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psychanalyse (Paris)
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REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE
publiée avec le concours du Centre National du Livre
DIRECTEUR
Claude Le Guen
DIRECTEURS ADJOINTS
Gérard Bayle Jean Cournut
RÉDACTEURS
Marilia Aisenstein Monique Gibeault
Cléopâtre Athanassiou Claude Janin
Jean-José Baranes Kathleen Kelley-Lainé
Andrée Bauduin Ruth Menahem
Thierry Bokanowski Denys Ribas
Pierre Chauvel Jacqueline Schaeffer
Paul Denis Hélène Troisier
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Catherine Alicot
ADMINISTRATION
Presses Universitaires de France, 108, boulevard Saint-Germain, 75279 Paris
cedex 06.
ABONNEMENTS
Presses Universitaires de France, Département des Revues, 14, avenue du Bois-de-
l'Epine, BP 90, 91003 Evry cedex. Tél. (1) 60 77 82 05, télécopie (1) 60 79 20 45,
CCP 1302 69 C Paris.
Abonnementsannuels (1995) : cinq numéros dont un numéro spécial contenant des rapportsdu Congrès
des Psychanalystes de langue française :
France : 680 F — Etranger : 820 F
L'intemporel
IV
OCTOBRE-DÉCEMBRE 1995
TOME LIX
Sommaire
L'INTEMPOREL
Rédacteurs : Pierre Chauvel et Paul Denis
Argument, 989
René Diatkine — Intemporalité et coordonnées temporelles, 993
Jean Gillibert — Intemporalité et a-temporalité, 999
Pierre Sullivan — Clinique de l'intemporalité, 1017
Julia Kristeva — Le scandale du hors-temps, 1029
Paul Denis — La belle actualité, 1045
Jacques Angelergues — L'intemporel du psychanalyste, 1059
Marie Bonnafé — Le passage au temporel : d'un « arrêt sur image » à une trajectoire de
conte, 1063
Pierre Chauvel — L'être et le temps : chaos, syncope, castration, 1071
Anne Denis — Le présent, 1083
François Duparc — Les contempteurs du temps, 1093
Jacques Le Beuf — Au nom du sens, de la prématurité à l'intemporalité, 1101
Roger Perron — La fin de l'éternité, 1109
Denys Ribas — Note brève sur l'éternité, 1115
Pérel Wilgowicz — Les bornes de la temporalité, 1123
POINTS DE VUE
Point technique
Moshe Halevi Spero — Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance variable, 1131
Haydée Faimberg et Antoine Corel — Le temps de la construction : répétition et sur-
prise, 1159
Point théorique
Bernard Lemaigre — Le trauma, ébranlement du temps, 1173
Nicos Nicolaïdis — Temps cyclique et temps linéaire, 1189
Le temps de l'histoire
Paul Roazen — Les patients de Freud : intemporels ?, 1197
Hors du temps : Narcisse et l'éternel féminin...
Roger Dufresne — A l'écoute de Narcisse, 1215
Catherine Parat — Le phallique féminin, 1239
CRITIQUE DE LIVRES
Florence Guignard — L'enfant dans René Diatkine ou l'éternelle capacité de jouer, 1259
Louise de Urtubey — La Correspondance Freud-Jones, 1271
Rémy Puyuelo — Le corps de la cure de Anne-Marie Merle-Béral, 1283
Les textes de René Diatkine, Jean Gillibert, Pierre Sullivan, Julia Kristeva et Paul Denis ont été
exposés en introduction au Colloque de la Société psychanalytique de Paris qui a eu lieu les 15 et
16 octobre 1994 à Deauville.
Intemporalité et coordonnées temporelles
René DIATKINE
adieu à la théorie précédente. Les textes de 1915 sont un prélude aux révisions
de 1920. Le bref passage sur l'intemporalité du système inconscient évoque deux
aspects de la théorie des instincts développés ensuite. Le premier concerne l'au-
tomatisme de répétition, qui résiste au temps de la vie comme à celui de la cure
psychanalytique. Le second concerne la fonction conservatrice des pulsions, qui
tendent au retour à l'état antérieur et assurent ainsi la pérennité des fonctionne-
ments psychiques. La libido n'est plus considérée comme uniquement liée à la
conservation de l'espèce, concept situé historiquement entre le « croissez et mul-
tipliez » des Ecritures et la double hélice des généticiens. Par ses investissements
narcissiques, elle assure l'intemporalité du système psychique, celui-là même qui
permet de se repérer dans le temps qui passe. A ce stade d'évolution des théories
de Freud, la libido est l'expression psychique de la tendance du vivant à conser-
ver et à reproduire ses propres formes. Freud introduit ici une contradiction
essentielle dans la définition de la plus créative des pulsions, au moment où il
postule, dans « Au-delà du principe de plaisir », l'existence d'une autre pulsion
représentant dans le psychisme la tendance du vivant à retourner à l'élémentaire,
c'est-à-dire à s'autodétruire. Le retour à l'état antérieur prend ainsi deux sens
contradictoires, conservateur et destructeur, et le masochisme primaire s'inscrit
dans cette contradiction pour maintenir la vie psychique, comme le dit Benno
Rosenberg.
Quelques remarques sont ici nécessaires, malgré leur évidence. La théorie
psychanalytique suivait pendant ce temps un mouvement, parti de la pathologie
pour aboutir à des considérations sur le fonctionnement mental en général, et le
texte de l'argument suit le même mouvement. Le concept d'intemporalité s'ap-
plique à un aspect des contradictions intrapsychiques propres à l'être humain et
non à une forme particulière de souffrance ou de pathologie. Cela va de soi, et
c'était toujours inscrit dans la démarche freudienne, depuis L'interprétation des
rêves (et même depuis l'Esquisse) et la Psychologie de la vie quotidienne. Cette
évidence a mis du temps à produire tous ses effets dans la théorie de la cure.
Dans la perspective de la deuxième topique, la fin d'une psychanalyse est à la
limite inconcevable. La rendre moins longue en cherchant des techniques pro-
pres à économiser le temps a été, vers les années 1950 aux Etats-Unis
(Fr. Alexander), une démarche empirique qui ne tenait pas compte de la
réflexion théorique ayant abouti à cette impasse apparente. Il est remarquable
que ceux qui s'y sont essayé récusaient le concept de pulsion de mort et se pré-
occupaient d'adaptation (dont ils avaient fait un concept métapsychologique). Il
n'en reste pas moins que passer de l'intemporalité de l'inconscient à l'hypothèse
d'une durée infinie de la cure psychanalytique pose un problème que nous ne
pouvons pas éluder. C'est d'ailleurs une des questions dont nous débattons dans
nos colloques de la SPP depuis des années...
Intemporalité et coordonnées temporelles 995
racontée comporte des éléments d'intemporalité qui entrent dans la facture habi-
tuelle des récits de rêve. « J'ai rêvé que j'étais dans la maison où je suis née. C'est
une maison que je ne connais pas, parce que mes parents ont déménagé peu de
temps après ma naissance », me raconte au cours d'un entretien une fillette
d'une dizaine d'années. L'intemporalité du rêve est marquée par l'utilisation de
l'imparfait du verbe être dans le récit d'aujourd'hui, mais elle entraîne une néces-
sité logique. La maison ainsi désignée par « je ne la connais pas » est du même
coup remarquable par sa signification : « La maison où je suis née et que je ne
connais pas » est un énoncé qui introduit, par la contradiction qu'il implique,
une représentation symbolique du corps de la mère. L'investissement du corps
de la mère est une construction intrapsychique qui ne varie pas avec l'expé-
rience. On peut cependant reconstituer après coup l'histoire de cette construc-
tion en utilisant le système conceptuel de la psychanalyse. On peut aussi com-
prendre pourquoi la rencontre avec moi lui a donné l'idée de me raconter ce
rêve. Cette préadolescente m'avait d'abord dessiné minutieusement une maison
familiale qu'elle connaissait bien, d'abord dans un mouvement que j'ai interprété
par-devers moi comme une résistance destinée à abaisser l'excitation provoquée
par la rencontre : mon grand-père a une maison et je n'ai pas besoin de la tienne.
Ce mouvement lui permet de s'établir devant moi, et d'associer dans un
deuxième temps sur mon âge et les différences de générations, ce que j'ai pu cette
fois lui expliciter. L'ensemble du mouvement m'a fait penser qu'elle était en état
de raconter un rêve, ce qu'elle a fait, en produisant une variation sur les sens du
symbole « maison ».
Ainsi, le récit du rêve, injection d'intemporalité dans un discours aux coor-
données temporelles, est toujours la voie royale pour comprendre l'inconscient.
Freud rappelle dans le texte de 1915 ce qu'il devait à J. Breuer et aux idées qu'il
avait exposées dès 1895 dans les Etudes sur l'hystérie.
titre « L'objet est psychique », je dirai que l'objet se constitue quand le nourris-
son fait un lien entre la perception actuelle de la présence d'autrui, et ses repré-
sentations, traces mnésiques d'expériences antérieures. Ce peut être la même, et
ce lien temporel est source de plaisir. Cela peut être un autre ou personne, et le
même lien temporel est source de déplaisir. La prise en compte de cette succes-
sion dans le temps crée l'intemporalité de l'imago maternelle et de la pulsion
ambivalente qui lui est rattachée. C'est ainsi que se trouvent réunies, dans une
contradiction fondamentale, la temporalité du système préconscient et l'intem-
poralité du système inconscient. J'y ajouterai deux remarques. La première
concerne le fantasme rétrospectif du paradis perdu, quand le sujet ne savait pas
que la mère pouvait être ailleurs, fantasme rétrospectif d'amour inconditionnel
et intemporel, amour d'un autre qui n'aurait que le sujet comme objet d'amour.
La seconde concerne le langage. Pour que l'enfant puisse désigner par ses énon-
cés une personne ou une chose se situant hors de son champ perceptif, il doit être
assuré de la pérennité du signifié, ce qui entre dans la constitution de son propre
narcissisme.
Enfin, pour en terminer avec cette introduction,je souhaiterais parler du jeu
de l'enfant et de l'adulte, qui est une intéressante reprise, consciente, de l'intem-
poralité. Quand un enfant joue, avec une poupée ou avec une petite voiture, il
est, au présent, l'adulte, tout-puissant s'occupant d'un enfant, ou le pilote de for-
mule 1, ou le conducteur de camion du Salaire de la peur. En même temps, il sait
qu'il ne l'est pas. Quand le second terme fait défaut, il devient psychotique pour
quelques instants ou de façon moins réversible. Le premier terme est intemporel.
Il est, sans avoir ni le besoin, ni la possibilité d'imaginer ce qui s'est passé avant,
ni ce qui se passera après. La temporalité est apportée par le deuxième terme.
Cela implique une ébauche de roman familial. Si l'enfant dans son jeu est le
héros de sa rêverie, il cesse « pendant ce temps » d'être l'enfant de ces parents-là.
Quand il commence à s'intéresser aux histoires, aux contes et aux romans, la
même situation se transforme et la contradiction devient élaborable autrement,
parce que le texte interrompt la solitude du lecteur, parce qu'il a été écrit par un
autre et par la pluralité des voix. L'enfant — ou l'adulte — est bien Lucky Luke,
d'Artagnan ou Rastignac, mais il est aussi les autres personnages masculins et
féminins. Il devient aussi le narrateur, dès qu'il écoute ou relit une histoire qu'il
connaît déjà. Cette polyphonie introduit la temporalité du drame, tandis que le
texte en assure l'éternité. L'adolescence peut alors être vécue sans rien perdre de
la quête narcissique, donnant sens à la vie, sans abandonner la capacité de pro-
jets et en affrontant les duretés de la vie.
René Diatkine
6, rue de Bièvre
75005 Paris
Intemporalité et a-temporalité
Jean GILLIBERT
Un exemple préliminaire
Pour les modernes, il y a des systèmes qui se dérèglent, des signifiants qui
sautent — et non plus le temps qui saute — sans besoin fondatif d'écoute.
Le non-temps devient ici une donnée systématique, comme le rappelait
Abellio, et non plus systématisable, comme est en effet le Surmoi.
Pour Freud, enfin, on fait un jeu de mots (un trait d'esprit) non pour la
langue mais pour celui qui écoute la langue.
I - Remarques sémantiques
Zeit los est le mot allemand utilisé par Freud pour dire l'a-temporalité, la
perte du temps, le hors le temps — dénué, privé de temps. Mais le temps au sens
« chronologique » du mot, du temps dans la succession passé, présent, avenir,
« chronos », opposé à « aïon » (le toujours étant, l'intemporel). Privé de temps
n'est donc pas le toujours étant, a-temporel n'est pas l'intemporel.
a) Le terme Zeit los est utilisé par Freud dans « Au-delà du principe de
plaisir ». Inconscient — zeit los — de la compulsion à la répétition.
Déjà, on peut dire que la répétition compulsive pulsionnelle (pulsion de
mort) est toujours re-commencement. Elle n'est donc jamais un commencement.
Elle ne peut pas le devenir et pourtant c'est cela qu'elle cherche : un commence-
ment qui ne re-commence pas, car il n'y a dans le commencement que le com-
mencement.
C'est pourquoi, si l'on valorise le re-commencement, la compulsion répéti-
tive, le recommencement, comme « action » de la pulsion de mort, la dé-liaison
qu'elle implique n'est pas en son fond une destruction du lien mais une nouvelle
force de la liaison « déliée », comme on dit qu'un esprit est délié. Cette « déliai-
son » met en cause le lien même, mais elle appartient au lien. Elle est l'intention-
nalité, la tension de la pulsion de mort. Pour cela, la déliaison espère toujours
que le re-commencement devienne enfin un commencement. C'est bien là la dif-
férence entre la compulsion à la répétition et l'éternel retour du même de
Nietzsche, différence que Freud soulève dans son article.
b) Zeit los est employé dans « L'Homme aux loups ». Le psychanalyste dit
être hors le temps (Zeit los) pour écouter l'inconscient du patient.
c) Zeit los est employé dans la Métapsychologie. L'inconscient ne connaît
pas le temps (chronos). Il a perdu le temps (Zeit los).
Toutes ces utilisations de Zeit los veulent être des positions épistémologi-
ques, liées au problème de la connaissance ontologique : répéter à l'infini le
temps. Mais quel temps ? L'instant ? Ou son oubli ? Question redoutable et non
tranchée. Jamais Freud n'utilise le terme « unzeitlich », un en allemand étant un
Intemporalité et a-temporalité 1003
négatif issu d'un positif. Ainsi Freud dira unbewusst pour dire l'inconscient, et
jamais il n'écrira « bewusst-los » (perte de conscience démuni, dénué de cons-
-
cience). Et pourtant, il y a des « pertes » de conscience !...
L'inconscient n'est pas un a-conscient,comme il le deviendra chez Lacan et les
épistémologuesrivés à l'épistémè (faux abord spéculatifde la « connaissance »).
L'inconscient n'est pas perdre la conscience (même si on la perd empirique-
ment). Avec l'inconscient, on change de registre, on passe à autre chose, et par le
« saut » a-temporel on accède à l'intemporalité. Dans l'inconscient, rien ne passe
et tout arrive, car rien n'a commencé, ni ne commence. Est-on dans le Temps ou
dans son oubli? Même question. C'est l'intellect, le préjugé intellectualiste qui
fausse tout — de Lacan à Bion
— car succession et intemporalité ne sont pas
antinomiques.
Il y a une sensibilité sémantique au problème du temps. Zeit los a toujours
en allemand un sens « philosophique » (los vient de verlieren = perdre). Zeit lich
veut dire temporel dans le sens « séculier », de ce temps-là, de ce monde-là, d'ici-
bas. Unzeit lich = intemporel, veut alors signifier le « céleste ». Pour dire la perte
du temps, le préfixe un ne suffit pas. Il ne peut pas servir à former le négatif un.
Il faut los (verlieren = perdre).
C'est la vieille question qui s'est posée à la scolastique médiévale au sujet du
négatif : distinction établie entre le nihil privativum et le nihil negativum. Freud a
voulu mettre la pulsion de mort dans le camp du nihil negativum. Y est-il arrivé ?
Est-il vraiment convaincant? Presque tous les exemples cliniques qu'il donne font
penser d'abord au nihil «privativum » (l'histoire de la bobine en premier lieu : privé
de sa mère, en son absence, l'enfant « répète » son départ et son retour).
Maintenant y a-t-il vraiment un nihil negativum sans un nihilprivativum? Il
semble bien que non, malgré les esthètes du nihil... et malgré les propositions
spéculatives d'Hegel, parti d'un si mauvais pas.
« Un » est moins fort que los. « Un-bewusst » (inconscientet non a-conscient).
Donnons un exemple à cette difficulté sémantique. Dans Tristan et Isolde de
Wagner, Isolde devant la mort de Tristan et approchant de sa propre mort par
fusion cosmique chante ceci :
Un-bewusst — Inconscient
Höchste lust ! — Joie suprême !
Si elle avait dit « Benwusst-los » (perdre conscience), on tomberait dans le drame
bourgeois. Ce serait « tomber dans les pommes » (les pâmes). Alors qu'elle veut
dire l'in-temporel de l'inconscient.
Cette distinction entre « un » et « los » existe de la même façon entre un qui
signe le refoulement, et los qui signe le rejet. Mais il y a, dans los, la généralisa-
tion de un, du refoulement et de toute façon la privation (versagung) est tou-
1004 Jean Gillibert
souvenir de la redoutable machine dont la flèche de mon lit représentait si bien l'ef-
fet avait éveillé toutes les images d'une époque dont la guillotine a été le sym-
bole. » (Les phrases écrites en italique l'ont été par moi.)
Ce rêve a fait beaucoup parler de lui, tant chez les hommes de science que
chez les littérateurs — non par son contenu régressif et herméneutique, mais par
la problématique hasard-nécessité, hasard extérieur et nécessité interne. Il sou-
lève aussi l'ancienne antinomie rêve-action et tend à confondre les deux catégo-
ries. Le déterminisme seul ne tient plus. Le rêve est à la fois jonction et disjonc-
tion. On pourrait dire de nos jours que c'est un rêve de réveil, de sommeil
paradoxal.
C'est un rêve de réveil, certes. Le texte du récit du rêve dit : « à l'instant ».
Le hasard extérieur coïncide avec la nécessité interne comme s'il ne pouvait y
avoir de hasard psychique.
Il y a surtout, en ce qui concerne le sujet de cet exposé, le passage d'une ex-
temporalité à une intemporalité (le désir du rêve). Ex-temporalité qui nécessite
une a-temporalité (une perte). La conséquence semble en être l'intemporalité de
scènes successives, de déchaînement « enchanté » et terrifiant, de scènes de châ-
timent. Nous dirions, aujourd'hui, de scènes de castration « originaire ». On
peut, et on n'y a pas manqué, reparler de la transmission de pensée, de télépa-
thie, d'action à distance, d'inquiétante étrangeté via l'originaire, mais la régres-
sion historique est avant tout un saut dans le temps. Pour l'inconscient, le temps
n'a pas de passé. Le fantasme originaire de castration est toujours actif.
Les discussions ultérieures porteront sur le causalisme psychique, la déter-
mination : quel est le premier moteur? Est-ce la seule flèche du lit qui est le
temps du monde extérieur et qui coupe le temps subjectivement objectivable?
Un a-temporel par ce « saut » et non seulement une régression historique ?
Ensuite, un autre — et même? — saut du temps du dormir au temps du
réveil, saut du temps humain : « je m'éveille ». Pour se réveiller, il a fallu non
seulement la chute de la flèche du lit, mais encore la succession intemporelle des
images du rêve. Une rémanence, un souvenir, et comme tout souvenir un pres-
sentiment — ici, de catastrophe.
Interprétation de Maury : Maury interprète son rêve comme accélérateur du
temps de la pensée. Il écrit : « Le rêve n'est le plus souvent qu'un rappel
d'images déjà perçues, d'idées déjà formulées par l'esprit, mais que l'imagination
combine dans un nouvel ordre. »
On peut donc remonter le cours du temps. Il existe une inversion de la tem-
poralité vécue (la chute de la flèche provoque l'effet guillotine). Opposant les
deux temporalités, Maury ne s'en tire qu'avec des sophismes, des effets para-
1006 Jean Gillibert
doxaux. Ce n'est pas sans rappeler Zénon d'Elée et ses sophismes sur l'espace et
le temps comme preuves ontologiques du temps.
Interprétation des surréalistes : André Breton pense pouvoir résoudre l'apo-
rie. L'inconscient est le point suprême hégélien
— — où il n'y a plus de contra-
diction. Pour le surréalisme — Breton, essentiellement —, il n'y a pas d'aboli-
tion du temps. Cette notion est un « forfait spiritualiste ». Action et rêve se
conjuguent pour le peu de réalité essentielle à l'être humain. On reconnaît là la
filiation lacanienne.
Il y aura de nombreuses et violentes discussions au sein du groupe même. Il
est à noter qu'à l'issue de ces discussions le groupe surréaliste se dispersera,
c'est-à-dire s'éloignera de Breton.
Interprétation de Freud : Freud intervient à trois reprises sur le rêve, dans
L'interprétation des rêves. Il ne citera pas le rêve en son entier. Le texte cité par
Freud s'arrête juste avant la phrase : « Cela avait eu lieu (la tête tranchée) à
l'instant... ainsi que ma mère me le confirmera... » (cette phrase est manquante).
Freud cherche à comprendre l'affinité entre le stimulus du rêve et le travail
du rêve. Pour ce faire, le mécanisme consiste dans l'utilisation d'un fantasme
tout fait et tout prêt avec aussi l'accélération du temps.
Le fantasme de castration qui conduit à l'angoisse de mort est un fantasme
originaire. Il est évoqué par allusion au moment du choc.
Freud écrit : « Le travail du rêve accomplit le désir comme s'il pouvait pen-
ser tout cela au figuré à partir du stimulus » (c'est moi qui écrit en italique).
Mais est-on sorti du sophisme pour autant ?
Le figuratif opposé au propre explicitera la rhétorique des tropes, l'espace
de représentation, l'hallucination négative, l'hallucination de la mère en son
absence... donc le moyen magique, pratique et idéaliste de la figure du rêve (la
Darstellung) pour réenchanter le monde interne devant le désenchantement du
monde extérieur (le retrait du monde, la négation organique du monde par le
sommeil).
Mais là encore, ne sommes-nous pas toujours dans une tautologie ? Notons
le « comme si », marque de l'inconscient qui, par ce « comme si » rend analogue
le figuré au propre.
L'inconscient devient alors le métapsychique comme l'avait signalé Freud à
Binswanger (cf. leur correspondance). « L'inconscient est métapsychique et nous
le prenons simplement pour réel. » Sous-entendu... comme s'il pouvait penser
tout au figuré (à la figure).
Freud écrit alors : « Ce fantasme prêt depuis longtemps n'a pas besoin
d'être refait en entier durant le sommeil, il suffit qu'il soit, pour ainsi dire,
effleuré. »
Intemporalité et a-temporalité 1007
que le père de cette amie a appartenu aux « jeunesses hitlériennes ». Les jours
qui suivent cette révélation, il cherche à voir le visage de ses grands-parents sur
le visage des Allemands qu'il rencontre.
Nous remarquons alors une modification impressionnante de son statut
physique. Il se met à maigrir considérablement, comme s'il voulait ressembler
aux déportés. Je le lui dis en m'inquiétant. Il reconnaît cette modification et nous
dit qu'il mange très bien. D'ailleurs il ne parlera que de cuisine où il semble être
très compétent, même artiste.
Il évoque un rêve : « Je me vois, enfant, en train de jouer par terre, devant
ma mère. Ma mère est indécente ; elle est en train de s'enlever des morceaux de
peau sur les lèvres. Vous savez (c'est moi qui souligne) comme quand on a les
lèvres gercées. Ça a l'air douloureux et elle fait cela comme si elle était triste et
seule, et je me disais qu'elle devait penser à quelque chose... »
Après quelques associations, on en arrive à parler de la sexualité des
femmes, aux organes génitaux, au « vagin » (c'est moi qui fais cette nomination).
Il me répond du tac au tac : « Quand j'étais adolescent, je disais toujours
« ragin ». Condensant rage et vagin. Il associe : « Je lis en ce moment L'Eternel
retour », de Mircea Eliade. Il sent l'humour de son association.
Je m'absente une deuxième fois à quelques mois de distance. C'est
Mme D. C... qui me remplace. Il me dit lors de la séance où je suis de retour :
« Je ne m'attendais pas à ce que ce soit Mme C... qui soit venue me chercher. En
fait j'attendais M. J.-L. B..., qui avait quitté le psychodrame depuis quelque
temps — J.-L. B... avait été l'homme du cinéma. Tout à trac, il nous dit ne plus
souffrir d'obsession... ; que son père était un « bel homme » ; qu'il va se mettre à
travailler dans la « boîte » de son père — ce qui est un progrès, car il était
jusqu'alors apragmatique et même aboulique.
L'ambivalence hamlétique est cependant toujours là : venger son père
— tuer son père.
A une autre séance, le rituel est évoqué et « joué » (plus exactement repré-
senté par le jeu). Je lui demande alors s'il a eu des « rituels » étant enfant. Il
pense que oui, mais ne s'en souvient plus. Il pense plutôt qu'il ne « faisait »
rien et il veut jouer une scène « de ne rien faire ». Je lui propose d'avoir un
double pour éponger la difficulté. Il acquiesce. Il choisit A. G... A. G.... joue
un double contraire. Assis sur une chaise, il ne cesse inlassablement d'avancer
sa chaise et la reculer devant notre « Hamlet » qui ne dit pas un mot. Tout à
coup, comme en rage, il regarde son double, l'invective et lui dit avec vio-
lence : « T'as fini ? »
Nous avons bien évidemment entendu cette scène comme une scène de
« pot » (sadico-anale), lui, enfant, avec sa mère. Il reconnaît la véracité de ce
rappel et nous parle du lien quasi symbiotique à sa mère. Il se rend compte
1012 Jean Gillibert
que c'est lui, dans le jeu, qui a assumé ce rôle de mère. Il intervient alors et
nous dit : « J'avais envie de me plier à des rites, mais je restais privé de mou-
vement, de décision. Aboulique, je ne cessais de penser à la mort de mes
parents. »
L'artefact du psychodrame a permis de susciter une scène de jeu rituel, qu'il
dit ne pas avoir connu, vécu et qui l'a tenté comme moyen défensif... et qu'il
vient de comprendre, à condition de jouer un autre rôle que le sien. Rite très
explicite, très chargé d'échanges sadiques-anaux et de reconnaissance.
Dans ce dédoublement narcissique, apparemment artificiel, il découvrait le
mouvement perpétuel du rite compulsif avec un premier moteur a-temporel pour
un mouvement immobile d'intemporelle présence à soi et à l'autre.
C'est ainsi qu'il laissait à confondre, dans l'angoisse vive, l'intemporalité du
désir sexuel d'échange avec sa mère dans l'ordre sadico-anal et l'a-temporalité
d'une décision qu'il sentait comme telle et sous l'urgence, dans sa « menace »,
mais qu'il ne pouvait pas prendre décisoirement.
Je lui donne comme interprétation ceci : « Avez-vous eu envie de dire à
votre mère : "T'as fini ?" (de penser à tes morts). » Il abonde dans cette valeur
interprétante et qui provoquait alors une haine violente contre sa mère (retrou-
vant là l'opacité de la question de Freud sur la valeur négative des sentiments
affectifs amoureux et le registre sadico-anal, les deux valences étant plus étran-
gères qu'on ne le croit communément).
L'ambivalence amour-haine « T'as fini ? » s'ajoutait à la difficulté du choix
d'un rite d'intemporalité qui aurait alors dit : « Arrête ! » Le rite dit toujours :
« Temps, suspend ton vol. »
Le sadico-anal était un moyen d'échange amoureux. Le lien entre le facteur
négatif de l'amour et la pulsion sadico-anale est a-temporel : le saut dans le rite
et, ici, la décision.
Le rite annule ce qui se passe dans l'affect. C'est un premier moteur immo-
bile, un éternel retour. Il annule la mémoire affective. L'a-temporalité de l'annu-
lation et le sadico-anal intemporel de la sexualité ne coïncident pas, ne doivent
pas coïncider.
La névrose obsessionnelle doit maintenir l'ambivalence intemporelle par la
maîtrise préalable du temps humain en le rendant nul (a-temporel
— Zeit los).
On peut d'ailleurs faire cette remarque : si on coupe, on arrête, on interdit acti-
vement le rite compulsif, on provoque une violente décharge d'angoisse. Je me
permets ici une conclusion de court protocole de psychodrame : il a repris son
analyse avec la thérapeute qui nous l'avait adressé.
A un retour après les grandes vacances, il nous rapporte un voyage à Lon-
dres désopilant (il a beaucoup de talent) avec une série de gags et de coïnci-
dences absurdes. Tout le groupe se met à rire aussi compulsivementqu'il le sou-
Intemporalité et a-temporalité 1013
temps vit par modes et non par systèmes, comme Freud l'a cru. Il n'y a pas de
méthode pour le temps.
L'être humain absorbe le temps au point de la métamorphose en son propre
mouvement — ceci appelé répétition via la pulsion de (la) mort ( Todestrieb). La
répétition rend le temps à ce qu'il est et qu'il perd en étant le temps : autre et même.
Répéter est aussi symbolique (quel terme indigent !) de ce qui ne se laisse pas
contraindre. Seul le devenir réduit le temps, soit en éternel retour, soit en juge-
ment dernier (l'ultime refoulement ou le refoulement originaire que Freud a si
bien repéré dans le meurtre du père avec Moïse, car c'est un meurtre, un crime
qui coupe le monde humain du reste du monde et du cosmos).
Le temps a son propre devenir qui n'appartient pas au temps humain mais
que le Zeit los (perte du temps = a-temporalité) appréhende dans les phéno-
mènes humains inconscients. La succession y devient alors intemporelle et non
une consécution de logique formelle.
Ecoutons l'intuition poétique de G. de Nerval qui brise le préjugé intellec-
tualiste et est réservée aux âmes charnelles, aux intelligents sensibles.
Sonnet d'Artémis
« La treizième revient, c 'est encore la première
Et c'est toujours la seule — ou c'est le seul moment...
C'est la morte... ou la mort... »
Ce n'est pas la première heure qui revient, ni la douzième, mais la treizième. La
compulsion de répétition souhaite un vrai commencement qu'elle ne peut obte-
nir que sous la forme d'un re-commencement.
Défaire, décréer, déjouer signent un passage par saut a-temporel vers l'in-
temporalité et accomplissent le voeu d'immortalité narcissique.
Mais défaire n'est pas détruire. Décréer n'est pas détruire. Une déliaison est
encore une liaison.
Freud est allé trop vite. Il a sauté. Il a cru lui aussi accomplir le désir de
toute la psychologie — et de la métaphysique — pour se convertir en psychana-
lyse, mais accomplir n'est pas encore une perfection d'absolu.
La distinction sémantique entre a-temporel et intemporel est légitime,
nécessaire, mais elle est obscure et ne peut que le rester.
Tous les Aufklärung du progrès et de l'utopie ont achoppé sur cette ques-
tion. Tous les conservatismes réalistes ont achoppé sur cette question et si ce
problème est bien en effet politique, aucune politique ne veut venir à bout de
cette aporie... sinon seulement que pour entrer dans l'intemporel du fantasme
sexuel de l'origine, il faut le saut de la croyance (cet impossible) et non le
« faire » ou le « désir ».
Intemporalité et a-temporalité 1015
Questions finales :
Pierre SULLIVAN
I - Introduction 1
Si j'avais écrit un roman, c'est sans restriction que je pourrais puiser dans la
préface de Dostoïevski aux Frères Karamazov pour aiguiser votre attention
d'abord et diriger votre oreille ensuite. Le héros, le lecteur doit être prévenu,
sera un homme qui « agit, assurément, mais d'une façon vague et obscure ». Un
être « étrange, voire un original » si l'on s'entend sur le fait que l'original « n'est
pas toujours l'individu qui se met à part, mais (qu)'il lui arrive de détenir la
quintessence du patrimoine commun, alors que ses contemporains l'ont répudié
pour un temps ». Lourde charge pour un être même romanesque. Quant à notre
patient, s'il est original, est-il marginal et détient-il la quintessence de l'époque ?
Ici parmi nous, il détonnerait sans doute et nous aurions tendance spontané-
ment à le tenir en bordure. Pourtant, il appartient lui-même à tout un monde où
vous comme moi nous sentirions étrangers. C'est en définitive le statut de la
marginalité qui a changé depuis un siècle : il est de plus en plus difficile
aujourd'hui d'être un être à part, reconnu comme tel. Cet homme est-il par ail-
leurs une figure du temps, de celui-ci comme de celui-là qui s'annonce ? Je le sou-
tiendrais volontiers, quitte à en faire la démonstration par cet exposé.
Quintessence du temps, figure de l'époque, avenir qui vient, c'est de la tem-
poralité, la nôtre, celle des psychanalystes d'aujourd'hui, qui n'est déjà plus celle
de Freud, que nous interrogeons cette destinée. A travers cette vie, à travers tous
ces aspects temporels, tentons même de mettre en jeu l'intemporalité. Malheu-
reusement, nous ne pouvons faire usage de la ruse utilisée et présentée comme
telle par Dostoïevski : donner d'abord dans un premier roman le passé du héros,
puis décrire l'actuel tout en préservant l'unité de l'oeuvre. Cette voie nous est
interdite, parce que ce patient souffre précisément de ne pas avoir de passé qui
fasse une histoire. Si l'on peut prétendre, avec quelque raison, que les héros de
Dostoïevski sont toujours à la limite de chuter de l'existence que le romancier
leur confie, ici par contre, aucune ruse, aussi savante soit-elle, ne permettra de
soutenir cet homme par une temporalité suffisante. Disons, par hypothèse, que
c'est peut-être ainsi qu'il pourrait servir de modèle au héros futur. Dans ce passé
qui s'effondre passe une époque. Et maintenant, commençons.
II - Séance
Deux rencontres avec M. X..., mais nous ne nous entretiendrons ensemble
que de la première. Le nous collectif est ici bienvenu puisqu'il s'agit de deux
séances de psychodrame que j'ai conduites avec mes camarades du Centre Eve-
lyne et Jean Kestemberg.
M. X... nous est d'ailleurs envoyé par l'une d'entre nous qui l'avait suivi ail-
leurs et autrefois, au terme de son adolescence. M. X... approche alors la tren-
taine et l'impression de retrouver un être inatteignable pousse son ancienne thé-
rapeute à lui proposer un psychodrame. Nous savons, par cette source, avant la
séance d'exploration que M. X... a perdu sa mère très tôt, qu'il n'a pas été alors
recueilli par son père, alcoolique vraisemblablement, qu'il a été placé successive-
ment dans des foyers nourriciers sans s'attacher à aucun. Adolescent, il s'est
retrouvé un jour à Paris. Il est musicien, il vit probablement de prostitution, ou
en tout cas grâce à des transactions qui paraissent appartenir à un tel monde,
mais où très nettement en tout cas il fait figure d'apôtre ou d'innocent : plutôt
un instrument de délivrance que de plaisir. Il a d'ailleurs converti un honnête
père de famille de la Creuse qui a tout quitté pour devenir son protecteur, veil-
lant sur lui, adorateur et témoin vigilant de son somnambulisme comme de ses
crises élastiques. Rigide et concentrant le mouvement dans son somnambulisme
ou mobile et le dispersant dans ses crises, M. X... exhibe un corps soumis aux
rythmes les plus contrastés, disons par métaphore, cataleptiques ou épileptiques.
Corps agent du mouvement, corps sauvagement rythmé par l'image, chute
du et dans le corps, la psychanalyse et la temporalité sont déjà convoquées par
ces seules notations. Et conséquemment, c'est la forme du psychodrame qui est
choisie pour atteindre M. X... parce que nous savons maintenant qu'il est, plus
que la cure classique, en prise directe avec l'impression corporellede la tempora-
lité. Au décours d'un jeu, d'un geste, apparaissent l'image et le temps conjugués ;
le psychodrame est l'expression renouvelée ou nouvelle de la temporalité, et c'est
Clinique de l'intemporalité 1019
des choses qu'il garde secrètes : et cette imagination, c'est une pièce en or, la plus
précieuse de ses possessions. C'est comme pour ce synthétiseur qu'il a cassé, il a
racheté le même et l'a mis dans son lit, le câlinant comme l'ours en peluche de
son enfance, reportant sur lui l'amour qu'il avait eu pour le frère-synthétiseur-
fracassé. Ce dernier, mort, il n'a plus les moyens de le racheter.
La dernière scène réunira M. X... et son nounours. Il choisit, avec un peu de
difficulté, de jouer le rôle du nounours et demande à la thérapeute qui jouait le
rôle de sa mère dans la première scène d'incarner son rôle. Un dialogue s'engage
où M. X... insiste sur l'inéluctabilité de sa destruction si son secret tombait. Puis
il se récuse un peu devant cette solitude, partagée mais exclusive. Quant aux
sacrifices qu'elle engage, il précise que s'il peut se sacrifier pour maman, son
nounours ou lui-même, il ne pourrait pas se sacrifier pour le monde ou les
autres, il n'a pas assez de force pour cela. Un thérapeute-mèreviendra ensuite, et
ce sera la fin de la scène, troubler cette harmonie, voulant partager le secret du
nounours et de l'enfant. Soutenu par son double, il reprochera alors à cette mère
de l'avoir fabriqué. Il regrette d'être là maintenant.
Que fait-il sur terre? S'il est là, c'est que ce n'est pas dû à un hasard des
choses, c'est la vie ou l'arbre généalogiquequi sont à l'origine de son être. Mais
il ne sait plus : il est un incident, dit-il. Il ne se retrouve pas dans la société. Seule
la musique est un lieu habitable pour lui.
Nous nous arrêterons là-dessus, lui proposant une autre séance afin de
mieux saisir ce qu'il vient d'appeler l' « incident » de sa naissance.
Disons rapidement que M. X... vint à cette seconde rencontre, quelques
semaines plus tard, mais dans un état douloureusement nuageux. Impression-
nable au point d'échapper à toute compréhension, du moins à toutes celles dont
nous disposions alors. Aucun traitement psychodramatique ne sera proposé.
Après cette rencontre, M. X... reverra sa thérapeute quelques fois avant de dis-
paraître à nouveau. Deux ans plus tard, il se suicida. Cet acte, on le comprendra,
se mua pour nous en désir de comprendre.
III - Analyse
Un dialogue,trois scènes, trente minutes en tout, petit temps, et pourtant cette
rencontre nous livre la figure intime d'un être avec la clarté que seules possèdent
certaines esquisses, saisies imprévues et inspirées du mouvement. A quoi devons-
nous ce relief? Beaucoup plus qu'à notre savoir-faire — mes camarades me par-
donneront —, M. X... doit ainsi de se ramasser sous une forme distincte, à son
aspiration, ce jour-là, et soutenue sans doute par des attaches anciennes à sa théra-
peute, à se faire distinguer, à se faire élucider. D'autres facteurs ont pu agir égale-
1022 Pierre Sullivan
ment, que nous devons ignorer et dont nous savons seulement par ce qu'il en dit et
par l'expérience de la seconde séance, qu'ils ne sont pas toujours présents. Pour
reprendre une expression de M. X..., il n'est pas toujours, ou mieux pas souvent,
« moi-même en moi ». Il se dilue plutôt, à de rares moments près, en atmosphères
changeantes. Nous avons été les témoins privilégiés d'un rapport à soi ordonné de
lui-même. Or il se trouve que cette figure s'est exprimée principalement en termes
divers et contrastés de temporalité. Les circonstances de sa vie le contraignent cer-
tainement plus qu'un autre à être sensible aux dimensions passées, présentes et
futures du temps. Ceci explique cela. Mais pas complètement. Il faut ajouter à ces
influences déterminantes de la vie de M. X..., que la psychanalyse a elle-mêmeéta-
bli une ligne de compréhension de la temporalité, avec ses concepts de régression,
d'infantile, d'inconscient, et ligne que j'adopte d'emblée en devenant psychana-
lyste. Souvent même je ne reconnais plus l'origine, ou même l'émotion, qui a sus-
cité ces instruments qui me servent à soigner autrui. Ce n'est en effet que dans cer-
taines occasions exceptionnelles que la clinique me poussera à ranimer l'étincelle
qui a brillé sous le concept. Pour en vérifier alors le bien-fondé ou amener sa trans-
formation. M. X..., et c'est la raison de ce choix, favorise une telle réanimation. Il
nous guidera ici, et peut-être donnerons-nous par là une nécessité posthume à cet
homme qui ne s'en trouvait pas.
Nous dirions la même chose en posant la question suivante : quelle tempo-
ralité faut-il avoir soi-même pour soigner M. X... en psychanalyste, vu qu'il est
évident qu'une rencontre analytique se produit à l'intersection de deux tempora-
lités au moins ? Ou encore, la temporalité d'emprunt que me fournit dorénavant
la psychanalyse, et à laquelle j'adhère bien volontiers, est-elle suffisante pour
approcher, et si possible transformer M. X..., modèle peut-être de ces héros du
futur, descendants des Karamazov ?
Reprenons sous cet angle de la rencontre de deux temporalités la séance de
M. X... mettant en relief aussi bien ses choix propres que les voies associatives que
nous lui proposons spontanément, immédiatement, et tels que seule une série de
rencontres, un traitement continu, aurait pu reprendre ou réorienter. Le travail de
l'analyste n'est ici pour cette prise de contact ni celui d'un apprenti, ni celui d'un
virtuose, plutôt celui du praticien qui, automatiquement et sans astuce, cherche
des possibilités d'applicationsde son savoir à la matière qui lui est soumise.
En commençant sa séance, M. X... évoque son blocage, son trou noir qui est
ou qui engendre — difficile à dire — un vide auquel une violence peut mettre un
terme temporairement. C'est d'un terme ou d'une stase qu'il attend la paix dont il
est privé. A l'opposé de la violence ou sur un autre plan, non plus moteur, non
plus celui de l'habitude — il démolit deux synthétiseurs par mois —, mais celui
du monde interne, il dispose d'une autre solution pour parer au douloureux senti-
ment d'écoulement qui l'infuse : il se recueille auprès de sa mère. Arrêt, point du
Clinique de l'intemporalité 1023
successif. Je suis un anneau encerclé par les choses. C'est ce que M. X... vit, et ce
ne sont pas que des mots.
Et la question revient d'une manière plus précise : comment doit procéder
un analyste, habitué à incarner la vie antérieure d'un sujet qui lui-même s'y rap-
porte existentiellement, comment doit-il intervenir avec un être chez qui ce lien
paradoxal est une convention? Que M. X... ait été familier du sens et de la por-
tée de la question, son invocation à Marie et Jésus le montre, puisquejamais fils
n'aura autant été, non pas désiré, mais voulu. De toute éternité comme on dit.
Son souhait à ce moment-là que sa vie s'arrête, et non pas de mourir, confirme
que l'ouverture de cette question pousse inéluctablement M. X... vers une forme
d'existence, au sein de cette vie, qui soit proche de l'éternité désirée ou encore, et
puisque c'est là ce à quoi il dit occuper son temps, de l'intemporalité à laquelle
la musique se prête éminemment.
Mes relances, encore une fois analytiques et conventionnelles, à propos du
retour à la naissance ou au masochisme lié à la figure du Christ, ne le délogent
pas, bien au contraire, de ce choix qui est devenu le sien. Il est musicien pour lui,
personne ne paiera pour aller l'entendre, la souffrance ne l'entame pas, il ne peut
se sacrifier pour aucun autrui : ce ne sont là que des histoires qui s'impriment en
lui, sur lui. Histoires qui répondent aux inventions qui composent son passé
avec sa mère. Son nuagisme, en peinture un des derniers Turner, certaines
figures de Bacon, est donc plus établi que son accès à l'harmonie, à la spiritualité
induite par la musique. Sur le grand canevas de l'existence, M. X... se qualifie
d'incident : une marque accidentelle sur la toile. Ou le trou noir.
Et le recueillement apparaît alors comme une production fébrile d'images
harmonieuses, peut-être même sirupeuses à force d'être reprises à des clichés. On
peut imaginer que dans ces nuits blanches sa mère doit être extensivement
maternelle et lui-même extensivement filial, mais que, derrière les quelques pho-
tos et souvenirs réels qui lui restent, les pointes d'intensité doivent souvent être
pâles, sans dégagement ou inertes, selon que vous choisissez la lumière, la pers-
pective ou le mouvement pour décrire les identifications vivantes.
IV - Temporalité-Intemporalité
Cette formule mérite pourtant d'être corrigée, car elle laisserait penser qu'il
pourrait y avoir plusieurs attitudes définissables en termes de temporalité et lais-
sées au libre choix de l'analyste en fonction des patients qui le consultent. Cela
ne peut être ainsi : il ne peut y avoir qu'une temporalité dont certains aspects
sont partagés, et par conséquent, partageables par les protagonistes, et d'autres
non. Jusqu'à un certain point, ce fut ce dernier cas qui prévalut ici. Que deman-
dait donc M. X... et que nous ne pouvions complaisamment lui transmettre?
Sans doute principalement se recueillir avec nous. Ce qu'interdit le jeu même du
psychodrame où le dialogue avec le meneur de jeu est irrésistiblement attiré par
et dans la scène jouée ; car la présence d'autrui y est immédiatement attestée
avec toutes ses valeurs de contingence, de responsabilité, de coïncidence ou de
non-coïncidence,mais aussi de dette. Autrui paie, on doit payer pour autrui. Un
conseilleur, c'est plutôt ce qu'il souhaitait de nous, parce que les conseils, il le
sait, on ne les suit pas.
Mais un analyste n'a aucun conseil à donner, son être éthique et son action se
situent ailleurs. Disons-le autrement, plus près de la temporalité, bien que nous
—
nous en rendons compte — la valeur d'autrui en est une part constitutive. Prenons
l'une des plus éclatantes et des plus touchantes métaphores de M. X... : l'or, son
imagination. Il se trouve que l'or et la monnaie, métamorphosée ici en l'or et les
images du recueillement, est une métaphore souvent employée par la philosophie
pour désigner certaines conceptions du temps, antiques en particulier. L'or peut
ainsi chuter dans le métal avec lequel on fabrique les pièces, comme l'intemporalité
peut se dissiper dans le temps. Platon vu par Hegel. Ou encore, la production tou-
jours accomplie des pièces sans commencement ni fin permet de déduire une
Eternité qui serait la somme, l'équation continuellement repoussée de chacune
d'elles. Aristote vu par Bergson. C'est seulement au sein d'une pareille vision, la
seconde, aristotélicienne en son origine, mais toujours présente dans le langage et
les idées, que l'on peut penser arrêter sa vie sans songer à mourir. C'est ce que
M. X... vit : il s'est constitué une éternité, une forme d'intemporalitéqu'à la rigueur
un analyste peut incarner un moment, mais uniquement dans une perspective plus
large et qui mettra en jeu cette dimension du temps, en elle-même peu vivable,
aujourd'hui parmi nous.
Pourquoi peu vivable? Une telle question pour y répondre exigerait de
prendre en compte la durée entière de notre culture, voire de l'espèce humaine.
Quelles sont les déterminations, différentes sans doute tout au long de l'histoire,
qui rendent une existence vivable ? Je ne saurais le dire. Ce que nous pouvons
constater, c'est que les images produites par un psychisme construit autour de
l'intemporalité et de l'éternité n'ont pas la qualité suffisante, la teneur nécessaire
pour maintenir une existence dans des transactions négociables avec soi-même et
avec autrui. Les images de M. X... paraissent conventionnelles, sans arrière-
1026 Pierre Sullivan
plan : ce ne sont pas des imagos et un analyste se perdrait à confondre les unes
et les autres.
Il y a une solidarité essentielle entre la temporalité que l'on vit et les images
internes conçues en nous. L'intemporalité doit se prêter davantage à la concep-
tion d'images qui se dispersent dans un flux indéterminé. Ces images perdent
rapidement la vivacité que crée au contraire une Imago en l'augmentant tou-
jours, car elle crée sa propre histoire. Ce que nous appelons une identification
vraie ou, pour reprendre le terme de M. X..., une identification pilier. Le para-
doxe lumineux de cette comparaison de valeur d'images réside pour nous, ana-
lystes, dans le fait que les images du recueillement de M. X... doivent probable-
ment offrir à qui s'en soucie des multitudes de rapports de ressemblance ou
d'opposition, en somme un champ illimité d'interprétation sur lequel nos
concepts pourraient fondre sans résistance. On doit pouvoir déduire là toutes les
formes et contre-formes de l'OEdipe, par exemple, ou toutes les transitionnalités
simples, si vous préférez.
Pourtant une pareille stratégie des liens se montrerait tout aussi inefficace
dans l'intervention de l'analyste qu'elle l'a été dans la vie psychique de M. X...,
l'analyste ajoutant seulement des images clichés à celles de M. X..., petite mon-
naie qui vient s'ajouter au tas.
Que faire? Que penser? Bien que l'esprit — et je pense à l'esprit analytique
d'aujourd'hui si formaliste, si rationnel — répugne à ce genre de gymnastique, il
faudrait plutôt, pour guérir autant et en même temps s'expliquer avec la tempo-
ralité, compter avec une stratégie du saut ou du mouvement accompli, car il est
probable que la psyché, la temporalité individuelle donc, de même que l'inter-
prétation fondatrice commencent par un saut. Il faut sauter à pieds joints dans
autrui pour y laisser une imago dynamique.
Deux types d'images, deux types de stratégies, les secondesinfiniment plus dif-
ficiles à décrire parce que la réflexion ne s'en saisit qu'après qu'elles ont produit
leurs effets. Si nous insistons sur cette distinction, c'est qu'elle incarne un conflit au
coeur de la pratique analytique actuelle, qui a lui-même ses origines dans la pensée
de son fondateur. Insensiblement, que nous le voulions ou non, nous sommes pra-
tiquement amenés à proposer, au départ du moins, au patient que nous ignorons
encore, des voies associatives qui sont, en tant que significations acquises ou
conquises de la psychanalyse, l'équivalent, au moins virtuel dans notre discipline,
de ces images mécaniques utilisées par M. X... Nous l'avons fait dans cette séance
jusqu'à un certain point, jusqu'à une certaine question, un saut cruel comme le
temps lui-même : une mère doit-elle aimer ses enfants.
La circonstance, le premier rendez-vous ou l'histoire de la psychanalyse, qui
a maintenant un code confirmé et étendu, jouent certainement un rôle important
dans cette approche formaliste du patient. Mais en allant au-delà et en référant
Clinique de l'intemporalité 1027
cet abord aux textes fondateurs de la psychanalyse, on découvre déjà, dans les
pensées peu nombreuses et souvent malaisées que Freud consacre au temps, une
tendance formaliste à l'intemporalité en même temps que la lancée d'une tout
autre dynamique. Les rares fois — une vingtaine de petits paragraphes, souvent
en notes, dans toute son oeuvre — où Freud discute de la temporalité, c'est pour
poser d'abord que l'Inconscient est sans le temps. Sans pour autant décrire posi-
tivement cette privation de temps. Dommage. En même temps pour nous, cette
désignation est une véritable question qui suscite un projet, une recherche plus
que des réponses. En ce sens, et pour reprendre ma formule d'il y a un instant,
Freud avec le « sans le temps » saute à pieds joints en nous-mêmes et dans l'ave-
nir. Parce qu'il ne peut développer cette intuition, ou parce qu'il est trop engagé
dans un courant de pensée métaphysique, quoi qu'il en dise, ou encore pour
d'autres motifs plus intimes, Freud ensuite mélange à peu près constamment à
cette invention de la temporalité de l'Inconscient une revendication beaucoup
plus ancienne et bien répertoriée dans la quasi-totalité des philosophies. Il exige
pour l'Inconscient, qui devient par là un réservoir de formes inaltérables, l'in-
temporalité de ses contenus et de ses processus. L'Inconscient apparaît alors
comme ces prairies ennuyeuses des Champs-Elysées, dont Achille se plaint,
quand même, sous la plume de Freud, et où, privilège insensé et divin, même
quand elles se modifient, les formes conservent leur être insensible au devenir.
Dans les termes de psychopathologie de la vie quotidiennne, cela se dit ainsi :
« Les traces mnésiques refoulées inconscientes sont conservées telles quelles,
dans leur forme originale et dans leurs formes successives quelles que soient les
modifications par corrections futures. »
La théorie de l'Inconscient, qui est toute ouverture, a ainsi cependant une
propension interne à se vêtir d'intemporel. S'il fallait en donner une définition,
l'intemporalité serait alors le mode d'être de l'Inconscient quand les analystes ne
savent plus supporter la question du « sans le temps ». L'Inconscient intemporel
perdant sa qualité dynamique se dégrade à la limite en un catalogue de formes
préformées de concepts ou d'idées qui tendent à l'universalité et dont l'efficacité
sur le sujet individuel ne peut être comprise autrement que par une théorie imi-
tative ou au mieux contemplative. Analyser revient à guider le patient vers la
visée, par exemple, du fantasme de scène primitive qu'attesterait le genre humain
comme une forme universelle.
C'est là toute la différence avec une stratégie du saut : pour revenir à M. X...,
celui-ci ne demande pas mieux que de nous fournir toutes les représentations de
scène primitive que nous pourrions souhaiteret qui conforterait l'intemporalité de
nos concepts originaires. Mais ces représentations ne seront jamais des fantasmes
si ces derniers, en tant qu'imagos constitutives du psychisme, doivent conserver de
leur origine la marque d'une autre temporalité qui m'a atteint dans un mouvement
1028 Pierre Sullivan
entier. C'est un saut, une expérience. Mes parents m'ont fait, mon analyste a inter-
prété. C'est inégalable et sans mesure. Le faire sien est certainement l'une des fina-
lités de l'analyse. C'est probablement pour provoquer de tels sauts ou conversions
que l'Inconscient doit être « sans le temps ».
Et l'analyste ? Freud le dit en toutes lettres dans « L'Homme aux loups », il
doit être comme l'Inconscient un être « sans le temps », et non intemporel. Entre
une psychanalyse intemporelle et ses patients, il y a sûrement beaucoup d'effets,
mais pas de passage vrai ou d'engendrement d'imagos qui vont développer elles-
mêmes une temporalité. Entre un « psychanalyste sans le temps » et ses patients,
il y a, avant toute signification, une entente qui a un lieu et un devenir commun.
V - Questions
Je le vois, il est plus facile de comprendre l'intemporel que le « sans le
temps ». Et je suis loin du compte.
Pour finir, une dernière interrogation sans réponse. M. X... ne demande-t-il
pas d'outre-tombe : et ma mort, qu'en dites-vous ? Hegel dirait que la famille des
analystes a procédé à une inhumation ; Heidegger y verrait l'occasion de se placer
devant sa propre mort ; Levinas nous assurerait que nous sommes des survivants.
Est-ce suffisant ? La mort peut-elle être pensée ? Intemporelle ? Sans le temps ?
Freud pense que l'Inconscient ignore comme l'homme primitif sa propre
mort, mais qu'il est sensible, peut-être infiniment réceptif, à la mort d'autrui.
Problème des fins dernières. Mais il faudrait encore beaucoup de temps pour
traquer le grand saut.
Pierre Sullivan
17, rue Albert-Bayet
75013 Paris
Le scandale du hors-temps
Julia KRISTEVA
1. « La déviation idéaliste de la recherche freudienne est aujourd'hui aussi menaçante que la dévia-
tion objectiviste. On en vient à se demander s'il n'est pas essentiel à la psychanalyse — je dis à son exis-
tence comme thérapeutique et comme savoir vérifiable — de rester non sans doute tentative maudite et
science secrète, mais du moins un paradoxe et une interrogation », préface à Hesnard, L'Oeuvre de Freud
et son importancepour le monde moderne (1960), p. 8, nous soulignons; je reviendrai sur l'expérience para-
doxale et le temps paradoxal en analyse.
2. L'inconscient (1915), in Métapsychologie, Gallimard, p. 105.
Le scandale du hors-temps 1031
Je dis que :
chanalyse à une philosophie de la conscience (efforts qui ont manifesté leurs ris-
ques « objectalisants » tout au long de l'histoire postfreudienne de la psychana-
lyse), sous peine de réduire l'expérience psychanalytique à une intersubjectivité
qu'elle n'est pas.
2 / L'hétérogénéité énergétique/herméneutique, ainsi que la psychanalyse
comme technique suggèrent une temporalité originale, inouïe, spécifique au
champ analytique.
3 / La pensée du temps, pour difficile qu'elle soit, et celle de la temporalité
psychanalytique en particulier, a l'avantage de se situer au croisement du phy-
sique (temps physique) et du subjectif (temps subjectif) et, peut-être, de désarticu-
ler et de refondre ces dichotomies.
Après le temps cosmologique des Grecs, l'Occident depuis saint Augus-
tin et jusqu'à Hegel pense le temps comme coextensif à l'âme, à la conscience
et à l'esprit. Saint Augustin fait dépendre le temps de l'intentio et de la dis-
tentio animi, et ouvre la voie à une solidarité entre conscience, subjectivité et
temporalité.
Emile Benveniste a résumé et simplifié cette coprésence de la conscience
subjective et du temps, en localisant l'un et l'autre dans le langage : il y a du
temps parce qu'il y a du langage ; mon temps est fonction de mon énonciation :
« On constate partout une certaine organisation linguistique de la notion de
temps » ; « la temporalité humaine avec tout son appareil linguistique dévoile la
subjectivité inhérente à l'expérience même du langage »1.
Au XXe siècle, Bergson porte à son apogée cette tradition. Il est notoire que
contre le temps mesurable, « quantitatif », le philosophe propose la « durée qua-
litative ». Or, cette durée qualitative est toujours une donnée immédiate de la
conscience. S'il est vrai que la durée psychologique ouvre sur l'ontologique chez
Bergson, il n'en reste pas moins qu'une antériorité de la dynamique psychique
domine la pensée bergsonienne, et qu'elle va jusqu'à dématérialiser la matière
chez cet auteur : la matière est la forme d'un passé indéfiniment dilaté, le degré
le plus distendu de la durée; alors qu'à rebours, la durée s'impose comme le
degré le plus contracté de la matière.
Heidegger, seul, ontologise le temps et pense une « temporellité » coexten-
sive à l'Etre avant toute intervention subjective. Cette temporellité comme sens
ontologique du souci (Sorge), une « sorte de phénomène unificateur où l'avenir
apprésente en ayant été »1, conditionne les catégories de notre existence dans le
temps — avenir, passé, présent — sans que celles-ci s'y réduisent. L'être humain
est un Etre-là, un Dasein, un « Etre-jeté » à disposition et toujours « en avance-
sur-soi », et pour cela même dans le souci un « Etre pour la mort ».
Les trois grandes pensées de ce siècle — Bergson, Heidegger, Freud — sont
des pensées de subversion de la temporalité. Elles disent en substance qu'au
commencement n'était pas le Verbe, mais une temporalité extra-subjective et
extra-existentiellequi est le véritable défi pour la pensée. Je soutiendrai d'abord
que pour Freud, comme pour les deux autres, le temps est le paramètre essentiel
dans lequel sont pensées les composantes de l'expérience humaine.
En effet, Freud aurait pu écrire, comme Bergson : « Le temps n'est plus un
accessoire. Ce n'est pas un intervalle qu'on peut allonger ou raccourcir sans en
modifier le contenu. La durée de son travail (il s'agit de l'artiste, de celui qui crée)
fait partie intégrante de son travail. La contracter ou la dilater serait modifier à
la fois l'évolution psychologique qui la remplit et l'invention qui en est le terme.
Le temps d'invention ne fait qu'un ici avec l'invention même. »2 Cette durée coex-
tensive à la vie et à la création consonne pour nous avec la remémoration et la
renaissance psychique bien connus au sein du transfert pour lequel « il faut lais-
ser le temps » 3.
Par ailleurs, Freud aurait pu tout aussi bien définir l'analysant, cet être
parlant son anamnèse, comme un « Etre pour la mort », un « en bloc » de
« je suis-été », télescopant l'avant et le maintenant, tout en étant « avenir »,
ne cessant de « s'en venir jusqu'à lui-même tout en revenant en arrière »,
comme l'écrit Heidegger4.
Et pourtant, la subversion de la temporalité chez Freud est tout autre : ni
expansion de la conscience (Bergson), ni sa contraction potentielle (Heidegger) ;
la temporalité freudienne s'appuie sur le temps linéaire de la conscience pour y
inscrire une faille, un brèche, une frustration : c'est le scandale du hors-temps
(Zeitlos).
Conformément à la thèse philosophique classique pour laquelle, je viens de le
rappeler, le temps est une donnée de la conscience, pour Freud, depuis l'Esquisse
(1885), le temps est le temps de la conscience, ainsi que de la perception modelée
par la conscience. En revanche, l'inconscient, depuis L'interprétation des rêves
1. En 1962, Heidegger inverse le titre de son ouvrage de 1927 (cf. la conférence Temps et être in
Questions IV, Gallimard, 1976), et introduit le terme de Zeit-Raum, « l'espace libre du temps » ou « l'es-
pacement du temps ». Cette unité d'un état d'ouverture dans lequel aussi bien le tempset sa temporation
ekstatique que l'espace et son espacement trouvent leur place, modifie le texte de 1927 en reconnaissantla
propreté de l'espace (sans le ramener au temps) dans l'événement. Mais il ne semble pas que le Zeit-Raum
se préoccupe du paradoxe radical du Zeitlos : même « l'arrêt d'un suspendre » (« empêchement »,
« réserve », « se soustraire », « bref : le retrait ») appartient, selon Heidegger, à la temporation-donation-
destination, à la « venue à nous de l'Etre ».
2. Cf. « La dénégation » (1925).
1036 Julia Kristeva
1. Note sur le bloc-notes magique (1915) in Résultats, idées, problèmes, II, PUF, 1985.
2. Breuer exprime pour la première fois cette distinction dans les Etudes sur l'hystérie (1895) : « Il est
impossible pour un seul et unique organe de remplir ces deux conditions contradictoires (temps/mémoire).
Le miroir d'un télescope à réflexion ne peut pas en même temps être une plaque photographique.»
3. « Je persiste à soutenir que nous n'avons pas assez mis en relief ce fait indubitable de l'immutabi-
lité du refoulé au cours du temps. C'est là que semble s'offrir une voie de pénétration vers les connais-
sances les plus approfondies; malheureusement, je n'ai pu réussir à m'y introduire », in Nouvelles Confé-
rences (1932, p. 104).
Le scandale du hors-temps 1037
courante, progressive, est bien manifeste dans cette cure : de l'auto-inceste comi-
tial, en passant par la conflictualité sexuelle et intersubjective, et jusqu'à l'explo-
ration identifïcatoire et sublimatoire de la toxicomanie. Mais au coeur même de
sa « réussite » (écrire sur la toxicomanie), Marie me signifie la répétition, donc la
permanence en elle d'une trace mnésique qui maintient hors-temps une partie de
son psychisme. Désormais au service de la conscience et de la vie, cette trace
a-temporelle se répète tout au long de sa vie, scande son psychisme et la menace
de retour vers le prépsychique, l'insymbolisable.
b) La perlaboration (Durcharbeitung)
L'idée d'un travail psychique, présente dès L'interprétation des rêves (au
sens où le rêve travaille (traumarbeit), c'est-à-dire « ne pense ni ne calcule, d'une
certaine façon il ne juge pas, il se contente de transformer »), trouve son intensité
dans la notion de Durcharbeitung1. Je suis de ceux qui pensent qu'à côté de la
remémoration qui inscrit le passé dans l'écoulement de la conscience (dans le
temps linéaire) ; à côté de la répétition qui signale l'indestructible pulsion ou le
souhait de plaisir ; la perlaboration est le processus central autour duquel s'arti-
culent les deux autres. Puisqu'elle porte sur les résistances et se signale par une
stagnation consécutive à l'interprétation d'une résistance, la perlaboration sous-
trait le processus psychique de l'écoulement et se présente comme un temps
mort ; alors qu'en réalité s'opère une acceptation des pulsions refoulées par l'ex-
périence vécue (Erleben) du transfert. J'y verrais un deuxième aspect du hors-
temps, accompagnant la répétition de la trace mnésique dont il a été question
plus haut.
On notera une nouvelle figure de cette temporalité paradoxale de vie et de
mort au coeur de la Durcharbeitung : Erleben (ou la vie dont il s'agit dans le
transfert) est un hors-temps (stagnation) ; or l'expérience de la vie est couram-
ment une avancée dans le temps ; donc l'Erleben du transfert en tant que perla-
boration comporte au contraire une insertion dans la vie d'une non vie ; en d'au-
tres termes, l'Erleben de la perlaboration inscrit la mort au plus vivant de
l'actualité vécue.
Cette contraction de vie et de mort (temps et hors-temps) interne à la perla-
boration peut se résoudre par une accélération qui est une hallucination élation-
nelle : un moment de grâce qui signale ce qu'on a pu appeler une « renaissance »
de l'analysant. La terminologie moins euphorique de Freud (Durcharbeitung,
« hallucination ») a l'avantage d'attirer l'attention sur la conflictualité de notre
tâche ainsi que de l'aventure humaine — une difficulté que nous avons tendance
à gommer sous l'effet des religions de l'espérance et sous la pression de la
demande publique.
Danielle est une femme d'une trentaine d'années, en analyse depuis quatre
ans : insatisfaite de ses relations homosexuelles et de quelques rares hétéro-
sexuelles, sujette à des douleurs abdominales et à des céphalées insupportables,
elle fait un transfert intense alternant idéalisation et rejet. L'anamnèse fait appa-
raître un fort attachement au père, une mère tenue pour « infantile », et une
soeur cadette que la patiente — cinéaste — considère « sans intérêt » et qui est...
psychanalyste à l'étranger. Danielle se rend souvent en Israël et fait mention de
l'actualité politique, mais aucune référence au passé dramatique de la famille
pendant la guerre ou avant n'apparaît dans son discours. Ceci jusqu'à un voyage
que j'effectue à Jérusalem, qui change nos rendez-vous et que la patiente
apprend par des amis. Danielle me dit qu'ayant entendu parler de ce déplace-
ment, elle a rêvé de sa mère qui vit à Jérusalem. Le rêve reconstitue un moment
clé de la vie de la mère, petite fille de 3 ou 4 ans qui arrive en Israël, accompa-
gnée d'une parente éloignée, tandis que ses propres parents sont envoyés dans
des camps. J'apprends ainsi après quatre ans d'analyse, la mémoire traumatisée
et traumatisante de cette mère, réservée jusqu'ici hors-temps. Danielle s'attendrit
sur le sort de cette mère rescapée, et pour la première fois de son analyse essaie
de restituer sans revendication ni hostilité une image aimante et aimée de sa
mère. Suivent des séances qui mettent en évidence les relations passionnelles fort
complexes entre la fille et la mère.
Je comprends que Danielle avait entrepris son analyse dans le but incons-
cient d'oublier sa mère qu'elle refoulait et censurait. La patiente maintenait
hors-temps la mémoire douloureuse de cette femme, ainsi que l'intrusion aban-
donnique que Danielle avait vécue à la suite de la naissance de la soeur psycha-
nalyste et qui avait redoublé dans l'histoire de la fille le trauma politique subi
par la mère. Le transfert sur moi était une résistance à ces deux douleurs, ainsi
que leur perlaboration stagnante. Danielle se plaignait de ne pouvoir « rien "se"
rappeler en paroles ; seulement les images parfois m'évoquent quelque chose de
vrai impossible à mettre en mots, dès que je me mets à en parler, ça se perd ».
« En parler », mettre la douleur psychique et somatique en temps, la sortir du
hors-temps des images : tel me semble avoir été le long travail de la perlabora-
tion muette, avant la « séance Jérusalem » avec le rêve au sujet de la mère en
petite fille. Cette séance-là était en somme une remémoration fulgurante enfin
advenue, la fin — provisoire — de la perlaboration. Danielle a subi, au sens fort
du terme, une intersection entre, d'une part, le temps linéaire accentué par l'agi
de mon voyage et dont on peut parler, et, d'autre part, le hors-temps de sa sym-
biose fille-mère, ouvrant dans ce cas vers une histoire générationnelle trauma-
1040 Julia Kristeva
c) Dissolution du transfert
1.Cf. Analyse avec fin et sans fin (1937) in Résultats, idées, problèmes, II, PUF, 1985.
2. La dynamique du transfert (1912), in La techniquepsychanalytique, PUF, 1953.
Le scandale du hors-temps 1041
Julia Kristeva
76, rue d'Assas
75006 Paris
La belle actualité
Paul DENIS
L'intemporalité de la fugue
L'un de mes patients, dont la vie quotidienne est le plus souvent pénible-
ment vécue, décrit une forme de douleur psychique particulière, ressentie au jour
le jour, liée au sentiment que, si les choses sont à peu près supportables pour lui
au moment présent, il ne peut penser qu'elles pourraient durer : « J'ai une belle
actualité mais je ne me précède pas... »
Il vit au présent, dans un présent intemporel qui m'évoque le déroulement
d'une fugue de son enfance : il fuyait la dépression de sa mère, perdu sur une
plage, sans repères, retrouvé il ne sait comment. Cette fugue, telle que je me
l'imagine aujourd'hui, avait suspendu le déroulement du temps, interrompu les
relations à sa mère, c'est-à-dire aboli momentanémenttout ce qui s'était bâti sur
leur histoire commune, déliant les représentations et les affects, pour investir un
espace où la succession des gestes tenait lieu de temporalité : la belle actualité ou
la permanence de la fugue. Dans les prisons « la belle » désigne l'évasion, l'acte
nécessaire, qui se suffit à lui-même sans exiger d'autre lendemain. L'agir perma-
nent, l'évasion dans l'actualité, abolit la temporalité pour lui substituer l'inves-
tissement de l'espace, et le temps se trouve réduit à l'immédiat instant. Cette
réduction du temps fait partie, pour Camus, du supplice de Sisyphe : «... ce long
effort mesuré par l'espace et le temps sans profondeur... » Chez le patient que je
viens d'évoquer, le surinvestissement de l'actualité était mis en oeuvre en face de
l'angoisse soulevée par la dépression maternelle, et, ultérieurement, dans toute
situation qui faisait revivre une angoisse analogue. Si nous parlons en termes
d'angoisse de mort nous pouvons considérer que celle-ci est d'abord une
angoisse de mort psychique, une angoisse paroxystique liée au risque d'une désor-
ganisation psychique complète. Il faut pour cela que l'angoisse de castration soit
Rev. franç. Psychanal, 4/1995
1046 Paul Denis
1. « La belle actualité » constitue donc, comme le suggère René Diatkine dans ce même numéro,
« un deuxième temps » d'une introjection antécédente.
La belle actualité 1047
1. Dans le cadre même de la cure, la question de l'intemporalité à propos de la durée des analyses
nous conduit aussi à envisager le jeu temporalité/intemporalitéindépendamment de l'opposition cons-
cient/inconscient. Le conseil de Freud de « surmonter progressivement la manière d'être, hors le temps,
...
de l'inconscient, ceci après s'y être une première fois soumis » implique explicitement que l'analyste se
soumette dans un premier temps au moins à cette intemporalité, seule façon, finalement de gagner du
temps. Donnée en une époque d'activisme thérapeutique et d'illusions interprétatives, cette règle semble
bien être devenue aujourd'hui, dans nombre de cas, un alibi pour des cures interminables. C'est sans
doute à de tels cas que pensait Ferenczi lorsqu'il écrivait, dans « Le problème de la fin de l'analyse » : « Je
ne veux pas dire par là qu'il n'y ait pas des cas [d'analyse] où les patients abusent abondamment de cette
intemporalité ou absence de terme. »
La belle actualité 1049
1. Telle que la définit Freud dans « L'inconscient » : « Les processus du système les sont atemporels,
c'est-à-dire qu'ils ne sont pas ordonnés temporellement, ne se voient pas modifiés par le temps qui
s'écoule, n'ont absolument aucune relation au temps. La relation temporelle, elle aussi, est rattachée au
travail du système Cs. »
1050 Paul Denis
L'inconscient temporel
Dans l'une de ses nouvelles O'Henry raconte une histoire que l'on peut
résumer ainsi : une fillette tombe malade, son père va chercher le médecin mais
ne revient pas, la fillette guérit, grandit, se marie ; elle a une petite fille qui, un
jour, tombe malade ; il faudrait aller chercher le médecin dit quelqu'un ; la porte
s'ouvre et le grand-père disparu apparaît disant : « Excusez-moi d'avoir été si
long mais j'ai attendu un tramway qui n'en finissait pas d'arriver. » Jouer
implique la mise en présence de deux systèmes de temporalité, ici nous sourions
d'un jeu de temps, comme il y a des jeux de mots ; cette histoire est fondée sur
l'entrelacs d'éléments temporels de différents niveaux : temps affectif de l'attente
et de la séparation, temps désaffectivé des horaires de tramway, temps fondé sur
la différence des générations et la perspective de la mort, et intemporalité de l'in-
conscient telle que Freud l'évoque : « Bornons-nous donc à formuler qu'en ce
qui concerne la vie psychique, la conservation du passé est plutôt la règle qu'une
étrange exception. » L'inconscient joue du temps.
Chez Freud nous constatons des formulations contradictoires en ce qui
concerne la temporalité dans l'inconscient. Il insiste à différents moments sur
l'atemporalité de l'inconscient et, à d'autres moments, sur la conservation d'élé-
ments chronologiques, « chaîne entière de souvenirs pathogènes » reproduite
« en une succession chronologique, et ceci à rebours »1, ou encore, en 1895 dans
« Psychothérapie de l'hystérie » : « Tout se passe comme si on dépouillait des
archives tenues dans un ordre parfait. » C'est à propos du souvenir écran que
Freud introduit un bouleversementd'importance de la temporalité : « Nos sou-
venirs d'enfance nous montrent les premières années de notre vie non comme
elles étaient mais comme elles sont apparues à des époques ultérieures d'évoca-
tion ; (...) c'est alors qu'ils ont été formés et toute une série de motifs, dont la
vérité historique est le dernier des soucis, ont influencé cette formation aussi bien
que le choix des souvenirs ». Freud démontre, en fait, la construction d'une tem-
poralité nouvelle, en décrivant une recatégorisation des souvenirs. Il y a donc
bien des éléments de temporalité inscrits dans l'inconscient. Lorsque Freud
explique que « les hystériques souffrent de réminiscences », il évoque des monu-
ments commémoratifs, Charing Cross, The Monument, avançant ainsi l'idée
que la temporalité de l'inconscient est fondée sur des éléments ayant une valeur
« commémorative » ; il évoque la commémoration de traumatismes mais le
raisonnement vaut aussi pour les victoires et les accomplissements... «... parce
qu'ils [les hystériques] se souviennent des expériences douloureuses qu'ils ont
faites longtemps auparavant, mais parce qu'ils restent attachés à elles par leurs
affects ; ils n'arrivent pas à se libérer du passé et négligent pour lui la réalité et le
présent. Cette fixation de la vie psychique aux traumatismes pathogènes est un
des caractères les plus importants de la névrose, des plus significatifs sur le plan
pratique. » La formulation de Freud par leurs affects, est, pensons-nous, un
point essentiel pour aborder les jeux de l'atemporalité et de la temporalité dans
l'inconscient. Nous pouvons en suivant Freud admettre que les éléments d'une
sorte d'indexation temporelle existent donc dans l'inconscient et que celle-ci est
liée au rôle des affects. Giraudoux (dans Siegfried) oppose le « coeur allemand au
coeur français » (!) lequel « comme un réveil matin sonne à chaque émotion »...
Un propos de Freud, transcrit par Rank nous invite à réfléchir sur le rapport des
éléments temporels et spatiaux : « Quand les philosophes affirment que les notions
de temps et d'espace sont des formes nécessaires de notre pensée, une prémonition
nous dit que l'individu maîtrise le monde à partir de deux systèmes, dont l'un tra-
vaille seulement sur le mode temporel, l'autre seulement sur le mode spatial. »1
L'opposition de deux systèmes l'un purement temporel, l'autre purement spatial
ne peut s'appliquer, dans son schématisme qui reflète un instant dans une discus-
sion, à l'opposition Conscient/Inconscient, mais la « prémonition » de Freud
suggère d'envisager deux dimensions au temps lui-même, l'une « spatiale », sen-
sorielle et motrice, en emprise, succession d'instants, l'autre qui introduit la
durée et que nous relions au destin des affects et au registre de la satisfaction.
Nous faisons l'hypothèse que, dans l'opposition emprise/satisfaction, dans l'éla-
boration des deux composantes de la pulsion [P. Denis, 1992], les investisse-
ments en emprise s'inscriraient dans une temporalité purement spatiale, dans
une successivité immédiate, tandis que les investissements « en satisfaction »
seraient purement atemporels, la satisfaction ramenant au temps zéro ; les affects
viendraient donner la mesure de la durée. C'est le lien affect/représentation qui
donnerait corps au déroulement temporel ; l'affect modulé par la présence ou
l'absence de l'objet s'intrique avec l'exercice des activités d'emprise sur l'objet,
liées au désir, à l'attente. Ecoutons par exemple cette patiente qui souffre d'une
véritable phobie de l'affect et s'organise surtout dans le comportement : « Je
n'aime pas attendre, j'ai besoin de quelque chose d'immédiat, la musique clas-
sique par exemple, je ne peux pas, c'est trop long ; en musique il me faut du rock,
en fait plus de bruit... » L'attente est pour elle liée à l'affect. L'affectophobie
cherche à éliminer l'attente, les préliminaires et leur tension affective, l'action liée
à des représentations, affectivement chargée, pour rechercher l'immédiateté,
l'acte dépouillé de l'affect.
Le temps ne s'écoule pas de la même façon en présence ou en l'absence de
l'être aimé, le temps de l'échange amoureux, de la proximité, n'est pas celui de la
séparation, de la solitude, de l'auto-érotisme, ni celui du deuil. L'affect des
retrouvailles joue un rôle majeur dans l'organisation des indicateurs du temps.
L'éternité qu'elle soit bienheureuse ou infernale abolit la séparation. « L'enfer
c'est les autres », dans Huis clos, les retrouvailles sont exclues : l'éternité de l'en-
fer est indiquée par l'impossibilité de se quitter, ne serait-ce que des yeux, les per-
sonnages n'ont pas de paupières. Le mouvement d'appropriation d'un objet du
monde extérieur lierait ainsi temps et espace, de là naîtraient les représentations
toutes spatiales du temps : disparition et réapparition, mouvement des astres,
déplacement d'une ombre sur un cadran solaire, mouvement d'une aiguille sur
conscient des indices, qui permettent d'en retrouver la trace. Comme l'écrit
Dominique Scarfone : « Dans le Pcs, lors du refoulement secondaire, se sculptent
les pierres tombales qui désignent l'enterrement et en marquent la date » [D. Scar-
fone, 1990].
Le jeu respectif des deux systèmes Conscient et Inconscient n'est possible
que s'ils comportent chacun des éléments spatiaux et temporels ; marqueurs tem-
porels des représentations, monuments ou pierres tombales, figurations, condui-
sant à une sorte d'indexation temporelle des représentations ; la temporalité affec-
tive s'établit dans le lien affect représentation.
La temporalité recomposée
1. Ce n'est que très récemment que l'unité de distance a été officiellementdéfinie par rapport à une
durée : distance parcourue par la lumière en telle fraction de seconde.
2. J.-L. Borgès, Nouvelle réfutation du temps.
La belle actualité 1057
BIBLIOGRAPHIE
Denis P. (1992), Emprise et théorie des pulsions, Revue française de psychanalyse, LVII,
numéro spécial Congrès 1992.
Fain M. (1994), Tout analyser?, Revue française de psychanalyse, LVIII, 4, 1994.
Green A. (1990), Temps et mémoire, Nouvelle Revue de psychanalyse, 41, 1990.
Scarfone D. (1990), Jardins de pierre, Nouvelle Revue de psychanalyse, 41, 1990.
L'intemporel du psychanalyste
Jacques ANGELERGUES
dire représenté en situation. Les intentions ne sont plus annoncées mais mises en
scène, elles se déroulent, sont agies, représentéesplus fortement, pour ce qui est de
l'expression de leurs affects, parce que représentées par des actes, qu'on oppose,
pourtant encore souvent, au travail représentatif. Plus libéré encore des pesanteurs
matérielles, le rêve peut être réalisé comme un conte. L'image est l'ennemie, dit, en
cinéaste, A. S. Labarthe, car elle porte en elle le risque permanent de la trahison
réaliste. On sait bien par toutes les manifestations de l'art, de la scène de l'opéra au
trait si irréel du dessin hyperréaliste — alors pourquoi l'oublier en séance ? — que
réalisme et réalité sont des faux amis.
Quand la séance d'analyse commence et que tout sera pris au sérieux mais
jamais au mot, que rien de ce que le patient dira ne pourra, quoiqu'on en dise
parfois, être utilisé contre lui, le tapis volant décolle. Pour quarante-cinq
minutes, comme Shéhérazade suspendant le bras meurtrier de son époux para-
noïaque, le cadre de la séance tient en respect le poids du temps, dans un allége-
ment aussi immédiat, magique et thérapeutique que celui engendré par le
conteur levant le rideau par le magique « Il était une fois... ». Dans le conte,
comme dans la séance, on pose le tapis volant des associations libres où on veut
dans le temps et on repart aussi facilement pour toute autre destination. Le « Il
était une fois », c'est-à-dire quand on veut, hors du poids imposé par le déroule-
ment, ce qui est pour le moins paradoxal pour aborder le temps, signe cette
liberté intemporelle, gagnée sur le sablier, avec laquelle l' « obscur objet du
désir » est amené par le conteur.
Il va sans dire — donc il faut le répéter — que sur le citoyen-analyste le
sablier pèse autant que pour tout autre mortel, sauf à tomber contre-transféren-
tiellement dans un piège que l'idéalisation transférentielle de nos patients nous
tend. Bien qu'avertis des méfaits du déni de l'agressivité qui se glisse ainsi, en
trouant la réalité, nous pouvons néanmoins, comme tout simple mortel prêt à
vendre son âme au diable, tomber dans ce panneau ; certains paraissent, parfois,
en douter mais il serait indélicat d'y insister.
Au contraire, pour le patient sur le divan, en séance, et pour l'analyste-ana-
lysant, le temps n'est-il pas essentiellement un tempo, un rythme, voire même
une métaphore d'avènement, d'une entrée en scène, comme dans le conte ou
dans... un rêve ? N'est-ce pas de ce privilège rare, le temps d'une séance, que naît
le premier effet thérapeutique, premier jalon de l'accroissement du plaisir du
fonctionnement mental, aurait pu dire Evelyne Kestemberg, sans lequel rien
n'est possible en analyse, qui va soutenir l'alliance thérapeutique en fortifiant le
courage élaboratif de l'un et la vocation de l'autre pour un métier dit impossible.
Peut-être est-ce traiter avec légèreté du redoutable Chronos, mais devons-nous y
renoncer si la chose s'avère possible et utile — thérapeutique — dans certaines
conditions ?
L'intemporel du psychanalyste 1061
Que le temps ait une autre réalité que phénoménologique n'est bien sûr pas
exceptionnel et hors du monde des seules sublimations de l'art et de l'onirisme,
du mythe à l'allégorie et de la légende populaire au livret d'opéra. Il suffit d'évo-
quer le serment amoureux ; pas un amant n'oserait éluder le « toujours » par
égard pour l'objet de sa flamme, et pour reconnaître en lui-même, dans sa
bouche, une langue adaptée à la passion. Ici culmine peut-être le lien entre temps
et affect, souligné par Paul Denis ; mais ce temps-là a-t-il, encore, quelque chose
à voir avec sa phénoménologie la plus secondarisée? Eros est aveugle mais pas
atteint de trouble confuso-démentiel ; il n'ignore pas ce que le complexe de cas-
tration au fil des expériences lui a enseigné sur la temporalité. Le « toujours » de
la passion ne tire pas son sens de la perpétuité ; il n'est pas un déni de la notion
du temps. Le temps « figé » de la psychose — on a rapproché, d'une façon sur-
prenante, parfois, la passion amoureuse de la psychose (Christian David) —
n'est pas non plus une méconnaissance, mais une modalité particulière d'inves-
tissement de ce temps. « Toujours » rime avec intense, enflammé et démesuré,
avec infiniment, pas avec indéfiniment. On sait bien qu'ici « toujours » est l'an-
tonyme, pas le synonyme, de « chronique ».
C'est cet infiniment du désir qui compte dans le rêve, dans l'omnipotence de
l'organisation fantasmatique de la névrose infantile, dans la « fantaisie mastur-
batoire centrale » des Laufer, au travers des avatars du refoulement et de ses
retours. Pour le psychanalyste en séance c'est cette qualité du temps qu'il faut
faire travailler pour faire travailler l'affect, par tous les moyens offerts par la
technique, en particulier en relançant le travail associatifpar l'interprétation qui
n'a que faire du temps qu'une flèche de lit met, en tombant, à influencer la for-
malisation des pensées d'un dormeur.
Paul Denis nous a mis en garde contre une modélisation spatiale du
temps — extrapolation hasardeusement simplificatrice des liens de l'espace et
du temps des physiciens — et il rejoint Daniel Widlöcher qui nous rappelle
que le temps ne peut être valablement assimilé ni aux perles enfilées sur un
collier ni à un puzzle. Dans le chapitre VII de L'interprétation des rêves,
Freud, déjà, s'élevait contre une représentation trop topographique de la
topique et soulignait les différences qualitatives d'investissement entre le
domaine conscient et celui de l'inconscient.
C'est grâce à l'interprétation que la mémoire dégage sa forme, ou que les
affects trouvent progressivement des représentations stables, ce qui veut dire la
même chose et en toute liberté. La priorité donnée aux associations, une fiction,
la métapsychologie, cette sorcière, et le cadre si singulier — dans toute la poly-
sémie de son acception — de la séance rendent possible cet effacement des fron-
tières que Winnicott a qualifié de transitionnel en décrivant ainsi, explicitement,
un nouveau champ d'exercice de la liberté. Cette liberté prise avec les lois de la
1062 Jacques Angelergues
Marie BONNAFÉ 1
1. Je remercie mes patients, car ils portent véritablement pérennité et progrès de la psychanalyse.
Rev. franç. Psychanal, 4/1995
1064 Marie Bonnafé
1. René Diatkine, Plus noire que le bois de ce cadre, Cahiers du Centre Alfred-Binet.
Le passage au temporel 1065
bert a présenté avec une grande pertinence les affres auxquelles s'exposent
patient et analyste dans les cures au-delà de la névrose. Par ces passages ainsi
frayés il ouvre de nouvelles portes sur la problématique de l'intemporalité,
comme toile de fond de tout travail analytique.
Il nous montre bien que nous ne sommes pas en droit de changer pratique
et théorie sans les confronter au matériel de la clinique analytique, comme Freud
le fait à chaque fois tant à la fondation théorique que lorsqu'il doit affiner la
technique analytique. De récents exposés, tels ceux de Gilbert Diatkine et de
Marilia Aisenstein au Colloque sur la Pulsion organisé par la SPP, illustrent avec
rigueur la poursuite d'une telle orientation. Je les évoque ici pour appuyer cette
communication portant sur le point précis d'un travail sur la représentation
dans un cas difficile, car ils mettent l'un et l'autre en relief la subtilité d'une arti-
culation d'un travail, prenant en compte le négatif et l'affect dans l'interpréta-
tion, non abordée par moi dans cette présentation.
Poursuivons donc sur notre cas, avec cette fois un éclairage théorique. On
l'a bien compris, le travail analytique se déroule ici pour l'essentiel dans un
transfert ambivalent, peu mobile en sa massivité, en deçà de la différenciationdu
Moi-Sujet. Nous sommes dans la sphère transitionnelle, donc dans un indéci-
dable du sujet, tant certes du côté du patient que du côté de l'analyste qui doit
lutter contre un envahissement de l'affect. Le repérage de certains éléments for-
mels dans le discours et les propositions plastiques chez de tels patients, et
notamment celles qui se dessinent dans le plan (André Green l'a souligné) per-
mettent de réenclencher, nous l'avons vu chez la patiente, une succession tempo-
relle dans le courant associatif, enrayant l'invasion de l'affect douloureux.
Ces éléments s'inscrivent dans l'expérience vécue entre l'analyste et le
patient, « expérience » tant défendue par Winnicott 1, qui double le fond repré-
sentatif dans un temps où le sujet n'est pas constitué. Dès lors, souligne-t-il,
s'agissant de l'objet transitionnel, la question de l'appartenance à l'un ou à
l'autre — à la mère ou au bébé sans langage — n'a pas à être posée. C'est pour-
quoi l'analyste n'a pas à s'approprier ces prémices de la représentation non
encore inscrits dans l'enchaînement associatif. C'est en tant qu'émergences qu'ils
doivent être repérés et soulignés verbalement, ponctués dans une tonalité
accueillante mais neutre, ou plutôt totalement ouverte, et non interprétative de
la part de l'analyste. « Balancer » alors une interprétation malencontreusement
ajustée, à partir de ces pré-objets ancrés dans la sphère transitionnelle, avant que
le patient n'ait lui-même fait le choix de démarrer son courant associatif dans la
direction qu'il a choisie (en fonction des intensités des affects) peut aller jusqu'à
toire — accédant ainsi enfin comme sujet de sa propre histoire à un jeu avec une
culpabilité énigmatique, sans une nécessaire réponse de talion1.
Shéhérazade avait fait venir sa soeur, future promise auprès du sultan, pour
lui raconter une histoire, et puis une autre, et puis encore une autre... La
patiente, d'abord étonnée par mon intervention, après un temps de réflexion va
dire ensuite, surprise : « Mais j'avais oublié la première femme. Je me souviens
bien qu'il tuait une femme chaque nuit mais je ne me posais pas la question... »
Elle exprime ici une perplexité anxieuse, tonalité bien nouvelle chez elle : enfin la
reconnaissance d'un oubli à caractère névrotique. « Enfin l'impasse, la création
peut dès lors advenir... »
Nous nous taisons, la patiente et moi-même, comme il sied après la lecture
d'un conte... La route qui poudroie s'est ouverte vers une culpabilité oedipienne
— qui certes reste encore au loin, « en horizon d'attente » (Serge Lebovici) —,
et la charrette du rêve a avancé sur le chemin de la grand-mère. Les pages se
tournent, le rêve est resté tel qu'il a été rêvé, tel qu'il s'est inscrit dans le premier
éveil, mais les images de son souvenir se déroulent dans un nouveau déroule-
ment temporel et il revêt en son nouveau masque d'autres caractéristiques for-
melles. Ce sera une autre histoire. Le « monstrueux » peut entrer dans une autre
forme narrative, avec d'autres références dans la culture, transformation et nou-
velle « synthèse des voies obscures du songe et de la lucidité de l'éveil », pour
conclure en bouclant la boucle du jeu du temps et de l'intemporel avec les
paroles du poète, qui ouvraient cette présentation.
Marie Bonnafé
1, rue Théophile-Roussel
75012 Paris
Pierre CHAUVEL
I - Le temps de l'imaginaire
L'intemporel nous attend chaque nuit. Les dragons et les prêles géantes, les
forêts d'enfance, les vivants et les morts ont une présence familière qui ne devient
étrange qu'au réveil, la nostalgie alors nous étreint, c'est-à-dire le désir passé, qui
ne sera jamais assouvi. Tout cela nous le savons bien, « passé, présent et avenir,
traversés par le cordeau du désir », il n'est pas besoin de l'analyse pour le recon-
naître. Sauf lorsque le temps se figure dans le texte du rêve, par exemple, il était
5 heures du soir, c'est le début d'un poème, et nous ne saurons jamaisdans l'imagi-
naire défensif du poète ce qui se cache au-delà de l'oxyde semant cristal et nickel
que l'heure et la mort prodigieuse d'Ignacio Sanchez lui évoquent, car il en reste
aux splendeurs de l'imaginaire, qui montre pour cacher, pour préserver le trésor de
l'enfant perdu et vivant. Nous en savons plus pour l'heuredont parle l'Homme aux
Loups, qui n'est pas en situation de travailler l'imaginaire dans un choix esthé-
tique, mais se trouve dans la nécessité de donner forme et vie à un fonctionnement
symbolique dont il ne sait d'abord rien et dont il continuerait à ne rien savoir s'il
écrivait pour un public inconnu. L'heure permet d'organiser le temps de l'incons-
cient, et la manière dont il vient au jour entre l'analyste et le patient, sans qu'on
puisse déterminer vraiment ce qui vient de l'un ou de l'autre. Nous savons seule-
ment qu'il n'est pas très important de le savoir, et que probablement, certainement
même, la figuration, le temps, l'heure auraient été tout autres avec un autre ana-
lyste, même si la malaria, la scène primitive et quantitéd'autres reconstructions se
seraient probablement ordonnées autour d'un repère temporel, qui est en l'occur-
rence l'horloge de Freud. En d'autres termes, l'intemporel advient dans l'analyse
par ses voies propres (« les choses ont une manière à elles d'arriver », dit Cocteau).
Rev. franç. Psychanal., 4/1995
1072 Pierre Chauvel
Pourtant nous savons aussi que rien n'arriverait, sinon une fascination ima-
ginaire, à valeur de défense mutuelle, si l'analyse ne se déroulait dans un cadre
temporel strict, qui paraît scandaleux à tout un chacun, et même à certains qui
se disent analystes. Le scandale de ces exigences est en effet intolérable aux yeux
de l'enfant merveilleux qui s'est adressé à un analyste dans l'espoir de séduire et
d'abolir toutes limites oedipiennes.
Au début, tout était au début, on le sait trop, au début était l'intemporel.
Mais non, cela ne convient pas, au début il ne pouvait y avoir de négation, on
ne pouvait nier un temps, même dépourvu de toute catégorie, au début le temps
n'existait pas, mais seulement des besoins insatisfaits puis satisfaits, ce qui est le
rythme initial de la pulsion, au début était la pulsion de conservation qui n'était
pas encore celle du moi. Au début était la pulsion de conservation du moi, ou
d'autoconservation, ce qui n'est pas la même chose, pas plus que le narcissisme
ne peut se confondre avec l'auto-érotisme, au début étaient les pulsions d'auto-
conservation et de conservation du moi de la mère, chargées de tout l'érotisme
de ses pulsions érotiques, et de toute la destructivité de ses pulsions de mort, les
unes et les autres s'appuyant, s'étayant sur la « satisfaction » de la pulsion de
conservation. Au début donc était l'autre, et son autre érotique, l'étranger, les
rythmes de l'apparition et de la disparition, de la frustration et refus de la satis-
faction dans le même mouvement qui s'origine du dedans et du dehors, la frus-
tration est le rythme primaire qui englobe aussi l'expérience du jour et de la nuit,
du rêve de la nuit et du jour, comme l'on dit simplement dans la langue de Freud
(Traum ou, Nachtraum, Tagtraum). On rêve dans les deux cas, mais ce n'est pas
le même rêve, ni la même temporalité, le jour ou la nuit.
La frustration, tout commence et finit avec elle, finit surtout si l'on voulait
suivre Heidegger relu par Lacan. Je fais allusion ici à la parenté entre le das Sein
für den Tod et le « désêtre » qui est censé couronner le cours d'une analyse que
l'on tremble de désigner comme « réussie ».
« L'être pour ou vers la mort », selon les traducteurs. Etrange idée de s'ap-
puyer sur un auteur, quel que soit son génie, qui a tellement méconnu son temps
(et que penser s'il ne l'a pas méconnu !), sur un homme si peu féru de psycholo-
gie qu'il écrivait aux alentours de 1927, à propos de l'angoisse : « Cependant les
deux dispositions, la peur et l'angoisse, ne se produisent jamais isolément au
milieu du "courant du vécu", elles disposent au contraire chaque fois à un
entendre, à moins qu'elles ne se déterminent à partir d'un tel entendre. La peur a
son motif dans l'étant du monde ambiant en préoccupation. L'angoisse, quant à
L'être et le temps 1073
D'un autre point de vue, l'accent mis d'une façon exclusive, ou qui tend à le
devenir, sur l'angoisse de séparation au détriment de l'angoisse de castration
entraîne des difficultés théoriques, et aussi nécessairement pratiques. Le dipha-
sisme du développement sexuel, et en conséquence de la temporalité, s'efface, ce
qui oblige à une théorie et une pratique de l'hic et nunc, c'est-à-dire de la « ponc-
tualité » qui, même si l'on ne se réfère pas particulièrement à Hegel, nous pousse
vers la phénoménologie et en tout cas vers la description, l'attachement peut-être
excessif à la textualité. Le risque est aussi de considérer chaque séance comme
une unité condensée et condensante où l'on pourrait dire que tout est contenu,
ici et maintenant, et immédiatement accessible. Si tel est le cas il vaut mieux être
sans désir, c'est bien sûr l'idéal, et sans mémoire. Ce dernier point est non moins
idéal et suppose une séance « idéale ».
En fait deux théories et deux pratiques de l'analyse s'affrontent ici, qui
sont présentes en tout analyste à des degrés divers. Pour les uns, ou pour tous
à certains moments, la nécessité s'impose d'être haut et loin par rapport à la
séance, que l'on voit comme un élément dans le déroulement d'une cure où les
reconstructions prédominent sur les constructions. On reconnaît là le fantasme
de l'archéologue qui était si cher à Freud et qu'il a spirituellement mis en
scène dans Délire et rêves dans la Gradiva. Il suffit de le relire pour se
convaincre du danger d'un tel maniement du temps dans l'intemporel de la
cure. Mais il n'est pas arbitraire de voir dans le texte même le retournement
du fantasme, ou le triomphe final que remporte l'inconscient dans une cure qui
serait menée sous la contrainte fétichique de la découverte à l'identique du
passé. Le fétiche dont le rôle est de boucher le passage au fantasme (délire ou
rêve), fonctionne soudain comme clé permettant l'irruption du passé dans le
présent. C'est alors, si l'on veut, dans le hic et nunc de la rencontre avec la
Gradiva-rediviva, que l'histoire même, ou le passé sans histoire, se manifeste,
se vit plutôt qu'elle se revit.
Inversement, aucune cure ne peut se dérouler comme une succession granu-
laire d'événements séquentiels. Dans la succession des séances, chaque semaine,
le patient apporte la construction de l'analyse, où se projette l'impact des sépa-
rations, des rejets, des traumas liés aux temps de perte d'amour.
Dans un cas la construction-reconstruction s'étend comme une fresque,
avec le risque d'idéalisation du processus spontané, considéré comme suffisant à
assurer le développement. Ce qui correspond à une idéalisation du silence, de la
temporisation, voire de la procrastination.
Dans l'autre cas l'attention est peut-être trop sollicitée par l'actualité de la
séance et l'interprétation forcée de ses contenus. L'historicité peut-elle être ainsi
abolie ? Les conséquences en seraient-elles fâcheuses ?
Sans entrer dans un débat qui a toujours existé dans l'analyse, on peut se
1078 Pierre Chauvel
sion temporelle commande une régression formelle, qui signifie aussi un trouble
profond de la représentation.
Je me limiterai ici à quelques exemples choisis dans ce qui apparaît comme
la banalité même de la clinique analytique et bien plus encore médicale : les lipo-
thymies, les syncopes, bref les situations où une femme, mais tout aussi bien un
homme, quoiqu'on en dise, « tombe dans les pommes ». Cela évoque une situa-
tion plutôt futile, objet du désintérêt médical dès que l'épilepsie ou les troubles
neurologiques et vasculaires organiques sont écartés. J'aurais pu prendre
l'exemple précisément de l'épilepsie, ainsi que le fait Freud. Il convient toutefois
de se souvenir qu'il ne renonce pas à faire de Dostoïevski un hystérique plutôt
qu'un épileptique. Mais je n'ai pas l'intention de m'engager dans l'immense pro-
blème de Phystéro-épilepsie. Les situations que je vais rapporter sont clairement
psychogènes, bien qu'elles ne soient pas clairement hystériques au sens qui a
cours aujourd'hui. Elles le seraient peut-être au sens de l'hystérie de Breuer et
Freud. Il s'agit de troubles évoquant l'inhibition brutale, liée à une modification
critique du fonctionnement qui ne donne pas lieu à des productions psychiques
riches, bien au contraire.
Les pertes de connaissance ne surviennent pas au cours de la séance. Je n'en
ai d'ailleursjamais observé, et tout laisse penser que cela arrive rarement. Je n'ai
donc en vue que des « récits » de perte de connaissance, ce qui les rapproche
encore des rêves, dont nous ne connaissons évidemment jamais que le récit, à
l'exception notable de nos propres rêves. A la réflexion, même dans ce cas, nous
n'en connaissons peut-être que le récit... Les circonstances où elles apparaissent
sont apparemment banales et se présentent comme l'équivalent de restes
diurnes. Les pensées qui s'y rattachent se réduisent à presque rien. Presque rien,
c'est-à-dire, on le perçoit plus tard, toute l'histoire marquée pour une raison ou
une autre d'interdit. Ce presque rien est le fruit d'un déplacement et d'une
condensation extrême, et sans être le « noyau de vérité », il en est la trace. C'est
là une caractéristique du symptôme, la dureté m'en a paru cependant remar-
quable. L'impression qui se dégage du récit, de plus en plus circonstancié, est
que la chute survient au moment d'évocation du roman familial précoce. Par
exemple le patient parle de chutes au cours de ses premières années, il tombait
comme le père est tombé dans la première enfance du patient, puis plus rien n'en
est dit, les raisons en apparaissent puis disparaissent. L'analyste subit les infor-
mations retenues, les allusions insaisissables que l'enfant recevait lui-même. Il
n'y a pas de pertes de connaissance au cours de l'analyse, mais des syncopes du
discours ou de la pensée, des chutes internes en quelque sorte. Le fil associatif se
rompt brusquement, puis reprend sur autre chose. L'essai de renouer le lien avec
ce qui était évoqué, éventuellement avec une grande force suggestive, est vain. Le
patient ne se souvient plus, ce que l'on vient de lui rappeler ne signifie rien.
1080 Pierre Chauvel
Dans un autre cas, au cours d'un psychodrame, un jeune homme exhibe son
bras bandé : il vient de tomber de sa mobylette, à l'arrêt. Ce n'est rien, il est
tombé dans les pommes, ça lui arrive souvent, mais il n'avait pas trouvé de rai-
son d'en parler. Par contre il était question de son premier père, pas papa,
l'autre, dont il ne veut plus entendre parler. Maman est enceinte, quel bonheur.
Et de jouer avec une conviction bien naturelle le bonheur d'attendre un frère, un
demi-frère. Il s'attribue d'ailleurs le rôle de maman, du moins nous pouvons le
reconnaître dans ce rôle. Tout cela est magnifique. La chute ouvre d'autres hori-
zons, mais aussitôt il estime que l'on pourrait arrêter le jeu, tout va si bien...
On pourrait trouver bien d'autres exemples, où la chute laisse apercevoir
une ouverture possible sur le refoulé, mais constitue en réalité une fermeture effi-
cace, particulière par le fait qu'elle figure le processus psychique lui-même, c'est-
à-dire que ce qui est évoqué s'évanouit dans le moment même de son évocation.
De telles « crises » sont classiquement considérées comme des actes mimant une
scène de séduction ou un orgasme, et sont de ce point de vue l'équivalent d'un
rêve typique dont l'interprétation peut se faire sans recourir aux associations du
patient. Ce qui est appréciable lorsque justement elles manquent, sauf chez
l'analyste.
Winnicott avait proposé le terme d'orgasme du moi, qui semble convenir à
une telle situation économique apparemment régie plutôt par le principe de nir-
vâna que par le principe de plaisir au sens strict. En tout cas l'on pense aux
conséquences d'une excitation trop forte survenue trop tôt.
Dans un autre cas, une patiente parle des chutes très fréquentes qui sont
survenues dans l'enfance et l'âge adulte. Si aujourd'hui les syncopes ne laissent
pas le public indifférent, apparemment cela n'intéressait personne au cours de
l'enfance. D'ailleurs elle était en général l'objet d'une grande inattention. Pour-
tant on l'accusait de beaucoup de méfaits, elle qui cherchait tant à passer ina-
perçue. Elle y parvenait pour l'essentiel de sa personnalité. Il y avait eu un acci-
dent grave, et sans que l'on voie très bien pourquoi, il était admis que c'était sa
faute. Plus tard un accident du même genre se répète sur l'un de ses enfants.
Mais c'est le hasard. Il y avait aussi une histoire de séduction, ses parents certes
n'étaient pas complices, mais ils auraient bien dû remarquer quelque chose. Bref
des répétitions traumatiques, accablantes, dans une solitude sans recours. Elle se
sentait totalement méconnue dans ses désirs, son souhait qu'on s'occupe d'elle.
Ou au moins autrement qu'en se moquant d'elle. Alors elle s'enfermait dans les
w.-c, le paradis des enfants seuls, et tombait dans les pommes. Personne ne
savait rien.
Au cours des séances, la syncope est interne. Elle parle, et soudain elle s'ar-
rête, parle d'autre chose. Ce qui était avant est effacé. Au besoin elle oublie une
séance. Ça tombe dans les oubliettes. Puis elle rejaillit, primesautière. Ce qui
L'être et le temps 1081
aurait pu être un mouvement dépressif s'est apparemment annulé dans une syn-
cope de la pensée. On a l'impression d'une gestion a minima de la défense. C'est
évidemment plus que cela. Ce n'est pas une chute dans le refoulement, ou alors
ce serait une chute très profonde. En fait l'objet semble s'évanouir en même
temps qu'elle, l'objet interne ou la représentation. Un point de vue optimiste
admettrait que c'est pour mieux garder l'objet évanescent, mais je n'ai pas l'im-
pression que le lien avec l'objet résiste mieux que l'objet lui-même. Un autre
abord amène à penser à une chute dans l'intemporel, où s'engloutit l'histoire,
lorsqu'elle prend un tour menaçant, non à cause d'un conflit oedipien, de fan-
tasmes d'amour et de meurtre, mais à cause d'une histoire réelle ou au moins
psychiquement très réelle d'inceste et de meurtre, d'accusation contre la patiente
enfant, ou un de ses parents. Tout cela chute comme par une trappe dans l'oubli
et ne ressortira éventuellement que sous une forme encore plus déguisée, éven-
tuellement par une expression somatique.
Dans ces événements psychiques, hors du temps, l'histoire que l'enfant a
connue, devinée tout en refusant de la reconnaître, doit être désinvestied'urgence.
Cela va d'un registre le plus souvent névrotique à une tonalité presque psycho-
tique. Bref ce sont, dans mon expérience, des cas limites, en tout cas les limites du
supportable ou du concevable sont atteintes, les limites du retour du refoulé. Il
serait plus exact de parler des limites de la représentabilité, de la mise en perspec-
tive dans une histoire, fût-elle mythique. La seule histoire possible est alors une his-
toire pleine de trous, et comme le dit le poète, qui sait fixer des vertiges, seul appa-
raît le masque d'un tyran, et pour ce que j'en connais, d'un tyran déchu.
En suivant Freud, et l'on s'égare peu à le faire, au moins on y trouve tou-
jours à penser, je me dis que « j'ai essayé de traduire dans la langue de notre
pensée normale ce qui doit être, en réalité, un processus non conscient ou pré-
conscient ayant lieu entre des quanta d'énergie sur un substrat que l'on ne peut
se représenter ». Qu'est-ce à dire ? sinon la confirmation qu'il s'agit d'un proces-
sus où l'économique est en jeu de façon massive, où la régression temporelle
dépasse les limites de la représentabilité, à moins que l'on imagine la représenta-
tion de chose, avant toute figuration, sous la forme de quanta d'énergie. Quant
au substrat que l'on ne peut représenter, on peut penser qu'il se présentera plus
tard sous la forme du roc d'origine. Bref il s'agit d'un fond, le fond de la forme
et du temps, que l'on atteint à travers toutes les couches du psychique.
Mais le temps acquis ne se perd jamais. Freud, on s'en souvient, perdait
aussi connaissance presque dans les bras de Jung, en qui il refusait pourtant de
reconnaître une des figures du passé (il est vrai que, avec « Jung », ce n'est pas
aisé, on a pu cependant considérer cette scène comme un avatar singulier du
couple de Lear et Cordélia). Ceci est arrivé deux fois, et la « Correspondance »
avec Binswanger le rappelle, à Munich, que l'on appelle aussi Monaco, en ita-
1082 Pierre Chauvel
lien. W. Granoff y entend l'écho de Monica, ce qui ouvre une autre direction,
peut-être pas si divergente qu'il semble. Cependant, ici encore, la condensation
des identifications est extrême, dans un instant apparemment sans image, qui
équivaut à un rêve sans développement, ou sans travail.
Conclusion
Anne DENIS
Au cours d'une analyse, il peut apparaître une série d'états différents mais
qui ont tous en commun un même caractère d'atemporalité : moments trauma-
tiques, hallucinatoires, persécutoires, psychosomatiques ; sans compter la nostal-
gie et la toxicomanie. Ces états sont de durée variable : de quelques mois à quel-
ques (longues) années dans les deux derniers exemples. Dans tous ces cas il n'y a
pas de présent ; le passé se présentifie sans se représenter ; il n'y a donc pas non
plus de passé et, bien entendu pas de futur.
Parler d'états permet d'envisager le fonctionnement psychique comme une
multiplicité possible de couleurs diverses qui peuvent apparaître à des moments
successifs de l'analyse
— qui apparaissent d'ailleurs si on le permet — alors que
la notion de structure installe l'idée illusoire de l'unité d'un fonctionnement
typique en référence avec un modèle qui risque de devenir un système ; on ne
voit plus alors que ce qu'on doit voir.
Ces états atemporels sont, à notre avis, des émergences d'états traumatiques
infantiles ; ils se caractérisent par la répétition et la reproduction (reviviscence
sans remémoration) ; ils sont Au-delà de l'intemporel des processus inconscients
qui supposent une temporalité.
Cette atemporalité se manifeste dans l'analyse par la répétition et le ressasse-
ment (on est dans un éternel présent du même) et, en dehors de l'analyse, par des
plaintes sur l'absence d'un temps propre : le temps ne passe pas ou il est envahi par
des obligations persécutoires (souvent, le métier) ; le patient n'a pas le temps.
On peut aussi évoquer ici, avec Freud, un masochisme primaire et le fait est
que l'absence de plaisir y est radicale. Faut-il alors envisager ces états comme
résurgence d'une époque « plus primitive » que celle de la domination du principe
de plaisir ? De pulsion de mort non « combattuepar des facteurs extérieurs » ? Sans
doute. Mais les facteurs extérieurs ce sont les objets et il arrive un moment où on
s'aperçoit que l'objet a perdu sa forme humaine ; il est figuré comme chose : c'est
un objet inanimé, déshumanisé. L'objet inanimé, sans anima, c'est-à-dire sans
souffle (métonymie de la vie), et sans âme, se présentifie donc à un moment de
l'analyse... et le processus analytique s'arrête. Soudain, des plaintes répétitives sur
la dureté de l'oreiller du divan avec des réactions psychosomatiques de douleur qui
1086 Anne Denis
Eros, la force qui lie, établit ainsi une liaison entre l' autos et le monde, grâce
à la mise en forme rythmique de la pulsion (Repräsentanz) : l'attente de sens
ainsi réalisée par l'objet assure l'autoperception erotique et, par voie centrifuge,
une perception du monde de qualité non consciente : « aperception », « illu-
sion » perceptive au sens de Winnicott, ou « foi perceptive » au sens de Merleau-
Ponty. Aussi Kant avait-il sans doute raison en posant un temps originaire
infini, forme a priori de la sensibilité. La temporalité psychique est la forme don-
née d'une aperception non dichotomisée : limitations, séparations, différencia-
tions n'auront de sens que sur ce fonds originaire. « On the seashore of endless
worlds, children play. »2 Sinon, ils ne jouent pas.
1. W. R. Bion, Cogitations, Karnac Books, 1992, p. 372. Si Bion répète que la sensorialité du lan-
gage ne peut convenir à la réalité psychique, d'autres (Kojève) disent que la représentation de mot est
d'emblée abstraite et généralisante, et d'autres encore (Merleau-Ponty)que « le langage n'est pas au ser-
vice du sens et ne gouverne pas le sens ».
2. Winnicottcitant Tagore, Jeu et réalité, Gallimard, 1971, p. 132.
1090 Anne Denis
1. Les auteurs auxquels je me réfère sont : Augustin, Blanchot, Cortazar, Desanti, Kant, Pascal,
Valéry.
2. Gershom G. Scholem, La Kabale et sa symbolique, Petite Bibliothèque Payot, 1980, p. 182.
Le présent 1091
sans laquelle le langage n'a pas de sens, s'accompagne d'une liaison entre la tem-
poralité et le temps linéaire grâce à laquelle la représentation du temps acquiert
le vif paradoxal d'un temps infini marqué de fïnitude.
L'aperception temporelle comme présence à soi et au monde, et la représen-
tation du temps linéaire tressées dans les histoires qu'on nous a racontées (sou-
vent horribles mais toujours mises au bien) sont présentes dans la structure nar-
rative. La psychanalyse, qui conjugue le temps infini de l'attention flottante et le
temps fini de l'analyse et du cadre, trouve probablement une grande partie de
son improbable efficacité (efficace si improbable) dans le fait qu'on y raconte des
histoires parfois horribles et parfois mises au bien après des années de patience.
Anne Denis
rue des Vennes, 386
4020 Liège, Belgique
BIBLIOGRAPHIE
François DUPARC
La haine du désir
Pour l'hystérique, l'obsessionnel, ou même le phobique, le temps ne va pas
de soi. Le premier, qui souffre de réminiscences, a des accrocs à sa mémoire, où
le temps subjectif du trauma, de l'affect et du rêve l'emporte sur le temps objectif
extérieur de l'histoire. Le second, au contraire, vise à la maîtrise absolue du
temps dont il accepte le passage mais à condition que celui-ci soit contrôlé,
enfermé en des rituels, des manuels et des modes d'emploi. Le phobique, enfin,
souffre d'une temporalité à deux temps, avec des à-coups brusques au voisinage
des objets : accélération et recul, immobilisation et bondissement. Mais tous ces
sujets, s'ils sont de bons névrosés, souffrent le temps et le désir.
Ce n'est pas le cas des psychotiques et des sujets qui s'en rapprochent (les
fétichistes, les pervers, certaines formes de masochisme), ni de tous ceux qui
vivent de façon prédominante dans l'actualité de l'agir (toxicomanes, délin-
quants : acting out, sujets maniaco-dépressifs et psychosomatiques : acting in).
Ceux-ci, au contraire, s'emploient à réduire le temps à l'extrême, voire même à
le détruire, atteignant ainsi la substance même du désir.
Prenons le cas extrême de la psychose paranoïde : selon P.-C. Racamier, il
n'y manque jamais un fantasme destructeur de fantasmes, celui de l'auto-engen-
drement (Antoedipe). Ce fantasme dénie que le sujet puisse être le fruit de ses ori-
1. Je renvoie pour toutes ces notions aux travaux de P.-C. Racamier, un des grands théoriciens de la
psychose, dont l'oeuvre a fait l'objet récemment d'un colloque à Annecy (avril 1995), qui sera prochaine-
ment publié. En ce qui concerne la schizophrénieet les notions d'auto-engendrement,d'Antoedipe, d'in-
cestuel, de deuils expulsés et de séduction narcissique, on peut se reporter à son travail sur Les schizo-
phrènes (1976), et à son dernier livre ; Le génie des origines (1992), Payot.
2. J.-L. Servan-Schreiber (1983).
Les contempteurs du temps 1095
Green, mais en insistant sur leur potentiel pathogène) et que d'autres ont bapti-
sés parfois « événements psychiques blancs » ou « expériences délirantes pri-
maires », certains sujets s'attachent à isoler l'instant pour en faire le lieu d'une
suppression des catégories temporelles, et d'un « télescopage des représenta-
tions ». Il s'agit alors à nouveau d'une stratégie, plus perverse que psychotique,
cette fois. Mais de quelle façon exacte opèrent ces stratégies ?
nous l'avons aperçue dans la citation d'Angelus Silesius placée en exergue de cet
article. En effet, selon la philosophie gnostique du Pèlerin chérubinique, il s'agit
pour l'homme de se détacher du temps terrestre, celui de l'attente et du désir, et
de viser à l'éternité. Pour ce faire, le sujet doit regarder vers le ciel, considérer
l'existencehumaine comme sans intérêt, accepter la mort comme une délivrance,
et rechercher l'indifférence. « L'indifférence. Pour moi, tout est pareil : espace et
point, temps et éternité, nuit et jour, joie et souffrance » (I. 190). On reconnaît là
une orientation proche des grandes philosophies orientales : vedanta, boud-
dhisme et taoïsme1. Mais surtout, on comprend bien dans ce passage que le
moyen proposé pour atteindre à l'intemporalité est la suppression des catégories
perceptives, notamment celles entre la joie et la souffrance, ce qui conduit à l'in-
différence (et à un retour au narcissisme primaire, selon Freud).
Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être mystique ou adepte de philosophies
orientales pour être fasciné par la destruction du temps et du désir : le poète Jean
Tardieu, récemment décédé, et sans doute un des plus grands poètes de la fin du
siècle, se situe plutôt dans le prolongement de la philosophie de l'absurde. A côté
de ses remarquables poèmes sur l'inquiétante étrangeté, l'hallucination négative
et la dépersonnalisation2, on trouve dans son oeuvre de nombreux passages
décrivant l'annihilation du temps. Dans un de ses poèmes les plus célèbres,
Monsieur-monsieur, le poète décrit deux doubles assis en face à face dans un
train, l'un dans le sens de la marche, et l'autre en sens inverse. Chacun bien
entendu voit la vie s'écouler en sens contraire. Ils finiront, au fil d'un dialogue de
fous, par se mettre d'accord. Mieux qu'un indicatif présent, ils proposent, pour
annuler la différence entre passé et avenir, un « indicatif-néant » (J. Tardieu,
1951). Ainsi, « ce qui est contradictoire devient le même : le mouvement et l'im-
mobilité, la durée et l'instant » (J. Tardieu, 1983).
Bien entendu, il faut se garder d'extrapoler à partir d'une doctrine philoso-
phique ou d'une oeuvre littéraire, et d'en induire une pathologie. Il faut en effet
admettre l'utilité de suspensions temporaires de la temporalité, qui sont une
fonction des processus tertiaires du Moi (articulant les processus conscients à la
conscience, comme l'énonce A. Green) à l'oeuvre dans le rêve ou dans la régres-
sion formelle de la pensée. Je pense d'ailleurs que tout affect intense est accom-
pagné d'un certain vécu d'atemporalité, comme l'ont évoqué J. Gillibert et
P. Denis. Dans ce mode transitoire, l'ambiguïté entre le mode atemporel de
1. Pour le taoïsme, la quête de l'immortalité, dont l'extase est une première approche, est réalisée par
l'intégration des contraires, la rétention du souffle et du désir. Pour le bouddhisme, l'origine de la souf-
france est dans le désir, et le nirvana consiste, à travers diverses étapes de renoncement à la joie et à la
douleur, à atteindre l'indifférence suprême. Dans cet état, l'éveillé parvient à la destruction des cycles tem-
porels de la réincarnation, et à la suppression du temps. Cf. M. Eliade (1980).
2. Je renvoie à l'article d'Anne Clancier, pour ceux qui voudraient en savoir plus sur ce poète.
Les contempteurs du temps 1097
Un figurant de l'atemporel
1.C'est d'ailleurs ce qu'affirme P. C. Racamier, en parlant d'un Antoedipe tempéré, source d'une
ambiguïté féconde (1992).
2. Cf. F. Duparc, Arrêt sur image dans le contre-transfert (1994).
1098 François Duparc
Son vécu affectif, lui, se situait dans un autre secteur de son moi, celui qui
était possédé par les rituels et les vérifications. Or ce vécu, nous l'avons vu, était
porteur de sentiments d'atemporalité et d'étrangeté. Il avait deux comporte-
ments anti-temps caractéristiques : d'une part, les cycles répétitifs de son rituel,
qui annulaient le temps en tentant de supprimer toute différence entre le passé et
l'avenir ; d'autre part, lorsqu'il ne pouvait recourir à ses rituels ou que ceux-ci
atteignaient leurs limites, il était envahi par une émotion blanche, un affect
angoissant et confus, dont il ne pouvait dire s'il s'agissait d'effroi traumatique ou
de plaisir (comme le bruit assourdissant de la batterie de la musique qu'il
aimait). Dans le contre-transfert, ces moments produisaient chez moi la sensa-
tion d'être enfermé dans des moments d'éternité suspendue. Ce n'est que plus
tard que je pus relier ces moments à une longue période de relation symbiotique-
incestueuse qu'il avait vécue avec sa mère, et qu'il avait perdue sans savoir s'il en
était malheureux ou soulagé. Cela ne fut possible qu'en lui faisant prendre cons-
cience du plaisir extrême lié à ces instants, et en les dissociant peu à peu des
angoisses d'anéantissement qui s'y confondaient aussitôt. A la place d'une
confusion des affects, je favorisais ainsi une discrimination des affects, du passé
et du présent, lui permettant de réduire le clivage qu'il avait établi à défaut.
François Duparc
14, rue de la Poste
74000 Annecy
BIBLIOGRAPHIE
Jacques LE BEUF
1. S. Freud, L'interprétationdes rêves, trad. par I. Meyerson, révisée par D. Berger, PUF, 1967 ; dans
la suite : l'IR.
2. P. Haffner (1887), Sommeilet rêves, cité in IR, p. 54, Gesammelte Werke, p. 54.
Rev. franç. Psychanal, 4/1995
1102 Jacques Le Beuf
Quant à l'expression « hors le temps », elle ne paraîtra pas avant 1907, dans
une note de bas de page ajoutée à la Psychopathologie de la vie quotidienne1 ;
mais elle restera peu utilisée.
Dès le commencement...
De la prématurité à l'intemporalité
Dans L'interprétation des rêves, Freud n'utilise donc pas le terme hors le
temps de l'inconscient. Il se contente d'affirmer la chose de bout en bout. Si bien
que le passé se conjugue au présent. Schématiquement, on peut dire que jus-
qu'au chapitre VII, maintes et maintes fois, il est question de l'actualité des
désirs infantiles inconscients et de l'actualité dans l'inconscient du passé préhis-
torique de chacun. « le contenu latent du rêve », dit Freud, « serait lié aux
...
plus anciens événements de notre vie. L'analyse de l'hystérie me permet de mon-
trer que ce passé est resté actuel dans le présent » (IR, p. 193).
Des accents plus incisifs sillonnent le chapitre VII, où d'éloquents syno-
nymes d'intemporalité, indestructibilité, immortels, éternels ( Unzerstörbarkeit et
1106 Jacques Le Beuf
Unsterblischen) sont répétés plusieurs fois pour qualifier les désirs sexuels infan-
tiles. L'idée de leur permanence et de leur retour se renforce de métaphores tirées
de mythes grecs. « ces désirs inconscients », soutient Freud, « partagent ce
...
caractère d'être indestructibles avec tous les autres actes psychiques... qui n'ap-
partiennent qu'au système inconscient... il n'existe pas pour ces actes d'autre
anéantissement que pour les ombres des enfers dans l' Odyssée qui s'éveillent à
une nouvelle vie dès qu'elles ont bu du sang. Les phénomènes qui dépendent du
système préconscient sont destructibles dans un tout autre sens. C'est sur cette
différence que repose la psychothérapie des névroses » (IR, p. 470). Aussitôt, une
variante de cette image, sinon sa répétition, semble préfigurer la contrainte de
répétition pour étayer l'affirmation que le désir représenté dans le rêve est néces-
sairement infantile : « les désirs d'origine infantile de notre inconscient sont
...
comme les Titans de la légende, écrasés depuis l'origine des temps sous les
lourdes masses de montagnes : les tressaillements de leurs membres ébranlent
encore aujourd'hui parfois ces montagnes » (ibid., p. 471, italiques de Freud).
Plus loin, Freud insiste encore sur la répétition : « que l'âme humaine garde
...
d'indompté... le pouvoir démoniaque qui crée le désir du rêve et que nous retrou-
vons dans notre inconscient » (ibid., p. 521 ; GW, p. 619 ; italiques de Freud). Le
« démoniaque » et l' « éternel retour du même » seront associés dans « Au-delà
du principe de plaisir »1.
On croirait que le futur même se conjugue au passé, à lire le fin mot de l'IR,
ou plutôt son mot de la fin sur les rêves prophétiques. En aucun cas le rêve ne
peut révéler l'avenir, seulement le passé. Cependant les rêves prophétiques ne
sont pas totalement faux : en effet, selon le créateur de la psychanalyse, l'avenir
où ces rêves mènent le rêveur est présent pour lui en tant que désir réalisé,
modelé par le désir indestructible, à l'image exacte du passé.
1. S. Freud (1920), Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, PBP, 1963, p. 26; GW,
XIII, p. 20-21.
2. Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, III, 1910-1911,
Gallimard, 1979, trad. de l'allemand par Nina Bakman, p. 292-301.
Au nom du sens, de la prématurité à l'intemporalité 1107
qu'il s'appuie pour mettre en avant « les cinq caractéristiques permettant des
déductions qui dénotent ce système sans temps : 1 / pour les rêves, passé, présent
et avenir ne font qu'un — dans la formation du rêve, et non dans son contenu
conscient ; 2 / la condensation s'y trouve possible ; 3 / l'absence des effets du pas-
sage du temps ; 4 / l'attachement aux objets des pulsions ; 5 / enfin la tendance de
la psychonévrose à se fixer.
Malgré sa position non équivoque sur l'intemporalité de l'inconscient,
Freud ne s'accommoda pas très bien du mot lui-même. Il ne paraît probable-
ment pas beaucoup plus que cinq ou six fois dans son oeuvre. Il complète parfois
ces mentions d'explications sur les caractères négatifs des processus psychiques
inconscients : leur ignorance de la contradiction, de la synthèse, et leur fonction-
nement selon le processus primaire (19071, 19132, 19143, 19154, 19205). Les nom-
breuses références à l'intemporel, élément essentiel de la métapsychologie,
paraissent sous forme de périphrases et de formules descriptives comme dans les
Nouvelles conférences, en 1933, où Freud discute assez longuement de ce thème
pour conclure à nouveau sur « ce fait absolument hors de doute : l'inaltérabilité
du refoulé, qui demeure insensible au temps »6.
Sigmund Freud achève son âge dans l'exil et la détresse physique. Le vieil
homme, pour lui-même, comme d'un oeil neuf, semble redécouvrir que jadis,
c'est encore et toujours maintenant. Dans une note du 16 juin 1938, il évoque
ses découvertes des années 1890 : « Intéressant que des premières expériences,
contrairement à ce qui se passe plus tard, les diverses réactions se conservent
toutes, les réactions contraires naturellement aussi. Au lieu de la décision, qui
serait plus tard l'issue. Explication : faiblesse de la synthèse, conservation du
caractère des processus primaires. »7 Peu après, le 12 juillet, la paléontologie,
le réel des évolutions animale, végétale et géologique, inspirent une nouvelle
métaphore illustrant l'indestructibilité du refoulé pulsionnel qui agit(e)
l'homme. La comparaison renvoie à l'ancienneté préhominienne, par-delà tout
Jacques Le Beuf
42, rue Dauphine
75006 Paris
1. Ibid.
2. S. Freud (1914), Actuelles sur la guerre et la mort, OCPF, XIII, PUF, p. 139.
3. S. Freud (1896), Sur l'étiologie de l'hystérie, OCPF, III, PUF, p. 150.
La fin de l'éternité
Roger PERRON
— ainsi se superposent deux, cinq, dix Histoires. Aucune n'est plus vraie que les
autres, puisque toutes sont constatables concrètement ;
— le Temps est entièrement disponible, à l'infini, dans les deux sens ; et il est
disponible dans un présent purement conventionnel (l'organisme qui gère
tout cela est « hors Temps », mais possède sa propre temporalité) ;
— du coup, le Temps, à perdre sa flèche, perd sa fonction structurante. Le tra-
vail de l'oubli du passé est impossible, l'avenir n'est plus fait d'attentes, d'es-
poirs et de craintes, puisque l'un et l'autre sont à tout instant et intégrale-
ment présents ;
— les gens qui voyagent dans le Temps vieillissent biologiquement comme tout
le monde. Ils se désignent cependant comme « les Eternels », puisqu'ils
gèrent l'Eternité. Mais le vain peuple, lorsqu'il soupçonne leur existence, est
frappé d'une terreur superstitieuse : on les croit immortels... ;
— la différence des générations disparaît : il est banal pour un jeune homme,
lorsqu'il voyage dans le Temps, de rencontrer son arrière-petit-fils plus vieux
que lui, ou sa grand-mère bébé... ;
— le système de pensée et d'action qui ainsi se développe progressivement tend
à devenir ingérable, parce que de plus en plus obsessionnel : d'où, chez cer-
tains, la tentation d'y mettre fin ;
— etc., on voit que tout ceci n'est pas sans résonances pour le psychanalyste...
Mais Asimov, guidé par son flair, va plus loin dans ce qui peut nous intéres-
ser. En particulier en ce qui concerne la différence des sexes et la scène primitive.
Le héros de ce récit est un jeune technicien promis au plus brillant avenir de
programmateur du Temps. Recruté dans une époque pudibonde, il est vierge et
vit dans la pureté d'une sublimation intégrale. Mais on l'envoie procéder à un
ajustement de l'Histoire dans une époque où la sexualité est aussi libre qu'on
peut le concevoir (au prix, bien sûr, de sa désobjectalisation). Il découvre les
délices de la chair... et commence à douter. La différence des sexes va, dès lors,
menacer l'Eternité. Cela commence par la rivalité avec un frère aîné, et continue
par la révolte contre la figure paternelle jusque là révérée, le grand maître dont
il est l'assistant préféré. Ainsi le drame qu'on voulait définitivement forclos res-
surgit-il, avec la double différence des sexes et des générations...
Quant à la scène primitive, elle est figurée par les « Siècles cachés » :
depuis qu'on dispose de la possibilité de voyager dans le Temps, on peut aller
aussi loin qu'on veut dans un avenir infini... sauf pour une période ainsi
dénommée, hermétiquement close aux explorateurs. On ne sait pourquoi ; tout
1112 Roger Perron
au plus peut-on supposer, avec une crainte révérencieuse, que telle est la
volonté d'êtres (humains incompréhensiblement évolués, ou non humains?)
qui se préservent ainsi des curieux et de leurs interventions intempestives. Il
s'avérera, in fine, que la femme aimée par le héros lui a été dépêchée par cette
civilisation cachée, afin de mettre fin à tout cela. C'est ce qui se produira, dans
l'une des solutions possibles du paradoxe classique : les conditions qui avaient
conduit à l'invention de l'exploration temporelle sont modifiées, cette inven-
tion n'est pas faite, tout cela disparaît : c'est la fin de l'Eternité. La double dif-
férence des sexes et des générations restructure le temps ; la vie, l'amour et la
mort reprennent leur cours...
Je n'ai cité cette fable que pour ce qu'elle éveille chez le psychanalyste. Par
ses thèmes : le rôle structurant de la double différence des sexes et des généra-
tions, c'est-à-dire de l'OEdipe, nos interrogations sur la reconstruction de l'his-
toire personnelle, etc. Mais aussi pour illustrer ma métaphore des parenthèses.
M. X... tombe sur mon divan, échappé de sa vie quotidienne, des coups de
téléphone et des fax à donner et à recevoir, des rendez-vous, des plannings, des
décisions à prendre, des choses à faire, de la rivalité avec son patron, des conflits
avec sa femme, des soucis avec son fils à qui il faudrait faire admettre que... La
séance rouvre le temps et restaure le lieu où il échappe à l'univers au faire et où
il peut être. Peut-être va-t-il sommeiller un brin, peut-être va-t-il rêveusement
évoquer des souvenirs fugaces de sons, d'odeurs, de ces couleurs du ciel qui
enchantaient son enfance, peut-être va-t-il s'immerger à nouveau dans ces fleurs
qu'il regarde et qui pour lui sont sa mère... Ainsi s'ouvre la parenthèse. Peut-être
nous tairons-nous ; peut-être échangerons-nous des propos qui semblent déri-
vants, mais témoignent d'un accordage qui échappe aux règles de l'univers du
faire, et sont en résonance avec autre chose, dans un autre temps, où va revenir
et se reconstruire son histoire. Il se peut que cela soit chargé des affects et des
représentations les plus crus, les plus chargés de désir, les plus angoissants, de
tout ce qui ne s'admet jamais dans l'univers ordinaire. Peut-être va-t-il m'inju-
rier, ou me déclarer son désir homosexuel. Mais, lorsque je dirai « bien » pour
marquer la fin de ce temps en enclave, il se lèvera et, comme à l'accoutumée, me
quittera sur un cérémonieux « au revoir Monsieur »... Ainsi se ferme la paren-
thèse. C'était un autre temps dans le temps ordinaire. Demain, après-demain,
nous rouvrirons et refermerons la parenthèse.
Au fil des séances, ainsi se construit un autre temps. Ce n'est pas intempo-
rel, ce n'est pas atemporel. C'est un autre temps. Les questions que nous pou-
vons nous poser à son propos sont directement issues de la pratique quoti-
dienne. Elles ne sont pas du même ordre, je crois, que ce qu'évoque Freud
lorsqu'il dit que « l'inconscient ignore le temps » : il s'agit alors, sur un tout
autre plan, d'une question fondamentale de métapsychologie.
La fin de l'éternité 1113
Denys RIBAS
GENÈSE
Il est une prérogative divine par excellence : exister de tous temps, avant
de créer le temps. Ce paradoxe qui situe d'emblée le croyant hors de la ratio-
nalité me semble d'une profonde vérité... humaine. Je vois dans la Genèse 1 une
description fidèle de la naissance psychique. Autant l'enfant confronté par l'en-
seignement religieux au paradoxe d'un Dieu existant de tout temps qui crée le
temps est pris dans un vacillement angoissant entre sa confiance dans ses pro-
cessus de pensée et sa confiance dans les adultes, autant chacun de nous l'a
personnellement vécu. Notre divin d'avant le temps, notre narcissisme pri-
maire a bien existé génétiquement avant que l'enfant ne crée/trouve le temps.
Un jour s'instaure une temporalité psychique représentée dans le moi. Il fau-
dra du temps pour que l'enfant pousse plus loin ce passé et cet avenir dont il
se dote simultanément, et découvre à la fois qu'il n'a pas toujours existé et
qu'il n'existera pas toujours. J'ai été frappé de ce que les deux le révoltent
autant et pareillement ! Il lui a fallu, au préalable je crois, se doter d'une ori-
gine dans un après-coup qui fonde son identité dans la forme d'un fantasme
originaire, celui de la scène primitive. Il n'est donc pas faux que le sujet y soit
présent comme spectateur et comme metteur en scène. « Après-coup, l'ar-
chaïque » comme le formule joliment André Green, ou pointillés qui séparent
l'origine construite par le sujet et le temps de son avènement à l'historicité
pour Piera Aulagnier.
1. Steven Wainrib a déjà développé ce lien à propos du féminin : Et Dieu créa la femme, in RFP, 57,
spécial Congrès, 1993.
Rev. franç. Psychanal, 4/1995
1116 Denys Ribas
Les pulsions
C'est une atemporalité différente que Freud nous propose là. Impressions
refoulées et processus psychiques défient la cure analytique par leur inaltérabi-
lité : ils résistent au temps. Cependant, quoi de plus temporisé que le refoule-
ment en action, ou que le terme même de processus ? Laissons lâchement de côté
l'extraordinaire complexité du problème des traces, en renvoyant au rapport de
René Roussillon : La métapsychologie des processus et la transitionnalité (1995),
et en rappelant l'hésitation de Freud dans la note d'Inhibition, symptôme et
angoisse mentionnée dans l'argument de ce numéro.
Ce qui nous importe ici, indépendamment de mes hypothèses, est de faire
la différence entre une intemporalité du surgissement permanent de la force
pulsionnelle et l'inaltérabilité de certains processus et des traces. Nous oppo-
sons ainsi la permanence du mouvement et le figé, l'inaltérable. Il me semble
rejoindre là l'opposition que Jean Gillibert fait dans ce numéro entre l'immor-
tel et l'éternel, l'opposition de Jacques Caïn entre le « maintenant » et le
« toujours ».
De même que l'immortalité de nos motions de désirs est une version opti-
miste devant la finitude de notre vie, remarquons combien la résistance de la
trace au temps est moins assurée dans la réalité que pour le ça. Cauchemar de
l'archiviste ou du bibliothécaire, le temps fait tomber en poussière le papier, le
support du film ou du microfilm se détériore, et le codage numérique de l'infor-
matique ne résout en rien le problème du support physique de l'information et
rajoute en plus celui des matériels de lecture qui se périment et disparaissent.
Devons-nous envisager de nous dégager de la métaphore de la cire du bloc
magique et penser qu'en même temps qu'une permanente réécriture après coup
de notre histoire et de notre mémoire dans le moi conscient et inconscient, les
traces, les représentations de choses ne persisteraient dans le ça qu'activement
protégées du temps ? Par un investissement constant ? Par des réinvestissements
successifs? Je ne sais. Mais si chacun de nous est confronté parfois aux faiblesses
de sa mémoire, et si nous savons quel drame psychique est la démence, à
l'échelle de nos vies et de celles de nos patients, c'est le point de vue freudien qui
rend compte de la clinique. C'est bien par l'extraordinaire permanence de cer-
1118 Denys Ribas
Mon propos est d'aller plus loin en articulant à cette polysémie de l'intem-
poralité des propositions, que j'ai déjà détaillées antérieurement, pour en mon-
trer les enjeux psychiques dans la cure.
J'ai en effet relié l'adhésivité au sens que D. Meltzer a donné dans la
pathologie au concept génétique d'Esther Bick — forme primaire d'identifica-
tion, d'identité — avec le moi-idéal. Je choisis ici, à la différence de Freud, de
l'opposer à l'idéal du moi. Le moi-idéal, collage adhésif à un objet idéalisé1, se
distinguant alors de l'introjection d'un objet comme idéal du moi, distance
reconnue, et projet de ressembler avec le temps à l'objet pour lequel l'amour
est assumé. Dans cette acception on voit combien le moi-idéal est hors du
temps — la fusion est réalisée et rien ne doit la menacer —, ce qui m'évoque
les effets délétères du narcissisme pour le sujet et pour sa fonction parentale
qui implique l'acceptation de la succession des générations. A l'opposé, l'idéal
du moi, les idéaux du moi (minuscule et pluriel) peuvent se vivre et se trans-
mettre comme sens donnés à la vie. L'idéalisation de l'objet s'accompagne en
effet obligatoirement de la sublimation de la pulsion dont Freud précise
après 1920 qu'elle n'est possible que par la désintrication pulsionnelle. De la
pulsion de mort est donc libérée, expliquant l'économie du danger mortifère de
cette désobjectalisation si aucun réinvestissement objectai n'est opéré. Le col-
lage adhésif rend alors compte du destin économique de la part libidinale de la
désintrication. Destin narcissique qui n'est plus disponible pour la réintrica-
tion. Ceci justifie ma réticence devant l'Idéal (unique, majuscule) et la tenta-
tion mystique de l'être humain en général, et du psychanalyste en particulier,
fût-il Bion. Pourquoi le mal? interroge A. Green (1990). Dans l'histoire et
l'actualité de l'humanité, la part de pulsion de mort issue de la désintrication
me semble sinistrement illustrée par le nombre d'êtres humains passés de vie à
trépas pour garantir l'éternité de l'Idéal religieux, nationaliste ou politique
avec lequel le fanatique est en identité adhésive.
1. On trouvera dans la conceptionde Pierre Marty sur la névrose de comportementdes éléments qui
confortent ce lien. Il insiste sur la substitutiondu Moi-Idéal au Surmoi, sur la faible épaisseur du précons-
cient, sur le collage à l'objet.
Notes brèves sur l'éternité 1119
1. Conférence à la SPP en juin 1995, à paraître dans le numéro de la RFP sur « La mort dans la vie
psychique ».
1120 Denys Ribas
BIBLIOGRAPHIE
Pérel WILGOWICZ
Les deux partenaires de la cure analytique sont engagés dans une expérience
qui les situerait « hors le temps » l'un et l'autre. Ils se sont installés dans l'espace
et le temps de la cure, à la recherche du temps perdu du patient, doublement
perdu parce que soumis au, et par le, refoulement pulsionnel, qui est insensible à
la temporalité et facteur d'un appauvrissement énergétique. Les processus névro-
tiques en tireraient leurs forces, au détriment de la prise de conscience et de
l'épreuve de réalité.
Le scandale de la psychanalyse consisterait autant dans la redécouverte,
explosive, des conflits et des désirs infantiles, inaltérables, que dans la mobilisa-
tion des résistances qui s'opposent à leur réémergence. Pendant leur traversée
dans les profondeurs, analyste et patient, en doubles, frôlent maintes fois le nau-
frage, exposés qu'ils sont aux effets conjugués des tempêtes, des vents contradic-
toires, des grandes lames de fond, tempérés par quelques précieuses éclaircies.
Rev. franç. Psychanal., 4/1995
1124 Pérel Wilgowicz
Mais, dans ces voyages au long cours, comme dans celui d'OEdipe (aux
pieds percés, ou liés), n'y aurait-il pas un double scandale, lié à la double tempo-
ralité proposée au fils de Laïos, si l'on prend en compte les deux énigmes de la
Sphynge qui portent, la première, sur les trois/âges (le matin, le midi et le soir),
de l'être humain ; la deuxième, sur une circularité temporelle? (« Quelles sont ces
deux soeurs dont l'une engendre l'autre, et la seconde à son tour la première? »
— Soeur/soeur, mère/fille, Nuit/jour).
La première de ces énigmes implique une temporalité qui articule les trois
âges, la différence des sexes et des générations, un espace/temps à trois dimen-
sions, la subjectivité des pulsions et du désir, au-delà de la névrose de destinée.
La deuxième évoque un cycle qui tendrait à aplatir la temporalité de l'individu
par rapport à la suite des générations et à l'engendrement. Cette circularité
n'inscrirait pas tant la répétition des désirs refoulés dans l'intemporalité de l'in-
conscient, les temps de l'après-coup et d'un avenir subjectif, que cette répétition
de l'au-delà du principe de plaisir, dans une répétition à l'identique, un enchaî-
nement mortifère où la temporalité des ascendants, empiétant sur celle d'un des-
cendant, dans un processus vampirique1 réalise un « hors-le-temps/hors l'es-
pace » du sujet.
Cet envahissement « intemporel » (peut-être le terme atemporel convien-
drait-il mieux ici) est lisible chez la patiente de J. Kristeva, qui souffrait de la
souffrance de sa mère, comme chez le petit patient de P. Denis, voué à l'errance
dans une tentative de se dégager de l'emprise2 dépressive de sa mère, d'échapper
au passage à l'acte de ses voeux matricides, qu'il n'est pas apte à élaborer. Le
temps figé et l'espace/temps à deux dimensions décrits par C. Smadja me sem-
blent en être une autre illustration. Cette emprise de l'histoire de la génération
antérieure sur celle de la suivante, cette « revenance » peut aller jusqu'à une
« revenance-en-corps » psychosomatique, ou traumatique, comme dans l'his-
toire de la petite-fille du conte de O'Henry dont le père a disparu. Si le grand-
père réapparaît, c'est que, toujours vivant, il aurait pris la place du père. Il n'y a
pas eu de pierre (blanche) tombale. L'enfant, qui subit les répercussions d'un
déni de la mort, ne peut accéder à sa propre subjectivité.
On sait que les vampires, selon le mythe, n'ont pas de nombril. Le détache-
ment du cordon ombilical suppose la double séparation de la naissance et de la
mort. Jamais totalement élaborées, celles-ci sont réactualisées tout au long de la
cure, et particulièrement en sa phase de terminaison, où se rejouent les voeux
parricides et incestueux, mais aussi matricides et infanticides. Si « Adam est sans
1. P. Wilgowicz, Le vampirisme. De la Dame Blanche au golem. Essai sur la pulsion de mort et sur l'ir-
représentable, Meyzieu, Cesura Lyon Edition, 1992.
2. P. Denis, Emprise et théorie des pulsions, RFP, vol. 56, spécial, 1294/1421, 1992.
Les bornes de la temporalité 1125
nombril » (citation de Borges, rappelée par P. Denis), le premier homme n'en est
pas moins né au nombril du monde, comme dans la plupart des cosmogonies.
Mais la Genèse ne débute qu'en un commencement, par la deuxième lettre de
l'alphabet, le beit de Béréchit, non par l'aleph. D'innombrables commentateurs
se sont employés à développer la place fondamentale du verbe et de la nomina-
tion dans la création de l'humain. Selon certains kabbalistes, Dieu s'est retiré
volontairement, pour laisser la terre à Adam et à la suite des engendrements.
Le scandale, dans la clinique psychanalytique contemporaine, ne serait-il
pas tout autant du côté des pulsions sexuelles et des conflits libidinaux que des
défaillances du narcissisme et de la pesée des traumatismes dans leur dimension
délétère, c'est-à-dire vampirique?
Réveiller les souvenirs, les faire émerger de leur ensevelissement, les exhu-
mer ! Ces métaphores employées pour décrire leur réapparition sont identiques
aux expressions utilisées pour les défunts. Le travail d'écriture de Jensen, dans
La Gradiva1, le travail d'interprétation que nous propose Freud à la lecture de ce
récit « d'une érotomanie fétichiste » illustrent cette démarche parallèle d'exor-
cisme tant vis-à-vis des souvenirs infantiles et des désirs érotiques refoulés de
Norbert Hanold à l'égard de Zoé, sa petite compagne d'autrefois, que vis-à-vis
des parents du jeune homme décédés prématurément.En toile de fond, l'antique
catastrophe collective, due à l'éruption volcanique survenue à Pompeï en
l'an 79. La cité funéraire est le théâtre d'une représentation « bigarrée » : le
héros cherche sa doublure, plusieurs rôles anciens sont en quête, dans l'actuel,
de l'héroïne, sur laquelle sont projetées par Norbert des figures du passé, celle de
Gradiva figée dans la sculpture de pierre, puis descendue et déambulant dans les
ruines avant de s'éloigner, de sa démarche singulière, dans l'Allée des tombeaux,
mais aussi celle de l'ombre d'une mère disparue, comme la Gradiva antique, à
un âge tendre. Jensen se fait le récitant d'une histoire qui se joue au présent, dont
Freud interprète les couches archéologiques dans les rêves et le délire du jeune
homme, voire dans la psyché de l'écrivain. A la fin du voyage thérapeutique
effectué auprès de Zoé, « la vie », N. Hanold semble lui aussi exhumé d'un long
ensevelissement tandis que la jeune fille s'exclame : « Ce qui est étrange, c'est
que quelqu'un doive mourir pour se retrouver en vie. Mais, en archéologie, il
faut nécessairement que les choses se passent ainsi. »
La nouvelle de Jensen mêle des temporalités différentes, depuis celle des
amours infantiles du personnage principal jusqu'à celle, figée, de ses deuils ina-
chevés qui font retour sur le lieu de l'ensevelissement d'une multitude d'êtres
humains, parmi lesquels figurent des femmes et des enfants, mais aussi un couple
d'amoureux demeurés enlacés, comme N. Hanold a peut-être imaginé ses
C'est à un double titre qu'il serait meurtrier de Laïos, roi et époux de Jocaste :
« En se substituant à lui dans l'acte de la génération, et en annulant sa paternité. »
Selon J. Bollack, la première transgression était celle du mariage entre Laïos et
Jocaste, qui ne devaient pas avoir d'enfant. C'est dans la logique du régicide et du
parricide que l'inceste prendrait son sens. L'identificationpolitiquedu héros, cré-
ant un redoublementde Laïos en OEdipe, également roi et époux de Jocaste, aurait
abouti à un double meurtre : du père, et de sa paternité. En s'unissant à Jocaste,
OEdipe tue une deuxième fois son père et abolit la vie de ses enfants, dans une struc-
ture répétitive où il s'autodétruit lui-mêmeet brise la chaîne des générations, en les
superposant. Il est le « légataire de la destruction ». Dans la descendance de Cad-
mos et d'Harmonie, s'est transmise une transgression qui tend vers la reproduction
de l'identique. « La succession temporelle est abolie au détriment de la race qui ne
vit que de cette succession » (J. Bollack).
« Il t'a retrouvé, le temps qui voit tout, et l'acte pourtant
n'était pas volontaire. »
Il siège depuis longtemps, juge du non-mariage,
Enfantant et enfanté.
OEdipe roi (v. 1212-1215).
Pérel Wilgowicz
7, rue des Blancs-Manteaux
75004 Paris
1. R. Kaes, H. Faimberg, M. Enriquez, J.-J. Baranès, Transmission de la vie psychique entre généra-
tions, Paris, Dunod, 1993.
Points de vue
Point technique
dans la théorie classique (Eigen, 1981 ; Fayek, 1981 ; Friedlander, 1991 ; Green,
1975; Hamburg, 1991; Leavy, 1983; Modell, 1984, p. 236-239; Muller, 1989;
Smith, 1990; Spero, 1990, 1992). Les conceptualisations théoriques de Lacan,
provocantes et étrangement inquiétantes — telles que le « péché originel » de la
psychanalyse (1964, p. 12), la « castration de la lettre » (1956e, p. 269; 1977,
p. 65), « l'altérité du soi couvert dans l'Autre » (1970; 1977, p. 49; Wilden,
1981, p. 106), ou encore le « meurtrier et la mort du temps de l'analyste » que
l'on va évoquer ici — sont néanmoins imprégnées de profondes confusions dans
la théorie et la pratique analytiques. En conséquence, il reste un intérêt heuris-
tique et même clinique à passer au crible l' enivre de Lacan et à en glaner les nom-
breuses intuitions lapidaires, y compris celles qui servent en premier lieu à
mettre en scène certains des paradoxes inhérents au travail analytique, qui,
comme l'a si souvent souligné Winnicott (1971), doivent être acceptés, non réso-
lus et respectés.
Un des principaux exemples de difficulté concerne l'institution par Lacan de
la détonnante technique des séances à durée imprévisible et variable. Lacan
cherchait à mettre en scène de manière éloquente l'une des caractéristiques fon-
damentales et paradoxales par essence de la séance d'analyse, qui favorise
l'atemporalité dans une unité de temps. Cependant, son évaluation a fini par
prendre la forme concrète d'une manipulation déstabilisante du cadre analy-
tique, d'un expédient potentiellement despotique, souvent arbitraire, plutôt que
d'un paramètre bona fide. Il est sûr que la durée fixe n'a certainement pas été
conservée uniquement parce qu'un « changement dans la durée de la séance ren-
drait difficile au médecin l'organisation de sa journée » (Wilden, 1981, p. xxv).
Bien plus, pour Lacan le problème essentiel de la durée prévisible, fixe, de la
séance, réside dans le caractère concevable de sa fixité mesurée, et dans l'impor-
tance du cadre temporel à l'intérieur et en elle-même, comme signe de ponctua-
tion symbolique, ces questions méritant d'être constamment prises en considéra-
tion (Gabbard, 1982; Greenson, 1974; Morris, 1989). Il existe cependant une
énorme contradiction interne dans la durée variable instaurée par Lacan et je
vais illustrer cette contradiction à partir de la perspective génétique et de deux
exemples cliniques (à la différence de Lacan).
1956a; Muller et Richardson, 1988). Pour Lacan, le temps est une mesure de
mouvements qui répètent symboliquement la perte d'un objet aimé (Freud,
1895, p. 336, 348). Bien que ce point de vue aille naturellement dans le sens
d'une intégration dans une perspective génétique, ce n'est pas en tant que tel que
le temps frappe Lacan. Lacan est avant tout intéressé par la catégorisation épis-
témique des structures pré- et postlinguistiques. En termes lacaniens, le temps
est un élément de l'ordre Symbolique dans lequel est plongé l'être humain dans
la mesure où le temps constitue l'un des modes d' « attente » (mon expression)
qui permet à la présence de l'absence de s'enregistrer et à la perception humaine
de se constituer. Pourtant dans ces séminaires et même dans un article anté-
rieur (1945), Lacan distingue entre le temps imaginaire (c'est-à-dire le cadre tem-
porel qu'imposent le refoulement et le fantasme névrotiques), qui crée la répéti-
tivité et d'infinies récurrences, apparemment inévitables, et le temps Symbolique
qui contient les structures abstraites nécessaires en dernier ressort pour limiter le
caractère automatique et anhistorique de l'automatisme de répétition.
Pour ce qui est de la technique, Lacan s'est préoccupé de savoir jusqu'à quel
point le cadre thérapeutique — en particulier sa durée fixe et mesurée dans le
temps — est une structure symbolique, donnée, immuable, par opposition à une
création autochtone, accidentelle de l'analyste et du patient au sein des réalités
d'un moment donné, sujette à une modification imprévisible de la part de l'ana-
lyste afin de révéler les significations propres au patient. Dans le Discours de
Rome (1966, p. 236-322), Lacan plaide explicitement pour une durée variable de
la séance d'analyse et pour les séances courtes quand elles sont indiquées. Per-
mettez-moi de souligner, en toute équité, pour Lacan une mise en garde utile
quant à l'utilisation des termes « imprévisible » et « variable » appliqués à la
durée de la séance. Lacan n'avait certainement pas l'intention de voir l'analyste
terminer la séance de manière arbitraire, mais plutôt d'une manière similaire
— bien qu'à une échelle différente —, à celle dont une interprétation, ou un
moment d'insight, paraissent souvent avoir été présentés au patient qui résiste,
ou lui être apparus de manière imprévisible (bien que je pense que la plupart des
analystes ne considéreraient pas cela comme un état de choses idéal). De ce fait,
les patients de Lacan savaient parfaitement et pouvaient prévoir que leurs
séances auraient une durée variable, sans qu'ils puissent toutefois prédire où et
quand la variation se manifesterait ! L'argument de Lacan est que cette ponctua-
tion même de la séance, le fait d'imposer un silence inattendu, une discontinuité,
constitue en soi une intervention analytique ou une interprétation.
Lacan cherche à préserver sous forme brute ou naturelle (Réel), non encore
Symbolisée, le fait paradoxal que, même si l'inconscient ignore le temps, il a
besoin de temps pour se révéler ; et même si ses contenus sont des processus qui
se déroulent dans le temps, ils sont atemporels. De ce fait, le temps du sujet, dit
1134 Moshe Halevi Spero
Lacan, dans la mesure où il ne se révèle qu 'à travers des irrégularités et des lapsus
(1953-1955, liv. I), doit être le seul à arbitrer la durée du traitement et celle de
chaque séance dans le traitement. La suspension prévisible, fixe, des séances, est
« une halte purement chronométrique, et comme telle indifférente à la trame du
discours » (1966, p. 252), une catégorie d'unités de mesure Symboliques, celle
des horloges et des intervalles qui vont à rencontre du rythme des propres
cadres temporels du patient. Le sujet qui fournit la vraie structure de l'analyse
(1966, p. 793) est lui-même structuré comme discontinuité dans le Réel, discon-
tinuité dont les manques, les trous et les glissements de sens doivent être facilités
pour déterminer le déroulement du discours psychanalytique et devenir ses nou-
veaux déterminants (p. 801). Lorsque le langage du sujet fait un lapsus, hésite,
s'interrompt — ce qui arrive nécessairement puisque les composantes Imagi-
naires, Symboliques, ou Symptomatiques du discours frustrent en permanence
les désirs primordiauxdu Réel1, une cale libératrice est insérée entre le vrai soi et
le moi qui s'est formé autour des exigences linguistiques (pour une large part
non transitoire) des autres qui s'imposent au sujet2.
Lacan cherche ainsi à établir une relation isomorphique entre la variabilité de
la notion du temps Imaginaire chez le patient et le caractère substitutifdes percep-
tions Symboliques du temps, d'une part, et les périmètres temporels de la séance,
d'autre part. En cela, il prétend restituer au patient lui-même la structuration de la
séance analytique dont l'irrégularité est pour Lacan cardinale. Mais en réalité,
Lacan attribue aussi à l'analyste la possibilité de se joindre à la création d'une irré-
gularité supplémentaire en allongeant la séance ou en y mettant fin de manière
variable, ce qui subvertit efficacement le patient en introduisant une ponctuation
réelle, non anticipée dans le discours de celui-ci3. Lacan se permet cette licence
parce qu'il considère l'analyste comme un scribe, un témoin, le « maître » de la
Vérité dont le discours du patient est le progrès. Dans la mesure où le sujet finit par
1. Le Réel dans cet exemple indique le monde du plaisir instinctuel et l'Autre maintenant barré ou
absent qui a démissionné en tant que relation concrète et est remplacé par des symboles abstraits et des
intériorisations. Le Réel dans le vocabulairede Lacan ne saurait être confondu avec la « réalité » car cette
dernière est parfaitement connaissable, tandis que le Réel est « impossible ». Le Réel peut être conceptua-
lisé comme l'expérience vécue brute des objets, incomplètement révélés au cours du moment initial de
contact, avant même la pensée par images de l'Imaginaire et les abstractions linguistiques du Symbolique
qui, à leur tour, contribuent à créer la « réalité » (Jameson, 1977, p. 383-387).
2. Comment ledit vrai self peut-il être communiqué si ce n'est inévitablement par le langage? D'au-
tres ont relevé ce dilemme (Hamburg, 1991 ; Ragland-Sullivan, 1986). Lacan peut être assisté par des
recherches contemporaines en matière de relations d'objet sur les modes de communicationprimitifs (par
exemple l'identification projective) qui traverse largement les canaux paraverbaux et qui semble capable
de transmettre même des états préreprésentationnels(Bollas, 1987, 1989; Ogden, 1982).
3. Comparer le commentairede Lacan « C'est la reconstruction analytique que le sujet doit authen-
tifier. C'est à l'aide de vides que le souvenir doit être revécu » (1953-1954, liv. I, p. 80) avec l'interpréta-
tion symbolique de Freud que l'on cite rarement à propos des lacunes du matériel dans les récits de rêve
(1900, p. 286).
Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance variable 1135
1. Mes italiques.
1136 Moshe Halevi Spero
arrive à s'identifier au maître, ce qui constitue une illusion et une aliénation, et ainsi
il meurt des morts répétées. En termes de temps existentiel, le patient en tant
qu'esclave remplace le futur vécu par un monde éthéré de rêverie diurne qui n'a
pas de racines temporelles dans le passé ou le présent psychologiquement perti-
nents (comme dans le cas d'Ellen Wes [Binswanger, 1944], qui a fini par se suici-
der). Lacan cherche ainsi à empêcher une telle servilité en éradiquant les repères
temporels mortifiants, fiables mais décevants, et à révéler les modèles temporels
du vrai soi.
Un cadre temporel fixe encourage-t-il ce dialogue pathologique ou faux,
comme le décrit Lacan, ou bien en réalité met-il au jour ces tendances de sorte
que le sens du temps chez le patient puisse être examiné ? Y a-t-il une contradic-
tion immédiate et évidente à promulguer au rang de symboles des actes de ponc-
tuation temporelle imprévisibles, dans un contexte où l'on essaie par ailleurs de
convertir le désir en langage ? Je ne chercherai pas à répondre à cette question de
manière didactique dans la discussion. On notera pour l'instant que la recom-
mandation de Lacan de déjouer le patient qui passe le temps, en mettant fin
subitement à une séance follement mortelle et ennuyeuse par son silence, laisse
aussi penser qu'il n'était guère intéressé par ces types particuliers de connais-
sance et de compréhension intersubjectives qui sont communiqués à de tels
patients précisément en partageant ces séances communément admises comme
difficiles, en y survivant et en y réfléchissant. C'est ce que montreront les illustra-
tions cliniques qui vont suivre.
Dans la première, la patiente cherche à ignorer le temps et à créer une illu-
sion d'intemporalité pour vaincre la mort, uniquement pour tomber inévitable-
ment dans un canal sans fond de pure atemporalité due à une incapacité à conti-
nuer à distinguer le traitement du traumatisme initial (Arlow, 1984, 1986). Dans
la deuxième, l'écoulement du temps est pour l'essentiel amené à une immobilisa-
tion morbide (Eissler, 1955, p. 278). Le patient dispose de métaphores relative-
ment bien intériorisées en ce qui concerne le temps, métaphores qui représentent
des modes d'organisation et de conceptualisation de ses expériences et fantasmes
en rapport avec le temps à un niveau essentiellement symbolique (Arlow, 1984),
même si sous le poids d'un transfert archaïque intense, il régresse temporaire-
ment de ce niveau. La première patiente par ailleurs se trouve en permanence
dédifférenciée jusqu'à ce que ses structures métaphoriques et linguistiques abon-
dent en douleur affective et psychophysiologiqueet en traumatismes pauvrement
refoulés, ce qui reflète l'impact de traumatismes sexuels à presque tous les stades
de son développement linguistique et du développement de ses relations d'objet
postérieurs à la prime enfance. Dans les deux cas, des métaphores telles que ces
sujets peuvent en produire représentent leur tentative pour entrecroiser des
cadres temporels imaginaires, pauvrement structurés, anarchiques (cas n° 1) ou
Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance variable 1137
figés (cas n° 2) au sein du cadre temporel symbolique que l'analyste tient prêt à
être expérimenté. Certes le temps existe pour ces individus, mais ses qualités sub-
jectives de durée et de substantialité sont altérées par les conflits psychosexuels
et relationnels. Ils balancent leur temps, pour ainsi dire, par opposition à celui
de l'analyste, en attendant d'inférer de la nature de l'écho qui en revient s'ils ont
finalement discerné une structure résistante ou non.
Cas n° 1
m'informait timidement à la séance suivante que soit elle s'était mise en colère,
soit elle avait eu des trous de mémoire, ou des épisodes dissociatifs (elle se
« retrouvait » en train de jouer avec des lames de rasoir ou laissant le gaz
allumé), et elle se montrait effrayée par ma bonté-même. Il était clair que la
source de ces perceptions était ses parents inattentifs et maltraitants, mais aussi
sa propre représentation clivée d'elle-même, projetée, punitive sur un mode
archaïque et honteux, qui exerçait de plus en plus d'influence à chaque séance
(dirigée en apparence vers le souvenir refoulé de choses terribles survenues au
cours des états dissociatifs). Quoi qu'il en soit, le degré de réalité gravement per-
méable dans ses perceptions et réactions rendait compte de la qualité très pau-
vrement différenciée du transfert.
Dans quasiment les tout premiers instants de chaque séance, il se créait
deux types significatifs d'atmosphères paradoxales qui rendirent rapidement
l'analyse impossible. Dans un premier scénario, la patiente entre dans ce qu'elle
appelle une humeur « on » et, dès le seuil de la porte, elle commence à se déme-
ner avec une barrière de détails mondains et de métaphores surchargées qui très
rapidement la plongent dans une zone dangereuse et déclenchent le sentiment
d'être piégée, d'être « coincée » dans la mansarde avec l'oncle qui abusait d'elle.
Parfois elle accédait à des questions secondaires sans pertinence, laissant de côté
l'histoire ou le rêve qui l'avait préoccupée si intensément dans les quelques
secondes précédentes, et auxquels je savais qu'elle chercherait à revenir d'une
manière ou d'une autre avant de quitter mon cabinet. La séance touchant inexo-
rablement à sa fin, il devenait douloureusement évident que la patiente était
absolument inconsciente ou non concernée par l'approche de la fin de la séance.
Lorsque je signifiais la fin de cette séance, elle poursuivait son assaut verbal.
Lorsque je signalais avec un tout petit peu plus de force que nous allions conti-
nuer la fois suivante, ou si même j'essayais de discuter son dilemme manifeste
face à la douleur de la fin de la séance, elle s'effondrait aussitôt en larmes et me
repoussait de ses mains comme si j'étais quelque criminel qui voulait lui nuire, et
elle restait dans un silence de pierre jusqu'à la fin de l'heure, les dents serrées et
les poings liés. Elle n'était pas loin de rester sur le divan jusqu'à ce que le pro-
chain patient soit sur le point d'entrer.
A d'autres moments, elle se traînait paniquée jusqu'à sa séance, se laissait
tomber sur le divan, s'enterrait dans un coin, et commençait à avoir des haut-le-
coeur, à tousser, à faire des mouvements de la bouche comme si elle avait
quelque chose de dégoûtant dedans, et restait allongée silencieuse. A partir de
cette souffrance et de cette détresse manifestes, je pensais que son silence avait
une qualité plus authentiquement tourmentée; à d'autres moments, le silence
paraissait fâché, obstiné, et rebelle. Lorsque les larmes coulaient le long de ses
joues, soulignant les grimaces de ses mâchoires crispées, ou lorsqu'elles tom-
1142 Moshe Halevi Spero
baient sur ses poings, elle donnait l'impression troublante de pleurer à travers
elle-même. Elle paraissait complètement indifférente au temps, résistait ou refu-
sait toute interprétation, et commençait à refuser complètement de quitter le
bureau à la fin des séances.
Il était paradoxal que quelqu'un d'aussi sensible aux humiliations reste
imperturbable à la possibilité toujours présente d'avoir à rencontrer le patient
suivant en restant complètement molle sur le divan. A ce moment-là, je n'avais
pas d'autre choix que de la faire sortir physiquement de la pièce, tandis qu'elle se
maintenait dans cette tenue presque totalement flasque. Elle murmurait quelque
chose de sa détresse, demandait plaintivement si j'étais en colère contre elle, et
déclarait qu'elle ne viendrait pas aux séances suivantes. Invariablement, elle
venait à la séance suivante, elle faisait parfois un petit commentaire concernant
ses peurs, et répétait la scène. Je me sentais de plus en plus enclin à arrêter l'ana-
lyse, notamment parce que mes intuitions théoriques à ce moment précis
n'étaient d'aucune utilité, ni pour moi, ni pour la patiente. Son obstination avait
l'effet d'un assaut aggravé, même lorsqu'elle protestait de sa détresse et de son
incapacité à se sortir elle-même de la paralysie. J'étais certain que sous le besoin
et le désir infantiles d'être enfermée dans un « bon » temps avec moi, se cachait
de manière à peine voilée une rage et une mortification meurtrières, la répétition
d'être piégée avec quelqu'un de démoniaque et une mutilation littérale de tous
les cadres temporels. Je commençais progressivement à donner des interpréta-
tions primafacie qui visaient d'une part ce que je considérais être le type même
d'un jeu de séduction et de crainte, dans le contexte d'une sorte de remise en acte
de traumatismes sexuels terribles, et d'autre part son besoin de garder le
contrôle absolu de ses frontières personnelles au sein du cadre analytique. Je
sous-estimais sa provocation projective à me faire arrêter le traitement en actua-
lisant à l'intérieur de moi, simultanément ses craintes et son désir sadique de
vengeance, en me forçant tout simplement à devoir agir le rôle d'une brute dont
il était alors réaliste qu'elle ait peur et juste qu'elle cherchât à le défier.
Cette dernière intervention apporta quelque soulagement mais sa soumis-
sion et sa crainte passive continuèrent. Le refus de quitter les séances se produisit
encore. Je l'informai alors que je pensai que nous allions devoir arrêter le contrat
analytique, mais que j'étais prêt à la voir sur la base d'une séance de temps à
autre sans engagement par rapport à une séance suivante jusqu'à ce qu'elle
puisse s'en tenir au temps imparti. Je l'assurai de sa capacité à faire échouer
l'analyse si elle persistait à la fois à accepter et à ne pas accepter le cadre, mais
que pour moi le cadre était un symbole à préserver à tout prix. Je lui fis part de
mon impression que mon propre bon sens m'était dénié, comme il était évident
qu'il lui avait été aussi dénié à elle, lorsque avaient été annulés les cadres tempo-
rels rudimentaires qui sont à la base de tout sentiment d'espoir, d'anticipation
Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance variable 1143
une notion de « temps mort » imaginaire (Green, 1986, p. 275, 292), état tempo-
rel paradoxal de quasi-atemporalitéqui rappelle l'intervalle traumatique entre la
perte ou l'indisponibilité temporelle d'un « bon » objet et le retour d'un « mau-
vais » objet, et vice versa. La patiente avant cette phase, paraissait vouée en per-
manence à actualiser son sentiment qu'aucun « bon » objet, et aucune restaura-
tion du temps, ne l'attendaient jamais à la fin de l'expérience qu'elle vivait. Ou
bien si l'on suit la récente analyse de Fraser (1988), la patiente était capable
d'entrer dans une dimension prototemporellequi était privée d'un sentiment véri-
table du présent, sans direction et discontinue, où la « flèche du temps se désin-
tègre en éclats de bois, plus ou moins éparpillés le long d'une ligne » (p. 486)1.
Je montrai à la patiente l'existence hypothétique de ces deux composantesdu
soi et leur impact sur son orientation dans le temps. Me référant aux représenta-
tions d'elle quej'avais pu élaborer, je lui fis part de la manière dont j'entrevoyais les
aspects complémentaires de ses deux états clivés, et comment j'étais arrivé à cerner
plus pleinement toute l'expérience qu'elle cherchait à recréer. La destruction répé-
tée du cadre temporel de l'analyse était d'un seul coup un mécanisme nécessaire
pour perpétuer ce clivage ainsi qu'une conséquencedouloureuseou une caractéris-
tique de l'état clivé. Cette intervention réussit, et amena un arrêt de cette attaque
particulière du cadre, même s'il fut ensuite nécessaire pendant plusieurs mois d'ai-
der la patiente à se centrer sur cette tendance à cliver dans les moments de crise.
Face à ce cadre temporel stable, la patiente a pu expérimenter et ensuite concevoir
à quel point sa répétition du scénario traumatique initial était réelle, y compris les
déformations pathologiques défensives du temps qui ont servi d'enveloppe néga-
tive à ses états mnésiques au cours de cette période.
Cas n° 2
qualité des deux douleurs, mais aussi l'apparence de non mouvement du temps
au cours de ces incidents.
Cependant, et depuis le départ, le patient pouvait se rappeler l'impression
d'éternité que suscitait l'intervalle entre le début de chaque rencontre qui le
réjouissait et qu'il anticipait avec bonheur, et le moment où il vivait des sensa-
tions sexuelles confuses (pas encore localisées) et une douleur anale. Certes cette
première relation s'interrompit lorsque ce garçon plus âgé partit au service mili-
taire, mais il réapparut subitement dans la vie du patient quinze ans plus tard,
cherchant clairement à renouer leur liaison sexuelle. Chaque fois que le patient
évoquait cette réunion, il mentionnait sur un mode plutôt plaintif qu'il s'était
toujours demandé pendant ces années ce qui était arrivé à cet homme et com-
bien il avait attendu son retour, ce qui montre combien le patient pouvait main-
tenir des voies temporelles doubles. Lorsque celui-ci lui annonça qu'entre-temps
il s'était marié, le patient fut très surpris et déçu. Il refusa toutes autres avances
sexuelles et l'homme plus âgé s'éloigna de la vie du patient.
Après ses études universitaires, le patient épousa une femme paranoïde avec
de graves inhibitions sexuelles, à laquelle il se sentit « inexplicablement obligé » de
révéler son passé sexuel. Leur relation était orageuse et pour l'essentiel sadomaso-
chiste. Le patient fonctionna vaillamment et souvent de manière créative dans ses
rôles de mari et de père harassé, ainsi que de professionnel hautement lettré (pro-
fession qui le mettait fréquemment en contact avec des concepts psychothérapeuti-
ques), bien que ses talents aient été gâchés par un sentiment de frustration concer-
nant la qualité largement compensatoire de ses ambitions, sa perception attardée
des dangers manifestes, et sa vie sexuelle laborieuseet compliquée.
Il adopta l'analyse avec beaucoup de diligence, mais aussi avec d'inhérents
sacrifices masochistes, dont l'un d'eux portait en particulier sur la sphère tempo-
relle. En venant me demander un traitement à Jérusalem, ce patient devait s'im-
poser de longues heures de trajet trois fois par semaine, qui comportaient en
outre l'inévitable défi de devoir se contenter du système de transport en com-
mun. Néanmoins il s'adapta à cet obstacle, ne manqua jamais de séance, et n'ar-
riva jamais plus de cinq minutes en avance (et même dans ce cas, il ne frappait à
ma porte qu'à l'heure convenue), et il était toujours large en temps.
Le récit de ce patient se caractérisait par un rythme obsessionnel, lourd,
mais toujours orienté vers l'avant, par des souvenirs extrêmement descriptifs et
détaillés qui n'étaient pas dépourvus d'affect, mais qui tendaient vers une patine
grise, une capacité d'insight affirmée lestée d'intellectualisations protectrices et
une profonde capacité de vrai pathos qui tournait toujours court en raison d'une
timidité fondée sur la honte, des hésitations, et une réactivité interpersonnelle
faible. Ses séances étaient généralement riches, mais pesantes. Comme toute
autre réalisation de sa vie, son analyse semblait destinée à impliquer ses partici-
Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance variable 1147
pants dans un processus aussi long qu'une agonie, si bien que nous pourrions
tous deux être véritablement choqués d'apprendre qu'il s'est finalement achevé.
Initialement, sa répugnance à travailler avec des interprétations et à profiter de
certaines « découvertes » était gâchée de temps à autre par l'expression percep-
tive de craintes manifestement liées au transfert que je puisse être émotionnelle-
ment apathique à son égard. Son investissement émotionnel dans le matériel
qu'il apportait paraissait intense même s'il évitait énergiquement de reconnaître
des sentiments transférentiels, donnant l'impression à la fin de chaque séance, à
laquelle il mettait fin exactement à l'heure, que nous étions en quelque sorte pas-
sés l'un à côté de l'autre sur des voies qui ne s'étaient pas recoupées.
Le patient avait passé six mois à différencier progressivement les aspects
passifs et actifs de ses identifications homosexuelles, en joignant à ces tendances
une série de souvenirs précoces qui avaient à voir avec des personnages mascu-
lins parfois actifs sur le plan sexuel. Toutefois pendant une période d'environ un
mois précédant le dialogue particulier que je vais présenter ici, le patient s'était
enlisé dans des querelles répétitives et complexes avec sa femme et ses enfants.
Quelles qu'aient été les difficultés psychologiques de sa femme, le patient avait
conscience d'entrer sur un mode masochiste dans son incessantjeu de séduction.
Les thèmes de divorce, de vexations publiques, et de perte financière, étaient
toujours dans l'air. Il luttait contre eux avec une note de désespoir, mais avec
une détermination admirable et parfois exaltée.
Lorsque les conflits conjugaux augmentèrent, le patient eut tendance à
détailler ces crises pendant ses séances d'une manière de plus en plus monotone
et laborieuse, où il était apparemment incapable de poursuivre l'analyse sans
s'accrocher à des auto-reproches mondains et sans chercher mon soutien. Il se
donna beaucoup de mal pour river mon attention sur son scrupuleux reportage.
L'image pathétique de longue souffrance qu'il donnait au cours de cette période
était profondément enracinée dans sa petite enfance, solitaire, à la sexualité
confuse, tout comme les imagos féminines contre lesquelles il avait passivement
essayé de se défendre. Toute tentative de maintenir une perspective analytique à
l'égard de ses pensées et de ses sentiments était reçue avec une blessure intense et
des péroraisons cinglantes concernant mon abandon insensible au milieu de ses
luttes et les agonies de sa vie réelle. D'un autre côté, je n'ai pas eu l'impression
que l'analyse soit complètement sortie de ses rails puisque du matériel pertinent
ressortait tout à fait visiblement au cours de ces ruminations.
Lors d'une séance, le patient présenta un épisode litigieux qui avait à voir avec
la discipline de l'un de ses enfants. Les tendances affirmées qui avaient germé de
manière plutôt constructive dans notre travail avaient apparemment pris un tour
essentiel, imprévu, vers l'agressivité totale. Après un certain temps se présenta
l'opportunité de lui pointer que des développements importants avaient lieu à la
1148 Moshe Halevi Spero
1. La détention du meurtrier par inadvertancedans le miklat biblique (Deutéronome 19, 1-13 ; Nom-
bres 35, 9-34) n'était pas sensée être une incarcération à perpétuité. Le meurtrier pouvait être libéré du
miklat à la mort du Grand Prêtre. En considérant mon cabinet comme un miklat, le patient exprimait
dans une circonlocutionque sa liberté en quelque sorte était contingente de ma « mort ». Toutefois, à la
différence du meurtrier par inadvertance, l'analysant jouit de la liberté d' « ébaucher un certain nombre
de fois des sorties imaginaires hors de la prison du maître » (Lacan, 1953-1955, liv. I, p. 315), en testant
et en actualisant ces sorties répétées avec peu de risque d'embûches.
1150 Moshe Halevi Spero
maître, même si cet élément existait superficiellement, par exemple dans ses fan-
tasmes sadiques. Elle cherchait plutôt à détruire la dimension du temps lui-
même et tout ce qui pourrait être ses champions (l'analyste, sa propre image de
soi intégrée), non moins impitoyablement qu'elle ressentait que le temps la tuait
elle-même1.
L'incohérence interne, toutefois, est l'aspect inacceptable et singulier des
arguments de Lacan. Lacan soutenait que le « terme » de la séance d'analyse ne
devait pas être fixe parce qu'en tant que substitution pour le Réel, la séance Sym-
bolique n'a aucune revendication valable de fixité. Le but de l'analyste était de
« suspendre les certitudes du sujet, jusqu'à ce que s'en consument les derniers
mirages. Et c'est dans le discours que doit se scander leur résolution » (1966,
p. 251) ; le médiateur du drame Imaginaire du traitement doit être le langage ou
un symbole « appelé dans un autre langage, un acte de foi » (1953). Aujourd'hui,
nous ne pouvons pas nous contenter d'ignorer Lacan car il a raison quand il dit
qu'aucun symbole, aucune forme linguistique n'est fixée de manière inhérente, et
que les véritables objets du discours tendent à se glisser dans les déplacementsdu
langage. Quoi qu'il en soit, comme Lacan l'a dit lui-même, la psychanalyse est
essentiellement la conjonction du Réel et du Symbole, ou l'annulation de l'Imagi-
naire via le Symbolique. Ce n'est qu'à travers leur interaction mutuelle au sein
d'un discours cadré par des repères temporelsfiables et un dialecte consensuel que
le Réel, l'Imaginaire, et le Symbolique finissent par se rapprocher. L'Imaginaire
cherche une compréhension illusoire en fusionnant le Réel et le « soi » dans un
état de réfléchissement intemporel, tandis que le Symbole cherche à empêcher
une telle fusion à travers les règles du langage et la temporalité, ce qui garantit
un cadre suffisant pour que le voyage à l'intérieur et hors de l'Imaginaire ou du
Réel soit négociable.
En cherchant à soumettre le patient à l'expérience du Réel à travers l'extra-
vagance d'une terminaison imprévisible, Lacan renonce à son axiome bien
connu selon lequel le Réel par définition ne peut être recherché comme absolu et
il risque d'interdire au patient la lutte pour remplir l'espace entre le symbole fixé
(le point de terminaison prévisible) et la mort symbolisée avec une notion du
temps subjective. Ironiquement la dialectique si vantée de Hegel n'a affaire qu'à
la mort Imaginée, pas à la mort Réelle, ni même à l'actualisation de la mort, car
ce n'est qu'en tant qu'événement imaginé que la mort apparaît au coeur du
1. Loewald (1980, p. 142) aurait considéré ce vécu comme temps fragmenté, où le rapport au temps
et aux connectionsd'intervalle au sein du temps sont anéantis, de sorte que chaque instant n'est que son
soi vide, un néant, un « maintenant » atemporel dénué de signification. Cette expérience contraste avec
l'expérience d'éternité, où le sens est condensé dans l'unité indifférenciée d'un instant immuable (nunc
stans), qui fait apparaître un sentiment de maintenant unitaire qui déborde dans le monde plus large du
temps. Mon deuxième patient était plus proche de ce dernier.
Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance variable 1153
de sorte que l'analysant puisse être capable d'utiliser l'analyste » (1986, p. 284;
Bollas, 1989, p. 36). Fayek (1981) décrit la mort nécessaire du réfléchissement du
patient dans l'analyste, et de ses projections narcissiques sur l'analyste qui main-
tiennent une communication en cul-de-sac. Les illustrations cliniques présentées
ici décrivent amplement comment on peut dire que le patient tue ou mutile la
capacité de l'analyste à créer des représentations efficaces du patient, de créer
chez l'analyste des états affectifs mortels, morbides ou apathiques par le biais de
mécanismes tels que l'identification projective et les attaques sadiques et para-
sites sur les mécanismes de liaison du thérapeute. Dans ces deux exemples, une
telle mutilation du temps, et des représentations dans le temps, pouvaient peut-
être être imaginées de manière satisfaisante en prêtant attention aux métaphores
linguistiques du patient concernant le temps, et pourtant ces patients ont tou-
jours besoin d'induire les états de temps mutilé ou gelé par des altérations
pathologiquesdans la perception du temps par l'analyste en attaquant directe-
ment le cadre temporel de la séance.
En conclusion, l'effort du patient pour retourner aux illusions de la réalité
vécue antérieurement au refoulement, pour revivre historiquement une enfance
pleine de traumatismes sexuels, ou pour essayer d'articuler la « mort » prére-
présentationnelle ou l'aliénation du vrai self après le stade du miroir, n'est
viable que s'il existe a priori en toile de fond une structure analytique de base.
Cette toile de fond doit être composée non seulement des structures syntaxi-
ques profondes du langage ou des paroles de la séance, mais aussi de la confi-
guration temporelle de la séance en tant que fonction intégrale du moi, impli-
cite dans l'enveloppe analytique. En tant que tel, le cadre de travail non
seulement facilite l'anticipation, l'attente, la réflexion, et l'intentionnalité, mais
il permet aussi au patient et à l'analyste d'être le reflet des intervalles au sein
du self et entre les cadences de son discours. Car ce qui nous intéresse sur le
plan clinique, ce n'est pas simplement l'intra- ou l'intersubjectivité radicale et
absolue, mais l'intra- ou l'intersubjectivité qui renvoie à un sentiment bien
intériorisé d'individualité et de séparation de l'objet et à un intérêt pour le
sujet qui s'est développé au sein d'un réseau symbolique. Ainsi la fin de la
séance n'est jamais seulement un événement Imaginaire ou Réel, pas plus que
l'attitude du patient à son égard n'est seulement Imaginaire ou Réelle. Puisque
le paradigme du maître et de l'esclave est lui-même de l'ordre du Symbolique,
alors la « mort » qu'il anticipe, incluant à la fois fantasme ou variations imagi-
naires, et tout contre-mouvement qui puisse être proposé envers cette mort,
doit aussi être symbolisée.
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Le temps de la construction :
répétition et surprise 1
Introduction
de résumer notre point de vue, déjà exposé dans différents articles (Faimberg,
1981, 1985). Nous traiterons exclusivement ici de la résistance exprimée envers
la reconnaissance de la différence entre générations, telle qu'elle se manifeste lors
d'une construction. Nous allons voir que cette résistance narcissique est décou-
verte en même temps qu'une forme particulière d'identification inconsciente (qui
est effectivement à la racine de la résistance elle-même).
D'un point de vue clinique, nous définissons le narcissisme comme
« l'amour porté par le moi à soi-même et aux objets, basé sur l'illusion qu'il a
d'être le centre et le maître du monde. Cet amour passe par le moi qui s'aime
comme un objet, et cet amour, comme cette illusion, est en rapport avec la cons-
titution même du moi » (Faimberg, 1981, p. 1351-1352). Cette illusion narcis-
sique d'omnipotence est menacée dans l'organisation oedipienne.
En ce qui concerne la relation d'objet narcissique, nous considérons qu'elle
est régie par le principe de plaisir/déplaisir : tout objet qui produit du plaisir a
tendance à être accepté, et tout objet qui produit du déplaisir a tendance à être
rejeté. La nature narcissique de cette régulation est révélée dans l'acceptation
aussi bien que dans le rejet. Dans le premier cas, l'objet accepté est assimilé à
« moi-même » ; il est difficile dans ce contexte d'accepter l'altérité de l'objet
aimé. Dans le deuxième cas, le rejet facilite la reconnaissance de l'autre à travers
la haine.
Rappelons-nous que selon Freud, l'objet est d'abord connu dans la haine :
« la haine, en tant que relation aux objets, est plus ancienne que l'amour »
(Freud, 1915, p. 184). « L'externe, l'objet, le haï seraient, au tout début, identi-
ques. Si l'objet se révèle plus tard source de plaisir, il est alors aimé, mais égale-
ment incorporé au moi si bien que, pour le moi-plaisir purifié, l'objet coïncide
malgré tout de nouveau avec l'étranger et le haï » (Freud, 1915). « On peut affir-
mer que les prototypes véritables de la relation de haine ne sont pas issus de la
vie sexuelle, mais de la lutte du moi pour sa conservation et son affirmation »
(Freud, 1915).
La perspective que nous développons pourrait être liée aux lignes de Freud
sur « Sa Majesté le Bébé » (His Majesty the Baby). A notre avis, par cette for-
mule, il nous fait comprendre que dans le narcissisme du bébé, il existe déjà une
relation narcissique entre les parents et l'enfant : « L'amour des parents, si tou-
chant, et, au fond si enfantin, n'est rien d'autre que leur narcissisme qui vient de
renaître et qui malgré sa métamorphose en amour d'objet, manifeste à ne pas s'y
tromper son ancienne nature » (souligné par nous) (Freud, 1914, p. 96).
Dans le même article Freud propose aussi la métaphore de « l'amibe » pour
le narcissisme. Nous préférons la façon dont il aborde le problème dans le para-
graphe précédent parce que celle-ci nous permet de parler de relation d'objet
narcissique.
Le temps de la construction 1163
Dans cette séquence, les faits suivants nous semblent mériter notre atten-
tion. Tout d'abord, la curiosité érotique envers la mère est associée pour la pre-
mière fois avec le père de Jacques. Ensuite, le père de Jacques apparaît comme le
mari de sa femme, et, finalement, point plus important encore, comme le fils du
grand-père de l'analysant. Cette association apparaît aussi pour la première fois.
Jusqu'alors, le père de Jacques était toujours apparu, comme l'image en
miroir d'une bouche vorace qui demandait à être nourrie. Ainsi, il était arrivé
une fois à Jacques, dans un restaurant, de penser : « Maintenant, il va me
demander de payer pour ce qu'il a mangé. » Cette idée s'était imposée à lui alors
que son père ne lui avait rien demandé. Bien au contraire, à cette époque, il était
en train d'aider son fils à acheter un appartement. Les fantasmes de bouche
vorace continuaient à hanter Jacques et réapparaissaient dans le transfert :
l'analyste allait dévorer tout ce qu'il pouvait accomplir dans son analyse.
En écoutant l'évocation de ce rêve, l'analyste fut extrêmement surprise par
l'association sans précédent de la part du patient avec son grand-père et avec la
relation grand-père - père. Elle pensa que cette association révélait quelque chose
de très important et de profondément ressenti. Elle remarqua que le patient, lui
aussi, était très étonné par sa propre découverte, et que l'association semblait
porter un élément affectif important. En fait cette association surprit à la fois
l'analyste et le patient et cette expérience partagée stimula leur curiosité
mutuelle.
L'analyste lui dit approximativement ceci : « Vous vous sentez comme cet
homme composé de fragments provenant de lieux et de temps différents et
incompatibles. Un de ces fragments nous parle d'un père-fils-ouvrier condamné
par son propre père à ne pas progresser, de même que vous vous sentez obligé
d'arrêter les projets qui vous sont si chers. »
Quelques séances plus tard, le patient parla pour la première fois d'un écri-
vain célèbre, et en passant ajouta qu'il s'agissait de son oncle. L'analyste lui fit
la remarque qu'il en parlait comme si elle avait dû connaître cette filiation. Le
patient s'étonna de ne jamais avoir parlé de cet oncle puisqu'il était, ajouta-t-il,
« le plus grand amour de ma mère ; pour elle il n'y a que lui qui compte ».
La surprise ici est partagée par le patient et par l'analyste, l'un connaissant
l'histoire et l'autre l'ignorant. (Dans d'autres cas, l'analyste a été informé de tels
fragments et les a oubliés par la suite. Plus tard dans l'analyse, ce qui est impor-
tant, c'est qu'il s'en souvienne avec le patient.)
Ouvrons maintenant une parenthèse. Aussi paradoxal que cela puisse
paraître, certaines conditions facilitent la surprise, l'une d'entre elles étant que
l'analyste s'abstienne de proposer prématurément une construction. Une construc-
tion est prématurée si elle ne respecte pas les mots du patient ou si elle est plutôt
une déduction basée exclusivement sur la théorie de l'analyste. (Même si la
Le temps de la construction 1165
Bien que Jacques ait toujours été conscient de ces événements dans l'histoire
de son père, il ne s'était jamais rendu compte qu'il s'y était inconsciemment
identifié. Nous ne devons pas nous laisser leurrer par le fait que Jacques était au
courant depuis toujours de ces événements. La connaissance ne lui servait à rien
tant qu'il ne savait pas que ces événements le concernaient, tant qu'il n'avait pas
analysé leur signification afin de les intégrer comme une partie de sa propre his-
toire. Il y avait un lien manquant entre ces événements et la façon dont ils le
concernaient directement.
1166 Haydée Faimberg et Antoine Corel
Aussi pouvait-il seulement répéter la situation dans son propre destin, dans le
transfert et dans ses crises d'angoisse. Rappelons ici ce que Freud écrivait en 1914 :
« L'analysé répète au lieu de se souvenir, et cela par l'action de la résistance... et
l'on finit par comprendre que répéter est sa manière de se souvenir » (p. 109-110).
Lorsque Jacques est finalement capable de rêver, il se représente comme
étant composé de fragments hétérogènes. Suivant le souvenir de sa curiosité éro-
tique envers le corps de sa mère, et précédant les associations avec l'histoire de
son père, le rêve permet à l'analyste d'établir un lien sans précédent, c'est-à-dire
une construction qui rattache les identifications inconscientes incompatibles à
cette image particulière du père.
Ce lien est un lien logique dans la construction formulée par l'analyste, sem-
blable au lien logique que Freud a construit dans la deuxième phase du fantasme
de la petite fille dans « On bat un enfant » :
« Cette seconde phase est la plus importante de toutes et la plus lourde de
conséquences. Mais on peut dire d'elle en un certain sens qu'elle n'a jamais eu
une existence réelle. Elle n'est en aucun cas remémorée, elle n'a jamais porté son
contenu jusqu'au devenir conscient. Elle est une construction de l'analyse, mais
n'en est pas moins une nécessité » (p. 225).
Les deux articles de Freud lus conjointement nous aident à comprendre que
si le patient répète au lieu de se souvenir, c'est soit parce que la représentation
n'a jamais existé, soit parce qu'elle n'a pas été intégrée dans son propre espace
psychique. Dans les deux cas, la construction de l'analyste fournit le lien
manquant.
Interrogeons-nous sur ce que Freud voulait dire quand il écrivait que « la
construction consiste à exposer au patient un fragment de son histoire précoce
qu'il a oublié ». A notre avis, il voulait dire que la construction fournit un lien nou-
veau et sans précédent, au moyen duquel le passé est constitué comme tel et le
patient acquiert une histoire, son histoire. Nous nous proposons, maintenant,
d'examinerce lien.
Le père-frère
Dans Totem et tabou, Freud dit qu'une alliance fraternelle est nécessaire
pour l'établissement de l'image du père. Dans le cas de Jacques, le père n'était
pas considéré comme tel mais comme un frère. La différence entre les généra-
tions était estompée (télescopage de générations) et le père était considéré
comme l'un de ses frères : un père-frère. Au lieu d'une vraie rivalité oedipienne,
nous avons une lutte narcissique entre frères. C'est ce que nous appelons la
dimension narcissique de la configuration oedipienne.
Le temps de la construction 1167
représentation. Il était aussi sujet à des accès de haine pour les gens qu'il aimait
le plus, y compris dans le transfert. La haine était le moyen par lequel il se diffé-
renciait des autres.
Autrement dit, l'histoire précoce du patient le ramenait toujours à un nou-
veau cycle de répétition. Dans ces circonstances, les différentes interprétations
convergent afin de constituer un ombilic, une base pour la construction.
Une fois la construction formulée par l'analyste, nous sommes capables de
comprendre rétroactivement à la fois et l'histoire du père et la résistance narcissique.
Mais le fait que l'histoire du père trouve son expression à travers la résistance nar-
cissique du patient, semblerait indiquer que cette résistance narcissique a sa propre
histoire, et que c'était cette résistance qui avait empêché depuis toujours le patient
d'accepter les interprétations. Nous sommes amenés de cette façon, après-coup, à
formuler une question qui aurait dû, logiquement, être posée avant que la cons-
truction ne soit établie : Qui résiste aux interprétationsde l'analyste ?
C'est Jacques — identifié avec le père-frère — qui résiste aux interprétations
parce que Jacques — le fils aîné — est en conflit avec le père — le cadet-condamné-
par-le grand-père-à-ne-pas-faired'études. Nous pouvons ainsi trouver l'originede
cette résistance par un retour sur l'incompatibilité des fragments de l'histoire fami-
liale qui par la suite implique naturellement des solutions incompatibles. Cette
incompatibilité est radicale parce qu'elle concerne l'identité narcissique de Jacques
et qu'elle explique au moins en partie son angoisse catastrophique.
Les interprétations que l'analyste avait formulées en termes de rivalité oedi-
pienne étaient réinterprétées par Jacques en termes de lutte narcissique, comme
celle entre frères (dimension narcissique de la configuration oedipienne). De cette
façon la révélation d'identifications inconscientes grâce à la construction permet
à l'analyste de comprendre en après-coup comment le patient a compris les
interprétations. L'analyste obtient les moyens de comprendre
— rétroactive-
ment — la valeur et les limites de ses interprétations.
Un paradoxe fécond
La construction et sa validation
poser un lien qui n'a jamais existé. La « conviction de la vérité », dont parlait
Freud, a été présente de manière implicite tout au long de cet exposé :
1 / dans la surprise que partagent le patient et l'analyste devant ce qui c'est
dévoilé et devant la construction qui en résulte ;
2 / dans la compréhension après-coup de la répétition ; et
3 / dans l'accès aux nouvelles versions de la vérité psychique.
En règle générale, on peut dire que la construction est validée par la discon-
tinuité de la répétition et par l'apparition d'un matériel nouveau.
Pour conclure : nous avons établi la différence entre l'information et l'histo-
ricité. Notre développement, tenant compte de notre exemple clinique et de la
définition de Freud, nous a permis de qualifier ce qu'il y avait de sous-entendu
dans l' « oubli » du patient : récupérer un fragment de l'histoire précoce et par
conséquent, briser le cycle de sa répétition dans le transfert implique pour nous
que la construction transforme précisément en histoire ce qui existait antérieure-
ment non en tant que souvenir, mais en tant que répétition 1.
Haydée Faimberg
Antoine Corel
15, rue Buffon
75005 Paris
RÉFÉRENCES
1. Nous craignons que le lecteur soit déçu par la façon dont nous abordons en psychanalyse le pro-
blème de la relation entre la réalité matérielle, la réalité psychique et la réalité historique, relation qui
existe entre réalité et vérité. Un article qui traite de la construction et de sa validité ne peut écarter ce pro-
blème dont la complexité est telle qu'il n'est pas possible d'en réduire l'approche. Nous nous limiterons
donc à un seul aspect de ce problème complexe, celui dont Freud a parlé tout au long de son oeuvre, en
particulier quand il parle de la scène primitive dans le cas de l'Homme aux loups et dans ses propos sur
la séduction et les rêves. Le fait que ce problème insiste sur une seule approche n'impliqueaucun jugement
sur les autres aspects possibles. Nous pensons plutôt que le problème vaut la peine d'être traité dans sa
totalité.
Dans nombrede cas cliniques (y compris celui que nous exposons) le patient et l'analyste partagent
l'intuition qu'il existe une base matérielle sur les faits relatés, mais le poids des preuves ne relève pas de
cette intuition. De plus, les informationsqui sont données par un tiers extérieur ne pourraient rien appor-
ter d'un point de vue psychanalytique, mais au contraire, pourraient constituer un obstacle pour la décou-
verte du lien existant entre les faits et la structure du patient.
Le temps de la construction 1171
Bernard LEMAIGRE
TEMPOREL ET INTEMPOREL
1. Cette communication était en fait le résumé d'un texte déjà presque entièrement rédigé pour les
Cahiers du Centre J. et Ev. Kestemberg et paru en septembre 1995. Ici nous mettons au premier plan le
rôle de la genèse du temps comme pare-excitationset le lien du temps avec la perception endopsychique,
sa transformation par projection et objectivation. D'autre part, nous laissons de côté nos remarques sur
Freud et le sublime et développonsdifféremment les conceptions de Kant.
L'importanceaccordée par Freud à la perception endopsychique et à son devenir pourrait conduire
à un réexamen de la métapsychologie, en tant qu'elle jaillit, comme de sa matrice, de la perception endo-
psychique. C'est, à notre avis, l'un des intérêts majeurs du rapport de R. Roussillon au LVe Congrès des
langues romanes (1995), d'insister sur l'importance de ce qu'il dénomme les « processus auto ».
Rev. franç. Psychanal., 4/1995
1174 Bernard Lemaigre
1. Voir l'ouvrage récent d'Annette Laget (1995) qui s'inspire, pour une part, des travaux de Sami-
Ali ; et aussi, Derrida (1967), La scène de l'écriture (1980), Spéculer sur Freud.
2. Argument de ce même numéro.
3. R. Roussillon (1995), p. 24.
Le trauma, ébranlement du temps 1175
1. Ibid., p. 96.
2. Ibid., p. 96.
3. Ibid., p. 97-98.
4. Ibid., p. 98.
5. Dans sa Métapsychologie Freud cherche à définir des prototypes normaux d'affections morbides,
voir le Complément métapsychologiqueà la doctrine du rêve et Deuil et mélancolie. Le vécu sublime, tel qu'il
est interprété par Kant peut-il être tenu pour un prototype du vécu traumatique comme le deuil est celui
de la mélancolie ? C'est la thèse que nous avons défendu dans le texte des Cahiers. Dans la mesure où le
vécu sublimepeut être considéré comme un événementnormalde la vie psychiqued'où après un ébranle-
ment de tout son être l'homme sort enrichi dans son expérience, certes ; cependant, dans la mesure où cet
enrichissement prend la forme particulière, proposée par Kant, d'un hors-temps lié à la liberté, à la loi,
cela demanderait une discussion plus approfondie, c'est pourquoi nous nous limiterons ici à la recherche
d'une comparaison, d'une analogie.
1176 Bernard Lemaigre
entre ces deux vécus. On pourrait s'étonner de notre choix si l'on se souvient des
critiques que Freud fait aux conceptions kantiennes sur l'a priori de l'espace et
du temps, mais justement notre comparaison porte sur le seul point commun qui
subsiste entre les deux conceptions, celle de Freud et celle de Kant : qu'il soit
engendré ou qu'il soit forme a priori, le temps doit être considéré comme de l'in-
terne psychique, ébranlé par un choc et ainsi ne pouvant plus fournir les condi-
tions de l'expérience. Alors, la richesse des analyses de Kant, liées à sa propre
endoperception des phénomènes psychiques (à condition de les traduire méta-
psychologiquement), peut nous éclairer sur le vécu traumatique, ses consé-
quences et ses possibilités de guérison.
LA GENESE DU TEMPS
ET SA VALEUR DE PARE-EXCITATIONS POUR FREUD
1. Ibid.,p.l0.
2. Voir Psychopathologie de la vie quotidienne, chap. XII, § III, p. 273-278 ; Totem et tabou, III, § 4,
p. 214 s. ; B. Lemaigre (1987), p. 94-95 ; 97-98.
3. S. Freud (1920), p. 69-70.
4. A. Laget (1995), p. 6, 45-52.
1178 Bernard Lemaigre
l'écriture, son étendue et son volume, la troisième met en jeu le temps de l'écri-
ture et ce n'est pas autre chose que la structure même de ce que nous décrivons
en ce moment 1.
« Dans le "Bloc-notes magique", l'écriture disparaît chaque fois qu'est
rompu le contact étroit entre le papier qui reçoit le stimulus et le tableau de
cire qui conserve l'impression... Ceci s'accorde, nous dit Freud, avec une
représentation que je m'étais faite depuis longtemps touchant le fonctionne-
ment de l'appareil perceptif psychique, mais que j'avais gardée jusqu'à présent
par devers moi. »2 Si on prend cette représentation dans son ensemble, dans sa
totalité, c'est vrai, mais on en trouve déjà des éléments dans l' Esquisse, dans
les « Deux principes de l'événement psychique », dans « Au-delà.... ». « Il y a
perception avec conscience lorsque des innervations d'investissement sont
envoyées de l'intérieur par coups rapides et périodiques dans le système Pc-Cs,
complètement perméables, pour en être ensuite retirées. »3 En fait, ces investis-
sements sont plutôt des surinvestisements tout à fait semblables à ceux qui
permettent la pensée consciente. Dans cet état de surinvestissement le sys-
tème Pc-Cs reçoit les perceptions et conduit l'excitation dans les systèmes
mnésiques inconscients. Lorsque l'investissement cesse, la conscience/percep-
tion s'évanouit et le fonctionnement du système cesse.
Ce mode de travail discontinu, périodique, du système Pc-Cs est à l'origine
de la représentation du temps. Comme le souligne encore Derrida, ce travail se
fait nécessairement à deux mains : une main écrit sur la feuille du dessus tandis
que l'autre détache la feuille la plus proche de la cire4.
On en saura un peu plus en lisant les deux textes adressés à Marie
Bonaparte. D'abord Freud revendique le caractère totalement psychanalytique,
c'est-à-dire métapsychologique, de sa réflexion sur le temps. Ce qu'il fait pour
le temps, on pourrait le faire pour l'espace, pour la causalité, etc. (voir d'ail-
leurs, à la même époque, les deux célèbres notes sur l'étendue de la psyché et
l'espace, sur la mystique. Freud est, d'autre part, convaincu de dégager l'im-
pensé de la réflexion kantienne sur le temps : « Kant aurait alors raison si
nous remplaçons son a priori démodé par notre plus moderne introspection de
l'appareil psychique. » Il faudra revenir évidemment sur ce point et justement
à propos du traumatisme. Mais après avoir identifié les surinvestissements
avec des quanta d'attention, Freud ajoute : « Notre perception interne n'en
ferait <de ces quanta> qu'ensuite une continuité et ce serait là, projeté au
1. Lettre de Freud à Marie Bonaparte du 22 août 1938, citée par E. Jones, III, p. 523-524; et Note,
p. 102 de Essai sur l'inconscient et le temps de M. Bonaparte, Revue française de psychanalyse, II, 1939,
p. 61-103; A. Laget (1995), p. 45 s.
2. J. Derrida (1967), p. 332.
3. E. Kant (1790), § 59, p. 316.
1180 Bernard Lemaigre
lement, de l'esprit (Gemüth), où est vécu directement l'abîme qui sépare imagi-
nation et raison, nature et liberté. Cet effroi devant la manifestation du monde,
Kant le nomme avec toute une tradition datant du Ps.-Longin, et représentée à
son époque par Burke, le « sublime ». Par rapport à la recherche d'unité qui est
à l'origine de l'écriture de la Critique du jugement, et s'exprime dans l'étude du
jugement de goût, la réflexion sur le sublime ne peut apparaître que comme mar-
ginale. Mais dans la mesure où elle souligne la difficulté de l'entreprise, où elle
réintroduit dans la réflexion sur le beau, l' « effroi du beau »1, l'effroi de « l'au-
delà de l'essence », de l'Un, elle est fondamentale.
1 / La peinture du sublime
1.J.-L. Chrétien, p. 27-28. Il y aurait à réfléchir sur le fait même du rapprochement entre effroi du
beau et traumatisme. Chrétien évoque dans son étude Platon dans Le Phèdre, Plotin dans Les Ennéades,
mais aussi, plus près de nous, Rilke et Dostoïevski (Les frères Karamazov, Les Démons). D'un point de
vue clinique, il faut rappeler les réflexions de Lacan sur Antigone dans le Séminaire sur L'Ethique, et celles
de D. Meltzer, « L'objet esthétique », dans Une crise de la métapsychologie, I, Rev. franç, de psych., 49,
5, 1385-1389, et aussi, Le rôle du Père dans le premier développement en relation avec le « conflit esthé-
tique », dans Le Père, Denoël, coll. « Paris », 1989, p. 61-70.
2. Kant (1790), § 27, 199 (§ 24, 185).
3. Kant (1790), § 23, 182 (183, etc.).
Le trauma, ébranlement du temps 1181
Que l'objet d'un point de vue phénoménal doive être « informe », « mons-
trueux », nous introduit immédiatement à la thèse fondamentale de Kant : le
sentiment du sublime résulte en premier lieu de la quantité de l'objet et secondai-
rement de sa qualité. Ici, la quantité est source du sens. Que l'on considère cette
quantité (selon les vues inspirées de la physique mathématiquede Newton) sous
son aspect mathématique(nombre et mesure) ou son aspect dynamique (force et
puissance).
a) Du point de vue du nombre et de la mesure : Kant dans une démarche
qui rappelle par certains côtés celle de Pascal dans « Les deux infinis »4 montre
que, s'il n'y a pas de limite dans les opérations de mesure qui peuvent se répéter
à l'infini aussi bien vers l'infiniment grand (télescope) que vers l'infiniment petit
Le vécu sublime, tel que Kant le présente, se manifeste comme un vécu trau-
matique actuel et maîtrisé. Nous allons le confronter aux thèses de Freud et de
Ferenczi, en prenant uniquement en considération la question du temps : d'une
part l'ébranlement du temps, d'autre part, le hors-temps.
1 / L'ébranlement du temps
1. Ferenczi, p. 139-147.
2. Fedida, 60, Restes diurnes, restes de vie, p. 45-66.
3. Ibid., 63, n. 2.
4. Botella, 1464.
5. Kant (2), A, 727, note *.
Le trauma, ébranlement du temps 1185
2 I Le hors-temps
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Nicos NlCOLAÏDIS
1. Mais il joue un rôle dans certaines théogonies orphiques selon lesquelles Chronos aurait produit
un oeuf d'argent, d'où sortent Phanès et Eros.
2. N. Nicolaïdis, Hésiode et Freud, chemins parallèles, in Topique, 1989, n° 43.
3. P. Vidal-Naquet, Temps des dieux et temps des hommes, in Le chasseur noir, Paris, Maspero,
1981.
1192 Nicos Nicolaïdis
1. Voir les détails de cet épisode in G. et N. Nicolaïdis, Mythologie grecque et psychanalyse, Neuchâ-
tel-Paris, Delachaux & Niestlé, 1994.
2. A ce sujet, N. Nicolaïdis, Mythes et écritures, moyens d'approche de l'appareil psychique, in
Topique, 1978, n° 21.
Temps cyclique et temps linéaire 1193
proposant un dieu éternel et placé au-dessus des lois cosmiques. N'oublions pas
que les dieux grecs se considéraient immortels mais non éternels.
On dit que les Grecs croyaient et obéissaient au destin. Nous pouvons tra-
duire qu'ils croyaient aux pulsions et au destin (accomplissement) des pulsions et
dans cette logique le temps des mortels devait accomplir son cycle : de l'inexis-
tence du Chaos à l'aboutissement au Chaos de l'inexistence ; bibliquement par-
lant, de la poussière à la poussière. A part Homère qui décrit un Hadès non
enviable et la version tardive et peu incorporée dans la mentalité grecque des
Champs Elysées, les hellènes n'avaient pas un espoir-conviction en ce qui
concerne l'au-delà. L' « immortalité » pour eux, voire la postérité, était d'avoir
une place dans l'histoire ou du moins dans la mémoire des générations succes-
1194 Nicos Nicolaïdis
sives. Même négativement, voire l'acte d'Hérostrate qui a réussi à avoir une
place dans l'histoire, en brûlant le temple d'Artémis.
Cette ambiguïté à l'égard de l'éternité, même des Dieux, pourrait peut-être
nous expliquer l'ambiguïté à l'égard du temps que nous avons vue à travers les
récits épiques et tragiques grecs. Nous constatons la même ambiguïté aussi chez
les philosophes, à part Empédoclequi, en tant que physicien, conçoit le temps de
façon cyclique par les quatre éléments qui donnent une éternité, certes, mais à la
matière...
Prenons Heraclite comme exemple et voici quelques fragments sur le
temps : « Le chemin montant descendant est un, le même » (frag. 118 ou 60),
« Chose commune que commencement et fin sur le circuit du cercle »
(frag. 119 ou 103), « On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve »
(frag. 134 ou 91), « Tout s'écoule » (frag. 136). Enfin Héraclite profère sa mys-
térieuse déclaration, traduite différemment en français (frag. 130 ou 52), « Le
temps est un enfant jouant aux dés. Royauté d'un enfant », « Le temps est un
enfant qui joue au trictrac. Royauté d'un enfant ». A mon avis, plus fidèle au
texte grec serait : « Le temps est un enfant qui joue en déplaçant les pions. La
royauté d'un enfant. »1
A vrai dire Heraclite emploie le terme aiôn à la place du terme chronos (le
temps). Mais je pense avec Diel, Br. Snell, Ramnoux et autres que l'aiôn d'Hera-
clite est le temps.
Pourquoi le temps est-il comparé à un enfant? Pour Marcel Conche :
« ... Ce n'est pas que le jeu soit joué d'une manière enfantine, maladroite, mar-
quée par l'ignorance, le manque de rigueur. C'est l'aiôn qui est un enfant. Il
s'agit donc de la nature de l' aiôn. Or, l'aiôn est le temps en tant qu'il est gros du
Destin, c'est-à-dire le temps considéré dans ce qu'il signifie pour ce qui est dans
le temps, donc le temps pris relativement à tout ce qui devient, le temps comme
essence intime du devenir. Il s'agit donc, en définitive, de la nature du devenir. »
On peut psychanalytiquement dire en paraphrasant : que le temps est la
pulsion incluant dans son écoulement le devenir et le destin de l'individu.
« Le devenir est un enfant qui joue », continue M. Conche, « le compor-
tement de l'adulte est finalisé, responsabilisé et moralisé. Rien de tel pour l'en-
fant joueur ; il joue pour rien, pour le jeu lui-même, et il représente l'irrespon-
sabilité et l'amoralité des puissances cosmiques, l'innocence du devenir »2 (...).
« L'enfant est roi parce que, comme le roi chez Homère, il est toujours le plus
fort, cela par sa nature inflexible (il est le temps) » ; j'ajouterais parce qu'il a le
temps.
Les liens entre le temps et l'être sont évidents et cela pas seulement à travers
les réflexions sur les fragments d'Heraclite.
L'espace (et le temps) qui me sont impartis ne me permettent pas de faire un
tour d'horizon complet de tous les philosophes grecs (Platon, Aristote, ou autres
présocratiques). Il manque aussi une analyse de réflexion sur le temps de Kant,
Hegel et bien entendu de M. Heidegger.
Ce dernier, tout en écrivant que le but final de Etre et temps4 était l'élabo-
ration de la question de l'être en général, c'est-à-dire la mise au jour de la
signification temporelle de l'être comme tel, ce passage, ce tournant (Kehre)
pour manifester le temps comme horizon de la compréhension de l'être n'a
jamais été publié. Heidegger jugeant cette section insatisfaisante a renoncé à la
faire paraître.
Dans la Lettre sur l'humanisme5 « l'interprétation de l'être-là par rapport à
la temporalité et l'explication du temps comme horizon transcendantal de la
question de l'être » nous apprend que Heidegger aborde la question du sens de
l'être dans une perspective transcendantale. Or le transcendantal relève de la
métaphysique et plus particulièrement de la métaphysique de la subjectivité.
Nous savons que la pensée de Heidegger, bien qu'elle soit influencée par la
métaphysique, qui s'exprime dans Etre et temps, se déploie déjà à partir du
domaine non métaphysique de la vérité de l'être6. Est-ce l'ambiguïté ou l'ambiva-
lence de Heidegger à l'égard de la métaphysique transcendantale qui l'a empêché
d'élaborer la signification temporelle de l'être ?
Quoi qu'il en soit, l'explication du temps comme horizon transcendantal
Paul ROAZEN
1. In Freudand the History of Psychoanalysis, T. Gelfand & J. Kerr, ed. The Analytic Press, 1992.
Rev. franç. Psychanal. 4/1995
1198 Paul Roazen
presque inévitablement que dès le début il y eut des détracteurs pour récuser
cette façon de procéder. Alors même que son ami proche Wilhelm Fliess avait
été intimement associé au travail de L'interprétation des rêves (1900), peu de
temps après la publication de l'ouvrage, Fliess se demandait jusqu'à quel point
Freud ne lisait pas ses propres pensées dans l'esprit de ses patients et ne projetait
pas sa personnalité dans ses théories. Freud fut amèrement affecté par cette
accusation de Fliess, ce qui joua un rôle indéniable dans leur brouille.
Tout au long des premières décades, lorsque Freud présentait ses nouvelles
idées et développait l'approche thérapeutique particulière qu'il préconisait pour
les patients névrotiques, les sceptiques continuèrent à douter de la validité de ses
affirmations.
Au milieu de cette tempête qu'il déclencha, Freud ne se découragea pas. Si l'on
examine les critiques de ses ouvrages qui parurent de son vivant, par exemple celles
qui parurent dans la première décennie du XXe siècle (Roazen, 1990, p. 197-202), on
constate que quelques-unes des questions les plus fondamentales concernant ses
idées sont posées avec sympathie et respect. Freud lui-même n'évaluait pas la façon
dont il était reçu et s'arrêta rarement pour répondre à ces critiques du début. Je
pense qu'il percevait déjà quelle source d'énergie particulière il avait inventée dans
la mise en place du traitement lui-même. Bien qu'il ne semble pas avoir compris le
rôle que la suggestion démodée pouvait jouer, il savait que sa méthode de travail
attirait des adeptes et des disciples loyaux. A la fin de la première décade de ce
siècle, il était clair que Freud avait réussi à inaugurer une nouvelle école, ou, du
moins, c'est comme ça que les choses étaient perçues, vues de l'extérieur.
Ce mouvement monolithique que Freud pouvait sembler avoir créé, il ne se
sentit pourtant pas obligé d'en soutenir les partisans par un exposé clair de sa
propre technique thérapeutique particulière, et ce jusqu'à ses difficultés d'avant
la première guerre mondiale avec Alfred Adler et Cari Jung (Roazen, 1975, cha-
pitres 5 et 6). Ce fut en relation avec les efforts que fit Freud de différencier sa
propre forme de psychologie de celle d'Adler et de Jung qu'il énonça clairement
ses recommandations pour ce qu'il considérait comme une technique psychana-
lytique à proprement parler. Toute autre méthode de psychothérapie, même si
elle pouvait présenter des traits communs avec la sienne, fut rejetée par lui
comme exemple d'analyse sauvage.
C'est dans le contexte de ces conflits avec Adler et Jung que Freud (1918)
écrivit son cas historique célèbre de « L'Homme aux loups ». Précédemment,
avec « Dora » (1905), « Le petit Hans » (1909), « L'Homme aux rats » (1909), et
« Schreber » (1911), Freud avait cherché à expliquer la doctrine psychanalytique
en s'appuyant sur des histoires de cas individuels. « L'Homme aux loups » fut la
seule des cinq grandes histoires de cas qui fut écrite en pensant aux objections
des sceptiques éclairés. Ce fut une chose pour Freud d'avoir à affronter les
Les patients de Freud : intemporels ? 1199
survivre un matériel d'une telle importance fait venir l'eau à la bouche du bon
historien ! A l'heure qu'il est je suis certain que tout a disparu dans les dé-
partements confidentiels de la bibliothèque du Congrès (Roazen, 1986, p. 59).
Mais même après que j'eus publié certains aspects déterminants de l'histoire
des Brunswick dans le cercle de Freud (Roazen, 1975, p. 420-436), il n'est paru
presque rien à leur sujet. En revanche nous avons eu d'incessantes reprises, par
exemple, de ces cinq célèbres histoires de cas cliniques que Freud avait publiées.
Ceux qui écrivent font preuve d'ingéniosité en parlant de ces cas que Freud avait
choisi de mettre en avant. Et les cliniciens continuent de citer les passages dans
Freud qui vont dans le sens des besoins de la pratique psychothérapique
contemporaine. Un exemple comme celui des Brunswick demeure faiblement
compris et pas très connu. Et tant que nous aurons des taches aveugles de cette
sorte, nous ne réussirons pas à envisager le passé dans les termes qui lui sont
appropriés.
Les trois Brunswick furent pendant un certain temps en analyse simultané-
ment chez Freud. Je signale ce fait tout de suite pour montrer que Freud, lors-
qu'il se sentait activement concerné par une aide à donner, ne respectait pas ses
propres directives techniques qui voulaient qu'on n'analysât pas différents mem-
bres d'une même famille. En général il n'aimait pas les Américains, mais il faisait
toujours des « exceptions » cliniques. Il se prit de sympathie pour Ruth et Mark
Brunswick en particulier et se déploya pour eux. Cependantje me suis fait dire à
la fois par Mark Brunswick et son frère David, que j'ai rencontrés à des périodes
différentes et dans des endroits distants de plusieurs milliers de kilomètres, qu'au
bout du compte chacun des deux avait estimé que Freud n'aurait dû prendre
aucun des deux en traitement en même temps que Ruth. Mark et David, après
avoir vu Freud, allèrent tous les deux chez un autre analyste, et constatèrent que
le créateur de la psychanalyse pouvait être insuffisant, en tant que thérapeute,
dans des occasions où ses successeurs ne l'étaient pas.
Je pense qu'il est important de souligner l'implication personnelle de Freud
avec les Brunswick, parce que l'histoire a tendance à s'écrire parfois de façon
très étrange. Pour autant que je puisse dire, Ruth et Marie Bonaparte furent
pendant une décennie les disciples femmes les plus importantes de l'univers de
Freud. La fille de Freud, Anna, était à l'époque beaucoup moins importante, bien
qu'elle jouât un rôle essentiel en tant que secrétaire, gardienne de son agenda et
infirmière. Mais, malgré l'importance de Ruth, elle n'a été l'objet, dans la littéra-
ture sur Freud, d'aucune attention particulière, comme par exemple dans l'étude
de Schur (1972) (Roazen, 1990, p. 218). Son nom apparaît régulièrement lié à
l'Homme aux loups, puisqu'elle avait publié une histoire de son cas, après que
Freud le lui eut adressé pour son traitement (Mark Brunswick, 1928). (Une
secondehistoire du cas de « L'Homme aux loups » demeure encore non publiée, et
1204 Paul Roazen
il est probable qu'un de ces jours l'interdiction sera levée aux archives Freud à New
York, dont les autoritésgardent toujours le contrôle sur tout ce qui est passé par
leurs mains sur le chemin de la bibliothèque du Congrès.) Le fait qu'il lui ait confié
le traitement de « L'Homme aux loups » confirme l'importance qu'avait Ruth
pour Freud. Il savait que le traitement de ce cas mémorable lui fournirait de quoi
écrire. Tous les éléments qu'elle découvrirait s'ajouteraient à sa version à lui du
cas et feraient donc partie intégrante de la littérature spécialisée.
Ruth Mack Brunswick n'est pas la seule analyste de la première époque à se
voir négligée dans les comptes rendus les plus connus de l'histoire de l'école de
Freud. Pour ma part j'ai fait de mon mieux pour faire revivre la figure de Victor
Tausk, qui disparut de la scène psychanalytique après s'être suicidé en 1919,
après une lutte décevante avec Freud (Roazen, 1969, p. 22; voir aussi Roazen,
dans Tausk, 1991, p. 1-31). L'histoire s'écrit de façon fantaisiste : Ruth Bruns-
wick n'a pas été un succès thérapeutique de Freud, et elle ne tint pas les pro-
messes professionnelles auxquelles on aurait pu s'attendre. Le suicide de Tausk
fut en soi suffisant pour étouffer tout intérêt pour lui parmi les dévoués adeptes
de la « cause » de la psychanalyse en tant que mouvement.
Mais l'histoire ne doit pas s'écrire depuis la perspective des grands batail-
lons. Chez les historiens on appelle « libérale » (whig) l'approche qui se veut
exclusivement orientée par le succès, et cet élitisme (whiggery) ne constitue en
rien un procédé qu'on peut applaudir. Dans une récente biographie à grand suc-
cès de Freud, par exemple, le nom de Wilhelm Reich n'apparaît pas même une
seule fois (Roazen, 1990). Reich eut une importance immense pour Freud et son
entourage. Depuis la mort de Reich, ses livres ont tellement plu qu'ils sont quel-
quefois sortis dans des versions pirates non autorisées. Les dernières années de
Reich se sont passées en dehors d'une psychanalyse cadrée, puisqu'il avait été
expulsé des groupes officiels qui certifiaient les praticiens. Mais il serait vraiment
incongru, quand on reconstruit l'histoire de la vie et des luttes de Freud, de trai-
ter cette figure historique comme si elle n'avait jamais existé, simplement parce
qu'on n'approuve ni ses idées ni la dernière période, malheureuse, de sa vie.
Reich est extrêmement bien connu, ne serait-ce que parce que ses pratiques
l'ont fait atterrir dans une prison fédérale américaine où il est finalement mort
en 1956, il est si célèbre qu'il est nécessaire de souligner l'oubli dont il a fait l'ob-
jet dans un récit historique, pour constater rapidement l'irrecevabilité du parti
pris truqué de l'ordre établi en place.
Mais qu'en est-il de ceux qui, pour différentes raisons, ont peu écrit ou n'ont
pas réussi à faire école ? Il est beaucoup plus difficile d'établir qui, dans l'histoire
enregistrée, a joué un rôle plus subtil. L'histoire est colorée en partie par le suc-
cès lui-même, et ceux qui, pour un motif quelconque, ont été mis de côté, ou res-
semblent à des « perdants », peuvent être facilement oubliés (Roazen, 1990).
Les patients de Freud : intemporels ? 1205
Que la mémoire historique puisse se faire si capricieuse doit d'autant plus nous
inciter à être consciencieux et avancer sur la pointe des pieds.
Ruth Mack Brunswick, relativement aussi peu connue dans le milieu des
années 60 qu'elle semble devoir l'être encore maintenant, fut tout au long des
années 20 et 30, l'un des personnages marquants de l'entourage immédiat de
Freud et un véhicule particulier de son influence sur ses disciples aux Etats-Unis.
Elle se trouvait être aussi l'analyste qui avait apporté une contribution écrite
mémorable à l'histoire de la discipline. Ses écrits sur ce qu'on appelle la phase
pré-oedipienne sont régulièrement cités de nos jours. Tous ceux qui se sont trou-
vés à Vienne à l'époque ont attesté qu'elle était très en faveur auprès de Freud,
en réalité l'une de ses filles adoptives en psychanalyse. Et cependant rien, ou
presque, n'a été publié, même maintenant, à son sujet.
Il m'est apparu très tôt dans mes interviews avec les disciples de Freud que,
si beaucoup de choses avaient été écrites sur certains d'entre eux, d'autres
avaient été négligés. L'intérêt que cette inégalité a suscité en moi ne provient pas
d'un quelconque souci archéologique. Une fois que l'on a compris le grand rôle
que joue le sectarisme dans la psychiatrie moderne, et à quel point l'histoire de
la psychanalyse a été sujette à caution, et quand on remarque qu'une personne
ou un sujet ont été mis de côté, une attention toute particulière est requise pour
mener à bien une enquête responsable. L'analyste viennois Paul Schilder, par
exemple, fut une figure très importante de la psychiatrie du XXe siècle, mais parce
qu'il était brouillé avec Freud, pratiquement rien n'existe à son propos dans la
littérature.
En ce qui concerne Ruth Mack Brunswick, j'ai su très tôt que son histoire
méritait notre attention. Un examen attentif de la littérature disponible montrait
combien elle avait été authentiquement importante à une époque. Le fait que
Karl Menninger l'ait choisie comme analyste est un indice de la place qu'elle
occupait dans ce milieu. Le fils de Fliess, Robert, fut également son patient (de
même que l'actrice Lyrna Loy).
Alors que je suivais la carrière de Ruth Brunswick dans la littérature, j'ai
découvert un « secret » au sujet duquel personne n'avait écrit ou débattu publi-
quement. Dès lors elle fut, dans mon esprit, une perdante : elle avait été, sans
nécessité, mise à l'écart des livres d'histoire, et je me fis un devoir de creuser la
question en m'enquérant à son sujet. Après que j'ai eu imprimé certains épisodes
de sa vie, c'est une relecture de l'histoire qui se fit. Il s'avéra que l'une des raisons
majeures des réticences littéraires concernant Ruth Mack Brunswick était l'ex-
tension qu'avait prise son addiction à la drogue, alors qu'elle était sous la pro-
tection de Freud. A Vienne, elle alla jusqu'à entrer dans un sanatorium pour
tenter de surmonter sa dépendance. Freud perdit toutes ses illusions concernant
Ruth, mais pas avant ses derniers mois, quand ses facultés commencèrent à être
1206 Paul Roazen
David, que j'ai interrogé avant Mark, était alors analyste praticien à Los
Angeles, je l'ai interviewé dans son cabinet, et j'ai déjeuné aussi avec lui. Il avait
été, me dit-il dès le début, en analyse avec Freud à Vienne de 1927 à 1930. A
l'époque où je l'ai vu, je rencontrais aussi d'autres analystes de la région de Los
Angeles et donc, inévitablement, ils m'ont donné leur opinion sur lui également.
David me fut correctement décrit, de source sûre, comme un homme extra-
ordinairement « modeste ». Malgré son association durable et proche avec
Freud, il ne prenait pas de grands airs. Je l'ai trouvé direct et simple, un rien
insipide, certainement un peu terne comparé au souvenir que j'ai de son frère
Mark. Une vieille Viennoise, veuve de l'analyste Edward Hitschmann, eut cette
formule frappante pour parler de David Brunswick et signifier qu'il était très
ennuyeux : « sévèrement humain ». Mais j'ai appris de lui des choses essentielles
(quoique, rétrospectivement, il soit concevable que, dans ma mémoire, il ait été
éclipsé par Mark).
Trois ans d'analyse avec Freud ne constituait en rien une analyse courte,
mais David m'informa tout de suite que son frère Mark et sa belle-soeur Ruth,
s'étaient trouvés plus longuement chez Freud à Vienne. (Avant qu'il ait son can-
cer, les analyses de Freud étaient de façon caractéristique toutes plus courtes
qu'après sa maladie.) Je constate d'après mes notes détaillées que je n'avais pas
pris pleinement conscience des liens familiaux existant entre David, Ruth et
Mark. Les choses devinrent encore plus compliquées quand le père de Ruth,
après la mort de sa première femme, épousa la mère de David et Mark. (Le père
de Ruth, le juge Julian Mack, était un juriste célèbre.) Même avant cela, David
et Mark étaient des parents éloignés de Ruth, et Mark, jeune homme, avait
assisté au premier mariage de Ruth qui avait épousé un éminent physicien, Her-
man Blumgart.
David me dit qu'il avait entendu parler de Freud par Léonard Blumgart, un
psychanalyste new-yorkais qui avait été analysé par Freud peu après la fin de la
première guerre mondiale. Un petit groupe de psychiatres new-yorkais était allé
trouver Freud pour une formation complémentaire, puisque la psychanalyse
paraissait porteuse d'avenir. Léonard Blumgart, me dit David, était un cousin
germain de sa mère, et c'était à cause des liens de Mark Brunswick avec le pre-
mier mari de Ruth que Mark s'était trouvé présent à ce mariage.
Du point de vue de David, il était essentiel de m'expliquer dès le départ que
Mark et Ruth étaient déjà avec Freud avant lui. Mais peu importe que la situa-
tion ait pu avoir été inhabituelle, ou me frapper alors comme « peu orthodoxe »,
David m'expliqua, sans se mettre sur la défensive, que, analytiquement, Freud
les avait tous « eus » en même temps. Une thérapie censée analytique présup-
pose qu'il y ait une distance entre l'analyste et ses patients. Freud, dès le tout
début de la psychanalyse dans les années 1890, s'était même assuré qu'il y eût,
1208 Paul Roazen
pour son bureau, une entrée et une sortie différentes de façon à ce que les
patients pussent conserver leur anonymat. Pourtant dans le cas de David, Mark
et Ruth, Freud traitait ces trois personnes qui se connaissaient intimement, et il
était impossible pour aucun d'eux de ne pas apprendre quelque chose de ce qui
se passait avec Freud dans l'analyse des deux autres. Freud, par exemple, avait
discuté dans tous ses détails avec Ruth de toute la première analyse de Mark. Au
commencement de la deuxième analyse de Mark, entreprise après une interrup-
tion de quelques années, Freud dit que cela avait été une erreur qu'il ne répéte-
rait pas. (Avant la première guerre mondiale, pendant l'analyse de la concubine
de Jones, Loe Kann, Freud avait écrit longuement à Jones au sujet de son cas
clinique.) Tout au long des analyses de Ruth et Mark, Freud les rencontra beau-
coup en société (mais pas David).
D'après David, sa cure avec Freud n'avait pas été « une bonne analyse ». A
l'époque où j'interviewais David, j'étais déjà au courant des échecs possibles de
Freud en tant que thérapeute, ou du moins je savais que beaucoup de ses
anciens patients étaient capables de plaisanter entre eux de certaines de ses insuf-
fisances cliniques. Ces réserves n'étaient aucunement incompatibles avec un res-
pect que tous partageaient pour Freud, ou la signification personnelle immense
qu'il avait dans leur vie. Mais David Brunswick doit avoir été le premier de ces
anciens patients à exprimer aussi directement ce qui n'avait pas marché pour lui
avec Freud.
Selon David, Freud « n'aurait pas dû le prendre » en analyse en même
temps que sa belle-soeur et son frère. Il ne me sembla pas que David se trompait
quant à l'endroit où Freud avait fait une erreur. Je n'ai pas pensé que David fai-
sait une généralisation sur le fait que les thérapeutes analystes ne devaient pas
traiter trop de membres de la même famille en même temps. Il est vrai que,
jamais auparavant, je n'avais entendu dire que Freud violait de façon aussi fla-
grante ses propres recommandations concernant la distance et la neutralité. J'ai
connu, par la suite, des psychanalystes qui ont analysé des couples mariés, quel-
quefois simultanément, mais le plus souvent pas, et qui disaient avoir eu des
résultats, quelquefois bons et quelquefois mauvais.
David me souligna le fait que, lorsqu'il était allé à Vienne, Freud se trouvait
à une étape différente de celle de son premier travail. A une époque, me fit-il
remarquer, Freud s'était prononcé en faveur d'analyses relativement courtes, qui
duraient l'affaire de quelques mois ; mais ce n'était plus le cas vers la fin des
années 20. Selon sa version des choses, l' « interférence » dans son analyse pro-
venait plus de Freud et son contre-transfert à l'égard de David que de ses pro-
pres résistances à lui. David jugeait que Freud avait eu un préjugé contre lui, et
que ce problème affectif était dû au fait que Mark et Ruth avaient auparavant
parlé de lui à Freud.
Les patients de Freud : intemporels ? 1209
A l'écoute de Narcisse
Quand les mots seuls ne sauraient suffire...1
Roger DUFRESNE
I. Le mythe de Narcisse
Au-delà de son mépris affiché pour toutes les femmes, on aura d'emblée
remarqué son effroi et son retrait devant le désir de l'autre, reçu non comme
occasion de partage, mais comme subterfuge et tentative d'emprise. « Pas cela,
avait-il dit, je mourrai avant que je te donne pouvoir sur moi ! »
Alors que je tentais de retracer l'histoire de Narcisse chez les auteurs anciens
dans l'espoir d'y trouver quelque élément qui nous permettrait de mieux com-
prendre pourquoi et comment il était devenu « narcissique », j'ai été frappé de
n'en pouvoir trouver que fort peu. Ainsi à rencontre d'Oreste qui, après avoir
tué sa mère Clytemnestre, perdit la raison et hallucina des femmes terrifiantes
toutes noires, aux cheveux de serpent et aux larmes de sang ; à rencontre aussi
d'OEdipe qui, après avoir tué son père, Laios, et épousé Jocaste, sa mère, à son
insu il est vrai, se creva les yeux, fut banni de sa cité et erra très longtemps guidé
par sa fille Antigone jusqu'à leur arrivée à Colone où il mourut paisiblement
entouré de nouveaux amis, Narcisse nous est donné à connaître presque sans
histoire. Ni Furie ou Gorgone, ni père et fils rivaux et assassins, ni mises en
scène de désir, d'amour et de haine, ni déraison ni remords.
Ovide, qui le premier en rapporte la légende dans ses Métamorphoses, nous
raconte seulement que Narcisse était né de ce que jadis le dieu-fleuve Céphise
avait enlacé dans ses ondes sinueuses la rivière Liriope pour lui faire violence et
qu'après la naissance la mère s'était inquiétée auprès du devin Tirésias de la lon-
gévité de son fils. Rien n'est dit de quelque autre intervention du père, ni d'une
fratrie, ni d'aucun destin dont il serait l'héritier, ni de tout autre regard que sa
mère aurait ou n'aurait pas posé sur son berceau. Etrange absence d'histoire et
de désir, inquiétante prémonition d'une mère... aquatique. Narcisse a-t-il jamais
vu autre chose que lui-même ou la mort dans les yeux de sa mère la rivière
Liriope? Adolescent, s'il eût des compagnons, ceux-ci demeurent anonymes,
indifférenciés et sans davantage d'histoire, doubles évanescents de lui-même.
Aucune libido ne paraît jamais s'investir sur un quelconque autrui, fut-il éphèbe
de son entourage ou adolescente séduisante ou éplorée. La nymphe Echo si
constante ne put jamais le guérir malgré le désir qu'elle en eût et en l'idéalisant
sans jamais être payée de retour, fut condamnée à ne vivre qu'une même et iden-
tique désolation.
qui lui ressemble et qu'il aime comme sa propre mère l'avait aimé enfant ; au lieu
d'aimer sa mère, il s'identifie à elle et s'aime lui-même.
Mais dès l'année suivante en 1911 dans « Le Président Schreber » et en 1912-
1913 dans Totem et tabou, Freud conçoit plutôt le narcissismecomme une fixation
à un stade évolutifnormal intermédiaire entre l'auto-érotismeet l'amour de l'objet
extérieur. Ainsi, à l'auto-érotisme, où les « pulsions partielles » trouvent satisfac-
tion dans l'excitationde telle ou telle zone érogène qui en est la source, succède un
second stade, le narcissisme, où les pulsions partielles sont rassemblées en un seul
tout qui prend le moi pour premier objet d'amour1.
Enfin, en 1914, dans « Pour introduire le narcissisme », Freud ne limite plus
le narcissisme à une perversion ni à un stade évolutif intermédiaire, mais y voit
le « complément libidinal de l'égocentrisme de l'instinct d'autoconservation ». Il
donne ainsi au concept de narcissisme une acception beaucoup plus étendue
puisqu'il en fait une donnée fondamentale et permanente de tout le fonctionne-
ment psychique.
Il se représente d'abord un investissement originaire du moi par la libido
qu'il appelle narcissisme primaire. Une part de cette libido est ensuite cédée aux
objets, mais fondamentalementl'investissement du moi subsiste, ce qu'il nomme
la « stase de la libido » et dont la conséquence est que tout être humain demeure
narcissique en son fondement, même quand il investit l'objet. La libido se com-
porte envers les investissements d'objet comme l'amibe envers ses pseudopodes,
c'est-à-dire que la libido peut se porter sur le monde extérieur, ou en être retirée
et reportée sur le moi. Par retrait, Freud n'entend pas un simple repli névrotique
où, malgré l'abandon de l'objet réel, persiste l'investissement libidinal des objets
imaginaires, mais le désinvestissement psychotique des objets tant internes
qu'externes avec reflux de la libido sur le moi. Ce retrait, narcissique, fait appa-
raître le narcissisme secondaire qui se surajoute au narcissisme primaire et
conduit à la surévaluation mégalomaniaque du moi, telle qu'on l'observe
notamment dans le délire de grandeur des schizophrènes. Il postule qu' « une
telle attitude narcissique pouvait constituer l'une des limites de l'analyse » dans
les psychoses qu'il dénomme « névroses narcissiques » et, à un degré moindre,
dans l'homosexualité, les perversions ou l'hypochondrie, par suite de l'absence
ou de l'insuffisance du transfert sur une autre personne.
Dans ce même texte, il introduit pour la première fois la notion d' « idéal du
moi » « à qui s'adresse dorénavant l'amour de soi dont jouissait dans l'enfance
le moi réel »... « L'homme, poursuit-il, ne veut pas se passer de la perfection nar-
1. On se rappellera qu'à cette époque Freud n'a pas encore développé sa deuxième topique et que le
« moi » désigne la personne tout entière ou plus précisément la représentation de soi que recouvrent les
termes actuels de Self, de Soi, de Je ou de sujet.
1218 Roger Dufresne
cissique de son enfance... Ce qu'il projette devant lui comme son idéal est le
substitut du narcissisme perdu de l'enfance ; en ce temps-là il était lui-même son
propre idéal. » L'apparition de l'idéal du moi surviendrait, selon Freud, de la
critique des parents, intériorisée sous forme d'une « instance de censure » qui
veille sans cesse sur le moi actuel et le mesure à l'idéal. L'idéal du moi est donné
comme l'héritier du narcissisme et l'instance de censure comme le protecteur de
l'estime de soi en interdisant toute attitude qui serait contraire ou non conforme
à l'idéal du moi, source de la satisfaction narcissique.
Freud y considère également la vie amoureuse, plus précisément les deux
types de choix d'objet. Il avait initialement conçu que « les pulsions sexuelles
s'étaient (ou s'appuient) d'abord sur la satisfaction des pulsions d'autoconserva-
tion du moi » et « que cet étayage se révèle dans le fait que les personnes qui ont
assuré l'alimentation, les soins et la protection de l'enfant deviennent les pre-
miers objets sexuels, en premier lieu la mère ou son substitut ». C'est ce qu'il
nomme le choix d'objet par étayage ou anaclitique. Mais, ajoute-t-il, « la
recherche analytique nous en a fait découvrir un autre que nous ne nous atten-
dions pas à rencontrer » et qui apparaît « avec une particulière évidence » chez
« les pervers ou les homosexuels qui ne choisissent pas leur objet d'amour sur le
modèle de la mère, mais bien sur celui de leur propre personne..., en présentant
le type de choix d'objet qu'on peut nommer narcissique ». Cependant ajoute-t-il,
« Le plein amour d'objet selon le type par étayage consiste dans une surestima-
tion sexuelle frappante qui a bien son origine dans le narcissisme originaire de
l'enfant et répond donc à un transfert de ce narcissisme sur l'objet sexuel. »
Freud conclut : « Les deux voies menant au choix d'objet sont ouvertes à
chaque être humain. »
Freud ne vient pas seulement de donner une extension considérable au
concept de narcissisme ; il a déplacé temporairement dans sa théorisation l'ac-
cent du pulsionnel au relationnel. Lorsqu'il distingue la libido narcissique et la
libido d'objet, Freud ne considère qu'une pulsion, la libido ; le conflit n'oppose
plus deux pulsions comme dans ses théories antérieures et postérieures, mais
concerne les lieux où une pulsion unique s'investit, se retire ou ne s'investit pas,
le moi et l'objet. Il est remarquable, sinon paradoxal, que dans presque toute
son oeuvre ce soit dans ses textes sur le narcissisme que Freud se soit davantage
intéressé aux relations d'objet.
Ses réflexions sur le narcissisme constituent un point tournant de son oeuvre.
Comme devait l'écrire Ernest Jones en 1955, elles ont donné « une secousse
considérable à la première théorie des pulsions sur laquelle avait reposé la psy-
chanalyse jusque-là ». Ainsi le concept de libido est en voie d'englober les pul-
sions d'autoconservation du moi. Cela n'allait pas sans soulever de nouveaux
problèmes théoriques sur la nature sexuelle ou non sexuelle de la libido du moi
A l'écoute de Narcisse 1219
ou sur un possible glissement vers le monisme pulsionnel proposé par Jung, dont
Freud se défendra toujours avec véhémence et qui le conduira à la théorie de la
pulsion de mort. De même, la double fonction du moi à la fois source de la
libido et premier objet sur lequel elle s'investit anticipe la différentiation du ça et
du moi, tandis que l'introduction de l'instance de censure annonce le surmoi.
Freud ne fut pas dupe de la complexitéet des difficultés de sa théorie du narcis-
sisme. Dans « Pour introduire le narcissisme » précisément, il écrit encore : « Ces
notions ne sont ni particulièrement claires à saisir ni suffisamment riches en
contenu. » Il poursuit aussitôt sur sa conception de la science analytique : « Une
théorie spéculativedes relations en cause se proposerait avant tout de se fonder sur
un concept défini avec rigueur. Mais voilà précisément, à mon sens, la différence
entre une théorie spéculative et une science fondée sur l'interprétation de l'empi-
rique. Celle-ci n'enviera pas à la spéculation le privilège d'un fondement lisse et
logiquement irréprochable, mais se contentera volontiers de conceptions évanes-
centes à peine représentables qu'elle espère pouvoir saisir plus clairement au cours
de son développement ou qu'elle est même prête à échanger pour d'autres. C'est
que ces idées, conclut-il, ne sont pas le fondement de la science, mais le toit de l'édi-
fice et peuvent sans dommage être remplacées ou éliminées. »
Le texte de 1914 « Pour introduire le narcissisme » contient l'essentiel des
apports de Freud sur cette notion. Ses références ultérieures, quoique nom-
breuses, sont assez brèves et incidentes, le plus souvent sans qu'il ne cherche à
articuler ses conceptions du narcissisme aux nouvelles formulations de sa méta-
psychologie. Cela est certes fort gênant quand on aborde son oeuvre pour la pre-
mière fois et le demeure longtemps encore, voire toujours, si l'on y cherche un
système définitif et clos. Ce faisant, toutefois, il nous aura évité l'illusion idéa-
liste, narcissique, qu'une théorie spéculative puisse jamais expliquer entièrement
et épuiser l'inconscient. Il nous aura ouvert des voies de réflexion, des espaces de
pensée, où chaque analyste peut trouver inspiration et repères dans la théorisa-
tion toujours à construire à l'écoute du dire unique de chaque analysant. Aucune
théorie préalable, aucun système fermé ou « lisse » ne saura jamais être d'aucun
analysant le fidèle Echo.
moment précis je m'en fais en vue de cette conférence. Il est impossible de tout
dire d'une analyse, peut-être même de l'essentiel dans tous les non-dits et le non-
verbal qu'elle a comportés. Je n'aurai le temps de vous en dire que quelques-
unes des questions qu'elle m'a posées et des leçons qu'elle m'a apprises.
Isaac m'avait consulté en proie à une très vive angoisse. Marié depuis long-
temps, il avait depuis trois ans une maîtresse assidue. Son épouse l'avait décou-
vert et exigé qu'il mette un terme à cette liaison, ce qu'il avait promis de faire
sans délai. Sa maîtresse le pressait de divorcer et il l'assura que cela ne saurait
tarder. Mais les mois et les années passèrent. Les deux femmes s'impatientaient;
les petits dîners intimes se faisaient plus fréquents, les menaces aussi, l'une de lui
interdire l'accès au foyer conjugal, l'autre de le quitter pour un amant plus jeune.
Il avait beaucoup d'affection pour sa femme, tendre, sérieuse, excellente mère et
parfaite hôtesse, et il appréciait la chaleur de son foyer et la présence des enfants.
La maîtresse, plus jeune, avait pour elle la vivacité, l'esprit, le charme et des inté-
rêts professionnels communs. En vérité, il ne voulait les perdre ni l'une ni l'autre
et aurait volontiers poursuivi longtemps ce ménage à trois. A la limite, il aurait
peut-être choisi la maîtresse, mais il y avait les enfants. Il ne les voyait guère, car
il travaillait sans relâche, y compris les soirs et les week-ends. Mais il ne pouvait
être question pour lui de les quitter et de leur faire vivre une situation qui puisse
rappeler un tant soit peu ce que lui-même avait vécu enfant.
Des événements horribles avaient marqué son enfance. Il était tout jeune
quand son pays fut occupé par les Allemands. Juif, il porta l'étoile jaune et connut
avec ses parents la clandestinité. Chaque jour des amis leur apportaient un peu de
nourriture et les nouvelles des récentesarrestations. L'enfant voulaitjouer à l'exté-
rieur comme auparavant, mais cela lui était interdit. L'angoisse était à son comble,
les parents se disputaient, la mère pleurait, le père tempêtait davantage. Ils vécu-
rent ainsi cachés durant de longs mois, tressaillant à chaque bruit insolite. Un jour,
c'est la Gestapo. On lui avait appris à se cacher et à se taire. La fouille est rapide et
par miracle il passe inaperçu. Ses parents sont arrêtés et emmenés sans dire un seul
mot. Il voudrait les suivre, mais on l'avait prévenu de tous les scénarios. Après une
attente, il se précipite chez une famille amie, mais tous y pleurent, terrorisés par
l'éventualité de leur propre arrestation pour complicité. Il veut pleurer avec eux,
mais vite il comprend qu'il est de trop. Il n'a que 5 ou 6 ans. Retenant stoïquement
ses larmes dans un sursaut pour sa propre survie, il arpente les rues durant des
heures. Il croise une connaissance qui le fait conduire en lieu sûr.
Dès son arrivée dans une famille chrétienne dévote, on lui donne de nou-
veaux nom et prénom et une nouvelle identité ; dorénavant il sera le cousin éloi-
gné dont les parents sont morts. On lui enjoint de ne parler à quiconque de son
propre passé et de ne jamais pleurer ses parents même devant les parents d'ac-
A l'écoute de Narcisse 1221
rière ses lectures et me cite des articles de sexologie, d'éthologie, voire même la
théorie des névroses actuelles de Freud.
Un jour, je lui rappelle presque naïvement qu'il m'avait déjà dit que son
épouse et sa maîtresse seraient ravies de ses visites plus fréquentes, même
impromptues. Il m'apprend qu'il a un minimum de rapports sexuels avec cha-
cune, car avec elles il éprouve souvent des malaises physiques pénibles, ce qui ne
survient jamais lors de ses rencontres éphémères. Il est vrai, ajoute-t-il, qu'avec
les femmes d'occasion, jamais il n'accepte de faire l'amour deux fois. Quand
l'une de celles-ci lui tend à nouveau les bras, il semble lui répondre comme Nar-
cisse à Echo : « Pas cela, je mourrai avant que je te donne pouvoir sur moi ! »
Avec son épouse depuis longtemps, avec sa maîtresse depuis peu, ce qu'il
craint surtout c'est l'asservissement. L'image de soi qu'il abhorre le plus, son
anti- ou son contre-idéal du moi, pourrait-on dire, est celle du gentil mari dans
une petite maison de banlieue qui prépare le barbecue du dimanche dans son
jardin pour la famille et les voisins. Pour lui, il n'existe pas pire signe de la
domestication de l'homme par la femme ; puisse-t-il se préserver toujours d'une
semblable déchéance. Dans ce contexte, il peut reconnaître la nécessité pour lui
que l'épouse et la maîtresse se fassent réciproquement contre-poids et que les
belles d'un jour lui servent de remparts supplémentaires contre l'emprise éven-
tuelle des deux premières. Par contre, que plus profondément encore il puisse
éviter de s'attacher à quiconque par crainte d'une réédition des abandons de
l'enfance, lui paraît une hypothèse freudienne logique et plausible, mais qui ne
suscite en lui nulle émotion et en laquelle il ne se reconnaît pas.
L'analyse languit. Il s'absente souvent pour des périodes assez longues. Il y
a aussi ses perpétuels retards aux séances et dans les paiements, parfois considé-
rables et gênants, dont les moindres rappels par moi l'entraînent dans des dithy-
rambes sur les pratiques commerciales normales et les exigences extravagantes et
narcissiques des analystes. Que j'aie maintes fois modifié mes horaires pour l'ac-
commoder, ne lui suffit pas ; il se sent toujours prisonnier d'un arbitraire. Mais
il nie obstinément que ses retards puissent traduire une révolte.
Vers la cinquième année d'analyse, il me révèle que depuis quelques mois il
est amoureux d'une troisième femme comme jamais il ne l'a été auparavant. Je
lui souligne qu'il le mentionne pour la première fois. Il avait sciemment omis de
m'en parler, assuré que l'analyse d'un sentiment naissant n'aurait pu que le
détruire, « le tuer dans l'oeuf », dit-il, assuré surtout que mon idéal scientifique
m'aurait conduit à en poursuivre néanmoins l'analyse, comme un savant à l'uni-
versité procède à l'expérimentation et la dissection in vivo d'un cobaye sans
égard à ses souffrances et à sa mort. Ainsi, dans cette première verbalisation du
transfert après tant d'années, je suis à l'évidence à ses yeux un savant insensible
et bourreau, médecin nazi, nouveau Dr Mengele. Il n'y avait pas eu absence de
1224 Roger Dufresne
mier objet concret et sensible dans le désir duquel il puisse se reconnaître, faute
donc d'un autre réel narcissiquement investi qui lui serve de premier objet iden-
tificatoire et de support de son moi idéal narcissique ?
Les deux temps forts de l'analyse d'Isaac, quoique distants de quelques
années, ont permis de mettre au jour les deux pôles de son dilemme incons-
cient : l'effroi absolu devant le désir de l'autre et le besoin non moins absolu
de l'objet. Tel Ulysse dans le détroit de Messine, entre tourbillons et récifs,
entre Charybde et Scylla, chacun étant promesse de mort, il oscillait entre le
tout et le rien. Tantôt moi grandiose, il ne devait tout qu'à lui-même, sa survie
peu commune, sa réussite, ses conquêtes féminines, qui coïncidaient avec un
total mépris de l'objet. Tantôt enfant esseulé qui ne pouvait se séparer d'un
quelconque objet idéalisé, refuge de sa toute-puissance perdue. Mais l'objet
idéalisé lui-même n'est pas univoque, mais alternativement tout bon ou tout
mauvais. Sur la scène analytique, il imagine que je peux le guérir sans rien
connaître de lui ; je suis aussi le chercheur inhumain auquel il lui faut échap-
per. Il est l'enfant qui admire les soldats allemands ou israéliens et que seul je
peux sauver, mais je suis moi-même cet enfant qui ne lui pardonnera jamais
son départ.
Mes mots eux-mêmes étaient pris dans le même tourbillon, expressions d'un
tout-savoir ou bruits vides et auto-érotiques, aides salvatrices, suppliques de
séduction ou glaives sadiques. Jamais je n'entendais de culpabilité face à ses
retards, ses mensonges ou ses atermoiements, seulement le droit de se protéger,
comme si nul médiateur, ni interdit, ni loi, ni tiers, ni fonction paternelle, ni sur-
moi OEdipien ne s'était inscrit ou maintenu qui eût tempéré les toujours tumul-
tueuses relations duelles.
Pour que l'analyste ne soit pas lui-même happé dans ce tourbillon, il ne
concevra pas le transfert comme simple projection sur lui de tel personnage, his-
torique ou fantasmatique, mère ou père, ou de tel objet partiel, bon ou mauvais
sein, mais comme projection sur la scène analytique d'un scénario où les deux
acteurs, analyste et analysant, sont conviés à jouer tour à tour les rôles de sujet
et d'objet dans une permutation constante des identifications, des projections et
des introjections, où seuls demeurent constants le niveau et le mode de relation
entre les deux protagonistes.
Faute d'avoir pu suffisamment intérioriser ou conserver de bons aspects
de ses objets qui eussent apaisé son tumulte, Isaac tentait perpétuellement de
trouver dans le monde externe de nouveaux objets qui le rassurent sur sa
valeur et dont il puisse contrôler la distance pour le capter sans être capté par
lui, sans le perdre ni se perdre. Mais, inéluctablement, le fantasme archaïque
refaisait irruption et contaminait sa perception des désirs, faits et gestes de
l'autre, y compris de l'analyste.
A l'écoute de Narcisse 1229
Ainsi d'ores et déjà dans le mythe même qui le fonde, le narcissisme n'est
pas pure fascination originelle devant l'image de soi, ni investissement primaire
et exclusif de la libido sur le moi, mais fuite et repli sur soi par frayeur devant le
désir appréhendé de l'autre auquel l'illusion grandiose et solitaire et la mort
même semblent préférables.
Le mythe de Narcisse est le mythe du narcissisme secondaire décrit par
Freud, du repli sur soi défensif et pathologique. C'est lui que les analystes ont
d'abord étudié dans l'observation clinique et le traitement des nombreux trou-
bles narcissiques.
Or il est d'autres phénomènes plus universels, qu'on ne peut qualifier de
secondaires ni de pathologiques et qui n'en sont pas moins d'essencenarcissique. Il
suffira de rappeler les blessures narcissiques qu'ont constitué pour l'humanité la
découverte par Galilée que notre terre n'était pas le centre de l'univers, la théorie
de Darwin qui nous fait descendre du singe et les énoncés de Freud qui nous
apprennent que notre psyché est surtout mue par des forces inconscientes. Ou à
l'inverse d'évoquer l'aspiration religieuse à une union éternelle au Tout ou au
Tout-Puissant, l'orgasme partagé qui plus qu'une simple décharge pulsionnelle
comporte la recherche de la fusion quoique éphémère à l'alter ego, ou la surestima-
tion par les parents de « His Majesty the Baby », comme l'écrit Freud en anglais,
qu'ils ne font pas qu'entourer de leurs soins aimants, mais sur lequel ils projettent
leurs propres rêves et espoirs de perfection, d'immortalité, de héros et de prin-
cesses, et dans lequel l'amour de l'objet révèle clairement son origine narcissique.
Mais la théorie générale du narcissisme primaire, normal et universel, de
son devenir et de sa place dans l'économie psychique, c'est-à-dire la théorie de
l'investissementpremier de soi que le repli secondaire présuppose, est longtemps
demeurée dans l'ombre. Elle allait du reste se heurter à d'énormes difficultés.
Freud lui-même a varié quant à son acception. Il le conçoit d'abord comme
contemporain de la constitution du moi quand les pulsions partielles se rassem-
blent en un seul tout qui prend le moi pour objet, mais il laisse alors en suspens
la question de savoir quelle action psychique doit s'ajouter à l'auto-érotisme
pour donner forme au narcissisme. Plus tard il se représente le narcissisme pri-
maire comme antérieur à l'apparition du moi, anobjectal et présent dès la vie
intra-utérine, mais cette conception n'a plus aucun lien avec une représentation
de soi que suppose l'origine du terme de narcissisme et on ne voit plus ce qui le
distingue de l'auto-érotisme.
Après Freud, il a fallu beaucoup de temps avant que les analystes se pen-
chent à nouveau sur cette question. Peut-être craignaient-ils de faire subir aux
deuxièmes théories freudiennes une secousse désagréable, selon l'expression de
Jones, analogue à celle que son texte de 1914 avait donné à sa première théorie
des pulsions.
1234 Roger Dufresne
Toute découverte par chacun de nous des forces inconscientes qui nous ani-
ment et nous meuvent contrarie notre aspiration à la plénitude et au tout-savoir
et constitue une blessure narcissique. L'interprète ne saurait se limiter à montrer
la soif d'amour, la pulsion d'emprise, la frustration, l'envie ou la colère, au
risque de confirmer l'analysant dans son autodévalorisation et sa crainte de
n'être que le monstre pulsionnel qu'il craint être. Le travail de l'analyste consis-
tera pour une bonne part à lui offrir un premier soutien implicite par une écoute
empathique et bienveillante, mais également à lui indiquer plus explicitement les
besoins narcissiques qui sous-tendent et cachent les conflits relationnels. Ainsi
chez tel analysant, l'échec répétitif n'est pas uniquement réaction de colère
contre les attentes des parents, mais aussi tentative d'affirmer sa différence, son
indépendance, son altérité devant des parents qui peut-être ne pouvaient tolérer
la propre altérité de l'enfant. Il importera que l'analyste ne voie pas là qu'une
simple résistance ou le repli de la rage narcissique contre soi, mais sache recon-
naître, accepter, soutenir et dire simultanément l'intention constructive et répa-
ratrice de l'identité et de l'estime de soi.
Freud écrivait que « l'homme ne veut pas se passer de la perfection narcis-
sique de son enfance ». Il nous faut donc repérer les organisations psychiques
ultérieures qui serviront à sauvegarder l'équilibre narcissique au-delà de
l'époque du narcissisme primaire originel à peine différencié. Freud nous pro-
pose que « le narcissisme est déplacé sur ce nouveau moi-idéal qui se trouve,
comme le moi infantile, en possession de toutes les perfections ». Freud poursuit
que « le refoulement provient... de l'estime de soi qu'a et veut maintenir le
moi » ; ainsi, ajoute-t-il, telles « impressions, expériences, impulsions, désirs...
sont repoussés avec la plus grande indignation, ou sont déjà étouffés avant
d'avoir pu devenir conscients », parce que contraires à l'idéal du moi. Ce refou-
lement survient du fait d'une instance de censure ou d'un surmoi « qui, écrit
A l'écoute de Narcisse 1237
Catherine PARAT
1. Une jeune collègue me confiait que ce n'était pas son analyse personnelle, mais sa pratique qui
avait élargi sa connaissancedes hommes. Confrontée à cette réalité que les hommes aussi pleurent sur le
divan, et qu'ils ont des fragilités, elle avait cessé d'interdire à son fils de pleurer car « un homme ne
pleure pas ».
2. André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, Albin Michel, 1964.
3. André Leroi-Gourhan, La mémoire et le rythme, Albin Michel, 1965.
4. Alain Daniélou, L'érotisme divinisé, Buchet Chastel, 1962.
Le phallique féminin 1241
1. Jean Mascadé, Eros Kalos. Essai sur les représentations érotiques de l'art grec, Nagel, 1962.
2. Conrad Stein, La castration comme négation de la féminité, Rev. franç, de psychanal, 1961, n° 2.
3. Jacques Lacan, Ecrits II, Seuil, coll. « Points », 1971.
4. Jacques Lacan, Le Séminaire. La relation d'objet, Seuil, 1994.
1242 Catherine Parat
phallus dans l'ordre de la puissance. Freud utilise le mot phallus pour désigner
le pénis, confirmant la confusion dont il est difficile de se défaire.
Chez le garçon, le stade phallique, au décours du stade anal comporte la
mobilisation des investissements vers l'avant, vers le pénis, que renforce l'émoi
lié à la constatation de la différence des sexes. Le pénis est vécu comme l'organe
qui pourrait ouvrir vers la possession érotique de la mère, en rivalité avec le
père, le père à la fois muni, lui, d'un grand pénis, et interdicteur.
C'est la crainte de la castration par le père rival qui entraîne le renoncement
à la possession de la mère pour conserver le pénis investi à la fois d'une valeur
narcissique et comme porteur d'une possibilité future d'éprouver une satisfaction
erotique. Il s'agit là d'un renoncement à l'érotisme, au bénéfice du narcissisme.
C'est comme on le sait ce complexe de castration qui fait sortir le garçon du
conflit oedipien pour entrer dans la période de latence.
Et toujours selon Freud, c'est aussi ce qu'il appelle son complexe de castra-
tion (le sentiment de l'insuffisance de son clitoris, « pénis rabougri ») qui va faire
entrer la fille dans l'OEdipe. Tout cela est fort connu et accepté dans les grandes
lignes. Dans les grandes lignes, car il est intéressant de préciser la période qui
précède ce stade phallique et qui lui fournit l'essentiel de son énergie et de ses
valeurs.
Il est habituel de considérer comme allant de soi la similitude du vécu de la
période orale pour les deux sexes 1 .Qu'on admette ou non cette similitude, pendant
la période orale l'essentiel, sinon la totalité, de la libido est constitué par la libido
narcissique. Une part de ce narcissisme primaire persiste toute la vie, il fonde l'es-
time de soi que viendra renforcer le narcissisme secondaire, à l'aide des identifica-
tions, des apports liés à l'Idéal du Moi et des investissements d'objet. Parallèle-
ment au narcissisme primaire, Freud a décrit une identification primaire aux
parents. « La première et la plus importante identification que l'enfant effectue est
celle avec le père de la pré-histoire personnelle, c'est l'identification primaire,
immédiate, directe, antérieure à tout investissementobjectai... Les investissements
libidinaux (au père et à la mère) vont ajouter une identification secondaire. »2
L'impuissance de l'enfant liée à la prématuration entraîne la projection d'une
part du narcissisme primaire comme le décrit bien Janine Chasseguet3 : « L'éclate-
ment de la fusion primaire qui naît de cette impuissance et amène le sujet à recon-
naître le non-moi semble être le moment primordial où la toute-puissance narcis-
sique qui lui est arrachée est projetée sur l'objet, premier Idéal du Moi de l'enfant,
1. Rappelons cependant la conception de Jones qui attribuait plus d'importance aux pulsions incor-
poratrices de la fille et supposait une équivalence bouche-anus-vagin. Je ne sais si on a jamais tenté de
savoir si le fantasme de fellation du pénis paternel était plus fréquent chez les filles que chez les garçons ?
2. Sigmund Freud, Le Moi et le Ça.
3. Janine Chasseguet-Smirgel, L 'Idéal du Moi, Tchou, 1975.
1244 Catherine Parat
toute-puissance narcissique dont il est désormais séparé par une béance qu'il s'ef-
forcera toute sa vie de combler,tendancequi devient alors le primum movens de son
éducation et de ses activité dans divers domaines. » Notons en passant que la ten-
dance à combler cette « béance » nous ramène à la poursuite du phallus de Lacan
et à la recherche du paradis perdu de Grunberger.
L'enfant qui aborde le stade anal a constitué une ébauche d'Idéal du Moi
par projection d'une part de son narcissisme primaire, parallèlement à l'identifi-
cation primaire aux deux parents et à l'investissementde l'objet maternel.
Le stade anal occupe une période qui s'étale dans le temps, avec des avancées
et des retours en arrière, son développement ne se fait pas d'une seule tenue, on
pourrait parler d'un stade oro-anal où, comme l'écritjustement A. Green1 « l'ana-
lité primaire se rattache au sentiment de la fin de l'omnipotence symbiotique». Cet
auteur décrit un type de caractère névrotique qui se différencie du classique carac-
tère anal, où « la tonalité anale diffère de l'analité classique par le fait que la fixa-
tion paraît marquée par le narcissisme de manière prévalente ». L'érogénéité de la
zone anale est complexe, érogénéité de la muqueuse, du sphincter, du rectum
mobilisant la sensibilité profonde. Elle est accompagnée sur le plan psychique rela-
tionnel de pulsions actives et passives, d'un désir et d'un plaisir de maîtrise liée au
fonctionnement du sphincter, tous mouvements qui s'inscrivent dans une relation
avec l'entourage, la mère le plus souvent. Green note que les patients qu'il décrit
« manifestent une défense acharnée du territoire subjectif» et il souligne « un repli
sur la pensée comme possession inaliénable, la pensée ayant pris la place de l'objet
anal primitif ». Le mode relationnel avec l'entourage maternel prend, pendant
cette période, une grande influence sur l'acquisition d'une maîtrise corporelle et
psychiquequi, selon les cas, s'effectue souplement ou non, selon les diverses articu-
lations avec les mouvements maternels conscients et inconscients. Des pulsions
exhibitionnistesimportantes se manifestent également et l'enfant fier de son étron
l'investit d'une valeur narcissique.
Parallèlement, chez l'un et l'autre enfant se font jour une imitation et une
identification virile au père qui s'inscrivent dans la gestuelle, dans le comporte-
ment et dans l'expression de certains intérêts. Les réponses maternelles aux dif-
férentes attitudes de l'enfant, de la fille en particulier, qu'il s'agisse de l'érotisme
actif ou passif, du sadisme, de la maîtrise, de l'exhibitionnisme et aussi des iden-
tifications au père, prennent une grande importance dans le jeu relationnel.
Marie Bonaparte avait souligné que les interdictions maternelles concernant
les plaisirs anaux étaient généralement plus sévères à l'égard des filles. Les filles
seraient « propres » plus tôt que les garçons.
Andrée Bauduin1 a bien souligné le poids de l'analité sur le rapport qui peut
unir une fille et sa mère.
Les modes d'évolution des investissements de cette période, où se crée aussi
la possibilité si importante d'investir une notion de « cadre », vers la période
phallique sont importants et présentent des différences selon le sexe. C'est en
effet à l'orée de la période phallique que les enfants découvrent, plus précisément
investissent, la différence des sexes. Toute une part de l'érogénéité anale, la part
active surtout semble-t-il, vient renforcer l'érogénéité du pénis du garçon par une
sorte de glissement vers l'avant.
André Green2 rappelle dans son étude sur la position phallique narcissique
que « Freud a reconnu dès les premiers temps comment le pénis était le bénéfi-
ciaire d'un transfert de l'analité à la sexualité proprement dite... et que le report
des fantasmes agressifs contemporains de la phase sadique anale trouve encore à
s'employer avec l'organe pénien ».
L'investissement du pénis, renforcé par l'identification sexuée au père por-
teur d'un grand pénis, va ouvrir la voie vers l'OEdipe positif du garçon, et l'ame-
ner, le plaisir de la masturbation aidant, au désir de posséder sa mère à la place
du père. J. et M. Cournut marquent bien ce passage de l'analité à l'OEdipe en
rappelant que « le garçon ressent des impulsions obscures à une action vio-
lente : pénétrer, casser, percer des trous partout »3. La régression toute prête
vers l'analité est facile à saisir quand Hans répond à sa mère4 que « si on lui
coupe son fait-pipi, c'est avec son tutu qu'il fera pipi ».
La menace de castration et la constatation de l'absence de pénis de la fille
confrontent le garçon à l'obligation de choisir entre l'investissementde son pénis
en tant qu'organe erotique et l'investissementen tant qu'organe narcissique. Et,
classiquement, il choisit de renoncer à ses désirs érotiques et c'est l'entrée dans la
période de latence. L'introjection de la menace paternelle contribue à l'édifica-
tion du Surmoi et à la désexualisation de la relation aux deux parents, en même
temps qu'elle renforce le courant tendre qui intéresse la mère, et confirme les
identifications au père dans les voies de la sublimation. Après la resexualisation
de la puberté et les retrouvailles d'un pénis érotique, le garçon gardera cepen-
dant peu ou prou, mais constamment, les traces de l'investissement narcissique
qu'il avait fait de son pénis. Le pénis a ainsi acquis, au moins partiellement, une
valeur de phallus avec les complications qui découlent souvent de la prévalence
1. André Bauduin, L'aliénation érotique de la fille à sa mère, Rev. franç, de psychanal. 1994, n° 1.
2. André Green, Une variante de la position phallique narcissique, Rev. franç, de psychanal,
1963, n°l.
3. J. et M. Cournut, La castration et le féminin dans les deux sexes, Rev. franç, de psychanal, 1993,
numéro spécial du Congrès.
4. Sigmund Freud, Le petit Hans.
1246 Catherine Parat
1. Disons l'évolution classique de la fille car je n'oublie pas les nombreux accidents de parcours...
2. Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse.
3. C'est le schéma repris par Marie Bonaparte dans ses écrits sur la sexualité féminine.
4. Sans doute faut-il mettre à part certains cas où une masturbation clitoridienne constante a pu
organiser l'équivalentd'une perversion.
Le phallique féminin 1247
aux fantasmes masculins concernant les zones féminines. Ce qui va dans le sens
d'une prévalence du psychique et du relationnel.
S'il est évident que l'érection du pénis a depuis toujours favorisé la représen-
tation qui a été faite du phallus, l'érection féminine a des caractères différents.
Elle entoure, enserre, fait le lit de la concavité vaginale, et le pénis peut être reçu
par la femme tout entière. Le fantasme de confusion régressive transitoire peut
d'ailleurs fort bien être partagé par le porteur de pénis, comme l'a si bien évoqué
Ferenczi dans Thalassa.
Mais revenons à Freud. Selon lui, c'est pour la fille « son manque de phal-
lus ou plutôt l'infériorité de son clitoris » qui entraîne son renoncement à la
masturbation. Et c'est la déception (vécue par rapport à sa mère qui ne lui a pas
donné de pénis) qui la fait l'abandonner comme objet d'amour, et la remplacer
par son père.
Il est assez remarquable que Freud envisage la rivalité de la fille dépourvue
de pénis, par rapport à un frère ou à d'autres garçons, mais ne l'envisage jamais
par rapport à son père, et qu'il rapporte le déclenchement du changement d'ob-
jet au ressentiment à l'égard de la mère. Pourtant, dans un de ses derniers écrits1,
il a un instant évoqué une démarche agressive en rivalité avec le père : « Les
nouvelles relations peuvent s'établir d'abord sur le désir de disposer du pénis de
celui-ci2, mais le point culminant s'en trouve dans un autre désir : recevoir de lui
le cadeau d'un enfant. » Le désir d'enfant du père vient donc pour Freud rem-
placer le désir d'avoir un pénis, et se trouve ainsi évacué le désir d'enfant vécu
précédemment dans la relation avec la mère (recevoir un enfant de la mère...
faire un enfant à la mère...). Le mouvement agressif à l'égard du pénis du père se
trouve là effacé, non pris en compte, comme si une violente agression de la fille
vers le père ne pouvait pas être envisagée3. Enfin, Freud qui avait bien attaché
son intérêt à l'existence d'un courant tendre, parallèlement au courant érotique,
n'en tient pas compte pendant cette période pré-oedipienne.
C'est au décours de la période anale, et dans un échange relationnel avec sa
mère que la fille valorise sa connaissance de la différence des sexes. Le glissement
vers l'avant de l'érogénéité anale et cloacale est moins vif que chez le garçon. Le
désir d'avoir un pénis qui s'inscrit à ce moment dépend en partie de l'existence
de frères (qui peuvent uriner debout et loin), de l'investissement érotique du père
et de la mère, et de l'investissement que fait la mère d'un enfant sans pénis par
rapport à un enfant porteur de pénis. Est-il nécessaire de rappeler que pendant
les périodes qui précèdent, l'investissement maternel du nouveau-né et du très
jeune enfant, souvent complexe, n'est pas univoque. Si Freud a sans doute rai-
son en écrivant1 que « l'amour des parents, si touchant et au fond si enfantin,
n'est rien d'autre que leur narcissisme qui vient de renaître, et qui, malgré sa
métamorphose en amour d'objet, manifeste à ne pas s'y tromper, son ancienne
nature », les formes que prennent les projections parentales ont cependant un
impact sur le vécu de l'enfant. Il peut, cet enfant, être vécu surtout comme un
objet partiel, surtout comme un objet érotique, surtout comme un objet narcis-
sique... L'importance, la prévalence dévolue à la différence des sexes, pèse dès le
début de sa vie sur l'enfant-fille et sur son premier « confort narcissique », selon
qu'elle est ressentie comme satisfaisante ou insatisfaisante dans le monde incons-
cient de sa mère.
Comme l'a bien noté Lacan2 : « Le sujet n'est ni isolé, ni indépendant, et ce
n'est pas lui qui introduit l'ordre symbolique... Dans certains cas, c'est d'une
façon en quelque sorte directe que l'enfant a abordé dans l'imaginaire, non pas
le sien, mais celui dans lequel sa mère se trouve par rapport à la privation du
phallus. » Il est soumis effectivement, cet enfant, au fonctionnement psychique
de sa mère. Le désir de pénis éprouvé par la fille dépend d'abord et pour la plus
grande part de la valorisation narcissique qu'elle fait de ce pénis dont elle est
dépourvue, en fonction directe du manque vécu dans sa relation avec sa mère,
puis son père, puis l'entourage (fraternel en particulier). Elle projette sur le pénis
tout ce qui lui a manqué et l'investit d'une valeur narcissique. Le pénis, organe
visible, est une excellente occasion de projection, de représentation du manque.
La période anale et les échanges avec la mère qu'elle comporte semblent
de grande importance pour l'édification d'un sentiment d'autonomie et de
liberté, y compris la liberté dans le développement d'identifications viriles au
personnage paternel. L'ouverture d'un secteur autonome de vie (autonome par
rapport à l'objet maternel en particulier) se trouve alors (ou non) favorisé pen-
dant la période anale; il sera confirmé pendant la latence, parallèlement au
courant erotique, non contradictoire avec lui si son évolution ne subit pas
d'entraves ou de distorsions.
Les positions parentales, à propos de la différence des sexes, se trouvent
prises dans leur relation avec leurs propres parents et peuvent remonter loin
dans le transgénérationnel...3 Le manque parental qui a ainsi « contaminé » l'en-
fant fille est, selon les cas, plutôt d'ordre érotique ou plutôt d'ordre narcissique,
avec des interférences qui ne simplifient pas les choses.
Les fantasmes liés à la scène primitive suscitent chez la fille un désir de pos-
séder érotiquement sa mère, désir qui s'inscrit dès la période anale, et dont
l'exhibitionnisme en particulier est une manifestation 1. Pendant cette période, les
échanges inscrivent en partie l'organisation de la future féminité. Les jeux et les
enjeux erotiques, et les jeux et les enjeux concernant possession, pouvoir et
liberté, pèsent d'un grand poids sur l'avenir. Grunberger a écrit très justement
que « chaque accomplissementpulsionnel ou enrichissement du Moi de l'enfant
propre à accroître le sentiment de sa valeur, et confirmé comme tel, revêtira dans
son inconscient un caractère phallique, alors que, inversement, l'absence de
confirmation ou la dévalorisation non suivie de compensation narcissique sera
vécue par lui comme une castration ».
Le désir de posséder la mère sur un mode à la fois érotique et narcissique se
heurte au désir conservé ou retrouvé de la mère pour le père2. Ce désir va progressi-
vement glisser vers un mode érotique « à travers, écrit Lacan3, la découverte qu'elle
fait de l'insatisfaction foncière qu'éprouve la mère dans la relation mère-enfant. Il
s'agit alors pour elle du glissement de ce phallus de l'imaginaire au réel... La petite
fille trouve alors le pénis réel là où il est au-delà, dans celui qui peut lui donner l'en-
fant, à savoir, nous dit Freud, dans le père ».
Le désir de la fille en effet, à la période phallique, s'inscrit en compétition
avec le père muni d'un pénis apte à satisfaire érotiquement la mère. Il s'agit
d'un désir d'attaquer et de s'emparer du pénis du père rival, qui réalise
l'OEdipe négatif précédant l'OEdipe classique. Ce désir qui marque un moment
important de l'évolution relationnelle est transitoire dans les cas classiques. Il
peut prendre et garder une prévalence comme nous le montrent certaines
pathologies.
Ce mouvement actif, agressif, sadique, ouvre vers le changement d'objet qui
à l'aide du mouvement masochique4 et l'utilisation du fantasme de viol anal
atteindra l'OEdipe positif classique et ouvrira vers la réceptivité vaginale.
Ce mouvement concerne l'investissement érotique des objets parentaux.
Rien n'empêche, s'il garde une violence relative, sa coexistence avec le courant
1. Une publication psychiatrique insistait sur le fait que l'exhibitionnisme masculin chez l'adulte
concerne toujours le pénis, alors que l'exhibitionnismeféminin concerne non pas la région génitale, mais
les fesses et l'anus.
2. La Censure de l'Amante décrite par Michel Fain, prélude à la vie fantasmatique, Rev. franç, de
psychanai, 1971, n° 23.
3. Jacques Lacan, Le Séminaire. La relation d'objet. Seuil, 1994.
4. Ce mouvement masochique que j'ai essayé de mettre en lumière utilise le renversement de la pul-
sion en son contraire, mécanisme primitif, encore actif, d'autant plus que le refoulementn'est pas encore
parfaitement en place.
1250 Catherine Parat
tendre. La part du courant tendre qui investit la mère, une fois l'OEdipe positif en
place et la rivalité avec elle établie, entraîne une crainte de perdre son amour qui
aide à l'évolution vers la période de latence.
Le désir érotique, dirigé vers le père, ne rencontre qu'une satisfaction rela-
tive dans le contre-Oedipe du père quand il se manifeste, mais pas de satisfaction
directe, et le père, objet érotique frustrant, va se trouver désinvesti et introjecté
comme interdicteur. Cette désexualisationcontribue, comme chez le garçon, à la
constitution du Surmoi postoedipien' en venant enrichir et réorganiser les
noyaux préoedipiens du Surmoi.
Les identificationsviriles de la fille au père édifiées grâce à la bisexualité psy-
chique, dans les secteurs non conflictuels, hors du circuit érotique, pendant la
période anale, se trouvent mises apparemment en veilleuse pendant la période
phallique et la période oedipienne aiguë. Elles vont se trouver renforcées pendant
la période de latence où le père peut être le principal support de l'Idéal du Moi,
et où la bisexualité s'exprime plus librement. De plus, nous dit Freud2, « La
transposition de la libido d'objet en libido narcissique comporte manifestement
un abandon des buts sexuels, de désexualisation, donc une espèce de sublima-
tion. » Il ajoute en note que cet afflux de la libido vers le Moi constitue son nar-
cissisme secondaire (Cimetière des amours du Ça).
« Il semble bien parfois, écrit Grunberger3, qu'on ne prête pas une attention
suffisante à cette double identification (au père et à la mère). Il suffit cependant
de considérer la cure en tant que processus embrassant toute la maturation psy-
chosexuelle pour admettre que le sujet doit revivre en analyse toutes les phases
de cette maturation, y compris l'identification au parent du sexe opposé. C'est
une séquence relativement camouflée et passagère, débordée finalement par
l'identification opposée, mais nécessaire cependant, intégrée d'ailleurs dans le
Moi sur un mode partiel mais définitif. »
Il paraît nécessaire pour que s'intègrent les identifications au père pendant
la période de latence que la réponse contre-oedipienne du père n'ait pas été trop
violente et ne soit pas venue bousculer tout ce qui s'était tissé sur un mode
sublimé pendant les périodes précédentes en utilisant la bisexualité psychique. Il
ne faut pas oublier non plus l'existence de la coexcitation libidinale qui peut
venir à tout moment déclencher des acmés d'excitation avec les défenses, et par-
fois les délabrements que ces accès peuvent entraîner... Le père peut, ou non,
pendant la période de latence, conforter la bisexualité de la fille en la reconnais-
1. Je ne sais pas si le Surmoi du garçon est, comme on l'a parfois dit, plus solide parce que édifié sur
la crainte de la castration. Chez la fille, les deux parents au décours de l'OEdipe sont vécus comme inter-
dicteurs et promoteurs d'une loi.
2. Sigmund Freud, Le Moi et le Ça.
3. Bela Grunberger, Le narcissisme, Payot, 1971.
Le phalliqueféminin 1251
1. J'ai souvenir d'un groupe d'étudiants s'amusant à constater que « les jolies filles se marient et
abandonnent les études, seules les laides poursuivent ».
1252 Catherine Parat
1.C'est plutôt une plainte du « sois belle et tais-toi ». Ce propos prenant souvent des formes subtiles
mais néanmoins frustrantes, qu'elles qu'en soient d'ailleurs les raisons masculines souvent complexes...
Le phallique féminin 1253
Ces sublimations sont d'ordre varié. Elles concernent toutes sortes de travaux
et de créations professionnelles, intellectuelles, sportives,artistiques. Janine Chas-
seguet 1 a décrit une inhibition de la création féminine qu'elle rapporte, ainsi que
certaines inhibitions sexuelles, à une culpabilité féminine spécifique à l'égard du
pénis du père idéalisé, en incriminant la composante sadique anale. Ces troubles
découlent de distorsions dans la sphère génitale et n'intéressent pas directement
mon propos.
Un mode particulier de sublimation concerne la maternité, au sens large, car
l'exercice de la fonction maternelle ne nécessite pas d'avoir mis des enfants au
monde. Je ne pense pas d'ailleurs que les garçons soient dépourvus de ces possibili-
tés maternelles,mais elles sont chez eux moins constantes et moins cultivées.
Il existe bien entendu une pathologie de ce qu'on peut appeler le développe-
ment phallique (pour le maintenir en parallèle avec le développement érotique).
Le vécu relationnel des parents auquel j'ai fait référence et certaines circons-
tances, en particulier l'existence de frères investis différemment par les parents,
entraînent parfois une projection phallique sur le pénis du garçon et donne les
différents tableaux de l'envie du pénis.
Tout échec est alors mis en rapport avec l'absence de pénis et la vie amou-
reuse peut s'en trouver affectée ou mutilée lorsque l'essentiel de l'énergie se
trouve investi dans la compétition avec les hommes et dans certaines poursuites
idéologiques féministes.
A. Green2 a étudié les différentes expressions de l'imago de la mère phallique
(à travers des cas masculins). Il conclut que « la mère phallique est celle qui ne
veut pas du phallus ». Le mot phallus étant utilisé pour désigner le pénis. C'est
effectivement une mère anale, possessive, dont les valeurs narcissiques tendent à
dénier toute valeur au pénis. Les « femmes phalliques » ressenties négativement
par les hommes sont celles qui, en imposant leur analité possessive, s'opposent à
leur besoin de maintenir une valeur phallique (narcissique) à leur pénis. Ce que
les autres femmes sentent intuitivement et respectent.
Freud 3 écrivait à propos du choix d'objet narcissique de la femme : « Lors
du développement pubertaire, la formation des organes sexuels féminins, jus-
qu'ici à l'état de latence, provoque une augmentation du narcissisme originaire
défavorable à un amour d'objet régulier s'accompagnant de surestimation
sexuelle. Il s'installe en particulier dans le cas d'un développement vers la
beauté, un état où la femme se suffit à elle-même. De telles femmes n'aiment à
compléter les plaisirs que chacun peut trouver dans l'ordre érotique où la fragi-
lité reste souvent plus grande à cause d'une certaine dépendance à l'égard des
objets investis.
Si la sublimation ne permet pas non plus la possession d'un objet totale-
ment satisfaisant, le phallus à jamais inatteignable, du moins sa poursuite, sous
diverses formes sublimées, constitue un moteur de vie où le narcissisme trouve
d'importants bénéfices.
Comme j'ai essayé de le souligner, cette voie ne se dégage progressivementde
la quête érotique et ne s'autonomise que tardivement. Les interférences entre les
deux modes d'investissement pendant toute l'enfance peuvent entraîner des gau-
chissementset nuire au développementdes sublimations dans l'un et l'autre sexe.
J'ai conservé le mot phallique, malgré les confusions auxquelles il se prête,
pour désigner la quête narcissiquede la fille, afin de souligner à la fois le parallé-
lisme et la différence des trajets masculin et féminin. Le phallique masculin, s'il
s'inscrit bien entendu aussi dans l'ordre des sublimations, garde la marque de l'in-
vestissement narcissique du pénis qui double sa valeur en tant que support du plai-
sir d'organe, indépendant de l'objet. Cette marque est plus ou moins profonde,
mais inévitable étant donné l'importance et la forme du complexe de castration.
Les femmes connaissent bien intuitivement dans la relation amoureuse cette sensi-
bilité et la respectent, sauf si elles ont des comptes à régler avec la gent masculine.
Les entraves que subit le développement phallique féminin sont d'un tout
autre ordre. Elles peuvent dépendre d'une organisation névrotique (la confusion
phallus-pénis) ou des contraintes et des contaminations relationnelles qui gênent
l'exercice de la bisexualité psychique. Il semble que l'absence de pénis mette la
fille à l'abri de l'investissement narcissique et souvent dommageable d'une partie
de son corps, d'un organe sexuel dévolu à la vie érotique. L'analyse des femmes,
auxquelles j'ai limité mon propos, les aide à situer le désir de pénis à sa place et
dans ses différentes significations, et à reconnaître un désir d'expansion phal-
lique, c'est-à-dire narcissique dégagé des conflits de la vie érotique, les deux sec-
teurs pouvant cohabiter harmonieusement.
B. Grunberger a évoqué une « culpabilité de guérison » qui peut appa-
raître à la fin de l'analyse. « L'acquisition du phallus, expression de son inté-
grité narcissique déclenche chez le patient une culpabilité à l'égard de son ana-
lyste... Comme s'il s'agissait d'une castration du thérapeute, il y a là unicité du
phallus... L'existence de cette culpabilité spécifique, indépendante de l'OEdipe,
illustre la nécessité de séparer l'aspect narcissique du transfert de son aspect
historique et d'analyser dans le même esprit la résistance souvent irréductible
qu'il ne manque pas de provoquer... Il existe un double courant narcissique et
pulsionnel dans l'analyse. »
Cette culpabilité, fréquente me semble-t-il chez les futures analystes, peut
Le phallique féminin 1257
prendre un aspect oedipien, les deux aspects sont à analyser, ils ne sont pas
contradictoires, mais complémentaires.
Dans un certain nombre de cas de seconde ou troisième analyse où l'essen-
tiel des conflits névrotiques avait déjà été bien analysé, on peut constater que le
bénéfice du nouveau travail s'inscrit surtout comme un renforcement du statut
narcissique.
Ce qui n'est pas sans ouvrir vers de nouvelles questions concernant non seu-
lement le transfert et le contre-transfert, mais la neutralité et le poids chez l'ana-
lyste de sa propre histoire, de ses résidus névrotiques, des formes que prend sa
recherche, de sa théorie.
Catherine Parat
17, rue Linné
75005 Paris
Florence GUIGNARD
1. René Diatkine, L'enfant dans l'adulte ou l'éternelle capacité de rêverie, Ed. Delachaux & Niestlé,
coll. « Champs psychanalytiques», 1994, 398 p.
1260 Florence Guignard
tant que l'on ne vienne pas prétendre devant toi qu'un nourrisson de moins de
six mois a une vie psychique digne de ce nom !
En effet, pour des raisons dont tu me permettras de penser qu'elles sont trop
rationnelles pour n'être que scientifiques, tu as toujours accordé la portion
congrue à la vie psychique des nourrissons. Répugnant à t'enfermer dans un sys-
tème de pensée qui ferait de cette première période de la vie une lutte doulou-
reuse contre l'angoisse de mort au moyen de clivages sévères et de mouvements
projectifs paranoïdes, tu préfères — ce qui est ton droit le plus strict et n'enlève
rien à ton génie personnel — te la représenter comme une période de disconti-
nuité, ignorante des limites entre l'intérieur et l'extérieur, entre soi et l'autre,
puisque l'autre de l'autre n'existe pas encore.
Aux innocents les mains pleines : le corps même de ta théorisation contient
cette place laissée pour le « ... fantasme rétroactif de paradis perdu... c'est-à-dire
d'une mère toujours présente et bonne que le sujet n'a pas connue parce qu'il ne
savait pas qu'elle avait une existence propre. Le fantasme d'objet idéal et perdu,
référence inséparable du concept d'objet bon et mauvais, orientera la quête de
l'être humain durant toute sa vie et donnera sens à la précieuse conservation de
l'enthousiasme de l'enfant dans le psychisme adulte ». Cet enthousiasme, tu n'as
cessé de le puiser dans les racines vivifiantes et complexes de la clinique ordinaire
et de le drainer de façon communicative jusque dans les plus sophistiquées de tes
constructions métapsychologiques, ainsi qu'en témoigne toute la première partie
de l'ouvrage, intitulée « Sur quelques concepts de la psychanalyse » :
« Rêve, illusion et connaissance » est l'occasion pour toi de développer lon-
guement tes vues sur la structure et le fonctionnement de l'activité onirique dans
sa double appartenance aux fantasmes inconscients et aux investissements
actuels du rêveur, notamment transférentiels et contre-transférentiels. Explorant
les apports contemporains sur la question de la construction du rêve et de son
interprétation, tu en évalues l'importance pour ta métapsychologie personnelle.
Tes considérations sur les liens existants entre perception, illusion et hallucina-
tion, ainsi que ta prise en compte de la temporalité de la pensée au réveil du
rêve, garantissent encore aujourd'hui à ce texte toute sa modernité.
De l' « Introduction à une discussion sur l'interprétation » je retiendrai le
postulat qui, pour toi, fait de l'interprétation « le mode de fonctionnement
...
mental du psychanalyste » en relation avec sa « capacité associative » telle
qu'elle a été développée par son analyse personnelle. Tu sais tirer de ta grande
expérience en psychanalyse d'enfants des réflexions qui éclairent remarquable-
ment la théorie de la technique en analyse d'adultes, comme celle-ci, par
exemple : « l'identité du sujet repose sur l'intégration dans le système génital
...
de l'oralité et de l'analité qui ne s'expriment qu 'en référence aux termes narcissi-
ques phalliques » (souligné par moi).
L'enfant dans René Diatkine 1261
les fantasmes originaires? ». Mais ici, tu vas plus loin encore lorsque, ayant ren-
voyé dos à dos la phylogenèse freudienne et l'ontogenèse kleinienne en tant que
systèmes d'explication des fantasmes originaires et t'appuyant sur ton expérience
clinique, tu remets fortement en question l'idée assez répandue selon laquelle
l'enfant constituerait l'une des voies royales d'accès à l'inconscient. Tu donnes
deux raisons pour considérer que les productions de l'enfant en séance ne sont
pas, selon toi, « équivalentes » au discours du patient adulte en analyse :
a) L'absence de « temporalité » et l'absence de « remémoration » dans les
productions et les mises en scène de l'enfant priverait l'analyste de la dimension
historique narrative sur laquelle il peut prendre appui dans la cure d'adulte, tan-
dis que les relations de l'enfant avec son Idéal du Moi l'amènent à projeter ses
angoisses de castration selon un mode persécutoire, sur l'extérieur et non,
comme c'est le cas pour l'adulte, sur l'avenir.
b) L'absence, chez l'enfant d'un « désir de communiquer » placerait l'analyste
dans le même embarras pour interpréter les productions de la séance que lorsqu'il
se trouve devant les rêves d'un adulte qui n'apporterait pas d'associations.
Tu fais d'ailleurs remarquer, non sans malice, que Freud lui-même a inter-
prété le jeu de la bobine au présent — la mère de l'enfant étant effectivement
absente au moment de l'observation — orienté qu'il était par les éléments langa-
giers qui accompagnaient ce jeu, tandis qu'il aurait laissé de côté la question de
comprendre le jeu qui avait précédé cet épisode à une époque non verbale et qui
consistait, pour l'enfant, à lancer loin de lui tous les objets qui se trouvaient à sa
portée. Il serait déplacé de proposer ici ma propre compréhension de cette
fameuse bobine. Je me bornerai donc à observer que tu ne concèdes guère à
Freud le bénéfice de l'implicite : si celui-ci a cru bon d'incluredans le récit de son
observation la conduite antérieure de l'enfant qui jetait loin de lui tous ses objets,
n'était-ce pas pour placer dans un rapport d'opposition la nouvelle conduite qui
consistait à jeter la bobine dans son berceau, lui-même se trouvant à l'extérieur
de celui-ci et sa mère, sortie de la maison, se trouvant donc à l'extérieur de cet
extérieur ?
Si tu reconnais bien que « le concept d'objet interne... rend compte de
...
cette disposition précoce à réinvestir les parents, à chaque moment, en fonction
de la fantasmatisation de ce qui s'est passé avant... », tu distingues cependant
rigoureusement cette disposition, du processus d' « après-coup », processus
pour lequel tu t'en tiens à la définition étroite, strictement liée à la césure appor-
tée par la période de latence entre les deux temps de l'organisation de la sexua-
lité humaine : infantile et pubertaire. De sorte que, tout en admettant que le
transfert chez l'enfant procède bien de l'investissement de ses objets internes, tu
1264 Florence Guignard
n'en considères pas moins que le fait d' « avoir à sa disposition, pour soi tout
seul, une grande personne qui attache une certaine importance à tout ce qu'il
produit est pour l'enfant aussi insolite qu'exceptionnel(souligné par moi) ». De la
« situation de séduction » qui en résulte, tu fais bien le point de départ du pro-
cessus analytique mais, curieusement, tu ajoutes : « La tendance à la répétition
tend à ce que le déjà vécu se substitue à l'insolite ».
Certes, je connais bien ta position de rigueur, que tu n'hésites pas à pousser
ici aux limites du paradoxe, à savoir, que si « l'analyse du transfert permet une
connaissance assez exacte des relations d'objet de l'enfant... cette connaissance
synchronique laisse entière la question des tout premiers développements. Avant
toute possibilité de représentation et de symbolisation, la reconstruction ne peut
être que théorique... ». Pourtant, d'un point de vue purement méthodologique,
l'argument ne me convainc pas : en effet, même si, comme tu le suggères plus
haut, les premiers investissements d'objet prennent leur étayage sur la construc-
tion d'un «... fantasme de mère non ambivalente qui vaudrait pour un passé
définitivement perdu », je ne vois pas ce qui nous permettrait de retirer cette
construction de la loi commune des investissementslibidinaux, impliquant une
tendance spontanée à la répétition. Dès lors, l'investissement de l'analyste atten-
tif ne devrait rien avoir d' « insolite ».
En revanche, tu te montres d'une rigueur méthodologique absolue en refu-
sant que soient réintégrées dans le corpus analytique les informations, si pré-
cieuses puissent-elles être, fournies par les diverses méthodes d'observation des
nourrissons. Néanmoins, et parce qu'il serait dommage, toi qui aimes tant jouer,
de ne pas te laisser tenter à ton tour par le jeu métapsychologique, tu nous pro-
poses, en clôture de ce chapitre, ta propre hypothèse théorique du plus haut
intérêt, concernant ce temps de « discontinuité fondamentale des premiers
moments de la vie ». Tu distingues, d'une part, le rôle de liaison rempli par
« l'hallucination de l'expérience de satisfaction », expression du désir au moment
du retour des excitations désagréables et, d'autre part, le rôle de « l'expérience de
frustration et de haine » inhérente à la constitution d'un objet permanent, faisant
de la première « le premier élément constitutif de la représentation », tandis que
la seconde va fonder l'ambivalence qui témoigne de la continuité nouvellement
acquise de l'ensemble des processus psychiques. La peur de l'étranger, comme
celle de l'endormissement, viendront combler le vide de la perte d'objet et fonder
les premières phobies infantiles.
Je souscrirai absolumentà ton observation selon laquelle «... au cours de la
psychanalyse des enfants à la période préoedipienne ou oedipienne, la capacité de
lier les affects aux représentations est intermittente et l'effet des processus pri-
maires rompt souvent la cohérence de la production de l'enfant aux dépens de
l'unité de l'action ». Je n'en tirerai cependant pas argument, comme tu le fais,
L'enfant dans René Diatkine 1265
pour étayer la distinction — que, par ailleurs, je fais mienne également — entre
la cure d'enfant et la cure d'adulte. En effet, la régression dans la cure d'un
adulte peut amener celui-ci à fonctionner sous le primat des processus primaires,
de façon analogue à celle dont fonctionne l'enfant, sans qu'il soit nécessaire pour
autant, d'émettre l'hypothèse selon laquelle une telle régression suivrait un trajet
de traces mnésiques permettant de nous renseigner sur la genèse du trajet qu'elle
emprunte. Et si la psychanalyse de l'enfant amène à une connaissance de l'orga-
nisation psychique de l'enfant «... qui ne sera jamais identique à celle qui se
révélera au cours de la psychanalyse du même sujet à l'âge adulte », ne faut-il
pas en rechercher la cause avant tout dans une omnipotence facilement partagée
par les deux protagonistes de la situation analytique, une « communauté du
déni » (M. Fain) face à la douleur oedipienne infligée à l'enfant par l'ineffable de
la sexualité adulte porteuse d'après-coup et encore hors de son atteinte ?
Le texte sur « Les références au passé au cours des traitements psychana-
lytiques d'enfants » t'amène à radicaliser davantage encore ta position, en
attribuant à la non-représentativité de l'archaïque le point de butée rencontré,
selon ton expérience, dans les cures analytiques d'enfants. Ce postulat de cau-
salité a de quoi surprendre, dans la mesure où il est question ici de cures d'en-
fants ayant acquis un certain niveau d'organisation du langage, donc de sym-
bolisation. En effet, si je te suis absolument lorsque tu affirmes que, chez
l'enfant en traitement, « la dimension temporelle est présente, mais elle est
...
aplatie dans une projection dans l'actuel ou dans un passé très récent », je
comprends mal pourquoi le fait d'avoir à « désigner d'éventuelles expé-
...
riences très précoces avec des termes ayant un sens pour l'enfant au moment
présent, quel que soit ce que l'on pense de son état de régression... » placerait
l'analyste dans une situation différente de celle qu'il a avec un patient adulte.
De même, s' « il est impensable qu'un enfant soit à l'avance intéressé par une
psychanalyse, puisque ce serait supposer qu'il sait ce qu'il ne sait pas, qu'il
anticipe un plaisir dont il ignore l'existence... » est, me semble-t-il, une carac-
téristique qui peut ne pas être considérée comme l'apanage de l'enfant : quel
est l'analysant adulte qui, au moment de s'engager dans la lourde procédure
que constitue une analyse, est capable d'anticiper qu'il retirera de celle-ci autre
chose qu'un soulagement à sa souffrance?
Je ne crois pas, personnellement, que le clivage entre l'exercice de l'analyse
avec les enfants et avec les adultes se situe de façon significative à un niveau tech-
nique, pas plus qu'à un niveau théorique. Ne se présente-t-il pas plutôt, chez
l'analyste d'enfants comme chez l'analyste d'adultes, au niveau du style des
défenses qui président à notre choix d'exercice professionnel, défenses destinées
dans tous les cas à protéger en soi ce merveilleux enfant omnipotent
— d' « avant » les fantasmes inconscients, dirais-tu — cet enfant que chacun de
1266 Florence Guignard
nous cherche à conserver d'autant plus précieusementqu'il n'a jamais existé, pas
plus que cette mère toute-puissante, bonne et mauvaise à la fois, dont l'enfant
pourrait tout exiger puisqu'il n'en aurait nul besoin ? Dans cette perspective, et
parce que j'aime l'hédonisme rieur qui t'a fait devenir psychanalyste d'enfants et
m'enseigner ce métier superimpossible, je peux comprendre que ton plaisir à
penser ne sache trop quoi faire des concepts kleiniens de relations d'objet partiel
et de position schizo-paranoïde. Pourtant, quand tu leur fais la grimace en
les caricaturant ne penses-tu pas que tu brosses là le négatif de cet enfant
« diatkinien », feignant de ne pas être intéressé par l'analyse, parce qu'il se suffi-
rait à lui-même dans un bon auto-érotisme?...
Mais passons aux « Propos d'un psychanalyste sur les psychothérapies
d'enfants », vrai délice que tout praticien, de la psychothérapie comme de la
psychanalyse, d'adultes comme d'enfants, va savourer d'un bout à l'autre. On
y retrouve le meilleur du René Diatkine clinicien et enseignant tout à la fois,
dans ce « Centre Alfred-Binet » du XIIIe arrondissement de Paris, dont tu as
fait une véritable pépinière de thérapeutes et un lieu de recherche et d'applica-
tion de la méthode psychanalytique au traitement des enfants. Cet écrit vaut
essentiellement comme guide pour tous ceux, analystes ou non, qui seraient
tentés de faire partager — ou subir ? — à l'enfant ce qu'ils ont eux-mêmes pu
découvrir par l'analyse — ou apprendre dans l'évitement par la culture ? — du
fonctionnement de l'inconscient : « L'explicitation de désirs inconscients en
termes de pensées conscientes écris-tu est une agression (souligné par moi)
dont les effets négatifs sont rapidement repérables. Dire à un enfant que l'on
sait ce qu'il ressent quand il imagine le coït des parents, alors que toute son
organisation psychique fait qu'il n'imagine ni ne ressent rien, est une curieuse
erreur de formulation, mais c 'est aussi une façon très intrusive de s'emparer du
psychisme de l'enfant et d'en faire un objet qu'il ne peut plus reconnaître comme
sien » (souligné par moi).
A la suite du rappel utile que tu fais, de la distinction entre « interpréta-
tion » et « intervention », j'ai aimé ta formulation concernant les interventions
« psychodramatiques » correctes, qui vont dans le sens des motions pulsion-
nelles du patient tout en laissant, comme Winnicott avec la petite Piggle,
«... toute la marge nécessaire pour que l'enfant puisse penser à la fois "Comme
j'aurais voulu pouvoir exprimer cela" et en même temps "Heureusementqu'une
telle idée ne m'est jamais venue à l'esprit". »
Dans « Les langages de l'enfant et la psychanalyse », on retrouve ton art à
concevoir et à décrire la diachronie et la dissymétrie qui existe, dans une même
séance, entre le récit par l'enfant d'un rêve du passé, et la facture d'un dessin qui,
tout à la fois, sert de pare-excitation à la rencontre avec le psychanalyste et de
support de communication avec celui-ci.
L'enfant dans René Diatkine 1267
Florence Guignard
96, rue de la Victoire
75009 Paris
La correspondance complète Freud-Jones*
Louise de URTUBEY
Je formule des réserves face à cette fixité des composantes transféra - contre-
transférentielles, car je considère comme caractéristique de cette correspon-
dance-ci, précisément, la mobilité des positions et leur maintien dans la sphère
de l'amitié très valorisée mais peu inondée de transfert et de contre-transfert.
Pour décrire Jones, Steiner énonce les caractéristiques suivantes : sa remar-
quable habileté politique ; ses capacités d'organisation et l'énergie qu'il y consa-
crait ; la part importante prise dans les traductions ; ses efforts pour que ce tra-
vail fût fait, correctement, rapidement (ah ! que n'est-il venu en France !), son
choix des Strachey en tant que traducteurs des OEuvres complètes, d'où émergea
la Standard Edition. Steiner signale aussi d'autres aspects positifs de l'action de
Jones pour la psychanalyse : son intérêt pour die Sache, la défense du mouve-
ment analytique et son expansion ; comment peu à peu il devint le personnage
organisateur dominant de l'Association Psychanalytique Internationale ; il com-
prit rapidement, sans les dénier, les dangers du nazisme pour la psychanalyse et
pour les collègues juifs habitant l'Allemagne, puis l'Autriche. Il fut très généreux
pour favoriser la venue d'analystes juifs en Angleterre. Steiner a travaillé sur ces
points (« C'est une nouvelle forme de diaspora, la politique de l'émigration des
psychanalystes d'après la correspondance d'Ernest Jones avec Anna Freud »,
1988) et montre le rôle éminent que Jones joua à cette occasion. Je suis d'accord
avec cette dernière partie de la description et la fait mienne.
Jones rencontra Freud pour la première fois en avril 1908, au Congrès de
Salzbourg. Il avait d'abord pris contact avec Jung. Puis Freud le reçut chez lui,
à Vienne. Dans ses commentaires à ces premières rencontres, Jones donne un
élément éclairant pour leur relation future : il trouva chez Freud quelque chose
d'un peu féminin, ce qui le poussa à le protéger, au lieu, comme le font beaucoup
des premiers psychanalystes, d'adopter une attitude filiale. Je suis, sur ce point,
en désaccord avec Steiner et songe que nous avons beaucoup de mal à ne pas
placer Freud toujours en père tout-puissant. Cette phrase de Jones permet, je
pense, de comprendre le souci qu'il eut de sauver Freud, de l'amener en Angle-
terre, de contribuer à l'émigration d'autres collègues juifs. (Vie et oeuvre de
Sigmund Freud, 1958.) A ce sujet, Jones écrit dans son autobiographie qu'il sentit
que ce serait comme un retour à l'école. Dès cette première rencontre, ils parlè-
rent traductions, par exemple comment rendre exactement en anglais Verdrän-
gung. Freud cependant écrivit à Jung sur Jones (3 mai 1908) : « Il est indubita-
blement très intéressant mais je lui trouve une sorte d'étrangeté raciale [parce
que celte], c'est un fanatique et il ne mange pas assez » (Sigmund Freud-
C. G. Jung, Correspondance, 1966).
Pour ma part, je souhaite relever les aspects suivants :
D'abord, l'affection manifestée par Freud à l'égard de Jones. Il nous avait
habitués à ses affects passionnés concernant Fliess, à ses espoirs de considérer
1274 Louise de Urtubey
Jung comme fils et prince héritier — 16 avril 1909 —, ainsi que Ferenczi par
moments.
Pourtant, d'une façon générale, ses lettres à Jung et à Ferenczi ne sont pas
tendres. Or, avec Jones, cela est différent : presque régulièrement il termine en lui
adressant des mots que les Anglais traduisent par best loves. Les expressions
tendres en fin de lettres sont, chez Freud, si nombreusesqu'il devient impossible de
les énumérer. Cela commence très tôt : le 1er juin 1909, Freud écrit : « Je me réjouis
(enjoy) de la fréquence de vos lettres et de votre hâte à me répondre. » Nous ima-
ginons aisément, après le mécontentement produit par les retards de Jung, à
quel point ce comportement devait être agréable au Maître. Autre exemple le
11 novembre 1910 : « Je suis encore plus content du contenu personnel de votre
lettre. Ne croyez pas que je sous-estime un homme de votre capacité et de votre
intelligence, ni que je vous laisserai filer facilement [Jones était mécontent de
ses résultats professionnels au Canada où il exerçait à ce moment-là]. Ou, le
22 mai 1910 « vous êtes le plus habile, puissant et dévôt helper » ; cette lettre se ter-
mine avec « mit herzlichen Grüssen I am, dear Dr. Jones ». Ou, le 16 février 1911,
« Votre correspondance est vraiment charmante ». Le 14 février 1912 : « Je suis
très content que vous sachiez comme je suis proche de vous (fond of) et combien
fier de vos capacités intellectuelles mises au service de la psychanalyse... Vous êtes
devenu splendide ». En une autre occasion, le 22 septembre 1912 : « Je suis très
sensible à la tendresse que vous avez montrée lors de mes derniers ennuis » (de
santé). Le 16 avril 1916, la lettre commence par « Lieber! », il est vrai qu'il a été
privé de nouvelles, à cause de la guerre, pendant longtemps. A l'occasion de la
mort de la femme de Jones au bout de quelques mois d'union, suite à une périto-
nite, Freud écrit le 10 novembre 1918 : « Ces années de séparation n'ont rien
changé à mes sentiments pour vous. » Jones répond peu après, le 31 dé-
cembre 1918 : « Vous savez que vous et la psychanalyse, surtout maintenant que la
vie est si effrayante et vide, êtes tout ce qui compte pour moi. » D'innombrables
fois, Freud dit être très heureux que la guerre n'ait rien changé entre eux. Il est si
content de le revoir ! Cette amitié me paraît, à moi, centrée sur l'intérêt, l'amour
pour la psychanalyse et fort peu sur une recherche de résolution personnelle de
conflits inconscients.
L'affection en question s'accompagne d'une franchise réciproque inhabi-
tuelle chez Freud, sauf en cas de rupture (Jung) ou de réprimandes (Ferenczi) ;
ainsi, le 15 avril 1910 : « Vos lettres sont une source continuelle de satisfaction
pour moi. J'admire votre activité, votre grande érudition et la récente sincérité
de votre style. Je suis heureux de ne pas avoir écouté mes voix intérieures qui me
suggéraient de vous laisser tomber quand le vent soufflait contre vous et mainte-
nant j'espère que nous marcherons et travaillerons ensemble un bon bout de
temps. » Au chapitre franchise, portons à l'actif de Jones la lettre du
La correspondance complète Freud-Jones 1275
Un autre point que j'aimerais faire remarquer est la nécessité, admise par les
deux correspondants, de l'auto-analyse. Le 28 juin 1910, Jones se réfère à
celle-ci : il se considère assez normal, quoique peut-être pas autant que la
moyenne. Suit le récit d'un rêve et, comme association, apparaît sa femme, Loe,
qui sera ensuite l'objet de beaucoup de lettres. « J'ai toujours été conscient d'être
attiré par mes patientes; ma femme en était une. » Plus loin il dit qu'il est
conscient d'avoir été amoureux de son père vers l'âge de 3 ans, à la naissance de
sa soeur. Freud répond simplement que cet essai d'auto-analyse l'a intéressé
considérablement, mais il ne fait aucun commentaire interprétatif, montrant
ainsi qu'il n'est pas l'analyste de Jones ; celui-ci n'insiste pas mais par la suite il
parlera de ses rêves déjà auto-analysés.
Une difficulté de leur amitiéproviendra de la femme de Jones, Loe, un sujet lit-
téralement passionnant entre les deux hommes. Le 8 mars 1911, alors que Jones se
trouve encore au Canada où il rencontre des difficultés de diverses sortes, il avoue à
Freud que, s'il ne quitte pas ce pays, c'est sa femme qui le quittera, lui, car elle
souffre de terribles complexes concernant son travail et il n'a jamais réussi à
vaincre ses résistances (pourquoi l'avoir donc prise pour compagne ? car en fait ils
ne sont pas mariés). Le 13 juillet 1911, Jones va plus loin dans ses aveux : en fait sa
femme est handicapée, car, suite à une néphrite, elle absorbe d'énormes doses de
morphine. Elle veut absolument quitter le Canada, donc Jones devra ou retourner
à Londres avec elle ou s'en séparer, ce qui est impensable. Le 17 octobre, il
annonce qu'elle a accepté de se laisser analyser par Freud, Jones ayant répondu
qu'il était improbable que celui-ci acquiesçât. Ce qui arriva cependant. Loe me
donne l'occasion de renforcer mon hypothèse selon laquelle Freud était très atta-
ché contre-transférentiellementà ses patients et ne se sentait ni ne se comportait du
tout comme un chirurgien froid et impersonnel. Dès le 28 octobre 1912, alors qu'il
vient de la rencontrer, il déclare qu'elle est une créature précieuse, de la plus haute
valeur. Le 8 novembre, Freud affirme qu'elle a fait un transfert complet et que le
seul point difficile est qu'elle ne montre pas de résistance.
Nous observons, surtout au vu de la suite, mais déjà par l'excès d'éloges, que
Freud est séduit. Certains passages à l'acte « avant la lettre », j'entends par là des
ruptures d'un cadre non encore défini, renforcent cette possibilité : Freud déclare
attendre avidement les résultats des examens d'urine de Loe. Jones répond qu'elle
se plaint amèrement de Freud et ressent le traitement comme une attaque. Qui a
« raison » ? Freud séduit, Jones jaloux, Loe jouant double jeu ?
Freud rétorque à Jones le 15 novembre 1912 que l'attaque est le retourne-
ment de sa tendre affection, où celle-ci paraît surtout être celle de Freud, soit
pour Loe, soit pour Jones, auquel cas « s'approprier sa femme » reviendrait
aussi à signaler un attachement homosexuel. Le 10 décembre 1913, Freud ren-
chérit encore : Loe lui devint de jour en jour plus chère, au point que son traite-
La correspondance complète Freud-Jones 1277
Jones a perdu « l'autorité analytique » avec elle. Cependant, Freud ne nie pas les
difficultés apparues avec lui aussi : elle est désagréable, critique, essaie de le pro-
voquer. Il s'est fixé comme règle de ne jamais se fâcher. Mais elle ne peut tolérer
non plus le triomphe ou le succès. Freud ne sait pas s'il réussira, quoiqu'il
confesse un sentiment tendre envers elle. Encore ! Décidément Freud se laissait
facilement séduire par ses patientes, quitte à s'en repentir après. Mais c'est Jones
qu'il accuse : « La jalousie n'est pas digne de vous » (4 juin 1922). Naturelle-
ment, Jones insiste : Freud a mal reconstruit sa relation (à lui, Jones) avec cette
dame (10 juin 1922) ; il ajoute que ce n'est pas juste de tester ses pouvoirs sur ses
collaborateurs par le cas exceptionnel de la personne en question. Dans sa
réponse (25 juin), Freud a modifié quelque peu son point de vue : leur amitié a
été sévèrement éprouvée et il l'a supporté ; c'est le fait de mener cette deuxième
analyse qui l'a placé, lui, dans la position indésirable de critiquer et d'analyser
Jones, une tâche mal venue avec un ami dont on est sûr et dont on connaît ses fra-
gilités. Mais il est vrai que cette femme implacable a surtout souligné les erreurs
(et Freud l'a crue). Il pense avoir réussi avec Jones (à dissiper sa jalousie) mais
en est moins sûr en ce qui concerne l'autre partie. De toute façon il s'arrangera
pour cesser bientôt leur relation.
Cependant leur amitié traverse un mauvais pas : le 6 novembre 1922, Freud
écrit à Jones qu'il pense que certains aspects de son comportement avec les gens
créent plus de difficultés qu'il ne s'en aperçoit lui-même. C'est à propos de Rank.
Jones, modeste, répond le 19 novembre suivant qu'il y a peut-être des endroits
obscurs chez lui que la lumière n'éclaire pas. Il ne peut que souhaiter que la
mauvaise opinion de Freud se dissipe (22 décembre).
A quoi Freud répond (7 janvier 1923) qu'il est plein de sympathie à son
égard mais qu'il a l'habitude de s'exprimer franchement avec ses amis, et court
ce risque. Jones rétorque que, lui aussi, réclame ce droit : Freud se trompe, lui
est sincère et regrette que Freud le juge de façon erronée (14 janvier). On peut
penser que la maladie de Freud en gestation le rend peut-être irritable. Dans
la même lettre où il lui annonce son cancer (25 avril 1923), Freud se plaint
d'un article de Jones : il a raison jusqu'à un certain point, mais il ne va pas
assez loin.
Le 16 juillet 1924, enfin, Freud donnera raison à Jones : l'apparition du pre-
mier volume de ses oeuvres traduites en anglais l'a rempli de joie. Il admet s'être
trompé et avoir sous-estimé l'énergie de Jones ; sa préface est magistrale. Et le
25 septembre 1924 : le succès de la maison d'édition est une affaire dont Jones
peut être fier; de plus, les lettres envoyées d'Amérique par Rank le montrent
dans un état d'irritation tourné contre Freud, ce qui lui fait craindre l'exactitude
des prophéties de Jones. Il ajoutera le 5 novembre que Jones avait pleinement
raison à ce sujet.
1280 Louise de Urtubey
Freud lui-même, le 2 mai 1920 : « Je vis pour une bonne part des patients que
vous m'envoyez. » C'est aussi Jones qui recommanda les Strachey et fut ainsi à
l'origine de la célèbre Standard Edition.
Je ne m'appesantirai pas sur les dénégations de Freud concernant la situation
en Autriche, si largement commentées par d'autres. Finalement, le 2 mars 1937
Freud écrit qu'il aimerait vivre en Angleterre. Et après, le 28 avril 1938 : qu'il « sera
de tout coeur ravi de le voir (Jones) à la gare de Victoria ».
Je ne résiste pas à traduire la dernière lettre, par laquelle Jones dit adieu à
Freud avec une façon toute britannique de retenir ses affects débordants, tout en
les laissant transparaître. Elle est datée du 3 septembre 1939 : « Cher Professeur :
ce moment critique me semble approprié pour vous exprimer encore une fois ma
dévotion personnelle, ma gratitudepour tout ce que vous avez apporté dans ma vie
et mon intense sympathie pour les souffrances que vous endurez. Quand l'Angle-
terre battit l'Allemagne, il y a vingt-cinq ans, nous étions dans des côtésopposés du
front, mais même alors nous avons trouvé le moyen de nous communiquer notre
amitié réciproque. Maintenant nous sommes proches et unis dans nos sympathies
militaires. Personne ne peut dire si nous verrons la fin de cette guerre, mais de toute
façon cela a été une vie très intéressante et nous avons, tous les deux, contribué à
l'existence humaine, même si c'est dans de très différentes proportions. Avec mes
amitiés les plus chaleureuses et les plus aimantes... »
Louise de Urtubey
75, rue Saint-Charles
75015 Paris
BIBLIOGRAPHIE
Rémy PUYUELO
A l'instant où l'auteur renonce à aller plus loin, il laisse à des tiers une occa-
sion d'ouvrir à ce qui n'est pas écrit. C'est le rappel aussi que la lecture doit se
produire comme mise en scène, qui, elle, relève d'une sorte de dramaturgie. Elle
s'inscrit comme logique du relais entre l'auteur et le lecteur.
J'ai joué ma chance...
Prendre le risque de nous raconter des histoires, telle est l'aventure que nous
propose Anne-Marie Merle-Béral.
S. Freud en 1895 dans les Etudes sur l'hystérie commentait déjà : « Je
m'étonne moi-même de constater que mes observations de malades se lisent
comme des romans et qu'elles ne portent pour ainsi dire pas ce cachet sérieux,
propre aux écrits des savants. Je m'en console en me disant que cet état de
choses est évidemment attribuable à la nature même du sujet traité et non à mon
choix personnel. »
mateur psychique grâce auquel le transit des affects et des représentations peut
s'effectuer libidinalement d'un psychisme à l'autre dans son altérité.
S. Freud a révolutionné le concept de coenesthésies en vogue en ce début de
siècle et apporté une pensée nouvelle sur la place de la sensori-motricité dans le
fonctionnement psychique. Il introduit d'autre part le concept de pulsion,
concept limite, toujours d'une éclatante modernité dans la métapsychologie des
psychanalystes au regard des progrès des sciences biologiques. Mais le corps est
aussi voie et lieu de décharge des tensions et des contradictions intrapsychiques,
de la conversion hystérique à la maladie somatique et à la « régression à
l'étayage primitif sur la grande fonction organique » (Michel Fain).
Ces différentes facettes sont constamment contenues dans Le corps de la cure
mais je dirais que, sans perdre leur spécificité, elles s'articulent, se mettent en
perspective, s'enrichissent l'une l'autre et se complexifient dans l'idée du corps,
représentation et relation, métaphore du Je. La représentation du corps est un
mode très archaïque de figuration du soi, qu'il s'agisse des zones de contact, du
dedans et du dehors, limites sans lesquelles introjection et projection n'ont pas de
sens, ou de l'opposition entre zones érogènes et zones moins investies mais pou-
vant être investies secondairement1. Le corps est une écriture universelle, une
cartographie. La cartographie est un espace analogique qui permet de faciliter la
compréhension spatiale des objets, concepts, conditions, processus ou événements
de l'univers humain. Les cartes sont des images mentales, une façon de se figurer,
de voir... se représenter le monde, non miroir du monde mais plutôt simulacre.
Ecriture et soin
Ecrire est alors un trucage pour penser et non une tricherie. L'écriture
anime des blancs existentiels, les organise dans le faire artisanal de ces petites
quantités d'énergie déplacées. « Celui dont les lèvres se taisent bavarde avec le
bout des doigts » (S. Freud, 1905)... sans savoir ce qu'il a à dire ou venant signer
par là la limite du psychique. L'écriture est parfois conversation muette, manie
localisée. Pense-bête, l'écriture est ce qui ne peut se retenir et en même temps
tentative de rétention, de sphinctériser le non-lieu de l'être.
Elle est aussi mise en ordre, en direction, en sens, en utilisant un code com-
mun aux humains.
Les mots y prennent corps et reliefpour pouvoir se lire et se penser. Ils organi-
sent une histoire dans une temporalité entre deux êtres dont le lecteur est le tiers.
L'écriture est une butée matérielle, une matité qui fait rebondir avant que de réflé-
chir, tentative d'arrêt d'une mise en abyme et en écho. La feuille blanche — visage
blanc — devient la niche narcissiquequi accueille la projection. Elle peut être poé-
sie théâtrale (A. Green) et élaboration de l'absence et retrouvailles avec une chair
du langage qui renoue les liens de la langue avec l'affect.
On pressent combien l'écriture peut devenir un instrument de la cure extrê-
mement précieux et à fonctions multiples. L'acte d'écriture témoigne aussi de la
réalité, il en est un support comme d'autres quotidiennetés de l'analyste (ses ren-
contres, ses événements de famille, de rue, de société... le cinéma, ses lectures, ses
hobbies). Ces quotidiennetés sont des mises en culture de son préconscient
venant détoxiquer l'addiction incontournable au psychisme de ses patients et
récupérer une mutualité — dans le sens écologique du terme —, participer à une
réciprocité, être enfin la cire perdue qui aide à dégager la statue de son moule, de
son carcan psychique. Nous retrouvons la paradoxalité de la réalité psychique
en tant que processus et non état. En effet, c'est le processus analytique qui la
révèle et l'identifie.
Chez les patients dont nous parle Anne-Marie Merle-Béral, la réalité de
l'environnementest défaillante, elle doit ne pas être perdue de vue par l'analyste.
Le cadre de la cure révèle ici l'intentionnalité des soins maternels, telle que la
proposait S. Freud dans la « Formulation sur les deux principes du cours des
événements psychiques » : « Une telle organisation qui est entièrement soumise
au principe de plaisir et qui néglige la réalité du monde extérieur ne pourrait pas
se maintenir en vie, ne fût-ce qu'un instant, de sorte qu'elle n'aurait pas pu appa-
raître. Mais l'utilisation d'une fiction de ce genre se justifie quand on remarque
que le nourrisson, à condition d'y ajouter les soins maternels, est bien près de
réaliser un tel système psychique. Il halluciné vraisemblablement l'accomplisse-
ment de ses besoins internes, il révèle son déplaisir, lorsque l'excitation croît et
que la satisfaction continue à faire défaut, par la décharge motrice des cris et de
l'agitation et il éprouve ensuite la satisfaction hallucinée. » A partir de ce
Le corps de la cure de Anne-Marie Merle-Béral 1287
1. René Roussillonavait développé la triple polarité à l'oeuvre dans toute cure du rêve, du soin et du
jeu dans le Bulletin n° 5 du Groupe toulousain de la Société psychanalytiquede Paris de 1993, Psychanalyse
et psychothérapie (190 p.).
1288 Rémy Puyuelo
« J'écris en me berçant, comme une mère folle berçant son enfant mort »
(Le livre de l'intranquillité), telle est la poétique de l'insomnie pour Fernando
Pessoa. L'analyste, lui, écrit des hiéroglyphes où mélancolie, hypocondrie et rêve
se mettent en mouvement en différenciant les modalités structurelles et dynami-
ques du travail de deuil et débouchent sur un deuil de Soi et de l'Autre, mais
toujours dans une dynamique rappelant ce que le rêve est au dormeur et l'ima-
gination à celui qui est éveillé.
On ne peut partager la douleur et la souffrance, on ne peut partager que les
moyens de s'en défendre. L'angoisse-signal peut alors être notre ange gardien,
celui qui protège le Moi.
1. R. Puyuelo, Toucher des yeux — les états limites chez l'enfant, Revue française de psychanalyse,
n° 2, LIV, p. 389-406; L'enfant de la dormition, Revue française de psychanalyse, 1994, n° 3, LVIII,
p. 857-876 ; La déclinaison du double dans la cure de l'enfant, in Le Double, coll. des « Monographies de
la revue française de psychanalyse », PUF, 1995.
2. C. Smadja, G. Szwec et coll., Les procédés autocalmants, Revue française de psychosomatique,
Ed. PUF, n° 4, 1993.
1290 Rémy Puyuelo
1. S. Ferenczi, Psychanalyse III, Ed. Payot, 1974, Fantasmes gullivériens, chap. LI.
Le corps de la cure de Anne-Marie Merle-Béral 1291
OEdipe et temporalité
Enfin, une des questions centrales développées par Le corps de la cure est
l'analysabilité du patient au regard de l'intention éthique de tout analyste qui est
celle de devoir ne pas priver un patient d'une psychanalyse. J'apprécie ce comman-
dement négatif car il est libéral, c'est-à-dire plus libérant qu'une énumération
exhaustive et close de devoirs ou d'indications. Cette interdiction laisse libre
d'inventer les actions positives dont le champ est ouvert par l'interdiction elle-
même : quoi faire, quoi penser pour ne pas priver un patient d'une psychanalyse.
Paul Ricoeur indique que l'éthique a une ambition plus vaste, celle de recons-
truire tous les intermédiaires entre la liberté qui est point de départ et la loi qui
est le point d'arrivée.
Cette préoccupation éthique est constamment travaillée et élaborée dans le
jeu transféro - contre-transférentiel, comme le souligne Anne-Marie Merle-Béral,
dans une écriture rigoureuse mais non dogmatique au service de la pudeur, du
tact, du plaisir et de la liberté de penser... de la bonne santé.
Jean Bergeret nous avait déjà appris ce que l'on pouvait entendre par état
limite. Un livre récent de René Roussillon — Paradoxes et situations limites de la
psychanalyse paru dans la même collection en 1991 — introduit la notion de
« situations limites » de l'analyse qui concernent des configurations transféro -
contre-transférentielles et qui « font toucher la limite de pertinence du dispositif
et des modèles qu'il implique ». René Roussillon ne sépare pas la structure du
patient de celle de sa rencontre avec la situation analytigue incluant le psychana-
lyste et son contre-transfert. Le corps de la cure nous amène à penser que
« l'épaisseur de la "chimère" (De M'Uzan) s'inscrit entre le mentalisable inter-
prétable et l'indicible, qui met en jeu le corps »... Celui du patient et celui de
l'analyste. Ne pourrait-on penser qu'il n'y ait de cure que singulière et d'indica-
tion que d'analyste! « Dans cette perspective on peut appeler état limite un
modèle de fonctionnement mental dont la cure serait le prototype » (p. 5).
Rémy Puyuelo
34, rue Monplaisir
31400 Toulouse
Revue des revues
Autour du thème
Le postmodernisme
Cette rubrique est issue du travail d'un groupe qui, sous la responsabilité d'Andrée Bauduin, réu-
*
nit : Dominique Arnoux, Jean-Louis Baldacci, Denise Bouchet-Kervella, Monique Cournut-Janin,
Marie-Claire Durieux, Christiane Guitard-Munnich, Diane Lheureux-Le Beuf, Chantai Lechartier-Atlan,
Ruth Menahem et Françoise Moreigne.
Rev. franç. Psychanal, 4/1995
1296 Revue française de Psychanalyse
Psychanalysepostmoderne
Critique
Les théories dont nous venons de parler, écrit Leary, visent à apporter des
solutions au questionnement actuel de la métapsychologie mais font bon marché
des fondements mêmes de la psychanalyse,de l'existence d'un inconscient et d'une
sexualité infantile. La pulsion, les défenses, le self et l'objet ne sont plus que des
points de vue sans validité particulière au sein d'une narration. Il s'agit d'une théo-
rie de la discontinuité difficile à critiquer car tout y est relatif et que les contradic-
tions y coexistent sans peine. Néanmoins, Leary choisit quelques angles d'at-
taque : le concept de self comme fondement de la subjectivité, par exemple. Les
postmodernes refusent de rester entravés par des catégories telles que le sexe, l'âge,
ou l'ethnie et affirment que la multiplicitéde selfs libère et permet l'accès à la créati-
vité comme les moyens modernes de communication abolissent les catégories d'es-
pace et de temps au profit d'images virtuelles. Leary s'interroge : ce self1 postmo-
derne ne serait-il pas proche parent de ceux qui peuplent les salles d'attente des
psychanalystes et qu'ils appellent états limites ou pathologies narcissiques? Il
appelle Kohut et Kernbergà la rescousse. Faut-il oublier la somme de souffrance
que représententces états pour ceux qui les vivent et leur entourage ? Quel progrès
y a-t-il à voir un self aimant juxtaposé à un selfhaineux remplacer un self unifié qui
intrique l'amour et la haine ? D'autre part, l'accent exclusifmis par le « constructi-
visme social », en particulier sur le hic et nunc, abolit toute référence à une conti-
nuité génératrice de mémoire et donc de temporalité. « Le postmodernismejuge la
situation analytique au besoin de se mesurer avec l'histoire, avec ce qui a existé et
produit un effet. » Enfin, last but non least, que devient le corps ?
1. Notons que le self semble la cible de bien des remises en question en ce moment. Lire, par exemple
l'article de E. Lowenstein paru dans le Quarterly, LXIII, n° 4, intitulé : « Dissolution du mythe du self
unifié : le destin du sujet dans l'analyse freudienne ».
1298 Revue française de Psychanalyse
Malgré toutes ces critiques, Leary considère que la psychanalyse peut néan-
moins utiliser la démarche de pensée postmoderne dans sa réflexion, en particu-
lier sur la place de l'analyste dans le processus. La question des selfs multiples
incite à s'interroger plus avant sur la notion de structure et ce qu'est vraiment le
changement en analyse. A partir de questions communes sur la dislocation du
self dans le monde actuel, la psychanalyse et les courants de pensée postmo-
dernes peuvent donc nouer un dialogue favorable à la recherche, conclut-il.
On peut se demander, au terme de cette lecture, s'il reste encore une psycha-
nalyse à confronter avec la pensée postmoderne. La réalité extérieure et l'histoire
du sujet (sans parler, bien sûr, de l'inconscient, du refoulement et de la sexualité
infantile) n'existent plus, évanouies au profit d'une « réalité psychique » labile au
gré des objets, sans continuité. Mais ça n'est pas bien grave car le sujet n'existe
plus non plus, éclaté en une multiplicité de selfs, multiplicité qui seule peut nous
permettre de survivre dans le monde contemporain.
Chantai Lechartier-Atlan.
Deux revues disparaissent
J.-B. Pontalis rend compte, dans une introduction exceptionnelle à cet ultime
numéro, de sa surprenante décisionde mettre soudain un terme à cette publication
prestigieuse, dont la perspective d'ouverture, de mise en mouvement des concepts
et de mise en question des certitudes instituées a su attirer et fidéliser de nombreux
lecteurs pendant un quart de siècle. Ce choix n'est en rienjustifié par des difficultés
matérielles ou par une quelconque lassitude de l'équipe rédactionnelle, nous dit-il,
mais correspond au désir de « lutter contre la force de l'habitude » et à l'espoir de
trouver, après un temps d'arrêt, une formule différente susceptible d'assurer un
« nouveau commencement » à cet esprit si particulier qui a fait l'originalité de
la NRP et maintenu son intérêt jusqu'ici. On ne peut qu'attendre avec impatience
la réalisation d'un tel projet, car la disparition de cette revue de grande qualité lais-
sera, pour un temps que nous espérons court, un manque indiscutable dans la litté-
rature psychanalytique contemporaine.
L'ensemble de ce dernier recueil est donc consacré à la question de l'inachève-
ment, au pointage et à la dialectisation du paradoxe inhérent à toute recherche
inventive comme à tout mouvement libidinal, en ce qu'ils tendent à une plénitude
impossibleet sont en même temps soumis à la finitude et au manque. Sans négliger
l'inachèvement comme symptôme lorsque prévaut le préfixe négatif, comme c'est
le cas dans la procrastination obsessionnelle, J.-B. Pontalis, dans un article intitulé
« Le souffle de la vie », souligne le sens d'immobilisation mortelle que peut impli-
quer le terme d'achèvement, et défend brillamment l'intérêt, voire la nécessité,
d'éviter « la clôture du fini » et d'entretenir le « plaisir du mouvement », tant dans
le domaine de la création artistiqueque dans ceux de la cure et de la théorie psycha-
nalytique. Ces trois registres constitueront les trois grands thèmes abordés par les
différents auteurs, dont beaucoup se référeront à la pensée du fondateur de la
Revue, en hommage bien mérité à sa richesse et à sa fécondité.
1300 Revue française de Psychanalyse
la mort. L'écriture du fragment, « pensée brisée juste avant l'envol », lui paraît
témoigner de cette « filiation spéculaire » du romantisme à la mort, et en défi-
nitive du travail de déliaison de la pulsion de mort.
On est dès lors fondé à se demander si le choix de l'inachèvement comme
ligne de conduite esthétique est véritablement caractéristique d'une époque, ou
s'il ne serait pas plutôt le fait de certains créateurs habités plus que d'autres
par une angoisse majeure de voir leur capacité créatrice se tarir et « l'au-delà
du principe de plaisir » l'emporter dans leur fonctionnement mental. C'est ce
que suggère A. Green dans son très important article qui parcourt, avec sa
vigueur habituelle, les champs non seulement de la création, mais aussi de la
psychopathologie et des écrits théoriques en psychanalyse. Qu'il me pardonne
ici d'avoir pris le parti d'évoquer de manière fragmentaire ce qui m'a particu-
lièrement intéressée dans son texte, de toute manière trop riche pour être véri-
tablement résumable et dont il faut faire une lecture approfondie. Parmi ses
réflexions sur l'activité créatrice, il m'a paru essentiel de noter qu'il s'agit pour
lui d'une « tentative de mettre un certain ordre dans la confusion du monde et
de l'être », tâche dont par définition aucun achèvement n'est possible, et dont
les avatars doivent être mis en relation étroite avec les sources inconscientes
qui l'animent : c'est en fonction des conflits et résistances mis en jeu que la
dynamique pulsionnelle sous-jacente nourrira ou empoisonnera le travail cons-
cient d'accomplissement de l'ouvrage. Celui-ci, porté par une exigence interne
de satisfaction qui renvoie à l'illusoire quête de retrouvailles avec l'objet pri-
maire, toujours active dans l'inconscient, nécessite un travail psychique de
mise en forme, de « translation en un autre univers », dont l'aboutissement est
incertain. Il peut ainsi y avoir « contrainte à l'abandon » d'une oeuvre en
cours, par incapacité à trouver un compromis au conflit. Ce serait le cas chez
Léonard pour ses Cartons de Londres, demeurés inachevés et comme désa-
voués en raison de ce qu'ils laissent trop transparaître la théorie sexuelle infan-
tile de l'existence du pénis maternel : la représentation inconsciente trop pré-
sente serait venue ici parasiter l'oeuvre. De manière plus générale, pour
l'auteur, « la création n'est pas une activité dont la progression avance ou
s'arrête sans cause, elle est à tout moment une activité à risque, aléatoire, dont
chaque étape peut susciter une régression qui fait stagner le processus, voire
l'arrête ».
Il n'en reste pas moins bien sûr que, comme le rappelle J.-B. Pontalis à
propos du Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, la recherche de perfection absolue
sans lacune ne peut qu'aboutir au fiasco, et que pour finir un travail, comme
le remarque de son côté P. Pachet, il faut pouvoir renoncer aux mille possi-
bilités qui s'ouvrent sans cesse et supporter ainsi une certaine division de
soi-même.
1302 Revue française de Psychanalyse
J.-B. Pontalis souligne que le travail de la cure lutte contre la folie d'accom-
plissementpulsionnelqui tend à s'incarner dans le transfert, pour la transformeren
espace de jeu et mobilité des expressions du désir. F. Gantheret partage avec lui et
développe l'idée qu'il n'y a pas de souvenirs refoulés à proprement parler, qu'on
n'assiste pas dans l'analyse à de fulgurants surgissements spectaculairesde visions
enfouies, mais bien plutôt à la relance de connexions associatives nouvelles confé-
rant à l'expérience perceptive originaire intellectuellementdéjà présente une nou-
velle qualité, un impact émotionnel qui en fait la chair et permet de l'habiter et de la
parcourir en un déploiement nouveau. Dans le processus de redécouvertedu passé
dans le présent, ce n'est pas le contenu qui est nouveau, mais le regard porté sur lui
par l'intermédiaire de l'analyste qui en déplace les éléments et s'attache, au-delà
des scènes représentées, à la « touche de peinture » portée par les mots. Les indices
pour la construction de l'oublié sont fournis par la substance de certains mots ou
par la forme de leur agencement, dont la déconstruction par l'analyste permet
d'apercevoir « au-delà du signifiant pur sa face énigmatique et sa chair ». Il s'agit
de « rendre la vie à un indice sec et mort » en rétablissant des connexions dans un
double registre, non seulement vertical entre représentations de chose et de mot,
mais aussi horizontal entre représentations. Ce travail, très lié au vécu affectifde
l'analyste, nécessite chez lui une réactivation de « la préoccupation maternellepri-
maire » winnicottienne, avec la tolérance à la porosité momentanée des espaces
psychiques des deux protagonisteset la dissolution temporaire des limites du moi
qu'elle implique : « Il nous faut, analystes hommes ou femmes, pouvoir accepter la
femme malade d'omnipotence en nous pour permettre, le temps de la surprise, le
surgissement des traces de l'autre qui habitent les mots qu'il nous a confiés. » Son
très bel article se termine sur une réflexion à propos du travail d'écriture, qui
« cherche ses mots » pour tenter de mettre en signes, pour l'autre, ce qui est confu-
sément ressenti dans le monde interne comme manquant par rapport à la séche-
resse des faits. Mais cette volonté de saturation de chaque signe, à la poursuite
d'une représentationde soi complète, est sans cesse mise en échec par la persistance
dans le présent du passé jamais achevé, qui pousse à la nécessité toujours renouve-
lée de mettre en forme ce qui en soi demeure en suspens d'existence.
E. Gomez Mango s'intéresse aux modalités de la temporalisation psychique
mise en oeuvre dans le transfert et souligne, se référant lui aussi à J.-B. Pontalis,
qu'elle ne peut être mise en forme dans une structure narrative. C'est le temps
ouvert de l'incidence et du fugitif, des pensées sans histoire apparente, qui conduit
au déploiement du transfert. Celui-ci se déroule en un processus situé entre l'éphé-
mère passage des mots et des représentations, qui ne peut ni se fixer ni s'achever, et
le roc indestructible du désir. Les traces du passé, toujours inachevées, sont mar-
Revue des revues 1303
quées par l'interaction réciproque des deux temps du traumatisme et les souvenirs
remémorables, eux-mêmes issus de traces d'événements psychiques innommables
et irreprésentables vécus au temps de la détresse originaire, émergent en îlots frag-
mentés selon une temporalisation psychique analogue à celle du rêve. La réalité
psychique apparaît par intermittence de manifestations et d'occultations, d'élans
et d'arrêts. De ce fait, l'analyste travaille à partir de fragments psychiques (souve-
nirs toujours en morceaux d'une scène, indices toujours partiels du transfert, récits
toujours incomplets de rêves), et sa méthode doit suivre le travail du fragment,
c'est-à-dire être à l'écoute du fugitifet du lacunaire, disponible à « l'impression du
moment », et ne pas viser à travers ses constructions une compréhensionsans reste.
M. Gribinski lui aussi insiste sur le caractère essentiellementinachevéde toute
construction, toujours à reprendre sous un angle différent à la faveur du matériel
nouveau qu'elle suscite. Mais au-delà de cette fonction de production d'hypo-
thèses nouvelles il met en relief une autre visée de la construction analytique, qui
consiste à placer le sujet dans la généralité des lois communes à l'espèce humaine,
« si grand homme soit-il », comme a osé le faire Freud à propos de Léonard. Il rap-
pelle que le fameux souvenir d'enfance avait pour celui-ci la valeur de présage d'un
« destin d'exception », et avance l'idée que la diversité de ses activités multiples a
pu tendre à construire un monde de maîtrise imaginaire comportant une infinité
d'images de soi, afin de désavouer l'événement traumatique de l'absence de pénis
maternel et l'inachèvement qu'il signifie. Dans cette perspective, l'importance des
recherches sur le vol des oiseaux aurait néanmoins gardé la trace de « la halte du
souvenir » décrite par Freud à propos du choix du fétiche. L'auteur vise à travers
cet exemple à montrer le nécessaire étayage des constructions sur les événements
vécus, critiquant ainsi la position de Viderman qui prétend construire le fantasme
dans le seul espace analytique, indépendamment de tout fondement historique, ce
qu'il rapporte à un « sentiment congénital d'être exceptionnel » pouvant, s'il existe
chez l'analyste, « barrer » l'histoire singulière du patient et faire obstacle à l'élabo-
ration de la castration.
Dans un article très dense, G. Rosolato décrit avec brio « la triade transféren-
tielle » qui organise toute thérapeutique psychologique sous le signe de la sugges-
tion en une relation où la soumission consentie à l'influence d'un pouvoir com-
porte la croyance inconsciente en un scénario de type « mort et résurrection », qui
rejoint le fantasme originaire de retour au sein maternel pour accéder à la régénéra-
tion. Le transfert est donc, selon lui, toujours inauguré par trois mécanismes fon-
damentaux : la « demande d'amour » qui, au-delà de l'érotique, implique la foi en
l'autre et l'adhésion de la conviction, prime alliance qui impulse un élan positif
nécessaire à l'amorcedu travail ; l'idéalisationd'un « objet de perspective » suscep-
tible de prendre en charge la relation d'inconnu et investi pour ce faire de force
invincible ; l'identification enfin, remarquablement bien différenciée ici de l'incor-
1304 Revue française de Psychanalyse
yeux un arbre aux riches frondaisons. Je ne résumerai pas ce texte qu'il faut lire,
j'en tronquerais l'essentiel en n'en présentant que quelques éléments artificielle-
ment extraits de l'ensemble.
Pour R. Cahn, le savoir par la souffrance est peut-être la condition même du
processus de subjectivation « s'avérant seul en mesure de retrouver ou de par-
courir le chemin de l'intériorité conjuguant une véritable appréhension de soi et
de la relation au monde, le mouvement de la pensée et celui de l'affect ».
A contrario il nous présente deux exemples cliniques où la douleur est radi-
calement méconnue, où tout ce qui pourrait entrer en résonance avec elle est
banni par des dispositifs défensifs rigides, entraînant la disparition de toute iden-
tité, un vide interne, excluant tout le processus de subjectivation, et donc fonc-
tionnant dans le déni du Temps.
En contrepoint il nous propose le récit d'une cure, singulièrement périlleuse,
où la douleur sera finalement re-connue alors que, comme dans les autres exem-
ples, il semblait y avoir impossibilité d'affronter la souffrance, à l'origine du mal-
être du patient.
R. Cahn enfin souligne les obstacles auxquels se heurte l'analyste lorsqu'un
projet d'analyse peut être envisagé pour ce type de patients.
Le récit de la cure où nous entraîne A. Laquerrière ne peut nous laisser
indifférents. Il suscite de violentes réactions, entre autres nous conduit, me
semble-t-il, à la question suivante : jusqu'où peut-on supporter de se désespérer
de la prise en charge d'un patient ? Il s'agit d'une psychothérapie menée depuis
de longues années avec une jeune femme qui se dit toute douleur, exhibe sa souf-
france dans un vide mental qui ne créera jamais rien que la douleur, semble n'in-
vestir que l'anéantissement de son être. « Douleur totale, venue de nulle part,
sans âge, sans histoire, pour rien sinon capter mon identité sans fin dans un
délire d'immortalité à deux », écrit A. Laquerrière. Hors du temps et de l'hu-
main, elle ne vit pas et ne peut plus mourir.
A. Gauvain-Piquard,à partir de son expérience hospitalière s'interroge sur la
nature de la douleur physique et son impact sur la vie psychique. Elle s'attache au
vécu de la douleur chez le jeune enfant dont la psyché est moins capable d'élabora-
tion défensive secondaire que l'adulte. Au-delà d'un certain seuil d'intensité et de
durée de la douleur, l'enfant présente un tableau d' « atonie psychomotrice »,
c'est-à-dire un désinvestissementde la zone douloureuse, un retrait de la relation
objectale, donnant l'impression de se vivre dans une globalité de la douleur et un
temps arrêté. Il semble être hypersaturé d'une excitation psychique et par son
retrait, son désinvestissement,mettre en place un système de pare-excitation.
A. Gauvain-Piquard s'interroge alors sur la nature de cette excitation qui ne
lui paraît pas d'ordre libidinal. Les modifications psychiques engendrées par la
douleur physique évoquent le modèle prototypique du Traumatisme.
Revue des revues 1311
A. Hayman, pour sa part, note que ressort clairement la différence des sens
donnés à certains concepts par les différents protagonistes de la controverse ; par
exemple : « fantasme inconscient » et « conflit inconscient ».
Ainsi, la définition kleinienne finale du « fantasme inconscient » était
devenue très extensive par rapport à celle de Freud, si extensive qu'elle en per-
dait tout sens. « Le fait que les psychanalystes soient quotidiennement clinique-
ment accoutumés à détecter, et à comprendre, les multiples significations affec-
tives d'histoires personnelles qui émergent et s'expriment à l'aide de processus
primaires illogiques et contradictoires, [...] les porte à retrouver ce mode-là de
fonctionnement quand ils théorisent. Il y a là un problème, si de tels processus
ne sont pas reconnus comme inadéquats à la théorisation. »
De même, A. Hayman remarque que pour le « conflit inconscient »
l'acceptation différait selon qu'il était question de « concept » ou de
« description ».
F. Baudry, de New York, insiste sur le « considérable intérêt des "Contro-
versial discussions", au-delà de la controverse elle-même » ; il suggère d'inclure
le livre 1 dans tout programme de cursus comme un moyen, pour les élèves, d'ap-
procher les principes d'une méthodologie scientifique.
Le texte de J. et A.-M. Sandler, « Le fantasme et ses transformations : une
approche freudienne contemporaine » mérite particulièrement d'être commenté.
Ces auteurs y poursuivent leur propre élaboration théorique, qui implique, selon
eux, des applications techniques importantes.
C'est autour du terme « inconscient » qu'ils centrent leur texte, reprenant la
distinction qu'ils ont proposée entre Inconscient passé et Inconscient présent. Ils
s'intéressent surtout à la censure entre la conscience et l' « inconscient pré-
sent »2. Cette création sémantique paraît bien être liée à leur intention de faire
porter surtout, et, semble-t-il, en début de cure uniquement, l'analyse sur ce qui
se passe dans la relation transférentielle, dans le « ici et maintenant ». Ils distin-
guent, d'une part, un fantasme inconscient, référé à la sexualité infantile, fonc-
tionnant en processus primaires, et qu'on ne peut approcher que par des cons-
tructions, d'autre part, un fantasme inconscient pouvant être préconscient, donc
secondarisé et tenant partiellement compte de la réalité.
Il est évident que, dans un environnement anglo-saxon, où l'ego-psychology
était hégémonique, cet accent mis par eux sur la différence entre inconscient et
préconscient, même s'ils lui ont donné un autre nom, redonnait à la première
topique une importance qu'avaient délaissé les tenants d'une approche stricte-
ment structurale, d'après 1920.
René DIATKINE.
— Intemporalité et coordonnées temporelles
Summary — The concept on non-temporality cornes under the distinction made between
unconscious and preconscious systems. It also enables us to describe the défensive processes
set up against death anxiety. The terme of non-temporality applies to an aspect of psychic
contradictions that are characteristic of the human being, and not of such and such aspect of
the latter's functionning. The concept of « non-temporality » only has a heuristic value in
contrast with the psyche's ability to identify its successive expériences in time.
Ûbersicht
— Der Konzept der Zeitlosigkeit gehôrt zur Unterscheidung der Système des Unbe-
wussten und des Vorbewussten ; er erlaubt auch die Beschreibung der Abwehrprozesse gegen
die Todesangst. Die Zeitlosigkeit entsprich einem Aspekt der psychischen Widersprùche des
Menschen und ist kein spezifischer Aspekt des psychischen Geschehens. Der Konzept der
« Zeitlosigkeit » hat einen heuristischen Wert nur in seinem Widerspruch zur Fähigkeit der
Psyche, ihre aufeinanderfolgenden Erfahurungen im Zeitablauf zu erkennen.
Riassunto — concetto d'intemporale entra nella distinzione del sistema inconscio e pre-
Il
conscio ; permette anche di descrivere i processi defensivi organizzati contro l'angoscia di
morte. L'intemporalità è adatta ad un aspetto delle contraddizioni psichiche dell'essere umano,
e non come specifica a questo e quell'altro aspetto del suo funzionamento. Il concetto « d'in-
temporalità » non ha valore euristico che per opposizione alla capacità psichica a reperire nel
tempo il susseguirsi delle sue esperienze.
Jean GILLIBERT.
— Intemporalité et a-temporalité
Mots clés — In-temporel. A-temporel. Un. Conscient. Originaire. Temps. Rêve. Névrose
obsessionnelle. Rite.
Summary — A-temporality and in-temporality can be distinguished in
semantics and meaning. Human time is not the same as world time, which is
both the same and other in its progression.
Maury's dream of the Guillotine, which highlights the convergence both external fact and
interiour fantasy, and of chance and necessity, was explained differently by the surrealists and
by Freud.
There is an aporia of time itself. Chronological time must be lost, a leap outside time must
Résumés 1317
be made in order to reside in the non-temporal dimension, where succession and non-tempo-
rality are no longer contradictory.
Pierre SULLIVAN.
— Clinique de l'intemporalité
Résumé — Que serait une clinique de l'intemporalité ? A travers une séance d'investigation
psychodramatique s'exprime le vécu d'une figure extrême du temps. Comme la psychanalyse,
avec ses moyens actuels, peut-elle rencontrer de telles souffrances, de telles pathologies ?
Mots clés — Intemporalité. Psychodrame. Image.
Übersicht
— Was wäre eine Klinik der Zeitlosigkeit ? Im Verlauf einer Psychodramasitzung
wird das Erlebnis einer extremen Zeitfigur ausgedrückt. Wie kann die Psychoanalyse heutzu-
tage solchem Leiden, solchen Pathologien begegnen ?
Schlüsselworte— Zeitlosigkeit. Psychodrama. Bild.
Resumen — i Qué seria una clinica de la intemporalidad A través de una sesiôn de investi-
?
i
gaciôn psicodramâtica se expresa la vivencia de una figura extrema del tiempo. Cômo el psi-
choanâlis con los medios actuales, puede encotrar taies sufrimientos, tales patologias ?
Palabras claves — Intemporalidad. Psicodrama. Imagen.
Julia KRISTEVA.
— Le scandale du hors-temps
Résumé — Loin d'être un dialogue entre deux psychismes comme le prétendent certaines ten-
dances objectivistes, la psychanalyse est fondée sur l'hétérogénéité pulsion/sens ou énergé-
tique/herméneutique. Dès lors, elle ouvre un nouveau rapport de l'être parlant au temps que
Résumés 1319
Freud a formulé par ce qu'il faut appeler « le scandale du Zeitlos ». Après le temps cosmogo-
nique des Grecs, la philosophie pense le temps comme coextensif à la conscience : depuis saint
Augustin jusqu'aux linguistes contemporains, le temps est un temps conscientiel. Même la
« durée » de Bergson lui est redevable, même le temps coextensif à l'Etre chez Heidegger est un
temps qui « tempore ». Seul Freud a pensé une suspension de la temporalité (Zeitlos) due au
principe de plaisir d'abord, à la pulsion de mort pour finir. L'actualité psychanalytique est
conduite à entendre et interpréter différentes figures du hors-temps, parmi lesquelles l'auteur
interroge la répétition, la perlaboration et la dissolution du lien transférentiel à partir de trois
exemples cliniques. L'accès au hors-temps qu'aménage l'expérience analytique laisse supposer
qu'une subjectivité nouvelle est en train d'émerger, dont nous avons du mal à penser la nou-
veauté, et qui met en cause l'homme religieux et sa conscience aussi éprise de vitalisme que
soucieuse de sa mort.
Summary — Far from being a dialogue between two psyches such as certain objectivist ten-
dancies daim, psychoanalysis is founded on the opposition between instinctual drive/mea-
ning, or energetics/hermeneutics.It thus introduces a new relation of the speaking being to
time, that Freud formulated by what we should call « the scandal of the zeitlos ». After the cos-
mogonic time of the Greeks, philosophy considered time as related to conscience. Since saint
Augustin and up till the contemporary linguists, time has become determined by conscience.
Even Bergson's « duration » goes back to Augustin, and even Heidegger's conception of time
as related to being is a time that « temporises ». Only Freud could imagine a suspension of tem-
porality (zeitlos) due first to the pleasure principle, and then to the death instinct. Present-day
psychoanalysis is led to detect and interpret different figures of timelessness, amongst which
the author chooses to investigate repetition, working-through and the dissolution of the trans-
ferential link with reference to three clinical examples. The access outside time provided by the
psychoanalvticexperience implies the emergeance of a new subjectivity, the novelty of which
is hard to imagine, putting into question religious men and their consciences, as preoccupied
with living as much as they are worried about death.
Dank verpflichtet, sogar die bis zum Wesen ausgedehnte Zeit bei Heidegger ist eine Zeit,
welche « Zeit gewinnen will ». Nur Freud hat eine Unterbrechung der Zeitlichkeit in Betracht
gezogen (Zeitlos), zuerst anhand des Lustprinzips und zuletzt anhand des Todestriebes. Oie
psychoanalytischeAktualitätwird dazu geführt, verschiedene Figuren der Zeitlosigkeit zu hören
und zu deuten : die Autorin stellt die Wiederholung,die Durcharbeit und die Auflösung der
Übertragungsbeziehungin Frage, anhand von drei klinischen Beispielen. Der im analytischen
Rahmen erlebte Zugang zur Zeitlosigkeit lässt die Idee aufkommen, dass eine neue Subjekti-
vität am Auftauchen ist und dass es uns schwerfällt, deren Neuigkeit in Betracht zu ziehen ; sie
stellt den religiösen Menschen und sein Bewusstsein in Frage, welches sowohl vom Vitalismus
eingenommen als auch mit seinem Tod beschäftig ist.
Resumen — Lejos de ser un diàlogo entre dos psiquismoscomo lo pretenden algunas tenden-
cias objetivistas, el psicoanélisis se basa en la heterogeneidad pulsiôn/sentidos o energé-
tica/hermenéutica. Desde enfonces, ha abierto una nueva relaciôn del ser hablante con el
tiempo, que Freud ha formulado a través de lo que hay que llamar « el escàndalo del Zeitlos ».
Luego del tiempo cosmogônico de los Griegos, la filosofîa piensa el tiempo como coexten-
sivo a la conciencia : desde San Augustin hasta los lingüistascontemporâneos,el tiempo es un
tiempo consciencial. Incluso la « duraciôn » de Bergson le concierne, incluso el tiempo
coextensivo al Ser en Heidegger es un tiempo que « tempora ». Sôlamente Freud pensé una
suspension de la temporalidad (Zeitlos) debida primeramenteal principio de placer, y en ûltimo
término a la pulsion de muerte. La actualidad psicoanalîtica esta confrontada a escuchar e
interpretar diferentes figuras, fuera del tiempo, entre las cuales el autor interroga la repeticiôn,
el trabajo elaborativo y la disoluciôn del vinculo transferencial partiendo de tres ejemplos clini-
cos. El acceso al fuera del tiempo acondiciona la experiencia analitica dejando suponer que
asistimos a la emergencia de una subjetividad nueva, que nos plantea dificultades para enten-
der la novedad, y que cuestiona al hombre religioso y su conciencia tan plena de vitalismo
como preocupada por su muerte.
dovuta al principio di piacere e per finire, alla pulsione di morte. L'attualità psicoanalitica è por-
tata ad intendere ed interpretare diverse forme del fuori-dal-tempo, tra cui l'autore questions la
ripetizione, la rielaborazione, ed il dissorversi del legame transferenziale, partendo da tre esempi
clinici. L'ingresso nel fuori dal tempo che viene governato dall'esperienza analitica, lascia sup-
porre che stia emergendo una nuova soggettività che mette in causa l'uomo religioso e la sua
coscienza tanto impregnata di vitalismo, che preoccupata dalla sua morte.
Parole chiavi — Arcaico. Coscienza, tempo della coscienza. Desein. Allucinazione. Ermeneu-
tica. Intensione/DistensioAnimi. Intersoggettività. Oggettivismo. Rielaborazione. Tanatologia.
Transfert.
P. DENIS.
— La belle actualité
Summary — The opposition Freud makes between the non-temporal unconscious and the
organized temporality of the perception-consciousness System must be reexamined. There are
non-temporal modes of psychic functionning that are linked of the perception-consciousness
System. On the other hand, the unconscious comprises elements that are temporally
« indexed ». The author underlines the role of affect in the organization of temporality.
Übersicht
— Die von Freud vorgeschlageneOpposition zwischen einem zeitlosen Unbewus-
sten und der organisierten Zeitlichkeit des Wahrnehmung-Bewusstheit-Systemsmuss neu
überdenkt werden. Es existieren zeitlose Modalitäten des psychischen Geschehens, welche an
das Wahrnehmung-Bewusstheit-Systemgebunden sind ; andererseits enthält das Unbewusste
Zeitlich « indexierte » Elemente. Der Autor unterstreicht die Rolle des Affekts in der Organisa-
tion der Zeitlichkeit.
Jacques ANGELERGUES.
— L'intemporel du psychanalyste
Summary — Could we not say that due to the psychoanalytic setting, the psychoanalyst
addresses the « timeless rather than the invariable aspect of the psyche ?
»
The therapeutic effect of our work stems perhaps from this fact.
Übersicht
— Hat der Analytiker nicht, dank des Rahmens, das Privileg, sich an ein « ausser-
halb der Zeit » — und nicht an das Unveränderliche— der Psyche zu wenden ? Es geht um das
Halluzinationsregister, Hauptmaterial der Traumwelt, vom Traum zum Märchen.
Der therapeutischeEffekt unserer Unternehmungen findet vielleicht da seine Quelle.
Résumé — Le repérage dans un matériel associatif de certains aspects formels combinés entre
eux représentants plastiques - images de plan - formes narratives - conte populaire, peut
:
venir animer un processus stagnant sans déroulementtemporel, dominé par les affects négatifs
douloureux. Ainsi a pu être très amélioré par un tel travail un état dépressifsévère avec des épi-
sodes polymorphes, associé à une rectocolite hémorragique.
Ce type de matériel doit être absorbé en tant que phénomène transitionnel, c'est-à-dire en
faisant la part d'un indécidable du sujet.
Mots clés — Affect douloureux. Bouffée polymorphe. Conte populaire. Espace transitionnel.
Images oniriques du plan. Prémisses de la représentation. Rectocolite hémorragique.
Summary — The identification, in associative material, of certain formai aspects that are com-
bined together : plastic representatives, framework images, narrative forms, folk-tales, can set
going a stagnant process devoid of temporal progression, which is dominated by painful nega-
tive affects. In this way it was possible to improve a severe depressive condition with polymor-
phous episodes, linked to a haemorrhagic rectocolitis.
This kind of material should be integrated as transitional phenomena, that is to say, as part
of the undecidable dimension of the subject.
Palabras claves — Afecto doloroso. Bacanada poliforme. Cuento popular. Espacio transicio-
nal. Imàgenes oniricas del plano. Premisas de la representacion. Rectocolitis hamorragica.
Riassunto — L'individuazione nel associativo di certi aspetti formali combinati tra loro : rap-
presentazioni plastiche - immagini di piani - forme narrative - racconti popolari, puo' venire ad
animare un processo stagnante senza svolgimentotemporale, dominato da affeti dolorosi. Con
questo tipo di lavoro si è potuto migliore di molto uno stato depressivo severo ad espisodi poli-
morfi, associato ad una retto-colite emoraggica. Questo genere di materiale deve essere preso
corne fenomeno transizionale, cioè tenendo conto d'un indicibile del soggetto.
Parole chiavi — Affeti dolorosi. Bouffée polimorfa. Racconto popolare. Spazio transizionale.
Immagini oniriche di piano. Premesse della rappresentazione. Rettocolite emorragica.
Pierre CHAUVEL.
— L'être et le temps : chaos, syncopes, castration
mais aussi les accidents tels que les syncopes, comparables à un rêve typique, montrent la fra-
gilité de ces formations et la contingence de la temporalité.
Summary — Chaos and non-temporality constitute the basis of psychic life whereby the dif-
ferent forms of discontinuity, related to castration, enable a diphasic temporal organization,
essential to the conception of the preconscious-conscious. Sleep, dreams, but also such acci-
dents as fainting fits, comparable to a typical dream, reveal the fragility of these formations and
the contingency of temporality.
Key-words — Diphasic temporality. Temporality. Fainting fit. Chaos. Castration. Time of the
treatment.
Übersicht
— Chaos und Zeitlosigkeit bilden den Hintergrund des psychischen Lebens, wo die
verschiedenen Modalitäten der Diskontinuität,im Zeichen der Kastration, eine zweiphasige Zei-
torganisation erlauben, wesentlich für die Konzeption des Vorbewussten-Bewussten. Der Sch-
laf, der Traum, aber auch die Unfälle wie die Synkopen, mit den typischen Träumen verglei-
chbar, zeigen die Unbeständigkeitdieser Bindungen und die Kontingenz der Zeitlichkeit.
Riassunto — Il fondo della vita psichica è costutito dal caos e dall'intemporalità. In esso le
diverse modalità della discontinuità, che sono sotto il segno della castrazione, permettono
un'organizzazione temporale difasica, essenziale per la concezione del preconscio-conscio. Il
sonno, il sogno, ma anche gli incidenti come le sincopi, paragonaliblead un tipico sogno, mos-
trano la fragilità di queste formanzioni e la contingenza della temporalità.
Parole chiavi — Temporalità difasica. Sincope. Caos. Castrazione. Tempo della cura.
1326 Revue française de Psychanalyse
Anne DENIS.
— Le présent
Key-words — Temporality. Meaning. Rhythm. Narrative. Psychic entry into the world.
Übersicht
— Die psychische Zeitlichkeit, von der Vorstellung der Zeit zu unterscheiden, orga-
nisiert sich auf Grund der psychischen, von den Vor-Objekten präsentierten Triebrepräsentan-
ten. Die pathologischeZeitlosigkeit ist eine Konfiguration, in welcher der Sinn der Sprache ver-
loren ist, sowie auch gleichzeitig die subjektale Selbstwahrnehmung.
François DUPARC.
— Les contempteurs du temps
Résumé — Les mystiques, les poètes et les philosophes ont vanté certaines formes d'atempo-
ralité. Mais celle dont ils parlent est une atemporalitétemporaine, que rend possible la régres-
sion. Le clivage du vécu temporel et la fixation d'expériences traumatiques, irreprésentables, où
le plaisir et la douleur sont confondus, a par contre une grande incidence pathologique : la dis-
crimination du plaisir et de la douleur sont un des moyens d'organiser le sens du temps dans sa
dimension linéaire. L'exemple clinique d'un état limite avec de fortes perturbations du vécu
temporel en fournit une illustration.
Summary — Mystics, poets and philosophers have proclaimedthe existence of certain formes
of atemporality. But theirs is a temporary atemporality rendered possible by regression. The
cleavage between temporal life and the fixation of traumatic and unrepresentable experiences,
wherein pleasure and pain are confounded, on the other hand, has serious pathological impli-
cations. The discrimination of pleasure and pain is one of the means of organizing time in its
linear dimension. The clinical example of a limit-state with intensive perturbations of temporal
life provides us with an illustration.
Übersicht
— Die Mystiker, Dichter und Philosophen haben gewisse Formen von Zeitlosigkeit
gepreist. Sie reden jedoch von einer zeitlich begrenzten Zeitlosigkeit, durch die Regression
ermöglicht. Die Spaltung des Zeiterlebnisses und die Fixierung von traumatischen unvorstell-
baren Erfahrungen, in welchen Lust und Schmerz verwechselt werden, haben jedoch eine
grosse pathologische Auswirkung : die Unterscheidung von Lust und Schmerz ist eines der
Mittel, um den Zeitsinn in seiner linearen Dimension zu organisieren. Das klinische Beispiel
eines Grenzfalles mit schweren Störungen des Zeiterlebnisses wird zur lllustrierung vorgeführt.
Resumen — Los misticos, los poetas y los filosofos han alabado ciertas formas de atempora-
lidad. Pero ellos hablan de una atemporalidad temporaria, que vuelve posible la regresion. La
escision de la vivencia temporal y la fijacion de experiencias traumaticas, irrepresentables, en
1328 Revue française de Psychanalyse
donde el placer y el dolor se entremezclan, tiene como contrapartida una gran incidencia pato-
logica : la discriminaciôn del placer y del dolor es uno de los medios para organlzar el sentido
del tiempo en su dimension lineal. El ejemplo clinico de un caso-limite con intensas perturba-
ciones de la vivencia temporal ilustra el articulo.
Riassunto — Certe forme d'intemporalità sono state esaltate da mistici, poeti, filosofi. Ma
quella di cui parlano è un'atemporalità temporanea, che rende possibile la regressione. Invece
la scissione del vissuto del tempo e la fissazione d'esperienze traomatiche, non rappresentabili,
in cui si confondono piacere e dolore, ha una grande incidenza patologica : discriminare pia-
cere e dolore è uno dei mezzi per organizzare il tempo nella dimensiones lineare. L'esempio cli-
nico d'un caso limite con forti pertubazioni del vissuto del tempo, ne da un'illustrazione.
Jacques LE BEUF.
— Au nom du sens : de la prématurité à l'intemporalité
Résumé — L'interprétation des rêves est le premier grand exposé freudien sur l'intemporalité
des désirs sexuels inconscients. Pour discuter de cette composante essentielle de sa métapsy-
chologie, Sigmund Freud semble préférer des formules descriptives ou métaphoriques plutôt
que le terme d'intemporalité peu mentionné dans son oeuvre.
Mots clés — Prématurité. Etat de détresse. Désirs sexuels inconscients. Sens du rêve. Intem-
poralité.
Summary — The Interpretation of Dreams is the first major Freudian treatise on the non-tem-
porality of unconscious sexual desires. In order to discuss this fundamental component of his
metapsychology,Sigmund Freud seems to prefer descriptive or metaphorical formulae to the
term of non-temporality, little mentionned in his work.
Übersicht
— Die Traumdeutung ist die erste Darlegung Freuds über die Zeitlosigkeit der
unbewussten Sexualwünsche. Um diese wesentliche Komponente seiner Metapsychologiezu
Résumés 1329
diskutieren, scheint Sigmund Freud die deskriptiven Formulierungen und Metaphern dem Aus-
druck der Zeitlosigkeit, in seinem Werk wening erwähnt, vorzuziehen.
Parole chiavi — Prematurità. Stato di sconforto. Desideri sessuali inconsci. Senso del sogno.
Intemporale.
Roger PERRON.
— La fin de l'éternité
Résumé — La cure analytique ne suspend pas le temps, elle n'est pas intemporelle ; elle ouvre
un autre temps, celui d'un présent indéfini où peuvent s'explorer tous les passés, se construire
tous les avenirs. Ce temps est celui de l'être, en deçà du temps du faire, en deçà du temps
sécable des horloges, le temps des événements et des actions, le temps irréversible de la vie et
de la mort. La séance inscrit ce temps de l'être entre deux parenthèses, celle de son début et
celle de sa fin ; l'analyse elle-même s'inscrit dans un vaste système de parenthèses au sein de
la temporalité ordinaire. C'est ainsi qu'un fantasme d'immortalité peut s'installer au sein même
de la cure, et que se risque l'analyse interminable. Le propos est illustré par la référence à une
oeuvre de science-fiction d'Isaac Asimov.
Summary — The analytic treatment does not suspend time ; it is not non-temporal. It opens
up another kind of time, that of an indefinite present where all the different pasts can be explo-
red and all the different futures constructed. This time is that of « being », prior to the time of
doing, prior to the divisible time of clocks, the time of events, actions, the irreversibletime of life
1330 Revue française de Psychanalyse
and death. The session places this time of being between two parentheses, that of its beginning
and that of its end. Analysis itself lies within a vast system of parentheses inside ordinary tem-
porality. Thus, a fantasy of immortality can arise within the very treatment, carrying the risk of
the latter never ending. This is illustrated by a reference to a work of science-fiction by Isaac
Asimov.
Übersicht
— Die analytische Kur hebt die Zeit nicht auf, sie ist nicht zeitlos ; sie eröffnet eine
andere Zeit, die Zeit einer undefinierten Gegenwart, in welcher alle Vergangenheiten erforscht
und alle Zukünfte konstruiert werden können. Es ist die Zeit des Seins, diesseits der Zeit der
Ereignisse und Aktionen, die nicht rückgängig zu machende Zeit des Lebens und des Todes.
Die Sitzung klammert diese Zeit des Seins ein, zwischen den Klammern des Anfangs und des
Endes ; die Analyse selbst läuft in einem vielseitigen System von Klammern ab, innerhalb der
alltäglichen Zeitlichkeit. Somit kann sich eine Unsterblichkeitsphantasieund das Risiko einer
unendlichen Analyse in der Kur einnisten. Diese Überlegungenwerden anhand eines Science-
fiction Werkes von Isaac Asimov illustriert.
Riassunto — La cura analitica non sospende il tempo, non è intemporale ; apre ad un altro
tempo in cui è possibile esplorare tutti i passati, costruirsi tutti gli avvenire. Questo tempo è quello
dell'altro, al di quà del tempo secabile degli orologi, il tempo degli eventi e delle azioni, il tempo
irreversible della vita e della morte. La seduta iscrive questo tempo dell'essere tra due parentesi,
quello del suo inizio a quello della sua fine ; è la stessa analisi che s'iscrive in un vasto sistema di
parentesi al centra della temporalità ordinaria. In questo modo un fantasma d'immortalià puo'
allora piazzarsi al centra delta cura medesima, rischiando un'analisi interminabile. Queste idee
vengono illustrate fecendo riferimento ad un'opera di fantascienza d'Isaac Asinov.
Denys RIBAS.
— Note brève sur l'éternité
Summary — It is interesting to differentiate the atemporality of the instinctual drive and the
atemporality of the trace (i.e. its permanence), from the still time of whatever is represented as
eternal, and that results from the adhesif collage of the ego-ideal, potentially dangerous for
psychic life with regard to the disorganization from which it arises.
Resumen — Es interesante diferenciar cierta atemporalidad del empuje pulsional y otra atem-
poralidad de la huella — su permanencia — del tiempo inmovil de lo representado como
eterno, fruto del collage adhesivo del yô-ideal, potencialmente peligroso para la vida psfquica a
causa de la desintricacion de la cual ha surgido.
Riassunto — E' interessante di differenziaretra una atemporalità della spinta pulsionale, un'al-
tra della traccia — il suo permanere — dal tempo irrigidito di cio' che è rappresentato corne
eterno che risulta dall'attaccamentoadesivo dell'io-ideale, potenzialmentepericoloso per la vita
psichica, in conseguenza della disintegrazione da cui è nato.
Résumé — La temporalité et les deux énigmes de la Sphynge : les trois âges de l'être humain
(le matin, le midi, le soir) dans la première, la circularité (soeur/soeur, mère/fille, nuit/jour) dans
la deuxième. Envahissement in(a)temporel et emprise de l'histoire de la génération antérieure.
1332 Revue française de Psychanalyse
Summary — Temporality and the two riddles of the Sphinx, that is to say, the three ages of
the human being (morning, noon and night) in the first riddle, and circularity (sister/sister,
mother/daughter, night/day) in the second. Non-(a)temporal intrusion and the hold of the his-
tory of the preceding generation. Denial of death and matricidal or patricidal wishes. Trauma,
narcissisticfailure, vampirism and subjectivation. OEdipus Rex and La Gradiva.
Übersicht
— Die Zeitlichkeit und die zwei Rätsel der Sphinx : die drei Alter des Menschen
(der Morgen, der Mittag, der Abend) im ersten, die Kreisbewegung (Schwester/Schwester,
Mutter/Tochter, Nacht/Tag) im zweiten. Zeitloses Eindringen und Bemächtigung der
Geschichte der vorigen Generation. Verleugnung des Todes und muttermörderische und
elternmörderische Wünsche. Trauma, narzisstische Schwäche, Vampirismus und Subjektivie-
rung. OEdipus Rex und Die Gradiva.
Resumen — La temporalidady los dos enigmas de la Esfinge : las tres edades del ser humano
(la manana, el mediodia, la noche) en la primera, la circularidad (hermana/hermana,
madre/hija, Noche/Dia) en la segunda. Invasion in(a)temporal y dominio de la historia de la
generacion anterior. Renegacion de la muerte y votos matricidas o parenticidas. Traumatismo,
desfallecimiento narcisista vampirismo y subjetivizacion. Edipo rey y La Gradiva.
Riassunto — La temporalità e i due enigmi della Sfinge : le tre età dell'essere umano (il mat-
tino, il mezzogiorno, la sera) nella prima ; nella seconda la circolarità (sorella/sorella,
madre/figlia, notte/giorno). L'invasione in(a)temporale e l'influenza della storia della genera-
zione precedente. Traoma, debolezza narcisistica, vampirismo e soggettivazione. Edipo re e La
Gradiva.
Résumé — L'analyse d'un rêve a révélé, à la surprise du patient comme à celle de l'analyste,
des identifications correspondant à des temps et des lieux différents. La (re)construction a
conduit à la découverte de conflits qui impliquaient trois générations. Nous explorons les
conditions cliniques de cette découverte, et nous développons les liens entre les concepts
d' « historicité » et de « reconstruction ».
Le concept de (re)construction,dans sa structure même, comporte un paradoxe fertile : en
étant par définition rétroactif, il est en même temps anticipatoire, en ce sens qu'il établit une
condition préalable d'accès aux vérités psychiques. La révélation d'identifications inconscientes
(télescopage des générations) dans la construction permet à l'analyste d'obtenir une compré-
hension après coup de la manière dont le patient a saisi ses interprétations. L'analyste obtient
ainsi les moyens de comprendre aussi après coup la valeur et les limites de ses interprétations.
Summary—Theanalysis of a dream revealed, to the surpriseof both patient and analyst, identi-
fications correspondingto different times and places. The (re)constructionled to the discovery of
conflicts involving three generations. We explore the clinical conditions for this discovery, and
we develop the links between the concepts of« historicity » and « (re)construction ».
The concept of (re)construction,in its very structure, implies a very fertile paradox : being
by definition retroactive, it is at the same time anticipatory, in the sense that it establishes a pre-
condition for access to psychical truths. The revelation of unconsciousidentifications (telesco-
ping of generations) through construction enables the analyst to gain a retroactive understan-
ding of how the patient has understood the interpretations.The analyst obtains thus the means
to understand (also in a retroactive way) the value and the limits of his interpretations.
Übersicht
— Die Analyse eines Traumes zeigte, zum gemeinsamen Erstaunen von Patient und
Analytiker, Identifizierungen,die sich auf unterschiedlicheZeitmomente und Orte bezogen. Die
(Re-)Konstruktion deckte Konflikte auf, die drei Generationen einbezieht. Wir diskutieren die
klinischen Gegebenheiten, die zu dieser Entdeckung führten, und wir entwickeln die Verbin-
dungen zwischen den Begriffen der « Geschichtlichkeit » und der « (Re-)Konstruktion».
Der Begriff der (Re-)Konstruktion beinhaltet schon von seiner eigenen Struktur her ein
sehr fruchtbares Paradoxon : Während er von Definition aus retroaktiv ist, so ist er doch zur
gleichen Zeit auch vorgreifend, im Sinne, dass er die Voraussetzungen schafft, die psychische
Wahrheit zu finden. Die Enthüllung von unbewussten Identifizierungen (das sich Ineinander-
schieben von Generationen) mittels der Konstruktion,befähigt den Analytiker ein retroaktives
Verständnis davon zu erhalten, wie der Patient die Interpretationen verstanden hat. Dadurch
erhällt der Analytiker die Mittel, um den Wert und die Grenzen seiner Interpretationen (auch auf
einem retroaktiven Wege) zu verstehen.
1334 Revue française de Psychanalyse
Resumen — El anàlisis de un sueno revelo, para sorpresa del paciente y del analista, identifi-
caciones correspondientesa épocas y lugares diferentes. La (re)construccion permitio descu-
brir conflictos relacionados con tres generaciones. Examinamos las condiciones clinicas de este
descubrimiento y relacionamos los conceptos de « historicidad » y « (re)construccion ».
El concepto de (re)construccion implica, en su estructura, una paradoja muy fértil : siendo
por definicion retroactiva, es al mismo tiempo anticipatoria, en el sentido de establecer una pre-
condicion para el acceso a verdades psiquicas. La revelacion de identificaciones inconscientes
(telescopaje de generaciones) por medio de la construccion permite que el analista entienda de
qué manera el paciente ha comprendido las interpretaciones. De este modo, el analista puede
entender, también en forma retroactiva, el valor y los limites de sus interpretaciones.
Riassunto — L'analisi d'un sogno, con sorpresa sia del paziente che dell'analista, ha rivelato
identificazioni corrispondenti a tempi e luoghi differenti. La (ri)costruzione ha portato alla sco-
perta di conflitti in cui erano coinvolte tre generazioni. Esploriamo le condizionicliniche di questa
scoperta e sviluppiamo i legami tra i concetti di « storicità » e « ricostruzione ». Il concetto di
(ri)costruzione comporta, nella struttura stessa, un fertile paradosso : essendo retroattivo per
definizione è, nello stesso tempo, anticipatore, nel senso che stabilisce una condizione prelimi-
nare per accederealle verità psichiche. La rivelazioned'identificazioni inconsce (scontro di gene-
razioni) nella costruzione, permette all'analista d'otterne una comprensione a posteriori della
materia di cui il paziente ha colto le sue interpretazioni. Cosi' l'analista ottiene i mezzi per
comprendere, sempre a posteriori, il valore ed i limiti delle propie interpretazioni.
Übersicht
— Wenn die Zeit ein Reizschutz ist, ist das Trauma an eine Erchütterung der Zeit
gebunden (Freud). Ein Vergleich zwischen traumatischem Erleben und sublimem Erleben
(Kant) hebt hervor, wie durch diese Erschütterung das Trauma eine Hemmung der Einbildung-
skraft und des Darstellungsvermögens hervorruft, von der Wahrnehmungsfähigkeitausgehend.
Resumen — Si el tiempo es un protector contra las excitaciones, el trauma estara ligado a una
sacudida del tiempo (Freud). Una comparacion entre vivencia traumatica y vivencia sublime
(Kant) explica como a través de la sacudida el trauma produce una inhibicion del poder de
imaginar y de figurar y por lo tanto de la capacidad de percibir.
Palabras claves — Posterioridad. Fantasia. Figuracion. Protector contra las excitaciones. Per-
cepcion. Sublime. Tiempo. Traumatismo.
Nicos NICOLAIDIS.
— Temps cyclique et temps linéaire
Mots clés — Chronos. Temps cyclique et linéaire. L'éternité impensable. Sisyphe. Compulsion
de répétition. Heraclite. Heidegger.
(Chronos) is born of no one. Time, according to the Greeks, is cyclical both for men and for the
gods themselves. Eternity is unthinkable. The repetition compuision and Sisyphys' punishment.
The fate (finality) of the instincts according to the Greeks. The opinions of Heraclitis. M. Hei-
degger's ambivalence regarding transcendental metaphysics and the temporal signification of
being. The fantasy of transcending the chronology of events.
Key-words — Chronos. Cyclical and linear time. Unthinkable eternity. Repetition compuision.
Heraclitis. Heidegger.
Palabras claves — Cronos. Tiempo ciclico y lineal. La eternidad impensable. Sisifo. Compui-
sion a la repeticion. Heraclito. Heidegger.
Riassunto — L'intemporalità cronologica per Freud. Il vissuto del tempo nell'inconscio. Chro-
nos (il tempo) non appartiene a nessuno. Per i Greci il tempo è ciclico, sia per gli uomini che
per gli dei. L'eternità è impensabile. La coazione a ripetere e la punizione di Sisife. Il destino
(realizzazione) delle pulsini per i Greci. Le posizioni di Eraclito. L'ambivalenza di M. Heidegger
rispetto alla metafisica transcendentale ed al significato temporale dell'essere. Il fantasma tras-
cenede la cronologia degli eventi.
Parole chiavi — Cronos. Tempo ciclico e lineare. L'impensabile eternità. Coazione a ripetere.
Eraclito. Heidegger.
Résumés 1337
Roger DUFRESNE.
— A l'écoute de Narcisse
Résumé — Dans le mythe de Narcisse qui le fonde, le narcissisme n'est pas simple passion
amoureuse envers l'image de soi, mais d'emblée peur et retrait devant le pouvoir, l'emprise et le
désir appréhendés de l'autre. Lors de l'analyse d'un survivant de l'holocauste, après un temps
très long de silence transférentiel, émerge ultimement un transfert archaïque et violent où l'ef-
froi absolu devant les risques de la passivité et de l'asservissement fait obstacle à une recherche
désespérée de l'objet. Pour éviter l'impasse, l'analyste doit accepter de s'engager dans une
écoute plus active et des interprétations par anticipation. L'analyse de la douleur narcissique
nécessite que l'on n'isole pas dans le temps et la théorie les perspectives narcissique et objec-
ta le, mais que l'on perçoive et interprète leur étroite intrication.
Mots clés — Mythe de Narcisse. Retraitdevant le désir de l'autre. Douleur narcissique. Ecoute
active. Interprétation par anticipation. Intrication des perspectives narcissique et objectale.
Summary — In the myth of Narcissus on which it is based, narcissism is not a mere infatua-
tion with one's self-image, but at once the fear of and the withdrawal from the apprehended
power, possession and desire of the other. In the course of the analysis of a survivor of the
holocaust, after a very long period of unspoken transference, an archaic and violent transfe-
rence ultimately emerges, in which the absolute fright before the risks of passivity and enslave-
ment hinders the desperate search for the object. In order to avoid an impasse, the analyst must
accept to engage into a more active listening and into interpretations by anticipation. The ana-
lysis of the narcissistic pain requires that the narcissistic and the object-relation perspectives be
not isolated from one another neither in time nor in theory, but that their close intrication be
perceived and interpreted.
Key-words — Myth of Narcissus. Withdrawal from the desire of the other. Narcissistic pain.
Active listening. Interpretation by anticipation. Intrication of the narcissistic and object-relation
perspectives.
Übersicht
— Im Mythos von Narziss ist der Narzissmus nicht einfache leidenschaftliche Ver-
liebtheit in das Selbstbild, sondern von Anfang an Angst und Rückzug vor der Macht, der
Bemächtigung und dem gefürchteten Wunsch des Andern. In der Analyse eines Überlebenden
des Holokaustum, nach einer langen Zeitspanne von Sweigen der Übertragung, kommt zuletzt
eine archaische und gewaltsame Übertragung zum Vorschein, in welcher das absolute Grauen
vor der Passivität und der Unterwerfung das verzweifelte Suchen nach dem Objekt verhindert.
Um die Sackgasse zu vermeiden, muss der Analytiker akzeptieren, sich in ein aktiveres Zuhören
und in Antizipationsdeutungen einzulassen. Die Analyse des narzisstischen Schmerzes ver-
langt, dass die narzisstischen und die Objektperspektiven nicht in der Zeit und in der Theorie
isoliert werden, sondern dass ihre enge Verflechtungwahrgenommen und interpretiert wird.
Schlüsselworte — Mythos von Narziss. Rückzug vor dem Wunsch des Andern. Narzisstis-
cher Schmerz. Aktives Zuhören. Antizipationsdeutung.Verflechtung der narzisstischen und der
Objektperspektiven.
1338 Revue française de Psychanalyse
Palabras claves — Mito de Narciso. Ensimismamientoante el deseo del otro. Dolor narcisista.
Escucha activa. Interpretacionpor adelantado. Intricaciôn de las perspectivas narcisista y objetal.
Riassunto — Nel mito di Narciso, il narcisismo che lo fonda non è una semplice passione
amorosa verso la propria immagine, ma immediatamente è paura e ritiro davanti al potere, all'in-
fluenza ed al desiderio paventati dall'altro. In un'analisi di un soprawissuto dell'olocaosto,
dopo un lunghissimo silenzio transferenziale, alla fine emerge un transfert arcaico e violento in
cui la paura assoluta di fronte i rischi della passività e dell'assoggetamento,ostacolano la dis-
perata ricerca dell'oggetto. Per evitare l'impasse, l'analista deve accettare d'impegnarsi in un
ascolto più attivo ed in interpretazioni anticipative. L'analisi del dolore narcisistico richiede che
le prospettive narcisitiche e d'oggetto non vengano isolate nel tempo e nella teoria, ma che se
ne percepisca ed interpreti il loro stretto intreccio.
Parole chiavi — Mitto di Narciso. Ritiro di fronte al desiderio altrui. Dolore narcisistico.
Ascolto attivo. Interpretazione anticipativa. Intreccio della prospettiva narcisistica e d'oggeto.
Catherine PARAT.
— Le phallique féminin
Summary — The usual confusion between phallus and penis is regrettable. The analysis of
penis envy and phallic demand shows that they are related to different fields.
Relational exchanges with the mother during the anal period have a major influence on the
future of the narcissistic cathexis of the little girl. Feminine phallicism is constituted differently
Résumés 1339
to masculine phallicism which retains the mark of the castration complex. In the case of the
little girl, the feminine and virile identifications that draw on psychical bisexuality contribute to
the creation of sublimations that point to the development of feminine phallicism.
Key-words — Phallus. Penis. Anality. Bisexuality. Sublimations.
Übersicht
— Die übliche Verweschslung zwischen Phallus und Penis ist bedauerlich. Die
Analyse des Penisneids und des Phallusanspruchs zeigt auf, dass sie sich in verschiedenen
Gebieten abspielen.
Der Beziehungsaustausch mit der Mutter in der analen Phase hat einen grossen Einfluss
auf die Zunkunft der narzisstischen Besetzungen der Tochter. Das weiblich Phallische kons-
truiert sich anders als das männlich Phallische, welches die Prägung des Kastrationskomplexes
beibehält. Bei dem Mädchen tragen die weiblichen und männlichen Identifizierungen, welche
die Bisexualität ausnützen, zur Schöpfung von Sublimierungen bei, in welchen sich die phal-
lische weibliche Expansion sehen lässt.
Resumen — Es de lamentar la habituai confusion entre falo y pene. El analisis de la envidia del
pene y de la reivindicacion falica muestra su inscripcion en sectores diferentes.
Los intercambios relacionales con la madre, durante el periodo anal tienen una gran
influencia en el futuro de las cargas narcisistas de la nina. Lo fâlico femenino se constituye dife-
rentemente de lo falico masculino, que conserva la huella del complejo de castracion. En la
nina, las identificacionesfemeninas y viriles que utilizan la bisexualidad psiquica contribuyen a
la creacion de sublimacionesen la cuales puede leerse la expansion falica femenina.
Riassunto — C'è da dolersi per la confusione che abitualmente viene fatta tra fallo e pene.
L'analisi dell'invidia del pene e della rivendicazione fallica mostra che la loro iscrizione awiene
in settori che sono differenti. Durante il periodo anale gli scambi realzionali con la madre
influiscono molto sui futuri investimenti narcisistici della figlia. Il fallo femminile si costituisce
diversamente da quello maschile che conserva l'impronta del complesso di castrazione. Nella
giovane le identificazioni femminili e virili che utilizzano la bisessualità psichica, contribuiscono
al crearsi di sublimazioni in cui è possible leggere l'espansione fallica femminile.
Monographies de la RFP
(vente en librairie)
Déjà parus :
LA PSYCHANALYSE, QUESTIONS POUR DEMAIN
LE MASOCHISME
ANGOISSE ET COMPLEXE DE CASTRATION
LA BOULIMIE
LA PSYCHANALYSE ET L'EUROPE DE 1993
LES TROUBLES DE LA SEXUALITÉ
AUTISMES DE L'ENFANCE
LA NÉVROSE OBSESSIONNELLE
LE DEUIL
PSYCHANALYSE ET PRÉHISTOIRE
SURMOI (2 volumes)
LE DOUBLE
FERENCZI
L'HYPOCONDRIE
A paraître
SCENES ORIGINAIRES
ANGOISSES (2 volumes)
PSYCHANALYSE ET HISTOIRE
LA PSYCHOSOMATIQUE
ART, CRÉATION - PSYCHANALYSE
NON-TEMPORALITY
Editors : Pierre CHAUVEL and Paul DENIS
Argument, 989
René DIATKINE — Non-temporalityand temporal coordinates, 993
Jean GILLIBERT — Non-temporalityand a-temporality, 999
Pierre SULLIVAN — The clinic of non-temporality, 1017
Julia KRISTEVA — The scandal of timelessness, 1029
Paul DENIS — The greatness of the present day, 1045
Jacques ANGELERGUES— The non-temporalityof the psychoanalyst, 1059
Marie BONNAFÉ — The passage to temporality, 1063
Pierre CHAUVEL — Being and time : chaos, syncope, castration, 1071
Anne DENIS — The present, 1083
François DUPARC — The denigrators of time, 1093
Jacques LE BEUF — In the naine of meaning : from prematurity to non-tempo-
rality, 1101
Roger PERRON
Denys RIBAS —
-Brief
The end of eternity, 1109
note eternity, 1115
on
Pérel WILGOWICZ — The bounds of temporality, 1123
POINTS OF VIEW
Technicalperspective
Mesine HALEVI SPERO
— The temporal framework and Lacan's concept of the umixed
Psychoanalytic bour,
1131
Hardée FAIMBERGand Antonio COREL — Repetition and surprise : a clinical app oach
to the necessity o construction and its validation, 1159
The cretical perspecti
Bernard LEMAIGRE — The trauma, disturbance of time, 1173
Nicos NICOLAIDIS — Cyclical time and linear time, 1189
The time of history
Paul ROAZEN — Freud and the history of psychoanalysis, 1197
the eternalfeminine
Out of time : Narcissusand
Roger DUFRESNE — Listening to Narcissus, 1215
Catherine PARAT — The phallic feminine, 1239
BOOK REVIEW
Florence GUIGNARD— L'enfant dans René Diatkine ou l'étemelle capacité de jouer. 1259
Louise de URTUBEY — The Freud-Jones Correspondance, 1271
Rémy PUYUELO — Le corps de la cure by Anne-Marie Merle-Béral, 1283
JOURNAL REVIEW
Chantal LECHARTIER-ATLAN— Psychoanalytic Quarterly, 1295
Denise BOUCHET-KERVELLA
— Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1299
-
Christiane GUITARD-MUNNICH Psychanalyse à l'Université, 1307
Françoise MOREIGNE
— Cahiers du Centre de Psychanalyse et de Psychothérapie 308
Monique COURNUT -JANIN - The International Journal of Psychoanalysis, 1310
L'INTEMPOREL
Rédacteurs : Pierre CHAUVEL et Paul DENIS
Argument, 989
René DIATKINE — Intemporalité et coordonnées temporelles, 993
Jean GILLIBERT — Intemporalité et a-temporalité, 999
Pierre SULLIVAN — Clinique de l'intemporalité, 1017
Julia KRISTEVA — Le scandale du hors-temps, 1029
Paul DENIS — La belle actualité, 1045
Jacques ANGELERGUES— L'intemporeldu psychanalyste, 1059
Marie BONNAFÉ — Le passage au temporel : d'un « arrêt sur image » à une trajectoire de
conte, 1063
Pierre CHAUVEL — L'être et le temps : chaos, syncope, castration, 1071
Anne DENIS — Le présent, 1083
François DUPARC — Les contempteurs du temps, 1093
Jacques LE BEUF — Au nom du sens : de la prématurité à l'intemporalité, 1101
Roger PERRON — La fin de l'éternité, 1109
Denys RIBAS — Note brève sur l'éternité, 1115
Pérel WILGOWICZ bornes de la temporalité, 1123
— Les
POINTS DE VUE
Point technique
Moshe HALÉVI SPERO
— Le cadre temporel et la notion lacanienne de séance
variable, 1131
Haydée FAIMBERG et Antonio COREL — Le temps de la construction : répétition et sur-
prise, 1159
Point théorique
Bernard LEMAIGRE — Le trauma, ébranlement du temps, 1173
Nicos NICOLAIDIS — Temps cyclique et temps linéaire, 1189
Le temps de l'histoire
Paul ROAZEN — Les patients de Freud : intemporels ?, 1197
Hors du temps : Narcisse et l'éternelféminin...
Roger DUFRESNE — A l'écoute de Narcisse, 1215
Catherine PARAT — Le phallique féminin, 1239
CRITIQUE DE LIVRES
Florence GUIGNARD
— L'enfant dans René Diatkine ou l'étemelle capacité de
jouer, 1259
Louise de URTUBEY — La Correspondance Freud-Jones. 1271
Rémy PUYUELO — Le corps de la cure de Anne-Marie Merle-Béral, 1283
REVUE DES REVUES
Chantai LECHARTIER-ATLAN— Psychoanalytic Quarterly, 1295
Denise BOUCHET-KERVELLA — Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1299
Christiane GUITARD-MUNNICH— Psychanalyse à l'Université, 1307
Françoise MOREIGNE — Les Cahiers du Centre de Psychanalyse et de Psycho-
thérapie, 1309
Monique COURNUT-JANIN — The International Joumal of Psychoanalysis, 1310
Imprimerie
des Presses Universitaires de France
Vendôme(France)
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