont la défense par isolation excluait toute réalisation
concrète. Dans d'autres cas, la rêverie, par exemple la contemplation
extatique d'un arbre, admet des éléments apparemment empruntés à
l'entourage, comme la figure de l'analyste ; mais cette rêverie était
la reviviscence d'extases de l'enfance qui pouvaient se prolonger
pendant des heures et se diffuser sur d'autres objets de l'entourage;
la rêverie réanimait un souvenir-écran dont on peut supposer qu'un
élément homologue à l'analyste y était virtuellement présent.
Dans la fantaisie consciente, l'objet peut ou non être posé comme
existant ou n'existant pas (1). Les formes, de la fantaisie consciente
s'étalent entre la délusion autistique, où le sujet n'a pas conscience du
caractère déréel de la fantaisie, et l'imagination reproductive et construc-
tive, orientée et contrôlée par la représentation du passé ou par un
changement à opérer dans l'entourage. Ces modalités de la croyance et
du « sens de la réalité » ne se confondent pas avec le pathologique et le
normal, l'inadaptation et l'adaptation : une fantaisie consciente non
pathologique peut s'accompagner de croyance, comme dans le rêve
et l'illusion ; la rêverie peut prendre la forme de supposition vive, se
soutenir par un effort prodigieux et magique pour donner à ses objets
le cachet de l'existence indépendante, s'appuyer sur la parole, la posture
et le mouvement, incorporer des éléments empruntés à la perception
et au souvenir.
D'emblée, il apparaît que certains caractères de la fantaisie consciente
ne peuvent entrer dans la construction d'un modèle de la fantaisie

(1) Selon Husserl, fantaisie « désigne la représentation pure et simple de quelque chose
d'individuel (le fait qu'on l'a purement et simplement sous les yeux) ; mais en l'absence du
sentiment conscient d'existence... qui le poserait comme objet de perception ou de souvenir.
On l'a sous les yeux, mais sans décider si l'on y croit, ou même en n'y croyant pas » (Husserl E.
[26]).
REV. FR. PSYCHANAL. 34
518 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

inconsciente. Si la fantaisie inconsciente aboutit à des fictions, c'est à


des fictions pensées ou agies. Il serait difficile de déterminer quelles
variations émotionnelles accompagnent le développement de la fan-
taisie inconsciente. Surtout, on ne peut attribuer à la fantaisie incons-
ciente des modalités de la croyance et du jugement. En revanche, les
autres traits de la fantaisie consciente permettent une définition initiale
et provisoire de la fantaisie inconsciente : une intention — désir ou
aversion — visant un objet-but investi d'une valeur positive, négative
ou à la fois positive et négative. Reste à savoir si la fantaisieinconsciente
existe et ce qu'elle est.

III. — EXISTENCE DE LA FANTAISIE INCONSCIENTE

La question de l'existence de la fantaisie inconsciente se pose au


niveau de l'expérience clinique, dans le champ psychanalytique, c'est-à-
dire le champ des communications entre l'analysé et l'analyste. L'écoute
du discours de l'analysé, non seulement de ses paroles mais des actions
qui se glissent comme des messages dans la suite de ses paroles, décèle-
t-elle « quelque chose » qui corresponde au modèle hypothétique de la
fantaisie inconsciente ? Si ce quelque chose existe, c'est dans les inter-
prétations et les constructions de l'analyste qu'on peut le découvrir et
en déterminer les principaux caractères.
1. La fantaisie inconsciente concerne quelque chose qui n'est pas
représenté par le patient mais conçu par l'analyste, ou par le patient en
tant qu'il est capable d'adopter à l'endroit de son propre discours une
attitude analytique.
2. Ce quelque chose qui n'est pas conscient pour le patient, quel
que soit le mode de communication qui le véhicule — paroles avant
tout mais aussi actions, affects, états et actes corporels — que le psycha-
nalyste le garde in petto ou le communique, il le formule avec des mots.
3. Cette « petite histoire » [31] est concrète et particulière. Elle
énonce une relation du patient avec des objets de son monde personnel,
que ces objets aient une existence indépendante ou n'existent que pour
sa fantaisie.
4. Cette petite histoire formule une intention significative qui
comble des lacunes du discours analytique, soit des omissions, soit des
directions inaperçues ; elle confère ainsi à ce discours une structure
latente.
5. La petite histoire peut être inférée soit à partir d'un matériel
partiel et spécifique, soit à partir de données multiples et diverses ;
FANTAISIE, REALITE, VERITE 519

ses formes vont ainsi de la « fantaisie-éclair » à la « fantaisie domi-


nante » [3] qui correspondent respectivement à l'interprétation et à la
construction (1).
6. Par référence au conflit latent, la petite histoire exprime le désir
inconscientmais aussi les motifs de défense, qu'elle traduit en pensées (2) ;
les compulsions défensives du Moi inconscient sont des fantaisies ;
leur fonction commune est la méconnaissance, préfigurée dans le
concept psychopathologique de « l'hallucination négative » ; elles
impliquent la toute-puissance narcissique et magique de la pensée.
7. Structuralement, la fantaisie inconsciente procède du Ça, du
Surmoi et du Moi inconscient [4] mais aussi du Moi conscient ; patho-
logiques ou non, les traits de caractère et de comportement sont traités
comme des symptômes, donc des compromis entre le désir et la défense
combinant des fantaisies positives et négatives ; une interprétation
du patient, c'est-à-dire une activité du Moi, est d'abord à considérer
comme une « interprétation-symptôme » (3).
8. Génétiquement, la fantaisie inconsciente se rattache à des évé-
nements vécus par le sujet. Ces événements sont des événements
indépendants du sujet ou des événements fictifs, c'est-à-dire des fan-
taisies. Ils n'appartiennent pas seulement à son passé, mais à toute son
histoire et en particulier à son présent : la fantaisie inconsciente est un
processus constant dans le fonctionnement de l'appareil mental ;
même formées dans l'enfance, les structures inconscientes de la fan-
taisie, c'est-à-dire les fantasmes inconscients, se nourrissent d'apports
nouveaux qu'attire « l'attraction de l'inconscient ». Les formes de la
fantaisie inconsciente s'étalent entre des relations d'objet rudimentaires
et des relations d'objet complexes [16] ; elles combinent des idées
conscientes, préconscientes et inconscientes, ce qui est bien connu
du rêve. Ce que le psychanalyste recherche, ce sont les fantasmes
dominants ; les fantaisies partielles se rattachent tôt ou tard à des
fantasmes dominants par rapport auxquels elles fonctionnent souvent
comme « petit fait révélateur ».
9. Du point de vue évolutif, les fantaisies inconscientes changent au

(1) On reviendra sur les distinctions sémantiques qui peuvent être proposées entre fantaisie
et fantasme, conscients ou inconscients, ainsi que sur leurs rapports avec l'interprétation et la
construction.
(2) L'angoisse, par exemple, témoigne de fantaisies inconscientes de dislocation du monde
personnel : perte des investissements objectaux et des identifications, morcellement et muti-
lation du corps propre.
(3) Exemple : l'interprétation du rêve par le rêveur est souvent une élaboration secondaire
qui va dans le sens de la défense du Moi.
520 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

cours de la cure ; dans certains cas ce changement apparaît comme un


des aspects principaux de l'action de la cure.
Que tirer de ces remarques ? Il existe une tendance à considérer
la fantaisie inconsciente comme un processus spécifique. Or, plus on
réfléchit sur la fantaisie inconsciente, même averti du danger de sures-
timation qu'apporte la concentration sur un thème, plus l'extension
de la fantaisie inconsciente s'élargit, plus il est difficile de ne pas cons-
tater que toute interprétation concerne la fantaisie inconsciente ; il en
est de même de toute construction en ce sens qu'elle articule des fan-
taisies partielles dans un seul et même ensemble fantasmatique. Le
problème se pose donc de savoir si la fantaisie inconsciente est un
processus spécifique, ou si elle ne se confond pas avec toute activité
inconsciente de l'appareil psychique.
Quoi qu'il en soit, du point de vue opérationnel, le psychanalyste
ne peut se passer du concept de fantaisie inconsciente. On a des raisons
empiriques et logiques, de penser que les interprétations traduisent
en mots quelque chose qui se passe. Il pourrait être sage de s'en tenir
là. Mais ce serait renoncer à chercher non pas seulement si la fantaisie
inconsciente existe, mais ce qu'elle est.

IV. — NATURE DE LA FANTAISIE INCONSCIENTE

Découvrir ce qu'est la fantaisie inconsciente, c'est la situer dans


l'ensemble des structures et des processus inconscients. Il suffit de se
limiter à ses rapports avec le désir et le souvenir. Il convient d'avoir
présents à l'esprit deux principes freudiens : 1) Que dans les processus
inconscients la quantité prédomine sur la qualité [14] ; 2) Que la fan-
taisie inconsciente est le stade préliminaire de la formation des rêves et
des symptômes [16].
En dépit des variations de la terminologie, la distinction entre fan-
taisie inconsciente et désir inconscient est une distinction justifiable.
On postule des fantaisies inconscientes, indices de désirs ou de craintes
qui ne se révèlent pas en tant que tels ; inversement, le patient éprouve
des affects isolés de toute idée ou déplacés sur des idées délusoires. Il y
a cependant une liaison indissoluble entre la fantaisie et le désir ; la
parole d'Aristote, qu'il n'est pas de désir sans fantaisie (cité par Schuhl,
P.-M. [37]) trouve sa réciproque dans un principe psychanalytique,
qu'il n'est pas de fantaisie sans désir — ou sans crainte. La fan-
taisie inconsciente correspond à la visée du désir inconscient, à son
but et à son objet. Cette visée ne peut être étudiée sans examiner
FANTAISIE, REALITE, VERITE 521

d'abord le rapport du désir inconscient avec le souvenir inconscient.


A cette question répond le principe freudien de l'identité des per-
ceptions [14]. Le désir inconscient est l'activation d'un souvenir
inconscient par l'émergence d'un besoin pulsionnel, que le besoin
pulsionnel ait été éveillé par un état corporel ou par une représentation
comme une perception ou une fantaisie. L'appareil psychique « hallu-
ciné » la satisfaction princeps du besoin. L'origine des souvenirs en
cause est variable ; il peut s'agir d'expériences uniques mais fortes,
plaisantes ou déplaisantes : c'est le cas dans les formes typiques de la
compulsion de répétition [5] ; il peut s'agir d'expériences répétées :
c'est le cas dans la nostalgie de certaines conditions de l'enfance ; il
peut s'agir de reliquats successifs d'un travail d'élaboration : c'est le
cas pour le système du Surmoi. De toute façon, les tentatives pour
distinguer « l'hallucination métapsychologique » de la fantaisie incons-
ciente ne sont pas convaincantes [31] ; dynamiquement, l'une et l'autre
se rattachent au désir inconscient.
Si tel est le rapport du désir et du souvenir, c'est le souvenir incons-
cient qui donne son objet et son but au désir et par conséquent sa struc-
ture à la fantaisie. Désir et souvenir semblent absorber tout ce qui peut
être attribué à la fantaisie inconsciente. Il n'y aurait d'issue que si l'on
pouvait reconnaître à la fantaisie inconsciente la créativité, un pouvoir
d'innovation ; sa contribution aux fictions conscientes et à l'imagination
créatrice ne permet pas de le faire avec précision et certitude ; les
cas rares et vagues de créativité inconsciente (découverte, invention,
solution de problème) procèdent plus vraisemblablement, en partie
certainement, d'une activité préconsciente. Dès lors, la fantaisie incons-
ciente ne peut être que répétitive. Cliniquement, si loin que puissent
aller sa singularité et son étrangeté, sa monotonie contraste avec la
luxuriance poétique du rêve et de la rêverie.
En examinant la question du point de vue économique, serait-il
possible de donner un statut métapsychologique à la fantaisie incons-
ciente ? Le souvenir inconscient structure le désir inconscient en lui
fournissant son objet et son but. Si l'on réfléchit sur cet objet-but, sa
persistance mnésique implique un investissement durable ; l'objet-but
du désir inconscient est une valeur, quelque chose de bon ou de mau-
vais, la visée d'une attitude d'approche ou d'évitement. On serait
ainsi amené à souligner l'aspect économique ou axiologique de la fan-
taisie inconsciente, en y voyant le réinvestissement de l'ancien objet-
but dans le mouvement du désir inconscient. Cette hypothèse rejoint
la métapsychologie freudienne : quand Freud parle des processus
522 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

inconscients il insiste sur leur aspect économique, sur la quantité aux


dépens de la qualité ; c'est des processus préconscients et conscients,
de la contribution de la parole que procède la discrimination qualitative.
Plus on conçoit la fantaisie inconsciente comme réinvestissement,
c'est-à-dire comme revalorisation, et non comme remémoration diffé-
renciée, plus elle se prête aux déplacements, aux condensations, aux
compromis du processus primaire. Ceci est en accord avec les rapports
de l'objet et de la valeur : tous les objets sont des objets-valeurs [22],
certes, mais plus un objet est visé par la fantaisie, plus la valeur,
c'est-à-dire l'investissement, l'emporte sur l'idée claire et distincte ;
la psychanalyse elle-même l'illustre : pour le débutant, patient ou
candidat, la psychanalyse est l'objet d'un jugement de valeur plus que
d'un jugement de vérité ; le développement de la cure ramène à une
conception plus différenciée et plus vraie l'attente initiale d'une expé-
rience mystérieuse, magique et initiatique.
Mais faire de la fantaisie inconsciente un processus économique de
réinvestissement ne va pas sans difficultés. Dans la pratique, le psycha-
nalyste formule la fantaisie inconsciente comme une relation d'objet ;
c'est là une construction qui ne préjuge pas la nature de la fantaisie
inconsciente. L'hypothèse économique ne résout pas la distinction
entre désir inconscient et fantaisie inconsciente ; si l'on observe des
désirs sans fantasme et des fantasmes sans désir, dynamiquement ils
ne peuvent être séparés. Enfin, le réinvestissement implique la « motion
pulsionnelle » (Triebregung), des affects, lesquels en toute rigueur ne
sont pas inconscients, même s'ils sont difficiles à saisir [17] ; ainsi dans
certaines conditions conflictuelles, l'attention à quelque chose qui reste
indéterminé (1) ; à cela Freud répond en donnant à la fantaisie incons-
ciente une position liminaire, quand il la définit comme le stade préli-
minaire de la formation des rêves et des symptômes [16] ; dans l'élabo-
ration du rêve, du contenu latent du rêve à son contenu manifeste,
Freud souligne le déplacement de l'investissement [14] (2) : comme si
la fantaisie inconsciente tâtonnait à la recherche d'une fiction consciente
pour à la fois s'y illuminer et s'y perdre ; par référence à la première
théorie de l'appareil psychique, la fantaisie inconsciente se situe symétri-
quement à la censure, chacune d'un côté de la frontière idéale qui sépare
le système inconscient et le système préconscient; le mouvement de la

(1) La neuro-physiologiemoderne situe l'attention dans une gamme de réactions affectives


dont le terme initial est la surprise.
(2) La configuration du rêve défigure la configuration du fantasme inconscient ; s'il y a
« isomorphisme », cet isoinorphisme est à retrouver.
FANTAISIE, REALITE, VERITE 523

fantaisie inconsciente semble ainsi se prolonger dans celui de la fantaisie


préconsciente et consciente, combinant les jeux du désir et de la défense.
Finalement, si la fantaisie inconsciente est théoriquement en
rapport avec le souvenir, le désir et l'affect, elle n'est cependant, ni
souvenir, ni désir, ni affect ; on en trouve une confirmation clinique dans
la manière dont le patient répond souvent à une interprétation irré-
futable, par exemple, une interprétation mettant en évidence une
implication homosexuelle étrangère à l'expérience vécue du patient,
à sa pensée et à sa conduite : « Je comprends bien ce que vous voulez dire
et je ne peux pas dire non, mais je ne le sens pas et je ne me souviens
de rien de tel » (1). Faut-il s'en tenir là ou bien, au contraire, faire de ces
propriétés négatives des propriétés positives et originales qui donnent
une nature propre à la fantaisie inconsciente ? La fantaisie inconsciente
serait alors une pensée erratique, étrangère au Moi conscient, isolée
par la défense du souvenir et du désir inconscients. Et que peut être
une pensée inconsciente, objet d'une interprétation, sinon une fantaisie ?
La fantaisie est la forme la plus primitive et la plus régressive de la
pensée : une pensée qui, ne posant ni elle-même ni son objet comme
existant ou n'existant pas, se borne à exister, comme l'interprétation
psychanalytique l'atteste. La fantaisie inconsciente se confond avec la
partie inconsciente du processus psychique, selon l'expression de
Freud [14].
La fantaisie inconsciente est donc une activité, un mouvement, une
phase du « processus psychique » ; par définition, elle n'est pas commu-
niquée directement et en tant que telle par l'analysé ; l'interprétation
l'infère à partir de ses émergences énigmatiques dans les « associations
d'idées libres », les lacunes et les directions inaperçues des dires de
l'analysé ; parce que l'interprétation s'applique de près à ces dires, en
dépit de ce qu'elle a de reconstructif, elle n'est pas considérée comme
une construction et on l'en distingue. Par construction, on entend en
général la reconstruction d'un événement probable, d'un fragment
oublié de l'histoire individuelle, que cet événement ait été perçu, fictif
ou plus souvent, une combinaison de perception et de fiction. Mais
bien des constructions ne sont jamais rattachées à des événements et à
des souvenirs spécifiques et repérables ; plus nombreuses sont les
constructions situées d'une manière approximative dans l'histoire
individuelle; rapprochant des fantaisies partielles, elles les articulent

(1) Cette isolation se réfère aussi à des présupposés empruntés à l'information psychana-
lytique du patient : que l'analyse doit être « vécue », qu'elle doit réveiller le souvenir d'expé-
riences infantiles.
524 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

dans un ensemble, comme la scène primitive, le complexe d'OEdipe,


le complexe de castration. Or, qu'est-ce qu'un complexe ? Du point
de vue théorique, le complexe d'OEdipe, par exemple, est un modèle ;
dans l'investigation psychanalytique, c'est la forme particulière et
concrète que le complexe d'OEdipe a prise dans l'histoire individuelle ;
c'est une construction parce qu'il ne se réfère pas directement aux
fantaisies inconscientes décelées par l'interprétation, mais qu'il les
regroupe dans un ensemble fantasmatique ; c'est pour ainsi dire une
reconstruction du second degré, concernant le passé, et non plus une
reconstruction du premier degré, concernant le hic et nunc du champ
psychanalytique et les émergences de la fantaisie inconsciente dans le
discours de l'analysé ; si les innovations terminologiques n'étaient
aussi aléatoires, on pourrait l'appeler fantasme inconscient et en distin-
guer la fantaisie inconsciente : la fantaisie inconsciente est un processus,
une activité qui se dérouledans le temps et que le psychanalyste inter-
prète ; le fantasme inconscient est un modèle structural, immobile et
spatialisé, que le psychanalyste reconstruit afin de fixer les idées, pour
lui puis pour le patient. La fantaisie inconsciente est un mouvement
de l'esprit, la partie inconsciente du processus psychique ; elle émerge
non seulement dans la fantaisie consciente et ses produits, c'est-à-dire
les fantasmes conscients ou fictions, mais dans l'ensemble de la vie
consciente du patient de qui elle infiltre les pensées et les actions ; inversant
ce mouvement, l'interprétation la ramène à des fantasmes inconscients
que le psychanalyste reconstruit, c'est-à-dire aux structures inconscientes
dont elle émerge. Conscient ou inconscient, le fantasme est « la fantaisie
consolidée ». Mouvement ou processus, prolongée dans la fantaisie
préconsciente et consciente, la fantaisie inconsciente est la médiation
entre le fantasme inconscient et le fantasme conscient.

V. — SUR LES FANTAISIES ORIGINELLES

Les vues qui viennent d'être exposées permettent sinon de résoudre


du moins de poser le problème des fantaisies originelles, les Urphan-
tasien de Freud.
Les fantaisies inconscientes dont il a été question jusqu'ici sont
secondaires en ce sens qu'elles procèdent de l'expérience individuelle ;
sont encore secondaires les fantaisies induites par les attentes cons-
cientes ou inconscientes de l'entourage, même si elles procèdent de
traditions et de mythes collectifs. Une fantaisie originelle, c'est-à-dire
une fantaisie inconsciente primaire, ne peut théoriquement procéder
FANTAISIE, REALITE, VÉRITÉ 525

que de dispositions individuelles, telles que les pulsions instinctuelles


et les comportements instinctuels comme sucer le sein, se blottir, suivre
la mère, etc. [6]. La question est analogue à un vieux problème de la
philosophie : existe-t-il des formes a priori de la fantaisie comme il
existe des formes a priori de la connaissance ? C'est la querelle de
l'innéisme et de l'empirisme.
Le concept de fantaisie originelle a été amplement utilisé par Jung,
et dans un autre esprit par Melanie Klein [4, 21]. Mais il a de multiples
références chez Freud ; lui-même a eu recours plus d'une fois à la
mémoire de l'espèce, par exemple en ce qui concerne l'actualisation
des complexes [15] et la genèse du Surmoi [19].
Une telle conception rencontre d'abord une objection méthodolo-
gique. La question se pose à la limite d'une analyse régressive cherchant
à découvrir dans les traces mnésiques de l'expérience individuelle les
racines infantiles des fantaisies inconscientes. On ne peut méconnaître
la fréquence avec laquelle cette tentative échoue. Il pourrait être sage
de s'en tenir là ; à défaut de souvenirs inconscients, postuler des fan-
taisies inconscientes héréditaires est sortir de l'expérience psychana-
lytique et s'engager dans la voie d'une anthropologie plus spéculative
et en tout cas plus générale. Le rôle de la psychanalyse peut être de
dire si le problème se pose et dans quels termes.
Une autre objection est d'ordre génétique. Consciente ou incons-
ciente, la fantaisie impliquerait une activité mentale développée, une
première différenciation du Moi et de l'objet, la capacité de présentifier
l'objet inexistant ou absent ; or, au commencement de la vie, rien de
tel n'existerait, donc toute fantaisie serait impossible [4].
A cette objection, on peut d'abord répondre que, pour être consi-
dérées comme innées, des dispositions n'ont pas à se manifester dès
la naissance mais à être déterminées par la maturation biologique.
En second lieu, si la différenciation des structures cognitives du Moi
et de l'objet est absente au commencement de la vie, on peut parler
de relations d'objet fonctionnelles ; on observe des comportements
d'approche et d'évitement; cette sélectivité est présente dans la for-
mation des premiers noyaux du Moi et constituera l'unité de ses fonc-
tions conscientes et inconscientes [24]. Si la relation avec l'entourage
est peu développée et précaire, elle n'est pas nulle. De plus, il est impos-
sible de nier ce que Freud appelait « perceptions internes », ce que l'on
appelle aujourd'hui réceptions intéroceptives et proprioceptives. Enfin,
si l'on pose que le Moi et les relations d'objets, voire la conscience
psychologique, n'existent pas à la naissance, on crée le pseudo-problème
526 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

de découvrir à partir de quel âge on peut en parler ; la différenciation


de la catégorie d'objet à seize mois, c'est-à-dire la capacité de concevoir
et de maintenir l'existence d'un objet absent, est elle-même le fruit
d'un développement commencé à la naissance [30].
La réflexion sur le modèle freudien de la pulsion va dans le même
sens [16]. Outre sa source corporelle, Freud reconnaît à la pulsion trois
attributs principaux : la pulsion est une poussée motrice vers un but
et un objet. Cette poussée motrice est une « intention », une tension
vers un « quelque chose » mal déterminé. La plasticité du but, la contin-
gence de l'objet, dans certaines limites de convenance, sont cohérentes
avec l'importance attachée par Freud au point de vue économique,
la prédominance primaire de la quantité sur la discrimination quali-
tative. Plus l'idée de l'objet-but est confuse, plus la visée de la pulsion
prend la forme d'une valeur [22], d'un « investissement pré-objec-
tal » [32]. C'est ce qu'exprime Max Scheler : « La faim du nourrisson
est l'intuition de la valeur-nourriture » [36]. Enfin la catégorie de « sens »
est déjà une catégorie de la pensée médicale (Schwarz, cité in [8]),
et le sens peut être véhiculé par les états et les actes corporels du tout
jeune enfant sans être figuré dans des images ou dans des mots [21].
La psychanalyse ne peut écarter radicalement l'hypothèse de fan-
taisies originelles : elle ne parvient pas à ramener toutes les fantaisies
inconscientes aux traces mnésiques d'événements oubliés ; s'il est
indémontrable que les fantaisies originelles procèdent de la mémoire
de l'espèce, leur caractère transculturel peut permettre de les rattacher
à certaines constances dans la relation de l'entourage et d'un organisme
en maturation. Ces constances seraient comme un cadre que l'expérience
individuelle remplirait de contenus particuliers et concrets.
Si de telles fantaisies originelles existent, leur formulation avec des
mots est une construction auxiliaire discutée mais inévitable : comment
en parler autrement qu'avec des mots ? Cette condition ne leur est pas
radicalement spécifique : les fantasmes et les fantaisies secondaires
sont également formulées avec des mots. La différence est qu'il n'est
pas exclu que les fantasmes secondaires intégrant des éléments perçus
intègrent des choses entendues et par conséquent du bruit ou des mots.
D'une manière plus générale si toute fantaisie est auto-érotique, la
fantaisie secondaire est « post-objectale », tandis que la fantaisie
primaire ou originelle serait « pré-objectale ». Ainsi est-elle difficile à
saisir et à formuler comme tout ce qui est mouvement et temporalité ;
divers termes ont pu être employés pour la caractériser : poussée-
motrice-vers, tension-vers, intention, intuition d'une valeur, idée
FANTAISIE, REALITE, VERITE 527

confuse ; elle ne se déploie pas dans des mots ni des images ; sans la
perception, elle ne s'accomplit pas dans des fantasmes conscients ;
elle glisse à la faveur d'états et d'actes corporels qui la véhiculent sour-
dement. Certains psychanalystes ont pu tenter de construire les struc-
tures inconscientes dont elles procèdent, c'est-à-dire des fantasmes
inconscients organisés en une fantasmatique. Une telle fantasmatique
a priori existe-t-elle ? Et si elle existe, quelles sont sa nature et son
origine ? Certes, la psychanalyse a grandement contribué à poser et
élaborer de tels problèmes. Ils se situent cependant aux bornes de l'inves-
tigation psychanalytique; la démonstration et l'investigation d'une « fan-
tasmatique transcendantale » [10] relèvent d'une anthropologie inter-
disciplinaire ; Totem et tabou déborde largement la seule psychanalyse.

VI. — DE LA FANTAISIE INCONSCIENTE A L'EXPÉRIENCE VÉCUE

Reprenant dans l'ordre inverse les fantaisies conscientes, les fan-


taisies inconscientes et les fantaisies originelles, on peut tenter d'esquis-
ser une généalogie de la fantaisie et une description ordonnée de son
domaine. Le principe en est que, dans la fantaisie, la valeur, l'investisser
ment pré-objectal, l'idée confuse l'emportent sur l'idée claire et dis-
tincte de l'objet-but. C'est comme valeur que les formes plus anciennes
de la fantaisie étayent ses formes plus récentes.
Conçue comme l'intuition d'une valeur à laquelle la relation de
l'organisme avec l'entourage fournit un cadre à remplir et l'entourage
des objets, la fantaisie originelle s'actualise dans des expériences plai-
santes ou déplaisantes, des « récompenses » ou des « punitions ». Ainsi
se forment des structures et des investissements mnésiques inconscients,
issus à la fois des « tendances de l'espèce » et de l'expérience individuelle.
La fantaisie inconsciente secondaire est la visée, l'objet-but du
désir inconscient. En tant que telle, elle ne devient jamais consciente.
La valeur, c'est-à-dire l'aspect économique de réinvestissement l'em-
portant sur la structure objectale, elle se prête aux transpositions de la
fantaisie consciente.
Seule la réflexion rétrospective peut s'efforcer à reconstituer les
mouvements de la fantaisie consciente en tant que telle ; cette réflexion
est aléatoire : les mouvements préconscients de la pensée se dérobent
facilement à l'introspection (1) ; au surplus, ce qui intéresse le sujet

(1) Bien avant les travaux de l'École de Würzburg et d'Alfred Binet sur la psychologie de
la pensée, la difficulté de saisir la pensée dans son mouvement a été admirablement formulée
par Maine de Biran : « C'est Eurydice dont le souffle de vie se dérobe au simple regard. »
528 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

ce n'est pas l'imagination mais les images, c'est la présentification des


buts et des objets de la fantaisie ; la fantaisie se saisit mieux dans les
fictions qu'elle produit, c'est-à-dire dans les fantasmes conscients, qui
stabilisent et spatialisent, au moins relativement, le mouvement et la
temporalité de la fantaisie.
La fantaisie peut enfin, sans s'avouer fantaisie, s'infiltrer dans les
divers domaines de l'existence vécue ; l'émotion, le corps, la perception,
la pensée, la parole, l'action peuvent ainsi convoyer des fantaisies
inconscientes. Le fait qu'elles se déploient alors sur des objets indépen-
dants de la fantaisie donne au sujet l'illusion de la réalité et de la
vérité (1).

VII. — LA FANTAISIE DANS L'EXISTENCE HUMAINE

La puissance de fantaisie de l'appareil psychique de l'homme, sa


capacité de viser ce qui est perdu ou inaccessible recule et avance son
désir au-delà des limites du possible et du raisonnable. L'histoire des
sciences elle-même montre avec quel sérieux les fantaisies les plus
archaïques ont pu infiltrer la recherche de la vérité ; l'esprit scientifique
est l'aboutissement d'un lent travail d'élimination de la fantaisie [2].
Une longue tradition dénonce cette emprise de la fantaisie sur l'exis-
tence de l'homme ; sagesse millénaire que des poètes ont exprimée
avec force : « We are such stuff as dreams are made on... », « Nous
sommes de l'étoffe même des rêves », dit Prospero dans The tempest
(La tempête) [38] ; et Calderon, à la plus célèbre de ses tragédies, donne
pour titre une maxime déjà proverbiale avant lui : La vida es sueño
(La vie est un songe) [7].
Ces paroles mémorables appellent des réserves. Le désir vise
des objets indépendants de la fantaisie ; si ces objets peuvent se
prêter au désir, ils peuvent aussi se refuser. Le conflit entre la demande
du sujet et la demande ou l'apport de l'entourage est à la source du
conflit entre fantaisie et réalité.
La réalité est cependant ambiguë ; son opposition avec la fantaisie

(1) Un commentaire psychanalytique sur les infiltrations de la fantaisie dans la vie et dans
l'action ne serait pas superflu mais entraînerait trop loin. Le fait n'a pas échappé aux mora-
listes classiques. Ainsi La Bruyère, faisant allusion à Lauzun, écrit : « Straton est né sous deux
étoiles : malheureux, heureux dans le même degré ; sa vie est un roman : non, il lui manque la
vraisemblance ; il n'a point eu d'aventures ; il a eu de beaux songes, il en a eu de mauvais ;
que dis-je, ou ne rêve point comme il a vécu » (La Bruyère, Les caractères ou moeurs de ce siècle,
De la Cour, 96). On pense encore à l'ouvrage de deux humoristes français contemporains :
La réalité dépasse la fiction [1] ; le hasard à sa part dans cette collection d'involontaires coq-à-
l'âne ; certes, mais quelle est celle de la fantaisie inconsciente ?
FANTAISIE, REALITE, VERITE 529

n'est pas radicale. Ce qui est perçu de l'entourage est moins ce qui
s'offre que ce qui se refuse au désir. Perception non seulement partielle
mais partiale, puisqu'elle forge et pose la réalité comme anti-
désir [32] (1).
L'ambiguïté se retrouve dans le principe de réalité : fondant la
connaissance objective, il fonde également la méconnaissance commune
aux mécanismes de défense, non sans la participation du principe de
déplaisir-plaisir : la compulsion défensive rejette le déplaisant.
C'est pourquoi il peut être opportun d'en détacher un principe
de vérité, mettant en jeu l'attention, la parole et la raison, introduisant
le sujet au-delà du monde commun dans « la communauté inter-
subjective des esprits » c'est-à-dire le monde de la raison [20]. Le
principe de vérité permettrait le dépassement de l'antithèse fantaisie-
réalité.
Il convient d'ajouter que la communauté inter-subjective des
esprits, en l'espèce des sujets de la connaissance, a d'autres impli-
cations. Ce qu'on appelle le consensus omnium, le consentement universel,
ne garantit pas à lui seul la vérité d'une proposition ; le consensus peut
s'établir sur des propositions fausses ou incomplètes, provisoires et
approximatives ; l'accord sur l'erreur procède dans de tels cas du
partage de préjugés, d'idéologies, de mythes, bref de représentations
qui sont de l'ordre de la fantaisie. A l'accord des esprits entre eux
il faut ajouter l'accord de l'esprit avec les choses et l'accord des choses
entre elles. L'accord de l'esprit avec les choses suppose que le jugement
s'étaye sur des données de fait et qu'il ne les dépasse pas, en d'autres
termes que l'hypothèse soit économe : elle ne peut aller au-delà des
faits qu'en tant qu'hypothèse de travail que des données nouvelles
sont propres à confirmer, modifier ou infirmer. L'accord des choses
entre elles signifie la cohérence que la recherche de la vérité parvient
ou ne parvient pas à établir entre les faits.
L'expérience psychanalytique le montre bien. L'accord entre le
psychanalyste et le psychanalysé peut être délusoire, reposer par
exemple sur une convergence entre l'autorité du psychanalyste et la

(1) Dans Das Ich uni dus Es, FREUD rattache « l'épreuve de la réalité » au moi et renonce à
l'attribuer à l'Idéal du Moi, comme il l'avait fait dans Massenpsychologie.Cette positiondemande
à être reconsidérée : non seulement la réalité est fantaisie sur l'autre, mais elle est pour une large
part fantaisie des autres. Le « sens de la réalité » est inculqué commeune règle morale ; on repré-
sente souvent à quelqu'unqu'il prend ses désirs — donc ses fantaisies — pour la réalité. Jusque
dans la recherche scientifique, l'objectivité fonctionne comme une valeur et une règle morales.
On gagnerait en clarté à parler non pas d'objets réels ou extérieurs, mais d'objets indépendants,
c'est-à-dired'existants indépendants de la fantaisie. L'opposition « intérieur-extérieur » appar-
tient à la topologie du « monde privé ».
530 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

complaisance de l'analysé. L'interprétation demande à être étoffée


par des données ; dans la mesure où elle les dépasse, elle n'est plus
une conclusion mais une question et une ouverture. Enfin, le progrès
de l'investigation fait apercevoir une cohérence croissante entre les
pensées inconscientes, passant des fantaisies partielles à une fantas-
matique, c'est-à-dire à une articulation des fantasmes, articulation dont
les caractères ne sont pas ceux de la pensée organisée par la conscience
et le jugement.
Un retour au microcosme psychanalytique précisera ces indications
sur les rapports de la fantaisie avec la réalité et la vérité.

VIII. — FANTAISIE, RÉALITÉ, VÉRITÉ DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE

Des vues courantes font de l'opposition fantaisie-réalité une dimen-


sion essentielle de l'expérience psychanalytique. On entend dire que
« l'analyse se passe dans la réalité », que « le psychanalyste est le
représentant de la réalité ». Ce qui implique que l'analysé repré-
sente la fantaisie. Une telle conception réclame commentaire et
discussion.
De longue date on a signalé, puis souligné, l'action déréalisante de
l'aménagement de la cure. L'analyste est présent, mais dans le silence
et le mystère. La règle fondamentale invite à déraisonner, à laisser parler
la fantaisie [25]. Artifices donc, et artifices déréalisants, mais qui
n'empêchent nullement ce qui se passe d'exister ; si de grandes lignes
sont communes, la diversité et la singularité du développement de la
cure sont là pour en témoigner [23].
Le discours analytique peut être considéré opérationnellement
comme une production de la fantaisie, même si la rationalisation le
domine, car c'est encore fantaisie que de vouloir bannir la fantaisie.
La névrose de transfert actualise dans le présent les conflits passés du
patient, les sollicitations et les retenues de l'inconscient ; ses formes
moyennes s'étalent entre l'ecmnésie hallucinatoire [35] et les tentatives
pour transformer l'entourage psychanalytique [29], L'action de la
fantaisie ne se limite pas à la projection transférentielle, aux questions
et aux demandes qui véhiculent le désir inconscient : elle se manifeste
dans les effets négatifs du transfert, en particulier dans le transfert
de défense et la résistance ; on a déjà dit que les opérations défensives
trouvaient un radical commun dans la méconnaissance délusoire ;
plus souvent que la défense contre la réalité par la fantaisie [13], on
observe la défense contre la fantaisie par la réalité, ou plutôt par une
FANTAISIE, REALITE, VERITE 531

idée fantasmatique de la réalité, et ceci atténue l'opposition de ces deux


directions de la défense (1).
Quant au psychanalyste, faire de lui le représentant de la « réalité »
serait une formulation appauvrissante.
Sa présence « réelle » est la présence d'un « homme sans qualités » ;
idée confuse et valeur plus que connaissance, elle provoque la fantaisie,
l'idéalisation, les idées persécutives et sado-masochiques. La règle
d'abstinence, la non-réponse à la demande font du psychanalyste le
représentant d'une réalité fantasmée comme « anti-désir » [32], à moins
que, pour préserver son idéalisation, le patient ne le fantasme comme un
pauvre être également soumis aux exigences de la loi et de la technique.
Pour l'analyste lui-même, la fantaisie est, comme Ésope le disait du
langage, la meilleure et la pire des choses.
L'aliénation de l'analyste dans son rôle peut en faire le représentant
de sa propre fantaisie. Les préjugés théoriques et techniques empêchent
l'analyse d'être une recherche aveugle armée du bâton blanc d'un
minimum théorique. Son transfert et son contre-transfert peuvent
égarer le psychanalyste, comme une confiance outrecuidante dans ses
intuitions.
La fantaisie de l'analyste a aussi une fonction heuristique. La
règle d'attention flottante ne recommande pas une écoute distraite ;
son sens est de ne privilégier aucun matériel, de rester accessible aux
sollicitations et aux retenues inconscientes, c'est-à-dire à la fantaisie.
Mais l'analyste soumet sa fantaisie à un contrôle logique ; l'élaboration
de l'interprétation pourrait être décrite comme un passage de la fan-
taisie à l'imagination reconstructive. C'est par le rôle de la fantaisie
que l'on peut interpréter la cure comme un dialogue entre l'inconscient
du patient et l'inconscient de l'analyste.
Plutôt que de la réalité, l'analyste est le représentant de la raison et
de la vérité. Si nécessaire que soit l'apport de l'intuition et de la fantaisie,
l'interprétation est une opération rationnelle dont on s'est attaché à
définir les critères [9]. De l'interprétation communiquée, Freud parle
comme d'une argumentation logique, d'une preuve que l'analyste
administre au patient. Ce n'est pas la réalité, c'est l'interprétation qui
fait contraste avec la règle fondamentale ; car, si la règle fondamentale

(1) Un bon exemple est la « contestation » des conceptions théoriques et techniques de la


psychanalyse [12], en particulier la et défense contre le transfert » (qui est elle-même transfert
de défense) par le contre-investissement de la relation analytique dite « réelle », c'est-à-dire de
l'aspect institutionnel et technique de cette relation. La même fonction de défense contre la
fantaisie inconsciente peut être remplie par le recours aux idées psychanalytiques « reçues ».
532 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

peut se résumer par « Déraisonnez, vous », l'interprétation veut dire :


« Maintenant, raisonnons, vous et moi. » L'interprétation induit ainsi
un saut qualitatif de la fantaisie à la vérité ; à travers les instants de
vérité qui jalonnent la cure, le dialogue de sourds se mue en dialogue
vrai entre sujets de la connaissance ; un pont est construit entre le
monde privé et le monde de la raison, au-dessus du monde commun de
la réalité perceptive, de l'opinion et du « bon sens ».
La construction de ce pont ne signifie pas la destruction de la fan-
taisie inconsciente. Comment en serait-il ainsi ? La fantaisie inconsciente
correspond à une fonction permanente et vitale de l'appareil psychique.
L'interprétation ne la remplace donc pas par une fantaisie consciente
mais par la conscience de la fantaisie, c'est-à-dire une connaissance.
Cette connaissance articule la fantaisie inconsciente de désir ou de
défense avec le Moi conscient ; elle permet plus de distance par rapport
aux défenses, plus de familiarité par rappport aux désirs inconscients,
si souvent ressentis comme étrangers alors même qu'ils sont
reconnus [13]. C'est à la fois un facteur et un résultat de la cure que
ce progrès dans la capacité de passer de la raison à la fantaisie et vice
versa, de se mouvoir entre ces deux systèmes de référence ; on l'a appelé
l'effet de décentration ; il contraste avec le confinement dans le monde
privé de la fantaisie ou le monde commun du bon sens et de
l'opinion [24, 25].
Un autre changement en rapport avec la fantaisie est le remanie-
ment fantasmatique. Certaines cures permettent de l'observer claire-
ment. Par exemple, des fantaisies narcissiques, sadomasochiques et
persécutives s'effacent au profit de fantaisies libidinales étayées sur
d'anciens investissements objectaux. Quel que soit le rôle de l'intro-
jection de l'analyste en tant que « bon objet », il ne doit pas faire
méconnaître que l'action de cette présence, outre l'analyse du système
défensif, permet à l'analysé de déplacer la source de sa fantaisie de
souvenirs déplaisants sur des souvenirs plus plaisants et souvent plus
anciens. C'est là un mécanisme intime du « recommencement » [3] (1).

(1) La notion de remaniement fantasmatique pose un problème plus qu'elle ne le résout :


on peut faire plusieurs hypothèses sur sa nature et sa portée :
a) L'abolition des fantasmes inconscients est elle-même un fantasme, comme en témoigne
leur réactivation dans les rechutes qui peuvent survenir après une cure techniquement terminée
et thérapeutiquement efficace ;
b) Le remaniement fantasmatique pourrait être — il l'est certainement en partie — un
processus cognitif, l'objectivation des fantasmes inconscients, permettant au patient de se
situer par rapport à ces fantasmes et d'en reconnaître les infiltrations dans la pensée et l'action ;
c) Le remaniement fantasmatiquepourrait être un déplacement de la fantaisie par rapport
FANTAISIE, REALITE, VERITE 533

L'issue de la cure dans la vérité de la pensée, de la parole et de


l'action est la façon dont le psychanalyste peut saisir la sublimation en
tant que mécanisme de dégagement du Moi [5, 24]. C'est à juste titre
qu'on définit la sublimation par l'autonomie secondaire du travail,
du jeu, de la création; autonomie secondaire, c'est-à-dire distance
par rapport au conflit inconscient, mais non pas abolition de la fantaisie
inconsciente. Pour la pensée et pour l'action, c'est une chose de convoyer
une fantaisie sous les apparences de la vérité pratique, logique, morale
ou esthétique ; c'en est une autre d'avoir une résonance fantasmatique,
tout en restant une pensée et une action vraies. Ce n'est qu'en rétré-
cissant le champ spatio-temporel de la pensée et de l'action qu'on peut
les fantasmer comme radicalementindépendantes des fantasmes incons-
cients. Si, au lieu de parler des sublimations comme d'investissements
établis on s'attache à la sublimation en acte, par exemple aux activités
de l'artisan, du sportif, du penseur, de l'artiste, on s'aperçoit qu'elles
sont constamment animées par des intentions narcissiques, agressives,
libidinales ; il serait inutile de postuler ici une transmutation de l'énergie
pulsionnelle par ailleurs problématique ; la « santé mentale » ne signifie
pas l'autonomie complète de la pensée et de l'action par rapport aux
structures inconscientes (ce qui serait une isolation) mais bien plutôt
une autonomie relative impliquant la communication entre les struc-
tures inconscientes et les activités adaptatives et créatrices du sujet.
Le « projet existentiel » a ses sources dans la fantasmatique incons-
ciente. Il reste vrai que « les désirs inconscients sont le coeur de
notre être » [14].
IX. — CONCLUSIONS

La fantaisie n'est donc pas un problème spécial à l'analyse ni un


problème spécial de l'analyse. Elle est une dimension fondatrice
de l'expérience psychanalytique parce qu'elle est une dimension
essentielle de l'existence humaine. Si le désir ne va pas sans fan-

aux fantasmes, c'est-à-dire un désinvestissement de certaines structures inconscientes et le


réinvestissement d'autres structures inconscientes ;
d) Le remaniement fantasmatique pourrait enfin procéder d'un changement effectif des
fantasmes inconscients : les fantasmes préexistants à la cure seraient remplacés par d'autres
fantasmes, au moins partiellement. Quelque chose d'approchant semble observable dans la
psychanalyse des jeunes enfants. Plus l'âge augmente, plus une telle forme de remaniement
fantasmatique paraît douteuse ; le changement se limiterait alors à ce que les structures in-
conscientes de la fantaisie se nourrissent et se surchargent d'apports nouveaux, en fonction de
l'attraction de l'inconscient. Mais de grandes différences individuelles rendent aléatoires les
vues et les prévisions fondées sur la seule différence d'âge. En dernière analyse, ce qui serait
décisif est le rapport de la résistance au changement à la capacité de changement.
REV. FR. PSYCHANAL. 35
534 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

taisie, c'est pour une large part la capacité de fantaisie de l'homme qui
confère à son désir l'ampleur de ses visées comme sa propre négation.
Il y a beaucoup de sens à dire que la vie n'est que songe ; l'homme
est cependant parvenu à constituer dans ce songe des îlots cohérents
et confluents de vérité et d'efficacité. Mais la recherche de la vérité est
elle-même une des intentions fondamentales du rêve de l'homme. S'il
n'y avait pas de fantaisie et d'imagination, l'homme comme l'animal
resterait englué dans le présent et dans les choses ; il n'y aurait ni
réalité ni vérité, il n'y aurait pas non plus de psychanalyse.
En revanche, s'il n'y avait pas de réalité indépendante, la fantaisie
ne serait pas reconnue ; et s'il n'y avait pas de raison, elle ne serait pas
connue. C'est en dernier ressort la logique qui permet de voir clair dans
la fantaisie, c'est-à-dire de parvenir à la vérité analytique ; mais elle
ne pourrait y parvenir si la raison n'était déjà, de quelque manière,
impliquée dans la fantaisie. Freud a souligné que des fantasmes incons-
cients pouvaient être hautement organisés [17]. On doit aller plus
loin; les fantasmes ne sont pas éparpillés, incohérents : ils ont leur
logique, qui certes n'est pas celle du sujet de la connaissance ; on peut
appeler « fantasmatique » cette sorte de systématisation des fantasmes
et cette fantasmatique est le véritable objet de l'investigation psychana-
lytique ; la découverte des fantasmes dominants éclaire beaucoup de
choses du présent et du passé ; les pièces du puzzle se rassemblent
dans un ordre.
C'est ainsi qu'une patiente, parlant d'une obsession de la légitimité
du mariage de ses ascendants, obsession depuis longtemps éteinte,
fit un lapsus : au lieu d' « ascendance » elle prononça le mot « descen-
dance » ; ce qui avait été supposé apparut ainsi d'une manière claire et
décisive : l'extraordinaire concentration sur l'histoire de sa famille
avait été un moyen de combattre a contrario la crainte obsessionnelle
d'avoir elle-même un enfant illégitime, et plus précisément, le désir
et la crainte d'avoir un enfant de son père ; c'était la teneur originelle,
le Wortlaut de l'obsession.
Un homme qui fréquentait exclusivement des prostituées avait le
fantasme inconscient d'être une femme subissant l'accouplement et
d'avoir un enfant ; certaines prostituées représentaient l'analyste, ce
qui, sans mentionner d'autres données, fut attesté un jour que le patient,
à la fin de la séance, déclara en se levant du divan : « Vous aussi, vous
me mettez sur le dos » ; or, il arrivait que dans de telles conditions,
c'est-à-dire lorsque le rapport avec la prostituée avait lieu le patient
étant sur le dos, la tentative de coït fît fiasco ; cet échec s'accompagnait
FANTAISIE, RÉALITÉ, VÉRITÉ 535

d'un ricanement intérieur qui pouvait s'énoncer : « Tu ne m'auras


pas » ; ainsi, la logique de sa fantaisie d'être une femme subissant
l'accouplement entraînait que l'absence d'orgasme prît le sens non
d'une impuissance masculine mais d'une frigidité féminine.
Les exemples pourraient être multipliés. Les deux cas cités suffisent
pour conclure. En changeant un mot mais non le sens d'une pensée de
Pascal, on peut dire que la fantaisie a ses raisons que la raison ne connaît
point. La fantaisie ne les connaît pas non plus. Seule la raison peut les
découvrir. Et si la raison peut les découvrir, c'est bien que ces raisons
sont déjà latentes dans la fantasmatique. C'est, en d'autres termes, que
le Xoyoç est déjà présent dans le (AUÔOÇ. Dans cette perspective, et sans
implication défavorable, les conceptualisations théoriques et générales de
la fantasmatique des divers analysés peuvent être appelées des mythologies.
Voir dans la fantasmatique l'organisation des fantasmes inconscients
n'entre pas en contradiction avec l'assimilation de la fantaisie incons-
ciente à un processus actif de réinvestissement. La fantasmatique est
une notion structurale, un cadre conceptuel pour les données et les
résultats terminaux de l'investigation psychanalytique ; plus distante
du matériel clinique, elle est explicitement reconnue comme une
construction. La théorie économico-dynamique de la fantaisie incons-
ciente, c'est-à-dire de ce que décèle l'interprétation concerne la nature
de la fantaisie inconsciente : un mouvement inconscient de l'esprit qui
se prolonge dans la fantaisie préconsciente et consciente et s'immobilise
dans les fantasmes conscients auxquels il aboutit.

RÉSUMÉ

A la différence de la « fantaisie consciente », l'existence et la nature


de la « fantaisie inconsciente » sont inférées sur la base de l'expérience
psychanalytique (I). Construite à partir du modèle de la fantaisie
consciente, une définition provisoire de la fantaisie inconsciente ne
peut en retenir tous les éléments, en particulier la modalité de la
croyance et du jugement ; par hypothèse, la fantaisie inconsciente
peut être définie comme une intention positive ou négative qui vise
un objet-but — c'est-à-dire une valeur positive, négative ou mixte —
et qui ne se questionne pas sur l'existence indépendante de son objet (II).
L'investigation psychanalytique ne peut se passer du concept de
fantaisie inconsciente ; le psychanalyste formule avec des mots « quelque
chose » qui existe mais qui n'est pas dit explicitement par le patient et
que le patient ne sait pas ; toute interprétation et toute construction
536 REVUE FRANÇAISE. DE PSYCHANALYSE 4-1964

psychanalytiques mettent en cause la fantaisie inconsciente (III).


En ce qui concerne sa nature, la fantaisie inconsciente est incluse dans
la réactivation du souvenir par le désir ; cette constatation amène à
souligner l'aspect économique de « ce stade préliminaire de la formation
des rêves et des symptômes » (S. Freud) ; réinvestissement ou revalo-
risation plus que représentation différenciée, intensive plus qu'exten-
sive, la fantaisie inconsciente se prête aux transpositions du processus
primaire. Détachée du souvenir, du désir et de l'affect, ne posant
l'existence ni d'elle-même ni de son objet, la pensée inconsciente
ne peut être que fantaisie. Il faut en distinguer le fantasme inconscient,
construction structurale qui rassemble et articule des fantaisies par-
tielles (IV). Ces vues conduisent à envisager la « fantaisie originelle »
non comme une représentation différenciée mais comme l'intuition
d'une valeur, structurée par les constances transculturelles de la relation
de l'organisme en maturation avec l'entourage humain et matériel;
l'expérience individuelle, la perception substituent à l'intuition de la
valeur, investissement pré-objectal, un investissementobjectai particulier
et concret (V). La généalogie des fantaisies originelles, des fantaisies
inconscientes, des fantaisies conscientes et des formes fantasmatiques
de la pensée et de l'action va de la valeur à la représentation, les formes
plus primitives de la fantaisie étayant ses formes plus évoluées (VI).
L'extension de la fantaisie donne une grande portée à la parole de
Calderon, La vie est songe ; le désir cependant vise des objets indépen-
dants de la fantaisie, lesquels peuvent s'offrir ou se refuser ; la réalité
apparaît ainsi comme un corrélatif de la fantaisie mais un corrélatif
infiltré par la fantaisie ; la vérité est le dépassement du conflit de la
fantaisie et de la réalité (VII). Ce rapport dialectique de la fantaisie,
de la réalité et de la vérité est illustré par un retour au champ psychana-
lytique, l'examen de la relation entre la règle fondamentale et l'inter-
prétation, et enfin de certains principes de l'action de la cure : décen-
tration, remaniement fantasmatique, sublimation (VIII). La triade
fantaisie, réalité, vérité est considérée comme fondement de l'existence
humaine, de la science et de la psychanalyse. Toute « raison » n'est pas
absente de la fantasmatique, c'est-à-dire du système des fantaisies,
faute de quoi la raison ne saurait l'y découvrir. Enfin, la fantasmatique
est un concept structural, le système des fantasmes inconscients
reconstruits à partir de l'investigation analytique ; l'hypothèse qui ferait
de la fantaisie inconsciente un processus de réinvestissement concerne
la nature de la fantaisie inconsciente et se réfère au point de vue écono-
mique ; structuralement, la fantaisie inconsciente est une pensée erra-
FANTAISIE, REALITE, VERITE 537

tique, détachée du souvenir, du désir et de l'affect ; elle se promeut


dans la fantaisie consciente et ses productions, c'est-à-dire les fantasmes
conscients ; le fantasme inconscient est la reconstruction des structures
inconscientes dont la fantaisie inconsciente procède.

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[13] FREUD (A.) (1936). Das Ich und die Abwehr-mechanismen, London, Imago
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[14] FREUD (S.) (1900). Die Traumdeutung, G.W., II-III.
[15] FREUD (S.) (1909). Bemerkungen über einen Fall von Zwangsneurose,
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[16] FREUD (S.) (1915). Triebe und Triebschicksale, G.W., X, 210-32.
[17] FREUD (S.) (1915). Das Unbewusste, G.W., X, 264-303.
[18] FREUD (S.) (1921). Massenpsychologie und Ich-Analyse, G.W., XIII,
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[21] ISAACS (S.) (1948). The Nature and Function of Phantasy, I.J.P., 1948,
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[22] LAGACHE (D.) (1949). XIIe Conférence des Psychanalystes de Langue
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538 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

[23] LAGACHE (D.) (1956). Les artifices de la psychanalyse. Les Etudes philo-
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[24] LAGACHE (D.) (1958). La psychanalyse et la structure de la personnalité,
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[25] LAGACHE (D.) (1959). Conscience et structures, L'Évolution psychiatrique,
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[26] LALANDE (A.) (1902-1923). Vocabulaire technique et critique de la philo-
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[27] LEUBA (J.) (1949). Introduction à l'étude clinique du narcissisme, Revue
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[28] MACALPINE (I.) (1950). The Development of the Transference, Psychoana-
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[30] PlAGET (J.) (1937). La construction du réel chez l'enfant, Paris, Delachaux
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[31] PUJOL (R.) (1962). Approche théorique du fantasme, Société française de
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[34] SARTRE (J.-P.) (1940). L'imaginaire, Paris, Gallimard, 1949, 246 p.
[35] SAUSSURE (R. de) (1950). Tendances actuelles de la Psychanalyse, Congrès
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[36] SCHELER (M.) (1913). Wesen und Formen der Sympathie, tr. fr. par
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[37] SCHUHL (P.-M.) (1958). Les puissances de l'imagination, Revue philo-
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[38] SHAKESPEARE (W.) (1611-1612). The Tempest, acte IV, scène 1, vers 157.
[39] WAALS (VAN DER) (1949). Le narcissisme, Revue française de Psychanalyse,
1949, XIII, 4, 501-26.
Ontogenèse du fantasme
par M. BÉNASSY et R. DIATKINE

Sie wird, das Unsagbare bedeuten, indem sie


das Sagbare Klar darstelft (Signifier ce qu'on
ne peut dire en montrant clairement ce qu'on
peut dire).
L. WlTTGENSTEIN, 1918.
... denn fur das Psychische spielt das Biolo-
gische wirklech die Rolle des imterliegenden
gewachsenen Felsens (... dans le champ du
psychisme c'est le facteur biologique qui est
vraiment le fond des choses).
S. FREUD, 1937.

Nous aurions souhaité éviter de commencer cet article par une


définition du fantasme ou phantasme pour nous contenter de deux
descriptions, celle du fantasme conscient, récit du malade (fantasme
manifeste) auquel le psychanalyste donne une interprétation (fantasme
latent) et celle du fantasme inconscient, comportement du malade
auquel le psychanalyste propose un fantasme récit qui décrit son
comportement.
INTRODUCTION
Mais en guise d'introduction nous voudrions signaler que les
nombreuses définitions du fantasme s'ordonnent autour de points de
départs, de concepts différents. On peut rapporter le fantasme à réalité,
perception, souvenir mais la réalité est construite de souvenirs et de
perceptions ; la perception elle-même est construite de souvenirs et
d'informations.
Il est plus commode de prendre comme point de départ le sentiment
de certitude, du réel, du moi, du non-moi, comme les philosophes de
la conscience, mais cela ne nous mène pas loin, encore que cela ait mené
Federn (1952) assez loin. On peut aussi partir du sentiment de doute,
le fantasme sera défini par le critère opératoire, c'est le critère de
Freud (1911-1916), la mise à l'épreuve de la réalité (1). C'est sur les

(1) FREUD, 1916 : Une perception que l'action ne fait pas disparaître est reconnue comme
«
externe, comme réalité. »
540 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

insuffisances de cette définition que nous insisterons. Elle laisse intact


le problème de la distinction opératoire du fantasme et du souvenir,
plus précisément celui de la distinction : souvenir de la perception et
souvenir du fantasme. Rien dans l'image ni dans le contexte de l'image
ne permet cette distinction : le désir ou la peur modifient si facilement
l'un et l'autre. Au niveau phénoménologique aucun critère intrinsèque
ne permet de distinguer le souvenir d'une perception du souvenir d'un
fantasme. C'est ce qui a permis à Freud de dire que le fantasme « a
plus de poids dans la névrose que le monde extérieur ». Mais c'est bien
souvent le souvenir du fantasme, qui a plus de poids dans la névrose que
le souvenir de la réalité (1).
Pour en revenir au fantasme tel qu'on le rencontre dans la pratique,
quelles que soient les circonstances, dès qu'on l'interprète, on fournit,
grâce au langage et à lui seul, une « nouvelle conscience » à l'enfant, à
l'adulte, à soi-même. Ni l'observation clinique, ni la réflexion phéno-
ménologique, ni l'introspection ne peuvent franchir la barrière du
langage.

L'INCONSCIENT ET LE LANGAGE

Ici se pose le problème de l'inconscient, ou plus exactement du


choix du langage à employer pour parler de l'inconscient (2).
Si nous imaginons le langage comme séparant et unissant conscient
et inconscient, on peut aborder l'inconscient par son endroit, avec les
mots du langage courant ou de la réflexion philosophique : c'est se
condamner à retrouver dans l'inconscient le langage qui le construit,
c'est « une façon de parler » (Janet) (3). On peut aussi aborder l'incons-
cient par son envers et construire une psychologie sans conscience,
une psychologie du comportement, une psychophysiologie, c'est se
condamner à ne jamais retrouver l'événement vécu. Mais il n'est pas

(1) Voici deux exemples d'absence de critère intrinsèque.


Le sage chinois Chouang Tchou rêva un jour qu'il était un papillon. Il se réveille, il est
Chouang Tchou. Mais depuis ce jour il n'a jamais su s'il était Chouang Tchou qui avait rêvé
qu'il était un papillon, ou s'il était un papillon qui rêvait qu'il était Chouang Tchou.
Alice au retour de son voyage « de l'autre côté du miroir » se pose la même question : « Qui
a rêvé tout cela. Ce ne peut être que moi ou le Roi Rouge... Il faisait partie de mon rêve, bien
sûr, mais moi aussi, je faisais partie de son rêve ! » Mais Lewis Carroll n'oublie pas qu'il est un
logicien, il utilise un critère extrinsèque, il termine en disant : « Qui pensez-vous que c'était ? »
(2) Si nous consultons Freud, nous trouvons à peu près qu'il a d'abord utilisé inconscient
comme un adjectif, puis comme un substantif (avant la théorie des deux instincts) pour finale-
ment en revenir à l'utiliser comme un adjectif. Cf. SANDLER, « fantasme inconscient au sens
descriptif » et « fantasme dans l'inconscient ».
(3) Cité par FREUD dans JONES (1957).
ONTOGENESE DU FANTASME 541

vrai que nous ayons à choisir entre deux modèles d'explication. Nous
avons à choisir entre deux modèles d'analogies. Utiliser un langage psy-
chophysiologique, c'est établir une analogie avec un modèle réductif
physico-chimique. Utiliser le langage de tous les jours c'est établir une
analogie avec un modèle linguistique conscient, « en montrant claire-
ment ce qu'on peut dire, en donnant un sens à ce qu'on ne peut dire »
(Wittgenstein, 1918), un tel modèle se réfère en dernière analyse à
l'intuition du corps propre, à des événements, vécus. Mais le point
essentiel, c'est non seulement qu'on n'est pas obligé de choisir, mais
qu'on ne doit pas choisir. Car cela a un sens de chercher les corrélations
entre un événement physico-chimique et un événement vécu, comme
Fessard (1954) parmi d'autres l'a montré. Ce serait aussi facile qu'en-
nuyeux de décrire le fantasme inconscient, soit en termes de langage,
soit en termes de psychophysiologie. De plus de telles descriptions
seraient « indéterminées », c'est-à-dire qu'en l'état actuel de la science
on peut construire plusieurs modèles psychophysiologiques également
satisfaisants. Ajoutons que quel que soit l'état de la science, tout modèle
linguistique restera indéterminé. Nous voudrions donc, non pas décrire
l'inconscient en langage ordinaire, mais montrer comment fonctionne
l'inconscient, et comment ses fonctions s'articulent avec le langage.
C'est la méthode même de la science moderne, un savant ne décrit pas,
ne définit pas l'énergie, la matière, mais les phénomènes, les actions,
les fonctions qu'il rapporte au concept d'énergie et de matière. En fait,
nous partirons de Freud et de cette remarque de Jones (1953) : « Ce
n'est pas tellement en démontrant l'existence de l'inconscient que
Freud a apporté une contribution révolutionnaire à la psychologie,
qu'en montrant l'existence de deux catégories de processus mentaux
qu'il a respectivement appelé primaires et secondaires... » En d'autres
termes, les tendances primaires inconscientes de l'organisme sont
soumises à des lois originales différentes des lois qui régissent les pro-
cessus secondaires préconscients et conscients. Ces lois primaires
sont guidées par le principe de plaisir.
Deux d'entre elles sont essentiellement négatives :
1. Il n'y a pas de temps dans l'inconscient, c'est-à-dire que les tendances
primaires ne sont pas dans le temps, ou leur temps est discontinu
(ce qui se traduit par la nécessité de satisfaction immédiate, et l'ins-
tabilité des investissements) ;
2. Il n'y a pas de contradiction dans l'inconscient, c'est-à-dire que des
tendances primaires contradictoires existent simultanément.
542 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Deux autres lois primaires sont essentiellement positives :


1. Les tendances peuvent se déplacer d'un objet à l'autre avec une
extrême facilité ;
2. Elles peuvent aussi facilement condenser deux ou plusieurs objets
en un seul.
C'est en effet le langage qui construit le temps et les contradictions.
En l'absence de repères spatiaux, verbaux ou sociaux, les comparaisons
du temps écoulé sont incertaines. Hors du langage il n'est pas de termes
ou de relations contradictoires, mais un autre terme, une autre relation.
Aussi l'inconscient nous apparaît-il dépourvu de temps et de contra-
dictions.
Au contraire, déplacement et condensation existent dans le langage
même. Trope, métonymie, sont des déplacements (l'étymologie est
en grande partie l'histoire, la « dyschronie » (F. de Saussure, 1915) de
tels déplacements), concepts et métaphores des condensations ou les
deux à la fois. Il est donc naturel que déplacement et condensation
apparaissent comme des attributs positifs de l'inconscient puisque le
langage les utilise, alors que temps et contradiction apparaissent comme
des attributs négatifs, puisque le langage les construit.
Je voudrais préciser deux points :
1. La naissance du temps et de l'espace dans le langage grâce à la
syntaxe ;
2. L'importance des condensations et déplacements dans la sémantique.
Pour le psychophysiologiste le temps est discontinu, il parle de
points de temps (vécus) correspondant aux modalités d'excitation des
différentes terminaisons sensorielles.
Dans l'étude de l'activité habile (skill, Bartlett, 1947-1948),
comme dans celle du langage (Lashley, 1951), on peut mettre en
évidence :
a) Des éléments sans valeur temporelle propre ;
b) Des tendances dominantes, intentions, dépourvues, de valeur
temporelle ;
c) Des schémas ordonnés que Lashley appelle sériation temporelle
et que Bartlett appelle clés. Ce sont des expériences conscientes
verbalisées apportées par la syntaxe. C'est la véritable organisation.
Rappelons-nous, tout d'abord, que l'ordre spatial, la posture, est
nécessaire à l'organisation temporelle (timing).
ONTOGENESE DU FANTASME 543

Mais voyons surtout dans un exemple comment la syntaxe ordonne


le temps. Je l'emprunterai après bien d'autres, on n'en trouve pas de si
bon en français, à la langue anglaise.
C'est la première et célèbre strophe du poème du Jabberworky (1) :
'T was brillig and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wake
All mimsy were the borogoves
And the morne raths outgrabe.

Lorsqu'on a supprimé les mots absurdes (qui sont, en fait, des


condensations, Humpty Dumpty nous l'apprendra) (2), il reste :
'T was —, and the — —s
Did — and — in the —
All — were the —s
And the — —s —be.

Ce reste exprime relations et modalités dit le linguiste. Disons


seulement que la syntaxe exprime le temps et l'espace.
Quant aux condensations et déplacements, nous n'insisterons pas
sur les différentes figures qui détournent un mot de son sens propre,
nous nous contenterons de dire quelques mots de la métaphore.
C'est à cause de sa charge de déplacement et de condensation que
Lichtenberg pouvait dire que la métaphore est toujours plus intelligente
que son auteur et Charles Bally que la métaphore résulte de la paresse
de la pensée et de l'expression (Spoerri, 1957). Mais la métaphore
existe à notre insu dans le langage le plus courant. Dire d'une bouteille,
en français, qu'elle a un col, un goulot, une panse, un cul, qu'on la
bouche, c'est employer une métaphore qui se rapporte au corps de
l'homme (3). Pour montrer la charge émotionnelle qu'apportent conden-
sation et déplacement, je citerai deux métaphores célèbres :
PASCAL.
— « L'hommen'est qu'un roseau, le plus faible de la nature,
mais c'est un roseau pensant. »
SHAKESPEARE.
— « The milk of human kindness. »
Pour en revenir plus directement à notre sujet, nous pensons que

(1) Nous l'avons trouvé dans J. FOURQUET (1958) qui l'a emprunté à Ch. F. HOCKETT
(A course in moderne linguistics, New York, 1958) et ajoute que Ch. C. PRIES (The Structure of
English, New York, 1952) en attribue l'idée à Eileen T. WITCKIN.
(2) Une bonne théorie du langage doit tenir grand compte des opinions d'Humpty Dumpty.
(3) Cf. Dame-Jane et demijohn.
544 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Paula Heimann (1962) a très exactement vu cette articulation des pro-


cessus primaires et secondaires dans le langage, lorsqu'elle écrit :
The analyses interpretation proceeds from a number of questions. Put
briefly though in BAD GRAMMAR (2) they are « why is the patient as who,
doing what to the analyst as whom ? », « And why just now ? »
(Les interprétations de l'analyste répondent à certaines questions.
On peut les réduire à ceci bien que ce soit bien peu grammatical (1).
« Pourquoi le malade en tant que qui, fait-il ça à l'analyste en tant que
qui ? » « Et pourquoi maintenant ? ») J'ajouterai : « Et pourquoi
maintenant en tant que quand ? ».
Pour parler le langage de l'inconscient nous ne devons pas respecter
la syntaxe qui sépare, classe et ordonne, nous devons circuler librement
dans un monde où le temps n'a pas d'épaisseur. « Mon père est cet
homme de 25 ans qui a fait telle chose, est ce personnage qui a joué un
rôle important dans ma vie, est cette silhouette d'un rêve, est mon
analyste » où la contradiction n'existe pas ; « je l'aime » n'est pas autre
chose que « je la hais », « je la dévore », « elle me dévore », « elle dorme la
vie », « elle donne la mort », ou simplement « nous ne sommes qu'un ».
On peut exprimer brièvement, mais incomplètement la même idée,
en disant que dans le langage que le patient apprend à parler avec son
analyste, l'illogique des conjonctions (et... et) doit remplacer la logique
des disjonctions (ou... ou). C'est peut-être le seul point où nous soyons
en désaccord avec Lagache lorsqu'il nous dit : l'interprétation signifie :
« Maintenant raisonnons vous et moi. » Nous pensons qu'elle signifie :
« Maintenant déraisonnons à ma manière... si vous voulez bien. »
Le fantasme inconscient est donc pour nous un comportement
inconscient régi par les processus primaires, il obéit à des lois originales
dont certaines sont hors du langage et d'autres dans la structure du
langage.
Mais le problème de la description du comportement d'un organisme
ne peut être posé qu'en relation avec son environnement. Bien plus,
comme l'organisme, son environnement et leur relation changent avec
le temps, le problème de l'origine ne peut être esquivé. C'est Jones (1958)
qui disait de Freud : « Pour lui, en général, une question de signification
devenait tout de suite une question d'origine. » Ce sentiment du temps,
de l'histoire ou de l'évolution comme vous voudrez l'appeler est
si fort chez Freud qu'on peut y voir maintenant encore le cachet même
de sa pensée.

(1) C'est nous qui soulignons.


ONTOGENESE DU FANTASME 545

On devra donc :
1. Décrire une infrastructure du fantasme hors de toute possibilité
de verbalisation, cette infrastructure ne peut être que psychophy-
siologique, impliquant différents niveaux d'intégration et une interac-
tion organisme-environnement. Elle ne devra pas être contradictoire
avec le fantasme verbalisé qui est l'événement vécu ;
2. Avec les symboles, les mots, leur structuration, introduire dans le
fantasme tout l'environnement social, humain. On mettra alors en
évidence le facteur social qui préside au choix des symboles, le
rôle de l'analyste qui insère le fantasme dans un comportement
verbal et dans une relation humaine.

INFRASTRUCTURE : LA NATURE DANS LE FANTASME


(ou ontogenèse du fantasme dans le langage de la psychophysiologie)
Ce sont les concepts de la psychophysiologie qui nous permettent
de le décrire. Il serait fastidieux d'en donner une description physiolo-
gique précise, nous préférons partir d'exemples qui nous ont été fournis
par nos co-discutants (1).
Le Dr Segal nous dit : « La première faim et l'effort instinctuel
pour satisfaire cette faim sont accompagnés par le fantasme d'un objet
capable de satisfaire cette faim. »
Le Dr Lagache nous dit : « La faim du nourrisson est l'intuition de
la valeur nourriture » (Max Scheler).
Demandons-nous pourquoi la première faim, pourquoi la faim,
pourquoi instinctuel ?
Un enfant est né, ses besoins, tant qu'il a été un foetus ont été
satisfaits avant même d'être des besoins. Il est pourvu de quelques
réflexes. Dès que l'environnement suppose qu'un besoin pourrait
naître, il lui propose le sein, un biberon, une cuillerée d'eau. Nous
pouvons supposer le besoin avant qu'il existe, mais non la faim. Quand
surviendra donc la première faim puisque nous nous efforçons de
l'anticiper ? Elle surviendra avec la première faute de l'entourage.
Mais pourquoi en fantasme ? Nous pouvons nous en passer : nous
supposons seulement que le déplaisir est fortement investi, sans qu'il
y ait de place pour un fantasme. Le sein arrive, les activités réflexes

(1) Nous remercions ici le Dr Segal et le Dr lagache. Ils nous ont aidés à comprendre que
toute discussion du fantasme doit considérer les points suivants : qu'est-ce qu'un fantasme
inné ? Un désir halluciné ? L'épreuve de la réalité ? De plus ce n'est pas par hasard que ces
exemples sont pris dans l'enfance, car un enfant ne parle pas.
546 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

de succion sont déclenchées : et alors qu'elles se poursuivent, le déplaisir


disparaît, l'investissement est déplacé sur les activités. Mais la seconde
faim est toute différente : avec les premières sensations de déplaisir
liées au besoin, les traces mémorielles des activités sensori-motrices
de succion sont excitées et investies, et nous avons là ce qu'on peut
appeler fantasme ou intuition de la valeur nourriture.
On peut aller plus loin. Quand on nous dit : « L'enfant qui suce
son pouce avec satisfaction halluciné une bonne expérience », nous
préférons dire : il vit une bonne expérience. Dans un état de tonus
musculaire abaissé, il investit les activités sensori-motrices de sa bouche,
et contre-investit l'absence d'informations visuelles et tactiles, et proba-
blement en partie les informations sensori-motrices qui proviennent
de sa main. La phrase : « L'enfant qui se réveille en criant, se détournant
du sein de sa mère halluciné de mauvais objets », peut être aussi traduite.
Il éprouve, il vit une mauvaise expérience, un déplaisir provenant proba-
blement de son ventre, de sa gorge, de sa bouche, qui s'étend à son
système musculaire en une crise de rage, ou disons qu'il s'efforce
de le combattre. Il contre-investit ses sensations viscérales, et investit
son activité musculaire dans un état de tonus musculaire élevé (1). Si sa
mère est incapable de l'apaiser avec le contact de son corps, le berce-
ment, les douces paroles et les chansons, elle devient un mauvais objet,
et en vérité elle en est un. Nous devrions chercher, par exemple, si
elle n'est pas devenue anxieuse depuis quelque temps. Nous pouvons
facilement décrire ces expériences primitives sans utiliser les concepts
de fantasme ni d'instinct. Il nous suffit de savoir que l'enfant est né
pourvu de quelques automatismes nerveux que nous pouvons bien
appeler instincts. Il est alors facile d'accepter que le fantasme et l'ins-
tinct (comportement agressif et libidinal) soient construits simultané-
ment dans la relation de l'organisme avec l'environnement.
Ceci n'est pas bien loin de la remarque du Dr Segal : le fantasme
est l'expression de l'instinct et une fonction défensive contre la réalité.
Si, au lieu de les accepter tous deux à la fois (au niveau des processus
primaires) nous concluons logiquement (au niveau des processus
secondaires) que l'instinct est une défense contre la réalité cela signifie
qu'il n'y a pas d'instinct ni de fantasme dans l'état de satisfaction,
ou que l'insatisfaction fait naître l'instinct et le fantasme.
A la lumière de ce que nous venons de dire, la nature de l'épreuve

(1) Rappelons que l'investissement qui est un événement vécu est facile à décrire dans le
langage de la psychophysiologie.
ONTOGENÈSE DU FANTASME 547

de la réalité apparaît plus clairement. La réalité est bâtie autour de


l'invariance. La perception est une anticipation statistiquement juste
(sauf erreur de perception, rectifiée par d'autres informations),un stimu-
lus conditionnel apparaît comme une promesse de bonheur (1). Mais
dans la relation objectale (sociale) si la perception poursuit encore des
invariants, il faut insister sur la variance des émotions liées aux percep-
tions des personnes, à l'activité provoquant plaisir et déplaisir, ce sont des
anticipations aléatoires (engendrant la frustration), le stimulus condi-
tionnel n'est plus qu'une possibilité de bonheur. Le fantasme apparaît
comme une correction endogène de l'anticipation fausse. Ce n'est pas
la réalité qui naît de la frustration, mais le sentiment de soi-même, la
distinction moi, non-moi. Mettre à l'épreuve la réalité ne peut pas
signifier : expérimenter sur ses propres sensations pour savoir si elles
sont fantasmatiques ou réelles. (Cela ne peut avoir lieu qu'au niveau
des processus secondaires : mettre à l'épreuve une hypothèse consciente.)
Cela peut seulement signifier éprouver des séries de sensations qui se
terminent bien ou mal à brève ou à longue échéances (au niveau des
processus primaires) et apprendre à les classer. Mais pour ce faire, il
faut au moins pouvoir comparer au même moment deux événements
vécus différents : le souvenir d'un élément vécu (qui est un événement
vécu incomplet comme tous les souvenirs) et l'événement vécu actuel
(qui est complet puisqu'il comprend des informations externes et
internes, investies et contre-investies), sans cette comparaison impos-
sible de douter, de nier, de croire. Cela peut-il se faire au niveau pri-
maire ? Peut-être cela se fait-il à un niveau intermédiaire, c'est-à-dire
celui des mots manipulés sans syntaxe. Grandir, c'est utiliser, de mieux
en mieux, les processus secondaires, sans jamais écarter totalement les
processus primaires (inclus dans la sémantique), excepté peut-être dans
le langage spécial des mathématiques et dans celui de la logique formelle.
Nous pensons avoir donné une description complète du premier
fantasme en utilisant le langage de la psychophysiologie et montré
qu'on pouvait facilement se passer du concept de fantasme inné. Nous
avons également décrit dans lé même langage « l'hallucination ». On n'y
trouve plus le contenu vécu qui correspond au mot «hallucination »,
mais cette description n'est pas contradictoire avec l'événement vécu
« hallucination ». Ajoutons en passant qu'on peut se passer du concept
de mise à l'épreuve de la réalité dans la première enfance, car l'enfant
doit construire la réalité avant de la mettre à l'épreuve.

(1) La beauté est une promesse de bonheur (STENDHAL, De l'amour).


548 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

SUPERSTRUCTURE : LA CULTURE DANS LE FANTASME


(ou ontogenèse du fantasme dans le langage de tous les jours
c'est-à-dire en terme d'événements vécus, grâce au langage)
Nous avons vu que le fantasme est le produit de la relation continue
mère-enfant, comme l'image corporelle, comme le langage. Tous les
moyens, tous les contenus du fantasme sont fournis par l'environ-
nement (1).
Quelques exemples classiques montrent :
Premièrement que l'enfant ne connaît que son fantasme manifeste.
Ce n'est pas dit, mais sous-entendu dans la réanalyse du fantasme du
petit Hans par Anna Freud (1936) que le petit Hans ne connaît pas
la signification latente de son fantasme manifeste.
Deuxièmement que les moyens d'expression du fantasme manifeste
sont fournis par l'environnement (le plombier, la plomberie). On en
peut dire autant de l'observation de Freud, le jeu de la bobine. Mais
ici c'est un comportement (y compris le comportement vocal) qui est
interprété, et non pas un récit. De même encore l'observation de
Suzanne Isaacs (1952) : le soulier qui baille. La peur à vingt mois
peut être interprétée comme une erreur de perception de l'environne-
ment, et le récit à trente-cinq mois comme un fantasme actuel verbalisé,
suscité par une perception évoquant le souvenir d'une peur. Enfin,
dans le fantasme rapporté par Jones et cité par S. Isaacs : « C'est avec
ça que tu me mordais » dit l'enfant montrant le mamelon du sein de sa
mère en train d'allaiter un plus jeune enfant, on peut voir que le langage
comme la perception du nourrisson qui tète sont fournis par l'environ-
nement et que c'est le langage qui exprime projection et identification.
Pourrait-il en être autrement puisque le nouveau-né meurt sans
environnement physique convenable, ou sans environnement social
devient un arriéré ?
Mais je voudrais dire ici un mot du jeu car c'est un comportement
manifeste lié à un fantasme latent. On passe aisément de l'un à l'autre.
Un fantasme est un jeu intériorisé. Un fantasme peut s'extérioriser en
activité en jeu. Examiné en lui-même le jeu présente des analogies
certaines avec le langage. C'est une activité organisée dans le temps,
une sériation temporelle (timing), un drame, avant que le langage

(1) Nous attendons avec intérêt les conclusions de l'enquête du Dr Sandler sur les dérivés
de l'instinct. Nous espérons que la présentation des résultats nous permettra de mesurer l'étroi-
tesse de la relation entre l'expression des dérivés et l'environnernent social.
ONTOGENESE DU FANTASME 549

précise la sériation, c'est l'avant-coureur de la syntaxe. Il comporte


une acceptation sociale et même une relation sociale. Sa mère joue avec
le petit enfant, et l'aide ainsi à construire son image corporelle (1).
Mais aussi certains jeux, grâce au déplacement cessent d'être des
exercices, mais sont chargés d'affects, interdits, dangereux, conflictuels.
Aussi peut-on voir dans le jeu deux aspects différents du fantasme.
L'interprétation de l'analyse donnera une forme nouvelle au jeu
ou au fantasme vécu par l'enfant. Dire un fantasme avec son analyste,
c'est donner à son fantasme une forme acceptée, donc acceptable,
c'est sortir de la solitude du désir et de la peur comme l'un de nous l'a
montré avec Lebovici (1954) : Oh the awful privacy of the insane
mind, disait T. S. Elliott.

CONSÉQUENCES TECHNIQUES

Dans la seconde partie de cet article nous voudrions montrer les


implications et les conséquences techniques de notre point de vue.
Souvenons-nous que dans l'histoire du mouvement psychanalytique
on a pu successivement ou simultanément décrire le comportement des
malades soit en termes d'instincts, soit en termes de Moi. Mais nous
pensons que cette opposition qui n'est pas tellement importante en
cache une autre, celle de l'inné et de l'acquis.
En ce qui concerne le fantasme on peut opposer les fantasmes qui
n'ont pas d'histoire et ceux qui ont une histoire.
Le fantasme est créé par l'organisme. On le considère comme
l'expression des instincts hérités, ceux-ci restent indéfinis, le fantasme est
indépendant de toute action du monde extérieur, il est immuable. Du
point de vue de la relation d'objet, si le fantasme est identique à lui-même
malgré l'environnement, la relation est le fantasme. Aussi les vérités
de l'enfance sont des vérités éternelles, ce sont les mêmes causes qui
provoquent les mêmes conflits, c'est un « fixisme ».
Le fantasme est construit par l'organisme dans sa relation avec
l'environnement. Il est acquis, composé de structures héritées, d'acqui-
sitions individuelles et sociales. Il est construit avec des souvenirs de

(1) Il est évident que les composantes du langage (effectrices, réceptrices, et affectives)
sont des résultats de l'activité. Pour devenir langage elles doivent « représenter » autre chose
qu'elles-mêmes, grâce au déplacement et à la condensation. C'est ce processus qu'on appelle
symbolisation.
Rappelons encore que les concepts de déplacement et de condensation qui sont psycholo-
giques sont non contradictoires avec les concepts d'inhibition, transmission, summation qui
appartiennent à la physiologie de la jonction synaptique.
REV. FR. PSYCHANAL. 36
550 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

perceptions et de fantasmes antérieurs (le matériel onirique est plus


riche chez l'enfant qui regarde des images et écoute des contes. On ne
trouve pas d'images visuelles dans la production onirique des aveugles
atteints avant l'âge de 5 ans (Fain, David, 1963). Le langage structure ces
souvenirs, socialise les perceptions, classe les attitudes. Si le fantasme
est changeant, né avec la relation d'objet, modifié par l'environnement,
le fantasme est un mode de relation objectale parmi d'autres. Ce sont
des conflits analogues qui sont vécus à des moments différents avec des
moyens différents.
Le comportement du patient est quelquefois décrit en termes d'ins-
tincts, ceux-ci étant considérés comme des énergies psychiques prove-
nant de l'organisme, mais qui n'acquièrent leur expression complète,
leur forme que dans la relation organisme-environnement, en fait dans
la relation enfant-mère. Comme dans le cas précédent, le fantasme a une
histoire qui commence avec les premiers événements corporels vécus.
Tous deux sont des « évolutionnismes ».
Si nous avons choisi d'employer ces deux termes empruntés à la
biologie théorique, c'est que ce sont les deux explications opposées
de l'adaptation de l'organisme à son milieu. On les retrouve sous des
formes différentes dans les théories philosophiques de la connaissance,
aussi bien que dans la théorie psychologique de l'intelligence, comme l'a
montré Piaget (1949). Et le fantasme est un mode d'adaptation de
l'organisme humain à son environnement.
Cependant nous ne pensons pas que dans la pratique ces théories
soient aussi contradictoires qu'elles le sont sur le plan logique, où nous
les avons présentées. Le détail du vécu corrige (les descriptions théo-
riques ne sont après tout que des modèles différents découpés dans la
substance brute des mêmes faits) la rigueur des concepts. Nous pensons
que ces deux théories sont utiles mais qu'elles n'appartiennent pas au
même niveau d'analyse.
Cependant le choix d'une de ces théories comporte des conséquences
techniques. Si les fantasmes, comme les instincts, ont été et sont
immuables depuis le commencement des temps, qu'on les appelle
libido et instinct de destruction ou gratitude et envie, ils apparaissent
dans la situation analytique, indépendamment des circonstances actuelles.
On peut donner dès le commencement du traitement des interprétations
des fantasmes primitifs, on peut donner d'un seul coup des interpré-
tations englobant une série de fantasmes. Il n'y a pas de raison spéciale
de s'intéresser à et d'analyser le matériel qui concerne la personne de
l'analyste.
ONTOGENESE DU FANTASME 551

Si les fantasmes comme les instincts, surgissent des événements


vécus par le corps, ou bien si les fantasmes et les instincts sont exprimés
par un Moi construit dans une relation vécue par le corps, le souvenir
de ces événements vécus doit apparaître dans la situation analytique.
Il faut alors analyser soigneusement tout le matériel qui se rapporte
à l'analyste. Il faut éviter toute interprétation prématurée des fantasmes
primitifs. Une telle interprétation serait intellectualisée et « s'ajouterait
au fonds de résistances ». Car une interprétation ou une prise de cons-
cience « n'est efficace que si cet événement vécu comporte une charge
émotionnelle et un investissement qui appartiennent à la situation
immédiate » y compris l'analyste (P. Heimann, 1962). Si le fantasme a
une histoire, si le fantasme inconscient est hors du temps, et si le
langage introduit la sériation temporelle, nous voyons pourquoi les
fantasmes doivent être analysés un à un et exactement à ce que P. Hei-
mann appelle « le point actuel de croissance du malade ». On peut
espérer que le contenu émotionnel exprimé à travers le langage et le
comportement corporel, ainsi que le contexte tout entier, permetteront
quelquefois de mettre une date sur le fantasme. Un langage de tous les
jours, peu grammatical (1), se référant en dernière analyse au corps
propre du patient et de l'analyste, utilisé dans une libre relation, per-
mettra au patient d'introduire son propre « temps » dans sa propre
analyse et aussi « d'assumer un rôle actif dans son traitement » (2) (3).
Plus subtilement, s'il a le sens de l'histoire, l'analyste fera part
inconsciemment à son patient, dans leur relation, de cet aspect de la
réalité si évident qu'on l'oublie aisément : le passé est différent du
présent.
Si la « réalité » est avant tout fondée sur la distinction Moi, non-
Moi, aider le malade à appréhender la réalité n'est pas autre chose que
l'aider à distinguer Moi et non-Moi, c'est-à-dire à s'apercevoir que son
analyste est différent de lui-même. (Cela s'appelle aussi analyser l'iden-
tification projective.) Cela exige que l'analyste soit « invariant » (Bénassy,
1959) ; les sentiments profonds de l'analyste envers son malade doivent
être stables, et doivent être des sentiments d'amour (Nacht, 1962) ou de

(1) Cela n'est vrai que dans les cas de névrose où l'on cherche à surmonter une résistance,
où l'on rend l'inconscient conscient. Cela n'est plus vrai, si par hasard, dans un cas limite, on
s'efforce d'aider les forces refoulantes, de construire un mécanisme intellectuel, etc.
(2) Si le langage possède une dimension corporelle, s'il est lié au mouvement et au jeu.
On peut admettre que l'analyste soit entraîné à interpréter mouvement et comportement cor-
porel (acting in et acting out) et non plus seulement comportement verbal.
(3) Ce paragraphe est en partie une paraphrase de P. Heimann, 1962. Seules les phrases
entre guillemets sont des citations.
552 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

profond intérêt (Gitelson, 1962). Traduits en termes de comportement


cela signifie que l'analyste doit être capable à chaque instant, d'oublier
sa propre satisfaction, quelle qu'elle soit. Il doit, au contraire, réagir dans
l'intérêt du patient, non pas dans son intérêt immédiat, mais dans son
intérêt le plus lointain et le plus grand. Et cela quelles que soient les
attitudes du malade, si hostiles ou si amoureuses qu'elles soient. S'il
en est autrement, le malade agit sur les sentiments de l'analyste, celui-ci
n'est plus indépendant, il ne peut plus devenir réel (le Moi n'est pas
distinct du non-Moi), médecin et malade sont impliqués dans une rela-
tion fantasmatique inconsciente et embarqués pour une analyse inter-
minable.
Enfin, si l'on ne peut distinguer le souvenir des fantasmes du souve-
nir des réalités, il faut quelquefois analyser certains souvenirs du réel
comme si c'étaient des souvenirs de fantasmes, parce qu'ils jouent le
même rôle, ils entraînent le malade loin du présent, loin de l'analyste.
Certes ces points de technique sont importants. Cependant, nous
ne croyons pas que dans la pratique de l'analyse, les conséquences de
ces théories se heurtent aussi brutalement qu'elles se heurtent logique-
ment (et nous les avons présentées au niveau logique). Le caractère
concret des événements vécus (la relation malade-analyste) corrige ce
que ces formulations ont d'abstrait. Cependant, croire que le fantasme
est inné, implique que la nature humaine, telle que nous la connaissons
est donnée : normale ou anormale, rien ne peut la modifier. Personne ne
peut rien pour l'homme sauf l'analyste. Croire que le fantasme est
acquis, qu'il a une histoire implique que la culture a fait l'homme ce
que nous le connaissons, on peut le changer, on peut espérer.
Il serait intéressant de comprendre pourquoi les pessimistes ne
craignent pas de soigner des malades qui semblent sans espoir de
guérison ? Pourquoi les optimistes refusent souvent de se laisser
persuader d'entreprendre le traitement des malades graves ? Nous
soupçonnons qu'il en faut chercher l'explication dans la différence des
attitudes techniques. C'est trop exiger d'un analyste que de lui deman-
der d'accepter, d'entrée de jeu, de vivre avec un malade, une relation
dans laquelle, il le sait d'avance, il lui faudra endurer un certain type
d'attaques hostiles dirigées sur sa propre personne. Au contraire, des
attaques s'adressant à son Imago ne le toucheront jamais au vif. De plus,
la remarque incidente de la note 1, p. 551, implique qu'un certain type
d'interprétation conduit à l'intellectualisation et aide les psychotiques
à renforcer leur refoulement. Il est probable que ces différentes tech-
niques se recouvrent plus qu'elles ne s'opposent. Elles se complètent
ONTOGENÈSE DU FANTASME 553

probablement. D'ailleurs nous ne sommes que des êtres humains et


non pas des servomécanismes. Nous ne faisons jamais exactement ce
que nous pensons faire. Nous l'avons montré en précisant le rôle des
processus primaires dans le langage. De plus, nous donnons des satis-
factions à nos malades sans le savoir et nous les frustrons quand nous
croyons les gratifier. Un bon analyste n'est pas un analyste qui ne fait
jamais de fautes, c'est un analyste qui s'aperçoit de ses erreurs et qui est
capable de les corriger. L'un de nous en a donné ailleurs quelques
exemples (Bénassy, 1962).
Ce qui est vraiment dangereux, c'est que l'analyste croie profondé-
ment que sa propre théorie est vraie et que celle des autres est fausse.
Cela implique un rejet inconscient d'un certain aspect de la théorie de
l'autre (il n'est pas de théorie psychologique radicalement fausse).
Et c'est une dangereuse attitude contre-transférentielle. Celle-ci est
simplement la répétition de l'attitude parentale (un adulte croit que son
système de valeur est sans aucun doute supérieur à celui de l'enfant)
ce qui empêche le malade d'être librement lui-même. En ce qui concerne
le langage, nous n'avons pas vraiment à choisir, nous n'avons même pas
à chercher une voie moyenne. C'est vrai que le langage de la psycho-
physiologie nous permet de nous faire entendre des savants. C'est
également vrai qu'il nous faut utiliser le langage le plus ordinaire quand
nous nous adressons à nos malades et aux hommes de lettres. Mais
quand nous nous adressons à d'autres analystes il faut essayer de jouer
sans trop de déformations le jeu de langage (1) des autres.

CONCLUSIONS THÉORIQUES

Si nous essayons de dégager la tendance générale de cette discussion,


nous dirons que suivant la pensée psychanalytique moderne nous avons
montré que la forme du fantasme dépend du niveau d'organisation
du Moi (2).
Mais le mot « Moi » a tant de sens différents qu'il faut dire ce qu'il
signifie pour nous. Nous donnerons deux définitions qui ne viennent pas
de la littérature psychanalytique, mais les concepts freudiens s'insèrent
aisément dans ces descriptions. Nous appelons « Moi » un concept
qui désigne le système de l'action intégrée de l'organisme humain dans

(1) C'est le Sprachspiel de WITTGENSTEIN(1945).


(2) On pourrait parler de pré-fantasmes comme on parle de prémoi. Le mot fantasme est
commode, mais il faut savoir que, suivant l'âge, il se réfère à des événements différents qui ont
lieu dans l'organisme.
554 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

son environnement. Le fantasme est un élément essentiel de ce système.


Nous appelons « intégration » la coopération du différencié, utilisant les
mots que Hughlings Jackson (1897) n'appliquait pas à l'intégration.
Nous avons choisi la « clé » intégration parce qu'elle peut et doit se
référer à la fois aux événements vécus et aux événements psychophy-
siologiques.
Il en résulte que le Moi est un événement vécu, et il est vécu comme
un événement intégré. Nous pouvons alors parler de sentiment du Moi,
de limites du Moi (Federn, 1952). Les malades, les analystes peuvent
décrire des désintégrations des événements vécus du Moi en utilisant
leur propre langage, ils parleront de dépersonnalisation, de sentiment
d'étrangeté, de déréalisation, de « déjà vu », c'est une phénoménologie.
Ces événements vécus du Moi ont des corrélations psychophysio-
logiques, c'est-à-dire physico-chimiques. Les savants peuvent les
décrire en leur langage. Cela n'a pas de sens de décrire des corrélations
entre un concept et des événements physico-chimiques. Cela a un sens
de les décrire entre un événement vécu et des événements qui ont lieu
dans le cerveau. On peut préciser l'intégration des différentes structures
fonctionnelles du système nerveux; il en est de même de l'absence d'inté-
gration ; c'est une réduction physico-chimique.
Le Moi a une histoire. On peut décrire son développement en termes
de niveaux successifs d'intégration, on peut considérer chacun d'eux
du point de vue phénoménologique aussi bien que du point de vue
physico-chimique. C'est une question de langage. La maturation permet
d'atteindre chaque niveau, qui comporte de nouvelles capacités d'appren-
tissage ; c'est une diachronie (1).
Le Moi est le champ dans lequel s'expriment les conflits. On peut
donc décrire un conflit quelconque comme le conflit de différentes
structures d'intégration au niveau phénoménologique comme au niveau
physico-chimique. Un comportement intégré implique l'absence de
conflit, ou des conflits faciles à résoudre. On peut résoudre un conflit
soit en intégrant en une nouvelle structure deux structures différentes
d'intégration, soit en rejetant l'une des deux structures d'intégration.
Un comportement désintégré implique l'absence de solution du conflit,
les deux structures intégrées persistant simultanément; c'est une
synchronie (1).
La relation d'objet permet de décrire le Moi. On peut la considérer
comme l'intégration vécue du mouvement qui va du sujet à l'objet

(1) F. de SAUSSURE (1915).


ONTOGENESE DU FANTASME 555

pour revenir au sujet, ou comme l'intégration physico-chimique des


informations proprioceptives et extérioceptives relatives à une personne.
Si nous ajoutons que le plaisir est intégrant et le déplaisir désintégrant
nous voyons comme il est facile de considérer que le Moi dans la relation
d'objet vit une relation dialectique avec le monde.
Le problème est le même en ce qui concerne les instincts. On peut
le traiter de la même façon. L'instinct est un concept qu'on peut frag-
menter en plusieurs instincts permettant de décrire des structures de
comportement. Chacun d'eux peut être décrit dans le langage physico-
chimique ou dans le langage phénoménologique. Eux aussi ont une
histoire, entrent en conflit, et sont dans une relation dialectique avec le
monde.
Nous voyons maintenant en considérant les instincts et le Moi
comme nous l'avons fait, pourquoi il est aussi facile de relier le fantasme
aux instincts qu'au Moi. En fait, nous avons atteint ce point dont
Freud (1937) disait : « ici la différenciation topographique perd sa
valeur pour notre investigation ». C'est-à-dire que le langage physico-
chimique ne peut les distinguer clairement, c'est le langage phénomé-
nologique qui permet de les distinguer. Nous en sommes revenus à
notre point de départ, l'inconscient.

APPENDICE
Nous avons écrit plus haut que le fantasme est un mode de relation
objectale parmi d'autres. La situation analytique favorise indiscutable-
ment l'activité fantasmatique dans la mesure où l'action en vue de la
satisfaction pulsionnelle est par définition empêchée. Cette opinion peut
paraître évidente si l'on pense aux fantasmes conscients — rêveries
compensatrices par rapport aux désirs insatisfaits — mais elle s'applique
tout autant aux fantasmes inconscients. Sans entrer dans la controverse
concernant l'origine des fantasmes inconscients par rapport aux proces-
sus primaires et à l'activité du Moi — nous avons déjà exprimé notre
avis à ce sujet dans le corps de cet article
— nous remarquerons que
l'attitude constante de l'analyste et l'inhibition de l' « agir » imposée
au patient augmentent la tension instinctuelle et mobilisent les dérivés
pulsionnels du Ça et du Moi en fonction de la situation insolite actuelle
et du passé vécu. Le déroulement dramatique qui en résulte présente
un aspect manifeste (discours du patient ou, s'il s'agit d'un enfant,
diverses productions qui peuvent s'y substituer) et un contenu latent,
fantasme inconscient à travers lequel nous pouvons appréhender l'acti-
556 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

vite des pulsions libidinales ou agressives, qu'elles se situent originelle-


ment dans le Ça ou qu'elles se soient organisées en tant qu'énergie
du Moi ou du Surmoi. Une facilité de langage pouvant devenir raison-
nement erroné consisterait à imaginer ces canevas de déroulement
dramatique, ces modes relationnels, comme autant de corps habitant le
psychisme inconscient que l'analyse mettrait à découvert mais qui
existeraient en dehors de toute situation. C'est alors que la critique de
Glover sur la confusion des fantasmes et des représentants psychiques
des pulsions prend toute sa valeur.
Quelques exemples expliciteront cet aspect de l'activité fantas-
matique de l'enfant. Si la situation analytique en permet un abord privi-
légié, il ne faut pas en déduire que l'activité fantasmatique de l'enfant ne
s'observe que dans le cadre de cette expérience. Le jeu de l'enfant est
une occasion de production fantasmatique par excellence, mais il faut
en être le témoin pour pouvoir en saisir le développement. Au cours de
l'examen clinique, on peut également apprécier la capacité de l'enfant
à réagir à cette situation traumatisante par une activité fantasmatique,
selon un processus analogue à celui utilisé par Marty, David et de
M'Uzan dans leur étude concernant les malades psychosomatiques.
Mais nos connaissances concernant la signification pronostique de cette
aptitude sont encore très imprécises.
1) Un petit garçon de 3 ans, fort bien doué et éveillé, après s'être
inquiété de ce que deviendrait son père quand lui-même serait devenu
grand, joue pendant plusieurs semaines avec sa mère qu'il est papa et
que son père est un petit garçon. Ce jeu est limité aux heures de la
journée où nul étranger ne peut en être le témoin. Il procure manifes-
tement beaucoup de satisfactions à l'enfant qui y tient beaucoup,
sans pour autant que le caractère ludique de la situation ainsi créée
ne lui échappe. Le contexte et la disparition de certaines peurs anté-
rieures montrent que ce fantasme conscient vécu sur un mode ludique
est un compromis devant le conflit oedipien, forme fantasmatique
inconsciente des relations objectales de l'enfant, soumis à ses exigences
libidinales et à l'agression précoce de son Surmoi en cours d'internali-
sation. La dénomination et les possibilités de transitivisme réversif
fournies par le langage ont fourni à ce fantasme sa forme spécifique
puisque le plaisir érotique est remplacé par un jeu verbal (le comporte-
ment agi de l'enfant, ses contacts physiques avec ses parents ne sont pas
modifiés de façon notable pendant cette période).
2) Au cours de l'examen clinique des enfants, le clinicien essaie,
toujours d'explorer l'activité fantasmatique du sujet. A la période
ONTOGENESE DU FANTASME 557

d'élaboration oedipienne (grossièrement avant la cinquième année),


l'enfant réagit volontiers à la situation d'examen en exprimant des
fantasmes sur un mode ludique, surtout si on lui en fournit le moyen
en le mettant devant des jouets ou devant tout matériel approprié.
Dans les années suivantes, par contré, la situation se modifie.
L'activité fantasmatique créée par la consultation s'exprime de plus en
plus chichement, à moins que le praticien ne prenne d'emblée une
attitude analytique, non seulement dans son aspect d'attente et de
« neutralité bienveillante » (aspect complexe lorsqu'il s'agit d'enfants),
mais aussi dans son activité d'élaboration interprétative.
Dans de telles conditions, il est remarquable de constater que les
fantasmes conscients exprimés le plus facilement, parce que mobilisés
par la situation, concernent les peurs, ou sont à contenus sado-maso-
chistes (châtiments infligés à dès personnages imaginaires, déplacements
par rapport au sujet ou déplacements objectaux). Souvent les peurs ne
sont évoquées qu'à travers la dénégation, ne serait-ce qu'en les admettant
au passé.
Au fur et à mesure de l'évolution des phénomènes de latence, l'enfant
normal devient de plus en plus incapable de verbaliser devant un exami-
nateur ses fantasmes, et il est difficile au cours des premiers examens
de distinguer ce qui est inexprimable de ce qui reste dans le système
préconscient. Ceux qui ont eu en analyse des patients ayant été soumis
à de telles explorations durant leur enfance, ont été surpris par l'impor-
tance des fantasmes conscients élaborés sur le champ, inexprimés et
inexprimables alors, mais parfaitement retrouvés dans les souvenirs du
sujet devenu adulte.
3) La cure psychanalytique des enfants offre des conditions expéri-
mentales remarquables pour étudier la formation des fantasmes. Mais
il est nécessaire, avant d'aborder un exemple clinique, de rappeler
quelques notions élémentaires concernant les particularités de la situa-
tion analytique concernant les enfants jeunes. Nous avons déjà fait
remarquer que la cure ne pouvait être assimilée à une exploration ou à
un inventaire de mécanismes existant en dehors de toute condition
relationnelle. Une autre erreur consisterait à imaginer que l'enfant a un
désir secret de communiquer et que seule la faiblesse de son Moi
l'empêche de manifester ce désir. Chez l'enfant jeune, la situation ana-
lytique engendre un rapproché inhabituel avec un adulte qui ne réagit
pas comme l'enfant s'y attend, pas plus qu'il ne rompt le contact. Cette
relation nouvelle devient intensément investie, tant sur un mode libi-
dinal qu'agressif. La peur qui résulte de cette ambivalence très intense
558 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

oblige l'enfant à élaborer des fantasmes conscients qui maîtrisent par-


tiellement cette peur généralement en la déniant. De cette façon, les
premières productions d'une psychanalyse d'enfant (qu'il s'agisse de
dessin, de jeu ou d'histoire inventée) sont une transcription défensive
des fantasmes inconscients mobilisés chez l'enfant par la situation
analytique, en fonction de ses exigences instinctuelles et de son passé
vécu. Elles ont de ce fait une implication transférentielle immédiate,
comme chez l'adulte le premier rêve pendant une cure psychanalytique.
L'analyste, par son activité interprétative, transforme ces productions
en éléments de messages informatifs, mais il ne doit pas oublier pour
autant que le jeu de l'enfant durant les premières séances a une fonction
essentielle de négation et de refus de communiquer.

Fig. 1. — (1er séance)


« C'est un rêve que j'ai fait : le sorcier et la sorcière, leur maison ;
il pleut, il y a la lune, le soleil, l'arc-en-ciel »
ONTOGENESE DU FANTASME 559

Jean était âgé de 5 ans 8 mois quand il nous fut conduit pour des
difficultés caractérielles (colères, agressions sur son petit frère âgé de
deux ans qu'il houspille sans arrêt, peur du noir, peur des animaux,
cauchemars à répétition, énurésie, anorexie légère). C'est un enfant
intelligent et réfléchi avec lequel, dès la première consultation, un dia-
logue d'une certaine richesse se révèle possible. Son histoire est malheu-
reusement dominée par le fait qu'il est atteint d'une myopathie, dia-
gnostiquée précocement, entraînant au moment de la consultation une
gêne motrice modérée mais suffisante pour qu'il se sente très infériorisé
par rapport à ses camarades. Ses parents étaient au courant de ce
qu'impliquait le diagnostic. La mère oscillait entre des attitudes hyper-
protectrices et des attitudes réactionnelles pouvant la faire passer pour
assez rejetante à l'égard de l'enfant. Elle était sujette à des réactions
dépressives fort compréhensibles. A l'école, l'enfant était mal accepté
en raison de son infirmité malgré son authentique désir d'apprendre.
Jean fut confié à notre collaboratrice, Mme Filliozat, qui entreprit
une cure psychanalytique. Nous n'avons pas l'inten-
tion de retracer ici le déroulement de celle-ci — qui
mériterait d'être publiée dans sa totalité — mais
nous discuterons des fantasmes exprimés au cours des
premières séances. Après que sa psychanalyste lui eut
donné des explications concernant le traitement (« pour
comprendre ce qui le gêne et lui fait peur, il pourra
dire ce qu'il voudra, dessiner ce qu'il désirera ou se
servir du matériel qui est mis à sa disposition »), Jean
demande à dessiner (cf. dessin n° 1) et fait le commen- Fig. 2. — (Fait
taire suivant : « C'est un rêve que j'ai fait l'an dernier : au cours de la pre-
séance égale-
le sorcier et la sorcière, il pleut, la lune, le soleil... mière
ment). «C'est Blan-
l'arc-en-ciel. » Puis il associe directement en expliquant che-Neige... elle se
fait manger par la
à sa psychanalyste qu'il a peur la nuit : « Papa dit que sorcière. 1

c'est pas vrai les rêves, mais j'ai la trouille quand


même. » Sur une remarque approbative de Mme F..., qui veut lui
montrer qu'elle comprend qu'il ait peur, Jean commence un autre
dessin (cf. dessin n° 2), qu'il accompagne d'un commentaire très
particulier : « C'est Blanche-Neige qui se fait manger par la sorcière. »
Comme Mme F... lui fait remarquer qu'il a dessiné Blanche-Neige
avec une grande bouche, il proteste : « C'est la sorcière qui a une
grande bouche. » Et de nouveau, il change apparemment de sujet,
parle de ses cadeaux de Noël, de sa panoplie d'Indien ; il joue avec
son frère à tuer les Indiens, puis il prend la boîte de jouets ; il
560 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

range les petits animaux pour faire un zoo, en prenant bien soin de
ne pas mettre un animal avec un autre qui pourrait le dévorer. Mais ces
efforts pour empêcher toute agression ne suffisent pas. La vache se
bat avec le crocodile : « La vache donne son lait au crocodile et il est
quand même pas content ! »
Et c'est la fin de la première séance.
Ce début de traitement est tout à fait typique pour un enfant de
cet âge et c'est pourquoi nous l'avons choisi comme exemple. Jean a
une certaine habitude des rêves qui font peur, qui lui paraissent en
continuité avec ses peurs diurnes. Comme on peut le voir, ses désirs
oedipiens sont déjà refoulés et les objets investis sont transformés dans

ses productions conscientes de l'état de veille et dans ses rêves — par
la symbolisation.
Mais nous devons nous demander pourquoi Jean raconte un rêve
de scène primitive dès le début de son tête à tête avec une dame qu'il
ne connaît pas. Il est peu vraisemblable que l'enfant, malgré son intelli-
gence, ait perçu la réalité de l' « alliance thérapeutique » que lui a
proposée sa psychanalyste en lui donnant les consignes du traitement.
Même si nous avions la naïveté de croire en cette hypothèse, l'examen
détaillé du contenu de la séance nous détromperait vite.
Il est vrai que Jean a manifesté dès la première consultation un
certain désir d'être débarrassé de ses peurs. Dès qu'il se retrouve seul
avec une adulte qui n'exige rien de lui, ne le met devant aucune tâche
et lui indique qu'il peut exprimer ce qu'il veut, il investitimmédiatement
ce personnage insolite qui lui paraît d'autant plus dangereux qu'il ne
lui interdit pas de l'aimer. Aussi associe-t-il avec ses peurs oedipiennes,
la situation présente lui faisant évoquer l'intimité des parents, le sorcier
et la sorcière, la lune et le soleil, et il pense à ses peurs nocturnes.
Alors que son père lui interdit d'imaginer la scène primitive (« papa dit
que c'est pas vrai »), la remarque de sa thérapeute ne fait qu'augmenter
son angoisse : elle lui apparaît comme la permission de penser à tout
cela. Comme il est habituel, l'adulte est alors pour l'enfant doublement
dangereux puisque représentant à la fois les pulsions du Ça et la répres-
sion du Surmoi. Aussi Jean rompt-il le dialogue. Il fait un autre dessin
où, par le jeu des processus primaires, est évoquée une relation sadique
orale avec une mère dangereuse à laauelle il participe par identification
projective, ce qui donne la formule activo-passive : « Blanche-Neige
se fait manger par la sorcière. » La remarque de l'analyste sur la grande
bouche de Blanche-Neige est ressentie comme une manifestation du
Surmoi condamnant l'agressivité orale de l'enfant, d'où la nouvelle
ONTOGENESE DU FANTASME 561

rupture, de continuité de la séance : le jeu d'isolation pour annuler


toute agression qui se termine cependant par une nouvelle conduite
agressive vis-à-vis de laquelle l'enfant prend une certaine distance. Sa
dernière phrase indique un compromis entre les pulsions libidinales
agressives et les exigences du Surmoi.
La deuxième séance est d'une thématique très voisine : Jean se met

Fig. 3. — (2e séance)


« C'est un petit bonhomme qui va faire ses courses
Il va dans la maison de l'épicière mais la maison est fermée »

immédiatement à dessiner : « C'est un petit bonhomme qui va faire


ses courses. Il va dans la maison de l'épicière, mais l'épicière est fermée »
(cf. dessin n° 3). Puis il prend les jouets qu'il sort de la boîte un à un.
Le crocodile mange la queue de l'éléphant qui mange à son tour celle
562 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

du crocodile. Puis il fait une course entre un cheval et une vache.


Puis il fait un deuxième dessin (cf. dessin 4) : « L'épicière a donné sa
maison au petit bonhomme. Elle est plus grande et elle a une cheminée.
Le petit bonhomme a vieilli. Il est rentré dans la maison mais je le
dessine là parce que dedans je n'ai pas la place » (cf. la partie supérieure
de la feuille).

Fig. 4. — (Fait au cours de la 2e séance également)


ONTOGENÈSE DU FANTASME 563

La thérapeute fait alors à l'enfant la remarque suivante : « Mainte-


nant que le bonhomme est rentré chez l'épicière, il n'a plus de bras. »
Jean rajoute alors les bras et dit : « Il a perdu ses doigts » puis il fait la
seconde partie du dessin (cf. partie inférieure de la feuille) : « Mainte-
nant il va se transformer en avion... et là (à droite) c'est une fusée ».
Le fantasme conscient exprimé dans cette séance a comme contenu
latent la relation sexuelle entre lui et son analyste. Si dans le premier
temps la maison est fermée, c'est à la fois pour éviter la réalisation
oedipienne interdite, la castration et l'incorporation destructrice. La
confusion objet-total objet-partiel s'y exprime clairement par la trans-
formation du bonhomme incorporé, mutilé, en avion et en fusée.
Là encore, fantasmes conscients et fantasmes inconscients sont une
organisation produite hic et nunc par l'effet des pulsions, à leur stade
d'organisation propre, mobilisées par le rapproché insolite de la situa-
tion analytique. Si l'origine des fantasmes doit se trouver dans l'histoire
de l'organisme dans son environnement, le fantasme ne peut être
confondu ni avec cette histoire ni avec celle intrinsèque de la maturation.

SOMMAIRE

1. Le problème du fantasme inconscient est celui de l'inconscient.


En considérant la relation entre inconscient et langage ordinaire nous
constatons que certains processus inconscients sont au-delà du
langage et d'autres dans le langage.
2. Le fantasme peut et doit être décrit à la fois dans le langage psycho-
physiologique et dans le langage des événements vécus.
3. Le fantasme peut et doit être décrit comme un mode de relations,
parmi d'autres, entre l'organisme et l'environnement car il n'est pas
d'organisme sans environnement.
4. L'origine du fantasme peut et doit être trouvée dans l'histoire de
l'organisme dans son environnement.
5. Les conséquences techniques de ces positions, si importantes qu'elles
soient, sont considérées comme de moindre poids dans la situation
analytique que l'intolérance de l'analyste.
6. Le fantasme est une activité du moi.
7. Le concept d'intégration peut nous fournir une description complète
des activités du moi.
8. Il est suggéré qu'en appliquant la même méthode à la description
des instincts et à celle du moi, on rapproche les instincts du moi,
et on justifie la remarque de Freud citée plus haut.
564 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

BIBLIOGRAPHIE
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REV. FR. PSYCHANAL. 37


Intervention
de V. H. ROSEN (1)

Les quatre contributions qui ont été préparées pour ce symposium


représentent des points de vue si divers et abordent une telle multitude
de sujets liés les uns aux autres qu'il n'est pas possible de leur rendre
justice ni d'essayer d'en faire une synthèse dans le peu de temps qui
nous est donné. J'essaierai seulement de faire quelques commentaires,
de poser quelques questions un peu au hasard là où il me semble qu'un
certain aspect du problème a été négligé, qui nécessiterait une note au
bas de la page, ou un paragraphe de transition.
C'est un cadeau empoisonné que d'offrir au spécialiste d'une
discipline un mot familier pour désigner un concept abstrait. Il restreint
l'étendue du jargon scientifique, mais laisse place aux connotations
individuelles, il entraîne aussi une confusion : des différentes signifi-
cations du lexique, laquelle doit-on choisir dans un contexte donné ?
Bénassy et Diatkine demandent qu'on ne se presse pas de donner
une définition du fantasme, de peur de ne trouver dans la discussion
que ce qu'on aura mis dans la définition. Mais retarder un accord
sémantique risque d'aboutir à discuter de nos propres fantasmes à
propos du « fantasme », les points de vue étant différents en apparence
et non pas en substance. L'importante distinction entre « réalité » et
« vérité » signalée par Lagache se rapporte au même problème. Le
problème sémantique est composite quand nous parlons de « fantasmes
inconscients ». Si nous ne parvenons pas à un accord pratique concer-
nant les contenus conscients et les processus, il ne nous reste, quand
nous parlons du fantasme, que la description du crocodile telle que la
donna Marc Antoine. Dans Antoine et Cléopâtre de Shakespeare, Lepi-
dus lui demanda de décrire cet étrange animal qu'il a vu dans le Nil.
Il répond :
Seigneur il se ressemble à lui-même ; il est aussi large que sa largeur ;
aussi haut que sa hauteur et il se meut avec ses organes ; il vit de ce qui le
nourrit, et quand les éléments de la vie l'ont quitté, il transmigre... il est de sa
couleur et ses larmes sont humides (acte II, scène 7, trad. Pierre Messiaen).

(1) Trad. par M. BÉNASSY.


568 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Si nous suivons la suggestion de Lagache et si nous parlons d'objets


« indépendants » plutôt qu' « extérieurs » nous éviterons des dilemmes
philosophiques : comment trouver une « chose en soi » en dehors de
sa représentation mentale. Nous pourrions aussi étendre cette notion
aux phénomènes psychologiques dans la mesure où nous les traitons
comme des objets ou des processus indépendants pour les examiner,
même quand nous les examinons dans leurs activités en nous-mêmes.
Une définition minimum du « fantasme » sur laquelle nous pourrions
nous mettre d'accord, pourrait, certes, n'être qu'une illusion d'accord.
Il est cependant probable qu'un « fantasme » représenterait un événe-
ment phénoménologique plutôt qu'un terme que chacun de nous utili-
serait avec une signification et des intentions différentes. Quoique
Lagache ait fait de vaillants efforts avant le Congrès pour traduire les
nuances du terme en français, il m'a seulement convaincu que les mots
français et anglais de même racine ne sont interchangeables que dans
une communication entre Normands et Saxons, ancêtres de la commu-
naut linguistique anglo-celtique actuelle. Ils posent un formidable
problème de traduction au-delà du problème de parvenir à l'équivalent
lexicologique d'un mot donné dans un contexte donné.
Dans certains contextes Freud a utilisé le terme « fantasme » en
sorte qu'il recouvre plusieurs phénomènes apparents dont les équiva-
lents français (1) sont « imagination », « rêve éveillé », « réalisation d'un
désir », « réflexion », « élaboration d'une théorie », « rêverie », « illusions »,
« hallucinose ». L'usage anglais ne nous permet pas de soustraire du
terme général « fantasme » un élément quelconque de cette continuité
de phénomènes qui vont de l'hallucination à la spéculation théorique.
Bien que je veuille éviter le pédantisme d'une définition précise, il me
faut faire un pas dans cette direction. On a souvent remarqué qu'en
anglais on s'est efforcé de préciser la signification spécifique du terme
que nous étudierons, en établissant une distinction sémantique corres-
pondant à la variante orthographique ancienne phantasme (phantasy)
qui reste plus proche de « l'imagination visionnaire, ou phantasmatique»
et aussi du fantasme faussement créateur comme celui du rêve éveillé.
Webster donne cinq sens à la forme verbale du fantasme qui recouvre
« imagination », « chimères » (anglais : fancy) au sens de souhaiter créer
une apparence, produire une « illusion », « imagination créative » et
« rêverie » (anglais : reverie) qui évoque nos « associations libres ».

(1) Anglais : imagination, day-dreaming, wish-fulfilment, speculation, theory formation,


reverie, illusionary phenomena, hallucinosis.
INTERVENTION 569

Deux autres concepts se sont introduits subrepticement dans notre


discussion sans avoir bénéficié d'une définition. L'un est celui d' « illu-
sion », l'autre celui de « spéculation » (méditation) au sens d'élaboration
d'une théorie. « Illusion » ne s'applique pas seulement aux perceptions
déformées ou trompeuses, mais aussi à ce que l'on appelle les « illu-
sions normales » [9] qui font partie des perceptions sensorielles habi-
tuelles. Les « illusions normales » de perspective, de couleur, de matière
ont leur origine dans des anticipations fondées sur des connaissances et
partout présentes. Elles sont le résultat d'expériences portant sur le
monde des objets, et que nous appelons « mise à l'épreuve de la réalité »,
mais elles sont aussi déterminées par l'état de maturation de l'appareil
qui « met à l'épreuve » suivant le processus de développement. Dans
sa discussion si claire sur le rôle du Moi dans la formation du fantasme,
Sandler se réfère aux éléments de « connaissance de la réalité » qu'utilise
le processus du fantasme. Il considère ces éléments comme empruntés
au processus secondaire. Il semble que le problème soit plus complexe
encore que ne le suggère cette formulation acceptable en sa généralité.
Beres (1) a discuté ce point dans son article intitulé Le fantasme incons-
cient où il montre que « l'illusion » peut résulter d'une connaissance
normale de l'élaboration par le processus secondaire, alors que la
connaissance des propriétés intrinsèques « réelles » de la matière peut
résulter de « fantasmes » mathématiques qui utilisent des mécanismes
semblables à ceux des processus primaires.
On n'a pas utilisé non plus dans la discussion la distinction qu'on
doit faire entre « l'élaboration d'une théorie » et d'autres formes de
fantasmes ; elle nous aide pourtant à élucider certains problèmes.
Freud [6] regrette de n'avoir pas dans son premier article distingué
les « théories sexuelles » infantiles des autres formes de « fantasmes
sexuels ». Le problème du « fantasme inconscient » où cette confusion
est particulièrement évidente est intimement lié au phénomène de la
sexualité infantile et à l'amnésie infantile qui précède la période de
latence. Dans les Trois essais [5] Freud discute de l'existence d'une
phase primaire et d'une phase secondaire de masturbation infantile
correspondant respectivement à la prélatence et à la puberté. D'après
la clinique on a souvent l'impression que les fantasmes masturbatoires
conscients de la puberté ont par eux-mêmes une importance dynamique
qui ne dépend pas de leur origine. Les fantasmes appartiennent habi-
tuellement à la catégorie des rêves éveillés romancés, plutôt qu'à celles
des dérivés de théories. Ils conduisent souvent dans l'analyse à une
compréhension de l'organisation caractérielle et de la structure des
570 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

relations objectâtes du malade. On peut quelquefois les découvrir sous


leur forme originale dans les « passages à l'acte » défensifs de certains
individus. C'est un de ces cas où le modèle topographique entraîne
plus de confusion qu'il ne fournit d'aide. Il y a des moments où le
malade a davantage conscience des antécédents infantiles d'un fantasme
érotique que de la structure qu'il imprime à sa vie quotidienne. Ce que
Loewenstein appelle la « reconstruction du présent » devient alors
nécessaire et nous révèle la complexité inattendue du problème. La
notion de « fantasme refoulé » au sens « rêve éveillé romancé » est par-
faitement explicitée dans les Études sur l'hystérie [3] ; l'article ancien de
Freud Souvenirs écrans [4] et dans les Trois essais [5] c'est là qu'on
trouve le premier modèle du « fantasme inconscient ». Le terme « théorie
sexuelle infantile » est introduit (sans qu'il soit signalé que le terme
implique un déplacement de perspective) pour la première fois par
Freud [6] en 1908 dans l'article qui porte ce titre. C'est seulement
en 1915 que Freud ajoute au Trois essais le chapitre intitulé « Théories
sexuelles infantiles ». Dans son article de 1909 sur L'histoire romancée
de la famille [7] Freud distingue aussi les théories sexuelles infantiles
des autres formes de fantasmes. Cet article a inspiré Ernest Kris dans
son travail sur Le mythe personnel qui est encore une variante du « fan-
tasme inconscient ».
Quant à la curiosité sexuelle des enfants et les résultats de cette
recherche en ce qui concerne l'origine des enfants et la différence des
sexes, Freud dit [6] (Théories sexuelles d'enfants, 1908, S.E., IX,
p. 213) :
Il semble d'après un grand nombre de renseignements qui me sont par-
venus que les enfants refusent de croire à la théorie de la cigogne, et que depuis
l'époque de cette première déception, de ce premier rejet, ils se méfient des
adultes et soupçonnent qu'il y a quelque chose de défendu que les adultes
cachent. En conséquence ils dissimulent leurs propres recherches sous le voile
du secret. C'est aussi pour l'enfant la première occasion de vivre un conflit
psychique ; en effet le point de vue pour lequel il ressent une sorte de préférence
instinctive, mais qui n'est pas « bien » aux yeux des adultes, s'oppose à d'autres
points de vue appuyés par l'autorité des adultes sans qu'ils soient pour autant
acceptables par l'enfant. Un tel conflit psychique peut évoluer vers une « dis-
sociation psychique ». La série de points de vue liée à l'idée de « bien », mais aussi
à l'idée de ne plus réfléchir, devient le point de vue conscient; au contraire
l'autre série, bien qu'elle soit appuyée par des faits nouveaux que l'enfant à
découverts au cours de sa recherche, mais dont on sait qu'ils ne doivent pas
compter, est refoulée et inconsciente.
Je pense que l'expérience clinique appuie cette conclusion que ce
sont les théories sexuelles latentes implicites ou inconscientes qui donnent
naissance aux fantasmes sexuels discursifs plutôt que le contraire
INTERVENTION 571

comme le suggère Segal dans son travail. Les recherches d'un enfant
peuvent être plus ou moins complexes ou étendues, de l'observation
unique à des observations multiples ; avec comparaisons de données
et véritable expérimentation à un niveau primitif destiné à permettre
d'accepter ou rejeter. Étant donné l'état des tendances qui poussent
l'enfant, les limitations de l'environnement dans lequel il travaille, et
l'équipement mental à sa disposition ces constructions infantiles sont
les meilleures auxquelles il puisse parvenir, et fournissent un modèle
à bien des activités futures normales et pathologiques. Ainsi, non
seulement les souvenirs constitués de perceptions primitives (colorés
de qualités illusoires) sont nécessaires à ce processus mais il est aussi
nécessaire que l'appareil du moi et ses fonctions de différenciation et
de synthèse aient atteint un certain niveau de maturation. On peut
utilement concevoir de la façon suivante la relation entre ce qu'on
appelle fantasme conscient et inconscient : c'est la relation entre une
théorie latente et son élaboration manifeste d'une part, c'est aussi la
relation entre un mythe (ou une histoire romancée) latent et la théorie
manifeste qui en dérive d'autre part.
Ceci nous conduit à nous poser une question en ce qui concerne
la théorie topographique, question déjà posée par Arlow et Brenner [2]
et récemment par Gill [8]. Le concept de « fantasme inconscient » ne
me semble pas éclairci mais plutôt obscurci par le modèle topographique
et spécialement par les tentatives effectuées pour utiliser simultanément
les cadres de références topographiques et structuraux. La plupart
de ceux qui ont apporté leur contribution à ce symposium semblent
s'être donné à tâche d'identifier et de conceptualiser le processus de
fantasmatisation dans « l'inconscient topographique ». La réponse est
peut-être difficile à donner sous cette forme parce que la question est
mal posée. Il n'est pas difficile de montrer phénoménologiquement les
théories, les attitudes, les rêves éveillés, etc., et leurs différents éléments
dérivés des tendances et des activités primitives du moi dont le sujet
n'a pas conscience. Mais il est difficile de conceptualiser une activité
qui a les caractéristiques du processus secondaire et qui s'exerce à un
niveau psychique qui fonctionne suivant les principes du processus
primaire. Segal comme Lagache semblent affirmer que ce qu'on appelle
« fantasme inconscient » peut non seulement exprimer une tendance
instinctuelle mais encore être construit directement sans intermédiaire
par l'instinct (comme Bénassy l'a remarqué). Segal dit « la première
faim et la tendance instinctuelle de satisfaire cette faim sont accompa-
gnées du « fantasme » d'un objet capable de satisfaire cette faim ».
572 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Lagache va même plus loin dans sa discussion des fantasmes primaires


ou « sociaux » qui probablement sont transmis génétiquement plutôt
que socialement. C'est ici le point crucial. Certains fantasmes (ou cer-
taines théories sexuelles implicites) qui possèdent une puissance dyna-
mique particulière (ils sont capables de déterminer la forme et le
contenu du développement et de l'activité mentale de l'adulte), sont
reconstruits en partant de données cliniques et validés suivant les
principes de la technique psychanalytique. Quoique primitifs lorsqu'on
les compare à la pensée abstraite ou à l'imagination créatrice, ce sont
cependant dés contenus mentaux hautement organisés. Lorsqu'on
considère le rôle qu'ils jouent dans la formation du symptôme et
celle du caractère (entre autres dérivés) on peut trouver dans ceux-ci
des traces dès éléments instinctuels, des composantes provenant de
représentations objectales primitives, des défenses, des perceptions et
des éléments de connaissance. Autrement dit, dans de tels fantasmes
on trouve autant de Moi primitif que de Ça. Sandler a particulièrement
insisté sur ce point. Ce sont des objections qu'on fait habituellement
aux formulations de M. Klein telles qu'elles apparaissent à travers le
travail de quelques-uns des participants à ce symposium. Mes objections
vont plus loin, mais cependant pas aussi loin que ne le font Arlow et
Brenner [2] lorsqu'ils proposent d'abandonner la théorie topographique.
Je pense qu'il faut entreprendre de réviser la signification de « l'incons-
cient » où peuvent avoir lieu quantité d'événements mentaux. Nous
pourrions penser en termes de théories primitives, de rêves éveillés
plus ou moins organisés et qui ont une influence décisive sur le dévelop-
pement mental ultérieur. La qualité d' « être conscient » ou la capa-
cité de « devenir conscient » est attachée ou non à ses contenus mentaux
sous certaines conditions; c'est un attribut variable et non pas fixe.
Ce qui est plus ou moins important c'est le degré d'organisation, la
phase du développement au cours de laquelle ils ont été formés, et les
énergies instinctuelles qui leur sont liées. L'organisation interne de
telles infrastructures psychiques exige non seulement une certaine orga-
nisation du Moi et une capacité de séparation de soi et de l'objet, mais
aussi un Moi déjà capable de synthèse. Je proposerai la suggestion
suivante : cette capacité naît à peu près en même temps que le début du
langage. Je crois que la comparaison de l'organisation des fantasmes et
théories sexuelles primitives et de l'organisation des fonctions linguis-
tiques de la petite enfance montrerait de nombreuses similarités mais
ce pourrait être le sujet d'un symposium entier.
On ne saurait terminer cette discussion sans quelques commentaires
INTERVENTION 573

sur l'utilisation des termes « souhait » (wish) et « désir » (desire). La


formulation de Lagache en particulier attire l'attention sur une ten-
dance à utiliser un raisonnement circulaire. Nous sommes d'accord pour
dire que les souhaits constituent les forces motivantes du fantasme,
mais nous disons en même temps que la capacité de faire des fantasmes
est une (pré)condition nécessaire au développement des souhaits. Si
nous semblons en désaccord c'est peut-être parce que nous n'avons pas su
distinguer convenablement les besoins physiologiques des « tendances »
(drive) mentales. Ici aussi peut-être le concept de degrés et de stades
de maturation et d'intégration pourrait nous aider à sortir de l'ambi-
guïté. Si nous parlons de souhaits qui sont dirigés vers la représen-
tation psychique d'un objet, quelque soit la forme de cette représenta-
tion ou sa localisation dans l'appareil psychique, nous parlons d'une
« tendance » mentale que nous ne devons pas confondre avec un « besoin »
physiologique. Beaucoup pensent que le Ça comme le Moi subissent un
processus de maturation. Personne n'a envisagé la question de maturation
des tendances dans sa relation avec le fantasme. Le processus de fan-
tasmatisation exige-t-il aussi un certain niveau de développement du
Ça ? Dans le même sens le fantasme ne peut-il lui aussi commencer
qu'à un certain âge du développement ?
Les quatre communications que nous avons entendues peuvent nous
servir utilement à commencer de réviser nos postulats et à débarrasser
notre jardin métapsychologique de ses fleurs fanées et de ses mauvaises
herbes. Il faut chaudement féliciter les auteurs des articles ici présents.
La diversité de leurs idées et l'importance des questions qu'ils soulèvent
autour de leur sujet principal nous apportent une heureuse stimulation
intellectuelle.
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CONCLUSION
par HEINZ KOHUT

Quelques problèmes
de formulation métapsychologique
du fantasme( 1)

Il est sans doute utile de revoir aussi objectivement que possible


les différents points de vue qui nous ont été présentés.
Chacun tient à sa façon de penser ; c'est l'expression de ce fait vécu qu'un
sain narcissisme a été transféré du créateur à sa production. Mais ensuite il
faut juger objectivement; sinon, nous nous trouverons confrontés au mieux
avec ce que Freud appelle « le narcissisme des petites différences » et au pire
nous risquons de faire d'une théorie scientifique une idée fixe. Nous ne devons
pas sous-estimer le danger que cela représente. Une théorie devient la pro-
priété spirituelle d'un seul, elle est loyalement défendue par ses élèves, elle
devient la principale explication de toute la psychologie et de toute la psycho-
pathologie. Il est évident que les facteurs qui agissent au début du développe-
ment psychologique peuvent facilement fournir des explications universelles.
On risque alors de négliger non seulement les interactions des facteurs géné-
riques mais encore celles du passé et du présent.
Il est impossible de séparer nettement les différentes façons de
considérer les problèmes étudiés dans ce symposium. Cependant, l'on
peut les énumérer de façon schématique :
1° Évaluer la relation entre le point de vue de l'auteur sur le fantasme
et certaines de ses positions théoriques préférées ;
2° Apprécier les positions qui concernent le rôle du Moi dans la for-
mation des fantasmes ;
3° Approfondir le problème particulier posé par l'examen des conti-
nuités.
Que la position théorique fondamentale des participants les ait
guidés, Rosen l'avait déjà impliqué en affirmant qu'une conception
particulière du modèle mental conduit à une vue particulière, en ce qui
concerne le fantasme. Plus spécifiquement, nous pouvons ajouter que
c'est notre conception du Moi qui détermine le rôle que nous lui dési-

(1) Les paragraphes en petits caractères sont des résumés de l'original. Les paragraphes
en caractères courants sont traduits de l'original. Trad. M. BÉNASSY.
576 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

gnons dans la formation des fantasmes. Si nous voyons, avec Sandler,


le Moi dans sa totalité comme le siège de l'organisation la plus haute,
nous choisissons le parti de la clarté et de la simplicité.
Cependant, on peut se demander avec Segal si ce gain n'est pas
obtenu aux dépens d'une plus grande perte de profondeur et de viva-
cité dans les conceptualisations subsidiaires. Nous pourrions poser en
principe l'existence d'une hiérarchie des processus primaires et porter
notre attention non seulement sur ces secteurs des fonctions psycholo-
giques où le primitif et l'évolué sont clairement séparés, mais aussi sur
ceux où ils forment une continuité. Les théories sexuelles refoulées,
par exemple, dont parle Rosen seraient contenues dans le secteur
dichotomisé de la psyché ; au contraire, quelques-unes des structures
psychologiques dont parle Lagache appartiendraient à ce secteur où la
transformation des processus primaires en processus secondaires est
graduelle et continue.
On a parlé cet après-midi de la « nature » du fantasme inconscient. Ce
n'est peut-être pas par hasard que cette question a été clairement posée sur-
tout par nos collègues français : Lagache explicitement, Bénassy, implicitement
dans sa conceptualisation psychophysiologique. Nous ne pouvons pas pour-
suivre ce problème. Pourtant ce serait le moment de se demander ce que
signifie cette question dans le contexte de la théorie psychanalytique.

Si nous suivons Sandler et si nous considérons la relation de la


conscience, organe sensoriel de perception interne, et du fantasme,
nous pouvons affirmer que notre conception du fantasme préconscient
repose, sans aucun doute, sur le postulat de ce que Reichenbach, philo-
sophe de la science, appelle un « système normal » [8] (cf. p. 180, 183).
Autrement dit nous supposons que le fantasme préconscient est sem-
blable au fantasme conscient bien qu'il ne soit pas observé. Une telle
supposition est impliquée dans l'attitude de bon sens avec laquelle on
considère la réalité et elle est prépondérante dans l'attitude initiale de
la plupart des sciences vis-à-vis de leur champ d'activité. En ce qui
concerne le fantasme inconscient, cependant, notre attitude n'est pas
aussi univoque, si l'on met en contraste les conceptions de Segal et de
Bénassy en ce qui concerne le fantasme inconscient primitif. Pour être
simple et clair, nous pourrions bien sûr postuler aussi pour le fantasme
inconscient un « système normal » et nous contenter d'ajouter les consi-
dérations appropriées : il est inaccessible à cause du refoulement ou de la
défense. Je pense cependant que c'est implicitement l'opinion préva-
lente chez les participants à cette réunion (excepté peut-être Segal) que
quant à l'inconscient nous n'avons pas de raison certaine de supposer
CONCLUSION 577

un « système normal ». Cette attitude est analogue à celle qu'ont adoptée


les physiciens nucléaires : on s'est aperçu que le moyen d'observation
lui-même (par exemple le rayon de lumière ou le faisceau d'électron)
modifie le champ [8] (cf. pp. 181-2). En bref, nous mettons en question
l'exactitude de cette supposition que les produits fantasmatiques obser-
vés qui proviennent de l'inconscient (qu'ils soient accessibles directe-
ment dans les états régressifs ou qu'ils soient découverts et dessinés
par l'examen de leurs dérivés) sont identiques aux fantasmes non
observés ; il semble que nous tendions à soupçonner qu'ils changent en
devenant observables. Un autre aspect des problèmes que pose le fan-
tasme inconscient n'est autre que l'appréciation de la marge d'extension
de cet organe sensoriel d'observation interne qu'est la conscience.
Lagache, mais aussi Sandler et Bénassy ont attiré notre attention sur la
prépondérance de la quantité sur le contenu dans le fantasme incons-
cient. Se pourrait-il que le fantasme inconscient non modifié, où la
quantité a sur le contenu une prépondérance exceptionnelle, soit
au-delà de la marge d'observation de l'organe sensoriel, la conscience,
comme le sont les rayons ultraviolets pour l'oeil ? Les observations de
Freud, sur les altérations des états de conscience, ne contredisent pas
cette possibilité : « La perte de conscience », disait-il, « l'absence dans
la crise d'hystérie, provient de cette perte de conscience fugitive mais
indiscutable qu'on peut observer à l'acmé de toutes les satisfactions
sexuelles intenses y compris celles qui sont autoérotiques ». [1] (p. 223) ;
et aussi [7] (spéc, p. 124). Puisque la plupart des sciences se trouvent
en face des difficultés qui proviennent : a) de l'influence des moyens
d'observation sur les faits observés ; b) de la limitation imposée par
les perceptions sensorielles, elles s'efforcent de formuler des affirma-
tions générales concernant leur objet en termes qui soient à une cer-
taine distance de l'événement observé. Ces problèmes ont été minutieuse-
ment discutés par Hartmann qui insiste sur la nécessité de maintenir
une distance appropriée entre l'événement observé et la formulation
théorique [4] (pp. 3, 4 et 18). Voir aussi [5] (p. 16-17). L'idéal des
sciences physiques est de représenter la réalité en se servant de quantités
mesurables et grâce aux relations mathématiques de constituer des
unités quantifiées. Puisqu'on ne peut utiliser de pareils procédés
dans la psychologie de la compréhension sans aboutir à l'insignifiance
ou à la stérilité, nous devons nous efforcer de perfectionner notre propre
système de notations symboliques, c'est-à-dire, ce que Freud a appelé
« la sorcière de notre science », la métapsychologie. C'est ce que tous
ceux qui ont contribué à notre symposium ont fait, Bénassy inclus
578 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

qui a insisté, en termes métapsychologiques, sur cette opinion qu'à cause


de l'étroite relation entre conscience et processus secondaire (parti-
culièrement le langage), il était préférable de formuler l'activité fan-
tasmatique primaire en termes psychophysiologiques. (On trouvera
des remarques supplémentaires concernant la conceptualisation des
états psychologiques archaïques dans [6], sp. pp. 467-169.) Presque
tous les orateurs ont examiné le rôle du Moi dans la production de
fantasmes, et se sont ainsi engagés dans le vieux dilemme de l'appré-
ciation du continu : il faut choisir, insister soit sur l'homogénéité essen-
tielle au champ (en s'intéressant aux zones intermédiaires), soit sur
les différences entre les zones (en portant son attention sur les points
terminaux).
Freud a fait allusion à ce problème lorsqu'il a affirmé qu'il acceptait les
degrés de conscience comme il acceptait qu'on parle des degrés de luminosité
qui s'étendent de la pleine lumière à l'obscurité. Mais cela n'a pas de sens de
se servir de l'existence de ces gradations pour conclure que l'obscurité n'existe
pas et pour ne pas allumer la lampe.
Si nous voulons montrer que la source des fonctions psychologiques
évoluées se trouve dans les états primitifs ou qu'on trouve dans l'évolué
les restes du primitif, nous insisterons sur la continuité ininterrompue
du développement. Au contraire, quand nous examinons le rêve, les
symptômes des psychonévroses ou ces formations fantasmatiques qui
sont un amalgame de dérivés de l'inconscient et de pensée syntone
au Moi, nous insistons sur la discontinuité des processus primaires et
secondaires et considérons la production envisagée comme résultant
d'influences provenant de deux zones différentes du fonctionnement
psychique. Freud a utilisé les deux modes d'approche [2] (p. 24)
et les a incorporés dans sa conceptualisation du modèle de la structure
mentale [7] (spé. p. 132). Le contraste entre l'opinion de Sandler et
celle de Lagache s'éclaire peut-être, si l'on admet qu'ils se sont inté-
ressés à des secteurs différents du modèle psychologique : Sandler au
secteur où les processus primaires et secondaires sont nettement séparés,
Lagache à cette zone où l'on passe du primitif à l'évolué par une transi-
tion graduelle. Ainsi Lagache se réfère clairement à la cohérence du
primitif et de l'évolué lorsqu'il dit : « Ce qu'on peut appeler la sublima-
tion en acte est animé par des intentions et des fantaisies narcissiques,
sadomasochiques, libidinales. »
Pour conclure, tous ont atteint le point crucial lorsqu'ils ont poursuivi le
phénomène (et le concept de fantasme) dans les profondeurs de la structure.
Chacun a tenté une formulation métapsychologique. C'est un mouvement de
CONCLUSION 579

l'esprit humain qui s'efforce non seulement de contribuer à la science mais


d'intégrer le Moi en intégrant le monde. Segal montre l'influence primordiale
des fantasmes archaïques sur le développement normal et anormal : Bénassy
plaide pour la vadilité d'une conceptualisation psychophysiologique du fan-
tasme primitif ; Sandler s'attache étroitement aux expériences des données
cliniques et fonde ses conceptions sur le contraste entre processus primaire et
secondaire ; Lagache insiste sur l'état naissant, c'est-à-dire la signification
centrale du réinvestissementdu souvenir inconscient.Il y a beaucoup à apprendre
de chacune de ces communications mais c'est peut-être dans la totalité de ces
différents points de vue que réside la valeur de cette réunion. Comme un bon
analyste nous laisserons bien des questions sans réponse, nous remettrons à
plus tard le point final. Nous referons encore la même chose dans d'autres
occasions, nous accumulerons nos découvertes et nos intuitions comme le fait
toute science dans sa maturité.

BIBLIOGRAPHIE
[1] FREUD (S.), Some General Remarks on Hysterical Attacks (1908), S.E., 9.
[2] — The Ego and the Id, S.E., 19 (1923).
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1927.
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J. Amer. Psa. Assoc, 7, 459-483, 1959.
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[8] REICHENBACH (H.), The Rise of Scientific Philosophy, Berkeley and Los
Angeles, U. of California Press, 1951.
Art et fantasmes
par PIERRE LUQUET

Le fantasme sous-tend et anime l'oeuvre d'art, en fait une reconstruc-


tion du monde selon l'esprit, témoignage de sa forme de préhension, de
son pouvoir d'organisation, surtout de sa polarité affective (1). Cela revient
à dire qu'une étude du fantasme dans l'art nécessiterait une prise
en
considération du phénomène esthétique dans son ensemble. Ici n'est
point mon propos, tout au plus celui d'une introduction, par quelques
remarques, non liées par un système mais avec la liberté de l'association.
La première est que, si nous partons d'une confusion terminologique
impliquant l'essence même de la chose étudiée, nous resterons dans
l'approximation où tout est possible mais où rien ne prend de vraie
valeur. Il n'était point utile que Freud révolutionnât le monde en
découvrant l'inconscient, adjectif particularisant les systèmes échappés
à notre personnalité, si nous continuons de confondre les formes
archaïques et refusées par elle mais qui la sous-tendent, avec l'organi-
sation actuelle qui s'efforce à les intégrer dans le cadre de la représen-
tation d'elle-mêmeet de ses relations réelles, pour la meilleure satisfaction
possible. Nous ne pouvons plus confondre le dynamisme conscient
avec le dynamisme inconscient qui a ses lois propres. Le but de la
psychanalyse est de faire naître le fantasme, c'est-à-dire une élabo-
ration du Moi exprimant son besoin inconscient et par là de le
rendre maniable dans une organisation mentale consciente et pré-
consciente. Un tel fantasme naît dans un transfert par rapport à un
objet significatif. Celui-ci est reconnu comme but de la pulsion qui se
fonde dans le fantasme en déchargeant partiellement les tensions, ou
en se préparant à les décharger. L'objet ne satisfaisant pas la pulsion,
la contraint à devenir mentale. On peut dire qu'une fois que le fan-
tasme est apparu (dans la conscience) avec ou sans l'aide de l'interpré-
tation, une difficulté essentielle est franchie et une nouvelle position

(1) Elle se sépare du délire par sa communicabilité. Ainsi elle élargit le sillon et permet
davantage l'intégration des richesses affectives luttant contre l'isolation, la rationalisation
et les autres formes d'écrasement libidinal.
REV. FR. PSYCHANAL. 38
582 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

du Moi s'instaure avec des possibilités d'investissement et de désin-


vestissement des fonctions liées au fantasme. Il peut s'agir d'un fan-
tasme refoulé, anciennement conscient où d'un fantasme nouveau,
jamais expérimenté par absence d'évolution du Moi : il en est ainsi
de chaque intégration mentale s'évadant de la régression névrotique
et psychotique du Moi. Ainsi s'explique la facilité avec laquelle les
psychanalystes appellent fantasme une relation imagoïque inconsciente
(relation d'objet) qu'ils sont, eux, capables de fantasmer à la place de
leur patient, exprimant ainsi cette relation d'objet. De cette relation
primitive le sujet est prisonnier dans la mesure même de son incons-
cience. Or, ce qui est inconscient n'est pas directement intégrable
dans la sphère mentale. Il y a donc intérêt à maintenir une distinction
ferme entre fantasme (conscient) et relation inconsciente avec des
imagos, même si nous avons raison de les traiter semblablement dans
d'autres moments.
Une seconde remarque peut être faite sur la valeur expressive du
fantasme conscient communiqué à un autre. Celui-ci qui est l'accès à
la liberté pour le sujet est une représentation de décharge. Manifes-
tation du Moi, il inclue généralement le dépassement des défenses
qu'il suppose. Celui qui reçoit le fantasme n'est pas forcément dans une
situation dynamique semblable. Dans ce cas il y a peu de choc émotion-
nel. Mais le fantasme puise une énergie nouvelle dans le mode d'expres-
sion qui lui est lié. Nous retrouvons ici un intérêt tout particulier
pour le « fantasme inconscient ».
Un fantasme accompagne toujours l'investissement d'une fonction
du Moi. Il n'y a pas à l'origine de représentation mentale de l'acte,
du sentiment, de la perception même, sans fantasme. Lorsque généti-
quement les fonctions s'investissent (avec quelle joie ! quel élan vital
chez l'enfant !), cela se fait au cours de décharges qui ne sont pas
seulement motrices et sensorielles mais imprégnées d'un psychisme
élémentaire qui comporte des décharges d'affects et les inscrit plus
ou moins dans des relations objectales. Comment les fonctions res-
tent-elles investies est un problème encore mal résolu. Marty et Fain
et leurs collaborateurs nous ont beaucoup appris. J'ai essayé de
montrer le rôle de l'introjection comme retour de l'investissement sur
le Moi (narcissisme secondaire). Un système qui utiliserait exclusive-
ment ce mécanisme s'appauvrirait en relations objectales ; un système
ne pouvant pas l'utiliser suffisamment reste dépendant des relations
imagoïques et des conflits inconscients qu'il a développés dans le passé.
Ce qui nous intéresse ici est ce qui demeure d'affect et de fantasme
ART ET FANTASMES 583
inconscient lié aux mécanismes fonctionnels élémentaires et complexes
utilisés par le créateur. D'autre part, la psychanalyse génétique nous
apprend que la mise en action d'un système instrumental ne se fait pas
sans être investi et représenté dans l'image du Moi. Le Moi acquiert, par
cette représentation, une possibilité de maîtrise des systèmes instru-
mentaux. Cela se fait au cours du développement affectif et sous le
primat de celui-ci. Dans ce sens on doit supposer que toute fonction
investie suppose un fantasme intégré. Quel est le sort ultérieur de ce
fantasme ? Est-ce que le fait d'utiliser la main dans des mécanismes
évolués lui retire sa valeur d'absorption orale puis de captation anale, etc ?
L'expérience montre que l'intégration est souvent partielle. D'autre part,
rien n'est moins certain que l'hypothèse de la « désexualisation » (je
préfère la délibidinisation) des investissements fonctionnels. L'identifi-
cation peut être utilisée secondairement, en temps que mécanisme de
défense, comme un essai de désexualisation mais l'introjection assimi-
latrice ne fait que déplacer la libido objectale sans lui faire perdre sa
nature. Il en est sans doute de même des autres modes d'intégration. Ainsi
donc la relation imagoïque qui pourrait se traduire par un fantasme
(fantasme inconscient), garde une réelle valeur dynamique dans son
lien avec l'instrument du Moi et nous devons en tenir compte pour
notre propos.
L'oeuvre d'art qui exprime le Moi et ses formes archaïques le fait
à travers les deux formes de fantasme conscient et inconscient. La
décharge libidinale, le mode relationnel et la forme du Moi ne s'expri-
ment pas que dans les fantasmes conscients : représentation, descrip-
tion, thème, etc., mais dans le mode d'expression. Si le style est l'homme
c'est que l'essentiel de la décharge fantasmatique est dans la forme et
non dans le thème. Le style, la technique, la « cuisine » ne sont pas
directement verbalisables bien qu'ils puissent être décrits, analysés et
reconstruits. Si, derrière le fantasme manifeste de l'oeuvre, il existe
un fantasme latent comme dans le rêve (le bateau entrant dans le
port est aussi une représentation de scène primitive), il est surtout
important de retrouver la valeur des fantasmes latents dans la part
non représentée ou verbalisée de l'oeuvre — dans le mode et les moyens
expressionnels. L'ensemble de ces fantasmes inconscients et leur organi-
sation correspond aux réalités esthétiques.
Une troisième remarque sera faite sur l'attitude du Moi à l'égard
des fantasmes. Le Moi élabore et utilise un certain nombre de fan-
tasmes (souvent au cours de luttes passionnées avec lui-même), et
en bloque beaucoup d'autres en refusant le fantasme conscient et en
584 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

inhibant la réalisation fonctionnelle liée au fantasme inconscient. Le


Moi de l'artiste créateur est à la fois plus libre et plus ouvert. Sa cara-
pace caractérielle est plus mince. Il ne fuit pas son émotion et risque
l'angoisse qu'il érotise parfois. Il a renoncé à la sécurité que donnent
un modèle, un rail, un système d'encadrement. S'il les utilise c'est
seulement pour aller plus loin et finalement les abandonner. Il aime
le fantasme et il aime par-dessus tout s'exprimer à travers ces équi-
valents fantasmatiques que sont pour lui les techniques expressives.
Il suffirait, si on n'était convaincu, d'entendre parler les meilleurs de
leur procédé, de l'esprit qu'il suppose pour sentir la richesse de l'in-
vestissement. Rien de plus passionné que les positions qui découlent
des conceptions expressionnelles, Nous gagnerons à nous pencher sur
ces déclarations spontanées où se mêlent rationalisation et association
pour notre plus grand profit (1).
Le cas où le fantasme a été anciennement conscient pose le problème
du refoulement. Il me semble que le Moi se sépare alors d'une partie
de lui-même (car le Moi a parmi ses fonctions celle d'assumer les
pulsions conscientes et préconscientes) en maintenant cette partie dans
l'inconscience à l'aide de la fonction surmoïque (constituée à partir
de la relation avec les objets introjectés). On peut se demander ce qui
est inconscient : le désir dirigé vers l'objet, ou la représentation spéci-
fique de ce désir, ce qui entraîne la nécessité d'admettre la notion de
représentation mentale inconsciente. On opine dans ce sens : le retour
des souvenirs oubliés est un argument. Mais la question est ici de
savoir pourquoi certains matériaux psychiques acquièrent, lors de leur
réapparition, une valeur particulière. J'ai essayé de montrer comment
ils constituaient une forme mentale caractéristique que j'ai appelée
métaprimaire. Elle possède du processus primaire certains traits fonda-
mentaux. La condensation permet des décharges multiples dont l'effet
s'ajoute, à travers plusieurs formes d'organisation. Le symbolisme qui
n'est qu'une des premières formes condensantes (par identité fonction-
nelle) l'enrichit par la superposition des plans d'intégration. La limi-
tation relative des données temporelles ou spatiales la libère des pres-
sions surmoïques de la réalité. Cependant ces émergences primaires
sont contrôlées, organisées, maniées par un Moi qui les transmute en
une variété de langage, en une expression de lui-même. Elles acquièrent
alors des pouvoirs nouveaux,étrangers à ceux nécessaires à l'action et à la
pensée réflexive. De même que le langage verbal structure la pensée,

(1) Charpier, Charpier et Seghers en ont réuni un certain nombre.


ART ET FANTASMES 585

cette autre variété de langage organise les formes expressionnelles.


L'association sensation-émotion reste entière, l'isolation est réduite
au minimum. « Le vert émeraude est une couleur froide, certaines
tonalités musicales également. » De telles notions incluent une multi-
tude d'expériences élémentaires. La proximité ou l'éloignement des
souvenirs maternels et auto-érotiques. Les liens associatifs sont variables
selon les expériences vécues mais communs dans les formes les plus
anciennes, les plus protopathiques. Si bien que l'évocation d'un de ces
éléments tend à faire renaître une suite de fantasmes inconscients.
La réalisation sensorielle est capable de faire apparaître l'affect sans que
le fantasme devienne conscient. Une oeuvre d'art nous touche par le
nombre et la richesse des fantasmes inconscients qu'elle supporte et
qu'elle fait résonner chez l'amateur. Le Moi est moins défendu contre
cette réapparition de l'affect.
Ce n'est pas seulement par cet aspect énergétique que les formes
métaprimaires prennent leur valeur esthétique. Nous avons vu qu'elles
sont capables d'intégrer plusieurs aspects du Moi (1). Nous devons
d'abord nous demander quelle est leur valeur intégrative. Il est probable
que l'organisation la plus efficace, pour l'équilibre mental, est la
plus élaborée : le fantasme conscient porteur de l'affect. Seulement
le Moi organise le fantasme conscient selon des modes défensifs qui
permettent plus ou moins de décharges libidinales et à l'extrême
peuvent l'appauvrir totalement (c'est alors le « cliché »). Les modes
métaprimaires au contraire restent riches en affect : ils évoquent, ils
touchent, ils apaisent. Souvent ils se font du Surmoi un allié, ils flattent
l'idéal du Moi. En évitant la conscience verbalisée du système secondaire
ils ne permettent cependant pas une intégration totale. D'un côté
on peut les rapprocher des activités de comportement comme le fait
remarquer M. Fain, dans leur aspect de court circuit. L'activité artis-
tique est aussi un agissement. Il y a d'ailleurs un maniement de l'émo-
tion, un « ressenti » brut qui est symétrique de la décharge élémentaire
de l'agi. Si l'art a un aspect cathartique on pourrait discuter sa
valeur intégrante. En réalité tout cela n'est pas si simple. Si la psychana-
lyse donne à la conscience verbalisée le rôle essentiel dans la vie mentale,
elle s'appuie tout autant sur la préhension par le Moi de la réalité. Le
fantasme se pose en temps que décharge libidinale ou agressive, en face
d'une réalité qui le recouvre ou le dément. Les organisations méta-
primaires sont aussi une forme de préhension et de maniement du réel.

(1) La fonction esthétique du moi, Rev. fr. de Psych., t. XXVII, 1963, n° 6.


586 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Les sujets qui ont un mode prépondérant d'organisation de ce type


ont une vie mentale très riche. Nous sommes en présence de deux types
parallèles dont les buts sont atteints (1). Il est nécessaire de penser à la
conception que nous avons de « la réalité ». Celle-ci est à la fois l'autre
qui s'oppose à la projection objectale et la dément (le monde extérieur
est aussi l'autre sur lequel l'objet se projette) et une représentation du
monde façonné par l'être humain et spécialement chacun de nous (2).
Dans ce sens, le réel de l'artiste présentera quelques différences avec
celui de l'homme d'action et du penseur. Le réel est aussi sa propre
réalité mentale et c'est un a priori que de donner plus de poids à la
réalité mathématique et physique qu'à la réalité vécue. L'artiste recrée
un monde et une réalité, dont les lois restent communicables, mais qui
suppose une série de fantasmes. La Sainte-Victoire n'est pas une réalité
générale : elle existe pour le géographe, pour le montagnard et pour
Cézanne et à travers lui pour une génération de peintres qui constitue
la sensibilité picturale du siècle ; au-delà elle participe à une compréhen-
sion actuelle du monde.
Dans le mode métaprimaire l'affirmation du Moi apparaît plus
importante que dans le mode logique actif. L'artiste se suppose iden-
tique à l'autre (3). Il travaille sur lui-même, cherche un langage riche
qui satisfasse son idéal, ses images, ses besoins, ses limitations. S'étant
trouvé, il a trouvé l'autre qui se reconnaîtra et qui en tirera jouissance.
Chez le psychologue le plaisir passe par la connaissance. Ici elle est
plus directe bien qu'exclusivement mentale et sublimée (4). Lorsque
M. Poussin (5) décrit ce qu'exprime le mode phrygien « pour avoir
ses modulations plus menues et son aspect plus aigu » particulièrement
apte à exprimer « les sujets de guerres épouvantables », Phypolidien
portant « suavité et douceur » et le dorique comme « grave, stable,
sévère et plein de sapience », il ne fait qu'exprimer des organisations
traditionnelles de fantasme, rassemblées par une connaissance intuitive
et prenant leurs racines directement dans le système primaire, quoique
déjà devenues signes et servant de base à la recherche constructive du
langage pictural. Ceci écrit en 1647 a été repensé par les peintres de

(1) La difficulté apparaîtralorsque le conflit refoulé, inintégrable paralysera les mécanismes


métaprimaires. Seul, alors, le retour à la conscience claire de l'affect dans une relation vécue
pourra lever l'obstacle.
(2) Comment parler du fantasme sans parler du délire ? Celui-ci procède quant à l'objet.
C'est toujours un délire de relation objectale.
(3) Dans une identification défensive qui le nie en même temps.
(4) On pourrait donner comme propos à l'art l'organisation d'un langage visant à la jouis-
sance à travers un mode expressionnel métaprimaire.
(5) Lettre à M. de Chantelou, Rome, 1647.
ART ET FANTASMES 587

notre temps en des termes différents qui correspondent aux mêmes


réalités esthétiques. Certain cubisme peut être dit dorique, etc. Tout
ceci pour dire qu'il faut rechercher le fantasme inconscient non seule-
ment dans les « matériaux de base » de la pure plastique mais dans
ces complexes qui donnent vie à l'harmonie, à l'équilibre, à la chaleur,
à l'horreur, etc. Il faut aussi noter que certains éléments de la construc-
tion peuvent supporter un fantasme et d'autres un fantasme opposé
ou complémentaire. Il est fréquent chez Picasso, par exemple, que
le dessin exprime la désespérance et l'agression la plus profonde
(celle de l'image de l'objet) alors que la couleur sera douceur et ten-
dresse. C'est cette suavité et cet amour qui sont détruits, disloqués et
reconstruits dans un monde particulier.
Au terme de ces quelques remarques il apparaît que l'art est le
domaine du fantasme sous toutes ses formes, que dans l'effort de son
langage il est un essai d'intégration du système primaire. On ne dis-
tinguera pas seulement les fantasmes par leur qualité de conscience ou
d'inconscience, mais par leur niveau structural. Peut-être peut-on
suggérer que le fantasme oral serait seulement hallucinatoire, déjà
sériel bien qu'indifférencié.Il serait négation par rapport à la frustration,
représentation de décharge immédiate. Il n'est pas sûr que la négation
de la mort, de la destruction de l'objet, décrite par les kleiniens, soit si
précoce. Les intégrations anales structurent le fantasme qui devient
symbolique (déplacement dans le cadre de l'identité fonctionnelle).
La représentation de l'action, le maniement de l'objet le diversifient.
Il faut attendre les stades ultérieurs pour que le fantasme appartienne
au mode métaprimaire, et s'intègre dans le système de la pensée. On
observe sans doute un phénomène qui ressemble à cette évolution
lorsque l'on passe du rêve vécu — avec son incohérence, ses contrastes
simultanés, sa forme hors du langage — rêve qui est proprement intra-
duisible et qui se transforme peu à peu dans le souvenir que le rêveur
organise au réveil, puis dans le récit qu'il en fait. Les difficultés que
l'on éprouve à communiquer les rêves ne viennent pas toutes de l'amné-
sie refoulante mais de la différence de structure entre la pensée primaire
du rêve et son récit métaprimaire. Le troisième plan d'intégration du
rêve est l'exploitation que le processus secondaire permet d'en faire.
Du fantasme primaire au fantasme préparatoire à l'action et à la pensée,
la structuration apparaît de plus en plus nette mais la véritable intégra-
tion demeure l'acceptation par le moi de toutes les implications du
fantasme accompagné de son affect et par conséquent de son maniement
mental.
588 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

A tous ses niveaux de structure le fantasme est donc bien la forme


de l'investissement mental. Il n'est que trop certain que nous connais-
sons mal ce à quoi correspond dans le langage neuro-physiologique
l'investissement mental, l'énergie mentale. Les théories monistes
veulent qu'il n'existe qu'un phénomène dont l'esprit humain concep-
tualise deux aspects, l'un exprimé en terme neurophysiologiste, l'autre
en terme psychologique. D'autres conceptions admettent un double
phénomène mais lié à un niveau quelconque. Dans les deux cas on
admet un répondant neurophysiologique à l'énergie mentale. Quoi qu'il
en soit il semble bien qu'une représentation apparaisse mentalement
par un accroissement d'énergie qui fixe les modifications attachées à
l'excitation et permet le retour sous une forme différente de la percep-
tion alors qu'il n'y a plus de stimuli. Les représentations ainsi possibles
sont plus ou moins vives. Le Moi apparaît en dernière analyse comme
le répartiteur des investissements. Il est le mode de l'intégration men-
tale. Ses méthodes, ses possibilités varient selon l'état de son organi-
sation, le degré des intégrations réalisées. Les premiers investissements
mentaux ne sont donc que des souvenirs d'état et d'excitation qui
forment une représentation (hallucinatoire) sous l'effet du besoin. Lors-
qu'apparaît une image du mouvement du Moi corporel par rapport à
un objet reconnu différent le fantasme inclut un rapport sujet-objet.
Certainement les premiers fantasmes sont très lourdement chargés
d'affect. Il faut beaucoup de plaisir et de frustration pour mettre le
système en marche. Le processus primaire qui est la forme d'organisa-
tion du moi à cette période est la première organisation de ces fan-
tasmes. L'inconscient qui n'est pour moi que les premières formes du
Moi, inintégrées et refoulées, correspond à (cette structure primitive. A
côté du rêve, on le retrouve dans les psychoses les plus dissociatives.
L'objection que la régression ne donne pas des structures semblables à
celles de l'évolution n'est pas ici absolue, car, lorsqu'il y a eu splitting,
désintégration ou inintégration, refoulement primaire, les formes
archaïques demeurent dans l'inconscient dans le même état, dans la
mesure même où elles sont protégées des modifications de l'intégration.
Mais le processus intégratif a toujours tendance à se produire. Fain
et David ont montré la valeur élaborante du rêve; certaines formes
psychotiques sont également une « tentative de guérison ». Les processus
métaprimaires de la pensée mystique et esthétique jouent le même rôle.
La question est de savoir si ce mode intégratif est une marche qui
permettra de nouveaux progrès, ou si, en tant que voie parallèle il
constitue plutôt un obstacle. L'art me paraît comme le rêve un chemin
ART ET FANTASMES 589

lent vers une prise de conscience à travers des fantasmes de moins en


moins défensifs, et une forme intégrative ouverte.
Les psychosomaticiens insistent sur la valeur structurante du fan-
tasme, les psychanalystes nous apprennent à libérer l'association libre
de ses entraves et à rétablir le courant fantasmatique. Comment l'art,
synthèse mentale des fantasmes les plus superficiels et les plus profonds,
ne réaliserait-il pas une véritable réintégration des forces libidinales
et agressives à travers des sublimations dans une organisation mentale
qui donne leurs places à toutes les instances de la personnalité ?
Mais pour cela il est nécessaire qu'il ne soit pas vicié par un nar-
cissisme mortel. Les deux plans intégratifs essentiels appartiennent :
le premier à la génétique profonde du moi (organisation d'une forme
métaprimaire ayant une valeur d'élaboration du fantasme primitif
et du moi), le second à l'intégration des rapports objectaux avec les
autres. C'est dans cette deuxième dimension structurale où l'artiste
sort de sa contemplation narcissique pour constituer un langage s'adres-
sant à un autre, où il s'intègre dans une quelconque « école », ne serait-ce
que celle à venir, qu'il y a réellement création (1). C'est dans ce sens,
et dans ce sens seulement, qu'il y a un art pathologique, celui qui meurt
rapidement pour ne s'être pas évadé d'un jeu auto-érotique animé
seulement par la recréation et la contemplation de soi. Si l'on donne à
l'amour son sens le plus vaste on peut dire qu'il contribue largement à
fournir à la fonction esthétique sa valeur salvatrice.

(1) C'est dans l'effort de dépouillement et de transmutation de son propre vécu que s'effectue
réellement la « création ».
L'utilisation par un peintre
de ses rêves et de ses fantasmes
au bénéfice
de son activité créatrice
par PETER E. SIFNEOS (1)

I
La relation entre les rêves et les fantasmes
entre les fantasmes et l'art
Au-delà de l'importance des rêves dans la psychanalyse, importance
qui ne saurait être exagérée, Freud, dans son livre classique L'interpré-
tation des rêves et dans ses articles qui suivirent, de même que plus
récemment Fisher et Dement, pour ne mentionner qu'eux, nous ont
frayé un chemin dans la compréhension de l'esprit humain.
La distinction entre rêves et fantasmes, telle qu'elle est signalée par
Freud [1], met en évidence le fait que la personne qui rêve, en transfor-
mant les pensées en images visuelles, subit une expérience plutôt qu'elle
ne pense et crée une situation à laquelle elle attache une ferme croyance ;
elle se rend compte à son réveil qu'elle vient d'avoir un rêve. Celui qui
a un fantasme est éveillé, bien sûr, donc en contact plus direct avec
la réalité. On peut dire alors que les fantasmes sont faits d'une trame
plus légère que les rêves, le processus secondaire des premiers jouant
un rôle plus important. Le Moi joue un rôle prépondérant dans les
fantasmes. Cependant Freud nous dit aussi qu'après un examen plus
approfondi des fantasmes, ceux-ci présentent plusieurs aspects communs
avec les rêves, notamment la satisfaction d'un désir, les expériences

(1) Assistant Professor of Psychiatry, Harvard Medical School and Director, Psychiatric
Clinic, Massachusetts General Hospital, Boston, Massachusetts.
592 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

infantiles, l'utilisation du présent, les mécanismes de compression et


de condensation.
D'un point de vue plus neurophysiologique, ayant à l'esprit l'oeuvre
de Penfield, la distinction entre rêves et fantasmes devient moins
frappante, parce qu'il semble que les deux processus prennent naissance
dans la même partie du cerveau, c'est-à-dire dans le lobe temporal.
Rêves et fantasmes peuvent être considérés comme des tentatives
du Moi pour dominer l'anxiété provenant d'une tendance instinctuelle ;
sous son déguisement elle apparaît alors sous une forme moins mena-
çante. Enfin, il existe des « rêves d'en haut » [2] que Freud considère
comme la formulation d'idées qui auraient pu être créées aussi bien à
l'état d'éveil qu'à l'état de rêve. Qu'on me permette une exagération,
pour simplifier, comme dirait Gide, et je dirai en conclusion que la
différence entre les deux phénomènes n'est qu'une question de degré.
Rêves et fantasmes sont également en relation étroite avec la capa-
cité créatrice d'un être. L. Kubie [3] fait remonter les origines de la
faculté créatrice au système préconscient, qui se situe au bord de la
conscience. Les processus préconscients tombent sous l'influence et
les limitations des processus conscients, l'accent étant mis sur la réalité,
plutôt que sous l'influence de la mémoire sensorielle et affective des
événements passés ainsi que des processus inconscients, l'accent étant
mis sur la répétition et la rigidité stéréotypée de la forme et du contenu.
De plus, cet auteur pense que les artistes possèdent la faculté de réac-
tiver les composantes sensorielles et émotionnelles des expériences du
passé ; ainsi leurs processus préconscients peuvent avoir libre cours et
leur permettent de créer.
Freud [4] pense également que le monde des fantasmes est à la
disposition des artistes comme au reste d'entre nous, mais que les pre-
miers possèdent aussi la faculté de façonner et d'exprimer fidèlement
les idées contenues dans ces visions ; grâce à leur art — par l'imagina-
tion — ils peuvent gagner des honneurs dans la réalité, honneurs qui,
auparavant, auraient pu être acquis en imagination seulement.
Benda [5] met aussi l'accent sur la double faculté propre à l'artiste
d'intégrer les processus de la maturité et les processus primitifs et de
posséder une personnalité flexible capable de passer d'une activité
progressive à une activité régressive. La névrose cependant, avec ses
conflits inconscients et irrésolus, « corrompt et déforme la faculté
créatrice », selon Kubie.
R. May [6] et d'autres existentialistes qui mettent l'accent sur l'indi-
vidualisme profond de l'homme prétendent que la faculté créatrice naît
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES REVES ET FANTASMES 593

dans un « acte de rencontre », et l'artiste créateur doit apprendre à vivre


avec anxiété malgré le prix élevé qu'il doit payer pour donner un sens
à ce qui est dépourvu de sens.
De tout ce qui précède, il apparaît clairement que la psychologie
a mis en relief la faculté créatrice et son rapport avec lés rêves et les
fantasmes en la faisant remonter à ses origines. S'arrêter là, cependant,
ne me paraît pas suffisant. Si rêves et fantasmes sont des sources de
processus créatifs, est-il possible de considérer les rêves et les fantasmes
eux-mêmes comme des produits artistiques et comme des stimuli pour
la création future ?
Tous, nous avons des rêves et des fantasmes, mais il reste à savoir
si nous créons des rêves et des fantasmes artistiques. Les artistes ont-ils
des rêves et des fantasmes esthétiquementplus plaisants que les nôtres ?
Sont-ils également reliés à l'art dans ce contexte ? Si oui, les liens ne
sont pas aussi évidents qu'on le voudrait.
Tout d'abord, l'art est un terme difficile à définir. Le dictionnaire
le définit comme « l'habileté dans l'exécution acquise par l'expérience,
l'étude ou l'observation ». C'est là une définition simple mais elle ne
suffit pas à notre dessein car elle se tait sur une grande partie de la
question. Par exemple, elle ne fait aucune mention de l'esthétique,
appréciation qui, dans l'esprit de beaucoup, est l'essence de l'art et
une qualité difficile à décrire ; il se peut même que cette appréciation
esthétique joue un rôle tout aussi vital dans la création des rêves et des
fantasmes. Comme Freud le dit dans sa discussion des « rêves d'en
haut » mentionnée plus haut, « ils offrent pour la plus grande part un
contenu possédant une forme abstraite, poétique ou symbolique »,
c'est pourquoi ils sont des oeuvres d'art. Si l'art est « un chemin de retour
de l'imagination à la réalité », comme le prétend Freud, et si les rêves
et les fantasmes sont des produits artistiques, alors je crois que nous
avons établi un lien direct entre les deux.
Il reste encore à décrire les étapes de la création artistique et là
nous nous trouvons immédiatement en face d'un problème. Ana-
lystes et hommes de science se sentent frustrés dans leurs obser-
vations des rêves, des fantasmes et de l'art. La plupart d'entre eux
ont une connaissance limitée de l'art et se sentent mal à l'aise en pré-
sence d'artistes. Ceux qui possèdent une connaissance plus approfondie
de l'art préfèrent analyser ou se livrer à des spéculations sur la vie et
l'oeuvre d'artistes morts plutôt que d'analyser des artistes vivants.
Mais ce n'est là qu'un aspect. Les artistes ne se font analyser qu'à
contrecoeur et ils n'aiment pas faire part librement de leur propre
594 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

connaissance de l'art. Ils préfèrent garder jalousement leur talent artis-


tique comme en secret, craignant que l'analyste, par quelque pouvoir
magique, ne les en prive. Tout cela conduit à une méfiance réciproque.
C'est à cause de cette difficulté que notre connaissance de la première
étape du processus de la création artistique se trouve limitée, création
qui, à mon avis, est l'appréciation esthétique et son rôle dans la pro-
duction de rêves et de fantasmes artistiques.
A partir de ce moment, cependant, la route devient un peu
plus facile. Une des attitudes caractéristiques les plus marquées chez
de nombreux artistes et quelques hommes de science est leur « absorp-
tion totale » dans leur travail. Lorsqu'ils peignent, composent ou écrivent,
ils semblent essayer, et ils y réussissent, d'éliminer de leur esprit
conscient tout ce qui entrave leur but. Ils paraissent être en rapport
intime avec leur personne propre. Il semble possible, dès lors, que le
processus de l'absorption totale soit responsable de l'accès d'un artiste
à un moment donné à son monde imaginaire artistique. Cet accès peut
être considéré comme la seconde étape de la création artistique. Après
avoir utilisé ce moyen pour ouvrir la porte qui donne sur le vaste monde
d'expériences visuelles, auditives et tactiles, que se passe-t-il ? La
différence entre les névrosés et ceux d'entre nous qui ne sont pas
artistes et, enfin, les artistes eux-mêmes, pourrait bien se trouver
exactement dans ce que nous découvrons lorsque nous réussissons à
ouvrir la porte sur notre monde imaginaire.
Le névrosé y trouvera peu de chose, un monde d'images ternes
et incolores nouées par des conflits névrotiques. Ceux d'entre nous
qui ne sont pas artistes peuvent y trouver bien davantage. Cependant,
même si notre monde de fantasmes est riche, les qualités esthétiques
peuvent faire défaut aux fantasmes et, de plus, il se peut que nous ne
sachions pas les utiliser pour en faire une oeuvre créatrice. C'est ici
que les artistes possèdent un double avantage. Tout d'abord ils peuvent
trouver dans leur monde de fantasmes une immense galerie d'oeuvres
d'art, source nouvelle et luxuriante d'inspiration future. Ensuite ils
ont le don de sélection et le talent de synthèse. Ils peuvent choisir un
petit détail d'un jeu d'enfant, la formation d'un nuage vue d'un avion
au soleil couchant, la sérénité du visage heureux de l'être aimé, le
mouvement gracieux d'une danseuse, le bleu profond de la Méditer-
ranée et ainsi de suite à l'infini. Cette liberté de choix du détail combinée
au talent de synthèse représente la troisième étape de la création artis-
tique.
Ces trois étapes impliquent ce processus de la création artistique
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES REVES ET FANTASMES 595

qui est en relation avec l'inspiration, mais l'artiste a encore une autre
tâche. Il faut qu'il possède du talent, quel que soit le sens de ce mot
merveilleux, il faut également qu'il soit capable de s'exprimer à l'aide
de l'un des moyens d'expression artistiques. Dans l'ensemble, sa
tâche est très difficile.
Dans l'article qui suit, j'ai montré comment un peintre utilise ses
rêves et ses fantasmes pour sa création artistique. J'ai montré également
comment des conflits névrotiques entravèrent ses processus créateurs
et finalement les étouffèrent. Je lui suis reconnaissant d'avoir partagé
avec moi quelques-uns de ses rêves et de ses fantasmes.

II
Le cas clinique
Cet article rapporte une expérience psychanalytique dont le sujet est
un peintre exceptionnellement doué. L'analyse a été interrompue par
le patient après neuf mois, mais pendant le temps qu'elle dura, il fut
possible d'en tirer de nombreuses informations qui éclaircirent le
processus de sa création artistique et ses sources.
La créativité artistique de mon patient présentait deux aspects.
Il avait le pouvoir de faire naître d'abondants fantasmes qui étaient
associés à une curiosité inhabituelle et enfantine de son monde intérieur.
Il possédait aussi le talent de donner à ces images une forme artistique,
ayant auparavant acquis les techniques de la peinture après une prépa-
ration assidue.
Sa curiosité enfantine était semblable à la soif inextinguible de
nouveauté propre aux enfants doués ainsi qu'à leur appétit insatiable
de connaître le monde qui les entoure. De plus elle possédait la qualité
d'innocence naïve et désarmante appartenant à un enfant de trois ans.
Il était évident que rêves et fantasmes étaient la source d'inspiration
de mon patient et qu'ils l'incitaient à concevoir de nouvelles peintures
dans son esprit. Il les utilisait également comme fragments, détails
ou symboles qu'il ajoutait, pour les compléter, aux toiles qu'il avait
commencées mais qu'il avait été incapable de terminer. La création
artistique dépendait d'un apport constant et égal de rêves et de fan-
tasmes. Il semblait qu'un équilibre eût été établi, qui nécessitait
l'engagement total et l'absorption complète de l'artiste. Son talent
remarquable lui permettait alors de reproduire ses images mentales
sur une toile. Lorsque son équilibre était rompu à la suite de difficultés
596 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

émotionnelles, il était inondé de rêves et de fantasmes mais il était


incapable de les utiliser de manière constructive et sa productivité
artistique décroissait. Lorsqu'il était déprimé, ses rêves et ses fantaisies
diminuaient et sa création artistique cessait. Le patient se « desséchait »,
ainsi qu'il le décrivait, et ce fut à cette époque qu'il se déroba à l'analyse.
Tournons maintenant notre attention vers l'artiste, un homme de
trente-cinq ans, célibataire. Ses parents divorcèrent alors qu'il était
âgé de deux ans. Le patient se souvenait de sa mère comme d'une
personnalité « forte » et dominante mais elle le soigna bien. Elle mourut
lorsqu'il avait dix-huit ans mais il n'en éprouva aucune peine. Il se
considérait comme un « loup solitaire » et s'isolait volontairement du
monde en restant des jours entiers dans son atelier. Il s'y sentait heureux ;
c'était son château. Son loyer était modeste et il était libre de faire ce
que bon lui semblait. Il aimait à faire beaucoup de bruit, jouait du piano
ou faisait marcher sa radio très fort mais il n'y avait pas de voisins pour
s'en plaindre. Il n'avait pas d'amis masculins et quelques rares connais-
sances seulement dont il évitait généralement les rencontres et les
réceptions.
Il eut deux attachements émotionnels. Le premier grand attache-
ment de sa vie fut à l'égard d'un artiste plus âgé, qu'il décrivit comme
son « mentor ». Il se sentit blessé, vidé et déprimé lorsque cette amitié
se termina quatre ans après par la mort subite de son ami. Quelques
années plus tard il eut une intense et brève liaison avec une femme plus
âgée qui l'abandonna pour épouser quelqu'un d'autre. De nouveau il se
sentit déprimé et incapable de peindre.
Mon patient était un homme supérieurement intelligent et sincère.
Petit et mince, une tête très petite, des cheveux et des yeux bruns,
il avait l'air d'un enfant trop grand. Il se trouvait en bonne santé phy-
sique mais se considérait comme ayant été un enfant maladif qui avait
besoin des soins de sa mère.
Deux ans après la mort de sa mère il partit à l'étranger. Au début
il se sentait heureux parce qu'il aimait la beauté naturelle des pays qu'il
visitait ; mais bientôt, il se sentit pris au piège, incapable de travailler ;
il se mit à avoir des tics et à être déprimé. Lorsqu'il retourna aux
États-Unis, il séjourna quelque temps à New York et là, il se sentit
d'abord comme enivré. Cependant son humeur changea bientôt et il
connut une nouvelle période de dépression pendant laquelle il ne
travailla pas, mais « dormit, mangea trop et végéta ». Depuis cette
époque et pendant les quinze années qui suivirent, il eut plusieurs
dépressions qui durèrent chacune de trois à cinq mois, mais elles dispa-
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES REVES ET FANTASMES 597

raissaient spontanément. C'est à cause de ces dépressions qu'il demanda


l'aide de la psychanalyse.
Il vint me voir et voici quelles furent ses premières remarques :
« Je suis un artiste qui a réussi, ce qui signifie que c'est quand je suis
seul que je me sens le mieux. Les passions les plus importantes de ma
vie sont la peinture (que je puis créer de mes propres mains) et la
musique (que je peux absorber). A mon avis la musique est la plus
parfaite des deux, la plus merveilleuse. Je n'ai aucun moyen de m'expri-
mer musicalement, je joue du piano d'une façon bruyante et médiocre,
mais je peux m'exprimer dans ma peinture. » Il passa ensuite à la des-
cription de sa vie et de ses réactions jusqu'à la perte de son ami, l'artiste,
disant : « Je peignis très peu après cela. Je me sentis brisé et déprimé,
je ne pouvais pas peindre, ni faire de rêves éveillés. Cependant lorsque
je me sens bien, je peins et je rêve beaucoup. Je reste couché sur le lit
de mon atelier pendant des heures et j'ai les visions les plus merveil-
leuses ; je reproduis alors ces rêves sur ma toile. J'ai besoin de ces
visions pour peindre. Je peins et je suis le maître, je puis contrôler et
ordonner mon travail, les choses se comportent comme elles le doivent
et cela en contraste avec les êtres qui, eux, ne se comportent pas comme
je le veux et qui n'atteignent pas à mon idéal. Cela me rend mal à l'aise,
je me sens hé. » Il en vint à raconter sa liaison avec son amie plus âgée.
« J'étais triste et peut-être goûtais-je le ravissement de ma pitié pour
moi-même parce que la souffrance est l'essence d'un artiste et que je
suis un artiste jusqu'à la moelle. Je passais des moments de ravissement
aux moments de désespoir. Après qu'elle m'eut abandonné, tout
s'arrêta. Ma peinture même me dégoûtait. Je ne faisais que végéter.
J'essayais d'écouter de la musique mais cela ne me satisfaisait pas. Il
n'y avait rien dans mon esprit, excepté quelquefois la pensée de la mort.
Lorsque je ne m'adonne pas à la peinture, qui est l'essence de ma vie, il
ne reste rien. Je n'ai pas de visions, pas de rêves qui m'inspirent pour
travailler. » Il s'arrêta et déballa un tableau qu'il avait apporté. C'était
le portrait d'un homme. Il ajouta : « Il était mon ami, il m'a montré le
monde. A présent il est mort et ce monde ne m'intéresse plus. J'aime
mon propre monde intérieur; j'y trouve quelque chose de nouveau
toutes les fois que je regarde dedans. Il est plein de devinettes, plein
d'énigmes, et je suis le seul à trouver les réponses ».
Après quelques semaines d'analyse, il rencontra une jeune fille
qui lui plut. Il sortit plusieurs fois avec elle, mais un jour elle lui télé-
phona pour annuler un rendez-vous. Immédiatement il se mit en colère
contre moi et me dit : « La lune de miel est terminée. Vous ne m'êtes
REV. FR. PSYCHANAL. 39
598 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

d'aucun secours. » Il décrivit alors comment, après le coup de téléphone,


il se rendit à son atelier mais était incapable de peindre parce qu'il se
sentait déprimé. « Je suffoquais, un peu comme si je me noyais. Je
mis un peu de musique mais elle ne pouvait me satisfaire. J'avais la
nausée. » Cette allusion à la nausée lui rappela les temps heureux.
« Lorsque je suis heureux, je me sens plein d'activité ; je suis rempli
de pensées, de visions magnifiques, d'images. Je me lève, cours à ma
toile et les reproduis dans mes tableaux. Durant une période de deux
ans, période pendant laquelle j'étais amoureux, je peignis soixante-
quinze tableaux; l'un d'eux était une toile de 2,50 m sur 1,80 m.
J'étais très prolifique. »
A ce point je fis remarquer qu'il avait tendance à voir les choses
en extrêmes. Il s'en montra très irrité et continua ainsi : « J'ai une
façon de voir les choses en noir et blanc parce que cela est inhérent à
ma nature d'artiste. Voir noir et blanc, c'est être un artiste pur ; c'est
là mon point critique. Il se peut que cela vous paraisse dogmatique, mais
je ne sortirai jamais de mon univers parce qu'il est mon inspiration ;
c'est un lieu intéressant, une fontaine, une source. Se situer entre ces
deux extrêmes c'est être un artiste commercial qui gagne beaucoup
d'argent ; ce n'est pas du tout être artiste. »
Il parla ensuite de l'importance du symbolisme dans sa propre
peinture. Il affirma que le contenu était favorable à la forme et il
donna des exemples de symboles qu'il avait utilisés dans ses tableaux.
« Je me souviens qu'un jour, alors que je me sentais seul et sur le point
de subir une dépression, je me mis. à penser au chiffre trois ; ce symbole
intensifia mes visions et les idées se mirent à jaillir dans mon esprit ;
je me trouvais en train de peindre et bientôt j'oubliai complètement ma
dépression. » Il se rendait compte, me dit-il, qu'il avait en lui deux
aspects, deux êtres qui luttaient. « C'est le côté responsable de mes
dépressions que je combats avec la partie saine de mon être. Un jour,
je regardais par la fenêtre et je vis passer un train de métro aérien.
Une image se présenta alors à mon esprit. Je vis une construction
surélevée avec une station de métro entourée de gens qui marchaient,
se mouvaient en tout sens, mais tout cela était séparé par un mur.
De l'autre côté se trouvait un labyrinthe, un dédale d'habitations, toutes
délabrées et tombant en ruine. Cette image représentait les deux univers
en moi, les deux aspects de moi qui se livraient bataille. Dans l'un se
trouvait la vie, l'autre était « rempli de mort ». Je me mis alors à peindre
un nouveau tableau que j'intitulai Les deux mondes. Un homme se
noyait, un chat se promenait sur une corde, un rat volait comme un
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES REVES ET FANTASMES 599

oiseau; une chauve-souris, un morceau de verre brisé et un anneau


y figuraient, ainsi qu'une réclame de pâte dentifrice dont une moitié
laissait apparaître une bouche souriante, l'autre moitié déchirée en
pièces ; l'oeil et la bouche y manquaient, les dents étaient emportées
par le vent sur le pavé mouillé qui était également recouvert de briques
cassées, de morceaux de bois, de clous, de papier, de morceaux de
vêtements. Ces images représentaient les aspects désolés d'un monde
mort. Comprenez-vous ? Mes propres images m'inspirent à peindre. »
Il associa sur ce matériel en parlant d'une collection de poupées qu'il
avait achetée dans une boutique de prêts sur gages pour une somme très
modeste. Elle se composait de nombreuses petites poupées, toutes
cassées, les unes sans yeux, les autres sans têtes ou sans membres.
Il s'en était servi comme détails dans quelques-unes de ses toiles.
Une autre fois il parla de sa « période prolifique » à la suite de laquelle
il organisa une exposition ; cependant il se sentait épuisé, seul comme
d'habitude et déprimé. Il manquait les visions inspiratrices.
L'été suivant fut terrible ; il dut abandonner un travail temporaire
à cause de sa dépression. Il retourna dans son appartement simplement
pour y être seul. La plus grande partie de la journée se passait à « végé-
ter », couché, écoutant de la musique. Il ne peignit pas pendant cette
période.
A mesure que l'analyse avançait, il devenait apparent qu'il évitait
de se compromettre à mon égard par crainte de perdre sa liberté et son
indépendance, par crainte d'être « pris au piège ». Il le répétait d'ailleurs
dans ses propres termes. Il était cependant capable de peindre et ne se
plaignait pas d'être déprimé. « L'isolement, disait-il, est nécessaire pour
créer. C'est alors que mon esprit se remplit d'images. Voyez-vous, je
pense à une femme comme à un vase. Une femme nue sur une plage.
Elle ne m'attire pas, mais ses sous-vêtements m'excitent. Ce n'est pas
sa jambe mais un bas autour d'une jambe, une chaussure à un pied qui
m'excitent. Je me demande quelquefois si le symbole peut écraser
notre personnalité, s'en rendre maître complètement. Ce serait le stade
ultime de la création, cela nous absorberait entièrement. »
A une certaine occasion, il raconta un rêve qui commençait par le
fait qu'il était couché avec sa mère ; il se sentit anxieux et s'éveilla. Il se
rendormit peu après et fit le rêve suivant : il avançait le long d'un corri-
dor avec des portes, des entrées, des fenêtres et des barrières de chaque
côté. Quelques-unes étaient fermées à clef, il poussait les autres pour
les ouvrir. Essayant de passer par une grande porte rouge qui s'ouvrait
et se refermait, il se trouva dans un dédale de routes sans fin. Il avait
600 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

l'impression d'être perdu. A la fin il se retrouva dans une étable et


l'odeur de foin frais le fit se sentir mieux. Il se réveilla. En relatant ses
associations à ce rêve, il mentionna les différents chemins qu'il aimait
suivre pour se rendre à son appartement. Il se rappela des ruelles aux
odeurs écoeurantes et tellement sales qu'elles le faisaient suffoquer.
En réalité, les rues menant à son appartement se situaient dans le voisi-
nage d'entrepôts et d'immeubles en ruine. En marchant le long de ces
rues étroites il se sentait régulièrement perdu, écoeuré, prêt à vomir ;
mais toutes les fois qu'il entrait dans son atelier et appartement, son
humeur changeait. Son appartement était comme un « palais au milieu
d'un jardin d'ordures », avec de rares fenêtres, personne qui puisse
regarder à l'intérieur et pas d'écrans. Il se trouvait mieux, détendu et
heureux. Ce rêve lui donna l'idée d'une peinture mais avant de décider
exactement ce dont elle aurait l'air, il se rendormit et fit un autre rêve,
très désagréable. « L'appartement était plein de rats et de serpents ;
il y avait de petites flaques rouge pourpre et de nombreux vers coupés
en deux. Les rats restaient là parce que personne ne les faisait sortir. »
Il s'éveilla ébranlé, mais se précipita vers son chevalet et se mit à peindre
une église rouge et pourpre au milieu de rues tortueuses pleines de
gravats et de détritus ; derrière elle s'élevait une meule de foin, propre,
fraîche, d'un jaune lumineux, pleine de soleil et d'éclat. En peignant
les rues il eut la nausée et eut envie de détruire le tableau mais la meule
de foin le rendit heureux et le rafraîchit.
A cette époque il fit la connaissance d'une autre jeune fille et pensa
que son engouement pour elle était dû au fait de sa ressemblance à son
amie aimée et perdue. Il eut alors ces mots : « Elle n'apprécie pas l'art.
La vie est art et l'art est vie. Le folklore primitif est nécessaire à l'art,
mais j'ai le sentiment que l'artiste est séparé du folklore dans ce pays.
Il n'y a plus de paysans. L'artiste doit être un homme des cavernes.
J'ai quelquefois de la peine à savoir quoi peindre car je sens que je n'ai
pas de folklore pour m'inspirer. Quelquefois je me sens trop blasé, ce
qui entrave mon art. Parfois j'ai l'impression qu'il ne se passe rien de
nouveau mais alors je retrouve mon propre monde d'images pour
m'inspirer, toujours nouveau, toujours fascinant. Picasso a découvert
l'art primitif africain, à présent il ne reste plus rien de nouveau à décou-
vrir. Peut-être que les planètes nous fourniront une réponse. Je suis
séparé de la vie américaine, cependant je suis un homme vivant en
Amérique et il me faut trouver un accent américain. Je me sens parfois
sans classe, sans pays, mais il y a toujours ce qui vient d'au-dedans de
moi — mes rêves, mes visions. »
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES RÊVES ET FANTASMES 601

Il a déjà été mentionné que, à mesure que l'analyse avançait, le


patient rêvait beaucoup. A cette époque ses peintures présentaient de
nombreux détails symboliques, élaborés, compliqués.
En parlant de sa mère il devint progressivement plus dépendant de
moi et commença à raconter trois ou quatre rêves durant chaque session
analytique. « Les rêves, dit-il, se composent de petits fragments de
pensées discontinues. Ils ressemblent à un jeu de puzzle. Mais lorsqu'on
sait comment assembler les pièces, on parvient à composer une oeuvre
magnifique, semblable à un bijou et ce n'est plus qu'une affaire de
routine de la reproduire sur une toile. » Toutefois, il pensait que récem-
ment les détails ne sortaient pas aussi bien qu'il l'aurait voulu et par-
fois cela l'irritait. Son irritation augmenta comme le laps de temps
pendant lequel il ne peignait pas. En matière de compensation, il
commença à faire un effort pour lire et passa plus de temps à écouter
de la musique. Il décrit comment un nouveau tableau représentetoujours
un défi pour lui. « C'est un prototype, mais une fois qu'il est terminé,
j'y perd tout intérêt et je cherche autre chose qui me passionne, quelque
chose de nouveau, comme la naissance ou la mort. »
En même temps que ses craintes d'un sentiment de dépendance à
mon égard augmentaient, il apportait de plus en plus de rêves dans ses
séances d'analyse. Il paraissait tellement occupé à rêver qu'il lui restait
peu de temps pour donner à ses idées une forme créative. Il passait la
plus grande partie de son temps à revenir sur de petits détails dans ses
toiles, espérant les voir émerger sous une lumière différente, mais il se
sentait insatisfait de ses résultats. Il répétait que la peinture et la musique
étaient ses amis immortels et indestructibles. « Tous deux sont grands,
aussi je dois peindre de grands tableaux. » Il commença, en effet, à
peindre une immense toile, résultat d'un rêve, dans lequel il voyait
un petit homme versant du goudron noir sur des chaussures de caout-
chouc, ce qui les fit adhérer au sol ; comme il essayait de s'en aller, il
en fut empêché. Le patient fut témoin de la scène et partit sans secourir
l'homme, tandis que la femme de ce dernier lui dit : « C'est l'art qui
compte. » Il ajouta : « J'étais le petit homme dans le rêve et quelqu'un
d'autre arrive et emporte la fille que j'aime ; ainsi je commence à peindre
une toile immense. Je deviens un artiste grand et puissant et je retrouve
la fille que j'aime. » Il ne continua pas ses associations à ce rêve ; mais
une semaine plus tard il me dit qu'il avait commencé une deuxième
grande toile après avoir eu un cauchemar troublant. Il se trouvait
dans un drugstore, tenant à la main un marteau ; soudain il commença
à en frapper un voleur assis à côté de lui, il frappait sur la paume de ses
602 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

mains et il le clouait sur une croix. Il eut peur et s'enfuit, laissant


tomber le marteau. Comme il retournait pour le ramasser, il aperçut
deux jeunes gens qui le poursuivaient et il était sûr qu'ils allaient
l'attraper. L'idée lui vint à ce moment qu'il devait se rendre à sa séance
d'analyse et il parvint à conduire sa voiture jusqu'à mon bureau, y
arriva avec une heure de retard pour apprendre que j'étais parti.
Lorsqu'il s'éveilla il se mit immédiatement à peindre un crucifix.
Il travailla toute la nuit et fut satisfait de son tableau pour la première
fois depuis deux mois.
A mesure que le temps passait, le nombre de ses rêves augmenta à
tel point qu'il passait pratiquement l'heure entière à me les raconter,
n'ayant plus le temps d'associer sur eux. Il en était inondé.
Plusieurs rêves étaient remplis de détails concernant la nourriture,
les restaurants, les supermarkets, qui tous semblaient se transformer en
magasins d'art. Dans d'autres rêves il était blessé. Dans l'un d'eux, il
marchait dehors, cherchant du travail, lorsqu'une grande pierre bondit
d'un mur et frappa un homme. Tout à coup une seconde pierre tomba
et brisa un autre homme. Incapable de trouver du travail il retournait
vers la maison de sa mère lorsqu'un immense rocher le frappa. Dans
un autre entretien, le patient mentionna un rêve au sujet de deux jeunes
filles. Il les tenait en laisse. Elles n'avaient pas plus d'un pied de haut.
Un homme s'approcha, lui demandant s'il allait les tuer. Dans un autre
rêve, un portefeuille contenant une photographie d'un événement qui
n'avait pas encore eu lieu représentait le thème principal. Dans un
troisième rêve il était question d'une rivière coulant à travers une belle
vallée, de nuit, lorsqu'il se rendit compte qu'il était couché sur une
voie de chemin de fer, les trains passant à côté ou au-dessus de lui sur
des rails surélevés. Finalement un train s'approcha, roulant sur les rails
sur lesquels il était étendu mais le convoi sortit des rails au dernier
moment comme un jouet, détruisant tout sur son passage à l'exception
du patient. En voici encore un : Le patient suspendait trois de ses
tableaux au mur d'un vieux bâtiment lorsqu'un gendarme de la police
militaire s'approcha, demandant le nom des tableaux. Le patient répon-
dit que c'étaient des tableaux de rois mais le gendarme, insatisfait, lui
demanda sa carte d'identité. Incapable de la trouver, il dit au gendarme
qu'il se rappelait le nom du peintre et lui montra son propre nom signé
au bas des tableaux. « Ainsi, vous voyez, l'art me sauva la vie ! »,
s'exclama-t-il.
A la longue, cependant, il commença à rêver moins, devint plus
renfermé et s'isola davantage. Arrivant en retard à une ou deux reprises
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES RÊVES ET FANTASMES 603

à sa séance, il me dit combien il se sentait seul. Plus il se retirait sur


lui-même, plus il se sentait combatif. Dans l'un de ses rêves, il se
battait en duel successivement avec trois hommes abandonnés, utilisant
comme arme des lames de rasoir ; il parvint à égorger l'un de ses
adversaires. Dans ses associations, il remarqua que Freud était d'accord
avec lui : « Les rêves sont la seule consolation. » Se référant à cette cita-
tion, il me dit combien tout le monde le décevait autour de lui et men-
tionna les noms de quelques-uns de ses meilleurs amis. « Tout le monde
me déçoit. Pourtant, qu'ils prennent garde car je suis constamment
justifié. Ils ont tort et j'ai raison, mais je ressens une vive douleur qui
peut devenir insupportable lorsqu'ils me déçoivent. C'est à ce moment
que je me révolte. La seule chose qui m'intéresse, c'est la vérité et je
ne puis supporter les gens qui essaient de l'éviter. Je hais le toc dans
l'art. Je sens monter en moi une rage sourde lorsque je les entends
discuter de leurs stupides théories. » A la suite de cet entretien, il parla
davantage de ses doutes et de son irritation à l'égard des êtres. Faisant
allusion à un autre rendez-vous décommandé par une de ses étudiantes,
il me dit d'un air irrité qu'il se sentait humilié par les femmes. Il
remarqua aussi qu'il ne rêvait pas autant qu'auparavant et se plaignit
de ce qu'il commençait à avoir des « tics ». Lorsque je lui demandais en
quoi consistait ces tics, il les décrivit comme des crispations musculaires
ressenties sur tout son corps. Il affirma avoir eu des tics à plusieurs
reprises dans sa vie quand il était déprimé et il se rappelait les avoir
eus en particulier à la mort de sa mère. « Ils me saisissent dans les
moments d'anxiété et d'inconfort. Maintenant que mes rêves et mes
visions ont diminué, les tics les ont remplacés ; les muscles et les nerfs
se contractent et se dilatent. Après avoir été séparé de mon amie je
les ai eus, nombreux, au-dessus des genoux. C'était à l'époque de ma
plus forte dépression et je ne pouvais pas peindre. Au moment où j'ai
commencé à vous dire que je ne faisais plus autant de rêves, j'ai ressenti
une contraction musculaire dans mon bras. » En même temps que ses
rêves diminuaient il se sentait « vidé » de ses associations aux rêves et,
par conséquent, de moins en moins inspiré pour sa peinture. Il s'exprima
d'une manière concise : « Comme vous le savez, c'est sur mes rêves et
mes visions que je m'appuie constamment pour créer un tableau. »
Le thème de sa sensation de vide devint peu à peu prédominant,
il continua de se plaindre de ses crispations musculaires et, pour la
première fois, il exprima son insatisfaction vis-à-vis de l'analyse,
remarquant qu'il n'avait aucune envie de la continuer. Pendant plusieurs
jours il ne fit aucun rêve et se sentit abattu ; mais finalement il apporta,
604 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

triomphant, le rêve suivant : il devait accomplir l'acte héroïque de


tuer les dragons du parc public de Boston. Il descendit de la colline
et découvrit qu'il ne s'agissait pas de dragons mais de chats ; et tandis
qu'il essayait de les chasser, il rencontra deux de ses amis qui lui dirent
qu'ils aimaient son art, mais il s'avéra que ces amis étaient deux individus
stupides et ignorants. Ils l'invitèrent à conduire une voiture rouge de
pompiers, ce qu'il accepta. Mais il conduisit comme un fou, brûlant des
feux rouges et manquant de peu les piétons. Il réussit même à couper
la route à un convoi funéraire et heurta pratiquement tout le monde.
Par miracle ils en sortirent tous indemnes. Finalement il arriva dans une
maison occupée par une grosse femme. Elle n'y était pas lorsqu'il arriva,
mais elle avait laissé la porte ouverte de sorte qu'il entra, se rendit aux
toilettes et jeta un coup d'oeil à l'intérieur de la cuvette. Il se sentit
terriblement pressé de se soulager. Après avoir satisfait ses besoins,
il regarda dans la cuvette et vit qu'elle était remplie de frankfurters et
de matières fécales. Il fit de son mieux pour essayer de les séparer mais
il échoua. Il pensa que la femme en question était probablement sa
mère malade. « Elle était là, mais pas pour moi. » Il se souvenait que la
maison qu'il avait vue en rêve était celle où il vivait avec sa mère quand
il était jeune. C'était une vieille maison pleine de rats et de cafards qui
l'effrayaient et le dégoûtaient. Il se souvenait qu'il était mince à l'âge
de dix ans et que sa mère le suppliait de manger. Dès que le souvenir
de sa mère lui vint à l'esprit, il commença à sentir une contraction dans
son genou et à se sentir très déprimé. « Lorsque la solitude s'accumule
pendant une longue période de temps, je me sens pris de panique.
Je me lève et me rends quelque part où il y a du monde ; je suis au
milieu des gens, mais je n'en retire rien. »
A partir de ce moment, sa dépression augmenta. Il ne produisit
pas de rêves et ne pouvait finir aucun tableau parce qu'il avait peur de
ne pas être en mesure de recevoir une idée inspiratrice pour une nou-
velle toile. « La conception d'une nouvelle peinture a toujours représenté
pour moi une période de suprême excitation mais, en ce moment, je
n'ai pas d'idées, pas de visions, pas de rêves pour m'inspirer. Ce que je
fais ces temps-ci n'est que du plâtrage. Plus les toiles étaient grandes,
plus je réussissais à y introduire de symboles. A présent je n'ai rien
à ajouter. » Le jour suivant il m'accusa de ne pas lui donner assez.
« J'ai le sentiment que vous ne m'êtes d'aucun secours. Je suis seul,
aucun lien ne s'établit. Peut-être que vous n'écoutez pas. Je ne sais
pas, mais j'ai besoin d'un contact plus proche. Je me sens tout seul.
Je parle beaucoup, mais vous parlez peu. J'ai peur. Ces tics font-ils
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES RÊVES ET FANTASMES 605

partie d'une maladie physique ? Je ne peux pas continuer. Je n'ai pas


assez de rêves ou de visions ; je ne puis créer. Peut-être devrais-je
mettre de côté un peu de mon argent pour ma véritable maladie phy-
sique. Peut-être que tout cela est en rapport avec la tragédie de ma jeu-
nesse, bien que j'eusse été un enfant gâté ; ma mère prit soin de moi.
J'ai l'impression que je perds ma liberté ici. Je n'ai plus d'art, plus de
musique, plus de littérature, plus de peinture. Je suis vidé de tous mes
rêves, mes visions, de mon art même. Le monde intérieur ne m'inté-
resse ni ne m'inspire plus. Il appartient à vous désormais de combler le
vide en moi. Je me sens desséché. »
Dans les jours qui suivirent, sa rage s'intensifia. Il dit se sentir
aussi vide que lorsque sa mère mourut. Il se souvenait qu'après la mort
de sa mère il se rendit avec quelques-uns de ses amis dans un restaurant
et qu'il eut une vive discussion. Il ne pleura pas. Lorsque son amie
l'abandonna, il eut exactement la même sensation. Ce qui semblait le
tourmenter le plus était son incapacité de peindre. « Lorsque j'échoue,
ma peinture échoue. »
Il se mit à manger beaucoup et donna des détails sur différents
restaurants. Il passa de longues heures à dormir et, pendant ses entre-
tiens avec moi, il continua de parler de sa sensation de vide. « Je me
remplis maintenant de sommeil et de nourriture. J'ai commencé mon
analyse en ayant trop de choses à raconter. Maintenant je manque
d'enthousiasme et j'ai envie d'en sortir. » Il continua de se sentir agité.
Ses entretiens analytiques se passaient à décrire ses activités journa-
lières et, bientôt, il décida de prendre un mois de vacances pour penser
à interrompre son analyse et essayer d'établir jusqu'à quel point elle
l'avait aidé. Il remarqua en passant qu'il n'avait pas créé de nouvelle
peinture durant les mois passés.
Il revint de vacances, se sentant mieux, plus détendu, mais m'an-
nonça qu'il comptait interrompre l'analyse pour des raisons financières.
Je lui dis que j'étais en désaccord avec sa décision, soulignant que nous
devrions consacrer quelque temps à en discuter. Il accepta d'attendre
deux semaines, mais dans l'entretien suivant il exprima son méconten-
tement d'être « cerné », comme il dit, et pensait que je m'étais joué de
lui. Pendant la première semaine, il continua de dire qu'il se sentait
beaucoup mieux et il était persuadé que l'analyse l'avait aidé autant qu'il
était possible. Bien qu'incapable de créer de nouveaux tableaux, il pré-
tendait pouvoir accomplir quelque travail pendant ses vacances sur d'an-
ciens tableaux qui devaient être complétés. Il se montrait quelque peu
honteux de ne pas pouvoir terminer l'analyse avec succès, mais ajouta : « Il
606 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

faut que je me montre plus matérialiste. Je déteste l'avouer, mais j'ai plus
envie de gagner de l'argent plutôt que d'être un artiste-peintre. Cette
attitude changera, mais c'est ainsi que je vois les choses à présent ». Le jour
suivant il m'annonça qu'il voulait déclarer le « jour d'indépendance ». Il
conclut comme suit : « Je suis un être extrêmement solitaire, c'est ce que
j'ai découvert. Je sors d'une famille médiocre, je suis obstiné, j'ai des
standards différents, j'évite les situations désagréables. Je marche sur
une corde raide, je suis ritualiste et rigide. Je m'impose des restrictions.
Quelquefois je me montre très agressif mais généralement je suis une
personne pleine de préjugés, qui déteste le monde et se considère lui-
même comme petit. Je me considère comme l'être le plus bas sur la
terre. »
Je lui dit que c'était là un portrait douloureux de lui-même mais que
je pensais que l'analyse pouvait sûrement l'aider. Il répondit qu'il
voulait prendre le risque de se tenir de lui-même sur ses deux pieds.
On lui dit que les heures d'analyse étaient à sa disposition pour le reste
du mois s'il désirait se raviser. Nous nous serrâmes la main.

DISCUSSION

Le travail expérimental accompli sur des individus qui rêvent (1)


a confirmé les observations psychanalytiques qui considèrent les rêves
comme nécessaires au fonctionnement mental et montré que la privation
de rêves conduit à des désordres psychologiques. D'après ce qui précède,
on peut supposer que chez mon patient, non seulement les rêves, mais
les visions associées à ces rêves et la création artistique finale protégèrent
cet individu et maintinrent son statu quo pendant plusieurs années. Mais
sa sensibilité extrême à la perte d'objet et les séparations répétées, telles
que la mort de sa mère, la mort de son ami, l'artiste, et la perte de son
amie dans sa première et seule affaire sentimentale, furent à l'origine
d'une régression lente qui devint progressivement plus profonde. Le
patient essaya d'abord d'y faire face par différents moyens en se retirant
dans son atelier comme dans un château fort et en se plongeant dans son
art, sans toutefois obtenir satisfaction. Au début de son analyse il se sentit
mieux pendant quelque temps, ainsi que le prouva l'augmentation de sa
productivité artistique ; mais à mesure que les rapports avec l'analyste
devenaient plus étroits, il se trouva de nouveau devant la possibilité d'une
perte. Des besoins instinctifs augmentés nécessitèrentun réajustement de

(1) L'effet de la privation de rêves, W. DEMENT, Science, vol. 131, n° 3415, June 10, 1960.
UTILISATION PAR UN PEINTRE DE SES RÊVES ET FANTASMES 607

son mode de défense. Il n'y réussit pas cependant et commença à glisser.


S'isolant de tout contact avec le monde extérieur, il se servait de sa pro-
duction accrue de rêves et de visions pour endiguer le flot de ses puissantes
et inconscientes tendances instinctuelles, mais pas pour longtemps. Sa
régression continuait, l'épuisant. Il commença à dire qu'il se desséchait
quant à ses rêves, ses visions et son pouvoir de peindre, et qu'il se
sentait seul et abattu. Finalement il décida d'abandonner l'analyse
afin d'éviter ce qu'il craignait le plus, c'est-à-dire l'éventualité inévi-
table d'être abandonné par l'analyste.
L'observation de ce cas mettra peut-être en lumière la nature de la
création artistique de mon patient, mais elle n'explique pas son talent
inné ni son pouvoir de peindre d'une façon considérée comme artis-
tique. Rêves, visions et symptômes psychiatriques découlant de conflits
émotionnels peuvent être considérés comme le résultat d'une créativité
que nous appelons névrotique. Lorsque la dépression remplaça la
capacité de créer propre à mon patient, il cessa de peindre.
Les symptômes psychiatriques peuvent être considérés comme la
production fantasmatique de ceux de nos malades qui n'ont pas le talent
de la reproduire sur une toile ou sous diverses formes artistiques. Ces
malades se cramponnent à leurs symptômes de façon tenace et déses-
pérée parce qu'ils croient que ces symptômes représentent le meilleur
compromis possible. Ce n'est qu'à contrecoeur et après un certain temps
qu'avec l'aide de la psychanalyse ils consentent à canaliser leurs conflits
émotionnels en reproductions plus harmonieuses, plus artistiques à
leurs yeux, et, tout en les sublimant, ils peuvent apprendre à vivre
librement.
Il ne faudrait pas conclure de cette observation que la psychanalyse
est contre-indiquée pour les artistes. Le malade s'est retiré avant que le
psychanalyste ait pu accomplir sa tâche thérapeutique. D'autre part, la
méthode psychanalytique me donna l'occasion d'observer le processus
de la création artistique de mon patient et de comprendre combien il
était proche de son monde de visions et de rêves. Elle me donna un
aperçu du portrait véritable de l'artiste.

BIBLIOGRAPHIE
[1] FREUD (S.), The Complete Psychological Works of Sigmund Freud, vol. IV
et V : The Interpretation of Dreams, pp. 49-50, p. 492, p. 535.
[2] ID., Some Dreams of Descartes, vol. XXI, pp. 199-204.
[3] KUBIE (L.), Neurotic Distortions of the Creative Process, The Noonday
Press, 1961.
608 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

[4] JONES (E.), The Life and Work of S. Freud, vol. III, Basic Books, Inc.
New York, 1962.
[5] BENDA (C.), Illness and Artistic Creativity front « Image and Love » Modem
Trends in Psychiatrie Thinking, Free Press, Glencoe, Inc.
[6] MAY (R.), Creativity and Being, Lecture delivered at Wellesley College,
Feb. 14, 1964.
Perspective psychosomatique
sur la fonction des fantasmes
par M. FAIN et P. MARTY

Les psychanalystes qui se sont intéressés à la psychosomatique


ont abordé ce nouveau domaine de plusieurs façons. Leurs modes
d'approche restent étroitement liés à des conceptions particulières du
fantasme et des fonctions mentales qui y sont attachées.

LA CONVERSION PRÉGÉNITALE

Cette notion est née d'une double extension :


1) Le symbolisme fantasmique est étendu à tout le corps. Il est pré-
supposé que chaque stade des organisations successives a un sym-
bolisme corporel propre, et qu'une certaine fixation provoque la
prévalence d'un sens particulier lié à la zone érogène en question ;
2) Le mécanisme de la conversion hystérique devient applicable à
tous les niveaux.
Si nous trouvons sous la plume de O. Fenichel, auteur classique,
l'application de cette notion à certains troubles, c'est surtout la psycha-
nalyse dite « kleinienne » qui l'a vulgarisée suivant son habitude, c'est-à-
dire avec un incontestable manque de méthode. Cette habitude, qui
ne restreint pas la pensée dans un système, permet d'indéniables pro-
grès, mais a tendance également à mélanger des idées insolubles les
unes avec les autres.
Ainsi en psychosomatique, les fonctions biologiques se sont fort
bien prêtées à la fantasmagorie kleinienne, cette dernière s'y projetant
très aisément. Des théories utilisant à plein ces bases ont ainsi expliqué
nombre de syndromes psychosomatiques. Mais il devient alors malaisé
de comprendre le lien psychosomatique, tout l'organisme apparaissant
comme un véritable appareil mental susceptible d'être activé par des
pulsions inconscientes.
610 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Il se dégage de tels points de vue des hypothèses difficiles à vérifier


et faciles à contredire, on y assimile implicitement par exemple l'énergie
qui pousse une représentation à devenir consciente à l'influx nerveux
activant un organe. L'énigme qui se pose devant la transformation qua-
litative de l'énergie reste négligée. Or, cette assimilation, qui met sur
le même plan l'activation de représentations avec une dysfonction
organique suppose plus ou moins de confusion entre l'appareil
mental, système subjectif fonctionnellement défini, et un système
organique.
Une question peut alors se poser : ces critiques ne peuvent-elles pas
être appliquées à cette entité pathologique indéniable qu'est l'hystérie
de conversion ? Nous ne le pensons pas. Pour préciser notre opinion,
nous allons faire un retour en arrière et tenter d'exposer très schémati-
quement comment la représentation et le corps se trouvent liés. Ce
faisant, nous allons à notre tour manquer aussi de méthode. Il s'agit,
en effet, d'introduire un tableau topique, basé davantage sur le vécu
que sur des données physiologiques.

TOPIQUE PSYCHOSOMATIQUE

Répétons que notre propos n'est pas de faire une description


exhaustive, mais de nous appuyer sur certains points connus, consti-
tuant les arêtes d'un développement qui restera, dans notre exposé,
essentiellement squelettique.
En parlant de la cavité primitive Spitz, reprenant une théorie éla-
borée par Isakower, a décrit une Gestalt condensant des impressions
buccales, des sensations manuelles et la vue du visage de la mère,
Gestalt qui peut être considéré comme une des premières ébauches de
représentation. Nous ajouterons à cette ébauche des sensations gastro-
intestinales, voire le vécu d'un certain état humoral. L'excitation plus
particulièrement érogène de la zone orale ne doit, au début, qu'être
très peu différenciée de cet ensemble.
Il semble donc, au départ que la représentation qui se formera ulté-
rieurement, pendant le délai d'attente de satisfaction, soit difficilement
séparable de sensations sensorio-motrices, de réactions viscérales et
d'un certain état humoral, présents au moment de la constitution de
cette représentation.
La perspective qui unit ainsi une activité mentale au milieu interne
en passant par la sensorio-motricité striée et lisse, ne va-t-elle pas dans
le sens des analystes dont nous parlions plus haut ? Une régression
PERSPECTIVE SUR LA FONCTION DES FANTASMES 611

ne pourrait-elle pas réactiver un tel circuit primitif, les défenses


du Moi s'exerçant sur la formation mentale et surinvestissant les
manifestations somatiques ? Le schéma complet d'un tel trouble
serait :
a) Inhibitions d'une expression libidinale évoluée ;
b) Régression de la libido jusqu'à un point de fixation comprenant une
liaison intime avec tout un circuit organique ;
c) Refoulement des aspects mentaux ;
d) Surinvestissement des manifestations organiques.
Un tel mécanisme, s'il existe, authentifierait la notion de conversion
prégénitale.
En fait les choses ne sont pas si simples. Une régression peut-elle
recréer les conditions préexistantes ? Elle peut, certes, recréer une
forme de structure mentale apparentée à la forme primaire mais non
identique. Ce qui reste vrai sur le plan mental l'est tout autant dans une
perspective somatique. Nous y reviendrons plus loin.
Quelle que soit l'ambiance dans laquelle se développe la croissance,
elle s'accompagne d'une différenciation qui rend vraiment autonome
le système nerveux justement dit « autonome ». La régulation de
l'homéostasie échappe à l'ambiance en même temps que la spécificité
alimentaire lactée disparaît. Des systèmes autonomes se sont développés
concomitamment au système psychomoteur et se sont isolés de ce
dernier.
La séparation faite par Bichat entre vie animale et vie végétative
s'établit peu à peu. Il existe une psyché et un soma.
L'organisation de la motricité, contemporaine du stade anal, voit
en même temps l'apparition d'une activité fantasmatique inséparable,
au départ, des jeux moteurs, de l'enfant. Une certaine activité neuro-
végétative reste cependant fiée à ce développement et contribue à
constituer le fond émotionnel très lié aux affects. La constatation
faite par Abraham sur la modification de la relation objectale au cours
de la seconde partie du stade anal semble avoir une correspondance
biologique, correspondance liée à une certaine autonomie récemment
acquise sur le plan de la régulation des processus internes.
L'apparition du stade génital rétablit la communication à un niveau
plus élevé entre le système psychomoteur et des réactions directement
en rapport avec le système nerveux autonome. Les conflits centrés
autour de la crainte de castration n'autorisent la place à ces nouveaux
émois que sous des formes partielles et déplacées.
612 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Nous pouvons maintenant esquisser une topique psychosomatique :


— un système psychomoteur n'ayant qu'une relation partielle avec des
systèmes autonomes;
— un investissement génital des systèmes précédents qui, en donnant
la primauté à la fonction sexuelle la plus, évoluée, recrée un
passage entre la vie végétative et les systèmes de relation. La
régression qui suit le complexe de castration et qui contribue à
établir la période maturatrice qui constitue l'époque de latence
postoedipienne et prépubertaire entraîne des remaniements complexes
prenant alors une grande valeur symbolique.
L'évolution que nous venons de décrire peut être reprise au niveau
de la représentation.
Comme nous l'avons vu elle est au début très liée au dynamisme
organique. Son aspect érogène est peu différencié. Dans la mesure où
les besoins organiques deviennent moins globalement dépendants de
l'entourage des satisfactions plus différenciées sont expérimentées :
— les unes directement au contact de l'ambiance, qui entretiennent le
fond narcissique primaire ;
— les autres liées à l'excitation des zones érogènes.
Schématiquement on distingue ainsi :
a) Besoins de satisfaction alimentaire et sensorio-moteurs (besoins
narcissiques primaires). Il en découlera des représentations qui sont
à l'origine de la connaissance de la réalité et du processus secondaire
(M. Fain et C. David) ;
b) L'excitation des zones érogènes est à l'origine des premières repré-
sentations en même temps que ces zones se différencient. (Dans un
premier temps la zone érogène ne se différenciait que très peu d'un
besoin organique prenant ses racines très profondément.)
Dans un deuxième temps l'excitation des zones érogènes concourt
à maintenir le sentiment de fusion narcissique. Ce dernier trouve main-
tenant son aliment au niveau de sensations sensorio-motrices permet-
tant de rejeter davantage à l'arrière-plan les incitations viscérales et
humorales.
Dans un troisième temps les représentations liées aux zones érogènes
s'autonomisent, s'individualisent à l'intérieur de la situation de fusion.
C'est volontairement que nous n'utilisons pas la locution « fantasme ».
Ce terme, qu'il figure une activité mentale consciente ou inconsciente,
présuppose une certaine organisation du Moi. Au départ, il est certaine-
PERSPECTIVE SUR LA FONCTION DES FANTASMES 613

ment difficile de séparer l'activité perceptive des élaborations représen-


tatives. Il est même probable que la condensation joue à plein et qu'une
série d'états se condense en un seul. Les premières représentations issues
d'un psychisme embryonnaire et concernant les zones érogènes doivent
constituer des îlots indépendants les uns des autres.
Les premières zones de « monde extérieur » sont probablement la
cavité buccale (Spitz), le rectum-anus, l'urètre. (Ces faits supposés ne
sont pas sans nous évoquer le rêve au cours duquel le dormeur blotti
au chaud sous ses couvertures, façonne à l'intérieur de lui-même tout
un monde.)
A partir du moment où, sans obstacles notoires, des zones érogènes
avec leurs représentations propres se différencient du fond narcissique,
tout est en place pour que l'évolution ultérieure se fasse vers la mentali-
sation, normale ou pathologique.
Lors de l'apparition de la maîtrise motrice, l'érogénéité plus spécia-
lement anale déborde la zone érogène proprement dite, grâce à la
représentation mentale symbolique de la zone dite érogène. La retenue,
le débordement, la formation réactionnelle imprègnent toute l'activité
psychique. A l'activité ludique débridée et imaginaire s'oppose l'activité
utilitaire réactionnelle. C'est schématiquement le règne du système
nerveux central. Le milieu interne s'en est détaché, autonomisé. Le
fantasme conscient apparaît à la même époque suivant un mode sur
lequel nous ne reviendrons pas. Son mode de production qui aboutit à
la constitution d'un monde retenu à l'intérieur du corps « derrière les
yeux », lui confère une valeur érotique qui déborde sur toute l'activité
mentale.
Autrement dit, nous pensons qu'il existe sur un plan psychosoma-
tique une correspondance à la description de K. Abraham concernant
la deuxième phase du stade anal. Les choses se passent comme si l'éro-
tisme lié à la rétention de l'objet à l'intérieur du corps ne trouvait sa
pleine expression que dans une division nette entre activités mentales
et dynamisme somatique.
Cette érotisation rétensive à laquelle est attaché le plaisir lié à la
fantasmatisation intériorisée peut se produire sans aucune manifestation
extérieure apparente.
L'activité intériorisée devient un excellent refuge lors du conflit
oedipien. Mais l'excitation sexuelle comprend alors des manifestations
extérieures, en même temps qu'elle tend à entraîner une autre mani-
festation extérieure, la masturbation. L'ensemble excitation géni-
tale - masturbation subit le refoulement.
REV. FR. PSYCHANAL. 40
614 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Sur le plan psychosomatique l'apparition des réactions qui caracté-


risent l'excitation sexuelle a de nouveau rétabli un lien entre des fan-
tasmes et des réactions mettant en jeu un certain dynamisme organique.
Il se fait un véritable pont entre des réactions impliquant le système
autonome et le comportement masturbatoire dépendant du système
nerveux central. Ce qui, au début, était le résultat d'une immaturité
profonde mettant l'organisme de l'enfant sous l'étroite dépendance du
milieu, est maintenant au contraire l'aboutissement de toute une évo-
lution. La répression de l'activité sexuelle s'applique en masse au com-
portement masturbatoire, aux fantasmes l'accompagnant, à l'excitation
érogène locale. La clinique nous montre que cet ensemble peut subir
des déplacements — qu'une de ses parties peut être surinvestie et
notamment certains aspects, impliquant le corps. Il s'agit alors des
troubles de conversion.
Nous pouvons maintenant reprendre la discussion sur l'opinion
des psychanalystes qui étendent aux stades prégénitaux la notion de
conversion. A travers le schéma évolutif que nous venons d'esquisser
cette hypothèse se formulerait ainsi : une régression aux tout premiers
stades de la vie réactiverait des circuits psychosomatiques. L'aspect
psychique subirait le refoulement et le dynamisme somatique repré-
senterait le fantasme chassé de la conscience.
Une telle hypothèse est discutable. Si les tendances affectives
peuvent, du fait de la régression, se recolorer d'aspects primitifs, elles
ne reproduisent pas pour autant le passé. Il apparaît une organisation
nouvelle utilisant tout l'acquis. Les représentations grossières et par-
tielles qui étaient, à l'origine, intimement liées au dynamisme organique
se sont maintenant enrichies lors des multiples mouvements régressifs
qui marquent normalement la maturation. Ce n'est guère qu'en créant
des besoins nouveaux que l'individu peut avoir un comportement
présentant des analogies avec un comportement passé (dans les toxi-
comanies par exemple). La maturation organique ne se laisse pas
remettre en question. La thermorégulation ne redevient jamais après
une régression dépendante du milieu. S'il est possible de rattacher des
hypoglycémies occasionnelles à des désordres émotionnels, cette hypo-
glycémie ne représente en rien la perte transitoire pour l'organisme de
sa fonction de régulation autonome du métabolisme du glucose.
D'autre part, la possibilité de déplacer sur le soma la charge affec-
tive liée à la représentation suppose une discrimination entre l'activité
psychique et l'activité somatique. Il ne peut alors s'agir que de phéno-
mènes postérieurs à cette époque primitive où les premières représen-
PERSPECTIVE SUR LA FONCTION DES FANTASMES 615

tarions n'étaient pas différenciées d'un certain dynamisme physiolo-


gique. Ces conditions sont seulement réalisées dans l'hystérie de
conversion. Le lien psychosomatique qu'elle révèle correspond à une
distinction préalable entre :
1) Le fantasme, objet intérieur excitant ;
2) L'activité sensorio-motrice créant les conditions de satisfaction ;
3) L'état de tumescence des organes génitaux.
L'indistinction subséquente est alors le résultat d'une condensation
et d'un déplacement de ces états auparavant distincts, c'est-à-dire
provient d'une activité du processus primaire. La conversion hysté-
rique se classe de ce fait dans les mécanismes mentaux.
En fait, il semble que certaines conversions puisent une partie de
leurs affects dans la prégénitalité : il s'agit des troubles touchant les
fonctions particulièrement impliquées dans l'acquisition de la maîtrise
motrice et sphinctérienne (R. Bayet).
Nous poursuivons notre discussion en abordant une autre voie
utilisée par un second type de psychanalystes s'intéressant aux troubles
psychosomatiques. Il s'agit essentiellement de ceux qui viennent à la
psychanalyse à partir d'un intérêt pour la clinique psychosomatique.
Leur démarche est tout autre. Les troubles psychosomatiques revêtent
une simplicité apparente. Il est, en effet, relativement aisé de mettre
parfois en évidence les situations conflictuelles correspondant à l'ori-
gine du symptôme. Peu à peu, s'est ainsi dégagée la notion de réaction
globale psychosomatique à une situation (ou encore dans certains
langages, aux agressions). Les études ont pris ainsi un caractère psycho-
physiologique visant à établir des corrélations entre certains dynamismes
somatiques, certains affects, leur accentuation par des formes de carac-
tère, le rattachement de ces caractères à des constellations familiales.
Ainsi, par exemple, l'hypertension artérielle serait seulement le résultat
d'une agressivité inhibée — l'augmentation de la tension représentant
la préparation à un acte hostile qui ne sera jamais exécuté. L'hyperac-
tivité gastrique se manifesterait de même lors de certaines frustrations
provoquées par un comportement niant certains besoins, etc. Ceci
entraîne un alignement de la symptomatologie, les manifestations
somatiques se trouvant sur le même plan que les manifestations
mentales.
Un autre fait qui découle de ce qui vient d'être dit joue également
un rôle : la diminution des manifestations mentales chez ces patients
rend leur relation plus simple avec le médecin. Ce dernier protégé, de
616 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

ce fait, des réactions intempestives de transfert qui caractérisent les


troubles névropathiques, peut plus facilement s'intéresser aux problèmes
posés par les relations médecin-patient. Cependant, quand le théra-
peute est familiarisé avec la pratique psychanalytique, la compréhension
des fantasmes inconscients devient sa compagne de tous les moments
et le vide transférentiel partiel qui caractérise les patients somatiques
devient, au contraire, perturbant. En tendant à meubler le vide ce psy-
chanalyste du second type tend à se rapprocher du premier type dont
nous avons parlé plus haut.
Cette seconde position a permis cependant des éclaircissements
substantiels en attirant l'attention sur deux points complémentaires :
l'économie énergétique et la valeur fonctionnelle des intégrations.
Devant un patient somatique nous reprenons naturellement l'atti-
tude clinique la plus classique. L'énigme posée par le fait psychoso-
matique induit une exploration des fonctions mentales et de comporte-
ment, dans le sens où nous avions appris à explorer les fonctions,
appareil par appareil. Ainsi, à partir d'une histoire donnée, la solution
d'une situation conflictuelle s'inscrit dans des faits mentaux, des faits
de comportement, des faits somatiques. Les balancements entre ces
trois dimensions, la situation prémorbide suscitent un intérêt spécial.
On aboutit de la sorte à un bilan fonctionnel dans lequel sont évalués
les investissements mentaux, tant pathologiques que normaux, la
tendance à réagir par l'action et le comportement, la richesse et le mode
des relations objectales. L'apparition du trouble somatique fait suite,
en général, à une altération plus ou moins globale de ces investissements
à la suite d'un conflit.
Le type prévalent de structure du Moi est établi. En dernière ana-
lyse, l'hypothèse de base sur laquelle reposent de telles investigations
peut ainsi se formuler : à partir d'une structure quelconque, des inhibi-
tions portant sur les expressions mentales et de comportement entraî-
nent certaines décharges somatiques. Il s'agit donc d'une défaillance
fonctionnelle dépassant le cadre classique de la structure.
Cette hypothèse cohérente et séduisante ne reçoit pas, au crible de
la pratique psychanalytique, de confirmation. S. Freud a découvert les
lois qui régissent la formation des symptômes. Lorsque des symptômes
semblent s'écarter de ces lois, il est nécessaire d'en tenir compte.
A partir de l'hypothèse précédente, il faudrait que la cure psycho-
thérapique de ces patients nous montre un mécanisme selon lequel
l'expression mentale du conflit régressivement sexualisée entraînerait
de la part du Moi des mesures de refoulement.
PERSPECTIVE SUR LA FONCTION DES FANTASMES 617

Quelques observations peuvent apparemment étayer ce point de


vue. Il s'agit des cas dans lesquels une affection somatique a fait suite
à la disparition de troubles névrotiques
— disparition indéniablement
liée à une lutte du Moi contre ces manifestations. En deuxième analyse
les faits sont plus complexes. La résurgence du conflit sous la forme
somatique rend malaisée dans ce cas l'utilisation du concept de fixation.
Le refoulement se rompt au niveau de la fixation prévalente nous dit
Freud. Après cette rupture apparaît une symptomatologie qui réorganise
les contenus mentaux dans un système fantasmatique régressif auquel
le Moi réagit d'une façon tout aussi régressive. Dans le cas d'un trouble
somatique non hystérique il est difficile de maintenir, du moins sous
sa forme actuelle, le concept de fixation (c'est-à-dire fixation à une
zone érogène).
On peut objecter que Freud avait remarqué que le « Moi » des patients
présentant des troubles de conversion hystérique ne luttait pas
contre ces symptômes. Autrement dit de tels troubles assurent un
refoulement parfait. Il en est de même (quant au refoulement) dans
les troubles psychosomatiques et par conséquent la fixation peut
rester inapparente. Cependant, un tel éloignement peut exister entre la
symptomatologie et les zones érogènes que l'on peut penser qu'il
existe là un phénomène différent exigeant des explications plus
complexes. Mais, en admettant même que la notion de fixation n'est
pas en cause, le mécanisme de la formation du symptôme soma-
tique apparaît différent du mécanisme aboutissant aux manifestations
névrotiques.
Reprenons l'exemple d'un trouble physique survenu après la
répression de manifestations névrotiques. Ce trouble impose l'idée
d'une sursexualisation. La rupture du refoulement entraîne une réor-
ganisation du Moi au cours de laquelle une ou plusieurs des fonctions
du Moi resexualisées deviennent l'objet de mesures de répression.
La symptomatologie mentale liée à des représentations fantasmatiques
inconscientes, illustrant ce combat, découle de ce mécanisme. Qu'à
son tour, cette symptomatologie soit réprimée et qu'un trouble soma-
tique se manifeste, il faudrait, pour rester dans une perspective freu-
dienne, admettre qu'une fonction somatique reprenne à son compte
cette sexualisation. Si, comme nous l'avons vu, cette condition peut
être remplie dans l'hystérie de conversion (bien qu'il soit cliniquement
exceptionnel qu'un trouble de conversion apparaisse à la suite de la
disparition de manifestations névrotiques), admettre d'emblée une
telle hypothèse entraînerait à étendre la notion de sexualisation jusqu'à
618 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

des niveaux très profonds. Par ce biais, nous rejoindrions l'hypothèse


de conversion prégénitale que nous avons critiquée plus haut. En
quelque sorte, le fait de considérer à un même niveau les symptoma-
tologies psychonévrotique et psychosomatique aboutit, si l'on pousse
à fond cette équivalence à la même position théorique de base que celle
qui considère le corps comme un lieu d'expression fantasmatique.
Nous voyons personnellement, des différences fondamentales dans
ces deux ordres de manifestations, différences qui avaient été déjà
notées, très précocement par Freud. Dès ses premiers travaux, S. Freud
avait, en effet, différencié les états pathologiques dans lesquels il y avait
une influence somatique directe liée à un dérèglement de la libido
de ceux où, par le truchement de la représentation mentale, la sympto-
matologie prenait le chemin de la névrose.
L'intérêt de la discussion portant sur les différences existant entre
les névroses actuelles et psychonévroses s'est étendu depuis lors aux
différences entre manifestations mentales et manifestations psychoso-
matiques.
Dans l'exemple de tout à l'heure, lorsque le trouble somatique
survient, la fonction du Moi qui faisait l'objet de mesures de répression,
à la suite de sa resexualisation, reprend son rôle premier. Elle est
désexualisée, et redevient instrumentale. Essayons de considérer le
chemin qu'elle a parcouru.
A l'état prémorbide, cette fonction provenait, du moins dans son
vécu, d'une identification à un objet, après désexualisation d'un mode
de relation visant cet objet. A la suite d'un conflit portant sur les rela-
tions objectales les plus évoluées, la libido régressant resexualise ladite
fonction. Cette dernière devient à son tour la victime de mesures de
répression. L'éclosion de la symptomatologie est en rapport avec ce
déplacement du conflit. La répression de la symptomatologie mentale
rend sa valeur instrumentale à la fonction, mais la dépouille aussi des
significations symboliques et fantasmatiques évolutives, significations
partiellement en relation avec le vécu subjectif ayant précédé son
acquisition.
Autrement dit, dans de tels cas (somatisation après disparition de
la symptomatologie mentale), il se produit une désexualisation sans
identification subséquente. Qu'est-ce à dire ? S. Freud a décrit la
façon dont le Moi se substituait à l'objet sexuel investi par le Ça, en
s'identifiant au dit objet. Il dérobe à l'objet l'investissement libidinal
du Ça, lequel devient ainsi secondairement narcissique. Cette identi-
fication entraîne une intégration de la pulsion tout en la désexualisant.
PERSPECTIVE SUR LA FONCTION DES FANTASMES 619

Il s'agit là d'un mode de transformation de la libido objectale en libido


narcissique.
La désexualisation qui accompagne la transformation d'un trouble
psychonévrotique en trouble somatique, désexualisation qui permet au
Moi, au prix du trouble somatique, de récupérer la fonction précédem-
ment altérée, se produit sans identification nouvelle, sans transforma-
tion de libido objectale en libido narcissique. Il y a passage d'une forme
d'activité à une autre forme et il est difficile d'appliquer à cet avatar
les notions classiques concernant la régression. Lorsque la régression
ne quitte pas le niveau mental, elle aboutit toujours à une resexualisation
de certaines fonctions du Moi, à une modification des buts libidinaux
et finalement à une expression conflictuelle particulière. Si cette expres-
sion conflictuelle est à son tour réprimée, la nouvelle régression peut
aboutir à une perte de la qualité libidinale de l'énergie puis à un
mode d'excitation à effet somatique. La fonction récupérée par ce pro-
cessus n'apparaît plus investie de libido narcissique. Elle n'est plus
pour reprendre l'expression de Freud « un épisode des amours
du Ça », elle est purement opératoire — « autonome » diraient
d'autres. Cette modification est un épisode de la mort du Moi —
et peut-être un prélude de la mort. L'exemple que nous venons de
prendre peut être revu plus spécialement sous l'aspect de l'activité
fantasmatique.
Un symptôme mental est, entre autres choses, l'expression de
toute une fantasmatisation inconsciente. La répression du symptôme
entraîne la répression de cette fantasmatisation. Cette dernière était
née de la resexualisation qui fait suite à une première régression.
Avant que cette première régression s'effectue, la fonction du Moi
n'était pas dépourvue de toute sexualité. Cependant le reliquat sexuel
restait subordonné à la primauté génitale. La fonction du Moi ne
jouait, dans ce cas, un rôle que pour aboutir à des représentations
donnant la vedette à l'érogénéité liée aux organes génitaux. Le conflit
premier aboutit au refoulement du génital et de toutes les représen-
tations qui en émanaient. La régression que subit alors la libido modifie
dans le même sens les représentations qui se restructurent suivant
les fixations principales. Le Moi tente alors de les refouler à leur tour
et, n'y parvenant pas, une solution de compromis intervient qui aboutit
à une resexualisation de certaines fonctions du Moi, resexualisation
impliquant une altération des dites fonctions.
A ce niveau nous pouvons constater que les tendances instinctuelles
et répressives concluent un accord.
620 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Toute fonction du Moi peut être considérée sous un double aspect :


— d'une part, comme un instrument pouvant concourir à l'obtention
de satisfactions instinctuelles (principe de plaisir) ;
— d'autre part, elle est utilisée à résoudre les tâches utilitaires (prin-
cipe de réalité).
Elle reste le support, de ce fait, d'une imagerie condensant un aspect
surmoïque lié à l'acquisition de l'utilitaire lequel s'oppose à l'aspect
pulsionnel. Quand, à la suite d'une régression, la fonction se resexualise,
son aspect instinctuel reçoit un important renforcement puisqu'elle
devient à elle seule l'équivalent d'une zone érogène. Elle est de ce fait
l'objet de mesures de répression du Moi, ces mesures n'épargnant pas
l'aspect utilitaire. C'est d'ailleurs l'altération de l'aspect utilitaire qui
alimente les plaintes conscientes dupatient et sa satisfaction inconsciente.
Lorsque cet ensemble se dissout dans un trouble somatique, la fonction
du Moi retrouve son caractère utilitaire mais non ses qualités érotiques.
En fait, le caractère utilitaire lui-même est profondément modifié.
Il a perdu son caractère de formation réactionnelle et avec lui la valeur
narcissique qui le sous-tendait (S. Freud a montré que cette valeur
narcissique était liée à l'amour reçu des parents pour le prix du renon-
cement à une activité érotique).
Ainsi n'existe plus de bénéfice à triompher de rien du tout. (Cet
aspect de la question a été exposé par F. Pasche d'une autre façon :
« Dans les troubles psychosomatiques nous dit-il, il y a disparition du
Surmoi et libération des tendances auto-destructrices. » En effet, les
tendances agressives reprises par le Surmoi lors d'une désexualisation
fusionnent avec un aspect érotique, l'amour du Surmoi pour le Moi
renonçant à la pulsion.)
Ainsi, après apparition du trouble somatique, la fonction en cause
apparemment récupérée, semble avoir été dépouillée de toute signifi-
cation symbolique. Elle n'est plus utilitaire, elle est opératoire au sens
de P. Marty et de M. de M'uzan.
La substitution du trouble somatique au trouble psychonévrotique
marque la disparition de l'activité fantasmatique et constitue en même
temps un processus de désexualisation sans acquisition nouvelle, alors
qu'au cours de l'évolution, la désexualisation aboutit à une intégration
pulsionnelle par le canal d'une identification et d'une modification du
Surmoi.
Le phénomène de désexualisation non compensée nous apparaît
ainsi spécifique de la pathologie psychosomatique. En tout cas, nous
PERSPECTIVE SUR LA FONCTION DES FANTASMES 621

concevons au moins actuellement cette hypothèse. Ce processus libère


les tendances destructives dans le soma d'autant plus efficacement
que les tendances libidinales ont partiellement disparu, tant dans leur
version narcissique que dans leur aspect objectai. Un corollaire de
ce point de vue concerne le sujet des fantasmes : l'élaboration fantas-
matique, consciente ou inconsciente, normale ou pathologique, quelle
qu'elle soit, éloigne les tendances destructives du soma. Ces perspectives,
issues de la clinique psychosomatique, introduisent des nuances impor-
tantes dans l'évaluation clinique du Moi. N'est-il qu'un squelette uti-
litaire ou reste-t-il plein, dans son fonctionnement, des représentations
qui deviennent ensuite la trame fantasmatique inconsciente permettant
à l'individu d'être à chaque instant de tous ses âges à la fois. La notion
du « temps » dans sa valeur au moins individuelle s'impose encore à
nous.
De telles constatations cliniques nous permettent de formuler une
mise en garde : l'accent porté ces dernières années sur les mécanismes
d'intégration du Moi a dépassé son but. Nous savons, certes, qu'il
s'agit d'une réaction contre un mouvement précédent dans lequel
l'étude était centrée sur les contenus des productions inconscientes
ou censurées. Nous pensons que cette réaction constitue un processus
de désexualisation — et que comme tout processus de désexualisation,
il doit déboucher sur de nouveaux horizons s'il ne veut pas devenir
franchement destructeur.
Le mouvement qui fait du Moi l'objet central de l'intérêt a parfois
abouti à des notions contradictoires avec la clinique. Il est en général
admis qu'avant tout, la conquête de la liberté associative, dans le cadre
du protocole, définissant la cure psychanalytique constitue l'élément
essentiel d'appréciation de l'heureux aboutissement d'une cure et qu'il
ne s'agit point là de l'intégration sociale et familiale. Or, la liberté
associative traduit essentiellement la possibilité de faire resurgir à tous
les niveaux les soubassements fantasmatiques de chaque fonction du
Moi. Autrement dit, la liberté dans l'association des idées met fin à
la lutte pour le maintien impératif de l'activité désexualisée canalisée
dans une identification à l'objet, le Moi ne se sentant plus menacé
dans son essence s'il abandonne cette identification en réactivant les
fantasmes qui avaient précédé l'identification en question. Il existe
alors des possibilités transitoires de resexualisation ou, si l'on veut,
une certaine souplesse de mobilisation entre la libido narcissique et une
libido objectale régressivement réactualisée. Cette mobilisation possible
nous apparaît comme un élément essentiel de la santé psychosomatique.
622 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Les possibilités de mentalisation, de dramatisation, offerts aux


émois érotiques et agressifs au cours de la cure psychanalytique,
font de cette cure une thérapeutique totale, une des rares qui ne com-
prenne pas, dans sa perspective de guérison idéale, un aspect d'ampu-
tation.
La liberté de création, de production de fantasmes conscients et
inconscients, liberté traduisant l'aisance de la libido à se mouvoir
et à s'investir aussi bien vers le passé que vers l'avenir, dans la réalité
comme dans la fantaisie nous apparaît comme le garant d'une organi-
sation psychosomatique équilibrée.
LES LIVRES

La révolution psychanalytique : La vie et l'oeuvre de Freud, par Marthe ROBERT (1).


Tous les lecteurs de ces deux volumes disent l'intérêt passionné qui les
a maintenus en haleine, jusqu'aux dernières lignes qui évoquent la mort de
Sigmund Freud, à l'aube de la deuxième guerre mondiale.
Cet ouvrage est consacré à la publication du texte d'une série d'émissions
récentes radiophoniques, complété de notes et de références bibliographiques.
L'oeuvre de Freud y est abordée à la lumière de l'étude de sa biographie, en
sorte que, comme le critique d'une oeuvre littéraire, Marthe Robert expose la
théorie psychanalytique, en replaçant son évolution dans le contexte socio-
culturel auquel il convient de la référer, pour saisir le personnage du fondateur
de la psychanalyse.
Ce fut aussi le propos de Jones lorsqu'il écrivit La vie et l'oeuvre de Freud
dont les deux premiers volumes ont été traduits en français et qui constituent
une mine de documents freudiens élaborés à partir des événements vécus par
Freud tout au long de sa vie.
Ici l'ouvrageétant plus court et la documentationtenant une place beaucoup
plus réduite, on se trouve en présence d'un essai fait pour comprendre et faire
comprendre à partir de textes appartenant au domaine public qui font
l'objet d'un examen critique.
C'est ainsi que l'étude de la vie de Freud ponctue son oeuvre en un certain
nombre d'oeuvres maîtresses. On a souvent montré les conséquences du
remariage du père âgé de Freud sur l'organisation et le long refoulement de son
OEdipe. Le voyage à Paris fut décisif pour l'orientation du jeune médecin qui
ne devait pas tarder à se préoccuper de son avenir matériel, en raison de ses
longues fiançailles, vite insupportables. L' amitié avec Fliess fut marquée de
toute l'ambivalence qui conduisit Freud, dans la longue route de son auto-
analyse, à répudier sa passivité érotisée. Puis la fondation d'un solide mouvement
psychanalytique, mis en question par la guerre, exigea toute l'attention de Freud
qui eut de fréquents conflits avec ses disciples dont plus d'un lui fut infidèle.
Déjà le mal inexorable qui isola, puis tua Freud, le conduisit à s'éloigner du
monde pour dominer courageusement sa fin tourmentée par les événements
politiques qui le chassèrent de Vienne qui ne l'avait jamais reconnu comme un
de ses fils illustres.
Il est remarquable que la partie la plus féconde de l'oeuvre freudienne a été
pensée et écrite en pleine maturité par un homme jeune encore, mais parvenu
relativement tard à l'autonomie sociale. Du séjour à Paris, après son mariage
et à travers les vicissitudes de son amitié avec son maître Breuer, datent les
études sur l'hystérie qui fondèrent la psychanalyse, à cause de la reconnaissance
du transfert.

(1) ROBERT (M.), La révolution psychanalytique (la vie et l'oeuvre de Freud), 2 vol., Payot,
Paris, 1964.
624 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Dans la correspondance avec Fliess qui aboutit à travers la douloureuse


aventure de l'auto-analyse, on voit l'évolution de cette amitié finalement
rompue et la trame de La science des rêves, ouvrage qui, plus que tout autre,
passionna Freud.
A l'époque où il écrivit plus tard, dans les premières décennies du XXe siècle,
ses cas cliniques, Freud s'exposa en fait tout entier comme médecin et penseur,
et montra à travers chaque cas les innombrables développements qu'on en
pouvait induire.
L'oeuvre métapsychologique trouva son plein épanouissement après la
première guerre mondiale, à travers des formulations brillantes qui marquaient
aussi l'isolement progressif de Freud.
Ainsi le fondateur de la psychanalyse, sans cesse abandonné par ses premiers
disciples qui, pour beaucoup, le renièrent, s'affirmait sur le terrain de la connais-
sance de la névrose et de sa thérapeutique par la psychanalyse, sans qu'il
abandonnât les spéculations littéraires, sociologiques ou philosophiques,
auxquelles il attachait peut-être moins d'importance que certains de ses
héritiers qui oublient les conditions historiques de la genèse de l'oeuvre
freudienne.
Marthe Robert rappelle le mot du poète Karl Tucholsky selon lequel « les
volumes de l'oeuvre de Freud sont autant de jours qui ébranlèrent le monde ».
De fait elle y voit « un sujet de drames » : « C'est en effet ce qui constituera la
première partie de notre travail. La nature de la psychanalyse, les particula-
rités et, d'autre part, l'universalité de son objet, ne nous permettent pas d'en
présenter d'abord un tableau théorique à la fois complet et intelligible. Aussi
tâcherons-nous de la faire comprendre autrement : en faisant revivre l'histoire
de son créateur, pour suivre à travers les événements d'une vie personnelle
entièrement vouée à la recherche, la genèse dramatique et l'étonnant destin
de son oeuvre. Freud se comparait volontiers lui-même à l'un de ces conquis-
tadors du passé qui risquaient tout pour conquérir dès terres nouvelles ; ou
encore à ces archéologues pleins de foi qui, tel le célèbre Schliemann, triom-
phaient des incrédules en mettant à jour la Troie de leurs rêves. Sa Troie, à
lui, c'était l'enfance de l'homme, le passé de l'humanité, ce monde de l'in-
conscient qu'il était le premier à explorer et qu'il voulut regagner à la lumière
avec ses rêves, ses abîmes, ses terreurs, et aussi sa vérité. La psychanalyse n'a
pas de meilleure introduction que le récit de cette exploration aventureuse
passée presque entièrement entre les murs d'un cabinet, et dont les grands
moments, comme le disait un poète allemand, Kurt Tucholsky, furent autant
de jours qui ébranlèrent le monde. Il va sans dire qu'un pareil récit est assez
captivant en; soi pour se passer de fioritures. Le nôtre disposera du reste de
nombreuses sources : des travaux biographiques faisant autorité comme celui
d'Ernest Jones, l'un de ses premiers et de ses plus fidèles disciples ; des
documents autobiographiques publiés comme tels par Freud — par exemple
Ma vie et la psychanalyse et L'histoire du mouvement psychanalytique, ou encore
disséminés dans des ouvrages théoriques comme la Psychopathologie de la vie
quotidienne ou La science des rêves ; une correspondance étendue sur plus d'un
demi-siècle, où le visage de Freud se dessine avec des traits parfois contra-
dictoires — avec sa passion, son terrible amour de la vérité, sa bonté et, malgré
sa foi tenace dans la vie, sa tristesse. Mais notre source la plus riche sera bien
entendu l'oeuvre elle-même — une oeuvre qui n'est pas seulement d'homme de
science, mais au sens plein du mot, de créateur ? Nous en citerons d'autant
plus volontiers de nombreux passages que, par une circonstance assez rare en
matière d'écrits scientifiques, elle a une pureté, une justesse de forme qui lui
donnent accès à la littérature. Ainsi contée à travers la création infatigable d'un
LES LIVRES 625

homme qui, outre sa science, aimait aussi passionnément écrire, l'aventure


intellectuelle qui a eu tant de retentissement sur la nôtre devrait retrouver
peu à peu pour nous son rythme, et son sens vivant. »... L'idée de présenter
Freud comme un écrivain dont l'oeuvre scientifique aurait la même portée
générale, la même sorte de pouvoir et de vérité qu'une oeuvre strictement
littéraire, cette idée est en elle-même fort séduisante.
L'essai de critique littéraire est complété par une tentative pour « expliquer
comment une doctrine si personnelle, si fortement marquée au début par son
origine locale, est parvenue somme toute à conquérir le monde ». Marthe Robert
nous donne son plan : « Nous tâcherons de le montrer dans la trame même de
notre exposé. Tout en découvrant la psychanalyse à travers une vie et une
oeuvre qui ne se peuvent dissocier l'une de l'autre, nous retracerons l'histoire
du mouvement psychanalytique, ses débuts héroïques, ses flux et ses reflux,
sa montée. Chemin faisant, nous rencontrerons ces hommes si différents les
uns des autres par leur formation et leurs origines qui, médecins ou non, se
groupèrent autour de Freud et, peu à peu, mirent fin à son isolement. Parmi
ces disciples dont certains sont à leur tour devenus des maîtres, quelques-uns
ne purent trouver leur route qu'en modifiant ou en reniant leurs premières
convictions ; d'autres restèrent fidèles, ou, comme on dit maintenant, « ortho-
doxes » ; d'autres encore conservèrent l'essentiel de la doctrine, mais l'enri-
chirent de nouvelles hypothèses et étendirent le champ de ses applications.
Tous, fidèles ou rebelles, ont contribué en quelque manière à faire de la psycha-
nalyse ce qu'elle est aujourd'hui. Ainsi nous marquerons la place de Jung et
d'Adler, qui fondèrent chacun leur école et menèrent longtemps l'opposition
contre leur ancien maître ; celle d'Otto Rank, dont la pensée se sépara aussi
du strict freudisme et dont les travaux sur les mythes et les légendes sont
restés justement célèbres ; d'Ernest Jones, le biographe de Freud, auquel
nous ferons de nombreux emprunts ; de Karl Abraham, Sandor Ferenczi,
d'autres encore qui furent des organisateurs et eurent le mérite de conserver
au mouvement son caractère international, malgré deux guerres et combien
de bouleversements politiques. Nous suivrons aussi les déplacements géo-
graphiques des écoles, sans oublier que la petite histoire de la psychanalyse,
qui eût dû n'être qu'un débat d'idées, a été souvent mortellement menacée
par l'histoire tout court. »
Critique littéraire, Marthe Robert a lu Freud comme un écrivain et a
exposé la théorie psychanalytique à travers l'histoire du mouvement freu-
dien lui-même. Il s'agit là d'une tentative séduisante et originale pour les
psychanalystes qui, mieux que jamais, saisissent le génie de Freud à travers
son oeuvre et les scandales qu'elle souleva. La lecture de ces deux volumes en
est passionnante.
C'est à ce propos que je crois devoir soulever en même temps quelques
réserves sur la publication de cet ouvrage dans une collection plutôt destinée
à un large public. Je crains que le lecteur n'y cherche un exposé de la théorie
psychanalytique qu'il n'y trouvera pas, mais que son intérêt avide pour un
livre si habilement écrit ne lui fasse surtout retenir les dissensions qui mar-
quèrent l'évolution du mouvement psychanalytique et opposèrent à Freud des
disciples dont l'isolement semble avoir été le produit, non seulement de leur
situation sociale, mais parfois de leur pathologie personnelle.
Ces réserves s'adressent donc à la présentation de l'ouvrage et non à son
contenu qui passionnera les psychanalystes : ils le liront d'un trait et seront
reconnaissants à l'auteur d'avoir ouvert si brillamment la critique littéraire de
l'oeuvre de Freud.
S. LEBOVICI.
626 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Dr Jacques BURSTIN, Désagrégation, régression et reconstruction dans la schizo-


phrénie, 1 vol. de 184 p. Éditions Privât, Toulouse.
Cet ouvrage se présente avant tout comme une tentative de clarifier la
confusion extrême qui règne autour de la schizophrénie. En effet, le problème
crucial réside dans la coexistence des phénomènes désagrégatifs, régressifs
et des tentatives, d'ampleur variable suivant les cas, d'une activité de reconstruc-
tion à partir de nouvelles conditions d'existence. Toute conception de la schizo-
phrénie qui se veut valable doit donc embrasser ces trois séries de manifesta-
tions dans leur unité organique et les expliquer dans leurs relations réciproques.
Suivant les époques et les auteurs, les théories ont été inspirées par le premier
ou les deux autres volets de ce triptyque, mais jamais par leur ensemble. C'est
là que réside la cause majeure de l'impasse actuelle.
La voie d'un tel abord de la schizophrénie est fournie par la psychologie
génétique. En effet, les notions de désagrégation et de régression renvoient à
un système de critères et de références offert par l'évolution mentale de l'enfant,
évolution qui par étapes successives l'achemine vers l'état d'adulte. Pour qu'une
telle confrontation soit possible et féconde, il est nécessaire d'observer certaines
règles. La maladie démantèle la personnalité en allant des organisations les plus
élevées, les plus tardivement achevées, vers les formations les plus anciennes.
Il convient de respecter cet ordre de progression du mal. L'ignorer conduirait
à entremêler des manifestations relevant d'échelons hiérarchiques différents,
ce qui rend non seulement toute comparaison avec la psychogenèse normale
impossible, mais encore enlève tout moyen permettant de discerner la manière
dont s'articulent les chaînons du processus morbide. Ceci s'applique aussi
bien aux fonctions intellectuelles qu'aux affects et à la psychomotricité. Tout
comme la pensée, l'affectivité et la psychomotricité comportent plusieurs strati-
fications qui se sont constituées au fur et à mesure de l'édification de l'univers
mental.
Placé dans l'optique de la psychologie génétique et conduit selon de tels
principes, ce livre apporte une réponse à la question clef de la coexistence dans
la schizophrénie des manifestations déficitaires, régressives et d'une activité
de néoconstruction. Il fait ressortir les liens qui unissent ces trois groupements
de symptômes, ce qui permet d'assigner le rôle et la place qui reviennent à
chacun. De ce fait, le cadre de la maladie, l'ordonnance de ses parties, l'enchaî-
nement de ses phases successives apparaissent sans la moindre ambiguïté.
Résumé d'auteur.

Guide pratique de psychothérapie de groupe, par A. L. KADIS, J. D. KRASNER,


C. WINICK, du Postgraduate Center for Psychotherapy, de New York,
et S. H. FOULKES, De la Group-Analytic Society de Londres.
Se basant sur de nombreuses années d'expérience, les auteurs présentent
un guide pratique complet de la psychothérapie de groupe. Ils ont préparé un
manuel de travail clairement organisé pour ceux qui désirent appliquer, ou
simplement connaître, ce nouvel outil psychiatrique précieux.
Le livre décrit de façon schématique le développement et la fonction des
groupes de psychothérapie et examine en détails toutes les étapes par où passe
la vie de tels groupes, à partir de la préparation de la première réunion jusqu'à la
dernière séance. Un chapitre séparé décrit comment choisir les membres d'un
groupe de façon à garantir à chaque patient l'opportunité maxima de profiter
du traitement. Un autre chapitre traite spécialement de l'analyse des rêves dans
LES LIVRES 627

un groupe, et le livre présente le premier rapport publié sur le concept des


réponses G — réponses qui sont caractéristiques de la psychothérapie de
groupe.
On trouvera une description des groupes de guidance et de conseils, aussi
bien que des groupes à buts reconstructifs, avec une grande utilisation d'illus-
trations cliniques tirées de la grande expérience des auteurs.
Ce livre très complet comporté des chapitres sur le rôle des groupes en
institutions et sur le rôle des divers membres de l'équipe de santé mentale,
des études des programmes existants de psychothérapie de groupe, une compi-
lation d'aides audiovisuelles et une discussion de la façon dont les techniques
de recherche peuvent s'appliquer aux groupes. On y trouvera également des
détails précis sur les techniques de maniement des patients.

Résumé d'auteur.
INFORMATIONS

INSTITUT DE PSYCHANALYSE
PROGRAMME DE L'ENSEIGNEMENT 1964-1965 (1)
(14 octobre au 30 juin)
L'enseignement de l'Institut de Psychanalyse, qui est réservé aux étudiants
de l'Institut, c'est-à-dire aux candidats admis aux cures contrôlées, comprend :
1° un enseignement clinique, théorique et technique ;
2° un enseignement de disciplines spécialisées ;
3° un enseignement complémentaire ;
4° un service de bibliographie.

Des réunions seront organisées à l'intention des personnes qui désirent


des informations sur la psychanalyse.

Un séminaire de perfectionnement, destiné aux psychanalystes résidant


en province et à l'étranger, aura lieu en 1965.

I
ENSEIGNEMENT PSYCHANALYTIQUE
Cet enseignement est réservé aux étudiants de l'Institut (2).
I. — INTRODUCTION A LA PRATIQUE DES CURES
Les étudiants commenceront à fréquenter à titre d'auditeurs les séminaires
de contrôle collectif de leur choix trois mois au moins avant que d'entreprendre
eux-mêmes des analyses. La liste des contrôles collectifs sera fournie par le
secrétariat.

(1) Ce programme peut être modifié par l'adjonction de séminaires et de conférences.


(2) Il est recommandé aux étudiants de s'inscrire auprès du secrétariat aux séminaires
de leur choix.
Pour toutes les questions concernant les études, s'adresser à Mme O. Chevalier, secrétaire.
Permanence : le lundi et le mercredi de 15 h à 18 h ou sur rendez-vous.
INFORMATIONS 629

II. — ENSEIGNEMENT CLINIQUE

A) Séminaires de clinique
a) Sous la direction de S. Lebovici, avec la collaboration de R. Diatkine,
J. Favreau, E. Kestemberg :
1° Exposé d'un cas, discussions cliniques, théoriques et techniques;
2° Discussion de textes freudiens.
Le mercredi à 21 h 30. Première réunion : mercredi 14 octobre 1964.
b) Sous la direction de R. Barande :
Exposé d'un cas (au second semestre).
B) Examens de malades, suivis de discussions cliniques
Sous la direction de H. Sauguet, J. Mallet (un vendredi sur deux : H. Sau-
guet à 9 h ; un vendredi sur deux : J. Mallet à 9 h 30 ; première réunion :
vendredi 16 octobre, à 9 h).
C) Les étudiants trouveront en annexe la liste des consultations assurées
par d'autres membres de l'Institut dans les hôpitaux, dispensaires, etc., aux-
quelles ils peuvent assister, à condition d'y être autorisés par les chefs de
service.
III. ENSEIGNEMENT THÉORIQUE

A) Conférences d'introduction à la théorie psychanalytique


Avec la participation notamment de : R. Barande, D. Braunschweig,
J. Chasseguet-Smirgel, Ch. David, J. Finkelstein, A. Green, S. Lebovici,
J. McDougall,R. Mises, M. de M'Uzan, M. Renard, J. Rouart, S. A. Shentoub,
M. Soulé (première conférence : jeudi 22 octobre 1964, à 21 h), S. Lebovici,
La libido.
B) Séminaires de théorie psychanalytique
Sous la direction de F. Pasche
a) A partir du mois de décembre 1964 (un lundi sur deux à 12 h 30 ;
première réunion : lundi 7 décembre 1964), F. Pasche, A. Green.
b) Toute l'année (un lundi sur deux à 12 h 30 ; première réunion : lundi
19 octobre 1964), B. Grunberger, J. Chasseguet-Smirgel.
c) Second semestre (un jeudi sur deux à 21 h 30), C. Stein, Le complexe
d'OEdipe féminin.
IV. — ENSEIGNEMENT TECHNIQUE
Sous la direction de S. Nacht
A) Séminaire de technique
Exposé d'un cas par un participant et discussion, S. Nacht (le vendredi
à 12 h. Première réunion : vendredi 23 octobre 1964).
B) Clinique et théorie de la technique
a) Séminaires et conférences. — H. Sauguet (un vendredi sur deux à 11 h.
Première réunion : vendredi 16 octobre 1964).
b) Conférences (la première conférence aura lieu un vendredi à 21 h, à
partir du mois de février 1965). — S. Viderman, Problèmes techniques au début
de l'analyse.
REV. FR. PSYCHANAL. 41
630 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

V. — ÉTUDE DE TEXTES FREUDIENS


J. Rouart, Métapsychologie (second semestre, un lundi sur deux, à 12 h 30).
VI. — CONTROLES COLLECTIFS
a) Contrôles collectifs. — Se renseigner au secrétariat.
b) Contrôles de perfectionnement. — Sous la direction de S. Nacht, M. Schlum-
berger.
Réservés aux étudiants désignés par la Commission de l'Enseignement
parmi ceux qui ont eu leurs deux contrôles validés.

II
ENSEIGNEMENT DE DISCIPLINES SPÉCIALISÉES (1)
CLINIQUE PSYCHOSOMATIQUE
Sous la direction de M. de M'Uzan, Ch. David
L'enseignement de la clinique psychosomatique aura lieu à l'Institut à
partir du mois de janvier 1965 (un lundi sur deux à 21 h 30, la date de la première
réunion sera fixée ultérieurement).
Cet enseignement comprendra :
— des exposés théoriques systématiques ;
— des illustrations cliniques.
Le texte détaillé relatif au programme de cet enseignement sera adressé
en octobre aux étudiants.
Les étudiants désireux de suivre cet enseignement pourront s'inscrire au
secrétariat à partir du mois d'octobre.

PSYCHANALYSE DES ENFANTS


Sous la direction de S. Lebovici
I. — CONFÉRENCES THÉORIQUES
Des conférences bimensuelles auront lieu au second semestre avec la
participation de : A. Berge, D. Braunschweig, R. Diatkine, J. Favreau, S. Lebo-
vici, P. Luquet, P. Mâle, J. Rouart, H. Sauguet.

II. SÉMINAIRE DE CLINIQUE ET DE TECHNIQUE PSYCHANALYTIQUE DES ENFANTS


A) Exposé et discussion clinique et technique d'un cas :
a) Sous la direction de S. Lebovici (le lundi à 8 h 45. Première réunion :
lundi 11 janvier 1965) ;
b) Sous la direction de R. Diatkine (le lundi à 10 h. Première réunion :
lundi 11 janvier 1965).
Ces réunions auront lieu au Centre Alfred-Binet (salle de conférence, sous-
sol), 44, rue Ch.-Moureu (13e).

(1) Rappelons que cet enseignement est réservé aux étudiants de l'Institut.
INFORMATIONS 631

B) Table ronde, avec la participation de M. Fain, J. Lubbtchansky,


:
P. Luquet, J. McDougall, J. Rouan, H. Sauguet, J. Simon (le mercredi
de 10 h 30 à 11 h 30).
Ces réunions auront lieu à l'Institut Claparède, 5, rue du Général-Cordon-
nier, Neuilly.
III. — CURES CONTRÔLÉES
A. Berge, D. Braunschweig, R. Diatkine, J. Favreau, S. Lebovici, P. Luquet,
P. Mâle, J. Rouart, H. Sauguet.
Pour tous renseignements s'adresser au secrétariat.

PSYCHOTHÉRAPIE
I. — PSYCHOTHÉRAPIE PSYCHANALYTIQUE DES ADOLESCENTS, DES CARACTÉRIELS
DES PRÉPSYCHOTIQUES ET VARIANTES DE LA CURE
Sous la direction de A. Berge, P. Mâle, J. Rouart(pendant le second semestre :
un vendredi sur deux à 21 h).
II. — PSYCHOTHÉRAPIE DES PSYCHOSES
Sous la direction de P.-C. Racamier, J. Kestenberg (le 3e mardi du mois :
P.-C. Racamier, J. Kestenberg ; le 3e mercredi du mois : J. Kestenberg).
Le lieu et la date de la première réunion seront indiqués après les inscrip-
tions à ce séminaire.
III. — PSYCHOTHÉRAPIE PAR LE PSYCHODRAME
Sous la direction de J. Kestenberg, avec la collaboration de R. Barande
Il est recommandé aux étudiants de s'inscrire auprès du secrétariat aux'
séminaires de leur choix.
III
ENSEIGNEMENT COMPLÉMENTAIRE
SÉMINAIRE D'ANTHROPOLOGIE PSYCHANALYTIQUE
Sous la direction de C. Stein (le jeudi à 12 h 30. Première réunion : jeudi
26 novembre 1964).
Le programme sera envoyé dès les premiers jours de novembre aux per-
sonnes qui auront bien voulu s'inscrire.
SÉMINAIRE DE SÉMANTIQUE DES CONCEPTS PSYCHANALYTIQUES
Sous la direction de A. Green. Les personnes désireuses d'assister à ce
séminaire sont priées de participer à la réunion préparatoire : lundi 23 novem-
bre 1964, à 21 h 30.
Le plan de travail y sera discuté, le séminaire ne commençant qu'au second
semestre.
Ce séminaire aurait pour but de soumettre à l'examen critique le ou les
sens de la théorie freudienne à travers ses concepts ou les étapes de sa pro-
gression.
PSYCHANALYSE ET PROBLÈMES DE LA CULTURE
Sous la direction de P. Luquet (première conférence le vendredi 6 novembre).
632 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

PSYCHANALYSE ET CRIMINOLOGIE
Deux conférences par P. Mâle.
Il est recommandé aux étudiants de s'inscrire auprès du secrétariat aux
séminaires de leur choix.
ENTRETIENS BIBLIOGRAPHIQUES
Sous la direction de M. Bénassy (le vendredi matin de 11 h à 12 h). Thèmes
psychanalytiques généraux envisagés du point de vue bibliographique.
RECHERCHES BIBLIOGRAPHIQUES
Le Dr Bénassy sera le vendredi matin de 11 h à 12 h à l'Institut. Il sera à la
disposition des étudiants pour les aider dans leurs recherches bibliographiques
personnelles.
IV
BIBLIOTHÈQUE
Direction scientifique : Dr M. Bénassy.
Responsable de la Bibliothèque : Thérèse Der Terrossian.
RÈGLEMENT DE LA BIBLIOTHÈQUE
L'usage de la Bibliothèque est réservé aux membres et aux personnes
inscrites aux activités de l'Institut de Psychanalyse ayant régulièrement acquitté
les droits correspondant à leurs activités, et versé un cautionnement de 50 F.

Heures d'ouverture de la Bibliothèque


Tous les jours de 9 h à 13 h, de 14 h à 18 h ; mercredisoir : 20 h 30 à 21 h 30.
Sauf le mardi : le travail de fiches exige un jour complet de fermeture.
Service de demande de prêt. — Aux heures d'ouverture de la Bibliothèque.
(Il peut être difficile de sortir certains ouvrages lorsque la salle de conférence
est occupée.)
— par correspondance, on peut également demander les ouvrages en indiquant
leurs titres et le nom de leurs auteurs ;
— pour les revues, en indiquant titre, année, tome, page ou fascicule
(noter
de préférence l'auteur et le titre de l'article : possibilité de tiré à part) ;
— les documents préparés sont disponibles aux heures d'ouverture.
Retour des livres. — Aux heures d'ouverture de la Bibliothèque. Il est
rappelé que tout livre remis à une personne n'appartenant pas au service
Bibliothèque n'est pas considéré comme rentré.
Lecture sur place. — Une collection de la Revue française de Psychanalyse,
The international Journal of Psychoanalysis, The psychoanalytic quarterly, et
les ouvrages de référence sont toujours à la disposition des lecteurs à la Biblio-
thèque.
Certains volumes rares dont le renouvellement est difficile ou impossible
ne pourront être consultés que sur place.
— les fiches de demandes de prêt doiventdate) être complètement remplies par
l'emprunteur (volume, cote, signature, ;
— il est à noter que le volume ou document n'est confié à l'emprunteur qu'en
échange d'une fiche signée.
INFORMATIONS 633

Prêt à domicile. — Le prêt non limité dans sa durée ne dépassera pas deux
volumes ou périodiques. Les 15 premiers jours sont gratuits, le renouvellement
peut être effectué pour 15 autres jours, si le volume n'est pas demandé par
d'autres lecteurs, et s'il n'est pas nécessaire au travail des bibliothécaires.
— à partir de la date d'expiration du renouvellement, il sera facturé 3 F par
ouvrage et par semaine ;
— Les volumes ou revues empruntés à des fins d'analyse destinée à la Revue
française de Psychanalyse, ne sont pas soumis à ce régime.
La bibliothèque peut se charger de certains travaux bibliographiques.
Les fiches de référence seront confiées au lecteur auquel sera demandé un droit
de participation aux frais. Il devra les retourner à la Bibliothèque après utili-
sation afin de faciliter la constitution de fichiers de référence à l'usage de tous.

RÉUNIONS D'INFORMATION (1)


(destinées aux personnes qui désirent s'informer sur la psychanalyse)
Mme Ilse Barande dirigera une série de réunions d'introduction à l'histoire
de la Psychanalyse (ces réunions auront lieu le troisième jeudi du mois à
21 h 30. Première réunion : jeudi 15 octobre 1964).
Les participants pourront, en outre, assister à certaines consultations
assurées dans les hôpitaux, dispensaires, etc., par des membres de l'Institut
sous réserve de l'acceptation des chefs de service. (Renseignements au Secré-
tariat de l'Institut.)

NOTE DE LA REDACTION
A la p. 483 du t. XXVII, Nos 4-5, 1963, de la Revue française de Psychanalyse,
la note (1) est incomplète : nous rappelons que les textes préparés pour le Congrès
d'Edimbourg par le Dr Greenacre et par le Dr Winnicott avaient également fait
l'objet d'une pré-publication dans notre Revue, t. XXV, 1961, n° 1, pp. 7-53.

COMMUNIQUÉS
Une séance de communications a été tenue le 17 avril 1964 au Département
d'Art psychopathologique de la Clinique des Maladies mentales et de l'Encé-
phale (Pr Jean DELAY), ainsi qu'une séance de création de la Société française
de Psychopathologie de l'Expression dont le bureau, nettement distinct de
celui de la Société internationale, fut ainsi constitué :
Présidents d'honneur Pr DELAY et Dr VINCHON
Président Pr DUCHÉ
Vices-présidents Drs AUBIN et FERDIÈRE
Secrétaire général Dr WlART
Trésorier Dr HENNÉ
Pour tous renseignements, s'adresser au secrétaire général : Dr WlART,
Clinique des Maladies mentales et de l'Encéphale, 1, rue Cabanis, Paris (14e).

(1) Pour les conditions d'admission, s'adresser au secrétariat.


634 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 4-1964

Le prochain Congrès international du Film médical se tiendra à Paris, au


Palais de la Mutualité, du 22 au 26 mars 1965. Les thèmes des films présentés
au cours de cette manifestation doivent être psychiatriques, neuropsychia-
triques, psychopathologiques ou psychosomatiques.

Le VIe Congrès du Rorschach et des Méthodes projectives aura lieu à Paris,


du 22 au 26 juillet 1965, sous la présidence d'honneur du Pr DELAY (Paris)
et HEISS (Fribourg), et sous la présidence effective du Pr Pierre PlCHOT.
Inscriptions et demandes de renseignements au secrétariat de la Société
française du Rorschach et des Méthodes projectives, 41, rue Gay-Lussac,
Paris (5e).

CONGRÈS DES PSYCHANALYSTES DE LANGUES ROMANES

Le XXVIe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes aura lieu à


la .Toussaint 1965 à Paris, sous les auspices de la Société psychanalytique de
Paris et sous la présidence de F. PASCHE, avec le concours des Sociétés de
Psychanalyse belge, canadienne, colombienne, italienne, luso-espagnole, suisse
et la collaboration des sociétés latino-américaines. Le XXVIe Congrès est
organisé par la Société psychanalytique de Paris.

CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHANALYSE

L'Association psychanalytique internationale annonce que le XXIVe Congrès


international de Psychanalyse aura lieu à Amsterdam, du 25 au 30 juillet
(inclus) 1965, sous les auspices de la Société hollandaise de Psychanalyse.
Le comité du programme a décidé de mettre en valeur la technique psycha-
nalytique en portant l'attention, en particulier, sur les problèmes techniques
dans la psychanalyse de la névrose obsessionnelle.

NÉCROLOGIE

Nous apprenons avec regret le décès survenu le 8 mars 1964, du Dr Franz


ALEXANDER, membre de l'American Psychoanalytic Association.

La Société suisse de Psychanalyse a le chagrin de nous faire part du décès


survenu le 7 juillet 1964 de l'un de ses membres, Mme Marguerite SÉCHEHAYE.
La Société psychanalytique de Paris présente ses condoléances à la famille
de Mme Séchehaye et à la Société suisse de Psychanalyse.
INFORMATIONS 635

La Société psychanalytique de Paris a le regret de faire part du décès de


Mme le Dr LAURENT-LUCAS-CHAMPIONNIERE,ancienne Présidente et Membre
d'Honneur de la Société, survenu le 23 octobre 1964.
Un « In Memoriam » lui sera consacré dans le prochain numéro.

Le gérant : Maurice BÉNASSY.


1964. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)
ÉDIT. N° 27 970 Dépôt légal : 4-1964 IMP. N° 18 647
IMPRIMÉ EN FRANCE
Odette LAURENT-LUCAS-CHAMPIONNIÈRE
IN MEMORIAM

Odette Laurent-Lucas-Championnière

Notre ancienne présidente, Odette Laurent-Lucas-Championnière, est


morte le 21 octobre dernier, dans sa maison de campagne, en Loir-et-Cher,
où elle avait pris sa retraite depuis quelques années. Ayant depuis longtemps
cessé de fréquenter nos réunions, ayant, du reste, fort peu publié, elle ne
saurait représenter aujourd'hui pour nos jeunes collègues qu'un nom, pres-
que effacé de leur mémoire, tout au plus un souvenir extrêmement pâle !
Mais ceux qui l'ont intimement connue, comme ceux qui l'ont, naguère,
régulièrement rencontrée aussi bien aux séances de l'Évolution Psychiatrique
qu'à celles de la Société Psychanalytique de Paris, entre les deux guerres, puis
encore quelque peu dans les années ayant suivi de près la dernière guerre,
garderont de sa personne et de son esprit un souvenir impérissable. L'influence
d'une personne ne se mesure pas seulement, on ne le sait que trop, à la seule
masse — ou au seul volume, car il est des travaux à la fois volumineux et
légers — des écrits qu'on laisse, derrière soi, en mourant. Il est des communi-
cations infra-verbales, lesquelles sont susceptibles de se faire d'individu à
individu et d'individu au groupe, qui quelquefois récèlent en elles des vertus
« catalytiques » extraordinaires. Odette Maugé (c'est sous ce nom, son nom
de jeune fille, qu'elle commença ses études de médecine, alors que la guerre
de 14-18 venait de s'allumer) irradiait autour d'elle en souriant, avec prodi-
galité : force, jeunesse qui semblait jamais ne devoir cesser, bonté, compréhen-
sion, et lançait, sans trêve également, sans jamais lasser ni se lasser, les mille
flèches étincelantes de son esprit. Pour ceux dont la jeunesse a été contempo-
raine de la sienne, il est difficile d'évoquer sans émotion son charme et son
intelligence acérée.
Elle avait épousé avant de terminer, un peu tardivement, ses études, notre
regretté collègue Henri Codet. Celui-ci, nommé membre fondateur, en quelque
sorte honoris causa, de la SociétéPsychanalytique de Paris, l'avait tout naturelle-
ment entraînée dans son sillage. Par la force des choses et aussi en vertu de ses
dons incontestables comme de sa bonté profonde, elle-même était vite devenue
membre titulaire de ladite société. A ce titre, sans compter une amitié per-
sonnelle, elle fut une des premières psychanalystes (nous pourrions, sans crainte
de nous tromper, dire un des premiers !) à travailler dans un service de l'Assis-
tance publique. Elle s'occupa, aux côtés d'Edouard Pichon, lui-même à la fois
médecin des hôpitaux et membre fondateur de notre Société, de psychothérapie
d'enfants, et c'est là qu'elle écrivit quelques bonnes études sur l'énurésie et
sur l'approche psychothérapeutique de l'enfant, compte tenu de la nouveauté
REV. FR. PSYCHANAL. 41
638 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

que représentait alors la psychiatrie infantile, laquelle, à la faveur des rencontres


tenues entre psychiatres, analystes et non-analystes à l'intérieur du Groupe de
l'Évolution Psychiatrique, allait connaître par la suite l'immense succès que
chacun sait.
Les psychanalystes et les psychiatres, les amis de toute espèce présents à
Paris à la fin de l'année 1939, se retrouvèrent à Pontoise, lors des obsèques
de Henri Codet, prématurément décédé d'un stupide accident d'automobile,
et ceux qui peuvent encore, aujourd'hui, s'ils sont vivants, se souvenir, reverront
alors avec les yeux de l'esprit Mme Marie Bonaparte faisant l'éloge funèbre
de Henri Codet et se souviendront du courage avec lequel son épouse supporta
cette dure épreuve. Ce courage ne devait jamais l'abandonner. Ni, bien des
années après, quand remariée avec le sympathique architecte Laurent-Lucas-
Championnière, elle dut, à nouveau, affronter les rites et les condoléances d'un
nouveau deuil, ni durant les vingt dernières années de son existence, quand,
aux prises avec une pénible maladie artérielle, elle dissimulait, toujours en
souriant, les marques extérieures des souffrances, que par crises, elle endurait.
On sait qu'elle fut, environ l'année 1959, élue Présidente de la Société
Psychanalytique de Paris. Cet important hommage n'était pas seulement
destiné à figurer une quelconque et tardive « consolation ». Il honorait autant
ceux qui le lui décernèrent que notre collègue elle-même. A travers elle, certes,
c'était la génération « héroïque » de la psychanalyse française qui se trouvait
ainsi mise, une fois de plus, à la place qui lui était due. Mais c'étaient aussi les
qualités profondément humaines d'Odette Maugé qui lui avaient valu cette
ultime consécration. Mais déjà, sa santé devenue encore plus précaire, l'obli-
geait enfin à prendre une retraite complète. Nous cessâmes de la voir à nos
réunions. Le bel appartement de la rue de l'Odéon, Heu désormais historique
de la fondation et des premières réunions de Groupe de l'Évolution Psychia-
trique, où Odette Maugé avait si longtemps vécu et reçu, à son tour changeait
de propriétaire. Puis ce fut le grand silence et l'attente de la grande paix.
Nous ne saurions mieux terminer cette brève notice qu'en citant quelques
phrases d'une très belle lettre que nous avons reçue, le 25 octobre, quatre
jours après sa mort, de son médecin et fidèle ami, le Dr Robert Gamard,
de Montoire-sur-le-Loir. Voici l'essentiel de cette lettre :
« Notre charmante amie Odette Maugé est morte subitement dans son
fauteuil, vendredi dernier. (...) Elle avait gardé son esprit vif et fin, ses beaux
yeux, son charme. Elle a vécu ses dernières années un peu solitaire et mélan-
colique, dans une maison ensoleillée, entourée de fleurs et de ses chats familiers.
Avec elle, c'est une belle période de notre jeunesse qui se termine : elle en a
été si souvent l'éclat. Mais elle ne mourra tout à fait que lorsque nous l'aurons
suivie. »
René R. HELD.
MÉMOIRES ORIGINAUX

Notes sur le Surmoi( 1)

par HEINZ HARTMANN et RUDOLPH LOEWENSTEIN

On a dit qu'il existe deux courants dans la psychanalyse actuelle,


l'un qui tend à sous-estimer le rôle du Surmoi par rapport à celui du
Moi, l'autre pour lequel il s'agit du contraire. Nous pensons que cette
opinion comporte une certaine vérité, mais qu'elle demande à être
examinée de plus près. Tout d'abord, nous ne commettrons pas l'erreur
de conclure qu'une étude isolée, faite dans des buts déterminés de
l'une ou l'autre partie du domaine psychanalytique, signifie que l'on
néglige ou sous-estime les autres. Aujourd'hui, plus encore que par le
passé, un certain degré de spécialisation est non seulement légitime,
mais s'est avéré très fécond, en analyse tout comme dans d'autres
sciences. Nous pouvons aussi rappeler ici que Freud estima nécessaire
de s'opposer de façon répétée à la conception erronée que sa concen-
tration sur certains aspects de la vie mentale signifiait qu'il négligeait
ou sous-estimait l'importance d'autres aspects qu'il n'avait pas encore,
ou pas encore aussi attentivement, étudiés. Cependant, nous attendons
de toute étude spécialisée, qu'elle concerne le Moi, le Ça, le Surmoi
ou tout autre sujet partiel, qu'elle soit replacée dans le cadre des données
et des théories de la psychologie psychanalytique dans son ensemble.
Arrivés à ce point, nous nous proposons de n'approfondir cette question
méthodologique que dans la mesure où elle est en rapport étroit avec les
thèmes débattus dans cet article.
Les théories qui placent la formation du Surmoi à un stade plus
précoce que ne le fait Freud — et beaucoup d'autres — ont tendance,
en contraste avec ce que nous venons de dire, à négliger les observations
et les hypothèses de la psychologie du Moi, que nous considérons
comme valables. Certaines de ces constructions semblent même plus
discutables aujourd'hui que par le passé, depuis que se sont dégagées
des connaissances plus différenciées du développement et des fonctions
du Moi. D'une manière générale, il nous paraît incompatible avec ce
que nous savons aujourd'hui du développement du Moi, d'attribuer

(1) Texte lu au XXIIe Congrès international de Psychanalyse, Edimbourg, 2 août 1961.


Nous désirons faire savoir que ce travail fut d'abord esquissé alors que nous profitions encore
de la participation de Ernst Kris.
Traduit par J. Massoubre.
640 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

au Surmoi — comme on l'a fait ici et là dans la littérature psychana-


lytique — dès le développement le plus précoce de l'enfant, tout ce
qui s'oppose de l'intérieur à ses pulsions instinctuelles. Ces opinions
n'expliquent pas les tendances et les propriétés défensives du Moi
lui-même, ou le rôle que joue la réalité dans leur développement. Vous
vous souvenez de ce que dit Freud à propos du risque que nous courons
de surestimer le rôle du Surmoi dans le refoulement. Et naturellement
nous songerons également ici aux découvertes d'A. Freud (1936)
sur l'hostilité primaire du Moi vis-à-vis des pulsions ; nous penserons
en outre au fait que beaucoup d'appareils innés qui servent le Moi ont
en réalité un caractère inhibant (Hartmann, 1952). La description des
rôles relatifs du Moi et du Surmoi, dans le développement de l'enfant,
est aussi aisément faussée — et dans la même direction — si en extra-
polant notre expérience analytique aux stades de développement les
plus précoces, on omet de considérer les processus de maturation
et d'apprentissage.
Nous ne voulons pas suggérer que ces phénomènes ou processus
que certains ont décrits comme des formes précoces du Surmoi, sont
en réalité sans aucune relation avec lui. Tout à fait à part du fait qu'il
y a souvent une analogie de fonction (quelquefois, il est vrai, assez
vague et superficielle), il y a aussi fréquemment une connexion géné-
tique vraie entre ces phénomènes primitifs et le Surmoi. Néanmoins,
nous proposons de distinguer nettement de tels déterminants génétiques
du système du Surmoi. Il semble préférable de réserver le terme de
Surmoi, comme le faisait Freud, à cette étape importante de la struc-
turation qui est liée à la résolution des conflits de la phase oedipienne.
Tandis que cela donne au Surmoi sa place dans la continuité du déve-
loppement, sa définition repose sur ses fonctions (c'est-à-dire conscience,
auto-critique, idéaux à atteindre). Une telle définition des substructures
de la personnalité en termes de leurs fonctions correspond à une
tendance dominante de la dernière façon de penser de Freud, qui
semble être la manière la plus adéquate de rendre compte de certains
problèmes essentiels d'une psychologie structurale. On a bien des fois '

répété (Hartmann, 1955, et ailleurs), que l'absence d'une distinction


claire entre fonction et genèse tend à créer de la confusion, et pas seule-
ment dans le chapitre spécial d'analyse dont nous discutons ici. Le
concept d'autonomie secondaire de la psychologie du Moi résulte en
droite ligne de l'accentuation de la différence entre les approches
fonctionnelle et génétique, et nous verrons qu'un concept analogue
se présente également en ce qui concerne le Surmoi.
NOTES SUR LE SURMOI 641

Freud parlait parfois du Surmoi comme d'un degré différencié


« à l'intérieur du Moi ». Nous considérons le Surmoi, ainsi qu'on le
fait communément, comme un système indépendant. Le terme occa-
sionnel de Freud, Stufe in Ich pourrait s'être rapporté aux connexions
génétiques entre le Moi et le Surmoi. Mais nous ne discuterons pas
les implications possibles de cette phrase. Quelles qu'elles puissent
être, nous désirons signifier clairement ici que Freud n'a certainement
jamais eu tendance à négliger ou minimiser les connexions génétiques
qui relient le Surmoi au Ça.
Nous pouvons aussi mentionner ici que nous considérons le Surmoi,
ainsi que le faisait Freud, comme un système de personnalité, malgré
ses aspects variés. Nous ne voudrions pas, comme on l'a parfois suggéré,
considérer l'Idéal du Moi comme un système séparé — séparé d'un
autre système qui comprendrait d'autres fonctions du Surmoi comme
par exemple la conscience. Comme on le verra plus loin, les connexions
entre l'Idéal du Moi et les aspects prohibiteurs du Surmoi sont si
proches qu'il faut considérer les deux comme des aspects d'un seul
et même système.
On a souvent appelé les déterminants génétiques du Surmoi ses
précurseurs ou pré-stades. Il n'y a rien à dire contre l'une ou l'autre
de ces distinctions terminologiques, aussi longtemps qu'elles tiennent
compte des différences entre fonction et genèse dont nous venons de
parler, et aussi qu'elles considèrent les facteurs uniquement comme
des déterminants génétiques et non comme des parties du système du
Surmoi. Il semble particulièrement nécessaire de faire ces distinctions
dans les cas mentionnés plus haut, là où les déterminants semblent
être, d'une façon ou d'une autre, « similaires » à ce que nous reconnais-
sons comme fonction du Moi. Il est très probable qu'un lien génétique
mène de ce que Ferenczi appelait la « moralité sphinctérienne » au
Surmoi ultérieur ; mais le terme « moralité » est erroné dans ce contexte
car il néglige la différence que nous avons à l'esprit. Une question
semblable est familière à l'histoire de la biologie : on a longtemps
pensé que la forme adulte de l'organisme est préformée dès ses tout
premiers débuts. Cette notion s'est maintenue longtemps avant que
celle de l'épigenèse, qui lui est opposée, ait été généralement acceptée.
En psychanalyse, nous nous trouvons placés devant un problème
quelque peu semblable à celui-là. (Pour son rôle dans le travail
d'Erikson (1950 a, 1950 b), voir par exemple Rapaport, 1958 ; voir
aussi Bibring, 1947.)
642 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

II
Pendant quelque temps, on a partiellement su, et partiellement
soupçonné, que la situation oedipienne aussi bien que le développement
pré-oedipien, la phase phallique aussi bien que les phases préphalliques,
et également la maturation et le développement du Moi influencent
la formation du Surmoi. Dans sa présentation classique de ce sujet,
Freud met l'accent sur les causes immédiates et décisives : la situation
oedipienne, la crainte de castration, et ces identifications-clés qui
forment le noyau du Surmoi. Ses déclarations essentielles sur le rôle
de ces facteurs sont aussi valables aujourd'hui qu'au temps où il les
formula (1). Plus tard, se sont ajoutées des connaissances plus étendues
et à certains égards, plus spécifiques, des déterminants plus précoces,
grâce à l'observation directe, et grâce à la reconstruction analytique.
Nous pensons cependant que ces connaissances additionnelles ne
contredisent en aucune façon les thèses fondamentales de Freud.
Nous considérons certains résultats des recherches ultérieures comme
bien établis, tandis que pour certains autres, demeure une interrogation.
Nous avons parlé du fait que l'on peut trouver les conditions
générales préalables, ou les déterminants psychiques précoces plus
spécifiques, de la formation d'un Surmoi, dans les relations d'objet
ou dans le développement du Moi et des pulsions instinctuelles. Dans
ce contexte, nous pourrions mentionner brièvement un autre point
(sur lequel nous nous proposons de ne pas revenir) : on pourrait se
demander si l'on peut ou non parler de traits héréditaires du Surmoi
— comme nous le faisons dans les cas du Moi et du Ça. Les biologistes
savent que les caractéristiques héréditaires peuvent faire leur apparition
non pas à la naissance mais souvent bien plus tard. Il est en outre
exact que la maturation peut se poursuivre indépendamment de
l'influence de la fonction propre (Weiss, 1949). Mais nous désirons dire
que, à notre avis, les connaissances actuelles ne fournissent aucune
raison valable de parler d'hérédité dans le cas du Surmoi. Ce que
l'on pourrait être tenté d'expliquer comme dû à l'hérédité, peut aussi
être ramené à la tradition, aux processus d'identification et aux carac-
téristiques héritées du Moi et des pulsions. A propos du premier
groupe de ces phénomènes, certains auteurs parlent d' « hérédité
sociale » mais ce concept peut aisément être mal interprété. Nous
pensons en outre qu'il est judicieux de ne pas employer le terme de

(1) Pour l'aspect historique, voir aussi les notes de J. STRACHEY, Le Moi et le Ça (1923).
NOTES SUR LE SURMOI 643

maturation à propos du Surmoi, quoiqu'il s'applique correctement à


certains déterminants précoces du Surmoi qui appartiennent en partie
au Moi et en partie aux pulsions.
Il ne fait pas de doute que le développement ultérieur du Surmoi
est influencé par les moyens dont se sert le Moi de l'enfant en dévelop-
pement au cours des premières années de la vie, pour lutter contre
les dangers du monde extérieur et ceux qui viennent du côté des pulsions
instinctuelles. L'histoire individuelle des réactions de l'enfant à la
plus précoce séquence de conditions d'angoisse typique laisse une
empreinte sur l'angoisse de castration et est significative pour la for-
mation individuelle du Surmoi. Et naturellement, le choix des méca-
nismes de défense ainsi que leurs synergismes sont également pertinents
à cet égard. Il faut même prendre en considération ces appareils plus
précoces du Moi qui sont de nature à être les avant-coureurs de défenses
plus tardives. Parmi les défenses, Jacobson (1954) insiste particuliè-
rement, et probablement avec raison, sur le rôle de la formation
réactionnelle comme déterminant du Surmoi. En fait, Freud parlait
de l'Idéal du Moi comme « en partie, d'une formation réactionnelle
contre les processus instinctuels du Ça » (1923). D'autres mécanismes
de défense tels que l'identification, la projection, la dénégation, etc.,
jouent un rôle dans la formation du système du Surmoi. Nous consi-
dérons en outre comme probable que, parmi les déterminants fournis
par le Moi, ses conflits précoces intrasystémiques sont également
importants. La disposition à des conflits internes dans le Moi peut
bien être un des facteurs qui préparent les conflits ultérieurs entre le
Moi et le Surmoi.
D'une manière générale, le degré de maturité que le Moi de l'enfant
a atteint au moment où son Surmoi se forme, semble être important.
Plus spécifiquement, il faut prendre en considération par exemple le
niveau de développement intellectuel (Hartmann, Kris et Loewen-
stein, 1946) et le développement du langage. Il n'est guère nécessaire
de rappeler les relations que Freud suggérait (1923) entre la sphère
auditive et le Surmoi (voir aussi Isakower, 1939). La capacité d'auto-
observation (nous la considérons comme une fonction du Moi et nous
aurons à en parler davantage plus loin), la faculté d'une partie du
Moi de faire des phénomènes mentaux des objets de sa perception,
est une autre précondition du développement du Surmoi. Un autre
facteur essentiel est le degré d'objectivation atteint dans la perception
interne et externe, et dans la pensée. Et, pas vraiment totalement
indépendante des déterminants que nous venons de mentionner, nous
644 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

devons considérer la capacité de sublimation ou, plus généralement,


de neutralisation, en partie en relation avec l'identification, et en partie
indépendante d'elle. Nous disons ceci sans vouloir impliquer que
l'énergie ordinairement employée par le Surmoi est neutralisée au
même degré que l'est par exemple l'énergie qui alimente les processus
intellectuels. D'ailleurs, différents aspects du Surmoi (disons, l'Idéal
du Moi d'une part, la conscience de l'autre) ne fonctionnent pas néces-
sairement avec le même degré de neutralisation. Finalement, nous
désirons au moins mentionner la possibilité que les investissements
des contenus du Surmoi peuvent différer à cet égard de ceux des fonc-
tions du Surmoi.
Une telle énumération quelque peu monotone des dispositions
et des activités du Moi qui ont réellement une influence ou qui pour-
raient influencer la formation du Surmoi est nécessairement peu
satisfaisante sous plus d'un rapport. Nous savons très bien que chacun
des points mentionnés ici appellerait une étude spéciale. Dans un
souci de présentation, nous avons isolé ce qui ne peut être parfaitement
compris que dans le contexte des relations d'objet de l'enfant, du
développement de son corps, et de la perception qu'il en a. Nous
notons aussi que certains des déterminants cités font partie des pré-
conditions assez générales, tandis que d'autres montrent une relation
plus spécifique avec les caractères spécifiques du Surmoi. Il apparaît
d'ailleurs que certains d'entre eux semblent se rapporter davantage
à l'évolution d'un aspect du Surmoi, l'Idéal du Moi, tandis que d'autres
semblent déterminer en premier lieu un autre aspect (autocritique
ou conscience).
Quelques-unes des hypothèses que nous avons mentionnées peuvent
suggérer l'hypothèse que le degré d'autonomie réalisé par le Moi
au moment de la phase phallique est également un facteur important
pour le système du Surmoi. Et en plus, nous pouvons nous demander
si l'autonomie du Moi est, plus spécifiquement, un des déterminants
de l'indépendance ou autonomie du Surmoi. Ceci est sans aucun doute
une question hautement complexe, à laquelle nous ne sommes pas
prêts à répondre. Mais il ne nous paraît pas invraisemblable que cette
hypothèse puisse jeter quelque lumière sur un problème qui a toujours
été controversé en psychanalyse, c'est-à-dire les caractéristiques parti-
culières du Surmoi féminin (Sachs, 1928 ; Jacobson, 1937 ; Greenacre,
1948). Quelques-uns des caractères qui lui ont été souvent attribués
pourraient être plus aisément compris si nous gardions à l'esprit le
fait non seulement que son origine est moins soudaine que chez le
NOTES SUR LE SURMOI 645

garçon et que sa formation s'étend sur une plus longue période, mais
aussi que chez la fille l'Idéal du Moi tend à s'établir plus tôt, c'est-à-dire
à un moment où l'intégration et l'objectivation, ainsi que leur fonction-
nement autonome, sont moins développés, comparativement parlant
(discussion de Hartmann sur la communication de Greenacre, 1948).
Le rôle que jouent les identifications dans la structure du Surmoi
constitue une partie essentielle des conceptions cliniques et théoriques
de Freud ; les psychanalystes l'acceptent généralement. Plus incer-
taines sont nos connaissances sur l'extension et la façon dont les
identifications plus précoces du Moi déterminent la formation du
Surmoi. A. Reich (1954) a étudié ce problème dans un article judicieux
et ses idées sont à beaucoup d'égards proches de notre propre façon
de penser. Plus récemment, Beres (1958), Spitz (1958), Sandler (1960)
et Ritvo et Solnit (1960) ont abordé divers aspects de ce problème — les
derniers auteurs cités, en utilisant des observations d'une étude longi-
tudinale. Chacune de ces études contient certaines découvertes et idées
que nous estimons importantes. Mais nous ne pouvons faire plus dans
cet article que d'étudier quelques aspects sélectionnés des problèmes
intrigants du Surmoi dans lesquels semblent converger de si nombreuses
questions de théorie et de formation de concept.
III
Avant de poursuivre cette discussion, il nous semble que nous
devrions dire au moins quelques mots sur certains termes analytiques
communément employés dans ce contexte : internalisation, identi-
fication, incorporation et introjection. Tandis que tous ces concepts
sont quelquefois employés de manière interchangeable dans notre
littérature, certains des auteurs cités plus haut en ont suggéré un
emploi différencié. Nous devrions parler à'internalisation lorsque des
régulations internes remplacent des régulations qui ont eu lieu en
interaction avec le monde extérieur (Hartmann, 1939). Un exemple
de ce dont nous parlons se trouve dans le développement au cours
duquel les activités d'essai dans le monde extérieur sont graduellement
remplacées par des processus de pensée. Dans ce cas comme dans la
plupart des cas de cette sorte, on voit facilement la différence entre
ce processus et, disons, l'identification. Mais nous admettons qu'il
y a aussi des exemples pour lesquels il est moins aisé de faire le partage.
Les analystes ne donnent pas tous exactement la même signifi-
cation au terme identification ; et nous avons déjà constaté qu'il y
a certainement différentes sortes d'identification. On discute diverses
646 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

questions, telles celles relatives à sa métapsychologie. Mais nous


sommes tous d'accord pour reconnaître que le résultat de l'identifi-
cation est que la personne qui s'identifie se comporte de quelque
manière comme la personne avec laquelle elle s'est identifiée. La res-
semblance peut se rapporter au caractère, aux traits, aux attitudes
de l'objet, ou au rôle que joue l'objet dans la réalité (ou au rôle qu'il
joue dans la réalité selon le fantasme de la personne qui fait l'identi-
fication) : cela peut signifier « prendre la place » de l'autre personne.
Freud (1921) la décrit aussi comme « se mouler soi-même » d'après la
façon de l'objet pris comme modèle. Nous employons le terme à la
fois pour le processus et pour le résultat. Freud décrit habituellement
l'identification comme se situant dans le Moi ; mais il y a naturellement
aussi les identifications qu'il a décrites comme formant le Surmoi.
Il y a également des degrés différents : ce qui a été une partie de la
représentation d'un objet devient, par le processus de l'identification,
une partie de la représentation de soi-même.
Par incorporation, nous entendons une activité instinctuelle, qui
appartient en premier lieu à la phase orale. Elle est considérée comme
un précurseur génétique de l'identification ; et cette dernière se forme
sur son modèle. Cliniquement, nous trouvons souvent des fantasmes
d'incorporation liés à l'identification. Et les processus réels d'identi-
fication peuvent, par une sorte d'appel à leurs précurseurs génétiques,
réactiver de tels fantasmes. Malgré leur parenté génétique, il ne convient
pas d'utiliser le terme incorporation comme un synonyme d'identi-
fication car celle-ci n'est, sans aucun doute, pas une simple activité
instinctuelle.
Quand Freud se mit à employer le terme introjection, il l'attribua
à Ferenczi et à l'occasion, il le mettait entre guillemets. Mais le mot
fut bientôt utilisé couramment par lui et les autres analystes. On peut
se demander si la signification donnée habituellement au concept
aujourd'hui coïncide exactement avec celle de Ferenczi, mais nous
n'avons pas l'intention de débattre cette question historique dans le
cadre de cet article. Actuellement, on trouve le mot introjection utilisé
comme synonyme d'identification, parfois d'incorporation et même
d'internalisation. Certains insistent sur le caractère défensif de Fin-
trojection ; c'est-à-dire qu'ils relient plus étroitement ce caractère à
l'introjection qu'aux autres concepts dont nous parlons. D'autres
appellent introjection le processus par lequel se construisent les identi-
fications. De plus, on rencontre l'opinion suivant laquelle l'introjection
représente une régression au stade oral, bien que l'on en ait dit autant
NOTES SUR LE SURMOI 647

à propos de l'identification. Nous venons de parler de l'appel aux


précurseurs instinctuels génétiques que peut entraîner l'identification.
Mais ceci ne signifie pas que l'identification ou l'introjection est une
régression. Le point à partir duquel l'identification peut conduire à
la régression dépend, comme c'est le cas pour d'autres fonctions du
Moi, du degré d'autonomie du Moi.
Nous écartant légèrement de notre sujet, nous voudrions répéter
ce que nous avons déjà dit ailleurs (Hartmann, 1939) : nous ne pensons
pas qu'il soit justifié de décrire la perception comme une introjection
ou une identification (ni, quant à ce sujet, comme une projection),
bien qu'il soit vrai que, particulièrement dans les premiers stades du
développement, la perception tende à conduire à une imitation identi-
ficatrice (voir, sur ce dernier point, Fenichel, 1945). Ce qui, dans la
perception, semble comparable à l'introjection ou à la projection,
est en fait, non pas son caractère psychologique, mais le processus
physiologique qui lui est lié. Le développement de la représentation
de l'objet, et d'images des objets, crée certainement une représentation
« intérieure » du monde extérieur mais là encore, nous hésiterions à
parler d'identification ou d'introjection. Il serait plus approprié d'attri-
buer ce processus à l'intériorisation, bien que ceci non plus ne nous
paraisse pas très satisfaisant et nous laisserons là ce problème très
complexe. Mais nous désirons insister ici sur le fait qu'il faut manifes-
tement décrire les représentations d'objet, en une terminologie commune
comme des parties du « monde intérieur » (1). Toutefois, et ceci est
également évident, on ne peut pas dire, comme on le fait quelquefois
implicitement dans les débats à ce sujet, que ce caractère des représen-
tations de l'objet, de faire partie du monde intérieur, les rende identiques
aux représentations de soi-même ; ou que ce caractère résulte de quelque
chose qui peut être ramené à l'introjection ou à l'identification. Ceci,
nous semble-t-il, brouillerait ces derniers concepts et entraînerait la
confusion. Il est à peine nécessaire de souligner que cette distinction
n'implique pas que les parties du monde intérieur que nous appe-
lons représentations de l'objet n'influencent pas nos identifications
et nos relations aux objets réels. Un article récent et important de
Sandler (1960) étudie de façon très complète ces questions et d'autres
qui s'y relient.
Il n'est pas aisé de résoudre les aspects terminologiques de ces

Nous employons ce concept (Hartmann, 1939) dans un sens plus large que ne le fait
(1)
FREUD dans son Esquisse (1938).
648 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

problèmes — ou de façon plus précise, la question de l'opportunité


de ces termes. Dans certains cas, il nous faudrait connaître mieux
les processus psychologiques en question avant de pouvoir résoudre
de façon plus définitive ces questions de convenance de termes. Aussi
certaines des suggestions que nous faisons ici doivent être considérées
comme tentatives. Les incertitudes de définition semblent être parti-
culièrement marquées dans le cas de l'introjection. Comme nous
l'avons dit, le terme est souvent utilisé comme un synonyme d'identi-
fication, ou comme un processus à travers lequel s'effectue l'identifi-
cation, de sorte qu'on pourrait arriver à se demander si l'introduction
de ce concept est nécessaire. Mais il y a d'évidentes raisons, probable-
ment bonnes, qui expliquent l'emploi persévérant de ce terme ; l'une
de ces raisons étant la possibilité de faire dériver du mot introjection
les termes « introjecté » et « introject » — on parle d'objets introjectés,
de « restrictions introjectées », etc. Il n'y a aucun mot dérivé du mot
identification qui convienne aussi bien pour désigner ce qui, dans le
processus, ou en conséquence du processus, est « pris dedans » et plus
ou moins intégré. Une raison plus importante est que pour beaucoup,
la distinction entre identification et introjection a fini par se référer
aux différences de degré dans l'accomplissement de cette « prise en
dedans », de cette intégration. On devrait aussi considérer la relation
entre le degré d'intégration et le degré auquel la représentation de soi
s'est substituée à la représentation de l'objet. Ces deux facteurs varient
en partie indépendamment. Nous voudrions en outre ajouter que
Sandler, dans l'article mentionné, considère comme caractère spécifique
de l'introject le fait qu'il peut se substituer à l'objet réel comme source
de gratification narcissique. Ce que nous disons ici n'exclut pas les
différences réelles des deux termes dans l'usage analytique (voir aussi
Knight, 1940 ; Axelrad et Maury, 1951).
IV
Il est vrai que déjà au début du développement du Moi on trouve
certaines identifications qui ne sont pas pleinement intégrées au Moi
(A. Reich, 1954) et qui peuvent rappeler celles du Surmoi qui « se
tiennent à part ». Mais nous avons déjà dit que nous préférons considérer
celles-là comme des déterminants génétiques, sans les classer comme
des « formes précoces » du Surmoi. De toute façon, le rôle que de
telles identifications précoces du Moi jouent dans la vie mentale de
l'enfant de un ou deux ans diffère sensiblement de celui que sont
appelées à jouer les identifications plus tardives qui deviennent une
NOTES SUR LE SURMOI 649

partie du Surmoi — dans leur interaction avec les traits de la phase


phallique et le passage du complexe d'OEdipe. C'est-à-dire que le rôle
de l'identification dépend, au moins partiellement, du niveau de
développement auquel elle prend place. Si nous en savions plus que
nous n'en savons réellement sur l'ontogenèse de l'identification, nous
serions en meilleure posture pour aborder la question suivante : aux
différents stades de croissance et de développement, y a-t-il des diffé-
rences non seulement dans le milieu psychique où a lieu l'identification,
mais aussi dans le processus de l'identification même ? Il est probable
que le terme identification recouvre, ainsi que l'ont suggéré Green-
son (1954) et Jacobson (1954) une variété de phénomènes qui diffèrent
au moins quant au degré auquel tel ou tel aspect du processus apparaît
à l'avant-plan. Cette variété ne se limite certainement pas à la distinc-
tion habituelle entre identifications « totale » et « partielle ». Certaines
formes ont été étudiées de façon approfondie, en particulier « l'identi-
fication à l'agresseur » qu'A. Freud (1936) a explicitement décrite
comme une étape normale, qui détermine la formation du Surmoi
(voir aussi Spitz, 1957). Les identifications (et les projections) qui se
sont faites alors que la démarcation de soi et de l'objet n'était pas
encore nettement établie, ne sont pas exactement les mêmes que celles
d'un niveau plus élevé. Les identifications faites au stade où l'objet
n'est que la satisfaction d'un besoin diffèrent certes de celles faites au
stade de la permanence de l'objet. Certaines identifications portent sur
des problèmes de réalité, d'autres maîtrisent principalement des
situations d'anxiété actuelles, d'autres servent à maîtriser des demandes
instinctuelles. Ses formes imitatives primitives servant surtout à la
maîtrise de la réalité, sont loin des identifications ludiques (« jouer des
rôles ») et plus encore de celles qui amènent les profondes modifications
de la formation du Surmoi. Une distinction majeure réside certainement
dans le degré d'indépendance par rapport aux objets qui résulte de ce
processus. Ce que l'identification apporte chez l'enfant au stade du
pré-Surmoi (et même au début du développement du véritable Surmoi),
dépend beaucoup en ce qui concerne la fonction et sa stabilité, de la
relation réelle de l'enfant aux objets (A. Freud, 1926). Ce qui revient
à dire que, selon la situation, les relations d'objet, le niveau de dévelop-
pement, il y a des variations dans le degré auquel ce qui a été « pris »
d'une autre personne par le moyen de l'identification, devient une
possession indépendante de l'enfant. Les situations critiques révéleront
les seuils d'intégration ; c'est-à-dire dans quelle mesure les résultats
de l'identification sont devenus une partie de soi-même. Afin d'éviter
650 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

les malentendus, il nous faut ajouter que même au niveau d'une plus
grande indépendance des identifications plus primitives peuvent être
utilisées ; certaines survivent des premiers jours. Nous ne devrions pas
non plus oublier : qu'après que le passage du complexe d'OEdipe a
conduit aux identifications qui représentent le noyau du Surmoi,
l'enfant développe encore de nouvelles identifications aux parents.
Celles-ci cependant sont de natures différentes et le plus souvent,
quoique pas exclusivement, affectent le Moi sans influencer le Sur-
moi (Freud, 1932).
Les premières identifications du Moi diffèrent, sous un autre aspect
encore, de celles plus tardives qui feront partie du Surmoi. Freud (1923)
dit que l'identification aboutit à la désexualisation. Ceci est probable-
ment vrai des deux formes d'identification examinées ici. En outre,
Freud a introduit une seconde hypothèse économique au sujet de
l'identification. Il suppose que, dans ce processus, de l'agressivité
est libérée. Nous n'avons pas l'intention de discuter ici si Freud
considérait cette assertion comme toujours valable ; nous pensons
plutôt qu'il n'avait pas l'intention d'y inclure les identifications qu'il
a décrites comme précédant les relations d'objet. Nous pouvons dire
— et ceci est le point relatif à notre présente discussion — que nous
sommes enclins à considérer l'hypothèse de Freud comme valable dans
la mesure où elle concerne la formation du Surmoi. Nous ne sommes
pas également convaincus de sa validité dans le cas de l'identification
précoce dont nous venons de parler, ou dans le cas des identifications
du Moi un peu plus tardives mais faisant encore partie du pré-Surmoi.
Notre impression est que cette libération d'agressivité est nettement
moins évidente dans ces cas que dans le cas de la formation du Sur-
moi (1). Les deux commentaires que nous venons de faire sont destinés
à faciliter une meilleure compréhension de la position particulière
que nous attribuons aux identifications qui constituent une partie
du Surmoi.
V
Si nous nous tournons maintenant vers les déterminants venant
des pulsions, il nous faudra limiter sévèrement la présentation de ce
vaste sujet. Nous avons déjà mentionné auparavant que du côté des
pulsions, la phase phallique aussi bien que les phases libidinales précé-
dentes, orale et anale, influencent les caractères généraux et individuels

(1) Dans le cas de l'identification à l'agresseur, il semble peu convaincant de supposer


que l'agressivité de l'enfant est libérée à la suite d'une désexualisation.
NOTES SUR LE SURMOI 651

du système du Surmoi. Ces dernières le réalisent de deux façons :


tout d'abord par leur effet sur la phase phallique et ainsi également
sur la situation oedipienne et la manière dont elle est résolue ; ensuite,
indirectement, par la formation des fonctions du Moi d'après les
modèles oraux et anaux, et par les formations réactionnelles que les
tendances orales et anales provoquent de la part du Moi. Nous devons
aussi prendre en considération dans ce contexte le rapport des compo-
santes tant active et passive, que féminines et masculines. Ce rapport
aide à modeler de manière déterminée la forme que prend le complexe
d'OEdipe et ainsi, également, le type de Surmoi qui émerge. On pour-
rait également s'attendre dans ce contexte à un examen des contribu-
tions apportées par les vicissitudes du narcissisme à la formation du
Surmoi et en particulier, à une analyse du rôle joué par certaines de
ses vicissitudes parmi les précurseurs de l'Idéal du Moi. Mais nous
avons décidé de remettre ces questions à plus tard, lorsque nous nous
occuperons plus spécialement de cet aspect du Surmoi.
De plus, parmi les vicissitudes des pulsions instinctuelles décrites
par Freud, l'une d'elles, « le retournement sur soi-même » ressemble
beaucoup à un précurseur potentiel du retournement de l'agressivité
contre soi, dans le Surmoi. Certains auteurs ont explicitement admis
cette possibilité. Nous pensons que cela pourrait bien être l'un de ces
cas fréquents où une caractéristique des pulsions est utilisée comme
un prototype également de fonctions non instinctuelles. D'autre part,
nous ne connaissons pas grand-chose à ce sujet, d'un point de vue
clinique, et nous ne voudrions de toute façon pas supposer une corré-.
lation simple et directe.
D'une façon générale, nous nous attendrions à ce que l'histoire
des agressions les plus précoces nous soit utile pour comprendre
le Surmoi. Ceci devient spécialement vrai si nous ajoutons aussi ce
que nous savons ou supposons des vicissitudes de l'agressivité neutra-
lisée. N'oublions pas non plus que, selon l'une des dernières idées
de Freud (1937), la quantité d'énergie agressive libre contribue à
disposer au conflit mental et cette théorie aussi pourrait venir accroître
nos connaissances des relations Moi-Surmoi. Cependant, nous nous
trouvons à nouveau ici devant une de ces idées, qui, jusqu'à présent,
n'ont pas été suffisamment appliquées à la pensée clinique ni, de ce
fait, à l'observation directe des enfants. Une autre hypothèse freu-
dienne (1930) qui eut un meilleur sort à cet égard, dit qu'à partir d'un
certain âge, l'agressivité résultant de la frustration peut être employée
par le Surmoi. Ceci est exact une fois le Surmoi formé, mais aussi
652 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

déjà pour la formation même du Surmoi. Il existe cependant aussi des


situations où l'agressivité provoquée par la frustration peut s'utiliser
sur un mode plus neutralisé pour construire des contre-investissements
(Hartmann, 1953). Nous nous trouvons alors confrontés avec la ques-
tion de savoir pourquoi dans certains cas, c'est une façon de réagir
à l'agressivité qui est utilisée, et pourquoi dans d'autres cas, c'est
l'autre. La plupart du temps nous sommes loin de pouvoir répondre
à cette question.
Nous avons fait brièvement allusion à l'hypothèse d'une énergie
agressive neutralisée employée de préférence dans les contre-investis-
sements (Hartmann, 1950). Cette hypothèse concerne notre sujet car,
si elle s'avère exacte, cela signifierait que l'agressivité plus ou moins
neutralisée, utilisée par une partie de la personnalité contre une autre,
et la contribution d'agressivité neutralisée à la formation de la struc-
ture ne commencent pas avec le Surmoi, mais apparaissent déjà régu-
lièrement plus tôt, lorsque le Moi construit les mécanismes de défense.
Ce que nous avons déjà dit à propos des défenses précoces, détermi-
nantes de la formation du Surmoi, acquiert ainsi une base économique
plus spécifique.
Dans un article tel que celui-ci, nous pouvons revendiquer le
droit de nous passer d'une présentation systématique. Ainsi, nous ne
discuterons pas ici, ou seulement superficiellement, de ce qui est
certainement le facteur le plus important dans le développement du
Surmoi : le fait d'être « l'héritier du complexe d'OEdipe ». C'est surtout
Freud (1923) qui a exposé en détails et avec une clarté incomparable,
les relations compliquées que recouvre ce mot. Nous ne répéterons
pas les connaissances fondamentales sur ce sujet, qu'il a présentées
dans Le Moi et le Ça, et ailleurs. Ces relations s'expriment également
dans le fait que le Surmoi n'atteint son plein développement que si
le dépassement du complexe d'OEdipe « a été entièrement réussi »
(Freud, 1923). Nous pouvons simplement rappeler ce que l'on a appris
depuis à propos des relations d'objet pré-oedipiennes, et de leur effet
aussi sur le développement du Surmoi ; à propos de l'influence des
« bonnes » relations d'objet, mais aussi à propos de l'influence des
frustrations et des blessures narcissiques, sur la formation de la struc-
ture, tout d'abord dans le Moi, et ensuite en tant que facteurs détermi-
nants dans le développement du Surmoi. Nous en savons un peu plus
aujourd'hui sur les effets des facteurs du milieu, et au sujet de la
portée des processus d'adaptation, en ce qui concerne les relations
d'objet précoces. Nous pourrions ajouter que des relations d'objet
NOTES SUR LE SURMOI 653

constantes encouragent la neutralisation et que d'autre part, la neutra-


lisation favorise la formation de la permanence de l'objet (Hart-
mann, 1952).
Il y a naturellement aussi l'anticipation du danger et l'objectivation
de la réalité intérieure et extérieure. Les deux facteurs jouent un rôle
dans la résolution des conflits oedipiens et dans la formation du Surmoi.
L'enfant a appris à relier moyens et fins, et dans ses relations avec les
objets, il tient compte de ce que lui a appris le principe de réalité
en évolution, à propos du monde extérieur, mais aussi de ses propres
expériences de plaisir et de déplaisir, et de ses prévisions de plaisir
et de déplaisir. Le fait de « prendre le parti des objets » pour employer
l'expression d'Anna Freud aboutit à un certain degré d'indépendance
par rapport aux exigences instinctuelles bien longtemps avant que le
Surmoi ne se soit développé en système séparé, mais à un stade où
beaucoup de techniques du Moi sont déjà devenues automatiques.
Le pas décisif est cependant constitué par l'établissement du Surmoi
qui renforce l'indépendance de l'enfant d'une manière unique tandis
qu'en même temps, il donne aux requêtes et aux interdictions paren-
tales une place définie dans la vie mentale de l'enfant.
VI
Avant de nous occuper des fonctions du Surmoi, nous proposons
d'établir une distinction qui pourra nous aider car elle clarifie un
certain nombre de questions théoriques et cliniques. Tout le monde
parle des « contenus » du Surmoi (voir par exemple Freud, 1932) :
on parle aussi des fonctions du Surmoi. Nous pensons que l'étude de
ces questions sera facilitée si nous suivons une suggestion faite par
l'un de nous (Hartmann, 1953) à propos du Moi : différencier contenus
et fonctions plus clairement que l'on ne le fait d'habitude ; il est en
outre préférable de distinguer, du point de vue économique, les inves-
tissements des contenus et ceux des fonctions. Un contenu de la pensée
peut être investi, mais aussi l'activité de penser comme telle ; il semble
à propos de distinguer l'investissement de l'image de soi de l'investis-
sement des fonctions du Moi, etc. Établir la même distinction dans le
cas du Surmoi semble prometteur en ce qui concerne les problèmes
de développement, mais aussi pour une meilleure compréhension
des questions de pathologie, comme par exemple, ce qu'on appelle
« régression du Surmoi » — dont nous parlerons brièvement plus loin.
Si nous étudions le développement du concept du Surmoi dans
l'oeuvre de Freud (voir récemment, Beres, 1958 ; Sandler, 1950),
REV. FR. PSYCHANAL. 42
654 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

nous trouvons une grande stabilité dans les différentes étapes succes-
sives de la théorie. Mais cependant, il décrit certaines activités à un
moment comme des fonctions du Moi, et à d'autres comme des fonctions
du Surmoi.
Nous supposons généralement connues par les psychanalystes
les principales tendances de l'histoire de la pensée de Freud sur ce
sujet ; aussi restreindrons-nous par conséquent notre exposé à quelques
questions. Freud avait d'abord attribué l'épreuve de la réalité au
Surmoi, comme une de ses fonctions. Plus tard, dans Le Moi et le
Ça (1923), il dit que c'est « un point qui nécessite une correction »,
et il ajoute : « Que cette fonction appartienne non au Surmoi mais au
Moi, rien ne paraît plus compatible avec les rapports existant entre
celui-ci et le monde des perceptions » (p. 28). Ceci ne signifie naturel-
lement pas que le Surmoi ne puisse pas influencer l'épreuve de la
réalité. Nous mentionnons ce point uniquement parce que dans cette
question-ci, on n'a pas toujours fait clairement la distinction entre
« être une fonction de » et « être accessible à l'influence de ». Freud
lui-même a donné un exemple convaincant (1936) du cas où le Surmoi
interfère avec l'épreuve de la réalité. Le fait que Freud ait changé
d'idée, et après avoir attribué l'épreuve de la réalité au Surmoi, l'ait
attribuée ensuite au Moi, appartient au chapitre que nous mentionnions
brièvement au début, à savoir ces changements dans la conception
du Surmoi, qui sont le résultat direct du développement de la psycho-
logie du Moi.
Mais c'est pour une autre raison que nous avons mentionné le
passage de l'article de Freud, dans Le Moi et le Ça. Nous trouvons
qu'on peut avancer un argument similaire à la suggestion faite il y a
quelque temps par l'un de nous (Hartmann, 1950 ; voir aussi Jacob-
son, 1954) d'assigner au Moi encore une autre des fonctions que Freud
avait primitivement attribuées au Surmoi. Nous voulons parler de la
perception interne, de la perception de ses propres processus mentaux.
Nous pouvons rappeler le fait que Freud lui-même a parfois parlé
— et de façon convaincante, pensons-nous — de la perception interne
comme d'une fonction du Moi. D'autre part, il est vrai aussi que
même dans un travail aussi tardif que les Nouvelles Leçons d'introduc-
tion (1932), il considérait l'observation de soi comme une des fonctions
principales du Surmoi.
A nouveau, comme nous l'avons dit dans le cas de l'épreuve de la
réalité, le fait que nous attribuons la perception interne au Moi n'im-
plique certainement pas qu'elle ne puisse être influencée par les fonc-
NOTES SUR LE SURMOI 655

tions du Surmoi. En fait, le Surmoi peut tout à la fois stimuler et


gêner l'observation de soi et la connaissance de la réalité interne.
On peut souvent ramener à des activités du Surmoi les illusions sur
soi-même — plus souvent que les erreurs concernant le monde exté-
rieur bien que celles-ci aussi puissent s'observer. Ce que nous venons
de dire de l'observation de soi ne signifie pas que nous ne soyons pas
d'accord pour attribuer au Surmoi les fonctions d'autocritique, d'auto-
accusation, etc. Il est possible, bien que ce ne soit pas nettement
établi, que la fréquente confusion ou équation de la perception de
soi-même et de la condamnation de soi, soit due, parmi d'autres, au
fait que les illusions sur soi si fréquemment observées ont leur origine
dans le Surmoi.
Nous pouvons, dans ce contexte, dire aussi un mot d'un sujet
différent bien que proche. Peut-on dire que « savoir » quelque chose
est une fonction du Surmoi ? Nous lisons dans Freud (à nouveau
dans Le Moi et le Ça, 1923) : « Ainsi, dans ce cas, le Surmoi en savait
plus que le Moi sur le Ça inconscient » (p. 51), et on trouve d'autres
affirmations semblables ailleurs. Elles attribueraient en fait au Surmoi
une capacité de « connaissance ». Il est nettement démontrable clini-
quement que des événements ou des processus psychiques peuvent
agir sur le Surmoi bien qu'ils soient cachés au Moi. Nous voudrions
cependant maintenir qu'il ne faut pas considérer que « réagir à quelque
chose » implique le « connaître », du moins pas dans le sens courant du
mot. En fait, Freud affirme, deux phrases avant celle que nous venons
de citer : « L'analyse... montre que le Surmoi est influencé par des
processus qui sont restés inconnus du Moi. » Nous considérons que
cette phrase suffit pour couvrir les déclarations que nous citions, et
qu'elle est préférable à l'autre, car nous hésiterions à attribuer au
Surmoi quoi que ce soit qu'on pourrait appeler « connaissance ». Il
semble difficile de décider si Freud voulait donner précisément la
même signification aux deux phrases. citées, ou si, en utilisant le mot
« connaissance », il entendait donner à la seconde une nouvelle signi-
fication, en plus de ce qu'il avait dit dans la première.
656 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

de ses aspects le sont (par exemple : représentation de soi). Bien que


ce ne soit pas le lieu d'approfondir ce sujet, il nous faut au moins men-
tionner le fait que nous ne considérons pas, comme le font certains
analystes, le « soi-même » comme un système psychique séparé, un
concept du même ordre que le Moi, le Ça et le Surmoi. Dans ce contexte,
nous aimerions insister sur le fait que l'agent actif de l'autocritique, est
représenté à des degrés divers dans l'image de soi d'individus différents.
Ces différences ne correspondent pas nécessairement à des différences
dans le degré de développement du Surmoi ou de l'indépendance de ses
fonctions. En outre, chez certains enfants, la représentation de cet
aspect actif de l'autocritique dans l'image de soi apparaît assez tôt,
alors que chez d'autres, il y a un intervalle considérable entre la for-
mation du Surmoi et l'apparition de ces phénomènes. Un aphorisme
de Nietzsche formule d'une manière frappante la représentation des
deux aspects, actif et passif, de l'autocritique dans l'image de soi :
Wenn man sich selbst verachtet, achtet man sich doch immer noch dabei
als Verâchter (1).
Parmi les fonctions qu'il attribue au Surmoi, Freud mentionne aussi,
dans les Nouvelles leçons d''introduction, l'Idealfunktion. uelle est
alors la relation entre l' " Ideal du Moi " et le " Surmoi » ? Il fut un temps
où Freud considérait ces termes comme synonymes. Diverses présen-
tations historiques ont insisté sur ce point. Dans la littérature psycha-
nalytique, on trouve souvent l'Idéal du Moi décrit comme une structure
qui se développe précocement dans l'esprit de l'enfant, alors qu'on dit
que la structure appelée Surmoi se développe plus tard. Il ne fait aucun
doute que l'idéalisation non seulement de soi mais aussi des objets
apparaît avant l'installation du Surmoi. La question est de savoir si
ces idéalisations précoces, tout comme les autres déterminants précoces,
acquièrent ou non ce caractère spécial qui permet de les décrire comme
un « système » ou comme en faisant partie, seulement après avoir subi
le tumultueux passage du complexe d'OEdipe, en interaction avec les
autres développements qui ont leur origine essentielle dans cette situa-
tion. Il nous semble raisonnable de considérer le caractère spécifique de
l'Idéal du Moi qui fait partie du Surmoi, en étroite relation avec les
autres développements qui proviennent des conflits oedipiens et d'en
distinguer l'Idéal du Moi résultant d'idéalisations plus précoces.
Nous nous trouvons à nouveau ici devant un résultat qui a une impor-

(1) En allemand dans le texte. La traduction française est « celui qui se méprise lui-même,
s'estime néanmoins lui-même de cette manière, en tant que contempteur ».
NOTES SUR LE SURMOI 657

tance capitale en psychanalyse et dont nous avons déjà brièvement parlé


auparavant, c'est-à-dire la distinction entre la continuité génétique et
la caractérisation fonctionnelle.
Mais revenons à la déclaration de Freud dans laquelle il attribue
au Surmoi l'Idealfunktion (1). Ce terme n'est pas courant en analyse,
et pourrait être mal compris. La traduction anglaise appelle cette fonc-
tion la « construction des idéaux » (The holding up of ideals) qui montre
clairement et, croyons-nous, exactement, ce que Freud voulait dire.
Notons un autre passage du même texte : « Nous devons maintenant
mentionner une autre activité importante qui doit être attribuée au
Surmoi. C'est aussi le véhicule de l'Idéal du Moi, grâce auquel le Moi
se mesure lui-même, dont il s'efforce toujours de satisfaire les demandes
en vue d'une perfection sans cesse croissante » (pp. 92-93). De ce même
texte, nous voudrions également citer : « Pour nous, le Surmoi représente
toutes les interdictions morales, et est le défenseur de la tendance à la
perfection » (p. 95). Nous rappelons tout cela pour montrer que, à tout
le moins à cette époque du développement de sa pensée théorique,
Freud considérait le Surmoi comme un système parmi les fonctions
ou activités duquel il incluait l'Idéal du Moi. Il voyait une relation
étroite entre les prohibitions morales et les efforts vers les « idéaux »
et disait que les deux choses étaient ce que « nous avons pu saisir psycho-
logiquement de ce qu'on appelle les côtés « élevés » de la vie humaine »
(p. 95). Nous pouvons signaler ici que les analystes n'acceptent pas tous
notre opinion que l'Idéal du Moi est une des fonctions du Surmoi.
Nous nous sentons en droit d'estimer que c'est là ce que pensait Freud
et en outre, que c'est la réponse la plus plausible au problème de la
position structurale de l'Idéal du Moi. Attribuer à un système psychique
des fonctions quidiffèrent par certains côtés, bien qu'elles aient quelque
chose d'essentiel en commun, ressemble à notre façon de considérer
perception, pensée, défense, etc., comme des fonctions du Moi. On
peut encore faire ici une autre remarque : nous avons souvent parlé de
l'activité « du Moi », d'une façon globale, en négligeant les différences
de ses diverses fonctions et les conflits intrasystémiques, dans des cas
où nous estimons aujourd'hui qu'une approche différentielle est indi-
quée. Nous pouvons observer actuellement un développement simi-
laire dans notre étude du Surmoi. L'intérêt porté aux fonctions spéci-
fiques n'est en désaccord en aucun cas avec le modèle de base freudien
de la structure psychique en tripartite.

(1) En allemand dans le texte (N.d.T.).


658 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Nous avons déjà mentionné qu'il y a des différences dans les déter-
minants des divers aspects du Surmoi. A propos de l'Idéal du Moi,
nous avons déjà dit ailleurs que la pensée magique fait partie de ses
précurseurs et que l'idéalisation de la force ou du pouvoir précède celle
de la conduite morale (Hartmann, Kris et Loewenstein, 1946). A la
suite de ses confrontations avec la réalité, l'enfant est obligé d'aban-
donner une partie considérable de son « omnipotence » primitive, de
sa satisfaction hallucinatoire du désir et de sa pensée magique. Il
projette alors beaucoup de ceci sur les objets parentaux, ce qui explique
leur idéalisation. Pour modérer la perte narcissique consécutive à
ce processus, l'enfant s'identifie alors aux parents idéalisés. Mais nous
ne voulons naturellement pas nier par là que certaines parties de l'idéa-
lisation primitive survivent. De toute façon, il est bien connu que les
blessures et frustrations narcissiques peuvent contribuer à un inves-
tissement compensateur des précurseurs de l'Idéal du Moi. Envisagé
sous cet angle, on peut considérer l'établissement de l'Idéal du Moi
comme une opération de sauvetage pour le narcissisme. Ceci est impor-
tant au point de vue du développement et reste aussi significatifpour le
rôle que joue l'aspect de l'Idéal du Moi une fois que le Surmoi s'est
développé en tant que système. On peut relever un autre point dans ce
contexte, quoiqu'on connaisse très peu de choses à son sujet jusqu'ici,
à savoir la représentation habituelle ou particulière des diverses loca-
lisations du narcissisme dans l'image de soi.
L'idéalisation de soi et celle des parents jouent toutes deux un rôle
dans le développement de l'Idéal du Moi. Ces deux processus s'intè-
grent graduellement (voir aussi A. Reich, 1954) mais certainement
jamais complètement. Le degré auquel l'Idéal du Moi est déterminé
davantage par l'idéalisation de soi primitive ou davantage par l'idéa-
lisation de l'objet devient ensuite plus important pour le développement
normal ou pathologique. La persistance des formes primitives de sur-
évaluation de soi ou des parents peut faire obstacle à la formation de
types ultérieurs d'idéalisation et peut ainsi contribuer aux développe-
ments pathologiques futurs. Le désappointement ressenti par l'enfant
à l'égard de ses parents est un autre facteur typique important pour son
développement. Il peut conduire à une indépendance croissante de
l'enfant. Mais si ce désappointement intervient à un mauvais moment
ou sous une mauvaise forme, l'enfant se voit privé d'un support impor-
tant dans les conflits avec ses pulsions instinctuelles. Dans certains
cas, la suppression de l'idéalisation des parents peut aussi gêner, au
lieu de renforcer le développement chez l'enfant de l'estime de soi et
NOTES SUR LE SURMOI 659

de l'Idéal du Moi. Plus tard, la perte des idéaux, qu'elle soit due aux
objets ou à des facteurs de nature plus impersonnelle, peut conduire
à ce qu'on appelle habituellement du cynisme — derrière lequel cepen-
dant, peut se cacher un autre groupe d'idéaux (souvent, par exemple,
des valeurs de véracité). Il est bien possible que quelque chose de
semblable puisse déjà se produire dans l'enfance, quoique sans doute
pas dans les premières années.
Les précurseurs de l'Idéal du Moi se transforment durant et après
la phase oedipienne et par conséquent se confondent avec d'autres
aspects du Surmoi en train de se développer ; ils mènent alors à l'Idéal
du Moi au sens strict, c'est-à-dire en tant que fonction du Surmoi.
Les contenus de l'Idéal du Moi et des interdictions morales sont mis en
contact étroit. Les buts idéaux et la direction de ceux-ci sont graduelle-
ment intégrés et, sous l'influence du Moi, assument la position centrale
de ce qu'on a appelé le « système moral » de quelqu'un. Une fois cette
intégration réalisée, agir selon un groupe donné de normes en vient à
représenter non seulement une réduction des sentiments de culpabilité,
mais aussi une gratification narcissique. « Si le Moi a résisté avec
...
succès à la tentation de faire quelque chose qui serait inacceptable pour
le Surmoi, il sent croître le respect de soi et augmenter sa fierté »
(Freud, 1938, p. 122). Avec E. Jacobson (1954) nous pouvons ajouter
à cela que le degré d'estime de soi reflète l'harmonie ou la contradiction
entre la représentation de soi (tel qu'on se croit) et l'image de ce qu'on
voudrait être. Mais nous montrerons plus loin que chez l'adulte, ce
désir, cette image vers laquelle on aspire ne représente pas totalement
cette fonction de l'Idéal du Moi, qui consiste à établir des buts idéaux.
On devrait certainement étudier plus en détails qu'on ne l'a fait jusqu'à
présent la « fierté », en particulier dans sa relation avec l'Idéal du Moi.
Il serait également intéressant de comprendre pourquoi les évaluations
morales de la fierté varient tellement selon les divers systèmes de valeurs.
Nous pouvons dire que dans le cas que Freud avait à l'esprit, la frustra-
tion gêne moins le narcissisme parce que le sujet a trouvé une voie
détournée pour obtenir sa gratification. Ce cas fait partie du chapitre
vaste et important des nouvelles possibilités de plaisir qu'apporte
le développement structural (voir aussi Hartmann, 1956). La fierté
ne reste pas nécessairement liée, comme une sorte de récompense, aux
cas spécifiques de résistance à la tentation. Elle peut devenir un aspect
durable d'une personnalité, significatif du point de vue de la caracté-
rologie. En outre, la fierté n'est pas nettement limitée à la fierté morale.
Mais nous devons résister à la tentation de poursuivre ce sujet.
600 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

La poussée des exigences de l'Idéal du Moi se renforce par son


intégration avec d'autres éléments du Surmoi qui disposent de puis-
santes sources d'énergie. Les interdits cèdent leur énergie à ces buts
idéaux positifs qui sont leurs corollaires et qui font partie de l'Idéal du
Moi. En retour, ceux-ci ajoutent leur énergie pour renforcer les inter-
dictions. Nous ne voulons pas dire par là que tous les contenus de
l'Idéal du Moi sont de cette espèce, et nous voudrions ajouter qu'ils
peuvent bien aller au-delà du domaine des exigences morales. Les
idéaux de perfection ne sont pas nécessairement tous de nature morale.
La justice, la sagesse, le courage et la tempérance, les quatre « vertus
cardinales » qui furent longtemps les buts reconnus des anciens Grecs,
sont des idéaux de perfection que nous incluerions parmi les buts
fixés par l'Idéal du Moi ; bien qu'ils aient des implications morales, ils
ne se réduisent pas à ce que nous appellerions des exigences morales.
Rappelons que les grands systèmes de pensée morale développés par
l'humanité montrent très souvent côte à côte l'aspect de l'Idéal du
Moi et l'aspect de restrictions morales ; le bien d'un côté, et l'interdit
de l'autre (Hartmann, 1960).
VII
Ces remarques ont pu donner l'impression que nous envisageons
l'état de coexistence pacifique entre les divers aspects du Surmoi.
Il est certain que ce que l'on observe n'est pas souvent conforme à ce
tableau. On constate fréquemment, et c'est peut-être la règle, des
contradictions entre la moralité consciente et inconsciente, entre les
exigences de l'Idéal du Moi et les taboux moraux, entre les diverses
parties du système de valeur individuel. Il existe bien des tendances
dans le Surmoi, que l'on peut comparer aux conflits intrasystémiques du
Moi. Et l'on peut encore suggérer une autre analogie avec le Moi.
On peut comparer certaines de ces contradictions à ce que Freud (1924)
a appelé les distorsions ou déformations du Moi. Il parle des cas où le
Moi « se déforme en se résignant à des failles dans sa propre cohérence,
et même en effectuant un clivage ou une division de soi-même » afin
d'échapper à une pathologie plus sévère. Cette pensée de Freud semble
apporter une contribution majeure, qui n'a cependant pas encore trouvé
la place qui lui revient dans le plan de la théorie psychanalytique.
Sans vouloir entrer dans les détails, il nous semble que des cas semblables
se produisent dans le Surmoi, et qu'ils servent le même but. Nous
pourrions donc parler de « distorsions du Surmoi ».
Il se peut fort bien que chez certaines personnes, les précurseurs
NOTES SUR LE SURMOI 661

précoces de l'Idéal du Moi soient préservés sans que cela conduise à un


état pathologique, mais au-delà d'un seuil variable suivant les individus,
ils tendent à devenir cliniquement significatifs, ainsi que l'a par exemple
fort bien montré A. Reich (1954). Cependant certains déterminants
persistants peuvent contrecarrer le Surmoi, après la formation de
celui-ci. Des nombreuses questions que l'on peut poser à ce sujet,
nous choisirons d'en traiter une dans ce contexte. Il ne fait pas de doute
qu'il y a une continuité génétique entre les précurseurs décrits et l'Idéal
du Moi développé et plus ou moins intégré aux autres aspects du Surmoi;
il y a cependant « quelque chose de nouveau » dans le développement
de l'Idéal du Moi, quelque chose de très important que nous pourrions
très bien décrire comme, ou attribuer à un « changement de fonction »,
expression utilisée pour décrire le développement du Moi (Hartmann,
1939). Comme nous l'avons dit, ce qui est ajouté, c'est que « l'effort
vers la perfection » de l'Idéal du Moi devient de façon dynamique une
fonction directrice, partiellement indépendante, qui est relativement
indépendante des objets et également des précurseurs instinctuels.
Les buts de l'Idéal du Moi diffèrent alors de façon considérable des
désirs primitifs qui avaient joué un rôle dans sa formation.
Nous avons parlé d'indépendance « relative » parce qu'il ne peut être
question d'indépendance « absolue » dans cette forme d'autonomie ou
dans d'autres, que nous connaissons en psychanalyse. A ce stade,
l'Idéal du Moi n'est pas essentiellement au service de la pensée illusoire.
On ne peut plus appeler « illusions » les « idéaux » ou les « buts idéaux »
que l'on trouve à ce stade, tandis qu'on peut naturellement considérer
comme une illusion le fait de croire qu'ils sont atteints ou réalisés et
parfois aussi, le fait de croire qu'on peut les atteindre. A la place de la
pensée illusoire et de la distorsion de la réalité intérieure — distorsion
en relation avec les précurseurs les plus précoces de l'Idéal du Moi —
on trouve que les contenus de l'Idéal du Moi sont ultérieurement
reconnus non comme des buts atteints magiquement, mais comme des
exigences et comme donnant une direction. A un stade ultérieur, ces
exigences sont aussi reconnues comme intérieures. Si l'on veut utiliser
cette terminologie, on peut dire que le premier stade était « non réaliste »,
ce que l'on ne peut pas dire du suivant ; au contraire, la reconnaissance
des exigences intérieures élargit le champ de la connaissance objective
de la réalité intérieure, de la connaissance de soi, et ainsi, peut donc aussi
contribuer, bien qu'indirectement, au maniement de la réalité extérieure
(Hartmann, 1947).
On pourrait fort bien considérer comme une tendance du dévelop-
662 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

pement à acquérir une « autonomie » croissante des fonctions du Surmoi


(Hartmann, 1952), le développement que nous venons de décrire, en
même temps d'ailleurs que d'autres développements comparables dans
d'autres parties du Surmoi, autrement dit ce que Freud a observé à
propos d'un détachement graduel des impératifs moraux par rapport
aux objets originaux. Nous voulons dire une autonomie vis-à-vis des
objets d'une part, vis-à-vis des pulsions de l'autre. Mais il serait assez
difficile — et nous n'avons pas l'intention de nous y essayer ici — de
définir clairement une « autonomie du Surmoi » par rapport au Moi, qui
se développerait et s'étendrait peu à peu, au moins dans le sens d'une
indépendance croissante du Surmoi par rapport au Moi. On pourrait
essayer de décrire cette autonomie en relation avec des fonctions spéci-
fiques du Moi, comme par exemple, une indépendance croissante des
motivations morales centrées sur le Surmoi, par rapport à l'anxiété
sociale, ou à l'intérêt personnel. Mais toute tentative de généralisation
court à des difficultés. Non seulement le développement du Surmoi
dépend de celui du Moi, mais une fois que le Surmoi existe en tant
que système, son fonctionnementnormal est constamment lié à certaines
activités du Moi ; et l'évolution ultérieure du Surmoi ne diminue pas
l'influence du Moi en développement, mais a tendance à l'augmenter.
Nous considérons donc le Surmoi comme un centre de fonctionnement
mental partiellement indépendant d'un point de vue dynamique,
et avec des buts propres. Mais nous ne prétendons pas qu'une fois le
Surmoi formé, son développement ultérieur tend de façon générale,
vers un détachement croissant par rapport à l'influence du Moi. On
parle parfois de l' « autonomie » du « système moral » de quelqu'un.
Le terme autonomie désigne ici quelque chose qui est lié au sujet dont
nous venons de parler mais qui n'est pas identique. Il s'agit d'habitude
uniquement de l'indépendance relative du « système moral » vis-à-vis
des pressions socio-culturelles.
D'après Freud, la tension entre le Surmoi et le Moi est perçue
sous la forme d'un sentiment de culpabilité (1). Bien que les tensions
entre l'Idéal du Moi et le Moi ne soient pas indépendantes de celles
qui existent entre d'autres aspects du Surmoi et le Moi, elles n'en
varient pas moins en partie indépendamment les unes des autres.
Même si l'on ne les perçoit pas, ces tensions mènent à un état assez
semblable à la culpabilité, par ses aspects dynamique et économique,

(1) En citant Freud, nous suivons naturellement sa terminologie ; nous avons montré
ailleurs (Hartmann, 1950) pourquoi et dans quel cas on devrait parler de « soi », de « représen-
tation de soi », d' « image de soi », plutôt que de « Moi » (voir aussi Loewenstein, 1940).
NOTES SUR LE SURMOI 663

et que Freud, avec quelqu'hésitation, avait appelé « sentiment inconscient


de culpabilité ». Tout le monde sait que ce concept en vint à jouer un
rôle important dans le développement de ses théories ultérieures. Dans
ses travaux précédents (1913), Freud avait essayé de faire dériver le
sentiment de culpabilité de l'ambivalence — facteur qui pourrait très
bien, avec d'autres, contribuer à expliquer chez l'enfant les sentiments
semblables à de la culpabilité, antérieurs au Surmoi (voir aussi le
travail de M. Klein (1948) et d'autres sur la « réparation »). Mais cette
première hypothèse de Freud ne peut expliquer la « conscience ».
Celle-ci ne peut l'être qu'à l'aide de l'assise de la théorie de Freud sur
laquelle s'appuie cette étude.
Nous voudrions mentionner ici le travail judicieux de Piers et
Singer, Honte et culpabilité (1953), bien que ce ne soit pas le lieu pour
en rendre compte ou en faire la critique aussi soigneusement qu'il le
mérite. Pour eux, la tension entre l'Idéal du Moi et le Moi provoque
un sentiment de honte, alors qu'un sentiment de culpabilité est seule-
ment le résultat d'une tension entre d'autres parties du Surmoi (qu'ils
appellent « le Surmoi ») et le Moi. Il n'y a pas de raison à opposer à une
distinction descriptive entre la « culpabilité » et la « honte », mais il est
très difficile d'expliquer cette différence en termes de psychologie ana-
lytique. On peut très bien voir une différence entre une action contraire
à un impératif et le fait de ne pas atteindre un idéal que l'on s'est fixé.
Il est en effet possible de classer les systèmes éthiques selon qu'ils
mettent l'accent sur l'un ou l'autre cas (Hartmann, 1928). Il ne nous
semble pas possible que l'on puisse, comme l'affirment ces auteurs,
distinguer entre la honte et la culpabilité, en termes de sanction inté-
rieure ou extérieure. Les auteurs relient la honte à la peur de l'abandon,
et la culpabilité à la peur de la castration. Un tel lien nous semble repré-
senter surtout une distinction en termes de niveau de développement.
La honte tout aussi bien que la culpabilité sont des réactions au danger
de perte d'amour, au ridicule ou à la colère. Il nous semble également
que la différence entre « culpabilité » et « honte », tant dans l'usage
commun que scientifique, est plutôt vague, bien qu'il soit exact, comme
le notent les auteurs, qu'il y ait des cas où un terme est employé plus
fréquemment que l'autre : par exemple, Scham, en allemand, à propos
de l'exhibition du corps nu. Mais les parents emploient généralement
avec leur enfant aussi bien une expression telle que « Tu devrais avoir
honte », ou, en allemand, Schäm'Dich, lorsqu'ils attendent ou souhaitent
que l'enfant se sente coupable ; en fait, on ne dit pas aux enfants : « Tu
devrais te sentir coupable. » En termes de théorie psychanalytique, nous
664 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

sommes peu disposés à insister sur ce qui sépare l'Idéal du Moi des
autres parties du Surmoi et c'est en partie sur cette question, de sépa-
ration que repose l'opposition structurelle entre culpabilité et honte.
Ainsi que nous l'avons déjà dit, nous voulons, sans négliger les diffé-
rences fonctionnelles, voir plus clairement ce qui, du point de vue du
contenu et économique, relie les « exigences idéales ». aux interdits
moraux.
Le fait qu'une « tension entre le Surmoi et le Moi » se résoud par
la soumission du second aux exigences du premier ne constitue pas en
soi un phénomène qu'il faut classer comme « masochisme », ainsi qu'on
l'a parfois suggéré (Loewenstein, 1938, 1940). L'objection de Freud
à ce qu'il appelait une « sexualisation » du concept de régression, vaut
également en ce qui concerne les relations du Surmoi. Leurs relations
normales ne doivent pas être considérées comme de nature sexuelle.
Avec Freud, nous devons cependant classer le besoin de se faire punir
comme masochiste. Il y a alors une sexualisation régressive de la mora-
lité, qui est une caractéristique essentielle du masochisme moral. II
n'est pas toujours aisé de trancher la question qui se pose souvent,
à savoir : faut-il attribuer la soumission au Surmoi, à sa force ou au
« masochisme du Moi » ? Nous nous référons à Freud (1924) et à un
article de Jeanne Lampl de Groot (1937).
Le Moi accepte et intègre souvent sans opposition les exigences du
Surmoi. Les exigences du Surmoi tout comme les exigences instinc-
tuelles peuvent être ou non en accord avec le Moi. Il y a aussi des cas
dans lesquels certaines des directions ou interdictions du Surmoi
peuvent agir parallèlement aux tendances du Moi. L'exigence de fran-
chise et l'interdiction du mensonge sont largement répandues dans de
nombreuses civilisations ; elles peuvent bien soutenir le Moi dans ses
essais vers une acceptation objective de la réalité. Mais l'acceptation
volontaire des exigences du Surmoi peut souvent aussi provenir de la
fonction d'organisation et de synthèse du Moi qui est responsable de
la coordination des « systèmes » psychiques. Dans beaucoup de cas, le
résultat est manifestement une formation de compromis. Il y a enfin
les situations où le Moi se rebelle contre les pressions du Surmoi. La
frustration a généralement comme résultat une rébellion généralisée
contre les exigences du Surmoi, et les exigences instmctuelles d'intérêt
personnel l'emportent sur la morale. Le Moi se défend par des activités
telles que la répression, la dénégation, l'isolement, la rationalisation, etc.
Il emploie dans le même but beaucoup d'autres méthodes qu'il n'est
pas toujours aisé de décrire. Il peut arriver qu'un but du Moi emprunte,
NOTES SUR LE SURMOI 665

sur la base d'une certaine relation de contenu, la dignité d'un ordre


du Surrnoi et utilise la force ainsi acquise à combattre des impératifs
auxquels il ne désire pas se soumettre. Beaucoup d'exemples viennent
à l'esprit : par exemple, les cas fréquents où un effort de l'idéalisation
portant sur des attitudes « réalistes » au sens de « l'acceptation du monde
tel qu'il est réellement », est mis au service d'une défense contre une
pression du Surmoi. Des méthodes telles que celle-ci ont de l'impor-
tance pour le développement du « système moral » d'une personne, car
Moi et Surmoi y participent. Mais dans des cas moins favorables, il
peut aussi arriver que s'installe une espèce d'ataxie entre les deux sys-
tèmes. Nous n'avons pas l'intention de traiter ce sujet en détail, mais
nous ne pouvons oublier d'ajouter un point. Ainsi que l'avait trouvé
Freud (1923), certains traits des conflits avec les images mentales des
parents se continuent souvent dans les formes essentielles des luttes
du Moi contre le Surmoi.
Assez fréquentes sont les situations dans lesquelles le Surmoi ne
parvient pas, tout d'abord, à imposer ses interdictions d'action ou de
pensée instinctuelles aux mécanismes de défense du Moi. Dans certains
cas, cette fonction interdictrice du Surmoi semble absente, de sorte
que c'est seulement dans un deuxième temps pour ainsi dire, que le
Surmoi regagne son pouvoir et punit le Moi, une fois l'acte accompli.
Mais il y a aussi des cas où le Moi prévoit le danger qui peut venir
du Surmoi et utilise la culpabilité comme un signal pour essayer de pré-
venir la situation dangereuse (voir aussi Glover, 1949 ; Jacobson, 1954).
Alexander (1927) a décrit la « corruption du Surmoi par le Ça ». Le
contraire peut s'observer lorsque le Surmoi induit le Ça à des exigences
non désirées dans un but d'auto-punition (Loewenstein, 1945). Ernst
Kris a appelé cela la « corruption du Ça par le Surmoi ». Encore différent
est le mécanisme que l'on pourrait appeler « tentation tentative ». Ici,
le Moi se permet une faible dose de gratification qui permet alors de
mettre en mouvement les forces du Surmoi.
Tandis que les caractères essentiels du développement du Surmoi
nous montrent son influence sur les pulsions instinctuelles, son effet
sur le Moi semble avoir été moins bien étudié, sans doute parce qu'il
a moins de signification pour notre compréhension de la névrose. Il y
a et des idéaux et des impératifs, positifs et négatifs, qui s'opposent non
pas aux pulsions mais nettement à des fonctions spécifiques du Moi
(Hartmann, 1947). C'est la formation du Surmoi qui amène une démar-
cation plus subtile des « droits » et des « devoirs » de quelqu'un par
rapport à ceux des autres. Dans ce contexte, la position des « intérêts
666 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

personnels » acquiert de l'importance. Certains se montreront en accord


avec le Surmoi, et d'autres pas. De toute façon, on sait que les conflits
entre les exigences morales et la poursuite des intérêts personnels
tiennent beaucoup de place dans un grand nombre de systèmes moraux.
Si l'on songe à l'ontogenèse, nous pouvons ajouter que, parmi les inter-
dictions imposées par les parents à l'enfant à partir du tout jeune âge,
il y en a beaucoup qui visent ses intérêts personnels.
On observe souvent des projections du Surmoi, ou de certaines
exigences du Surmoi, sur le monde extérieur. Ceci peut amener du
soulagement si est vrai ce que dit un grand psychologue préanalytique :
« être seul avec sa conscience est terrifiant » (Nietzsche). Si la peur de
la société remplace la peur du Surmoi, cela peut signifier deux choses :
ou bien elle se base sur une évaluation réaliste des dangers qui menacent
de l'extérieur, ou bien il s'agit d'une peur irrationnelle qui est due, par-
tiellement ou totalement, à une projection du Surmoi.
VIII
Le fait que Freud ait fait dériver le Surmoi de la situation oedipienne
explique non seulement ses contenus, mais aussi ses aspects écono-
miques. On retrouve, préservé dans ce système, quelque chose des
relations aux parents, faites à la fois d'amour et d'agressivité. En parti-
culier, ce système permet un des moyens principaux de régler le pro-
blème de sa propre agressivité, en la retournant contre soi-même. Il
y a naturellement l'aspect bien connu que les critiques provenant des
parents se transforment en critiques de soi, et que leurs standards
implicites et explicites deviennent les propres idéaux et impératifs
de l'enfant. Comme l'a dit Freud, le Surmoi de l'enfant n'est pas tel-
lement bâti sur le modèle des parents que sur celui de leur Surmoi (1932).
Ceci explique l'élément important de la tradition dans les systèmes
moraux. Mais nous pourrions peut-être ajouter qu'il existe une autre
possibilité. Les contenus du Surmoi peuvent refléter non seulement les
critiques des parents mais aussi celles que l'enfant avait dirigées contre
eux (probablement d'une façon semblable à celle que nous avons
signalée plus haut : des formes précoces d'idéalisation de soi peuvent
survivre à côté de l'idéalisation de l'objet, dans l'Idéal du Moi). Il
n'y a cependant pas encore d'évidence suffisante pour prouver cette
hypothèse.
Ce que nous avons dit jusqu'ici n'est qu'un des aspects des idées
de Freud sur l'origine de la conscience : que sa fonction critique pro-
vient directement de la critique des parents. Il en ajouta une autre
NOTES SUR LE SURMOI 667

lorsque l'observation montra d'une manière convaincante que la sévé-


rité du Surmoi de l'enfant ne reflète pas simplement celle avec laquelle
il a été élevé. Le Surmoi de l'enfant peut être sévère même quand son
éducation fut tolérante et indulgente. Ce dernier aspect de la théorie
de Freud (1930) ne concerne pas tant les contenus du Surmoi qu'elle
ne contribue de façon décisive à l'aspect économique de son fonction-
nement. D'après cette théorie, l'enfant est obligé de développer de
l'agressivité envers les adultes en position d'autorité par rapport à lui,
à la suite des frustrations qu'ils lui imposent ; en règle générale, cette
agressivité ne peut être satisfaite ; l'issue de cette « situation économique
difficile » est que l'enfant développe un Surmoi sévère
— dans ce cas,
la sévérité tient du fait qu'il retourne contre lui l'agressivité qu'il aurait
aimé diriger contre les adultes. La théorie de Freud nous permet ainsi
d'inclure parmi les déterminants génétiques de la « conscience » l'histoire
des vicissitudes préoedipiennes de l'agressivité.
Freud a parlé de façon répétée de la proximité du Surmoi par rap-
port au Ça. Ceci peut avoir diverses significations. Ici, c'est sa signi-
fication économique qui nous intéresse. Il nous semble qu'on peut
estimer que l'agressivité utilisée par le Surmoi — bien qu'il ne s'agisse
pas d'agressivité libre, non modifiée — est en général plus proche de
l'énergie instinctuelle que l'énergie plus totalement neutralisée dont
se servent les fonctions du Moi (Hartmann, 1955 ; Bérès, 1958). Il
y a des degrés dans la « sévérité » du Surmoi ; l'aspect économique de
ce concept concerne à la fois la quantité d'énergie agressive dont dispose
le Surmoi et le mode d'énergie utilisée — sa proximité ou sa distance
du mode instinctuel. Ces facteurs, pensons-nous, sont en corrélation,
quoique pas d'une façon très simple, avec le pouvoir qu'a le Surmoi
d'imposer ses exigences et de punir les transgressions du thou shalt not
de ses commandements. (La « sévérité » du Surmoi s'emploie aussi
parfois pour désigner quelque chose d'autre : la vigueur de ses exigences
— indépendante du pouvoir de les faire respecter. Et il y a en effet des
personnes qui ont des codes moraux très stricts et dont le Surmoi n'a
que très peu de pouvoir pour leur imposer de les appliquer.)
La neutralisation s'effectue par l'intermédiaire du Moi. Nous voici
à nouveau devant un facteur qui montre nettement que les fonctions
du Surmoi dépendent de celles du Moi. Nous ne voulons pas dire que
le Moi tend à une neutralisation maximale de toutes les fonctions
psychiques. Ce n'est certainement pas vrai ; diverses fonctions du Moi
disposent généralement de degrés différents de neutralisation
— et
cela peut être également le cas quant aux relations entre le Moi et le
668 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Surmoi. Il n'est pas impossible que la fonction directrice du Surmoi


travaille avec un degré de neutralisation de l'agressivité plus élevé que
sa fonction de contrainte. Mais nous voulons souligner ici que si notre
supposition est exacte, nous pouvons nous attendre à ce que la détério-
ration de la capacité de neutralisation du Moi ait un effet déterminé
sur le Surmoi. Nous pensons en fait que le caractère « cruel », « surpu-
nitif » du Surmoi de certaines psychoses peut s'expliquer au moins
en partie par cette sorte de détérioration de la fonction du Moi
(Hartmann, 1953).
Cette façon d'envisager l'aspect économique du Surmoi permet de
jeter quelque lumière sur une autre question. On trouve parfois dans
les travaux de Freud et d'autres analystes l'affirmation que l'énergie
agressive du Surmoi travaille de façon autodestructrice. Cependant
si l'on estime que l'agressivité du Surmoi est modifiable, on doit s'at-
tendre à ce que ces idées ne s'avèrent pas toujours exactes. Une question
semblable se pose à propos de l'énergie agressive du Moi. L'agressivité
neutralisée à l'oeuvre dans diverses fonctions du Moi n'est pas auto-
destructrice. Il y a certainement le cas, souvent mentionné par Freud,
où l'agressivité « retournée en arrière » augmente l'autodestructivité.
Mais ce cas est différent de celui dans lequel de l'énergie agressive neu-
tralisée est mise au service des fonctions du Moi (Hartmann, 1948).
Le Moi — nous vous rappelons le passage de l'essai de Freud (1938) —
« se charge lui-même de la tâche de préservation de soi que le Ça semble
négliger ». Nous pouvons alors admettre que n'est pas « autodestructrice »
toute activité agressive qui ne se dirige pas vers le monde extérieur
mais qui agit dans ou entre les systèmes mentaux — et que c'est vrai
non seulement de l'énergie du Moi, mais aussi du Surmoi. Le Surmoi,
également a — ou peut avoir — une valeur de préservation, bien qu'il
ne faille pas comprendre celle-ci dans le sens spécifique qui est exact
pour le Moi.
D'autres analystes aussi (par exemple, Menninger, 1942 ; Lampl
de Groot, 1947) ont émis l'hypothèse que l'énergie agressive aussi
bien que libidinale, peut être neutralisée (Hartmann, Kris et Loewen-
stein, 1949). Dans ses travaux, Freud a considéré la sublimation de
la libido, dans le sens de désexualisation, mais il n'a pas envisagé la
possibilité d'un processus analogue en ce qui concerne l'agressivité —
du moins nous le pensions. Aussi avons-nous été heureux de découvrir
dans une de ses lettres à Marie Bonaparte, publiée après sa mort
(Jones, 1957), un passage qui convient bien ici. Après avoir parlé de
la sublimation, Freud ajoute : « On doit donc admettre qu'il est possible
NOTES SUR LE SURMOI 669

de démontrer sur une échelle étendue, à propos de l'instinct de destruc-


tion, des déviations semblables du but de destruction, et une utili-
sation à d'autres fins. » Mais à nouveau subsiste une question importante :
Freud songeait-il seulement au déplacement des buts, ou également
à un changement du mode de l'énergie employée, comme il l'avait
fait dans le cas de la sublimation de la libido ?
Freud considérait que dans la répression, l'énergie du contre-
investissement est celle qui a été retirée des pulsions. Mais il n'a pas
expliqué d'une façon très nette cette opinion largement répandue :
il disait plutôt : « Il est bien possible qu'il en soit ainsi » (1915). Pour
des raisons exposées ailleurs, nous pensons que d'autres sources
d'énergie sont à la disposition du Moi dans ses activités défensives.
Nous estimons aussi qu'il y a une affinité entre le conflit interne et
l'agressivité et nous pensons que les défenses du Moi sont sans doute
nourries par un mode neutralisé d'énergie agressive. Quelle est alors
la relation entre la pression agressive du Surmoi sur le Moi, et l'agres-
sivité utilisée par le Moi pour se défendre contre le Ça ? Ainsi que nous
l'avons déjà dit, il est probable que différents degrés de neutralisation
sont engagés dans les deux processus. Dans les cas où c'est le Surmoi
qui déclenche la répression, on pourrait décrire cela d'un point de
vue économique comme « la dépendance d'une forme de relations agres-
sives (entre le Moi et le Ça) par rapport à une autre (entre le Surmoi et
le Moi) et probablement comme un changement de l'investissement
agressif combiné avec un accroissement de la neutralisation » sous
l'influence du Moi (Hartmann, 1953).
Si nous poursuivons nos réflexions dans cette direction, il y a un
autre problème qui attire notre attention. Si une frustration extérieure
provoque une agressivité qui ne peut se décharger, cette énergie agres-
sive peut « passer » au Surmoi et augmenter le sentiment de culpabilité.
Nous avons déjà noté plus haut cette découverte de Freud. Nous sug-
gérons cependant une autre issue possible : le Moi (défense) peut uti-
liser cette agressivité non déchargée dans un contre-investissement.
Nous avons été frappés par des observations cliniques qui semblent
indiquer que l'accroissement de la culpabilité, à la suite d'une frustra-
tion, ne se produit pas de façon régulière, bien qu'on puisse certaine-
ment souvent l'observer. Il est vraisemblable que la culpabilité peut
être évitée si prédomine l'alternative dont nous venons juste de parler.
Qu'elle le fasse, peut dépendre de la force relative du Moi et du Surmoi
et de la capacité du Moi de neutraliser l'énergie agressive. Freud a
également suggéré une fois, l'idée que si une tendance instinctuelle
REV. FR. PSYCHANAL. 43
670 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

est réprimée, ses parties libidinales mènent à la formation d'un symp-


tôme, et ses composantes agressives à des sentiments de culpabi-
lité (1930). Il ajoute que cette hypothèse peut n'être pas toujours exacte,
mais n'en mérite pas moins notre attention. Nous pensons que dans
les autres cas, ainsi que nous l'avons dit, la composante agressive peut
trouver une place dans l'action défensive même.
IX
On parle parfois — un peu improprement — de « formes précoces
du Surmoi » qui survivent dans le Surmoi. On les appelle alors généra-
lement « archaïques ». Ce terme se réfère en fait aux identifications pré-
oedipiennes, aux dérivés précoces des pulsions et aux activités qui sur-
vivent dans le Surmoi sous une forme non modifiée. On pourrait éviter
certains malentendus en les désignant comme tels (Wexler, 1952). Que
des éléments de phases plus précoces persistent « côte à côte, et derrière
des organisations ultérieures », Freud l'a dit explicitement pour les
phases du développement libidinal (1932). Mais c'est également vrai
pour d'autres aspects du développement et souvent très clair pour le
Surmoi. D'importance au point de vue clinique est la question de savoir
combien des antécédents survivent et, en relation avec ceci, se pose le
problème de la régression.
Le Surmoi « n'a pas existé dès le début » (Freud), alors que c'est
le cas des pulsions instinctuelles et du Moi. C'est une des raisons pour
lesquelles il est plus difficile de conceptualiser la régression à propos
du Surmoi qu'à propos des pulsions et du Moi. C'est parfois une régres-
sion des pulsions instinctuelles qui provoque la « régression du Surmoi »
— comme c'est probablement le cas dans la névrose obsessionnelle.
A la suite de la « régression du Surmoi », on voit les identifications et
les relations d'objet précoces remplacer les contenus et fonctions du
Surmoi. Nous vous rappelons à nouveau la description que fit Freud
du masochisme moral dans lequel les relations sexuelles de la phase
oedipienne remplacent de façon régressive les fonctions du Surmoi.
En règle générale, les contenus des buts idéaux, ou les impératifs, ou
les deux à la fois, ont subi un changement, bien que quelque chose de
leur structure soit préservé dans la régression du Surmoi. Mais nous
pensons aussi qu'il peut exister des variations, en partie indépendantes
des contenus, dans le mode d'énergie qu'utilise le Surmoi. Une « régres-
sion », voulons-nous dire, à une forme d'énergie plus proche du mode
purement instinctuel, et dans ce cas, les changements de contenus sont
de nature secondaire. On reconnaît généralement qu'il faut considérer
NOTES SUR LE SURMOI 671

le caractère sévère ou punitif des exigences et des punitions prévues


que l'on trouve dans certaines formes au moins de « régression du
Surmoi » comme une conséquence du fait que les relations d'objet
précoces prennent la place des relations plus tardives. Cela ne veut natu-
rellement pas dire que les objets réels de ces premiers stades de dévelop-
pement ont été aussi cruels que l'est le Surmoi régressé. Cela montre
aussi les fantasmes et les peurs de l'enfant et sa façon de manier sa
propre agressivité. Nous pensons que dans les formes extrêmes de régres-
sion du Surmoi, il faudrait considérer comme un facteur causal supplé-
mentaire un passage d'une forme plus neutralisée à une forme moins
neutralisée d'agressivité.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut, ceci à nouveau montre le rôle
joué par le Moi dans ce processus. Durant ces dernières années, on a
beaucoup discuté du rôle primordial ou non, dans la pathologie de la
schizophrénie, que peuvent jouer une formation défectueuse et (ou)
une régression du Surmoi (Pious, 1949 ; Wexler, 1951 ; Hoedemaker,
1955 ; Brody, 1958 ; Modell, 1958). Nous ne voulons dire ici à ce
sujet que quelques mots. Nous avons attribué le rôle essentiel dans la
pathologie de la schizophrénie à la détérioration de certaines des fonc-
tions du Moi. C'est aussi l'opinion de Bak (1952). Nous estimons que
ce qu'on appelle souvent la « désintégration » du Surmoi dans la schizo-
phrénie peut s'expliquer, du moins en partie, par les déficiences du
Moi. Ce que nous venons de dire des divers degrés de neutralisation
de l'énergie agressive active dans le Surmoi, s'applique à cette question.
Un autre aspect du Surmoi « désintégré » est en relation étroite avec la
capacité altérée du Moi de neutraliser les énergies instinctuelles : c'est
le fait que la « brutalité » du Surmoi du schizophrène est dotée d'un
très faible pouvoir pour faire exécuter ses ordres. C'est à nouveau
dans la pathologie du Moi qu'on trouve ici le facteur décisif : sa capa-
cité réduite de neutraliser l'agressivité rend impossible ou difficile
l'établissement des défenses stables sur la fonction desquelles repose
l'exécution des ordres du Surmoi (Hartmann, 1953). Le Surmoi
« brutal » n'est pas un Surmoi « fort », ou du moins pas constamment
fort. Nous soupçonnons en outre que beaucoup de ce qu'on a décrit
comme caractéristique du Surmoi du schizophrène est dû au bas niveau
d'intégration entre le Moi et le Surmoi, au manque de coordination
qui s'établit normalement, au moins chez l'adulte, entre les fonctions du
Moi et du Surmoi.
Alors que le rôle du Surmoi dans la schizophrénie est toujours
hautement controversé, il n'en est pas de même — ou du moins, pas au
672 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

même degré — de son rôle dans la névrose. Nous ne désirons étudier


ici qu'un seul aspect du rôle du Surmoi dans la névrose. On admet géné-
ralement que la rigueur du Surmoi, ou plutôt le sentiment de culpabilité
qui résulte de cette rigueur, accroît souvent considérablement la souf-
france du névrosé. C'est exact pour les sentiments de culpabilité cons-
cients, et aussi inconscients. Nous citons Freud (1923) : « En fait, il se
peut que ce soit précisément cet élément de la situation, l'attitude de
l'Idéal du Moi, qui détermine la sévérité d'une névrose » (p. 50).
Freud (1924 a), notait que dans certains cas où prédomine un sentiment
inconscientde culpabilité, la névrose « peut disparaître si le sujet se trouve
plongé dans la misère d'un mariage malheureux, perd tout son argent, ou
développe une maladie organique dangereuse ». Cette découverte est
tout aussi importante pour la théorie qu'elle est cliniquement frappante.
« Une forme de souffrance, continue Freud, a été remplacée par une
autre ; et nous voyons que tout ce qui importait était qu'il soit possible
de maintenir une certaine quantité de souffrance » (p. 166). Certaines
observations nous amènent à considérer que quelque chose de sem-
blable — une diminution considérable du sentiment de culpabilité,
dans ce cas également sans l'aide de l'analyse — survient parfois là où
c'est la sévérité du Surmoi et non le masochisme du Moi qui a été le
facteur dominant. Des identifications puissantes, comme on les ren-
contre même parfois chez des adultes, peuvent produire de tels chan-
gements chez des individus dont la capacité de neutralisation est intacte
et dont le Surmoi est resté plus ouvert au changement que ce n'est
habituellement le cas — c'est-à-dire quand la ligne de démarcation
entre les identifications du Moi et du Surmoi est moins nettement
tracée qu'on ne le trouve ordinairement chez les adultes. (Il faut aussi
considérer, à ce sujet, ce qu'on a décrit sous le nom de « parasites du
Surmoi ».)
Arrivés à ce point, nous aimerions signaler quelques autres obser-
vations, bien qu'elles ne soient que vaguement liées à notre sujet actuel.
Nous sommes habitués au fait de trouver des symptômes somatiques
à la place de conflits psychiques. On sait depuis longtemps que la dou-
leur psychique peut se convertir en douleur physique. Chez les per-
sonnes dont le sentiment de culpabilité est marqué, il peut se produire
quelque chose de contraire à la conversion. Nous avons l'impression
que chez certaines personnes, la culpabilité non seulement s'ajoute,
mais en plus se substitue partiellement aux symptômes physiques (par
exemple, à la douleur physique). Mais des limites de temps ainsi que
le plan que nous nous sommes fixé pour cet article nous empêchent
NOTES SUR LE SURMOI 673

d'essayer d'examiner ce qui est en partie connu et en partie supposé à


ce sujet.
Une fois le Surmoi établi en tant que système séparé, son dévelop-
pement n'est cependant pas terminé. Les objets plus tardifs que la
personne prend comme modèles, et les systèmes de valeur de son milieu
culturel y laissent leur empreinte. Le développement ultérieur du Moi
a tendance à intégrer le Surmoi aux systèmes de valeur du milieu culturel
de la personne (Loewenstein, 1951). Ceci soulève la question de
savoir jusqu'où le Moi — et aussi le Surmoi
— retiennent l'influence
des facteurs socio-culturels. Certains sociologues, en particulier
T. Parsons (1952) ont vivement souligné le rôle du Surmoi à cet égard.
Ces dernières années, ont paru beaucoup d'études sur les vicissi-
tudes du Surmoi pendant l'adolescence (récemment, Spiegel, 1958 ;
A. Freud, 1958 ; Geleerd, 1958 ; Jacobson, 1961), recherches qui vous
sont certainement familières. La formation du Surmoi provoque fré-
quemment des changements radicaux de l'image de soi. Mais l'influence
du Surmoi sur l'image de soi ne se termine pas là. Elle s'étend bien
au-delà, est très marquée pendant l'adolescence et peut même s'observer
plus tard. Mais au-delà de l'adolescence, nous ne savons pas très bien
pendant combien de temps et de quelle façon le Surmoi reste accessible
aux modifications ; nous sommes incapables de dire quelle est la rela-
tion moyenne entre l'âge et la diminution de cette possibilité. Il est
très possible qu'il ne s'agisse pas d'une corrélation simple. Il peut y
avoir des périodes après l'adolescence pendant lesquelles la tendance
est temporairement renversée, c'est-à-dire pendant lesquelles la plasti-
cité du Surmoi croît, peut-être à la suite de modifications instinc-
tuelles (1). Il semble évident qu'il existe des différences individuelles
considérables au sujet de la continuité du développement du Surmoi
après l'adolescence. Comme nous le savons, les caractéristiques,princi-
pales de la structure du Surmoi sont installées assez tôt. Mais ses inves-
tissements et ses contenus peuvent subir des modifications beaucoup
plus tard ; ceci s'applique particulièrement à l'intégration à la fois de
ses contenus et de ses fonctions, qui se produit sous l'influence du Moi
et des exigences de la réalité qui agissent à travers le Moi. Même chez
des personnes normales, certains précurseurs archaïques de l'Idéal
du Moi ou du Surmoi interdicteur persistent à travers tout ces dévelop-
pements. Ce qui né revient pas à nier que la pathologie peut survenir

(1) La phrase bien connue de Goethe, que les génies, à l'inverse des autres personnes, ont
des pubertés répétées, peut être intéressante à ce sujet.
674 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964-

là où ces éléments archaïques sont devenus dominants (Weissman, 1954)


— ou d'autre part, que la dominance de ces éléments peut être un signe
de pathologie.
Revenons aux différences de durée dans l'évolution du Surmoi
après l'adolescence. Nous pensons que le développement retardé du
Moi est un trait caractéristique de l'homme. Il n'est pas impossible que
le développement retardé du Surmoi serve aussi l'humanisation. Ce
qui se passe pendant ce développement prolongé du Surmoi, c'est un
ajustement mutuel du Moi et du Surmoi et l'installation d'un équilibre
acceptable entre eux. Cependant cette notion d'un équilibre acceptable
peut être aisément mal interprétée, aussi aimerions-nous ajouter
quelques remarques explicatives. Nous ne voulons naturellement pas
dire que la tension entre les deux systèmes tend à devenir constante ou
que ces tensions sont supprimées. Nous pensons plutôt que l'étendue
de ces tensions tend à devenir une caractéristique de l'individu — aussi
longtemps que l'individu ne se laisse pas entraîner dans une névrose
ou une psychose. On peut aussi envisager ce facteur de tensions habi-
tuelles plus ou moins grandes en relation avec les caractéristiques spéci-
fiques des systèmes culturels. Ce qui importe par-dessus tout est le
degré auquel le Moi et le Surmoi peuvent collaborer tout en préservant
en même temps entre eux une tension optima. On peut définir cet
optimum à plusieurs points de vue : en relation avec la santé mentale,
avec l'ajustement social, avec le comportement réaliste et moral, etc.
Le dérangement de la tension optima peut être dû à l'influence des
pulsions instinctuelles ; ou, du côté du Moi, à un trouble de ces fonc-
tions qui rendent possible un équilibre stable entre les systèmes (par
exemple, l'altération de la fonction organisatrice, ou détérioration de la
neutralisation). Ce dérangement peut survenir si le Surmoi est trop
rigide dans ses relations avec le Moi et rend impossible toute influence
venant de ce côté, ou, d'autre part, si la méfiance du Moi envers le
Surmoi ne permet pas à l'intégration de se réaliser — facteur qui peut
aussi provoquer l'interruption précoce du plein développement du
Surmoi. Pour reprendre les points de vue signalés plus haut, il s'ensuit
aussi que nous ne considérons comme un « optimum » ni une prépondé-
rance maxima des régulations du Surmoi sur celles du Moi, ni l'inverse.
X
La réévaluation de valeurs qui a lieu dans l'ontogenèse nous pro-
pose une approche séduisante pour l'étude de la façon dont les buts
du Moi et du Surmoi en viennent à s'intégrer. D'un point de vue géné-
NOTES SUR LE SURMOI 675

tique, on peut faire remonter les déterminations de valeurs à la gratifi-


cation des buts instinctuels, mais aussi à la renonciation à ces buts.
Ce qui a permis une gratification aussi bien que ce qui l'a interdit
peut devenir le modèle de ce qui plus tard, apparaîtra en faisant partie
d'un système de valeurs.
A côté de cela, il y a aussi manifestement les cas où une action
conforme à un système de valeurs peut en même temps gratifier une
tendance instinctuelle. D'autre part, les déterminations de valeurs
peuvent servir de rationalisations. Et encore dans une seule et même
action, on peut retrouver un mélange de motivations venues de
l'Idéal du Moi ou de la partie interdictrice du Surmoi ou des deux,
et de tendances du Moi (par exemple, l'intérêt personnel). Dans
certains cas, on peut retrouver un lien génétique entre les deux
groupes de motivations. La raison en est que souvent on a imposé
à l'enfant comme des « devoirs » les exigences de sécurité, de santé
et d'auto-préservation.
Tout système de valeurs morales — et nous nous limiterons à ce
type de valeurs — représente, à des degrés divers, les exigences idéales
ou les directions de l'Idéal du Moi, et les prohibitions des aspects
interdicteurs du Surmoi ; les deux aspects, ainsi que nous l'avons déjà
dit, sont étroitement liés. Ces processus et interactions sont générale-
ment partiellement conscients, bien que beaucoup d'éléments impor-
tants ne le soient pas. De toute façon au cours du passage des premières
idéalisations et intériorisations des interdictions parentales aux codes
moraux de l'adulte, un facteur qui montre les activités du Moi prend
de l'importance : un processus d'intégration et de généralisation. Une
autre contribution du Moi est « l'épreuve de valeurs », c'est-à-dire une
procédure d'étude qui a trait au degré d'authenticité des estimations
morales par rapport à leur arrière-plan psychologique individuel. Dans
les processus d'intégration, l'acceptation par l'individu des hiérarchies
organisées de valeur de la culture dans laquelle il vit, devient décisive
dans la formation de ses codes moraux. L'importance dynamique de
cette acceptation dépend cependant, parmi d'autres facteurs, du degré
auquel une telle hiérarchie de valeurs peut devenir « authentique » dans
le sens que nous venons de définir, pour l'individu. Malgré l'influence
des facteurs socio-culturels, reste le fait que les codes moraux des per-
sonnes témoignent des caractéristiques de la personnalité qui les fait
siens, de la même façon que ses instincts et son Moi. Les contributions
des fonctions du Moi aux codes moraux que nous avons signalées tendent
à éliminer les contradictions et à établir un pont entre les idéaux et
676 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

les interdits monolithiques des premiers stades et les pensées et


comportements actuels de l'adulte. Mais — nous le répétons —
en règle générale, elles ne suppriment pas la tension entre le
Surmoi et le Moi.

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Névrose obsessionnelle et hystérie
leurs relations chez Freud et depuis(1)

ÉTUDE CLINIQUE, CRITIQUE ET STRUCTURALE


par ANDRÉ GREEN

Le but de ce travail est de poser et de tenter de résoudre la question


suivante :
En quoi, pourquoi, jusqu'où est-on fondé à scinder les valeurs du champ
psychanalytique en hystériques et obsessionnelles ?
L'examen de cette question suppose que l'on envisage deux pro-
blèmes distincts :
I. L'opposition entre névrose obsessionnelle et hystérie ;
2. L'opposition entre névrose obsessionnelle, hystérie et les autres
entités cliniques.
Nous envisagerons successivement :
I. — Le champ psychanalytique freudien ;
II. — L'opposition névrose obsessionnelle-hystérie chez Freud ;
III. — Le champ psychanalytique post-freudien et la situation nou-
velle de l'opposition névrose obsessionnelle-hystérie.
IV. — Les structures hystérique et obsessionnelle.

I. — LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE FREUDIEN


Définir les limites et l'objet de ce champ, c'est en quelque sorte
faire l'histoire de la pensée freudienne.
A l'origine, dans les Lettres à Fliess, il est clair que dans l'élaboration des
premiers travaux de Freud, ce champ n'est pas délimité. Si l'on est frappé

(1) Parvenu à la Rédaction en mars 1964.


680 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

par la fécondité de l'esprit de découverte, qui amène au jour les intuitions les
plus remarquables sur la neurasthénie, la névrose d'angoisse, l'hystérie, les
obsessions, la mélancolie ou la paranoïa, en fait, il n'y a pas encore dans la
pensée de Freud de champ psychanalytique propre mais seulement des entités
qui se définissent et prennent leur cohérence par la découverte de leurs liens
réciproques les plus profonds. En outre, le champ psychanalytique n'est nul-
lement limité aux phénomènes pathologiques comme en témoignent L'inter-
prétation des rêves, La psychopathologie de la vie quotidienne et Le mot d'esprit
dans ses relations avec l'inconscient, ouvrages écrits entre 1899 et 1905.
Le champ psychanalytique s'est progressivement dégagé des études
cliniques, d'abord par les Études sur l'hystérie (1893-1895), mais surtout
avec l'Analyse de Dora en 1901, qui coïncide avec la découverte du
transfert. Le transfert fonde l'expérience psychanalytique, son objet, son
champ.
Freud n'a jamais écrit explicitement sur les indications de la cure
psychanalytique mais on peut déduire ce qu'il en a pensé à travers
certains écrits. Dans son article de la fin de son oeuvre, Analyse terminée,
analyse interminable (1937), ou mieux, finie et infinie, Freud fait inter-
venir dans l'appréciation de l'issue de l'analyse la force des pulsions
et la modification du Moi, ou encore la part de la constitution et des
événements (traumatismes). A ce stade de la réflexion de Freud,
cela suppose le problème résolu. Il s'agit des difficultés inhérentes aux
patients qui sont déjà à l'intérieur du champ psychanalytique, non de
la duscrimination entre ceux qui doivent y entrer et ceux qui restent
en deçà ou au-delà de l'approche analytique. Dans quelques passages,
il est pourtant signalé :
« 1° Que dans les états de crise aiguë, l'analyse est à peu près inutilisable,
parce que tout l'intérêt du Moi se porte alors sur la douloureuse réalité, échap-
pant à l'analyse qui fouille derrière cette façade pour découvrir les influences
anciennes. »

« 2° On sait que, dans la situation analytique, nous nous mettons en relation


avec le Moi du sujet afin de réduire à merci les éléments indomptés de son
Ça, c'est-à-dire d'intégrer dans la synthèse le Moi. Chez les psychotiques, ce
travail de fusion ne saurait aboutir qu'à un échec, ce qui nous permet d'établir
un premier point : à savoir que le Moi avec lequel nous pouvons conclure un
pareil pacte, doit toujours être un Moi normal. Mais ce Moi normal, tout comme
la normalité elle-même, n'est qu'une fiction idéale alors que le Moi anormal,
celui qui ne se prête pas à nos desseins, n'en est malheureusement pas une,
lui. Tout individu normal n'est que relativement normal ; son Moi par quelque
côté se rapproche plus ou moins du psychotique. C'est le degré d'éloignement
de la proximité de l'une ou de l'autre extrémité de cette série qui nous fournit
une mesure provisoire de la « modification du Moi », si difficile à
préciser » (§ V) (1).

(1) Traduction Anne BERMAN, Revue française de Psychanalyse, XI, 1939.


NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 681

Le passage qui suit cette citation fait une place très importante aux méca-
nismes de défense qui sont la préoccupation sans cesse croissante de la partie
terminale de l'oeuvre freudienne dans ses aspects cliniques. Dès Inhibition,
symptôme, angoisse (1926), cette question est largement posée et même dès
Le Moi et le Ça (1923). Ces variables qui influent sur le résultat de la cure se
manifestent non seulement dans la constitution du Moi, mais dans les modalités
transférentielles : analyse du transfert, et analyse du Moi, se rapprochant
singulièrement (§ VI) (1).
Lorsque Freud classera les résistances on sera tenté de confondre certaines
typologiestransférentielles avec certaines typologies névrotiques. Par exemple les
notions de viscosité libidinale (résistance au changement), mobilité libidinale
(variabilité des investissements), disparition de la plasticité (difficulté à évoluer)
feront penser pour le deuxième et le troisième de ces aspects aux structures
hystéro-phobiques et obsessionnelles. En fait, l'analyse aboutit chez Freud
dans cet article à l'opposition Érôs-Thanatos et à l'irréductibilité du complexe
de castration. Enfin, dernier élément non négligeable de cette appréciation
du champ psychanalytique c'est le rôle intense joué par le contre-transfert,
témoin du désir de l'analyste (§ V).
Ce rappel d'Analyse terminée et analyse interminable (finie et infinie) était
nécessaire pour fixer les limites du champ.
1. Le champ psychanalytique exclut donc :
— les états de crise : les névroses traumatiques et les névroses actuelles ;
— les psychoses : maniaco-dépressives (par ce qui précède), paranoïa,
schizophrénie.
Ceci s'accorde avec notre proposition selon laquelle c'est le transfert
qui fonde l'expérience psychanalytique. Freud a toujours insisté sur
l'absence de transfert dans les névroses narcissiques. Les correctifs
modernes laissent la question ouverte. Il n'est pas du tout assuré, quoi
qu'on en dise, que la relation avec le psychotique soit celle du transfert.
Le problème de la perversion doit être également envisagé à part pour
deux raisons :
a) L'indication d'analyse est rarement posée sur la structure perverse
comme telle. Le pervers authentique ne vient pas jusqu'à l'analyste, c'est là
un fait connu. Ce sont les avatars du désir pervers, un « indice de névrotisation »,
qui le conduisent jusqu'à l'analyste (2).
b ) Les découvertes sur les perversions concernent moinsle désir pervers que
l'hypothèse de la perversité polymorphe de l'enfant dans le cadre de l'évolution
libidinale ou les modifications du Moi chez le pervers, telle la Spaltung (clivage)
décrite par Freud dans son article terminal Die Ichspaltung im der Abwehr
vorgang (1938).
Exception faite des relations de la perversion avec la pulsion de mort
(masochisme) et la bisexualité normale (homosexualité) qui ont des prolonge-
ments avec la normalité et la jiévrose.

(1) Puisque Freud souligne le caractère relatif de la distinction entre le Moi et le Ça.
(2) L'on peut en voir une des nombreuses preuves dans la réponse adressée par Freud à
la mère d'un homosexuel qui lui demandait de prendre en traitement son fils, rapportée par
JONES dans le tome III de son ouvrage sur La vie et l'oeuvre de Freud.
682 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

2. On peut conclure déductivement que le champ analytique


comprendra pour Freud :
a) Les névroses de transfert : hystérie de conversion, phobie et névrose
obsessionnelle ;
b) Certaines « modifications du Moi », les inhibitions, les formations du
caractère dont la place est entrevue dans Inhibition, symptôme, angoisse,
et auxquelles il est fait allusion dans Analysefinie et analyse infinie.
D'une façon générale, le rôle du Moi est mis en avant par Freud ; les
modifications du Moi déterminent la structuration des mécanismes de
défense bien qu'il semble peu légitime de réduire le rôle du Moi à
cette structuration (ce que Freud ne fait pas).
La forme du transfert est mise en relation avec des facteurs qualitatifs
et quantitatifs et l'on retrouve une fois encore l'importance dans la
pensée de Freud du point de vue économique. Le contre-transfert de
l'analyste joue un rôle important dans la guérison du patient.
Comment donc conclure par rapport à notre opposition névrose
obsessionnelle — hystérie ? Une remarque s'impose : elle souligne le
caractère cohérent et structuré des névroses de transfert, opposé au
caractère flou, indécis, incernable des données issues du Moi et des
vices de structure de la libido, qui viennent jouer comme variations
individuelles, obscurcissant l'intelligibilité des tableaux cliniques et
modifiant leur accessibilité à la thérapeutique.

II. L'OPPOSITIONENTRE NÉVROSE OBSESSIONNELLE



ET HYSTÉRIE CHEZ FREUD
Cette opposition court tout au long de l'oeuvre freudienne juste
après les Études sur l'hystérie et pratiquement jusqu'à Inhibition, symp-
tôme, angoisse, soit entre 1893 et 1926.
A) UN PREMIER GROUPE DE TRAVAUX entre 1893 et 1896 comprend :
a) Les Psychonévroses de défense (1) (1894) ï
b) Obsessions et phobies (2) (1895) ;
c) Les psychonévroses de défense (lettre à Fliess du 1er janvier 1896) (3) ;
d) Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense (1896) (4).

(1) S.E., III, 43.


(2) Revue neurologique, 1895, 3, 33.
(3) Naissance de la psychanalyse, trad. A. BERMAN, Presses Universitaires de France,
1956, K. p. 129.
(4) S.E., III, 162. Nous avons choisi, pour cette période initiale, les textes qui mettent
surtout en valeur le désir de Freud de décrire et de définir les mécanismes présents dans
les deux névroses en termes corrélatifs.
NÉVROSÉ OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 683

a) Un certain nombre de notions communes se dégagent de ces études


1) Sur le plan étiologique : ces travaux reflètent les premières préoc-
cupations de Freud quant à l'étiologie des névroses et la défense de
la conception traumatique.
Ainsi, névrose obsessionnelle et hystérie différeront selon :
— la date du trauma (antérieure dans la névrose obsessionnelle à celle de
l'hystérie) ;
— le type du trauma (actif dans la névrose obsessionnelle, passif dans l'hystérie).
Freud fait remarquer déjà que dans la névrose obsessionnelle le trauma est
de nature agressive et perverse : il s'agit d'un plaisir pris dans une expérience
sexuelle précoce plus ou moins teintée d'agressivité. Le recouvrement des
traumas dans la névrose obsessionnelledistingue par un trait supplémentaire
celle-ci de l'hystérie : un trauma passif recouvre et précède le trauma actif
déterminant.
2) Sur le plan topique et dynamique, Freud précisele rôle pathogène du
trauma sur la situation d'enfance. La prématuration confère à cette patho-
génie une valeur particulière. Les conséquences du trauma ne se bornent
pas à leur effet immédiat et ont un rôle constituant car c'est à la suite de
celui-ci que va se créer, dira Freud, un noyau psychique de nature parti-
culière. Ce noyau psychique sera comme le lieu de l'autre scène—l'expres-
sion n'est pas encore employée, elle ne le sera que dans L'interprétation
des rêves. On peut retrouverici ce qu'il est possible d'appeler « les prémices
de la conception de l'objet perdu », et de même la première individuali-
sation de la force poussante qui agira à la racine de la demande déléguée
par les représentations, qui prendra forme dans le concept ultérieur de
pulsion.
3) Le couple de l'enfance et de la puberté donne au trauma sa forme
biphasique. Le rôle révélateur de la puberté est mis en évidence pour la
première fois. La réactivation minime venue du dehors, se mettant en
relation avec les rejetons de l'événement traumatique, déclenche la
névrose par l'effet économiquede l'élévation du niveau pulsionnel propre
à cette période.
4) Ce processus institue une catégorie de causalité psychique spéciale
liée à la sphère du resouvenir dans le désir.
5) Cette catégorie crée une classe nosographique spéciale : les psycho-
névroses de défense, qui, à l'époque, va comprendre les névroses et
les psychoses (1) (paranoïa, mélancolie, psychoses hallucinatoires chroni-
(1) La dénomination que Freud leur donne : psychonévroses de défense, s'explique par
le fait que les symptômes sont, dans ces cas, des défenses réussies. Il est à noter que la
notion de réussite n'est pas appréciée ici par rapport à un critère adaptatif, mais seulement
en fonction de la capacité des formations symptomatiques d'empêcher les contenus de
l'inconscient d'atteindre la conscience.
684 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

ques). Cette classe nosographique spéciale se distinguera des névroses


actuelles (névrose d'angoisse et neurasthénie) où dominent les effets de
la rétention, de l'accumulation énergétique de libido par contention,
idée qui va persister chez Freud jusqu'à Inhibition, symptôme, angoisse
et ne sera en fait jamais réfutée par lui, mais seulement restreinte dans sa
portée. Ainsi donc le concept de défense inaugure la notion de conflit entre
l'ego et le noyau inconscient ; il est donc essentiel de rappeler à cette
occasion que, quelles qu'en soient les déterminations externes dans
l'effet initial du traumatisme, ou dans la réactivation qui est à l'origine
du déclenchement de la névrose, la nature de ce conflit est d'être intra-
psychique.

b) Les différences entre hystérie, névrose obsessionnelle et phobie


dans les premiers travaux
1) L'hystérie. — Les caractéristiques cliniques de l'hystérie sont
dégagées des Études sur l'hystérie (1893-1895) et des articles que nous
venons de citer. Le symptôme hystérique est un symptôme de défense.
Il s'agit, pour le sujet, de rendre l'idée « non arrivée », de l'affaiblir, c'est
la tâche de la conversion. « Dans l'hystérie, l'idée incompatible est
rendue inoffensive par le fait que sa somme d'excitation est transformée
en quelque chose de somatique. Pour ceci, je désire proposer le nom de
conversion » (1).
Il y a donc dans l'hystérie une obligation de décharge et une voie
ouverte vers la liquidation de la tension, à la différence de l'obsession.
Cette décharge vide en quelque sorte l'idée intolérable, elle l'épuisé,
de telle sorte qu'elle ne puisse plus agir, du moins est-ce le vouloir du
sujet hystérique. Celle-ci obtient cependant satisfaction à sa manière
dans sa mutation car elle conserve, même modifiée, son statut signifiant.
Il faut remarquer, de par l'état instable de la distribution énergétique,
la plasticité des conversions. La méthode cathartique est une retransmu-
tation de l'excitation, du champ physique au champ mental. On retrouve
ici la notion de somatisation ou de complaisance somatique bien différente
donc de ce qui, ultérieurement, sera décrit sous le nom de phénomènes
psychosomatiques. L'arrêt dans le « domaine intermédiaire » de la mobi-
lité libidinale préserve un statut signifiant qui demeure déchiffrable.
2) La névrose obsessionnelle. — Elle est la mieux étudiée par Freud sur-

(1) S.E., III, 49. Les autres articles de Freud de cette époque consacrés à l'hystérie ne
fout que répéter l'essentiel des découvertes des Studien. Cf. notamment: Les mécanismes
psychiquesdesphénomèneshystériques (S. E., III, 25) et L'étiologie de l'hystérie (S. E., III, 191).
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 685

tout dans les Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense (1896).
Son caractère essentiel tient à ce que la capacité de conversion n'opère
pas ici. Le sujet se trouve devant une impossibilité de liquidation et
de mutation de l'idée pénible qui va se manifester sous la forme déguisée
de reproches (où l'on perçoit déjà le rôle que Freud fera jouer plus
tard au Surmoi). En outre, Freud va, dès cet instant, remarquer la
tendance à la multiplication des défenses et la création de nouveaux
symptômes dans un sens évolutif.
Mais le trait dominant pour caractériser la névrose obsessionnelle
est la distinction entre l'idée et l'état émotif. Tandis que l'idée sera soumise
au changement, l'état émotif restera le même. Cet état émotif, dit
Freud, est justifié par sa relation au trauma. Ce à quoi l'on assiste dans
la névrose obsessionnelle, c'est à sa perpétuation, seule la modification
de l'idée étant intervenue. La conjonction de l'idée non déguisée et
de l'état émotif permet de reconstituer le trauma sexuel primitif.
Cependant un second caractère apparaît comme propre à la névrose
obsessionnelle, c'est celui d'un déroulement temporel caractéristiquepoly-
phasique qui fera de celle-ci la plus typique des névroses de défense.
Dans le premier temps surgissent des expériences traumatiques, passives
d'abord, actives ensuite, celles-ci étant les plus importantes, où Freud relève
déjà la teinture perverse du trauma. Ailleurs il dira que cet acte sexuel a
souvent un caractère agressif.
Dans un deuxième temps, après une décomposition de l'expérience et son
oubli, une circonstance à distance du trauma provoque la réactivation de
l'expérience traumatique initiale et réveille la réprobation qui l'accompagne
avec établissement d'une défense réussie sous la forme d'un symptôme primaire
de défense qui s'exprimera sous la forme de compromis d'une scrupulosité
excessive ou d'une tendance au remords comme trait de caractère général.
La création de cette forme de compromis est nécessaire au maintien de la santé,
moyennant ces premiers types de symptômes qui, à vrai dire, n'en sont pas
encore tout à fait. Dans un troisième temps, on assistera au retour du refoulé.
C'est la vraie obsession ; ici la défense va oeuvrer à plein dans son action de
séparation de l'idée et de l'état émotif avec substitution d'une idée par une autre.
Nous assistons ici à un double déplacement, où le présent remplace le passé et le
non sexuel remplace le sexuel avec maintien de l'état émotif de réprobation, celui
du déplaisir. Dans les Lettres à Fliess, Freud dira : « L'obsession résulte d'un
compromis exact au point de vue de l'affect et de la catégorie mais déformé par
son déplacement chronologique et par le choix analytique du substitut. » Deux
types d'obsessions seront essentiellement refoulés. Celles qui portent sur le
contenu de l'action refoulée et celles qui paraissent sous la forme du reproche.
Enfin, dans un quatrième et dernier temps, on voit paraître la création de mesures
protectrices. Ce sont des défenses secondaires qui seront ultérieurement connues
sous le nom de compulsions, rituels, vérifications, qui auront triomphé de
l'idée obsédante, mais seront devenus obsédants eux-mêmes.
La notion de contiguïté est manifestement ici en cause, celle de conta-
REV. FR. PSYCHANAL. 44
686 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

mination par contact de même que dans l'hystérie on peut dire que l'on
a vu la naissance d'une formation créée par similitude, c'est le « comme
si » du symptôme corporel dont l'établissement est concomitant de la
rupture des liens de signification par passage à un autre registre.
3) La phobie. — Sa définition émane de l'article de Freud de 1895.
L'affect, dit Freud, est toujours l'angoisse, l'idée est toujours le souvenir
d'une attaque d'angoisse, l'origine en est traumatique et sexuelle. Et
Freud de conclure : la phobie est la manifestation psychique de la névrose
d'angoisse. On peut donc dire que la phobie va représenter le chemin
récurrent du représentantde la pulsion pour retrouver la voie du domaine
psychique. Elle est différente de l'hystérie en ce qu'elle n'est pas liqui-
dée par la décharge énergétique — il y a dans la phobie un refus d'en
finir pour ainsi dire — et différente de l'obsession en ce qu'elle n'est
pas perpétuée par le reproche, ce qui est comme un refus de perdurer.
Ceci explique cette caractéristique essentielle qui a été oubliée par la
plupart des auteurs depuis Freud, de la limite mouvante de la phobie.
Il y a dans la phobie création d'une zone opaque, mais aussi création
d'un type de signifiant particulier, une « représentation limite », dira
Freud dans une lettre à Fliess, dont on conçoit qu'elle peut se modifier,
voire, si la régression s'accentue, changer de nature (obsessionnalisation).
A la racine de l'hystérie nous assistons à une subjugation du Moi, qui
subit passivement le trauma sexuel ou les effets de sa résurgence, cet
effroi crée une lacune dans le psychisme qui n'existe pas dans l'obsession
où l'on a vu qu'émergeaient des angoisses et des reproches conscients,
soulignant l'absence de solution de continuité entre le trauma et ses
effets. Ce qui oppose les trous de la mémoire de l'hystérique à la prodi-
gieuse conservation 'des souvenirs de l'obsessionnel. Cette représentation
limite opère un déplacement sur une représentation connexe (c'est le
cheval d'angoisse du petit Hans) qui fixe à la phobie sa situation inter-
médiaire. Néanmoins, si une certaine mobilité lui est permise, elle ne
connaît pas les astuces et les acrobaties du déplacement obsessionnel.
B) LE DEUXIÈME GROUPE DE TRAVAUX, de Dora à la deuxième topique.
Dans cette deuxième étape de la pensée freudienne, il est nécessaire
de distinguer quelques jalons intermédiaires.
Dora et L'homme aux rats
1.
a) Dora (1901). — Freud n'est pas pour l'hystérie dans la même
position que pour la névrose obsessionnelle. Il a en effet derrière lui
l'importante expérience des Studien. La rencontre avec Dora est
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 687

l'occasion de nouvelles découvertes. Il est d'abord essentiel de souligner


que le fond de la névrose hystérique de Dora est une histoire d'amour,
une histoire dans laquelle le rôle d'Érôs est au premier plan.
Quelques-unes des découvertes antérieures sont ici reconduites
comme la complaisance somatique qui prolonge l'effet de la conversion,
l'interversion de l'affect qui remplace le désir par le dégoût, le rôle des
amnésies qui créent cette discontinuité dans le discours psychique.
Surtout, il faut relever trois faits essentiels découverts par Freud à
cette occasion :
— le transfert, et cela n'est certes pas par hasard si c'est au sujet
du désir d'une hystérique que se dévoile ce concept fondamental ;
— la signification des symptômes hystériques, ce sont des fantasmes
incarnés ; le corollaire en sera, d'une certaine façon, le passage à l'acte
chez l'hystérique : « Ainsi elle mit en action une importante partie
de ses souvenirs et de ses fantasmes au lieu de les reproduire dans
la cure » (1) ;
— le complexe d'OEdipe et surtout le rôle de la bisexualité à l'intérieur
de ce complexe, facteur primordial de l'identification de l'hystérique.
b) L'homme aux rats (1909). — Ici la position de Freud à l'égard du
problème marque un changement de ton. Il n'a plus à l'égard de l'énigme
de la névrose obsessionnelle l'attitude conquérante des articles de 1894,
de 1895 et de 1896 et, en fait, la névrose obsessionnelle lui apparaît
infiniment plus compliquée qu'il ne l'avait cru. Les raisons de cette
complication sont examinées par lui. Sémantiquement, la déformation
elliptique y est en oeuvre de façon majeure. Cette constatation est
importante en ce qu'elle dénonce pour la première fois avec acuité les
pièges de l'obsessionnel qui le conduisent dans la constitution de sa
névrose, non à cette structure lacunaire et discontinue de l'hystérie, mais
à une disjonction des rapports de causalité (2) par l'effet de toute-puissance
de la pensée. Ces considérations amènent Freud à parler pour l'obsession
de sa parenté avec le délire et attribue à celle-ci la qualité d'une orga-
nisation « archaïque ». La toute-puissance de la pensée dans les désirs
de l'obsessionnel est soulignée dans le sens où elle situe l'obsessionnel
dans le registre de ce qui va trouver sa place ultérieurement dans l'oeuvre
freudienne sous le nom de Thanatos :

(1) Cinq Psychanalyses, trad. Marie BONAPARTE et R. LOEWENSTEIN, p. 89, Presses Uni-
versitaires de France, 1954.
(2) Freud découvre aussi ici une organisation lacunaire, mais différente de celle de l'hysté-
rique. Le sujet intercale un intervalle entre la situation pathogène et l'obsession, mais il le
comble en quelque sorte par généralisation.
688 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

les obsédés dans tout conflit sont-(ils) à l'affût de la mort de la personne


«
qui leur importe, pour la plupart d'une personne aimée, que ce soit un de leurs
parents, un rival, un des objets d'amour entre lesquels ils hésitent ».
Le conflit amour-haine et l'ambivalence qui le marque s'y expriment
avec une force qui le rend sensible à notre investigation :
« Une séparation très précoce des contraires à l' « âge préhistorique » de
l'enfance, accompagnée du refoulement d'un des deux sentiments, d'habitude
de la haine, semble être la condition de cette « constellation » si étrange de la
vie amoureuse (1). »
La régression pulsionnelle dynamique à cette époque de la pensée
freudienne n'est pas encore formulée, par contre la régression topique
est poussée très loin puisque Freud dira que :
« ... de plus, grâce à une sorte de régression, les actes préparatoires remplacent les
décisions définitives, la pensée se substitue à l'action et une pensée en tant que
stade préliminaire à l'acte se fait jour avec une force compulsionnelle à la place
de l'acte substitutif (2). »
Ce processus entraîne une sexualisation de la pensée. En conclusion,
« les traits caractéristiques dans ces névroses qui les distinguent de l'hystérie
doivent être rattachés, à mon avis, non dans la vie instinctuelle mais dans les
rapports psychologiques (3). »
Que conclure de cet état de la théorie jusqu'à la deuxième
topique ?
Que l'hystérie apparaît comme domaine privilégié de l'Érôs, du

transfert, des sentiments positifs de l'OEdipe et de la bisexualité.
— Que le symptôme crée une lacune, plonge dans l'incarnation
somatique (conversion) et s'y exprime dans un langage métaphorique.
— Que la pensée y est attirée par les formes imaginaires — les
fantasmes, par le moyen de l'identification.
— Que l'obsession va se révéler comme le domaine privilégié de
Thanatos, celui des sentiments négatifs de l'OEdipe.
— Que le symptôme obsessionnel est un contenu inconscient
déformé par déplacement du contenu primitif.

(1) Loc. cit., p. 253.


(2) Loo. cit., p. 259.
(3) Cette remarque de Freud est assez étrange si l'on se souvient du fait que l'étiologie
sexuelle des névroses garde pour lui la valeur d'un concept fondamental. En réalité il faut,
à notre avis, voir la préfiguration de ce que Freud développera plus tard dans son oeuvre sur
la névrose obsessionnelle, à savoir : a) Le rôle dynamique du développement du Moi en avance
sur celui de l'évolution de la libido (prédisposition à la névrose obsessionnelle) ; b) Topiquement
le fait que l'instance du Moi joue un rôle plus important dans la névrose obsessionnelle que dans
l'hystérie qui se traduira dans les prolongements ultérieurs de l'oeuvre freudienne par l'impor-
tance accordée à l'Idéal du Moi et au Surmoi. On voit par quelle solution élégante Freud, sans
rien renier de sa pensée, résoudra ce problème par la place qu'il attribuera au Surmoi, mais
en tant que ce Surmoi a lui-même subi la régression pulsionnelle qui affecte le Ça.
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 689

— Qu'il entraîne un reflux de l'acte vers la pensée, que ce reflux


transfère avec lui les charges libidinales qui opèrent la sexualisation
de la pensée.
— Que la progression semble s'y faire par contact de proche en
proche, y faisant prévaloir un langage métonymique.
— Que la pensée est dominée par ce qui va se préciser ultérieure-
ment dans la pensée freudienne sous le nom de Narcissisme (toute-
puissance de la pensée).
2. Avant la Métapsychologie
En 1908, paraît l'article de Freud intitulé Les fantasmes hystériques
et leur relation à la bisexualité.
Il y établit le lien entre les rêveries éveillées, les fantasmes conscients et
inconscients, la masturbation et les symptômes hystériques. La pensée ou l'idée
intolérable en relation avec le traumatisme qui était à la racine du symptôme
est complémentée plus que remplacée, ici, par les fantasmes (la condensation
de plusieurs d'entre eux). Le symptôme en est le substitut par « retour asso-
ciatif », il est l'expression d'un désir, médiatisé par le fantasme inconscient, sous
les formes d'un compromis entre tendances opposées dont l'une au moins est
toujours sexuelle, et en relation avec la bisexualité.
Peu après, Freud écrit Quelques remarques générales sur les attaques
hystériques (1909) (1).
Cet article représente le dernier mot de Freud sur la question.
Il semble qu'il n'aura guère l'occasion d'aller plus loin dans l'explo-
ration de l'hystérie. La signification de ce travail est que « ces attaques
ne sont rien d'autre que des fantasmes projetés, traduisant une activité
motrice, et représentés en pantomime » (2). Ces fantasmes subissent les
mêmes déformations que dans le rêve et sont donc propres à une analyse
au même titre que le rêve.
L'analyse de ces fantasmes y révèle la prévalence des mécanismes de conden-
sation, les phénomènes d'identification multiple, l'inversion antagoniste, et l'in-
version de la suite des événements. Cette double inversion affecte donc dans sa
valeur de contre-investissement des termes synchroniques et diachroniques.
Le déclenchement de ces attaques se fait selon des mécanismes divers, soit
associativement (par le représentant de la pulsion) soit organiquement par éléva-
tion du niveau de l'investissement, soit par la recherche de bénéfices primaires ou
secondaires. L'étiologie de ces fantasmes et leur fonction est de servir de substitut,
d'une gratification auto-érotique subissant le destin de refoulement, et obéissant
au processus temporel habituel du mécanisme inconscient : refoulement, échec
du refoulement, retour du refoulé. Le fantasme fondamental réducteur de tous
les fantasmes manifestes est le coït, dans lequel on peut distinguer plus spéciale-
ment dans sa forme d'attaque hystérique, un rapport sexuel où la femme adopte
une position phallique.
(1) S.E., IX, 229.
(2) S.E., IX, 159.
690 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Le conflit entre les pulsions de conservation (introduites à cette


occasion) et les pulsions sexuelles fait l'objet de l'étude sur les Troubles
psychogéniques de la vision (1910) (1).
Du côté de la névrose obsessionnelle Freud a découvert le lien entre
les actions obsessionnelles et les pratiques religieuses (1907) (2) et le rôle
de l'erotique anale (1908) (3). Dans le premier de ces deux articles,
Freud décrit admirablement la dialectique de ce qu'il différenciera
ultérieurement sous les termes du Moi et du Surmoi, notamment dans
la satisfaction tirée des symptômes. « Une névrose obsessionnelle, écrit-il,
présente un travestissement à moitié comique, à moitié tragique, d'une
religion privée. » Et c'est en 1913 que Freud consacre à la névrose obses-
sionnelle un de ses articles princeps : « La prédisposition à la névrose
obsessionnelle » (4), où sont abordées la question de la fixation et celle de la
régression. La fixation dans la névrose obsessionnelle relève d'un stade
intermédiaire entre l'auto-érotisme et l'amour objectai, celui où les
pulsions sont déjà fusionnées, où le Moi fait choix d'un objet distinct,
sans qu'on puisse pour autant parler d'un primat des zones génitales.
Cette structure particulière va expliquer dans une certaine mesure la
prédominance de la haine, de la passivité et des pulsions partielles dans
le désir de l'obsessionnel. Mais surtout, cette forme de fixation ne prend
sa valeur distinctive qu'en ce que le Moi opposé aux pulsions sexuelles
serait ici en avance dans leur évolution parallèle. Il est à remarquer que
Freud reviendra plus tard sur cette affirmation atténuant sa valeur
pathogénique dans Inhibition, symptôme, angoisse. A ce stade cependant,
le « défaut » génital qui laisse vide la place normalement occupée par la
génitalité aux pulsions que nous avons citées est une simple carence par
absence qui ne préjuge en rien de l'appréciation sur la valeur des forces
de ce qui est absent et son ou ses substituts.

3. La Métapsychologie (1915-1917)
Elle est le dernier jalon avant la modification profonde de la deuxième
topique freudienne, et comme telle, nous offre la possibilité d'un examen
récapitulatifdes positions freudiennes sur les distinctions cliniques struc-
turales présentes dans la phobie, l'hystérie conversion et la névrose
obsessionnelle. C'est à propos de la comparaison sur le destin de la

(1) S.E.,
IX, 209.
(2) IX, 115.
S.E.,
(3) S.E.,
IX, 167.
(4) S.E.,
XII, 311. Nous ne mentionnons pas Totem et Tabou (1913) où la névrose
obsessionnelle est grandement approfondie mais à partir d'un point de départ plus anthro-
pologique que clinique.
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 691

charge affective que Freud est amené à préciser ces distinctions (1).
Dans la phobie : on constate une substitution d'une représentation
par une autre et un échec de l'épargne en déplaisir (angoisse).
Dans l'hystérie de conversion, le représentant de la pulsion échappe
à la conscience en s'orientant vers le corps, et par condensation donne
lieu à une formation substitutive, mais à la différence de la phobie,
l'épargne en déplaisir arrive à un résultat efficace (la belle indifférence des
hystériques). Cependant ce résultat n'est pas entièrement satisfaisant et le
sujet est parfois obligé, soit de créer de nouveaux symptômes de conver-
sion, soit de constituer d'autres types de symptômes comme les phobies.
Dans la névrose obsessionnelle la régression domine, le sadisme
est au premier plan. D'une part représentants de la pulsion et affects
disparaissent sous l'effet de la formation réactionnelle, d'autre part on
assiste à la constitution de ce symptôme primaire de défense que nous
avons déjà mentionné plus haut. L'épargne en déplaisir échoue ici
totalement puisque l'affect reparaît et le représentant de la pulsion
n'est que déplacé.

C) LES MODIFICATIONS DE LA DEUXIÈME TOPIQUE :


Inhibition, symptôme, angoisse
Entre la Métapsychologie et Inhibition, symptôme, angoisse, Freud
semble s'être peu préoccupé de la question des rapports réciproques
de l'hystérie, la phobie et de la névrose obsessionnelle, comme s'il
laissait ce sujet en attente. Pourtant, dans Le Moi et le Ça (2), on trouve
des passages importants concernant la névroseobsessionnelledont l'étude
a été un des motifs les plus convaincantspour modifier la première théorie
des pulsions et la première topique, et inciter Freud à réviser son système
pour le rendre apte à résoudre les problèmes posés par la clinique.
La régression pulsionnellelaissait apparaître ses effets dans la formation
des symptômes, mais l'expérience force maintenant à constater que l'atti-
tude du Moi joue un rôle déterminant dans l'évolution de l'analyse;
celui-ci obéit à un sentiment de culpabilité inconscient contrecarrant, de
façon radicale, la progression de la cure, y faisant prévaloir la compul-
sion de répétition. C'est sur ces arguments cliniques que la pulsion
de mort trouve en partie sa justification. Mais, comme nous l'avons dit,
c'est avec Inhibition, symptôme, angoisse, que le bilan clinique définitif
de l'oeuvre freudienne sur les névroses de transfert va être établi.

(1) S.E., XIV, 141, 159.


(2) S.E., XIX, 48.
692 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

I. Quelques remarques générales doivent être faites


avant d'aborder les différences entre les structures
Le champ analytique tel qu'il apparaît dans Inhibition, symptôme,
angoisse peut comprendre d'autres valeurs que les névroses de transfert,
nous l'avons déjà mentionné plus haut, ce sont par exemple les inhibi-
tions. Or, l'inhibition y est envisagée essentiellement comme une res-
triction des fonctions du Moi par érogénéisation excessive et nécessité
d'éviter un conflit avec le Ça où le Surmoi (1).
Le refoulement primitif y est conçu sous la dépendance essentielle
de facteurs économiques. Il survient à la suite du débordement, subi par
le Moi naissant ou immature, par les excitations externes et les forces
pulsionnelles qui excèdent quantitativement les possibilités de tolérance
du Moi (2).
Le Moi représente la partie organisée du Ça à la suite de la mise
en oeuvre du Refoulement. Mais c'est là une notion fondamentale
établie par Freud à laquelle on n'a pas assez prêté attention depuis :
le Moi est à la fois relié et séparé du Ça. Ce concept fait du Moi un
organe de conjonction-disjonction (dans la terminologie de J. Lacan)
moins qu'un organe d'intégration. L'autonomie du Ça continuera à
représenter ce qui a barre sur le Moi, qui reste, selon le dire de Freud,
« une organisation ». Il (le Moi) « est fondé sur le maintien d'un libre
commerce et la possibilité d'influencesréciproques entre ses parties » (3),
à la différence du Ça qui est, lui, isolé. Le Moi cherche donc à englober
les symptômes. L'acte de labeur qui donne naissance au symptôme
représente une telle tentative, où, comme nous l'apprend la clinique,
une adaptation réciproque du symptôme et du Moi finit par s'établir.
La meilleure preuve en est donnée dans la constitution des avantages
narcissiques conférés, par exemple, par les systèmes obsessionnels et
paranoïaques. Le Moi s'allie donc aux résistances, il n'est pas simple-
ment la victime de ces résistances, il en est le promoteur dans sa fonc-
tion mystifiante cependant jamais quitte à l'égard du Ça. « Car le
symptôme étant le vrai substitut et le rejeton de la motion refoulée, joue
le rôle de cette dernière. Il renouvelle continuellement sa demande à
être satisfaite et ainsi oblige l'ego à son tour à donner le signal du
déplaisir et à se mettre en position de défense » (4).

(1) S.E., XX, 96.


(2) S.E., XX, 94.
(3) S.E., XX, 98.
(4) S.E., XX, 100.
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 693

2. Distinction entre phobie, hystérie, et névrose obsessionnelle


Elles forment l'essentiel des chapitres IV, V, VI, VII et de
l'addendum A, a, de l'ouvrage.
La phobie. — La phobie est une tentative pour résoudre le conflit
d'ambivalence. Ici il s'agira moins d'un représentant de la pulsion,
d'un signifiant qu'il s'agit d'étouffer, mais d'une des deux composantes
des sentiments à l'égard du père (1). Cette solution est trouvée en cir-
convenant la situation d'un des éléments de la paire des pulsions conflic-
tuelles, en la dirigeant sur une autre personne, un objet substitut,
c'est le sens du vieux déplacement. Mais cette projection amène en
retour l'idée d'une rétorsion, la crainte d'être agressé par l'objet du
désir d'agression. Quelle est dans ce contexte la signification de la cas-
tration orale, s'interroge Freud ?
« Est-il du reste simplement question du remplacement du représentant
psychique par une forme d'expression régressive, ou est-il question d'une
dégradation authentiqueraient régressive de la pulsion à orientation génitale
dans le Ça ? Il n'est pas du tout facile d'en être certain » (2).
Le Moi déclenche donc la régression à titre défensif en supprimant
l'opposition des composantes du sentiment, qui sont chacune véhiculées
par une pulsion de sens contraire, par le moyen de la régression.
Freud fait la comparaison entre Hans et le Russe (L'homme aux
loups), ce qui semble le freiner dans sa démarche théorique. Car il
minimise la structure prépsychotique de L'homme aux loups. Le Russe
est un cas-limite, de toute évidence, mais Freud semble n'en vouloir
rien savoir.
L'examen des différents types de peur, telle que la phobie nous en
donne des exemples, amène Freud à identifier une donnée structurale
qui n'est pas seulement donnée par l'expérience, mais qui s'impose
comme ayant valeur de concept, c'est la situation de la castration, qui
apparaît ici comme le critère à la lumière duquel les autres types d'angoisse
vont pouvoir être compris.
L'hystérie de conversion. — Sa fréquence s'est considérablement
réduite de 1894 à 1926 ; aussi Freud ne lui consacre-t-il que quelques
commentaires où, en fait, il n'apporte rien de neuf par rapport aux
élaborations de la métapsychologie.

(1) Sentiments médiatisés par des représentants bien entendu, mais l'accent, depuis la
deuxième théorie des pulsions, est mis sur la lutte des pulsions dans l'antagonisme de leur
action unificatrice ou séparatrice.
(2) S.E., XX, 105.
694 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Il remarque simplement la tendance du Moi à se débarrasser, se désolidariser


de l'affect concentré dans la partie atteinte par le symptôme. Il n'existe pas en
tout cas ici de lutte du Moi et le symptôme ne reparaît que lorsque la situation
conflictuelle est réveillée quand la partie du corps investie par le conflit est
touchée. Il n'est pas difficile de se rendre compte que la phobie (hystérie
d'angoisse) a pris progressivement le pas sur l'hystérie de conversion.
La névrose obsessionnelle. — Le trait fondamental distinctif est
la régression. Il ne s'agit pas d'une régression topique, opérée par le
Moi, mais d'une régression touchant l'organisation libidinale, mise en
oeuvre défensivement. Le refoulé semble vainqueur de la lutte. Le Moi
et le Surmoi collaborent dans la formation des symptômes :

« L'organisation génitale de la libido se révèle faible ou insuffisamment résis-


tante, de sorte que quand le Moi entreprend des efforts défensifs, la première
chose qu'il réussit est de rejeter l'organisation génitale (de la phase phallique)
en totalité ou en partie au niveau antérieur sadique-anal » (1).
Ceci n'est plus dû, comme Freud le pensait autrefois, à un facteur
temporel, celui du développement précoce du Moi par rapport aux
pulsions :
« Quant à l'explication métapsychologique de la régression, je suis enclin
à la trouver dans une « défusion des pulsions » dans un détachement des compo-
santes erotiques qui, à l'installation du stade génital, ont rejoint les investis-
sements destructifs qui appartiennent à la phase sadique » (2).
Dans la névrose obsessionnelle on assiste à une tyrannie du Surmoi
qui crée la différence fondamentale entre l'obsession et l'hystérie.
Dans l'obsession le refoulement n'est qu'une des défenses, dans l'hystérie
la défense est limitée au refoulement.La conséquencede cette distinction est que
dans la névrose obsessionnelle on assiste à une lutte sur deux fronts. Le Surmoi
est intolérant et se comporte comme si le refoulement n'avait pas eu lieu. Le
refoulé, le Ça, est également intolérant et exige satisfaction d'une façon de plus
en plus impérieuse. La production de nouveaux symptômes correspond à une
demande d'affranchissement à l'égard du Surmoi. La seule voie de satisfaction
qui reste ouverte est la satisfaction masochiste, qui tourne finalement le Surmoi
en dérision par sexualisation de celui-ci. Cette constatation dérive des conclu-
sions de l'examen du Problème économique du masochisme (1924) où Freud écrivait
que le masochisme resexualise la morale. La formation des symptômes dans la
névrose obsessionnelle correspond à une tentative qui opère le retournement
masochique dans une position transitionnelle déjà envisagée dans Les pulsions et
leur destin (1915).
Que dire pour clore ce chapitre sur la structure du Moi et sur la
discussion maintes fois engagée sur sa force ou sa faiblesse ? Le Moi
est faible si l'on pense qu'il lui faut le relais des symptômes pour

(1) S.E., XX, 113.


(2) S.E., XX, 114.
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 695

laisser filtrer la satisfaction, mais il est fort car sa ténacité remarquable


indique qu'il tient à la conscience et à la réalité qu'il n'abandonne pas
comme dans la psychose.
Deux procédés vont montrer essentiellement cette ténacité, l'isolation qui
va opérer sans cesse la séparation du signifiant et de l'affect et l'annulation rétro-
active par la répétition et l'abolition de l'action, mais avec conservation des
données du réel.
La pensée obsessionnelle reste tributaire du tabou du contact
comme Freud l'avait déjà vu dans son article sur les obsessions et les
pratiques religieuses, et toujours ici la relation de contiguïté va prédo-
miner. Mais en fait, la donnée essentielle reste la prohibition du contact.
Le passage éventuel à la psychose (mentionné par Freud dès les Psycho-
névroses de défense) se fera s'il survient par épuisement progressif.
Avant d'en terminer avec la névrose obsessionnelle, l'hystérie de
conversion et les phobies dans cette oeuvre, il nous faut faire quelques
remarques sur les contre-investissements, qui appellent les commentaires
de Freud.
La résistance, comme le refoulement, nécessite une dépense permanente,
c'est celle-ci qui est figurée dans le contre-investissement. Le contre-investis-
sement représente une altération du Moi. Nous nous référons ici au Moi, non
dans le sens d'organe de l'adaptation, mais dans celui de médiateur des satisfac-
tions pulsionnelles et des exigences du Surmoi. Le type le plus net de contre-
investissement est la formation réactionnelle de la névrose obsessionnelle. Dans
l'hystérie aussi, sont en oeuvre des formations réactionnelles. Est-ce à dire
qu'aucune différence ne les sépare ? Le caractère de la formation réactionnelle
dans la névrose obsessionnelle est général, alors qu'il reste particulier à l'objet
d'amour dans l'hystérie, ne diffusant pas dans la généralité. Une autre différence
accentue l'oppositionnévrose obsessionnelleet hystérie : dans la névrose obses-
sionnelle le contre-investissement est dirigé vers l'intérieur, dans l'hystérie
il est dirigé vers l'extérieur.
Freud conclut qu'il existe un lien entre le refoulement et le contre-
investissement externe, et la régression et le contre-investissement
interne. La plus forte des résistances est la compulsion de répétition
qui est le mode de manifestation de la pulsion de mort, d'où la nécessité
de la « translaboration » (1) dans le travail analytique.

3. Conclusion sur Inhibition, symptôme, angoisse


Le plus frappant de l'évolution de la pensée freudienne en matière
d'interprétation clinique est, dans Inhibition, symptôme, angoisse, le
caractère fondamentalement restructurant des innovations apportées

(1) Traduction proposée par J. P. VALABREGA de Dürcharbeiten, qu'on a aussi traduit


« perlaboration » (J. LAPLANCHE).
696 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

par la deuxième topique et la deuxième théorie des pulsions. Il est


souvent affirmé, contrairement à la vérité, que l'introduction de la
pulsion de mort répondait à une attitude purement spéculative chez
Freud. Au contraire, et Freud le marquera avec force dans Malaise
dans la civilisation (1), l'introduction de la deuxième théorie des pulsions
lui semble absolument indispensable pour maintenir aussi bien la
cohérence de la doctrine métapsychologique que l'interprétation des
structures cliniques. Les pulsions auxquelles nous avons à faire sont
plus souvent un mélange de pulsions érotiques et agressives à part égale,
et aussi primordialement originaires. Mais, autre constatation d'impor-
tance, nous assistons ici à une remise en cause du statut de l'angoisse
de castration dans le complexe d'OEdipe, nécessitée par les conceptions
nouvellement introduites par Rank sur le traumatisme de la naissance.
Freud, de son côté, arrive lui aussi à une mise en question du problème
de la castration puisqu'il reconnaît à la névrose obsessionnelle une
angoisse d'un type particulier qui est celle du Surmoi. Par ailleurs, il
remarque combien le problème de l'hystérique est celui de la perte
d'amour.
Ainsi donc l'angoisse de castration se trouve insérée dans une série
qui comporte la perte de l'objet (le deuil), la perte d'amour, la castra-
tion elle-même, et l'angoisse du Surmoi. On voit que le facteur
commun qui unit les différents termes de la série est bien le danger
de séparation (le manque dans la terminologie de J. Lacan) et la castra-
tion n'apparaîtra que comme une des formes de cette séparation. Elle
a des précurseurs, sous la forme de la séparation des fèces et la séparation
du sein. On aurait tort de conclure trop rapidement à l'adoption d'un
point de vue strictement génétique. La castration prend appui sur les
expériences antérieures, en les structurant après coup (nachträglich),
c'est-à-dire en les insérant dans un ensemble sémantique qui leur donne
une valeur réciproque. Ainsi le concept de castration gardera sa valeur
structurale, formatrice en ce qu'il apparaît comme le plus exemplaire à
représenter les autres formes de séparation, mais cela n'est pas dire que
le concept de castration jouera exactement la même valeur dans toutes
les entités cliniques. Il est bien évident, par exemple, que dans le cas
des névroses narcissiques la notion de perte de l'objet prendra le pas,
pour ainsi dire, sur la castration, qui, en retour, sera peut-être le meilleur
moyen de l'éclairer.

(1) S.E., XXI, 108.


NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 697

III. — LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE POST-FREUDIEN


ET LA SITUATION NOUVELLE
DE L'OPPOSITION NÉVROSE OBSESSIONNELLE-HYSTÉRIE
Le champ psychanalytique après Freud est caractérisé :
1° Par une modification du statut des entités cliniques ;
2° Par une extension de ses limites.

A) LE NOUVEAU STATUT DES ENTITÉS CLINIQUES

Les modifications se sont produites sous l'influence, d'une part,


d'une exploration plus poussée du Moi avec les études de A. Freud,
Reich, Federn, Fenichel, Nunberg, Bergler, Hartmann, Kris, Loewen-
stein, Eissler, Nacht, Bouvet, et de la théorie du soubassement psy-
chotique des névroses (conception de Melanie Klein et de ses élèves).
1. Études sur le Moi hystérique et obsessionnel
Déjà, du vivant de Freud, l'apport de Reich sur le caractère avait
déjà témoigné d'un désir de définir plus complètement les différences
entre le Moi hystérique et obsessionnel, suivi en cette direction par
Federn et Fenichel.
Les formes plus récentes et les plus proches de la clinique de cette
question ont été l'objet du travail de Maurice Bouvet sur La relation
d'objet, travail ayant lui-même succédé à une étude approfondie sur
le Moi de l'obsessionnel. L'oeuvre de Maurice Bouvet est bien connue
des lecteurs français (1). Nous tenons seulement à souligner que la
perspective où se place Bouvet doit être située dans un effort de
« clinique totale », donc d'une certaine façon confusionnelle par néces-
sité, d'une clinique qui va s'efforcer de « dépasser » le point de vue
strictement analytique (2) pour essayer d'atteindre à une vue synthé-
tique. Ce que Bouvet cherche à dire de la relation d'objet doit être
en quelque sorte, à la fois valable pour le symptôme, le trait de carac-
tère, le type de défense et le type de transfert. Ainsi Moi hystéro-
phobique et Moi obsessionnel vont s'opposer point par point.
Le Moi hystéro-phobique est fuyant devant le conflit, se définissant par la
labilité deses investissements, l'érotisation superficielle de ceux-ci et la facilité
des identifications, tandis que le Moi obsessionnel peut être mieux décrit par le

(1) Cf. La relation d'objet, Revue fr. Psych., XXIV, 723.L'oeuvre de M. BOUVET, Rev. fr. de
Psych., t. XXIV, 1960, p. 687.
(2) Au sens littéral.
698 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

maintien devant le conflit, la maîtrise et la constance des investissements, la


relation à distance. D'une façon correspondante les résistances du trop éprouver
marquent le Moi hystéro-phobique comme celles du trop comprendre affectent
le Moi obsessionnel. Dans la situation de transfert les résistances de transfert se
verront plus volontiers chez l'hystéro-phobique tandis que la résistance au
transfert sera présente de façon prévalente chez l'obsessionnel.
Le recoupement de ces oppositions à l'intérieur des structures génitales
et prégénitales (ces dernières pouvant comprendre l'hystérie, les phobies, la
névrose obsessionnelle, les perversions et les psychoses) témoigne d'un désir
de redistribuer les valeurs du champ psychanalytique à partir de la structure
du Moi.
Ceci peut paraître autorisé par les références que nous avons
relevées dans Analyse finie et infinie, mais qui n'a pas été sans s'accompa-
gner d'une modification profonde de la conception du Moi. Il ne s'agit
plus en fait alors du Moi freudien, de celui des états de dépendance du
Moi, ou du Moi dont il est question dans Inhibition, symptôme, angoisse,
mais beaucoup plus du Moi, tel qu'il est entendu par Federn ou
Nunberg...
De toute façon, il nous paraît important de souligner les traits qui
appartiennent à ce nouveau Moi et qui mettent l'accent sur son aspect
synthétique. En fait, il n'est pas exagéré de dire que jusqu'à présent nous
manquons d'études sur le Moi, malgré l'importance qui lui est accordée
dans la littérature psychanalytique. Il nous semble que de telles études
ne peuvent absolument pas se suffire, ni d'une position génétique, ni
d'une position typologique caractérielle, comme cela est souvent le cas
dans les travaux récents. Seul un abord structural du Moi nous per-
mettra d'avancer dans le problème, abord qui était en définitive celui
de Freud dans les textes que nous venons de citer.
2. Le soubassement psychotique des névroses
Il faut situer son origine. Elle est comme toute modification dans le
champ de l'analyse due à des raisons pratiques et théoriques.
Pratiquement c'est la difficulté grandissante des cures qui a amené à sup-
poser que les troubles fondamentaux, les structures basales décrites par Freud
devaient être elles-mêmes le reflet de structures plus profondément régres-
sives et dont la théorisation n'avait pas rendu compte.
Au point de vue théorique, les conceptions de Melanie Klein ne se sont pas
bornées à acquérir une renommée dans le champ où leur application est la
moins discutée (les psychoses). Elles se sont étendues à l'ensemble du champ
psychanalytique, infléchissant notablement la pensée de maint auteur faisant
partie de milieux psychanalytiques généralement hostiles à l'oeuvre kleinienne.
Ce soubassement psychotique de la névrose n'implique pas chez
tous les auteurs que la névrose soit greffée sur des structures en relation
avec les psychoses comme c'est le cas dans les conceptions personnelles
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 699

de Melanie Klein. Mais un kleinisme s'est répandu, plus ou moins amé-


nagé par les auteurs qui ont retenu de Melanie Klein certains de ses
aspects en refusant l'ensemble de sa conception théorique complète
et en apportant un certain nombre de modifications à l'appareil méta-
psychologique freudien. On conçoit que le résultat aboutisse souvent
à une cote mal taillée (1).
a) Le Moi, bouc émissaire. — Les modifications du Moi et de son système
défensif dominent la littérature psychanalytique, mais la plupart du temps à la
défaveur de celui-ci et à la décharge de l'analyste. Le Moi devient de plus en
plus faible, inconsistant, flou, mal limité, incapable de synthèse et d'action,
inapte à l'accrochage au réel, infantile.
b) L'angoisse comme condition d'infantilisme et d'archaïsme. — L'angoisse
n'est plus comme dans la théorie freudienne un signal d'alarme, en gardant à la
valeur du terme de signal toute sa portée dans le cadre des organisations du sens.
Elle est essentiellement liée à la condition d'infantilisme et d'archaïsme du
Moi. Il faut voir ici un retentissement indiscutable de la thèse de Rank
modifiée. Si le traumatisme de la naissance ne joue plus le même rôle spéci-
fique que Rank lui attribue, du moins le Moi est encore, et l'angoisse qui le
sous-tend avec, sous la dépendance de conditions très proches des conditions
d'immaturité dans lesquelles il est à la naissance. En ce sens plus l'angoisse
est forte plus elle est l'indice d'une régression à des stades reculés du
développement.
c) La fixation. — Elle est de moins en moins libidinale, et de plus en plus
liée à des données en relation avec l'agressivité, celle-ci étant elle-même le
résultat de la frustration externe. Mais bien souvent cette fixation n'est guère
différente d'une fixation à des stades primitifs où le Moi est encore victime
de son immaturité. La conséquence en est la non-acquisition du sens (et non
du principe) de la Réalité.
d) Les coordonnées freudiennes qui constituent les différentes pièces dont
l'articulation aboutit à la métapsychologie soit, entre autres, celles de la
libido, de l'agressivité, du masochisme, du narcissisme, de la bisexualité,
des trois principes de Plaisir de Réalité et de Nirvâna, sont de plus en plus
estompées en faveur d'une conception adaptative de la vie psychique où toute
altération par rapport à un modèle préétabli — qui est nécessairement le
critère d'adaptation à la Réalité — est le résultat d'une régression globale, sans
toujours que soient distingués les différents types de régression décrits par
Freud : régression topique, temporelle, dynamique, régression des pulsions,
régression du Moi.

(1) Cf. entre autres les conceptions de FAIRBAIRN, celles de GUNTRIP et J. O. WISDOM (cf. en
particulier le récent travail de celui-ci « A methodologicalapproach to the problem of hysteria »,
Int J. of Psychological, XLII, 1961, 224), en Grande-Bretagne. Aux États-Unis le lien avec le
kleinisme est plus lâche, mais son influence est sensible chez certains auteurs comme E. JACOB-
SON, BYCHOWSKI, PETO par exemple. En France, il est difficile de ne pas déceler une semblable
influence, malgré les protestations d'antikleinisme chez les auteurs aussi divers que BOUVET,
MARTY, FAIN, LUQUET, LEBOVICI et DIATKINE, J. KESTEMBERG, KACAMIER. Le « kleinisme »
de ces auteurs n'est pas l'unique référence, et il est le plus souvent fondu avec d'autres
influences dans l'alliage définitif, mais sa présence donne à l'ensemble une teinte très parti-
culière. Bien entendu, cette constatation n'implique de notre part aucun jugement de valeur,
mais signale les inconvénients de tout éclectisme même lorsque celui-ci est pratiqué au nom
d'une plus grande fidélité à la clinique.
700 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

e) Les entités cliniques fusionnent entre elles et perdent de leurs contours et


leur cohérence pour se morceler secondairement en une série de constellations
relatives à une problématique strictement individuelle, d'où aucune structure
générale n'émerge.
Deux exemples vont particulièrement illustrer les modifications de
la métapsychologie,et ces exemples sont directement liés à notre propos.
Ce sont, précisément les conceptions de l'hystérie orale et de la névrose
obsessionnelle comme défense contre la psychose. Il n'est pas fortuit que
l'on trouve les racines de ces deux conceptions dans un travail de Melanie
Klein sur les rapports entre la névrose obsessionnelle et les premiers
stades de la formation du Surmoi (1928) (1).
1) L'hystérie orale.
Melanie Klein reprend l'analyse faite deux ans plus tôt par Freud
dans Inhibition, symptôme, angoisse, sur la comparaison entre la phobie
du petit Hans et celle de l'Homme aux loups. Melanie Klein va exploiter
la faiblesse de l'argumentation de Freud, celui-ci ayant, comme nous
l'avons déjà signalé, minimisé la structure prépsychotique de L'homme
aux loups. Onze ans séparent Inhibition, symptôme, angoisse, d'Analyse
finie ou infinie, où Freud accorde l'attention qu'elles méritent aux
altérations du Moi. Elle a donc beau jeu de défendre l'hypothèse des
racines psychotiques de la névrose, puisque à son tour le cas sur lequel
elle s'appuie est, selon l'expression de Freud, l'histoire d'une névrose
infantile. Mais non une névrose de l'adulte, tant s'en faut.
Il y a là évidemment un abus à extrapoler comme elle le fait pour
défendre ce concept de l'origine orale des phobies puisque c'est alors
appeler de ce nom une manifestation qui n'appartient pas véritablement
au cadre clinique des phobies mais beaucoup plus à celui des cas-
limites et des structures prépsychotiques (2). Mais le concept d'hystérie
orale ne s'en étendra pas moins.
Nous pouvons ici situer les différences de conception entre les
psychanalystes sur ce point, en prenant pour exemple les positions de
Bouvet qui affirme que la plupart des phobies sont prégénitales, tandis
que Mallet (3) dans ses travaux sur la phobie fera la part de certaines

(1) Dans la Psychanalyse des enfants, trad. J.-B. BOULANGER, Presses Universitaires de
France, 1959.
(2) LEBOVICI et DIATKTNE, d'une part (Les obsessions chez l'enfant Rev. fr. de Psych.,
1957, 21, p. 647), MALE, d'autre part, ont chacun insisté sur la fâcheuse signification pronos-
tique d'une structuration précoce de la névrose infantile, en insistant sur l'évolution possible
de ces états vers des formes de névroses graves de caractère chez l'adulte, dont les parentés
avec les structures psychotiques sont admises par la majorité des auteurs.
(3) Contribution à l'étude des phobies, Revue fr. de Psych., 1956, XX, 237.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 701

phobies impliquant une régression libidinale qu'il considère en fait comme


des pseudo-phobies.
De même, Bouvet affirmera que l'hystérie de conversion est de
structure prégénitale, fondant son jugement sur la constatation que le
symptôme de conversion implique une amputation importante du Moi
(concept de la défense coûteuse). Il s'éloigne, par ce raisonnement, de
la position classique où Freud insiste sur le fait que l'épargne en
déplaisir est réalisée là de façon maximale et que l'angoisse est par ce
moyen neutralisée.
Cette modification de perspective est due à l'abandon du point de
vue où l'angoisse est essentiellement comprise comme signal connotant
un contenu particulièrement significatif (qu'il faut par conséquent
réduire) pour ne plus prêter attention qu'à là défaillance globale du
sujet ainsi privé des nombreuses fonctions adaptatives du Moi. Mais
n'est-ce pas là l'analyste qui s'en fait juge ? Car ce que nous apprendrait
le blocage de ce signal est la visée génitale du contenu déchiffré par le
sens de la conversion. Nous sommes ici en présence d'un glissement de
sens fréquent où le but sous-tendu par la pulsion a été remplacé par
la référence à un stade génital caractérisé par le type « évolué » de la
relation d'objet, ce qui permet de dire à chaque fois que l'on a le senti-
ment de ne pas se trouver en face des dites caractéristiques, que l'on est
en présence d'une situation plutôt rattachable, en droit sinon en fait,
à la prégénitalité.
Grunberger (1) a consacré une étude au conflit oral dans l'hystérie.
Tout en faisant la distinction entre la régression de l'hystérique et
celle du mélancolique sur les critères d'Abraham (introjection partielle
ou totale de l'objet) il n'en situe pas moins le niveau de la régression
de l'hystérique à la phase orale. Le sceau de l'oralité dans les expres-
sions de la génitalité s'expliquerait selon l'argument qu'une manifes-
tation pulsionnelle porte la marque des empreintes pulsionnelles des
phases qui l'ont précédée et de leurs fixations. Dans la même perspec-
tive, l'introjection est plus valorisée que l'identification, qui ne joue
qu'un rôle secondaire en importance et dans le temps.
Il apparaît bien, en conclusion, qu'une confusion permanente est
établie sur la régression topique et la régression dynamique, point sur
lequel Francis Pasche a insisté à de nombreuses reprises (2). La régres-
sion de l'hystérique n'est pas une régression du Moi puisque les données

(1) GRUNBERGER (B.), Conflit oral et hystérie, Revue fr. de Psych., XVII, 1952, 250.
(2) Régression, perversion, névrose, Revue fr. de Psych., XXVI, 1962, 165.

REV. FR. PSYCHANAL. 45


702 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

de la réalité y sont conservées et n'est pas une régression des pulsions


puisque nous n'y assistons pas à des mécanismes de défusion pulsion-
nelle en faveur des pulsions de mort. C'est une régression topique (1)
comme cela est clair à l'examen des travaux de Freud que nous avons
réenvisagés plus haut. Quant aux expressions orales du désir, lorsqu'il
s'agit par exemple de désir à thèmes oraux, il s'agit beaucoup plus de
représentations déplacées qui prennent de ce fait une valeur différente
mais dont le but est génital. Parler d'oralité en termes de structure
implique que nous nous trouvions dans les registres qui sont ceux de la
fixation au stade cannibalique du Moi dont la mélancolie est le prototype.
La confusion entre névrose phobique et états marginaux, ou présence de
phobies au milieu d'un tableau de névrose traumatique, ou de névrose actuelle,
est constante. — L'homme aux loups est le type même du cas-limite, la
phobie qu'il présente est une phobie de l'enfance, avons-nous rappelé.
Lorsqu'elle se manifestera à l'âge adulte, elle perdra son caractère de
phobie et les principaux signes dont l'homme aux loups se plaignait
étaient des signes d'atteinte narcissique caractéristiques : malaise cor-
porel, anxiété hypocondriaque, etc. La structure psychotique de cette
phobie, ou plus exactement l'insertion de la phobie dans le cadre psycho-
tique, apparaîtra avec clarté lors de l'épisode psychotique de L'homme
aux loups (2).
Il faut donc maintenir l'hystérie là où Freud l'a placée, et dis-
tinguer dans les phobies celles qui en sont véritablement (phobie
simple) d'avec les pseudo-phobies impliquant une régression libidinale,
selon l'expression de Mallet, et enfin de celles qui sont noyées dans un
tableau où elles constituent l'équivalent des signes de restitution ana-
logues à ce qu'est le délire dans les psychoses franches.
2) La névrose obsessionnelle comme défense contre la psychose.
Le mouvement qui a voulu voir dans la régression de la névrose
obsessionnelle une défense contre la psychose fut déjà esquissé dès

(1) La relation entre régression topique et régression dynamique ne s'apprécie pas en termes
d'une moindre gravité de la première par rapport à la seconde. La régression topique en clinique
sert essentiellement une problématiquequi est celle de la génitalité pouvant prendre des aspects
plus dramatiques (et même à l'occasion plus gênants) que la régression dynamique qui se carac-
térise par la substitution d'une autre problématique à la problématique génitale. La confusion
naît ici d'une équivalence forcée entre investissement agressif et investissement destructif.
(2) Ces problèmes de diagnostic infléchissent bien des travaux de clinique psychanalytique.
Récemment M. FAIN, dans son article sur la Contribution à l'étude des variations de la sympto-
matologie, s'étendait longuement sur deux cas présentant, l'un une structure obsessionnelle, et
l'autre une structurehystérique. Or, comme cela apparut au cours de la discussion de ce travail,
le patient présentant une structure hystérique était, selon certains, un cas limite, les formations
hypocondriaques prévalant sur celles rattachables à l'hystérie.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 703

Abraham, et nettement dessiné par Melanie Klein. Dans l'étude que


nous avons citée de ce dernier auteur, on relève : « La névrose obses-
sionnelle aurait pour but de guérir l'état psychotique qu'elle recouvre,
et les névroses infantiles comporteraient à la fois des mécanismes
obsessionnels et des mécanismes propres à un stade antérieur du.
développement. » Et elle ajoute en note : « La névrose obsession-
nelle est seulement l'une des méthodes curatives tentées par le Moi afin
de surmonter cette première angoisse psychotique infantile. »
Cette thèse sera, en fait, la thèse que Bouvet va défendre ultérieu-
rement dans son rapport de 1952, à la différence près que celui-ci
insiste davantage sur les mécanismes de défense et moins sur la psychose
que sur la dépersonnalisation. Beaucoup d'auteurs, actuellement,
croient encore pouvoir défendre l'hypothèse d'une névrose obsession-
nelle comme défense contre la psychose, dans tous les cas. En fait,
une telle éventualité avait déjà été prévue par Freud, dès 1894, dans son
article sur Les psychonévroses de défense, où il faisait remarquer que,
lorsque des facteurs économiques pouvaient peser avec une parti-
culière intensité, le Moi était conduit à épuiser ses possibilités et verser
dans la psychose. Il n'en reste pas moins que nous savons, par des
études statistiques nombreuses, concordantes et assez poussées (1), que
l'évolution d'une névrose obsessionnelle vers la psychose est une
extrême rareté, répondant au chiffre approximatif de 5 % à 10 %.
Ceci dit, certains auteurs n'en penseront pas moins que même les névroses
obsessionnelles qui ne passent pas à la psychose peuvent constituer une défense
contre celle-ci.
Que faut-il en conclure ? Freud avait bien vu les liens et les attaches de la
pensée obsessionnelle avec la psychose puisque, dans Inhibition, symptôme,
angoisse, il insista sur tous les procédés magiques qu'utilise la pensée obses-
sionnelle. On ne peut quand même pas négliger les caractéristiques principales
du Moi obsessionnel lorsque l'analyse montre combien le Moi s'accroche aux
objets, à la réalité et à la conscience. Faut-il, pour autant, considérer que, tou-
jours, cette organisation névrotique va se constituer comme un bouclier contre
l'issue d'une psychose ? Il est probable qu'il nous faut là adopter une attitude
qui réponde à la fois à la réalité clinique et à la cohérence métapsychologique.
C'est dire que nous avons, dans bien des cas, très peu d'arguments pour justifier,
en présence d'une névrose obsessionnelle, l'existence d'un soubassement
psychotique dans une telle névrose, justification qui ne reposerait, dans ces
cas-là, que sur une base purement théorique et abstraite. Par contre, il est bien
évident que l'on a le sentiment, dans certains cas, que la marge qui sépare la
ligne de crête, le fil, qui constitue la limite de la névrose et de la psychose, est
d'une fragilité extrême. On pourra, dans ces cas, parler en effet d'une armature
contre la psychose sur la foi d'arguments cliniques précis (dépersonnalisation,
mécanismes d'introjection-projection massifs, etc.).

(1) Cf. les travaux de C. MULLER, RÜDIN, INGRAM, I. ROSEN, STENGEL, POLLITT.
704 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Il paraît nécessaire de procéder à un classement structural des orga-


nisations obsessionnelles ; c'est ce que nous envisagerons en détail
dans un autre travail (1).
En fait, quelles que soient les thèses que l'on adopte, l'important
est de bien assigner à l'organisation obsessionnelle une position tran-
sitionnelle. Les éléments de diagnostic, qui permettent d'appréhender
cette zone mouvante de partage entre la névrose et la psychose, peuvent
en effet passer, comme l'a indiqué Maurice Bouvet, par la dépersonna-
lisation dans la mesure où, en effet, il y aurait, dans certains cas, régres-
sion, pas seulement des pulsions, mais également du Moi, de façon
transitoire ou plus ou moins prolongée. Ceci s'observe en effet dans les
névroses obsessionnelles de plus en plus dépersonnalisantes, et dans
les névroses obsessionnelles qui virent, soit à la mélancolie, soit au délire.
Ce passage nous paraît caractérisé par la création de plus en plus
importante de symptômes intermédiaires entre les formations névro-
tiques et psychotiques, sortes de formations tampons qui témoignent
de la capacité spécifique de l'obsessionnel à l'extension par contiguïté.
Position transitionnelle ne veut pas dire position intermédiaire. Si
la névrose obsessionnelle occupe une place limitrophe de la psychose
c'est autant parce qu'elle a tendance à s'en rapprocher par une mise
en question de plus en plus pressante des positions du Moi face à la
réalité, qu'à s'en éloigner lorsque son mouvement la porte à une menace
à l'égard de l'existence de l'objet. On voit alors que le concept de
défense ne rend compte que d'une partie des mouvements entre le
Moi, l'objet et la réalité. Moins qu'en termes de distance nous trouvons
plus fécond de rendre compte de ces mouvements par la création sans
cesse renouvelée du maintien de la plus petite différence nécessaire à
l'établissement d'une nouvelle autre plus petite différence. On comprend
que l'angoisse n'ait pas à jouer dans sa fonction de signal, puisque le
sujet se porte pour ainsi dire au-devant de la signification. La déper-
sonnalisation apparaît quand le Moi est pris à son propre jeu et s'applique
à lui-même dans un défi dernier, la relation qu'il essayait d'instaurer
avec l'objet, en continuant à investir celui-ci.
Il nous faut encore nous souvenir qu'une des exigences les plus
enracinées du masochisme est la satisfaction du sentiment inconscient
de culpabilité : la réaction thérapeutique négative, dont la névrose
obsessionnelle nous donne un exemple si fréquent. La compulsion de

(1) Les obsessions et la psychonévrose obsessionnelle, à paraître dans Encyclopédie médico-


chirurgicale-psychiatrie, t. II (mise à jour 1965).
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 705

répétition, manifestation des pulsions de mort, s'illustre dans une relation


spéculaire à la compulsion obsessionnelle.
3. L'orientation structurale
Un certain nombre de travaux suivent une voie diamétralement
opposée à la tendance générale de l'évolution psychanalytique post-freu-
dienne dont nous avons tracé plus haut les caractéristiques. Ces travaux,
à la suite de Lacan, s'efforcent de remettre en valeur certains concepts
à la base de l'oeuvre freudienne, négligés depuis par l'évolution du mou-
vement psychanalytique. Ce sont essentiellementla position inter-subjec-
tive constitutive à la fois de la névrose et de l'expérience transférentielle,
la dialectique du rapport à l'Autre, la spaltung du sujet, qu'elle se mani-
feste, soit dans la coupure profonde qui sépare l'inconscient du pré-
conscient, ou, comme nous l'avons noté à propos du commentaire de
Freud dans Inhibition, symptôme, angoisse, la coupure du Moi par rapport
au Ça. La dimension structurale est subordonnée depuis Freud à la
dimension génétique.
Lacan décrit les deux types de relations spécifiques de l'hystérique
et de l'obsessionnel en ces termes : « L'hystérique captive cet objet
dans une intrigue raffinée et son ego est dans le tiers par le médium
de qui le sujet jouit de cet objet où sa question s'incarne. L'obsessionnel
entraîne dans la cage de son narcissisme les objets où sa question se
répercute dans l'alibi multiplié des figures mortelles et domptant leur
haute voltige, en adresse l'hommage ambigu vers la loge où lui-même
a sa place, celle du maître qui ne peut voir » (1).
Cette conception de l'hystérie et de la névrose obsessionnelle exprimée
dans le style caractéristique de Lacan doit être éclairée par certaines des contri-
butions théoriques principales de cet auteur. A savoir : la différenciation du
réel, de l'imaginaire et du symbolique. Le symbolique permet d'articuler les
structures présentes dans l'imaginaire, selon les lois du signifiant, d'en dégager
le message par le déchiffrage de la relation qui l'unit au sujet, et commandant
comme tel l'expérience psychanalytique au regard du réel, lui-même soumis à
une organisation.
Une autre distinction également fondamentale dans la pensée de cet auteur,
est celle des catégories du besoin, qui nécessite et requiert satisfaction, de la
demande qui ouvre sur une béance et reste insatisfaite, du désir propre à
l'imaginaire et qui s'appréhende comme désir de l'Autrui. On conçoit que
ce soit la demande qui est ici l'objet de l'étude du psychanalyste ; elle sous-tend
le désir, lui assure la formalisation qui lui donne accès au registre du sens. La
visée du désir doit passer par elle.

(1) Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Jacques LACAN, La psy-


chanalyse, vol. I, 1956, p. 80 à 166. Citation p. 148. Dans ses récents séminaires (1962-3) Lacan
a développé la dialectique de l'obsessionnel en insistant sur le rapport spéculaire et le rôle de
la pulsion scopique chez celui-ci.
706 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Enfin, une troisième distinction fondamentale est celle de la reformulation


des stades de l'OEdipe par Lacan où successivement, dans la première étape,
pour l'enfant, il faut et il suffit d'être le phallus (de la mère) ; dans la deuxième
étape, il s'agit d'être le phallus, où le père est adopté comme repère et comme
référence ; et enfin, dans la troisième étape, il s'agit d'avoir le phallus, où se
pose la problématique de la castration en tant que l'avoir signifie la possibilité
de le perdre, ce qui est, à l'origine, à la fois du déclin du complexe d'OEdipe
et de la formation de l'Idéal du Moi. A partir de ces données fondamen-
tales, les épigones de Lacan ont davantage centré leur effort sur les catégories
cliniques de l'obsession (Leclaire) (1) la phobie (Perrier) (2) et l'hystérie
(Rosolato) (3).
Ce nouveau découpage du champ psychanalytique peut susciter
bien des réserves ou des questions. Nous le tenons dicté — en dehors
des motifs qui en font une prise de position a contrario de l'ensemble
des auteurs — par des raisons qui invitent à l'examen le plus sérieux.
Elles laissent en effet comprendre que la névrose n'est ni un déficit,
un échec, ce à quoi la tradition psychiatrique tend à la réduire, ni un
échafaudage plus ou moins dû au hasard de l'assemblage de méca-
nismes hétéroclites, mais une solution qui emprunte les éléments de la
réponse au problème qu'elle suppose et les fait jouer dans la pleine richesse
de leurs possibilités — et l'oeuvre de Freud le montre — à des questions
de sens. Étant entendu que depuis Freud la solidarité du désir et du
sens est indissoluble. Mais c'est au prix que dans le désir soit poussée
le plus loin possible la recherche de la logique du sujet.
Ces études ont le mérite de réintroduire au premier plan un certain
nombre de positions essentielles de l'oeuvre de Freud présentes dans
celle-ci sous une forme latente dont il faut bien reconnaître qu'elles
furent reléguées au deuxième plan ou plus ou moins passées sous
silence. On peut cependant adresser à ces travaux certaines criti-
ques. Ce n'est pas tant leur formulation, qui a abouti à doter ces
travaux d'une terminologie un peu à part dans l'ensemble de la litté-
rature psychanalytique, qui nous arrêtera mais, surtout, la négligence
d'une donnée fondamentale dans l'oeuvre freudienne aussi importante
que celle des catégories qu'ils nous remettent en mémoire, c'est celle
du point de vue économique qui a toujours occupé, dans la pensée freu-
dienne, une position dominante (4). Il nous semble en outre que ces

(1) Cf. LECLAIRE (S.), La mort dans la vie de l'obsédé, La psychanalyse, vol. II, 1956, III.
L'obsessionnelet son désir, Evol. psychiat., 1959, fasc. II.
(2) PERRTER (F.), Phobies et hystérie d'angoisse, La psychanalyse, vol. II, 1956, 165.
(3) ROSOLATO (G.), L'hystérie, structures cliniques, Evol. psychiat., 1962, XXVII, 225.
(4) Le récent travail de Leclaire ne nous paraît pas combler tout à fait cette lacune. En insis-
tant comme il le fait sur la différence entre la satisfaction obtenue et la satisfaction recherchée,
il limite les effets du point de vue économique à la fixationlibidinale. S'il joue indiscutablement
en ces cas, ce ne sont peut-être pas ceux qui posent les problèmes théoriques et techniques les
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 707

travaux négligent trop les observations de Freud sur les altérations du


Moi et ignorent l'accent qu'il a porté sur ses mécanismes de défense
à la fin de son oeuvre. Quoi qu'il en soit, le mérite de certains de ces
travaux reste d'avoir conservé une perspective structurale, à vrai dire
présente chez certains seulement de ces auteurs.

B) L'EXTENSION DES LIMITES DU CHAMP PSYCHANALYTIQUE


Depuis Freud, le champ analytique s'est étendu aux névroses de
caractère, aux syndromes psychosomatiques, aux perversions, aux cas
limites et aux psychoses. Comment concilier ceci avec le cadrage et la
déhmitation que Freud donne dans Analyse finie ou infinie ? Comment
situer la présence d'éléments hystériques ou obsessionnels dans ces
tableaux ? Comment concevoir les relations de ces structures avec
l'hystérie ou l'obsession? Il nous semble que le meilleur moyen de
répondre à ces questions sera d'envisager chacune de ces nouvelles
entités pour les situer dans la perspective que Freud a définie dans
l'article de 1937.
I. Les psychoses
Il est courant maintenant de dire que Freud s'est trompé sur le
transfert des psychotiques, l'expérience ayant abondamment démontré
les possibilités de transfert de ces malades.
En fait, la question n'a jamais été posée dans les termes qui conviennent.
Aucun auteur n'envisage sérieusement l'application de l'analyse à la psychose ;
dans les critères du champ psychanalytique décrit par Freud, à savoir l'usage
de l'association libre, la condition de l'attention flottante chez le psychana-
lyste sous-tendue par une position de neutralité bienveillante ; on ne peut
donc parler d'une structure identique et, selon les mêmes paramètres.
Ce qui domine dans la psychose, c'est l'éclatement de la parole,
à la fois par le morcellement du sujet et le passage à l'acte. De toute
façon, l'hystérie et la névrose obsessionnelle ne sont pas ici en cause
au premier plan, les mécanismes qui spécifient l'une et l'autre, à savoir
la condensation et le déplacement, si on les constate, sont recouverts
par le clivage et le morcellement d'une part, l'introjection-projection de
l'autre, témoins de la régression du Moi. L'existence éventuelle de
formations symptomatiques hystériques ou obsessionnelles passe loin
derrière les éléments proprement psychotiques du tableau clinique. Le
refoulement des pulsions de la névrose est ici remplacé par le refou-

plus pressants. C'est au contraire lorsqu'on a affaire à des organisations peu ou mal structurées,
où les modes de décharge sont ou complètement coupés, ou sujets à d'inquiétantes transforma-
tions, que nous avons à faire une évaluation permanente des dangers de toute modification
d'équilibre.
708 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

lement de la réalité, tout comme la problématique de la castration est


remplacée par la problématique du morcellement. Ainsi donc, s'il est
légitime de parler d'une accessibilité thérapeutique du psychotique au
traitement par un analyste, il paraît difficile d'appliquer au transfert
obtenu dans ces cas, les conditions de la cure analytique, dans les rela-
tions entre l'analyste et le psychotique (1). Il n'est pas douteux que,
dans la problématique de ce champ de relations, le Moi joue un rôle
dominant, encore faut-il ne pas confondre les registres et appliquer ce
qui est issu de l'expérience du traitement des psychotiques aux obser-
vations de la clinique psychanalytique des névroses, par une logique
récurrente.
2. Les cas limites
Ce cadre, dont l'importance ne cesse de s'étendre, a toujours posé
des problèmes quant à l'insuffisance de précision de ses critères, aussi
bien cliniques que structuraux. Il nous semble qu'il faut faire jouer
dans ces états un rôle important à la position de l'objet fantasmatique,
position qui prend ici une valeur originale par rapport au champ de
la névrose et au champ de la psychose. L'opposition objet narcis-
sique/objet fantasmatique pourrait éclairer la situation de ces cas
limites où il semble toujours qu'un tel objet, l'objet fantasmatique,
soit menacé par la destruction mais toujours en mesure d'être, en
quelque sorte, ressuscité, quelle que soit la fragilité de cette restauration.
Deux acceptions ont prévalu pour définir ces cas limites : c'est le
cadre de névrose mixte, dont l'obscurité est telle qu'il nous paraît
devoir être rejeté; et celui des structures prégénitales de Maurice
Bouvet. A notre avis, les descriptions de Maurice Bouvet correspondent,
au point de vue métapsychologique, à la mise en question du statut
fantasmatique de l'objet. Il s'agit moins d'une plus grande créance
au fantasme ou à la réalité, selon les cas, que de l'évaluation des rela-
tions entre le principe de réalité et le principe de plaisir, telle que la
satisfaction exigée par le principe de plaisir ne puisse connaître qu'une
issue susceptible de payer un lourd tribut au masochisme (2). En fait,

(1) Les travaux de RACAMIER et de J. KESTEMBERG en France, les récents travaux de


H. SEARLES (Int. J. of Psychoanal., §§, 1963, 249), le montrent abondamment. Dans ces condi-
tions, l' « hystérisation " ou l' « obsessionnalisation» d'un cas de psychose ne peuvent s'insérer
dans aucune structuration précise qui en permette la lecture. Elles ne traduiront qu'un mode
très général de réaction du Moi, sans doute de bonne augure. Les chemins de l'organisationsigni-
fiante passeront néanmoins obligatoirement par les valeurs-clés de la psychose : hypochondrie,
mégalomanie, dépression ou délire.
(2) De là l'importance de certaines conduites thérapeutiques. Cf. P. MALE, Aspects cli-
niques, psychopathologiques et thérapeutiques des Préschizophrènes de l'adolescence, Evol.
psychiat., 1958, 334.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 709

dans les structures prégénitales de Bouvet, à forme hystérique ou


obsessionnelle, la définition hystérique ou obsessionnelle importe moins
que la pesée des facteurs de satisfaction masochique dans le sens de
la réaction thérapeutique négative et de l'érotisation du Surmoi (concept
de la défense coûteuse). C'est à la faveur d'une telle position que se
rencontre l'oscillation typique de ces structures, oscillation dialectique
duelle/triangulaire ; duelle : où le sujet représente une partie du corps
de la mère ; triangulaire, où le sujet est dans un rapport de subjugation
narcissique ou homosexuelle par rapport à un ou deux personnages
phalliques (1).
3. Les syndromes psychosomatiques
Ici encore, cette investigation souffre d'absence de critères méthodo-
logiques que Christian David et Michel de Muzan ont tenté de pré-
ciser (2). Si l'école de Marty et Fain éprouve quelque réticence à épouser
les conceptions d'une conversion psychosomatique généralisée dans la
perspective de Valabrega (3), il nous semble y avoir moins d'oppo-
sitions qu'il n'y paraît au premier abord. Ces auteurs dans leur
ensemble sont d'accord sur le fait que les structures psychosomatiques
souffrent d'une carence qui se situe précisément au niveau du statut
symbolique de l'objet, que l'on insiste sur l'aspect signifiant du symp-
tôme, ou sur ce que Marty (4) appelle la « mentalisation », la
« manipulation fantasmatique » qui implique la différenciation du
fonctionnement des mécanismes d'organisation du signifiant dans les
investissements somatiques, narcissiques et objectaux.

4. Les perversions
Nous en sommes, dans ce domaine, réduits au caractère partiel
des observations sur la perversion pour les raisons que nous avons
indiquées plus haut. Nous rappellerons une fois de plus que ce qui a
été essentiellement décrit sur les perversions répond précisément aux
altérations du Moi dont Freud parle dans divers articles et qu'il a
précisées dans la partie terminale de son oeuvre dans son article sur
Le clivage du Moi dans le processus défensif.

(1) Cf. A. GREEN, Sur la mère phallique, à paraître in Revue fr. de Psychanalyse et Fonction
du rêve dans l'Orestie, Les temps modernes, avril 1964, n° 215.
(2) Préliminaires critiques à la recherche psychosomatique, Revue fr. de Psychanalyse,
1960, XXIV, 19.
(3) La conversion psychosomatique généralisée, communication personnelle.
(4) MARTY (P.), de'MUZAN (M.), DAVID (C), L'investigation psychosomatique, Presses Uni-
versitaires de France, 1 vol., 264 p., 1963.
710 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

La notion d'une « érotisation de la défense » (1) dans la perversion


amènerait à rapprocher ce cadre clinique avec la névrose obsessionnelle,
mais c'est faire bon marché de l'opposition instituée par Freud dans
laquelle la névrose obsessionnelle y est présentée comme une régression
prégénitale avec refoulement, tandis que la perversion est définie comme
une régression prégénitale sans refoulement ; en fait, il semble bien que
l'on soit obligé de tenir compte de cette faculté de refoulement indi-
catrice d'une position du Moi, fondamentalement différente dans la
perversion et la névrose (2) ; parler d'une érotisation du processus
défensifreviendrait à confondre le registre de la névrose (obsessionnelle)
et celui de la perversion.
5. Les névroses de caractère
L'hypertrophie de ce cadre a fini par englober 90 % des patients
observés en analyse. En fait, la définition selon les critères des défenses
du caractère ne dispense pas, à notre avis, d'avoir à spécifier clinique-
ment de quelle névrose il s'agit, même si l'on a souvent le sentiment
qu'il s'agit de névroses a-symptomatiques où les défenses narcissiques
jouent un rôle de premier plan (3) (4), La question a été ouverte par
Freud depuis Inhibition, symptôme, angoisse et dans Analyse finie et
infinie. Il nous faut rappeler ce que nous avons indiqué, à savoir
qu'il faut opposer l'aspect structuré des névroses de transfert, d'une
lecture cohérente, aux variations individuelles, aux altérations du Moi,
d'un caractère flou, mal précisé, jouant à titre de variable. Dans ces
conditions, il ne semble pas que l'on puisse définir les névroses
de caractère sur l'aspect purement caractériel de leur symptoma-
tologie et s'il faut indiscutablement tenir compte des investissements
narcissiques prévalents et des différences entre symptômes et traits
de caractère, il n'en restera pas moins que c'est à partir des méca-
nismes connus dans les névroses de transfert ou les psychoses que
l'analyse de ces structures restera possible.
En définitive, l'unité névrose obsessionnelle/hystérie ne peut se
concevoir que sur le plan de la structure ; elle ne dépend ni du trait

(1) NACHT (S.), DIATKINE (R.), FAVREAU (J.), Le Moi dans la relation perverse, Revue fr. de
Psychan., 1956, XX, 457.
(2) F. PASCHE, Régression, perversion, névrose, Revue fr. de Psychanalyse, 1962, XXVI, 161.
(3) Cf. Les travaux d'E. KESTEMBERG, Problèmes diagnostiques et cliniques posés par les
névroses de caractère, Rev. fr. de Psychanalyse, 1952, XVII, 496, et l'article de H. SAUGUET
dans Encyclopédie médico-chirurgicale, Psychiatrie, vol. II.
(4) DIATKINE (R.) et FAVREAU (J.); Le caractère névrotique, Rev. fr. de Psychanalyse, 1956,
XX, 151.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 711

du caractère, ni du symptôme, ni de la défense ; et cette structure nous


paraît différente de la structure du Moi. C'est ce que nous allons main-
tenant essayer de définir pour conclure.
IV —
LES PARAMÈTRES FREUDIENS
DE LA POSITION STRUCTURALE EN PSYCHANALYSE
LES STRUCTURES HYSTÉRIQUE ET OBSESSIONNELLE
Nous pensons avoir montré, au cours de cette étude clinique et cri-
tique, qu'en définitive, seuls, les critères structuraux dans le cadre de la
métapsychologie freudienne permettent de conserver une cohérence à
l'expérience psychanalytique autant qu'à sa formulation quant à l'objet de
son étude et des valeurs qui entrent dans son champ. Les critères qui nous
permettront d'aboutir à cette définition structurale doivent être, selon
nous, cherchés dans les grands axes de la métapsychologie freudienne.
Le long exposé des travaux de Freud sur l'hystérie et la névrose
obsessionnelle ne répondait pas à un témoignage d'orthodoxie dog-
matique. Il nous a révélé que la portée de ces travaux était liée
à une position structurale de Freud qui nous paraît irréductible et
qui confère son vrai sens à la métapsychologie freudienne. Or
cette position n'est pas perceptible à un abord cursif ou approxi-
matif. Le reproche fait à certains auteurs de se livrer aux délices
stériles de l'exégèse tombe dès lors qu'il apparaît que les arches
qui soutiennent l'édifice freudien ne sont pas perceptibles d'une
façon évidente. Comme lorsqu'on contemple les cathédrales on est
tenté de mettre sur le compte de la simple esthétique ce qui
répond à une exigence architecturale. La mise au jour du plan architec-
tural nécessite un examen attentif, soigneux, détaillé, à la pièce, sans
rien négliger des ressources de la terminologie et de la sémantique (1).
Notre conclusion sera donc la défense de cette position structurale
en psychanalyse. Ceci ne veut pas dire que l'on doive en rien renoncer
à la spécificité du champ psychanalytique (2).

(1) Cf. J.-B. LEFEBVRE-PONTALIS,Réflexions sur le vocabulairede la psychanalyse, Archiv.


Europ. sociol., IV, 1963, 283.
(2) La publication des actes d'un colloque sur la question : Sens et usage du terme structure,
édité par les soins de R. BASTIDE, Paris, Menton (1963), colloque tenu en 1959 nous montre que
si la notion de structure s'avère féconde et d'un large emploi, chaque discipline, de par ses
exigences internes, forge son concept de la structure en y introduisant ses éléments propres.
Les travaux de D. LAGACHE, La psychanalyseet la structure de la personnalité, La psychanalyse,
1961, VI, p. 5 et le commentairede LACAN : Remarques sur le rapport de D. Lagache, loc. cit.,
p. III, constituent une base de discussion importantepour l'examen théorique du problème. On
verra que notre perspective s'en distingue, tout en étant d'accord sur le principe qui fonde
cette démarche.
712 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Nous avons déjà commencé à montrer en quoi la psychanalyse


utilise la notion de structure spécifiquement (1). Nous reviendrons
sur ce problème dans ses aspects théoriques et pratiques (2) (3). Cette
étude en est le premier pas.
Nous nous contenterons aujourd'hui, à la suite de cet exposé
critique, de préciser les paramètresfreudiens d'une conception structurale
en psychanalyse. Ce sont :
I. — Le complexe d'OEdipe : Structure spécifique anthropologique
décomposée sous l'angle :
a) De l'opposition des pulsions de vie (Érôs) et des pulsions de
mort (Thanatos) ;
b) De la bisexualité ;
c) De l'orientation narcissique ou objectale des investissements ;
d) Des systèmes binaires ou triangulaires des relations.
II. — Les trois instances : Ça, Moi, Surmoi.
III. — Les troisprincipes de Nirvâna (qu'il me paraît préférable d'appeler
de réduction des tensions), de Plaisir-Déplaisir, de Réalité.
IV. — Les trois points de vue qui constituent la Métapsychologie :
— dynamique (lié au conflit et le plus en rapport avec la notion
d'histoire) ;
— topique (lié aux relations réciproques des instances et le plus en
rapport avec la notion classique de structure) ;
— économique (lié aux notions d'énergétique et de quantité, qui
commande et régule les échanges).
Les instances, principes, points de vue ne sont que des mises en
forme du complexe d'OEdipe.
C'est cet ensemble qui fait de la théorie freudienne un système
cohérent dont le repérage est indispensable à toute construction cri-
tique ou théorique nouvelle. Il ne suffit pas, comme cela est souvent le
cas pour édifier un nouveau système, de tenir compte de la clinique ou
de s'efforcer de mettre debout une nouvelle théorie (qu'elle soit géné-
tique ou de relations objectales) il faut encore confronter le nouveau
système avec celui dont il est issu : la théorie psychanalytiquefreudienne,

(1) La psychanalyse devant l'opposition de l'histoire et de la structure, Critique, n° 194,


juillet 1963, p. 649.
(2) Thème et structure. Esquisse d'une conception structurale en théorie psychanalytique,
à paraître dans L'évolution psychiatrique.
(3) Pour une nosographie freudienne. Esquisse d'une conception structurale en clinique
psychanalytique, à paraître dans Revue française de Psychanalyse.
NEVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTERIE 713

pour préciser ce que l'on gagne à l'introduction du changement dont on


se fait le promoteur (1).
C'est en tout cas, en ce qui nous concerne, le système freudien
que nous utiliserons pour définir notre conception structurale de
l'hystérie et de la névrose obsessionnelle.
L'unité de ces deux névroses est celle qui définit l'unité des névroses
de transfert ; à savoir, la place centrale de la castration dans le complexe
d'OEdipe, la prédominance et le fonctionnement normal du principe
de réalité, la fonction opérante des mécanismes fondamentaux de la
condensation et du déplacement, le rôle possible de la régression
en tant qu'elle affecte uniquement la sphère pulsionnelle, soit sous
une forme topique, soit sous une forme dynamique et toujours sous
une forme économique, le maintien de la présence des objets fan-
tasmatiques. La réalité n'est pas en cause dans les névroses de trans-
fert, en fait, elle est supposée n'être pas dans le champ du problème (2) ;
c'est-à-dire que les mécanismes de la spaltung (clivage ou morcelle-
ment) ou de l'introjection-projection sont ici préservés; le conflit
est un conflit entre le Moi et le Ça, champ privilégié du désir, et
l'étude de ces névroses pourrait à bon droit être considérée comme
celle de la position du sujet face au désir. On sait que, d'autre part,
dans la psychose, ce n'est pas le problème du désir qui domine,
c'est en fait l'introduction à une sphère différente que l'on peut
deviner comme sous-tendant les problèmes de l'identité, de la nomi-
nation, de la constitution du sujet (3). Si l'on peut arguer que toutes les
formes de transition peuvent s'observer d'un registre à l'autre, elles ne
pourront être correctement lues qu'à partir des définitions structurales.
Nous arrivons maintenant au point où il nous faut donner une défi-
nition structurale pour chacune de ces deux entités. Nous rappellerons
pour l'hystérie le modèle structural auquel aboutit Rosolato dans
son étude clinique.

(1) Comme l'a précédemment relevé Lefebvre-Pontalis, la forme (gestalt) sert d'écran à
la structure. Or c'est là la caractéristique de la plupart des systèmes théoriques postérieurs
à Freud, exception faite, à certaines réserves près, du système de Melanie Klein. Cela est
notablement vrai pour le système d'Abraham, porte d'entrée de bien des déviations appau-
vrissantes du freudisme.
(2) Cf. le travail inédit de J. LAPLANCHE sur la réalité.
(3) Ce n'est pas que le désir en soit exclu ; disons seulement que le manque nécessaire au
sujet pour qu'il puisse s'y récupérer en identifiant son désir comme désir de l'Autre est sauté
chez le psychotique. Sauté mais non absent, amenant le psychotique qui éclipse ce temps de
manque à s'identifier totalement au vide au sein duquel il perd toute chance de se surprendre
dans un champ d'indétermination ayant conjoint dans la même opération le désirant et le désir.
Le sujet et l'Autre ne s'y repèrent que dans leurs permutations oscillantes qui sont autant
d'interrogations sans temps de réponse identifiable.
714 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Ce modèle se subdivise en un certain nombre d'éléments solidaires :


— le morcellement : la problématique de l'hystérique semble se référer à une
unité qui se désagrège sans cesse comme aspiration à l'unité totalisante
constamment mise en échec ;
— la demande et le désir : le désir de l'hystérique est un désir de désir insatis-
fait, la demande doit être satisfaite à la façon du besoin ;
— l'être et le phallus : l'hystérique est le phallus qui risquerait de l'avoir ;
il est le phallus pour un autre qui aurait fait ses preuves de l'avoir ;
— l'identification : elle se réfère au désir de l'Autre, la croyance de l'Autre
est sa vérité ;
— le langage : les processus de la métaphore en tant qu'ils impliquent une
rupture y dominent.
Enfin, l'hystérique a la nostalgie de l'obsessionnel comme celui-ci aspire
à l'hystérie.
Ce modèle structural, bien qu'il ne réponde pas tout à fait à ce que
nous attendions de la définition d'un modèle selon les critères intrin-
sèques à l'oeuvre freudienne elle-même, nous paraît cependant la ten-
tative d'approche la plus complète pour une définition d'une entité
clinique en termes de structure.
En termes de stricte terminologie freudienne, nous pouvons rejoindre
ainsi la très intéressante tentative de G. Rosolato :
Modèle structural de l'hystérie
1° L'hystérie est le résultat d'une régression topique de la libido à
l'exclusion d'une régression dynamique ou temporelle ;
2° Cette régression topique fait jouer aux fantasmes un rôle privi-
légié. Ceux-ci sont organisés selon les lois de la symbolique (comme dans
le rêve). La condensation et les identifications multiples y prévalent ;
3° La problématique qui s'en dégage est celle liée aux pulsions de
vie (Érôs) dont tous les aspects dominent la vie de l'hystérique, que
ce soit dans l'expérience pathogénique de la perte d'amour ou transfé-
rentielle de l'amour de transfert;
4° La bisexualité s'y exprime par la dominance des fixations phal-
liques : elle se traduit par le moyen des identifications oedipiennes ;
5° Le refoulement en est le mécanisme fondamental, il confère à
cette structure l'aspect lacunaire de cette névrose qu'il s'agisse des
symptômes, de l'émergence des représentants de la pulsion dans la
névrose ou le transfert ; il s'y combine les effets de l'inversion de l'affect ;
6° La mobilité libidinale caractérise les investissements objectaux qui
s'y révèlent variables et multiples ;
7° Les facteurs économiques conduisent à des mutations de registre,
soit dans la sphère du corps (avec conservation du statut symbolique)
soit dans des formations proprement psychiques (phobies), soit dans le
passage à l'acte, selon l'orientation des contre-investissements(internes
ou externes, ces derniers prévalant dans cette névrose) ;
NÉVROSE OBSESSIONNELLE ET HYSTÉRIE 715

8° Une régression de structure de la libido peut se présenter sous le


masque de la phobie. Ce sont alors, soit des pseudo phobies impliquant
une régression libidinale (exemple phobies d'impulsion), soit des for-
mations avant coureuses de la névrose obsessionnelle, soit encore, lors-
qu'existent des altérations du Moi, des névroses actuelles, des cas
limites, des tableaux psychotiques où le symptôme phobique apparaît
comme un symptôme de restitution ;
Ces considérations amènent à valoriser la notion de représentation
limite par la phobie ;
9° La transition avec la psychose se fait par une mutation (structure
lacunaire) qui implique le franchissement d'une limite par un saut
(et non par épuisement des mécanismes de contiguïté). La dépression
en est le cas le plus fréquent, son affinité avec l'hystérie s'explique par
la prévalence des mécanismes d'identification dans les deux structures.

Modèle structural de la névrose obsessionnelle


Il nous reste maintenant à proposer, pour conclure, notre modèle
structural sur l'obsession et la névrose obsessionnelle :
1° L'obsession est le fait d'une régression de structure de la libido,
celle-ci affecte les pulsions, et uniquement celles-ci ; elle substitue à la
génitalité, comme but, l'érotisme anal et établit après défusion des
pulsions la prédominance de l'investissement destructif sur l'investis-
sèment érotique. Corollairement, la passivité et les pulsions partielles
(scoptophilie) sont renforcées dans cette conjoncture;
2° Cette régression dynamique et temporelle de la libido s'associe une
régression uniquement topique du Moi, qui entraîne progressivement le
Moi de l'acte à la pensée ;
La conséquence de cette régression semble conduire le Moi à se
comporter comme un objet d'amour pour le Surmoi et à se préserver de
ses attaques par les mécanismes de toute puissance de la pensée ;
La finalité de ces deux régressions nous paraît aboutir à une ten-
tative pour infléchir l'orientation des investissements de la sphère objectale
à la sphère narcissique, sans y réussir pleinement;
3° Cette régression est la conséquence du conflit entre les pulsions
de mort et les pulsions de vie et entre le Moi et l'objet, elle est mise en
oeuvre par le Moi au moyen du contre-investissement interne et opère sans
relâche la séparation entre le représentant de la pulsion (le signifiant) et
l'affect avec déplacement du représentant de la pulsion ;
4° La fonction du représentant de servir essentiellement de support
au déplacement donne au langage chez l'obsessionnel une qualification
716 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

spéciale. Celui-ci illustre la proposition de Freud au sujet de la transfor-


mation du sadisme qui, dans la névrose obsessionnelle, ne se transforme
pas en masochisme mais se borne à l'auto-punition : « Le verbe actif
ne se mue pas en verbe passif mais, adoptant une voie moyenne, en
verbe réfléchi. » Cette comparaison linguistique pourrait suggérer que
l'obsession réalise cette voie médiatrice entre la perversion et la psychose ;
50 Économiquement surtout, mais dynamiquement et topiquement
aussi, cette solution est toujours remise en question par la voix du
Surmoi qui porte en lui la même régression que le Ça, dont il est issu, et
oblige à la multiplication des symptômes et des défenses ;
6° Cependant, dans la forme centrale, il n'y a ni satisfaction pulsion-
nelle directe (perversion) par domination du principe de plaisir, ni
faillite du principe de réalité (psychose) par renoncement à l'objet ;
7° La situation transitionnelle de la névrose obsessionnelle offreà envisa-
ger attentivement les relations des obsessions aux autres entités du registre
psychopathologique à la limite desquelles l'obsessionnel s'aventure ;
8° Cette situation de la forme centrale n'exclut pas une gamme
d'aspects dont le spectre peut s'étendre considérablement. Les plus
bénins sont marqués par leur indice d'hystérisation (le noyau hystérique
sur lequel est greffé toute névrose obsessionnelle) qui est d'autant plus
important que cette névrose conserve plus d'attaches avec la génitalité.
Dans les formes les plus graves, le Moi multipliant les formations
tampons contre l'épuisement psychotique peut céder plus ou moins tem-
porairement (dépersonnalisation).
Certaines formes avortées ou éclatées peuvent prendre la voie de la
toxicophilie, la toxicomanie, voire de la perversion.
9° Le passage à la psychose, rare mais non impossible, semble se
faire par épuisement du Moi qui perd ses capacités de formations sympto-
matiques et défensives, par mise en oeuvre des processus de contiguïté.
La psychose ainsi constituée sera de forme batarde par rapport aux
psychoses franches et conservera certains aspects de la névrose d'où
elle est issue. La symptomatologie névrotique persistante possédera,
dans ce nouveau contexte, la valeur de processus de restitution.

Ces modèles structuraux nous paraîtront être les seuls moyens d'une
lecture cohérente du champ psychanalytique freudien et de tous les
apports qui ont pu l'enrichir depuis Freud, sans rien concéder à l'exac-
titude clinique qui a toujours marqué la contribution freudienne à ces
problèmes. L'étude des variations du champ psychanalytique nous
invite au repérage préalable de ce par rapport à quoi il y a variation.
Particularité technique
du traitement des phobiques(1)
par S. NACHT

Lors des précédentes réunions, vous vous êtes certainement fami-


liarisés avec cette notion selon laquelle ce qui caractérise plus parti-
culièrement le phobique est son aptitude à projeter hors de lui-même
les désirs qui peuplent son monde intérieur — désirs qu'il perçoit
dès lors non seulement comme étrangers à lui-même mais d'autant
plus chargés de menaces. C'est ici — chez le phobique — que l'on
saisit sur le vif, beaucoup mieux qu'ailleurs, comment ce qui est désiré
inconsciemment peut être consciemment redouté.
L'intensité avec laquelle le phobique adhère à ses projections est
fonction de la force des pulsions qui l'habitent. C'est pourquoi certains
phobiques vivent leurs phobies avec la même conviction morbide que
le délirant vit son délire.
Cependant, pour ce qui nous intéresse plus spécialement ici ce
qui distingue nettement le phobique du délirant dans la situation théra-
peutique, c'est la qualité de sa relation transférentielle. C'est celle-ci,
en effet, qui permet à l'analyste d'adopter, à l'intérieur de cette relation,
certaines attitudes dites « actives ».
Vous vous souvenez qu'en règle générale Freud ne reconnaissait
à l'analyste un rôle nettement actif que lorsqu'il lui fallait donner des
interprétations au malade, ou maintenir ce dernier nécessairement
dans un climat de frustration.
Il n'envisageait d'intervention active directe, dans le comportement
du malade que dans un cas : précisément lorsqu'il s'agissait de pho-
biques. C'est ainsi, par exemple, qu'il exigeait d'un agoraphe qu'il
sortît seul, malgré sa peur, pour venir à la séance d'analysé.
Freud ne s'est pas expliqué — du moins à ma connaissance — sur
les raisons théoriques qui l'ont incité à s'écarter ici de la règle habituelle

(1) Introduction au Colloque consacré à la structure phobique.


REV. FR. PSYCHANAL. 46
718 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1864

de neutralité. Nous pouvons, il me semble, comprendre cette conduite


thérapeutique comme un moyen de faire surgir un matériel qui se
trouve bloqué et masqué tant que le malade n'affronte pas sa phobie
— autrement dit, tant qu'il l'utilise comme une défense.
Cependant, sans contester la justesse d'une telle interprétation, je
suis tenté, pour ma part, de voir là quelque chose de plus quant à
l'utilité technique de cette attitude dite « active » dans le traitement
des phobies.
C'est ainsi que j'interviens, quant à moi, directement, activement
dans ces traitements non seulement pour exiger des phobiques qu'ils
viennent seuls, malgré leur peur, chez moi, mais aussi pour qu'ils
affrontent, de même, toutes leurs autres peurs, une à une.
Je dirai que c'est là la particularité essentielle du traitement des
phobiques. C'est pourquoi je limiterai mon propos à ce seul aspect de
la question, d'autant que le traitement des phobiques constitue juste-
ment une exception — et peut-être la seule — à ce que je vous disais
l'an dernier, savoir : que les conduites thérapeutiques ne varient pas
en fonction de tel ou tel diagnostic de névrose mais en fonction de la
nature de l'être humain que l'on a devant soi.
Lorsque l'ambivalence du sujet à l'égard de l'analyste évolue de
telle sorte que celui-ci se trouve ne serait-ce que momentanément,
investi davantage dans un sens positif, c'est-à-dire quand la part d'amour
l'emporte sur celle de la haine dans le lien qui unit le malade au théra-
peute, alors l'intervention directe prend un sens nouveau, très riche
en résonances. Mes observations cliniques me l'ont maintes fois
confirmé.
Voici un exemple assez probant : une jeune femme souffre, entre
autres phobies, de la peur de conduire sa voiture. Lorsque j'ai estimé
le moment favorable pour une intervention de ce genre, je l'ai invitée
à passer outre, et cette invitation était formulée de telle manière qu'elle
devait prendre pour la malade la valeur d'une demande expresse de se
mettre à conduire. Après quelques hésitations pénibles, elle se résolut
à prendre le volant de sa voiture et, malgré sa peur, la conduisit quand
même. Elle me dit ensuite : « C'est pour vous que je l'ai fait, uniquement
pour vous. » Ce « pour vous » avait alors un sens beaucoup plus riche
que son sens habituel et ordinaire : tout d'abord, j'avais demandé à
cette malade quelque chose dans une phase du traitement où celui qui
lui formulait cette demande était affectivement accepté et investi posi-
tivement. Elle pouvait donc, en réponse, donner ce qu'on lui demandait.
De plus, et c'est là surtout la note prévalente — dans ce climat transfé-
PARTICULARITÉ TECHNIQUE DU TRAITEMENT DES PHOBIQUES 719

rentiel positif, conduire sur ma demande signifiait inconsciemment,


pour elle, conduire avec moi, ou du moins moi me trouvant là à côté
d'elle. Ma présence étant alors ressentie comme bienfaisante, satis-
faisante, et le sentiment de frustration étant alors sinon éliminé du
moins notablement atténué, elle n'avait plus besoin de s'abriter derrière
sa phobie, qui cachait elle-même une crainte d'écraser celui qui la
frustrait parce que, inconsciemment, elle désirait le faire.
Pour que le phobique puisse changer sa vision du monde et établir
avec lui des échanges plus heureux, il lui faut d'abord pouvoir établir
dans la relation analytique un lien positif, satisfaisant — lien d'amour.
La particularité technique consiste ici en une intervention dite
directe s'appuyant sur une forme relationnelle privilégiée, — intervention
qui concerne le comportement du sujet non pas à l'intérieur de la situa-
tion strictement analytique mais dans les actes de sa vie proprement
dite. Il va de soi qu'il ne s'agit ici que de certains actes qui constituent
des symptômes, ou plus exactement d'actes de la vie entravés par la
névrose.
Lorsque le psychanalyste est enfin perçu comme « bon objet », le
sujet s'identifiant à lui, se l'incorporant même pour ne faire qu'un
avec lui, se trouve alors comme habité par ce qui est uniquement bon.
Dès lors ses propres pulsions sont éprouvées différemment, elles se
« bonifient » à leur tour et de ce fait cessent d'être redoutées.
Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'un tel renversement ne peut s'opérer
d'un seul coup, ni être acquis définitivement, une fois pour toutes et
cela pour deux raisons au moins : la première, c'est que cette nouvelle
forme relationnelle ne saurait être vraiment intégrée sans un long
travail d'élaboration.
La deuxième est que la relation transférentielle positive subit de
nombreuses oscillations et fluctuations. Tantôt sa qualité positive est
plus faible, tantôt même elle devient ou redevient franchement négative
voire hostile.
C'est pourquoi nous voyons les phobies tantôt s'atténuer ou même
disparaître, tantôt réapparaître dans toute leur force. Mais il n'empêche
que le mouvement a été amorcé et le chemin tracé, et c'est sur ce chemin
que le malade avancera peu à peu, malgré les hésitations, voire les retours
en arrière momentanés.
Si certaines réactions contre-transférentielles fâcheuses et intem-
pestives de la part de l'analyste ne viennent lui barrer la route, le malade,
n'en doutons pas, avancera ainsi jusqu'à la guérison.
L'évolution subie par les pulsions agressives, telle que nous venons
720 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

de la décrire, sera la même en ce qui concerne les pulsions libidinales,


si toutefois les conditions indiquées tout à l'heure sont remplies.
Ainsi l'homme ou la femme qui craignent de sortir seuls dans la
rue parce qu'ils redoutent une agression sexuelle — alors qu'incons-
ciemment ils la désirent — pourront vaincre cette crainte à la demande
de l'analyste, et ceci dans la mesure où leurs désirs peuvent s'exprimer
sans peur dans la relation transférentielle.
Mais alors, me direz-vous, il suffirait de demander au malade de
vaincre sa peur pour que la phobie disparaisse ! Et je réponds : mais oui
du moins dans une certaine mesure. Cela est vrai et cela ne l'est pas,
selon la qualité de la relation transférentielle et le moment de la cure
où la demande est formulée ! Si cette relation est telle que je l'ai décrite
tout à l'heure, et à cette condition seulement, la demande formulée par
le médecin est accueillie et interprétée par le malade comme une per-
mission, une invitation à accepter ses propres désirs, une assurance
qu'il peut le faire sans crainte puisqu'il est libre de les exprimer et de les
éprouver dans sa relation transférentielle. Tout peut être obtenu du
malade si cette relation est tranquillement positive, dans un climat de
sécurité et si les fonctions du Moi ont été suffisamment renforcées.
C'est grâce à cette relation transférentielle que le sentiment de frus-
tration perturbateur étant atténué ou réduit, la réponse agressive l'est
à son tour.
Ici, c'est la fonction gratifiante de l'analyste qui est l'un des éléments
moteurs. Lorsque le malade exprime sans crainte ses pulsions libidinales
dans une relation transférentielle positive, la fonction de l'analyste
prend toute sa valeur en tant que l'attitude de ce dernier est plus que
simplement permissive.
L'intérêt de ce qui vient d'être dit réside dans le fait que les deux
mouvements instinctuels décrits ici séparément — agressivité et libido —
sont vécus simultanément. Ils sont constamment confondus. Ce n'est
que l'alternance de la prééminence de l'un ou de l'autre qui donne
l'apparence d'une discontinuité. En réalité, celle-ci n'existe pas : ces
deux mouvements fondamentaux sont plus que solidaires, ils se nour-
rissent l'un de l'autre. Tour à tour ils marquent l'évolution de la cure,
favorisant successivement les moments d'identifications salutaires,
indispensables, même dirai-je, pour le phobique, justement parce
que ces possibilités d'identification lui ont cruellement manqué dans
le passé.
De l'homosexualité psychotique(1)
par le Dr J. MALLET

Bien sûr, si nous nous référons à Freud comme à l'expérience


clinique, la cause la plus immédiatement déterminante de la psychose,
et nous entendons par ce terme la paranoïa et la schizophrénie de
l'adulte, c'est la fixation sur le Moi de la libido qui s'est détachée
de l'objet.
Mais ce que nous examinerons ici, c'est la nature de la pulsion qui,
les circonstances bien entendu aidant, peut être considérée comme
ayant une part de responsabilité.
C'est, me direz-vous, la pulsion homosexuelle. Et vous ajouterez :
voilà qui semble bien évident pour quiconque a lu l'analyse des écrits
du président Schreber, et qui a lu en outre l'article intitulé De certains
mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité,
sans parler du cas de paranoïa féminine.
Sans doute. Mais si telle est bien la vérité, il nous reste évidemment
à nous poser la question suivante : « S'agit-il d'une homosexualité
quelconque, n'importe laquelle, ou bien d'une homosexualité parti-
culière ?
... »
D'une homosexualité passive, me direz-vous. Soit. Mais ici je
dois vous rappeler qu'une autre pulsion passive a aussi été incriminée,
bien qu'avec beaucoup moins d'insistance, par Freud d'abord et ensuite
par d'autres, et c'est le masochisme.
Je vous le rappellerai, trois ans avant Schreber,. dans Fantasmes
hystériques et bisexualité, Freud déclarait : « Les délires des paranoïaques
sont des fantasmes qui parviennent à un accès direct à la conscience,
ils sont basés sur la composante masochiste-sadique de l'instinct
sexuel. »
Cet écrit est antérieur à Schreber de trois ans. Dans Schreber,
cependant, il n'est jamais, jamais question du masochisme. On pourrait

(1) Introduction à une discussion sur Homosexualité et psyclwse au cours du Séminaire de


Perfectionnement; 1963.
722 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

en conclure que Freud lui refuse désormais une importance quelconque


dans l'évolution paranoïaque. Cette opinion semblerait corroborée
par le fait que dans l'article de 1915 sur La paranoïaféminine, il n'en est
pas non plus question.
En réalité il n'en est rien. Quatre ans après Schreber, dans On bat
un enfant, qui met en rapport fantasmatique le garçon avec son père
et un frère ou leurs substituts, Freud y revient. Les hommes qui
présentent le fantasme d'être battu par le père (fantasme inconscient,
mais susceptible de devenir conscient sous la déformation suivante :
être battu par une femme virile) développent une susceptibilité et une
irritabilité particulières envers tous ceux qu'ils peuvent ranger dans la
catégorie des pères. Ils se permettent d'être facilement offensés par une
personne de ce genre, et de la sorte, à leurs propres dépens et chagrins,
provoquent la réalisation de la situation imaginaire d'être battu par le
père. Et Freud termine en déclarant qu'il ne serait pas surpris s'il était
un jour possible de démontrer que le même fantasme soit la base du
délire de litige de la paranoïa.
Cette fois, une modalité du caractère paranoïaque et le délire de
litige sont considérés comme consécutifs, non pas directement à l'homo-
sexualité de l'OEdipe négatif, mais au masochisme qui lui a succédé
par régression. Ainsi s'est faite la synthèse des deux opinions précé-
dentes. Mais un autre point mérite encore d'être souligné. C'est que
dans la genèse du fantasme qui nous occupe intervient un objet de
jalousie qui n'est pas la mère, comme on aurait pu s'y attendre en vertu
de l'OEdipe négatif, mais un frère qui frustre le sujet d'une partie
de l'amour des deux parents. Et Freud remarque bien cette particula-
rité : la jalousie envers le frère est indépendante de l'OEdipe.
Trois ans plus tard, dans l'article sur Les mécanismes névrotiques
de la jalousie, de la paranoïa et de l'homosexualité, le masochisme subit
une nouvelle éclipse. Par contre, un nouveau type d'homosexualité est
détecté, qui est censé résulter de la suppression de l'hostilité jalouse
envers la phratrie. Étant donné tout ce que nous venons de dire, voilà
un point qui devrait nous intéresser tout particulièrement. Et pourtant
nous devons aussi nous demander si nous ne sommes pas en train
d'errer sur de fausses pistes, quand nous nous apercevons que, dans
un tel article, Freud ne pose même pas, quant à lui, la question des
rapports possibles de ce genre d'homosexualité avec la paranoïa, encore
moins, si j'ose dire, de ses rapports avec le fantasme de l'enfant battu,
bien que la jalousie envers la phratrie y intervienne également.
Laissons ces questions pour le moment. Encore un regard sur
DE L'HOMOSEXUALITÉ PSYCHOTIQUE 723

un article moins ancien, celui de 1923 sur Le problème économique du


masochisme. Il n'y est pas question non plus d'homosexualité ni de
paranoïa. A titre de consolation, bien qu'assez mince, nous nous
plairons, à la re-lecture des caractéristiques dû masochisme féminin
chez l'homme, de le voir déclarer proche parent de l'homosexualité
masculine passive, et en particulier de celle contre laquelle Schreber
semblait se défendre. Dans ses fantasmes érotiques, le masochiste
féminin se met en effet dans une situation propre à là féminité, c'est-à-
dire qu'il y est châtré, qu'il y joue le rôle passif dans le coït, et même
qu'il y enfante.
Vous voyez maintenant où mène ma démarche : vers les deux pro-
positions que voici. Primo, l'homosexualité qui joue un si grand rôle
dans les psychoses s'y dégrade préalablement en masochisme. Secundo,
elle s'adresse avant tout à des substituts fraternels.
J'expliciterai d'abord ma deuxième proposition. Pour ce faire, je
rappellerai les caractéristiques différentielles du dernier type d'homo-
sexualité décrit par Freud dans Certains mécanismes..., et auquel j'ai
déjà fait allusion :
1° Ce genre d'homosexualité, qualifié ailleurs d'atténué (Le Moi
et le Soi, III), n'a amené, dans les cas observés par Freud, qu'à des
attitudes homosexuelles, n'excluant pas l'hétérosexualité et n'impli-
quant pas l'horreur des femmes. Vous voyez comme cela ressemble à
l'homosexualité des futurs paranoïaques. Cela est d'autant plus net
quand l'on s'aperçoit que ces derniers, malgré ce que pensait Freud,
vont parfois jusqu'à avoir des rapports homosexuels ;
2° Contrairement à l'homosexualité manifeste, l'homosexualité qui
nous occupe se constituerait surtout dans la prime enfance et non à la
puberté. Que se passe-t-il alors ? Des sentiments de jalousie (issus du
complexe maternel, dit Freud, et nous en doutons en ce qui concerne les
futurs paranoïaques). d'une intensité très grande s'élèvent envers des
rivaux, d'ordinaire des frères plus âgés. Nous notons ici que la jalousie
concerne l'aîné et non pas le cadet comme ce serait pour ainsi dire la
norme. Et nous pensons, quant à nous, que cela découle surtout du
fait que le frère aîné constitue une réduplication du sujet dans le monde
extérieur, et une réduplication magnifiée, bref une valeur narcissique
supérieure. Qui plus est une valeur narcissique inégalable, parce que
demeurant normalement toujours supérieure à celle du sujet quels que
soient ses propres progrès, pour la bonne raison qu'elle progresse
elle-même simultanément. Revenons maintenant à Freud. Cette
jalousie mène à une attitude excessivement hostile envers les frères,
724 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

attitude qui peut culminer en souhaits de mort réels, mais qui ne peut
aller plus loin. Sous l'influence de l'éducation — et certainement aussi
sous celle de leur propre impuissance persistante — ces sentiments
hostiles cèdent au refoulement et se laissent transformer, de sorte
que les rivaux deviennent les premiers objets d'amour homosexuel.
Ici, Freud fait deux remarques. D'abord qu'une telle évolution est
en total contraste avec le développement de la paranoïa persécutive.
Dans celle-ci en effet la personne précédemment aimée devient le
persécuteur haï, tandis que dans le cas qui nous occupe les rivaux haïs
sont transformés en objets d'amour. Toutefois Freud n'en dit pas
plus, et l'hypothèse qu'à tort ou à raison j'avance, à savoir que la
paranoïa impliquerait le retour régressif à l'hostilité jalouse envers
l'aîné, il ne l'a pas émise. Incontestablement, il se représente l'homo-
sexualité psychotique comme identique à l'homosexualité névrotique,
c'est-à-dire comme s'adressant directement au père. Et pourtant, au
bout de sa deuxième remarque, Freud devrait retrouver encore la
paranoïa comme problème connexe. Cette remarque, c'est que l'évo-
lution homosexuelle particulière dont nous parlons représente aussi
une exagération du processus qui mène à la naissance des instincts
sociaux chez l'individu. (Dans les deux processus on trouve d'abord
des sentiments jaloux et hostiles qui ne peuvent s'assouvir ; et alors à la
fois les sentiments d'affection personnelle et d'identification sociale
adviennent en tant que formations réactionnelles contre les pulsions
agressives refoulées.) Or, Freud nous dit depuis Schreber que la frus-
tration des sentiments sociaux issus de l'homosexualité est un mode
(pour lui principal) de déclenchement de l'évolution paranoïaque,
ce que la clinique confirme... Bref, un an après Certains mécanismes...,
dans Le Moi et le Soi, les deux processus dont nous parlons, la forma-
tion des sentiments sociaux et l'évolution paranoïaque, sont presque,
mais presque seulement, considérés comme inversement identiques.
Dans les deux cas, la transformation de l'amour en haine, ou de la
haine en amour, se ferait pour des raisons purement économiques,
dictées par les seules possibilités d'assouvissement et indépendamment
de toute attitude de l'objet. Par exemple, l'hostilité rivale envers les
frères est supprimée en faveur de l'attachement homosexuel parce que
lui seul est susceptible d'être satisfait (1). Quant à la façon dont s'effectue
cette transformation, elle est la suivante : à la faveur de l'ambivalence,
(1) Cela implique que de telles satisfactions soient au fond tolérées. Dans la mesure où
plies ne le sont pas adviennent des tendances antisociales menant aux structures à proprement
parler délinquantes.
DE L'HOMOSEXUALITÉ PSYCHOTIQUE 725

il se produit un déplacement réactionnel de la charge énergétique,


une certaine quantité d'énergie étant (dans la paranoïa) soustraite
aux tendances érotiques et ajoutée aux tendances hostiles. Mais Freud,
envisageant côte à côte les deux processus, la formation des sentiments
sociaux et l'évolution paranoïaque, les considère comme analogues,
et non comme inversement identiques. Et je pense que c'est parce
qu'il croit encore que dans la paranoïa c'est la rivalité avec le père
qui est principalement en cause, et non la rivalité avec le frère. C'est
dire qu'il n'en aurait pas vu l'extrême narcissisme que nous allons
tâcher de saisir. Je pense en effet que dans la formation des sentiments
sociaux chez le futur paranoïaque, l'inhibition de l'agressivité s'est faite
non point tant par identification terminale qu'en s'appuyant sur la
quasi-identité initiale entre le sujet et l'objet narcissique que constitue
le frère aîné. Cet objet narcissique est sans doute un idéal du Moi
dans une certaine mesure, mais ce qui importe ici, c'est qu'il soit
avant tout la réduplication du sujet dans le monde extérieur, douée
d'une puissance quelque peu supérieure seulement. Il est d'un format
plus grand que le sujet, mais beaucoup plus proche de lui que ne l'est
le père. Que chacun fouille dans ses souvenirs cliniques, il s'apercevra,
je l'espère, que tous les persécuteurs sont bâtis sur un modèle fraternel
beaucoup plus que paternel. Par ailleurs, tous les paranoïaques que
j'ai pour ma part interrogés avaient des frères, et aussi tous ceux que
j'ai rencontrés dans la littérature, à deux exceptions près, et encore.
Il y a certes le cas de paranoïa féminine de Freud, mais qui est atypique.
Reste le cas également discutable de L'homme aux loups, qui n'avait
pas de frère, mais certes une soeur virilement écrasante. Pour le reste,
Schreber par exemple avait un frère de trois ans son aîné dont le persé-
cuteur Flescshig forme le substitut, alors que c'est Dieu qui est substitué
au père. Je crois d'ailleurs qu'un enfant élevé de façon suffisamment
proche peut dans certains cas jouer le rôle pathogène d'un frère pour
le futur paranoïaque.
Comment se déclenche maintenant le détachement libidinal ? Consti-
tués seulement de pulsions homosexuelles inhibées quant au but et
non point de sublimations vraies (1) qui seraient en principe beaucoup
moins fragiles, les liens sociaux exigent pour se maintenir que le sujet
reçoive des autres hommes un certain degré de satisfaction disons senti-
mentale. Mais on peut en outre penser que la fragilité de tels liens

(1) C'est à partir de 1922, dans La, théorie de la libido, que FREUD s'aperçoit qu'il ne s'agit
pas ici de sublimation vraie, mais de pulsions non désexualisées qui sont seulement inhibées
quant à leur but, déviées et vouées à se contenter de satisfactions approximatives.
726 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

est particulièrement grande quand ils sont constitués surtout de pulsions


homosexuelles issues de la réaction contre l'hostilité ancienne envers
le frère, et encore plus grande si elles ont l'origine narcissique que nous
avons supposée chez le futur paranoïaque.
Quoi qu'il en soit, ce dernier réagit à la frustration en désinvestissant
l'objet et en (re)investissant son propre Moi, et non point en investissant
de nouveaux objets réels comme le sujet normal ou des objets fantas-
matiques comme le névrosé. Ce qui distingue la paranoïa de la schizo-
phrénie, c'est d'une part qu'un objet unique en principe est désinvesti
et non point tous les objets ; et d'autre part que la régression demeure
plus narcissique qu'auto-érotique. La régression narcissique qui suit
le désinvestissement de l'objet fait que les pulsions agressives et sadiques
à lui destinées reviennent au Moi qui devient alors masochiste. C'est à
ma connaissance Nunberg qui a le premier remarqué que l'agressivité
et le sadisme étaient en majeure partie libres de s'exercer chez les
homosexuels pervers ou soi-disant tels, et en majeure partie transformés
en masochisme chez les paranoïaques. Mais je ferai observer qu'il
s'agit alors d'un pseudo-masochisme moral. Il ne s'agit pas en effet
d'une resexualisation de l'OEdipe négatif qui pousserait le sujet à vivre
le fantasme de l'enfant battu, mais bien plutôt d'une régression du moi
vers le masochisme primaire, auto-destructeur. Certes, le comporte-
ment qui en résulte est à première vue sensiblement le même, et nous
voyons les paranoïaques se comporter, même en dehors de leur délire
proprement dit, comme des masochistes moraux exacerbés.
On sait que le masochisme moral est toujours inconscient, mais
qu'il n'est pas délirant (1). Pourquoi le masochisme paranoïaque le
devient-il ? Probablement d'abord pour des raisons économiques.
Il est en effet trop massif, trop considérable. Qu'on se rappelle en
particulier l'hostilité excessive envers la phratrie dont il est l'héritier.
D'autre part il se dégrade, se délibidinise de plus en plus au cours de
la régression, tendant, sans jamais toutefois l'atteindre, vers le maso-
chisme primaire. Ainsi risquerait de survenir, à moins qu'une dériva-
tion somatique n'amène un soulagement économique, une prise de
conscience. Cette dernière devrait aboutir, étant donné la régression
du Moi, à l'acte suicidaire. Elle n'aura pas heu.

(1) Même si, dans certains cas, par exemple s'il est poussé dans ses retranchements par
le psychanaryste, le masochistemoral, pour ne pas reconnaître son propre masochisme, accuse
autrui de sadisme à tort ou à raison. Pourquoi le masochisme moral s'avère-t-il le plus ina-
vouable des péchés ? Pour plusieurs motifs sans doute, l'un d'eux étant qu'il réduit le Surmoi
à l'impuissance (cf. BERGLER).
DE L'HOMOSEXUALITÉ PSYCHOTIQUE 727

Mais les diverses dénégations d'allure plus ou moins projective


(jalousie, érotomanie, délire des grandeurs) qui peuvent bien barrer
à l'homosexualité passive résiduelle l'accès à la conscience n'auront pas
ici une efficacité suffisante et un refoulement plus énergique devra
advenir. Ce dernier s'attaquera à la reconnaissance foncière qui s'avère
préalable à toute dénégation. Malheureusement, cette méconnaissance
radicale, propre à la psychose, n'ira pas sans contrepartie, et je présume
qu'elle a la persécution pour conséquence inéluctable. Pour en rendre
compte, peut-être une étude phénoménologique pourrait nous être là
de quelque utilité car, grosso modo, le Moi et le monde extérieur sont
absolument corrélatifs, comme la conscience est toujours conscience
de quelque chose. Bref, le mécanisme de la persécution dépasse la
projection. « Il n'était pas juste de dire que le sentiment réprimé au-
dedans fut projeté au-dehors ; on devrait plutôt dire, nous le voyons
à présent, que ce qui a été aboli au-dedans revient du dehors » (Schreber,
p. 360) (1).

(1) Dans le système lacanien, un des éléments fondamentaux de la prédisposition à la psy-


chose est le rejet ancien d'un signifiant. Cette notion est tirée d'un passage de L'homme aux
loups, passage selon lequel le concept de castration aurait été, par l'un des courants psychiques,
rejeté (forclos), et refoulé par un autre courant. Le deuxième courant est responsable de la
névrose, et c'est l'existence du premier qui serait une condition de possibilité de l'évolution
psychotique.
PSYCHANALYSE APPLIQUÉE

La sublimation artistique(1)
par GÉRARD MENDEL

PRESENTATION

«Qu'était, en effet, le Beau sinon une


manifestation, en pleine réalité objective,
de quelque chose qu'un désir de notre orga-
nisme créait à demi, à demi découvrait ? »
John COWPER POWYS,
Les Sables de la Mer.

Ce travail qui, à propos de la sublimation artistique, touche à des


sujets aussi divers que la prégénitalité, les perversions, le narcissisme,
l' « image phallique » et le pénis, le fantasme, les identifications — ce
travail est avant tout redevable.
Outre, bien entendu, aux auteurs qui ont pris rang de classiques
(Freud, Abraham, Ferenczi. Rank, Groddeck), notre dette va à diffé-
rents chercheurs contemporains. Qu'il s'agisse des travaux de Bêla
Grunberger sur le narcissisme ; de ceux de M. Bouvet, de M. Fain, de
P. Marty sur la prégénitalité ; des conceptions de J. Favreau, de Grun-
berger, de Jeannine Chasseguet-Smirgel, sur l'analité et l'homosexualité ;
du rapport de P. Luquet sur les identifications. Ou bien encore des
études génétiques de Winnicot— je pense en particulier à sa dialectique
de l'annihilation et de la mutilation — ou du travail de 1954, souvent
cité, de Lebovici et Diatkine sur les fantasmes chez l'enfant, précédé
trois ans plus tôt de l'article de R. Diatkine. Qu'il s'agisse enfin des
travaux et exégèses de F. Pasche, tant des études publiées sur l'angoisse,
les perversions, la régression — que de son séminaire de théorie.
Travail redevable donc. Mais porté par quelles intentions, et tour-
nant autour de quels thèmes ?
L'intention est d'essayer de saisir ce qui, sous l'extraordinaire foi-
sonnement des petites différences, constituerait l'unité des oeuvres de
l'art, tant entre elles que par rapport aux autres activités ou productions
humaines. Un abord, donc, du problème de la spécificité artistique,
au double niveau des sources d'inspiration (orales, à notre sens), et de
(1) Introductionau colloque sur La sublimation et l'art, séance de la Société psychanalytique
de Paris, du 19 novembre 1963. Texte remis à la rédaction le 25 février 1964.
730 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

la mise en forme ou élaboration (analité et stade phallique, pour nous),


cette co-présence des diverses formes d'organisation prégénitale se
retrouvant en étroite association dans l'acte créateur. Les notions
strictement freudiennes d'érotisme, de zones érogènes, et de formes
d'organisation prégénitales de la libido occupent ainsi une place de
premier plan.
Quant aux thèmes, ils me paraissent être au nombre de deux.
Le premier étant que, en deçà ou au-delà des divers modes de
lecture possibles (comme « sujet », ou comme style), l'oeuvre d'art est
appréhendée aussi bien par le créateur que par l'amateur comme un
ensemble complet, appréhension qui renverrait, pensons-nous, à un pro-
cessus d'introjection orale de même nature que dans le fantasme.
Le second thème étant que l'on n'accède à la création artistique
que grâce à des identifications secondaires à d'autres artistes. Sublima-
tion artistique et identifications sont indissolublement liées. Les identi-
fications permettraient cette déviation vers un but non sexuel que .

définit la sublimation.
En somme, sur le chemin qui mène de l'Inconscient à l'oeuvre d'art,
existeraient deux relais : le fantasme, de nature orale ; et les identifi-
cations secondaires à d'autres artistes, sous-tendues par Pérotisme
anal (1). Enfin l'érotisme phallique jouerait un rôle essentiel dans la
création considéré en tant qu'acre créateur.
Avant d'aborder ces deux thèmes, je voudrais mettre davantage
en relief certains caractères de la sublimation. La première moitié de
notre travail constitue en effet l'esquisse d'une théorie de la sublima-
tion, en partie telle qu'elle est contenue dans l'oeuvre de Freud, en
partie telle qu'il nous a paru qu'elle pouvait être déduite de cette oeuvre.
Déviation du but sexuel.
Absence de refoulement. « Celle-ci, écrit Freud de la sublimation,
est une issue par laquelle les exigences du Moi peuvent être satisfaites
sans nécessiter le refoulement. » Précision importante, puisqu'elle
permet de différencier sublimation et formation réactionnelle.
Il est fort instructif de noter combien souvent sublimation et per-
versions se trouvent rapprochées dans les textes freudiens. L'hypothèse
y affleure constamment que les pulsions partielles correspondant à
l'érotisme oral, anal, phallique, qui n'ont pu être secondairement
intégrées, unifiées dans le primat du génital et l'organisation du Moi

(1) Par érotisine oral, anal ou phallique, nous n'entendons pas des qualités de la libido,
mais cette interrelation de la pulsion, du plaisir et de la forme d'organisation du Moi, du Surmoi
et de l'Idéal du Moi correspondant à l'investissement d'une zone érogène.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 731

correspondant, seraient dans certains cas particuliers la source vive de


la sublimation.
Il nous paraît important de distinguer processus mentaux en général
et activités de sublimation. L'activité psychique n'est pas créée par la
sublimation. L'énergie libidinale sublimée s'ajoute seulement à elle
d'un point de vue quantitatif, mais, à notre sens, aussi qualitatif. Car
le support théorique de notre travail est que les pulsions partielles subli-
mées restent perceptibles dans le produit de la sublimation. Et il nous
a paru reconnaître dans l'oeuvre d'art considérée aussi bien dans la
relation du créateur à l'oeuvre que dans celle qui relie l'oeuvre à l'ama-
teur — aussi bien donc dans la création artistique que dans l'attitude
esthétique — certaines particularités tenant à la sublimation de l'éro-
tisme oral et qui, à ce degré de pureté et d'intensité, permettraient de
distinguer le domaine de l'Art de toute autre production ou activité
humaine. L'érotisme anal et l'érotisme phallique sont également percep-
tibles, mais ne sont là spécifiques de l'activité que par la relation qui les
unit à l'érotisme oral (opérations de lecture, et processus d'introjection).
Premier thème : quelle relation se noue entre l'amateur et, par
exemple, un tableau de qualité ?
Il est possible, nous semble-t-il, de distinguer la lecture par la raison
et l'intelligence (les thèmes, le sujet, l'école, les influences, etc.) ; et la
lecture « par les sens » (sensorio-motrice). Signalons que le terme d'esthé-
tique a été précisément créé à partir de la racine « esthésie » : perception
par les sens, pour indiquer qu'il existait un domaine des productions
humaines que la raison et l'intelligence seules ne pouvaient appréhender.
Cette lecture par les sens s'opérerait, pour un tableau, en consi-
dérant les dispositions de lignes et de surfaces de couleurs comme le
moulage du geste du peintre. Son style particulier de relation objectale
se manifestant là au même titre que dans chacun des aspects de son
comportement (au même titre, par exemple, que dans la forme de son
écriture, l'allure de sa démarche, le ton de sa voix, etc.).
Cette seconde lecture « par les sens », la lecture du style et de la forme
— nous introduit dans l'univers particulier, original, d'un artiste.
C'est, me semble-t-il, ce mode de lecture qu'a illustré M. Charles
Mauron à propos de productions littéraires, dans une oeuvre très
importante sur laquelle il faudra certainement revenir un jour ici
même ; et Mme Chasseguet à propos d'un film dans un travail qui a
soulevé un intérêt certain au colloque de Cerisy : Marienbad, une
esthétique de l'achoppement.
Je viens de parler de lecture de la forme. Le concept même de forme
732 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

est extrêmement diffus, prêtant à l'équivoque : pouvant aussi bien


désigner le style propre d'un tableau, on dira : « La forme tourmentée
des tableaux de Soutine », que la forme globale du tableau, c'est-à-dire
le tableau comme ensemble (« Cette forme est un tableau ») ; ou encore
devenir synonyme du terme : Art (« Les oeuvres qui ont pris forme
esthétique »).
Cette lecture « par les sens » d'un certain nombre de signes qui
constituent le style personnel d'un peintre, si elle nous introduit bien
à la spécificité de ce peintre — permettant de le distinguer des autres
artistes — ne nous introduit nullement à la spécificité de l'Art. Cette
lecture nous informe que ce peintre a tel « tempérament », aurait-on
dit autrefois, telle relation objectale — elle ne nous informe nullement
du fait que cette toile est un tableau authentique, qu'elle est une oeuvre
de l'Art.- Et, par exemple, on pourra reconnaître le style personnel de
Cézanne dans un fragment artificiellement découpé par la photographie
(ou encore plus simplement en portant notre attention exclusive sur
une partie de la toile), la vue de ce « détail » nous permet de reconnaître
la « main », la « patte », la « griffe » du Maître, sans nous offrir cette
qualité de plaisir qui ne nous sera donné que par le tableau entier consi-
déré comme un ensemble. Nous saisissons là sur le vif la différence qui
existe entre l'opération de lecture qui permet de reconnaître le style
personnel d'un peintre, et le plaisir esthétique donné par la toile comme
ensemble. Mais lecture (ou plutôt, comme nous le verrons, lectures)
et plaisir esthétique sont liés ; tout se passe comme si le tableau ne
pouvait être considéré comme « bon objet » et introjecté à ce titre, don-
nant le plaisir esthétique, que s'il est d'abord reconnu comme se
situant, à un titre ou à un autre, dans la tradition picturale. Nous per-
cevons immédiatement l' « inquiétante étrangeté » des productions
picturales des schizophrènes et elles ne nous donnent jamais le plaisir
esthétique complet que Van Gogh ou Soutine pourront, eux, nous offrir.
Car parallèlement à cette lecture du premier « visage » du tableau
— lecture par la raison et lecture par les sens — il existe, pensons-nous,
et c'est là l'essentiel de notre travail, un mouvement d'appréhension
très particulier. Le tableau, s'il est de qualité, apparaît alors à l'amateur
comme un ensemble complet. Tout amateur connaît ces instants où il
perçoit le tableau comme un tout qui « tient », résiste à toute tentative
de détacher un fragment, d'introduire un élément : le tableau circonvenu
par toute une série de manipulations se révèle finalement être complet,
parfaitement satisfaisant. Il existe une minute heureuse où les élé-
ments — lignes et couleurs — tendent à s'unifier, et de cette impression
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 733

mystérieuse d'unité, de plénitude et de perfection naîtraient le plaisir


esthétique et le sentiment de beauté.
Sans l'appréhension de ce second « visage » non seulement n'éprou-
verions-nous pas de plaisir, pensons-nous, mais encore ne supporterions-
nous que difficilementsoit le contenu anecdotique (je pense ici à certaines
toiles ou gravures de Goya, à certains tableaux de Jérôme Bosch), soit
la forme, le style manifestement psychotiques (Van Gogh, Soutine).
Freud parle dans Ma vie et la psychanalyse de la « prime de séduc-
tion du plaisir attaché à la perception de la beauté de la forme » (1).
Si de l'appréhension de l'oeuvre comme ensemble, naît le sentiment
de beauté, il s'agit là de bien davantage que d'un plaisir préliminaire :
mais peut-être Freud a-t-il été victime des équivoques du concept de
forme que nous évoquions précédemment, lui qui confessait s'intéresser
peu aux qualités de forme d'une oeuvre d'art (2).
Si ce mouvement d'unification du tableau est le plus souvent passé
sous silence, c'est que l'examen critique est par nature même analy-
tique (il fragmente) et conceptuel (il nomme) alors qu'il s'agit là d'un
mouvement qui réunit et rassemble, et qui, pour nous, renvoie à une
phase pré-verbale du développement.
Nous avons en effet .essayé de montrer en détail comment, à notre
sens, ce mouvement correspondrait à une régression au stade oral
secondaire ambivalent d'Abraham. Cette appréhension de l'oeuvre
comme ensemble serait pour le spectateur l'équivalent de l'envahis-
sement passif par un fantasme, correspondrait à une introjection orale
massive (et non à une fusion). Dans l'appréhension de l'oeuvre comme
ensemble, l'objet — le tableau —est entièrement introjecté par le sujet.
Mais introjection très particulière : l'amateur est protégé par les pro-
cessus mêmes de la sublimation : l'oeuvre comme ensemble n'apparais-
sant qu'au travers des opérations de lecture et de discrimination par la
raison et par les sens, comme en transparence. Le plaisir est de même
nature que dans le fantasme, correspondant à un processus analogue
oral et narcissique primitif : l'incorporation totale de l'objet.
Si la tendance au « progrès » (ou à « l'évolution ») se marque, comme
le rappelait F. Pasche en 1954, par le virage de l'introjection à l'identifi-
cation — comment cette dernière se réalise-t-elle chez l'artiste, comment
le fantasme s'est-il transmué en oeuvre d'art ?

(1) Ma vie et la psychanalyse, p. 102.


(2) Essai de psychanalyse appliquée, p. 9 : « J'ai souvent remarqué que le fond d'une oeuvre
d'art m'attirait plus que ses qualités de forme ou de technique, auxquelles l'artiste attache en
première ligne de la valeur. »
REV. FR. PSYCHANAL. 47
734 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Le second thème de ce travail concerne le problème des identifi-


cations de l'artiste. L'Art n'est expression directe ni de l'Inconscient ni
de la réalité extérieure, mais relation médiatisée par une tradition qui
s'incarne dans les Maîtres.
Il existerait chez l'artiste d'importantes fixations à une phase non
pas anobjectale, pré-ambivalente, fusionnelle, du développement libi-
dinal (stade oral primaire d'Abraham), mais à un stade que l'on pourrait
appeler para-objectal (stade oral secondaire ambivalent). Para-objectal
en ce sens que l'objet cherche à naître, à s'incarner, à se délimiter, à
se pérenniser. Phase de phénomènes de conscience intermittents, de dif-
férenciation-indifférenciation, de délimitation-indélimitationde l'objet,
de « division-réunion » pour reprendre le titre donné par Kandinsky à
l'une de ses toiles. Le point essentiel serait que l'objet n'existe pas
encore de manière stable et permanente (1). On ne peut pas compter
sur l'objet, faire fond — au sens littéral — sur lui, puisqu'il peut dispa-
raître totalement. Par l'introjection, il peut être totalement détruit ou
totalement détruire. La réalisation hallucinatoire du désir nous paraît
correspondre à une tentative d'aménagement : clivage de l'objet en
« bon objet » à incorporer, et en « mauvais objet » à refouler. Car il nous
semble que parlant du fantasme on mette trop l'accent sur ce qui appa-
raît — et pas assez sur ce qui disparaît : la réalité actuelle extérieure.
En raison de ces fixations orales, le conflit oedipien se déroule, non
pas avec une personne définie, délimitée : le père, mutilable et mutilant
(castration), mais avec un personnage annihilable et annihilant englo-
bant de manière indifférenciée les deux parents perçus sur un mode
archaïque. Pour l'artiste, qui pas plus qu'un autre homme ne peut se
passer d'objet, la création artistique est la tentative de fonder l'objet
sur un mode stable et permanent.
Mais, aussi, ces fixations orales sont, pour nous, les sources d'inspiration
de l'artiste, en raison, en particulier, des relations étroites unissant l'ora-
lité et le narcissisme primaire.
Mais comment ce passage d'une source d'inspiration orale, d'un
auto-érotisme, à une élaboration et à une réalisation tournée vers le
monde extérieur et mettant en jeu les pulsions partielles anales et
phalliques ?
A notre sens, la sublimation artistique serait liée au processus grâce
auquel le sujet « oral » — voué, si cette sublimation ne s'effectuait pas,

(1) Je partage sur ce point l'opinion exprimée par Lyaroche à une récente conférence de
l'Évolution psychiatrique, traitant des personnalités hystériques.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 735

à l'auto-érotisme et aux identifications sur un mode primaire, narcis-


sique — peut prendre, à défaut du père réel, pour idéal identificatoire,
objet sexuel et rival, un Maître spirituel — personnage enfin différencié,
paternel, car porteur de la délimitation pouvant faire l'objet d'une iden-
tification partielle, secondaire : son oeuvre. Cette oeuvre pour le jeune
artiste est assimilée dans l'Inconscient au « premier pénis » : le segment
fécal, et au pénis du stade phallique. Autrement dit, des relations
d'échange partielles et non plus globales, avec l'objet, avec la réalité
sont enfin possibles. Ensemble, « dans ce virage de l'introjectionà l'iden-
tification » partielle, — est constitué un objet permanent (ce n'est plus
qu'une partie de cet objet qui est imaginairement capté dans l'identi-
fication) pouvant former un support stable pour les projections et
vis-à-vis duquel l'apprentissage de la maîtrise et du contrôle peut se
développer — a été intégrée, rendue utilisable, par le Moi une partie des
pulsions anales avec leur érotisme et leur agressivité — et a été déviée
de son but sexuel, sublimé (fantasme converti, transmué, et se retrou-
vant au niveau de l'oeuvre comme ensemble, dont l'appréhension donne
un plaisir de même nature — mais d'une qualité culturelle, sociale —
que dans le fantasme : un plaisir narcissique) une partie de l'érotisme oral.
Je ne crois pas que l'on risque de se tromper en accordant une
importance essentielle pour le développement du don artistique — lequel
est, certes, lié à des facteurs innés mais qui demandent à s'incarner —
â ces processus d'identification et de maturation qui se déroulent chez
l'adolescent, tout au long des années d'apprentissage, par l'entremise
de l'oeuvre des Maîtres. (Même s'il existe un contact direct avec le
Maître, la valeur de celui-ci est fonction de son oeuvre artistique.)
La Tradition joue le rôle que n'a pu remplir la Lignée. L'Art ne naît
jamais par génération spontanée.
La sublimation artistique correspondrait ainsi à l'intégration dans
un mode d'organisation essentiellement oral du Moi des pulsions
anales et phalliques. Grâce aux identifications, une partie de la libido
narcissique-orale parvient à s'organiser sur le mode objectai, anal
— et nous comprenons dans cette organisation les complexes psychiques
lui correspondant — parvient à s'organiser sur le mode anal de la
pénétration et de la captâtion d'un pénis paternel donnant un pouvoir
précis, et non plus sur le mode de l'envahissement diffus, de l'introjec-
tion globale d'un « objet phallique indifférencié ». Le pénis paternel
a pris une forme délimitée.
Les autres sublimations — scientifiques en particulier — s'élève-
raient sur un autre soubassement. Elles ne concerneraient pas la
736 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

création d'un objet stable et permanent fondant l'identité d'un sujet


pouvant enfin rester soi malgré frustrations et conflits. Dans les autres
sublimations, l'objet existerait déjà de manière stable et permanente,
distinct et avec ses fins propres. La sublimation permettrait alors la
manipulation, le contrôle et la maîtrise les plus parfaits possibles de
cet objet.
Il serait peut-être possible — mais il faudrait pousser plus avant
ces hypothèses — de décrire une formule oedipienne, sinon spécifique,
du moins personnelle à l'artiste. Formule qui serait différente à la fois
de la génitalité normale et de l'homosexualité-perversion. Dans cette
formule, la relation au père spirituel serait celle du sujet à l'objet
représentant l'idéal identificatoire, l'Idéal du Moi. Cette identification
partielle permet la mutation du Moi idéal en Idéal du Moi, du narcis-
sisme primaire en narcissisme secondaire. La relation est aussi celle du
sujet à l'objet dont les tendances pulsionnelles attendent leur satisfac-
tion. Elle est enfin celle d'un rival, puisque ce pénis capté analement,
l'artiste l'utilise virilement (génitalement serait-on tenté de dire, s'il
ne s'agissait d'une génitalité déviée de son but sexuel et dans laquelle,
à notre sens, les pulsions prégénitales orales, anales, phalliques sont
moins unifiées et « dépersonnifiées », qu'en situation de co-présence et
dirigées vers le même but : la réalisation de l'oeuvre. Phallicité plutôt
que génitalité), pour faire une oeuvre d'art dont il se réserve la paternité
exclusive. L'oeuvre aujourd'hui n'est plus anonyme ; elle n'est pas
même collective comme l'auraient voulu les Surréalistes. Rivalité donc
par rapport à l'oeuvre-pénis du Maître et non par rapport à la mère ou à
la femme. La relation à ces dernières se faisant sur un mode oral,
narcissique, fantasmatique, d'introjection du bon objet. Bien que les
relations au père et à la mère lui soient particulières, il est possible de
dire que, grâce à ces opérations d'identification à un Maître spirituel,
l'artiste a accédé à la différenciation des sexes.
Cette thèse d'une relation à la Tradition chez le jeune artiste ne
fait qu'utiliser sur le plan psychanalytique une notion que l'on trouvera
dans toute autobiographie d'artiste. Cette thèse, répétons-le, se situe
à l'opposé de celle qui considérerait que l'Art est l'expression directe,
immédiate, de l'Inconscient de l'artiste.
Ainsi se retrouveraient reconnaissables dans l'oeuvre d'art les
forces et processus concourant à la sublimation.
L'appréhension de l'oeuvre comme ensemble renverrait à un stade
précédant la constitution d'un objet stable et permanent, à une phase
où la relation à l'Objet se fait sur le mode de l'introjection produisant un
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 737

plaisir narcissique très archaïque. L'oeuvre d'art est le « bon objet »


introjectable et pourtant — là est le paradoxe — stable et permanent :
puisque l'oeuvre goûtée, introjectée, demeure quand même là devant
nous intacte, disponible. C'est que ce visage de l'oeuvre comme ensemble,
appréhendable seulement pour qui est à la fois homme de culture et
homme de goût, n'apparaît qu'en transparence sous les opérations de
lecture, d'aperception par la lecture et par les sens ; opérations qui,
elles, renvoient à l'univers de l'objet stable et permanent, de l'objet aux
caractères précis du stade anal et du stade phallique.

LA CONCEPTION FREUDIENNE DE LA SUBLIMATION

Rien sur la sublimation dans l'oeuvre freudienne avant le Fragment d'une


analyse d'hystérie, 1905, avant Dora. Pas un mot en particulier dans la Traum-
deutung, la Psychopathologie de la vie quotidienne, ou le Mot d'esprit.
Et, d'emblée, perversions et sublimations sont accolées, liées dans le ciment
d'une même phrase :
« Les perversions ne sont ni des bestialités, ni de la dégénérescence dans
l'acception pathétique du mot. Elles sont dues au développement de germes
qui tous sont contenus dans la disposition sexuelle non différenciée de l'enfant,
germes dont la suppression ou la dérivation vers des buts sexuels supérieurs
— la Sublimation — est destinée à fournir les forces d'une grande part des
oeuvres de la civilisation » (p. 36).
Seconde apparition la même année (1905) — tout au moins dans la publi-
cation, car l'on sait que Dora est dans sa composition antérieure de plusieurs
années ; et précisément dans le chapitre traitant des « aberrations sexuelles »,
des perversions, dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité.
Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que l'exemple de la sublimation
donné par Freud est celui d'une formation réactionnelle :
« ... la curiosité peut se transformer dans le sens de l'art (« Sublimation »),
lorsque l'intérêt n'est plus uniquement concentré sur les parties génitales, mais
s'étend à l'ensemble du corps » (p. 42).
Et, du reste, lorsque Freud revient sur ce problème, c'est dans un para-
graphe intitulé : « Formation réactionnelle et sublimation » (p. 70), où les deux
mécanismes sont pratiquement identifiés l'un à l'autre. Pendant la phase de
latence, la sexualité resterait sans emploi et, d'autre part, serait de nature
perverse. « Ces excitations sexuelles provoquées feraient ainsi entrer en jeu des
contre-forces, ou des réactions, qui, pour pouvoir réprimer efficacement ces
sensations désagréables, établiraient les digues psychiques qui nous sont
connues (dégoût, pudeur, morale). » Enfin, « ... cette évolution conditionnée
par l'organisme et fixée par l'hérédité peut parfois se produire sans aucune
intervention de l'éducation ».
Une note de 1915 ajoute qu'outre cette sublimation par formation réaction-
nelle, il existe également une sublimation proprement dite dont le processus
est différent.
Dans la conclusion du volume, les trois » issues » qu'indique Freud dans les
cas de « constitutions anormales » (fortes fixations prégénitales) sont : la vie
sexuelle perverse ; le refoulement incomplet et la formation de symptômes ;
et la sublimation (p. 156). Mais encore une fois, celle-ci est essentiellement
considérée comme une formation réactionnelle. L'exemple donné en note est
738 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

celui de la jeune fille (La joie de vivre, de Zola), qui ayant commis enfant une
cruauté, plus tard se sacrifiera volontairement.
Dans Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci (1910), Freud reprend la
même définition d'une dérivation de but de la libido (p. 53) : « L'instinct sexuel
est (...) doué de la faculté de sublimation, c'est-à-dire capable d'abandonner
son but immédiat en faveur d'autres buts non sexuels et éventuellement plus
élevés dans l'estimation des hommes. »
Dans cet essai, Freud précise comment il conçoit la genèse de la sublimation.
Après la troisième année, « quand la période d'investigation sexuelle infantile
se termine par une violente poussée de refoulement sexuel », trois possibilités
se présentent (p. 58) :
Ou bien curiosité intellectuelle et sexualité sont ensemble refoulées : inhi-
bition névrotique, débilité acquise de la pensée...
Ou bien seule la sexualité est refoulée, alors que la curiosité, le développe-
ment intellectuels résistent au refoulement. Mais plus tard la curiosité sexuelle
« remonte du fond de l'inconscient » sous forme de pensée obsédante. « L'investi-
gation intellectuelle devient ici activité sexuelle, souvent même exclusive ; la
sensation de la pensée qui s'accomplit et se résout remplace la satisfaction
sexuelle. » Cette érotisation de la pensée, cette pensée obsédante (« refoule-
ment mal réussi », p. 199) peut être considérée comme une formation substi-
tutive, un symptôme névrotique.
Ou, enfin, une partie de l'instinct et du désir sexuels ne sont pas refoulés ; « la
libido se soustrait au refoulement, elle se sublime dès l'origine (1) en curiosité
intellectuelle et vient renforcer l'instinct d'investigation déjà par lui-même
puissant ». Et Freud établit, quelles que puissent être les ressemblances, une
« différence radicale » entre formation substitutive (irruption du désir sexuel
du fond de l'inconscient) et sublimation.
Dans cet ouvrage, Freud, s'il paraît implicitement les séparer, ne précise
pas quelles peuvent être, à son sens, les différences de caractère entre subli-
mation et formation réactionnelle (chez Léonard, la « pitié excessive envers les
animaux », et le fait d'être végétarien, par exemple).
Sans jamais aborder de front le problème de la sublimation (et en paraissant
même s'en garder : « Comme je ne compte pas traiter ici de la sublimation... »,
Métapsychologie, p. 42), Freud dans chaque essai apporte une contribution,
ajoute un trait, une nuance à l'étude de ce concept. Ainsi Du narcissisme : une
introduction (1914) (2).
Nous aurons à revenir, pour nous y appuyer, sur la définition très précise
proposée. Aussi citons-la dans son intégralité :
« Celle-ci (la sublimation) est un processus qui concerne la libido objectale
et qui consiste dans l'orientation de l'instinct vers un but différent et éloigné
d'une satisfaction sexuelle » (p. 29).
Freud distingue ainsi la sublimation de l'idéalisation, qui n'est qu'une
projection sur l'objet du narcissisme. « Un homme qui a échangé son narcis-
sisme contre l'adoration d'un idéal du Moi « élevé » n'a pas nécessairement
pour autant réussi à sublimer ses instincts libidinaux » (p. 29).
Ce sont bien les désirs et pulsions sexuels, la libido sexuelle, objectale,
qui sont ainsi en cause dans la sublimation. Celle-ci est une issue au conflit
pathogène entre instincts du Moi (Les « exigences du Moi ») et instincts

(1) Une origine se situant d'après le contexte (après trois ans) au moment du conflit
oedipien.
(2) Les citations en seront faites d'après la traduction du Dr Fr. Pasche, réservée à l'usage
intérieur de l'Institut de Psychanalyse.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 739

sexuels : « Une issue par laquelle les exigences du Moi peuvent être satisfaites
sans nécessiter le refoulement » (p. 30).
Ainsi, pour la seconde fois, Freud revient sur l'absence de refoulement
dans la sublimation.
Nous voudrions faire également remarquer ici que le processus de subli-
mation mettant en jeu la libido sexuelle, objectale, doit être distingué de ce
que Kris, Hartmann et Loewenstein entendent par neutralisation : désexuali-
sation des pulsions libidinales (et désagressivationdes pulsions destructrices) (1).
Rien dans les textes de Freud que nous avons jusqu'à présent cités, ne
permet de concevoir la sublimation comme une désexualisation. Tout au
contraire.
Quelle que soit l'opinion que l'on ait quant à la théorie des deux instincts
— de vie et de mort — l'observateur se doit de reconnaître que l'ensemble
des trois essais (2) recueillis sous le titre : Essais de psychanalyse est un ouvrage
fort difficile à bien entendre.
Ce livre enrichit-il la théorie freudienne de la sublimation ?
Il convient d'abord de remarquer que le concept de sublimation qui, au
fil des années, acquerrait peu à peu, et comme difficilement, un statut propre,
devient, là, plus fluide. C'est que, dans les Essais, Freud paraît, pourrait-il
sembler, entendre la sublimation non plus comme le fait d'une énergie sexuelle,
mais d'une énergie désexualisée.
Au moins à trois reprises Freud assimile nommément sublimation et
désexualisation :
« ... l'amour désexualisé, homosexuel et sublimé pour d'autres hommes
qui
naît du travail commun (p. 115).
« La transformation, à laquelle nous assistons ici, de l'attitude libidinale à
l'égard de l'objet en une libido narcissique implique évidemment le renonce-
ment aux buts proprement sexuels, une désexualisation, donc une sorte de
sublimation » (p; 184).
Et, enfin, cette citation extrêmement importante que nous préférons
donner dans son intégralité :
« Il me paraît plausible d'admettre que cette énergie qui anime le Moi
et le Ça, énergie indifférente et susceptible de déplacement, provient de la
réserve de libido narcissique, c'est-à-dire qu'elle représente une libido (Érôs)
désexuaîisée. (...) S'il est vrai que cette énergie susceptible de déplacement
représente une libido désexualisée, on peut dire également qu'elle est de
l'énergie sublimée, en ce sens qu'elle a fait sienne la principale intention d'Érôs
qui consiste à réunir et à lier, à réaliser l'unité qui constitue le trait distinctif, ou
tout au moins, la principale aspiration du Moi. En rattachant également à cette
énergie susceptible de déplacement les processus intellectuels au sens large du
mot, on peut dire que le travail intellectuel est alimenté, à son tour, par des
impulsions érotiques sublimées » (pp. 201, 202).
Pour la seconde citation, il semble s'agir d'une simple imprécision de
langage : Freud nomme désexualisation ce qui n'est qu'une déviation du but
sexuel.
Les problèmes soulevés par la dernière citation sont beaucoup plus
complexes.

(1) On pourra lire la distinction que fait Kris — et ses commentaires — entre sublimation
(déplacement de l'énergie déchargée d'un but inacceptable vers un but acceptable), et neutrali-
sation : « transformation de l'énergie déchargée », Psychoanalytic explorations in art, pp. 26-27-28.
(2) Au-delà du principe du plaisir (1920) ; Psychologie collective et analyse du Moi ; Le
Moi et le Ça (1923).
740 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Tout d'abord, elle ne nous paraît pouvoir se comprendre que dans l'optique
générale de la partie de l'Essai où elle est incluse, et qui concerne le problème
des identifications secondaires. C'est là certainement l'apport essentiel des
Essais quant au concept de sublimation, et nous réservons plus loin un chapitre
à l'étude de cette question.
Un problème doit être discuté ici : l'occasion nous en est donnée par le
rattachement fluide mais bel et bien existant établi par Freud dans ce texte
entre processus intellectuel en général et sublimation.
Sur ce point, notre opinion, en accord avec des textes très précis de Freud,
est qu'attribuer à la sublimation tout travail intellectuel aboutirait à vider le
concept de son contenu spécifique (1).
On comprend mieux l'amalgame — certes, qui n'en est pas tout à
fait un — établi par Freud si l'on songe qu'un des problèmes fonda-
mentaux concernant la sublimation n'avait pas été résolu, ni même posé
par lui. Problème qui pourrait s'énoncer ainsi : comment reconnaître
dans le produit de la sublimation (l'oeuvre d'art, par exemple) la marque
de la libido sexuelle en l'absence de la réalisation sexuelle qui permet
habituellement de la reconnaître ? Ce problème n'ayant pas été posé (2),
le fait qu'il s'agisse de libido sexuelle peut en effet paraître n'avoir
guère d'importance.
Pourtant deux textes antérieurs de Freud avaient, nous semble-t-il, établi
la distinction entre « processus intellectuel au sens large du mot » et processus
de sublimation. Le premier date de 1910 :
« Il existe une orientation beaucoup plus opportune (que le refoulement)
désignée nous le nom de « sublimation » par laquelle l'énergie des pulsions
infantiles passionnelles n'est pas refoulée (censurée) mais maintenue en dispo-
nibilité, le but inaccessible des diverses impulsions étant remplacé par un autre
but plus élevé, plus noble, parfois même non sexuel. Il se trouve que ce sont
précisément les composants de l'instinct sexuel qui possèdent cette faculté
spéciale de sublimation, consistant à substituer au but sexuel un autre but plus
lointain et socialement acceptable. Il est probable que nous devons nos succès
culturels les plus grandioses à la contribution de l'énergie obtenue par cette voie
à nos jonctions mentales » (Cinq leçons sur la psych.) (3).
(1) Ce point est important, car en clinique, à l'intérieur de la cure, nous ne devons pas
confondre la simple levée d'une inhibition intellectuelle névrotique et une véritable ouverture
à la sublimation.
(2) Pour des raisons qui, à notre sens, tiennent à la personnalité de FREUD, et que l'on
peut déduire de la lecture des deux premières pages de son essai sur Le Moïse de Michel-Ange
(1914) : " Mais les oeuvres d'art font sur moi une impression forte, en particulier les oeuvres
littéraires et les oeuvres plastiques, plus rarement les tableaux. J'ai été ainsi amené, dans des
occasions favorables, à en contempler longuement pour les comprendre à ma manière, c'est-à-
dire saisir par où elles produisent de l'effet. Lorsque je ne puis pas faire ainsi, par exemple
pour la musique, je suis presque incapable d'en jouir. Une disposition rationaliste ou peut-être
analytique lutte en moi contre l'émotion quand je ne puis savoir pourquoi je suis ému, ni ce qui
m'étreint. » (C'est nous qui soulignons.)
(3) Nous avons traduit nous-mêmes la dernière phrase soulignée par nous, d'après le
texte anglais de la Standard Edition, la traduction française existant ne rendant absolument
pas la précision de la pensée. Cette traduction est en effet : « C'est à l'enrichissement psychique
succédant à ce processus de sublimation que sont dues les plus nobles acquisitions de l'esprit
humain » (p. 176).
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 741

Le second texte est une note ajoutée par Freud en 1915 à la réédition des
Trois essais sur la théorie de la sexualité :
« Nous distinguons la libido de l'énergie qu'il faut supposer à la base de
tous les processus psychiques en général » (1) (2).
Je pense, et cela sera précisé dans le chapitre suivant
— que si,
tous, nous sublimons plus ou moins, l'énergie produite par cette subli-
mation s'ajoute à l'économie des processus mentaux en général, mais
ne la crée pas. Je pense également que cette addition, cet apport ajoute
non seulement en quantité mais aussi en qualité : c'est-à-dire que,
selon les composantes libidinales sublimées, sont apportées certaines
particularités spécifiques reconnaissables.

Conclusion
Etant donné, par ailleurs, le nombre de pages consacrées par
Freud à l'illustration de la théorie psychanalytique grâce aux oeuvres
de l'Art, on peut s'étonner de la maigre part qu'il consacre dans son
oeuvre au processus de la sublimation. Une des raisons étant sans doute
qu'il lui attrait fallu prendre davantage en considération le produit
même de la sublimation, non plus dans ce qu'il pouvait avoir de
commun avec toute autre production humaine élaborée, mais dans ce
qu'il a de spécifique (accent mis alors sur la valeur esthétique propre
de l'oeuvre d'art et non sur son contenu anecdotique, sur le phénomène
esthétique, sur l'attitude esthétique, etc.).
Quoi qu'il en soit, nous appuyant sur les textes, nous ne croyons
pas sortir du cadre de la stricte orthodoxie freudienne en entendant
ce concept comme :
Une réalisation due à :
la mise en jeu des pulsions libidinales sexuelles (libido objectale)
ayant échappé au refoulement ;
non intégrables telles quelles par le Moi ;
mais déviées de leur but sexuel ;
par l'intermédiaire de ce Moi.
Cette possibilité d'utilisation par le Moi étant l'un des caractères
les plus importants et les plus mystérieux.
Il est bien certain que nous avons purifié, isolé à l'excès un processus
qui précisément n'existe pas à l'état pur. A toute activité de sublimation

(1) P. 125 de l'édition récente dans la collection Idées


« ».
(2) Cité également par WAELDER dans le chapitre traitant de la sublimation (pp. 110-117)
dans Les fondements de la psychanalyse.
742 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

participentles processus intellectuels au sens large du mot, des formations


réactionnelles, des formations substitutives... Et pourtant nous pensons
que dans cet amalgame l'apport des processus de sublimation, de par leur
source propre, et leurs mécanismes, est reconnaissable ; et que c'est cet
apport qui, par exemple, fonde la spécificité de la sublimation artistique.
Il nous faut donc étudier à présent quelle est cette source propre
des processus de sublimation.

CE QUI EST SUBLIMÉ :


LES PULSIONS PARTIELLES NON INTÉGRÉES DANS LE PRIMAT DU GÉNITAL
Dès les premières lignes du chapitre précédent apparaissait la liaison établie
par Freud, lors de l'introduction même du concept de sublimation, entre
perversion et sublimation.
Mais nous voudrions d'abord rendre ce qui lui est dû à Fernand Lechat,
dont un article, court mais substantiel paru en 1948 (1), qui reste l'un des très
exceptionnels travaux portant sur ce concept, avait attiré notre attention sur
ce point.
L'essentiel de la thèse, présentée comme une hypothèse, par M. Lechat
peut être figuré par ces deux citations :
« La sublimation apparaît comme l'emploi, sur un plan élevé, de tendances
non évoluées qui, sur un plan naturel et normal, auraient été inacceptables.
Il n'y a aucune raison de sublimer des tendances normales parvenues à une
maturité normale (...).
« (...) les tendances les plus perverses et les plus dynamiques seraient la
condition fondamentale des sublimations les plus élevées. »
En fait, comme bien souvent, cette hypothèse selon laquelle les formes
d'évolution prégénitales de la libido (les pulsions partielles correspondant
à l'érotisme oral, anal, phallique, qui n'ont pu être secondairement intégrées,
unifiées, dans le primat du génital et l'organisation du Moi correspondante)
seraient, dans certains cas particuliers la source vive de la sublimation — cette
hypothèse se trouve expressément formulée par Freud lui-même :
« Les excitations excessives découlant des différentes sources de la sexualité (2)
trouvent une dérivation et une utilisation dans d'autres domaines, de sorte que
les dispositions dangereuses au début produiront une augmentationappréciable
dans les aptitudes et activités psychiques (3). C'est là une des sources de la
production artistique, et l'analyse du caractère d'individus curieusement doués
en tant qu'artistes indiquera des rapports variables entre la création, la perversion
et la névrose, selon que la sublimation aura été complète ou incomplète » (4).
Cette thèse affleure dans d'autres textes en particulier dans le même ouvrage
(p. 48), ou encore (p. 70) lorsque Freud précise que la sexualité infantile « par
elle-même perverse » restant sans emploi possible pendant la période de latence,
serait « détournée de (son) usage propre et appliquée à d'autres fins ».
Nous aurons à revenir sur l'importance à accorder à la période de latence
sexuelle. Dans un texte plus tardif. Sur les transformations des pulsions parti-

al) R.F.P., 1948, n° 4 : De la sublimation, pp. 571-582.


(2) C'est nous qui soulignons.
(3) Notons que Freud parle d'une augmentation. L'activité psychique proprement dite,
nous avons déjà insisté sur ce point, n'est pas conçue par lui comme créée par la sublimation.
(4) Trois essais sur la théorie..., pp. 156-157 (collection « Idées »).
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 743

culièrement dans l'érotisme anal, 1916, Freud s'interroge sur le destin de l'éro-
tisme anal et sur sa possibilité de « s'éteindre par sublimation ».
Et pourtant, bien que les textes, on le voit, existent, on a le sentiment — nous
y reviendrons — à la lecture de ces oeuvres que Freud ne s'est jamais engagé
complètement dans la conceptualisation du processus de sublimation.
Si l'on veut essayer de situer le problème sur un des plans plus élevés, il
est possible d'énoncer que si :
« Le conflit pathogène est un conflit entre les tendances du Moi (instincts
du Moi) et les tendances sexuelles (instincts sexuels) » (1), les possibilités
d'aménagement de ce conflit sont connues. Ce sont :
— l'intégration des pulsions partielles dans le primat du génital ; l'érotisme
génital et la maîtrise du conflit oedipien permettant une réalisation sexuelle.
Même dans ce cas, à notre sens, une partie de l'érotisme oral et anal garde
son originalité, agit pour son propre compte ;
— le refoulement incomplet : avec les diverses modalités de formations réac-
tionnelles et symptomatiques (retour du refoulé) ;
— l'absence de refoulement : certaines réalisations correspondant aux pulsions
partielles orales, anales ou phalliques :
— qui, si elles sont orientées vers un but sexuel, ont reçu le nom de per-
versions ;
— et qui, si elles sont déviées de leur but sexuel, représententles sublimations.
Si la sublimation est bien réalisation perverse avec déviation du but sexuel,
nous devons nous poser cette double question : pourquoi cette déviation (et
non pas une perversion simple), et comment est-elle possible ?
Nous consacrerons un chapitre au problème fondamental à notre sens de
l'identification à un personnage paternel, à un père spirituel. La problématique
que nous étudierons entre Moi, Surmoi et Idéal du Moi, n'est possible que si
ce Surmoi existe. Et si, comme l'écrit Viderman : « Le Surmoi n'est si bien
intériorisé que parce qu'il était déjà intérieur » (2), la part donnée à la consti-
tution, au facteur, inné, reprend toute sa valeur conformément à la pensée
de Freud (3). Autrement dit, la même raison qui explique l'impossibilité de la
satisfaction perverse simple (exigences du Surmoi), conditionnerait les possi-
bilités de sublimation en permettant le jeu des identifications.
Et les pulsions agressives ? Leur sublimation est-elle concevable ?
Sans vouloir aborder de front le problème si complexe de l'agressivité, il
convient de rappeler que de la Métapsychologie (Les pulsions et leur destin, 1915)
au Moi et au Ça (1923), de la théorie des instincts du Moi et des instincts
sexuels, à la dualité cosmogonique d'Érôs et de Thanatos, Freud a insisté sur
la plasticité plus grande des pulsions libidinales, et sur la rigidité, le caractère
stéréotypé des pulsions agressives (4).

(1) Introduction à la psyclianalyse, p. 330.


(2) De l'instinct de mort, R.F.P., 1961, n° 1, p. 106.
(3) « La tendance au refoulement et la capacité de sublimation doivent être rapportées
aux bases organiques du caractère, bases sur lesquelles s'élève ensuite l'édifice psychique »,
Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, p. 212.
(4) « Ce qui distingue les pulsions sexuelles c'est le fait qu'elles peuvent, dans une large
mesure, se remplacer les unes les autres et échanger facilement leurs objets. Ces derniers carac-
tères les rendent capables de productions fort éloignées de leurs visées premières (sublimation) »,
Pulsions et leurs destins, Métapsychologie, p. 42.
« Les penchants érotiques, en effet, nous apparaissent d'une façon générale plus plastiques,
plus susceptibles de dérivation et de déplacement que les tendances destructives », Le Moi et
le Ça, p. 201.
744 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Nous aurions tendance à penser que si dans toute réalisation sublimée,


érotisme et agressivité se conjuguent, c'est l'érotisme de la pulsion partielle
qui imprime sa marque, sa tonalité à l'oeuvre réalisée.
Également, si, à la limite, il serait peut-être possible d'imaginer une subli-
mation des pulsions libidinales isolées, une sublimation qui ne concernerait
que les pulsions destructrices n'est pas concevable. La fin de la sublimation
est de créer, d'inventer, de rassembler, de réunir (1).
Une thèse qui nous est plus personnelle et à laquelle nous allons
consacrer un long développement est celle selon laquelle la sublimation
artistique trouve son inspiration dans les formes d'organisation prégénitales
de la libido les plus précoces, c'est-à-dire les pulsions partielles orales.
Thèse qui est au centre de cet essai puisque, à notre sens, la mise
en jeu de ces pulsions partielles orales sublimées serait responsable
de la spécificité artistique, fonderait l'art comme « domaine à part ».
Mais si l'artiste est porté par une inspiration d'origine orale,
l'élaboration elle-même serait due à la mise en jeu des pulsions anales.
A cette thèse se rattache tout un ensemble problématique : comment
une certaine qualité orale de l'organisation pulsionnelle garde-t-elle,
reconnaissable dans l'oeuvre d'art, son caractère oral sexuel ? Ou
encore : à quoi peut-on reconnaître dans l'oeuvre d'art (constituant,
par exemple, le dénominateur commun reliant entre eux tous les
tableaux authentiques) la marque sublimée de l'érotisme oral ?
Mais, auparavant, il nous faut d'abord reconnaître en quoi cette
« forme » d'organisation orale est différente de celles qui lui succèdent ;
et nous poser la question de savoir si, par-delà tous les remaniements
ultérieurs, cette « forme » est bien celle atteinte au cours de la régression
temporelle.

L'ORALITÉ, SUPPORT DE LA RÉALISATION HALLUCINATOIRE DU DÉSIR


DE LA PENSÉE MAGIQUE ET DU FANTASME

C'est finalement le schéma classique de Karl Abraham (2), posant


six étapes de l'organisation libidinale, que nous adopterons.
On sait qu'il divise l'oralité en deux phases : orale primaire, anob-
jectale et préambivalente (qui nous paraît correspondre à la phase
oro-narcissique décrite par Grunberger) ; orale secondaire (canni-
balique), ambivalente avec incorporation totale de l'objet.
C'est, pour Abraham, ce caractère global de l'objet perçu (il est
délimité, discernable, reconnaissable, mais n'est divisible ni anato-

(1) Certaines « techniques » modernes utilisées — telles que, par exemple, tirer à la carabine
sur une toile — ressortent de la réalisation perverse (ici, sadique anale) simple.
(2) Brève étude de la libido à la lumière des troubles mentaux.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 745

iniquement ni fonctionnellement : il est perçu comme un tout) (1) qui


serait la caractéristique de cette phase orale secondaire, par rapport à la
phase suivante : sadique anale primaire.
A notre sens, cette phase orale secondaire ne peut pas être entendue
comme la confrontation permanente de ces deux « totalités » qui seraient,
du point de vue supposé du nourrisson, sujet et objet. Cette vision
d'une parfaite situation « à deux » où le sujet resterait soi-même, intact,
face à un objet stable, permanent et idéalement semblable, cette vision
nous paraît incompatible avec, par exemple, les processus d'introjection,
d'identification primaire, de dépersonnalisation, qui apparaissent chez
les patients faisant une régression orale.
Ce caractère de globalité et de totalité se manifesterait dans les
échanges du nourrisson. Aimer, à ce stade, c'est adorer (adorer : porter
à la bouche) : introjecter, faire disparaître totalement (introjection du
« bon objet »). Haïr, c'est détruire totalement l'objet — puisqu'il n'est
pas divisible — considéré, par la voie de la projection, comme hostile
(introjection du « mauvais objet »).
L'introjection du « bon objet » (béatitude de la satisfaction du désir)
et l'introjection du « mauvais objet » (angoisse d'annihilation) sont
toutes deux une identification primaire avec disparition totale de
l'objet, mais connotée chacune avec une qualité émotionnelle diffé-
rente (euphorie ou angoisse). De même l'adulte, plus tard, pourra
connaître de « bonnes » ou de « mauvaises » confusions du sentiment
d'identité et des coordonnées temporo-spatiales ; toutes les expériences
de dépersonnalisation ne sont pas angoissantes.
Et, précisément, le mécanisme principal de défense décrit par
Freud, à cette phase, est la réalisation hallucinatoire du désir (le nour-
risson, en état de besoin, évoque l' « image » de la mère ; hallucination,
état fantasmatique, qui ont pour but — et pour effet transitoire — d'ob-
vier irréellement, « magiquement », à ce besoin).
Se dégagent ainsi deux caractères de la « relation objectale » (2), à
cette phase, lesquels sont évidemment en résonance l'un avec l'autre :
— un objet qui n'est pas constitué de manière stable et permanente;
— un objet qui, par l'introjection, peut être totalement détruit, ou
qui peut totalement détruire.
(1) Nous avons modifié certains des points de notre texte ronéotypé pour mieux tenir
compte de la différence entre phase orale primaire (fusion) et orale secondaire (introjection,
identification primaire.)
(2) Le terme est tout à fait impropre à ce stade oral secondaire, puisqu'il n'existe pas d'objet
constitué de manière stable et permanente. Il serait préférable de parler de relation para-
objectale, ou de relation fantasmatique, magique etc.
746 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

C'est seulement au stade suivant (sadique anal primaire) que


l'objet, en cas d'évolution normale, est délimité comme extérieur et
partiellement vulnérable (« mutilable », selon l'heureuse expression de
Winnicot). La castration anale a à faire avec un objet mutilable et
mutilant, et non avec un « para-objet » annihilable et annihilant ; et
renvoie à des processus d'identification secondaire (captation de cer-
taines des qualités de l'objet) et non à des processus d'introjection
orale — identification primaire.
Quel est le destin ultérieur de l'oralité ?
Normalement, la majeure partie de l'investissement libidinal se
porte sur la zone anale. L'érotisme anal prévaut sur l'érotisme oral.
Le narcissisme, l'auto-érotisme, comme a insisté Grunberger à la
suite de Freud, se portent sur les échanges avec l'objet, et sur la maîtrise
et le contrôle de ces échanges. Le sujet trouve sa sécurité dans la déli-
mitation et la règle (« la Loi »), et son plaisir dans une relation d'échanges
amoureux et agressifs qui n'engage plus que des parties limitées de
lui-même (1). C'est dans un même mouvement que corps et objet
sont perçus dans leurs nuances et qu'ils sont nommés.
Mais en raison de forces internes (« constitution » innée du sujet)
ou de causes externes (« destin », et, en particulier peut-être érotisation
excessive) une partie importante de la libido, succédant à un investisse-
ment intense, peut être restée fixée à la zone érogène orale. C'est le
destin de cet auto-érotisme oral et des complexes psychiques qui lui
sont associés (processus d'introjection, fantasme, pensée magique)
qui nous occupera : nous voyons en eux la source — si, ultérieurement,
d'autres conditions sont réunies — de l'inspiration artistique.
Pour simplifier à l'extrême, on pourrait dire que, dans la suite de
l'évolution libidinale, chez le sujet présentant une fixation orale impor-
tante, le narcissisme ne s'objectalise pas. L'analité n'est pas investie
comme un rapport d'échanges avec un objet constitué, mais est refoulée
tant dans son aspect érotique que dans son aspect agressif. La castration
anale, alors, n'est pas perte ou sacrifice d'une partie de soi, mais atteinte
à l' « intégrité narcissique » (Grunberger), et par là annihilation.
Dès lors l'Objet n'étant pas constitué de manière stable et perma-
nente comme extérieur à soi — mais seulement connu-et-perdu,

(1) «Dans la défécation, l'enfant est obligé de choisir une première fois entre l'attitude
narcissique et l'amour objectai. Ou bien il cède les excréments sans difficulté, les sacrifie à
l'amour ou bien, il les retient pour en tirer des jouissances érotiques, et plus tard pour affirmer
sa volonté. L'entêtement, l'obstination ont donc bien leur origine dans une fixation narcissique
à l'érotisme anal », FREUD, Sur les transformations des pulsions, (1916).
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 747

retrouvé-et-perdu, et ainsi de suite dans une succession de phase de


distinction-indistinction, désiré, redouté — au moment du conflit
oedipien l'indéfini (toute-puissance maternelle) se projette au lieu qui
devrait être celui du défini (pouvoir paternel), et il n'est pas d'autre
aménagement possible devant cette menace d'annihilation — gonflée
de toute la force actuelle des pulsions et des besoins — que la régression
à des modes de pensée fantasmatique ou magique (1).
Les répondants psychiques de la phase orale secondaire seraient,
avons-nous suggéré, le fantasme et la pensée magique.
Les caractères mêmes du phénomène fantasme présentent de
remarquables analogies avec ce qui vient d'être dit à propos de
l'oralité.
Le fantasme a gardé de son origine orale sa globalité; il englobe
sujet et objet, dehors et dedans, présent et passé, désir et réalité. Il
n'est pas possible au sujet adulte de « prendre sa distance » par rapport
au fantasme. Il n'est pas possible de fragmenter l'image intérieure,
ni de procéder à un choix. Le fantasme est une totalité; il est, ou
bien il n'est pas : impossible de le contrôler au moment où il se
produit, de le délimiter. Plus que d'agir sur lui, le sujet a le sentiment
d'être agi. Le plaisir est celui de l'envahissement passif. Enfin, le
fantasme n'est pas réalisation de désir : il est, quand il apparaît,
désir réalisé (2).
Cet état fantasmatique (ou fait de fantasmer) rend compte de la
fixation orale (3). Le contenu du fantasme (les diverses formes qu'il
peut revêtir) a à voir, lui, avec les différents stades traversés depuis
l'oralité originelle : il est témoin de la régression.
L'état fantasmatique « pur » serait semblable à ces « intuitions »
fulgurantes que décrit Proust et que nous analysons plus loin. Il n'est
jamais fusion (au sens où l'est, par exemple, le sommeil sans rêves),
puisqu'il existe toujours un certain degré de conscience, certes parfois
confuse (l' « hébétude » dont parle Proust), mais quand même présente.
Si le sommeil est une régression au stade oral primaire pré-ambivalent,
l'état fantasmatique (le phénomène-fantasme, le fait de fantasmer...)
renverrait, lui, au stade oral secondaire.

(1) Ces points seront développés plus avant.


(2) SARTRE, dans L'imaginaire, a très justement insisté sur la plupart de ces caractères
« phénoménaux » du fantasme.
(3) Dans son intervention, après la conférence de R. Barande, B. GRUNBERGER a relié
le « fantasme en tant que tel » à l'oralité et l'a séparé de l'objet du fantasme, « qui peut être oral,
anal, phallique ou génital », R.F.P., 1963, n° 1, p. 102.
748 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Le contenu du fantasme, lui, peut être de nature orale, anale,


phallique, génitale, et dit l'état actuel du conflit.
Précisons davantage ce désir que réalise, sans tenir compte du temps
et de l'espace, le fantasme.
Le fantasme de la mère n'avait pas seulement pour fonction d'obvier
transitoirement au besoin alimentaire du nourrisson ; il réalisait magi-
quement devant la menace d'annihilation le désir fondamental de
réunion à la mère : la plénitude narcissique dans sa modalité orale.
Et, de même, la figuration magique d'un bison percé de flèches sur les
grottes du Paléolithique par le peintre-sorcier répondait à une double
intention, à un besoin et à un désir. Évoquer l'objet qui apaisera la faim.
Mais cette faim n'est pas seulement besoin, elle est aussi blessure
narcissique : puisque j'ai faim, c'est que le monde n'est pas mien. Par
la figuration magique est niée la dualité sujet-monde extérieur. Si la
pensée est toute-puissance, s'il suffit de désirer, d'évoquer pour obtenir,
monde et sujet ne font alors qu'un. La coupure (castration) est niée.
La pensée magique a pour fonction de réassurer, sur un mode certes
primitif, la plénitude narcissique du sujet. Mais dès ses premières
marques, l'on voit bien comment, le sujet de la peinture n'est pas l'objet
pour lui-même, mais l'évocation du désir le plus profond et le plus
archaïque (l'amateur de gravures galantes réalise certes un désir combien
plus objectai et plus évolué, que l'amateur authentique pour qui toute
peinture vise, en définitive, à ce fameux « sourire de la mère », « sourire »
dans lequel est inclus celui à qui elle sourit) (1).
Le point faible de la régression à la phase orale ambivalente est
lié à cette incertitude concernant l'objet, et donc le sujet lui-même qui
n'est constitué de manière stable et permanente que si l'identification
secondaire a pris le pas sur l'identification primaire, que si l'Idéal du
Moi a succédé au Moi Idéal. La tension conflictuelle rend la position
orale particulièrement vulnérable, avec des oscillations qui jouent entre
les deux pôles : la menace d'annihilation oro-génitale et l'angoisse
de solitude (dont la forme extrême est le dépression mélancolique) (2).
Être anéanti, ou anéantir.

(1) L'enfant dans la mère représente une parfaite image de la plénitude : le phallus. Le
sujet de tableau le plus fréquent dans la peinture occidentale est d'ailleurs la mère et l'enfant.
Et, de toute manière, mène si le tableau représente une pomme, tout tableau en tant qu' « oeuvre
comme ensemble » renvoie à la plénitude narcissique et donc aussi à l'enfant dans la mère.
Rappelons d'ailleurs que l'autre grand sujet de la peinture du Paléolithique, avec la chasse,
est la femme au ventre et aux flancs exagérés : accent mis sur sa fonction de procréation.
(2) Remarquablement décrite chez l'hystérique par J. Laroche dans une conférence
récente à l'a Évolutionpsychiatrique » ; conférence où était soutenue la thèse que l'objet n'était
pas constitué chez les personnalités orales.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 749

Le fantasme et la pensée magique deviennent ainsi des modes


relationnels quasi vitaux, mais insuffisants (1).
Dès lors, les possibilités d'aménagement nous paraissent être :
— la régression à un stade plus archaïque (les schizophrénies) ;
— les perversions. F. Pasche a montré leur aspect de fuite éner-
gétique (2) ;
— sans doute le vaste domaine couvert par la médecine psychoso-
matique ;
— enfin (en tenant compte des précisions introduites à la fin du chapitre
précédent), la sublimation. Cet objet nécessaire et dont l'incarnation
s'avère impossible (car introduisant non au monde de la castration
mais à celui de l'annihilation), l'oeuvre d'art est une tentative pour
le constituer. Non pas réparation du sujet ou de l'objet, mais
véritable création de l'objet constituant enfin le sujet de manière
stable et permanente.

LE DOUBLE MOUVEMENT DE L'ATTITUDE ESTHÉTIQUE


L'OEUVRE D'ART COMME VISAGE A DEUX FACES

La sublimation se définissant par son but, toute étude la concernant


doit nécessairement tenir compte de celui-ci. Or, à plusieurs titres,
nous sortons là du domaine purement psychanalytique. La peinture,
par exemple, est un domaine particulier ayant ses lois propres, son
histoire, son propre coefficient de réalité. L'erreur de certains travaux
psychanalytiques est de juger, plus ou moins explicitement, d'un artiste
comme s'il inventait tout, qu'il créât à partir de rien, et qu'il fût en
quelque sorte parti du point zéro de l'art. Est ainsi passée sous silence
cette situation qui est la sienne de se trouver à un point particulier de la
trajectoire de la tradition. Cette position de l'artiste est, comme nous le
verrons, essentielle à considérer si l'on veut comprendre le passage
— aussi bien diachronique que synchronique — de la pensée magique
ou du fantasme à la sublimation.
Mais ce psychanalyste, se trouverait-il être aussi « savant » dans le
domaine de la peinture que dans son domaine propre, risquerait encore
de passer à côté de l'essentiel. Car la Science et l'Art sont deux univers

(1) L'histoire des rapports de l'homme-oral avec la réalité est régie par ces vécus très
archaïques : ainsi, par exemple, les lieux où l'on peut s'enfoncer, être englouti, disparaître
(mer, sables lisants, brouillard, nuit) viennent par contamination figurer la relation pri-
mitive orale. De cette manière se crée le lien symbolique non conscient entre les imagos et
la réalité.
(2) Notes sur les perversions, 1955, n° 3, pp. 381-384.

REV. FR. PSYCHANAL. 48


750 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

différents : érudition n'est pas goût. Jamais, nous semble-t-il, un histo-


rien de l'art n'a découvert de génie nouveau. L'Art est, par son essence
même (ou son inspiration, si l'on préfère) toujours un scandale pour
la raison et les esprits raisonnables. Il existe un génie du goût comme
un génie de la création, et ne peuvent être véritablement amateurs
d'art (1) que les individus appartenant à la même famille spirituelle
(ou psychique) que l'artiste.
L'Art est un domaine particulier, répondant à une fonction spéci-
fique, et nous devons nous défier a priori de certaines clefs qui ont été
ou seraient proposées, lesquelles sont bien plutôt des passe-partout
laissant échapper toute spécificité.
Nous voudrions essayer de montrer dans ce chapitre que l'orga-
nisation correspondant à une régression orale de la libido, si elle n'est
pas observable en ses effets sexuels, pervers, peut quand même être
reconnue, par l'attitude esthétique. Dans cette attitude se manifeste
un équivalent du mouvement de distinction-indistinction qui nous
avait paru fonder l'originalité de l' « oralité » ?
Devant un tableau, de multiples signes de reconnaissance (format,
cadre, disposition sur un mur, et à la limite exposition dans une galerie
ou un musée), nous avertissent qu'il s'agit là d'un tableau et non d'un
objet usuel. Par là, ces signes nous induisent, sans que nous nous en
rendions compte, à nous placer devant cette oeuvre de l'art dans une
attitude particulière (2). L'attitude esthétique — que nous concevons
comme forme particulière de l'attitude irréelle (ou mieux irréalisante) —
est différente de l'attitude pratique, commune, rationnelle.
Il nous paraît nécessaire, pour reconnaître les caractères de cette
attitude esthétique, de préciser, « phénoménalement » pourrait-on dire,
le changement complet relationnel qui se produit chez le spectateur obser-
vant un même objet selon qu'il se place dans une perspective esthétique ou
dans la perspective rationnelle.
Le choix de l'objet que nous prendrons pour exemple pourra
surprendre. C'est qu'il n'est pas si aisé de choisir un objet dont les
particularités n'induisent pas elles-mêmes l'attitude du spectateur.

(1) Ce qui est bien différent que d'être « connaisseur » — connaisseur du passé...
(2) De même dans les sociétés primitives, par exemple, il existe des signes de reconnaissance
permettant aux membres de la tribu de distinguerune fête ou cérémonie magiques et ses prota-
gonistes, d'une quelconque réunion. Le participant est prévenu par des signes (masques, parures,
musique, rites), qu'il s'agit là d'une cérémonie et non d'un attroupement. A un désir particulier
inhérent à l'homme de toutes les époques sont associés des signes de reconnaissance (appar-
tenant, eux, à l'ordre de la perception, à la fonction du réel), variant selon les cultures. Ces
« signes de reconnaissance » peuvent sans doute être considérés comme des éléments mineurs
du rituel.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 751

C'est afin de nous faire mieux comprendre que nous choisirons


un cas limite, à titre d'illustration. Nous n'ignorons pas que notre choix
pourra choquer ou prêter à contestation. Nous parlerons en effet
d'une charrue. (Signalons que tout un courant de l'Art moderne essaie
précisément de transmuer l'objet usuel en objet esthétique. Cette visée
tend à prolonger certaines techniques surréalistes de mise entre paren-
thèses de l'objet [les ready-made]. Exposer un galet à titre de sculpture
introduit cette ambiguïté sans terme de poser qu'il a un sens, celui-là
même qu'il aurait eu s'il avait été sculpté par un homme.)
Je précise que ce n'est pas le spectacle tant soit peu romantique et
induisant l'idée de tableau d'une charrue se silhouettant sur les deux
surfaces du sol et du ciel que je prends ici en considération. Mais
l'objet-charrue, tel qu'il pourrait être vu s'il était exposé dans un musée
au titre de sculpture moderne (1).
(Notons qu'il nous paraît peu vraisemblable qu'un spectateur puisse
apprécier en de telles circonstances une charrue « comme » oeuvre
d'art, s'il n'est pas déjà connaisseur et amateur de sculpture moderne.
Tant il est vrai qu'une oeuvre ne peut être reconnue comme artistique
(c'est-à-dire remplir sa fonction : donner un plaisir narcissique que si
l'observateur la situe, plus ou moins consciemment, dans une tradition
connue. Il semble qu'il s'agisse là d'une condition nécessaire pour
qu'elle puisse être introjectée comme un « bon objet ». L'oeuvre d'art
contient toute l'évolution à rebours (ou l'histoire de l'art) qui va d'elle-
même à l'objet magique ou à la représentation figurée magique. Le
langage esthétique commence par s'apprendre. On n'apprécie un
tableau de Kandinsky qu'après un long apprentissage dont les premières
leçons (l'enfant devant l'image et le dessin), ont lieu très tôt. C'est là
le chemin par lequel, ici aussi, la synchronie renferme la diachronie.
Connaisseur de sculpture moderne, mais aussi amateur : cet apprentis-
sage n'est ouvert qu'à celui qui possède, à titre de virtualité, un don
particulier : le goût.)
De quelle manière va s'opérer cette mutation de l'objet usuel en objet
esthétique, cette bascule (2) de l'attitude rationnelle à l'attitude esthétique ?

(1) Comme, par exemple, cette Araire des Hautes-Alpes exposée au Musée des Arts et
Traditions populaires.
(2) Tout amateur, sans toujours l'analyser, connaît bien ce jeu qui fait basculer l'objet.
Et, par exemple, lorsque devant un tableau figuratif il passe du spectacle peint (l'anecdote)
au spectacle de peinture (les lignes et les couleurs dont l'ensemble constitue le tableau). Cf.
cette analyse de Baudelaire :
« D'abord il faut remarquer, et c'est très important, que vu à une distance trop grande
pour analyser ou même comprendre le sujet, un tableau de Delacroix a déjà produit sur l'âme
une impression riche, heureuse ou mélancolique. On dirait que cette peinture, comme les
752 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Le point fondamental est que l'objet esthétique devient à la fois


un texte sans contexte, et l'objet entier, plein, parfait, auquel rien ne
peut être ajouté ou soustrait, se suffisant à lui-même, totalité dans sa
plénitude (1).
L'objet-charrue cesse ainsi d'être simple moyen au service d'une
fin qui ne le concerne pas (matériel agricole ayant son utilité précise)
pour devenir sa propre fin.
Il n'est même pas possible de dire que nous isolons l'objet esthé-
tique du restant du monde : nous faisons davantage qu'interrompre la
chaîne de causalités et d'interactions qui relie entre eux les objets du
monde. L'objet d'art, à l'instant même où nous établissons un contact
avec lui, n'est pas un ensemble : il est l'Ensemble. Car, à ce niveau,
la différenciation Dehors-Dedans a. tendance à disparaître. Quand
nous considérons un tableau, nous ne divisons pas le monde en ce qui
est extérieur au tableau et ce qui est le tableau lui-même : le monde
se résout au tableau. Le monde se résout au tableau, et le tableau est
complet. De même, tout au moins en de brèves secondes, disparaît la
différenciation Objet-Sujet. Le sujet introjecte l'objet et s'identifie à
ce qui est devenu pour lui corps non castré, corps entier, phallus.
Mais il est bien évident que l'attitude esthétique n'est pas seulement
mouvement d'introjection-identification primaire ; parallèlement se
prolonge une lecture de l'oeuvre, nourrie du savoir et de la culture du
sujet (ici connaissance de la sculpture moderne),lecture qui seule permet
le plaisir esthétique. Nous posons ainsi implicitement, par cette lecture
à la recherche d'un sens, que l'oeuvre est la manifestation d'une inten-
tion humaine délibérée, qu'elle possède un sens caché. Mais cette
intention doit rester obligatoirement ouverte, ce sens rester ambigu,
multivoque, sous peine, pour nous, de quitter le plan de l'attitude esthé-
tique. Si en effet nous pouvons arrêter cette intention en annonçant
par exemple : ceci n'est qu'une. charrue (ou n'est qu'une, femme nue
reproduite sur la toile) nous retombons dans une attitude que nous
pouvons dire rationnelle : la chaîne se raccorde aux deux extrémités
de l'objet : origine, utilisation de l'objet-charrue...

sorciers et les magnétiseurs, projette sa pensée à distance. Ce singulier phénomène tient à


la puissance du coloriste, à l'accord parfait des tons, et à l'harmonie (préétablie dans le cerveau
du peintre) entre la couleur et le sujet. Il semble que cette couleur, qu'on me pardonne ces
subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même indépen-
damment des objets qu'elle habille », BAUDELAIRE, OEuvres complètes, Club du Meilleur I,ivre,
t. I, p. 500-501.
(1) L'objet entier ainsi entendu nous paraît correspondre à ce qui est communément
dénommé phallus : « image phallique », pour Grunberger.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 753

Ainsi apparaît manifeste le double mouvement qui se prolonge dans


l'attitude esthétique : lecture d'un sens qui apparaît perpétuellement
en fuite (et, par là, scandale pour la raison, véritable défi lancé à la
pensée rationnelle), oeuvre en tant qu'ensetnble investi comme objet
entier au niveau duquel a tendance à se perdre la délimitation entre
dehors et dedans, sujet et objet (1) : équivalent, par là, d'un fantasme,
mais d'un fantasme qui posséderait une qualité culturelle et sociale,
non plus individuel et ineffable, mais en situation sur une certaine tra-
jectoire diachronique, d'un fantasme médiatisé par les processus de
sublimation.

L'INTIMITÉ AVEC UN PÈRE SPIRITUEL, L'OBJET STABLE ET PERMANENT


L'ANALITÉ

Si seules ont à. être et peuvent être sublimées les formes d'organi-


sation prégénitale de la libido, selon quels processus peut se produire
cette déviation libidinale vers un but non sexuel dont le produit est une
réalisation sublimée : une oeuvre d'art.
Ou encore : de quelle manière peut s'effectuer le passage d'une
inspiration d'origine orale à une élaboration qui, nous le savons, requiert
toujours — en quelque domaine qu'elle s'exerce
— une participation
anale et phallique.
La tradition
C'est, pensons-nous, un rapport d'intimité avec le père — mais
avec un « père spirituel » — qui permet l'élaboration des formes d'orga-
nisation prégénitale de la libido.
Nul n'est jamais devenu peintre en observant la nature ; on devient
peintre en regardant des tableaux.
« Si la vision de tout artiste est irréductible à la vision commune,
c'est que, dès son origine, elle est ordonnée par les tableaux et les
statues — par le monde de l'Art. Il est révélateur que pas une mémoire
de grand artiste ne retienne une vocation née d'autre chose que de
l'émotion ressentie devant une oeuvre (...). Ce qui fait l'artiste c'est
d'avoir été dans l'adolescence plus profondément atteint par la décou-

(1) Nous verrons plus loin les implications proprement psychanalytiques de chacune de
ces deux faces. Notons que le mot ci Esthétique » a été créé pour rendre compte du fait que
parallèlement à l'appréhension de l'oeuvre d'art par la raison ou l'intelligence (lecture d'un sens)
il restait une seconde appréhension » par les sens » (Esthétique a la même racine que esthésie).
Ce que nous appelons la prise en considération de l' « oeuvre comme ensemble » est une
troisième appréhension, sous-jacente aux deux premières,et se faisant par leur intermédiaire ;
troisième appréhension reliant l'oeuvre d'art à l'oralité, fondant, pour nous, la spécificité artis-
tique, et rapprochant le tableau d'un fantasme.
754 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

verte des oeuvres d'art que par celle des choses qu'elles représentent,
et peut-être celle des choses tout court. Pas un peintre n'est passé de
ses dessins d'enfant à son oeuvre. Les artistes ne viennent pas de leur
enfance, mais de leur conflit avec des maturités étrangères : pas de leur
monde informe, mais de leur lutte contre la forme que d'autres ont
imposée au monde. Jeunes, Michel-Ange, le Gréco, Rembrandt,
imitent ; Raphaël imite, et Poussin, et Vélasquez, et Goya ; Delacroix
et Monet et Cézanne, etc. Dès que les documents nous permettent de
remonter à l'origine de l'oeuvre d'un peintre, d'un sculpteur — de
tout artiste — nous rencontrons non un rêve ou un cri plus tard
ordonnés, mais les rêves, les cris ou la sérénité d'un autre artiste (...).
Le problème des causes premières n'est pas particulier à l'Art » (1).
On n'a en effet pas assez tenu compte dans les travaux psychana-
lytiques du fait qu'un artiste ne part pas de ce qui serait le point zéro
de l'Art, qu'il ne refait pas tout seul le long chemin de l'évolution de la
langue picturale depuis la première main cernée de noir sur la paroi
des cavernes au Paléolithique supérieur (le cerne de cette main n'appar-
tenant d'ailleurs pas au domaine de l'Art, mais à celui de la Magie.
Freud avait fort précisément perçu ce point) (2). Il n'existe pas d'art
spontané : Séraphine Louis avait, on le sait maintenant, contemplé et
étudié les vitraux de la cathédrale de Senlis. Le style d'une époque se
définit par l'impossibilité pour l'artiste de cette époque d'y échapper
(il peut, certes, pasticher les styles précédents, ou les parodier ; ou
rendre au mieux soit l'esprit pictural de l'époque, soit certaines de ses
plus extrêmes tendances : cette confluence parfaitement amalgamée
— cette réussite — du don inné, du drame personnel et des courants
actuels de l'Art, se nomme le génie). L'artiste le plus original, l'origi-
nalité de son oeuvre est mince en proportion de ce qu'il a pris, reçu,
accepté de ses prédécesseurs : dépositaire transitoire d'un pouvoir, il
répète plus qu'il ne modifie. Il est un officiant au moins autant qu'un
créateur. Et certes cette marge étroite dans laquelle il modifie ce qu'il
a reçu est-elle d'une importance extrême : l'évolution du genre est le
caractère qui distingue l'Art de la magie proprement dite et de ses rituels
stéréotypés. Dans la Magie, le propos est de répéter exactement. Alors
que l'Art se sépare de la magie et débute le jour où un homme introduit
dans ce rituel les variantes, la tonalité, le style de son conflit personnel.

(1) André MALRAUX, Les voix du silence, pp. 279-280. Ce thème de la tradition est le fil
conducteur du livre de Malraux ; il est certainement le critique d'art qui en a étudié les impli-
cations avec le plus de force et de brillant.
(2).. Totem et tabou, p. 127.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 755

Le processus permettant cette réalisation individuelle est précisément


la sublimation (1).
Les années d'apprentissage de l'adolescence sont les années les plus
importantes de la vie d'un artiste. S'aidant des oeuvres du passé (parfois
revivant toute l'histoire de l'Art chez un seul Maître admiré et aimé),
il parcourt dans sa propre évolution le développement de la peinture
depuis ses origines les plus lointaines (2). Il subit l'attraction des tem-
péraments semblables au sien. Le point qu'il atteindra sur cette tra-
jectoire de l'histoire de l'Art est plus ou moins « actuel » (la plupart des
peintres sont de cinquante ans en retard sur l'évolution de la langue
picturale, c'est-à-dire qu'ils ont aujourd'hui intégré le rapport historique
qui hait un demi-siècle plus tôt un certain assemblage de lignes et de
couleurs à la « toile comme ensemble » : la manière avec des lignes et des
couleurs de donnerforme aufantasme et d'obtenir ainsi un plaisir narcissique).
Et ce point plus ou moins « actuel », il le dépassera ou non selon sa
propre évolution : confluence de ses « dons », des conditions extérieures
plus ou moins favorables, de la force des pulsions prégénitales, etc.
Le talent et le génie sont d'abord des nécessités vitales.
Freud et le problème de la lignée et de la tradition chez l'artiste
Dans l'Essai sur Léonard de Vinci, Freud reconnaît de manière
explicite, mais sans l'exploiter plus avant, le lien unissant les modalités
particulières de la relation au père et la production artistique. Partant
du lieu commun que « tout artiste se sent le père de ses oeuvres » (p. 172),
il ajoute :
« Pour les oeuvres picturales de Léonard, l'identification avec le
père eut une conséquence fatale. Il les engendra, puis ne s'en soucia
plus, tout comme son père ne s'était pas soucié de lui-même. »
Mais c'est du père réel dont Freud veut parler. Il est bien question
dans le texte « de la série des pères » (p. 174), mais en entendant exclu-
sivement le « padrone », le protecteur social = Ludovic Sforza.
Il est assez étrange que Freud passe manifestement sous silence
d'autres pères, un autre père : les artistes auxquels Léonard fut tenu
de s'identifier (par exemple son maître Verrochio) (3).

(1) Notons au passage que la sublimation est toujours réalisation individuelle. Il n'existe
pas de sublimation collective.
(2) Dans ce domaine également l'ontogenèse contient la phylogenèse, la synchronie contient
la diachronie.
756 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Le texte le plus important sur les rapports de la sublimation et des


identifications reste celui des Essais (Le Moi et le Ça) ; texte difficile,
dans la mesure en particulier où le fait d'employer indifféremment l'un
pour l'autre Surmoi et Idéal du Moi reflète, pensons-nous, les doutes
et les hésitations de Freud quant à une théorie du narcissisme.
La question que Freud se pose — et à laquelle il répond par l'affir-
mative — est celle de savoir « si toute sublimation ne s'effectue pas
par l'intermédiaire du Moi transformant la libido sexuelle dirigée
vers l'objet en une libido narcissique et posant à celle-ci des buts
différents » (1).
Ce que l'on peut concevoir comme le retour vers le Moi de la libido
objectale, la récupération du narcissisme originel investi sur l'objet
et, par là, en un sens perdu : « Ceux que tu aimes et dont tu as besoin
— dont la réunion avec toi constitue le phallus — ceux-là sont main-
tenant en toi. »
La différence entre le narcissisme primaire et ce narcissisme
secondaire consisterait en ce que Freud nomme : « des buts différents ».
Autrement dit, les buts du sujet deviennent ceux-là mêmes de
l'objet auquel il s'identifie : « faire comme lui ». Ces différentes
identifications, « source du narcissisme secondaire », constitueraient
l'Idéal du Moi.
Mais, se trouvant en raison des buts analogues en position de rival
— de rival oedipien — prend force alors :
« Une formation destinée à réagir énergiquement contre ces
choix (...), autrement dit : « Ne fais pas tout ce qu'il fait, beaucoup de
.
« choses lui sont réservées à lui seul » (p. 189). Cette formation est le
Surmoi. »
Nous sommes donc là, et à propos de la sublimation, au centre de
la problématique du Moi, de l'Idéal du Moi et du Surmoi.
Le dernier texte sur lequel nous nous appuierons est le chapitre 7
de Psychologie collective et analyse du Moi, qui porte sur l'Identification.
Avant le conflit oedipien proprement dit, le garçon fait de son père son
idéal (2).
Comme nous le verrons plus en détail, ce processus nous paraît
ne pas exister chez les personnalités orales. L' « image du père » ne s'est
pas dégagée de l' « image de la mère ». Le conflit oedipien se déroule

(1) pp. 184-185.


(2) « Disons-le tranquillement : il fait de son père son idéal. Celte attitude à l'égard du père
(ou de tout autre homme en général) n'a rien de passif ni de féminin : elle est essentiellement
masculine. Elle se concilie fort bien avec l' OEdipe-complexe qu'elle contribue à préparer » (p. 117).
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 757

alors avec un personnage hybride, composite, dans l'atmosphère même


de l' « inquiétante étrangeté » : le danger n'est pas localisé, mais diffus,
n'est pas la castration, mais l'annihilation.
La toute-puissance de l'indéfini et l'angoisse d'annihilation
On pourrait décrire l'univers de la régression orale comme celui
du flou, du fluide, de l'illimité. L'objet n'est pas vraiment constitué
de manière stable et permanente comme indépendant de soi, ayant ses
fins propres. Une manifestation agressive n'est pas localisée, mais
diffuse, atteignant globalement « objet » et « sujet ». Nous ne pouvons
reprendre ici tous les caractères de cette régression orale, où le sujet
oscille entre l'angoisse d'annihilation et l'angoisse de solitude, et où se
succèdent phases de distinction (sujet-objet) et phases d'indistinction.
Le seul point commun — encore qu'hypothétique — entre l'univers
oral du nourrisson et la régression orale, est cette non-constitution,
stable et permanente, de l'objet, cette globalité et fluidité des rapports.
Car le sujet adulte a évidemment connu un érotisme anal et un certain
degré d'érotisme génital. Mais l'érotisme lié à ce lieu des échanges
qu'est la zone anale a dû être refoulé ; tout échange avec l'extérieur,
en raison de la projection, est ressenti comme envahissement diffus
et annihilant. Le boudin fécal n'est pas un segment du corps
qu'on sacrifie pour l'amour de l'objet, il est le corps entier, le
sujet tout entier. La perte du segment fécal n'est pas castration,
elle est annihilation. Dans cet univers, la langue parlée n'est pas
moyen d'action et de contrôle, elle est investie magiquement comme
négation de l'annihilation.
Le conflit avec lequel le sujet adulte est aux prises dans cette régres-
sion orale est aussi bien anal et génital qu'oral, chaque zone érogène
y participant pour son propre compte. Il nous paraît que si l'accent
est mis sur l'oralité (régression orale) c'est en raison de cette lumière,
tonalité, atmosphère particulières : le flou, le vague, l'indéfini, le
fluide, l'illimité... L'univers du paranoïaque ou de l'obsessionnel est
d'une autre teinte.
Le pouvoir du délimité et la peur de castration
Car normalement le stade anal correspond à une accession perma-
nente à l'univers du délimité. Délimitation entre dehors et dedans,
entre maintenant et autrefois, entre sujet et objet, entre rêve ou fantasme
et échange réel. L'image qui rend compte de cette phase est celle du
segment fécal. La zone anale est ce lieu des échanges avec la réalité
758 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

par lequel se perd une partie de soi et peut se gagner une partie de l'autre
(captation anale) avec tout le plaisir lié à l'érotisme anal (1).
Délimitation, précision, localisation dans le temps et l'espace,
passage du fantasme à la langue parlée...
Freud insiste sur ce point que : « Le boudin fécal (...) est pour ainsi
dire le premier pénis » (2). Lorsque l'intégration de l'érotisme anal
s'est développé normalement, tout est prêt pour que, au stade phal-
lique, le conflit se localise au pénis (ou à l'absence du pénis). Une grande
partie de l'énergie liée à l'érotisme oral et anal vient investir cet organe.
Ainsi, le risque du conflit oedipien normal n'est pas, pour le garçon,
être ou ne pas être ; mais : l'avoir et risquer de le perdre (et plus pro-
fondément : risquer de perdre le pouvoir du délimité, de perdre tout
pouvoir).
C'est au moment de cette phase ano-phallique (dont le point com-
mun est, dans les cas de maturation normale, l'accent mis sur la déli-
mitation), que le père devient vraiment le troisième personnage :
il incarne alors ce nouvel univers de la délimitation, dont il est le repré-
sentant en tant que porteur du pénis : il est le vivant témoignage que la
partie n'est pas le tout, que quelque chose peut être perdu (ou gagné :
identification secondaire) sans entraîner l'annihilation.
Au cours du stade anal, il existe, pourrait-on dire, un rapport à
trois : le sujet, le monde ancien (l'illimité) et le monde nouveau (le
délimité). Au moment où l'individu acquiert une connaissance de la
différence entre les sexes (3), il nomme mère l'illimité et l'indéfini ;
et père, le délimité, le localisé et le précis, dont l'image est le pénis
succédant au boudin fécal ; pénis représentant le phallus dans l'incons-
cient du sujet de ce stade phallique qui se caractérise, on le sait, par la
croyance en un seul organe sexuel : l'organe masculin (4).
Pour la personnalité orale, il n'est pas de « mère » ou de « père »,
d'image maternelle ou paternelle, mais une puissance de l'indéfini
(dont rendent compte le fantasme et la pensée magique), tantôt exercée
au profit du sujet, tantôt à son détriment.
Si nous avons insisté sur ces points, c'est qu'il nous paraît que la
sublimation est précisément un mode particulier, original, de passage
de la toute-puissance de l'indéfini (fantasme) au pouvoir du défini

(1) Bela Grunberger a insisté sur ce point : les échanges, et le contrôle et la maîtrise de ces
échanges sont investis narcissiquement (on peut parler de « narcissisme évolué » ayant suivi
parallèlement le développement de la maturation pulsionnelle).
(2) Sur les transformations des pulsions particulièrement dons l'érotisme anal, p. 6.
(3) Cf. Essai de psychanalyse, note au bas de la p. 185 (éd. de 1948).
(4) Trois essais sur la théorie de la sexualité, n. n° 63.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 759

(élaboration artistique). L'un et l'autre étant appréhendables dans


l'oeuvre terminée, cette double appréhension constituant l'attitude
esthétique.
Le rapport d'intimité avec un père spirituel
Le futur artiste (ou la « personnalité orale ») n'a pu, à l'époque de
son enfance, prendre son père pour idéal dans la phase précédant et
préparant le conflit oedipien. Ce n'est là, disons-le, qu'une simple
hypothèse de travail, que nous voulons seulement introduire ici.
Impossibilité, soit en raison de causes externes (cas, par exemple,
de Léonard de Vinci, ou de Hölderlin) (1), soit en raison de la consti-
tution propre, innée, du sujet.
Impossibilité : c'est-à-dire que tout un ensemble de processus essen-
tiellement anaux et dont l'achèvement est, au stade phallique, l'incar-
nation, la coalescence de tout ce qui est défini, délimité, contrôlable,
en la personne du père en tant que porteur du pénis — ces processus
ne se sont pas produits. Le conflit oedipien a lieu, dès lors, avec ce per-
sonnage hybride, « monstrueux » (à la substance hétérogène) : « les
parents » ; le Surmoi est porteur de toute la force d'imagos annihilants
contre lesquelles le refoulement reste incomplet, qui se projettent sur
tous les objets de la réalité extérieure, laquelle doit faire l'objet d'un
refoulement dynamique permanent.
La thèse développée, à partir des travaux de Freud, par Jacques
Lacan, tendant à considérer l'absence du père agissant comme « manque
d'un manque » nous paraît tout à fait recevable, dans la mesure où ce
qui manque en effet est la prise en considération d'un personnage
mutilant (castration anale et pénienne) et mutilable au cours du conflit
oedipien : ce personnage faisant l'objet d'un refoulement remaniant,
(plutôt que constituant) le Surmoi, cette instance acquerrant alors un
caractère paternel. Ceci nous paraît tout à fait valable à une double
condition : ce « manque à être castré » représente ce que nous avons
nommé, après Winnicot, angoisse d'annihilation, et donc le risque de
castration doit être considéré comme un gain par rapport au risque
d'annihilation ; d'autre part, il nous paraît excessif de nommer castra-
tion toutes les limitations inhérentes à la condition humaine : c'est la
peur de castration, plus ou moins forte, mais irréductible (car en rapport
avec le Surmoi), qui peut se projeter sur ces limitations. Mais ces limi-
tations peuvent tout aussi bien être investies narcissiquement et parti-

(1) Cf. l'ouvrage très documenté de Jean LAPLANCHE, Hölderlin et la question du père.
760 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

ciper du sentiment de toute-puissance. Un seul tableau est limitation


par rapport aux collections du Musée du Louvre : mais si nous l'appré-
cions, il nous donne un plaisir parfait. L'homme n'est pas castré :
il est pris dans une problématique dont les deux termes sont la peur
de la castration et la croyance en sa toute-puissance narcissique (1).
Deux termes qui sont sans cesse « en débat » dans la cure psychana-
lytique, mais qui sont en fait irréductibles en leur essence à l'analyse,
puisqu'il demeurera toujours un Surmoi et un Idéal du Moi. L'homme
n'est ni castré, ni tout-puissant : il doit affronter la peur de la castration,
et il a l'illusion de sa toute-puissance.
Chez le futur artiste, du rapport avec les « parents » ne peut se
dégager une image de l'objet en tant qu'objet délimité, défini, stable,
permanent. Celui qui, pour l'observateur, apparaît comme étant le
père réel participe de cet univers de l'indéfini.
Tout se passe à l'adolescence comme si le futur artiste pouvait
prendre pour idéal un personnage pris hors de la lignée, faisant office
de père spirituel, et dont l'oeuvre est la marque de la délimitation — fait
office de pénis anal et phallique (stade phallique).
Chez l'homme dit normal, l'image du père réel est complétée, on le
sait, par toute la série des personnages paternels. Mais dans le cas que
nous avons en vue, le monde objectai n'est pas constitué (2) avant l'appa-
rition de ce père spirituel, ce qui peut expliquer comment l'objet n'est,
pour l'artiste, pas acquis à demeure mais reste lié à l'oeuvre, une oeuvre
devant impitoyablement succéder à l'autre. Ce qui permet également de
comprendre que l'oeuvre faisant office de pénis (tant celle du Maître
— considéré du point de vue du disciple — que celle du disciple), la
sexualité génitale est dans un si grand nombre de cas inexistante chez
l'artiste (3).
Cette « objectalité cloisonnée », limitée à l'oeuvre, ne concernerait
pas la mère et la relation avec elle demeurerait sur le mode ancien, narcis-
sique, fantasmatique.

(1) Celle-ci pouvant revêtir des aspects primitifs ou très élaborés. Mais de toute manière
cette illusion de toute-puissancenarcissique et cet amour foncier de soi (qui nous paraît corres-
pondre exactement au fameux « amour-propre » de La Rochefoucauld) existent en tout individu.
Ainsi que l'écrit René HELD : « Toute une échelle de valeurs narcissiques peut mener le clinicien
des confins de la schizophrénie aux abords du monde génital. Et nous savons aussi que dans
ce dernier subsistent des éléments narcissiques sans lesquels la vie elle-même serait impos-
sible », Psychothérapies d'inspiration psychanalytique freudienne, p. 40.
(2) Nous voulons évidemment dire par là que l'objet existe bien déjà, mais non de manière
stable et permanente.
(3) Selon les biographes, ni Léonard de Vinci, ni Beethoven, ni Edgar Poe n'auraient
eu de relations sexuelles au cours de leur existence.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 761

L'objet « dont les tendances sexuelles attendent leur satisfaction »


est le seul objet véritable jamais apparu : le Maître, le père spirituel.
L'identification à lui en tant qu'idéal a précédé ce choix.
Il faut peut-être faire jouer un rôle important dans ce qui peut être
décrit comme une inversion du complexe d'OEdipe, à une passivité
constitutionnelle du sujet.
Cette passivité (1) pouvant elle-même rendre en partie compte de
la fixation orale, de l'érotisation d'une relation passive à la mère, au
détriment de l'érotisation et de l'investissement énergétique de l'activité.
Le fait important est que, à partir de l'oeuvre d'un autre, pour la
première fois un objet délimité, défini, est apparu.
La réalité, les « autres », ne sont plus appréhendés seulement comme
une globalité qui envahit — « quand je suis avec quelqu'un, il est tout
de suite en moi, il est tout de suite moi, je n'ai plus de pensée à moi »,
disait une de nos patientes. Ils commencent à se stabiliser comme
objets précis, vis-à-vis desquels une certaine « distance » peut être conser-
vée, et dont surtout certaines qualités peuvent être captées (identification
secondaire) sans amener leur disparition totale ; objet qui pénètre, dont
on contrôle la pénétration, et non plus fluidité envahissanteet annihilante.
A l'érotisme oral prévalent a succédé une certaine intégration par le
Moi de l'érotisme anal et de ses répondants psychiques.
Sans cette possibilité d'intégration anale, nous ne pensons pas qu'il
est de sublimation possible. Et il est également vrai de dire que c'est
la sublimation qui permet cette intégration. Ce qu'aucun objet du monde
réel, aucune « personne » n'a pu engendrer, la médiation d'une oeuvre
l'a permis.
Ce double érotisme se retrouve au niveau de l'oeuvre d'art : « l'oeuvre
comme ensemble », équivalent du fantasme, renvoie à sa source d'inspi-
ration : l'érotisme oral. L'oeuvre en tant qu'élaboration ou en tant
qu'objet de la « lecture » renvoie à l'érotisme anal et phallique.
On pourrait décrire ce rapport d'intimité avec le père comme étant,
pour l'inconscient, une pénétration anale succédant à l'envahisse-
ment passif global de la phase précédente. L'oeuvre (pénis) succède
au fantasme. Cette co-présence au niveau de l'oeuvre de l'érotisme oral
et de l'érotisme anal est caractéristique de l'attitude esthétique, qu'elle
soit celle du créateur ou de l'amateur. Sous-jacente à l'oeuvre, existe

(1) Dans ses deux pathographies consacréesl'une à Léonard de Vinci, l'autre à Dostoïewsky,
Freud note, pour le premier, une tendance particulière à la passivité ; et pour le second, une
« forte disposition bisexuelle «.
762 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

toujours la notion qu'elle est un ensemble (1) (fantasme, érotisme oral).


Nous préférons faire porter d'abord l'accent sur la pénétration que
sur la captation anale. Car, ainsi que Jean Favreau nous l'a enseigné,
dans son contrôle, on risque, en mettant la captation au premier plan, de
réduire la part de ce phénomène essentiel : le plaisir lié à l'érotisme anal.
Cette captation dans ses qualités et ses nuances de l'oeuvre du
Maître (assimilé à son pénis) qui, s'ajoutant aux processus d'intro-
jection, suscite les phénomènes d'identification secondaire — pourquoi
la nommer anale ?
La discussion de ce point nous conduirait à de trop longs dévelop-
pements. Disons seulement combien, dans les analyses que nous avons
en cours, homosexualité et analité nous ont toujours paru s'associer.
Ce n'est d'ailleurs qu'à partir du moment où il existe une certaine inté-
gration de l'analité (zone anale : lieu des échanges ; et non pas refoule-
ment massif : l' « anesthésie » décrite par Favreau), que l'on peut parler
d'homosexualité. Si cette intégration n'a pas eu lieu, le patient homme
voit en l'analyste non pas le porteur du pénis, mais l'image de l'indéfini.
Second point, enfin : il s'agit d'un pénis pris manifestement dans une
acception prégénitale, puisque sécable, séparable, captable. Et le pro-
cessus n'est pas l'introjection orale pure : puisque c'est de mutilation
et non d'annihilation dont il est question, puisque existe une délimitation
à un organe, puisque c'est « quelque chose du tout » que l'on gagne ou
que l'on perd, et non la totalité. L'identificationprimaire nous paraît insé-
parable de l'oralité, et l'identificationsecondaire inséparable de l'analité.
Lié à cette introjection-captation anale, se produirait, dans un
même mouvement, un remaniement élaboratif des formations incons-
cientes du Surmoi et de l'Idéal du Moi. Le sujet se dégage de la relation
fluide et instable avec la figure phalhque indéfinie et annihilante pour se
situer en tant que sujet avec cet objet : le pénis délimité ; et, dans le
même mouvement, la personne du père mutilable et mutilant succède
à l'imago annihilante (Surmoi), et se diversifie l'image du père, porteur
de l'oeuvre par la médiation duquel peut être regagnée la plénitude
narcissique (Idéal du Moi).

(1) «On porte toujours en soi une oeuvre d'art comme un tout. Même si la philosophie
esthétique prétend que les oeuvres du langage et de la musique, à la différence des arts figuratifs,
sont liées au temps et à sa succession, elles aussi pourtant cherchent à être présentes tout
entières dans chaque instant. Au début, le milieu et la fin ont déjà pris vie. Le passé imprègne
le présent et même dans la plus extrême concentration sur ce passé s'insinuele souci de l'avenir »,
Thomas MANN, Le journal du Dr Faustus, p. 209.
Cf. G. MENDEI. : « Le Roman comme Fiction et comme Ensemble. » Revue française de
Psychanalyse, n° 2-3, 1963, pp. 301-320.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 763

Notons encore deux points :


— les modalités du conflit avec le père réel peuvent être source d'inhibi-
tion créatrice, ainsi que Freud l'indique pour Léonard de Vinci (aban-
donnant ses oeuvres à demi élaborées, ainsi que son père l'abandonna) ;
— la figure du père spirituel dont l'introjection et la captation anale
renouvellent Surmoi et Idéal du Moi, cette figure apporte ses propres
limitations : si elle permet d'accéder à la création, elle limite égale-
ment cette création (dans sa modalité la plus étroite, le disciple ne
crée que selon les canons du Maître ; dans sa modalité la plus large,
le disciple ne crée que dans les limites du style de son époque).
Non seulement pénétration et captation anales, mais aussi, et sans
doute sur un plan quelque peu différent, réalisation du désir d'avoir un
enfant du père. L'oeuvre personnelle, lentement conçue, est cet enfant.
Dès lors, la sublimation artistique nous paraît se rapprocher étrange-
ment de ce que le langage commun a depuis longtemps reconnu chez
l'artiste, quand une oeuvre est dite « conçue », « créée », « mise au monde »
— d'une procréation.
L'artiste, fût-il le plus original, est, peut-on dire — et nous avons
insisté longuement sur ce point — enceintes la tradition, laquelle lui
a été transmise par l'intermédiaire de l'oeuvre du Maître. Dans ce sens,
et sur tous les plans, l'oeuvre qu'il porte est l'équivalent, pour l'incons-
cient, de ce que peut être l'enfant pour la mère.
Rester l'enfant dans la mère, métaphore qui exprime le phallus et
le désir de la toute-puissance narcissique sous quelque masque qu'elle
se déguise, est le Moi idéal de la personnalité orale (narcissisme pri-
maire). Avoir un enfant du père devient pour l'artiste le moyen de
promouvoir un plaisir narcissique plus réellement satisfaisant. Cet
objet d'une nécessité vitale et qui jusqu'alors n'existait pas de façon
stable et permanente, c'est cette oeuvroe enfant-pénis qu'il engendre, lui,
la mère.
Et de l'identification non pas à l'oeuvre seule, mais à l'oeuvre encore
dans la mère, l'oeuvre en gestation — incomplète, certes, sur le plan
du langage et de l'élaboration, mais complète sur le plan du fantasme
auquel l'oeuvre comme ensemble est assimilée — de cette identification au
phallus entier, complet, plein (à l'image du corps, mais d'un corps non
castré et non susceptible de l'être), naît, pensons-nous, le plaisir nar-
cissique de la création artistique. Mais l'oeuvre terminée, il faut la
recommencer : une autre, et toujours la même, puisqu'elles sont équi-
valentes dans leur signification symbolique.
764 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

L'artiste est mère de son oeuvre, dans la mesure où il réalise son


désir d'avoir un enfant du père.
Il est fils de son oeuvre, dans la mesure où par cet objet il devient
enfin sujet dans une relation pour la première fois « distanciée » non
seulement dans l'espace, mais également dans le temps (permanence)
entre le sujet et l'objet.
Mais il est aussi père de son oeuvre, parce que l'oeuvre est réalisation.
Par cette introjection anale, l'artiste a capté la puissance paternelle (la
puissance des pères, puisque c'est la tradition tout entière qui s'est
incarnée dans le Maître), afin de se l'approprier, de s'en servir, de gagner
un pénis — puissance. Avoir, pour être. Ainsi s'exprime son désir
— tout aussi fondamental que le désir de passivité — d'activité. A ce
niveau, le disciple est rival du père, avec toute la culpabilité oedipienne
contenue dans cette rivalité.
Mais, redisons-le encore une fois, la rivalité et la culpabilité se
posent, à notre sens, en fonction de l'oeuvre, et non en fonction de la
mère ou de la femme. La relation à celles-ci reste sur un mode narcis-
sique, fantasmatique ; elles n'ont pas acquis le statut d'objet ; elles sont
représentantes du monde ancien qu'il faut recouvrer mais en usant des
armes du monde nouveau (tradition, père spirituel, pénis, oeuvre).
La mère pour l'artiste serait davantage nostalgie du monde narcissique
primaire qu'objet sexuel.
Cette conception de la sublimation pourrait aider à comprendre ce
fait d'observation que les grandes sublimations artistiques sont (presque)
exclusivement le fait des hommes (1). Les explications sociologiques ne
suffisent pas à en rendre compte.
Deux raisons pourraient jouer.
Il est certes un moyen plus simple pour la femme de donner satis-
faction aux désirs que nous avons décrits (avoir un enfant du père) :
créer et donner naissance à un enfant réel (2).
D'autre part, il nous semble que le désir actif (capter le pénis non
seulement pour le posséder en soi, mais pour l'utiliser de la même

(1) Les sublimations artistiques féminines, si réussies soient-elles, nous paraissent se situer
à un niveau plus concret, plus « littéral » (Colette, par exemple), et ne pas pouvoir s'élever
jusqu'au Mythe. Une seule très grande artiste : Virginia Woolf. Rappelons qu'elle se suicida
en 1941. — Mais une évolution se dessine : certains artistes contemporains de qualité sont des
femmes : Germaine Richier, Vieira da Silva, Nathalie Sarraute...
(2) De plus à personnalité de fond oral égale à celle d'un homme, la femme a des possibilités
d'aménagement supplémentaires, rendant la captation anale de nécessité moins vitale. I,es
phénomènes hystériques sont une issue soniatique économique, assez bien admise socialement.
De plus, comme le rappelle souvent Favreau après Freud, le vagin lui offre une possibilité de
fuir l'analité.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 765

manière que le père), est davantage culpabilisé chez la femme que chez
l'homme : le fait d'avoir ou non réellement un pénis serait important
dans la mesure où, ce pénis, le garçon l'a déjà et que, morphologique-
ment, il est, se sait et se voit comme le père sans rien lui prendre. Il
s'agirait là non pas d'une incapacité foncière de la femme à la grande
sublimation artistique, mais d'une culpabilité supplémentaire (1).
Essayons de donner un schéma de la sublimation.
Classiquement, en cas d'aménagement satisfaisant du conflit oedi-
pien, les formes d'organisation prégénitales de la libido sont, pour une
part importante, intégrées dans le primat du génital (stade phallique)
dont la forme de réalisation après la puberté est la sexualité génitale
(stade génital).
Il serait possible — sans vouloir prendre à la lettre cette division
bien trop schématique — de distinguer trois cas.
Premier cas. — Cette intégration n'a pas eu lieu. Soit pour des
raisons qui tiennent à la constitution de l'individu (2), soit pour des
causes traumatiques réelles. Débuteraient alors — sous une forme larvée
ou évidente, typique ou atypique — les psychoses de l'enfance qui,
en cas d'évolution chronique, ne permettraient aucune possibilité de
sublimation. Ainsi s'expliquerait ce que Freud nomme « la débilité
acquise de la pensée ».
Second cas. — La prégénitalité tant orale qu'anale a été intégrée
heureusement, permettant l'abord et l'aménagement du conflit oedipien.
Mais dans ce cas, dit normal, le primat du génital reste, au moins sur
certains plans, tout virtuel puisqu'une véritable réalisation sexuelle
n'est possible qu'à la puberté. Durant la phase de latence, la plus grande
partie de la libido reste refoulée, et ce primat phallique ne s'exercera
que vers un but non sexuel : les acquisitions culturelles, scolaires et
sociales de la seconde enfance. Il s'agit là de l'exercice des processus
mentaux en général, à l'économie desquels vient s'ajouter l'énergie
propre des organisations prégénitales non intégrées (début de la subli-
mation proprement dite).
Troisième cas. — La prégénitalité orale et anale, ou seulement anale,
a été insuffisamment intégrée. Mais (en particulier par le jeu des fac-
teurs innés, « les bases organiques du caractère » : capacité de refoule-
(1) J. Chasseguet-Smirgel attribue cette culpabilité, en particulier devant la sublimation,
à des causes spécifiques différentes de celles que nous avons envisagées brièvement ici.
Cf. J. CHASSEGUET-SMIRGEL,La relation de la fille au père (la culpabilité féminine).
(2) Rappelonsle rôle attribué par FREUD à « une certaine déficience fonctionnelle de l'appa-
reil génital », correspondant « à une prédisposition constitutionnelle », Trois essais sur la
théorie, etc., p. 39.
REV. FR. PSYCHANAL. 49
766 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

ment, de sublimation), une résolution toute provisoire a lieu à la fin


du conflit oedipien, et l'enfant traverse la phase de latence dans des
conditions qui peuvent paraître satisfaisantes.
Le destin de l'individu nous paraît alors devoir se jouer à la puberté,
époque à laquelle Freud accordait une importance particulière. Nous
aurions tendance à penser que les conflits sont plus dramatiques à ce
stade que lors des premières phases de développement du Moi, en
raison en particulier de l'intensité plus forte des pulsions et du refoule-
ment dynamique à soutenir contre une réalité devenue beaucoup plus
prégnante. D'autre part, en raison en particulier du développement
génital physiologique, la libido est orientée vers des buts sexuels,
aiguisant le conflit.
Devant la remise en question de l'aménagement provisoire du conflit
oedipien oro-ano-phallique qui avait été possible pendant la période
de latence :
— ou bien jouent à plein la régression et ses modalités psychonévro-
tiques, perverses ou psychotiques (éclosion des schizophrénies
pubertaires et post-pubertaires) ;
— ou bien peuvent se produire des identifications hors la lignée natu-
relle du père réel. Nous avons étudié en détail ce rapport d'intimité
avec un père spirituel.
Rappelons encore que l'ébauche des grandes sublimations artistiques,
et parfois leur réalisation complète (Rimbaud, Lautréamont) ont lieu à
la puberté.

DU FANTASME AU TABLEAU. LA SPÉCIFICITÉ ARTISTIQUE

Nous voudrions, au terme de ce travail, essayer de montrer comment


un tableau en tant qu'oeuvre appréhendée comme ensemble, peut
devenir l'équivalent d'un fantasme — mais d'un fantasme élaboré par
les processus de la sublimation, d'un fantasme par là haussé jusqu'au
rang de phénomène de culture. La possibilité d'une telle équivalence
s'exprimant au travers de toutes les élaborations de la sublimation,
comme si fantasme et oeuvre d'art procédaient de la même source d'ins-
piration (orale), distingue pour nous l'Art de toute autre production
humaine élaborée, est comme le fondement de la spécificité artistique.
Mais d'abord qu'est-ce que le fantasme ?
Est-ce simplement une image mentale, ou une suite d'images, une
pensée en images, différant par là de la pensée en mots ? C'est à un
phénomène de ce genre que Freud paraît songer lorsqu'il écrit :
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 767

« la pensée visuelle se rapproche davantage des processus incons-


...
cients que la pensée verbale, et est plus ancienne que celle-ci, tant au
point de vue phylogénétique qu'autogénétique » (1).
Avant d'essayer de cerner plus étroitement le concept de fantasme,
il est donc déjà possible de noter, à la suite de Freud, le rapport étroit
de ce mode de production avec les processus primaires.
Il est un écrivain qui a fondé la philosophie de son oeuvre sur le
fantasme. Les réflexions de Marcel Proust sur ce thème nous paraissent
singulièrement pénétrantes.
Deux passages d'importance inégale d'A la recherche du temps
perdu (2) sont consacrés au fantasme. Le premier, le plus connu, a
trait à ce que l'on peut nommer le « fantasme de la madeleine ». Après
le long prélude qui s'ouvre par le : « Longtemps, je me suis couché de
bonne heure », le narrateur, bien des années plus tard, un jour d'hiver,
se voit offrir par sa mère une tasse de thé et une madeleine :
« Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau
toucha mon palais (...), un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans
la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie
indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même
façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse (...)
j'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel » (3).
Si nous avons donné ce texte, c'est pour que soit perceptible au
lecteur la tonalité de plénitude narcissique de ce plaisir.
Le narrateur, recherchant l'origine de cette « félicité », « éprouve
la résistance et (...) entend la rumeur des distances traversées ». Le
souvenir lui revient enfin de ces dimanches matin où, enfant, il allait
saluer dans sa chambre sa tante Léonie.
Nous pourrions décrire ainsi ce phénomène :
A la suite d'une excitation sensorielle (ici, la zone érogène orale),
apparaît un état particulier à nuance de plénitude narcissique, et sans
contenu idéatif. Un contenu réprimé, préconscient, apparaît ensuite,
qui paraît faire office de souvenir-écran.
' Un autre passage nous paraît apporter d'importantes précisions

sur cet « état ». Nous voulons parler du morceau sur lequel l'oeuvre
s'achève : la « Matinée chez la princesse de Guermantes ».
Plusieurs fantasmes se succèdent très rapidement :
Un fantasme proprioceptif : la même félicité réapparaît au moment

et le Ça, p. 175.
(1) Essais de psychanalyse : Le Moi
(2) Nous aurons en vue dans nos citations l'édition et la pagination de la Pléiade.
(3) Pp. 44-45 du t. 1er.
768 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

où le narrateur pose son « pied sur un pavé qui était un peu moins élevé
que le précédent » (1).
Un fantasme auditif : même plaisir au bruit, causé par un domestique,
d'une cuiller heurtant une assiette.
Un fantasme tactile : contact sur la bouche d'une serviette raide et
empesée (2).
Chaque fois, secondairement, Proust retrouve le souvenir ancien
éveillé par la sensation précédente : Venise, Rivebelle, Balbec. Cette
coalescence le temps d'un éclair de deux moments, l'un présent, l'autre
passé, lui paraît être la source de ce plaisir, et la raison de l'Art :
« ... ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n'a pas
dans le sens courant à l'inventer, puisqu'il existe déjà en chacun de
nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux
d'un traducteur » (3).
Élaborer ses fantasmes personnels, parvenir à rendre cette réalité
personnelle qui « est un certain rapport entre ces sensations et ces
souvenirs qui nous entourent simultanément », opérer cette traduction
du fantasme indicible et ineffable apparaît à Proust comme étant litté-
ralement son devoir.
Il caractérise cet état fantasmatique comme étant le propre d'un
« être qui n'apparaissait que quand, par une de ces identités entre le
présent et le passé, il se trouvait dans le seul milieu où il pût vivre, jouir
de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps ».
Proust insiste longuement sur ce caractère d'affranchissement de
l'ordre du temps. Ce qui lui paraît le plus proche de cet état est
« ... l'étourdissement d'une incertitude pareille qu'on éprouve parfois
devant une vision ineffable, au moment de s'endormir ».
Ainsi, par ce thème de l'endormissement et de l'attente de la mère
se trouve fermée la boucle parcourant l'oeuvre depuis sa première phrase,
et l'existence même de Proust depuis ses années d'enfance jusqu'à son
accomplissement d'écrivain.
Rapport donc du fantasme et de l'ancien temps perdu et retrouvé ;
à notre sens, le fantasme, tel que Proust le décrit, est cet instant extra-
temporel, fait de félicité, d'hébétude et de chaleur — du désir réalisé :
l'introjection orale de la mère comme « bon objet », source de plaisir
narcissique ; la réalité de cette froide journée d'hiver étant désinvestie,
refoulée, comme « mauvais objet ». Cette introjection orale correspon-

(1) T. III, pp. 866-867.


(2) Ibid., p. 868.
(3) Ibid., p. 890.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 769

dant à une régression au stade oral secondaire d'Abraham (comme la


rêverie hypnagogique à laquelle Proust compare ce fantasme précédant
le sommeil; sommeil qui, lui, est une fusion, une régression au stade
oral primaire) (1).
Rapport aussi du fantasme et de l'oeuvre qui a charge de la " traduire ".

«... de même maintenanttoutes les fleurs de notre jardin et celles du


parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du
village et leurs petits logis et tout Combray et ses environs, tout cela qui
prend forme et solidité, est sorti, ville et jardin, de ma tasse de thé » (2).
Que pouvons-nous, au titre de psychanalyste,.ajouter à cette péné-
trante description qui, d'ailleurs, plutôt que de résoudre des problèmes,
a pour intérêt d'en poser de nouveaux et sous un jour neuf ?
Je crois qu'il est utile d'insister sur la fulgurance du fantasme. Le
fantasme même est cet état très bref, littéralement étourdissant —
Proust parle d'un certain degré d'hébétude associé à une sensation de
chaleur —, qui saisit le sujet, lequel bien plutôt qu'actif se trouve dans
une position passive par rapport à cette globalité qui l'envahit : et pour
ressentir un tel plaisir à cet envahissement, l'on peut penser que la
passivité est très intensément érotisée.
Ces illuminations de tout l'être — le fantasme à l'état pur — sont
sans doute assez exceptionnelles. Plus fréquentes sont des formes
atténuées où le contenu intellectuel est plus riche : images mentales,
acoustiques, etc. Mais le fantasme n'est pas réalisation de désir, il est
avant tout désir réalisé : effacement de la coupure entre le sujet et son
objet, entre dehors et dedans, présent et passé, ici et ailleurs, désir et
réalité. Lorsque cet état en quelque sorte se dilue, s'organise en histoire
qui dure, le nom de rêverie diurne lui conviendrait davantage.
Pour conserver la distinction (3) entre conscient et inconscient
on pourrait orthographier phantasme le fantasme inconscient auquel se
(1) Autrement dit le fantasme serait le produitd'un processus de nature orale correspondant
à un clivage en « bon " et « mauvaisobjet ». Proust, ce jour d'hiver, a froid, et se sent ci accablé
par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain ». Est alors déclenché un processus
d'introjection de la « bonne mère » devenantle « bon objet » endopsychique — mais cela au prix
du refoulement dynamique de la réalité objectale présente. Commece refoulement complet exige
vraisemblablement une importante dépense énergétique, le fantasme « pur » ne peut être que
bref. Lui succèdent — et c'est le cas ici — des productions idéatives (des « sophistications »,
écrirait Winnicot), qui édulcorent certes l'état fantasmatique mais aménagent le refoulement.
Nous pouvons également émettre l'hypothèse d'une bonne relation ancienne, infantile, entre
Proust et sa mère : dans le cas contraire, l'épisode de la madeleine aurait déclenché non pas
un état fantasmatique, narcissique, mais de l'angoisse. D'une certaine manière, on pourrait
dire que l'angoisse, affect sans représentation consciente, est en quelque sorte le « négatif »
du fantasme « pur », lui aussi sans représentation consciente.
(2) T. I, pp. 47-48.
(3) Défendue par LEBOVICI et DIATKTNE, Étude des fantasmes de l'enfant, R.F.P., 1954, n° 1.
770 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

réfère le fantasme conscient et dont il tire son pouvoir. Le génie de


Proust lui a permis de percevoir que la compréhension d'un fantasme
renvoyait nécessairement au passé. Mais sa réflexion s'arrête aux sou-
venirs-écran et à cette interrogation : « Pourquoi est-ce plus précisément
le souvenir d'un incident à Combray, Rivebelle, etc., qui me donne
cette félicité ? » Ce sont ses associations dans l'oeuvre qui livrent pour
nous — et non pour lui — une des clefs : l'attente de la mère (1).
Un point qui nous paraît essentiel est que cet état fantasmatique
— dans l'exemple choisi — est toujours le même, quels que soient ses
sources (2) ou le contenu auquel il est associé. Des contenus différents
peuvent ainsi induire un état semblable. Il nous semble donc qu'il
pourrait être intéressant de distinguer entre état fantasmatique (ou
fait de fantasmer) et contenu du fantasme (3).
L'état fantasmatique signe, à notre sens, une régression temporelle
au stade très précoce où la délimitation entre le sujet et son objet n'est
pas devenue stable et permanente, où l'objet n'est pas divisible, mais
peut globalement être détruit ou détruire par introjection. Un temps
bref, le désir est réalisé — mais cette brièveté même ne doit pas
être pesée avec les poids de l'horloge, puisqu'il s'agit d'une plongée
dans un univers extra-temporel. Et cette régression temporelle est
également formelle au sens donné par Freud :
«... quand les modes primitifs d'expression et de figuration rem-
placent les modes habituels » (4).
Le fantasme pur correspondrait donc à un état où le contenu mani-
feste est pratiquement inexistant, à un signifiant très proche de l'affect
et du somatique : joie, hébétude, chaleur, étourdissement ; le contenu
latent (ou signifié) serait le fantasme inconscient, le désir réalisé, la
réunion à la mère... L'absence de figuration consciente, de conceptuali-
sation, marque bien, en effet, les différents fantasmes de Proust — au
moment même de leur apparition.
Mais le sujet qui fantasme, s'il est adulte, toutes les étapes ulté-
rieures du développement libidinal sont inscrites, incarnées en lui.
Et les témoins en sont les différents contenus manifestes (proprioceptifs,
acoustiques ou plus souvent visuels) qui viennent connoter cet état
fantasmatique, et qui sont le reflet de la destinée particulière, originale,

(1) Tous les fantasmes ne sont pas porteurs de cette « joie pareille à une certitude » ; les fan-
tasmes angoissants nous paraissent être aux « bons » fantasmes comme le cauchemar est au rêve.
(2) Nous étendons le cadre du fantasme qui, à notre sens, n'est pas seulement visuel, mais
peut être gustatif, proprioceptif, auditif...
(3) De même que, par exemple, l'on distingue entre sommeil et rêve.
(4) Science des rêves, p. 542.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 771

du sujet marquant les différentes étapes du développement libidinal.


Un état fantasmatique à contenu manifeste, à figuration ou à objet
oral secondaire comme dans le fantasme à la madeleine de Proust est
exceptionnel. Et si l'état fantasmatique a valeur narcissique, le contenu
du fantasme dit le conflit, se réfère à la castration.
Cette distinction entre fantasme et objet du fantasme peut se révéler
utile, si l'on songe que, dans une analyse, nous aurons tendance à
considérer et à interpréter un contenu disons oedipien d'une façon tant
soit peu différente s'il apparaît dans un rêve, un fantasme, une asso-
ciation d'idées, un acting-out. C'est-à-dire que nous distinguons impli-
citement entre un certain état et son contenu. Et ceci valablement, à
notre sens, puisque, dans notre exemple d'un contenu oedipien fantas-
matique, l'affrontement du conflit oedipien n'aura été possible qu'à
l'aide d'une régression très archaïque : la réalité n'aura pu être abordée
que dans l'irréel.
Considérons à présent le cas d'une oeuvre d'art, et plus particulière-
ment d'un tableau.
Nous avons décrit, au début de ce travail, un double mouvement de
l'attitude esthétique :
— mouvement vers l'appréhension du tableau comme ensemble
complet ;
— mouvement de lecture (scandale pour l'esprit rationnel, car le
sens est toujours en fuite).
L'amateur, par le mouvement qui tend à unifier le tableau et à
le considérer comme un ensemble, assimile le tableau à un fantasme.
Il vise à une minute heureuse où le tableau aurait cette globalité (englo-
bant sujet et objet) qui est celle du fantasme. Il ne convient certes
pas de dire que le tableau devient fantasme : fantasme et oeuvre d'art
sont à l'extrémité opposée de la même chaîne ; en chacun d'eux se
manifeste un processus mental de même nature (qui a sans doute des
rapports étroits avec la pensée magique), et chacun d'eux a une valeur
de plénitude narcissique. Mais la contemplation du tableau comme
ensemble, si elle trouve sa situation psychique là où autrefois fut le
fantasme (retrouvant là une place « chauffée » de longue date), est
maintenant enrichie de toute la culture humaine — culture dont nous
avons dit que, par les phénomènes d'identification à des Maîtres préfé-
rentiels, elle prenait une place prévalente dans la sublimation.
Ainsi pourrait être considérée comme fermée cette boucle qui va
du rêve, de la réalisation hallucinatoire du désir, du fantasme, de la
772 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

pensée magique (1), à l'oeuvre d'art; formes diverses, sublimées ou non,


en lesquelles s'exprime la fonction narcissique. Fonction qui, d'une
manière ou de l'autre, parvient à trouver à se satisfaire en chaque homme
sur des modes plus ou moins évolués, mais qui chez le sujet oral s'est
fixée aux stades les plus primitifs : toute frustration mettant en cause
non pas la limitation d'un plaisir, ou la crainte de perdre une partie de soi
(castration) — mais la racine même de l'être : son intégrité narcissique.
Et c'est précisément cette plénitude narcissique que l'amateur
vise dans l'appréhension du tableau comme ensemble, cette plénitude
dont l'atteinte allusive est source du plaisir esthétique. Est visé ce
moment idéal où le sujet s'incorpore totalement l'oeuvre et devient
corps entier non castré. « Jouir d'une belle chose, écrit Van Gogh,
c'est le moment de l'infini. » L'oeuvre d'art est ce « bon objet » intro-
jectable, mais qui, lui, reste stable et permanent et ne peut être détruit.
Ce mouvement vers l'oeuvre comme ensemble, en tant que fantasme
sanctifié, pourrait-on dire, par la sublimation constitue pour nous le fait
même esthétique, le fondement de sa spécificité, la forme sous laquelle
l'inspiration orale est parvenue à s'exprimer de manière acceptable.
Mais cette rencontre, dans l'oeuvre d'art, est toujours médiatisée par
un contenu ou une forme. Sauf, peut-être, dans un cas : celui du peintre
devant la blancheur parfaite de la toile vierge. Pour celui qui a investi, à
l'exclusion de toute autre relation objectale, cette mince surface de toile,
peut se produire ce que les peintres ont nommé le vertige ou l'angoisse de
la toile blanche; contre lequel ils peuvent être amenés à lutter en interpo-
sant immédiatemententre eux et ce qui serait alors davantage une fusion
qu'une introjection,l'artifice d'un trait, d'une tache, d'un frottis, etc.
Ainsi de même que l'état fantasmatique est lié à un certain contenu
(c'est un stimulus précis, personnel, original, qui éveille cet état chez
Proust : madeleine, pavé inégal, etc.), de même le tableau comme ensemble
est inséparablement Hé à un contenu et à une forme (2), lesquels sont
appréhendés dans et par la lecture.
Lecture de quoi ?
Elle peut concerner le contenu anecdotique du tableau (le « sujet »)
ou bien son contenu formel (la « forme », le « style » de l'oeuvre).

(1) " L'art est le seul domaine où la toute-puissance des idées se soit maintenue jusqu'à
nos jours. Dans l'art seulement il arrive encore qu'un homme tourmenté par des désirs, fasse
quelque chose qui ressemble à une satisfaction ; et, grâce à l'illusion artistique, ce jeu produit
les mêmes effects affectifs que s'il s'agissait de quelque chose de réel. C'est avec raison qu'on
parle de la magie de l'art et qu'on compare l'artiste à un magicien », Totem et Tabou, p. 127.
(2) Nous préférerions parler d'un double contenu : anecdotique (le « sujet » du tableau) et
formel (la « forme », le " style »). Mais l'habitude est de dire : contenu et forme.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 773

Contenu anecdotique. — Une femme portant un enfant ; une pomme


sur une assiette de faïence... Dans une appréhension minima, le plaisir
est le même que si l'objet littéral, « en chair et en os » (à l'extrême, on
demande alors à l'oeuvre d'être un « trompe-l'oeil »), était là devant nous
en permanence, à notre disposition : suppose donc à tout le moins une
ébauche de toute-puissance magique.
Ce contenu anecdotique disparaît dans le cas de la peinture non
figurative. Les arts plastiques non figuratifs nous paraissent constituer
un domaine privilégié pour l'étude du phénomène esthétique. Apprécier
une toile d'où l'anecdote est absente, c'est en effet obligatoirement
goûter le tableau comme ensemble — pu ne pas pouvoir l'aimer.
En peignant une main ou un bison percé de flèche, le peintre-sorcier
paléolithique participait à un monde magique. C'est cette liaison
entre une figure élémentaire (d'abord « décalquée », cernée) et le fan-
tasme qui explique, à notre sens, le développement de la langue picturale.
De même que de la langue de la Chanson de Roland à la langue d'aujour-
d'hui il s'est produit une évolution — explicable par le matériau
lui-même et sa déformation, par des causes externes sociologiques (1), etc.
— de même depuis 30 000 ans environ s'est produit une évolution
de la langue picturale : c'est-à-dire de la disposition des lignes et des
couleurs qui, par le fait de la tradition, se trouvaient être associées au
fantasme, au monde magique : lui-même toujours présent dans le
tableau comme ensemble. En somme, un phénomène toujours de même
nature se produirait quel que soit le tableau : qu'il en soit ou non
conscient, à toute époque un artiste peint non pas le « sujet » (deux
pommes dans une assiette), mais son désir narcissique (2).
« Je ne vois que des taches, écrivait Pissarro. Lorsque je commence
un tableau, la première chose que je cherche à fixer, c'est l'accord.
Entre ce ciel, ce terrain et cette eau, il y a nécessairement une relation
d'accords (3), et c'est là la grande difficulté de la peinture. Les grands
problèmes de la peinture c'est de ramener tout, même les plus petits
détails du tableau, à l'harmonie de l'ensemble, c'est-à-dire à l'accord.

(1) Par exemple, dans le cas de la peinture, il a été dit, à juste titre, nous semble-t-il, que
l'avènement et le développement de la photographieont pu jouer un rôle capital dans l'essor de
la peinture non figurative.
(2) " Si quelqu'un cherche la ressemblance dans une peinture, son esprit est celui d'un
enfant », écrivait déjà SON TANG-P'O (Dynastie des Song, Xe au XIIIe siècle), cité dans l'excellent
catalogue composé à l'occasion de l'exposition du Musée Cernushi, Quelques peintures de lettrés,
nov. 62-février 63.
(3) Ou bien, ajouterions-nous, le monde serait, pour Pissarro, une blessure narcissique insup-
portable. La méthode est de ramener la nature à l'Art, de faire obéir l'objet nouveau (le paysage
réel) aux lois de la tradition esthétique, d'intercaler entre soi et l'objet un médiateur régulateur.
774 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Et pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur ce thème du « sujet ».


De par le degré d'évolution atteint par la langue picturale, il était
jusqu'à une époque récente impossible à un artiste de peindre un
tableau non figuratif. Et, à ce moment, où la langue de la peinture se
trouvait à la frontière d'une révolution (1), il y eut chez certains peintres
géniaux comme une prescience de ce qui allait advenir : un refus
angoissé de Van Gogh (2) et une tentative tragique et presque déses-
pérée chez Cézanne pour atteindre ce qui n'appartenait encore qu'à
l'avenir. Le « sujet » n'est jamais apparu davantage comme prétexte
et masque que dans ces Montagnes Sainte-Victoire inlassablement
reprises, mais il est là, inévitablement : et ce n'est pas d'une montagne
« réelle » que vient la résistance mais d'une tradition en Cézanne qui
n'a pas encore pu atteindre son point de transformation. L'artiste n'est
libre de créer que dans les limites atteintes par le degré actuel d'évolution
de la langue picturale.
Contenu formel (ou « forme », « style »). — La gamme des opéra-
tions de lecture pouvant entrer dans ce cadre est extrêmement étendue.
En toutes les activités d'un homme se manifeste un certain style,
compromis plus ou moins personnel entre les pulsions et les défenses,
style dont l'appréhension pourrait permettre de reconnaître sa position
existentielle, la nature et le degré de ses conflits et leur mode d'aména-
gement. Le « style » est ainsi une notion qui déborde le phénomène
esthétique dans sa limitation à l'art. Et pourtant on peut se demander
si la langue commune n'a pas eu raison de rassembler dans un même
vocable des phénomènes aussi divers (style d'une poignée de mains,
d'une démarche, d'un joueur de tennis, d'un peintre...). C'est que
peut-être le mode d'appréhension d'un « style », quel qu'il puisse être,
obéit-il à des mécanismes semblables : relations d'identification
secondaire à l'objet fondées sur la perception non conceptualisée et
peut-être non conceptualisable de certains signes (3), rassemblement

(1) Ce qui ne préjuge en rien l'évolution future : la langue picturale ne se développant pas en
autarcie en fonction de son seul dynamisme interne, maisaussi en rapport avec des causes externes.
(2) « Je préfère encore être cordonnier qu'être musicien avec des couleurs. »
(3) C'est ce que nous paraissent avoir signifié Marty et Fain : « Nos mécanismes personnels,
identiques, de relation d'identification, basés sur notre propre sensorio-motricité, sont plus
aptes à enregistrer les mouvements nuancés des types de relation de nos malades que le système
de l'intellectualisation (...). Certaines formes de relation de nos patients trouvent en nous un
écho, un moule qui enregistre parfaitement et qui constitue une part importante de notre
intuition. L' « attention flottante » permet évidemment seule notre captation précise de ces
formes qu'une autre attitude de notre part, s'attachant intellectuellement au contenu, déna-
turerait. »
Le point d'impact du beau travail de J. CHASSEGUET-SMIRGEL (Marienbad : une esthétique
de l'achoppement) nous paraît se situer exactement là : un mode d'interprétationet de connais-
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 775

de ces signes en un ensemble. Et d'ailleurs la langue nous fournit un


second indice en utilisant les termes de l'Esthétique, parlant par exemple
de la « beauté du style d'un joueur de tennis ». Nous pensons que le
phénomène esthétique déborde les limites strictes de l'Art, ce qui
s'accorde avec nos thèses selon lesquelles l'Art tire son inspiration et
sa spécificité de l'érotisme oral, certes sublimé, mais dont l'origine
est (comme nous avons essayé de le montrer) encore reconnaissable
dans le produit de la sublimation.
Quels sont, alors, dans un tableau, ces signes qu'une « lecture »
permet d'appréhender. A notre sens, le spectateur refait, prolonge,
achève le geste devant lui figé du peintre (1).
En arrêt devant le tableau arrêté, le spectateur l'interroge. Et cet
interrogatoire est guidé de manière non consciente par ce qui dans la
toile évoque gestes, rythmes, mouvements et arrêts. A la distribution
des lignes et des couleurs sur la toile, nous reconnaissons la marque des
gestes du peintre et, par une identité d'impression où la sensorio-
motricité joue un rôle essentiel, nous en déduisons implicitement un
certain style de personnalité du peintre.
Il est des toiles où le geste du peintre apparaît sans cesse arrêté,
contenu, contrarié ; d'autres où il apparaît fragmenté, haché, réduit,
pourrait-on dire, à des secousses, voire à des ponctuations ; emporté
ou contrôlé ; prolongé vigoureusement d'un seul tenant ou immédiate-
ment repris, etc. Dans cette perspective, couleurs et lignes sont les
moyens par lesquels les gestes se moulent et prennent forme pour
l'oeil. Dans la peinture non figurative, le geste est immédiatement
reconnu. Très différente est la lecture d'une toile proposant une réalité
reconnaissable : il est fort difficile de dégager le spectacle de peinture
du spectacle peint. Cette plage noire où le geste s'est comme englué est
d'abord une bouteille avant de devenir plage noire reflétant le geste.
Et contempler un tableau figuratif sans se prêter au réconfort de l'anec-
dote, le percevoir comme un assemblage de couleurs et de lignes,
demande, même pour qui a du goût, une longue pratique de la peinture.
Réconfort de l'anecdote pour la pensée rationnelle : à tout le moins un

sauce d'un artiste grâce au style de son oeuvre et non plus simplement par le contenu anec-
dotique et les thèmes.
Notre propos est différent : ce n'est pas tant de savoir quel homme est cet artiste, et son
conflit particulier, qui nous intéresse, que ce par quoi son oeuvre est une oeuvre d'art. Des
dizaines d'artistes ont été analysés et nous n'en savons guère plus sur l'Art, sa spécificité,
son essence.
(1) Nous avons développé ce thème dans un texte paru en septembre 1962 dans le n° 31
des Cahiers des saisons : A propos d'Halpern.
776 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-I964

élément est connu dans la toile, et ces Baigneuses au bord de la rivière,


il est aisé de se laisser convaincre que la connaissance de leur « sujet »
épuise toutes les intentions du peintre (« amoureux, dira le critique,
de la lumière, de la nudité féminine, et des clairs paysages de l'Ile-de-
France, il a, pour son plaisir et le nôtre, réuni ses amours dans les
dimensions d'un grand format » ...). Or, nous avons vu, à propos de
l'apologue de la charrue, que l'attitude esthétique disparaissait là où
le sens ne restait pas ouvert, scandaleusement en fuite. Mais, même si
l'anecdote reste prévalente, le mal n'est pourtant pas irrémédiable,
car, alors, comme malgré nous, nous nous laissons finalement gagner
par des impressions composites : le geste d'un Cézanne ou d'un Renoir
éveille en nous de fort différentes résonances.
C'est ainsi, à notre sens, par la reconnaissance du geste, que nous
parlons du style propre de Rubens ou de Goya. Il ne doit pas pourtant
nous échapper que si nous en restions à ce stade nous n'aurions fait
que découvrir des points communs (langage corporel, gestuel) entre
l'activité artistique et les autres activités humaines. La spécificité de
l'Art nous aurait totalement échappé, sacrifiée qu'elle aurait été aux
mérites du diagnostic caractérologique.
C'est par exemple le cas d'un critique d'art comme Morelli (1).
Cherchant uniquement à résoudre des problèmes d'attribution (tel
tableau est-il bien de tel peintre...), il pratiqua en quelque sorte l'examen
graphologique de la toile : la forme du doigt d'un personnage peint
— forme toujours semblable dans tous les tableaux du même peintre —
devient l'équivalent de ce qu'est pour le graphologue un jambage ou
un mode de ponctuation dans l'écriture réelle. Mettre l'accent unique-
ment sur la particularité, la spécificité d'un peintre (problème d'inter-
prétation ou d'attribution), nous fait sortir du domaine de l'Art.
La spécificité de l'Art — irréductible à toutes les autres activités ou
productions humaines — ne peut s'étudier qu'en considérant ce qu'ont
de commun tous les tableaux authentiques et non ce qu'ils ont de
particulier.
En fait, quand nous avons en vue le style d'un peintre, nous savons
bien qu'il ne s'agit pas de la simple juxtaposition d'éléments placés au
hasard sur la toile, mais d'une organisation de gestes que moulent les
lignes et les couleurs — cette organisation tendant à unifier en ensemble
les divers éléments. Et nous retrouvons là notre thème du tableau comme

(1) On trouvera une étude de ce mode de critique dans le n° 95 de L'oeil : A propos de la


technique de Morelli, par Edgar WIND.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 777

ensemble. Le style simplement gestuel interfère, dans un tableau


réussi, avec la toile en tant qu'ensemble. L'aspect le plus mystérieux
de l'Art est sans doute cette fusion au niveau de l'oeuvre élaborée d'élé-
ments d'origine différente (1).
L'on voit combien le concept de style est multivoque : à un degré
très bas, celui de la graphologie de la toile (Morelli), chacun des élé-
ments est tenu comme ayant valeur par lui-même indépendamment
de l'ensemble ; à son degré le plus haut, il" interfère — sans se
confondre — avec la toile comme ensemble. Sans se confondre, car le
style propre de Goya ou de Rubens est l'interférence de leur langage
particulier avec la peinture : nous pourrions parler pendant des heures
du style particulier de Rubens sans jamais en venir à prendre en considéra-
tion dans notre conceptualisation ce par quoi une oeuvre de Rubens est un
tableau : dans l'attitude esthétique, elle nous apparaît comme « ensemble
complet ». Répétons ici ce que nous avons écrit dans la présentation : il
est possible de reconnaître le style personnel d'un peintre dans un frag-
ment artificiellement découpé par la photographie. La vue de ce « détail »
permet de reconnaître, comme on dit, la « main » du peintre. Reconnais-
sance, attribution qui ne nous donnent nullement ce plaisir esthétique
qui peut seulement naître de la vue du tableau comme ensemble.
Il s'agit donc de deux opérations de nature différente : la lecture
(du contenu anecdotique, ou de la forme) nous informe du conflit,
mais sous-jacent à cette lecture et par l'intermédiaire de cette lecture est
un second mouvement qui vise à appréhender la toile comme ensemble : et
ce second mouvement, à ce degré de pureté, est spécifique de l'Art.
Le piège du mouvement de lecture est de laisser son protagoniste
arrêté à un sens littéral (2). C'est à notre sens le cas de certaines per-
sonnalités anales auxquelles sont nécessaires à tout prix un sens, une
limitation, une précision, une définition. Nommer rassure. Mais éru-
dition n'est pas goût.
Car nous retrouvons là encore une fois la spécificité de l'Art. Si

(1) La « toile en tant qu'ensemble » reflétant l'inspiration orale et le style, la gestualité,


la sensorio-motricité rendant compte de l'élaboration anale et phallique.
(2) « On dit : avoir de l'oreille ; tous les yeux ne sont pas propres à goûter les délicatesses
de la peinture. Beaucoup ont l'oeil faux ou inerte ; ils voient littéralement les objets, mais
l'exquis, non. » Et : « Vous pensez que la peinture est un art matériel parce que vous ne voyez
qu'avec les yeux du corps, ces lignes, ces figures, ces couleurs. Malheur à celui qui ne voit qu'une
idée précise dans un beau tableau, et malheur au tableau qui ne montre rien au-delà du fini
à un homme doué d'imagination. Le mérité du tableau est l'indéfinissable : c'est ce que l'âme
a ajouté aux couleurs et aux lignes pour aller à l'âme (...). Ces chocs mystérieux que notre
âme, dégagée en quelque sorte des liens matériels et retirée dans ce qu'elle a de plus immatériel,
reçoit sans presque en avoir la conscience », DELACROIX, Journal, p. 339 et pp. 345-346, collec-
tion 10-18.
778 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-I964

la seule lecture du tableau (1), l'appréhension par le seul savoir et la


seule intelligence, donnaient accès au fait esthétique, le meilleur ama-
teur d'art serait celui qui disposerait du plus grand nombre de systèmes
de lecture, ou du système le plus élaboré. Nous savons qu'il n'en est
rien. Reconnaître la qualité d'un nouvel artiste, la beauté encore voilée
sous la surprenante originalité, est le fait bien plus souvent d'artistes
ou d'amateurs appartenant à la même famille spirituelle que des
critiques. Ni Cézanne, ni Van Gogh, parmi tant d'autres, n'ont été
reconnus en leur temps par la critique.
Cette capacité devant un tableau de reconnaître la qualité esthétique,
spécifique, de promouvoir par-delà un assemblage apparemment neuf
d'éléments ce mouvement vers l'oeuvre comme ensemble (2), se nomme
le goût. Essayer de préciser ses caractères nous conduirait à de bien trop
longs développements ; indiquons seulement que la tonalité orale est
donnée par le nom même. Car de toute manière, et ceci est pour nous
fondamental, l'oeuvre est davantage que la somme des éléments que
n'importe quelle lecture peut controuver. Appréhender l'oeuvre comme
ensemble met en jeu un processus différent de celui qui consiste à
additionner les éléments de la toile. L'oeuvre est donc irréductible à
la connaissance. Par-delà les diversités de peintres différents et de
toiles dissemblables qu'une lecture permet de différencier, il existe
un lien qui réunit tous les tableaux vrais : au-delà de l'attribution à
Rembrand, Vinci, ou Kandinsky, le tableau est un tableau : c'est-à-dire
apparaît comme un ensemble complet qui n'a son équivalent que dans le
« bon objet » des jours très anciens, et qui, en deçà des avatars de la Subli-
mation, renvoie à la toute-puissance magique, au fantasme,au narcissisme.
De même que le plaisir donné par le fait de fantasmer est toujours de
même nature — toute-puissance narcissique — quel que soit le contenu
du fantasme, de même le plaisir esthétique est toujours de même nature,
quelle que soit la toile. Le contenu anecdotique et formel, au travers
duquel nous appréhendons le tableau, ouvre certes à la notion de conflit
(de même que le contenu du fantasme disait le conflit) : mais la toile la
plus déchirante de Goya donne à l'amateur le même plaisir esthétique que

(1) Quel que soit le système couscient ou non conscient (pré-conscient) utilisé : ramener
la toile à d'autres toiles, le peintre à d'autres peintres (sources, influences, de l'art), ramener
le tableau à des activités ou productions extra-artistiques (gestualité, interprétations psycha-
nalytiques, diagnostic caractérologique, étude sémiologique, etc.). Est ainsi utilisé, pour lire
la toile, un certain nombre de « grilles », de structures néoformées, d'opérations réductrices.
(2) Il ne peut appartenir qu'à la psychanalyse d'aller au-delà du constat de ce mouvement
d'unification des éléments de la toile, de voir en lui une introjection, de relier ce mouvement à
une étape du développementlibidinal, d'évoquer les rapports existant entre fantasme et tableau
comme ensemble.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 779

la plus festoyeuse de Rubens. C'est que l'artiste, homme du conflit et de


la castration comme tout homme, est aussi le dépositaire de la tradition,
c'est-à-dire « du pouvoir de jouir désormais de nos propres fantasmes
sans scrupule ni honte » (1) : un plaisir narcissique archaïque et toujours
nécessaire à chaque homme, sous des formes et à des degrés divers (2).
Nous sommes donc amenés à postuler devant la toile un double
mouvement de la Psyché :
1) Mouvement de lecture ;
2) Mouvement vers le tableau comme ensemble.
Le second mouvement n'est possible que par et au travers d'une
connaissance de la peinture (il n'est pas d'amateur inné, de goût sans
culture).
Mais certaines structures psychiques ne peuvent effectuer ce second
mouvement. L'Art reste toujours pour elles lettre morte, sur laquelle se
brise leur pouvoir d'analyse et de classification. L'art ne peut être appré-
hendé par le seul savoir. Mais, comme on le sait,il est de multiples manières
de voiler ce scandale qu'est l'Art pour un esprit seulement raisonnable.
Est homme de goût, qui est également disponible pour ces deux
mouvements. La connaissance des oeuvres peintes n'est pas pour lui
simple érudition, mais culture.
Nous ne prétendons nullement qu'il soit possible d'isoler parfaite-
ment chacun de ces deux mouvements (3) : de lecture, et d'appréhension
de l'oeuvre en tant qu'ensemble. Devant une toile, ils se succèdent indé-
finiment dans une oscillationincessante. Ces actes de l'esprit qui regarde
s'effectuent dans une succession de mouvements de « division-réunion »
(titre donné par Kandinsky à l'une de ses toiles) où, tour à tour, c'est
la toile entière, puis ses éléments qui émergent devant l'oeil. C'est de
mouvement vers dont il s'agit, l'ultime but n'étant jamais véritablement
atteint. On n'a jamais fini de voir et de regarder un tableau dans une
délectation irritée qui précède ou succède à un plaisir que nous ne
pouvons dire parfait que de manière allusive. Nostalgie de la pléni-
tude narcissique que nous ne connaissons que par allusion.
(1) Création littéraire et rêve éveillé, p. 81.
(2) On peut dire aussi qu'il existe pour le peintre un rapport des éléments de la toile — lignes
et couleurs — à la toile comme ensemble. Mais le peintre n'est pas un décorateur-ensemblier,
assemblant simplement des éléments entre eux. L'Art n'est pas une « combinatoire » habile de
mots, de couleurs ou de sons. Le problème du créateur est : comment avec des lignes et des
couleurs évoquer un fantasme ineffable, indicible. Le rapport entre les éléments et la toile
comme ensemble et entre cette dernière et le fantasme, est codé et transmis par la Tradition.
(3) Chacun d'entre eux pouvant sans doute être ramené à une dominante : activité de lecture
(voir) et acceptation de l'envahissement passif par l'oeuvre en tant que fantasme global
(regarder). Par passivité, nous entendons le processus par lequel le sujet laisse à l'objet
(ou au pré-objet, ou au para-objet) le contrôle de la relation.
DISCUSSION

Les Drs Grunberger et P. Luquet sont chargés par le conférencier


d'introduire la discussion en dégageant de la conférence les problèmes
qui paraissent essentiels à chacun d'eux.
Grunberger souscrit à la thèse de Mendel qui est de conférer une
place centrale à l'oralité dans le processus de sublimation ; mais n'est
pas d'accord avec l'attribution des caractéristiques de sublimation à la
deuxième phase orale (la sadique-orale). Il préfère parler en termes de
narcissisme oral comme décisif quant à la sublimation. D'autre part
il considère l'artiste sur le plan de la création comme un régressé pro-
fond et la valeur fonctionnelle de sa création repose sur l'opposition
antithétique et dialectique entre le narcissisme oral et l'analité. L'artiste
ne doit pas sortir de son univers narcissique oral et lorsqu'il quitte
cette tour d'ivoire il le paye quelquefois de sa vie ou alors, s'il met son
art au service d'une cause ou d'un intérêt, il perd sa capacité créatrice
authentique. C'est pour cette raison qu'il n'existe ni art dirigé, ni
création collective. Le rôle du « père spirituel » joue un rôle décisif
dans la sublimation, mais cette figure paternelle n'est ni le patrimoine
artistique ou scientifique, ni la tradition, mais tout bonnement l'idéal
du Moi narcissique. L'amour de cette figure paternelle puissante et
sa protection déconflictualiseront la composante anale.
P. Luquet considère que la sublimation existe quand il y a déviation
des buts sexuels et qu'il s'agit d'une variété particulière de déplacement
qui permet d'intégrer des formes pulsionnelles primitives dans une
harmonie générale du Moi, du Surmoi et du monde extérieur, tout en
sauvegardant une bonne part de l'énergie libidinale. En tout cas il
s'agit d'une désexualisation qui est justement la modification du but
qui n'est plus sexuel mais utilisé dans l'intérêt du Moi.
Il propose de discuter une définition plus précise du fantasme et
comme autre point de discussion l'utilisation des termes analité, oralité
qui peuvent dire, suivant la conception de chaque auteur, n'importe
quoi... Il pense que la constellation particulière décrite par le confé-
rencier paraît plus répondre à des cas particuliers qu'à une structure
commune à tous les artistes. Ce n'est pas dans la pathologie qu'il faut
chercher la clef de la personnalité esthétique, mais dans un essai de
structuration particulière : les grands artistes ont souvent un Moi
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 781

souple nuancé et fort et nous sommes loin de pouvoir les considérer


comme des malades.
Après ces deux introductions, une vive discussion s'engage.
Dalibard fait quelques remarques concernant la notion de goût
et il croit que l'homme de goût, l'amateur d'art, est celui qui a par
rapport à l'art une attitude relativement distante.
Gillibert pense qu'il existe une articulation entre l'art et la science ;
et la psychanalyse est au premier rang pour rendre compte de cette
articulation. La psychanalyse a marqué des oeuvres d'art, soit par des
études critiques, soit par des essais de psychanalyse appliquée. Eh
prenant comme exemple Rimbaud et Proust il souligne des mou-
vements dynamiques de la création.
Fain considère que la sublimation est avant tout une garantie de la
stabilité des résultats thérapeutiques. Mais qui dit sublimation ne
dit pas toujours art. Les possibilités expressives caractérisant l'artiste
authentique échappent à notre investigation. D'autre part la notion
de plénitude ne semble pas prendre ses sources uniques dans une
fixation au stade oral. Par ailleurs chaque fois que la situation analytique
amène certains patients, qui avaient des sublimations authentiques,
bien que n'étant pas toutes de nature artistique, a aborder certains
fantasmes, la sublimation apparaît comme un véritable acting-out.
Fain pense qu'il s'agit là, dans une perspective économique, du même
système que nous retrouvons dans les perversions : la détente permet
ainsi le refoulement efficace d'une série de fantasmes qui avaient eu
tendance à s'élaborer.
Held est très reconnaissant aux psychanalystes qui s'intéressent à
l'art et à l'auteur. Il prend comme exemple l'art mexicain (les dieux
mexicains sont l'oralité même) et fait une démonstration très fine de
la sublimation dans cet art. Il insiste d'autre part sur la valeur sociale
de la sublimation.
Cahn pense que l'art est une tentative pour restaurer la plénitude
narcissique du plaisir et est en même temps une défense contre l'angoisse
de destruction (mort) par un accord réalisé entre le sujet et l'objet.
L'art restitue à l'Univers ses dimensions humaines et par l'émotion
esthétique qu'il provoque fait de cet Univers un moyen de communion
avec d'autres hommes aidant ainsi à lutter contre l'angoisse et la solitude.
Pasché clôt le débat et estime que c'est fausser la perspective de
l'investigation de l'activité artistique que de mettre en évidence la parti-
cipation de telle ou telle phase libidinale en niant la participation des
autres phases. Une oeuvre d'art réussie implique la mise en jeu de toutes
REV. FR. PSYCHANAL. 50
782 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

les pulsions partielles sans exception ; elle est au niveau de la promotion


génitale, et comme celle-ci elle réalise l'intégration de toutes les pul-
sions et c'est là sa richesse.
L'activité artistique est une activité, la plus normale qui soit. Les
psychanalystes peuvent et doivent remédier et expliquer les inhibitions
et les échecs de ces entreprises, mais le sens du beau et le secret de sa
création échappent; au psychanalyste. On pense généralement que les
analystes ont quelque chose à dire sur le secret de l'art : il n'en est rien.
Jean KESTENBERG.

Intervention de B. GRUNBERGER
Je félicite Gérard Mendel pour son étude qui constitue une contri-
bution aussi originale que substantielle à la théorie de la sublimation. Je
serais tenté d'ajouter que son exposé a pour nous — outre son contenu
intrinsèque — un intérêt multiple non seulement parce que le travail
analytique se rapproche de la création artistique et est par conséquent
tributaire des facultés de sublimation de l'analyste ainsi que j'ai essayé de
le montrer au Congrès de Barcelone, mais parce que les capacités de
sublimation de l'analysé sont un facteur important dans l'analyse et
dont nous avons presque toujours à nous occuper au cours d'une cure
analytique. Mais mon propos de ce soir n'est pas de vous présenter mes
propres vues sur cette question, il s'agit bien plutôt de reprendre l'idée
essentielle de la thèse de Mendel à laquelle je souscris du moins dans
sa portée générale ; je veux parler de la place centrale conférée par
Mendel à Voralité dans le processus de sublimation.
Je n'ai cependant pas besoin de dire — et Mendel le sait — que je ne
suis pas d'accord avec l'attribution des caractéristiquesde la sublimation
à la deuxième phase orale d'Abraham, la sadique-orale, qui pour moi
relève déjà de là phase suivante, c'est-à-dire de l'analité. Mais qu'en
outre il m'est difficile d'imaginer qu'un stade sadique où les objets sont
attaqués, coupés et broyés, aille de pair avec (je cite Mendel) « le caractère
global de l'objet perçu ; il n'est pas délimité, divisible ni anatomique-
ment, ni fonctionnellement : il est perçu comme un tout ». Si le stade
sadique-oral apparaît, comme le dit Abraham, avec la poussée dentaire,
il est difficile d'imaginer que ces instruments contondants que sont les
dents servent à une introjection globale de l'objet non mutilable, comme
le dit Mendel. Pour moi, c'est précisément le sadisme qui fait passer
l'objet (et le sujet) du flou et de l'illimité au défini et au précis.
En outre Mendel nous dit : « A notre sens cette phase orale secondaire
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 783

ne peut être entendue comme la confrontation permanente de ces deux


« totalités » que seraient, du point de vue supposé du
nourrisson, sujet et
objet. Cette vision d'une parfaite situation « à deux » où le sujet resterait
soi-même, intact face à un objet stable... nous paraît incompatible avec,
par exemple, l'indélimitation entre Soi et l'Autre qui apparaissent chez
ces patients faisant une régression orale » (fin de la citation), là encore
les caractéristiques de cette régression décrite par Mendel me semblent
inhérentes à la régression à la phase narcissique orale la plus primitive.
Au reste si nous sommes là dans une dissolution propre à la phase orale-
secondaire, comme le dit Mendel, que serait donc la régression à une
phase plus précoce encore ?
Mais je ne chicanerai pas Mendel sur des questions de terminologie
et je parlerai, moi, en termes de narcissisme oral de ce qu'il désigne
comme relevant de la deuxième phase orale. En effet, cet élément oral
me paraît à moi aussi décisif quant à la sublimation.

Mendel cite Freud qui « assimile sublimation et désexualisation »


et dit en parlant de la sublimation que « cette énergie provient de la
réserve de la libido narcissique, c'est-à-dire qu'elle représente une
libido (Éros) désexualisée ». Cette énergie est sans doute narcissique
non seulement parce que son origine est narcissique et qu'une fois
retirée de l'objet, elle ne peut que redevenir ce qu'elle a été et ce que
selon moi elle n'a jamais cessé d'être dans son essence, mais parce que
l'artiste l'utilise pour des fins typiquement narcissiques, soit parce
qu'il traduit ainsi son fantasme de toute-puissance comme le dit Mendel,
soit parce qu'il se répare (narcissiquement) en tant que sujet, comme
nous l'avait dit Janine Chasseguet au Congrès des Psychanalystes de
Langues romanes en 1963.
Tout ceci est conforme à Freud qui pense que « toute sublimation
s'effectue par l'intermédiaire du Moi transformant la libido sexuelle
dirigée vers l'objet en une libido narcissique et posant à celle-ci des
buts différents ». La discussion s'engage à partir de ce point quand il
s'agit de préciser le mécanisme grâce auquel le nouvel objet investi
par la libido narcissique deviendra oeuvre d'art.
Il s'agira d'abord de constater que — comme le rappelle Mendel —
la première relation objectale ne peut être de toute façon que la relation
objectale anale. Or, et c'est un point sur lequel j'ai eu l'occasion d'insis-
ter à maintes reprises, soit dans mes écrits soit dans mon séminaire,
784 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-I964

il existe au départ une antinomie fondamentale entre l'analité et le


narcissisme oral et la synthèse qui normalise les liens entre ces deux
facteurs et qui les intègre sur un mode complémentaire est le résultat
d'une évolution longue et difficultueuse. De toute façon l'artiste, sur
le plan de la création, est un régressé profond et la valeur fonctionnelle
même de sa création repose sur cette opposition antithétique et dialectique
entre le narcissisme oral et l'analité. Étant donné que le narcissisme ne
peut se manifester sans support pulsionnel — dans ce cas prégénital —
ce support ne pourra donc être que l'oralité.
Mendel souligne le rôle du fantasme dans la création et le caractère
oral de l'activité même de fantasmer. Il dit que « le fantasme n'est pas
réalisation du désir ; il est, quand il apparaît, désir réalisé ». Cette
constatation est à mon sens décisive car elle met l'accent sur l'essentiel
de la création. En effet, le fantasme est un désir dont la réalisation
a été opérée sur un mode particulier à achèvement immédiat et total
dont un aspect consiste dans l'évitement de la composante anale.
Je parle ici de la réalisation du désir par le fantasme et non de l'exé-
cution de l'oeuvre d'art, traduction du fantasme par l'artiste ; l'artiste
qui ajoute ainsi au fantasme fondamental une dimension formelle
obéit là à des motivations inconscientes secondaires au moins par
rapport au mécanisme fondamental aboutissant à la toute-puissance
fusionnelle et ceci au moment même de l'inspiration primitive, achevée
et complète comme le fantasme fondamental lui-même. Ainsi que le
dit Mendel « un narcissisme qui ne s'objectalise pas » (par l'artiste dans
sa création manifeste) et nous pouvons ajouter que — toujours dans le
cas de l'artiste — même s'il le fait, il ne le fait qu'apparemment. Le
sujet — dit Mendel — s'identifie à l'oeuvre (identification fusionnelle)
et nous le retrouverons dans sa création s'étant conféré une forme
narcissiquement satisfaisante. La création peut ainsi être considérée
comme une nouvelle naissance (analogie avec la situation analytique)
l'essentiel pour l'artiste sera donc de faire jaillir sa création en contour-
nant la participation sadique-anale ainsi que tous les dérivés de celle-ci
et je voudrais étayer la thèse essentielle de Mendel en reprenant ce
thème d'une façon un peu moins théorique.
Je tiens cependant à préciser tout d'abord qu'en insistant sur le rôle
exclusif de l'oralité, j'ai en vue l'inspiration de l'oeuvre d'art, l'élément
anal fournissant à la sublimation créatrice uniquement son support
matériel. Ainsi le sonnet d'Oronte est techniquement, donc analement
parfait si vous comptez les pieds et vérifiez les rimes et cependant
Alceste (c'est-à-dire Molière) avait parfaitement raison de l'avoir
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 785

relégué à la place qui lui convenait, c'est-à-dire aux cabinets. Il existe


une certaine peinture qui copie honnêtement la réalité et techniquement
elle est souvent irréprochable. Elle comporte même un élément d'enjo-
livement car on ne peut pas appeler autrement le sentimentalisme
pseudo-artistique et qui, dans sa qualité de formation réactionnelle
cache difficilement la composante sadique-anale brute dont le tableau
est l'incarnation. Aussi l'appelle-t-on une « croûte » ou un « navet »,
termes se référant à la fonction orale, mais par dérision et comme sous-
entendant qu'il s'agissait quand même de l'excrément et d'excrément
non-sublimé par le narcissisme oral.

Ella Freeman Sharpe a publié jadis (1) un article sur Science pure
et art pur où elle a montré que pour l'artiste, comme pour le savant,
l'oeuvre n'a aucune portée utilitaire. Or cette idée d'Ella Sharpe qui
est plutôt une constatation (Jean Cocteau disait : « La poésie sert
peut-être à quelque chose, en tout cas, je ne sais pas à quoi »), exprime
l'essence même du narcissisme et de l'oralité par rapport à la composante
anale. C'est une idée qui « ne va pas dans le sens de l'histoire », et
dont on dirait volontiers aujourd'hui qu'elle est « de droite ». C'est
pourquoi « l'art pour l'art » est estampillé comme une formule
décadente.
Voici cependant un texte qui défend la gratuité de l'art : « L'écrivain
ne considère nullement ses travaux comme des moyens. Ils sont leur
but propre. Il y voit si peu un moyen qu'il sacrifie son existence à leur
existence quand c'est nécessaire, à peu près comme le prédicateur de la
religion érige en principe qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ».
Paroles profondes qui montrent le caractère narcissique-oral autonome
de la création sans oublier la référence à la religion, c'est-à-dire à la
projection narcissique de la toute-puissance. Ce texte est de Karl
Marx (2). L'idée de l'intégrité narcissique implique un accomplisse-
ment narcissique qui a sa justification en soi, le sujet tirant sa satisfac-
tion narcissique de sa valeur propre, reconnue comme telle par les
autres mais non créée ni octroyée par eux pour des mérites qui ne sont
pas déductibles de l'essence même de la création. Le but de l'oral sera
donc de supprimer tout élément anal de sa source d'inspiration, celle-ci

(1) Collected Papers on Psycho-Analysis, Hogarth Press, 1950.


(2) OEuvres philosophiques, « La Liberté de la Presse », Éditions Costes.
786 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

étant sublimation, c'est-à-dire « sublime » (= élevé ou « pur ») (1).


L'utilité — pour revenir à l'idée d'Ella Sharpe — est d'essence
anale et aucune réalisation n'est possible sans que le réalisateur n'ait
recours à la composante anale. C'est l'analité qui délimite et précise,
met en place, organise et tire parti des objets pour le mieux. Or, rien
ne peut irriter autant un artiste que si on lui demande en désignant son
oeuvre : « A quoi ça sert ? » ou bien : « Qu'est-ce que c'est ? », « Qu'est-ce
que ça veut dire ? » Ce sera pareillement pour lui une hérésie que de
vouloir lui acheter un tableau pour en décorer sa maison, en somme
chaque fois qu'on fait allusion à un élément quelconque de la réalité.
Tous les éléments de la réalité l'irritent parce qu'ils introduisent dans
son oeuvre cet élément anal qu'il veut éviter. (Cette idée est illustrée
d'une façon qui joint l'humour à la révolte par l'expositiond'une machine
extrêmement compliquée et qui est appelée par son créateur : « machine
ne servant à rien ».) Quand le sculpteur César prend une voiture, la
met dans un compresseur et ensuite expose la masse de ferraille qui
résulte de l'opération, il emploie certainement un procédé discutable
mais qui contient un certain nombre d'éléments à signification incons-
ciente et qu'il serait utile de connaître. On peut ainsi supposer qu'il a un
plaisir sadique à réduire la voiture à la ferraille ainsi qu'en trouvant
des amateurs qui la lui achètent à un prix élevé. Mais derrière tout cela
il touche quand même à l'idée de la pureté de la création. Car alors
que l'anal accroche son jugement de valeur à l'utilité, lui a créé une
oeuvre en détruisant l'utilité de l'objet.
L'artiste investit son oeuvre mais uniquement en fonction de la
finalité de sa création qui est de lui assurer son intégrité narcissique.
Or, celle-ci déborde sur la valeur intrinsèque de l'oeuvre en tant que
telle et plus grande est la marge entre la matérialité de l'oeuvre (qui
sera constituée par exemple de la toile du cadre de trois roses ou de
quatre carrés verts) et ce que la signature du peintre y ajoute, et plus
son accomplissement narcissique sera satisfaisant. Cet accomplissement
peut être multiplié encore par la reconnaissance ou la confirmation
narcissique du public, reconnaissance sanctionnée par le prix du tableau
et quoi de plus rassurant de ce point de vue — pour mentionner un cas
extrême et en faisant la part du facteur mystification — que la vente

(1) Une oeuvre d'art est toujours chaste, non seulement quand il s'agit de Botticelli ou de
Rossetti mais même dans le cas de Boucher ou de Fragonard. L'artiste peut avoir une vie riche
en manifestations pulsionnelles, son oeuvre peut avoir un contenu agressif ou sexuel, les pulsions
en question seront toujours exprimées sur un mode qui, dans son essence, ne pourra être que
narcissique-oral. L'artiste créera ainsi de soi-même une image dont l'essence est orale-génitale
comme le dit Mendel, mais dont la conflictualité (sadique-anale) a été comme contournée.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 787

par le peintre, au prix élevé, d'une surface blanche unie encadrée. Rien
pour le substrat matériel mais tout pour lui. Cependantle caractère à la
fois absolu et inestimable de l'oeuvre d'art est totalement annulé dès qu'il
passe dans la dimension anale du circuit commercial : les marchands
de tableaux vendent les toiles aux points, autant dire au mètre.
L'artiste ne doit pas sortir de son univers narcissique-oral et lorsqu'il
fait mine de quitter sa tour d'ivoire, habitacle très décrié par tous ceux
qui n'y habitent pas, il le paie quelquefois de sa vie laquelle est déjà
assez fragile sans cela (voir Maiakowski ou Essenine). L'Art ne peut
pas être utilisé ou alors ce n'est plus de l'art et l'artiste qui met son art
au service d'une cause ou d'un intérêt, perd sa capacité créatrice authen-
tique. Que l'on compare ce que tel artiste a produit lors de son enga-
gement et en dehors de celui-ci et l'on mesurera la différence, qu'il
s'agisse d'un Aragon, d'un Guillevic, ou d'un Eluard, mais aussi de
Jozsef Attila voire de Rimbaud.
Pour cette même raison, il n'existe ni art dirigé (ni science d'ailleurs),
ni création collective, à moins que l'on ne donne un label d'artiste
d'après des critères qui n'ont rien à voir avec l'art. L'opposition entre
le facteur narcissique-oral et le facteur anal est décisive pour l'artiste
mais elle se reflète également dans l'attitude de son antagoniste, le
sadique-anal et que sa structure même détermine à être en quelque
sorte le négatif de l'oral, la rencontre de ces deux structures diamétra-
lement opposées ne peut qu'engendrer des tensions et de toute façon
rend toute compréhension réciproque impossible. Mendel a rappelé
cette différence en opposant l'érudition (élément anal) au « goût » facteur
oral comme son nom l'indique, et s'il a rappelé que ni Cézanne ni Van
Gogh parmi tant d'autres n'ont été reconnus par la critique, c'est pour
montrer l'abîme impossible à combler qui sépare l'artiste du critique,
l'oral de l'anal, étant donné qu'ils n'appartiennent pas à la même famille
spirituelle. En effet, l'essence de l'oeuvre se communique par « une
certaine saveur » du vécu (Mendel rappelle la fameuse histoire de la
madeleine de Proust), découverte par l'artiste dans l'inconscient et qui
désormais en fait partie non plus profondément cachée mais dans un
état communicable. Mais l'artiste tend à établir une communication
d'Inconscient à Inconscient en s'affranchissant le plus possible du sup-
port matériel (Poèmes sans paroles, roman sans histoire, peinture sans
modèle...).
S'il utilise un modèle c'est pour se distancer de lui et se réfléchir en
lui sur un mode narcissique. Gerhard Adler écrivait dans Psyché
(sept. 1963) : « Ainsi nous apparaît l'effacement de plus en plus accentué
788 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

de l'objet dans l'art pictural des trois dernières générations, la référence


de plus en plus croissante à l'imaginaire, au symbole, à l'associa-
tion libre et à l'image onirique dans l'oeuvre d'art, comme une ten-
tative toujours croissante de considérer son monde interne aussi impor-
tant sinon davantage que le monde extérieur, le monde objectai. »
(Nous savons que ce progrès de libération narcissique se limite à
une partie de l'humanité et qu'à travers le différend peinture abstraite-
réalisme socialiste, l'antinomie narcissisme-analité jette son ombre sur
le globe terrestre lui-même ; raison de plus pour nous, analystes, de
l'intégrer dans l'ensemble de nos préoccupations.)
Si j'ai tenu tant à souligner le rôle exclusif du narcissisme oral dans
l'inspiration de l'artiste, c'est parce qu'il me semble que c'est la position
dialectique entre narcissisme oral et analité, qui nous permet de cerner
la nature du bonheur élationnel du créateur et qu'il s'agit, par consé-
quent, d'effectuer un clivage entre ces deux facteurs.
Mendel parle de la deuxième phase orale parce qu'il lui est diffi-
cile probablement de ne pas tenir compte de l'immense agressivité et
érotisme anal qui sous-tendent l'activité créatrice, mais comment
comprendre la coexistence de la félicité de la création avec la pulsion
sadique-anale ?
Mendel parle d'ambivalence ; mais peut-on concevoir un état nar-
cissique fusionnel sous le signe de l'ambivalence ?
Aussi bien devrons-nous séparer radicalement l'analité du narcis-
sisme oral ce qui nous amène tout naturellement à la phase orale préam-
bivalente narcissique.
Bien entendu, l'agressivité et l'ambivalence par conséquent, existent
chez le créateur et ceci dans une très large mesure, mais c'est précisé-
ment le caractère absolu de sa régression narcissique-orale qui lui
permet de l'utiliser sur le plan énergétique sans que la source orale de
son inspiration s'en trouve altérée. C'est même le contraire qui se passe,
c'est son analité qui « s'oralise » dans une certaine mesure, processus ana-
logue dans son aspect pulsionnel à celui que Michel Fain (1) a décrit
au sujet de l'hystérique qui « saute » sa phase anale comme si elle n'avait
jamais existé. Mais chez le créateur il ne s'agit pas d'un refoulement,
au contraire, la présence de l'élément anal est manifeste, il est comme
englobé dans l'oeuvre dont il constitued'ailleurs la charpente même et son
contenu essentiel. Quelle est donc l'origine de ce tour de passe-passe ?

(1) Discussion du rapport de B. GRUNBERGER sur : La situation analytique et le processus


de guérison.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 789

Mendel consacre un paragraphe au « père spirituel » et, en effet,


cette figure paternelle joue un rôle décisif dans la sublimation. Mais je
ne pense pas qu'il s'agisse du patrimoine artistique ou scientifique ou
de la tradition comme il le dit.
Certes, le créateur se construit à l'aide de ces éléments mais son
narcissisme exigera de lui qu'il atteigne à la maturation narcissique
comme je l'ai définie dans mon travail sur l'image phallique.
Ainsi donc, après avoir absorbé la science de ses maîtres, il sera
amené à les dépasser, voire à les combattre pour se dégager d'eux (1).
Or ce combat sera soutenu par son idéal narcissique qui se confondra
avec sa vocation, son amour de l'art, etc. La figure paternelle spirituelle
c'est — à mon sens — tout bonnement son idéal du Moi narcissique
et c'est la protection et l'amour de cette figure paternelle puissante qui
déconflictualisera sa composante anale en ce qu'elle est toute au service
de son idéal du Moi narcissique. Ou en d'autres termes : ce qui est sublimé
c'est l'analité, mais ce qui sublime c'est le facteur narcissique-oral.
L'opération ne réussit d'ailleurs pas toujours et même à peu près
jamais d'une façon absolue. Le combat est dur et nous en rencontrons
les éclopés parmi les cas graves en analyse ; dans ces analyses, les
conflits pulsionnels dénient comme dans les cas ordinaires et nous
voyons en général l'OEdipe très profondément culpabilisé aussi bien
que des conflits prégénitaux d'une intensité particulière. Mais ce qui
décidera du résultat thérapeutique chez les créateurs, c'est la norma-
lisation de la composante narcissique spécifique, source de leur
inspiration.
En terminant, je désire renouveler mes félicitations à Gérard Mendel
dont le travail, riche en réflexions subtiles et en aperçus intelligents
nous fait souhaiter qu'il vienne encore, par d'autres études, affronter
et compléter le passionnant sujet qu'il nous a présenté ce soir.

Intervention de P. LUQUET
La recherche de Mendel me paraît louable dans la mesure où elle a
échappé à une tentative d'explication psychanalytique trop circonscrite.
Le désir d'intégrer son propos dans une perspective lui donne de l'assise
mais complique aussi sa tâche et elle nous amènera à discuter de nouveau
des grands problèmes de la théorie psychanalytique elle-même. Il a

(1) Voir le livre de GUSDORF, Pourquoi des professeurs? qui décrit les rapports du
maître et du disciple.
790 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

échappé aux solutions faciles que l'on peut proposer pour n'importe
quel problème psychanalytique à condition de l'isoler et d'oublier de
montrer les connexions avec ceux qui le bordent. L'autre danger est de
donner une explication partielle ou occasionnelle d'un phénomène en
le généralisant trop vite. Nous aurons à nous poser la question quant
aux conclusions de l'auteur.
Je proposerai donc de discuter un certain nombre de concepts qui
me paraissent indispensables de préciser, pour le propos même de
l'auteur et pour notre intérêt à tous. Tout d'abord, Mendel centrant
sa recherche sur la sublimation, il paraît utile de s'arrêter un instant
sur cette difficile question trop confuse. Dans Freud même il demeure
une certaine ambiguïté dans la mesure où la recherche de rapproche-
ment théorique et d'une synthèse plus vaste a amené celui-ci à affadir
sa première conception. Celle-ci est lumineuse et sa simplificationgéniale.
La sublimation existe quand il y a déviation des buts sexuels. Il la dis-
tingue (1914) de l'idéalisation qui concerne l'objet. En quelque sorte
il s'agit d'une variété particulière de déplacement qui permet d'intégrer
des formes pulsionnelles primitives, des tendances prégénitales, dans une
harmonie générale du Moi, lui permettant de bons rapports avec son
Surmoi et avec le monde extérieur, tout en sauvegardant une bonne
part de l'énergie libidinale. Mais Freud commence d'être inquiet du
sort du concept de libido sexuelle qu'il a créé et se demande s'il y a
quelque chose qui se modifie dans cette libido, tant dans sa genèse que
dans son évolution. Il rapproche le mécanisme de sublimation de
celui de l'identification et même de la formation réactionnelle et dit
que dans tous ces cas il y a désexualisation. Sa pensée me paraît claire
et je l'interprète différemment de Grunberger, je crois. Cette désexuali-
sation est justement la modification du but qui n'est plus sexuel mais est
utilisé dans l'intérêt du Moi. Une tendance psychanalytique le comprend
autrement — l'extrême en est Hartmann. Il y aurait un changement de
nature de la libido et — on ne peut rester à mi-chemin dans une telle
position — ce serait une neutralisation de la libido, ce qui, remarquons-le,
est très rassurant pour qui s'inquiéterait de la « pansexualité freudienne ».
Il y a alors contradiction avec la simple modificationfdu but. Ce qui permet
à ces auteurs un tel point de vue qui, à mon sens, appauvrit considéra-
blement et la valeur clinique et la richesse théorique, est une autre
proposition freudienne : il y aurait dans ces cas transformation de la
libido objectale en libido narcissique. S'agit-il d'un changement de
nature de la libido — ou bien là encore l'investissement est-il caractérisé
par ce à quoi il s'attache, c'est toute la question. Ce soir je n'en dirai
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 791

qu'une chose : je me rapproche de Grunberger en pensant que « le


détour par l'objet », l'investissement objectai, se fait aux dépens de la
masse énergétique primitive, de ce qu'on peut appeler la libido narcis-
sique primaire. J'ajoute qu'elle acquiert alors des qualités particulières.
C'est cette énergie qui retourne dans le Moi et enrichit certaines « fonc-
tions » en permettant au Moi de libidiniser, par un déplacement, cer-
taines de ses attitudes en tenant compte de la génitalisation du Moi, de
l'autre, du monde extérieur et des dernières intégrations réalisées avec
l'aide du Surmoi. C'est dans ce sens que la libido est alors secondaire,
même si revenue sur le Moi elle peut être dite narcissique.
Le second point de discussion que je proposerais comme préalable
est une définition plus précise du fantasme. J'ai souvent eu l'impression
en lisant le texte de Mendel qu'il l'emploie dans le sens que j'ai cherché
à limiter de relation imagoïque inconsciente. Dans ce sens il correspond à
une certaine forme d'investissement de l'objet interne qui définit ce
qu'on a coutume d'appeler la relation d'objet. Ici « fantasme » corres-
pond à la forme la plus primitive du Moi, c'est la première recherche de
l'objet sous l'aspect de la réalisation hallucinatoire du désir. Je ne crois
pas qu'on puisse passer sans transition de ce premier concept aux for-
mulations des « fantasmes » dans l'oeuvre d'art. Il y a toute une série
d'organisations structurales qui se modifient en s'élaborant. Le fantasmé
de l'adulte et du grand enfant est une savante organisation du Moi le plus
souvent consciente, bien que pouvant à tout moment être refoulé. Il
est loin d'être sans rapport avec les premières organisations du Moi
redevenues inconscientes puisqu'il cherche souvent à les exprimer mais
il tient compte de bien d'autres facteurs — entre autres des images
compensatrices qu'il a créées de ses objets, de sa propre image idéalisée,
du Surmoi, de nouvelles nécessités libidinales, etc. On est loin du fan-
tasme primitif défini comme réalisation hallucinatoire du désir : ce n'est
que dans le délire, de structure bien différente, que le fantasme va tendre
à sa forme primitive. Ne pas assez préciser risque de mettre en péril
la valeur des conclusions dégagées.
Le troisième point que je voudrais aborder est l'utilisation des
termes « analité », « oralité » dans des sens très variés qui dépendent de
la conception théorique de chaque auteur et qui permettent généralement
de dire n'importe quoi, c'est-à-dire de ne plus rien dire. En effet on peut
se référer à un auteur précisant chacune de ses positions et se définissant
un langage par exemple. Pour Grunberger l'oralité est sans conflit, l'objet
naît avec l'analité, etc. Des définitions particulières nous interdisent toute
pensée déductive à partir des prémisses, puisque celles-ci sont variables.
792 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Je ne suis pas sûr que les mouvements oraux du Moi soient simples
mais je pense bien qu'il est impossible de parler de l'analité comme un
tout. Il y a une analité (et c'est là qu'on voit l'utilité de parler en termes
de mouvements structurants du Moi plutôt qu'en termes de stade
exclusivement libidinal), une analité dis-je qui intègre les différents
mouvements de l'oralité, d'une façon relativement harmonieuse, qui
prépare l'évolution ultérieure. Il y a une analité qui a peur de ses conflits
oraux actualisés, qui structure un Moi se ressentant dans un état de
danger permanent, qui se spasme et se fige dans une série de défenses.
Ce sera par exemple une forme préobsessionnelle qui va tendre à
s'accrocher à la causalité, à une ébauche de logique, à une certaine réalité,
comme à des bouées de sauvetage. A l'inverse l'analité qui sait organiser
les fantasmes de structure orale et les manier en les élaborant, me paraît
déboucher tout droit dans la création esthétique. Que l'inspiration ait de
profondes racines orales c'est certain, mais la forme primitive d'inspi-
ration d'origine orale est commune à tous les régresses oraux que nous
connaissons en clinique et qui ne sont en rien des créateurs d'oeuvres
d'art. Il n'y a rien de spécifique dans cette racine. Un homme a écrit
à onze ans un éloge de la constipation en même temps qu'un essai sur Le
Cid. Quelques lustres plus tard il produisit Madame Bovary. La lecture
de la correspondance de Flaubert est la plus belle description de toutes
les intégrations possibles de l'analité qui constitue l'essence même de la
structuration esthétique. L'oeuvre d'art apparaît entre autres comme
une image du Moi intégrant le maximum de libido dans une forme
satisfaisante qui enrichit le Moi sans l'inquiéter. Grunberger cherche
à séparer l'inspiration orale de la technique. L'artiste ne se pense qu'à
travers sa technique, c'est elle qui le spécifie en permettant l'accès à
l'inspiration commune. J'aimerai mieux parler de liberté anale devant le
jaillissement oral.
Si c'était ici le lieu je ferais remarquer qu'il n'y a pas qu'une analité
agressive mais aussi une analité constructrice « moulante », une analité
active, une analité de conservation, une analité d'expulsion et sans doute
justement, dans l'analité, la possibilité de commencer à dissocier ces
diverses formes et leurs divers agencements. D'une manière générale il
me paraît invraisemblable de tenter d'expliquern'importe quelle structure
adulte sans qu'elle intègre plus ou moins les différents plans génétiques.
Je pourrais discuter bien des détails, mais ceux-ci me paraissent
moins importants. Un artiste dont l'objet ne serait pas constitué à la
puberté serait à l'asile s'il n'était mort. Peut-être devrait-on parler
d'une meilleure structuration de l'objet ?
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 793

N'y a-t-il pas d'une manière plus générale une confusion — si


fréquente — entre la régression du Moi qui entraîne une destructuration
de sa forme et aboutit par exemple aux tableaux cliniques des grands
régresses oraux psychotiques ou prépsychotiques, et l'utilisation
régressive de positions libidinales dans la mesure où le Moi se le permet ?
Cette possibilité peut très bien être due à une force particulière du Moi
qui se permet de jouer avec ses régressions — ou bien à une facilitation
de celles-ci par un Moi dont la structuration est atypique et plus ou
moins pathologique. Mais la réalisation esthétique vraie implique
toujours une forte organisation spécifique qui est un processus d'adap-
tation, voire de guérison, si besoin est.
La constellation particulière que nous décrit Mendel me paraît
plus répondre à des cas particuliers qu'à une structure commune à
tous les artistes. L'accent qu'il met sur l'homosexualité, sans bien la
préciser, me paraît plus caractéristique de l'adolescence que de la
position esthétique. L'importance du rejet du père remplacé par un
maître spirituel est peut-être capitale pour certains artistes et d'une
manière générale pour tous les créateurs. Je verrais plutôt une parti-
cularité de la structure artistique dans la possibilité de tout introjecter
dans un domaine particulier, c'est-à-dire d'être ouvert oralement et
analement, de tout métaboliser et de tout pouvoir projeter dans la
mesure où ces introjections ne sont pas indispensables mais seulement
utiles pour le Moi. Contrairement à Mendel. ce n'est pas dans la patho-
logie que je trouverai la clef de la personnalité esthétique, mais dans un
essai de structuration particulière qui peut s'appliquer à des Moi
de niveau différent — les plus grands artistes ayant souvent un Moi
souple et nuancé, ce qu'autrefois on appelait un Moi fort (1).
Vous le voyez, j'ai soulevé des points de désaccord avec l'auteur
afin d'animer la discussion, ce qui était mon rôle. Ceci dans mon esprit
ne retire rien à l'effort d'analyse d'un sujet extrêmement délicat et à
l'enrichissement que nous apporte une méditation si longuement pour-
suivie. Certaines perspectives telle l'oeuvre d'art « comme ensemble »,
nous font avancer dans l'étude de la relation de l'auteur avec son oeuvre,
mais je laisse la parole à tous ceux qui vont dégager tout ce qui est
constructif dans cet essai.

(1) Voir La fonction esthétique du Moi, in Revue française de Psychanalyse, 1963, n° 6.


794 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Intervention du Dr DALIBARD
Je voudrais limiter mon intervention, étant donné l'importance du
sujet, à quelques remarques concernant la notion de goût.
Mendel dit que « Érudition n'est pas goût ». Mais j'ajouterai que
le goût n'est pas l'art forcément. Or tout au moins je crois qu'il existe
un malentendu ; je crois que l'homme de goût, l'amateur d'Art de
l'enseigne de Gersain du XVIIIe siècle par exemple, est celui qui a
par rapport à l'Art une attitude relativement distante en cela même
qu'il pourrait à la rigueur s'en passer comme la plupart des hommes le
font d'ailleurs. Et si le goût évoque bien l'origine orale de la subli-
mation, il n'en reste pas moins un terme assez faible et plutôt passif.
Ne dit-on pas aussi goûter du bout des lèvres ce qui semble se rapporter
mieux à l'amateur qu'au peintre lui-même qui a, tout de même, plus
que du goût pour la peinture.
Ceci ne veut-il pas dire que la sublimation orale est réussie chez
l'homme de goût, l'homme classique, achevé, qui d'ailleurs goûte
bien d'autres choses que l'Art.
Par contre, je me demande si beaucoup de peintres si prodigues
et manquant d'analité, même s'ils ont franchi tant bien que mal les
différentes étapes de la personnalité, n'en conservent pas moins une
importante fixation orale que leur vie de dépendance dans la société
accuse, sans pour autant nier leurs identifications anales. On peut
penser, comme le dit Grunberger, que la conflictualisation anale,
semble avoir été en partie contournée.
D'autre part, cet artiste ne retrouve-t-il pas, ayant constamment
recours à la création d'images mille fois créées et rejetées (Soutine
en particulier lacérait, déchirait souvent ses oeuvres) ramené, reconfronté
avec cette vigoureuse manipulation l'objet « Mère » sadiquement
captivé, qui a été l'essentiel de son activité physique puis fantasmatique
dans sa lutte contre l'angoisse de séparation. Mais il est à noter que
lors de la phase orale et sadique-orale, il y a une activité de la main
importante dans la préhension du sein et quand je dis physique, je
pense à certains peintres qui donnent l'impression de transposer dans
leur activité manuelle cette manipulation de la « mère » dans une
saisie jubilatoire du matériau même de la peinture qui leur donne une
intense satisfaction vécue plutôt sur le mode de l'introjection.
Par ailleurs, l'art étant accepté par la loi comme métier, la tradition
des « pères » dont parle Mendel sera importante, mais à mon avis
moins qu'il ne le dit, surtout dans la peinture spontanée, expression-
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 795

niste qui s'est fait une place importante de nos jours et qui s'oppose à
la création élaborée des grands peintres classiques par exemple.
Il me semble que cette peinture expressionniste Fauve, voire
abstraite, pourrait prendre ses sources dans un univers plus marin,
plus mouvant, soulignant peut-être une nostalgie d'union narcissique
avec la mère, source auprès de laquelle les peintres restent souvent
ramassés.
Dans un autre ordre d'idées on peut se demander si parfois un
certain art, appelé « réactionnaire » ou « romantique », en cela qu'il
ignore la loi du moment, n'est pas une tentative de substituer à
l'OEdipe d'autres modèles de destins, sortes de solution de rechange,
garantissant dans son imperfection même une certaine liberté et
constituant une intégration, une sublimation des pulsions partielles trop
tumultueuses.

Intervention de Jean GILLIBERT


Il n'est pas possible de mettre en étude ce que la psychanalyse
appelle « les processus de sublimation » sans se référer constamment,
comme terme et comme moyen, à l'oeuvre créée. Ceci n'étant valable,
bien entendu, que pour la sublimation artistique. Si l'oeuvre ne ren-
voyait qu'à l'homme, on commettrait l'illégitime erreur de Sartre
pour Baudelaire et on manquerait de ce fait l'essentiel du créé. La
tentative de Mendel va plus loin dans l'acte et l'élaboration psychique
du créé artistique, mais s'il remue dans l'oeuvre gestante des couches
par lesquelles elle s'est faite sous les yeux du créateur et par lesquelles
aussi elle se fait sous les yeux de celui qui la contemple, son tir est
néanmoins trop court, car l'oeuvre dans sa forme, dans son sens, dans
sa visée, est abandonnée à la réduction psychanalytique.
Il existe, cependant, une articulation entre l'art et la science
et la psychanalyse me paraît sans conteste au premier rang pour
rendre compte de cette articulation, car elle retient de l'oeuvre le
mouvement de vie qui l'a fait naître. Elle ne sauvegarde l'oeuvre
qu'à la condition expresse de lui rendre sa positivité essentielle, ses
obscurités, ses pouvoirs de métamorphose, d'avatar, de probable et de
possible.
Elle perd tout crédit si elle confond articulation et réduction
— ou réification — ou transparence. La connexion est étroite entre
individu et oeuvre, mais dans ce dialogue, c'est l'oeuvre qui doit ouvrir
l'homme et le tirer vers elle et non le contraire. La critique psychana-
796 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

lyrique doit rendre compte de l'oeuvre par mutation additive et non


par soustraction. C'est ce qu'avait immédiatement compris et énoncé
Freud, en délimitant lui-même le seuil en deçà duquel on voulait
qu'on l'entendit et non au-delà.
Une certaine critique littéraire est née de lui, de ses essais de
«
psychanalyse appliquée ». Il a donné naissance à un courant extrême-
ment riche et profitable, soit par des études d'obédience psychana-
lytique — Beaudouin, Marie Bonaparte, Laplanche, Marthe Robert,
Ch. Mauron — soit à une attitude de pensée largement inspirée de la
psychanalyse et là il faudrait citer toutes les écoles de critiques litté-
raires actuelles (Bachelard, l'école de Genève avec Marcel Raymond,
J. Rousset, G. Poulet, J. Starobinski, etc.)
L'attitude de Freud devant l'oeuvre de création mériterait d'amples
analyses. C'est déjà une grande écriture de critique et une grande pensée
aux prises avec d'autres grandes pensées, ainsi redécouvertes : qu'on
se rappelle le Léonard, la Gradiva, les pages extraordinaires qui
débutent l'essai sur les Trois coffrets ou encore le bouleversant Moïse
de Michel-Ange.
Car si Freud a su théoriser le processus de sublimation artistique,
en restituant à l'oeuvre créée son caractère essentiellement positif,
d'avancé, d'incontournable, c'est qu'il a rattaché ce processus au nar-
cissisme du Moi, pouvant écrire ainsi que le « narcissisme du Moi
est un narcissisme secondaire dérobé aux objets » (c'est moi qui souligne).
C'est l'histoire de cette dérobade — dans le sens de ce qui est dérobé et
à la fois de ce qui se dérobe — qui fonde la créativité artistique. Les
« objets » sont inépuisables de sens, ils sont même au-delà du sens
puisque réels et c'est à l'art de marquer de cailloux cette route du sens
— multiple, advenu et fugace — qui pénètre jusqu'au coeur de l'objet.
Sinon ce serait confondre sublimation et compensation — ce que l'on
fait si souvent. Il y a des artistes classés par nous comme psychotiques,
névrotiques, pervers. Ce n'est pas cet inachèvement qui fonde leur
oeuvre mais le retentissement fantasmatique de cet inachèvement dans
leur oeuvre. Il ne peut pas y avoir juxtaposition entre psychose, névrose,
perversion et création.
Même la référence au « père spirituel », si justement décrite par
Mendel, ne peut rendre compte du saut nécessaire par quoi passe un
matériau humain à une oeuvre qui pose l'humain. Il faut méditer à ce
niveau, cette parole de Platon à propos des mythes, que je pense, n'eût
pas désavoué Freud. « Ça n'est pas vrai, mais il y a quelque chose de
plus ou moins semblable qui est vrai. » Aussi quand Mendel fait de
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 797

l'oeuvre d'art un « fantasme haussé au phénomène de culture », un « fan-


tasme sanctifié par la sublimation », et dit qu'elle se trouve (l'oeuvre
d'art) à « l'extrémité d'une même chaîne », qu'elle est « médiatisée par le
contenu et la forme » ou quand il dit encore que l'oeuvre d'art joue le
rôle équivalent à celui qu'aurait dû jouer le segment fécal ou le pénis,
je crains qu'il n'aborde l'oeuvre d'art que par ce qu'elle a de plus
solidifié, de pétrifié, qu'il ne réduise à l'extrême la qualité de la dérobade
et qu'enfin, il ne l'aborde que par la voie de la négativité la plus
absolue : le regret et la nostalgie.
Dans cette intervention un peu longue — j'en prends les risques —
qu'on me permette eu égard à ce que je viens d'énoncer, d'essayer de
tenir compte de ce « saut » créateur, me guidant pourtant par la démarche
de pensée psychanalytique. Je prendrai deux exemples de mouvements
dynamiques de création : Rimbaud et Proust.
« Inamicale et dure à conquérir
La renfermée à quij'ai échappé, la Mère
dit Hölderlin et Rimbaud :
Fils du soleil
Étincelle d'or de la Lumière Nature.

Nous voici dans l'essentiel, dans l'ouverture drue et directe du fan-


tasme et de l'objet primitifs.
Quand Rimbaud croit échapper à la mère — sa mère, « l'oeil bleu
qui ment » — cf. les fugues, etc., il la retrouve en nature — hypostasiée
— en muse — transfigurée.
Si « je est un autre », si « la vraie vie est absente », s'il se fait « voyant »,
c'est que l'immense monde maternel lui colle aux semelles, c'est qu'il
faut marcher, s'illuminer de nature, de mémoire (cf. le poème extra-
ordinaire « mémoire » le plus significatif sans aucun doute de la position
infantile de Rimbaud : « Mon canot, toujours fixe ; et sa chaîne tirée au
fond de cet oeil d'eau sans bords — à quelle boue ? »).
C'est qu'il faut, non pas rompre le lien, et cela malgré les appa-
rences biographiques, les accidents du curriculum, mais justifier ce lien
étouffant.
Rimbaud a été comme l'enfant des Églogues de Virgile, il n'a pas
eu droit à la table du jour, en raison d'abord de « Vitalie Cuif », sa mère,
étroite, rejetante, et rejetée, mère étrange, en vérité, nécrophile (elle
se faisait descendre dans le caveau de ses enfants) qui a toléré les cheveux
longs, les frasques, Verlaine, etc.
REV. FR. PSYCHANAL. 51
798 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Oui, la mère de Rimbaud a été sa muse, mais elle ne l'a été que pour
ce temps de crise de l'adolescence. Strictement l'adolescence, où le
monde du possible est radical.
Le début de l'activité poétique coïncide avec la déchirure pubertaire.
Le monde tremble alors devant la fureur de possession et de négation
à la fois, de cet adolescent génial qui parle pour tous les adolescents.
C'est beaucoup plus qu'une révolte et la contemporaine « Commune »
de 1870, un moment inspiratrice de la révolte, pâlit bien à côté du flot
puisant des instincts du jeune Rimbaud. « La réalité rugueuse à étreindre,
ô Paysan », voilà le programme ! Tout cela fondu dans un syncrétisme
mystico-poétique, ésotérique par occasion, mais des fantasmes, des
fantasmes — au sens freudien du mot — qui rivalisent avec cette pseudo-
réalité que peut être pour un adolescent le monde des adultes. Rimbaud
est certainement le poète qui, à travers sa quête du réel, a certainement
senti — tragiquement — l'urgence et l'immanence du fantasme.
Le fantasme est le signe de l'hypothèse du monde. Pour Rimbaud, il
fallait justifier l'univers maternel, justifier et sacraliser l'absence du
père : « le forçat intraitable », « l'oeil bleu blanc des Gaulois », « le Cim-
mérien ».
Tout existe dans Rimbaud : une force incalculable, que seuls le
langage et le travail de ce langage — car quel langage et quel travail ! —
ont pu endiguer ; un « être de rapidité et de gloire ».
Tout existe, toutes les perversions, orales, homosexuelles ; les subli-
mations brusques et décisives : « l'entreprise de charité » avec Ver-
laine, etc. Tout existe comme dans ce moment de l'adolescence où
toutes religions sont possibles et comme ré-inventées, mais tout est
bref. La muse maternelle est avare et reprend rapidement son bien.
Après 19 ans, Rimbaud n'écrit plus.
Pour nous, Rimbaud est une source inépuisable de compréhension
de l'adolescent qui se caractérise, à mes yeux, par une tentative de
sacraliser le réel, c'est-à-dire de lui donner une identité, celle de « jadis »
comme disait Freud. Les difficultés d'identification de l'adolescent
ne gravitent pas uniquement autour d'une génitalisation plus ou moins
adéquate mais pour parler comme Yves Bonnefoy de Rimbaud : « Son
génie n'est pas un dieu qui se tournerait vers l'homme, c'est l'homme
absolu, libéré, menant à bien au sein de sa propre essence, les migrations
plus énormes que les anciennes invasions. » Ces migrations, la psycha-
nalyse en trace les linéaments. Nous pouvons suivre la nostalgie et la
liberté de Rimbaud dans son oeuvre comme dans sa vie. Il voulait une
mère qui enfantât un « fils du soleil ». Tant il l'aimait cette mère — haïe —
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 799

qu'il s'identifia à elle et agit près de Verlaine, comme il voulait qu'elle


fut indéfiniment pour lui. Il a voulu faire de Verlaine, aussi, un « fils
du soleil ». Il voulait un fils — vraiment — il n'est que de lire le plus
bouleversant poème qu'on ait écrit dans notre langue, celui de « génie »
(Les Illuminations) mais c'est qu'il était parti — et resté — de cette
charge de la carence, de cette béance, de ce tison, la distance ; d'un
acte d'amour si plein, si proche, si maniable, de la mère pour son petit,
qui n'avait pas eu lieu. « Homme de constitution ordinaire la chair
n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger. O journées enfantes !
Le corps, un trésor à prodiguer ; ô aimer, le péril et la force de
Psyché ? »
L'exemple de mouvement dynamique qu'offre la création roma-
nesque chez M. Proust garde la particularité du déchirement profond
de la personnalité proustienne.
On a confondu indistinctement le héros et le narrateur du « temps
perdu » en raison, certainement, de l'apparence et du « je » hypersub-
jectif de l'écriture. Il faut cependant les scinder. Il y a le narrateur,
l'homme, l'écrivain Marcel Proust et le héros du livre, qui dit « je » mais
qui est un être fictif, né idéalement, créativement du premier.
Car on sait ce que peut signifier cette somme romanesque : per-
mettre à l'homme M. Proust d'écrire enfin un roman, quand ce héros
aura fini d'avoir récupéré la place et le lieu de sa mémoire.
Cette réduction, être fictif et être réel n'est pas seule en cause, l'oeil
naïf a toujours voulu réduire l'existence fictive d'Albertine à celle
réelle d'un Albert. Cette assimilation est plus que désobligeante. Elle
est grave car elle nie ce besoin et ce phénomène, de transmutation psy-
chique, nécessaire à la création romanesque, à l'acte sublimatoire.
Proust a eu le courage de cacher sa vie homosexuelle à ses parents,
il a eu le courage de l'assumer pour la postérité, il aurait eu le courage,
s'il l'avait fallu pour les besoins de l'oeuvre, de donner à « Albertine »
le visage qui pour lui, dans sa vie réelle, lui eut convenu.
Non, il s'agit d'autre chose.
Qu'on regarde la composition du livre : après le premier para-
graphe (Combray), Proust écrit le dernier (La matinée chez la Princesse
de Guermantes). Cela nous le savons par la fameuse lettre à Jacques
Rivière.
Entre les deux épisodes : le Temps, qui est chez Proust une destruc-
turation de l'Être. De Combray, il faut garder en mémoire le baiser
maternel, si chèrement acquis ; une situation oedipienne, où la mère
est prise au père au prix de quelle ruse, de quelle angoisse.
800 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Pour garder ce souvenir impérissable, ce lieu non moins impérissable,


il semble qu'il ait fallu à Proust courir dans le même temps, deux vies,
l'une quotidienne, atroce, d'un choix homosexuel profond, pervers,
l'autre, sublime, accordée au « je » du roman, d'un choix hétérosexuel
absolu.
Il a fallu cette vie pour que l'autre puisse en naître. Il a fallu le main-
tien de cette scène clef pour que la vie homosexuelle de l'homme,
Proust, soit justifiée. Mais pour garder et ne pas ternir ce précieux et
chaud souvenir : le baiser maternel.
Sur un autre registre et en contrepoint, l'oeuvre oscille entre deux
romans, François le Champi et Les Mille et Une Nuits. François le Champi
est une oeuvre qui conte un quasi-inceste et Proust n'a gardé des Mille
et Une Nuits qu'un Orient sombre, et mystérieux, «l'Orient de la pédé-
rastie » ou de l'esthétisme.
De même la jalousie possessive de tous les héros proustiens est
marquée de l'analogie de la jalousie possessive, véritable matrice de
l'acte créateur, de Proust enfant pour sa mère. Ce qui est encore plus
remarquable, c'est qu'à chaque fois qu'une rupture éclate entre deux
héros qui s'aiment (Swann-Odette ; Charles-Morel ; le narrateur-
Albertine) surviennent des figures de vrais créateurs (Elstir ; Vinteuil)
comme s'il fallait opposer, dans le schéma de la dynamique de la Psyché
proustienne, à la rupture des liens humains, la permanence d'une
oeuvre autre qui naît de la sublimation.
Il faut lire l'oeuvre de Proust comme un palimpseste ; la débarrasser
de l'appareil biographique trop sommaire et faussement évident. Tout
se passe à ce niveau de dédoublement, nécessaire au mûrissement de
l'oeuvre pour qu'à la fin de celle-ci, une autre oeuvre puisse commencer,
le vrai Roman de Combray qui ne sera jamais écrit, puisque c'est la
mort. Il avait fallu le double emploi de l'écriture — au sens d'une double
inscription — pour faire naître de leur accointement, de leur écart, le
temps, la mémoire, le langage.
L'oeuvre homosexuelle de Proust, c'est la mort, le temps perdu,
l'esthétisme, le pastiche, l'imitation. Quand le héros a fini de parler,
il cède la place à une oeuvre impossible, transcendantale, par quoi
l'oeuvre a été écrite et conçue : le signe de la mort. Proust d'ailleurs
s'est épuisé à cela et le dernier volume lui est posthume. — C'est le duel
d'Éros et Thanatos.
J'ai choisi à dessein ces deux exemples de sublimation créatrice,
tendue, forcenée presque pour transfigurer des pulsions et des instincts
souvent très régressifs et très violents. L'idéalisation de l' « objet »
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 801

sublimé n'en a été évidemment que plus poussée, plus sublime. Mais
par la grande loi d'analogie, qui fonde toute activité artistique, l'objet
est toujours là, primordial.
Le regard ou la présence de Rimbaud et de Proust sur le monde
de leur oeuvre se réfère toujours à une grande tension spirituelle. C'est
sans doute une caractéristique de l'esprit moderne ou contemporain,
qu'il faille se tendre à ce point de se rompre pour sauvegarder à l'objet
culturel sa présence analogique, sa possibilité d'avatar symbolique...
à tel point que dans la littérature actuelle l'objet n'est plus posé spiri-
tuellement, idéalement, que comme étant déjà mort (d'où cette litté-
rature romanesque dite, du regard, de la description), du constat
(d'huissier) ou encore de l'objet-simulacre. Cette négativité de la subli-
mation est déréalisante.
La grande pantomime de la Renaissance, l'appel à une nature
initiatique de Nerval, la tendance sourde mais forte de la poésie actuelle
acceptent à divers titres la possibilité d'un échange perpétuel entre
l'objet et soi, une aube, un crépuscule, une vie, une mort. L'art peut
y devenir le prolongement naturel d'un instinct et non plus seulement,
malgré toute la révérence au génie de Mallarmé : L' « aboli bibelot
d'inanité sonore. »

Intervention de M. FAIN
Le travail que nous a présenté Mendel intéresse particulièrement
les psychanalystes. La voie de la sublimation, quand elle s'ouvre
devant nos patients, apparaît comme un garantie de la stabilité des
résultats thérapeutiques. Mais, qui dit sublimation ne dit pas toujours
art. Il n'est pas rare de voir un de nos analysés se mettre à peindre
ou à jouer d'un instrument après déblocage d'une certaine énergie
instinctuelle jusque-là mobilisée dans un contexte dramatique répé-
titif. Les possibilités expressives, caractérisant l'artiste authentique,
échappent à notre investigation. L'être humain naît avec un potentiel
de dons et de tares qui joueront leur rôle dans l'appréhension ulté-
rieure du monde. Il est alors évident que celui qui dispose de possi-
bilités d'expression, qui en font une véritable fonction sensible et
expressive de la société, trouvera plus facilement que d'autres les
possibilités de retrouver l'illusion de sa puissance narcissique perdue
et de la faire partager à ceux qui l'admireront. Je pense que cet
aspect, qui a été illustré avec brio par Mendel, est indéniable. Il me
semble, cependant, qu'il ne s'agit que d'un aspect, central certes,
802 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

puisqu'il est fondé sur le don d'un individu profitant à la société,


mais qui ne réunit pas toutes les données posées par l'artiste et
son public.
La notion de plénitude, d'oeuvre complète, ne me semble pas
prendre ses sources uniques dans une fixation au stade oral. Je n'ai
pas l'intention d'élaborer une théorie divergente de celle proposée par
Mendel, mais de signaler d'autres modes d'abord qui ne me semblent
pas aller complètement dans son sens. L'oeuvre d'art, le tableau en
particulier est, au-delà de son contenu, à l'origine d'une sensation de
plénitude qui en fait un ensemble complet.
Ceci constitue pour Mendel une marque de sublimation d'un
érotisme oral. En étudiant avec C. David la fonction onirique nous
aboutissions à la conclusion que la synthèse du contenu ne se faisait
qu'au-delà de l'oralité. Je rappelle brièvement que nous avons décrit
un état de bi-partition originelle où se séparait un premier type d'éla-
boration concernant le visage de la mère, d'un autre concernant celui
de l'étranger. Autrement formulé il y a au départ coexistence, mais
non fusion de rêves de simple réalisation de désir, avec d'autres élabo-
rant l'angoisse liée aux pulsions prégénitales. L'évolution, lorsqu'elle
est heureuse, aboutit à une élaboration synthétique de ce qui était à
l'origine séparé. En fait, la génitalité par le retour des pulsions sur
les objets réels favorise cette synthèse. Nous avons tenté, par ailleurs,
de montrer que dans l'évolution d'une cure un pas en avant était marqué
lorsque le matériel, d'origine onirique, coïncidait dans sa structure
avec le matériel issu des associations. Dans ce cas, il y a résonance,
plénitude, justement parce qu'un mode de fixation orale n'est plus
prévalent. Au cours de ce rapport nous n'avons pas parlé d'objet
annihilant. Nous avons étendu la notion de névrose traumatique,
avec son cortège de sidération et d'élaboration stéréotypée, chaque fois
que le sujet se trouve dans une situation au cours de laquelle bon et
mauvais objet sont fusionnés d'une façon inextricable. Cependant,
dans ces cas, les psychanalystes d'enfants nous l'ont appris, les possi-
bilités d'élaboration fantasmatique ne sont pas pour autant automati-
quement sidérées, mais la forme humaine, le langage, ne sont pas
investis et une évolution peut se faire vers des activités abstraites,
véritable développement vers une analité désocialisée, qui n'est plus
l'oralité. Que l'artiste qui, dans son évolution a été pris avec ces graves
conflits précoces, puisse ultérieurement dans un art abstrait commu-
niquer ces émois étranges, il fera, grâce à ses dons artistiques, rentrer
dans le sillon ce qui avait tendance à s'en échapper. Là aussi, la pléni-
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 803

tude sera retrouvée. C'est dans ce sens que j'ai compris l'exemple de
la charrue cité par Mendel. D'une part, objet utilitaire, d'autre part
oeuvre d'art abstraite. Rationalisation et abstraction, deux formes
expressives immobilisant l'image du soc fendant et préparant la terre
grasse à la fécondation.
En conclusion de cette première partie, je dirai que je doute sérieuse-
ment que l'on puisse retrouver chez l'adulte cet émoi océanique à l'état
pur. Il s'agit toujours d'un contexte défensif, le sujet investissant
avec plus ou moins de possibilités et suivant des modes différents,
les objets ou les activités qui, en lui permettant de nier l'existence
d'une autre face du monde, lui autorise de revivre cette illusion. Un
artiste qui utiliserait complètement ce système de défense s'amputerait
de la partie la plus riche de son inspiration.
J'aborderai maintenant un autre point qui me vient du matériel
d'analyse. Chez plusieurs patients, qui avaient des sublimations authen-
tiques, bien que n'étant pas toutes de nature artistique, un mécanisme
de défense commun s'est manifesté. Chaque fois que la situation ana-
lytique les amenait à aborder certains fantasmes, l'activité sublimatoire
se manifestait, pompant toute l'énergie qui avait tendance dans un
premier temps à se lier aux dits fantasmes. La sublimation apparaissait
alors comme un véritable acting-out. Sans prétendre qu'il en est toujours
ainsi, il faut cependant remarquer qu'il s'agit là, dans une perspective
économique, du même système que nous retrouvons dans les perver-
sions : la détente permet ainsi le refoulement efficace d'une série de
fantasmes qui avaient eu tendance à s'élaborer. Ce mécanisme peut
même revêtir des aspects troublants. Un jour, un de mes patients fit
un conte, exposant avec beaucoup de talent l'essentiel de son noyau
conflictuel. Il le lut au cours d'une séance et il s'avéra rapidement que
cette rédaction n'entraînait chez lui aucune modification. Autrement
dit, cette réalisation n'avait entraîné aucune amélioration de son insight,
et il n'était pas possible d'assimiler ce conte et sa lecture à un matériel
qui aurait été associé librement. Par contre il y avait, dans cette relation,
un accent dramatique tel qu'il m'avait permis de sentir profondément
ce qui se passait chez mon patient. L'action qui accompagne un tel
acte sublimé, son exhibition, font génétiquement remonter cet ensemble
au fantasme agi devant les parents, alors que l'intégration en tant
qu'activité fantasmatique intériorisée exige une identification à l'obser-
vateur, dans le cas cité plus haut à l'auditeur. Se montrer, voir la réaction
de l'autre, en acquérir un sentiment d'existence, séquence qui carac-
térise l'exhibitionnisme, montrent la difficulté vécue à être l'observateur
804 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

de soi-même, c'est-à-dire à pouvoir assurer la régulation de sa self-


estime. Nous savons combien la possibilité d'assurer cette fonction
conditionne l'autonomie du Moi. Cette façon de voir infirme la
conception économique, au moins dans son aspect général, avancée par
Mendel, sur la question du fantasme. Il apparaît du moins dans ces
cas une difficulté d'intégrer la libido dans l'activité fantasmatique,
ce qui n'est pas la même chose. Être capable de faire sentir aux autres,
et d'une façon que l'autre est incapable d'élaborer lui-même, ce que
l'on ne peut pas ressentir soi-même est peut-être là encore un autre
mode de parvenir à ce sentiment de complétude caractérisant la ren-
contre de l'amateur et de l'artiste.
Je viens de faire allusion à l'exhibitionnisme. Il me semble en effet
difficile, à partir du moment où l'on parle de sublimation d'activités
perverses, de les ramener simplement à un érotisme oral sublimé.
Il ne fait aucun doute que cette fixation joue un rôle important, mais
la distorsion évolutive qui s'ensuit me semble également digne d'intérêt
et l'analyse de la surface vers la profondeur me semble une démarche
qui serait plus satisfaisante. Comment par exemple, une telle fixation
va être à l'origine d'un surinvestissement d'une tendance partielle
dans un premier temps puis de sa sublimation dans un second. Qu'est-ce
qui conditionne l'échec de la fonction synthétique du Moi qui se mani-
feste en même temps que le primat génital ? Comment cette fonction
synthétique est rétablie par la sublimation ? Il n'est pas dans mon
ambition de répondre à ces questions. Il me semble par exemple
qu'une élaboration riche et sublimée d'une tendance fétichiste permet
de faire se détacher, d'un fond harmonieux, le corps d'une femme,
une des mille possibilités de représenter le symbole phallique. C'est
aboutir sur le plan le plus superficiel à ce que Mendel décrit sur un
plan profond.
Enfin, au sujet du goût et de la culture, il me semble difficile de les
évoquer sans mettre au premier plan l'activité mentale inconsciente,
c'est-à-dire la richesse des condensations et l'aisance dans les possi-
bilités de déplacement.
J'ai pu apparaître critique envers le travail qui a été présenté ce
soir au cours de cette intervention. Je ferai remarquer que je n'aurai
pas rédigé à l'avance ce texte si je n'avais pas été très sensible à sa
lecture. L'intérêt et le respect que m'inspire une opinion qui ose se
formuler ne postulent pas mon accord aux vues qui s'y expriment. Le
travail de Mendel enrichit souvent, irrite quelquefois, mais n'ennuie
jamais.
LA SUBLIMATION ARTISTIQUE 805

Intervention du Dr R. CAHN
L'exposé de Mendel apporte une contribution neuve sur bien des
points et toujours enrichissante sur les processus de sublimation,
avec ce qu'ils comportent de spécifique à la création artistique et au
fait esthétique. Or le caractère même de la structure et la dynamique
inconsciente de l'artiste ou de l'esthète en tant qu'individu, avec son
histoire propre, entrent en résonance avec une certaine condition
humaine qui, sur le plan de la réalité vécue, rejoint les fantasmes les
plus archaïques pour donner à cette angoisse et à son dépassement sa
dimension à la fois universelle et spécifiquement humaine.
A partir du moment où son évolution lui permet de mieux apprécier
la réalité du monde, l'homme prend peu à peu conscience que celui-ci
est sans limite, incompréhensible, indifférent, avec à son terme la mort.
Il y a certes la ressource de l'univers magique du primitif, de la foi ou
des relations humaines ou de l'action. Mais ils ne suffisent pas toujours
à réduire l'angoisse de la solitude et de la destruction finale.
Pour étayer mon propos, je voudrais reprendre le texte classique de
Proust cité par Mendel, pour mettre l'accent sur certains de ses aspects
qu'il n'a peut-être pas suffisamment soulignés bien qu'ils complètent
sa démonstration. Ce « plaisir délicieux... m'avait aussitôt rendu les
vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté
illusoire, de la même façon qu'opère l'amour en me remplissant d'une
essence précieuse... J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent,
mortel ».
Ce monde extérieur illimité, froid ou hostile, les frustrations qu'il
apporte, la certitude de la destruction finale sont bien proches de l'uni-
vers de l'oralité avec sa dimension indéfinie, et sa menace d'annihilation.
Or, l'art constitue une tentative pour restaurer la tonalité de plénitude
narcissique du plaisir en même temps qu'un mécanisme de défense
contre cette angoisse, par l'accord réalisé entre le sujet le plus vivant et
l'objet, même le plus inanimé. Il restitue à l'univers ses dimensions
humaines et, par l'émotion esthétique, fait de cet univers un moyen
de communion avec d'autres hommes, diminuant d'autant l'angoisse
de solitude.
C'est en ce sens que le processus de sublimation artistique et sa
finalité, à savoir la tentative de constituer l'objet à partir d'un monde
indéfini et annihilant me paraissent rejoindre un des besoins fonda-
mentaux de la condition humaine et que c'est à partir de cette double
dimension que pourrait être définie sa spécificité.
806 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Intervention de F. PASCHE
Si intéressants et riches en aperçus que soient les travaux qui mettent
en évidence la participation de telle phase libidinale à l'activité artis-
tique, en estompant ou niant la participation des autres phases, ils
faussent la perspective selon laquelle doit être poursuivie l'investi-
gation de ce type d'activité.
Cette remarque concerne d'ailleurs beaucoup plus la brillante inter-
vention de Grunberger que le très intéressant rapport de Mendel,
qui exprime un point de vue nettement moins exclusif. Une oeuvre
d'art réussie implique en effet la mise en jeu de toutes les pulsions
partielles sans exception, elle est au niveau de la promotion génitale ;
si elle n'en dérive pas, elle lui est parallèle, et, comme celle-ci, réalise,
mais d'une autre façon, l'intégration de toutes ces pulsions, la richesse
inépuisable et la perfection de cette combinaison au sens chimique est
justement le fait du génie.
Mais je ne pense pas que nous puissions, nous autres psychanalystes,
faire davantage que l'inventaire des éléments de cette activité, nous ne
pouvons proposer ici d'explications du type de celles dont nous nous
servons pour élucider des symptômes. Elle n'est pas une sorte de
formation réactionnelle à une carence, à un excès ou à un conflit
pathologique particulièrement sévère ou spécifique. On peut, à ce sujet,
reprendre la riposte de Freud à Adler : les orateurs n'ont pas tous été
bègues ni les grands hommes des infirmes de petite dimension. Freud
a dit encore que si l'on pouvait expliquer la névrose d'un adulte par les
traumatismes de son enfance, on ne parviendrait jamais à expliquer
pourquoi tel autre adulte a échappé à la névrose en dépit de trauma-
tismes semblables. Je vois là beaucoup plus que de simples boutades.
Nos schèmes explicatifs ne nous permettent pas de rendre raison
du normal, celui-ci étant tout autre chose qu'une moyenne statistique,
ils nous permettent seulement de le dégager, de le laisser se manifester.
Or l'activité artistique est l'une des plus normales qui soient. Par
contre, nous pouvons et devons nous efforcer d'expliquer les inhibitions,
les échecs, les ratés de ces entreprises et y remédier. Quant à l'essence
du beau et à ses secrets de fabrication, en tant qu'analystes, cela ne
nous regarde pas.
Réponse de G. MENDEL

La belle communication de M. Grunberger me donne l'occasion de


redire tout ce que je dois à ses travaux, en particulier à ceux portant
sur le narcissisme et la prégénitalité. Mais — et sur ce point, je le sais,
je m'écarte de lui — il me paraît nécessaire de prendre en considération
une phase orale secondaire, ambivalente ; phase ambiguë, puisque témoi-
gnant à la fois de la pérennité du narcissisme originel, de la nécessité de
l'objet et de l'indispensable compromis entre ces deux aspirations ;
phase répondant à l'introjection, à l'identification primaire. Reconnais-
sance de l'objet qui est donc déjà perçu, reconnu, mais pensons-nous,
pas de manière stable et permanente, l'intégration de la temporalité
appartenant à la phase anale. La « régression à une phase plus précoce
encore », pour essayer de répondre à l'argument de M. Grunberger,
quelle serait-elle ? Hé bien, elle existe ; c'est le sommeil qui correspon-
drait, lui, à la régression à la phase orale primaire, à la fusion narcissique.
Je remercie Pierre Luquet de son intervention, et je suis d'accord
avec lui sur de nombreux points. Lorsqu'il dit que la libido objectale
reste de nature sexuelle dans la sublimation après son retour vers le
Moi, je suis d'autant plus de cet avis que c'est là le point central de
mon travail. J'ai cru en effet retrouver la source d'inspiration narcis-
sique et sexuelle orale dans 1' « oeuvre d'art comme ensemble ». Mais je
ne crois pas que l'on puisse définir la sublimation comme une simple
déviation du but sexuel : c'est un processus bien davantage complexe
que le déplacement. Si les régressés oraux sont en effet légion, l'artiste,
lui, a pu s'identifier aux attributs, aux qualités de l'oeuvre d'un autre,
grâce à la mise en jeu de mécanismes de captation anale. L'artiste
échappe à la « maladie » orale — tout au moins en partie — par une
identification secondaire réussie lui permettant de créer. Création qui
n'est jamais un luxe, mais toujours une nécessité vitale.
Je suis heureux de l'intérêt manifesté par Michel Fain pour mon
travail. D'autant plus heureux que je lui dois beaucoup : en particulier
son intervention après la conférence si riche de Grunberger sur l'ora-
lité m'a amené à réfléchir sur cette phase orale secondaire. Ce que
Michel Fain nous a dit ce soir, sera, je le crois, d'utiles points de départ
pour mes propres réflexions ultérieures.
808 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Je remercie M. Held de ses félicitations et de ses encouragements.


Je suis tout à fait d'accord avec lui pour penser que définir la sublima-
tion simplement par une déviation du but sexuel ne rendrait pas compte
de la complexité du phénomène.
Je vais essayer de répondre à M. Pasche que j'ai écouté avec la
plus grande attention. Je pense, moi aussi, que la sublimation artis-
tique est un processus souhaitable. Je ne dirais pas normal, car une
telle dichotomisation absolue entre « normal » et « pathologique » ne
me paraît guère pouvoir être fructueuse. Il convient de distinguer entre
le processus lui-même, et ce pour quoi il constitue une solution. Sans
ses « faiblesses », ses fixations archaïques, l'artiste ne ressentirait pas le
besoin de créer. Mais s'il n'existait que ces « faiblesses », ces fixations, il
ne pourrait pas créer. Il se produit donc quelque chose « en plus ».
Ce quelque chose, je pense pour ma part que c'est — outre le don inné
qui, à lui seul, ne suffit pas — la possibilité de s'identifier à l'oeuvre
d'un autre artiste, de capter ses qualités afin, secondairement, d'opé-
rer un amalgame original. Dès lors, la question de savoir si la sublima-
tion est ou n'est pas un mécanisme de défense constitue-t-elle un faux
problème. Comme l'identification, la sublimation est à la fois défense,
structuration nouvelle, progrès, processus souhaitable. Quant aux
pulsions partielles, je crois, comme M. Pasche, qu'elles sont toutes
en jeu dans la sublimation artistique. Mais qu'elles ne sont pas entière-
ment unifiées au point d'avoir perdu leurs caractères originaux. Oralité,
analité, phallicité, sont co-présents, mais dans leur faisceau tendu vers
un but — l'oeuvre — on peut encore appréhender les fibres originelles.
LES REVUES

PSYCHOANALYTIC STUDY OF THE CHILD


(vol. XVII, 1962)

EISSLER (K. R.). — On the Metapsychology of the Preconscious : A Tentative


Contribution to Psychoanalytic Morphology (Sur la métapsychologie du
préconscient : un essai de contribution à la morphologie psychanalytique) (1),
p. 9-41.
HARTMANN (H.) and LOEWENSTEIN (R. M.). — Notes on the Superego (Notes
sur le Surmoi), p. 42-81.
KLEIN (G. S.). — Blindness and Isolation (Cécité et isolement), p. 82-93.
LAMPL DE GROOT (J.). — Ego Ideal and Superego (Idéal du Moi et Surmoi),
p. 94-106.
SANDLER (J.), KAWENOKA (M.), NEURATH (L.)5 ROSENBLATT (B.), SCHNUR-
MANN (A.) and SIGAL (J.). — The Classification of Superego Material in
the Hampstead Index (La classification du matériel concernant le Surmoi
dans Index Hampstead) (2), p. 107-127.
SANDLER (J.) and ROSENBLATT (B.). — The Concept of the Representational
World (Le concept des représentations du monde) (3), p. 128-145.
FREUD (A.). — Assessment of Childhood Disturbances (Mise en place des troubles
de l'enfant) (4), p. 149-158.
HELLMAN (I.). — Hampstead Nursery follow-up studies (Sudden separation
and its Effect Followed over Twenty Years) (Les études catamnestiques de
la Nursery Hampstead. Effets après vingt ans d'une séparation brutale) (5),
p. 159-174
KRIS (E.). — Decline and Recovery in the life of a tree-year-old; or : Data in
Psychoanalytic Perspective on the Mother Child Relationship (Dégra-
dation et retour à la santé dans la vie de l'enfant de trois ans, ou Étapes dans
une perspective psychanalytique de la relation mère-enfant) (6), p. 175-215.
LUSTMAN (S. L.). — Defense, Symptom and Character (Défense, symptôme
et caractère) (7), p. 216-244.
ROBERSTON (J.). — Mothering as an Influance on Early Development (Les
soins maternels et leur influence sur le développement précoce) (8), p. 245-264.
RUBINFINE (D. L.). — Maternal Stimulation, Psychic Structure, and Early
Object Relations (With Spécial Référence to Aggression and Denial) (Stimu-
lation maternelle, structure psychique et relation objectale précoce. Référence
spéciale à l'agression et à la dénégation) (9), p. 265-282.
SPITZ (R. A.). — Autoerotism re-examined (The Role of Early Séxual Behaviour
Patterns in Personality Formation) (Nouvel examen de l'auto-érotisme.
Le rôle des « patterns » sexuels précoces dans la formation de la personnalité),
p. 283-315.
COOLIDGE (J. C.) and all. — Patterns of Aggression in School Phobia (Les
« patterns » agressifs dans la phobie scolaire) (10), p. 319-333.
810 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

ESMAN (A. H.). — Visual Hallucinoses in Young Children (Hallucinose visuelle


chez les jeunes enfants) (11), p. 334-443.
KAVKA (J.). — Ego Syntheses of a life threatening Illness in Childhood (Synthèse
du Moi dans une maladie grave de l'enfance) (12), p. 344-362.
LIPTON (S. D.). — On the Psychology of Childhood Tonsillectomy (La psychologie
de l'amygdalectomie chez l'enfant) (13), p. 363-417.
SPRINCE (M. P.). — The Development of a Preoedipial Partnership between
an Adolescent Girl and her Mother (Le développement d'une relation pré-
oedipienne entre une adolescente et sa mère) (14)3 p. 418-450.
WANGH (M.). — The Evocation of a Proxy (L'évocation d'un mandataire),
p. 45I-469.
KATAN (M.). — A Causerie on Henry James's « The Turn of the Screw » (Une
causerie sur « Le tour d'écrou » d'Henry James), p. 473-493.

(1) EISSLER (K. R.). — On the Metapsychology of Preconscious : A Tentative


Contribution to Psychoanalytic Morphology (Sur la métapsychologie du
préconscient : un essai de contribution à la morphologie psychanalytique),
p. 9-41.
La théorie structurale en psychanalyse (Ça, Moi, Surmoi) ne paraît pas
remplacer la première théorie topographique de Freud (inconscient, précons-
cient, conscient). L'article est surtout consacré à l'importance du concept
Pcs dans la remémoration : la reconnaissance par hyperinvestissement du
travail remémoratif lui appartient. La phénoménologie psychanalytique qu'il
ne faut pas oublier est confirmée par l'étude des images éidétiques.
(2) SANDLER (J.), KAWENOKA (M.), NEURATH (L.), ROSENBLATT (B.), SCHNUR-
MANN (A.) and SIGAL (J.). — La classification du matériel concernant le
Surmoi dans Index Hampstead, p. 107-127.
L'utilisation de l'Index Hampstead a abouti à classer les cartes suivant
les caractéristiques suivantes (chacune illustrée par des exemples cliniques
dans cet article). Caractéristiques. Sources. Contenus activant le Surmoi.
Réponses du Moi. Régulation du sentiment de normalité. Facteurs organisants
et structurants.
(3) SANDLER (J.) and ROSENBLATT (B.). — The Concept of the Representational
World (Le concept des représentations du monde), p. 128-145.
Exposé d'une recherche conjointement menée à partir de l'Index Hampstead
par les trois comités d'études du Surmoi, des fantaisies et de l'estime de soi-
même. Freud a décrit l'internalisation du monde externe comme une des fonc-
tions du Moi, cette instance devenant partie intégrante du monde intérieur.
Le monde représentatif du nourrisson est un mélange du monde extérieur et
internalisé. Le Surmoi ne peut s'organiser que si l'enfant a une vue stable
du monde des objets extérieurs. L'internalisation, l'introjection ou l'iden-
tification apparaissent alors comme des changements d'investissement dans la
représentation du monde.
La représentation se continue à partir du monde des images, suivant les
vues de Piaget et comme un aspect fonctionnel du Moi, nous renseignant sur
son développement. A ce point de vue, l'identification traduit les modes de
représentation et d'introjection, la réaction à l'attitude des parents comme
s'ils appartenaient au monde représentatif.
LES REVUES 811

(4) FREUD (A.). — Assessment of Childhood disturbances (Mise en place des


troubles de l'enfant), p. 149-158.
Essai de définition d'un profil diagnostique en tenant compte des difficultés
bien connues pour apprécier la valeur des symptômes, tout en sachant que
leur disparition peut laisser des points faibles pour le développement ultérieur.
I. — Motifs de la consultation ;
II. — Description de l'enfant ;
III. — Histoire familiale et personnelle ;
IV. — Facteurs d'environnement qui ont pu jouer un rôle significatif;
V. — Étude du développement.
Les pulsions. — 1° Libido :
a) En ce qui concerne les phases du développement (tenir compte de l'âge,
de l'activation des phases, d'éventuelles régressions) ;
b) En ce qui concerne sa distribution (investissement du Soi et du monde
extérieur, distribution du narcissisme primaire et secondaire, sans suresti-
mation de soi-même : équilibre avec la libido objectale) ;
c) En ce qui concerne la libido objectale (type narcissique ou anaclitique de
relation, aspect prégénital en tenant compte de l'âge : aspects régressifs,
comparaison entre développement libidinal et relation objectale).
20 Étude des modes d'expression de l'agressivité dont dispose l'enfant :
a) En ce qui concerne leur quantité (présence ou absence) ;
b) En ce qui concerne leur qualité (en relation avec le niveau de développe-
ment) ;
c) En ce qui concerne leur direction (le monde extérieur ou le sujet).
Le Moi et le Surmoi :
a) Défauts de qualités du Moi en ce qui concerne les fonctions expressives
et cognitives, y compris processus primaires et secondaires ;
b) État des mécanismes de défense :
— sont-ils spécifiques d'une pulsion particulière et organisés contre le
plaisir instinctuel ?
— sont-ils adéquats à l'âge ?
— sont-ils modulés ?
— sont-ils effectifs ?
— sont-ils indépendants du monde extérieur ou autonomes (développe-
ment du Surmoi) ?
— interfèrent-ils avec l'évolution du Moi ?
Développement de la personnalité.
En étudiant les relations des pulsions et du Moi à travers des situations
vitales (séparation d'avec la mère, naissances, maladies ou interventions chirur-
gicales, hospitalisation, entrée à l'école, passage de la famille à la communauté,
transition entre le jeu et le travail).
VI. — Le point de vue génétique (fixation et régression) :

a ) Études des fixations à travers les traits de caractère ;


b) Activité fantasmatique.
En étudiant les régressions temporaires et permanentes, réversibles et
irréversibles.
812 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

VII. — Étude dynamique des conflits :


a) Conflits entre les instances. Ça et Moi, et le monde des objets ;
b) Conflits internalisés entre les trois instances et les objets internalisés ;
c) Conflits entre les pulsions contradictoires.
VIII. — Description des traits généraux :
a) Tolérance à la frustration ;
b) Potentialités de sublimation ;
c) Attitudes devant l'anxiété ;
d) Effet des forces de développement devant les tendances régressives.
IX. — Catégories diagnostiques :
1) Dans les limites de variation de la normalité ;
2) Symptômes transitoires produits par le développement ;
3) Régression permanente avec formation de symptômes et appauvrissement
dans le développement libidinal ;
4) Existence de processus destructifs.

(5) HELLMAN (Ilse). —Hampstead Nursery follow-up studies (Sudden separation


and its Effect Followed over Twenty Years) (Les études catamnestiques de
la Nursery Hampstead. Effets après vingt ans d'une séparation brutale),
P. 159-173.
Le sujet observé réagit particulièrement mal à une séparation qui lui fut
imposée à 28 mois. L'étude du développement antérieur de ce bébé illégitime
montre les difficultés d'un sevrage précoce, les compensations orales accordées
par la mère, les progrès réguliers du bébé. La mère était elle-même un enfant
naturel, très fixée aux soeurs qui l'avaient élevée en institution.
L'enfant voyait sa mère régulièrement. Elle manifeste de nouvelles régres-
sions à l'occasion de séparation pour des vacances ou dans ses relations avec
les objets perdus. La perte d'un chat détermina des projets fantasmatiques de
créer un asile pour chats, puis de diriger un orphelinat.
Sa mère se maria lorsqu'elle eut 12 ans, ce qui altéra leurs relations, alors
que l'enfant « adoptait » le fils de son beau-père.
Elle chercha rapidement à acquérir le maximum d'indépendance et
s'occupa des activités, en dehors de l'école, des élèves d'une école élémentaire.
Divers traits montrent son identification à l'auteur qui joua auprès d'elle le rôle
de substitut maternel.

(6) KEIS (E.). — Decline and Recovery in the life of a tree-year-old, or, Data
in Psychoanalytic Perspective on the Mother-Child Relationship (Dégrada-
tion et retour à la santé dans la vie de l'enfant de trois ans, ou Etapes dans
une perspective psychanalytique de la relation mère-enfant), p. 175-215.
Le travail, qui n'était pas entièrement rédigé au moment de la mort de
l'auteur, décrit la dégradation et le retour à la santé d'une enfant de trois ans,
gravement traumatisée, dont la famille avait accepté de participer à l'observa-
tion interdisciplinaire à base psychanalytique de la recherche du Centre
d'Études Infantiles de l'Université de Yale. Les renseignements recueillis
proviennent des interviews avec les parents toujours centrés sur l'enfant.
Après le compte rendu de la biographie des parents, l'auteur retrace les premières
expériences du sujet étudié : Anne. Celle-ci souffrait du manque de contact
et des traits de caractère obsessionnel qui défendaient sa mère contre l'agressi-
LES REVUES 813

vité mal intégrée. Mais l'auteur s'efforce de décrire des attitudes concrètes et
d'éviter des clichés approximatifs pour décrire la conduite de la mère d'Anne.
L'histoire du retard de celle-ci comprend les observations des neuf premiers
mois, son manque de contact avec une mère qui attendait un garçon et qui
s'identifiait à ce garçon manqué, comme elle avait cru devoir se comporter
devant son père, désappointé d'avoir une fille ; puis la période suivante, avec
le déficit qui devint évident, en même temps que l'agression provocante, enfin
l'anxiété et le désespoir. Le retard très analogue à celui des enfants institu-
tionalisés — probablement par manque de stimulation maternelle — s'accompa-
gnait de véritables symptômes, ceux-ci calmant la tension provoquée chez les
deux partenaires de la relation mère-enfant. Cette observation amène à l'hypo-
thèse que le confort donné par la mère à l'enfant sert à construire la relation
objectale, tandis que la frustration stimule la différentiation et la structuration
de la psyché.
Ce chapitre comporte des détails nombreux sur l'observation directe des
enfants et la part qu'en peuvent tirer les psychanalystes. L'article se termine par
le plan de l'auteur pour apprécier l'anxiété, en particulier la peur de l'étranger
et ses caractères particuliers chez Anne, l'impossibilité d'être atteinte par son
père, bon objet, le fait que la mère seule peut réconforter, bien qu'elle soit
la mauvaise image.

(7) LUSTMAN (S. L.). — Defense, Symptom and Character (Défense, symptôme
et caractère), p. 216-244.
A travers l'analyse d'un enfant, on étudie les relations génétiques entre les
défenses, l'organisation du caractère et les symptômes (symptômes compul-
sionnels évoluant vers des traits de caractère plus ou moins intégrés, d'où
émerge la « bravade »). Rappel de l'intérêt de l'analyse d'enfant et des séquences
de jeu comme méthode scientifique d'observation. Intérêt de l'équipement pour
comprendre l'organisation défensive. Entre les défenses et le caractère, il n'y a,
au fond, qu'une différence de quantité.
(8) ROBERTSON (J.). — Mothering as an Influance on Early Development (Les
soins maternels et leur influence sur le développement précoce), p. 245-264.
A travers l'observation faite dans une clinique d'enfants bien portants, on
peut voir les facteurs subtils qui peuvent agir dans l'élevage organisé par des
mères bien portantes en apparence, et qui peuvent être à l'origine d'un appauvris-
sement durable et sévère dans l'organisation de la personnalité des enfants.
L'observation porte essentiellement sur des séquences de développement
moteur. Coupe horizontale à 12 mois sur 25 paires d'enfants. Dans 5 cas, le
comportement de la mère en présence de l'enfant était manifestement inadéquat
et dans ces cas seulement on observait à 12 mois un retard de la motilité et de la
communication, malgré une excellente curiosité visuelle. Description des
cinq enfants et du comportement maternel observé une heure et demie par
semaine.
Les soins maternels peuvent être parfaitement définis au cours de ce que
l'auteur appelle la période d'adaptation des huit premières semaines. A la fin
de cette période la « bonne » mère :
a) Ressent et exprime son plaisir, non seulement en tenant son enfant, mais
au cours de toutes les tâches de maternage ;
b) Est au courant de l'état affectif de son enfant et peut y répondre ;
c) Utilise son anxiété normale à cette période, au service de l'enfant.
REV. FR. PSYCHANAL. 52
814 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

La mère adéquate doit comprendre les éléments précoces de communication


qui viennent de son bébé, pendant des périodes très courtes, et qui proviennent
des yeux, des oreilles et des doigts. Elle doit les utiliser à la faveur de jeux
fonctionnels.

(9) RUBINFINE (D. L.). — Maternal Stimulation, Psychic Structure, and Early
Objet Relations (With Special Reference to Aggression and Denial) (Stimu-
lation maternelle, structure psychique et relation objectale précoce. Référence
spéciale à l'agression et à la dénégation), p. 265-282.
Travail destiné à montrer que la dénégation au cours des expériences
objectales précoces facilite l'assimilation du monde extérieur et des objets,
pour obvier aux effets de la négligence maternelle. Illustration de la thèse :
1) Par l'observation du nourrisson normal ;
2) Par l'étude des enfants autistiques ;
3) Par le traitement des enfants psychotiques ;
4) Par des protocoles d'expérimentation animale.

SPITZ (R. A.). — Autoerotism re-examined (The Role of Early Sexual Behaviour
Patterns in Personality Formation) (Nouvel examen de l'auto-érotisme,
Le rôle des « patterns » sexuels précoces dans la formation de la personnalité).
p. 283-315.
(10) COOLIDGE (J. C.) and all. — Patterns of Aggression in School Phobia
(Les « patterns » agressifs dans la phobie scolaire).
On y met en évidence l'hostilité de l'enfant contre sa mère, laquelle est
également agressive contre son enfant, ce qui renforce la dépendance.
(11) ESMAN (A. H.). — Visual Hallucinoses in Young Children (Hallucinose
visuelle chez les jeunes enfants), p. 334-343.
Les hallucinations visuelles que l'auteur a observées chez cinq enfants,
en dehors des troubles toxi-infectieux ou métaboliques, semblent plus fréquents
chez les Noirs, comme manifestation d'une crise anxieuse non psychotique.
L'hypothèse du traumatisme visuel lié à de fréquentes expériences de scènes
primitives est soulevée. L'hallucination serait un effort projectif pour reconsti-
tuer l'image du parent qui apparaît dans une telle situation.
(12) KAVKA (J.). — Ego Syntheses of a life threatening Illness in Childhood
(Synthèse du Moi dans une maladie grave de l'enfance), p. 344-362.
On suppose ici que le transfert psychanalytique permet de comprendre
l'influence d'une maladie gravissime sur la formation du caractère à la période
oedipienne, l'événement valorisant au maximum la crainte de castration. Le
traitement a eu lieu chez un jeune homme qui avait alors 19 ans et qui avait
été traité pour une maladie de Hodgkin à 5 ans. Le traitement dura quatre ans
et demi et il avait été entendu que l'analyste pourrait être amené à dire au malade
la vérité sur ce diagnostic qui ne lui avait pas été révélé.
Le diagnostic, après avoir été celui d'une névrose de caractère avec imma-
turité et inhibition, fut celui d'une névrose obsessionnelle. Le patient apprit
à la fin de l'analyse la nature de sa maladie dont le traitement (radiothérapique)
avait été vécu comme une castration.
LES REVUES 815

(13) LIPTON (S. D.). — On the Psychology of Childhood Tonsillectomy (La


psychologie de l'amygdalectomie chez l'enfant), p. 363-417.
Après une revue des opinions psychanalytiques sur les conséquences de
l'amygdalectomie, l'auteur juge que les effets en sont durables et qu'ils sont
mieux saisis par la reconstruction que par l'étude directe, même longitudinale :
modification durable du Moi ; possibilité légalisée d'expression agressive de
la part des adultes, en particulier des parents, avec une parfaite bonne conscience.
La valeur traumatique de l'expérience est aggravée par le fait que l'opération
a lieu dans une période de bonne santé.
Dans la seconde partie de son travail, l'auteur tente de démontrer qu'aucune
raison scientifique ne parle en faveur des indications de cette intervention
traditionnelle qui, selon lui, n'est encore utilisée que pour des raisons purement
psychologiques. Derrière les rationalisations pseudo-scientifiques, il voit le
désir de ne pas rester passif devant les maladies ou les difficultés de l'enfant
qui sont narcissiquement blessantes pour les parents, l'affirmation que l'enfant
doit être à tout prix, sain et heureux. Il attribue une valeur symbolique à
l'organe enlevé.
Ces considérations n'excluent pas d'heureux effets à la tonsillectomie,
mais ils sont toujours de l'ordre psychologique.

(14) SPRINCE (M. P.). — The Development of a Preoedipial Partnership between


an Adolescent Girl and her Mother (Le développement d'une relation préoedi-
pienne entre une adolescente et sa mère), p. 418-450.
Analyse simultanée d'une préadolescente et de sa mère. La jeune fille,
enfant unique (Q.I. = 156) avait une phobie scolaire et de nombreux symptômes
phobo-obsessionnels. Le père, probablement névrosé, avait été éloigné de sa
fille par la guerre et ne s'intéressa guère à elle à cause de ses échecs scolaires,
sinon au moment de l'apprentissage anal qui fut entrepris dès la naissance
par une mère, élevée dans l'orthodoxie juive et dans le respect de la régularité
du fonctionnement intestinal.
La relation mère-fille s'institua sur le mode d'une fixation traumatique
anale et orale (séances interminables sur le pot, en mangeant ; véritable toxi-
comanie par un purgatif familial). Le matériel fourni par la mère ne confirma
pas cette fixation chez elle : elle appartenait plutôt aux phobies alimentaires
et intestinales du père qui trouvait là la seule manière d'aimer sa fille, tandis
que cette dernière le séduisait inconsciemment de cette façon. L'importance
de cette revendication pénienne et de l'exhibitionnisme phallique apparaît
à la fois comme une tentative de séduire le père et de s'identifier à lui.
L'intensité traumatique à la période préoedipienne semble responsable
dans ce cas des dommages causés au Moi et des difficultés d'identification qui
conduisent à des positions bisexuelles difficiles à mobiliser.
S. LEBOVICI.

REV. FB. PSYCHANAL. 52


LES LIVRES

KLEIN (Melanie), Our adult world and other essays (Notre monde adulte et
autres essais), W. Heinemann Medical Books Ltd, 1963 : Chap. I :
« Our adult world and its roots in infancy » (Notre monde adulte et ses
racines dans l'enfance) ; Chap. II : « Some reflections on the Oresteïa »
(Quelques réflexions sur l'Orestie) (I) ; Chap. III : « On identification » (De
l'identification) ; chap. IV : « On the sense of loneliness » (Du sentiment de
solitude).
(1) Some reflections on the Oresteïa (Quelques réflexions sur l'Orestie).
Ceux qui n'ont pas pour l'oeuvre de Melanie Klein une aversion qui souvent
confine à la démonomanie, mais la considèrent avec intérêt et même sympa-
thie, ne seront pas surpris de voir que l'ouvrage posthume que viennent de
publier ses exécuteurs testamentaires comprend une longue étude sur
l'Orestie (1). Pour peu qu'on se soit intéressé à cette projection légendaire et
à la trilogie eschyléenne, on aura vite compris comment cette oeuvre appelle
l'interprétation au moyen du système kleinien. La seule surprise aura été de
constater que Melanie Klein ait attendu si longtemps pour y trouver son bien.
Sans doute, cette étude ne déparera-t-elle pas l'oeuvre si riche de celle qui se
voulait une continuatrice de Freud. L'attention que nous avons nous-même
portée à l'Orestie (2) et la confrontation de nos conclusions avec les siennes nous
ont incité à revenir encore une fois sur le commentaire de cette oeuvre.
Après avoir donné un bref résumé de la trilogie d'après la traduction de
Gilbert Murray, Melanie Klein, avant de se livrer à son interprétation, présente
comme dans beaucoup de ses articles un résumé de ses thèses. On y relève ses
découvertes les plus récentes sur l'envie, M. Klein place à l'orée du dévelop-
pement à côté des mécanismes d'introjection, projection, de clivage, de frag-
mentation, de dénégation, l'envie qui sous-tend les relations de l'enfant à la
mère placées sous le signe de la dualité des pulsions erotiques ou destructrices.
L'envie de l'enfant pour la mère est envie de son pouvoir créateur et nourricier,
envie de s'approprier ce pouvoir et de le détruire. Cette soif de détruire se
porte sur l'objet de sa dépendance le sein maternel, dont le désir accroît la
haine et l'envie (3). Ce concept de l'envie qui est à la base des pulsions des-
tructrices entraîne, lorsque la phase dépressive est atteinte, et avec la menace
de la perte totale de l'objet qu'elle implique pour l'enfant, le concept corollaire
de réparation.
Melanie Klein voit dans la pensée grecque une confirmation de ses thèses.

(1) P. 23-55.
(2) Cf. Fonction du rêve dans l'Orestie, Les Temps modernes, avril 1964, et aussi : OEdipe
et Oreste, à paraître dans les Actes du Colloque de Cérisy sur la psychanalyse et l'art, tenu
en sept. 1962, Mouton édit., Paris-La Haye.
(3) Notons au passage le point de rencontre de ce concept d'envie avec le concept du désir
de Lacan.
LES LIVRES 817

A l'Hybris (Démesure) succède la Diké (Justice) comme châtiment pour avoir


enfreint la Moïra (le Lot). Comme à l'envie fait suite, sous l'influence du Sur
Moi, la réparation.
On sait que le théâtre d'Eschyle, et le thème de l'Orestie tout spécialement,
se prête bien à l'illustration de cette morale grecque. On a souligné à maintes
reprises cette conception du droit si particulière à Eschyle. Loin de concevoir
que le droit se tient tout entier et pour toujours dans l'une des parties antago-
nistes, il semble qu'au fur et à mesure que l'action se développe, le désir se
manifeste derrière la cause, juste à l'origine, mais défendue de telle sorte qu'elle
aboutit au renversement du droit en droit de l'antagoniste. Les échanges, entiers,
cruels, ignorant la nuance ou la subtilité, nous mettent ici devant une forme de
justice proche du talion. On voit que bien des traits se prêtent ici à la fantas-
magorie kleinienne.
Mais Melanie Klein va plus loin, elle interprète les caractères des héros selon
sa dialectique connue de la phase schizo-paranoïde et de la phase dépressive.
Il est piquant de constater combien ses conclusions vont à l'opposé de celles
auxquelles j'avais abouti. Ayant pris la situation orestienne pour exemplaire
de la psychose, comparativement à la situation oedipienne, exemplaire de la
névrose, je voyais dans Oreste le modèle mythologique du psychotique. Pour
Melanie Klein, au contraire, Oreste est en deçà de la psychose, pour autant
qu'on puisse dire que la névrose existe dans un système comme le sien, qui
paraît entièrement construit pour rendre compte des modalités de l'univers
psychotique. Au moins une distinction est-elle établie par elle entre la position
schizo-paranoïde qu'on trouve à la base des désordres graves (schizophréniques)
et la position dépressive sous-tendant des désordres moins graves (mélanco-
liques), au moins parce que critiques et intermittents. Melanie Klein considère
que le fait pour un sujet d'être capable d'une réaction de deuil est le témoignage
de ce que la phase dépressive a été atteinte. L'absence du deuil serait donc le
signe d'une fixation à la phase schizo-paranoïde, indice d'une grande gravité.
Or, nous dit-elle, Oreste a, après le meurtre de sa mère, une telle réaction.
Il n'est guère raisonnable de discuter le diagnostic nosographique d'un
héros de tragédie. De telles controverses sont encore plus stériles que celles
qui s'ouvrent autour des cas individuels de malades. Néanmoins, on ne voit pas
ce qui autorise Melanie Klein à affirmer qu'Oreste montre un état mental
qu'elle trouve être caractéristique de la transition entre la phase schizo-para-
noïde et la phase dépressive « un stade où la culpabilité est essentiellement vécue
comme persécution ». Il semble bien, au contraire, qu'Oreste présente les traits
d'une psychose de persécution. On comprend mal pourquoi une telle psychose
ne serait pas sous-tendue par la culpabilité. Melanie Klein pense qu'il y a
presque incompatibilité entre la phase schizo-paranoïde et la culpabilité, celle-ci
supposant la notion d'un objet total à l'égard duquel on se sent coupable, tandis
que l'angoisse du schizo-paranoïde est celle d'une rétorsion en talion. En fait,
il n'y a pas de la part d'Oreste culpabilité vraie, il y a pour lui châtiment connu,
prévu, attendu pour avoir tué sa mère, de même qu'il aurait encouru aussi des
châtiments atroces s'il n'avait pas vengé la mort de son père. Nous sommes
donc ici dans un système de talion tout à fait indiscutable. Mais Melanie Klein
s'appuie sur le désir de réparation d'Oreste. La question est de savoir s'il désire
se débarrasser d'une souillure qui le met au ban des humains pour retrouver
sa place parmi eux, celle due au fils d'Agamemnon, ou manifester son repentir à
l'égard de l'objet maternel. L'auteur aurait pu dire, il est vrai, que la réclusion
d'Oreste était le signe de la destruction des bons objets introjectés et le champ
libre laissé aux angoisses de persécution par les mauvais objets...
Remarquons au passage que Melanie Klein n'accorde aucune valeur au fait
818 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

que le matricide soit accompli sous une forme crue et directe (1). Dans la mesure
où ces fantasmes sont la règle pour elle, il n'y a rien là qui puisse surprendre.
Melanie Klein ne voit là qu'un signe de la négativité du complexe d'OEdipe
d'Oreste, sans plus. La constellation oedipienne totale, c'est-à-dire double, est
diversement attestée dans la trilogie. Electre présente un complexe d'OEdipe
positif et la rivalité entre Clytemnestre et Cassandre (celle-ci étant un substitut
filial) est un indice de la présence de ce complexe positif. Par contre, Apollon
qui pousse et soutient Oreste indique un OEdipe négatif. Tandis qu'Athéna,
fille préférée de Zeus et dont l'influence prévaut, est signe de complexe d'OEdipe
positif. Ainsi on pourrait écrire :

OEdipe + OEdipe —

Génération des parents Égisthe. Clytemnestre.


.
Génération des enfants Cassandre. Oreste.
. Electre.
Dieux Athéna. Apollon.

Quant à Agamemnon, sa place ne peut être indiquée ici, car il est tantôt
signe d'OEdipe positif (Cassandre, Electre), tantôt signe d'OEdipe négatif
(Clytemnestre, Oreste). C'est pourquoi, à nos yeux, il mérite un statut parti-
culier. Melanie Klein ne voit en lui que l'agent de la démesure (sacrifice d'Iphi-
génie, offense d'orgueil aux dieux).
Le principal argument que nous soulèverons contre le système kleinien
— argument qui se soutient aussi à l'égard des nombreux systèmes qui, sans
se réclamer d'elle, s'en inspirent à la rigueur près — est la disparition de la
référence paternelle. Remarquons que nous ne disons pas la disparition du père.
Celui-ci est certes présent à de nombreuses reprises dans l'oeuvre de Melanie
Klein et la note proprement oedipienne est moins absente qu'on le dit dans ses
travaux. Mais il est présent comme double de la mère. C'est un objet second
parce que plus tardif — opinion qui rejoint ici celle des psychanalystes géné-
ticiens qui, pourtant, la critiquent tant — et parce que fonctionnant pratique-
ment comme s'il s'agissait d'un second objet maternel. Cela ne veut pas dire
que Melanie Klein ne lui reconnaisse pas des caractères spécifiques. C'est bien
d'un homme qu'il s'agit, attirant normalement les faveurs de sa fille, mais (et
la conception de la mère au pénis accentue cet infléchissement) nulle part il
n'est attesté de sa position comme référence. C'est-à-dire qu'il n'est pas l'objet
du désir de la mère, il n'est pas le représentant de la position tierce. Ce tiers
exclu/non-exclu, qui donne tant de relief à la conception psychanalytique de la
paternité. Il n'est pas le signe par lequel le phallus entre dans le monde de l'en-
fant par la découverte de son absence au niveau de la mère.
Autrement dit, le complexe d'OEdipe comme circuit d'échanges est ici
insensé, dépourvu de sens, c'est-à-dire de direction dans la circulation des
objets, des valeurs des investissements. Si Melanie Klein représente un des
courants les plus audacieux de la pensée postfreudienne, J. Lacan, par une
orientation diamétralement opposée, ramène l'équilibre vers l'autre pôle de la
balance, celui du rétablissement de la primauté paternelle.

(1) Par opposition à son expression sous une forme déguisée comme le triomphe d'OEdipe
sur la Sphynge, qui aboutit à la mort de celle-ci.
LES LIVRES 819

Nous retrouverons ce nivellement kleinien dans sa conception du Sur Moi.


Elle en dénombre des représentants divers dans l'Orestie : les Érinnyes en
donnent l'image des formes les plus archaïques, de nature sadique orales et
sadique anales ; Agamemnon, l'aspect le plus évolué (celui du père tendrement
aimé) ; Cassandre, prophétesse du malheur, reflète la part d'inconscient deve-
nue consciente mais niée ; Apollon, les désirs destructeurs d'Oreste projetés
sur une image surmoique et (last but not least !) Zeus : Père des Dieux.
Dans cet ensemble syncrétique, les Dieux voisinent avec les hommes sans
qu'aucune distinction soit faite. On retrouverait ici, dans un contexte différent,
une critique souvent faite à Melanie Klein : la non-distinction entre objet et
fantasme d'objet (Pasche et Renard). Ce que nous disions du Père se retrouve
ici dans les figures composites de ce Sur Moi en mosaïque. Zeus ne règne plus
sur le Panthéon des Dieux, il y est lui sur le même plan que ses enfants. Le
paganisme ne peut suffire pour autoriser ce nivellement...
Mais cette indifférenciation générale prive notre examen de son pivot, de
son axe, d'un code qui en permette une lecture cohérente. L'OEdipe est d'abord
condition humaine dans sa généralité avant d'être le langage particulier de telle
ou telle condition humaine (psychose ou névrose). Dire ceci, c'est alors resti-
tuer dans un écart de signification, dans toute leur différence, le rôle du père
et de la mère.
Mais ce riche travail contient de nombreuses notations qui poussent la
réflexion très loin sur les fantasmes de non-naissance, sur les bébés que les fan-
tasmes de l'enfant tuent dans le ventre de la mère, qui ne peuvent naître au jour,
mais demeurent comme objets internalisés morts néanmoins actifs soit comme
bons ou mauvais objets. La nourriture de la mère ne maintient pas seulement
en vie le vivant, mais aussi l'objet internalisé mort qu'il porte en lui. Bien des
faits s'éclairent à cette interprétation illuminante.
Il y a encore à réfléchir sur les conceptions du symbole que donne ici
Melanie Klein. L'auteur attribue à ceux-ci un rôle de fixation du fantasme.
Ainsi les fantasmes s'« attachent » aux objets, se « prennent » faisant passer
l'activité de l'énergie pulsionnelle d'un mode continu, fluide, permanent,
envahissant, à une forme liée, limitée, discontinue. Les objets fantasmes
et réels acquièrent un statut symbolique. On pense à une phrase de Merleau-
Ponty : « L'Être est ce qui exige de nous création pour que nous en ayons l'expé-
rience » (1). Mais cette création n'est, dit-elle, si urgente que parce que la plus
aimante des mères ne peut satisfaire les puissants besoins affectifs de l'enfant.
Ainsi le symbole est morceau de chair sur sa béance. Comment ne pas compren-
dre alors Melanie Klein au-delà d'elle-même et dire au-delà de ce qu'elle dit,
ce qu'elle n'a pas dit, mais dit tout de même. A savoir que l'image internalisée
du père mort, du créateur des enfants morts que nous portons en nous est
Création, manifestation du symbolique.
André GREEN.
Les concepts psychanalytiques et la théorie structurale (Psychoanalytic concepts
and the structural theory), par A. JACOB ARLOW et Charles BRENNER, Inter-
national Universities Press, Inc. New York, 1964.
Ce livre est une monographie, la troisième d'une série parrainée par le
Journal of the American Psychoanalytic Association. Dans leur avant-propos,
les éditeurs le présentent comme une étude du Moi. Cela est vrai. Arlow et
Brenner exposent, avec une clarté de pensée et une simplicité de langage

(1) Le visible et l'invisible, Gallimard, p. 251.


820 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

remarquables, certaines notions fondamentales sur la définition du Moi ; sur


sa genèse, en particulier l'idée freudienne du Moi comme couche superficielle
du Ça ; sur son autonomie secondaire, selon les idées de Hartmann, etc.
Mais le centre de gravité de l'ouvrage n'est pas là. Les auteurs y étudient
surtout les deux théories fondamentales élaborées par Freud pour la description
de l'appareil psychique : la théorie topographique (ou topique), exposée en 1900
dans le chapitre VII de son livre sur l'Interprétation des rêves, et la théorie
structurale apparue en 1923 dans Le Moi et le Ça. Les valeurs respectives des
deux théories sont examinées dans leur application aux concepts de processus
primaire et secondaire, de régression, dans leur application à l'étude des rêves
et de la psychopathologie des psychoses, et dans leur utilisation au cours du
travail analytique quotidien d'interprétation.
Le schéma topographique distingue trois régions mentales, le Pcpt-Cs,
le Pcs et l'Ics, dont chacune est formée par l'ensemble des éléments qui sont
conscients (perçus par le sujet), préconscients (accessibles à la perception interne
par un effort d'attention), ou inconscients (inaccessibles à cette perception par
les seuls efforts introspectifs du sujet). Les trois régions sont donc définies
d'après une propriété particulière des éléments qui les composent. Toutes les
difficultés surviennent du fait que cette propriété n'est pas la seule que possèdent
les contenus des trois régions. Ainsi, en plus de l'inaccessibilité à la perception
interne, les contenus de l'Ics sont, d'après la théorie, de nature pulsionnelle
et régis par le processus primaire, investis par de l'énergie libre ; tandis que
les contenus du Pcs et du Cs sont de nature défensive et régis par le processus
secondaire, investis par de l'énergie liée.
Or ces diverses catégories de propriétés ne sont pas, en fait, indissoluble-
ment liées. Un élément psychique donné peut être, selon son accessibilité à la
perception introspective, à localiser dans l'un des systèmes Cs, Pcs ou les,
soit par exemple dans le système Ics. Selon la théorie, cet élément est alors de
nature pulsionnelle. Mais si l'on découvre qu'il est de nature défensive, c'est
au Pcs qu'il devrait appartenir. Les diverses propriétés d'un élément psychique
se rangent donc dans des classes qui ne se superposent pas. La théorie topique
a été élaborée pour classer les propriétés de perceptibilité des contenus men-
taux. Mais elle ne suffit pas à la classification simultanée et sans contradiction
de leurs propriétés pulsionnelles ou défensives. Celles-ci nécessitent le recours
à une autre classification, et c'est la théorie structurale qui remplit cette fonction
en distinguant le Ça pulsionnel du Moi défensif (nous laissons de côté le pro-
blème du Surmoi pour simplifier la discussion).
Arlow et Brenner tentent de démontrer tout au long de leur livre que la
théorie structurale est supérieure à la théorie topographique et que, puisque
les deux théories sont mutuellement incompatibles, seule la théorie structurale
doit être retenue. Les auteurs raisonnent comme si le Moi, le Ça et le Surmoi,
d'une part ; le Cs, le Pcs et l'Ics, d'autre part, étaient des êtres matériels ayant
une certaine présence spatiale ; ne pouvant occuper simultanément le même
espace psychique, ils doivent nécessairement s'exclure mutuellement.
Ils méconnaissent ainsi le fait que les mots Cs, Pcs et Ics. Ça, Moi et Sur-
moi ne désignent pas des êtres substantiels, mais des propriétés phénoméno-
logiques du psychisme, des façons de classer les faits psychiques, et qu'un
même fait peut simultanément faire partie de plusieurs classes, ou encore,
comme on dit, être à l'intersection de plusieurs ensembles phénoménologiques.
Leur démonstration a cependant le grand mérite d'attirer l'attention sur les
méfaits d'un certain usage, courant, des mots Cs, etc. ; Ça, etc., et met bien en
évidence la nécessité, lorsque l'on attribue aux mots un contenu substantiel,
hypostasié, de choisir entre le langage de la théorie topographique et celui de
LES LIVRES 821

la théorie structurale ; et inversement lorsque, comme c'est l'usage, on utilise


les deux langages conjointement, que l'on ne saurait attribuer une quelconque
existence substantielle aux entités désignées par les termes qui composent ces
langages.
Ce livre a une autre qualité, et de taille. Il est didactique. Les auteurs en
effet définissent de façon claire et simple, en les fondant sur leurs bases concrètes,
cliniques, un certain nombre de notions d'usage courant et de contenu parfois
insuffisamment précis ; celles par exemple de processus primaire et secondaire,
d'énergie libre ou liée, d'intemporalité de l'inconscient, etc.
Ne serait-ce que pour cela, et en faisant toutes les réserves nécessaires sur
la position doctrinale des auteurs, la lecture de l'ouvrage serait hautement
recommandable.
Ce souci de précision dans la définition des termes et l'emploi des mots
justes se trouve cependant en défaut en un point essentiel.
Toute l'argumentation tendant à comparer la théorie topique et la théorie
structurale, et à exclure l'une des deux, part de l'insatisfaction que Freud lui-
même exprime à la fin du premier chapitre de Le Moi et le Ça sur l'utilité de la
théorie topique. Cliniquement, les choses se présentent de la façon suivante :
lorsqu'un désir inconscient devient actif dans l'esprit d'un analysé sur le divan,
ce désir se manifeste par ses effets sur le courant associatif. Si c'est un désir
refoulé, à un moment donné, le patient se tait ou change de sujet. Il apparaît
clairement à l'analyste que le patient résiste à la verbalisation du désir refoulé.
Mais le patient lui, ne sait pas qu'il résiste. Il faut même un certain travail pour
l'amener à se rendre compte de cette résistance, qui est alors, selon la théorie
topique, à localiser dans le système Ics à cause de son caractère d'inaccessi-
bilité à la perception interne, et dans le système Pcs à cause de son caractère
défensif.
Toute la discussion se base donc sur la détermination, par l'analyste, des
propriétés de conscience ou d'inconscience, et des propriétés pulsionnelles
ou défensives d'un contenu mental.
Or les auteurs, qui partout ailleurs, et c'est un de leurs grands mérites,
s'efforcent de bien définir les concepts psychanalytiques dont ils se servent à
partir d'éléments cliniques concrets, faillent ici. Ils n'essaient pas de savoir
comment cette connaissance de l'inconscient, des pulsions, des défenses du
patient naît dans l'esprit de l'analyste. Ils n'essaient pas de disséquer, d'ana-
lyser les opérations par lesquelles l'analyste, à partir d'un matérielverbal donné,
aboutit à la connaissance de la nature de ce matériel. En d'autres termes, ils
n'essaient pas de formuler une définition opératoire de la notion de contenu
inconscient et des notions de pulsion et de défense. Et c'est bien dommage, car
le pivot même de leur argumentation s'en trouverait singulièrement consolidé.
Mais, somme toute, ce livre, tel qu'il est, nous paraît excellent, d'une lecture
facile et attachante, et mérite de figurer dans toute bibliothèque psychanalytique.
Pierre LÉVY.
INFORMATIONS

LISTE DES MEMBRES


DE LA SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS
I. — MEMBRES TITULAIRES
Dr BARANDE Robert, 4, rue Marbeuf, Paris (8e), ELY 76.36.
Dr BÉNASSY Maurice, 4, rue de l'Odéon, Paris (6e), ODE 88.52.
Dr BERGE André, 110, avenue du Roule, Neuilly-sur-Seine, MAI 29.91.
Mme le Dr BRAUNSCHWEIG Denise, 60 bis, avenue de Breteuil, Paris, (7e),
FON 94.54. .
Dr CENAC Michel, 4, rue de Babylone, Paris, (7e), LIT 04.36.
Mme CHASSEGUET-SMIRGEL J., 52, rue de l'Université, Paris (7e), BAB 48.55.
Dr DIATKINE René, 24, rue Marbeuf, Paris (8e), BAL 89.33.
Dr FAIN Michel, 32, rue Caumartin, Paris (9e), OPE 00.56.
Dr FAVREAU Jean, 227, boulevard Saint-Germain, Paris (7e), INV 38.05.
Dr FINKELSTEIN Jacques, 2, rue du Colonel-Renard, Paris (17e), ETO 46.37.
Dr GREEN André, 6, rue du Val-de-Grâce, Paris (5e), DAN 60.56.
Dr GRUNBERGER Béla, 30, rue de Bourgogne, Paris (7e), INV 79.89.
Dr HELD René, 99, avenue Raymond-Poincaré, Paris (16e), KLE 81.57.
Mme KESTEMBERG Evelyne, 6, rue Friant, Paris (14e), LEC 65.32.
Dr KESTEMBERG Jean, 6, rue Friant, Paris (14e), LEC 65. 32.
Dr LEBOVICI Serge, 3, avenue du Président-Wilson, Paris (16e), KLE 17.16.
Dr LUQUET Pierre, 54, rue de la Bienfaisance, Paris (8e), LAB 66. 85.
Mme le Dr LUQUET-PARATJ. C, 54, rue de la Bienfaisance,Paris(8e), LAB 66.85.
Dr MALE Pierre, 6, rue de Bellechasse, Paris (7e), INV 65.59.
Dr MALLET Jean, 8, rue Charles-Divry, Paris (14e), SUF 29.67.
Dr MARTY Pierre, 179, boulevard Saint-Germain, Paris (7e), LIT 07.07.
Dr MISES Roger, 21, rue Barbet-de-Jouy, Paris (7e), INV 33.62.
Dr de M'UZAN Michel, 4, cité d'Hauteville, Paris (10e), PRO 84.19, 22, Villa
Seurat, Paris (14e), GOB 91.65.
Dr NACHT S., 80, rue Spontini, Paris (16e), KLE 35.15.
Dr NODET Ch. H., Hôpital psychiatrique Saint-Georges, Bourg-en-Bresse
(Ain), 3.88.
Dr PASCHE Francis, 1, rue de Prony, Paris (17e), WAG 00.30.
Dr RACAMIER P. C, Les Rives-de-Prangins, Prangins (Vaud) Suisse, 61.21.01.
Dr RENARD Michel, 1, place des Victoires, Paris (2e), GUT 34.08.
Dr ROUART Julien, 40, rue Paul-Valéry, Paris (16e), PAS 64.84.
Dr SAUGUET Henri, 3, rue Chernoviz, Paris (16e), JAS 97.49.
Dr SCHLUMBERGER Marc, 17, avenue Théophile-Gauthier, Paris (16e),
AUT 74.92.
Dr STEIN Conrad, 27, rue de Choiseul,Paris (2e), RIC 68.05.
Dr VIDERMAN Serge, 15, rue des Beaux-Arts, Paris (6e), ODE 64.30.
824 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

II. — MEMBRES ADHÉRENTS


Mme BACKES M., 16, rue de Djemila, Hydra-Alger (Algérie), 66.49.33.
Mme le Dr BARANDE I., 4, rue Marbeuf, Paris (8e), ELY 76.36.
DT BAYET R., 234, rue J.-B. Charcot, Courbevoie (Seine), DEF 14.92.
Mlle BERMAN A., 50, rue Pergolèse, Paris (16e), KLE 91.37.
Dr BIGRAS J., 3104, rue Brighton, Montréal 26 (Canada).
Mlle BREUER E., 5, rue d'Arcole, Paris (4e), DAN 86.59.
Dr COURCHET J. L., 70, rue des Saints-Pères, Paris (7e), BAB 58.66.
Dr CROUZATIER A., 64, avenue de la Bourdonnais, Paris (7e), INV 76.37.
Dr DALIBARD Y., 134, rue de Grenelle, Paris (7e), INV 76.64.
Dr DANON-BOILEAU H., 34, quai de Béthune, Paris (4e), ODE 17.46.
Mme le Dr DAUPHIN A., 24, rue Gay-Lussac, Paris (5e), DAN 59.30.
Dr DAVID Ch., 77, rue de Lille, Paris, (7e), BAB 27.12.
Pr DEVEREUX G., Résidence Lafontaine, Bâtiment G. 2, 186, avenue Aristide-
Briand, Antony (Seine).
Mme le Dr DREYFUS-MOREAU J., 16, rue de Sèvres, Paris (7e), LIT 96.44.
Mme le Dr ELIET J., 53, rue de la Tour, Paris, (16e), TRO 67.58.
M. FAVEZ G., 29, rue Descartes, Paris (5e), DAN 98.77.
Mme FEIBEL Ch., 7, West, 96th Street, New York 25-N.Y. (U.S.A.).
Dr GARCIA BADARACCO J., Juncal 1082, Buenos Aires (Argentine).
Dr GEAHCHAN D., 11, avenue Ferdinand-Buisson, Paris (16e), VAL 33.18.
Dr GENDROT J. A., 10, rue Coutureau, Saint-Cloud (S.-et-O.). MOL 41.88.
Mme JONES L., 22, rue Delambre, Paris (14e), ODE 51.40.
Dr KOURETAS D., 19, rue Solonos, Athènes (Grèce).
Mme LEBOVICI R., 3, avenue du Président-Wilson, Paris (16e), KLE 17.16.
Mme le Dr LEULIER H., 7, allée des Bocages, Le Vésinet (S.-et-O.), 966.00.12.
Mme le Dr LUBTCHANSKY J., 7, rue de Verneuil, Paris, (7e), BAB 33.66.
M. MAUCO G., 1, square Alfred-Capus, Paris (16e), AUT 47.96.
Mme-Mc DOUGALL J., 4, rue Monge, Paris (5e), ODE 22.38.
Mgr le prince de GRÈCE.
Dr QUIJADA H., Quintà Los Pinos, avenue Caroni, Colinas de Bello Monte,
Caracas (Venezuela).
M. SAMI ALI., quartier grec, 3, rue des Fatimite, Alexandrie (Egypte).
Dr SCHMITZ B., 54, rue Saint-Placide, Paris (6e), LIT 88.16.
M. SHENTOUB S. A., 24, rue Raynouard, Paris (16e), JAS 62.28.
Dr SOULE M., 13, rue de l'Estrapade, Paris (5e), DAN 72.74.
Mme ToROK M., 16, rue Vézelay, Paris (8e), LAB 90.60.
Mme WILLIAMS M. C, 1, villa d'Eylau, Paris, (16e), POI 39.28.
Mme le Dr ZAMORA DE PELLICER C, Monte Esquinza 42, Madrid (Espagne).
Dr ZlWAR M., 20, rue Saray el Gesira, Zamalek, Le Caire (Egypte).
III. — MEMBRES AFFILIÉS
Dr BARAJAS CASTRO R., Insurgentes 300.1120, Mexico 7. D.F. (Mexique).
Dr BOULANGER J. B., 2156 Ouest, rue Sherbrooke, Montréal 25 (Canada), .

tél. WE 2.4562.
:
Dr CARCAMO C. E., Callao 1565, Buenos Aires (Argentine).
M. CHENTRIER Th., 3203, Jean Brillant, Montréal 26, (Canada).
Mme GUEX G., 54, avenue de Beaumont, Lausanne (Suisse).
Mlle le Dr JACOBS VAN MERLEN Th., 124, rue Berkendaël, Bruxelles (Belgique),
tél. : 43-16.55.
Mme LECHAT F., 137, avenue Albert, Bruxelles (Belgique), tél. : 44.07.03.
Dr SOCARRAS J. F., Calle 35, 17-39, Bogota (Colombie).
Dr ZAVITZIANOS G., 22, Cypress Street, Tenafly, New Jersey (U.S.A.).
INDEX

Adulte :Monde, 816-819. Des Psychanalystes de Langues


Affects au cours du processus ana- Romanes (XXVIe —, 1965), 634.
lytique, 93-112. Du Rorschach et des Méthodes
ALEXANDER (F.), 634. projectives (VIe —, 1965), 634.
Analité, 753-755- Conscience : Prise de — au cours
Analyste : Poids de la parole de l'— du processus analytique, 93-112.
dans la situation analytique, 235- Corporel : Schéma — de la pensée,
249. 57-741
Angoisse, 279.
Anorexie mentale : Histoire clinique DALIBARD (Y.), 388-389.
et théorique de 1'— de la puberté, DAVID (Ch.), 285-289.
279-280. DECOBERT (S.), 393-418.
ARLOW (A.), 819-821. Défense du moi, 185-215,
Art : et fantasme, 581-589 ; OEuvre Dépersonnalisation : Expansion nar-
d'— comme visage à deux faces, cissique et, 239-243.
749-753- Dépressive : Condition (voir guerre),
Artiste : Freud et le problème de la 251-277.
lignée et la tradition de, 755-757 ; Désagrégation dans la schizophrénie,
Sublimation, 729-779. 626.
Désir : Support de la réalisation hal-
BALINT (M. et E.), 289-290. lucinatoire du, 744-749.
BENASSY (M.), 539-565 ; (trad. Ko- Destruction : Instinct de, 279.
HUT), 471-472; 575-579 ; (trad. DIATKINE (R.), 539-565.
ROSEN), 567-575 ; (trad. SEGAL),
507-5I3. Emotions : Reviviscence des — au
BERLOT (P.) (trad. WAELDER), 279. cours du processus analytique,
BICK (E.), 139-148, 165-168. 93-112.
BION (W. R.), 75-84. Enfant : Homosexualité et socialisation
BOONS-GRAFE (M. C.), (analyse de chez 1', 324 ; Psychanalyse de 1',
LAPLANCHE), 280-283. 139-148.
BRENNER (C), 819-821. Esthétique : Double mouvement de
BURSTIN (J.), 626. l'attitude, 749-753.
Ethnologie et ethnologie psychana-
CAHN (R.), 805-806. lytique, 419-440.
Caractère : Névrose de, 709. Etude psychanalytique de la pensée,
Castration : Peur de, 757-759. 57-74.
Choix des candidats dans l'enseigne- Etudiants en psychanalyse, critères
ment de la psychanalyse, 29-36. de sélection, application à la for-
Concept : Psychanalytique et la mation des, 7-16.
théorie structurale, 819-821.
Conflits précoces ; Intégration du FAIN (M.), 232-233, 609-622, 801-
père dans les, 371-392. 804.
Congrès : Fantaisie, 515-538.
International du Film Médical Fantasme : et Art, 581-589 ; Culture
(1965), 634. dans le, 548-549 ; Homosexuels,
International de Psychanalyse 323-324 ; Métapsychologiedu, 575-
(XXIIe —, 1961), 634. 579 ; Ontogenèse du, 539-565 ;
826 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

Perspectives psychosomatiques sur MAN), 149-158 ; (trad. RAMZY),


la fonction des, 609-622 ; Position 47-56 ; (trad. SANDLER), 37-45 ;
du — dans la psychologie psycha- (trad. SPITZ), 185-215.
nalytique, 471-472 ; Symposium KESTEMBERG (J.), 231-232, 393-418,
sur le, 507-513 ; Utilisation par 441-442, 781-782.
un peintre de ses rêves et de ses, KHAN (M. R.), 113-132.
591-608. KLEIN (M.), 816-819.
FAVREAU (J.), 327-329, 390-391. KOHUT (H.), 471-472, 575-579.
Femme : Homosexualité chez la, 324- KRASNER (J. D.), 626-627.
325.
FORNARI (F.), 251-277. LAGACHE (D.), 515-538.
FOULKES (S. H.), 626-627. LANGER (M.), 7-16.
FRANKL (L.), 149-158. LAPLANCHE (J.), 280-283.
FREUD (S.), 113-132, 493-500, 623- Langage et inconscient, 540-545.
625, 678-715, 755-757. LEBOVICI (S.), 233-234, 317-333, 389-
390 ; (analyse de MARTY, de M'u-
GARMA (A.), 441-442. ZAN et DAVID), 285-289) ; (analyse
GELEERD (E.), 158-165. de ROBERT), 623-625.
GILL (M. M.), 341-343. LEMAY (M.), 283-284.
GlLLIBERT (J.), 795-801. LEVY (P.), (analyse de ARLOW et
GIRARD (Cl.) (analyse de LEMAY), BRENNER), 819-821 ; (analyse de
283-284. BALINT), 289-290 ; (analyse de
GREEN (A.), 678, 715-789 ; (analyse TOMAN), 284-285.
de KLEIN), 816-819. LOEWENSTEIN (R.), 639-678.
GRUNBERGER (B.), 217-231, 782. LUQUET (C), 324-325.
Guerre : Condition dépressive et LUQUET (P.), 581-589, 789-795.
condition paranoïde dans la crise
de la, 251-277. MALLET (J.), 325-326, 721-725.
MARTY (P.), 285-289, 327, 609-622.
Hallucination négative et pensée, 85- MASSOUBRE (J.), 473-506.
Médecine somatique et homosexua-
Hampstead : Index de, 37-45,473-506. lité, 327.
HARTMANN (H.), 639-678. MENDEL (G.), 729-779, 807-808.
HELD (R.), 637. Métapsychologie : Aspect de la — du
HELLMAN (I.), 149-158. fantasme, 473-506.
Hölderlin et la question du père, 280- MISES (R.), 371-387, 391-392.
283. Moi : Etude sur le — hystérique et
Homosexualité : Aspect théorique et obsessionnel, 697-698 ; Participa-
clinique, 317-325 ; Fantasmatique, tion du — dans l'alliance théra-
peutique, 149-158 ; Quelques pro-
323 ; et Médecine psychosomatique,
327; et Psychose, 325-326, 721-725 ; totypes de défense du, 185-215 ;
et Socialisation chez l'enfant, 324. Psychologie analytique du, 279 ;
Hystérie : Névrose obsessionnelle et Théorie de l'autonomie du, 344-370.
MONCHAUX (C. de), 85-91.
—, leurs relations chez Freud et M'UZAN (M. de), 285-289.
depuis, 678-715 ; Orale, 700 ; Mo-
dèle structural de 1', 713. NACHT (S.), 717-720.
NAGERA (H.), 473-506.
Image phallique, 217-231. Narcissisme, 221-226 ; primaire, 235-
Inadaptés : Groupe de jeunes —, 244.
283-284. Névrose : de caractère, 709 ; obses-
Inconscient : et fantasme, 483-493 ; sionnelle et hystérie, 678-715.
et langage, 540-545.
Institut de Psychanalyse, 317-338, Orale : Hystérie, 700.
628-633. Oralité : Support de la réalisation hal-
Investigation psychosomatique, 285- lucinatoire du désir, de la pensée
289. magique et du fantasme, 744-749.
KADIS (A. L.), 626-627. Paranoïde : Condition, 251-277 (voir
KALMANOVITCH (J.) (trad. BICK), guerre).
139-148 ; (trad. FRANKL et HELL- PASCHE (F.), 317-324-
INDEX 827

Peintre : Utilisation par un — de Révolution psychanalytique, 623-625.


ses rêves et de ses fantasmes, ROBERT (M.), 623-625.
591-608. ROSEN (V. H.), 567-573.
Pensée : Etude psychanalytique de la,
57-74 ; et hallucination négative, SANDLER (J.), 37-45 ; 473-506.
85-91 ; la signification, les schémas Schémas corporels de la pensée, 57-74.
de la signification et les schémas Schizophrénie : Désintégration, régres-
corporels de la, 57-74. sion et reconstruction dans la, 626.
Père : Intégration du — dans les SCOTT (W. C), 169-184.
conflits précoces, 371-392 ; Rapport SÉCHEHAYE, 634.
d'intimité avec un — spirituel, SEGAL (H.), 507-513.
759-766. Séminaire de perfectionnement (1963),
Perversion, 708. 317-331.
Phallique : Image, 217-231 ; Narcis- SHENTOUB (S. A.), 419-440.
sisme, 320-322. SIFNEOS (P. E.), 591-608.
Phobie : Distinction entre —, hystérie Signification : Schéma de la, 57-74 ;
et névrose obsessionnelle, 684-691, Situation psychanalytique, 93-112,
693-697; 717-720. 235-249.
Primaire : Narcissisme, 235-289. Société Psychanalytique de Paris, 823-
Psychanalyse : Critères de sélection 824.
applicables à la formation des étu- SPIEGEL, 234.
diants en, 7-16 ; Ethnologie et STEIN (C.), 235-249.
ethnologie psychanalytique, 419- Sublimation : Artistique, 729-779 ;
440 ; Fondements de la, 279 ; Conception freudienne de la, 737-
Infantile aujourd'hui, 139-148 ; Pa- 741.
ramètres freudiens de la position Surmoi : Notes sur le, 639-678.
structurale en, 709-713. SZÉKELY (L.), 57-74.
Psychanalytique : Concept — et la
théorie structurale, 819-821 ; Evo- Théorie : de la pensée, 75-84 ; Struc-
lution de la situation, 93-112 ; turale et les concepts psychanalyti-
Psychologie : analytique du moi, 279 ; ques, 819-821.
du rêve, 113-132. Thérapeutique : Dynamique des
groupes, 393-418 ; la participation
RAMZY (I.), 47-56. du moi dans l'alliance, 149-158.
RAPAPORT (D.), 341-343 ; 344-470. Tête : maux de, 440-441.
Réalité, 508-538. THOMA (H.), 279-280.
Recherche psychanalytique, index de TOMAN (W.), 284-285.
Hampstead, outil de la, 37-45.
Reconstruction dans la schizophrénie, VALENSTEIN (A. R.), 93-113.
626. VAN DER LEEUW (P.), 17-27.
Régression : Dans la schizophrénie, Vérité, 508-538.
626 ; Remarques sur la, 235-249.
Rêve : Psychologie du, 113-132 ; WAELDER (R.), 29-36 ; 279.
Relation entre — et fantasmes, WINDHOLZ (E.). 133-137.
594-595. WlNICK (C), 626-627.
TABLE DES MATIERES
DU TOME XXVIII

PAGES

CONTRIBUTIONS SCIENTIFIQUES.

..
BÉNASSY (Maurice) et DIATKINE (René). — Ontogenèse du fantasme. 539
Lu au XXIIIe Congrès International de Psychanalyse. Intervention
de V. H. ROSEN, 567.
BICK (Esther). — La psychanalyse infantile d'aujourd'hui 139
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Elisabeth GELEERD.
BION (Wilfred). — Théorie de la pensée 75
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution à
la discussion par Cecily de MONCHAUX, 85.
CAHN (R.). — Voir G. MENDEL 805
DALIBARD (Y.). — Voir G. MENDEL 793
DALIBARD (Y.). — Voir Roger MISES 388
DECOBERT (Simone). — Voir Jean KESTENBERG 393
DIATKINE (René). — Voir Maurice BÉNASSY 539
FAIN (Michel). — Voir Béla GRUNBERGER 232
FAIN (Michel). — Voir G. MENDEL 801
FAIN (Michel) et MARTY (Pierre). — Perspective psychosomatique sur
la fonction des fantasmes 609
FAVREAU (Jean). — Voir Roger MISES 390
FRANKL (Liselotte) et HELLMAN (Ilse). — La participation du moi dans
l'alliance thérapeutique 149
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Elisabeth GELEERD, 159.
FORNARI (Franco). — Condition dépressive et condition paranoïde dans
la crise de la guerre 251
GELEERD (Elisabeth). — Voir Esther BICK, Liselotte FRANKL et Ilse
HELLMAN 159
GILL (Merton). — In Memoriam David Rapaport (1911-1960) 341
GREEN (André). — Névrose obsessionnelle et hystérie, leurs relations
chez Freud et depuis 679
GRUNBERGER (Béla). — De l'image phallique 217
Discussion par Jean KESTENBERG, 231 ; Interventions de Michel
FAIN, 232 ; Serge LEBOVICI, 233 ; L. SPIEGEL, 234.
HARTMANN (H.) et LOEWENSTEIN (R.). — Notes sur le surmoi 639
HELLMAN (Ilse). — Voir Liselotte FRANKL 149
KESTENBERG (Jean). — Voir Béla GRUNBERGER 231
KESTENBERG (Jean). — Voir Roger MISES 388
KESTENBERG (Jean). — Voir Gérard MENDEL 780
KESTENBERG (Jean) et DECOBERT (Simone). — Approche psychanalytique
pour la compréhension de la dynamique des groupes thérapeutiques
(Variantes dynamiques dans les groupes dits stables ou instables) 393
830 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964

KHAN (Masud R.). — La psychologie du rêve et l'évolution de la situa-


tion psychanalytique 113
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Emanuel WINDHOLD, 133.
HOHUT (Heinz). — La position du fantasme dans la psychologie psycha-
nalytique. Introduction 471
Lu au XXIIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
de Hanna SEGAL, 507.
KOHUT (H.). — Quelques problèmes de formulation métapsychologique
du fantasme 575
Lu au XXIIIe Congrès International de Psychanalyse.
LAGACHE (Daniel).
— Fantaisie, réalité, vérité 515
Lu au XXIIIe Congrès International de Psychanalyse. Intervention
de V. H. ROSEN, 567.
LANGER (Marie) et VAN DER LEEUW (Pieter). — Critères de sélection
applicables à la formation des étudiants en psychanalyse 7
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Robert WAELDER, 29.
LEBOVICI (Serge). — Voir Béla GRUNBERGER 233
LEBOVICI (Serge). — Voir Roger MISES 389
LOEWENSTEIN (Rudolph M.).
— Voir Heinz HARTMANN 639
LUQUET (Pierre). — Art et fantasmes 581
LUQUET (Pierre). — Voir Gérard MENDEL 739
MALLET (Jean). — De l'homosexualité psychotique 721
MARTY (Pierre). — Voir Michel FAIN 609
MENDEL (Gérard). — La sublimation artistique 729
Discussion par Jean KESTENBERG, 780 ; Interventions de Béla
GRUNBERGER, 782 ; Pierre LUQUET, 789 ; Y. DALIBARD, 793 ;
Michel FAIN, 801 ; R. CAHN, 805.
MISES (Roger). — L'intégration du père dans les conflits précoces 371
Discussion par Jean KESTENBERG, 388 ; Interventions de Y. DALIBARD,
388 ; Serge LEBOVICI, 389 ; Jean FAVREAU, 390 ; Réponse de
R. MISES, 391.
MONCHAUX (Cecily de). — La pensée et l'hallucination négative 85
Voir Wilfred BION et Lajos SZERELY. ....
NACHT (S.). —Particularité technique du traitement des phobiques 717
RAMZY (Ishak). — Voir Joseph SANDLER 47
RAPAPORT (David). — La théorie de l'autonomie du moi ; une générali-
sation 344
ROSEN (V. H.). — Voir D. LAGACHE ; Maurice BÉNASSY et René DIATKINE 567
SANDLER (Joseph).
— L'index de Hampstead, outil de la recherche
psychanalytique 37
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
à la discussion par Ishak RAMZY, 47.
SANDLER (J.) et NAGERA (H.). Aspects de la métapsychologie du
fantasme —
473
Lu au XXIIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution
de Hanna SEGAL, 507.
SCOTT (Clifford). — Une reclassification des états psychopathologiques 169
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse.
SEGAL (Hanna). Voir Heinz KOHUT ; Joseph SANDLER et Humberto
NAGERA

507
SHENTOUB (S. A.).
— Psychanalyse, ethnologie et ethnologie psychana-
lytique 419
TABLE DES MATIÈRES 831

PAGES

SIFNEOS (Peter E.). — L'utilisation par un peintre de ses rêves et de ses


fantasmes au bénéfice de son activité créatrice 591
SPIEGEL (L.). — Voir Béla GRUNBERGER 234
SPITZ (René A.). — Quelques prototypes précoces de défense du moi 185
STEIN (Conrad). — La situation analytique. Remarques sur la régression
vers le narcissisme primaire dans la séance et le poids et la parole
de l'analyste .. 235
SZEKELY (Lajos). — La signification, les schémas de la signification et
les schémas corporels de la pensée 57
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse. Contribution à
la discussion par Cecily de MONCHAUX, 85.
VALENSTEIN (Arthur R.). — Affects, reviviscence des émotions et prise
de conscience au cours du processus analytique 93
Lu au XXIIe Congrès International de Psychanalyse.
VAN DER LEEUW (Pieter). — Voir Marie LANGER 17
WAELDER (Robert). — Le choix des candidats. Voir Marie LANGER et
Pieter VAN DER LEEUW 29

XXIIe CONGRÈS INTERNATIONAL DE PYCHANALYSE


(Edimbourg, 30 juillet-3 août 1961)
CRITÈRES DE SÉLECTION APPLICABLES
A LA FORMATION DES ÉTUDIANTS EN PSYCHANALYSE
I. Marie LANGER 7
II. Pieter J. VAN DER LEEUW 17
LA RECHERCHE EN PSYCHANALYSE
Joseph SANDLER. — L'index de Hampstead, outil de la recherche psycha-
nalytique 37
ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE DE LA PENSÉE
I. Lajos SZEKELY. — La signification, les schémas de la signification et
les schémas corporels de la pensée 57
II. Wilfred BION. — Théorie de la pensée 75
LA SITUATION PSYCHANALYTIQUE
I. Arthur R. VALENSTEIN. — Affects, reviviscence des émotions et
prise de conscience au cours du processus analytique 93
II. Masud R. KHAN. — La psychologie du rêve et l'évolution de la
situation psychanalytique 113
SYMPOSIUM SUR LA PSYCHANALYSE DES ENFANTS
I. Esther BICK. — La psychanalyse infantile d'aujourd'hui 139
II. Liselotte FRANKL et Use HELLMAN. — La participation du moi dans
l'alliance thérapeutique 149
XXIIIe CONGRÈS INTERNATIONAL DE PSYCHANALYSE
(Stockholm, 1963)
H. KOHUT. — Introduction et conclusion 471, 575
J. SANDLER et H. NAGERA. — Aspects de la métapsychologie du fantasme 473
D. LAGACHE. — FAntaisie, réalité, vérité 515
M. BÉNASSY et R. DIATKINE. — Ontogenèse du fantasme 539
832 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 5-6-1964
PAGES

NÉCROLOGIE.
Franz Alexander (8 mars 1964) 634
Félix Deutsch (2 janvier 1964) 339
Laurent-Lucas-Champonnière (21 octobre 1964) 635
Rapaport (David) (1911-1960) 341
Marguerite Séchehaye (7 juillet 1964) 634
LES LIVRES.
AKLOW (Jacob) et BRENNER (Charles). — Les concepts psychanalytiques
et la théorie structurale (P. LÉVY) 819
BALINT (Michael et Enid). — Psychoterapeutic technics in medicine
(P. LÉVY) 289
BURSTIN (Jacques). — Désagrégation, régression et reconstruction dans la
schizophrénie (Résumé d'auteur) 626
GARMA (Angel). — Les maux de tête (J. KESTENBERG) 441
KADIS (A. L.)5 KRASNER (J. D.)5 WINICK (C.) et FOULKES (S. H.). —
Guide pratique de psychothérapie de groupe (Résumé d'auteur) 626
KLEIN (Melanie). — Our adult world and other essays (André GREEN) 816
LAPLANCHE (J.). — Hôlderlin et la question du père (M. C. BOONS) 280
LEMAY (M.). — Les groupes de jeunes inadaptés. Rôle du jeune meneur.
(C. GIRARD) 283
MARTY (Pierre), M'UZAN (Michel de) et DAVID (Christian). —L'investi-
tigation psychosomatique (Serge LEBOVICI) 285
ROBERT (Marthe). — La révolution psychanalytique. La vie et l'oeuvre de
Freud, 2 vol. (Serge LEBOVICI) 623
THOMA (Helmut). — Anorexia nervosa Geschichte, Klinik und Theorien
der Pubertäts Magersucht 279
TOMAN (Walter). — Family constellation (P. LÉVY) 284
WAELDER (Robert). — Les fondements de la psychanalyse 279
Livres parvenus à la rédaction 333
LES REVUES 291, 443, 809
SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS :
Compte rendu des activités scientifiques (octobre 1962 à décem-
bre 1963) 315
Liste des membres 823
INSTITUT DE PSYCHANALYSE :
Ve Séminaire de perfectionnement 317
Statistiques (arrêtées au 31 décembre 1963) 332
Programme de l'enseignement (1964-1965) 628
Bibliothèque 632
COMMUNIQUÉS 339, 633
INDEX ALPHABÉTIQUE 825

Le gérant : Maurice BÉNASSY.

1965. Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)



EDIT. N° 27 970 Dépôt légal : 1-1965 IMP. N° 18 780
IMPRIMÉ EN FRANCE

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