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psychanalyse (Paris)
RÉPÉTITION
ET
INSTINCT
DE MORT
COMITÉ DE DIRECTION
Ilse Barande Jean Kestenberg Francis Pasche
Maurice Bénassy Serge Lebovici Julien Rouart
Denise Braunschweig Pierre Mâle Henri Sauguet
J. Chasseguet-Smirgel Jean Mallet R. de Saussure
René Diatkine Pierre Marty Marc Schlumberger
Jacques Gendrot S. Nacht S. A. Shentoub
DIRECTEURS
Christian David Michel de M'Uzan Serge Viderman
SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
Jacqueline Adamov
ADMINISTRATION
Presses Universitaires de France, 108, bd Saint-Germain, Paris VIe
ABONNEMENTS
Presses Universitaires de France, Service des Périodiques
12, rue Jean-de-Beauvais, Paris Ve. Tél, 033-48-63. C.C.P. Paris 1302-69
Abonnements annuels : six numéros dont un numéro spécial contenant les rapports du
Congrès des Psychanalystes de langues romanes (1969) :
France, Communauté 85 F
Les demandes en duplicata des numéros non arrivés à destination ne pourront être admises
que dans les quinze jours qui suivront la réception du numéro suivant.
Cliché couverture. :
Torse de sphinx ailé
(VIe s. av. J.-C.)
Musée de l'Acropole, Athènes
(Photo Boudot-Lamotte.)
COLLOQUE
DE LA SOCIÉTÉ PSYCHANALYTIQUE DE PARIS
PRESENTATION
CLINIQUE
Evelyne VILLE, Un cas clinique à propos de la compulsion de répétition... 419
Henri DANON-BOILEAU, A propos de la compulsion de répétition chez
l'adolescent psychotique 427
Michel SOULÉ, La « ficelle » dans le jeu de la bobine, étude génétique de
sa maîtrise 431
Jean-Marc ALBY, Courte présentation d'un cas clinique 437
THÉORIE
Michel DE M'UZAN, Le même et l'identique 441
Michel FAIN, intervention 453
Ilse BARANDE, Qu'est-ce, ce qui est ainsi compulsionnellementrépété ? 457
S. NACHT, L'automatisme de répétition 459
André GREEN, Répétition, différence, réplication 461
Christian DAVID, Impulsion novatrice et compulsion de répétition 503
Jean GILLIBERT, La naissance de la répétition 509
Marie-Claire BOONS, Automatisme, compulsion : marque, re-marques 541
DISCUSSION 561
REV. FR. PSYCHANAL. 23
Les textes publiés dans ce numéro de la Revue française de
Psychanalyse ont été présentés lors du colloque annuel de la
Société psychanalytique de Paris, lequel s'est tenu les 29
et 30 juin 1969, avec pour thème l'automatisme de répétition.
Le Dr Pierre Marty, président de la Société psychanalytique
de Paris, a prononcé l'allocution d'ouverture de ce colloque, et
le Dr Jean Favreau assuré la direction des discussions aux-
quelles ont donné lieu les communications préparées.
En vue de leur présente publication, les textes ont été
répartis dans trois chapitres : introductif, clinique et théorique.
Bien que marquée par un certain arbitraire, cette distribution
a semblé propre à assurer la meilleure lisibilité.
Certaines interventions ont constitué en partie l'argumenta-
tion des textes préalablement diffusés, cependant que l'ensemble
de la discussion s'est développé sur un mode libre et improvisé.
Il en découle qu'on ne saurait rendre totalement compte d'un
débat aussi riche et aussi long. On s'est donc limité à donner
en appendice un bref aperçu des thèmes abordés.
Au cours des discussions sont intervenus : J. M. Alby,
I. Barande, M. C. Boons, J. Chasseguet-Smirgel, J. Cosnier,
Y. Dalibard, M. Fain, J. Favreau, J. Gillibert, A. Green,
P. Labbé, P. Luquet, P. Marty, M. de M'Uzan, C. Parat,
M. Soulé, P. Vereecken.
Dans les dernières pages de Au delà du principe de plaisir, Freud
soulève une interrogation : n'a-t-il pas surestimé l'importance des faits se
rapportant à la compulsion de répétition ?
« Il n'était pas possible de poursuivre cette idée, écrit-il, sans combiner
à plusieurs reprises ce qui était de l'ordre des faits, avec ce qui est le pur
produit de la pensée. »
Il est en effet frappant de noter que, dès qu'il fait surgir le concept de
compulsion de répétition en tant que facteur primaire irréductible à la
dynamique et à l'économie du conflit, il n'a pas échappé à l'alternative
suivante : ou bien les faits qu'il rapporte font référence à des considérations
biologiques — voire physico-chimiques — tout à fait étrangères au psychisme
humain : lois de la thermodynamique, immortalité des organismes uni-
cellulaires, germen et soma... tout en soulignant le caractère d'emprunt de
ces références, et l'accroissement du degré d'incertitude que cela entraîne
dans ses spéculations — ou bien, à l'opposé, le langage employé tend vers
celui de la philosophie : l'Eros platonicien, le mythe des Androgynes, les
Upanishades... Mais alors, comme il le confirmera plus tard, il laisse ici
libre cours à son goût de la spéculation, qu'il avait si longtemps réprimé,
ne se voulant qu'homme de science.
C'est la richesse de la pensée de Freud qui lui permet de partir d'une
praxis rigoureusement déterministe pour nous conduire jusqu'au seuil d'un
au-delà qui débouche sur les grands mythes de l'homme et sur l'opacité de
son destin. Il faut d'ailleurs noter avec Green que « les vues naturalistes de
Freud sont beaucoup plus des considérations métabiologiques, dans le sens
où l'on dirait que la métapsychologie n'est pas une psychologie » ; et nous
suivrons Green volontierslorsqu'ildéclare que le champpsychanalytique n'ap-
partient en propre ni à la biologie, ni à la psychologie, ni à la philosophie.
L'automatisme de répétition, comme tous les concepts primaires de
Freud, n'est pas exprimable en termes d'économie, s'il est pris dans son sens
radical. Il devient une pure polarité des instincts : leur caractère conser-
vateur ; c'est un concept limite que seule une extrapolation spéculative
ou des analogies biologiques permettent d'isoler.
356 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
LA COMPULSION DE REPETITION
DANS L'OEUVRE DE FREUD
famille humaine, des réalités, et qu'en donnant libre cours à son ima-
gination, l'enfant comble seulement, à l'aide de la vérité préhistorique,
les lacunes de la vérité individuelle » (1).
AVANT-PROPOS
(1) Pour définir ces termes et préciser leur emploi dans l'oeuvre de Freud nous nous sommes
référés au Vocabulaire de la psychanalyse de J. LAPLANCHE et J. B. PONTALIS (Presses Univer-
sitaires de France, 1967).
INTRODUCTION A UN COLLOQUE 375
le moins qu'on puisse dire c'est que cette notion ne semble pas enthou-
siasmer Freud :
« Si on veut qualifier ce facteur de résistance de « l'inconscient », nous n'y
voyons pas d'objection. »
« ... Avec assez d'inexactitude, nous avons attribué ce comportement répé-
titif à une résistance du Ça » [17, 19].
On voit donc sa réticence à accorder la fonction de résister à une
autre instance qu'au Moi. D'autant que, dans toute la description de la
deuxième topique, l'accent a été mis sur la prévalence presque exclu-
sive du rôle défensif du Moi, et ceci jusque dans ses derniers articles.
Même dans Au delà du principe de plaisir, où toute la thèse développée
semblerait aller dans un sens différent, il déclare cependant :
« L'inconscient, c'est-à-dire le refoulé, n'offre aux efforts de la cure ana-
lytique aucune espèce de résistance. En fait, il ne tend même à rien d'autre
qu'à vaincre la pression qui pèse sur lui pour se frayer un chemin vers la cons-
cience ou vers la décharge par l'action réelle. La résistance dans la cure provient
des mêmes couches et systèmes supérieurs de la vie psychique qui avaient pro-
duit le refoulement en son temps. »
Six ans plus tard, il écrit [17] :
« Il faut admettre qu'après la résistance du Moi, il reste à surmonter l'em-
prise de la compulsion de répétition, l'attraction exercée par les prototypes
inconscients sur les processus pulsionnels refoulés. »
Nous pourrions multiplier les citations allant dans le même sens :
ainsi au delà même des contre-investissements défensifs du Moi,
quelque chose de pulsionnel, de répétitif, vient barrer la route au
retour du refoulé ; ainsi parallèlement à la dualité instinct de vie, instinct
de mort, apparaît une opposition antithétique réaffirmée avec force sur
le plan clinique comme sur le plan théorique et que nous pouvons
résumer ainsi : la plasticité de la libido rend compte de la mobilité des
investissements, de la capacité de changement (l'énergie du Ça par-
ticipe du processus primaire et elle est théoriquement libre), de la possi-
bilité de liaison vers le processus secondaire, de l'espoir de mobiliser, de
changer quelque chose par l'analyse. A l'opposé, la viscosité de la libido,
propriété inverse des pulsions, racine de la compulsion de répétition,
s'exprime cliniquement par la résistance du Ça. Elle témoigne d'une
sorte d'inertie psychique, elle rend compte de l'attraction répétitive
de l'inconscient sur les représentations refoulées, elle s'oppose au retour
du refoulé. Il y aurait donc à l'intérieur du Ça une opposition dialectique :
« un jeu de forces contradictoires qui y subsistent côte à côte, sans se supprimer
l'une l'autre ou se soustraire l'une à l'autre » [18].
376 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
ÉTUDES CLINIQUES
Les auteurs qui l'ont suivi se sont montrés plus ou moins réticents,
et accordent plus ou moins de réalité clinique à cette notion.
Il en est ainsi pour Ferenczi et Rank, qui, dans un ouvrage intitulé
Le développement de la psychanalyse [14], accordent une valeur théra-
peutique à la répétition du vécu dans le transfert comme expérience
correctrice. Certains moments du développement ne relevant pas de la
mémoire, ils pensent qu'il n'y a pas d'autre issue pour le malade que la
répétition, conformément à l'automatisme de répétition, qu'ils quali-
fient de « remémoration agie, ou actuelle ». Cette position s'oppose
radicalement à l'élaboration interprétative ; bien au contraire, elle
constitue une sorte de retour en arrière vers les processus cathartiques
et la décharge par abréactions ; elle annonce les remaniements tech-
niques que les auteurs feront subir à la cure.
Nunberg [32], au contraire, reste dans une ligne rigoureusement
freudienne et fait de la compulsion de répétition la racine la plus
profonde de chaque réaction de défense. Il consacre quelques lignes
de son livre Principes de psychanalyse à la notion de résistance du Ça :
il y voit essentiellement l'origine du passage à l'acte (1) non seulement
dans le transfert, mais aussi en dehors de la situation transférentielle.
Le sujet cherche à provoquer des expériences répétitives, et cet « agir »
s'oppose directement à la prise de conscience et ne fait que renforcer
et répéter la défense. Quoi qu'il en soit, il pense que pour devenir
accessibles à une influence directe, c'est-à-dire pour être influencées
par l'analyse, les résistances issues de la compulsion de répétition
doivent être transformées en résistances du Moi.
Fenichel [13] consacre à l'élaboration interprétative un chapitre
de son ouvrage de technique psychanalytique. Tout en accordant une
grande importance à ce processus, il précise qu'il s'applique unique-
ment au Moi : si l'élaboration interprétative peut influencer la résis-
tance du Ça, ce n'est que d'une manière indirecte seulement, car nous
savons, dit-il,
« qu'il n'y a aucun moyen d'agir directement sur le Ça, et que nous demeu-
rons impuissants devant la résistance que celui-ci oppose. »
(1) Pour tout ce qui a trait à « compulsion de répétition et passage à l'acte » nous ne pouvons
mieux faire que de renvoyer le lecteur au rapport de Julien ROUART, Agir et processus psycha-
nalytique (Rev. franç. de Psych., XXXII, 1968, nos 5-6 [37]), article dans lequel le sujet est
traité de façon claire et exhaustive (en particulier le chapitre : « Fonctions de la répétition par
acte »).
378 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
ment que le Moi peut être successivement confronté avec les éléments
non tolérés des pulsions.
Glover [22] est beaucoup plus pessimiste ; il estime que la résistance
du Ça s'observe surtout dans les formes les plus accentuées des troubles
mentaux où elle constitue l'obstacle irréductible, mais aussi dans des
désordres moins profonds, et même dans l'analyse des sujets « nor-
maux » (l'analyse dite didactique). Les résistances du Ça revêtent
pour lui un caractère particulièrement tenace. Cela n'est pas étonnant,
pense-t-il, puisque la principale caractéristique de la pulsion instinc-
tuelle est sa compulsion à la répétition. Contre ce roc, les interprétations
les plus adéquates viennent se briser.
« Bref, ayant épuisé la liste des résistances qui pouvaient provenir du Moi
ou du Surmoi nous restons avec ce fait nu qu'on se livre devant nous à une
répétition du même ensemble de représentations.
« C'est là, en même temps, la clé du problème. En effet,
plus nous nous
rapprochons de la répétition aveugle, plus nous pouvons toucher du doigt
une des caractéristiques de l'excitation instinctuelle. Il nous semble que le Ça
a repris sur nous l'avantage. Nous espérions qu'en écartant les résistances du
Moi et du Surmoi nous amènerions quelque chose comme une libération
automatique des pulsions et qu'une autre manifestation de défense s'empresse-
rait de lier cette énergie libérée. Au lieu de cela, il semble que nous ayons
donné un coup de fouet à la compulsion de répétition et que le Ça ait profité
de l'affaiblissement des défenses du Moi pour exercer une attraction grandis-
sante sur les représentations préconscientes. Il faut admettre que c'est par un
processus d'exclusion que l'on arrive généralement à se prononcer sur l'exis-
tence d'une résistance du Ça. »
Ainsi, lui aussi insiste sur le fait que le recours à la notion de résis-
tance du Ça est un processus d'élimination, car cette notion « affecte
de façon vitale les vertus thérapeutiques de la psychanalyse ». Son
pessimisme se trouve tempéré par les notions suivantes : il pense que
l'habileté diagnostique et pronostique doit permettre d'évaluer préala-
blement les chances que nous avons de nous heurter à cette résistance
irréductible. Parallèlement, il estime que « la simple honnêteté exige
que l'analyste ne tente pas d'excuser ses échecs en plaidant la résistance
du Ça ».
Cette dernière notation pourrait aussi résumer la position de
Maurice Bouvet [5]. Lorsque cet auteur parle de résistance du Ça, il
ne se réfère jamais à la compulsion de répétition, mais fait appel unique-
ment à la notion d'inertie psychique et en parle comme d'un facteur
constitutionnel (et non pas propriété inhérente aux pulsions en général).
Pour lui cette résistance est très rare et pratiquement toujours respon-
INTRODUCTION A UN COLLOQUE 379
dégager d'un phantasme qui pourrait être induit par la lecture de cet
article : à savoir l'image d'un analyste écrasé et réduit au silence par
des forces aveugles qui réussissent peu à peu à l'engloutir dans un
mouvement perpétuel, dans des formes infernales dues à la compulsion
de répétition. Les attitudes délibérées et souvent formalistes de l'ana-
lyste vont elles-mêmes être envahies par la compulsion de répétition.
Pour lui la compulsion de répétition cherche à imposer un type de
maîtrise inintelligente et répétitive auquel doit s'opposer un type de
maîtrise intelligente et variée qui se développe au cours du processus
analytique. Si ce processus analytique se termine et meurt prématuré-
ment, c'est qu'il est fixé par la compulsion de répétition, d'où analyse
interminable.
« Dès lors, le mouvement régrédient activé par la cure ne mobilise que
quelques traces mnésiques vite figées dans des réactions transférentielles stéréo-
typées. Les représentations liées aux représentations récentes et aux interpré-
tations sont attirées en arrière au niveau des traces mnésiques qui ont joué
un rôle actif dans la création de la fixation. Les perceptions récentes, au lieu
d'enrichir les possibilités de représentations, sont immédiatement condensées,
confondues avec des traces mnésiques anciennes et perdent ainsi leur carac-
tère vitalisant. »
Comment le psychanalyste peut-il rendre vie à ce processus mort ?
Pour Michel Fain tout le problème est là... Et il pose la question
suivante :
« La présence de l'analyste et la vie qu'il met dans son activité interprétante
peuvent-elles faire rejaillir une étincelle dans ce processus mortifié ? Ou se lais-
sera-t-il entraîner à répéter toujours la même chose ? »
Tous les auteurs semblent donc d'accord, même s'ils emploient
parfois une terminologie différente, même s'ils font porter l'accent sur
un pessimisme thérapeutique plus ou moins avoué, pour considérer
que l'élaboration interprétative permet de confronter les résistances du
Ça avec la personnalité globale. Mais ceci laisse persister une obscurité,
sinon une contradiction : toute la cure se déroule à travers le Moi,
puisqu'il n'y a théoriquement aucune façon d'agir sur le Ça. L'élabo-
ration interprétative serait donc un travail qui s'applique au Moi, le
Ça lui restant inaccessible.
Cette contradiction, Jean-Luc Donnet [10] tente de la résoudre
en étudiant ce qu'il appelle « l'antinomie de la résistance ». S'appuyant
sur une analyse rigoureuse des textes de Freud, il pense que ce serait
une erreur de situer exclusivement dans le Ça le siège de la résistance
ultime où l'excitation pulsionnelle s'y manifesterait dans sa nudité
INTRODUCTION A UN COLLOQUE 381
(1) Cf. rapport de D. LAGACHE, Le problème du transfert, R.F.P., XXVI, 1952, n°s 1-2,
pp. 48-49 et pp. 69-72.
382 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3- 1970
CONCEPTIONS THÉORIQUES
répéter sans ennui des millions de fois la même addition dans une
seconde, ce qui aboutit à une multiplication et bientôt à une équation.
Freud, quand il reprend la théorie de Weisman dichotomisant les
lignées germinales et somatiques, nous montre que l'automatisme de
répétition siège dans le germen. Notre corps, ce soma, n'est en somme
qu'une application numérique, un cas particulier éphémère, dont le
modèle est « stocké » dans les mémoires chromosomiques de cet ordi-
nateur central que constitue la lignée germinale.
C'est ici le lieu de rappeler Ferenczi [14] et les horizons poétiques
et grandioses qu'il offre à la psychanalyse dans sa fresque thalassale,
où il tente d'introduire la bioanalytique, nouvelle science qui appli-
querait systématiquement les connaissances de la psychanalyse aux
sciences naturelles. Ferenczi est un des seuls à donner cette dimension
biologique à l'automatisme de répétition, à lier ainsi biologie et destinée
humaine tout en prolongeant rigoureusement la perspective de Freud
dans Au delà du principe de plaisir. Pour lui, l'explication freudienne
à visée économique, selon laquelle l'automatisme de répétition organise,
après un traumatisme violent, une abréaction par petites fractions,
peut également être appliquée à l'histoire de l'espèce humaine. Il
considère, par exemple, que le coït est
« comme une liquidation partielle de « l'effet de choc » provoqué par le trauma-
tisme de la naissance et toujours non encore résolu, mais également comme
un jeu, ou plus exactement une fête commémorativede délivrance d'une situa-
tion difficile, et enfin, comme une dénégation hallucinatoire négative du trau-
matisme. »
Ce coït est à la fois une compulsion, c'est-à-dire selon lui une réac-
tion d'adaptation réalisée sous la contrainte d'un trouble venu de
l'extérieur. Mais c'est aussi un mécanisme de plaisir pur dans la mesure
où il représente la dénégation hallucinatoire négative du désordre en
question.
La plus grande part des pulsions non résolues s'accumule dans le
germen, et c'est donc à partir de lui que naîtrait la compulsion de répé-
tition. Chaque répétition du coït débarrasseraitl'individu d'une fraction
de cette sensation pénible selon un processus, comparable à l'autonomie,
grâce auquel certains animaux abandonnent un membre, objet de trop
d'excitations ou d'une agression trop violente. Dans l'acte sexuel,
l'effort tend à expulser du corps la sécrétion génitale qui produit la
sensation pénible. Mais en même temps, dans une « aisance ludique »,
le coït prend en charge la satisfaction individuelle du soma avec la
liquidation des traumatismes mineurs subis au cours de l'existence.
INTRODUCTION A UN COLLOQUE 395
CONCLUSION
ANNEXE
diente d'actes dits consommatoires car ils épuisent l'énergie plus ou moins
vite. Tous les actes instinctifs provoquent en vertu du mécanisme qui les sous-
tend, une pulsion qui veut se décharger et l'animal a un comportement dit
appétitif par lequel il se livre à une sorte de recherche de type préparatoire de
ce stimulus signal, qui lui permettra d'accomplir l'acte ou la série d'actes
consommatoires. De nombreux éthologues ont décrit ces séquences instinctives
à l'origine de comportements répétitifs complexes qui permettent l'accomplis-
sement des tâches nécessaires à l'espèce. Ces séquences constituent des pattern
qui peuvent être décomposés en une série rigoureusement causaliste d'actes
instinctifs. Le résultat ou l'activité consommatoire de la précédente constitue
le stimulus clé de la suivante ou conduit à une situation permettant de le
recevoir.
Tinbergen a tenté de démonter l'organisation hiérarchique des réactions
instinctives, expliquant toutes les activités connexes dans les domaines de la
reproduction, des migrations, de la recherche des lieux d'approvisionnement,
du choix du mâle, de la femelle, de la construction des nids, de la copula-
tion, etc. Il individualise des paliersfonctionnels. A chaque niveau se rattachent
un ou plusieurs mécanismes déchargeants innés qui se cooptent avec le stimulus
signal biologiquement approprié, telle une posture du partenaire. Seul un sti-
mulus clé précis est capable de déclencher aussi un comportement aux niveaux
inférieurs et ce comportement ne peut donc être que biologiquement correct.
Ces niveaux inférieurs ont des blocages et, tant qu'ils durent, l'énergie réac-
tionnelle spécifique s'accroît et active le comportement appétitif qui contraint
l'animal à rechercher de façon impérative et directive le déclencheur approprié.
Ce premier modèle hydrodynamique des éthologues correspond bien
pour Bowlby et pour Kaufman à la première conception freudienne de la
libido qui s'écoule selon les voies nerveuses (la notion de viscosité de la libido
y fait directementréférence) et s'épuise dans des actes consommatoires d'énergie
à visée finaliste qui apaisent donc la tension. Ainsi s'expliqueraient :
— que les actes instinctifs sont moins facilement répétés juste après l'accom-
plissement qui aurait vidé une partie du réservoir ;
— qu'un stimulus moins précisément défini « fasse l'affaire » lorsque la tension
est très élevée. Ceci explique certaines aberrations ou certains déclenche-
ments précipités inadéquats ;
— que dans certains cas extrêmes de pression très forte, la vanne s'ouvre
d'elle-même et l'acte paraît automatique sans stimulus déclencheur.
La place nous manque pour suivre maintenant Kaufman ou Bowlby
quand ils critiquent les erreurs de certains psychanalystes qui ont adhéré
de trop près à ce modèle explicatif hydrodynamique, prenant — comme dit
Freud — l'échafaudage pour la construction. En revanche, nous devons nous
interroger sur la place faite dans ce système à la compulsion de répétition et
force nous est de constater qu'elle en a peu. Freud n'y fait aucune allusion
tant qu'il conserve ce modèle explicatif exclusif. Les éthologues y font peu
de référence. Benassy [3] dans son rapport sur la théorie des instincts, note
ceci : puisque tout schème effecteur suppose une excitation, il faut bien ima-
giner, pour expliquer l'automatisme de répétition, qu'il existe des schèmes
récurrents, ce qui présuppose la possibilité d'excitations récurrentes. Seul
donc le feed-back permettrait, dans cette théorie, d'expliquer l'automatisme de
répétition. En effet, le résultat d'une séquence d'actes consommatoires peut
amener un animal dans une situation ou dans un état où il reçoit à nouveau un
stimulus clé (d'origine interne ou externe) assez proche du stimulus déclen-
cheur initial de la séquence. Celle-ci se trouve reportée avant même la fin de la
REV. FR. PSYCHANAL. 26
402 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-I970
rent du point de vue finaliste, mais il ne s'en déroule pas moins pour autant.
Par exemple, les oies grises fouillent de leur bec le fond de la mare un certain
nombre de minutes par heure même si elles n'y peuvent rien trouver et même
s'il y a de la nourriture rassemblée au bord de la mare.
« Dans les conditions normales, les souris doivent pas mal ronger, les poules
pas mal picorer et les écureuils pas mal sautiller ; il n'est donc pas immédiatement
évident que ces impératifs proviennent, plus que de stimulations déclen-
chantes externes, d'un besoin interne. Mais si l'on supprime expérimentale-
ment pendant quelque temps les stimuli déclencheurs du milieu externe,
il devient clair que leur rôle était seulement de déterminerquand et où il fallait
exécuter le mouvement instinctif » (Lorenz [29]).
Il faut tenir compte aussi d'autres faits : une grande partie des comporte-
ments peut être décrite comme la recherche d'un stimulus et la plupart des
satisfactions découlent en réalité d'une stimulation, et non de l'absence de
celle-ci. (Les gens privés d'épreuves sensorielles les hallucinent.)
On sait que Bowlby a utilisé certains des concepts éthologiques que nous
venons de rappeler pour expliquer l'ontogénie des relations objectales et des
réactions d'angoisse, de défense et de dépression qui succèdent chez l'enfant
à sa séparation du personnage maternel. Il parle de jeunes animaux « qui suivent
pour suivre et s'accrochent pour le plaisir de s'accrocher ». L'attachement
existe pour lui de façon primaire sans que la mère elle-même fasse quoi que ce
soit pour encourager cet attachement. Il constitue la moitié d'une relation
sociale réciproque qui suit son cours mais qui, d'autre part, reste indépendante
de la période d'allaitement.
« Si les systèmes de réponse instinctuelle formant le trait d'union avec un
personnage maternel sont primaires, n'importe quelle ingérence dans leur
action doit entraîner de la détresse et de l'angoisse aussi sûrement que lorsqu'il
s'agit de frustrations d'autres instincts primaires » [6].
Nous avons bien compris qu'une activité peut se substituer à une autre
par une équivalence symbolique, mais Bowlby pense pour sa part qu'on peut
aussi concevoir une substitution à un niveau infrasymbolique qui expliquerait
bien des actes répétitifs. Un enfant puni suce son pouce, un enfant séparé de
sa mère se bourre de nourriture.
Peut-être que le pouce et la nourriture symbolisent la mère tout entière,
mais peut-être que les activités répétées compulsivement de suçoter et de
manger se développent, dit Bowlby, comme des activités non symboliques,
hors du contexte, dès que les systèmes réactionnels de l'enfant qui veut suivre
et s'agripper sont entravés.
La fréquentation des éthologues a aussi porté Kaufman [27] vers quelques
réflexions sur leur façon de comprendre les instincts des animaux.
a) Il y a toujours une distinction entre causes et fonctions d'un comportement.
Ceci permet de comprendre certains comportements directifs à l'aide de
mécanismes de feed-back qui le guident vers son état terminal ou son but.
La sélection naturelle a favorisé ceci.
b) La pulsion n'est pas intentionnelle, elle n'est pas unitaire. Le prototype
de la pulsion, la pulsion alimentaire, a été utilisé par différents systèmes
y compris la psychanalyse pour donner une idée du fonctionnement pul-
sionnel.
Kaufman pense que c'est à tort :
« On ne saurait parler pour ce qui touche le domaine de ces processus biolo-
giques de pulsions unitaires qui activeraient et dirigeraient une grande partie
404 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
[28] KUBIE (L. S.), A critical analysis of the concept of Repetition Compulsion,
Int. Journ. Psych., XX, pp. 390-402.
[29] LORENZ (K.), L'agression, une histoire naturelle du mal (1963), trad. franç.,
Flammarion, 1969.
[30] NACHT (S.), Présence du psychanalyste, I vol., Presses Universitaires de
France, 1963.
[31] NACHT (S.), Le contre-transfert et les résistances, Intervention au
XXIIIe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes, Barcelone, 1962,
Rev. fr. Psych., XXVII, 1963, numéro spécial, pp. 133-138.
[32] NUNBERG (H.), Principes de psychanalyse. Leur application aux névroses
(1935), trad. fr., 1 vol., Presses Universitaires de France, 1957.
[33] NUNBERG (H.), Intervention au Congrès international de Psychanalyse
de Marienbad, 1936, Symposion sur la théorie des résultats thérapeutiques
de l'analyse, Int. Journ. of Psychoanal., 1937, vol. XVIII, pp. 125-195.
[34] PASCHE (Francis), Discussion du rapport de Daniel Lagache sur le pro-
blème du transfert, Rev. fr. Psych., XXVI, 1952, n° 1-2, pp. 153-154.
[35] PASCHE (Francis), Autour de quelques propositions freudiennes contes-
tées (1956), A partir de Freud, I vol., Payot, 1969.
[36] PASCHE (Francis), Le génie de Freud (1956), A partir de Freud, 1 vol.,
Payot, 1969.
[37] ROUART (Julien), Agir et processus psychanalytique, Rev. fr. Psych.,
XXXII, 1968, 5, 6, pp. 891-988.
[38] VIAUD (G.), Les instincts, I vol., Presses Universitaires de France, 1959.
[39] VIDERMAN (S.), De l'instinct de mort, Rev. fr. Psych., XXV, 1961, n° I,
pp. 89-129.
COLETTE CHILAND
(I) Esquisse, S.E., I, 297 ; trad. fr. in La naissance de la psychanalyse, 317 : «... le système
neuronique se voit obligé de renoncer à sa tendance originelleà l'inertie (c'est-à-dire à un abais-
sement du niveau de tension à zéro). Il doit apprendre à supporter une quantité emmagasinée
{...). Suivant la façon dont il le fait, cependant, la même tendance persiste sous la forme modifiée
d'un effort pour maintenir la quantité à un niveau aussi bas que possible, et éviter toute élé-
vation, c'est-à-dire conserver constant ce niveau ».
THEORIE DE LA CLINIQUE ET SPECULATION PHILOSOPHIQUE 4II
EVELYNE VILLE
UN CAS CLINIQUE
A PROPOS DE LA COMPULSION DE RÉPÉTITION
Ce patient de 30 ans que j'appellerai « Paul » et qui m'avait été adressé pour
impuissance, présente à la première consultation le comportement qui le carac-
térisera durant toute son analyse.
Petit, un peu malingre, l'air vaguement apeuré et très déférent à mon égard,
il semble vouloir constamment s'effacer comme pour s'excuser de sa présence.
Il me décrit la vie étriquée qu'il mène actuellement :
Petit fonctionnaire car il n'a pas réussi à passer son baccalauréat, se disant
handicapé dans ses études, il cherche à suivre des cours du soir pour parfaire
sa formation. Son existence semble actuellement émaillée de vérifications
continuelles qu'il doit opérer dans son travail, par crainte d'une erreur, soit
même chez lui : vérifications du gaz entre autres.
Il avoue aussi avoir la vie empoisonnée par des comparaisons continuelles
qu'il est obligé d'établir avec les autres hommes : il a toujours l'impression que
le confrère qui travaille avec lui réussit mieux et que son chef le considère,
lui, comme un minable. Physiquement,il se déteste, se trouvant chétifet ridicule,
impression accentuée lorsqu'il se trouve à côté d'un homme plus fort que lui :
« En venant, je me suis trouvé dans le métro avec ma main sur la barre à côté
de celle de l'homme qui me dominait, sa main, à lui, était deux fois plus grosse
que la mienne et je me suis senti minable ! »
Sur le plan de sa vie sentimentale, il s'accuse d'être un raté, les quelques
relations amoureuses qu'il a tentées se sont soldées par des échecs. Il n'a eu
qu'une relation un peu suivie avec une jeune femme mais n'a pu obtenir que
des éjaculations précoces.
— Une troisième phase qui est représentative d'un état de besoin sur la
nature duquel on sera amené à s'interroger.
D'emblée, lors des premières séances, Paul est le patient modèle qu'il conti-
nuera à être au cours de son analyse : il parle tout au long de ses séances, ne
laissant pas un temps de silence, n'émet aucune critique à mon égard et s'excuse
beaucoup s'il ne peut venir à une séance qu'il devra néanmoins régler.
Les premières séances sont constituées par le récit complaisant de son
enfance : description d'un père terrible qui terrorisait toute la famille et qui
avait à son égard un comportement minimisant et dénigrant : « Toi avec ton
gabari, tu ne réussiras rien dans l'existence et tu ne seras qu'un bon à rien. »
Le patient se plaint de n'avoir jamais pu trouver ni amour, ni soutien
auprès de ce père qui était son cauchemar continuel. La mère était vécue
comme incapable de le défendre,anéantie par la personnalité du père, et prenant
des crises cardiaques devant ses colères. Je ne relève dans le récit aucun
vécu d'intimité et de tendresse avec elle.
Quant à sa soeur, plus jeune que lui, elle était une enfant modèle comme lui :
« Nous étions beaucoup trop sages et parfaits tous les deux, dit-il, et je suis resté
actuellement le petit garçon modèle d'autrefois devant mon père. »
Cette relation paternelle que le patient m'a décrite minutieusement, il va
la revivre dès le début de son traitement par rapport à moi. Il ne peut, en effet,
m'envisager en tant que femme et se poser en homme en face de moi. Il ne
réussit qu'à être un petit garçon minable et dépressifqui se dévalorisecontinuel-
lement et veut me prouver son incapacité. Il répète donc à mon égard un compor-
tement infantile qu'il a, du reste, déjà répété vis-à-vis des autres tout au long
de son existence mais ceci sans remémoration aucune : il n'a pas conscience de
son besoin de se châtrer et de se dévaloriser à mes yeux comme il devait le
faire aux yeux de son père pour ne pas encourir sa colère.
Ceci évoque la phrase de Freud dans Répéter, remémorer, élaborer : « On
peut dire que le patient ne se souvient de rien d'oublié ou de refoulé mais que
ces choses oubliées ou refoulées il les reproduit non dans sa mémoire mais dans
son comportement. »
Du reste, Paul ne vit pas uniquement dans la situation analytique cette
mise en acte de ses conflits. Il agit aussi ses pulsions à l'extérieur, comme en
témoigne la scène suivante :
Ayant passé quelques jours chez ses parents, il tient tête à son père dans une
discussion comme il ne l'avait jamais fait, mais ne supporte pas, en fait, le face
à face ; jette le contenu de son assiette à travers la table et quitte la pièce. Le
lendemain, devant la colère du père et la crise cardiaque de la mère, il quitte
la maison paternelle pour ne plus y retourner mais ceci sans avoir conscience
de son attitude de fuite dans la confrontationavec son père et du « tout ou rien »
dans sa relation avec lui.
Comme le dit Freud dans Répéter, remémorer, élaborer : « Le transfert
n'est qu'un aspect limité de la répétition et la répétition c'est le transfert du
CLINIQUE 421
passé oublié sur le médecin mais aussi dans tous les domaines de la vie courante. »
Je lui donne l'interprétation :
« Vous avez peur que je vous en veuille d'être fort, comme vous le craigniez
de la part de votre père. »
Il semble qu'à partir de cette constatation de ma part l'attitude de Paul se
transforme :
Il s'accroche de plus en plus à l'analyse, cherche à comprendre, éprouve
moins le besoin de faire des vérifications et surtout se permet de décharger
une agressivité énorme vis-à-vis de son père, comme en témoigne le fantasme
suivant :
« Je me vois surgissant dans la maison de mes parents armé d'une mitrail-
lette et je tire sur tout ce qui se présente y compris mon père. »
Ceci pourrait donc bien illustrer la constatation que Freud fait dans la
Dynamiquedu transfert sur la nature du transfert, compromis entre les exigences
de la résistance et celles du travail d'investigation :
Il existe, en effet, un mouvement rétrograde où Paul, selon la séquence
fixation-frustration-régression, répète à mon égard son attitude infantile vis-à-
vis du père ; mais n'y a-t-il pas aussi un mouvement antérograde qui, grâce au
travail d'investigation, lui permet de trouver auprès de moi un soutien qu'il
n'a jamais eu : professionnellement, il va pouvoir monter un échelon mais
aussi il se permettra une certaine remémoration : lui reviennent, en effet, à
l'esprit des désirs qu'il avait eus vis-à-vis de sa soeur pendant son adolescence
ainsi qu'une prise de conscience du manque d'intimité qu'il a eu avec sa mère
et de son incapacité à la considérer comme une femme.
Ceci montrerait à quel point le transfert serait la seule force qui s'oppose
à l'attraction de l'ICS.
Il est certain que dans la relation actuelle qu'il a avec moi, Paul ne peut
qu'avoir une attitude passive. Mais il n'a pas conscience de sa demande à
mon égard ni de l'interdiction qu'il se donne de jouir de moi, ce que je lui
interprète :
« Vous voudriez que je vous donne une verge pour vous sentir fort avec
cette jeune femme comme vous aimeriez aussi en trouver une auprès de certains
hommes. »
Il semble alors qu'une première remémoration se produise en lui au niveau
de la négation :
« L'homosexualité m'a toujours semblé quelque chose
d'épouvantable,
dit-il, je n'aurai jamais de telles tendances. C'est impossible et dégoûtant. »
On pense alors à la phrase de Freud dans son article sur « La négation » : « Le
fonctionnement du jugement est rendu possible par le fait que la création du
symbole de la négation a permis à la pensée un premier degré d'indépendance
vis-à-vis des résultats du refoulement et, par conséquent, l'a rendue également
indépendante du principe du plaisir. »
Paul commence, en effet, à vivre son homosexualité dans le transfert et à
l'extérieur de la relation analytique :
— il commence à s'apercevoirqu'il est excité lorsqu'il voit des photos d'hommes
nus dans des journaux pornographiques ;
— il est très excité par la femme d'un de ses amis, mais ceci après avoir vu
ce dernier se promener en slip dans leur appartement.
Après un certain laps de temps mon patient arrive à constater : « Je me
rends compte que ce que vous disiez est vrai, la vue de l'homme me procure
du plaisir mais j'en ressens une honte terrible, j'ai l'impression de faire quelque
chose de très mal ! »
Il y a donc là un changement de ses pulsions. On note aussi l'apparition
d'un sentiment de culpabilité dont Glover dit qu'il est la condition absolument
nécessaire à la levée de la répétition et au succès de la cure.
Dans une certaine mesure il a pu se faire un transfert de la fonction
inconsciente du Surmoi à l'énergie libre et consciente du Moi.
La troisième année d'analyse est en cours, et il semble que l'on entre alors
dans une phase de stagnation. Le patient ne réagit plus à mes interprétations.
Lorsque je lui parle de son besoin de passivité, il associe immédiatement à côté
ou se lance dans des ruminations interminables. Le Moi ne s'associe plus à mes
efforts et ne veut pas laisser resurgir les rejetons du refoulé.
Paul se dévalorise aussi encore plus. Il sort de moins en moins, ne
cherche plus à faire la connaissance de femmes. Son angoisse semble aussi
augmenter :
« J'ai l'impression, dit-il, que ce traitement ne pourra rien pour moi. Je
suis conscient que je répète vis-à-vis de vous et des hommes les peurs que
424 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
j'avais vis-à-vis de mon père, mais il semble qu'il y a une force en moi qui me
poussera à répéter cela toute mon existence et vous n'y pourrez rien. Cela devient
terrorisant, la mort vaudrait mieux que ce calvaire. »
Doit-on alors employer le terme d'automatisme de répétition en tant
qu'obstacle thérapeutique ? Il ne nous appartient pas d'en décider. Il apparaît
en tout cas que Paul ne puisse aller actuellement au delà de son conflit et que
nous soyons là devant une résistance du Ça et un exemple de viscosité de la
libido. Il semble que le Ça ait repris le dessus et que j'aie donné un coup de
fouet à la compulsion de répétition en affaiblissant les défenses du Moi. Il y
a actuellement une répétition ininterrompue d'un même ensemble de repré-
sentations très nocives liées à la notion de passivité. Ceci évoque la phrase de
Freud dans Analyse terminée et interminable : « On a souvent l'impression
qu'en se heurtant au désir du pénis et à la protestation mâle, on vient frapper
à travers toutes les couches psychologiques contre le roc et qu'on arrive ainsi
au bout de ses possibilités. Le refus de la féminité ne peut être qu'un fait bio-
logique, une partie du grand mystère de la sexualité. »
L'angoisse du patient arrive actuellement à son point culminant : On ne
peut que penser ici, devant le terme de « terrorisant » employé par le patient,
au passage de l'inquiétante étrangeté où Freud déclare : « Le facteur de la
répétition involontaire nous fait apparaître étrangement inquiétant ce qui par
ailleurs serait innocent. »
Il nous est difficile ici de conclure si ce terrorisant ou cet inquiétant doit
être assimilé ou non à la mort qu'évoque le patient. Cependant les termes
employés nous forcent à nous demander s'il ne vit pas là une peur au delà
de celle décrite au niveau de sa castration par le père. Cette peur pourrait être
celle de sa rencontre avec la femme-mère, rencontre rendue possible par
l'acceptation de sa relation homosexuelle. La mère n'est-elle pas vécue comme
dangereuse en ce sens qu'avec son attitude de soumission à l'égard du père
elle ne semblait pas plus positive que ce dernier à la relation incestueuse du
patient? A l'instar du père elle ne voulait pas reconnaître la valeur de la verge
de son fils.
Dans le cadre très bref qui m'est imparti, je présenterai simplement quelques
remarques à propos de certains types d'adolescents psychotiques. Je ne pré-
tends donc pas envisager tous les aspects de la psychose à cet âge, je ne ferai
qu'ébaucher ce qu'ajoute à la façon dont la maladie peut être comprise la notion
de compulsion de répétition. L'adolescentpsychotique, bien que ni l'adolescence
ni la psychose ne soient envisagées par Freud dans les exemples qu'il donne
pour dégager cette notion de compulsion de répétition, m'a paru présenter un
certain nombre de traits intéressants. Chacun sait la force brutale et massive
des investissements et leur labilité chez l'adolescent, apparemment aux anti-
podes de la rigidité monotone de la répétition ; mais chez certains adolescents
on relève précisément cette tendance inconsciente à la répétition, sous des
formes si particulières qu'elles signent effectivement la psychose, c'est ce que
je vais développer à présent. Je citerai deux séries d'exemples dont la distinction
se justifie essentiellement par leur maniement thérapeutique.
Au premier groupe se rattachent l'érotomanie et certains comportements
très particuliers devant l'échec aux examens. On peut en rapprocher d'autres
formes de schizophrénie où l'automatisme de répétition se fait jour de façon
privilégiée au cours des traitements psychodramatiques. Dans ces séances de
psychodrame, l'automatisme de répétition s'y montre non pas tant par le
contenu latent que par le contenu manifeste. Si l'on préfère, l'inconscient n'a
pas d'autre voie de décharge que celle que présente le malade, on serait tenté
de dire : une fois pour toutes. L'anecdote, le sujet pris pour thèmes sont tou-
jours rigoureusement identiques, présentés dans les mêmes termes, les rôles
distribués de la même façon, le discours du malade est lui-même stéréotypé.
Les thérapeutes peuvent bouleverser le jeu, modifier les données, le malade
n'en continue pas moins, comme à son accoutumée. Il en va de même si le
meneur de jeu tente l'inversion des rôles..., etc. Le malade adhère de la façon
la plus massive et stricte à son fantasme en négligeant tout ce qui dans le jeu
pourrait troubler le déroulement de celui-ci. A noter que bien souvent, et
contrairement à ce que l'on observe chez les malades aux structures différentes,
ces séances ne semblent pas procurer au malade des satisfactions libidinales
régressives évidentes qui correspondent à cette fixité ; mais en fait cette appa-
rente pauvreté qui investit le jeu au titre de réalité est le reflet de ce qu'impose
la compulsion de répétition dans la réalité. Si nous considérons ce qui se passe
dans certaines névroses de destinée de l'adulte, on note que si l'aboutissement
428 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
final est le même, les chemins et les circonstances semblent différents, ce qui
permet aux malades de se masquer mieux leur fatalité intérieure. Chez certains
adolescents psychotiques, les troubles sont marqués par le retour immédiat
et stéréotypé de mêmes conduites... à un échec inéluctable dont ils ne tirent
jamais la leçon qui s'imposerait, et c'est là que se manifeste l'automatisme de
répétition. Pour l'adolescent normal, l'échec sentimental est un événement
tout à la fois banal, traumatisant mais maturant. Chezle psychotique érotomane,
l'échec sentimental peut (ou non) exister véritablement, ceci est variable selon
les cas ; l'événement extérieur, le rejet par l'objet élu, entraîne un mécanisme
comparable à ce qu'on observe dans la névrose traumatique. Tout se passe
comme si le refus libérait brutalement une quantité de libido que le Moi est
incapable de maîtriser. Dans la névrose traumatique de guerre, par exemple,
il y a répétition inconsciente dans le but de maîtrise. Ici le malade s'acharne
sur le même objet, dans un désir de réparation narcissique. Parfois l'objet
change mais la compulsion de répétition impose au Moi de recréer un nouveau
rejet dans des conditions aussi proches que possible du premier. De ces phéno-
mènes je rapprocherai certaines conduites psychotiques devant l'échec aux
examens. Il s'agit d'échecs systématiques, répétés à de nombreuses reprises, à
un même examen, que le malade a ou n'a pas les possibilités intellectuelles
ou techniques de réussir. Ici encore, chaque fois l'échec agit à la façon d'un
trauma. Mais contrairement à ce que l'on observe chez l'individu normal,
capable de renoncer ou de se mettre dans les conditions nécessaires au succès,
le psychotique ne modifie rigoureusement rien à son mode de préparation,
à sa technique de réponse, etc. On pourrait dire, dans les cas qui précèdent
(érotomanie ou échec aux examens), que l'automatismede répétition se trouve
mis au service d'une tentative de maîtrise d'une situation qui, à l'origine, a
submergé le Moi. Toutefois ici la situation diffère profondément de ce qu'on
observe dans la névrose traumatique où la tentative de maîtrise passe par
l'intermédiaire du rêve ou des symptômes névrotiques, alors que dans les cas
que j'évoque, comme dans certaines formes de névrose de destinée, la répétition
inconsciente de la situation traumatisante s'impose dans la réalité. Alors que
dans la névrose traumatique la compulsion tente de maîtriser les émois instinc-
tuels, ici l'automatisme de répétition entraîne systématiquement les mêmes
traumatismes réels. Il me semble que dans le premier cas le Moi répète active-
ment les conditions psychiques du trauma et que dans le second, le Moi,
après avoir déclenché le trauma grâce à l'automatisme de répétition, paraît
le subir. Mais on distingue ici l'émergence de ce désir-de-provoquer-la-réalité-
du-trauma, de telle sorte que l'événement extérieur, allégué comme trauma,
représente en fait un système défensif psychotique contre ce désir destructeur.
L'échec est utilisé comme une défense par le psychotique pour éviter ce qu'il
souhaite et redoute par-dessus tout, à savoir la fusion néantisante avec l'objet,
ce qui lui permet de conserver intacts l'autre et soi-même. La répétition associée
à l'échec apporte la preuve de l'existence et de la restauration après la tentative
CLINIQUE 429
LA « FICELLE »
DANS LE JEU DE LA BOBINE
ÉTUDE GÉNÉTIQUE DE SA MAITRISE
Les auteurs font souvent référence au « jeu de la bobine » décrit par Freud
dans Au delà du principe de plaisir car ils y voient une forme clinique précoce
de mécanismes utilisés à divers degrés plus tardivement.
Or, il faut préciser que le petit-fils de Freud avait déjà 18 mois quand ses
activités furent observées et relatées et qu'à cet âge l'évolution de l'enfant
est achevée pour ce qu'il y a de plus essentiel : motricité, élaboration de la
fonction symbolique et langage.
Il faut aussi mettre l'accent sur un point qui nous a paru, a posteriori,
toujours passé sous silence : si l'enfant peut jouer à ce jeu, s'il y trouve une
jubilation, s'il élabore le da et le fort, c'est qu'il peut jeter et faire revenir cette
bobine quand il le veut grâce à un geste très élaboré de la main qui agit désor-
mais adroitement sur un fil qui le relie « à distance » à cette fameuse bobine.
Ainsi la source de satisfaction offerte par ce jeu réside dans le fait qu'il
concrétise aux yeux de l'enfant un achèvement et un aboutissementdans une
maîtrise lentement acquise par paliers successifs.
Il m'a donc paru intéressant de vous rapporter ici quelques réflexions qui
portent sur la genèse de cette maîtrise du « fil de la bobine ».
Elles sont inspirées par des travaux cliniques et des considérations théoriques
auxquelles nous nous livrons depuis quatre ans, avec Michel Fain et Léon Rreis-
ler, à propos des troubles fonctionnels du nourrisson. Ces recherches s'inscrivent,
je pense, dans la ligne et dans les méthodes préconisées par Green ce matin.
Je n'en dirai aujourd'hui que ce qui me paraît se rapporter directement au
sujet de notre Colloque : l'automatisme de répétition.
L'intérêt de mon propos vient aussi de ce que l'automatisme de répétition
ne se rencontre presque jamais en clinique de l'adulte sous une forme pure
et isolée. On ne le perçoit qu'à travers certaines manifestations où il est associé
au principe de plaisir et où il se trouve maintenu, investi ou contre-investi
par la maîtrise-du Moi. En effet, dans l'âge mûr, dans l'adolescence et en tout
cas dès que s'achève la structuration dynamique des organisations conflictuelles
avec l'établissement et les investissements des instances, la libido puise à des
sources qui sont très riches.
De ce fait le Moi peut maintenir plus aisément la compulsion de répétition
en la libidinisant et ainsi les manifestations mortifères n'apparaissent pas. Elles
sont contrôlées.
Or, aux âges extrêmes et plus encore à certains moments, tout cela paraît
beaucoup moins solidement assuré :
— dans la vieillesse ;
— au début de la vie.
432 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
centue par la pression du besoin on conçoit qu'il éprouve des sensations compo-
sites de plus en plus vives. De plus, l'action réflexe ayant tendance à s'accroître
la maîtrise du sphincter est de moins en moins assurée et il peut y avoir des
« ratées » qui sont à l'origine de nombreuses encoprésies. Celles-ci apparaissent
d'autant plus tôt que l'enfant cherche toujours « jusqu'où il peut aller trop
loin » dans cette maîtrise.
Ce sont les modalités mêmes de ces dysfonctionnements qui nous ont
poussés à parler de « préformes des mécanismes pervers ».
Il nous paraît vraisemblable que la sensation par le nourrisson de la perte
de l'objet dans son corps soit concomitante des sensations éprouvées dans ses
fibres lisses.
Lorsque le nourrisson avale le bol alimentaire celui-ci témoigne de sa pré-
sence tout au long de la déglutition par la distension des fibres musculaires de
l'oesophage et du cardia. C'est après que l'objet est perdu : quand les fibres
reprennent progressivement leur état antérieur.
Les dysfonctionnements visent à lutter contre cette perte de l'objet et à
la maîtriser par le retour de ce dernier.
Je pense que nous avions commis une erreur liée à une projectionadulto-
morphique lorsque nous avions décrit, comme d'autres auteurs, le mérycisme
dans une perspective finaliste : faire revenir la nourriture dans la bouche. Ce
bénéfice secondaire est donné par surcroît. Le mécanisme primitif me paraît
désormais plus archaïque et bien davantage en rapport avec l' « éprouvé »
de cet âge : lutter contre la perte du bol alimentaire après le passage du cardia
et la tombée dans l'estomac.
C'est en ce sens que nous pensons qu'il s'agit là de préformes du jeu de la
bobine. Si celui-ci permet le da et le fort rejouant le retour et le départ de la
mère, le mérycisme agit de même au niveau de l'objet oral. C'est pour cela que
ce mécanisme est un équivalent musculaire précoce du rôle du fil et de la main
dans le jeu de la bobine et doit être considéré comme un point important dans
la chaîne génétiqueprogrédiente qui y aboutit.
On peut examiner dans la même perspective le dysfonctionnement élaboré
dans le mégacôlon fonctionnel (contemporain du jeu de la bobine — 18 à
24 mois). La perte des fèces par l'ouverture réflexe du sphincter constitue sans
doute une atteinte narcissique. Elle apparaît en outre comme une preuve de
soumission aux impératifs extérieurs. Lorsque le mécanisme physiologique
est mis en échec, tout cela peut être nié.
Lorsque ces dysfonctionnements, ces fonctionnements « contre nature »
sont réussis, ils sont investis narcissiquement et la mégalomanie de l'enfants'y
focalise. Il s'y adonne compulsivement dans un auto-érotisme forcené sans
aucune angoisse. La compulsion de répétition s'y donne libre cours et le pro-
cessus mortifère devient de plus en plus évident.
Une des méthodes les plus habituelles pour pallier ce risque induit est la
propositionfaite par la nourrice d'utiliser une autre forme d'auto-érotisme,mais
436 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
BIBLIOGRAPHIE
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SOULÉ (Michel), Le mégacôlon fonctionnel (à paraître).
JEAN-MARC ALBY
MICHEL DE M'UZAN
LE MÊME ET L'IDENTIQUE
à faire retour pour exprimer le jeu du désir, on est en droit de parler d'une
véritable dramatisation, entièrement régie par le principe de plaisir. Dans notre
praxis, au moins, il seraitbien hasardeux de concevoir prématurément les choses
d'une autre manière. Et cela, même dans les cas où tout l'observable ressortit
apparemment à ces résistances qui font parler de réaction thérapeutique néga-
tive que l'on met au compte non plus du Surmoi, mais de la compulsion de
répétition. Maurice Bouvet, tout comme Glover, nous l'ont bien rappelé.
Les illustrations cliniques sont regrettées quand elles font défaut, critiquées
et interprétées différemment lorsqu'elles figurent. Je me risquerai à en avancer
une. Le cas est celui d'une jeune femme, en analyse depuis longtemps, qui
développe une résistance opiniâtre, vraiment de ce type qu'on rapporte volon-
tiers à la compulsion de répétition, et dont je me propose de décrire l'un des
aspects. Constamment, ou plutôt répétitivement, la patiente se met à compter
intérieurement : 1, 2, 3, etc. Parfois elle m'en avise, pas toujours, loin de là sans
doute, et ce comportementde se reproduire indéfiniment. Pour être fidèle à ce
qui s'est passé, marquer le rôle du contre-transfert dans ces situations, et la
chance, le hasard qui préside à sa forme et à son intensité, je confierai qu'une
séquence d'un poème d'Armen Lubin s'est mise à me tourner dans la tête, tout
aussi répétitivement. Il y est question d'un être fabuleux qui compte. « Il
compte, il compte, il recommence » — écrit le poète qui poursuit « tous les
chagrins s'appellent absence, les chagrins porteurs de lances ». La répétition
ne me semblait nullement lourde et, un jour, après que cette scène se fut bien
souvent représentée, la patiente me dit : « J'ai compté jusqu'à huit, d'ordinaire,
je compte jusqu'à dix. » Tel était ici le changementdont j'ai parlé. Je lui répondis
aussitôt : « Il en manque deux, qui sont-ils ?» — « Le père et le fils, réplique-
t-elle. » Cette fois, il en manquait un, le Saint-Esprit, au sens populaire, ce que
je lui fis immédiatement savoir. Or, cette jeune femme, une seconde fois au
cours de son analyse, attendait un enfant. Grossesse à laquelle il n'était jamais
fait clairement allusion. Dès lors, comme on le conçoit, le mouvement de la
séance se précipite avec la singulière accélération propre à ces situations. Le
fantasmesous-jacent se précise : elle est enceintepar l'opération du Saint-Esprit,
c'est-à-dire, prosaïquement, sans contact physique. C'est donc bien de l'analyste
qu'elle tiendrait son enfant et bientôt émerge la figure du père absent, mort
prématurément pendant l'enfance de la patiente (« les chagrins porteurs de
lances »). Je n'ai pas la possibilité de suivre ici les riches développements ulté-
rieurs de cette séquence, mais je puis dire que ce fut un tournant décisif de
l'analyse. N'eût-il pas été regrettable que le hasard fût venu seconder le senti-
ment bien compréhensible que c'est avec une manifestation de compulsion de
répétition qu'on avait affaire. Ainsi, je ne crois pas que l'on puisse toujours
suivre Freud quand il déclare que la tendance des névrotiques à la répétition
dans le transfert est indépendante du principe de plaisir (1). Je crois que
nous assistons là non pas à une réédition pure et indéfinie, mais en vérité à une
nouvelle élaboration du même, susceptible en outre d'agréger à elle un pan de
la réalité. De cela je pense qu'on peut trouver dans Au delà du principe de plaisir,
précisément, une autre illustration. Freud, pour introduire cette tendance qui
s'affirme sans tenir compte du principe de plaisir, en se mettant au-dessus de lui,
cite la Jérusalem délivrée (I). Mais lorsque le héros Tancrède coupe en deux un
arbre où s'était réfugiée l'âme de sa bien-aimée Clorinde, il ne répète pas à
proprement parler le précédent. Il fait à la fois la même chose et quelque chose
de tout autre que le meurtre qu'il avait perpétré en la tuant, sans la reconnaître,
sous l'armure d'un chevalier ennemi. Changement des masques, mutation des
substances, ce que le poète a voulu plus ou moins délibérément représenter,
c'est une série de transformations allant d'une figure, celle du fait brut, à une
autre figure, celle de sa représentation symbolique.
En manière de conclusion à ce premier chapitre, je rappelle donc que, dans
l'ordre clinique, le domaine de ce qui serait situé en marge du principe de
plaisir doit être, au départ, réduit autant que faire se peut, ou mieux encore
décalé. Cela peut être conçu de différentes manières. Je pense en particulier
aux vues de Jean Favreau sur l'analyse de l'analité. Il me revient aussi une parole
de Maurice Bouvet : « Que ferions-nous, disait-il à peu près, si nous, analystes,
ne croyions à la notion de progrès, donc de changement. »
Il demeure toutefois, je l'ai dit tout à l'heure, qu'il existe bien un domaine à
part, un ordre de la répétition situé au delà ou plutôt en deçà du principe de
plaisir. Je me propose de l'aborder indépendammentde toute référence initiale
à l'instinct de mort et du seul point de vue de l'opposition du même et de
l'identique. Pour ce faire il me faut rappeler brièvement les positions que j'ai
eu l'occasion d'exposer lors du colloque sur Analyse terminée, analyse intermi-
nable, et lors des Congrès de Langues romanes de 1965 et de 1967 sur
l'acting-out.
J'ai distingué alors deux principales orientations de la personnalité en me
fondant sur l'existence bu non d'une solide élaboration de la catégorie du passé.
Par le terme de passé je n'entends pas la somme des événements vécus, mais
leur rê-êcriture intérieure — comme dans le roman familial — à partir d'un
premier récit. J'utilise le terme de récit en raison de l'homologie de forme, de
structure, entre cette histoire intérieure et une élaboration romanesque. Le
premier récit, premier vrai passé de l'individu, est élaboré au moment de
l'OEdipe. C'est-à-dire quand toutes les étapes antérieures sont ressaisies,
reprises dans le cadre d'un désir dès lors constamment médiatisé et de la pro-
blématique de la castration. Tout se passant donc comme si les événements
réels, une fois traversés, cédaient en importance au récit intérieur qui en est
fait et refait. A partir de là, et tout au long de la plus grande partie de son
existence, le sujet continue d'élaborer au jour le jour son passé, c'est-à-dire le
nue qu'il aime et dont il est aimé et qui n'est chaque fois ni tout à fait la même,
ni tout à fait une autre.
Soit, maintenant, au risque d'une présentation décharnée, l'examen méta-
psychologique. Je commencerai par la répétition du même. Les forces qui y
sont à l'oeuvre apparaissent quelque peu nuancées dans leur intensité et surtout
variables dans leur direction. Celles qui émanent de l'inconscient rencontrent,
si j'ose dire, comme dans un dialogue, celles qui appartiennent au contre-
investissement. Cet interjeu qui affecte l'allure d'une histoire développée est
en outre foncièrement situé dans la sphère psychique. Au sein de ce dynamisme
complexe, le changement observable relève, plutôt que d'une simple addition,
de l'élaboration d'un nouveau récit à partir de deux récits, tous trois pourtant
presque semblables. L'exigence économique, assurément bien présente, ne
paraît pas spectaculairement impérieuse et surtout la présence de contre-
investissements confère à la répétition un rythme plus complexe, plus évolutif,
comme au service d'abord d'une temporisation. L'aménagement de la tendance
à la décharge joue un rôle clé dans la construction des répétitions qu'on pour-
rait voir d'abord sous l'angle d'une redistribution très discrète et très progres-
sive des investissements. Quant à la succession des répétitions du même, avec
les décharges qui leur sont inhérentes, elle dessine une trajectoire. Par là je
veux signifier que nous n'avons pas affaire avec une série simple de mouvements
d'aller et retour parfaits. Il se produit en effet un décalage très progressif à
chaque répétition, celles-ci constituent les jalons de la trajectoire dont je parle.
D'une répétition à l'autre la configuration économique est insensiblement modi-
fiée, mais modifiée tout de même. L'ingrateconceptualisationmétapsychologique
n'est qu'une autre lecture de ce qui est cliniquement observable. Ainsi, si je
me reporte au fragment clinique dont j'ai fait état tout à l'heure, on constate
que les redistributions dynamiques et économiques peuvent être décelées dans
le discours et le comportement de la patiente. Elle comptait, en faisait état
immédiatement ou à retardement. Une formule telle que « je n'ai rien à dire » pou-
vait précéder de quelques secondes ou quelques minutes ; un geste de la main
pouvait accompagner ou remplacer l'action de compter, et c'était pour signifier
un « eh bien voilà » ou « je n'en veux pas ». Le ton de la voix, de prime abord
parfaitement égal et semblable d'une répétition à l'autre, était en fait marqué
de nuances très variées allant du défi à la résignation ; variées, mais si discrètes
que c'est seulement après coup qu'elles devenaient sensibles, par exemple
lorsqu'une variation plus importantevenait à se produire, presqueune différence.
Il en était ainsi quand la patiente déclara : « J'ai compté jusqu'à huit, d'ordi-
naire je compte jusqu'à dix. » Situation qui, nous l'avons vu, exprimait une
véritable élaboration romanesque, le récit d'un désir dont les figures succes-
sives quis'appelaientet se recouvraientrestaient cachées, brefun véritable travail
dont son auteur, toute volition étant exclue chez lui, était cependant le champ.
C'est pourquoi je n'hésiterai pas ici, pour évoquer le moteur de ce travail, à
reprendre l'expression compulsion de symbolisation que propose Groddeck en
THEORIE 447
définissant une force qui appartient bien en propre au sujet, mais dont celui-ci
ne dispose pas, force qui est l'inconscient, je dirais dans l'inconscient (I).
Soit maintenant la répétition de l'identique. Le contraste est frappant. Et
pour commencer on note un effritement des distinctions topiques. En effet,
la répétition, ici, s'insère dans le cadre d'un « transfert » bien différent de celui
de la névrose de transfert qui est le domaine de la répétition du même. La répé-
tition de l'identique peut aussi bien appartenir à un Ça dénudé qui ne peut se
confondre avec l'inconscient psychique, qu'à une sorte de réalité sensible au
sein de laquelle, toutefois, la frontière séparant l'intérieur de l'extérieur reste
incertaine. Il peut en découler, par exemple, des répétitions que j'oserais dire
imitatives, où telle caractéristique des activités perçues chez l'objet est englobée
pour être ensuite fidèlement reproduite. C'est à l'effacement de la topique, que
j'ai en vue ici, que me semble s'appliquer au mieux cette notation de Freud,
dans Analyse terminée, analyse interminable — citée par Hollande et Soulé — où
il parle de résistances qui ne peuvent plus être localisées,mais semblentdépendre
de relations fondamentales dans l'appareil psychique. Les forces à l'oeuvre
dans cette répétition de l'identique se singularisent par leur orientation, persé-
vérante, dans une même direction. On ne retrouve pas ce jeu que j'ai décrit à
propos de la répétition du même avec la reprise momentanée d'une libre
circulation des énergies dans les systèmes supérieurs, suivie bientôt d'une
liaison avec des représentations inconscientes sur un mode qui constitue un
récit. Dans la répétition de l'identique, le plus près de la sensorio-motricité
paraît toujours visé. Le précédent s'exprime tel quel, sans fard, sans détour.
Et s'il fallait tout de même faire référence à un phénomène de la nature du
contre-investissement, il faudrait situer celui-ci pour ainsi dire en dehors du
sujet, ou dans son organisme physique, lequel a toujours pour une part une
situation ambiguë pour le moins d'extraterritorialité. Elle s'applique bien ici
aussi, l'expression de Michel Fain où il est dit que « la pauvreté d'élaboration
est compagnon de misère de l'automatisme de répétition ». Activités de repré-
sentation, de symbolisation appauvries, condensation, déplacement et drama-
tisation rudimentaires, on conçoit que les énergies, en outre très imparfaite-
ment liées, donnent le sentiment qu'elles pourraient déferler. La valeur de
tendance à la décharge de la répétition est accentuée. La répétition en cause est
pour ainsi dire celle d'une expérience de décharge, où l'économique domine
absolument ; c'est une sorte de remise à zéro, souvent traduite par un épuise-
ment. Le principe qui régit cette forme de répétition, c'est une évidence, est
le principe d'inertie ou si l'on veut de Nirvâna. A ce propos je dois dire que je
ne suis pas l'interprétationqui fait du principe de Nirvana l'équivalent psycha-
nalytique du principe de constance. Si l'on veut établir des équivalences ou
des filiations, j'adopterais d'une part celle réunissant principe de constance et
principe de plaisir, et d'autre part celle réunissant principe d'inertie et principe
gédie me paraîtplus belle quand la ville provincialevoit son vieux théâtre éclairé
pour un soir par une tournée nomade. Dans les coulisses du théâtre sédentaire
gît sous une dalle la répétition, elle a existé avant la générale, elle espère atteindre
la millième. Alors, on joue toujours la même pièce, grommelle Pex-spectateur.
Tous les soirs, les mêmes gestes, les mêmes déclamations, cela aussi se trouve
dans les coulisses. Que cette pensée s'impose, finie la cohésion des spectateurs
et tout le drame n'est plus alors que vieille poussière. Et, pendant tout ce temps
les amoureux font les mêmes gestes et répètent les mêmes serments avec ravis-
sement. Peu importe, car ils passent leur temps à attendre le moment de
recommencer. Il suffit d'imaginer que quelque force diabolique les oblige à se
rencontrer pour répéter tous les jours de la semaine ce qu'ils projetaient de
faire le dimanche et l'amour se consumera sans avoir flambé. En fait cet exemple
vient naturellement, il est l'histoire banale du couple. Un jour vient, si l'on n'y
prend garde, où le geste amoureux est fait parce qu'il avait été fait hier et sera
fait demain pour faire pareil qu'aujourd'hui. On épuise les tensions, on s'ache-
mine vers le niveau zéro. Cette évolution qui a commencé un jour sournoise-
ment n'est pas une simple régression. Avec le temps le Ça s'est chargé en ins-
tinct de mort, l'équilibre pulsionnel s'est modifié et la répétition, le radotage
disent d'autres, tend à s'installer. Eh bien, il existe alors une solution — parmi
d'autres heureusement — solution qui littéralement rend visibles les éléments
structuraux de la seconde topique. Il suffit d'opérer une régression libidinale
suffisante et de considérer commeune transgression oedipiennetoutes les amours,
toutes les ambitions, toutes les aspirations juvéniles. Un double avantage résulte
de cette régression. D'une part en assimilant les jeunes à des représentations
pulsionnelles on recouvre l'éclat blessant de cette jeunesse du voile de l'intem-
poralité, façon de nier une certaine réalité, et d'autre part il s'opère une trans-
lation de l'instinct de mort du Ça vers le Surmoi et grâce à des identifications
conformes à ce Surmoi l'instinct de mort devenu agression peut être écoulé
vers l'extérieur. C'est Francis Pasche qui a montré le caractère protecteur du
Surmoi notamment envers le soma par rapport à l'agression libre. Ceci nous
ramène à Freud. La seconde topique vient de se schématiser à partir d'une évo-
lution particulière de l'économie pulsionnelle face au monde extérieur, évolution
liée à l'âge. Quand des analystes invoquentdes raisons affectives pour expliquer
la fausse route que suit Freud à partir de 1920, ne lui reprochent-ils pas de ne
pas avoir su vieillir comme tout le monde ? Certes la crainte de la mort a été
longtemps pour Freud une fantasmatique compagne. Il a su aussi, à la fin de
sa vie, coexister avec une souffrance qu'il savait fatale. Beaucoup d'écrits ont
été consacrés à ces faits et je pense notamment à l'article de Michel de M'Uzan
consacré à ce sujet.
Quoi qu'il en soit, Freud au lieu de se répéter, il en avait assez dit pour le
faire sans déchoir, poursuit jusqu'au bout sa recherche, perçoit ce que l'ardeur
de la jeunesse et de la maturité avait masqué et remanie d'une façon radicale
tous ses points de vue. Il s'agit là d'un fait quasi-unique en son genre, au cours
456 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
On peut s'interroger avec Freud sur les particularités qui font l'excitation-
plaisir : rythme, durée, tracé des modifications. L'étude de ce que nous éprou-
vons comme esthétique peut en faciliter l'abord à peine indirect.
Mais la description du masochisme dit féminin chez l'homme — l'intéressé
procède à la mise en scène de ses tribulations, de son asservissement, de sa
dégradation dans sa jouissance, assimilables, nous dit Freud, aux traitements
subis par un enfant petit, inerme, dépendant, mais surtout par un mauvais
enfant — nous éclaire, je crois, plus immédiatement sur ce que les peurs cor-
respondantes recèlent de désir d'êtrebattu, dressé, châtré ; de façon plus dérobée,
de ce que le masochisme moral, le maintien de la souffrance,s'exerce à combler.
458 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
Tout se passe comme si l'orgasme génital de l'être mûr, à être défini comme
le but suprême, n'arrivait cependantpas à assurer une « amphimixis» des pulsions
précédentes (Ferenczi) ni un composé relationnel avec le partenaire qui puisse
assouvir les appétits dans ces deux registres si étroitementarticulés... « La mas-
turbation n'est que la décharge génitale de l'excitation sexuelle appartenant
au complexe (d'OEdipe) et devra à cette relation sa signification pour l'avenir
tout entier » (Déclin de l'OEdipe).
Le « déclin de l'OEdipe » se fait-il d'ailleurs jamais sur le mode « idéal »
décrit comme tel par Freud, et pour lequel il ne trouve pas une dénomination
adéquate : Refoulement ? Destruction ? Aufhebung, mot ambigu où le substan-
tif marque la levée, la disparition, et le verbe Auflteben la conservation, la mise
à l'abri. La notion du « Surmoi héritier du complexe d'OEdipe » ne nous souligne-
t-elle pas la simple lévitation : car quelle différence fondamentale peut-on
maintenir entre les parents objets des premiers émois du Ça, et ce qu'un Surmoi
frappé d'inconscience en a tiré, une instance critique cruelle camouflant les
émois refoulés. N'est-ce pas la reconnaissance de cette omniprésence de
l'inconscient qui a conduit à la topique plus subtile Ça/Moi par rapport à la
découverte précédente conscient/inconscient.
Dans Le Moi et le Ça Freud écrit : « J'ai tenté de faire découler la peur
réelle de la mort d'une conception parentale du destin. Il semble très difficile
de s'en délivrer. » Au fond, plutôt des parents sadiques que pas de parents du
tout, c'est-à-dire la solitude ; et de tels parents puisque je prétends m'abstenir
de ce que je ne peux pas réaliser : réaliser l'OEdipe. Et cette non-obtention,
mon impuissance, certes, ma peur de la castration peut-être (I) mais encore,
leur maintien comme parents. « Il semble très difficile de s'en délivrer »...
Ce qui se répète c'est la relation parents-enfants. Ainsi rien n'est perdu,
l'essentiel est conservé (Aufgehoben). Ne pourrait-on, reprenant le Surmoi
sadique et le Moi masochique sur quoi s'achève Le problème économique du
masochisme, proposer le raccourci suivant : il s'agit de la scène primitive per-
pétrée entre un Surmoi viril et sadique et un Moi féminin maltraité. L'enfant
exclu de jadis est devenu le lieu même du déroulement inlassable de cette
scène. L'appropriation concerne l'un et l'autre parents sans les combiner. Cette
position est celle du créateur, les parents sont faits de sa substance, mais d'en-
freindre, d'appeler, de subir, témoigne qu'il est la progéniture, ce qui comble
diachroniquement les aspirations oedipiennes actives et passives déjà satisfaites
par le ring et la clôture refermés sur les portraits de famille.
Il serait regrettable qu'une formule qui rassemble des mots aussi impres-
sionnants qu'instinct et mort nous frappe d'un recueillement proche de la stupeur
et que l'élaboration de notre pratique de la cure et de la vie s'en trouve figée.
(I) Dans le dernier paragraphe du Déclin de l'OEdipe, Freud s'interroge : « Il n'est plus
possible d'accréditer sans discussion que le complexe d'OEdipe du garçon succombe à la peur
de la castration. »
S. NACHT
L'AUTOMATISME DE RÉPÉTITION
Mon intervention sera d'autant plus brève que notre réunion a pour thème
l'automatisme de répétition. Or, ce que je me propose de rappeler ici, je l'ai
souvent publié ailleurs : je me dois donc de ne pas trop me répéter moi-même.
Je me contenterai d'indiquer quelques « retouches » — qui me semblentutiles —
à certains aspects techniques qui ont particulièrement retenu mon attention
dans le passé.
J'ai déjà dit, en effet, me basant sur mes propres observations, que les
patients répètent dans la relation transférentielle leur passé conflictuel non pas
tant pour y retrouver la frustration traumatisante de jadis que dans l'espoir
d'y trouver enfin ce qui leur a essentiellement manqué. Ce point de vue ne me
semblait pas généralement partagé. Cependant, l'an dernier, lisant le livre de
Greenson qu'il m'avait aimablement envoyé, The Technique and Practice of
Psychoanalysis (I), j'y ai trouvé une constatation similaire. Greenson affirme
en effet que les frustrations instinctuelles et la recherche de gratification sont
la base même des phénomènes de transfert.
Si la recherche de gratification est admise, le besoin de répétition est donc
motivé par une quête affective qui persiste aveuglément à chercher la réponse
qu'elle attend. C'est un peu comme si le sujet nous disait de façon insistante
et clairement allusive : « Voyez ce qui m'a tant manqué... Vous, donnez-le moi. »
Nous savons tous, en effet, combien ceux qui ont recours à nous sont hantés
par cette quête incessante, toujours reconnaissable sous les formes les plus
diverses.
C'est pourquoi, comme je l'ai souvent dit, si le thérapeute se cantonne dans
une attitude de neutralité un peu stricte au delà du temps où elle est nécessaire
— c'est-à-dire en début de cure — il risque de maintenir le sujet dans une rela-
tion frustrante susceptible d'entretenir la névrose de transfert et de la rendre
graduellement irréductible : on aboutit alors à l'impasse de l'analyse inter-
minable.
Cependant, si la frustration trop prolongée dans la relation transférentielle
peut être un empêchement à l'évolution de la cure, il n'est évidemment pas
concevable non plus que le thérapeute prodigue au malade, par des paroles ou
par quelque autre manifestation que ce soit, une forme de gratification qui non
seulement n'est pas indiquée mais peut lui être nettement préjudiciable.
(I) Ralph R. GREENSON, The Technique and Practice of Psychoanalysis, New York, Inter-
national Universities Press, Inc.
460 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
C'est pourquoi j'ai souvent insisté sur le fait que cette gratification tant
attendue par le malade ne peut lui être bénéfique que si elle émane d'une atti-
tude profonde faite d'accueil et d'ouverture chez le thérapeute — attitude qui
se situe à un niveau non-verbal, et se communique d'inconscient à inconscient
dans la relation transférentielle. Elle peut, quoique contenue et maintenue dans
ces limites, être vivement ressentie par le malade. Elle peut, si j'en crois mon
expérience, suffire à combler son exigence affective la plus fondamentale.
Ici, cependant, je crois devoir ajouter ceci : c'est que même cette attitude
bénéfique profonde du médecin peut ne pas être dépourvue de risques quant à
la terminaison du traitement. En effet, si la « réponse » que le malade a ainsi
trouvée suffit à le combler, comment pourra-t-il jamais consentir à se séparer
de celui qui en est la source ? Si lorsque le malade se sent enfin incondition-
nellement accepté, accueilli, reconnu par le thérapeute il ne peut plus se priver
de cette source de joie en acceptant de terminer son analyse, la situation
devient critique. On comprend pourquoi Freud rangeait le métier d'analyste
parmi les trois qu'il disait « impossibles »!
Sans aller jusque-là, reconnaissons que c'est, en effet, un métier plus que
difficile parce qu'il nous oblige constamment sinon à de nouvelles remises en
question, du moins à de nouvelles et minutieuses mises au point.
En l'occurrence, si cette juste attitude profonde du médecin me paraît
indispensable, il me semble qu'il doit la gouverner de telle sorte qu'elle soit
ressentie par le malade comme l'espérance tant attendue, sans qu'il y puise
l'accomplissement de cette espérance et soit ainsi tenté de s'y arrêter. Il faudrait
que le malade se sente libéré par la seule évidence intérieure que ça existe, que
c'est possible (d'être reconnu, accepté, aimé, etc.), et que la présence du psycha-
nalyste en soit pour lui un vivant et suffisant témoignage. Si l'attitude du théra-
peute a été vraiment juste — et juste son dosage —, le patient, habité par de
nouvelles certitudes, doit être enclin à réaliser dans une autre voie et dans sa
propre vie cet amour d'autrui dont il sent non seulement qu'il existe mais
qu'il est désormais réalisablepour lui. C'est cette recherche adaptée qui devient
maintenant la sienne.
ANDRÉ GREEN
(I) Ce texte de Freud a fait l'objet d'un séminaire de théorie psychanalytique (1968, 1969,
1970) que nous dirigeons avec F. Pasche. Nous remercions le co-directeur et les participants
du séminaire dont les critiques ont influencé la forme définitive de ce travail. Il va de soi que
la relecture de Au delà du principe de plaisir s'est centrée sur le thème traité ici.
462 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Il faudrait citer le texte intégralement, nous nous référons aux pages 8 et 9 de la
traduction de LAPLANCHEet PONTALIS. Dans la traduction de S. JANKÉLÉVITCH, EditionsPayot,
1951, voir les pages 13 et 14.
(2) Encore que l'on puisse relever sur ce point une dénégation qui ne sera levée qu'avec la
mort de l'enfant, Freud entérinant lé jugement du médecin qui soigna son petit-fils pour la
tuberculose miliaire qui l'emporta et qui souligna alors sa précocité.
464 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Interjection. Littré : " Terme de grammaire. Partie du discours qui exprime les passions,
comme la douleur, la colère, la joie ; mot que l'on jette, qui s'élance pour ainsi dire malgré nous
et que les passions nous arrachent. » Notons icile lien à l'affect. Robert : « (XIIIe s. du lat. gramm.
interjectio intercalation », de jacere " jeter »). Grammaire. « Mot invariable susceptible d'être
«
employé isolément et comme tel inséré (lat. interjectus) entre deux termes de l'énoncé... pour
traduire d'une façon vive une attitude du sujet parlant » (Marouzeau). « L'interjection propre-
ment dite, aussi peu intellectuelle que possible, toujours claire grâce aux circonstances et au
ton est donc en quelquesorte dépourvuede forme. Mais on peut voir par l'étude des interjections
le passage du cri au signe, le passage du réflexe animal au langage humain » (BRUNOT et BRUNEAU,
Gramm. hist., § 418). Nous employons ici le terme interjection malgré son rejet par Freud qui
précise que cela de " l'avis commun de la mère et de l'observateur n'était pas une interjection "
du fait de sa valeur significative. Mais nous venons de voir que la valeur significativen'est pas
absente de l'interjection. Avec Freud nous accentuerons cette valeur significativeet symbolique
en donnant à ce terme un sens encore plus large. A notre avis il s'agit bien d'une inter-jection
parce qu'elle unit significativement l'enfant à la bobine. Dans la relation qui l'unit à la bobine,
l'enfant joint le cri au geste et à l'apparition-disparition de l'objet. L'interjection fournit
l'analogon vocal du jet de la bobine (sa pro-jection) et de l'action qui ramène celle-ci, de même
que cet analogon accompagne le constat de l'absence et de la présence de l'objet. La jaculation
est jetée entre ces opérations, comme elle est jetée entre l'enfant et son entourage qu'il rend
témoin de la performance accomplie.
THÉORIE 465
(1) Maisle propre de cette unité fonctionnelle est que la multiplicité y joue à tous les niveaux :
multiplicité des éléments de montage, des parties en cause (l'enfant et la bobine, la relation
de l'enfant aux adultes qui ramassent ses jouets et à sa mère), des situations évoquées (le jeu
comme jeu et comme rapport à l'absence de la mère).
(2) « Il se dédommageait pour ainsi dire, en mettant lui-même en scène avec les objets qu'il
pouvait saisir la même disparition-retour » (Au delà du principe de plaisir, chap. II).
(3) Abréaction retrouvée chez l'analysant qui échappe à la situation pénible du transfert
par la tentative de réalisation du désir de devenir à son tour l'analyste.
pulsion qui dans son mouvement vise l'objet qu'elle ne peut atteindre, suscitant
l'angoisse de sa perte, surmontée dans sa retrouvaille génératrice de plaisir.
Ces premières réflexions nous conduisent maintenant à un autre niveau
qui est celui qui nous retiendra : celui de la détermination, à travers le jeu,
des rapports sujet-objet. Nous avons affaire à l'objet double et en fait deux fois
double. Il y a la bobine et il y a la mère. Chacun de ces deux objets se dédouble,
la bobine perdue et retrouvée, la mère partie et de retour, au loin et ici (fort-da).
La position de l'objet dans cette organisation symbolique nous fait dire qu'il
est important, pour paraphraser Winnicott sur l'objet transitionnel, que la
bobine soit et ne soit pas la mère. L'objet est ici objet de clivage : clivage
bobine - mère qui renvoie au clivage objet partiel - objet total. L'objet partiel,
la bobine, vaut pour l'objet total, l'objet total se représente tout entier dans
l'objet partiel. La partialité présence - absence investit tout l'objet. Ce clivage
se reproduit à l'intérieur de chacun des termes, la bobine absente - présente,
la mère au loin - ici. Les deux termes de cette correspondance sont médiatisés
par la représentation (objet visible - invisible) et le langage (fort-da en oo/a)
qui chacun répètent l'acte moteur en le clivant sur d'autres plans.
A ce statut double et clivé de l'objet, nous mettrons en parallèle un statut
double et clivé du sujet. Ici deux interprétations du sujet s'opposent. Dans
l'interprétation classique, le sujetc'est l'enfant comme pôle actif du jeu, comme
agent du jeu. C'est l'enfant qui met en scène le jeu, c'est lui qui lance la bobine
et la ramène, c'est lui qui constate l'absence ou la présence de l'objet, c'est
lui enfin qui en articule les phases par l'émission dufort-da. L'enfant est donc
le sujet comme Je. Pourrait-il parler qu'il dirait : « Je (l'enfant) joue avec
l'objet. Je joue à faire disparaître et réapparaître ma mère. » Mais cela l'enfant
ne le dit pas, c'est Freud qui le dit, car l'enfant, s'il pouvait le dire, n'aurait
peut-être plus besoin de la captation par le jeu. En fait, un tel sujet ne peut
être que le sujet de la conscience. Il joue à faire disparaître et réapparaître la
mère alors qu'il est joué par elle dans son absence. Il ne joue que pour autant
qu'il est joué, quelque prouesse qu'il accomplisse à renverser cette situation
de passivité en activité. Nous voilà confronté avec l'interprétation moderne
du sujet. Le sujet n'est plus ici l'agent mais ce qui, à la faveur d'une conjonc-
ture, ne peut soutenir la prétention d'un sujet à s'y manifester comme tel,
qu'en passivant son activité. Ce qui ne signifie pas qu'il subit la situation
mais qu'il doive faire sienne cette passivation en l'extériorisant au niveau d'un
tiers situé en position observante, à qui est déléguée cette passivité. Le sujet
est passivé par une situation qui le domine et le contraint : le désir de l'objet
dans le manque qui suit sa perte. Cette contrainte le force à une interprétation
et une déformation par lesquelles le jeu est engendré. D'une part la consti-
tution de la séquence constituée par le jeu lie les effets diffus de la situation
d'absence; celle-ci est maintenant prise en une série dont la propriété essen-
tielle est sa reproduction. Mais, d'autre part, cette prise ménage un certain
jeu. Le jeu qui permet d'inscrire sur plusieurs portées la série, où le drame
THÉORIE 467
Nous avons mis en valeur les conditions de possibilité du jeu (enfant normal,
renoncement pulsionnel), le rôle de l'appareillage, du montage et enfin le
circuit réalisé par le jeu, car il s'agit d'un jeu circulaire, la réapparition de la
bobine appelant sa disparition à nouveau et celle-ci étant suivie de sa réappa-
rition, grâce aux possibilités offertes par le dispositif. Mais il faut encore
souligner l'importance de l'absence, de la négativité. Il faut que la mère soit
perdue pour que l'enfant ait à répéter quelque chose par le jeu. Cette dimension
d'absence force le sujet à se manifester comme l'absence de nourriture et la
faim forcent le loup à sortir du bois. Encorefaut-il que cette négativité reste dans
les limites de l'absence, comporte l'espoir du retour, qu'elle ne soit pas désastre
ou catastrophe (sans quoi elle n'engendre que la réaction de catastrophe).
Dans cette optique, la manifestation du sujet n'est plus simplement la
création active du jeu. Le sujet est le procès incluant tous les éléments du dispo-
sitif. Procès constitué par l'ensemble qui en est la précondition : la main, les
yeux, la voix, mais aussi la bobine, la ficelle, le lit, l'espace qui les environne
et le circuit qui s'y crée. Le sujet naît de cette circulation, qui comprend la
projection accompagnée de l'interjection dans l'oscillation « disparition-retour »,
réalisant l'introjection du jeu. Cette soumission aux éléments du dispositif
complet, cette construction d'un appareillage, constitue un analogon d'appareil
psychique qui se met au service de la tendance à l'extinction d'une tension.
Le sujet est alors l'ensemble des éléments articulés dans le procès constitué par la
répétition. Car une seule opération de l'appareil n'y suffit pas. La circulation,
le parcours du circuit, appelle sa reproduction dans la répétition. Sans cesse
la trace laissée par une seule opération sollicite un repassage sur la trace
nécessaire à la constitution du sujet. Joué une fois, le jeu n'a aucune signifi-
cation, c'est de le voir se répéter que Freud conclut à sa fonction d'abolition
du manque de la mère. Le sujet se constitue dans la répétition qui marque le
passage renouvelé sur des traces existantes. Une trace qui n'est pas originaire
mais seulement antécédente et dont on ne peut parler qu'à l'occasion du
parcours qui revient sur l'appel qu'elle constitue, où elle apparaît comme signe
conséquent, révélateur d'une trace ramenée au jour, aussitôt effacée et main-
tenant apte à jouer le rôle de nouvelle trace antécédenteoù s'abolit sa nouveauté.
Dans le matériel de nos cures une constellation psychique n'est significative
que d'être répétée, c'est là notre meilleur repère. Aussi peut-on dire avec
Lacan : l'Un s'engendre de la répétition.
(1) On ne manquera pas de nous objecter que ce qui rend le jeu possible, c'est qu'il
soit investi de signification et qu'en bonne logique on ne peut la dire après coup. Tout au plus
pourrait-on soutenir que la signification inconsciente ne peut se dévoiler que de façon différée.
Mais est-ce bien sûr ; et ne sommes-nous pas prisonniers d'une tradition réflexive ? Et si la
signification n'était autre que la justificationdu fantasme ? Mais le fantasme lui-même n'est-il
pas conditionné par la signification ? On va voir que nous ne concevons l'investissement signi-
ficatif du fantasme que postérieurementà sa constitution.
(2) On peut se remémorer la phrase de Cocteau : « Puisque ces mystères nous dépassent,
feignons d'en être l'organisateur. "
THÉORIE 469
(ouvert) des relations instituées entre les termes reliés (1). La répétition se
donne ici dans un double aspect. La répétition du jeu lui-même : l'inlassable
recommencement auquel le jeu procède, et le jeu comme répétition, comme
symbolisation de ce qui se passe sur une autre scène. Mais le résultat passe la
réalisation. Le résultat c'est la relance dans un autre espace que celui qui a
constitué le jeu.
Pour saisir cette répétition dans la chaîne qu'elle forme avec des expériences
semblables, il n'est que de puiser dans l'oeuvre de Freud lui-même. Une de
ses premières formes n'est-elle pas retrouvée dans cet autre jeu, rapporté dans
Inhibition, symptôme, angoisse, où la mère joue devant l'enfant à cacher son
visage entre ses mains et à le faire réapparaître ; jeu sursignifiantdans la mesure
où le visage caché évoque aussi une expression de tristesse, tandis que sa
réapparition s'accompagne d'une mimique de jubilation chez celle qui à la
fois constitue le jeu et mime les réactions du spectateur à qui le jeu est
adressé. Dispositif ici réduit à l'extrême, mais qui nécessite tout de même
l'écran constitué par les mains de la mère.
Autre jeu signalé par Freud, toujours dans Au delà du principe de plaisir :
l'enfant ayant découvert le moyen de se faire disparaître lui-même abolissait
son image en s'abaissant sous le rebord inférieur d'une glace. Notons qu'il
serait erroné de penser que seuls deux termes sont ici en présence : l'enfant
et son image, mais qu'il y faut un dispositif comprenant la glace comme
surface réfléchissante et le pan de mur qui lui fait suite vers le sol comme
surface non réfléchissante. Sans ce dernier, aucun jeu n'est possible (2).
L'enfant se fait disparaître dans le jeu comme le jeu de la bobine lui permet
de se cliver en agent du jeu et élément du procès qu'il constitue.
(écrit en juillet 1925). Ces deux articles sont étroitement liés. Si la négation
enracine la fonction du jugement dans la vie pulsionnelle, c'est pour autant
que le bloc magique avait précédemment posé les jalons qui indiquaient que
le travail de la pensée devait être appréhendé à travers les structures d'un
appareil psychique.
Lorsque Freud s'arrête, à la fin de La négation sur la fonction du jugement
d'attribution et sa relation au Moi plaisir originaire, il en définit les pro-
priétés : ce qui est bon ou utile doit être mangé, pris au dedans de soi (intro-
jecté), ce qui est mauvais ou inutile doit être craché, tenu en dehors de soi
(projeté). Eros marque le premier de ces temps, tandis que les pulsions de
destruction (la négation) sous-tendent le second.
Tout comme dans la construction métapsychologique de Freud, l'enfant
à la bobine distingue dedans et dehors ; ses limites sont redoublées par cette
deuxième frontière qu'est le rebord du lit aux rideaux. Par cette comparaison
nous entendons souligner que la distinction dedans-dehors ne se limite pas
à celle du Moi et du monde extérieur, mais que dans l'interprétation du jeu
comme structure et procès, cette première distinction entre dedans et dehors
est reprise au sein du dedans et relancée dans un autre espace qui est un
dehors distinct du dehors du monde extérieur. Il y a pour ainsi dire dans cette
première approximation du dedans, en son espace même, un dedans et un
dehors. Le jeu permet d'instaurer un dehors qui cesse de se confondre avec
l'au loin indéfini, l'ailleurs indéfiniment relégué, pour devenir cet au loin-ci
d'où la bobine peut faire retour. Toute la théorie de la représentation est
impliquée ici, mais à travers ce paradigme on comprend que celle-ci est
moins l'évocation stagnante de l'objet que le moment d'un passage. C'est par
ce retour que se qualifie le dedans en tant qu'il ne s'oppose plus à un dehors
d'exclusion, mais réinclut cette exclusion au sein du dedans même. Ce n'est
pas que le dehors soit ainsi entièrement reconquis ; il y subsiste comme champ
d'un possible à déterminer ultérieurement. Par cette intériorisation c'est un
pan du passé de ce dehors réprouvé qui trouve sa place en se désignant comme
un futur en attente. Ainsi la coupure se déplace de l'espace qu'elle départage
pour se porter vers cet ailleurs dont la nouvelle affectation fait bouger la
frontière de ce qui sera à délimiter maintenant entre le sujet comme agent du
jeu et le jeu comme constitutif du sujet en procès. C'est donc en ramenant
l'objet qui est et qui n'est pas la mère que le jeu retient dans son filet le sujet
comme parcours outrepassant les bornes de son intention ludique — et le
détermine non seulement comme désirant la mère, mais ayant à la désirer et à
sauver le désir de la rupture des liens qui le définissent.
Jeter la bobine c'est jeter au loin, au dehors, le substitut de la mauvaise
mère ou mieux du mauvais sein. Ramener la bobine c'est retrouver le bon
sein, celui qu'on retrouve sur commande, à disposition, que l'on introjecte et
conserve. En un autre temps, ce sera la mère comme objet total qui sera
alternativement perdue et retrouvée dans la position dépressive qui implique
THEORIE 471
(1) En contrepartie, si le mauvais est perdu, l'objet est trouvé, puisque Freud assigne la
naissance de l'objet à sa non-disponibilitépour le sujet. L'objet est connu dans la haine — cette
locution de Freud a été, à notre avis, souvent mésinterprétée. Ce que Freud veut dire, selon nous,
est que c'est à la faveur de la haine que l'objet est connu comme objet de la haine, mais non
que l'objet qui est connu est investi de haine. Au contraire,ici encore le clivage se poursuit entre
la haine « conditiondéterminante de la connaissance de l'objet " et cet objet. Car l'objet connu
est nécessairement un objet à introjecter et comme tel ne peut être un objet de haine. C'est
précisément parce que la haine fait retour, malgré l'introjection de l'objet, que ce qui a été exclu
au dehors devra l'être à nouveau au dedans par le refoulement. A ce moment ce ne sera plus
la haine seule qui sera refoulée, mais tout ce que l'investissement d'objet entraîne d'indésirable,
la violence sexuelle comme la haine. Ainsi la haine incarne ici un prototype de la violence qui
sera dénoncée dans tous les registres où elle ne pourra être contenue, c'est-à-dire aussi bien les
expressions de la libido erotique que celle de la libido agressive.
(2) S.E., XIX, 238.
472 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) S.E., XIX, 237. Notons dans cette traduction mot à mot la notion de reproduction.
(2) « Une composante essentielle de cette expérience de satisfaction est une perception
particulière (celle de l'allaitement dans notre exemple) dont l'image mnésique restera associée
par la suite avec la trace mnésique de l'excitation produite par le besoin. La fois d'après où ce
besoin naît, grâce au lien qui s'est établi, une impulsionpsychique émergera immédiatement qui
chercheraà réinvestirl'image mnésique de la perception et à réévoquerla perception elle-même,
c'est-à-dire à rétablir la situation de la satisfaction originelle. Une impulsion de ce genre est ce
que nous appelons désir ; la réapparition de la perception est l'accomplissement du désir... »
(S.E., V, p. 565-566). Ainsi le désir se produit à l'occasion d'une expérience de répétition par
repassage sur une trace, sur un pli. Le parcours de ce pli est reproduction du sillon primitif par
réinvestissementdestiné à produire l'identité de perception. Soulignons la répétition dans ce
texte : réinvestir, réévoquer, rétablir.
THEORIE 473
(1) Laplanche et Pontalis font observer qu'on ne remarque pas assez que le but ultime de
l'identité de pensée est de retrouverl'identité de perception. Cela est indéniable. Mais justement,
en bouclant la boucle, ce qui s'est accompli est une dissociation d'effets entre le but et le proces-
sus. Laccomplissement du résultat recherché devient beaucoup moins important que la façon
dont cet accomplissements'est effectué. ParaphrasantFreud, nous dirions que la voie secondaire
(le détour) a acquis une importance fondamentale. L'introduction du retour dans la communi-
cation change non seulement la structure de la communication, mais la signification de la
communication devant laquelle un champ nouveau s'ouvre. La valeur heuristique de ce
résultat tient moins au « progrès » ainsi accompli qu'au conflit dialectique ainsi rendu possible
entre identité de perception et identité de pensée.
474 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
jeu de la bobine, qui a frappé les commentateurs par sa précision (1). Rappelons
seulement que celui-ci combine les avantages de la capacité réceptrice illimitée
(comme l'ardoise) et de la durabilité de la trace (comme le papier) ; Freud leur
ajoute l'inscription multiple. A l'activité de répétition qui exige la réinscription
successive se substitue ici leur inscription unique qui, d'un seul coup,
donne divers types de traces simultanément. D'un seul geste le stylet marqueur
produit trois inscriptions, une triple trace conjointe : un modèle (conservé
dans la cire) et ses deux copies (visible sur la feuille de papier ciré, invisible
sur la feuille de celluloïd). De même, un seul geste suffit à effacer les deux
copies et retenir le modèle par une opération de séparation - disjonction. Cette
opération d'inscription- effacement rappelle les phases alternantes du jeu de
la bobine. Ce qui était le rejet du mauvais, de l'hostile, de l'étranger n'est
plus ici que le périssable. La répétition et le temps sont liés. La discontinuité,
nécessaire à la répétition, est réalisée par l'intermittence de l'investissement
de l'appareil perceptif, ce qui amène Freud à conclure que le mode de travail
discontinu est le fondement de la représentation du temps. La répétition apporte
dans cette discontinuité qui est nécessaire à sa constitution, la réapparition
dans la successivité de ce qui était donné dans la simultanéité.
Ce passage témoigne d'une continuité de préoccupation chez Freud depuis
cette lettre 52 plus haut citée, où il affirme :
«Ainsi ce qui est essentiellement nouveau dans ma théorie est la thèse que
le souvenir n'est pas présenté une fois pour toutes, mais à plusieurs reprises
et qu'il est déposé en différentes espèces de signes. »
En 1896 comme en 1925, on retrouve des affirmations identiques : variétés
des espèces de signes inscrits, variété des matériaux qui servent à l'inscripti-
bilité. 1896 et 1925 : deux accentuations opposées — successivité dans la
lettre à Fliess, simultanéité dans la conception de l'appareil psychique. Ce
qui s'explique par le fait qu'il s'agit dans le premier texte des effets de retour
d'une inscription et dans le second des propriétés de l'appareil inscripteur.
En fait on peut se demander si la conjonction de ces deux écrits ne peut se
faire ainsi : c'est parce que les propriétés du système comprennent au premier
chef cette hétérogénéité matérielle des diverses parties de l'appareil que l'ins-
cription est vouée à se répéter sous forme de réarrangement et surtout de
retranscription. Chaque transcription ultérieure inhibe sa précédente et draine
en dehors d'elle le processus d'excitation disponible pour une nouvelle retrans-
cription, entre les périodes de remaniement. Prêtons attention au fait que
Freud laissera entendre que le refoulement pourra être le fait d'une erreur
de traduction (2), erreur facilitée par les conditions de lisibilité des traces,
qui tiennent au matériau dans lequel elles sont déposées.
LA RÉPLICATION
(1) Dans la conjoncture présente, le risque de l'erreur d'interprétation nous paraît moins
grand que les dangers de l'ignorance systématique. Au moins ces erreurs peuvent-elles être
l'occasion d'une rectificationféconde, au lieu que le silence fait sur ces travaux sert largement
des spéculations inavouées, qui n'ont même pas le mérite de s'appuyer sur des faits scienti-
fiquement établis.
THEORIE 477
(1) Cf. Entretiens sur la sexualité (Colloque de Cerisy, 1965),Plon, 1969. FREUD fait état de
l'opinion semblable de Darwin dans Au delà du principe de plaisir. Notons que l'on observe chez
certaines espèces la possibilité pour certaines cellules somatiques de devenir des cellules germi-
nales.
(2) 33. WOLLMAN, p. 10. Notons qu'à ce niveau les descendants d'une souche réceptrice
acquièrent les propriétés inhérentes à une souche différente de la première par certaines pro-
priétés héréditaires. En 1964, a été démontrée la possibilité d'observer des mécanismes de
recombinaisongénétique chez les Bactéries, mécanismes qu'on croyait réservés aux espèces de la
reproduction sexuée. Il ne faut pas oublier cependant qu'une cellule de mammifère contient
1 000 fois plus d'A.D.N. qu'une bactérie.
478 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Il va de soi que je ne prends ici en considération — pour clarifier la discussion — que les
structures mémoriellesen laissant de côté des pointsfondamentauxde l'organisationbiologique :
organisateurs,récepteurs, enzymes, médiateurs,hormoneset nombre de constituantsrégulateurs.
(2) Problème à distinguer de l'hérédité des caractères acquis, dans la mesure où c'est
par l'expérience singulière que les potentialités acquises seraient l'objet d'une appropriation
par l'individu. Ce qui pourrait être facilité est la transmission de conditionnements homologues.
(3) On a cependant longtemps considéré que la régulation des processus sexuels dépendait
en fin de compte des structures nerveuses. A la lumière des travaux récents, il semble qu'il
faille inverser l'ordre des processus : C. Aron fait état des travaux de Bariakov " qui ont établi
de façon absolument certaine que dans les jours mêmes qui suivent la naissance, on assiste à
THEORIE 479
Freud s'était donc trouvé barré dans sa démarche pour fonder scientifi-
quement ses hypothèses sur un modèle scientifique et ceci au moment où il
écrivait :
« La cellule germinale doit trouver des forces — ou même la condition
nécessaire — pour s'acquitter de cette fonction dans sa fusion avec une autre
cellule qui à la fois lui ressemble et en diffère. »
(1) M. CHARNIAUX-COTTON, Entretiens sur la sexualité (loc. cit., p. 305-315), rappelle que
sexe dérive probablement du verbe latin secare : couper, séparer. Car s'il est vrai que c'est la
recombinaison génétique qui caractérise la sexualité, celle-ci présuppose la mitose et la fécon-
dation, constituantle cycle universel de la reproduction sexuée. Or la mitose est une succession
de deux divisions cellulaires à partir d'une cellule diploïde (c'est-à-dire d'une cellule contenant
une paire de chaque chromosome de l'espèce). La deuxième division survient après une mitose
normale (nouvelledivision) qui a pour résultat final de transformerla cellulediploïde (2 X n chro-
mosomes) en quatre cellules haploïdes (à n chromosomes génétiques) et ne comporte qu'une
seule réplication du matériel génétique. On retrouve donc à toutes les étapes la série : division,
dédoublement, reconstitution de nouvelles unités, soit à partir d'une même moitié, soit de deux
moitiés dont l'une des deux « ressemble à l'autre et en diffère », comme c'est le cas lors de la
fécondation. C'est uniquement à ce dernier stade que, par le jeu du crossing-over, se produit la
combinatoirealéatoire par échange de segments entre chromosomes analogues de 2 X n cellules
haploïdes spéciales, les gamètes mâles et femelles. Notons pour terminer que l'hermaphrodisme
apparaît comme un avatar de la différenciation sexuelle (chez les invertébrés) pour disparaître
ensuite chez les vertébrés (en dehors des cas pathologiques). En fin de compte, la sexualitéparaît
pouvoir être définie par la rencontre de la séparation et la recombinaison génétique dont le mythe
platonicien fournit l'allégorie.
(2) Remarquons ici que ce que dévoile la vérité scientifique est
— si j'ose dire — plus
mythique que le mythe. L'intuition du mythe s'y trouve complexiflée au-delàde ce que l'imagi-
nation intuitive aura produit. Du moins chez Platon. Il faudrait remonter à Empédocle et
Héraclite pour voir le mythe se hausser ici au niveau de la science.
486 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Nous utilisons ici le mot sujet, par commodité, dans son sens banal. Il nous arrivera
d'y faire encore allusion par la suite dans la même acception.
THÉORIE 487
(1) Nous ne pouvons entrer ici dans le détail qu'impliquerait l'exposé du problème de la
psychose.
(2) Au delà du principe de plaisir, chap. VIII, souligné par nous.
THÉORIE 489
ces possibilités ne se limitent pas au travail effectué sur des termes (représen-
tations), mais concernent aussi des modes d'activité : l'énergie se déplace ou
déplace l'actualisation des moyens d'expression des termes véhiculant le sens.
Le déplacement voit donc le retour à la fois de l'activité de liaison et de ce qui
l'oblige à transporter cette liaison ailleurs que là où elle se serait effectuée. Le
principe de plaisir - déplaisir qui ordonne les transformations de la liaison ne
nous renvoie que plus sûrement encore à ce qui cherche à se répéter dans sa
liaison. Il ne se saisit de la compulsion de répétition qu'en tant que celle-ci ne
lui obéit pas.
«Notre conscience nous fait parvenir du dedans non seulement les sen-
sations de plaisir et de déplaisir, mais aussi celle d'une tension particulière
qui à son tour peut être plaisante ou déplaisante. Est-ce la différence des
processus énergétiques liés et non liés que ces sensations nous permettent de
percevoir ? Ou bien la sensation de tension ne serait-elle pas à mettre en
rapport avec la grandeur absolue de l'investissement, éventuellement avec son
niveau, tandis que la série plaisir-déplaisir indiquerait la modification de la
quantité d'investissement dans l'unité de temps (1) ? »
Ces remarques conclusives sont d'une extrême difficulté. Elles opposent
des sensations à une tension pour parler ensuite d'une « sensation de tension »
dont la série plaisir - déplaisir apparaît comme le résultat d'un calibrage par
l'unité de temps.
Freud ne vise pas un ailleurs ou un dehors du principe de plaisir, mais un
au-delà. Ce qu'instaure la compulsion de répétition, c'est la capture du sur-
gissement de cette grandeur absolue de l'investissement avant toute qualifi-
cation proprement psychique. La compulsion de répétition n'est ni en dehors,
ni en dedans du principe de plaisir. Elle concerne la prise en séquence de cette
tension, la qualité de plaisir et de déplaisir en étant la con-séquence. Jusqu'à
ce point de son oeuvre, Freud a lié le couple déplaisir - plaisir au couple
tension - détente. Préfigurant ce dont il allait convenir explicitement dans le
Problème économique du masochisme quelques années plus tard, sur leur indé-
pendance — celle-ci fût-elle seulement relative — il prend les devants pour
maintenirau postulatfondamentalde l'Esquisse, qui assigne à l'appareilpsychique
la tâche de se débarrasser des quantités en excès, une préséance théorique.
A celui-ci s'accroche toute la théorie de la complication interne de l'appareil
psychique, la fonction secondaire de la communication, la nécessité du détour-
nement du but, l'opération du déplacement, les transformations énergé-
tiques, etc. Dès lors, tout se passe comme si la compulsion de répétition
représentait la contrepartie anticipée de l'annonce de la désolidarisation des
couples déplaisir - plaisir, tension - détente. La fonction théorique de la
compulsion de répétition est de rendre visible cette mobilisation de la tension
et l'annonce de ce qu'elle indique sur les transformationsqu'elle appelle. Par la
(1) Ibid.
490 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
servir encore Eros ne change rien au fond du problème, qui est de se demander
d'où l'activité de séparation tire son fondement. Et l'on sera en droit de se
poser la question de savoir s'il est heuristiquement plus avantageux de placer
les propriétés de la séparation et de la recombinaison au sein de l'unité de la
pulsion sexuelle, du conflit de celle-ci avec le Moi, ou d'admettre la conception
freudienne. Il nous semble que Freud reste plus fidèle à sa thèse de l'irréduc-
tibilité du conflit en opposant séparation et recombinaison en deux « lieux »
contradictoires.
Il y a sans doute quelque réticence, au regard de nos habitudes de pensée,
à accorder à la force un tel statut. Qui dit force implique une visée, un but.
Ce que nous apprend la pensée de Freud est tout autre. Ce que veut la force
n'est rien d'autre que l'abolition d'elle-même, sa séparation du fond sur lequel
elle émerge. C'est par la voie d'un manque que celle-ci se manifeste, mais elle
ne rencontre celui-ci qu'à tenter de le colmater. Ce qu'elle rencontre ainsi
dans son parcours, ce n'est pas l'absence de son objet, mais son non-objet,
ce avec quoi elle cherche à se confondre par cette non-existence. Toute figu-
ration de cette non-existence (vie intra-utérine, paradis perdu) ne cerne que
le recouvrement hypothétique de cette non-existence. Mais celle-ci ne peut
accomplir son épuisement que par une sortie ; cherchant son issue, elle constitue
son chemin. C'est sur cette trajectoire qu'elle amène l'objet d'une non-
existence à une autre existence. La médiation qui y conduit est l'opération
de la liaison effectuée en vue de la sortie, comme si celle-ci devenait l'objet
de la force. Par déplacement, le manque à l'origine de la force est transféré
dans l'espace de la sortie en une figuration d'une autre liaison complémentaire
et opposée qui donne corps à une absence d'objet ; où l'objet s'investit de la
force qui a échappé à la liaison et est alors appréhendé comme absence de la
liaison. Absence en deçà d'elle par la force non capturée, absence au-delà
d'elle dans la mesure où le constat de la liaison impliquerait le constat du
manque qui ne se situerait plus au niveau de la force mais de la réponse qu'a
fournie la liaison à sa demande de sortie. Puissance de recombinaison qui
remet à l'oeuvre les processus de liaison appelantl'objet à l'existence sous forme
d'absence, comme pour conserver à la liaisonde laforce son manque. Manque qui
stimuleun projet d'appropriationà travers de nouvelles transformations,lorsque
survient l'avatar de la perte. La force alors, se déplaçant du lieu d'où elle surgit,
s'emploie au réinvestissement de la trace d'absence et la Maison se calque sur
la configuration de l'objet. C'est par cette ressuscitation que l'objet est « trouvé ».
Mais s'il « sort » à son tour de l'absence, c'est pour entrer dans une virtualité
où allant et venant comme la force, les mouvements par lesquels il manifeste
sa vie propre, témoignent de la possibilité de se perdre en ce parcours. Le
désir fait le sacrifice d'une résurrection pleine pour sauver le surgissement
par lequel la sortie de la force, capturée cette fois par l'objet, remodèlera ses
répliques dans les contextes nouveaux qui appelleront son témoignage. A
mesure que les répétitions sont sollicitées (répétition des liaisons, répétition
492 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
Que Freud ait été arrêté par l'ignorance de la science de son temps quant
à l'origine de la sexualité nous a donné motif pour interroger la biologie
moléculaire. Nous avons surtout été attentifs aux rapports que ces travaux
ont permis d'établir entre répétition et réplication. La structure y paraît ne
pouvoir assurer sa permanence que par la répétition la plus rigoureuse, mais
celle-ci ne s'accomplit que par la reconstitution de sa moitié manquante.
Elle admet la différence à condition que celle-ci se trouve réenglobée par la
répétition, la sauvegarde du système prenant le pas sur l'émergence du terme
différentiel introduit. Il semble que lorsqu'on aborde le plan de l'activité
psychique, les propriétés du système passent de la rigidité répétitive à la
recherche de la conservation minimale de l'intelligibilité d'une cellule de sens,
qui ne cède en rien à la nécessité d'une détermination aussi étroitement fixée
que possible, offrant en revanche à la réplication une latitude des plus larges
à son expression. En somme tout se passe comme si la différence, au lieu de
THEORIE 493
(1) E. BENVENISTE (Le jeu comme structure : Deucalion, 1947, n° 2, p. 161-167) montre com-
ment le mythe et le rite disloquent l'unité de l'opération sacrée : « On pourra dire qu'il y a jeu
quand on n'accomplitqu'une moitié de l'opération sacrée en traduisant le mythe seul en paroles
ou le rite seul en actes. En outre le propre du jeu est de recomposer fictivement dans chacune
de ses deux formes la moitié absente : dans le jeu de paroles on fait comme si une réalité de fait
devait s'ensuivre ; dans le jeu corporel on fait comme si une réalité de raison le motivait. »
Cité par J. EHRMANNdans son excellente étude : L'homme en jeu, Critique, n° 266, p. 599-607.
494 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) O. RANK, Don Juan, une étude sur le Double, p. 104, trad. par S. LAUTMAN, Denoël
& Steele, édit.
(2) Rappelons que FREUD indique dans une note d'une édition tardive de L'interprétation
des rêves que l'enfant met en scène un jeu analogue la veille du départ de son père pour le front.
THEORIE 495
par son lien à son support, tandis qu'à l'inverse, mais en même temps, elle est
trop ouverte ; la nébulosité de ce rapport (héritage de son emploi dans le sacré
peut-être) laisse en suspens notre souci d'une connaissance des moyens opéra-
toires du symbole par la délimitation ou la clôture qui en permet la saisie.
On en est donc venu à préférer la rigueur d'une conception du symbole comme
relations interdépendantes des termes d'un ensemble. La limite opératoire
posée par les termes étant compensée par la multiplicité des combinaisons que
leur agencement donne à lire.
Passage de la symbolique au symbolique. Le jeu de la bobine pourrait
nous aider à prolonger cette réflexion. D'une part le symbole (dans une
acception proche de la conception traditionnelle) serait posé par rapport à
un indice comme ce qu'il n'est pas : le ooo face au a. Mais de ce fait l'absence
change de statut. Elle était bien présente dans l'indice, mais dans son opposé
elle manquerait d'une limitation à sa dispersion. Non qu'elle soit « absence
d'absence » par l'énigme qu'elle pose, mais absence d'une saisie sur l'absence.
Le vide qu'elle creuse par la neutralité affective apparente de la phase de
disparition, contrastant avec la jubilation manifeste de la réapparition, ne
fixe son incertitude qu'à être relié à l'indice comme son inverse et son symé-
trique, nécessitant l'articulation des deux temps. D'autre part, on retrouveraitla
conception moderne du symbole par la prise en considération de la séquence
complète. Le symbole fait donc retour sur l'ensemble du jeu (et non plus sur
la seule opposition phonématique); la fonction de la répétition est de scander
les divers temps et de souligner leur articulation. Ainsi, si la limite posée
par l'indice ne peut rien dire d'autre sur elle-même, son report sur le jeu
complet fait entrer celui-ci dans le rôle d'une réplication invitant à la
recherche de sa moitié manquante. A ce moment c'est l'ensemble offert par
le jeu qui s'inscrit sur un double registre interprétatif. Soit celui de l'indice :
relation entre la disparition - retour de la bobine et l'absence - présence de
la mère ; soit celui du symbole comme système de virtualités par la polysémie
d'un terme opposé à la monosémie de celui qui lui fait face et qui renvoie
à la pluralité des analogon du jeu, qu'ils soient de nature ludique ou non.
Chacun de ceux-ci devient le détenteur de la moitié manquante que constitue
le heu commun des autres. Leur mise en relation ne peut alors se saisir que
dans le procès où ils dérivent les uns des autres et les uns par rapport aux
autres, c'est-à-dire dans le mouvement de passage où chacun advient comme
liaison de ses moments. C'est cette liaison qui lui confère la valeur d'une
réplication dont le modèle est resté silencieux dans tout ce que la liaison a
occulté par oubli, refoulement ou dénégation.
Ainsi la réplication fixerait une limite à l'errance indéfinie, à la réverbération
illimitée des questions de la polysémie. Mais son effet ne se limite pas là.
La constitution rétroactive du fantasme transmue la relation d'opposition en
relation de clivage par son maintien à l'état inconscient.
Le modèle décrit par Freud ouvre de nouvelles perspectives à la symbo-
THEORIE 497
s'est effectué vers le mouvement de « sortie » que la liaison a scellé, doit main-
tenant se porter à l'intérieur des termes unis par la liaison et à partir d'eux.
La liaison cesse d'être le pont établi vers l'objet, mais devient l'objet des
modalités de déplacement, comme réplication de l'opération fondative qui a
présidé à son instauration, formatrice de nouvelles catégories objectales.
La métonymie de l'activité psychique comme condition de la métaphore ?
Certes, mais cette première liaison de la motion n'est-elle pas déjà métaphore
de l'organisation corporelle ?
(I) « Il est intéressant que toutes les expériences qui ont lieu de bonne heure, en contraste
avec celles qui se passent plus tard, persistent, y compris bien sûr celles qui leur sont contraires.
Au lieu du jugement qui plus tard sera l'issue » (Résultats, idées, problèmes, S.E., XXIII,
p. 299).
THEORIE 499
répétition est en fin de compte le signe. La génération qui exige, pour que la
répétition se produise, la séparation-recombinaison de la différence. En retour,
elle est productrice d'une différence par répétition. La génération est produc-
trice d'un produit qui est la souche d'une génération future ; mais les générateurs
sont eux-mêmes les produits des souches de leurs propres générateurs. Cette
succession de trois générations (I) est scandée à chaque phase par la réplication :
l'enfant porte le prénom du grand-parent.
Ainsi en est-il de la vie psychique où chaque moment n'émerge de son
antécédent que pour se constituer en réplique dépassée - oubliée - refoulée
du temps antérieur au moment posé comme originaire.
(1) Cf. G. ROSOLATO, " Trois générations d'hommes dans la généalogie », dans Essais sur le
symbolique, Gallimard, édit.
(2) S. E., XXIII, p. 75-76.
THEORIE 50I
(1) En dehors des travaux psychanalytiques modernes le lecteur pourra se référer aux
commentaires de J. DERRIDA (Freud et la scène de l'écriture, dans L'Ecriture et la diffé-
rence, Le Seuil, 1967) et de G. DELEUZE (Différence et répétition, p. 26-30 et 128-153 surtout,
Presses Universitaires de France, 1968).
CHRISTIAN DAVID
IMPULSION NOVATRICE
ET COMPULSION DE RÉPÉTITION
récentes de l'éthologie, que ce soit sur la base des observations de la vie cou-
rante ou sur celle de la biochimie moléculaire (encore que les extrapolations,
quelque séduisantes qu'elles puissent être, demandent en ce domaine une
critique particulièrementserrée), il semble que les répétitions compulsionnelles
les plus empreintes de léthalité — celles que de M'Uzan a rangées, avec beau-
coup de force probante, sous la rubrique clinique de répétitions de « l'identique »
— se présentent toujours comme la conséquence d'une défaillance des systèmes
d'intégration, comme le résultat de la mise en échec des dispositifsfonctionnels
d'adaptation — et donc de modification, de changement. C'est là où il n'a pas
été possible que les solutions les plus complexes, les plus inventives, les plus
coûteuses énergétiquement et aussi les plus fragiles fussent élaborées et mises
en oeuvre que l'on voit apparaître des signes pouvant donner le sentiment d'un
déchaînement « démoniaque », des manifestations de dédifférenciation et de
stéréotypie. Encore n'existe-t-il sans doute pas, comme A. Green l'a éloquem-
ment montré, de pure compulsion de répétition : celle-ci ne représente qu'une
limite, vers quoi certains comportements autodestructeurs, par exemple, ne
font que tendre. Pour Freud lui-même, on le sait, il y a bien toujours une cer-
taine part d'intrication, d'union des pulsions, toujours dialectique d'Eros et de
la destructivité. En ce combat douteux il arrive certes que l'analyste observe
une phase d'irréversibilité, émaillée de répétitions obstinées, mais le seul fait
qu'il lui soit parfois possible de « renverser la vapeur » alors qu'il ne l'espérait
plus, voire seulement d'agir de manière temporairement efficace en redonnant
épisodiquement le branle aux systèmes fonctionnels intégrateurs les plus déli-
cats, témoigne de la sensibilité, de la réactivité des structures altérées à tout
apport organisateur adéquat venant suppléer l'autorégulation défaillante. Si
quelque chose peut répondre à cette incitation restructurante — tantôt prenant
la forme de la mentalisation la plus franchement pédagogique, tantôt celle d'une
aide exogène au refoulement des pulsions, tantôt encore celle d'un apport libi-
dinal massif — c'est bien que la contrainte exercée par l'automatisme de répé-
tition n'occupe pas tout le champ, sans contrepartie, ce qui est, en dépit des
déceptions les plus cruelles de la pratique, en dépit de tout le douloureusement
irréparable, d'une réelle importance : il y a dans ce que Freud a désigné à
différents niveaux comme pulsion sexuelle, libido, pulsion de vie, Eros, la
présence vérifiable d'un dynamisme spécifique dont la direction progrédiente
et le génie organisateur, constructeur ne peuvent sans artifice être subordonnés
ou soumis — encore moins réduits — à l'effet dissociateur de ce qui a son prin-
cipe et son origine en deçà des principes de plaisir et de réalité — dans l'inorga-
nique, dans la mort en tant qu'elle imprime sa marque négative sur tout ce qui
vit et au premier chef dans la psyché même.
Serait-il vrai que la vie ne représente qu'une sorte de détour à l'égard de la
réalité première de l'inertie et en admettant même que, dans une perspective
cosmique, on ait toute raison de penser que le bruit de la vie se résoudra néces-
sairement dans un silence définitif, il n'en demeure pas moins que ce qui fait
THEORIE 507
« LA NAISSANCE DE LA REPETITION »
AVANT-PROPOS
PRÉLIMINAIRES
exemple, dans les « progressismes », les aufklärung, comme chez les encyclo-
pédistes, comme chez Marx, opposant à l'action répétitive de la nature une
acculturation qui la dépasse et la détermine ; soit vouée (la répétition prise
pour elle-même, comme valeur : « cela vaut ») à redécouvrir une béatitude
qu'est le retour éternel du Même (cf. Nietzsche).
D'une part, en effet, le devenir est assimilé à l'à-venir par la levée trans-
gressive des pouvoirs du Sur-Moi (ceux qui président à la spéculation), c'est-à-
dire un dépassement de la philosophie ; d'autre part, devenir et nécessité
coïncident : « Deviens qui tu es. » Devenir et avenir, devenir et nécessité ont
dû eux-mêmes s'affronter à la notion de transcendance par où s'accomplit,
par la hauteur, le destin généalogique de l'inférieur.
Il est à noter que ce débat s'est renouvelé dans le texte de Freud, Au delà
du principe de plaisir. Il serait d'ailleurs fructueux d'envisager par l'étude des
textes les correspondances entre certaines notions communes à Nietzsche et à
Freud. Par exemple, « le Proton pseudos » repris par Freud dans l'Esquisse
à propos de l'hystérie (le premier mensonge de la matière), 1' « après-coup » dans
la symptomatologie de la névrose, la « transvaluation de toutes les valeurs »,
expression nietzschéenne reprise par Freud dans l' Interprétation des rêves et
le « retour éternel du même » posé comme problématique dans Au delà du
principe de plaisir.
Freud avait-il lu Nietzsche ? Avait-il oublié qu'il l'avait lu ? Car l'épisode
Lou Salomé est postérieur à ces textes. Certainement, toute la tradition roman-
tique germaniste venue de Schopenhauer et de Goethe et, par Goethe, de
Spinoza, a fécondé à partir de mêmes notions, des esprits aussi différents que
Freud et Nietzsche. Il est certain que Nietzsche, par la notion du « retour éternel
du même », a pensé ne rien répéter de ce qui s'était dit avant lui.
C'était une « bonne nouvelle » et en cela lui aussi a cru accomplir ce qui se
répétait dans l'histoire de la métaphysique.
— Le Christ, lui aussi, avec la « bonne nouvelle » (la nouvelle parole, la
nouvelle loi) accomplissait le destin des Ecritures, leur prophétie. Il accomplit
un destin religieux en le répétant (faisant passer le Testament ancien avant le
Nouveau Testament qui l'accomplit).
— Le métaphysicien Husserl, lui aussi, a cru répéter et accomplir par la
phénoménologie transcendantale, le destin de la pensée de l'Etre sous la forme
de l'idée (transcendantale) répétant et accomplissant Platon (l'Eidos), Descartes
(le Cogito), Kant (l'Idée) et Hegel (la dialectique de l'Esprit). La vision empi-
rique (psychologique) chez lui, en fin de compte, s'équivaut à la vision eidétique
(de l'Eidos, de la forme, de l'Idée). On peut très bien affirmer que la spéculation
métaphysique, même celle de Nietzsche, s'est enfermée dans le cercle, le cycle
de la répétition, qui s'accomplit en tournant, destinalement, sur elle-même, à
l'intérieur d'elle-même.
Freud n'échappe pas totalement à cette emprise du cercle : comment cela
serait-il possible d'ailleurs, mais il a permis de penser, en élaborant la notion
512 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
a) On est perdu parce que cela revient : c'est le charme, le sort jeté, le retour
du refoulé (dans l'oeuvre de civilisation, le meurtre accompli du Père primitif).
b) On est sauvé parce que cela revient : ceci me paraît nécessaire à penser
dans l'histoire même du texte de la psychanalyse. La récurrence de la trace
du meurtre est aussi un chemin d'éclaircie comme une clairière. Répéter c'est
aussi conserver et il y a une structure de l'oubli, proprement instinctuelle et
inconsciente qui ne coïncide pas avec le refoulement (fuite-condamnation).
c) Il y a, à cette apparente contradiction, au coeur du Sur-Moi, un au-delà
de la répétition : on peut l'appeler le délivré, le Nirvâné (principe de Nirvâna),
le manifesté (l'existence du latent dans le manifeste — intuitionné comme
tel — le fantasmé, l'unique, le déroulement phallique de l'Inconscient sexuel).
En effet, le refoulé demande résolution et délivrance.
Freud écrit dans Le Petit Hans :
«Ce qui demeure incompris fait retour, telle une âme en peine, il n'a pas
de repos jusqu'à ce que soient trouvées résolution et délivrance. »
Résolution et délivrance sexuelles, psychosexuelles ?
En Freud il y a bien un Grec qui dit le Même :
— L'être et le devenir du fleuve héraclitéen, non plus pensé par Platon
qui, lui, transcrit l'aphorisme d'Heraclite en ces termes :
« On ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve » ;
«C'est un triomphe de l'Esprit que de pouvoir rendre dans une même for-
mule le délire et la vérité. »
Nietzsche écrit dans Unschuld des Werden :
« Pas de répétition dans les choses mais il faut d'abord les créer. »
1) L'Acte de l'acteur (de tout acteur qu'est l'homme dans son devenir)
n'est pas, comme le dit le langage usuel et utile, établi sur des répétitions pour
une « représentation », mais s'achemine par les répétitions vers la délivrance
de l'unique. Cet acte est poétique, fondamentalement, même si, en rien, il
n'est mesuré par un langage ou une décision « poétiques ».
2) Cet unique peut se dire de multiples façons : dire la beauté comme arrêt
de la destruction comme pour privilégier l'ultime moment de la vie.
— « Encore un instant, Monsieur le bourreau », dit la Du Barry.
— « O temps, suspends ton vol ! », du poète, même facilement mélancolique.
— « Arrête, c'est trop beau ! », plus prosaïque et non moins hystérique.
— Le poète qui me semble avoir fait figurer le plus profondément cette
mélancolique extase du moment qui doit se répéter,l'éternité dans l'instant qui
retourne à un commencement incessant, c'est Gérard de Nerval.
La treizième revient... c'est encor la première ;
Et c'est toujours la seule, — ou c'est le seul moment
poétique qu'il ne faut pas confondre l'unisson avec le pas cadencé ; cet unique
ne se répète pas mais il y a des uniques. Il y a des répétitions qui ne sont pas des
successions : le multiple (le divers, le profus, le disparate) n'est pas opposé à
l'un mais à la totalité, à la totalisation des significations, à la polysémie.
Il n'y a pas d'Unique comme cause mais des conditions d'identité, celles
dont parle Freud quand il envisage la secondarité des identités de représentations
tendant à revenir aux conditions d'identité des perceptions (les identités de
perceptions de l'hallucination et de la satisfaction hallucinatoire du désir).
Il y a donc un différentiel entre ces différentes conditions d'identité (de
perception et de représentation). Ce différentiel est l'apodictique ; c'est le
frayage sur fonds d'orgasme, de rien, de néant, d'indifférence.
— L'error memorabilis en ce sens qu'elle peut être désignée comme méta-
physique, c'est de mettre au départ, contre le texte de Freud lui-même :
— un désir de désir (un désir pour lui-même alors qu'il s'agit d'une jouissance
pour elle-même), et du « voeu » que se fait à lui-même le « narcissisme »
(par exemple le narcissisme pur et absolu du sommeil) ;
— un manque (comme cause) ;
— un zéro totalisateur ;
— une réification de l'Inconscient et de la mort.
On réifie alors ce que l'on accuse de jouer le rôle néfaste du réifié, car il faut
bien exorciser le « trou sans fond », le néant. Dans le jeu de la vie et de la mort,
c'est le « blanc » qui revient dans la structure de la syntaxe.
ce sont les images des morts), aux pulsions du Moi, si peu élaborées par les
successeurs de Freud, où « avoir faim » donne le droit à recommencer et où
« restaurer » c'est retourner en arrière, à ce lieu mythique de l'Apocalypse, à
l' « illusion » de la pulsion de mort où il n'y aurait plus de souffrance car les
premières choses auraient disparu.
Car la pulsion de mort n'est pas la déconstruction des illusions, comme on
tendrait à le faire dire à Freud ; il faut continuer à élaborer, à partir de là,
d'une élaboration muette sous le masque des mots. L'inertie, l'inorganique, le
non-vivant, antérieur au vivant, n'est ni l'autre du vivant ni la cause du vivant ;
ou alors on ne veut plus lire Freud dans le texte et l'architexte (l'architexture).
Il ne faut pas confondre l'altérité avec l'antériorité et la vie « apparaît »... pour
Freud comme plus tard la « conscience » et sur le même mode d'apparition.
Il s'agit bien, comme le dit Freud, d'un jeu de la vie et de la mort, sous la réserve
que la trace de la mort, comme antériorité archéologique ou plutôt généalogique
et non causale, est son propre effacement.
Le même n'est pas l'identique et l'unique ne se répète pas.
On peut aborder ainsi la redoutable spéculation freudienne de Au delà
du principe de plaisir. On peut élaborer à partir du texte de Freud, non seule-
ment dans sa lettre, ce qui est primordial, mais peut-être plus particulièrement
là où la pensée de Freud a hésité, atermoyé, vacillé; là où il est lui-même
intervenu à titre de quelqu'un qui veut dire « comme si le génie ne suffisait
pas et qu'il fallait y ajouter son ombre ».
A mon avis, là où la pensée creuse l'effet de la répétition, de sa naissance
éventuelle et événementielle, c'est lorsque Freud pose l'hypothèse qu'il n'y a
peut-être pas de répétition ; pas de principe de répétition.
A une Passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit! — Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais
O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!
MÈRE PÈRE
Ceci n'entre-t-il pas dans le fantasme d'incorporation orale des objets des
pulsions ?
Il faut exorciser le cannibalisme (omophagie).
— Il existe une vision trans-historique ; celle de Freud ; le repas totémique
et l'identification cannibalique au père pour résoudre le conflit d'ambivalence
au Père (passivité-activité).
— Il existe une vision empirique, trans-fantasmatique de la dévoration de
l'oralité archaïque (Melanie Klein).
— Je crois qu'en effet l'érotisme oral et ses mutations ont, là, été oubliés
ou négligés par Freud. Ne « nous privons donc pas »...
Il y a une conversion des pulsions, conversion inconsciente et qui engage
l'inconscient, dans le passage de la position orale aux autres positions.
Dans le maniaco-sadisme (dans la « dépense » absolue), le Ça dévore le Moi
qui n'existe que par l'objet dont il prend la place à l'infini, sanctionnée par la
« perte » tout aussi infinie.
Il faut ajouter à fèces, phallus, enfant, le sein (cf. Melanie Klein). Mais
mettre une barre entre sein/phallus-fèces-enfant. Les derniers termes deviennent
de multiples différences, ou des différenciés, sur fonds d'indifférence qui est
la différence elle-même (cf. les travaux de Derrida).
Ce clivage de l'oralité (unité dans la division, division dans l'unité) est
peut-être ce que Freud a voulu dire du refoulement originaire, du prérefoule-
ment. Alors quand l'inconscient fait « comme si » (les équivalences phallus-
fèces-enfant) c'est le Moi qui devient inconscient.
C'est encore une fois l'exorcisme par la « vision », la contemplation, la
536 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
voyance, la restauration (Platon aussi bien que les prophètes ; même racine
étymologique entre Idée et Prophétie).
Moïse le premier prophète a vu récriture « blanche » de la Thora orale.
C'est l'écriture du corps dans le corps.
« Ecrire sa vie avant que de l'accomplir », disait en quelque sorte Gérard
de Nerval.
Je crois que c'est ne rien entendre à l'in-différence qui est la différence elle-
même (c'est d'ailleurs le travestissement le plus commun de la pensée de pointe
de J. Derrida).
En effet si l'identique se différencie c'est qu'il détient l'idéal et non la
différence. La différence est l'unique, le jeu qui efface la trace et, l'effaçant, la
détient.
L'indifférence n'est pas la non-différence.
Le trou sans fond est le vide absolu, le néant ; ce n'est pas le signifié absent
ou le manque.
Voici l'exemple d'un protocole où l'exorcisme du trou sans fond a lieu :
— Un analysé tente de résoudre la passivité vis-à-vis de son père (dévoration
orale cannibalique par le Père).
Il associe des thèmes que je résume ;
— Ejaculation — arrachage d'une dent — évanouissement— histoire d'O...
(le roman érotique) — salle d'Anna O... (salle dénommée ainsi dans le lieu
hospitalier où il travaille : Anna O... première malade de Breuer).
538 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
— Enfant, il avait mordu le doigt d'un dentiste et d'un médecin qui lui
examinait les amygdales, examen O.R.L. (report de la peur de castration de
l'appareil génital, au niveau oral, pharyngé), il dit textuellement : « C'est parce
que je n'avais pas de dents, parce que j'avais des trous, que je pouvais mordre-
châtrer. »
Quand il a eu des dents (prothèse dentaire en cours, point de départ des
associations de la séance), il a pu fantasmer le fantasme d'autofellation et sortir
du cercle, du cycle, et revivre ultérieurement les fantasmes de masturbation
(l'anéantissement post-orgasmique étant exorcisé).
Il répétait « Je ne suis qu'un zéro. » Il répéta alors : « Je vais repartir à
zéro » (ceci en association avec un accident de voiture qu'il eut récemment,
quand il se rendit auprès de sa mère qui venait de mourir (deuil maternel qui
avait en fait entraîné toute la culpabilité orale et amené la tension conflictuelle
de la position homosexuelle passive vis-à-vis du père (dévoration amoureuse
orale).
— Il avait fallu sortir du cercle, du zéro, du O comme Origine, comme
Orifice, comme Oral (comme histoire d'O..., Anna O... « je ne suis qu'un
zéro », etc.).
— Il y avait un graphique visible, le O pour un graphique invisible, le trou
sans fond, le cercle vicieux. (Le cercle de la métaphysique.)
— « Il faut repartir à zéro » (fantasme maniaque) comme s'il y avait un degré
zéro du phallus, comme s'il fallait naître pour répéter.
— Car le fantasme de castration de l'homme devant la femme (le fantasme
de l'enfant devant la Mère, « vue » dans sa castration) est non seulement
tenu par le fantasme de la menace eschatologique de la castration par le Père
(cf. le clivage chez Freud) mais c'est aussi le « trou » que « j'ai fait depuis ma
naissance ».
La théologie du Père met à la place de l'espace vide, une fois que l'homme
est né... la femme.
La femme devient cet espace-vide (contenant-contenu).
— C'est le gouffre baudelairien (Spleen et Idéal).
Le désir et la loi, l'inquiétante étrangeté, etc.
Mettre la femme en lieu et place de ce « trou » sans fond (la béance en soi)
n'est que le déguisement réactionnel du fantasme théologique.
Y a-t-il un « blanc » en soi ? (celui de la psychose). N'y a-t-il pas plutôt
un effacement en tant que tel (celui de toute naissance) qui fait que c'est le
« blanc » en effet qui revient et qui se répète, détruisant ce qu'il conserve.
Exorciser le « trou sans fond » : c'est la racine de toute nrythologie, du mytho-
logique même.
Que fait Jocaste après la mort de Laïos ?
Lacune du mythe (rappeler que la légende d'OEdipe est un mythe de consé-
quence et non d'origine bien qu'il contienne, déguisées, des naissances
mythiques).
THEORIE 539
CONCLUSION
AUTOMATISME, COMPULSION :
MARQUE, RE-MARQUES
1) COMPULSION ET LIAISON
(1) Le concept de contradiction n'a pas ici le sens formel où s'impliquent deux termes dont
l'un est épuisé intégralement en tant qu'il est posé comme négation de l'autre. Au niveau des
processus réels cette définition ne convient pas parce qu'elle suppose qu'il y a identité de plan
entre les deux termes de la contradiction. Or toute contradiction réelle implique une dissymétrie
dans les forces de chaque terme et une différence qualitative entre les termes. Du point de vue des
processus réels, la contradiction qualifie ce qui s'opère dans un champ ouvert par une division :
lutte, exacerbation de la tension entre les termes, domination d'un terme sur l'autre, dévelop-
pement et mort ouvrant sur d'autres contradictions.
THEORIE 543
Freud dit dans L'Abrégé être le plus grand traumatisme, c'est se trouver d'un
coup dans l'horreur d'une certitude qui envahit l'enfant au lieu même de ce
qui garantit son existence.
Percevant ce manque de pénis qui radicalise en un instant, dans le surplus
de la découverte, tout ce qui avait pu être dit de menaçant sans qu'il soit forcé
d'y croire, l'enfant n'éprouve-t-il pas « d'un coup » le désir de la mère comme
hypermenaçant, et ne s'effraie-t-il pas lui-même comme incapable d'y parer ?
Traumatisé, l'enfant l'est d'imaginer, dans le manque perçu, ce surplus du
désir de la mère face à quoi il n'a pas d'autre réponse, dans son incapacité,
que de se fournir lui-même en surplus pour tenter de combler ce manque.
Mais on sait que s'il persiste en ce lieu d'identification à la chose en-plus pour
le manque, il ne peut qu'être perdu car pour s'y retrouver, soit pour ne pas
manquer au manque, mère et enfant ne peuvent que solliciter la perte de cet
en-plus.
Mais revenons à la théorie du trauma et de la répétition telle qu'elle est
présentée par Freud dans un certain nombre de pages de Au delà (1). Nous
avons dit qu'une trop grande dissymétrie entre un afflux d'excitation et la
force qui lui résiste avait pour conséquence, outre la destruction de la barrière
de résistance au point d'effraction (2), d'engendrer après coup une symétrie
dans les poids des charges opposées. C'est bien cette égalité dans les poids qui
bloque toute possibilité de décharge effective ; c'est elle, à première vue, qui
empêchel'énergiede passer du systèmeprimaire dans le systèmesecondaire,de se
lier. C'est cette égalité, sur laquelle la répétition bute, qui va être mise en brèche.
Voici ce que dit un homme en cours de cure : « Les mots sont abstraits,
d'ailleurs je ne peux pas m'exprimer ; j'ai un carcan aussi fort dans ma tête
que mon envie d'exploser ! Si l'un ou l'autre pouvait céder un peu, je me sen-
tirais sans doute moins coincé! » La cure de cet homme qui souffre d'une
compulsion à s'autopénétreranalement est scandée par la répétition dramatique
d'un hurlement qui à chaque fois déclenche d'abord une quantité impression-
nante d'injures, puis un matériel associatif riche. Périodiquement la charge
liée à la résistance se trouve défaite par le cri, comme trouée ; une part de
l'énergie pulsionnelle anale destructrice consent à passer enfin dans les mots,
emprunte un chemin qui n'est plus le chemin le plus court de la décharge
imposée par le système primaire ; cet homme, à travers la répétition du trauma
— ici, afflux d'excitation anale fiée à l'explosion destructrice (nous ne dirons
pas de quoi, ni de qui, car cela n'intéresse pas notre propos) apprend à s'en
laisser traverser et, dans cet apprentissage répété, remanie ses défenses, dispose
d'une énergie qui, de pouvoir passer par les mots, devient utilisable.
Toute répétition du trauma comme afflux excessif d'excitation se heurte
donc à la résistance symétrique engendrée après coup par le même trauma,
Donc : une dissymétrie mouvante des charges ; entre, un écart qui tient à
un fil, une séparation qui assure un passage, lequel reste un obstacle; une
barrière résistante mais faite pour être traversée, assurant une fonction de
transformation des représentants et de l'énergie qu'ils drainent, qui va du
maximum au minimum selon la conjoncture ; telles sont les conditions néces-
saires à l'opération de liaison des processus primaires que selon Freud, la
« fonction de répétition »
vise.
Cette opération de liaison reste le lieu d'une lutte irrémédiable entre les
deux termes d'une contradiction, le terme « processus primaire » et le terme
« processus secondaire », mais cette
contradiction parce que traitée dans la
parole analytique, d'antagoniste devient non-antagoniste.
Ainsi les traces mnésiques et leurs images n'auront plus nécessairement à se
faire symptômes ou représentations plus ou moins conformes aux impératifs
socio-culturels — bien que toujours marqués par eux —, pour franchir la
barrière; elles pénètreront de leurs représentants, la page blanche, la toile,
un corps, une foule, le monde ; elles feront surgir dans une matière leurs formes
multiples, directement traçantes.
Or, ceci constitue pour nous les prémisses d'une utilisation énergétique qui
n'aura pas seulement à produire ses « coups », en son déversement toujours
recommencé, mais qui, dans une sorte d'oubli de sa provenance, drainée,
reprise, liée selon une orientation que la conjoncture sociale implique aujour-
d'hui de manière spécifique, prendra la forme d'une action politique, pas
n'importe laquelle, celle qui s'inscrit dans le camp de la révolution.
L'escamotage, depuis mai 1968, par les psychanalystes du problème poli-
tique sous tous ses aspects est devenu une farce qu'il n'y a plus moyen de ne pas
dénoncer.
En ce lieu, où réfléchissant à la répétition, nous avons cerné ce vers quoi elle
s'efforce, voyons ce qui peut être énoncé du « problème politique » que pose la
psychanalyse en tant qu'elle a ses agents, ses appareils et étant donné que la
sublimation dans l'action révolutionnaire est, pour les analysés, elle-même
grevée par ce « problème ». Arrêtons-nous donc un instant.
possible, par la façon qu'il a d'occuper une place dans une partie définie,
l'amorce d'une déviation du but sexuel, sans savoir d'avance quelles pourraient
être les formes de cette déviation. Son savoir s'exerçant au sein d'un non-
savoir radical ne peut que s'offrir aux pointes de vérité que l'inconscient,
causé par le langage, détermine.
Tous arguments dont il s'agit pour nous d'examiner en quoi, leur enchaî-
nement à des lois qui régissent la matérialité d'un processus — le processus
analytique —, masque une matérialité autre, celle de l'analyste appartenant à
une classe précise, parlant le langage de cette classe, s'habillant selon ses
critères, habitant en général l'appartement que l'on sait, etc., masque en fin
de compte des intérêts qui sont ceux d'une classe. C'est une abstraction idéaliste
que de se représenter le psychanalyste en sa neutralité, comme le pur acteur
d'un drame qui serait un drame asocial. L'analyste n'est pas moins marqué
qu'un autre par les caractères matériels de la classe à laquelle il appartient et
ces caractères jouent ici de la manière la plus fine car, intervenant à tous les
niveaux — ceux du cadre (que tel ou tel s'essaye à poncer en travaillant dans un
box d'isorel, en hôpital), ceux qui font que l'analyste parle comme il parle,
serre la main comme il la serre, pense comme il pense, etc. —, ces caractères
sont d'emblée pièces signifiantes d'un jeu où l'inconscient est roi.
Le concept de « neutralité de l'analyste », qui renvoie à la structure du désir,
doit donc être réfléchi à partir d'un matérialisme où ne s'escamotent pas des
enjeux d'ordre socio-politique essentiels, ceux qui font qu'une classe se perpé-
tue, s'entretient dans ses privilèges,monopolise au profit des siens, au détriment
des autres, les subtilités d'un savoir... Que ces enjeux ne soient pas directement
assimilables à ceux articulés par la théorie analytique (le phallus, l'objet a du
lacanisme), bien qu'ils puissent y trouver place, c'est ce à quoi il conviendrait
de réfléchir en considérant qu'en règle générale, le « vrai client qui a fait une
vraie cure », « s'installe » comme analyste, adoptant pour lui-même les signes
et les avantages matériels du milieu.
Poser aujourd'hui la question de la sublimation dans la pratique politique,
c'est d'abord affirmer que la pratique désirante rendue possible en fin de cure,
comme fruit d'un espace inconscient qui avait toujours été rejeté et refoulé
et que Freud a ouvert, aurait principiellement à s'inscrire dans l'histoire, soit
ne pas continuer de se couper du courant historique qui, depuis Marx, a désigné
dans le prolétariat le heu rejeté du monde capitaliste.
C'est aussi questionner la psychanalyse d'un point de vue politique. C'est
examiner si le rejet dans le domaine de l'illusion, de la parole vide, de toute mise
en question politique de la psychanalyse n'est pas lui-même un geste politique
défensif masqué (1).
(1) Toute réflexion sur une idéologie prolétarienne est non seulement mal entendue, mais
cataloguée d'imaginaire : celui qui s'y risque se voit en proie à des fantasmes infantiles
de « retour à l'unité ».
548 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Bien entendu, la démarcation n'est nullement tranchée : de part et d'autre et dans les
autres sociétés existantes,il y a des psychanalystes de chaque bord, notre schématisme grossier
ne fait que caricaturer une situation complexe.
THEORIE 549
(1) En plus elle affirme l'impasse actuelle de l'intellectuel s'il reste coupé du prolétariat :
« Si les intellectuels ne se lient pas à la masse des ouvriers et des paysans, ils n'aboutiront à
rien. »
(2) Que cette interrogationpuisse contribuer à ébranler l'exercice actuel de la psychanalyse
est une autre question.
550 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Etant nous-même agent de la psychanalyse, nous sommes soumis à la même question.
(2) Que bien entendu nous ne mettons pas sur le même plan.
THEORIE 551
seulement celui du pur rejet à quoi seraient soumises une théorie et une pra-
tique dont le noyau dur, à ce point insupportable, ne pourrait qu'être vidé,
éliminé, raturé par ceux qui perçoivent, et la fascination qu'il exerce, et l'an-
goisse qu'il déclenche, et la dépendance où il peut maintenir, et l'indépendance
à laquelle il risque d'introduire (1).
Du côté des fervents du Moi, le réarmement normatif doit être inlassable-
ment démasqué : s'il est vrai qu'il assure la reconversion du névrosé en bon
citoyen, guère dérangeant pour la patrie et il l'assure en effet dans beaucoup
—
de cas — ce réarmement ne peut que servir platement la perpétuation du pouvoir
établi.
Toutefois, la question d'un réarmement qui serait lié à un oubli de l'in-
conscient dont on a, dans un travail de cure, pourtant reconnu l'impact, ne
doit pas être purement et simplement gommée. Demandons-nous, mais alors
nous savons que nous sortons de la psychanalyse freudienne, si on ne pourrait
pas concevoir une relation où un spécialiste de « l'effet-inconscient » agisse
en sorte que, pour le névrosé en proie aux labyrinthes de ses symptômes, ou
pour les militants conscients de leurs difficultés psychologiques et désireux de
leur faire un sort, l'issue soit la concentration active des forces sur une ligne
révolutionnaire conséquente. Assigner une fin politique à un temps de travail
conçu comme moment du « processus de rééducation » dont parle Mao Tsé-
toung, expérimenter une écoute qui serait et analytique et politique, c'est
peut-être une entreprise à ce point contradictoire qu'elle s'avérerait impossible.
Pourtant, dans une société capitaliste avancée et où la psychanalyse se pratique
encore, cette entreprise mériterait d'être tentée, en sachant bien qu'il s'agit
là de l'exercice d'un privilège, à nouveau, non du mouvement de masses
requis, privilège susceptible ou non, d'armer quelques militants, de fournir
aussi des renseignements théoriques sur ce que peut être la sublimation dans
la politique.
Interrogation impliquant une morale différente de celle de la psychanalyse
puisqu'elle est entièrement liée à une fin : la révolutionprolétarienne ; processus
qui ne serait plus celui de « la cure orthodoxe ».
Quel sens peut donc avoir pour ceux qui pratiquent la psychanalyse le
principe révolutionnaire universel : mettre la politique au poste de commande-
ment, dès lors qu'il s'avère, qu'à déclarer au nom de la science que la psycha-
nalyse s'y soustrait n'est rien d'autre que mettre la politique bourgeoise au
poste de commandement,et de surcroît en l'ignorant ou en feignant de l'ignorer,
c'est-à-dire en s'installant ouvertement dans l'illusion ?
Pour répondre à une telle question, il faudrait distinguer au moins deux
niveaux : celui de la pratique de la cure et celui des institutions où la cure se
(1) Il semble d'ailleurs qu'il y ait plus : entre la psychanalyse et la nouvelle génération
s'établit une perte de contact. Ceci signifierait que les jeunes cherchent une formulation de leurs
problèmes, de leurs espoirs, moins en opposition aux cadres conceptuels élaborés par Freud
que hors de ceux-ci.
552 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
Freud, mode d'insertion adultérant et limitant cela même qui devrait être
l'objet d'une découverte permanente.
Que l'on considère le mode général d'institutionnalisation de la psychana-
lyse, de sa mise en circulation dans notre société, on découvre aussitôt à quel
point, au lieu de se répandre comme discours scientifique en rupture avec les
idéologies du siècle, comme ce l'était à l'origine, la psychanalyse s'est peu à
peu conformée aux moules de l'idéologie dominante, conquise par elle dans
le moment même où elle avait à la conquérir. Loin de constituer son succès,
la facilité avec laquelle la psychanalyse a, ces dernières années, envahi le
discours de tous, nourri les idéaux, porte sa condamnation et son arrêt : à la
limite cette situation paralyse sa plus humble efficacité. Cela signifierait-il
qu'il faut refermer à tout prix la psychanalyse sur la caste à qui elle s'adressait ?
Non, car la vraie question est celle de sa place dans le discours dominant :
tout ce qui ne tombe pas dans le courant de ce discours dominant est forcément
minoritaire. La psychanalyse va-t-elle continuer d'être la complice de ce dis-
cours dominant ou redeviendra-t-elle, dans le maintien de sa rigueur, son
ennemie ? Et dans ce dernier cas, répétons la question, peut-elle être mise au
service de l'idéologie prolétarienne ? Question pour laquelle il n'y a pas de
réponse toute faite, que dans un premier temps nous devons seulement mais
partout poser à nouveau et réfléchir, dont nous savons que la solution com-
mande en fait aujourd'hui la réponse à la première : si la psychanalyse ne
trouve pas en elle de quoi servir explicitement l'idéologie prolétarienne, elle
perdra toutes ses possibilités de combat historique, sera en conséquence une
psychanalyse morte parce qu'installée. Qu'elle puisse contribuer à la lutte
générale contre l'idéologie bourgeoise est donc pour nous la condition de sa
survie scientifique.
Dans cette perspective, faisons quelques remarques très générales. La
psychanalyse, dans sa théorie comme dans sa pratique, dénonce les illusions
d'autonomie de la conscience et reconnaît cela qui gouverne cette conscience
à son insu. Elle serait donc particulièrement mal venue de prétendre ignorer
une histoire où les masses en lutte reconnaissent et stigmatisent, sous le nom
d'égoïsme, les formes les plus tenaces de l'idéologie bourgeoise. Or, ce qui
enchaîne un sujet au discours de la propriété, du bien privé, du retranchement
familial, de la culture personnelle, qu'est-ce sinon précisément les réflexes
de la petite enfance réfractée dans les mirages de la conscience autonome ?
Ce que justement la psychanalyse est seule à pouvoir montrer scientifiquement.
Comment pourrait-elle donc, sans renier ses pouvoirs de rupture, prétendre
se tenir, sous le fallacieux prétexte de neutralité, à l'écart du combat par lequel
le prolétariat, différent en cela de toutes les autres classes, s'arrache à la mécon-
naissance individualiste pour pratiquer directement la vérité inscrite dans les
masses populaires, façonnant et préparant ainsi un autre visage de l'homme ?
Qu'on ne nous mécomprenne pas : jamais la psychanalyse n'offrira les
explications ultimes qui rendraient compte du comportement d'un seul dans
554 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
des termes qui pourraient s'appliquer aux comportements des masses : ce serait
faire le jeu de ceux qui veulent liquider la sociologie marxiste. Dire que l'in-
conscient, comme le prolétariat, a été l'objet d'un refus, n'implique nullement
qu'on puisse les comparer, puisque les réalités qu'ils recouvrent sont entière-
ment différentes.
La question qui nous occupe ici est celle du statut de la psychanalyse et
de ses représentants face à la révolution prolétarienne. A un niveau plus théo-
rique, il s'agirait d'examiner les contenus et les points d'application de la psycha-
nalyse et du marxisme comme sciences. On a l'habitude de penser que le
freudisme — prônant des déterminations essentiellement sexuelles, des pulsions
de mort, rebelles à toute transformation sociale, assignant aux instincts un
caractère conservateur, aux fantasmes originaires (de séduction, de castra-
tion, etc.) une place hors de l'histoire, à la structure oedipienne,l'universalité —
ne peut qu'être étranger, surtout s'il extrapole ces notions aux phénomènes
sociaux, à la science marxiste qui fournit une explication dialectique et matéria-
liste de l'histoire : c'est à partir d'une contradiction entre les forces productives
et les rapports sociaux de production que l'histoire se périodise ; c'est à travers
la lutte des classes qui a pour cible la transformation des rapports sociaux de
production, qu'elle développe son mouvement. Dans ce mouvement l'individu
prend place et joue un rôle qui ne peut qu'être engendré par le développement
historique lui-même; qu'il occupe telle ou telle place dans le processus est
sans doute affaire de structure psychique individuelle ; cette structure, même
si elle obéit à des lois générales, dépend en fin de compte et de la classe, et de
l'époque historique à laquelle l'individu appartient. C'est ce que la psychana-
lyse peut montrer et ce faisant éclairer une région laissée dans l'ombre par Marx.
Aujourd'hui nous avons d'abord à nous demander si la psychanalyse qui
met au centre de sa théorie le paradigme du conflit, va continuer de se prétendre
au-dessus du conflit social, au-dessus ou en dehors de la lutte des classes,
alors qu'à travers ses agents elle est, dans la lutte, mais du mauvais côté, du
côté de la classe dominante, de cette classe qui n'a plus qu'à penser le processus
de sa disparition et qui s'en avère incapable.
Si Freud nous a fourni les armes pour cerner toute forme d'illusion il
semble que l'analyste doive principalement s'attacher à débusquer les illusions
qu'entretient une classe pour maintenir ses pouvoirs, classe à laquelle il appar-
tient, dont il partage les privilèges... c'est ce qui lui rend cette tâche si difficile.
Le souci mal dégagé de la théorie, mais majeur, de conserver des privilèges
qui sont des privilèges de classe doit être inlassablement mis à jour (1).
Par ailleurs, nous n'aurons pas toujours à soigner des névrosés parce que
(1 )Il est pour lemoins curieux de voir des psychanalystess'escrimer à décrire les « complexes »
de ceux qui, s'opposantà une sociétéoù règnent sadisme, brutalité, égoïsme,exploitation, misère,
agissent en vue de sa destruction et de l'instaurationd'une société autre, tandis qu'ils ne cher-
chent jamais du côté des gens dits normaux qui acceptent, aiment cette société-là ! Où l'on voit
comment ceux qui ont beaucoup à perdre, se protègent...
THEORIE 555
« nos » névrosés sont produits par la société capitaliste. Il faut savoir que l'idéo-
logie décadente de cette société ne cesse de se repaître de tous les drames indi-
viduels que névrosés — ou psychotiques — supportent : à travers eux, elle se
donne une âme.
Envisager les choses du point de vue de l'avenir, c'est non pas arrêter
d'entendre les névrosés qui aujourd'hui existent et souffrent, ni donc arrêter
maintenant la pratique de la psychanalyse : c'est d'abord réfléchir ouvertement
à ce qu'implique cette pratique comme pratique de classe (1). C'est poser sans
détour les problèmes de la sublimation dans l'action politique. C'est aussi
s'obliger, selon la dialectique matérialiste, non seulement à penser ce qui est
en train de ne plus être et ce qui devient, mais aussi à intervenir activement
dans la conjoncture socio-politique, ceci dans la mesure où la psychanalyse
pourrait fournir des « armes idéologiques » susceptibles d'orienter cette conjonc-
ture dans un sens révolutionnaire (2). A un niveau plus modeste, c'est dénoncer
le type de travail théorique ici encore présenté, où les processus liés à l'incons-
cient sont réfléchis en eux-mêmes, sans les rapporter aux formes sociales dans
lesquelles ils fonctionnent, à l'exploitation qui en est faite. C'est donc viser
dans l'ensemble, à une politisation de la psychanalyse, politisation qui com-
mence par une mise à nu des conditions sociales de sa pratique.
Transmettre encore quelque chose « révolutionnairement » de ce que
Freud a découvert, prolonger de manière vivante cette découverte, l'enrichir,
ne peut se faire aujourd'hui que selon cette perspective : si la psychanalyse
peut faire servir sa révolution à celle inaugurée par Marx — il se peut qu'elle
ne lui soit en rien nécessaire, voire qu'elle agisse comme frein — révolution qui
en tout état de fait, ne peut être menée à bien que par le prolétariat, s'adjoi-
gnant les autres classes susceptibles de les rallier, il faut d'abord qu'elle pense
explicitement ses liens au capitalisme et donc la possibilité de son propre
déclin et qu'elle envisage comment elle peut s'employer pour un monde qui
ne sera plus celui où elle est née et si elle aura quelque chose à y faire.
Ceci étant posé comme l'exigence explicite des travaux à venir, revenons
maintenant au style ancien de notre démarche qui s'inscrit encore dans ce que
Politzer nommerait « les survivances de l'abstraction ».
Nous avons choisi de situer notre premier chapitre dans une perspective
économico-dynamique, selon ce que peut impliquer de « progressif » la répé-
(1) Que des névrosés bourgeois aient constitué le champ unique sur quoi s'est opérée la
découverte analytique attestait déjà peut-être du poids sur elle de ses conditions d'exercice,
était déjà peut-être le signe de sa complicité souterraine avec l'idéologie bourgeoise.
(2) Ce que nous indiquons par là est la nécessité de poser et de pratiquer un problème :
celui de la liaison entre la critique psychanalytique et la critique révolutionnaire de classe,
problème vital, qui n'a pas de solution a priori mais n'en recevra que dans la restauration
combattante de ses données.
556 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
(1) Remémorer, répéter et élaborer, Collected papers, London, Hogarth Press, vol. II, 366-
376.
THEORIE 557
2) AUTOMATISME ET DIVISION
Perte de quoi ? Absence de quoi ? Freud dit dans Au delà : d'un état
« antérieur » qu'il qualifie en cours de texte « d'immuable », « genre de vie uni-
forme dans des conditions invariables ». Perte d'un état «inanimé, sans tension »,
le « non-vivant », la mort : perte de la mort.
Examinons les deux phrases suivantes : « A un moment donné, une force
dont nous ne pouvons avoir aucune représentation a réveillé dans la matière
inanimée les propriétés de la vie. » Sautons la phrase suivante, qui fera l'objet
d'un commentaire ultérieur, et poursuivons : « La rupture d'équilibre qui
s'est alors produite dans la substance inanimée a provoqué dans celle-ci une
tendance à la suppression de son état de tension, la première tendance à retour-
ner à l'état inanimé » (1).
Une force marque et dans ce marquage qui est rupture (d'équilibre) la
vie se réveille, soit : un état inanimé se cherche ; s'il se cherche c'est qu'il est
non seulement perdu mais qu'il tend à se rétablir. D'où l'on peut dire : un
marquage par une force produit d'un coup la vie qui enclenche un mouvement,
l'effort automatique de retrouvaille de ce qui, dans et par la marque, a surgi
comme perdu. L'automatisme de répétition est toujours la répétition d'un
déséquilibre lié à une marque. La vie est déséquilibre, la mort, équilibre.
La vie est au départ cet espace de déséquilibration en quoi se cherche l'équi-
libre mortel qui n'a pas d'autre signe pour se retrouver que celui qui vint
le rompre.
Commentons ce commencement mythique et disons quelque chose de sa
logique mythique elle aussi, en tant qu'elle substitue à l'inassignable origine
un formalisme qui n'en est que sa métaphore plus ou moins adéquate. Ceci
sans oublier que toute problématique de l'origine ne se pose qu'à travers les
processus qui la répètent, ce qui veut dire qu'à la limite, il n'y a pas d'origine,
il n'y a que des processus.
Posons que cette marque de la force dont parle Freud, de se marquer, fait
surgir le fond où elle s'inscrit. Dès qu'il y a une marque, il apparaît d'emblée
(1) Rappelons que les citations sont tirées de Au delà du principe du plaisir, Petite biblio-
thèque Fayot, n° 44.
558 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE 3-1970
deux termes : la marque en question et ce fond que comme marque elle fait
être comme fond. Une marque pour deux termes : dans l'unique marquage,
le UN se divise en DEUX. « Au départ », un des deux termes reste non marqué.
Qu'une seconde marque marque le fond, nous avons dès lors deux marques
pour trois termes : la première marque qui se marquait elle-même et faisait
être le fond ; la deuxième marque qui rend compte du fond ; mais un troisième
terme reste non marqué, c'est l'écart entre la première et la deuxième marques.
Toujours quelque chose échappe à la marque ou plutôt : toujours il manqueune
marque pour marquer ce qui a été manqué dans la première marque. La répé-
tition automatique de la marque s'avère le lieu même d'une tentative impossible,
le lieu de l'impossible, car il s'agirait de retrouver le « sans-marque » qui n'a
pourtant d'existence que dans la marque.
Revenons au texte de Freud : la mort ne devient mort-se-cherchant
que dans la force d'une marque qui la fait être dans sa disparition-apparition,
dans sa perte qui est aussi sa naissance, comme un vouloir se retrouver. Sous
cet angle, ce qu'on appelle la vie, est moins ce qui dérange la mort que l'effet
de ce dérangement. L'effet de ce dérangement tient dans ces mots : la mort
se cherche. La vie apparaît donc ici comme le lieu où la mort se cherche, où
se produit le retour d'un défaut introduit par la marque : retour dans un détour
qui ne peut que s'acheminer vers la mort, vie comme mort reportée, ceci
couvre une partie du texte de Freud qui ajoute : « Paradoxalement l'organisme
vivant se défend d'aller VITE à la mort. » Il prend son temps. Conserver la
vie, en ce premier sens, c'est d'une certaine manière conserver la mort mais
reportée à plus tard.
Voyons ce qu'il en est du côté du plaisir sexuel et, comme nous y invite
le titre du texte dont nous tirons nos réflexions, en son Au delà. Selon la
perspective spécifique de la jouissance, on peut assimiler celle-ci à la mort,
soit à un état sans tension, sans différence, le plaisir au contraire étant ce prin-
cipe qui veille au maintien d'une petite différence de tension (1). A défaut de
pouvoir jouir mortellement, nous sommes pris dans la mesure indéfinie de ce
qui nous sépare de cette jouissance mortelle : chercher à jouir plus se confond
avec la tentative illimitée de réduire un écart proprement irréductible. C'est,
selon le Freud de Au delà du principe du plaisir, ce qui nous pousserait en
avant : le moteur. Une différence entre plaisir et jouissance mortelle, entre
une différence réduite et une absence de différence, entre « la satisfaction
obtenue et la satisfaction cherchée ».
En fait, Freud place « en arrière » une satisfaction complète, une jouissance
mortelle interdite; comme on ne peut pas retrouver cette satisfaction « en
arrière de soi », on est contraint de la chercher « en avant », sans espoir de jamais
l'atteindre.
(1) Lacan pose explicitement un interdit absolu sur la jouissance, au-delà inaccessible du
plaisir.
THEORIE 559
ailleurs (1) et dont nous n'aurons rien dit si nous ne l'ancrons pas dans un monde
où la contradiction règne entre les classes en lutte, monde qu'il s'agit, en se
déprenant de l'illusion religieuse toujours à l'oeuvre dans une pratique révolu-
tionnaire, mais en sachant utiliser ce qu'il faut de « signes » pour mener à bien
une action, de changer radicalement. La psychanalyse pourra-t-elle aider au
déroulement risqué d'un processus qui implique une rupture permanente ?
Restera-t-elle le champ d'une pratique et d'une théorie consacrées aux maladies
mentales d'un monde ? Aura-t-elle encore quelque chose à dire demain ?
(Juin-juillet 1969.)
(1) L'ensemble du texte est le lieu d'une contradiction non résolue dont nous avons voulu
poser les deux termes sans prétendre à aucune synthèse. La lutte entre les termes contradictoires
ne trouve d'ailleurs pas son issue dans une quelconque synthèse mais dans la victoire d'un terme
sur l'autre instaurant une situation qualitativement nouvelle.
DISCUSSION
2. Répétition et transfert
Le cas clinique présenté par Evelyne Ville fournit le point de départ d'une
discussion du problème que pose l'apparition dans la cure de phénomènes de
répétition en rapport avec le statut du transfert.
Catherine Parat en particulier décrit brièvement le cas d'un patient chez
qui, après une période où s'était affirmé un transfert paternel et où un travail
important avait été effectué, survint une phase riche en phénomènes de répé-
tition, où s'établissait un transfert maternel avec projection de l'imago de la
mère phallique.
L'opposition entre ces deux formes de transfert et le lien avec le problème
de la compulsion de répétition est repris par Jacqueline Cosnier, qui l'articule
avec le problème du masochisme tel qu'il est conçu par Bela Grunberger.
Pour Jean Favreau, qui reprend le cas évoqué par CatherineParat, deux répé-
titions s'opposeraient, l'une protectrice (la répétition de la fixation homo-
sexuelle au père), l'autre, beaucoup plus dramatique, qui serait liée moins à
lui pend devant le visage. Le rêve ne se reproduira plus. Rêve qui pourrait
donner lieu à de longs développements, mais à propos duquel on peut noter
ici : 1) Que la jeune fille ne connaissait pas la situation analytique, ayant été
en psychothérapie ; 2) Que jusqu'au dernier épisode le rêve s'était situé dans
la problématique de la castration ; 3) Qu'il a cessé lorsqu'il s'est inscrit dans un
autre plan.
« On retrouve là l'extrême ambiguïté de l'inquiétante étrangeté où le Double
figure la castration, comme les serpents qui se multiplient sur la tête de Méduse,
et renvoie en même temps à la mort en vertu du vieil adage selon lequel qui-
conque voit son double en face doit mourir. Il est curieux de remarquer que le
rêve répétitif a pris fin lorsque le sujet a été confronté avec son double sur le
point de mourir, et que le rêve est « mort » précisément à ce moment. »
Pour André Green le problème du double est effectivement au centre du
problème de la compulsion de répétition. Il exprime son accord avec Michel de
M'Uzan ; en ajoutant que le double est toujours une copie complémentaire,
symétrique et opposée.
5. Répétition et désorganisation
Il s'agit de remarques proposées par Pierre Marty et qui pourraient aussi
s'articuler avec la discussion sur les rapports entre répétition et instinct de
mort. Pierre Marty souligne en particulier les points suivants : I° Les divers
aspects de l'automatisme de répétition ne sont que des symptômes susceptibles
d'être rencontrés à des niveaux très variés de l'évolution individuelle ; 2° L'op-
position entre répétitions riches sur le plan libidinal, comme dans la névrose
obsessionnelle, et répétitions d'où la valeur libidinale est absente, comme dans
le système opératoire ; 3° L'importance des références génétiques ; 4° La révé-
lation clinique purement négative de l'instinct de mort.
6. La blessure narcissique
Après l'exposé de S. Nacht, Michel Fain s'attache au thème de la réparation
de la blessure narcissique. Pour lui, une des formes cliniques auxquelles le plus
souvent on peut ramener la répétition, c'est la tentative de chercher à réparer
au niveau du narcissisme secondaire ce qui s'est passé à un niveau primaire.
Dans le cadre de la discussion libre, certains exposés ont été l'objet d'inter-
ventions plus développées. C'est le cas des exposés de Michel de M'Uzan,
de Marie-Claire Boons, d'André Green, de Jean Gillibert et de Michel Soulé.
Nous en donnons un rapide compte rendu.
Après avoir rappelé combien il est difficile d'intervenir sur un exposé aussi
ardu que celui d'André Green sans en avoir eu connaissance auparavant,
Michel de M'Uzan fait les remarques suivantes :
« L'auteur pose une « copule » anthropologique, pour permettre une arti-
culation avec les travaux de Watson, qu'il a présentés comme pouvant être
rapprochés jusqu'à un certain point du mythe du Banquet et de la recherche
de la moitié perdue. Le rapport entre l'origine de la vie et le phantasme origi-
naire pourrait trouver là son modèle.
« Pour l'analyste, c'est-à-dire pour quelqu'un qui a affaire d'une part avec
des analysés et leur histoire, d'autre part avec un édifice théorique, la vie, la
THÉORIE 567
mort. C'est dans son auto-analyse qu'il affronte pour la première fois cette
hantise, et qu'il y reconnaît la marque d'un authentique état névrotique. Comme
il ne conçoit alors rien d'instinctuel en nous, rien dans notre inconscient qui
corresponde à une croyance à la mort, il assimile la mort à une figuration de la
castration. Avec Au delà du principe de plaisir, il semble qu'il recommence une
sorte d'auto-analyse pour faire face à une recrudescence de ces préoccupations
(il croyait mourir en février 1918). D'autre part, il a toujours nié que la mort
de sa fille Sophie, de même que l'influence de Nietzsche et de Schopenhauer,
eussent pu déterminer le cours de sa pensée, ce qui conduit à s'interroger sur le
sens profond du thème central de l'ouvrage en question. On sait qu'il est dans
la nature foncièrement conservatrice de l'instinct de regarder toujours en
arrière pour répéter un avant. En interrogeant de nouveau la figure de la mort
pour tenter de résoudre un problème qu'il n'avait qu'incomplètement traité
autrefois, Freud masque le retour en arrière qu'il est en train d'effectuer par
quelque chose qui apparaît comme une anticipation. Ainsi ce qu'il répète
dans Au delà du principe de plaisir n'est pas tant son intérêt de toujours pour la
philosophie qu'un état de choses lié à sa jeunesse, époque où il avait découvert
la liberté de l'inspiration. Et l'on devine qu'ici il retrouve une personne bien
déterminée, celle qui précisément l'avait aidé à émanciper son imagination de la
tutelle des Brücke, des Meynert et des adeptes de l'école de Helmholz, qui
étaient alors ses maîtres à penser. De ce point de vue, on peut dire que les repré-
sentants de la science contemporaine, d'une part, et la figure de Moïse d'autre
part, ont pour la constitution des assises culturelles de Freud autant d'impor-
tance sinon plus que les philosophes grecs. Quant à l'élan spéculatif qui carac-
térise Au delà, avec sa perspective métabiologique et même ses aperçus cosmo-
logiques, comment ne pas le rattacher à l'influence encore vivace de l'ami de
jeunesse de Freud, Wilhelm Fliess ? Le confident des préoccupations morbides
de Freud, et objet d'un attachement « homosexuel » que celui-ci a explicitement
reconnu, pourrait bien être celui dont l'ombre se profile à l'arrière-plan du
texte. Parvenu au seuil de la vieillesse, Freud aurait donc redonné la parole
au passé et ressaisi le souvenir de Fliess pour tenter de surmonter un lien
homosexuel ancien. En cela l'oeuvre de 1920, novatrice au plus haut degré,
mais, pour autant qu'elle porte la trace du lointain souvenir de l'Esquisse,
tributaire de l'éternel retour du même, apporterait au problème de la répétition
une sorte de contribution. »
L'exposé de Michel Soulé est l'objet d'une discussion importante centrée
essentiellement par les interventions de Jean Favreau. Jean Favreau souligne
qu'il peut être difficile de parler d'instinct de mort à propos des enfants
qu'évoque Michel Soulé. En tout état de cause une grande prudence serait là
toujours de mise, et des relais dans les processus décrits devraient être envi-
sagés. A l'extrême, Jean Favreau, sans refuser pour autant la notion d'instinct
de mort, parlerait plus volontiers de condition humaine ; l'une devrait être
située par rapport à l'autre.
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JOURNAL
D'UNE
SCHIZOPHRÈNE
Auto-observation
d'une schizophrène
pendant le traitement
psychothérapique
3e édition 13 F
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