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3’:HIKRQF=[U[ZU\:?a@b@k@o@a";
FOMO : CETTE PEUR DES
OCCASIONS MANQUÉES
QUI NOUS GAGNE
SE RECONSTRUIRE
APRÈS L’ÉPREUVE
Dernières découvertes
sur la résilience
avec Boris Cyrulnik
PSYCHOLOGIE
SOCIALE
LE POUVOIR
ÉTONNANT
DES EXCUSES
CLIMAT
LES RAISONS
DE NOTRE
INACTION
PHOBIE SCOLAIRE
DES SIGNES D’ANXIÉTÉ
À REPÉRER
AU PLUS TÔT
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COLLECTION
uga-editions.com
3
N° 104
p. 16-17
Lionel Naccache SÉBASTIEN
Neurologue, chercheur en neurosciences cognitives
à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris,
BOHLER
Lionel Naccache explore les bases cérébrales de Rédacteur en chef
la conscience humaine et des états limites comme
le coma ou les états de conscience minimale.
Le temps
p. 58-64
d’un café
Boris Cyrulnik
Psychologue et neuropsychiatre, il est directeur
d’enseignement à l’université Toulon-Var. Grand
spécialiste de la résilience, Boris Cyrulnik s’intéresse
aujourd’hui aux traumatismes psychiques qu’ont subis
les victimes des attentats, ainsi qu’à leur guérison.
V
ous êtes avec quelques amis dans une maison en flammes. Il n’y
a aucune issue et par la fenêtre on voit les flammes lécher les
murs en remontant du rez-de-chaussée. Il reste un peu de café
pour ceux qui en veulent. Que faites-vous ?
1) Vous vous dites qu’il reste au moins cinq minutes avant
que les flammes n’atteignent votre étage, et que vous avez bien le temps de
prendre un café.
p. 70-74
2) Vous pensez que vous résistez plutôt bien aux flammes. Les autres vont
Fabien Girandola certainement rôtir, mais vous, ça devrait aller.
Professeur de psychologie sociale de la communication
à l’université d’Aix-Marseille, Fabien Girandola mène ses 3) Vous avez tout de suite repéré le truc : ces flammes ne sont pas réelles.
recherches sur le changement de comportement et les Ce sont des effets spéciaux créés par des gens qui veulent vous effrayer, peut-
techniques de persuasion douces (nudges), notamment être pour prendre le café qui est dans la pièce.
dans le contexte du réchauffement climatique. 4) En fait, vous n’êtes pas tout à fait sûr que ces flammes soient vraiment
truquées, mais ce que vous voyez, c’est que plusieurs de vos camarades sont
d’accord avec vous. Et ça, c’est intéressant parce que ça va vous permettre de
vous liguer contre les autres pour prendre tout le café qui reste.
Résultats du test : si vous avez répondu 1), 2), 3) ou 4), vous êtes mort.
Si vous avez répondu une quelconque combinaison aussi, d’ailleurs. Le
problème : une partie très importante de l’humanité, confrontée aux
échéances climatiques catastrophiques qui se profilent, a tendance à
p. 82-85 répondre 1), 2), 3) ou 4).
Daniela Ovadia Vous le verrez en page 70. Maintenant, il y a plein d’autres choses très
Codirectrice du laboratoire Neurosciences et société intéressantes dans ce numéro, comme l’indispensable résilience qui nous
de l’université de Pavie, Daniela Ovadia étudie les biais
cognitifs qui nous induisent en erreur dans des permet de nous reconstruire après une épreuve difficile, ou la redécouverte
domaines aussi variés que la prise de décision, de notre odorat, véritable sens oublié. Mais ça, c’est pour agrémenter les
les émotions ou les comportements sociaux. cinq minutes qui nous restent autour d’un bon café. £
SOMMAIRE
N° 104 NOVEMBRE 2018
p. 51-69
Dossier
p. 18 p. 26 p. 36 p. 44
p. 6-49
DÉCOUVERTES p. 51
SE
p. 6 ACTUALITÉS
Ados : pourquoi tant de désordre ?
p. 34 I NFOGRAPHIE
Quand meurt RECONSTRUIRE
Un détecteur de mauvaise humeur
dans le cerveau
« Resynchroniser »
le cerveau
Après l’arrêt du cœur, un compte à rebours
APRÈS
les schizophrènes ?
Sans eau, notre cerveau rétrécit !
fatal commence…
Anna von Hopffgarten et Martin Müller L’ÉPREUVE
p. 52 N
EUROBIOLOGIE
p. 36 PERCEPTION
p. 16 FOCUS RENAÎTRE APRÈS
Pour les traumatisés, Les superpouvoirs L’ÉPREUVE
impossible d’oublier de notre nez Certaines personnes semblent mieux
À cause d’un mécanisme d’oubli défaillant, Il détecterait jusqu’à un milliard d’odeurs et « cicatriser » que d’autres après un drame.
les scènes pénibles resurgissent. surpasserait parfois celui du chien. Comment On commence à comprendre pourquoi.
Lionel Naccache a-t-on pu le sous-estimer à ce point ? Jana Strahler
Frank Luerweg
p. 18 N
EUROBIOLOGIE p. 58 I NTERVIEW
Quand l’immunité p. 44 MÉDECINE
CRÉER LES CONDITIONS
monte à la tête Des ultrasons pour DE LA RÉSILIENCE
Le système immunitaire aurait la capacité guérir le cerveau Chaque cas est particulier, mais le rôle
de modifier le fonctionnement du cerveau. Des ondes à haute fréquence traitent de la parole est toujours essentiel
Jonathan Kipnis maintenant certains dysfonctionnements pour relancer les mécanismes de plasticité
cérébraux et maladies mentales. du cerveau.
p. 26 C
AS CLINIQUE Esther Landhuis Boris Cyrulnik
L’enfant qui ne voulait p. 66 N
EUROSCIENCES
plus aller à l’école QUAND L’ESPRIT RÉPARE
Vomissements, sueurs froides, estomac
serré : la peur panique de l’école a chez Éric LE CORPS
une origine… familiale. Travailler sur les états de stress
Grégory Michel (par la méditation, notamment) enclenche
des mécanismes de réparation interne
après une maladie grave.
Patricia Thivissen
Ce numéro comporte un encart abonnement Esprit Yoga sur une sélection d’abonnés France Métropolitaine.
En couverture : © Shutterstock.com/mokokomo ; © Getty Images/Eric Fougere/Contributeur
p. 94
p. 78
p. 82 p. 88
p. 70
p. 92
p. 70 R
ETOUR SUR L’ACTUALITÉ p. 82 M
ATHÉMATIQUES p. 92 S ÉLECTION DE LIVRES
Climat : les raisons Nul en statistiques ? La Plus Belle Histoire
de l’intelligence
de l’inaction C’est normal ! Le corps est le seul langage
La démission de Nicolas Hulot pose Non, on n’a pas plus de chances de gagner qui ne ment pas
la question de nos propres manquements. au loto si on a perdu 10 fois. Mais notre Évaluer le risque de suicide
Une liste de biais cognitifs longue comme cerveau n’est pas très doué en statistiques. Le Cerveau
le bras. Daniela Ovadia Pourquoi nous dormons
Fabien Girandola
Les Profils émotionnels
p. 86 L A QUESTION DU MOIS
p. 76 PSYCHO CITOYENNE Pourquoi se sent-on p. 94 N
EUROSCIENCES ET LITTÉRATURE
bien après le sport ?
L’exercice physique dissipe l’anxiété
SEBASTIAN
et modifie l’activité des centres
CORALIE CHEVALLIER DIEGUEZ
ET NICOLAS BAUMARD émotionnels du cerveau.
Jeannine Stamatakis
p. 78 P
SYCHOLOGIE SOCIALE
Excusez-moi !
L’angoisse de De l’intérêt de
l’occasion manquée demander pardon
Dans le doute, excusez-vous : vous serez vu
Les réseaux sociaux nous proposent comme un être chaleureux, sensible et doté
un trop-plein d’opportunités que nous d’une bonne estime de soi.
ne pourrons jamais saisir.
D’où... l’angoisse !
Theodor Schaarschmidt
Actualités
Par la rédaction
NEUROSCIENCES
Ados : pourquoi
tant de désordre ?
Votre adolescent ne veut pas ranger sa chambre ? Il préfère passer son
temps sur Youtube que de réviser ses examens ? La raison : son cerveau
ne fait pas le lien entre l’effort et le bénéfice qu’il en retirera plus tard.
C
. Insel et al.,
Nature Communications,
vol. 8, p. 1605, 2018.
« R évise tes
examens au lieu de passer des
heures sur Youtube ! » Quel parent
n’a jamais essayé de faire com-
prendre à son adolescent que cer-
taines activités ne lui apportent pas
grand-chose mais l’empêchent, en
revanche, de développer des com-
pétences qui pèseront lourd dans
ses réalisations futures ?
UN CERVEAU ERRATIQUE ?
Oui, mais… le cerveau adolescent
ne raisonne pas comme ça, viennent
de démontrer des chercheurs de
l’université Harvard. Lorsque vous
avez un travail pénible à fournir,
vous, la personne adulte, rationnelle
et responsable, vous envisagez auto-
© Shutterstock.com/Toltemara
SÉCURITÉ ROUTIÈRE
pas vraiment... Par exemple, dans les peut-être pas été suivi d’effets très
expériences menées à Harvard, sou- probants. Alors, comment faire ? La
S
mis à des épreuves de concentration question tient plutôt à ce qui a de la
dont l’enjeu varie de 20 cents à 1 dol- valeur pour eux. Ce que nous consi-
lar, ils n’ajustent pas leur degré d’ef- dérons comme des enjeux (le dollar
fort à la mesure de l’enjeu. de l’expérience, un diplôme obtenu
Pourquoi cette incapacité à doser ou non, un métier, des problèmes de
son investissement en fonction des santé) n’en sont pas forcément pour
résultats potentiels ? Sur le plan céré- leur cerveau. Peut-être cet organe en elon un sondage réalisé par Ipsos
bral, la capacité à se motiver en fonc- pleine transformation ajuste-t-il son pour la fondation Vinci Autoroutes, auprès de
tion d’un enjeu dépend d’une effort en fonction d’autres para- 1 000 jeunes de 18 à 24 ans et de leurs parents,
connexion neuronale reliant l’avant du mètres. On sait que les comporte- 7 jeunes sur 10 seraient à l’écoute des conseils
cerveau, le cortex préfrontal, avec un ments de prise de risque, par de leurs parents en matière de sécurité routière.
noyau profond appelé striatum, essen- exemple, sont motivés principale- Dans l’ensemble, ils trouvent les conseils appro-
tiel à la perception du plaisir. Cette ment par le désir de devenir « popu- priés, sur des sujets comme l’alcool, la vitesse ou
connexion ne devient vraiment opé- laire » auprès des camarades. Ou que l’usage des téléphones au volant. Ils estiment que
rationnelle qu’après 18 ans, et c’est à le plaisir immédiat procuré par une les parents trouvent les mots justes et n’exagèrent
ce moment que l’on observe, dans ces activité est également prépondérant. pas les dangers abordés. Ces conversations
mêmes expériences, les premiers Quand à l’influence des parents sur éveillent en eux un sentiment de responsabilité et
comportements associant de façon les jeunes, elle semble toujours d’intérêt, au point que père et mère sont considérés
fiable la raison et la motivation. s’exercer, mais plutôt par le biais de comme les personnes les plus influentes pour les
l’exemplarité. guider dans leur apprentissage de la conduite.
DES MOTIVATIONS MYSTÉRIEUSES Une autre façon de voir les Pourtant, une majorité d’entre eux dit ne pas
Cette découverte a de quoi choses est de considérer qu’à partir appliquer systématiquement les conseils entendus
remettre en cause, d’après ses de 18 ans en moyenne, le lien entre autour de la table familiale. C’est que, note Daniel
auteurs, une certaine vision des ado- les actes du présent et les consé- Marcelli, professeur de psychiatrie de l’enfant et
lescents. Notamment, il ne serait pas quences futures commencera à se de l’adolescent, le premier mode de transmission
forcément très productif de leur faire mettre en place dans sa connexion des attitudes est comportemental : un apprentis-
miroiter des récompenses s’ils font frontostriatale. Ce qui signifie que sage par mimétisme, en partie inconscient, a lieu
ceci ou cela, ou des sanctions ter- cette connexion commence à se chez l’adolescent qui voit son père ou sa mère au
© Shutterstock.com/Garnet Photo
ribles dans le cas contraire. Vous construire bien avant, et que l’aider volant. L’exemplarité joue donc un rôle crucial et
l’avez sûrement constaté si vous avez à le faire peut hâter et consolider le les parents gagneront à s’observer conduire et à
demandé dix fois à votre enfant de processus. Autrement dit, sensibiliser vérifier qu’ils ne font pas, en situation, le contraire
ranger sa chambre dans laquelle on en permanence un jeune aux enjeux de ce qu’ils disent à la maison. Toutefois, ce son-
ne peut même plus se faufiler entre reste probablement nécessaire... dage révèle que les jeunes écoutent beaucoup
les tas d’habits sales et les cahiers même si, certains jours, on croit ne plus leurs parents que ceux-ci ne le croient, et
en vrac. Et vous avez dû constater jamais en voir le bout. £ qu’ils ne doivent pas « lâcher le morceau » en ayant
que brandir la carotte ou le bâton n’a Sébastien Bohler l’impression de parler dans le vide. £ S. B.
NEUROSCIENCES AFFECTIVES
Un détecteur
de mauvaise
humeur dans
le cerveau
. G. Sani et al., Nature Biotechnology, vol. 174,
O
pp. 730-743, 2018.
Cortex orbitofrontal
Cortex cingulaire
Amygdale
Hippocampe
NEUROSCIENCES AFFECTIVES
Quelqu’un
veut un rein ?
. M. Brethel-Haurwitz,
K
Psychological Science, publication
avancée en ligne du 21 août 2018.
1/3
HK2, le virus Les rétrovirus « piratent » notre
génome, au sein duquel ils
qui rend addict s’insèrent. Dans le cas de HK2, cette
insertion aurait eu lieu avant même
l’émergence de l’homme moderne.
L es addictions s’accompagnent
d’un dérèglement des circuits
cérébraux du désir : il devient alors
Les chercheurs ont montré qu’une
variante rare de ce rétrovirus est 2,5
à 3,6 fois plus fréquente
des étudiants en
1 année d’université
re
impossible de résister à une envie chez les toxicomanes et qu’elle souffrent, dans le
© Shutterstock.com/Luuuusa
PSYCHIATRIE
« Resynchroniser »
les schizophrènes ?
Des neurones T. Marissal et al.,
du plaisir repérés Nature Neuroscience,
le 17 septembre 2018.
dans le ventre
A
C ’est bon de manger. Le problème, c’est de
s’arrêter. La faute à des neurones libérant de
la dopamine dans une partie de notre cerveau, le
striatum. Ces neurones créent une envie de
perpétuer le comportement alimentaire, et leur
suractivité peut expliquer bien des cas d’obésité. ujourd’hui, les anti-
Le problème est qu’ils viennent de trouver de psychotiques prescrits dans le traite-
puissants alliés dans le ventre. Ces neurones à ment de la schizophrénie n’atténuent
dopamine innervent notre tube intestinal et qu’une partie des troubles des
remontent au cerveau par le nerf vague. Ils créent patients. Pour améliorer leur efficacité,
donc un deuxième signal de plaisir très rapide, en il s’agirait de comprendre plus en pro-
quelque sorte le plaisir des tripes. Mais le nerf fondeur les mécanismes de la maladie. population minoritaire d’autres neu-
vague a deux branches, une gauche et une droite. Or à l’université de Genève en Suisse, rones dans cette région de l’hippo-
La branche droite, seule, stimule les neurones à Thomas Marissal et ses collègues ont campe, les interneurones inhibiteurs
dopamine du cerveau. La branche gauche mis en évidence une désynchronisa- à parvalbumine, n’est plus suffisam-
remonte vers des centres de la satiété. Alors, tion des neurones chez des souris ment active. Mais, grâce à des traite-
êtes-vous vaguement à gauche ou à droite ? £ S. B. atteintes d’une forme de schizophré- ments pharmacologiques et des
nie, et l’ont même corrigée. manipulations génétiques, les cher-
La plupart des personnes schizo- cheurs ont rétabli l’activité de ces
Inégaux devant phrènes, environ 1 % de la population,
voient leurs aptitudes intellectuelles
neurones : les réseaux de neurones
de la couche CA1 se sont immédia-
l’effet placebo diminuer au moment où les symp-
tômes apparaissent, en général à
tement resynchronisés. Et quand ils
ont injecté les mêmes molécules
l’entrée dans l’âge adulte, car il existe chez des souris éveillées, ces der-
questionnaire. Selon Apkarian, cela permettrait de désynchronisés : ils présentent le tiques ciblant les neurones inhibi-
prescrire de simples pilules sucrées aux patients même niveau d’activité électrique teurs du même type que ceux à
potentiellement réceptifs. Sans pour autant leur que les neurones de souris normales, parvalbumine pourraient représenter
mentir : « Vous pouvez leur dire “Je vous donne un mais ne sont plus coordonnés entre un nouveau traitement de la schizo-
médicament qui n’a pas d’effet physiologique mais eux, comme si leur communication phrénie dans les années à venir. £
votre cerveau y répondra” », affirme-t-il. £ G. J. était défaillante. Et ce, parce qu’une Bénédicte Salthun-Lassalle
NEUROSCIENCES
Sans eau,
notre cerveau
rétrécit !
. T. Wittbrodt et al.,
M
Physiological Reports,
vol. 6, e13805, 2018.
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Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel,
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Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Community manager : Jonathan Morin M. Blesa et al., Early breast milk exposure
Marketing et diffusion : Arthur Peys modifies brain connectivity in preterm infants,
Chef de produit : Charline Buché NeuroImage, le 12 septembre 2018.
Direction du personnel : Olivia Le Prévost
Direction financière : Cécile André
Fabrication : Marianne Sigogne, Olivier Lacam
Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
Ont également participé à ce numéro : Maud Bruguière,
Chantal Ducoux, Séverine Lemaire-Duparcq
Anciens directeurs de la rédaction :
Françoise Pétry et Philippe Boulanger
Presse et communication
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documents contenus dans la revue Cerveau & Psycho doivent concernent notamment la substance place des fibres de substance
être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 162, rue du
Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.
blanche – les fibres nerveuses qui blanche. L’Organisation mondiale de
© Pour la Science S.A.R.L. connectent les aires cérébrales les la santé recommande d’ailleurs de
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de unes aux autres. Avec des consé- nourrir exclusivement les bébés au
représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de quences potentielles à long terme : sein jusqu’à l’âge de 6 mois. « On
ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der
l’étude Épipage 1, de l’Inserm, a montré devrait aider les mères d’enfants pré-
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DE LA SCIENCE
DES DÉCOUVERTES
DE LA CURIOSITÉ
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DE L’ÉMISSION
16 DÉCOUVERTES F
ocus
LIONEL NACCACHE
Neurologue, chercheur en neurosciences cognitives à
l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris.
MÉMOIRE
loppent un syndrome de stress post- mémoire humaine fut publié par associé à ce mot indice (par exemple,
traumatique (PTSD en anglais). Ce deux psychologues de l’université de penser au mot « champagne »), tan-
trouble se caractérise par l’irruption l’Oregon, Michael Anderson et Collin dis que pour d’autres mots ils
incontrôlable de souvenirs de la scène Green, dans la revue Nature. Ces devaient essayer de ne pas penser au
traumatique : des souvenirs vécus sur chercheurs ont élaboré une méthode mot associé, c’est-à-dire de le chasser
un mode très vivace, extrêmement originale pour étudier l’oubli de leur esprit. Au terme de cette
Bibliographie
M. C. Anderson
et C. Green, Suppressing
unwanted memories
by executive control,
mécanisme
Unconscious memory
suppression, Cognition,
d’oubli
vol. 180, pp. 191-199,
2018.
volontaire.
Pratique...
phase dénommée Think/No Think (pen-
ser/ne pas penser), on demandait enfin
sauf quand symbole était présenté de manière subli-
minale. Autrement dit, le sujet n’avait pas
aux sujets d’essayer de se souvenir le il tombe en conscience de la posture à adopter (Think
panne, suite
mieux possible du mot associé à chaque ou No Think).
mot indice. Le résultat fut implacable, et
reproduit depuis par plusieurs labora-
toires : la mémoire des paires soumises à à un choc PENSER OU NE PAS PENSER,
TELLE EST LA QUESTION
l’oubli volontaire (condition No Think)
était moins bonne que celles des autres
émotionnel. Nous avons démontré qu’une fois que
l’on apprend consciemment le sens de ces
paires (condition Think). symboles (par exemple, un carré pour
enregistré l’activité cérébrale des volon- « oublier »), il devient possible de déclen-
DANS LA TÊTE taires de cette expérience par la tech- cher un oubli en réponse à un symbole
DES RÉFUGIÉS TRAUMATISÉS nique de magnéto-encéphalographie, ce subliminal. S’agit-il encore d’un oubli
Tout récemment, dix-sept ans plus qui leur a permis de mettre en évidence volontaire ? Oui et non : non, parce que
tard donc, une nouvelle étude établit un que lors de la condition No Think, non le sujet au moment présent ne semble pas
lien plus direct entre PTSD et oubli seulement les individus souffrant de savoir qu’il tente d’oublier, et oui, parce
volontaire. Le neuroscientifique alle- PTSD ne parvenaient pas à diminuer que cette capacité repose aussi sur la mise
mand Gert Waldhauser, de l’université de l’activité de régions associées au rappel en place préalable d’une stratégie
la Ruhr en Allemagne, et ses collègues de souvenirs passés (dont l’hippocampe), consciente qui pourra alors opérer à
ont étudié 24 réfugiés originaires de mais aussi ces régions montraient une notre insu (oublier en réponse à tel sym-
diverses régions de conflit (Europe, activité plus intense encore que lors de la bole, se souvenir pour tel autre).
Afrique, Asie), victimes d’événements condition Think. Un peu comme si chez Ce dernier résultat permet de montrer
traumatiques comparables en intensité et eux, la tentative de chasser un souvenir à quel point les interactions entre traite-
en quantité, et présentant des scores de s’accompagnait d’un regain d’accès à ce ment conscient et opérations mentales
dépression comparables. Onze d’entre souvenir. inconscientes sont déterminantes dans le
eux présentaient un syndrome de stress Il s’avère que nous venons – avec cours de notre vie mentale. Au labora-
post-traumatique, tandis que les autres Raphaël Gaillard, Alexandre Salvador et toire… mais très probablement aussi dans
n’avaient pas développé un tel tableau nos collègues – de publier une étude uti- notre vie quotidienne, et dans la psycho-
clinique. Soumis au test d’Anderson et lisant le même protocole Think/No Think pathologie de notre mémoire. £
Green, les réfugiés souffrant de PTSD ne chez des sujets indemnes de PTSD. Notre
parvenaient pas à déployer un méca- question était la suivante : jusqu’où l’oubli
nisme d’oubli volontaire normal pour les volontaire est-il… volontaire ? Chaque Retrouvez
paires de mots en condition No Think. La essai de la phase test commençait par la Lionel Naccache
sur France Inter
perturbation de cet oubli volontaire testé présentation d’un symbole qui indiquait avec Mathieu Vidard
dans les conditions artificielles du labo- au sujet quelle posture il devait adopter dans le nouveau
cycle de conférences
ratoire était corrélée à l’intensité du syn- pour le mot indice qui allait suivre (par sur notre cerveau.
drome PTSD et surtout avec le taux d’in- exemple, un losange pour essayer de se 1er épisode :
trusion des souvenirs traumatiques dans souvenir versus un carré pour essayer le 6 novembre à 20h,
sur le thème de
leur vie quotidienne. Waldhauser avait d’oublier). Dans certains essais, le la mémoire.
Quand
l’immunité
monte à la tête
P
EN BREF explications quant à nos comportements et apti-
££Longtemps, on a cru tudes, ainsi que de pistes thérapeutiques promet-
que le cerveau et le teuses, pour diverses maladies cérébrales allant de
système de défense l’autisme à la maladie d’Alzheimer.
immunitaire
endant des décennies, les manuels n’interagissaient CERVEAU ET IMMUNITÉ :
pas chez les personnes
de biologie ont enseigné que les deux systèmes en bonne santé. DEUX SYSTÈMES COMPLEXES
les plus compliqués de l’organisme – le cerveau Le cerveau est notre ordinateur de bord ;
et le système de défense immunitaire – étaient ££Cependant, les avec la moelle épinière et plusieurs nerfs crâ-
quasiment isolés l’un de l’autre. Le cerveau neurobiologistes niens (l’ensemble représentant le système ner-
commencent à
gérait le fonctionnement du corps et le système accumuler des preuves veux central), il contrôle toutes les fonctions de
immunitaire, sa défense, mais les deux ne se ren- en faveur d’une l’organisme. Il compte près de 100 milliards de
contraient jamais. Sauf dans le cas de certaines connexion étroite entre neurones que relient quelque 100 milliards de
maladies ou traumatismes : alors les cellules du les deux systèmes. connexions, les synapses. Les neurones et divers
système immunitaire pénétraient dans le cerveau types de cellules non neuronales, constituant ce
© Shutterstock.com/Jolygon, molekuul_be, matsabe
LA CONNEXION CERVEAU-IMMUNITÉ
L e cerveau a ses propres cellules immunitaires,
la microglie, et n’en héberge pas d’autres. Même si,
dans les vaisseaux sanguins qui l’irriguent, de telles cellules
cellules immunitaires périphériques, issues des autres
régions de l’organisme, d’y pénétrer. Néanmoins, des études
récentes ont montré que non seulement le système
patrouillent en permanence. Ce que l’on nomme la barrière immunitaire est très actif dans le cerveau sain, mais
hématoencéphalique (zoom) empêche notamment les qu’il est aussi essentiel à son bon fonctionnement.
Vaisseau
sanguin
BARRIÈRE
HÉMATOENCÉPHALIQUE Crâne
Les vaisseaux sanguins qui
alimentent le cerveau sont Méninges
constitués de cellules
endothéliales. Leur Liquide
imbrication dense forme céphalorachidien
une barrière qui empêche
le passage de nombreuses
substances, dont les
cellules immunitaires
périphériques, dans le
parenchyme. Des cellules Parenchyme
appelées astrocytes, ainsi Vaisseau
qu’une membrane dite sanguin
basale, renforcent cette
barrière.
Crâne
Méninges
Parenchyme
Cellules
immunitaires
périphériques
Microglie
Jonction
serrée
au plus profond du cerveau, où elles influent de défense… C’est en tout cas ce que croyaient
sur le comportement des neurones.
les scientifiques jusqu’à récemment, s’appuyant
notamment sur une observation des années 1920
UN CERVEAU IMPERMÉABLE
AU SYSTÈME IMMUNITAIRE ?
Mais on a découvert ensuite que des cellules
immunitaires périphériques apparaissaient dans
le parenchyme et la moelle épinière de patients
présentant des infections ou des lésions céré-
brales. Et des études chez la souris ont alors mon-
tré que ces cellules provoquaient la paralysie
associée à ces maladies. S’appuyant sur ces résul-
tats, des scientifiques ont alors suggéré que le
cerveau et le système immunitaire pourraient
interagir exceptionnellement dans certaines
pathologies qui laissent les cellules immunitaires mécanisme de défense. Les partisans de la théorie
entrer dans le système nerveux central et décla- répondent alors que la barrière hématoencépha- Les méninges,
rer la guerre aux neurones. Mais que dans l’im- lique empêche l’entrée de la plupart des agents les membranes qui
mense majorité des cas, le cerveau et le système pathogènes dans le cerveau, de sorte que ce der- enveloppent le cerveau,
ne sont pas juste un
immunitaire n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. nier n’a pas besoin de s’accommoder du système réservoir de liquide
D’ailleurs, aujourd’hui, on ne sait toujours pas immunitaire, surtout si celui-ci est susceptible d’y céphalorachidien. Elles
contiennent des cellules
exactement comment les cellules immunitaires entraîner des problèmes. Mais les sceptiques sou- du système immunitaire
franchissent la barrière hématoencéphalique lignent que plusieurs virus, de même que certaines (en rouge, des
dans de tels cas. Une hypothèse est que pendant bactéries et parasites, sont capables d’accéder au lymphocytes T, en vert,
des macrophages)
ces maladies, la barrière serait activée de telle cerveau. Dès que cela se produit, loin d’ignorer ces et des vaisseaux
façon qu’elle autorise le passage d’agents immu- transgressions, le système immunitaire cible lymphatiques (en jaune).
nitaires. En 1992, Lawrence Steinman, de l’uni- l’encéphale, où il tente de contrôler l’agent infec-
versité Stanford, et ses collègues ont découvert tieux. Ce qui pose une question : et si la rareté des
que chez des souris atteintes d’une maladie simi- pathogènes dans le cerveau n’était pas due à l’effi-
l’abdomen. D’autres travaux suggèrent par ail- observé des vaisseaux similaires chez des poissons,
leurs que des cellules immunitaires détectées des souris, des rats, des primates non humains et
dans les méninges – les membranes qui entourent des hommes. Ces résultats confirment une propo-
le cerveau – seraient une autre source possible sition formulée il y a 200 ans, mais rejetée à
de cytokines susceptibles de modifier les fonc- l’époque : l’existence d’un lien entre cerveau et sys-
tions cérébrales. Mais comment ces agents tème lymphatique. Ces vaisseaux constituent un
immunitaires pénètrent-ils dans les méninges, y véritable réseau lymphatique qui draine le système
circulent-ils et y produisent-ils leurs cytokines ? nerveux central : c’est le chaînon manquant capable
Toutes ces questions font actuellement l’objet de transmettre au système immunitaire les infor-
d’intenses recherches. LA LYMPHE mations sur les infections et lésions du cerveau.
Récemment, nous avons fait une découverte PROTÈGE D’où une nouvelle conception de la fonction
intrigante sur la façon dont l’organisme se débar- LES NEURONES de ces membranes. Jusqu’alors, on pensait
rasse des toxines et des déchets. Les tissus qu’elles contenaient simplement le liquide
contiennent deux types de vaisseaux. Dans une Chez des souris modèles céphalorachidien, qui baigne le cerveau. Mais vu
maison, un réseau de tuyaux distribue l’eau de la maladie d’Alzheimer, la densité de cellules cérébrales et la sensibilité
potable et un autre récupère les eaux usées. C’est des plaques amyloïdes des neurones, il est possible que l’évolution ait
pareil dans nos tissus : les vaisseaux sanguins (des agrégats de protéines privilégié une solution qui déplace l’activité
transportent l’oxygène et les nutriments, tandis qui détruiraient les immunitaire du cerveau à ses frontières, les
que les vaisseaux dits lymphatiques éliminent les neurones) s’accumulent méninges. Ainsi, le système immunitaire sert le
toxines et autres déchets que produisent les dans le cerveau mais peu système nerveux central, notamment en recevant
organes. Les vaisseaux lymphatiques transportent dans les méninges, les des informations sur ses lésions, sans pour autant
aussi des antigènes – des substances capables de enveloppes qui entourent interférer avec ses fonctions.
provoquer une réponse immunitaire – récupérés ce dernier. L’équipe de
dans les tissus jusqu’à des ganglions lymphatiques Jonathan Kipnis vient de LE SYSTÈME « GLYMPHATIQUE » DU CERVEAU
drainant. Les cellules immunitaires inspectent montrer que quand on ÉLIMINE LES DÉCHETS ET LES INTRUS
alors ces antigènes à la recherche d’informations élimine les vaisseaux Mais comment les cellules immunitaires des
sur le tissu drainé. Lorsqu’elles détectent un pro- lymphatiques des méninges communiquent-elles avec le paren-
blème, par exemple une lésion ou une infection, méninges, les chyme et agissent-elles sur lui à distance ? En fait,
elles s’activent et migrent vers le site touché, où « canalisations » qui le liquide céphalorachidien contenu dans les
elles tentent de résoudre le problème. éliminent les déchets des méninges accède au cerveau via un réseau de
tissus, notamment du canaux qui traversent le parenchyme. C’est
UNE NOUVELLE VISION DES MÉNINGES parenchyme cérébral, l’équipe de Maiken Nedergaard, de l’université de
QUI ENTOURENT LE CERVEAU l’accumulation de plaques Rochester, à New York, qui a découvert ce réseau
Longtemps, les scientifiques ont pensé que le est plus importante et en 2012 et l’a nommé le système glymphatique. Le
réseau lymphatique ne desservait ni le cerveau ni ressemble à celle liquide pénètre dans le parenchyme à travers des
le reste du système nerveux central : le paren- observée chez les patients espaces entourant les artères qui s’enfoncent dans
chyme ne contient pas de vaisseaux lymphatiques, atteints de la maladie. De le cerveau à partir des méninges. Il diffuse dans
et on croyait toujours que le cerveau sain était plus, si l’on traite des les tissus jusqu’à atteindre des espaces entourant
déconnecté du système immunitaire. Mais pour- souris âgées avec une les veines. Et par ces espaces, il retourne alors
quoi le cerveau ne signalerait-il pas ses problèmes protéine qui favorise la dans les méninges. Cet écoulement transporte
au système immunitaire, alors que celui-ci pour- croissance des vaisseaux vraisemblablement des molécules immunitaires
rait l’aider à les résoudre ? Et alors, comment le lymphatiques, le drainage issues des méninges, comme des cytokines,
système immunitaire reçoit-il malgré tout des est meilleur dans les jusqu’au parenchyme, où elles agissent alors.
informations sur les infections cérébrales ? En méninges, et les souris Diverses études ont révélé comment des cyto-
outre, des études ont montré que les lésions céré- apprennent et mémorisent kines modulent le comportement. Notamment,
brales déclenchent une forte réaction immunitaire mieux. Une piste pour au début des années 1990, Robert Dantzer, alors
dans des ganglions lymphatiques situés à l’exté- lutter contre le déclin au sein d’une unité Inra-Inserm à Bordeaux, et
rieur du cerveau. Comment est-ce possible ? cognitif lié à l’âge ? Keith Kelley, à l’université de l’Illinois à Urbana-
Alors en 2014, fascinés par l’activité immuni- Champaign, ont déjà déterminé que l’interleu-
taire dans les méninges et ses effets sur les fonc- kine 1β déclenche le « comportement maladie »,
tions cérébrales, nous avons regardé de plus près nom donné à l’ensemble des attitudes d’un indi-
ces membranes chez des souris. Ce faisant, nous vidu malade, comme dormir trop, manger moins
avons fait une découverte fortuite : les méninges et éviter les interactions sociales. Plus récem-
hébergent des vaisseaux lymphatiques. Plusieurs ment, en 2016, mon équipe a montré que l’inter-
autres équipes, notamment celle de Kari Alitalo, à féron γ, une cytokine que produisent des lympho-
l’université d’Helsinki, en Finlande, ont depuis cytes T des méninges, interagit avec les neurones
GRÉGORY MICHEL
Professeur de psychologie clinique
et de psychopathologie à l’université de Bordeaux.
À
EN BREF Une fois dans mon bureau, Éric reste passif, se
££Éric a refusé de faire contentant d’écouter le récit de sa maman, dont
sa rentrée au collège. Il l’angoisse est palpable : « Comme je l’ai précisé
panique et devient violent dans mon message, c’est l’un de vos confrères qui
à l’idée d’aller en classe. m’a orientée vers vous. Éric ne veut plus aller à
la fin du mois de septembre, une ££L’année d’avant, son l’école. Il n’a pas voulu faire sa rentrée en 6e. Votre
maman très inquiète me laisse un message sur maître l’a humilié devant confrère m’a dit qu’il pourrait souffrir de ce que
mon répondeur téléphonique : son fils Éric, âgé toute la classe, mais ce l’on appelle une phobie scolaire. » En effet, le jour
de 11 ans, n’a pas effectué sa rentrée des classes. n’est pas la seule raison de cette nouvelle rentrée des classes, Éric a refusé
Elle me demande de le rencontrer au plus vite tant de sa phobie scolaire. de se rendre au collège et est resté dans son lit
la situation, qui n’est pas nouvelle (il a déjà man- ££Il craint d’être séparé toute la journée. Sa mère lui a pourtant demandé
qué les cours plusieurs fois par le passé), semble de sa mère, comme elle avec fermeté de se lever et de partir en classe, mais
s’aggraver… Dans la salle d’attente, Éric est blotti a peur de le perdre… le garçon a refusé catégoriquement, manifestant
contre sa maman, les mains agitées, les pieds se des réactions d’anxiété très vives, voire de panique,
££Cette angoisse de la
tortillant en tous sens. Tendu à l’extrême, il se séparation alimente son lorsque sa mère l’a extirpé de force de son lit…
montre très soucieux et appréhende la consulta- refus anxieux de l’école Depuis ce jour, Éric n’est pas allé au collège.
tion. Sa mère le cajole et le rassure quand j’arrive, depuis sa tendre enfance. « Nous sommes complètement perdus, mon
puis se lève doucement et me remercie de les avoir mari et moi, se confie la maman… Il nous dit qu’il
reçus si rapidement. veut rester à la maison et que si nous essayons de
LA PHOBIE SCOLAIRE
OU L’ANGOISSE D’ALLER À L’ÉCOLE
le forcer à se rendre au collège, il pourrait faire à cela… » Ensuite, Éric a grandi normalement : il a
des bêtises… » À cette phrase, Éric baisse les yeux marché vers l’âge de 1 an, et a parlé sans souci. Il
et se recroqueville sur lui-même. Avant de m’en- n’a souffert d’aucune maladie grave.
tretenir seul avec le garçon, je propose de C’est avec la scolarité que les problèmes sont
reprendre, tous les trois ensemble, les événe- apparus. « Quand il a commencé l’école maternelle
ments récents. Mais quand, à plusieurs reprises, vers l’âge de 3 ans, il était déjà réticent à y aller.
je demande à Éric de s’exprimer, c’est d’emblée Les premiers jours, il pleurait beaucoup… Comme
sa mère qui répond sans lui laisser la parole. Éric c’était moi qui l’emmenais à l’école, il s’accrochait
écoute alors attentivement et acquiesce à tout ce à moi et ne voulait pas me lâcher. Cela a duré une
qu’elle dit : « Tout a débuté l’année dernière bonne semaine. Ensuite, ça s’est atténué. » Mais à
en CM2… Il avait un maître très dur qui lui faisait partir du CE2, Éric a eu d’autres soucis : « Son
peur. Ce dernier l’a critiqué devant toute la classe enseignante a remarqué qu’il faisait beaucoup de
à cause de fautes d’orthographe dans un devoir,
agressif… C’est pour ça que j’ai peur que l’on m’in- Éric explique très bien l’angoisse qui l’envahit :
terroge, d’oublier mes leçons, de mal faire mes « Quand je pars à l’école, plus je m’en approche,
devoirs. Non ! Je ne veux plus y retourner. » plus mon cœur bat fort, plus j’ai du mal à respirer…
Certaines pensées d’Éric se justifient par l’incident J’ai la tête qui tourne, je suis en sueur, j’ai l’impres-
vécu en CM2, d’autres non, comme le fait de ne pas sion de ne plus être moi-même et de ne plus rien
réussir son travail, et ces dernières deviennent alors contrôler. Surtout, j’ai de plus en plus peur en ayant
une source d’angoisse très importante et envahis- l’impression que je vais étouffer et mourir. » Ce sont
sante pour le garçon. D’où une détresse émotion- là les symptômes d’une attaque de panique : palpi-
nelle au moment d’aller à l’école, voire avant. tations cardiaques (tachycardie), gêne respiratoire
avec sensation d’étouffement, malaises, étourdis-
TROUBLES DU SOMMEIL, VOMISSEMENTS… sements, vertiges, sentiments de « déréalisation »
En fait, durant l’année de CM1, l’enfant avec une perte de contrôle sur la réalité et la sen-
« somatisait » déjà à l’idée de se rendre en cours, sation d’être détaché de soi, voire peur de mourir.
et ce, même avant l’incident avec son maître. Par Quand elles sont récurrentes, les attaques de
exemple, Éric n’arrivait pas à s’endormir avant panique correspondent à un trouble panique ou
1 heure du matin, voire plus. Il ressassait ses phobie, qui, selon le Manuel diagnostique et statis-
peurs passées et anticipait négativement la jour- tique des troubles mentaux, le DSM-5, se caracté-
née à venir, en imaginant le pire. Le jeune garçon rise par une préoccupation persistante ou des
a toujours eu des troubles du sommeil, selon sa changements de comportement liés à la survenue
mère. Il a du mal à s’endormir seul, certaines fréquente d’attaques de panique. Ces crises sont
habitudes au coucher étant nécessaires, comme parfois prévisibles en réaction à des situations ou
le fait que les portes de sa chambre et de celle de des déclencheurs précis, comme le fait d’aller à
ses parents restent ouvertes, ou encore qu’il y ait l’école. Dans ce cas, on parle de refus ou de phobie
une petite lumière dans le couloir. Sa mère pré- scolaire. Ainsi, les craintes de cet enfant le condui-
cise même que, lorsque l’angoisse était trop forte, saient logiquement à rebrousser chemin avant
il la rejoignait dans son lit pour trouver le som- d’arriver à l’établissement ou à quitter prématuré-
meil, et le papa dormait dans la chambre d’amis… ment ce dernier pour rentrer chez lui. Le garçon
Mais c’est surtout au moment du départ à précise même qu’il errait parfois dans les rues par
l’école que l’on retrouve toutes les manifestations peur de la réaction de ses parents. Dans tous les
physiques d’une forte anxiété : le garçon se plaint cas, il ne retournait jamais chez lui par plaisir : il
tellement de nausées qu’il est souvent incapable se sentait alors soulagé, mais triste et honteux. « Je
d’avaler son petit déjeuner, et lorsqu’il y arrive, il suis vraiment minable et nul », rapporte-t-il.
vomit fréquemment sur le chemin de l’école. Il a Alors qu’il a des amis, Éric s’est isolé et de plus
aussi des maux de tête, ainsi que des diarrhées. en plus désinvesti de ses activités extrascolaires :
établissement en
journée et errent dans
les rues. Ils craignent
de rentrer chez eux,
car ils se sentent
honteux et « nuls ».
« Je pratiquais le football depuis six ans, mais bénéfiques, car ils alternaient entre punitions – Éric
depuis l’année dernière, je n’y vais plus… Et je ne se rendait en classe – et récompenses – Éric restait
veux pas reprendre cette année. » On voit là à à la maison. Sur les conseils de son orthophoniste,
quel point son refus d’aller à l’école a aussi des le garçon suivait aussi une psychothérapie, mais de
effets négatifs sur sa vie sociale et relationnelle, façon irrégulière, n’étant pas allé à un rendez-vous
et ce, d’autant plus que le garçon se dénigre et programmé la veille de la rentrée en 6e.
souffre d’une faible estime de lui-même. Le diagnostic d’Éric est donc clair : il s’agit
Préoccupant, au moment d’entrer dans l’adoles- d’un refus scolaire anxieux, ou encore phobie sco-
cence… Le risque de dépression est réel. laire (voir l’encadré page 28). Son profil présente
son petit. Lequel ajoute d’ailleurs : « Ma mère a façon progressive afin qu’il regagne confiance en
toujours tendance à penser que je ne suis pas heu- lui. D’autres exercices portent sur ses idées mor-
reux lorsque je ne suis pas avec elle. » bides liées au collège, la gestion du stress, à tra-
Une angoisse qui s’accentue dès qu’il s’éloigne vers des pratiques de relaxation. Un travail sur
de ses parents, notamment pour ses activités spor- l’anxiété de séparation et sur l’autonomie est
tives avec ses amis. Comme lui, 4 à 6 % de la popu- aussi indispensable. Ainsi, Éric retrouve progres-
lation souffriraient de ce trouble, y compris des sivement le chemin de l’école, en collaboration
adultes. Car c’est aussi le cas de sa mère… Plus Éric avec l’équipe enseignante et médicale du collège :
grandit et devient autonome, plus elle le vit mal. il se rend d’abord à un cours, puis reste une demi-
Et pour finir elle me fait une confidence : elle- journée, puis une journée…
même, enfant, entretenait une relation d’hyperdé-
pendance avec sa propre mère et avait des pro-
blèmes scolaires. « Petite, j’ai aussi eu des difficultés La mère d’Éric présente aussi
une angoisse de séparation
avec l’école. Les chiens ne font pas des chats… Éric
est comme moi, et je sens tout de lui, surtout quand
il va mal. » En effet, comme c’est souvent le cas,
l’anxiété de séparation est transgénérationnelle : qui ne cesse de s’accroître
elle se transmet de parents à enfants, au-delà de la
manière d’éduquer, par un lien d’attachement dit
à mesure que son fils grandit.
insécure (où l’on est anxieux en l’absence des êtres
aimés), ce qui nuit à l’autonomie tant de la mère Malheureusement, au bout de quelques mois,
que de l’enfant. D’ailleurs, au cours du suivi psy- alors qu’il est devenu plus autonome, qu’il va seul
chologique, la maman d’Éric discute et discrédite au collège et a repris le football avec ses amis, il
chaque changement ou chaque progrès de son fils ; refuse à nouveau de retourner à l’école. En paral-
elle veut le garder pour elle-même et bride ses com- lèle, sa mère devient d’ailleurs de plus en plus
portements d’exploration et d’autonomie. anxieuse, voire persécutrice : elle appelle sans
arrêt son fils et anticipe négativement sa rescola-
UN ATTACHEMENT INSÉCURE risation. Je propose alors au jeune une orientation
Les études sur le lien entre parents et enfants dans un internat. Une idée refusée en bloc par la
confirment qu’une forme d’attachement insécure famille et par l’intéressé lui-même, tant elle lui
durant l’enfance augmente le risque de souffrir Bibliographie paraît irréaliste. Mais lors de l’entretien suivant,
ultérieurement de troubles anxieux ou phobiques. le garçon me surprend en revenant sur sa déci-
L’angoisse de séparation est une pathologie fami- T. Havik et al., Assessing sion : « J’ai besoin d’aller ailleurs… Je sens qu’à la
liale, souvent liée à une relation particulière avec reasons for school maison, il y a trop de tensions. J’ai peur mais j’ai
la mère. D’ailleurs, cette dépendance mutuelle est non-attendance, envie d’essayer. »
préjudiciable au traitement psychologique que je Scandinavian Journal Il choisit lui-même son établissement, se rend
propose à Éric. En effet, la thérapie vise trois of Educational Research, en cours, a des amis et est suivi chaque semaine
objectifs : le retour au collège, une diminution des vol. 59, pp. 316-336, 2015. par un psychologue. Bien sûr, la mère téléphone
manifestations psychopathologiques invalidantes M.-F., Le Heuzey régulièrement à l’internat de crainte que son fils
pour l’enfant comme les attaques de panique, et et M.-C. Mouren, soit malheureux… Cette séparation est bénéfique
une prévention des risques de complications ulté- Phobie scolaire. pour Éric qui termine son année scolaire avec suc-
rieures comme la dépression. Comment aider les cès et passe en classe de 5e. Et puis, il rentre chez
Pour le premier objectif, d’une part, il est indis- enfants et les adolescents lui tous les week-ends.
en mal d’école ?,
pensable de ne pas cautionner l’absentéisme et de Aujourd’hui, Éric a 13 ans et est toujours sco-
Édition J. Lyon, 2010.
bien rappeler l’obligation scolaire. D’autre part, la larisé en internat en classe de 4e. Il ne présente
famille mais aussi l’école doivent participer à la K. Shear et al., plus de manifestations pathologiques, et aucune
thérapie. Or cela est difficile avec la mère d’Éric, Prevalence and rechute n’est à déplorer. Il est toujours passionné
correlates of estimated
tant son anxiété est profonde. Ses parents refusent par le football et sa vie sociale est riche. Il reste
DSM-IV child and adult
toute psychothérapie familiale et participent seu- separation anxiety néanmoins anxieux mais arrive à bien gérer ses
lement à des ateliers de guidance parentale où l’on disorder in the national émotions ; il a désormais davantage confiance en
propose des conseils aux familles. comorbidity survey lui. Sa dyslexie et sa dysorthographie se sont consi-
Pour mon jeune patient, je travaille sur son replication, American dérablement atténuées. Sa mère est suivie en psy-
anxiété de performance à l’aide de jeux non sco- Journal of Psychiatry, chothérapie et semble avoir compris les enjeux de
laires, comme des mots fléchés, afin qu’il retrouve vol. 163, pp. 1074- sa parentalité. Le père, quant à lui, est davantage
le goût d’apprendre, puis d’exercices scolaires, 1083, 2006. présent dans les choix de la famille et partage des
par exemple des épreuves de logique. Et ce, de activités avec son fils chaque week-end. £
Marian
ne Ch
atriot,
96 p. –
12 €
MÉMOIRE
MOUVEMENT
SENS, PENSÉE,
LANGAGE
4 Les neurones du striatum, une
FONCTIONS partie des ganglions de la base,
VITALES de même que les cellules
de Purkinje dans le cervelet, sont
aussi très vite atteints par
Les cellules de la région le manque d’oxygénation. C’est
3 pourquoi les personnes ranimées
CA1 de l’hippocampe font
partie des neurones les au bout de quatre ou cinq minutes
plus sensibles du cerveau. conservent des difficultés
Dès que l’oxygène vient de coordination motrice.
à manquer, leur activité
s’effondre.
Arrêt
cardiaque 4
Entre 2 et 5 minutes après l’arrêt du cœur, les neurones du cerveau ont épuisé leurs réserves d’énergie.
La différence de potentiel électrique des membranes cellulaires s’effondre, ce qui entraîne une onde
de dépolarisation massive, ou « dépolarisation envahissante » (spreading depolarization, en anglais)
En se propageant dans le cerveau, cette onde enclenche des réactions biochimiques neurotoxiques.
SENS, PENSÉE,
5 LANGAGE
6 FONCTIONS
VITALES
4 minutes 10
SOURCES
Dreier, J. P. et al. : Terminal Spreading Depolarization and Electrical Silence in Death of Human
Cerebral Cortex, Annals of Neurology, vol. 83, pp. 295-310, 2018.
Wissenschaftlicher Beirat der Bundesärztekammer : Richtlinien zur Feststellung des Hirntodes,
Deutsches Ärzteblatt, vol. 95, A1861-A1868, 1998.
nez
Les superpouvoirs
de notre
Par Frank Luerweg, journaliste scientifique.
qui soutiennent la comparaison, dans certains titre de comparaison, c’est comme si, après avoir
tests, avec celui du chien, considéré comme le dissous un kilo de sucre dans le lac Léman, nous
champion toutes catégories en la matière. étions capables d’en déceler la saveur sucrée.
Lorsqu’on s’intéresse aux performances olfac- Cela ne signifie pas pour autant que l’odorat
tives des différentes espèces animales, il n’existe de l’homme est plus développé que celui de la
sans doute pas de meilleur interlocuteur que souris, car les rongeurs étaient meilleurs pour les
Matthias Laska. Ce professeur de zoologie à l’uni- quatre autres odeurs testées, parfois très nette-
versité de Linköping, en Suède, est un collection- ment. Les autres données collectées brossent un
neur d’un genre particulier : voilà plus de vingt- tableau indécis : sur les 80 substances passées au
cinq ans qu’il cherche à savoir quelle est la banc d’essai chez l’homme et chez la souris, l’hu-
concentration minimale d’une substance que main se montre meilleur pour 40 d’entre elles,
peuvent détecter différents animaux à l’odorat. Il et les souris l’emportent pour les 40 autres, selon
a documenté une véritable banque de données Laska. Chez le chien, seules 15 substances ont
sur cette question, où l’on peut consulter les dif- été examinées par comparaison avec l’homme.
férents seuils de perception de quelque Notre espèce se montre plus performante pour 5
200 odeurs chez 17 espèces de mammifères. « J’ai d’entre elles. « Tous les manuels nous disent que
moi-même mesuré la moitié de ces seuils », le chien a le nez le plus fin de tout l’Univers, note
précise-t-il. Laska. C’est peut-être vrai, mais à vrai dire, les
Dix-sept espèces de mammifères, 200 subs- preuves scientifiques en ce sens ne sont pas si
tances odorantes, cela ne paraît pas particulière- nombreuses que cela. »
ment impressionnant. Mais ces chiffres ne rendent Il est à noter que les cinq odeurs que nous
pas justice à la quantité de travail nécessaire à détectons le plus efficacement sont liées à des
leur obtention. La collecte des données est l’es- fruits ou à des plantes. « Et pour des carnassiers
sence d’une vie de chercheur. Car les chiens, les comme le chat ou le chien, elles n’ont pas de
0,01 %
cochons d’Inde ou les rats ne peuvent pas dire à pertinence sur un plan comportemental », fait
l’expérimentateur s’ils ont détecté ou non telle ou observer Laska. Pour ce qui est de déceler des
telle odeur qu’on leur fait respirer. Il faut en pas- molécules comme les acides gras, l’odorat du
ser par un apprentissage préalable, parfois long chien est bien supérieur au nôtre, ce qui se com-
et fastidieux, pour chaque seuil de détection testé. prend car les acides gras font partie intégrante
DU VOLUME DE Par exemple, les animaux doivent tout d’abord des odeurs corporelles de leurs proies. Et ce n’est
NOTRE CERVEAU choisir entre deux récipients dont un seul contient pas parce qu’un humain arrive à repérer la trace
l’odeur à tester. Lorsqu’ils choisissent le bon, ils olfactive d’une ficelle enduite de chocolat, qu’il
reçoivent une récompense. Au fil de l’expérience, sera efficace pour pister à l’odeur un détenu
est représenté par le bulbe l’odeur est progressivement diluée. Au bout d’un évadé de prison.
olfactif. Pour cette raison, moment, les animaux commettent de plus en plus
notre odorat a longtemps d’erreurs : la concentration de la molécule odo- L’ERREUR DE BROCA
été sous-estimé. rante est maintenant si faible qu’ils ne peuvent Le chercheur de Linköping est néanmoins
plus la détecter. certain d’un fait : le nez humain est loin d’être
aussi médiocre qu’on l’a longtemps cru. Son col-
UNE SENSIBILITÉ EXACERBÉE lègue nord-américain John McGann, dans un
AUX ODEURS DE PLANTES ET DE FRUITS article de la revue Science, qualifiait cette thèse
Au prix de ce procédé rébarbatif, Laska a de « mythe du xix e siècle ». McGann a fait remon-
réussi à mesurer le seuil de perception olfactive ter les origines de ce mythe au neuroanatomiste
de toute une série d’espèces animales. Dans une Paul Broca. Ce dernier avait noté que l’être
de ces expériences, il a comparé les capacités humain possédait un bulbe olfactif de petite
olfactives des souris et des hommes. Les odeurs taille. Chez les animaux vertébrés, cette struc-
testées étaient celles émises par des prédateurs ture nerveuse est localisée à l’avant du cerveau.
des souris : chats, blaireaux ou renards. Grande Elle est le point d’arrivée des nerfs issus des cel-
a été sa surprise : les humains parvenaient à lules olfactives dans la muqueuse nasale (voir la
détecter deux odeurs sur six à des concentrations figure page 39).
si faibles que les souris ne les percevaient même Sur la base des observations de Broca, l’idée
plus. Le nez humain s’est révélé particulièrement s’est peu à peu imposée, dans les décennies sui-
sensible à un composant de l’urine de chat. Au vantes, que l’appareil olfactif d’Homo sapiens était
point de réagir à la présence d’une molécule de sous-développé. C’était surtout la petitesse du
ce composant pour un million de milliards de bulbe olfactif qui écrasait les débats, avec ses
milliards de molécules d’oxygène dans l’air. À 0,01 % du volume total du cerveau humain. Chez
la souris, il en représente 2 %… « Au début du chercheurs sur l’odorat, les plus avant-gardistes
xx e siècle, les anatomistes ont tout simplement étaient encore confrontés à la difficulté de faire
déclaré que si une structure cérébrale était grande, respirer à des volontaires des odeurs en quantité
elle devait être nécessairement efficace, critique définie et pendant un temps limité. C’est un
Matthias Laska. Ce dogme s’est implanté dans les appareil, l’olfactomètre, qui a rendu cette opéra-
manuels d’enseignement et s’est ainsi perpétué tion beaucoup plus simple et aisée. À partir de
presque jusqu’au tournant du xxie siècle. » là, on a commencé à prendre davantage en consi-
dération l’odorat humain, non seulement pour sa
DISTINGUER UN MILLIARD D’ODEURS… sensibilité, mais pour son pouvoir de discrimina-
Ce n’est qu’au cours des deux dernières tion, c’est-à-dire sa capacité à distinguer de très
décennies que le portrait d’ensemble a com- fines différences de senteurs.
mencé à se modifier, en partie à cause d’innova- Une étude remontant à 2014 a évoqué le
tions techniques. Dans la communauté des chiffre d’un milliard d’odeurs différentes
COMMENT PERCEVONS - NOUS
LES ODEURS ?
Composantes du
Molécules système limbique
odorantes
© Gehirn&Geist/Yousun Koh
© Gehirn&Geist, d’après Pinto, J. M. et al., Olfactory Dysfunction Predicts 5-Year Mortality in Older Adults, PLoS ONE 9, E107541, 2014.
de film, avant de leur faire respirer une des difficultés de ces enfants : la capacité détecter les émanations de méthane
odeur d’œuf pourri tout en enregistrant à établir des relations sociales avec (gaz auquel ces oiseaux sont très
leur activité cérébrale. Les résultats leurs semblables. Car les odeurs seraient sensibles) responsables des meurtriers
ont montré que la tristesse provoquée des signaux de socialisation importants, « coups de grisou ».
par le film avait un impact sur l’olfaction
des participants : ils réagissaient
moins fort et moins rapidement que 60 Anosmie
des personnes placées dans un état Odorat absent
émotionnel neutre.
Les personnes dépressives ont aussi
l’odorat altéré. Dans une étude menée
par la psychologue Bettina Pause de
Hyposmie
Probabilité moyenne de mourir
Odorat diminué
avaient un seuil de perception des
odeurs supérieur à celui de personnes
non dépressives : il leur fallait des odeurs
plus fortes pour les détecter consciemment.
Mais on ne sait pas si c’est la dépression
qui rend le nez moins sensible, ou si
20
une perte d’odorat ne peut pas, à Normosmie
l’inverse, provoquer la dépression ! Odorat normal
Cette dernière possibilité est soulevée
par des expériences réalisées sur des rats :
si l’on retire à ces animaux le bulbe
olfactif, ils développent des symptômes
qui ressemblent fortement à ceux 0
57 61 65 69 73 77 81 85
d’une personne dépressive : apathie,
Âge
discernables par le nez humain. Des chercheurs porteurs de gènes CMH différents des leurs. Et ils
de l’université Rockefeller de New York avaient les détectent à l’odeur. Il en va de même, mani-
extrapolé ce résultat à partir d’observations expé- festement, chez nous autres humains. Car dans
rimentales. Mais un an après apparaissaient les notre espèce, l’odorat livre également des ensei-
premiers doutes. En l’occurrence, la méthode gnements précieux sur la constitution immuno-
mathématique utilisée pour arriver à cette esti- logique de nos semblables. Chez l’homme, on
mation reposerait sur des hypothèses erronées et parle de gènes HLA, et non de gènes CMH. Selon
ne serait pas adaptée pour estimer la quantité les études réalisées sur ce sujet, les femmes pré-
totale des parfums que l’odorat peut discriminer. fèrent par exemple l’odeur d’hommes dont les
Mais pour Matthias Laska, cette estimation gènes HLA sont très différents des leurs. Une pré-
semble plausible, et peut-être même en dessous férence également constatée chez les hommes.
de la réalité. Une opinion que partage Christian Mais ces associations sont-elles également
Margot, qui dirige une équipe de recherche chez valables en dehors des études menées en labora-
le parfumeur Firmenich : « la quantité de senteurs toire, dans les circonstances de la vie réelle ? Une
que nous pouvons différencier les unes des autres collaboratrice de Hummel, Jana Kromer, s’est pen-
est potentiellement sans limite. » chée sur cette question au cours de sa thèse. Elle
Autre son de cloche du côté du Centre inter-
disciplinaire pour l’odorat et le goût de Dresde,
dont le directeur Thomas Hummel pense que le En matière de sexe,
l’odeur joue un rôle essentiel.
chiffre d’un milliard est probablement inexact.
Tout comme celui de 10 000 que l’on voit souvent
passer dans les écrits sur la question. « Le chiffre
exact, nul ne le connaît », conclut-il. Ce profes- Une relation peut capoter
seur de médecine moustachu et grisonnant tra-
vaille depuis trente ans sur le nez humain, et
pour de mauvaises odeurs.
plus récemment sur les conséquences que les
odeurs peuvent avoir sur notre comportement. a constitué une base de données à partir d’entre-
En son temps, un neuroanatomiste comme Broca tiens et de tests génétiques sur 250 couples.
était persuadé que nous nous laissions peu Résultat : les personnes interrogées ont trouvé
influencer par notre odorat dans la plupart de l’odeur de leur partenaire plus agréable, lorsque
nos actes quotidiens. Mais là encore, au cours ceux-ci se distinguaient plus nettement d’elles au
des dernières années, les mentalités ont com- niveau des gènes HLA. Et dans ce cas, elles étaient
mencé à évoluer. Et de plus en plus d’indices plus heureuses de leur couple ainsi que de leur
révèlent que les odeurs jouent un rôle impor- relation sur le plan sexuel. Et les femmes en couple
tant, notamment dans le choix de nos parte- avec des hommes nettement différents d’elles, sur
naires sexuel(le)s. un plan génétique, déclaraient plus volontiers vou-
loir des enfants avec eux. Sans même avoir la
QUAND LE SEXE NOUS moindre information génétique à leur sujet.
MÈNE PAR LE BOUT DU NEZ Jusqu’où s’étend donc l’influence de nos éma-
Cette idée n’est pas entièrement nouvelle. Les nations corporelles dans la sphère amoureuse ?
zoologues savent depuis longtemps que de nom- « Nos données montrent que l’odorat est surtout
breux animaux sont guidés par leur odorat dans important pour la satisfaction dans le couple, sou-
la recherche de leur partenaire sexuel. Cela tient ligne Hummel. Il l’est moins pour le choix d’un
à une particularité du système immunitaire. Pour partenaire, même s’il joue un rôle non négli-
reconnaître des agents pathogènes comme des geable. » Bettina Pause, une professeure de psy-
virus ou des bactéries, les animaux vertébrés dis- chologie expérimentale à l’université de
posent de récepteurs d’un genre particulier. Leur Düsseldorf, voit les choses sous le même angle :
plan de construction est dicté par des gènes appe- « On ne choisit pas sa compagne ou son compa-
lés gènes CMH. Il existe une variété considérable gnon parce qu’il ou elle sent bon. En règle géné-
de microbes, et ceux-ci mutent en permanence. rale, ce sont bien d’autres facteurs qui vont déci-
De ce fait, une vaste panoplie de gènes CMH est der de la sympathie ou de l’antipathie que l’on
une véritable assurance vie, en permettant au éprouve pour une personne : l’allure physique, les
système immunitaire de faire face à une grande goûts et les préférences, les opinions. » Entre deux
diversité d’attaques pathogènes. personnes, les différences de système HLA sont le
Les animaux, pour cette raison, se cherchent plus souvent assez tranchées. De temps en temps,
autant que possible des partenaires sexuels ce n’est pas le cas, et notre nez nous alerte : l’odeur
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44
Des
ultrasons
pour guérir
le cerveau
Par Esther Landhuis, journaliste scientifique indépendante
à San Francisco, en Californie.
À
EN BREF de riz », s’enthousiasme W. Jamie Tyler, un neuros-
££Les scientifiques ont cientifique qui étudie la stimulation cérébrale non
récemment découvert invasive à l’université d’État de l’Arizona à Tempe,
que les ultrasons aux États-Unis. Dans le cas de l’homme de notre
peuvent détruire les exemple, les ultrasons détruisent certains neu-
son admission à l’hôpital, neurones ou simplement rones du thalamus, cette région du cerveau étant
moduler leur activité.
l’homme tremble de tous ses membres. Il peut à à l’origine d’un trouble moteur, appelé tremble-
peine écrire ou porter un verre d’eau. On le coiffe ££En les focalisant ment essentiel, qui touche des millions de per-
alors d’un équipement spécial, puis il s’allonge sur une région précise sonnes dans le monde. L’an dernier, la Food and
sur le dos et glisse dans un scanner IRM [un du cerveau, on peut Drug Administration (FDA) a approuvé la « thala-
traiter certaines
appareil d’imagerie par résonance magnétique, pathologies, comme motomie » par cette technique d’ultrasons focalisés
normalement utilisé pour visualiser l’intérieur de des tremblements. pour les patients atteints de tremblement essentiel
l’organisme, mais détourné ici pour une nouvelle qui ne réagissent pas aux médicaments.
technique, NDLR]. De l’autre côté de la pièce, un ££Mais en comprenant Mais aujourd’hui, les scientifiques pensent
mieux comment
médecin actionne un bouton. D’un seul coup, les la neuromodulation utiliser les ultrasons pour traiter d’autres patho-
tremblements du monsieur cessent. Il se saisit d’un par ultrasons logies cérébrales. Car ces ondes ont aussi le pou-
papier et le signe lisiblement, d’une main assurée. focalisés fonctionne, voir de modifier des zones précises du cerveau en
Ce n’est pas de la science-fiction, ni même un cas les chercheurs espèrent stimulant ou en supprimant l’activité de petits
isolé. Des vidéos sur des interventions médicales traiter d’autres amas de neurones, sans les détruire. Shy Shoham,
pathologies mentales,
similaires circulent souvent sur Internet. La comme la dépression. ingénieur biomédical à l’institut de technologie
cause ? Une technologie récemment approuvée par Technion, à Haifa, en Israël, vient d’ouvrir un
© Shutterstock.com/Aleksei Derin
différentes autorités sanitaires et qui utilise l’IRM laboratoire au centre médical Langone, à l’uni-
pour diriger des ondes ultrasonores – celles ser- versité de New York, pour le traitement par ultra-
vant aux échographies lors des grossesses – vers sons de différents troubles moteurs, mais égale-
des régions précises du cerveau. ment de la dépression, de l’anxiété et de toute une
« Nous sommes capables de guider les ultra- série de maladies neuropsychiatriques. Et ce,
sons à travers le crâne et concentrer leur action aussi facilement et sans douleur que dans le cadre
sur un noyau du thalamus de la taille d’un grain du traitement du tremblement essentiel. En effet,
cette nouvelle technologie, appelée neuromodu- exactement lesquelles », explique Raag Airan, neu-
lation par ultrasons focalisés, utilise alors des roradiologiste à l’université Stanford, en Californie.
niveaux d’énergie plus faibles que ceux néces- Quoi qu’il en soit, cette technique de neuro-
saires pour traiter le tremblement essentiel. Et au modulation par ultrasons reste la candidate
lieu de tuer les cellules du cerveau, « vous désa- idéale pour réaliser la cartographie des circuits
morcez le système », explique Shy Shoham. de neurones dans le cerveau et répondre à
d’autres interrogations qui se posent en recherche
LES ONDES MODULENT fondamentale et en recherche clinique.
L’ACTIVITÉ DES NEURONES Raag Airan débute dans la stimulation céré-
En fait, ce mécanisme de neuromodulation est brale par ultrasons en 2014, à partir de quelques
déjà en mis en œuvre grâce à d’autres techniques appareils chinés dans la poussière du sous-sol de
non invasives consistant à émettre à travers le l’hôpital Johns-Hopkins, à Baltimore, dans le
crâne des champs magnétiques ou des impulsions Maryland. À l’époque, il est radiologue. En étu-
électriques. C’est le cas de la stimulation magné- diant la littérature scientifique, il découvre l’exis-
tique transcrânienne (ou TMS), aujourd’hui opé- tence de plusieurs études sur les ultrasons. D’abord,
rationnelle aux États-Unis, dans l’Union euro- une expérience menée quatre-vingts ans plus tôt
péenne et d’autres pays pour le traitement des
dépressions « résistantes » aux médicaments. On
peut aussi recourir à la stimulation transcrâ- Les ultrasons déclenchent
nienne à courant direct (tDCS), autorisée en
Europe pour le traitement de la dépression et des
des impulsions électriques
douleurs chroniques, et largement utilisée en le long des neurones, modifiant
ainsi l’activité et la fonction
recherche clinique.
Mais les effets de ces techniques sur les neu-
rones sont variables et difficiles à mesurer. De
plus, leur pénétration dans le cerveau et leur pré- de la région cérébrale concernée.
cision restent limitées. Car si les signaux élec-
triques et magnétiques ont un impact net sur les sur une grenouille : en plaçant une patte et le cœur
cellules situées à la surface du cerveau, leur action du batracien dans une solution saline, les cher-
s’évanouit progressivement à partir de 1 ou 2 cen- cheurs ont remarqué que les muscles se contractent
timètres sous le crâne. Ce qui n’est pas le cas des quand un faisceau d’ultrasons est envoyé dans le
ultrasons : ils peuvent agir en profondeur avec une liquide. C’est l’une des premières démonstrations
précision extrême. « Avec cette technique, vous des effets des ultrasons sur l’activité des cellules
pouvez atteindre des régions profondes et bien nerveuses. Puis, en 1958, des expériences sur les
précises du cerveau, ce qui est impossible chats montrent ensuite que ces ondes peuvent
aujourd’hui avec les approches électromagné- modifier la réponse neurologique des animaux à la
tiques, rapporte Michael Nitsche, un des pionniers lumière.
en matière de stimulation cérébrale qui exerce au
Leibniz Research Centre for Working Environment QUELS SONT LES MÉCANISMES EN JEU ?
and Human Factors de Dortmund, en Allemagne. Un demi-siècle plus tard, le travail de W. Jamie
Cela constitue une véritable avancée. » Tyler et de ses collègues permet de comprendre le
Chercheurs et cliniciens en sont conscients. mécanisme sous-jacent à ces expériences. À partir
Quelque 280 publications scientifiques sur la « neu- de coupes d’hippocampe de souris mises en
romodulation par ultrasons » ont été indexées dans culture [cette région du cerveau étant notamment
la base de données PubMed depuis 2007, en aug- impliquée dans la mémorisation, NDLR], l’équipe
mentation d’un facteur 14 ces 10 dernières années. découvre que les ultrasons déclenchent des impul-
Et au moins un appel d’offres émanant de la US sions électriques le long des neurones grâce à
Defense Advanced Project Agency [l’agence de l’activation de leurs canaux sodium et potassium
recherche militaire des États-Unis, NDLR] a été voltage-dépendants [présents dans leur mem-
lancé pour le développement de ces techniques en brane, NDLR]. En 2010, les chercheurs montrent
imagerie et en neuromodulation, même si de nom- même que les ultrasons sont capables d’activer à
breuses questions restent en suspens et que la plu- distance les cellules du cerveau situées dans le
part des applications cliniques sont encore loin cortex de souris anesthésiées. Et quelques années
devant nous. La question clé concerne surtout les plus tard, une équipe de l’Inserm, l’Institut fran-
effets réels des ultrasons sur les neurones. « Il se çais pour la santé et la recherche médicale à Paris,
passe beaucoup de choses, mais on ne sait pas réussit à répliquer cet effet dans des régions du
mesure la capacité d’un patient à discerner deux nisme d’action de nombreuses molécules dans le
pointes proches touchant sa peau comme dis- cerveau. » Si les ultrasons peuvent être utilisés
tinctes et non confondues en une seule. pour « administrer un médicament dans une
Même avec une précision plus fine et une pro- région spécifique à un moment précis, alors je
fondeur d’action plus grande, les ultrasons peux compter sur la précision et la capacité de
demeurent donc moins performants et plus diffi- pénétration des ultrasons pour en conclure que,
ciles à étudier que les stimulations électromagné- quel que soit l’effet obtenu, il est bien lié à la pré-
tiques. En effet, les ultrasons sont des ondes de sence du médicament dans cette zone donnée ».
Ainsi, en 2017, Raag Airan se sert de cette tech- Quoi qu’il en soit, le problème reste une entre-
nique pour administrer du propofol – un anesthé- prise complexe – et coûteuse. L’appareil clinique
sique diminuant l’activité du système nerveux – à qui a reçu l’autorisation de la FDA en 2016 dans le
des rats utilisés comme modèles pour l’étude des cadre du traitement du tremblement essentiel,
convulsions [ces dernières étant dues à des excita- fabriqué par Insightec, dont le siège est en Israël,
tions anormales de groupes de neurones, par coûte entre 1,8 et 2,8 millions de dollars. Même les
exemple dans le cas d’une épilepsie, NDLR]. « Nous équipements utilisés pour les études précliniques
avons réussi à supprimer totalement ces convul- sur les petits animaux se vendent à plusieurs cen-
sions, explique le chercheur. Et ce qui est valable taines de milliers de dollars. Mais certains aména-
pour les convulsions l’est évidemment pour n’im- gements peuvent en réduire le coût, et ces modifi-
porte quelle autre activité cérébrale. » Impatiente cations sont souvent nécessaires puisque les
de débuter les essais cliniques chez l’homme, appareils sont surtout conçus pour des ablations de
l’équipe dépose un dossier de candidature en sep- cellules. « C’est ce qui nous a poussés à fabriquer
tembre 2017 au Nanotechnology Characterization
Laboratory, à Frederik, dans le Maryland. Si le dos-
sier est approuvé, les chercheurs de Stanford pour-
ront lancer les études de toxicité sur leurs nanopar- UNE NOUVELLE MÉTHODE
ticules et démarrer des essais de phase 1 l’année
prochaine. POUR DÉLIVRER DES
Michael Nitsche est enthousiaste. Si l’approche
des nanoparticules fonctionne chez les êtres
MÉDICAMENTS
humains, sa précision « permettrait l’administra-
tion de médicaments ou de molécules dans des
régions précises du cerveau. Et avec elle, la pro-
messe de traitements pour de nombreuses mala-
O utre leur utilisation pour moduler de façon non invasive l’activité cérébrale,
les ultrasons peuvent contrôler des fonctions du cerveau en permettant
la diffusion de médicaments ou de molécules actives dans des régions
dies mentales », sans effet secondaire majeur. cérébrales précises. Injectées en intraveineuse, des nanoparticules chargées
de ces substances spécifiques atteignent le cerveau et libèrent l’ensemble
ENCORE DE NOMBREUSES ZONES D’OMBRE de leur cargaison sous l’action de l’énergie des ondes ultrasonores.
Mais voilà. Le mécanisme d’action des ondes
ultrasonores reste flou. À de très hautes intensi- Médicament
tés, comme celles utilisées pour stopper les trem- Vaisseau Nanoparticule
blements essentiels, l’effet des ultrasons est avant sanguin
Ultrasons
tout thermique : le tissu cérébral s’échauffe et les
cellules meurent. À faible intensité, l’action des
ondes est plutôt mécanique et plus difficile à com-
prendre. Selon Raag Airan, c’est un peu comme
si les cellules ressentaient ce que l’on perçoit
quand on se trouve à côté d’un gros caisson de
basses : « Vous pouvez littéralement sentir le bat-
tement des graves. »
Dans ce cas, les ultrasons se comportent À faible intensité, les ultrasons
comme des ondes de pression : ils se cognent au focalisés atteignent le noyau
tissu et engendrent des vibrations qui fragilisent des nanoparticules qui passe
de l’état liquide à l’état gazeux.
les membranes protectrices des cellules. Ce qui
peut affecter la décharge électrique des neu- CERVEAU
rones, car certains canaux ioniques des mem-
branes sont sensibles aux variations de pression. Médicament
libéré
Une autre possibilité est que les ultrasons
exercent une pression positive ou négative, qui
provoque alors des mouvements d’étirement ou Nanoparticule
de compression des cellules. « En résumé : c’est Vaisseau en expansion dont
sanguin l’enveloppe ainsi étirée
complexe », explique Raag Airan. Un de ses collè-
© Pour la Science
permet la diffusion
gues de Stanford, Kim Butts Pauly, cherche, chez des médicaments
les souris, quels types de cellules réagissent aux dans le milieu extérieur.
ultrasons et comment cela se traduit ensuite en
termes de changements d’activité neuronale.
des appareils destinés spécifiquement à nos expé- cérébrale qui en résulte », explique Charles
riences de neuromodulation », se justifie Raag Caskey. Avec des expériences semblables, on
Airan. Un objectif atteint en 2016, après avoir réa- pourrait utiliser les ondes ultrasonores comme
lisé que ses expériences sur les souris ne néces- outil de dissection des circuits neuronaux impli-
sitent pas toutes les fonctionnalités offertes par les qués dans la schizophrénie, la dépression et
appareils commerciaux, par exemple le système de d’autres troubles du cerveau. Selon Charles
guidage électromagnétique en temps réel. Airan Caskey, en analysant davantage ces circuits et la
achète alors un modèle de base proposé par la
p. 52
Renaître après
l’épreuve
p. 58 – Interview
Créer les conditions
de la résilience
p. 66
Quand l’esprit
répare le corps
SE RECONSTRUIRE
APRÈS L’ÉPREUVE Au fond du trou. On y a tous été, un jour
ou l’autre, ou on sera invité à y faire un séjour. Il y a fait
sombre, froid et humide, il n’y a pas d’issue. Cela a lieu
après une rupture amoureuse, un deuil, un accident, une
perte d’emploi. Le corps est lourd, la pensée engluée. Le
courage manque. Parfois, c’est encore pire. Un viol, un
attentat, et c’est le traumatisme qui fissure l’être tout
entier. Une question point alors : va-t-on se relever ?
Cela dépend de plusieurs choses. De votre constitution
génétique, d’abord. De l’amour reçu de vos parents, une
réserve d’énergie latente qui, en se réveillant, sécrétera
des molécules qui reconfigurent le cerveau, des facteurs
neurotrophiques qui sont la clé de la plasticité mentale.
Mais, nous explique Boris Cyrulnik à la lumière des der-
nières études menées sur les victimes d’attentats, à condi-
tion que la parole vienne soutenir cette reconstruction.
C’est elle qui aide à sortir de la sidération, cet état de stu-
peur qui éteint les structures émotionnelles du cerveau.
Parole, mais aussi recherche de sens, pour que la dureté
de l’épreuve ne reste pas stérile et arbitraire. Ces clés de
résilience, mieux comprises et identifiées aujourd’hui,
requalifient l’espoir à un moment où nous en avons besoin.
Sébastien Bohler
RENAÎTRE
APRÈS L’ÉPREUVE
N° 104 - Novembre 2018
53
EN BREF
££Lorsqu’on a été privé
d’affection petit,
D
ou que l’on a traversé
des épreuves difficiles, le
cerveau peut néanmoins
se développer
positivement.
££Certaines personnes
font naturellement
preuve d’une meilleure
résilience que d’autres,
en partie grâce à des
facteurs génétiques. urant les quinze ans que dura le régime du
dictateur roumain Nicolae Ceaușescu, entre 1974 et 1989, la
££Mais d’autres facteurs
comme le cadre de vie, plus grande partie de la population du pays souffrit de la pau-
l’environnement social vreté. Durant la même période, la démographie atteignait des
et affectif, des activités sommets car le dictateur avait interdit la contraception et
régénérantes comme banni toute forme d’éducation sexuelle, tout en pénalisant
le sport aident l’avortement. De plus en plus d’enfants vinrent au monde, dans
à renforcer la résilience.
des conditions de plus en plus misérables. Les orphelinats
débordèrent d’enfants que leurs parents ne pouvaient ou ne
voulaient plus éduquer. On estime que le nombre de ces
enfants abandonnés atteignit 100 000.
Ils manquaient de tout : de nourriture, de vêtements mais
aussi de soutien humain. Un seul référent était disponible pour
30 enfants. Ni contact personnel, ni jouets. Les besoins de
développement émotionnel et psychique de ces petits n’étaient
de loin pas satisfaits. Une telle privation (voir le glossaire
page 54) a souvent des conséquences corporelles et mentales
profondes, qui se font sentir jusque dans l’âge adulte.
Après la chute du dictateur, de nombreux orphelins rou-
mains ont été adoptés par des familles d’Europe de l’Ouest. À
partir du début des années 1990, 144 des 324 enfants accueillis
© Getty Images/eclipse_images
Faire du sport enclenche en Grande-Bretagne furent suivis par les chercheurs en déve-
des mécanismes de loppement Michael Rutter et Edmund Sonuga-Barke, du Royal
croissance des cellules College de Londres, dans le cadre d’une étude scientifique.
cérébrales. Une
plasticité utile pour Les jeunes participants (parmi lesquels se trouvaient aussi
se reconstruire après 21 enfants roumains issus de milieux sociaux défavorisés,
une épreuve, ou pour
résister à celles qui n’ayant pas grandi dans des orphelinats) avaient pour la plu-
se présentent. part été adoptés avant leurs 5 ans. Peu de temps après leur
l’on injecte du BDNF dans l’hippocampe ont des récoltes à différentes époques et la valeur des
capacités d’apprentissage accélérées et font moins denrées alimentaires.
d’erreurs dans des tests de prise de décision. Sur la base de ces travaux, trois experts en
Notre constitution neurobiologique est en médecine sociale, Lars Olov Bygren et Gunnar
partie déterminée par notre patrimoine géné- Kaati, de l’institut Karolinska, à Stockholm, ainsi
tique. Ce constat s’est aussi imposé à la lumière que Marcus Pembrey, de l’université de Londres,
des études sur les enfants des orphelinats rou- ont découvert qu’un surplus de nourriture avait
mains. Les facteurs héréditaires qui influent sur des répercussions négatives à long terme : si la
l’activité de certains neurotransmetteurs comme nourriture était riche et abondante lorsque le
la sérotonine et la dopamine, ont un impact clair grand-père était enfant, ses petits-enfants
sur la résilience des individus. Ainsi, les orphelins avaient encore quatre fois plus de chances de
porteurs d’une variante particulière du gène souffrir de diabète. Le risque de maladie cardio-
DAT1 du transporteur de la dopamine (le trans- vasculaire était lui aussi augmenté. Notre ali-
porteur est une protéine qui récupère la dopa- mentation influence donc non seulement notre
mine une fois celle-ci relâchée au niveau des propre santé, mais aussi celle de nos petits-
synapses, et qui la rapatrie dans les neurones), enfants. Quant à savoir si la transmission d’infor-
étaient plus souvent atteints de troubles de l’at- mations épigénétiques pourrait également jouer
tention et de la concentration, que ceux n’ayant un rôle dans la capacité de résistance psychique
pas cette variante. De même, les porteurs d’une des personnes, les chercheurs n’ont pas encore
version raccourcie du gène du transporteur de la réussi à répondre à cette question. À tout le
sérotonine appelé 5-HTTLPR souffraient d’insta- moins, le soupçon existe.
bilité émotionnelle. Cette variante courte aurait Quels autres mécanismes peuvent influer sur
pour effet que de moindres quantités de séroto- la résistance morale des individus ? À ce jour, on
nine, une fois relâchées dans l’espace synaptique dénombre quelques facteurs protecteurs. À com-
entre les neurones, soient réintégrées dans les mencer par les compétences sociales et les rela-
cellules nerveuses. tions avec l’entourage. Les personnes résilientes
Mais la constitution génétique n’est pas la font preuve d’un comportement prosocial déve-
seule à façonner la personnalité. De « mauvais loppé ; elles jouissent d’une image positive d’elles-
gènes » ne conduisent pas obligatoirement à des mêmes et abordent les problèmes de manière
problèmes ; seule l’interaction de ces gènes avec active. C’est ce qui leur permet de construire et
l’environnement de l’individu peut éventuelle-
ment se traduire par des effets néfastes. Une série
d’études menées sur des jumeaux le montre. C’est
le travail des épigénéticiens que de documenter
ces interactions entre gènes et environnement.
Le stress vécu dans
L’épigénétique, une branche relativement récente
de la biologie, s’attelle à déterminer quand et les grandes crises
fragilise les cellules
comment une information génétique est lue dans
les cellules de notre corps. Les interrupteurs bio-
chimiques qui participent à ce processus sont en
cérébrales.
partie actionnés par l’environnement. Cela peut
avoir lieu dès le stade utérin, mais des expé-
riences faites à l’âge adulte sont aussi de nature
à modifier l’expression des gènes.
Les expériences animales montrent que les À l’inverse, l’activité
physique libère
modifications épigénétiques de l’ADN peuvent se
transmettre sur plusieurs générations. Ce qui
pourrait être vrai également chez l’être humain,
des molécules
à en croire une étude suédoise. Les chercheurs
ont recueilli des données médicales de personnes
nées en 1890, en 1905 et en 1920 dans la région
d’Överkalix, une province éloignée dans le nord-
est du pays. Ils les ont ensuite comparées à des
descriptions, témoignages et documents sur les
qui font pousser
enfants et petits-enfants de ces personnes, ainsi
qu’avec des faits historiques sur l’abondance des les neurones.
N° 104 - Novembre 2018
56 DOSSIER S E RECONSTRUIRE APRÈS L’ÉPREUVE
RENAÎTRE APRÈS L’ÉPREUVE
Œil
et la noradrénaline. L’effet le plus directement visible Hypothalamus
est une augmentation de la pression artérielle
et une respiration plus rapide. Comme de plus Cortex
préfrontal Glandes
grandes quantités d’oxygène parviennent aux salivaires
muscles, le corps est préparé à une réaction de type
fuite ou combat, selon les circonstances. Peu après,
les glandes corticosurrénales libèrent dans le sang Hypophyse
une hormone du stress, le cortisol. Avec, à nouveau, Amygdale Conduit
respiratoire
un effet mobilisateur : cette substance stimule
la production de glucose par le foie, ce qui stimule Hippocampe
le degré d’éveil et d’attention. Certains composants
Bronches
du système immunitaire sont également excités,
de façon à combattre une potentielle infection.
Au cours de la suite des événements, les effets apaisants
des hormones et des neurotransmetteurs commencent Cœur
à se faire sentir. Par exemple, le cortisol empêche que
la réaction immunitaire ne s’emballe. L’homéostasie,
l’équilibre interne de l’organisme, est ainsi rétablie.
Un système du stress sain est donc en mesure de réagir Foie
vite et de manière adaptée, mais doit revenir au calme
une fois l’alerte passée. S’il reste durablement excité,
Estomac
il en résulte une dérégulation du métabolisme, des
Vésicule
fonctions cardiovasculaires et du système immunitaire. biliaire
Ce dernier se protège contre le surplus d’hormones
du stress, les cellules immunitaires devenant résistantes Corticosurrénales
au cortisol. En situation de stress chronique,
des processus inflammatoires peuvent se mettre en
place, pouvant engendrer des allergies ou de l’obésité,
du diabète ou des maladies coronariennes. Rein
L’amplification des processus inflammatoires peut aussi
conduire à des comportements dits d’épuisement,
marqués par une somnolence inexpliquée, une perte Appareil
d’appétit et de désir, une perception exacerbée digestif
de la douleur ainsi que des baisses d’attention
et de mémoire. Le stress chronique peut donc faire
basculer dans un état qui ressemble à une dépression.
Chaîne
Le stress durable ou très puissant amenuise aussi sympathique
l’activité des facteurs neurotrophiques qui stimulent Vessie
ordinairement la formation des cellules nerveuses
et des synapses. Cet effet touche particulièrement
l’hippocampe, essentiel aux processus de mémorisation. Le système nerveux autonome, surtout le système sympathique, régule
la concentration d’adrénaline et de noradrénaline dans le cerveau.
Chez les personnes endurant un stress chronique, cette Cela a une influence, entre autres, sur l’activité de l’amygdale et du cortex
aire du cerveau est en moyenne plus petite que chez des préfrontal, impliqués dans le contrôle des comportements. L’axe adrénalo-
personnes moins stressées. Selon les études sur ce sujet, hypothalamo-hypophysaire relâche à son tour du cortisol dans la circulation
sanguine. Des messagers chimiques spéciaux nommés cytokines (qui ne sont
cela pourrait constituer un facteur de risque pour le pas représentés ici) servent à la communication entre le cerveau, le système
développement des troubles de stress post-traumatique. immunitaire et le système sympathique.
Cherchez à trouver
d’entretenir leur réseau social. Ce dernier ingré-
dient offre une protection émotionnelle ainsi
qu’une aide pratique en cas de problèmes, tout en
proposant ce qu’on appelle des modèles de rôle,
à travers l’exemple de personnes s’étant tirées,
elles aussi, de situations difficiles.
du sens dans
Les capacités d’empathie et la tendance à
aider les autres semblent également plus dévelop- ce qui est arrivé :
réinterpréter les
pées chez les individus résilients. Ces derniers
montrent un intérêt soutenu pour le bien-être de
leurs semblables et renforcent par ce truchement
leur lien aux autres.
INTERVIEW
BORIS
CYRULNIK
PSYCHOLOGUE ET NEUROPSYCHIATRE,
IL EST ÉGALEMENT DIRECTEUR D’ENSEIGNEMENT
À L’UNIVERSITÉ TOULON-VAR.
CRÉER LES
CONDITIONS DE LA
RÉSILIENCE
Comment définissez-vous
la résilience ?
C’est important de le préciser, car le
mot « résilience » est entré dans la
© Getty Images/Eric Fougere/Contributeur
Un enfant à qui on
Alors on parle de résilience
uniquement quand on a subi
un traumatisme violent…
Pas forcément. Il existe effective-
ment des traumatismes aigus, parle avec affection
aura plus de chances
comme la guerre, un attentat, un
accident ou une maladie grave, un
décès, une agression sexuelle. Mais
de surmonter les
d’autres sont chroniques, insidieux.
Les premiers, nous nous en souve-
nons, car ils représentent un afflux
d’émotions intenses et engendrent
souvent ce que l’on appelle une hy-
permémoire traumatique. Les se-
épreuves. Et après
conds, quant à eux, se mettent en
place au cours de l’enfance et nous un traumatisme,
la parole est, là aussi,
n’en avons en général pas conscience.
Pourtant, dans les deux cas, les alté-
rations cérébrales sont les mêmes.
Ces traumatismes
développementaux sont-ils
essentielle.
dus à un manque d’affection
durant l’enfance ? parce que sa propre mère subissait
En fait, il ne s’agit pas seulement d’un un début d’Alzheimer. Dans nos so-
manque d’affection, mais d’un défaut ciétés, beaucoup de mamans ou fu-
de stimulations sensorielles durant tures mamans dépriment, pour trois
l’enfance ; nous, scientifiques, parlons raisons essentielles : leur propre his-
de niche sensorielle appauvrie. Et toire, la violence conjugale et la pré-
cela aboutit bien à une carence affec- carité sociale, par exemple quand
tive et relationnelle. Parfois, la niche elles n’ont pas de travail ou de loge-
est tellement pauvre que les dégâts ment. Tous les malheurs de la vie,
cérébraux chez les petits sont très même ceux qui paraissent anodins
importants. C’est ce qui s’est passé aux yeux de certaines personnes,
dans les pseudo-orphelinats rou- peuvent provoquer un appauvrisse-
50 %
mains où les enfants ont été isolés ment de la niche sensorielle des en-
« sensoriellement » de manière très fants, sans que leurs mères en soient
grave à cause d’une décision poli- responsables bien entendu ou même
tique absurde et criminelle de Nico- sans qu’elles soient conscientes des
lae Ceausescu (voir Renaître après conséquences de cette carence.
l’épreuve, page 52). On faisait la toi- DES VICTIMES
lette aux jeunes roumains une fois DES ATTENTATS À quel(s) moment(s) de la vie
par mois seulement et personne ne le manque de stimulations
leur parlait. Or s’occuper d’un bébé, sensorielles est-il le plus
c’est donner de l’affection ; parler, du Bataclan critique ?
c’est donner de l’affection. souffrant d’un syndrome Il existe une période que je qualifierai
Mais dans la plupart des cas, la niche post-traumatique étaient de sensible plutôt que de critique, car
sensorielle des petits est appauvrie guéries un an après. c’est une façon de voir le verre à moi-
de façon moins visible : par exemple, tié plein plutôt qu’à moitié vide. Et
quand leur mère meurt ou souffre de même une carence affective impor-
dépression et que les enfants n’ont tante n’empêche pas d’avoir une vie
pas de substitut affectif. Alors leur heureuse ensuite. Avec mes collègues
entourage s’occupe moins d’eux et sur l’île d’Embiez près de Toulon, dès
leur parle moins. Et c’est assez fré- les années 1980, nous avons été les
quent de nos jours. J’ai rencontré premiers à travailler sur les interac-
une femme enceinte qui déprimait tions précoces entre mère et enfant :
nous avons montré que la période dans le cerveau des jeunes ayant hypertrophiées (voir la figure ci-des-
sensible s’étale en gros de la 27e se- grandi dans une niche sensorielle sous). Ce qui se traduirait en termes
maine de grossesse au 20e mois de appauvrie. Ces dysfonctionnements de comportement par une mauvaise
vie, c’est-à-dire quand le petit com- sont plus ou moins considérables régulation des émotions et une an-
mence à parler. Les neurobiologistes, selon l’importance, la durée, et sur- xiété accrue.
en particulier Michel Morange, ont tout la période où a lieu la carence
révélé que, pendant ces trente mois, sensorielle. Un isolement à l’âge de Cela correspond alors
le cerveau des bébés crée entre 20 ans provoque peu de dégâts. à un problème de gestion du
200 000 et 300 000 synapses par mi- Alors que le même manque de sti- stress… Pourtant, vous avez
nute. Évidemment, tout événement mulations sensorielles au cours de dit que la résilience n’a rien
extérieur participe à la construction la période sensible engendre de à voir avec un simple stress.
des circuits cérébraux. De sorte qu’un graves troubles. On observe ainsi Selon moi, la résilience n’est pas liée
isolement sensoriel à ce moment pro- une atrophie du cortex préfrontal, au stress, du moins pas au stress
voque une carence de connexions impliqué notamment dans la plani- comme on l’entend souvent. Le mot
cérébrales que l’on visualise bien en fication et le contrôle des émotions. résilience est entré dans notre culture
imagerie par résonance magnétique Certaines parties du système lim- à cause de cet amalgame avec le
fonctionnelle. bique, qui joue un rôle crucial dans stress et sous l’impulsion des scienti-
la genèse des émotions et la mémo- fiques américains. En effet, ces der-
Que voit-on donc dans risation, sont aussi atrophiées. niers parlent de stress post-trauma-
le cerveau de ces enfants ? Alors que d’autres, comme l’amyg- tique après un événement grave qui
Différentes études scientifiques ont dale, responsable notamment des bouleverse une vie. Mais, nous, en
mis en évidence plusieurs altérations réactions de peur et de stress, sont France, on préfère le terme de
Cortex préfrontal
syndrome post-traumatique, parce réorganiser le milieu de vie des nous avons constatée est que si les
que ce n’est pas une simple réaction jeunes ayant connu une carence sen- gens sont laissés seuls, le pourcen-
au stress… Après un trauma, en sorielle. C’est seulement alors qu’une tage de résilience est faible, et s’ils
neuro-imagerie, on observe une résilience, c’est-à-dire la reprise d’un sont bien entourés, le pourcentage
sorte de « sidération cérébrale », avec nouveau développement, est envisa- est élevé. Près de la moitié des per-
des altérations semblables à celles geable. Tout le monde ne se remet sonnes rescapées du Bataclan ont
des enfants ayant souffert de carence pas d’une épreuve difficile. Les gens souffert de syndrome post-trauma-
sensorielle : le cortex préfrontal et le ayant subi un trauma, tout comme tique : plusieurs vivaient ce que l’on
système limbique sont complètement les enfants ayant manqué de stimu- nomme des épisodes de revivis-
éteints ! De même pour les surré- lations sensorielles, présentent des cences, avec des images ou des sons
nales, les glandes au-dessus des reins altérations cérébrales visibles et en qui s’imposaient à eux et les replon-
qui sécrètent le cortisol, la principale partie irréversibles : certains réseaux geaient dans l’événement en provo-
hormone du stress, et pour l’axe hy-
pothalamo-hypophysaire, qui relaie
la réponse au stress. Et en clinique,
les patients sont vraiment sidérés. Au moins deux choses protègent
Florence Askenazy, pédiatre au CHU
de Nice, raconte qu’après l’attentat contre les chocs psychiques :
du 14 juillet 2017 à Nice, les vic-
times étaient complètement hébé-
de bons gènes et un bon
tées par l’horreur de ce qui s’était
passé. Les gens étaient muets, inca-
attachement à ses parents.
pables de dire un mot.
Le stress, quant à lui, est plutôt une
réaction physiologique et normale cérébraux dans le cortex préfrontal quant chez eux la même détresse
de l’organisme, en général béné- et le système limbique sont détruits que lors de l’événement initial. Mais
fique… Par exemple, les jeunes, no- ou ne se sont pas formés correcte- un an après les attentats, 50 % des
tamment les adolescents, se mettent ment. Mais des compensations victimes étaient guéries et ce chiffre
régulièrement en situation de dan- peuvent se mettre en place : dans ce devrait atteindre 90 % après deux
ger afin de se sentir stressés ; puis ils cas, d’autres circuits cérébraux se ans (mais les résultats des études ne
éclatent de rire, ça les amuse beau- créent ou se réorganisent et com- sont pas encore publiés).
coup. Ils se sont créé un événement pensent les pertes, car le cerveau est Pourquoi ? Parce qu’à Paris, la prise
de vie excitant qui stimule leur cer- « plastique », capable de remodelage, en charge des blessés a été excel-
veau et participe à sa construction. même à l’âge adulte. lente et aucun conflit politique n’a
En revanche, un stress excessif ou perturbé le processus de résilience.
chronique « déborde » l’organisme, Quelles sont les stratégies Je m’explique. L’aide médicale et
qui ne s’en remet pas… En schéma- pour un remodelage l’intervention des pompiers, méde-
tisant, l’excès de cortisol et d’autres du cerveau et une cins, urgentistes et de tout le person-
molécules sécrétées en cas de stress résilience efficace ? nel soignant a été quasi parfaite, et
prolongé ou intense altère les ré- Il n’y a pas une résilience, mais des l’aide psychologique a été très bien
seaux cérébraux : on observe alors résiliences. Chaque résilience est mise en place et suivie, même si des
une hyperactivité de l’amygdale et unique en fait, car elle dépend de améliorations peuvent encore être
une hypoactivité du reste du sys- l’âge de la personne, de ses gènes, de apportées. En revanche, à Nice,
tème limbique et du cortex préfron- l’intensité du trauma, de sa durée, d’après les observations, l’attentat
tal. D’où une forme de sidération. En de la réaction biologique de l’orga- s’est révélé bien plus effrayant et
France, nous parlons donc d’agonie nisme, de l’entourage affectif et de sanglant qu’à Paris (je ne peux dé-
psychique. Sans aide, il n’y a alors l’environnement socioculturel. Les cemment pas entrer dans les dé-
pas de résilience possible. déterminants ou facteurs de rési- tails…). Florence Askenazy raconte
lience sont hétérogènes et diffèrent que même les médecins et le person-
Quelle aide peut-on donc beaucoup d’un individu à l’autre. Et nel soignant ne pouvaient pas secou-
apporter aux personnes rien ne peut prédire qui s’en sortira rir les victimes, car ils étaient cou-
ayant vécu, de près ou de loin, ou non. Denis Peschanski et Francis verts de sang et eux-mêmes
les attentats, et qui sont Eustache, avec lesquels je travaille, traumatisés. Pire : à Nice, des conflits
en agonie psychique ? étudient la « mémoire » du 13 no- entre politiciens et habitants ont
Il s’agit de bien accompagner les vic- vembre 2015 après les attentats du éclaté. Des Français de culture mu-
times de trauma, tout comme il faut Bataclan. La première chose que sulmane ont beaucoup souffert lors
Parmi les facteurs de protection, il organisées ; en général, ce sont de pant un style d’attachement insé-
existe des déterminants génétiques. bons élèves, des hommes et femmes cure, qui ont par exemple peur de
Par exemple, selon les travaux du fidèles en couple et en amitié, qui l’abandon, sont beaucoup plus vul-
psychologue israélo-américain ont une vie très heureuse. nérables émotionnellement et au-
Avshalom Caspi et de ses collègues, À l’inverse, 85 % de la population ront moins de chances de se remettre
dans la population générale et présentent un facteur biologique de d’un trauma. D’ailleurs, la même
quelle que soit la culture, 15 % des résistance au traumatisme. Ce qui, information ou le même événement
85 %
tombent en burn-out, par exemple ont montré que l’agonie psychique
professionnel, alors que leurs collè- correspond à une multiplication
gues sont très heureux au travail par 10 de l’activité de l’amygdale,
dans les mêmes conditions. De mais aussi à une extinction complète
même, une personne ayant acquis du lobe temporal gauche ; chez les
un attachement insécure à cause DE LA droitiers, c’est la région où se situent
d’un isolement précoce, qui n’a pas POPULATION les aires de la parole… Les victimes
fait un travail de résilience et qui, à étaient alors muettes et sidérées.
un moment de sa vie, subit une dif- Elles revoyaient en boucle la même
ficulté importante, a plus de risques possèdent un facteur image d’horreur, étaient prison-
de souffrir de dépression et de se génétique de protection nières du passé, incapables de tra-
suicider. Tout comme les individus contre les traumatismes. vailler, d’aimer ou de parler.
souffrant d’un syndrome post-trau- En d’autres termes, Les facteurs de résilience, qui
matique qui n’arrivent pas à s’en sor- ces personnes ont plus peuvent alors relancer ou remodeler
tir. Nous n’avons pas tous les mêmes de chances de surmonter le cerveau, reposent sur deux actes :
facteurs de protection. les difficultés. sécuriser les victimes, en leur appor-
tant un soutien affectif préverbal,
Au-delà des facteurs c’est-à-dire avant qu’elles arrivent à
de protection, qu’est-ce parler à nouveau ; puis donner un
qui détermine, par la suite, sens à leur récit du trauma, notam-
l’évolution d’un traumatisme ? ment en les écoutant.
Quand le traumatisme survient, sa
durée, son intensité et la période où La première aide
il a lieu influent sur ses consé- à apporter à des personnes
quences. Puis, les facteurs de rési- souffrant d’un syndrome
lience à proprement parler, qui per- post-traumatique est
mettent la reprise d’un nouveau simplement de les entourer ?
Oui, il faut les rassurer, les câliner,
leur apporter un café, leur dire des
incapables de parler.
sécurisant, on constate que progres-
sivement leur amygdale se calme et
que le lobe temporal consomme à
Le travail de la parole
traumatique, car elles ne sont pas
encore capables de gouverner l’hor-
reur des images du drame.
Comment sait-on
que c’est trop tôt ?
permet aux victimes
C’est quand la victime ne peut pas
encore prendre la parole spontané- de choisir leurs
propres mots et
ment. Ce laps de temps dépend de
chaque personne et des facteurs de
protection acquis. Rares sont les in-
dividus qui s’expriment tout de
suite, mais ils existent. Il s’agit donc
de rester près des personnes trauma-
images pour faire le
tisées et d’attendre qu’elles veuillent
bien parler. récit du drame. Ce qui
remodèle leur cerveau.
Alors intervient le second acte de la
résilience : le récit. Le cortex tempo-
ral est redevenu suffisamment actif
pour que les victimes annoncent :
« Voilà ce qui s’est passé, acceptez-
vous de m’écouter ? » À ce moment-
là, le travail de la parole s’enclenche. dance entre le récit du blessé et
La mémoire est remaniée car les celui qu’en fait son environnement.
patients vont intentionnellement Prenons quelques tristes exemples.
chercher des mots et de nouvelles Pendant la Grande Guerre, beaucoup
images pour faire leur récit et de soldats blessés au front ont souf-
l’adresser à des personnes gages de fert de syndrome post-traumatique et
sécurité, comme un membre de leur n’étaient plus capables de retourner
famille, leur conjoint, un prêtre, un au front ; alors on les « électrocho-
psychothérapeute… Ce qui permet quait » sur la cuisse pour les punir, car
de se libérer des images traumati- on les considérait comme des lâches. Bibliographie
santes qui tournaient en boucle. De même, après la guerre de Corée,
on a vu un général qui giflait violem- B. Cyrulnik,
La parole est un facteur ment les soldats qui rentraient. Beau- Psychothérapie de Dieu,
de résilience crucial alors ? coup de ces hommes ne se sont ja- Odile Jacob, 2017.
Oui, la parole libère. Le fait de par- mais remis de leur agonie cérébrale, A. Caspi et al.,
ler modifie le fonctionnement céré- alors qu’ils étaient parfois bien entou- Genetic sensitivity
bral, permet d’échanger et régule rés à la maison. De même, une femme to the environment :
les émotions. Plusieurs neuroscien- violée dans un pays traditionnel, The case of the serotonin
tifiques ont alors visualisé une ex- agressée physiquement et humiliée transporter gene
tinction de l’amygdale et un remo- sexuellement, a une faible probabilité and its implications
for studying complex
delage cérébral. Mais le récit réalisé d’enclencher un processus de rési-
diseases and traits,
aux proches n’est pas le seul facteur lience… Car sa famille la fait taire et Am. J. Psychiatry,
de résilience ; il y a également le la société dans laquelle elle vit la vol. 167, pp. 509-527,
récit collectif. Et là, les journalistes, chasse. Alors que dans un autre 2010.
romanciers, cinéastes, historiens contexte culturel, la même agression
B. Cyrulnik,
jouent un rôle culturel important. physique et la même humiliation Un merveilleux
Car, si au moment où la victime sexuelle auraient des conséquences malheur, Odile Jacob,
déclenche un processus de rési- beaucoup moins fâcheuses. Le syn- 2002.
lience et redevient capable de par- drome post-traumatique et sa rési-
ler et de raconter son histoire, la lience dépendent aussi du contexte et
société dans laquelle elle vit est in- de la culture. £
différente ou tourne sa parole en
dérision, alors la résilience est im- Propos recueillis par
possible. Il y a alors une discor- Bénédicte Salthun-Lassalle
N° 103 (oct. 18) N° 102 (sept. 18) N° 101 (juil. août 18) N° 100 (juin 18) N° 99 (mai 18) N° 98 (avr. 18)
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Groupe Pour la Science – Siège social : 170 bis, boulevard du Montparnasse, CS20012, 75680 Paris CEDEX 14 – Sarl au capital de 32 000€ – RCS Paris B 311 797 393 – Siret : 311 797 393 000 23 – APE 5814 Z
QUAND L’ESPRIT
RÉPARE LE CORPS
O
système du stress qui physiologiques mesurables. D’après une équipe
se met en état d’alerte. dirigée par la psychologue canadienne Linda
Avec des conséquences
potentiellement graves Carlson, cette pratique a un effet biologique puis-
sur vos cellules. sant, notamment chez les patientes atteintes de
cancer. Une façon de « cicatriser » en quelque
££Des études récentes sorte, pour repartir de l’avant.
ont montré que
la méditation de pleine Chez ces patientes, on constate en effet,
conscience limite l’usure dans la plupart des cas, un raccourcissement de
des chromosomes. l’extrémité des chromosomes appelées télo-
bserver sa propre respira- mères. Les télomères sont constitués de
££C’est en atténuant
les effets du stress tion. Accepter les choses comme elles viennent, séquences d’ADN répétées et de protéines ; ils
qu’on limite l’impact comme elles sont. Lorsque les pensées sont souvent rongés chez les personnes atteintes
des épreuves de vie sur dérivent, revenir à la respiration, à l’ici et main- de maladies cardiovasculaires, de diabète ou
le corps et le psychisme. tenant. Cela a l’air très simple. Mais quiconque d’infections. Par ailleurs, des examens attentifs
s’est déjà essayé à la méditation de pleine ont révélé que des télomères raccourcis sont
conscience le sait : c’est plus facile à dire qu’à associés à une plus forte mortalité chez des
faire. Les pensées sur le passé et l’avenir, les patientes victimes de cancer du sein. Et comme
© Shutterstock.com/KENG MERRY Paper Art
jugements et les appréciations, parfois aussi les la longueur des télomères est influencée par le
soucis, nous accompagnent en permanence, sou- niveau de stress vécu, elle est considérée comme
vent sans que nous nous en apercevions. Les un « psychobiomarqueur ».
mettre de côté, même pour un court laps de Carlson et ses collègues ont analysé des
temps, est en soi une petite victoire. échantillons sanguins de 88 femmes ayant un
De nombreuses études menées ces dernières cancer du sein, qui avaient déjà suivi une théra-
années montrent que la méditation de pleine pie (jusqu’à des traitements hormonaux, pour
conscience pourrait être une aide à la résilience certaines d’entre elles). Ces femmes soumises à
car elle réduit le stress, que ce soit chez les per- des niveaux de stress supérieurs à la moyenne ont
sonnes en bonne santé ou chez celles atteintes de été divisées de façon aléatoire en deux groupes.
Les patientes du premier groupe ont alors suivi d’hormones du stress serait alors un moyen de
un programme de méditation de pleine conscience protéger nos télomères. »
pendant huit semaines, alors que celles du second Au point d’infléchir l’évolution d’une mala-
groupe se voyaient proposer une thérapie fondée die ? Cela reste à prouver. « On ne sait pas encore
sur la parole, d’après le modèle de la thérapie de très bien dans quelle mesure des changements
groupe par la parole et le soutien (supportive- intervenant sur les hormones, les cellules immu-
expressive group therapy, en anglais). À titre de nitaires et les télomères ont un impact sur la pro-
comparaison, un groupe témoin assistait à un gression d’une maladie, admet la chercheuse. »
séminaire sur la gestion du stress. Avant et après Les études réalisées à ce jour ne sont pas una-
les interventions, des prélèvements sanguins nimes. Un an avant Carlson, l’équipe de Cecile
étaient réalisés à intervalles de trois mois, pour Lengacher, de l’université de Floride du Sud, avait
mesurer la longueur des télomères. voulu savoir comment la réduction du stress obte-
Les résultats de cette étude ont été publiés nue par méditation de pleine conscience (la
en 2015. Chez les femmes du groupe contrôle, les mindfulness-based stress reduction, ou MBSR, en
télomères s’étaient nettement raccourcis durant anglais) agissait sur les télomères des patientes
la période du suivi. Chez celles qui avaient prati- cancéreuses. Une enzyme du nom de télomérase
qué la méditation ou qui avaient participé à la est responsable de l’entretien et de la réparation
thérapie de groupe par la parole et le soutien, ils de ces télomères. Si son activité vient à diminuer,
n’avaient pas rétréci. Selon Carlson, cela montre toute une série de maladies peuvent en résulter.
un effet résilient et antistress de l’entraînement,
dont seules les participantes du groupe témoin DES CHROMOSOMES QUI « CICATRISENT »
n’avaient pas bénéficié. « La méditation de pleine L’équipe de Lengacher a monté le protocole
conscience favorise les états de relâchement. suivant : 142 patientes ayant terminé leur traite-
L’organisme réduit alors sa libération d’hormones ment contre leur cancer du sein ont été soumises
du stress, comme le cortisol, l’adrénaline ou la soit à un programme de méditation MBSR, soit à
noradrénaline, » explique-t-elle. Un effet qui des soins complémentaires habituels. Au début,
pourrait alors modifier certains facteurs immu- mais aussi six mois puis douze mois plus tard,
nitaires, qui agissent sur les terminaisons des toutes ont subi un prélèvement sanguin et une
chromosomes. « Réduire les concentrations analyse psychologique. Les chercheurs ont alors
observé que, chez les patientes ayant suivi le pro-
gramme MBSR, l’activité de la télomérase avait
augmenté de 17 %, alors qu’elle était restée
l’entraînement, qui
gues, faut-il plus de temps pour que les variations
des télomères soient observables, alors que l’acti-
vité de la télomérase réagit plus rapidement. Un
réduit la libération
autre facteur d’incertitude serait lié aux diffé-
rentes thérapies suivies antérieurement par les
patientes. Carlson a une autre explication : « Les
comme le cortisol
côté, nous avions pris soin d’intégrer à notre étude
uniquement des femmes ayant enduré un niveau
de stress particulièrement élevé ».
et l’adrénaline,
Grâce à un entretien final réalisé sur 128 de
ses patientes, Carlson a pu montrer que la pra-
tique de la méditation de pleine conscience un an
des chromosomes. Mais cette dernière mesure n’a pas inclus de bio-
marqueurs, comme les télomères.
17 %
D’AUGMENTATION
de l’activité de l’enzyme qui répare les extrémités des chromosomes chez des femmes atteintes d’un cancer du sein
qui pratiquent la méditation de pleine conscience.
Bibliographie
L. E. Carlson et al.,
De nombreuses études réalisées ces dernières sous forme de prétendue « crème antidouleur » et Mindfulness-based
années ont mis en évidence une modification de ceux du quatrième se contentant d’écouter un cancer recovery and
supportive expressive
l’activité cérébrale par la méditation. Avec des enregistrement audio d’une lecture de livre. Puis
therapy maintain
résultats fiables et stables, d’après Britta Hölzel, de toutes ces personnes étaient soumises à des sti- telomere length relative
l’université technique de Münich. On note une acti- muli douloureux. to controls in distressed
vation de l’hippocampe, qui réagit avec sensibilité Le groupe ayant pratiqué la pleine conscience breast cancer survivors,
au stress, ainsi que de l’amygdale et du cortex pré- a confié avoir ressenti moins de douleur que les Cancer, vol. 121,
frontal, essentiels à la régulation des émotions. trois autres, et le cerveau des participants de ce pp. 476-484, 2015.
Lorsqu’on apprend à se détendre, cela a forcément groupe traitait effectivement la douleur différem- L. E. Carlson et al.,
un impact sur le plan neurophysiologique. ment. Les zones cérébrales qui exercent un Randomized-controlled
Les effets exacts de la pleine conscience ne contrôle cognitif sur la perception de la douleur trial of mindfulness-
peuvent toutefois être entièrement démontrés étaient plus actives, notamment le cortex orbi- based cancer recovery
que grâce à ce qu’on appelle des essais randomi- tofrontal, l’insula et le cortex cingulaire anté- versus supportive
sés. Il s’agit alors de comparer différents groupes rieur. Le thalamus, parfois appelé « porte d’entrée expressive groiup
de participants tout en contrôlant d’autres fac- de la conscience », voyait au contraire son activité therapy among
teurs qui pourraient aussi produire les modifica- diminuer. Ce qui pourrait signifier que les stimuli distressed breast cancer
survivors (MINDSET) :
tions attendues. Dans l’idéal, il faut que les sujets douloureux n’accédaient pas intégralement aux
ong-term follow-up
testés ne sachent même pas à quel groupe expé- zones cérébrales corticales supérieures. Et en results, Psycho-
rimental ils appartiennent – ils sont alors testés conséquence, les participants ne semblaient pas Oncology, vol. 25,
« à l’aveugle », pour reprendre un terme du jargon les percevoir aussi puissamment. pp. 750-759, 2016.
spécialisé. Le neurobiologiste Fadel Zeidan, du Quoi qu’il en soit, selon Zeidan, de tels résul-
C. A. Lengacher et al.,
Centre médical baptiste de Wake Forest, aux tats ne sont pas si facilement transposables des Influence of
États-Unis, a mis au point, à dessein, une sorte personnes saines aux patients atteints de dou- mindfulness-based
de « pseudoméditation ». Les participants font des leurs chroniques. De même, les observations réa- stress reduction
exercices sans savoir que cela a à voir avec de la lisées par Carlson sur des patientes cancéreuses (MBSR) on telomerase
méditation. Il faut évidemment qu’ils soient tota- ne valent pas forcément pour tout le monde. activity in women with
lement novices en matière de méditation de L’hypothèse selon laquelle la pleine conscience breast cancer (BC),
pleine conscience. C’est une approche intéres- modérerait de façon très générale les effets néga- Biological Research
sante, selon Hölzel. La pseudoméditation corres- tifs du stress reste pourtant intéressante. for Nursing, vol. 16,
pond sur bien des points à une vraie méditation Malheureusement, les études plus précises pp. 438-447, 2014.
de pleine conscience, seuls les aspects attention- sont rares, déplore Carlson. En obtenir nécessite- F. Zeidan et al.,
nels sont absents. On épargnera ainsi aux parti- rait de mettre en place des essais randomisés Mindfulness
cipants l’observation de leur propre respiration. incluant un plus grand nombre de personnes meditation-based pain
relief employs different
Selon les études de Zeidan, la pleine saines, dont il s’agirait de suivre, pendant des
neural mechanisms
conscience atténue efficacement la douleur, en années, le risque de développer certaines mala- than placebo and sham
provoquant des modifications d’activité cérébrale dies. Évidemment, c’est cher et c’est long. « On ne mindfulness
spécialement en lien avec cet aspect. Pour le le ferait pas avec un cours de huit semaines », meditation-induced
montrer, il a divisé 75 participants en quatre certifie en tout cas Britta Hölzel. La neuroscien- analgesia, Journal of
groupes, ceux du premier s’exerçant à la pleine tifique, qui donne aussi des formations de MBSR, Neuroscience, vol. 35,
conscience, ceux du deuxième à de la pseudomé- en est persuadée : « La pleine conscience est plus pp. 15 307-15 325, 2015.
ditation, ceux du troisième recevant un placebo une attitude de vie qu’un entraînement. » £
Retour sur l’actualité 28 août 2018. En direct sur l’antenne de France Inter,
Nicolas Hulot claque la porte du gouvernement.
FABIEN GIRANDOLA
Professeur de psychologie sociale de la communication
à l’université d’Aix-Marseille.
Climat :
les raisons
de l’inaction L e mardi 28 aout 2018, coup de tonnerre
comportement. Encore
sieurs pays de la planète. En un mot, le pire défi
de l’humanité, qui ne peut plus s’accommoder de
la méthode des petits pas, pour reprendre l’ex-
tombe sur une belle liste de recherches en psychologie sociale et, plus globale-
ment, dans la communauté de chercheurs travail-
lant sur l’influence sociale. C’est ainsi que
Le 28 août 2018, Nicolas Une liste impressionnante Des leviers d’action ont
Hulot, secrétaire d’État de « biais » cognitifs nous récemment été identifiés
à la Transition écologique, handicape par la psychologie sociale.
démissionne du individuellement et La communication
gouvernement. Son collectivement pour faire engageante consiste ainsi
constat : impossible de ce qui s’imposerait à amener les personnes à
faire bouger les choses logiquement. Déni de s’engager, devant les
dans la situation actuelle, réalité, mise à distance autres, à faire des gestes
personne ne prenant la des enjeux futurs, simples pour la planète et
mesure de la catastrophe optimisme irraisonné, à être recontactées pour
à venir. Il exprime son incapacité à déroger à nos vérifier qu’elles tiennent
effarement devant habitudes : notre cerveau leurs engagements. Reste
l’indifférence générale semble peu armé pour à mettre en place un tel
face au « pire défi » de faire face à une menace dispositif à l’échelon
l’humanité. d’un genre nouveau. politique.
intergouvernemental sur l’évolution du climat, le psychologie sociale pour susciter ces comporte-
GIEC), pour sa campagne de sensibilisation et de ments proenvironnementaux ? Ces questions font
changement sur le réchauffement climatique. l’objet depuis une dizaine d’années d’une vaste
Ce film a été pris comme un outil important littérature scientifique bien connue des psycholo-
pour faire changer les mentalités, plusieurs pays gues sociaux travaillant dans le domaine de
l’ont utilisé comme documentaire auprès du grand l’environnement. Malgré un consensus scienti-
public mais aussi chez les plus jeunes dans de nom- fique sur la réalité et la gravité du changement
breuses écoles dans l’espoir de susciter de nou- climatique, le grand public ne montre pas d’inté-
veaux comportements favorables à la planète. rêt particulier pour passer aux actes. Cette résis-
A-t-il pour autant atteint l’objectif du changement ? tance se retrouve aussi dans tous les domaines
En 2010, une étude expérimentale de Jessica environnementaux : la maîtrise de l’énergie, la
Nolan, chercheuse en psychologie sociale à l’uni- propreté des lieux publics, le recyclage et le tri,
versité de Scranton aux États-Unis, montre que ce l’utilisation de pesticides, la protection des popu-
n’est pas vraiment le cas. Ce film permet d’acquérir lations face aux catastrophes naturelles et
une plus grande connaissance sur les causes et majeures, les risques environnementaux émer-
conséquences du changement climatique, les spec- gents, les modes de vie à faible émission de car-
tateurs disent même avoir l’intention de réduire bone. Au-delà des barrières et freins au change-
leur émission de carbone après la projection. ment environnemental déjà connus, quelques
Toutefois, une mesure des comportements envi- mécanismes permettent de mieux comprendre
ronnementaux chez ces mêmes spectateurs, un cette résistance chez le grand public.
mois après, ne révèle rien du changement de com-
portement attendu. Autant dire la difficulté d’obte- LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE,
nir, de la part du grand public, des comportements ÇA N’ARRIVE QU’AUX AUTRES !
en faveur de l’environnement lorsque ces derniers L’optimisme comparatif est un premier biais
sont promus notamment par des campagnes de cognitif qui nous induit en erreur. Il s’agit, en un
sensibilisation et d’information. mot, de la tendance à croire que les risques envi-
Quels sont donc les barrières et obstacles au ronnementaux sont plus graves pour les autres
changement ? Quelles sont les possibilités que que pour soi ! En effet, lorqu’on demande à des
nous offrent, par exemple, des sciences comme la personnes quel sera l’impact du changement
climatique sur elles-mêmes, elles répondent le plus D’autres mécanismes de résistance sont
souvent qu’elles seront probablement moins propres aux individus ne croyant pas du tout au
concernées que le reste de la population. Ce biais changement climatique. Ce climatoscepticisme,
a été constaté dans de multiples domaines, par qui fait l’objet d’études prolifiques aux États-Unis
exemple lorsqu’il nous est demandé d’évaluer le et en Europe, a pour principale caractéristique de
40 %
risque d’avoir un cancer : on juge toujours que le remettre en cause le consensus scientifique sur le
risque d’être frappé est plus faible pour soi-même changement climatique et, par conséquent, la
que pour le reste des personnes. C’est l’origine de réalité de ce changement. Les croyances et
l’expression « ça n’arrive qu’aux autres ». Et évi- connaissances sur le changement climatique ne
demment, on considère que les autres doivent sont pas uniformes : scientifiques, grand public et
faire plus pour lutter contre le réchauffement, DES CLIMATO décideurs ne basent pas leurs décisions et actions
parce qu’ils sont a priori plus directement touchés. environnementales sur les mêmes informations.
Mais le climat ne fait guère de distinctions...
- SCEPTIQUES Suzanne Clayton, du College of Wooster dans
Un autre obstacle psychologique au change- l’Ohio aux États-Unis, et ses collaborateurs ont
ment d’attitude est le déni. Une stratégie large- montré en 2015 que ces décisions et actions sont
invoquent l’existence
ment inconsciente que nous déployons pour faire d’un complot visant en partie formatées par l’appartenance politique
face à des informations menaçantes : on préfère à faire croire au des individus, leur statut socioéconomique, leur
alors nier la réalité plutôt que de changer de style réchauffement accès aux médias, leur expérience personnelle,
ou de mode de vie. S’y ajoute l’effet de mise à climatique. leurs valeurs et leur niveau de compréhension
distance temporelle, le changement climatique scientifique.
étant souvent perçu comme une menace distante,
difficile à situer dans un lointain futur. Cette dis- LE CLIMATOSCEPTICISME,
tance psychologique rend difficile la perception UN MARQUEUR D’IDENTITÉ SOCIALE
du changement immédiat et tangible. Ce qui Du point de vue psychosocial, les climatoscep-
diminue évidemment la prise en considération tiques ont une identité sociale, des croyances, des
des conséquences de nos actions présentes. réactions émotionnelles et des cadres d’interpré-
tation bien particuliers, en tout point différents
UNE CAPACITÉ ÉTONNANTE que ceux ne remettant pas en cause la réalité du
À NE PAS VOIR LA RÉALITÉ EN FACE changement climatique. Ana-Maria Bliuc, de l’uni-
Évidemment, quand on parle de réticence au versité Monash en Australie, et ses collègues ont
changement, on se heurte à une donnée humaine montré en 2015 que l’identité sociale climatoscep-
puissante : les habitudes. Les études de psycholo- tique leur permet une prise de position, voire une
gie sociale montrent que la part des habitudes mobilisation politique, rapide face à ceux qui
dans nos vies est un très fort prédicteur de la croient et défendent le changement climatique.
susceptibilité au changement. Autrement dit, les Ainsi, toute tentative de persuasion, visant à
individus ayant de fortes habitudes dans leurs démontrer la réalité du changement climatique
styles de consommation et dans leur mode de vie
ne sont guère réceptifs aux messages présentant
des menaces environnementales, comparées aux Habitudes, inertie, déni,
procrastination... la liste est
personnes dont le style de vie est peu imprégné
d’habitudes. Ils résistent au changement proposé
en procédant à une exposition sélective à l’infor-
mation, c’est-à-dire qu’ils recherchent activement longue des défauts cognitifs qui
les informations allant dans le sens de leurs opi-
nions, attitudes et comportements, tout en évi-
nous plombent face au climat.
tant celles qui ne vont pas dans ce sens. Par
exemple, une personne ayant l’habitude de faire sur la base de preuves scientifiques, engendre sou-
beaucoup de route avec une grosse cylindrée peut vent un déni massif de leur part en vue de protéger
avoir tendance à chercher des informations – sur cette identité communément partagée et, au-delà,
Internet, notamment – suggérant que le réchauf- un effet boomerang avec une radicalisation des
fement climatique est modéré, ou pas vraiment opinions et actions contre la réalité du change-
d’origine humaine, voire une pure invention, ment climatique. Matthew Hornsey, de l’université
pour ne pas dire un complot ; et dans le même de Queensland en Australie, et ses collaborateurs
temps, cette personne va éviter de se trouver ont montré en 2016 qu’aux États-Unis l’apparte-
exposée à des arguments scientifiques montrant nance politique est même un prédicteur du clima-
la force du changement climatique. toscepticisme : les républicains extrémistes et leurs
CONVAINCRE UN CLIMATOSCEPTIQUE :
MISSION IMPOSSIBLE ?
Comment penser globalement le changement
pour le grand public dans le cadre de l’environne-
ment et les comportements qui y sont associés ?
Comment aborder plus particulièrement le clima-
toscepticisme chez les plus intransigeants ?
Plusieurs théories et concepts psychosociaux
électeurs (par exemple : Donald Trump, Sarah apportent quelques éléments de compréhension.
Selon Donald Trump, Palin) expriment plus fréquemment et intensé- En 2015, Wesley Schultz, de l’université de San
le réchauffement de la
planète serait un mythe ment des croyances climatosceptiques que des Diego, et Florian Kaiser, de l’université de
inventé par les Chinois républicains modérés ou encore des démocrates. Magdeburg en Allemagne, ont énuméré les
pour porter préjudice Cette identité sociale politique se double de carac- concepts et techniques possibles pour provoquer
à l’économie américaine.
Le climatoscepticisme téristiques individuelles comme la culture indivi- des changements de comportements vis-à-vis de
complotiste est plus dualiste et l’adhésion à l’économie de marché. l’environnement. Leur idée est de susciter les
qu’une vision du monde,
c’est un marqueur actions proenvironnementales en faisant appel à
politique qui confère LE COMPLOT, FAILLITE MENTALE ORGANISÉE différents types de motivations. Soit une motiva-
de l’unité et une identité Comment s’exprime alors, chez les plus scep- tion égoïste, basée sur des arguments allant dans
sociale à une frange
de l’électorat. tiques, le déni du changement climatique ? Selon le sens de l’intérêt personnel de la personne (par
Nicholas Smith et Anthony Leiserowitz de l’univer- exemple, faire des économies dans le cadre de la
sité Yale, quelque 40 % des réponses des climatos- maîtrise de l’énergie…) ; soit une motivation
ceptiques font référence à des théories du complot. sociale et altruiste, traduisant l’appartenance de
Le changement climatique serait une fable inven- la personne à un groupe et son désir de s’engager
tée par des intérêts obscurs, souvent étrangers, dans des actions responsables et sociétales (par
pour enrayer l’économie (le plus souvent, améri- exemple, un engagement public et le recours à des
caine). On se souvient de Donald Trump déclarant normes sociales pour valoriser cet engagement) ;
que le changement climatique était une invention soit encore une motivation biosphérique, partie
pure et simple du gouvernement chinois pour nuire prenante du désir de s’engager dans des actions de
à la croissance américaine. À côté des complots, protection de l’environnement et de la nature (il
d’autres motifs invoqués sont « la mode », « les s’agit ici de stimuler des attitudes favorables à
études scientifiques douteuses » ou une contesta- l’environnement, des normes personnelles, des
tion de l’origine humaine du réchauffement. valeurs, une éducation à l’environnement). En ce
Face à ce déni des signaux d’alerte adressés par qui concerne plus spécifiquement les individus cli-
les scientifiques, on peut raisonnablement penser matosceptiques, Paul Bain de l’université de
que ces derniers, du fait qu’ils travaillent précisé- Queensland en Australie et ses collègues ont mon-
ment à dévoiler les causes et les effets du change- tré en 2015, dans une étude réalisée dans 14 pays
ment climatique, soient parmi les premiers à mon- sur plus de 900 participants, tout le bénéfice de
trer le chemin, à respecter par exemple les privilégier les arguments portant sur la cohésion
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IMPÉRATIVEMENT UN RIB Partie réservée au service abonnement. Ne rien inscrire
76 ÉCLAIRAGESPsycho citoyenne
CORALIE CHEVALLIER
ET NICOLAS BAUMARD
Chercheurs en sciences comportementales
au Laboratoire de neurosciences cognitives
de l’École normale supérieure (ENS).
Docteur,
votre patient est mort
Faire remonter cette information est décisif
pour faire prendre conscience à un médecin
qu’il n’aurait pas dû prescrire un médicament.
D’après CDC/NCHS, National Vital Statistics System, Mortality. CDC Wonder, Atlanta, GA: US Department of Health and Human Services, CDC; 2016.
Une stratégie qui est en train d’enrayer le fléau
des morts d’overdoses par opioïdes prescrits
médicalement aux États-Unis.
Pour limiter cette crise et réduire le partie des médecins (le groupe témoin) Contrairement à l’approche pure-
nombre de personnes dépendantes, les recevait une lettre rappelant les dangers ment légale, cette stratégie ne repose
autorités américaines cherchent depuis des opioïdes, une autre partie recevait la pas sur la coercition. Les médecins
plusieurs années à limiter les prescrip- même lettre accompagnée d’un texte les peuvent continuer à prescrire des
tions d’opioïdes. Notamment en enca- informant que l’un des patients auxquels opioïdes quand ils le jugent nécessaire et
drant davantage leur prescription par un ils avaient prescrit des opioïdes était mort ne sont pas pénalisés en cas de surpres-
contrôle plus étroit des médecins et des d’une overdose. cription. Autre avantage : ne pas néces-
pharmaciens. Entre 2006 et 2012, plus de siter un long processus politique pour
81 lois sont entrées en vigueur dans les OUVRIR LES YEUX DES MÉDECINS faire passer une nouvelle loi, ni la mise
divers États américains. Sans faire recu- L’idée des auteurs, on l’a compris, en place de procédures de contrôle coû-
ler le nombre de morts par overdose. était d’agir sur la perception du danger teuses en temps et en personnel.
Si contrôler est inutile, que faire ? des opioïdes. En effet, il est bien connu Au-delà de la crise américaine des
Activer d’autres leviers de la psychologie qu’un message à fort contenu émotionnel, opioïdes, cette expérimentation montre
humaine, évidemment. Première tenta- plus récent, et sous un format facile à que les médecins ajustent leur comporte-
tive : cibler les médecins les plus pres- retenir (la mort d’une personne connue) ment lorsqu’ils ont des retours sur le deve-
cripteurs (ceux qui prescrivaient plus a un impact plus important sur la prise de nir de leurs patients. N’oublions pas que
que 99 % des autres médecins), et les décision. Par ailleurs, les auteurs fai- les patients qui reviennent sont générale-
informer que leur pratique dévie très saient l’hypothèse que les praticiens ont ment ceux pour qui les choses se passent
fortement de celle de leurs collègues. une vision biaisée du danger des opioïdes. bien. Si une personne disparaît de sa
Hélas, après évaluation, l’approche s’est Ils ne voient que les patients qui sup- patientèle, le médecin n’a pas toujours les
révélée inopérante. portent bien ces médicaments puisque ce moyens de savoir si c’est parce qu’elle était
Jason Doctor et ses collègues de l’uni- sont eux qui reviennent les voir. Ceux qui insatisfaite et se trouvait mieux soignée
versité de Californie du Sud ont alors meurent par overdose ne reviennent ailleurs, parce qu’elle a déménagé ou, plus
tenté une autre approche. Ils ont examiné pas… Les informer de la mort d’un dramatiquement, parce qu’elle est décé-
les dossiers médicaux de 220 personnes patient pouvait ainsi rééquilibrer leur dée. Le cas des États-Unis montre qu’il
décédées par overdose dans le comté de vision du danger réel de ces molécules. serait peut-être avisé d’améliorer le niveau
San Diego entre le 1er juillet 2015 et le Cela a fonctionné. Une baisse de près d’information disponible pour les méde-
30 juin 2016, et ont identifié les 861 méde- de 10 % des prescriptions d’opioïdes a été cins et, comme toujours, d’évaluer à quel
cins qui avaient prescrit des opioïdes à constatée parmi les médecins ainsi sensi- point leurs comportements changent en
une ou l’autre de ces personnes. Une bilisés, et même plus pour les fortes doses. conséquence. £
L’angoisse
de l’occasion
manquée
Par Theodor Schaarschmidt, psychologue et journaliste scientifique.
V
une angoisse spécifique, la Fomo.
ous n’avez pas entendu parler EN BREF l’agence JWT dans les pays anglophones, cela
de la Fomo ? Sans vouloir être désagréable, vous arrive au moins épisodiquement à environ 40 %
££Les réseaux
devez être un peu largué. Et si cela vous inquiète sociaux multiplient d’entre eux… Pour les tranches d’âge situées au-
d’être largué, cet article est fait pour vous. Car la les invitations à des fêtes, dessus de 50 ans, la proportion est de 11 %.
peur d’avoir raté un épisode porte un nom, et est des événements, Les psychologues expliquent cette différence
presque devenue un syndrome psychiatrique. On des ventes… liée à l’âge par l’importance énorme qu’ont prise
l’appelle Fomo – en anglais, fear of missing out, ou Or on ne peut être les réseaux sociaux parmi les jeunes générations.
qu’à un endroit à la fois.
« peur de rater quelque chose ». Des plateformes comme Facebook, Instagram ou
Certes, le terme est relativement nouveau. ££Pour les jeunes Twitter instilleraient alors une peur latente de
Mais la chose ne l’est pas tout à fait. On ne peut confrontés à ce dilemme, « ne pas être dans le coup ».
pas être au four et au moulin, dit l’adage. Vous il en résulte une peur En principe, ces réseaux sont censés aider les
parfois maladive
êtes invité à deux mariages à la fois ? Vous ne de rater quelque chose utilisateurs à nouer des contacts, se tenir au cou-
pouvez pas danser à l’un et à l’autre. Et dès l’ins- d’important. rant de ce qui se passe et avoir part dans une cer-
tant où vous vous êtes décidé pour le premier, taine mesure à la vie des autres, même en dépit de
vous faites une croix sur le second. Mais il se peut ££Le mécanisme longues distances. Mais le flux d’information qui
le plus insidieux vient
que le doute s’insinue : si c’était justement à de la structure même défile sur les réseaux sociaux propose en réalité
l’autre qu’on s’amuse le plus ? Si, le lendemain, des réseaux sociaux : une quantité incontrôlable d’images, d’alertes de
tout le monde ne parle que de cette fête – mais nos amis y ont statut et d’annonces d’événements à venir. Des
oui, vous savez, celle où vous n’étiez pas ? statistiquement plus dispositifs technologiques comme le défilement
Les jeunes sont les premiers à se ronger les d’amis que nous-mêmes. sans fin (vous faites défiler des messages, des
sangs à l’idée que des événements vraiment cool annonces ou de courts articles sur votre smart-
puissent avoir lieu sans eux. Selon une étude de phone d’un simple mouvement du doigt, sans que
jamais la liste n’arrive à son terme) font tant et si tombe en panne ou n’est pas à portée de main, et
bien qu’il s’ajoute en permanence de nouveaux qu’ils deviennent alors, pour un laps de temps,
contenus, sans qu’il soit humainement possible de impossibles à contacter…
les passer en revue ou d’en venir à bout. À l’arri- D’après une expérience du chercheur améri-
vée, la masse d’information débitée par les réseaux cain spécialiste des médias, Russell Clayton, les
sociaux constitue une arme à double tranchant. utilisateurs de smpartphone les plus assidus
Car le temps que nous avons à vivre est limité ; il deviennent nerveux dès qu’ils n’ont plus leur
est inévitable que nous passions à côté de certaines appareil, fût-ce pour quelques minutes. Clayton
choses pourtant alléchantes sur le papier. Et et ses collaborateurs ont réuni, sous un faux pré-
devant les innombrables alertes de statut concer- texte, des volontaires dans leur laboratoire, leur
nant d’autres personnes, notre propre existence disant qu’il s’agissait de tester un appareil mesu-
peut vite paraître fade et triste. rant la tension artérielle. Équipés d’une ceinture
Le psychologue britannique Andrew électronique, les participants à cette petite expé-
Przybylski, de l’Institut d’Internet d’Oxford, a été rience devaient alors résoudre des énigmes ver-
l’un des premiers chercheurs à étudier et à définir bales. Le hic : on avait enlevé à la moitié de ces
ce phénomène de façon empirique. Ses recherches personnes leur téléphone avant le début de
ont montré que les personnes qui souffrent le plus l’épreuve, en arguant que ces appareils pouvaient
de ce phénomène sont essentiellement les jeunes interférer avec le dispositif de mesure médicale.
hommes insatisfaits de leur vie. Pour Przybylski, Le smartphone était alors posé bien en vue sur
la Fomo est une charnière entre l’insatisfaction
de soi et l’utilisation des réseaux sociaux. C’est
lorsqu’on ne parvient pas à remplir ses propres
besoins de proximité humaine et d’affiliation, que
l’on commencerait à craindre de passer à côté de
choses importantes, et à passer de plus en plus de
temps en ligne.
40 %
ne sont pas très démonstratifs. Et puis, l’effet
observé est ambigu : qui sait si c’est la séparation
d’avec leur smartphone, et non le bruit de la son-
nerie, qui les a déconcentrés ? Pour Clayton, cette
étude laisse poindre la possibilité que le smart-
phone deviendrait une sorte de prolongement du
Soi, un « iSoi », comme il l’appelle. Il faudra être à DES JEUNES DE 19 À 24 ANS
l’affût de preuves incontestables de cette théorie. seraient sujets, au moins occasionnellement, à des accès de Fomo,
éprouvant une angoisse d’être laissés à la traîne d’un mouvement ou d’être absents
LES AMIS DE MES AMIS… SONT d’un événement où se rendraient leurs pairs. Source : enquête JWT mARS 2012.
PLUS NOMBREUX QUE MES AMIS !
De toute façon, la Fomo existe aussi sans
smartphone ni Facebook. Le journal suisse Tages-
Anzeiger a pour slogan : « Ne rien rater ». Des De manière analogue, le statisticien améri-
livres ont pour titre : Mille Endroits à voir avant cain Nathan Hodas, du laboratoire national de
de mourir, ou : Mille et un Films à voir absolument, Northwest Pacific, a identifié ce qu’il appelle le
tant que vous êtes en vie. Des injonctions qu’il est paradoxe de l’activité, pour désigner le fait que
évidemment impossible de suivre. Même certains nos contacts sur la toile sont en moyenne plus
spots publicitaires exploitent la Fomo. Sur une actifs que nous-mêmes. Le travail de Hodas ?
vidéo en ligne pour la marque de bière Heineken, Avoir analysé, avec ses collègues, l’activité de
qui se veut une mise en garde contre les dangers plus de 3,4 millions d’utilisateurs de Twitter sur
de l’alcool immodéré, un jeune homme manque une période de deux mois. L’analyse a révélé que
l’occasion de faire connaissance avec une femme 88 % de tous les utilisateurs étaient moins actifs
superbe parce qu’il a trop bu. Décidément, qu’est- que la moyenne des usagers aux comptes des-
ce qu’on manque… quels ils étaient abonnés ! Tout simplement parce
Que se passe-t-il alors si la peur de rater que, sur Twitter, les internautes les plus actifs ont
quelque chose devient tyrannique et prend le le plus d’abonnés (ou followers).
Bibliographie
contrôle de vos pensées et de vos gestes ? Y a-t-il
moyen de la combattre ou de s’en prémunir ? LA VIE DES AUTRES EST SI INCROYABLE !
I. Beyens et al., I don’t
D’après la sociologue américaine Martha Beck, Si ce n’était qu’une affaire de nombre ! Mais
want to miss a thing :
qui a fait elle-même l’expérience de la Fomo, il y Adolescents’fear c’est aussi le type d’informations sur la vie des
a derrière tout cela une bonne dose d’autodupe- of missing out and autres qui nous semble plus intéressant que ce que
rie. Il s’agirait avant tout de prendre conscience its relationship nous avons à dire de la nôtre. Sur les réseaux
que la vie fabuleuse que l’on croit manquer to adolescents’social sociaux, les gens partagent essentiellement des
n’existe tout simplement pas. needs, Computers moments merveilleux, étonnants ou enthousias-
Ces déformations de la perception découlent in Human Behavior, mants – extraordinaires. Des extraits choisis de
en grande partie de l’architecture des réseaux vol. 64, pp. 1-8, 2016. voyages au bout du monde, des fêtes du tonnerre
sociaux. On appelle « paradoxe de l’amitié » le fait J. Elhai et al., Fear ou des succès professionnels. Pour reprendre les
que nombre de personnes se considèrent comme of missing out, need mots de la sociologue Martha Beck, de l’université
étant de moindre importance que leurs propres for touch, anxiety and de Harvard, juger les expériences d’autrui sur la
amis. Un utilisateur de Facebook est, en moyenne, depression are related base de ces images triées sur le volet équivaudrait
ami avec 190 personnes, à en croire une analyse to problematic à regarder le monde à travers des lunettes ne lais-
statistique du réseau social réalisée à l’université smartphone use, sant voir que les plus hautes cimes de l’existence.
Computers in Human
de Palo Alto. Mais l’ami d’un utilisateur quel- On a vite fait d’oublier que le quotidien de bien des
Behavior, vol. 63,
conque du réseau totalise en moyenne 635 amis, pp. 509-516, 2016. gens est loin d’être aussi palpitant que ne le lais-
soit plus de trois fois plus ! Cette différence ne livre serait croire leur présentation en ligne.
pas, à première vue, d’enseignement très clair. R. B. Clayton et al., « La plupart d’entre nous passent plutôt une
The extended iSelf :
Pourtant, elle devient éclairante lorsqu’on songe grande partie de leurs journées à chercher leurs
the impact of iPhone
que les utilisateurs ayant un large réseau, du separation on clés de voiture », s’amuse Beck. Des moments
simple fait qu’ils ont beaucoup d’amis, ont aussi cognition, emotion, aussi prosaïques ne sont pas de ceux qu’on met
une probabilité plus élevée d’être votre ami aussi. and physiology, Journal en avant sur les plateformes des réseaux sociaux.
Ainsi, quand vous avez l’impression que la plupart of Computer-Mediated Son conseil ? « Arrêtez de croire que les images
de vos contacts en ligne sont plus appréciés que Communication, vol. 20, qui apparaissent sur votre écran sont le reflet de
vous, cela tient principalement à la structure pp. 119-135, 2015. vies trépidantes ou d’occasions à côté desquelles
intrinsèque des réseaux. vous ne feriez que passer… » £
Nul en
statistiques ?
C’est normal !
Par Daniela Ovadia, journaliste scientifique et chercheuse à l’université
de Pavie, en Italie.
V
Grossière erreur, mais vous n’êtes pas seul à vous
tromper. Notre cerveau est mauvais en probabilités
à cause de différents biais de pensée.
oici deux heures que Pierre EN BREF la ville célèbre pour ses casinos. Ce biais consiste
est attablé face à la roulette. La chance n’est pas ££Vous avez eu à croire que si un événement s’est produit plus fré-
avec lui : il a déjà perdu beaucoup… Pour essayer trois garçons d’affilée quemment qu’on ne s’y attend durant une période
de se refaire, il décide de changer de stratégie. et pensez avoir une fille déterminée, il aura lieu moins souvent durant la
Au lieu de miser sur les numéros, qui rapportent à la prochaine grossesse ? période suivante, et vice versa.
davantage mais sont plus difficiles à deviner, il Non, une famille n’est
pas un échantillon
parie désormais sur le rouge, sa couleur porte- représentatif de la L’ERREUR DU PARIEUR : CROIRE
bonheur. Si le rouge sort, il empoche le double population générale. QU’UN TIRAGE INFLUE SUR LE SUIVANT
de sa mise, ce qui limitera ses pertes. Mais ce C’est aussi le raisonnement que nous tenons
soir, rien ne va plus : en une demi-heure, le noir ££Ce biais dit quand nous pensons avoir plus de chances de
de représentativité,
sort quatorze fois de suite, et le rouge seulement ainsi que l’erreur gagner au loto si la cagnotte n’a pas été remportée
deux fois. Pierre ne renonce pas pour autant et du parieur – qui croit depuis longtemps ; d’ailleurs, cette erreur est si
continue à parier sur le rouge : « Le noir est sorti qu’un événement qui commune que les mises augmentent à mesure que
tellement souvent que maintenant, c’est sûre- n’a pas eu lieu depuis la date de la dernière victoire s’éloigne (et que
longtemps va se produire
ment au tour du rouge ! » bientôt –, et d’autres s’accroît le montant de la cagnotte). Pourtant, dans
Si l’infortuné joueur est convaincu que la encore rendent nos le cas de la roulette, l’éventualité que sorte le rouge
chance doit tourner, c’est qu’il s’appuie sur un rai- raisonnements faux. ou le noir est absolument imprévisible, car les dif-
sonnement probabiliste erroné, mais très répandu, férentes tentatives sont indépendantes les unes des
notamment chez les amateurs de jeux de hasard : autres. À chaque lancer, la probabilité de tomber
les chercheurs l’ont d’ailleurs appelé l’erreur du sur le rouge ou le noir est la même, égale à 50 % :
parieur ou sophisme de Monte-Carlo, du nom de ce qui se produit durant un tour n’influence en
aucune façon ce qui se passera au tour suivant. De problème inférentiel – à savoir une estimation sta-
même, rien n’exclut que la cagnotte du loto soit tistique qui détermine les caractéristiques d’une
remportée deux fois de suite, lors de deux tirages population à partir de l’observation d’un échantil-
consécutifs totalement indépendants. lon de celle-ci – à un jugement particulièrement
L’erreur du parieur est l’un des mécanismes simple, reposant souvent sur des similarités. En
mentaux caractéristiques de notre cerveau pro- d’autres termes, nous calculons en général la pro-
babiliste, c’est-à-dire de la façon dont nous éva- babilité d’un événement en fondant notre jugement
luons les probabilités. En fait, nous ne dévelop- sur un nombre limité d’éléments que nous considé-
pons pas naturellement un don pour le calcul rons comme représentatifs d’une population.
statistique, à moins d’être entraînés à déjouer ou Expliquons un peu mieux ce biais de représen-
inhiber nos propres automatismes mentaux. tativité à partir de l’expérience mise au point par
Même si elle a été « théorisée » seulement dans
les années 1970, l’erreur du parieur est un piège
bien connu. Le mathématicien Pierre-Simon de
Laplace l’évoquait déjà en 1796, lorsqu’il décrivait
dans son Essai philosophique sur les probabilités
l’angoisse d’un futur père qui espérait que son
enfant soit un garçon : « J’ai vu des hommes dési-
rant ardemment d’avoir un fils, n’apprendre Nous n’avons pas un don
naturel pour le calcul
qu’avec peine les naissances des garçons dans le
mois où ils allaient devenir pères. S’imaginant que
le rapport de ces naissances à celles des filles
devait être le même à la fin de chaque mois, ils probabiliste, à moins d’être
jugeaient que les garçons déjà nés rendaient plus
probables les naissances prochaines des filles. »
entraînés à déjouer ou inhiber
Une variante de ce mécanisme mental décrit nos propres automatismes
mentaux.
par Laplace met en scène un couple qui, après avoir
eu plusieurs enfants du même sexe, continue à pro-
créer, convaincu qu’en augmentant la taille de sa
famille, celle-ci finira par refléter la fréquence des
deux sexes dans la population générale. Mais ce ne Tversky et Kahneman en 1973. Les deux cher-
sera évidemment jamais le cas, car une famille, cheurs rédigent le profil psychologique d’un étu-
même nombreuse, représente un échantillon trop diant imaginaire, Tom W. Un groupe de volontaires
petit pour être statistiquement significatif. doit ensuite déterminer le degré de ressemblance
de Tom avec le profil de l’étudiant type de neuf
UN PETIT ÉCHANTILLON REPRÉSENTE facultés, dont celles de droit, d’ingénierie et des
RAREMENT L’ENSEMBLE métiers des archives, la spécialité des bibliothé-
Le sophisme de Monte-Carlo repose ainsi sur caires. Un autre groupe établit la probabilité que
un biais bien connu : la loi des petits nombres, Tom appartienne à chacune de ces neuf facultés.
selon laquelle même un échantillon de petite taille Et enfin, un troisième groupe évalue quel est le
serait représentatif du groupe dans son entier. pourcentage de représentation des neuf facultés
Dans le cas de Pierre à la roulette, une observation parmi les étudiants du campus, en déterminant
beaucoup plus longue des lancers et une analyse combien de jeunes sont inscrits dans chaque filière.
précise de la fréquence d’apparition du rouge et du Voici comment Tversky et Kahneman décrivent la
noir permettent de démontrer ce que nous savons personnalité de Tom : « Tom est très réservé et très
tous rationnellement : sur un temps prolongé, les timide. Il est toujours prêt à aider les autres, mais
deux événements se produisent avec une probabi- il évite de se retrouver dans des groupes trop nom-
lité identique de 50 % chacun. breux et préfère les endroits silencieux… »
Amos Tversky et Daniel Kahneman, lauréats du Après avoir lu ce profil, la majorité des volon-
prix Nobel d’économie en 2002, sont les pères de taires du deuxième groupe décide que Tom est un
l’heuristique ; cette discipline étudie justement les bibliothécaire. S’ils avaient réfléchi davantage, ils
raccourcis mentaux qui facilitent, mais parfois auraient compris que la probabilité que Tom soit
aussi polluent, nos décisions. Ainsi, les économistes effectivement inscrit à la faculté des métiers des
ont attribué des erreurs comme celle du parieur à archives est en réalité très faible, les étudiants de
l’heuristique de représentativité : il s’agit d’un rac- cette université étant les moins représentés sur le
courci de pensée qui réduit la solution d’un campus, comme l’a calculé le troisième groupe.
Pourtant, la plupart des volontaires reposent leur accident nocturne. Deux compagnies de taxis, la
estimation sur le principe de similarité : quelles Verte et la Bleue, opèrent en ville : 85 % des voi-
sont les caractéristiques d’un bibliothécaire ? Une tures sont affiliées à la compagnie Verte, 15 % à
personnalité contemplative et silencieuse, natu- la Bleue. Un témoin identifie le taxi impliqué
rellement ! Comme Tom. dans la collision comme appartenant à la compa-
gnie Bleue. Le tribunal teste la fiabilité de cette
1 %
NOUS JUGEONS QUE C’EST SIMILAIRE, personne dans les mêmes conditions que la nuit
ET DONC PROBABLE de l’accident et conclut que ce témoin est en
L’information la plus importante pour calcu- mesure d’identifier correctement les deux cou-
ler la probabilité demandée par Tversky et leurs dans 80 % des cas, et se trompe dans 20 %
Kahneman est le nombre d’étudiants par domaine des cas. Quelle est la probabilité que le taxi en
d’étude. Mais lorsqu’il doit résoudre ce type de DE RISQUE faute soit effectivement bleu, sachant que le
problème, le cerveau humain, au lieu de vérifier D’ÊTRE MALADE témoin a affirmé qu’il l’était ?
la fréquence d’un événement donné ou d’une cer- La majorité des participants à cette expé-
taine situation, préfère utiliser des jugements de rience avance un résultat supérieur à 50 %, voire
similarité, bien plus faciles d’accès. Pourtant, le test 80 %. Mais la probabilité réelle, calculée avec le
Parfois, le biais de conjonction vient s’ajouter diagnostic que vous avez théorème de Bayes, est beaucoup plus faible : les
au biais de représentativité, comme le montre fait est fiable à 99 % chances que le témoin identifie correctement un
l’expérience simple qui suit. Un groupe de per- et il s’est révélé positif… taxi bleu ne sont que de 12 % (15 % de 80 %). La
sonnes est invité à écouter l’histoire de Linda, Mais comme la maladie possibilité que cette personne se trompe et croie
dont vous souffririez est
32 ans, célibataire, indépendante et titulaire d’un que le taxi est bleu alors qu’il est vert est de 17 %
rare, de 1 cas sur 10 000,
master en philosophie politique. Linda est décrite vous avez toujours peu (20 % de 85 %). Il y a alors 29 % de chances (12 %
comme étant très concernée par les thèmes de de risques d’être atteint. plus 17 %) que le témoin identifie le taxi comme
justice sociale, au point de participer souvent à bleu et 41 % (12 % divisés par 29 %) que le taxi
des manifestations. On demande aux volontaires identifié comme bleu le soit effectivement.
s’il est plus probable que Linda soit une employée
de banque ou une employée de banque et une UNE SURÉVALUATION DES BÉNÉFICES
militante féministe. Cet exercice relativement simple de statis-
Résultat : 90 % des volontaires à cette expé- tique souligne à quel point le raisonnement exact
rience choisissent la seconde option. Pourtant, diffère du jugement instinctif que nous adoptons
cela va totalement à l’encontre d’une des règles dans la plupart des cas. Or, bien que relativement
fondamentales du calcul probabiliste : l’occur- connus, le sophisme de Monte-Carlo et le biais de
rence simultanée de deux événements non liés représentativité sont des erreurs que nous com-
entre eux – il n’y a aucune relation directe entre mettons souvent… Pourtant, elles sont particu-
le fait de travailler dans une banque et le fait lièrement redoutables : elles affectent l’évalua-
d’être féministe – ne peut pas être plus probable tion des risques et des dangers, conduisant à
que chacun des deux événements pris séparé- surestimer les bénéfices attendus, qui n’arrive-
ment. Mais nous avons tendance à « additionner » ront jamais, et à sous-estimer les inconvénients,
les probabilités de deux faits conjoints. qui sont en fait plus probables.
Dans une autre expérience, Tversky et Ce constat prend tout son sens dans le
Kahneman révèlent combien il est difficile, pour domaine de la médecine. Si un spécialiste réalise
notre cerveau, d’utiliser des modèles de probabi- un test diagnostic pour une maladie fiable dans
lité bayésiens, qui font appel comme leur nom 99 % des cas, mais que cette pathologie a une
l’indique au théorème de Bayes, un instrument prévalence dans la population d’un cas sur
statistique qui décrit la probabilité d’un événe- 10 000 personnes, un patient ayant un résultat
ment en fonction des connaissances dont on dis- positif au test n’aurait que 1 % de risques d’être
pose sur les conditions liées à cet événement. réellement malade… Pourquoi ? Car le nombre
Bibliographie
Cette façon de calculer les probabilités est utile de cas de figure où vous pourriez ne pas avoir la
lorsque nous désirons évaluer des inférences, maladie est si important, que même avec un taux
A. Tversky
c’est-à-dire quand la précision du calcul probabi- d’erreur de 1 %, le risque que le médecin se
et D. Kahneman,
liste augmente à mesure que nous obtenons des Judgement under trompe est élevé. Comme souvent, le résultat
informations supplémentaires sur les conditions uncertainty : Heuristics n’est pas intuitif : le test est fiable (bien plus que
dans lesquelles l’événement se vérifie. and biases, Science, ceux auxquels nous sommes réellement soumis
Dans leur expérience, les deux économistes vol. 185, pp. 1 124-1 131, dans la vie !), mais si la maladie est rare, la pro-
interrogent un groupe de volontaires sur le pro- 1974. babilité d’être effectivement malade une fois dia-
blème suivant. Un taxi est impliqué dans un gnostiqué reste très faible. £
SANTÉ
Pourquoi se sent-on
bien après le sport ?
Source : M. L. Lehmann et M. Herkenham, Environmental Enrichment Confers Stress Resiliency to Social Defeat through an Infralimbic Cortex-Dependent Neuroanatomical Pathway, Journal of Neuroscience, vol. 31, pp. 6159-6173, 2011.
LA RÉPONSE DE
JEANNINE STAMATAKIS
O
Psychologue et maîtresse de conférences au City College de Berkeley, à San Francisco.
résistance au
que celles qui restent tout le temps dans le cerveau des rongeurs, les biologistes
leur fauteuil. Et six semaines de vélo ou ont en outre constaté que le cortex pré-
de salle de sport, ne serait-ce qu’une ou
deux heures par semaine, ont des effets stress et stimule frontal médian des souris entraînées,
ainsi que leur amygdale – deux régions
profonds, à en croire des chercheurs du
College américain de la médecine du
le cerveau cérébrales impliquées dans le traitement
des émotions – étaient particulièrement
sport, à Indianapolis. Cela réduirait déjà
le stress et la tension de patientes souf-
émotionnel. actifs. Les animaux qui n’avaient pas eu
la possibilité de se défouler dans la roue
frant de troubles anxieux. ne présentaient aucune augmentation
Mais quel rôle joue exactement cette dernière s’est constamment tenue d’activité dans ces régions.
l’exercice physique dans la diminution terrée dans un coin. Des effets similaires sont peut-être à
du stress ? En 2011, deux scientifiques, Mais lorsque les expérimentateurs l’œuvre dans le cerveau des humains
Illustration : Shutterstock.com/MoQcCa
Michael Lehmann et Miles Herkenham, ont laissé aux animaux la possibilité de soumis au stress quotidien lorsqu’ils
de l’institut national de la santé de se défouler dans une roue tournante, la décident de faire du footing, de la nata-
Bethesda, aux États-Unis, ont voulu en souris persécutée arrivait bien mieux à tion ou du vélo. Voire, toute forme d’acti-
avoir le cœur net. Ils ont réalisé des surmonter son stress. Certes, elle conti- vité qui permet de mettre le corps en
expériences en plaçant dans une même nuait à se comporter de façon soumise action. Même des promenades en forêt,
cage une souris timide et une autre vis-à-vis de sa congénère, mais elle récu- dans les champs, sont des moyens d’aug-
agressive. La seconde n’a pas cessé de pérait bien mieux des épisodes agressifs : menter notre pouvoir de récupération. Il
houspiller la première, au point que elle était moins anxieuse (elle n’y a pas d’excuse : à vos baskets ! £
NICOLAS GUÉGUEN
Directeur du Laboratoire d’ergonomie
des systèmes, traitement de l’information
et comportement (LESTIC) à Vannes.
EXCUSEZ-MOI !
De l’intérêt de demander pardon
On a tout à gagner à s’excuser : on est alors perçu
comme plus chaleureux, sensible et intelligent.
C’est aussi un signe de bonne santé mentale, car
«J
ceux qui s’excusent ont une bonne estime de soi.
’ai menti à tout le monde, y EN BREF Nadler, de l’université de Tel Aviv, en Israël, ont
compris à ma femme. Je le regrette profondé- ££La tendance demandé à une centaine de personnes d’imaginer
ment. » C’est par ces mots que le président Bill à demander pardon qu’elles requéraient l’aide d’un ami ou d’un parte-
Clinton demandait pardon au peuple américain est très variable, naire amoureux dans un moment difficile, et que
dans une allocution télévisée, le 17 août 1998, au notamment selon celui-ci refusait. Mais, dans un cas, ce dernier
la culture et le sexe.
beau milieu de l’affaire Lewinsky. Or, bien qu’il s’excusait quelques jours plus tard (« Désolé, je
ait passé auparavant plus de six mois à nier toute ££Les excuses sont n’avais pas conscience que c’était aussi important
relation sexuelle avec l’ancienne stagiaire, sa pourtant un puissant pour toi »), alors que dans l’autre, il n’exprimait
volte-face ne l’a pas vraiment pénalisé : dans un lubrifiant social, qui aucun regret. L’état d’esprit et les émotions des
sondage de NBC News réalisé après son discours, favorise l’apaisement participants ont ensuite été évalués grâce à deux
et la réconciliation.
67 % des téléspectateurs ont estimé qu’il ne méri- questionnaires. Les résultats ont montré qu’en
tait pas d’être destitué. De fait, la procédure lan- ££Demander pardon moyenne, ils se sentaient moins en colère et
cée contre lui à la fin de l’année échouera et il permet en outre de davantage prêts à passer l’éponge s’ils avaient reçu
mènera son mandat à son terme. diffuser une meilleure des excuses.
image de soi – même
un logiciel informatique Ce qui est plus surprenant, c’est que cela ne
LE PARDON PLUTÔT QUE LA COLÈRE est mieux perçu quand fonctionne pas toujours. Une analyse plus fine a
Les regrets exprimés en même temps que ses il est doté d’une capacité révélé que l’expression de regrets avait laissé cer-
aveux ont-ils joué en sa faveur ? On peut le penser. à présenter ses excuses ! tains participants de marbre. Chez ces derniers,
Les recherches en psychologie confirment l’effet les chercheurs ont détecté une forte dimension
positif des excuses. Gabriel Nudelman et Arie psychologique appelée « croyance en un monde
juste ». Il s’agit de l’idée que, dans la vie, chacun où l’un des employés qualifierait publiquement
reçoit fondamentalement ce qu’il mérite. En bien de stupide la question posée par un collègue, puis
comme en mal, d’ailleurs : ces personnes ont, par s’excuserait – ou non – auprès de lui. On leur
exemple, tendance à penser que si les chômeurs demandait alors leur opinion de l’offenseur.
ne trouvent pas de travail, ce n’est pas seulement Résultat : ils l’ont considéré comme plus chaleu-
à cause de la mauvaise conjoncture économique, reux quand il demandait pardon. Les excuses
mais aussi parce qu’ils ne s’activent pas assez nous révèlent quelque chose de très important
dans leur recherche, qu’ils n’essaient pas de sur ceux qui les formulent : ils ont conscience des
s’améliorer ou de se former, que la situation leur conséquences de leurs actes sur les sentiments
convient… bref qu’ils sont un peu responsables d’autrui. Elles montrent aussi, d’une certaine
de ce qui leur arrive. façon, que ceux-ci leur importent.
Les chercheurs ont quantifié ce trait en éva-
luant le degré d’accord avec des affirmations
comme : « Je pense que les efforts sont remarqués
et récompensés ». Ils ont alors constaté que
c’étaient surtout ceux dotés d’une faible croyance
en un monde juste qui étaient sensibles aux
excuses. Ces personnes tendraient davantage à
considérer qu’un refus ponctuel d’aider est dû
aux circonstances et ne reflète pas un ordre
immuable, ni la personnalité profonde de leur
interlocuteur.
A N A LY S E SÉLECTION
Par Guillaume Jacquemont
PSYCHIATRIE
COGNITION L a Plus Belle Histoire de l’intelligence Évaluer le risque
de S
tanislas Dehaene, Yann Le Cun, Jacques Girardon de suicide
Robert Laffont de J érémie Vandevoorde
Mardaga
D R
ans une lettre au marquis de Newcastle, Descartes refusait ares sont les
d’attribuer une âme aux animaux, sous prétexte que MÉDECINE décisions aussi
certains d’entre eux, comme l’huître, lui paraissaient bien Le corps est le seul lourdes de conséquences
trop imparfaits. Malicieux, le journaliste Jacques Girardon langage qui ne ment pas que celle d’autoriser un
de C . Flamand-Roze
commence son entretien avec Stanislas Dehaene, professeur de Les Arènes patient suicidaire à quitter
psychologie cognitive au Collège de France, par un point sur le l’hôpital. Comment être
décrié mollusque… qui n’est pas si bête qu’on croit ! sûr qu’il ne va pas
Yann Le Cun, directeur de la recherche en intelligence artificielle
de Facebook et pionnier du deep learning, complète le casting de
«A ccepter notre
imaginaire,
récidiver ? Et avec plus
d’une centaine de facteurs
cet ouvrage. Ce sont donc deux experts mondialement reconnus écouter nos ressources, de risque (chômage,
qui discutent, par journaliste interposé, à propos du passé, du apprendre à nous en isolement, deuil…), chaque
présent et de l’avenir de l’intelligence. servir. » Tel est l’un cas est unique. Jérémie
Et ils remontent loin en arrière : Stanislas Dehaene part de l’origine des principes Vandevoorde,
de la vie, pour décrire les grandes évolutions génétiques, fondamentaux de psychologue aux
physiologiques et culturelles qui ont mené jusqu’à l’homme l’hypnose, nous explique urgences psychiatriques
moderne. Il dissèque ensuite nos capacités cognitives, évoquant Constance Flamand- et fondateur de l’Unité
notamment le rôle des émotions ou les spécificités de Rose, docteure en hospitalière de
l’intelligence consciente. neurosciences et suicidologie et d’étude sur
Yann Le Cun enchaîne sur le développement de l’intelligence hypnothérapeute. Grâce la violence, propose ici
artificielle. Très pédagogue, il parvient à expliquer simplement à cette mobilisation de une série d’outils pour
certains termes de jargon informatique, ainsi que des notions l’imaginaire – obtenue analyser l’état
pourtant ultratechniques : l’algorithme de rétropropagation de par diverses techniques, psychologique de ces
gradient n’aura bientôt plus de secrets pour vous… Enfin, les deux comme se réfugier en patients. S’ils ne
experts débattent du fossé qui sépare encore les intelligences pensée dans un lieu permettront pas aux
artificielle et humaine, et de la façon dont elles pourraient évoluer. agréable –, elle lutte soignants de prédire avec
Au final, les trois hommes livrent une passionnante histoire de contre des problèmes certitude un passage à
l’intelligence, qui s’ouvre agréablement par une introduction sur les variés (douleur, anxiété, l’acte – c’est impossible –,
idées des philosophes majeurs en la matière. L’écriture sous forme tremblements, ils constitueront une aide
d’entretiens fonctionne bien et transmet un grand nombre de addiction…). Avec une précieuse pour mieux
notions sans faire exploser le nombre de pages : vous devriez venir grande humanité, elle évaluer les risques et
à bout de l’ouvrage en quelques heures, et vous sentir vous-même nous raconte ici l’histoire élaborer une prise en
un peu plus intelligent ensuite. L’histoire dont vous êtes le héros, de 25 de ses patients, charge adaptée.
en quelque sorte… alternant informations
Guillaume Jacquemont scientifiques et portraits
est journaliste à Cerveau&Psycho. parfois hauts en couleur.
COUP DE CŒUR
Par Ilios Kotsou
SANTÉ
Pourquoi nous dormons ÉMOTIONS L es Profils émotionnels
de M atthew Walker de R
ichard Davidson L es Arènes
La Découverte
R
«L esontêtres humains
cessé de
ichard Davidson, qui fut l’un des premiers scientifiques à
étudier la méditation, est aussi un grand spécialiste des
NEUROSCIENCES subvenir à leur besoin émotions. Et en particulier des « neurosciences affectives »,
Le Cerveau biologique de bien dormir dont l’objectif est de décrire notre fonctionnement
de T
hibaud Dumas […]. Cette épidémie émotionnel en se fondant sur une compréhension fine des
Mango
silencieuse représente le mécanismes neurobiologiques sous-jacents. Dans cet ouvrage, fruit
plus grand défi de santé de trente années de recherche, il nous relate ses découvertes.
SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire
de sciences cognitives et neurologiques
de l’université de Fribourg, en Suisse.
Les Hommes
protégés
ou le cauchemar des machos
En 1974, Robert Merle imaginait une société
où les rôles des hommes et des femmes
E
s’inverseraient. Un électrochoc qui
ouvre les yeux sur la domination
subie aujourd’hui par les femmes.
Combien commode,
et des chercheurs, spécialistes char- femmes. Mais ensuite, Merle
gés de trouver un vaccin ou un anti- nuance son propos, notamment
dote contre l’épidémie.
Merle explore alors les consé-
parce que son narrateur Ralph
Martinelli, un des « hommes proté- et combien facile,
quences sociales et psychologiques gés », spécialiste en neurologie, se
de se résigner à
une injustice quand
d’un tel renversement des normes. rend compte qu’il bénéficiait jusque-
Comme le regard de l’auteur est, là de privilèges invisibles, et que
après tout, celui d’un homme de son
temps, il met d’abord en scène un
son monde d’avant était fondé sur
bien des préjugés et stéréotypes on en bénéficie...
féminisme virulent et antimâle, (voir l’extrait ci-dessous).
incarné par la nouvelle présidente
Bedford et ses sbires, représentant UNE INVERSION DES NORMES yeux, dès l’instant où il en est privé.
« la variété la plus dure » du fémi- Le malheureux Ralph prend acte Surprise, aussi, de constater que son
nisme, qui envisage et planifie l’ex- de privilèges et d’injustices qui lui ex-femme, Anita, aujourd’hui pro-
termination de tous les hommes semblaient aller de soi auparavant. mue dans les plus hautes sphères
reproducteurs et l’assujettissement La « dignité », la « considération » et le politiques, se montre fière, confiante
complet de tous les autres. Ce volet « statut » auxquels il avait automati- et déterminée ! Par la même occa-
du roman est une satire féroce des quement droit dans son environne- sion, il découvre que le talent de
« excès » du féminisme, et témoigne ment professionnel, lui sautent aux nombreuses femmes a longtemps été
ignoré et sous-exploité, et qu’elles
sont tout aussi capables que les
hommes « dans tous les domaines ».
EXTRAIT Enfin, il entrevoit que les femmes ont
pu intérioriser certains stéréotypes
de genre, à tel point que même en
LES DOMINANTS... DOMINÉS position de force, « elles prennent
moins d’initiatives ».
A vant de vivre à Blueville, je ne savais pas combien j’étais attaché à ma dignité d’homme.
Certes, je n’aimais pas toujours les réactions provoquées chez les hommes par mon type
physique. Mais il y avait une compensation, je n’ignorais pas combien par là même je plaisais
Ce que l’écrivain dévoile à travers
les yeux de Ralph, c’est, en creux, la
structure de ce que le sociologue
aux femmes. Et surtout, à l’hôpital, au sein de ma profession, j’étais entouré de la Pierre Bourdieu appelait la « domina-
considération générale. À Blueville, mes conditions matérielles sont bonnes, mais je sens par tion masculine », ou plus simplement
mille indices que je n’ai plus, en tant qu’être humain, qu’un statut inférieur. le sexisme. Voyant les femmes se
Si je me sens diminué dans mon être social, que dire, par contre, du triomphalisme d’Anita ? débrouiller sans les hommes et inver-
Quand elle vient me voir, je la trouve rayonnante, sûre d’elle-même, fière de ses hautes ser la structure de domination, il
fonctions, fière aussi des efforts qu’a fait son sexe pour reprendre en main les activités des prend conscience de « la culture
hommes. […] misogyne de notre temps », où les
J’ai demandé à Anita l’effet qu’avait produit l’entrée massive des femmes dans la vie femmes tenaient « vraiment peu de
économique du pays. Elle s’est montrée nuancée. Elle a fait d’abord remarquer qu’il y avait place » et étaient même « rejetées
aux États-Unis beaucoup plus de travailleuses, dans tous les domaines, avant l’épidémie, dans l’inexistant », avant l’épidémie.
qu’elle ne l’aurait pensé. Et surtout, beaucoup d’entre elles se livraient à des tâches très Évidemment, les hommes du
au-dessous de leurs capacités réelles. Leur rapide promotion ne les a donc pas prises de court. roman étant désormais victimes de
Et elles se sont, dans l’ensemble, remarquablement adaptées. toutes les étapes de la domination
Anita me signale pourtant avec honnêteté quelques défaillances. Dans les tâches ouvrières, que les femmes ont eues à subir
les femmes travaillent plus vite que les hommes, mais elles prennent moins d’initiatives et jusque-là, Ralph n’est guère satisfait
à des échelons plus élevés, elles sont moins perfectionnistes. […] de son sort. « Comme les femmes
Mais d’après Anita ces faiblesses sont dues – je la cite – au « sabotage historique de la vie autrefois, on me traite en mineur,
des femmes par l’esclavage familial ». Quand on les aura déchargées de ce on ne me consulte pas, on me défend
fardeau, il est probable que ce genre de défaut disparaîtra. de rien entreprendre et quand je ne
Les Hommes protégés, de Robert Merle, Folio Gallimard, 1974, pp. 50-51. fais rien, on me le reproche ! » Les
sur vivants sont « frappés de
p.
6 CASE MANQUANTE p.
70 BONS APÔTRES
Avant 18 ans en moyenne, un adolescent n’ajuste Les chercheurs sur le climat, qui alertent
pas son effort en fonction de l’enjeu. En cause : les foules sur le danger des gaz à effet
une connexion inachevée entre l’avant de son cerveau
et les zones profondes qui créent la motivation.
de serre, passeraient eux-mêmes
Cela s’arrange généralement par la suite. beaucoup de temps dans les avions.
C’est qu’il faut voyager pour porter la
p.
52 INDESTRUCTIBLE bonne parole. Détail croustillant : les
Certaines personnes possèdent un gène appelé
scientifiques les plus chevronnés sont
DAT-1 qui les immunise contre les privations. Chez les aussi ceux qui parcourent le plus de
orphelins roumains des années 1980, privés de tout miles. Comme quoi, connaître la réalité
et élevés dans des conditions inhumaines, DAT-1 d’un danger ne garantit pas que l’on
a permis à certains enfants de renaître après le chaos fournisse les efforts pour s’en prémunir...
et de mener plus tard une vie normale.
p.
58 5 000 SYNAPSES PAR SECONDE
se forment dans le cerveau d’un enfant de deux ans. Ce foisonnement
lui permet d’intégrer l’afflux d’information, de l’organiser, et de créer ses connaissances.
6 % ANOSMIE
p. p.
26 36
de la population
souffre d’angoisse Ne plus rien sentir multiplierait par quatre le risque
de séparation. Pour
les enfants, cela se de mourir dans les cinq ans. La qualité de l’odorat est
traduit parfois par de plus en plus considérée comme un miroir de l’état
une peur de ne plus
retrouver leurs parents de santé global du corps. Sa perte complète et
après l’école, une
cause importante
durable signalerait ainsi une fragilisation souterraine
de phobie scolaire. qu’il faudrait prendre au sérieux.
Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal novembre 2018 – N° d’édition M0760104-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412
– Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 18/09/0020 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
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