Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
psychanalyse (Paris)
DIRECTEURS
Ilse Barande Marie-Lise Roux
Claude Girard Henri Vermorel
COMITÉ DE RÉDACTION
Jean-Pierre Bourgeron Gilbert Diatkine Agnès Oppenhelmer
Anne Clancier Jacqueline Lubtchansky Colette Rabenou
Jacqueline Cosnier Jean-Paul Obadia Luisa de Urtubey
SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
Muguette Green
ADMINISTRATION
Presses Universitaires de France, 108, bd Saint-Germain 75279 Paris Cedex 06
ABONNEMENTS
Presses Universitaires de France, Service des Revues
12, rue Jean-de-Beauvais,75005 Paris. Tél. 43-26-22-16 C.C.P. Paris 1302-69 C
Abonnements annuels (1986) : six numéros dont un numéro spécial contenant les
rapports du Congrès des Psychanalystes de langue française :
France : 450 F — Etranger : 570 F
Les demandes en duplicata des numéros non arrivés à destination ne pourront être admises
que dans les quinze jours qui suivront la réception du numéro suivant.
Cliché couverture :
Sphinx allé
(VIe s. av. J.-C.)
Metropolitan Muséum
of Art
UNE CRISE DE LA MÉTAPSYCHOLOGIE — II
TRADUCTION
RÉFLEXIONS CRITIQUES
LES LIVRES
ACTUALITÉS
I
MICHEL FAIN
me bornant à lui faire remarquer que, seul, il connaît les choses mar-
quantes de son histoire.
D'un ton lassé, il dit : « Ma maladie, ma jeunesse ? J'ai toujours été
malheureux. » Silence. Puis vient une description imagée de ses cépha-
lées, description accompagnée d'un mouvement ascensionnel de ses
deux mains : « C'est comme un souffle qui monte du corps vers sa tête,
des fourmis qui lui courent sur la tête. » Il souffre tellement qu'il lui
arrive de se taper la tête contre les murs. Silence à nouveau ; il reprend :
« Je fais d'horribles cauchemars. Je me réveille tendu, couvert de
sueur. » Il est manifeste qu'il ne fait pas, d'une part, de rapprochement
avec ses céphalées, et qu'il n'a, d'autre part, aucune intention de
raconter ses rêves. Il insiste surtout alors sur les troubles cardiaques que
ces rêves lui occasionnent, vraisemblablement des extra-systoles.
Sans doute, sur le moment, ne repéré-je pas suffisamment la crainte
de ce patient de voir les cauchemars envahir la réalité présente, crainte
entraînant un repli sur son corps décrit alors comme souffrant, repé-
rage insuffisant, dû à mon intérêt pour le travail onirique.
Je lui demande s'il fait souvent le même rêve. « Non », réplique-t-il.
En vérité, c'est oui et non. « Un monstre », il ne peut pas dire qui c'est,
ni comment il est, et tout de suite redescription des troubles cardiaques
de l'éveil. Non, il ne rêve pas que de cela, d'autres fois, « dans la mer,
il va s'y engloutir », « une montagne infranchissable ». Quel que soit
le contenu, il se réveille crispé, souffrant d'une espèce de spasme du
diaphragme. « On m'a dit que c'était de l'angoisse, moi j'appelle ça
la peur au ventre. » A partir de là, va suivre une série de paroles, d'appa-
rence peu cohérentes, ayant l'aspect des rêves susmentionnés. L'appa-
rente absence de liaisons fait que j'aurai — en rédigeant l'observa-
tion — du mal à me remémorer l'ordre de ce matériel issu de « la peur
au ventre ».
Deux thèmes principaux s'en dégagent : la peur au ventre réduit
peu à peu le monde vivable à la seule surface de l'hôpital de jour. Le
monstre des rêves peut s'actualiser sur n'importe qui, les voisins, les
passants qui le contraignent à changer de trottoir, voire à ne circuler
que la nuit, thème mélangé au second, le père sadique qui le battait
comme plâtre, « en raison de la nullité de ses résultats scolaires », ce,
en opposition avec un frère plus jeune, brillant élève. Il sort de ces
deux thèmes mal délimités dans le temps et l'espace, en s'accrochant
à la référence sociale qui va apparaître comme un axe de reprise d'as-
sise : s'il est dit mauvais élève, c'est parce que, à II ans, venu d'un
village sans école dans la capitale, il ne put rattraper son retard, ce qui
A propos d'un entretien clinique 1421
ne fut pas le cas de son jeune frère. Il lie ce souvenir avec un épisode
de tentative d'intégration en France : il travailla dans un atelier où
il n'y avait que des femmes. Avec le patron, il s'entendait bien. « Qu'est-
ce qu'il fait là », c'est ce qu'il comprit de l'attitude des ouvrières, ques-
tion sous-entendant qu'il occupait la place d'un autochtone. Conclusion,
il se sentit victime d'un phénomène social, le racisme. D'ailleurs,
c'est là, dans l'atelier, que commencèrent ses maux de tête.
Un autre trouble va être mentionné, sur un mode si peu clair que
je ne le comprendrai pas de suite. Des crises clastiques, pendant les-
quelles il casse tout. L'idée qu'il est alors possédé, non clairement
exprimée, est évidente. Pas de sentiment de culpabilité conscient
décelable à leur suite. Puis il aborde quasi gaillardement ce qu'il résulte
de tout cela : la déprime, il ne lutte plus, il a baissé les bras, la vie, une
montagne infranchissable (cette image d'un rêve cauchemardesque ne
va pas dans le sens de la démonstration qu'il veut me faire). Il a un
complexe d'infériorité (sic). En fait, à ce moment-là, je ne repère aucun
signe de dépression, sinon une démonstration que la société ne peut
rien en attendre et n'a plus qu'à s'occuper de lui. La déprime atteint
d'ailleurs les médecins ; quoi qu'ils lui fassent, tout échoue.
Sa mère est mentionnée une fois ; une scène se situant au cours de
la description de la relation avec son père : privé de dîner par ce dernier,
elle lui donne clandestinement à manger.
Je lui demande alors quelques précisions sur son père. Il répète la
même chose, c'est parce qu'il n'avait pas de résultats scolaires qu'il
était battu, ajoutant cependant un détail : son père payait au cadet de
beaux vêtements, rien à lui. Il était si mal habillé qu'il ne sortait que
la nuit (il ne fait aucun rapprochement avec sa peur au ventre actuelle
dans la rue). A Alger, il avait trouvé un moyen pour soulager sa souf-
france, moyen impossible à Paris : dans des coins déserts, il chantait
à pleins poumons. Il chante faux, précise-t-il, mais cela lui faisait du
bien. Il a réfléchi à l'attitude de son père. Elle est due à la guerre, il a
été pendu par les pieds par les soldats. Ainsi, indirectement, il est la
victime de l'armée française. Je lui demande pourquoi il ne m'a pas
parlé du reste de sa famille. Parce qu'elle est moins importante pour lui.
Il est le quatrième de cinq enfants, deux soeurs, puis il repart sur la
description du petit frère bon élève qui a actuellement une situation
brillante en Algérie. A ma question : « Qui est l'aîné ? », il répond :
« C'est un frère plus âgé qui a fait son service militaire en France. »
Il ne répond pas directement à la question : « Pourquoi ne m'a-t-il pas
parlé de sa mère ? », il la décrit très brièvement, beaucoup trop sou-
1422 Michel Fain
mise à son père, mais il l'aime. Si elle meurt, il ne lui survivra pas. Tout
cela est dit sans émotion dans la voix. Les deux soeurs ne sont mention-
nées — une est veuve — que comme des relais-refuges lors de son émi-
gration en France. Associée, revient alors l'histoire des ouvrières racistes}
à l'origine de ses céphalées (il y a liaison).
Les femmes dans sa vie ? Il a été fiancé en 1980. Mais la famille,
ayant repéré les médicaments qu'il prenait, a refusé l'union. « C'est
bien comme cela, ajoute-t-il, les femmes me dégoûtent » (réelle aversion
dans sa voix).
A-t-il fait des remarques sur la façon dont surviennent ses troubles ?
A ce moment-là, il relie rêves, crises élastiques et céphalées, et me
relate l'histoire du psychodrame, bien qu'il sache que ce soit un jeu
(mise en scène où on lui faisait des reproches), il a tout cassé. Une autre
fois, en congé en Algérie chez son jeune frère, il en a cassé pour un
million. Manifestement, il n'est pas mécontent. « Je devais être jaloux »,
commente-t-il. A l'hôpital de jour, il est à l'aise, bien qu'il se trouve
quelques racistes. Mais là, il ne se laisse pas faire.
Je lui demande, à la fin, comment cela s'est passé avec moi : « Assez
bien, bien que je pense qu'il ne faut pas aller remuer tous ces sou-
venirs. » Je lui réponds que c'est pas facile, que lorsqu'il ne pense pas,
il est violent, comme l'était son père avec lui-même. Son attitude
change, et il m'annonce qu'il sent sa douleur lui monter vers sa tête.
Je le ramène sur sa vie quotidienne à l'hôpital de jour, l'informe que je
vais discuter avec les médecins pour voir ce qu'on peut faire pour lui.
Il se détend, et nous nous quittons, semble-t-il, dans de bonnes
conditions.
DISCUSSION
I. — INTRODUCTION
II. — L'ENTREVUE
Dr Michel FAIN
15, rue d'Aboukir
75002 Paris
II
PIERRE LUQUET
la perception qui est refusée. L'autre n'est pas reconnu ni connu à cause
de la modification interne de l'objet et du Moi, de l'Objet-Moi.
Ces considérations structurales faites, revenons aux détails de la
relation d'objet de M. X... Dès qu'il est inquiet, il est à la recherche
d'un « traumatisme » signifiant sa relation d'objet. Pour garder son
fantasme primaire, il évite la réalité, traverse la chaussée et ne va pas
vérifier l'intention prêtée à l'agresseur. Cet évitement de la réalité
est aussi important que la peur. M. X... est à ce momentà la recherche
de représentations vagues qui organiseraient une représentation, un
souvenir-écran qu'il pourrait considérer de l'extérieur, ce qui per-
mettrait de continuer à évacuer à l'extérieur tout ce qui est mauvais
et de garder un Moi plaisir.
Derrière la situation de poursuite, il est possible qu'existent des
souvenirs sous-jacents qui lui répugnent; mais l'essentiel est qu'il
suffit d'éviter l'ennemi intérieur placé dehors en restant dans la zone
protégée par le regard de la mère-hôpital.
Ces personnages vagues, supports de projection, sont presque des
symboles primaires, comme le monstre lui-même et ceci dans le moment
d'angoisse au cours de la nuit pendant laquelle il sort justement dans
les rues (drôle de façon de se rassurer !), à moins que ce soit lui qui ne
doive pas être vu.
Une fois la panique organisée, c'est la crise de mauvais objet, la
terreur phobique. Or, l'hôpital est là, immobile, silencieux, inactif
dans le drame, sans « rapproché », alors que l'homme pourrait se rap-
procher et traverser la rue. L'hôpital est rassurant, qui le nourrit,
l'entretient, lui permet de retourner au calme et aussi de satisfaire son
besoin d'agresser, de tout détruire, et l'accepte ainsi : c'est un malade,
un homme nourrisson. Si l'hôpital se multiplie, augmente le nombre
de ses « bras thérapeutes » et touche à son système de protection,
même en jouant..., il devient actif et mauvais et il doit être détruit.
La distance du jeu ne le protège pas. De même, il faut réparer dans
la situation à deux ; sinon on va repartir dans les souvenirs, le
vécu inconscient..., toutefois, on n'est pas seul à l'hôpital ; il y a
des frères.
En dehors, dans la vie, il y a bien un protecteur sérieux, et il va
le retrouver le soir : l'homme brutal qui le bat comme plâtre, comme
il bat sa femme — et le transforme en femme, ce qui évite un conflit
avec ce père. La raison est que ce père veut qu'on réussisse à l'école,
source de phobie. Or, réussir à l'école est vital pour un Kabyle mino-
ritaire parmi les Arabes et les Français. Réussir est le seul moyen
I432 Pierre Luquet
l'hôpital, après qu'il ait été recueilli par ses soeurs, dont une veuve.
Quant aux ouvriers qui le rejettent vraiment... il risque d'en mourir
et il en perd conscience.
A partir de ces échecs et rejets il suggère son persécuteur : la mère
dans un père.
Il a failli quand même être pris dans une affaire de femme ; mais
protégé par les hommes protégeant les femmes dans sa belle-famille,
il a été rejeté, à son grand soulagement de ne pas avoir été livré à ce
sexe dégoûtant. Ainsi, il pourra souffrir de céphalées au lieu de fan-
tasmer son désir.
Ainsi, à cheval entre ces deux peurs : le rapprochement de la
femme et la possession par l'homme, il retourne à l'état entretenu et
pourchassé de son enfance. La seule façon de vraiment dire à sa
mère qu'il l'aime, c'est de ne vivre que pour elle, en elle, et d'envisager
de disparaître avec elle — à moins que s'il n'est pas retenu, il réalise
enfin toutes les vengeances compensatrices. Une fois de plus, sa pensée
ambiguë exprime plusieurs choses en même temps et échappe à l'orga-
nisation secondaire.
Les céphalées, douleurs du conflit, remplacées par ses autres crises
motrices, ou état second, semblent plus une conversion qu'un trouble
plus profond. Ce n'est plus lui qui parle : « Je devrais être jaloux. »
L'état second, ce n'est plus lui. Son « je » conscient revendique l'état
de conscience claire, caractérisé par ses échecs, son masochisme, ses
peurs et son absence d'intuition. La présence d'un objet réel, l'hôpital,
chargé de tout régler et de le satisfaire, et qui lui donne la force de
ne pas se laisser faire par les petits frères.
Avec l'observateur, il a eu un bon contact. Il a ressenti un père
bienveillant qui cède un peu à ses provocations, mais inquiétant puis-
qu'il lui demande de penser : vous ne voyez pas qu'on l'exclue de
l'hôpital ! Et puisque Michel Fain lui rappelle son père, il vaut mieux
tout oublier. Lorsque l'observateur dénie : « Votre père est toujours
là », il y a un début de crise. Aussi, prudemment, l'observateur le
ramène sur terre... l'hôpital, l'amitié... c'est la fin de l'état second, on
va s'occuper de lui.
A travers la lecture métapsychologique de Michel Fain, quelle
est la nôtre ? (elles ne sont pas bien différentes, nous avons des ori-
gines communes). Nous avons cherché la relation d'objet et dans une
grande attention au texte, nous avons relevé des indices, nous avons
essayé de hiérarchiser les formes de ses relations d'objet et seulement
à partir de là, de silhouetter une structure. Avant l'analyse du transfert,
1434 Pierre Luquet
Dr Pierre LUQUET
263 rue Daubenton
75005 Paris
AUGUSTIN JEANNEAU
MÉTAPSYGHOLOGIE PSYCHANALYTIQUE
ET SÉMIOLOGIE PSYCHIATRIQUE
Dr Augustin JEANNEAU
19, La Roseraie
108, avenue de Paris
78000 Versailles
1. Michel Foucault, Des signes et des cas, in Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1975.
CLAUDE GIRARD
L'INSTRUMENT MÉTAPSYCHOLOGIQUE
Dr Claude GIRARD
38, avenue Hoche
78110 Le Vésine
JEAN BERGERET
LES « PULSIONS »
DANS LA MÉTAPSYCHOLOGIE D'AUJOURD'HUI
souffre, qu'il soit même mis à mort n'entre pas en compte dans les
buts directs de l'univers imaginaire purement violent.
Mon troisième niveau de distinction portera sur les facteurs éco-
nomiques liés à la notion d'ambivalence : l'agressivité est conçue par
Freud comme découlant de l'échec des opérations d'union et de désu-
nion, c'est-à-dire d'étayage et de désétayage entre tendances tendres
et tendances hostiles. Il s'agit donc essentiellement des aléas de l'ambi-
valence affective, c'est-à-dire de la capacité ou non de vivre l'indis-
pensable ambivalence affective elle-même. L'instinct violent fonda-
mental au contraire ne connote aucune nuance ambivalente ; elle
demeure du cadre préambivalent décrit par K. Abraham et du cadre
aussi des véritables fantasmes primitifs violents auxquels j'ai consacré
plusieurs études et qui n'ont rien à voir avec ce qu'on appelle habi-
tuellement « fantasmes originaires »; ces fantasmes, souvent men-
tionnés dans les travaux très classiques, concernent un ordre sexuel
et secondarisé ; ils résultent d'un après-coup reconstructif à fondement
oedipien. Il existe par contre d'autres formations imaginaires, vraiment
primitives celles-ci, où il n'est question que d'autoconservation, c'est-à-
dire d'une problématique du « l'autre ou moi ? », « lui ou moi ? »,
« moi ou rien ». Nous sommes donc très près du langage de base que
l'être humain a confié à l'ordinateur le soin de gérer à sa place : « zéro
ou un » ; il n'existe que l'une ou l'autre de ces positions radicales ;
aucun degré d'ambivalence, de nuances, de mixité, de complexité
n'est envisageable. Les authentiques formations fantasmatiques pri-
maires fonctionnent ainsi.
Mon quatrième niveau de distinction sera d'ordre dynamique :
Freud range l'agressivité dans le cadre des pulsions de mort et de
destruction, de retour à l'état zéro du côté du sujet. L'instinct violent
fondamental serait au contraire de l'ordre des « instincts de vie » tels
qu'ils étaient conçus par Freud, à partir des instincts d'autoconser-
vation. Entre 1910 et 1920, cette violence ne serait donc nullement
incluse dans la théorie des « pulsions » de mort développée après 1920.
L'instinct violent fondamental serait présent dans l'équation génétique
avec laquelle tout nouveau-né arrive au monde; cet instinct serait
rendu opératoire dès la naissance par interaction avec les mêmes don-
nées violentes toujours présentes bien que refoulées dans l'imaginaire
environnemental ; l'adulte ne voit jamais sans quelque inquiétude
arriver au monde un élément rival narcissiquement, très vite investi
secondairement par les relations de tendresse mais perçu de façon
primitive comme un concurrent et comme un éliminateur potentiel.
Les « pulsions » 1475
CONCLUSIONS
Dr Jean BERGERET
47, rue de la Garde
69005 Lyon
FRANCIS PASCHE
qui passera dans son Surmoi (topique), et le rendra d'autant plus cou-
pable qu'il l'est moins. Contre toute logique. Le corps et le psychisme
sont d'un seul tenant.
Cette expérience — de l'action en nous des trois facteurs dyna-
mique, topique, économique — ne peut être située dans une histoire
individuelle et donc ne peut être rattachée à un souvenir datable même
approximativement, ou plus exactement elle est présente en chacun
des souvenirs, et en tous, et, à la fois, en deçà de tout souvenir évo-
cable, mais néanmoins déjà vécue et peut-être avant la naissance.
La théorie, c'est ce qui exprime le plus fondamental sous la clinique,
à la fois le plus ancien et le plus permanent.
Le plus général, le plus abstrait est aussi de qui est en nous le plus
profond, noyau autour duquel s'organise notre individualité concrète,
donc le plus personnel de chacun.
Une seule métapsychologie est donc concevable puisqu'elle formule
l'infrastructure du somato-psychisme. Une seule métapsychologie,
alors qu'il y a autant de « cliniques » qu'il y a de psychanalysés et de
psychanalystes, enfin d'êtres humains.
Mais ajoutons qu'étant idéale, elle n'est pas à atteindre mais à
approcher. C'est pourquoi nous ne soutiendrons pas que la méta-
psychologie freudienne réalise exactement le modèle théorique à viser.
Elle a sans doute à être corrigée et étoffée, et ce travail, déjà entrepris
par maints successeurs, est interminable. Mais nous pensons que tout
ce qui revient à la déformer, c'est-à-dire à en modifier les proportions,
en atrophiant certaines d'entre elles et en outrant certaines autres, ne
rend pas compte de notre expérience de psychanalystes d'autrui et de
nous-mêmes.
La métapsychologie est-elle indispensable à la pratique ? La théorie
n'a jamais à être verbalisée au cours d'une psychanalyse, et l'on peut
fort bien admettre qu'un praticien ignorant tout, ou presque de la
métapsychologie, mais ne déniant ni la réalité extérieure, ni la maté-
rialité de son propre corps, et aussi, bien sûr, ayant déjà démonté
une bonne part de ses autres mécanismes de défense, fasse du bon
travail.
Par contre, si ces conditions ne sont pas remplies, érudition et
subtilité ne lui seront d'aucun secours, à moins que la théorie n'oriente
l'analyse de son contre-transfert. En particulier la découverte en lui-
même d'une tendance à privilégier l'un des trois « points de vue »
(c'est le plus souvent le point de vue dynamique) devrait l'alerter.
En août 1915 le « Préliminaire à une métapsychologie » (titre pri-
Des concepts métapsychologiques 1483
17. Ce sadisme s'ajoute à l'agressivité primaire centrifuge mise en oeuvre par le système
musculaire et affectée à la conservation. Le sadisme retourné secondairement sur soi, quelle
que soit son origine, est le fait du narcissisme (Eros) puisqu'il est centripète. Symétriquement,
l'extériorisation de l'amour vers un objet est le fait de l'instinct de mort en ce qu'il est centrifuge,
tout comme celle de l'agressivité.
18. Abrégé de psychanalyse, PUF.
19. Nous soulignons.
20. " La dénégation ".
21. « Au-delà... ".
Des concepts métapsychologiques 1487
22. Cf. « La mémoire » de Samuel Butler (La vie et l'habitude, NRF)... et la biogénétique
contemporaine.
23. Autour de quelques propositions freudiennes contestées, in A partir de Freud.
1488 Francis Pasche
24. Nous croyons que l' « invention " de cette deuxième fonction est à imputer au pessi-
misme freudien. C'est le monde extérieur qui, selon Freud lui-même, suscite. la régression ; la
compulsion de répétition ne fait que prendre en charge le changement d'état survenu, comme elle
prend en charge tout progrès — également suscité par le monde extérieur — pour le répéter.
Elle n'a d'autre fonction que de recommencer ce qui est " arrivé » : vie ou mort, progrès ou
régression.
25. « II advint un jour que les propriétés de la vie furent suscitées dans la matière inanimée
par l'action d'une force qu'on ne peut encore absolument pas se représenter... La tension sur-
venue dans la substance jusque-là inanimée cherche alors à se réduire : ainsi était donnée la
première pulsion, celle du retour à l'inanimé » (" Au-delà... »). Nous soulignons.
26. Le Sujet lui-même pourra aussi s'en charger.
27. Et en introduisant la " différence vitale ».
Des concepts métapsychologiques 1489
28. Il a bien d'autres rôles : de conservation d'abord, et aussi dans la perception, l'identifi-
cation, la création, etc.
29. Nous pensons qu'après plus de soixante ans de mise à l'épreuve de cette hypothèse, on
peut lui accorder valeur d'évidence, comme à bien d'autres, avancées avec prudence dans 1' « Au-
delà ».
1490 Francis Pasche
30. Le Moi est avant tout un être corporel. Il n'est pas seulement un être de surface, mais il
«
est lui-même la projection d'une surface » (« Le Moi et le Ça »).
31. Ceci donnerait à penser que le degré de conscience est inversement proportionnel au
degré de pénétration physique des messages.
32. Le même intervalle en effets non matérialisé (?), se creuse dans l'aperception entre la
conscience et son objet intérieur.
33. Dans ce système imperméable (ou presque chez Freud) aux excitations physiques, et si
perméable aux images immatérielles des choses, nous avons cru reconnaître le système perceptif
selon Aristote (Le vase d'étain, in Métaphysique et philosophie, à paraître aux Belles-Lettres).
Des concepts métapsychologiques 1491
34. " Maîtriser l'excitation, lier psychiquementles sommes d'excitation qui ont pénétré par
effraction pour les amener ensuite à la liquidation » (" Au-delà... »).
35. C'est le désir individuel de mort à distinguer de l'instinct de mort proprement dit,
puisqu'il s'y mêle de l'Eros (narcissisme) au moins par l'orientation de l'investissement, et
puisque le Je l'assume.
1492 Francis Pasche
Dr Francis PASCHE
I, rue de Prony
75017 Paris
RENÉ DIATKINE
Pr René DIATKINE
6, rue de Bièvre
75005 Paris
LUISA DE URTUBEY
FONDAMENTALE MÉTAPSYCHOLOGIE
INÉVITABLE POLYGLOTTISME
4. Possibilité signalée par les directeurs de la Revue dans leur lettre du 18 septembre 1984
comme ayant été soutenue par des auteurs américains.
5. Goethe, Faust, p. 77 ; S. Freud, Bruchstück einer Hysterie-Analyse, in GW, VII.
6. M. de M'Uzan, De l'art à la mort, Paris, Gallimard, 1977, p. 32.
7. J. Laplanche, La situation psychanalytique, Psychanalyse à l'Université, t. 6, n° 24.
Métapsychologie et polyglottisme 1499
13. S. Freud, Conseils aux médecins sur le traitement analytique, in La technique analytique,
Paris, PUF, 1975, p. 66.
1504 Luisa de Urtubey
versa. C'est sur cet aspect que langue freudienne et langue kleinienne
me semblent s'éloigner l'une de l'autre d'une façon qui, pour moi, est
difficile à rapprocher. Les freudiens pensent (notamment en cas de cure
type) que le matériel prégénital représente une défense face au matériel
génital (motions oedipiennes refoulées et angoisse de castration). Les
kleiniens ont une position opposée, quoique cela soit moins sensible
dans le traitement des névroses classiques.
C'est sur ce point, le plus obscur pour moi, que j'ai choisi de m'in-
terroger ici, pour essayer d'y cerner mon bilinguisme en prenant en
considération les bases métapsychologiques (économiques, dynamiques
et topiques) incluses dans le choix, à chaque moment, d'une attitude
technique. Je cherche surtout à savoir sur quelle mêtapsychologie ma
technique s'appuie : si elle est bilingue ou pas ; si, en l'étant, cela nuit
à mon travail, le rendant confus ou incompatible entre ses divers
moments ; si, au contraire, ce bilinguisme m'enrichit.
16. S. Freud, Le début du traitement, in La technique analytique, Paris, PUF, 1975, p. 100.
RFP — 49
1514 Luisa de Urtubey
conscience que tous ces sentiments, d'abord orageux puis plus assagis
— mais en partie projetés sur le mari jaloux et furieux — me concer-
naient, moi, la mère. Peut-être ai-je eu un souci thérapeutique de ne
pas trop traumatiser cette patiente à défenses pas encore solides.
Mme F... poursuit ses associations sur le passé de son « homosexualité
latente », sur la relation avec sa mère, etc. ; quelques jours plus tard,
l'absence du mari se produit enfin sans répercussion à signaler.
C'est l'interprétation de la fixation orale, sous-jacente à l'OEdipe
négatif de cette patiente, qui a permis l'évolution favorable de la situa-
tion, grâce à la diminution d'une angoisse presque catastrophique, au
remplacement d'une projection massive par une projection modérée et
ponctuelle (du meurtrier jaloux au mari mécontent), à la substitution
d'une autre projection par un déplacement (elle est peut-être amoureuse
de cette amie, plutôt que menacée de tueurs), à l'accès à la symbolisa-
tion (le porc me représente en transfert maternel, l'amie sur la plage
aussi). L'aspect projectif, la jalousie, est allégé grâce à la projection
sur le mari.
Donc, à cette patiente qui souffre d'un conflit prégénital important,
j'ai fait deux interprétations plutôt kleiniennes (« profondes », adressées
au conflit prégénital comme contenu et pas comme défense, allant au-
devant de ce qu'elle associait et lui évitant ainsi de faire toute seule ce
difficile parcours) et plusieurs signalements, destinés peut-être à lui
manifester fréquemment ma présence à ses côtés.
Je suis, a posteriori, d'accord avec cette façon de travailler et pense
qu'une approche moins strictement freudienne est nécessaire avec les
patients dont la structure n'est pas franchement oedipienne, ou qui ne
fonctionnent pas toujours à ce niveau-là. Du reste, c'est pour les jeunes
enfants n'ayant pas encore élaboré leur OEdipe que la technique klei-
nienne a été élaborée.
De toute façon, ces interprétations kleiniennes furent utiles pour
dépasser (toujours momentanément) la difficulté transférentielle, répé-
tition des frustrations éprouvées avec la mère, et permit de continuer
notre travail de la manière habituelle, avec moins de blocages de son
côté et moins d'interventions du mien.
Essayons maintenant de repérer ce moment transférentiel par
rapport aux trois composantes de la métapsychologie.
D'un point de vue économique, au début de cette séquence, à
cause de la frustration infligée par moi concernant la distribution des
séances, à cause aussi de la difficulté de Mme F... d'en parler tout en
maintenant le contrôle sur elle-même, son psychisme était occupé par
Métapsychologie et polyglottisme 1519
une forte charge inhibée, son énergie se trouvait fortement liée afin de
réussir à contenir cette surcharge. Après ma première interprétation
(désir de venir chez moi la nuit afin de me tuer), le contre-investisse-
ment ne fut plus nécessaire et il y eut une décharge d'excitation sous
forme de rire. L'énergie libérée se déplaça sur des représentations assez
proches de la situation transférentielle et se lia à un conflit du même
genre, utilisant une symbolisation assez pauvre, mettant en scène des
objets partiels et (presque) des représentations de choses (transformées
en représentations de mots en prenant appui sur un film). Ma deuxième
interprétation (elle veut me couper en morceaux et me garder en elle,
mais cela serait dangereux) semble lui permettre de lier son énergie
à des représentations de mots, sous forme de souvenirs d'enfance, où
apparaît le cochon symbolisant sa mère, probablement aussi son petit
frère et moi-même. Après cela, la charge inhibée disparaît et Mme F...
retourne à son état habituel de non-surcharge énergétique continuelle
et accumulée. L'énergie apparaît liée aux conflits en élaboration, à des
représentations symboliques. Du côté du contre-transfert, il y a eu
aussi une surcharge énergétique, car je craignais d'avoir provoqué la
répétition peut-être prématurée d'un conflit grave, chez cette patiente
fort fixée à sa mère et où un filon oral se dessinait nettement. C'est
probablement cette surcharge qui m'amena à faire ma première inter-
prétation de façon imprévue(m'autorisant peut-être de M. de M'Uzan17).
Il est certain que le rapide retour à la vitesse de croisière habituelle
obtenu après ces interprétations ne manqua pas de me soulager.
D'un point de vue dynamique, chez la patiente, il y a un conflit
entre des motions pulsionnelles archaïques, ' orales, ambivalentes
(dévorer d'amour, manger de haine) et un Moi qui craint fort de se
laisser déborder et a besoin de se faire épauler parfois (par moi, par
le mari-père), de peur de succomber à la rage amoureuse-haineuse à
l'égard de la mère (moi aussi). Dans cette dynamique mouvementée
et batailleuse, je me suis lancée à l'attaque au secours du Moi de la
patiente, pas en l'appuyant mais en interprétant les motions pulsion-
nelles incompatibles. Est-ce là la tâche de l'analyste ? N'est-ce pas trop
thérapeutique ? Pour Strachey il est nécessaire d'interpréter le point
d'urgence. Et Freud lui-même, dans la phrase citée plus haut, a dit
qu'il pansait. Alors ? Peut-être se sent-on toujours coupable comme
l'adulte qui séduit l'enfant ?
18. J'ai souvent entendu dire à Paulette Letarte qu'il y a des patients " kleiniens ».
Métapsychologie et polyglottisme 1521
I
Si l'on y prête attention, on peut trouver dans de nombreux écrits
psychanalytiques le postulat implicite et inconscient que notre théorie
devrait avoir pour objet de constituer un ensemble d'idées qui serait
essentiellement complet et organisé, dont chaque partie serait entière-
ment intégrée aux autres. Les imperfections de la théorie, parfois très
importantes, sont clairement reconnues, mais elles sont considérées
comme des défauts auxquels il faut remédier. Les lacunes dans nos
formulations doivent être comblées et les définitions doivent être plus
précises pour qu'en dernier ressort les pièces du puzzle théorique s'im-
briquent exactement entre elles. Les idées de Freud sont considérées
comme le centre de la théorie actuelle, et les développements ultérieurs
acceptables sont considérés comme des ajouts ou des extensions qui
sont cohérents — ou tout au moins ne sont pas incohérents — avec
la pensée freudienne. Lorsqu'ils seront en désaccord avec d'autres
auteurs, ceux qui raisonnent en ces termes le feront en démontrant
que les autres ont mal compris, mal interprété ou détourné Freud, et ils
2. N.d.T. : L'expression anglaise « gold pot at the end of the rainbow » (pot d'or au pied de
l'arc-en-ciel) ne peut être rendue en français que par une expressionéquivalente.
1526 Joseph Sandler
3. En effet, la plupart des mots utilisés dans le langage de tous les jours évoluent autour de
leurs propres espaces de signification,lorsque nous communiquons les uns avec les autres.
4. Cette tâche suscite certains problèmes méthodologiques qui peuvent néanmoins être sur-
montés (voir Fonagy, 1982).
Concepts et pratique psychanalytiques 1527
5. Je me réfère aux théories et aux schémas qui sont les produits du processus secondaire
et qui reflètent le travail du système préconscient du modèle topique ou du Moi inconscient de la
théorie structurale. L'absencede contradiction n'est pas ce qui est attribué au contenu du système
inconscient ou au Ça.
6. En collaboration avec une équipe de recherche de l'Institut Sigmund-Freud de Francfort
(H. Vogel, S. Drews, R. Fischer, W. Grissmer, R. Kluwer, M. Muck et C. Will) l'auteur a fait
une étude des significationsimplicites du concept de traumatisme ; il est apparu évident que les
concepts de traumatismes, à la fois personnels et largement inconscients des psychanalystes,
diffèrent presque toujours de la définition courante. Pour beaucoup le traumatisme est considéré
non seulement comme un événement, une expérience ou un souvenir, mais comme une sorte
de corps étranger qui a été introduit dans l'individu de l'extérieur, qui contribue à exercer un
effet menaçant et qui comporte le danger de submerger l'individu à tout moment. C'est une
chose à laquelle on s'adapte continuellement et qui ne peut être définie que négativement comme
une « chose " investie émotionnellement qui relie certaines expériences antérieures à des effets
ultérieurs ; si le traitement réussit le « traumatisme " est liquidé !
1530 Joseph Sandler
II
Dans la section précédente nous avons mentionné la façon dont les
concepts peuvent être élargis et étendus, en fonction des progrès de
l'expérience clinique et de raffinement et de la précision accrue des
observations dans l'esprit des psychanalystes. De nouvelles observations
cliniques et des progrès dans l'expérience clinique vont très souvent
de pair avec des modifications de la technique jusqu'à un certain point,
car aucun psychanalyste ne peut observer exactement la même tech-
nique avec chacun de ses patients. A l'intérieur de certaines limites
il adaptera ce qu'il fait avec ce qu'il sent nécessaire pour chaque patient
et l'interaction avec son patient permettra de confirmer ou d'infirmer
Concepts et pratique psychanalytiques 1531
car elle utilise des défenses dans le processus analytique à des fins
spécifiques. Pour certaines raisons cela n'était généralement pas reconnu
à l'époque. »
Une lecture attentive du livre d'Anna Freud montre clairement que
selon elle les défenses arrivent à une certaine autonomie durant le
développement ; alors que leur utilisation peut être une répétition
du passé, elles ne sont pas dans le présent nécessairement et histori-
quement reliées aux pulsions contre lesquelles elles étaient dirigées.
A certaines occasions Anna Freud s'est même servie du terme « trans-
fert » plus ou moins comme synonyme de la relation analytique, peut-
être parce qu'alors le terme commençait à être utilisé de façon plus
large et plus familière. Elle dit par exemple : « D'un point de vue
théorique, l'analyse du processus d' "identification à l'agresseur"...
nous permet de distinguer dans le transfert les crises d'angoisse et les
explosions d'agressivité. » Mais quand une définition était nécessaire
dans le texte, il ne fait aucun doute qu'elle tenait fermement encore à la
définition officielle et courante du transfert.
En 1936, Anna Freud ajouta à la liste déjà existante des défenses
(régression, refoulement, formation réactionnelle, isolation, annulation,
projection, introjection, retournement contre le soi et renversement)
deux formes particulières de défense parmi d'autres : l'identification à
l'agresseur et ce qu'elle a appelé « une forme d'altruisme ». Ces méca-
nismes ont comme particularité la tendance à utiliser une autre personne
à des fins défensives7. Pour décrire l'identification à l'agresseur Anna
Freud cite le cas d'un « garçon qui avait l'habitude de carillonner
furieusement à la sonnette de la maison d'enfants où il vivait. Dès que
la porte s'ouvrait, il réprimandait bruyamment la bonne d'être si lente
et de ne pas entendre la sonnette. Entre le moment où il sonnait et
celui où il s'emportait il était angoissé à moins d'être grondé pour son
manque d'égard à sonner si fortement. Il faisait des reproches à la
bonne avant qu'elle n'ait eu le temps de se plaindre de sa conduite...
Le renversement des rôles de l'agresseur à l'agressé était dans ce cas
conduit à sa conclusion logique ».
Dans un autre cas, une jeune patiente avait l'habitude de reprocher
amèrement à son analyste d'être cachottier. Il apparut qu'à certains
7. On pourrait objecter que la projection telle que décrite par Freud peut faire cela aussi
bien mais la projection en soi représente la déformation que l'on fait d'une autre personne en
attribuant à celle-ci un aspect indésirable de soi-même. Dans sa forme simple elle n'implique pas
le désir de créer ou de susciter une réponse particulière chez l'autre. Il s'agit plutôt d'une illusion
au sujet de cette personne.
1534 Joseph Sandler
8. Pendant plusieurs années, on pouvait distinguer les kleiniens et les non-kleiniens par la
manière dont les analystesplus classiques parlaient de « projeter sur l'objet » alors que les kleiniens
disaient plutôt « projeter dans l'objet ». Le concept d'identification projective devrait également
servir à décrire toute une série de processus liés à l'objet, dont plusieurs sont défensifs (voir les
extensions ultérieures du concept par Bion, 1959 ; Segal, 1964 ; Rosenfeld, 1969).
9. C'est là un processus qui fut probablement accentué en raison de la contributionde James
Strachey au symposium de Marienbad (1934).
1536 Joseph Sandler
ainsi que j'ai tenté de le montrer dans la section précédente, les dif-
férents aspects de la théorie psychanalytique. J'ajouterai toutefois que
les tentatives de clarification de ces concepts sont également impor-
tantes. Et sans désaccord la théorie psychanalytique serait morte.
III
1. Pulsions et motifs
viennent pas des motions pulsionnelles. Même si cela était le cas dans le
passé, ces désirs n'ont pas besoin de trouver leur origine dans des
pulsions actuelles. Ils peuvent avoir d'autres causes et d'autres moti-
vations10.
2. Conflit
10. Je voudrais rappeler au lecteur qui pourrait être surpris par ces propositions les idées
de Hartmann sur les « changements de fonction " et le " leurre génétique ".
1538 Joseph Sandler
RÉSUMÉ
Cet article est basé sur l'idée que la théorie psychanalytique a été
depuis le début dans un état de développement organique continu ;
chaque progrès de la théorie a provoqué un état de tension théorique.
La définition des concepts s'élargit et les psychanalystes développent
des théories, des concepts, et des définitions qui diffèrent des défi-
nitions « officielles » ou « courantes ».
Les concepts flexibles jouent un rôle important dans la théorie
psychanalytique, et l'on devrait accepter que chacun ait plusieurs
dimensions de signification et que ces dimensions puissent varier d'un
psychanalyste à un autre. La recherche devrait s'orienter vers l'explici-
tation des concepts implicites utilisés par les praticiens de la psycha-
nalyse ; et selon l'hypothèse suggérée ce processus devrait permettre
le développement plus rapide de la théorie psychanalytique. L'essentiel
1540 Joseph Sandler
BIBLIOGRAPHIE
Bion W. (1959)3 Attaques contre la liaison, in Réflexion faite, Paris, PUF, 1983,
105-123.
Fonagy P. (1982), The integration of psychoanalysis and expérimentalscience :
A review, Int. Rev. Psychoanal., 9, 125-145.
Freud A. (1936), Le Moi et les mécanismes de défense, Paris, PUF, 1964.
Freud A. (1972), in Sandler J. with Freud A. (1981), Discussions in the
Hampstead Index on « The Ego and the Mechanisms of Defence » : II. The
application of analytic technique to the study of the psychic institutions,
Bull. Hampstead Clin., 4, 5-30.
Freud A. (1973), in Sandler J. with Freud A. (1982), Discussions in the
Hampstead Index on « The Ego and the Mechanisms of Defence » :
VIII. Dénial in word and act, Bull. Hampstead Clin., 5, 175-187.
Glover E. (1945), Examination of the Klein system of child psychology,
Psychoanal. Study Child, I, 75-118.
Klein G. (1976), Psychoanalytic Theory, New York, Int. Univ. Press.
Klein M. (1946), Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, in Développements
de la psychanalyse, Paris, PUF, 1966, 274-300.
Kohut H. (1971), Le soi. La psychanalyse des transferts narcissiques, Paris, PUF,
1974-
Kohut H. (1977), The Restoration of the Self, New York, Int. Univ. Press.
Mahler M. S., Pine F. et Bergman A. (1975), La naissance psychologique de
l'être humain, Paris, Payot, 1980.
Rosenfeld H. (1969), Contribution to the psychopathology of psychotic states :
the importance of projective identification in the ego structure and the
object relations of the psychotic patient, in Problems of Psychosis, vol. 1,
éd. P. Doucet and C. Laurin, Amsterdam, Excerpta Medica, 115-128.
Concepts et pratique psychanalytiques 1541
Pr Joseph SANDLER
64, Clifton Court
Maida Vale
London Nw8 8HU
United Kingdom
Traduction
LA SITUATION ANALYTIQUE
GOMME CHAMP DYNAMIQUE1
Note du traducteur : Cet aritcle est devenu un texte de référence obligé pour
la psychanalyse sud-américaine. D'un kleinisme différent de celui de certains
membres de l'Ecole anglaise, il insiste particulièrement sur la relation entre trans-
fert et contre-transfert et sur le nouvel objet d'interprétation que cette relation,
considérée comme une Gestalt, constitue. Les auteurs se penchent sur ce qu'ils
appellent la micro-névrose de contre-transfert et éclairent de façon très parlante
le mode de fonctionnement, dans la relation analytique, de l'identification pro-
jective. Certes, avec d'autres textes sud-américains, le présent article montre une
manière originale de concevoir la théorie et la technique, à la fois influencée par
Melanie Klein et compatible avec Freud. Willy et Madeleine Baranger, analystes
français, membres éminents de l'Association psychanalytique argentine au sein
de laquelle ils travaillent à Buenos Aires, fondateurs de l'Association psychana-
lytique de l' Uruguay, sont auteurs de nombreux articles et de plusieurs ouvrages
écrits en espagnol. Dans un but historique et pour permettre la recherche sur les
grandes orientations de la pensée analytique non accessibles en français, j'ai cru
souhaitable de le traduire.
L. de Urtubey.
Dans certaines descriptions anciennes, trop unilatérales, la situation ana-
lytique est présentée comme « objective ». L'analysant, y dit-on, plongé dans
un état plus ou moins profond de régression, est écouté, compris et parfois
interprété par un analyste-oeil. Notre expérience, les travaux de plus en plus
approfondis sur le contre-transfert, sur les significations latentes de la commu-
nication verbale, sur les moyens inconscients de transmission qui, avec une
facilité et une intensité toutes particulières, se développent dans la situation
analytique, conduisent à une conception fort différente et très élargie, où
l'analyste, malgré sa neutralité et sa passivité, est beaucoup plus engagé,
intervient à part entière et n'a plus une position d'expérimentateur.
On ne doit pas imaginer la situation analytique comme mettant en scène
un analysant face à un personnage indéfini — en fin de compte face à lui-
même —, mais comme une situation où analyste et patient forment un couple
inextricablement lié et complémentaire et participent à un même processus
dynamique. Les membres de ce couple ne peuvent être compris que conjoin-
tement. C'est pourquoi le contre-transfert doit être utilisé comme instrument
technique [17]2.
dire que la forme particulière adoptée par la névrose d'un patient s'exprime
dans sa façon d'éluder la règle fondamentale.
La configuration de base de la situation analytique peut aussi être appelée
relation bipersonnelle. Cependant elle n'est bipersonnelle qu'à un niveau
simplement perceptif, c'est-à-dire que dans la pièce où se déroulent les séances
se trouvent deux personnes en chair et en os. Mais, dans le discours du patient,
dans ses fantasmes ou dans ses hallucinations, toujours, d'autres personnes
surgissent. De plus il est inexact de dire que patient et analyste font deux
personnes car, généralement, du point de vue affectif, ils se composent de
parties, souvent représentées par les autres individus évoqués. Selon les
moments, l'analyste représente le Surmoi du patient, ses pulsions refoulées ou
des parties rejetées de son Moi. Naturellement, bien qu'à un moindre degré,
ce phénomène se produit aussi chez l'analyste.
Ces faits sont l'inévitable conséquence du clivage [19, 21] qui accompagne
la régression névrotique de l'analysant et la régression partielle de l'analyste.
La situation bipersonnelle analytique, qui sous-tend la configuration du champ,
est dissimulée par des situations tri- et multipersonnelles et de nombreux
clivages en incessant mouvement. Elle n'est cependant pas tout à fait effacée,
si ce n'est dans les cas où une régression massive s'installe ; le contrat de base
ne pouvant plus être respecté, ce qui mène souvent à l'interruption du trai-
tement. Généralement, la structuration analytique bipersonnelle persiste
comme la toile de fond, présente bien que non perçue, sur laquelle se forment
et s'effacent les structures tri- et multipersonnelles en changement incessant.
Parmi les configurations qui se dessinent sur la trame de fond et la situation
analytique, l'expérience montre une prépondérance de la structure triperson-
nelle ou triangulaire [26]. De fait, le couple analytique est un trio dont un des
membres est physiquement absent mais affectivement présent. C'est ce que
Freud voulait signifier en disant que l'OEdipe est le complexe nucléaire des
névroses. On peut affirmer que toutes les autres configurations ne sont que des
variantes de la structure triangulaire, soit dans un sens progressif où, grâce à
l'extension du conflit à des personnages secondaires, la structure devient multi-
personnelle ; soit dans un sens régressif où, par élimination ou perte du tiers,
la situation analytique devient bipersonnelle et est vécue par le patient comme
une relation à un objet partiel. On observe cette deuxième possibilité, par
exemple, quand l'analysant fantasme l'analyste comme un sein idéalisé iné-
puisable qui lui inspire des sentiments idylliques ; ou bien quand, dans le but
de se libérer des difficultés de la situation triangulaire, le patient supprime
régressivement un des personnages qui, cependant, demeure présent comme
menace.
Le champ analytique est donc toujours soit double, soit multiple, de sorte
qu'il ne s'agit pas d'une situation unique mais de plusieurs superposées ou
mélangées, différentes mais jamais nettement délimitées. Cette particularité
conduit à un autre aspect spécialement intéressant du champ analytique dont
nous nous occuperons maintenant.
immobilisation des persécuteurs hypocondriaques, etc.). Dans ces cas, l' « ab-
sence » du corps de l'analysant fait fortement obstacle à la mobilisation du
champ et c'est ainsi qu'il faut l'interpréter.
En général, cependant, les patients offrent un matériel corporel riche :
maux de tête, sensations de fatigue ou de lourdeur, modifications de la diges-
tion, de la respiration, du rythme cardiaque, sentiments d'agrandissement ou de
rétrécissement de quelque partie, membres engourdis ou devenus apparem-
ment inexistants, tensions musculaires, etc. Chaque analysant bâtit son lan-
gage corporel propre. A nous de le comprendre si nous ne voulons pas omettre
l'analyse d'un aspect très important.
L'ambiguïté du corps dans la situation analytique se met en évidence
lorsque, à la fin de la séance, le patient quitte son « corps analytique » pour
récupérer son corps quotidien. En particulier quand, ayant plongé dans un état
régressif, il lui faut quelques instants pour reprendre la maîtrise de son corps ;
dans ces circonstances, il se lève avec des mouvements maladroits, marche en
titubant, a parfois les jambes en coton ou souffre de vertiges.
Le corps de l'analysant n'est pas le seul à participer à la situation ana-
lytique ; l'ambiguïté corporelle concerne aussi l'analyste, qui répond avec son
corps aux communications inconscientes de son patient. Pour réagir aux
modifications du champ, il élabore, lui aussi, un langage corporel, phénomène
que L. Grinberg [16] appelle « contre-identification projective corporelle ».
Par ses manifestations corporelles, l'analyste se défend de l'invasion dont il est
l'objet de la part de l'analysant, qui place en lui une partie de ses affects. Par
exemple, souvent, au cours d'une séance, sans être enrhumé, l'analyste éternue ;
ni lui ni le patient ne ressentent consciemment ni froid ni abandon, mais un
vécu d'abandon de l'analysant a été inconsciemment présent chez l'analyste,
qui a éprouvé corporellement ce que le patient ne peut assumer et a projeté
sur lui. La réaction corporelle contre-transférentielledisparaît quand l'identi-
fication projective est interprétée par l'analyste et que l'analysant récupère ses
parties projetées. La preuve de la validité de l'interprétation est la disparition
chez l'analyste de la réaction corporelle surgie ; et, en même temps, l'apparition
chez le patient de l'affect non réprimé dont la réaction de l'analyste était l'équi-
valent. C'est-à-dire : l'analyste éternue, le sentiment d'abandon vient à être
interprété et le patient éprouve de la tristesse.
On observe aussi que les représentations de mouvements corporels surgies
chez l'analyste pendant la séance correspondent toujours à des fantasmes
inconscients de l'analysant (cela, bien sûr, si l'analyste se trouve lui-même
dans un état d'esprit calme et libre de préoccupations personnelles troublantes).
Un analyste en formation, en supervision avec l'un de nous, se sentit une
fois, au cours d'une séance, envahi par le fantasme inhabituel d'étriper et de
couper en morceaux son patient (sans avoir aucunement le désir de le faire).
Surpris, il chercha dans les associations de l'analysant quelque élément pou-
vant se rapporter à ce fantasme, sans cependant rien trouver. Il songea, non
sans raison, que, puisqu'il n'avait pas le moindre désir d'étriper son analysant,
ce fantasme devait être la réponse contre-transférentielleà un fantasme incons-
cient de celui-ci. Il interpréta alors le désir du patient d'être agressé physi-
quement, sans faire état du fantasme à l'origine de cette intervention. L'am-
biance de la séance changea alors et un intense désir masochique apparut, hé
à un fantasme où l'analyste devenait Jacques l'Eventreur. Ceci fit disparaître
chez l'analyste la représentation de mouvement corporel.
La liste d'exemples semblables pourrait s'étendre indéfiniment (nous avons
mentionné les travaux sur le contre-transfert). On pourrait également rap-
porter des occasoins où le patient exprime corporellement une réponse incons-
1550 M. et W. Baranger
ciente à des états éprouvés par l'analyste de façon non manifeste, circonstance
qui est cependant moins fréquente.
Disons pour conclure que l'analyste doit utiliser sa propre ambiguïté
corporelle, comme il se sert de ses affects et de ses fantasmes, en tant qu'indi-
cateur des aspects inconscients du champ analytique.
cation avec l'analysant et de « bon travail ». Parfois, l'analyste est satisfait d'avoir
compris un aspect important de la structure ou de l'histoire de l'analysant
sans que celui-ci partage ce contentement (quoique probablement il pourra
en profiter plus tard), mais cette satisfaction est moins importante et fort
différente de celle ressentie quand l'analysant,lui aussi, a compris, grâce à quoi
une modification du champ se produit. Et tout d'un coup le matériel devient
plus riche, les souvenirs surgissent plus librement, les affects se manifestent
avec moins de blocages.
Il s'agit là du processus progressif de construction de l'interprétation dans
le champ analytique.
Il serait vain d'essayer de comprendre ce processus en considérant exclu-
sivement l'analysant. Le fait que certaines séances semblent « bonnes » ou
« mauvaises » ne provient pas seulement de la force de ses résistances ni de
notre plus ou moins grande capacité à comprendre une situation. Il fait partie
d'un processus de transmission plus profond que l'expression « communi-
cation d'inconscient à inconscient » désigne sans expliquer. Au cours des
contrôles, on s'aperçoit souvent qu'un analyste en formation, fort capable en
principe d'appréhender ce qui se passe dans une séance, se montre, en fait,
dans l'impossibilité de le saisir tant que le contrôleur ne le lui a pas montré.
Et ce qui vaut pour les jeunes analystes, arrive aussi, dans une moindre mesure
souhaite-t-on, aux analystes expérimentés.
Le champ bipersonnel de la situation analytique est essentiellement struc-
turé par un fantasme inconscient. Mais supposer qu'il s'agit d'un fantasme
inconscient de l'analysé seulement serait une erreur car, comme on le constate
quotidiennement, le champ de la situation analytique est celui d'un « couple ».
Dans le but louable de préserver la liberté de l'analysant, on tend à admettre
que la structuration du champ dépend de lui et on agit en conséquence.
Malheureusement, cela suppose chez l'analyste une liberté totale de se
glisser dans le fantasme inconscient du patient, sans perdre pour autant son
intégrité et sa fonction de gardien du contrat de base. Ces difficultés s'ac-
croissent encore du fait que l'analyste ne peut être vraiment un « miroir »,
car un miroir n'interprète pas. Il doit donc assumer des attitudes jusqu'à un
certain point contradictoires ou, au moins, ambiguës, de sorte que, si la position
de l'analysant dans le processus analytique est ambiguë, celle de l'analyste ne
l'est pas moins.
Après toutes ces restrictions, nous ne pouvons concevoir le fantasme de
base de la séance — ou le point d'urgence — que comme le fantasme d'un
« couple » (comme en psychothérapie analytique de groupe on se réfère, non
sans raison, au fantasme du groupe). On ne saisit pas le fantasme de base
d'une séance en comprenant uniquement le fantasme de l'analysant ; il faut
appréhender ce qui se forme dans la relationanalytique entre les deux membres
de ce « couple ». Chacun, nous n'en doutons pas, a un rôle différent et il serait
risqué et même absurde que l'analyste imposât son propre fantasme, mais on
doit reconnaître que, pour qu'ait lieu une « bonne » séance, le fantasme de base
de l'analysant et celui de l'analyste doivent coïncider.
Naturellement, ceci implique, de la part de l'analyste, un renoncement à
sa toute-puissance, lié à la limitation plus ou moins grande des personnes
qu'il pourra analyser. Il va sans dire qu'il n'est pas question ici de la sympathie
ou de l'antipathie ressenties au premier coup d'oeil, mais d'un processus bien
plus compliqué.
Reconnaître l'existence de ce fantasme « de couple » ne suffit pas. Il faut
aussi essayer de mieux définir sa nature, ce qui implique une modification de
perspective à l'égard de la plupart des travaux analytiques et, également, un
La situation analytique 1553
quelle que soit la technique utilisée, car celle-ci fait partie du travail commun et
conditionne en partie le matériel du patient [27].
Tout l'art de l'analyste consiste à choisir le point d'urgence à interpréter
à partir soit des associations formulées verbalement par le patient, soit des
silences ou omissions. L'utilisation préférentielle d'un type de matériel, la
façon de retenir ou d'élaborer les rêves, les données historiques, les attitudes et
manifestations corporelles, les silences, etc., constituent le langage personnel
de chaque analysant. Il est de tous connu que les rêves successifs utilisent,
dans l'intention de communiquer à l'analyste une association sous-jacente, des
éléments déjà interprétés (ou, au contraire, le but est celui de dissimuler, sous
des significations devenues conventionnelles, quelque chose de nouveau) [6].
Le refus d'admettre ces faits serait tout aussi inadéquat que de minimiser
la participation de l'analysant à la structuration du champ. On constate quoti-
diennement que beaucoup d'analysants répètent encore et encore le même
matériel latent, en l'exprimant sous diverses formes jusqu'à se faire com-
prendre par l'analyste. On peut s'interroger ici sur le rôle que jouent les
capacités intellectuelles et communicatives de l'analyste dans la dynamique
du champ, mais nous avons décidé d'étudier ce problème plus loin.
Freud, lorsqu'il signalait le procédé technique à suivre, recommandait
d'agir per via di levare [9], en attaquant et résolvant progressivement les
résistances liées aux mécanismes de défense du Moi afin d'obtenir le retour
des représentations refoulées et des souvenirs oubliés. Il prescrivait ainsi
l'établissement d'un processus dialectique entre analyse de la défense et analyse
du contenu.
A l'évidence, ce point de vue implique une représentation du travail ana-
lytique en tant que ressemblant à celui du géologue, qui, lui, découvre des
strates successives de matériaux ensevelis (comparaison explicitée dans Malaise
dans la civilisation). Cependant, dans d'autres textes, Freud utilise des méta-
phores différentes, conduisant à une représentation beaucoup plus vivante du
travail analytique, par exemple quand il le compare à une partie d'échecs où
l'analyste connaît les coups classiques d'ouverture et de fin de partie, mais
ignore la structure intermédiaire essentielle [11].
Cette métaphore mérite de retenir notre attention. Grâce à Freud nous en
savons beaucoup sur la structure et la formation des névroses et nous pouvons,
à la fin d'une cure, à partir de données transférentielles et historiques, recons-
truire la structure du cas. Si l'analyse consistait seulement à mettre au jour des
couches successives de résistance afin de permettre l'apparition de niveaux
consécutifs de matériel refoulé, nous pourrions, pour chaque type de névrose,
connaître l'enchaînement des étapes importantes du traitement. Le travail
de l'analyste, dans ce cas, ressemblerait à celui du géologue ou de l'historien,
mais pas à celui du joueur d'échecs. Cela fait que les deux métaphores utilisées
par Freud sont incompatibles. Celle de la partie d'échecs conduit à une analyse
plus active, aussi bien côté analyste que côté patient : entre les deux, un tableau,
une structure commune se dresse, tandis que chacun agit, l'un avec ses asso-
ciations et ses résistances, l'autre avec ses interprétations. Le tableau symbolise
ce que nous appelons champ analytique bipersonnel, la partie représente la
structure de la cure comme totalité.
En négligeant la dialectique entre contenu et défense, observable à chaque
instant de notre travail, on trahirait non seulement la pensée de Freud mais
aussi tout le développement de la psychanalyse. Nonobstant, considérer le
psychisme de l'analysant comme un ensemble de strates superposées à travers
lequel on pénètre de plus en plus profondément est une exagération.
Ces réflexions nous entraînent à envisager le problème de la structure de la
1558 M. et W. Baranger
cure analytique. Un courant de pensée existe qui tend à considérer que, dans
chaque traitement, le cours est déterminé par la structure du cas et que se
succèdent des étapes dans un ordre déterminé depuis les niveaux les plus
superficiels jusqu'aux plus profonds.
Chez Freud lui-même, cette idée apparaît dans plusieurs écrits, soit dans
la métaphore historico-géographique, soit dans la théorie des séries complé-
mentaires. L'analyse atteindrait régressivement les différents points de fixation,
noyaux des motions pulsionnelles refoulées et des mécanismes de défense liés
aux souvenirs des situations traumatiques primitives.
A la lecture de ces textes, on serait tenté de tirer la conclusion que Freud
acceptait l'hypothèse du parallélisme entre le développement chronologique
progressif de la structuration névrotique de l'analysant et le déroulement
régressif de la cure depuis les couches les plus superficielles, récentes et peu
protégées par des défenses, jusqu'aux niveaux où, à l'abri de solides défenses,
dominent les fixations les plus anciennes et les plus profondes. Cependant
Freud lui-même nous met en garde contre cette tentation simplificatrice quand,
dans l'Introduction à la psychanalyse, il nous avertit explicitement de nous
garder de l'hypothèse paralléliste.
Il utilise, là aussi, une métaphore, celle de l'armée qui, au cours de la
conquête d'un territoire ennemi, sème sur son passage des citadelles fortifiées
garnies de troupes destinées à empêcher la reconquête par l'adversaire (les
points de fixation qui résistent au travail analytique). L'armée envahissante
peut livrer bataille autour de ces forteresses mais, si les circonstances s'y
prêtent, elle luttera sur n'importe quel point du parcours suivi par l'armée du
pays envahi. Et il est possible que le combat décisif se déroule, pendant la
progression de l'armée conquérante, sur un point dépourvu d'importance
intrinsèque, l'armée autochtone choisissant de s'attaquer là et d'y employer
toutes les forces disponibles plutôt que d'essayer d'enlever les citadelles perdues.
Freud remarque en passant que la situation transférentielle la plus impor-
tante pour l'analyse n'est pas toujours la répétition du fait historique le plus
marquant.
Réfléchir sur ce texte permettrait d'éviter les erreurs de certains analystes,
trop séduits par la tendance « géologique ». Prenons comme exemple Wilhelm
Reich [28], dans sa période analytique. Il s'interroge sur les analyses qui « ne
marchent pas » et sur ce qu'il appelle « la situation chaotique », où l'analysant
produit un matérielriche et varié, mais le cours de la cure est perturbé parce qu'il
ne réagit pas aux interprétations. Par la suite le chaos englobe l'analyste qui,
parmi ces nombreux éléments, ne sait plus lequel interpréter. Pour Reich, cet
état de choses est dû à ce que l'interprétation n'a pas été dirigée sur un type
spécial de résistance, la résistance caractérologique, ou, si elle a pointé cette
défense, c'était de façon inefficace. La résistance caractérologique consiste en
une cuirasse constituée au cours du développement du patient, qui est ressentie
subjectivement comme non pathologique, qui gouverne le rapport du patient
avec le monde et qui est, dans la cure, l'obstacle le plus considérable opposé
au travail thérapeutique.
Pour Reich, la technique à adopter consiste en une conduite de l'analyse
qui évite systématiquementles interprétations de contenu jusqu'à ce qu'on ait,
grâce à des interprétations appropriées, vaincu la résistance caractérologique.
Dans ces réflexions, l'hypothèse paralléliste apparaît très clairement. Car
c'est la structuration du caractère de l'analysant en couches superposées de
motions pulsionnelles et de défenses cristallisées qui détermine le parcours
régressif du traitement, depuis les couches superficielles de la cuirasse jusqu'aux
plus profondes du passé le plus lointain.
La situation analytique 1559
champ bipersonnel analytique. Les motions pulsionnelles, les désirs, les fan-
tasmes, les angoisses, les défenses ayant joué un rôle lors des conflits patho-
gènes originaires reparaissent dans le champ analytique. Mais pas selon une
séquence chronologique ni sous la même forme. Si la répétition était littérale,
tout espoir d'obtenir un changement devrait être abandonné. Par exemple,
un analysant qui a toujours fui son père quitterait rapidement l'analyste,
comme cela arrive en effet quand nous ne pouvons surmonter cette difficulté.
La répétition en cours d'analyse n'est ni littérale ni stéréotypée ; quand elle
le devient, la cure souffre une interruption soit par enlisement (le patient
continue de venir à ses séances mais n'évolue pas), soit par fuite. Pour la
dynamique du traitement, il importe donc que des affects et des désirs infantiles
resurgissent, mais pas n'importe comment. Il faut qu'ils reparaissent dans un
contexte nouveau sans pour autant tout paralyser. L'absence d'affects ou de
motions pulsionnelles est, évidemment, la façon la plus fréquente de paralyser
le champ analytique, résistance qu'il faut combattre d'urgence. Mais cela ne
signifie pas que la répétition de motions pulsionnelles, de désirs périmés, soit
le moteur de la dynamique analytique.
Autrement dit, nous ne devons pas considérer cette dynamique en termes
de réactivation des motions pulsionnelles, mais en termes de situation (sans
cependant laisser de côté les motions pulsionnelles). Les deux pôles de la
dynamique analytique sont la mobilité et la cristallisation du champ.
Celui-ci évolue (permettant à l'analyste d'intervenir explicitement) quand
l'analysant « prend des risques ». Evidemment, en partie au moins, on les
prend toujours quand on commence une analyse puisqu'on engage du temps,
de l'argent, des efforts, des espoirs (sa carrière si on est candidat). Mais tout
cela peut sembler moins important au patient que certains aspects de sa vie
ou des fantasmes particuliers érigés en bastions (en général, refuge inconscient
d'importants sentiments de toute-puissance).
Le bastion varie en fonction des cas mais n'est jamais absent. Il est ce que
l'analysant ne veut pas mettre en jeu parce que la crainte de le perdre le plon-
gerait dans un état d'extrême faiblesse, de vulnérabilité, de désespoir [3].
Dans la littérature analytique on a décrit le bastion surtout en rapport avec
les homosexuels ou les pervers en général, souvent prêts à tout risquer dans
la cure sauf leur activité perverse, source de gratification hautement valorisée.
Un analysant homosexuel, en guise de plaisanterie, disait : « Je ne suis pas
homosexuel, j'aime les garçons » ; tandis qu'un autre parlait avec mépris
des « tantes ». Ces deux patients considéraient leurs expériences homosexuelles
comme radicalement étrangères à la perversion. Ils étaient poussés par le désir
de préserver la possibilité d'avoir des expériences merveilleuses avec des êtres
élus qui, par hasard, étaient du même sexe qu'eux. C'était là leur bastion.
Chez d'autres personnes, le bastion peut être la supériorité intellectuelle
ou morale, la relation à un objet d'amour idéalisé, l'idéologie, un fantasme
d'aristocratie sociale, la fortune, la profession, etc.
Le procédé adopté le plus fréquemment par les patients pour protéger
leur bastion est d'éviter d'en parler. Ils peuvent ainsi être très sincères en ce
qui concerne de nombreux aspects et conflits, mais ils deviennent fuyants,
cachotiers et même menteurs dès que l'analyste approche du bastion. Nous
croyons que le succès de la cure dépend en grande partie de l'acceptation par
l'analysant de la nécessité d'analyser ses bastions, c'est-à-dire d'être disposé
à les perdre et, avec eux, les fantasmes sous-jacents de toute-puissance qui
permettent de se croire à l'abri des persécuteurs.
Dans le but de protéger leurs bastions, les patients peuvent aussi en parler
et accepter apparemment les interprétations les concernant, mais sans leur
La situation analytique 1561
différente. Cette mère n'est plus un poids (« Tant pis, elle était comme ça »,
se dit l'analysant) mais devient une personne, névrosée certes, mais souffrant
et souhaitant être aimée (donc victime elle-même et victimaire par contrecoup).
De même, les traumatismes infantiles ne sont plus considérés comme des
événements perturbateurs de l'histoire de « quelqu'un », mais sont assumés
dans le contexte du passé individuel auquel le patient reconnaît avoir lui-même
participé.
Il s'agit d'un mouvement dialectique de l'historicité où le passé ne constitue
plus un poids mort puisqu'il se transforme en quelque sorte en fonction de
l'avenir.
Si, d'un point de vue technique, les pôles de la dynamique de la situation
analytique sont la mobilisation et la stagnation, d'un point de vue théorique, ils
sont l'intégration et le clivage. Cette conclusion est conforme à l'importance
attribuée par Melanie Klein au tout premier procédé défensif (le clivage).
Grâce à la répétition, dans un nouveau contexte, des conflits situés à l'origine
des clivages, la situation analytique fournit l'occasion de les résoudre et de
ré-intégrer les secteurs séparés. De là découle la nécessité de faire tomber tous
les bastions.
où les parties du Moi, les objets et les défenses répètent de façon stéréotypée
les conflits infantiles. L'analyste, avec sa micro-névrose de contre-transfert,
participe aussi à la structuration du processus analytique par des processus
limités d'identification projective, des restes de conflits infantiles non résolus
et des éléments névrotiques agissant comme contre-résistance. L'ensemble
névrose de transfert-névrose de contre-transfert tend à constituer un bloc de
granit destiné à favoriser la répétition et à paralyser le processus analytique.
Se laisser prendre jusqu'à un certain point, dans ce fonctionnement, avec
chacun de ses patients, fait partie de la fonction de l'analyste.
Le travail interprétatif cherche, dans l'ensemble, à permettre la mobili-
sation de la névrose de transfert - contre-transfert jusqu'à obtenir, petit à petit,
la modification de tous les aspects du patient engagés dans la névrose de
transfert — en fait, l'évolution de toute sa personne. Parallèlement, pour l'ana-
lyste, le processus analytique réussi libère les parties emprisonnées par le
contre-transfert, puis paralysées par la névrose de contre-transfert.
L'interprétation, chez l'analysant et chez l'analyste, est l'outil qui permet
d'obtenir ce double résultat. Le processus d'élaboration de l'interprétation a
été décrit comme l'effet sur l'analyste d'une « communicationd'inconscients ».
C'est pourquoi Freud recommanda l'attitude « d'attention flottante », destinée
à permettre l'apparition dans la conscience d'éléments inconscients et leur
ultérieure formulation verbale. Cette position de Freud montre bien qu'ana-
lyste et patient sont, tous deux, engagés dans les diverses structurations cons-
cientes et inconscientes du champ bipersonnel, mais à une différence près :
l'analysant est, pour ainsi dire, submergé dans la situation analytique, tandis
que l'analyste, bien qu'il régresse aussi partiellement, conserve son Moi libre
d'une invasion exagérée. De la sorte, il peut observer le champ de près et
évaluer, d'après les informations recueillies grâce à ses propres sentiments et
fantasmes, l'intensité des tensions et la direction des lignes de force. La vigi-
lance de l'analyste concerne à la fois l'intérieur et l'extérieur (auto- et hétéro-
observation), l'objet à considérer étant le champ analytique en son unité.
L'analyste enregistre consciemment, sans les formuler, les diverses struc-
turations conscientes et inconscientes du champ, le contrat et les atteintes
qu'il subit, le matériel manifeste, le fantasme inconscient bipersonnel et la
structure de la névrose de transfert - contre-transfert. Il intervient ensuite en
interprétant. L'effet de l'interprétation est repérable dans toute situation
analytique et on peut observer un des trois cas suivants. Ou bien l'interpré-
tation a été inexacte, mal formulée, hors de propos ou, même, tout à fait fausse,
circonstance où généralement on n'apprécie aucune réaction, si ce n'est l'ap-
probation ou le rejet sans influence sur la suite du matériel. Ou bien l'inter-
prétation a été adéquate et a atteint son but, un changement évident se pro-
duisant (que nous décrirons plus loin). Ou bien l'interprétation a été partiel-
lement exacte et a produit une modification, mais celle-ci est partielle et, si
d'autres interprétations ne viennent la compléter, elle risque de provoquer
un état de confusion et d'insatisfaction dans le champ, prélude à une éventuelle
aggravation de l'état du patient.
Quand l'interprétation a été bien formulée, donnée au bon moment et
acceptée par l'analysant, nous observons un remaniement qui mérite une
description plus détaillée. D'abord l'analysant réagit en exprimant un sentiment
de liberté ; quelquefois il manifeste joie ou surprise, comme si soudainement
des possibilités nouvelles s'offraient à lui ; un changement se produit dans son
état d'esprit, dans ses sentiments, dans ses émotions ; la séquence du matériel
se modifie brusquement et devient plus unifiée et orientée de façon cohérente ;
surgissent des souvenirs, des associations, des fantasmes, qui confirment,
1564 M. et W. Baranger
déjà exprimée par Freud dans une lettre à Fliess [8], que Pichon-Rivière a
élargie et systématisée.
De nombreux travaux dont, certes, la liste n'est pas close, ont visé à cerner
les effets de l'interprétation. Leurs auteurs suivent l'avis de Freud sur « rendre
conscient l'inconscient ». Mais, bien que nous sachions avec une certaine
exactitude ce qui se passe chez l'analysant et dans le champ analytique lorsque
nous interprétons adéquatement, nous comprenons moins bien selon quel
mode spécifique opère l'interprétation. Nous saisissons mieux la différence
entre « l'avant » et « l'après » que celle entre le « comment » et le « pourquoi ».
Plusieurs auteurs ont essayé de résoudre le problème du mode d'action de
l'interprétation en termes de Gestalt [29], ce qui est peut-être, en partie, exact.
Le fantasme inconscient du champ analytique bipersonnel est une Gestalt,
une configuration complexe où les objets remplissent des fonctions précises,
où existent des lignes de force, où il y a une structure globale. Le matériel
manifeste, lui aussi, est une Gestalt. Le but immédiat de l'interprétation est
celui de lier ces deux Gestalten et, quelquefois, de les mettre en rapport avec
la structure de fond de la névrose transférentielle - contre-transférentielle.
Le matériel manifeste peut être considéré comme une Gestalt partielle
que, grâce aux éléments de la Gestalt sous-jacente, l'interprétation permet de
compléter. Entre ces deux Gestalten s'opère une fusion qui permet d'éclairer
l'une par l'autre. Résultat qui ne sera pas obtenu si on essaye de compléter la
Gestalt, contenu manifeste avec des éléments non pertinents, sous forme, par
exemple, d'interprétations intellectuelles ou formulées de façon inadéquate.
Notre tâche peut être résumée en ces termes : comment faire pour que la
Gestalt — contenu manifeste — s'accorde avec le fantasme inconscient, point
d'urgence à interpréter ? Et, plus profondément, comment l'interprétation,
faite de mots, peut-elle agir sur les diverses structurations du champ biper-
sonnel analytique ? En quoi réside le pouvoir mobilisateur de la parole ?
Les travaux de L. G. de Alvarez de Toledo éclairent en partie ce pro-
blème [1]. Elle signale que « associer » et « interpréter » ne sont pas seulement
des processus intellectuels, qu'ils équivalent à une action exercée sur l'ana-
lysant ou sur l'analyste. Chacune des parties appuie ces « actions » sur des
relations d'objet très primitives, particulièrement sur la relation du nourrisson
à la voix de sa mère. Dans la situation analytique donc, les paroles ne sont pas
uniquement des moyens de communication, mais aussi des objets gratifiants
actifs, et supports d'innombrables fantasmes.
Bien que l'apport technique des écrits de L. G. de Alvarez de Toledo soit
indiscutable, ils ne rendent compte que d'un aspect du problème abordé ici.
Chaque analyste peut constater l'équation établie par l'analysant entre,
d'une part, paroles échangées et, d'autre part, objets inconscients. Quelquefois
il veut seulement entendre notre voix, désire que nous disions n'importe quoi
pourvu que nous parlions et ressent nos paroles, indépendamment de leur
contenu, comme une gratification — comme du lait délicieux. A d'autres
moments, nos mots, mis à part leur contenu, tombent sur lui comme des
pierres. A d'autres occasions encore, certaines de nos phrases semblent pro-
voquer une structuration nouvelle du champ. Par exemple, chez une patiente,
il suffisait que « vie sexuelle actuelle » ou d'autres mots semblables fussent
inclus dans une interprétation pour que se déchaînât un violent mal de crâne
dû au fantasme transférentiel que l'analyste lui serrait la tête avec un cercle
de feu « jusqu'à lui faire sortir le cerveau par les oreilles ». Le champ ana-
lytique se transformait alors en un scénario de torture où s'épanouissaient des
fantasmes sado-masochistes. Les paroles en question étaient naturellement liées
à un bastion que la patiente tenait à défendre par tous les moyens. La seule
La situation analytique 1567
mention de l'objet idéalisé, vécue comme une menace à son encontre, suffisait
à provoquer d'intenses sentiments de persécution.
Les réactions de ce type expliquent en partie le caractère « magique » des
mots mais ne suffisent pas (et ce n'est pas là l'intention de Alvarez de Toledo)
à expliquer leur rôle spécifique dans l'interprétation. Demeure posé le pro-
blème du pourquoi de l'effet de la parole interprétative, car c'est une chose que
le patient prenne nos paroles pour du lait ou des pierres, c'en est une autre qu'il
comprenne leur signification et que cet entendement produise chez lui une
modification.
Au fond, le problème essentiel est celui de la relation entre la mise en mots
de l'interprétation et l'insight que l'analysant acquiert par la suite.
L'un de nous, dans un travail précédent [2] concernant l'insight, est arrivé
à la conclusion que, quand l'analysant reconnaît la position privilégiée de
l'analyste comme objet transitionnel entre lui (le patient) et le monde externe,
l'analyste devient, dans le fantasme inconscient de base, un écran de double
projection. Sa double appartenance au monde interne (par l'identification
projective) et au monde externe fait que, sans trop de danger, ces deux mondes
se réunissent en lui. Le dehors, devenu moins angoissant, se transforme, une
fois ré-introjecté, en compréhension du dedans, en insight.
Idées proches de celles que nous développons maintenant, mais ne coïnci-
dant pas absolument. Définir l'analyste par sa situation privilégiée d'objet
transitionnel entre l'analysant et le monde externe ou comme écran à double
projection approche notre concept actuel de champ bipersonnel, mais n'est
cependant pas identique puisque l'idée de situation privilégiée suppose la
relation analytique comme essentiellement transférentielle et non, comme nous
le postulons présentement, comme transférentielle - contre-transférentielle.
Nous pensons maintenant que l'objet transitionnel et l'écran à double
projection s'appliquent à la situation analytique comme champ bipersonnel
et pas seulement à l'analysant.
Le processus de l'insight se développe d'abord dans ce champ. L'inter-
prétation adéquatele fait démarrer et, jusqu'à un certain degré, met en rapport
les structures conscientes et inconscientes du champ . La perception que
l'analysant a de ce champ s'élargit alors, se modifie et provoque une re-structu-
ration. Les deux structurations successives ne sont pas équivalentes : il ne
s'agit pas d'une simple redistribution à l'intérieur du champ d'instances,
d'objets, de parties de l'analysant, mais de ce que la deuxième structuration
est beaucoup plus nette. Supposons qu'il s'agisse de l'interprétation d'une
situation persécutoire visant l'analyste. Après la re-structuration, celui-ci
apparaîtra sous les traits de « la personne que je prenais pour un persécuteur,
mais qui est en fait mon analyste et travaille avec moi ». L'objet persécuteur
précédemment projeté sur l'analyste est alors reconnu comme appartenant au
monde interne du patient. Un objet interne a été ré-introjecté, mais aussi, la
relation a changé, le patient ne considère plus que la haine lui est étrangère
et comprend qu'il clivait cet aspect dont l'origine se situe dans quelque élé-
ment de son passé. La différenciation établie entre le présent et le passé permet
de ne plus considérer la persécution comme éternelle et d'imaginer, simul-
tanément, un futur dépourvu d'angoisses persécutoires. En somme, ce pro-
cessus général de discrimination permet au Moi de l'analysant de ré-examiner
et d'élaborer les aspects du champ visés par l'interprétation. Le résultat du
processus est l'accès par le patient à une prise de conscience élargie de son
monde interne, que nous appelons insight.
Tout au long de ce processus, la parole apparaît dotée de trois fonctions
essentielles : être porteuse de relations d'objet et d'affects très primitifs,
1568 M. et W. Baranger
BIBLIOGRAPHIE
[1] Alvarez de Toledo Luisa G. de, El analisis del asociar, del interpretar y de las palabras.
Rev. Psa. Argentina, t. Il, n° 3, 1954.
[2] Baranger Madeleine, Fantasfa de enfermedad y desarrollo del insight, Rev. Uruguaya de
Psicoanal., t. I, n° 2, 1956.
[3] Baranger Madeleine, " Mala fe, identidad y omnipotencia », travail présenté à l'Association
psychanalytique argentine, 1959, inédit.
[4] Baranger Madeleine, « Regresion y temporalidad en el tratamiento analitico », 1960, inédit.
[5] Baranger Willy, Notas acerca del concepto de fantasfa inconsciente, Rev. Psa. Argentina,
t. 13, n° 4, 1956.
[6] Baranger Willy, « El sueno como medio de comunicacion », rapport pour le IIIe Congrès
psychanalytique latino-américain, Santiago de Chile, 1960.
[7] Baranger Willy, " La nocion de "material" y el aspecto prospectivo de la interpretacion »,
présenté à l'Association psychanalytique argentine, 1959, inédit.
[8] Freud S., La naissance de la psychanalyse.
[9] Freud S., De la psychothérapie, in La technique psychanalytique.
[10] Freud S., Observations psychanalytiques sur un cas de paranoïa, in Cinq psychanalyses.
[n] Freud S., Le début du traitement, in La technique psychanalytique.
[12] Freud S., Introduction à la psychanalyse.
[13] Freud S., Psychologie des foules et analyse du Moi, in Essais de psychanalyse.
[14] Freud S., Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homo-
sexualité, in Névrose, psychose et perversion.
[15] Freud S., Psychanalyse et médecine.
[16] Grinberg Léon, Sobre algunos problemas de técnica psicoanalitica determinados por la
identificacion y contraidentificacion proyectivas, Rev. Psa. Argentina, t. 13, n° 4, 1956.
[17] Heiman Paula, « On counter-transference ».
[18] Isaacs Susan, Nature et fonction du phantasme, in Développements de la psychanalyse.
[19] Klein Melanie, Sur quelques considérations théoriques concernant la vie émotionnelledes
nourrissons, in Développements de la psychanalyse.
[20] Klein Melanie, The importance of symbol formation for the developpement of the ego,
in Contributions to Psycho-analysis.
[21] Klein Melanie, Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, in Développements de la psycha-
nalyse.
[22] Klein Melanie, On identification,in New Directions in Psycho-analysis.
La situation analytique 1571
[23] Libeiman David, Identificacion proyectiva y conflicto matrimonial, Rev. Psa. Argentina,
t. 13, n° 1, 1956.
[24] Mom Jorge, Algunas consideracionessobre el concepto de distancia en las fobias, Rev. Psa.
Argentina, t. 17, n° 2, 1960.
[25] Mom Jorge, Aspectos teoricos y técnicos en las fobias y en las modalidades fobicas, Rev.
Psa. Argentina, t. 17, n° 2, 1960.
[26] Pichon-Rivière Enrique, Séminaires à l'Association psychanalytique de l'Uruguay.
[27] Racker Heinrich, Estudios de técnica psicoanalitica, Buenos Aires, Paidos, 1960.
[28] Reich William, Psychanalyse du caractère.
[29] Schmidl Fritz, El problemade la validacion cientifica de la interpretacion,Rev. Uruguaya de
Psicoanal., t. 3, n° 1,1959.
[30] Spira Marcelle, Etude sur le temps psychologique, Rev. franc. Psychanal., t. 22, n° 1,1959.
[31] Strachey James, " On the nature and fonction ofthe therapeuticaction of psycho-analysis ».
SlDNEY COHEN
Une théorie, pour prétendre à un peu de rigueur, doit pouvoir être soumise
à quelques schémas contraignants. Où la psychanalyse peut-elle les trouver
quand, à juste titre, elle se refuse à toute implication dans un cadre expéri-
mental qui anéantirait l'essence même de sa pratique : la situation analytique.
Profiterait-elle alors d'un questionnement venant de certaines réflexions
épistémologiques, gagnerait-elle à soumettre ses énoncés à certains principes
logiques inclus dans ces dernières ?
C'est ce que nous voudrions porter à la discussion en partant du passion-
nant débat qui, depuis quelques années, anime la pensée scientifique autour de
ce qu'on appelle l' « auto-organisation ».
Arguments
L'épistémologie moderne et la réflexion scientifique actuelle nous offrent
l'image d'une ouverture d'esprit exemplaire : elles admettent des logiques
différentes et non exclusives, énoncent des principes d'imprédictibilité, d'indé-
montrabilité. Elles mettent fin à « l'exterritorialité » du chercheur et font appel
à sa « réflexivité ». Elles donnent place au hasard, au désordre, au contingent,
privilégient dans l'analyse d'un système « l'événement » par rapport à
« l'élément ».
Dans la description des principes vivants, se dégage alors une « logique de
l'hypercomplexité »1 où sont remises en cause les notions de :
— réalité et représentation,
— ordre et désordre,
— déterminisme et hasard.
* Quelques réflexions... tardives, à propos de l'ouvrage d'H. Atlan, Entre le cristal et la fumée,
Le Seuil, 1978.
1. E. Morin, Science avec conscience, Fayard, 1982.
Présentation
Elle sera nécessairement un peu longue puisqu'il nous faut nous introduire
à un certain nombre de thèmes et d'outils conceptuels.
Le titre du livre d'abord situe d'emblée le propos : le vivant se définit comme
se situant entre le caractère répétitif et redondant d'un cristal, et la variété,
la complexité, l'imprévisibilité de la fumée. Ce qui vaut aussi pour une théorie :
cristalline quand elle veut tout régir par des causes premières (Laplace, Newton),
fumeuse quand elle se situe dans « l'indifférenciation laxiste des possibles ».
On risquerait bien d'y trouver la psychanalyse avec sa pléthore de concepts et
d'hypothèses invérifiables.
La tentative du livre est de cerner ce qui spécifie l'organisation vivante,
en quoi elle possède des qualités propres qu'aucune loi ne peut réduire défi-
nitivement et montrer comment nous pouvons penser les choses à partir de
ces indéterminations sans en rester à de vagues notions de « propriétés vitales ».
En faisant appel à deux théories — la thermodynamique des systèmes
ouverts d'une part, la théorie de l'information et la cybernétique d'autre
part — Atlan va tenter de traduire comment et à quelles conditions le hasard
peut contribuer à créer de la complexité organisationnelle au lieu de n'être
qu'un facteur de désorganisation.
Ce qui spécifierait le phénomène vivant ou mieux naturel est que tout
ce qui est nouveau au lieu d'être rejeté car perturbateur, entrerait dans le
système de l'enrichissant régi par une « logique de complexité par le bruit ».
Situons la question
Jusque-là l'organisation a été pensée à travers les théories de l'évolution
pour le vivant, et à travers la description de machines simples pour le système
artificiel.
Rappelons que Freud suit les grands courants de son époque6, le débat se
situant autour de la téléologie. Avec notamment Spencer qui définit les lois
d'évolution vers plus de complexité et de différenciation, vers une extension
des pouvoirs adaptatifs de l'espèce. Et au centre une téléologie : la lutte pour
la vie, l'harmonie avec la nature, une intelligence avec elle.
Le grand tournant néo-darwiniste survient avec les découvertes de la
biologie moléculaire, Monod proposant le terme de téléonomie7 qui concerne
les programmes génétiques : par le jeu des replications, mutations au hasard,
pression sélective par le milieu, Monod pensait pouvoir définir le comment de
l'organisation et le caractère orienté vers plus de complexité.
Atlan relève toutefois trois ombres au tableau :
1. Pour décrire ces processus : on ne pouvait rester dans l'ordre simple
des réactions physico-chimiques. Il fallait faire appel à des notions de cyber-
nétique (code - programme - information).
2. L'origine de ces programmes : la question était écartée par Monod car
relevant d'un événement beaucoup trop exceptionnel pour être étudiable et
reproductible.
3. Il existe une spécificité à ce fonctionnement de la machine naturelle :
elle fonctionne avec un programme « qui a besoin des produits de sa lecture
et de son exécution pour être lu et exécuté »8.
6. Genèse des concepts freudiens, Paul Bercherie-Navarin édit., 1983.
7. Monod, Le hasard et la nécessité, Le Seuil, 1970.
8. Atlan, Entre le cristal et la fumée (op. cit.), p. 22.
1576 Sidney Cohen
Trois ombres qui recouvrent trois aspects du vivant que nous étudierons :
— ce qui spécifie et rend irréductible un niveau d'organisation ;
— le principe de complexifications : d'où peut naître un programme ;
— l'autonomie d'un système naturel.
Car la machine artificielle ne possède pas ces trois caractères : il faut toute-
fois l'étudier, l'intérêt tient à ce que nous sommes passés des machines simples
(l'horloge, le moteur) aux machines complexes permettant d'utiliser des
schémas proches du vivant : contrôle, feed-back, mémoire, etc.
Si nous parlons d'organisation, il nous faut préciser quel point de vue nous
adoptons pour la définir. Les notions d'ordre et de désordre dans la nature en
dépendront.
En effet, si nous prenons un système isolé, nous observerons son évolution
vers un plus grand ordre ou un plus grand désordre. Ce qui régit cette évo-
lution est depuis longtemps connu, c'est le deuxième principe de la thermo-
dynamique : il stipule qu'un système livré à lui-même évolue vers un plus
grand désordre jusqu'à ce que celui-ci devienne maximal : c'est son état d'équi-
libre ou d'homogénéité maximale. Il correspond à l'entropie du système. Un
calcul probabiliste (Boltzmann) permet de l'évaluer comme l'énergie libre non
utilisable dans toute transformation d'une énergie en une autre.
En cybernétique, la probabilité d'apparition d'une ambiguïté dans la
transmission d'un message se verra calculée selon les mêmes formules qu'en
thermodynamique à une constante près (Shanon).
Toutefois, l'apparition de ce désordre dépendra des significations que nous
donnerons aux choses. Un exemple simple : un moteur de voiture perd en
chaleur (entropie) la transformation de la source énergétique en énergie ciné-
tique. Mais si cette chaleur est récupérée pour le chauffage du véhicule, cette
valeur d'entropie en est une d'organisation pour l'ensemble véhicule.
Un ordre observé dans la nature n'apparaîtra donc comme tel qu'à l'obser-
vation qui projettera des significations connues ou supposées.
Là se définissent un système fermé lorsqu'il est étudié isolé, et un système
ouvert lorsqu'il est étudié dans une interaction avec un environnement.
Ainsi pourrons-nous voir dans cette interaction la notion de bruit comme
principe d'auto-organisation :
Dans l'étude sur la fiabilité des organismes vivants par rapport à l'absence
de la fiabilité des machines artificielles, von Forester constate que par rapport
à des événements perturbateurs, une machine s'altère, et que le vivant au
contraire s'en nourrit : « Les systèmes auto-organisateurs ne se nourrissent pas
seulement d'ordre, ils trouvent du bruit à leur menu »9.
De là sont définies les conditions préalables pour qu'un système fonctionne
ainsi (Ashby) :
— il aura besoin d'une variété de réponses possibles indispensable à sa
régulation ;
— il lui faudra aussi un certain nombre de redondances (définitions contrai-
gnantes) pour mieux spécifier ses propres messages et mieux lutter contre
les bruits.
Le degré d'auto-organisation se situera dans un compromis optimal entre
variété et redondance. Ainsi, si un système isolé (telle une machine artificielle)
ne peut fonctionner selon le principe de l'auto-organisation, cette dernière
se développe dans une réponse à des événements aléatoires.
RFP — 51
1578 Sidney Cohen
Non. que cela ne tienne pas compte du deuxième principe, celui-ci est une
composante essentielle et nécessaire du processus. Mais qu'il existe une apti-
tude qui définit le vivant à s'opposer sans cesse à cette tendance, et à se com-
plexifier. La complexification est le processus obligatoire qui, s'appuyant sur
le principe d'entropie, pérennise le vivant. Ce qui apporte quelque nuance à ce
que Freud nomme « une impression fallacieuse de forces qui tendent vers le
changement et le progrès »29. La complexification est la seule manière de rendre
compréhensible le simple maintien du principe vivant30. La complexité ou la
mort. Il ne s'agit pas là d'un point de vue idéologique ou moral mais d'une
cohérence théorique (en vertu de ce dont on dispose bien sûr).
Dans la « Formulation sur les deux principes », Freud81 envisage comme
tout à fait possible la « fiction » d'une fermeture totale de l'organisme sur l'exté-
rieur (l'oeuf dans sa coquille) : « Le nourrisson, à condition d'y ajouter les soins
maternels32, serait bien près de réaliser un tel système. »
La réalité extérieure est purement artefacruelle, on pourrait bien s'en
passer. Ce qui suscitera les critiques que l'on connaît sur la vision un peu
solipsiste de Freud.
C'est plus au niveau de ce qui est privilégié, que de contradictions fonda-
mentales, que le problème se pose car Freud explicite bien la place de « l'exté-
rieur » dans son oeuvre. Cependant, elle n'est pas vraiment théorisée. La poussée
de l'organisme vers plus de complexité ne trouve pas une véritable place dans
l'édifice théorique. Cette poussée, tout en respectant les principes de régu-
lation tels que Freud les définit par l'homéostasie, introduirait en même temps
le jeu du nouveau.
Michel Serres33 propose à la place, avec bonheur nous semble-t-il, le terme
d'homéorrhèse : terme qui implique la stabilisation mais dans l'écoulement
continu du nouveau : un peu comme la forme régulière obtenue par l'eau d'un
torrent mais avec des éléments constamment changeants.
La vision conservatrice et uniquement conservatrice contenue dans l'oeuvre
de Freud permet de concevoir dès lors la place très importante réservée à la
répétition, au retour du même : idée très féconde puisqu'elle a jeté les bases
essentielles de la théorie : le retour du refoulé, la répétition dans le transfert.
Elle pose toutefois un problème, notamment dans l'élaboration d'une
théorie du changement qui, on le sait, n'a pas véritablement intéressé Freud81.
Les facteurs de changement apparaissent toujours comme relevant d'un rema-
niement dans la combinatoire du déjà-là : remaniement du jeu des forces
35. Analyse terminée, analyse interminable, trad. Anne Berman, RFP, p. 380, 3, 1975,
t. XXXIX.
Le thème de l' « auto-organisation » 1585
39. Michel Serres (op. cit.) parle de succession de « boîtes noires » dont la plus connue serait
l'inconscient maintenant classique.
40. Le céleste et le svblunaire, PUF, 1977, p. 467.
41. Prélude à la vie fantasmatique, RFP, 1972.
Le thème de l' « auto-organisation » 1587
à trouver, créer face aux énigmes que constitue le « refus maternel »42 comme
« stimulus pénible qui de l'extérieur assiège l'appareil psychique »43 engendrant
la question : cette mère qui se refuse, que désire-t-elle ?
D'autre part, cette expérience baigne dans une culture, un discours : on
évoquera pour l'anecdote la formulation de Laplanche et Pontalis et l'on
s'amusera de la coïncidence des termes : « Le bruit familial, discours parlé ou
secret préalable au sujet où il doit advenir et se repérer »44.
Cette formulation nous semble bien éloignée des thèses sur le discours
transcendant et déterminant le sujet dans lequel il n'a plus qu'à s'inscrire
comme « élément ». Nuance bien soulignée par les auteurs qui se gardent bien
d'une interprétation de type structuraliste : « Structure, mais agencée à partir
d'éléments contingents (...), le sujet est bieninséré dans une structure d'échanges,
celle-ci étant transmise par l'inconscient parental, elle est moins assimilable au
système d'une langue qu'à l'agencement singulier d'un discours »45.
Nous avons, dans le modèle proposé par Laplanche et Pontalis, une des
illustrations les plus pertinentes de ce qu'est une auto-organisation à partir
des contingences incluses autant dans le vécu que l'entendu. La façon dont ils
envisagent le lien de « causalité circulaire » ou de « naissance simultanée »46
entre le fantasme des origines et l'origine du fantasme nous semble bien cadrer
avec les développements que nous avons proposés sur l'auto-organisation47 :
l'émergence du nouveau et du sens où l'événement prend valeur d'information
dans une organisation en devenir par le jeu des « crises mineures sans cesse
rattrapées »48.
Nous voudrions, pour finir, tenter de décrire ce que pourrait être à partir
de nos formulations, le travail dans la cure.
Puisque nous avons envisagé cette fonction du bruit comme enrichissant
un système, n'y a-t-il pas lieu de poursuivre notre logique au niveau du travail
analytique ?
Nous avons vu comment un bruit peut, du fait du jeu des significations,
venir alimenter le système inconscient par une attraction exercée par le
refoulement.
Quelle force d'attraction peut par contre constituer la situation analytique
vers les sphères conscientes afin que celles-ci prennent les bruits à leur compte ?
En reprenant le schéma proposé dans le développement génétique et restant
avec Dorey49 sur la « fonction d'appel » que peut jouer le refus maternel, nous
pourrions dire que la situation analytique, dans les coordonnées rigoureuses
qu'elle se propose, peut jouer à plein cette fonction.
Association libre d'une part, « triple refus » d'autre part (d'agir, de répondre
à la demande, de diriger la cure) créent les conditions d'un appel permanent
vers le langage, langage ouvert, langage question, langage désir, vers la tenta-
tive de donner sens à ce qui contrarie, constitue une énigme pour le sujet :
le refus.
L'interdiction de la décharge motrice, l'absence de réponse venant satis-
faire, disposent un champ de tension permanente où le système se trouve alors
toujours loin de l'équilibre, fonctionne comme système ouvert lieu d'échange,
où les bruits peuvent jouer alors leur fonction complexifiante.
La situation analytique présente ce caractère tout à fait spécifique d'être
la seule qui tout en maintenant un cadre fait de redondance très stricte (non
agir) qui définit son identité, met en place le jeu des échanges d'un système
ouvert par l'association libre et inclut la variété dans son champ.
Et nous avions vu que c'est dans cet optimum entre redondance et variété
que fonctionne le mieux le principe organisationnel.
Tout cela constitue la trame sur laquelle vont se développer les créations
de sens. Voilà qui nous resitue dans les formulations de Viderman50 : la rela-
tion transférentielle comme lieu de création de sens, d'élaboration pour l'indi-
vidu d'une théorie sur lui-même fondée sur les « diffractions », les bruits, les
contingences engendrées par la situation elle-même. Cet espace créé correspond
à un niveau d'organisation avec ses coordonnées propres, ses lois et garde son
caractère autonome et irréductible. Niveau qui plonge ses racines (hiérarchie
enchevêtrée) dans toute la périphérie, le passé, l'actualité, les contenus socio-
culturels, mais aussi tout ce qui vient hors langage verbal, le corps, ses mes-
sages, etc. Ce tout constituant les bruits frappant à la porte du travail de perla-
boration ; l'interprétation s'en nourrit par des significations trouvées, créées.
En conclusion
La vision stochastique et les formulations sur l'auto-organisation se fondent
sur un constat de méconnaissance des objets de ce monde. Constat étayé sur
les découvertes scientifiques qui, loin de clore des questionnements, n'ont fait
que révéler des champs d'ignorance.
La découverte psychanalytique a justement été celle de l'existence d'un
champ d'ignorance : l'inconscient dans son statut dynamique et fonctionnel.
Les deux cheminements peuvent donc peut-être faire bon ménage. C'est
une même logique qui les sous-tend et les mêmes questionnements qui sur-
viennent :
Comment penser avec cette méconnaissance ? Tout en gardant le souci
de n'en faire ni un lieu de certitudes, ni un espace fumeux de tous les possibles,
ce qui correspond comme dit Atlan à deux figures de la mort, « la rigidité
(cadavérique) et la décomposition » 61.
Mais avec un risque beaucoup plus grand pour la psychanalyse dans la
mesure où, apparemment du moins, elle ne possède pas autant les conditions
de rigueur dans l'observation que d'autres sciences. En cela, l'histoire du
mouvement psychanalytique révèle le balancement permanent entre ce souci
et la recherche de la terre ferme de l'objectivité dans des raisonnements linéaires
et déterministes. Alors que nous avions vu que l'existence de niveaux d'orga-
nisation faisait apparaître un changement de loi à chaque passage, qui ne
permet pas de prévoir les futurs lois d'un système vivant.
D'où cette nécessité d'alimenter la réflexion par quelques apports extérieurs
lorsque ceux-ci peuvent interpeller la théorie sur des questions essentielles.
50. La construction de l'espace analytique, Denoël, 1970 ; Le céleste et le sublunaire, op. cit.
51. Entre le cristal et la fumée, op. cit., p. 58.
Le thème de l' « auto-organisation » 1589
Popper (cité par Morin) dira : « La rigueur d'une théorie n'est pas une
question d'individu mais question sociale qui résulte de critiques mutuelles,
de la division du travail amicale-hostile entre scientifiques »52.
Une « coupure épistémologique » trop franche risque de créer les conditions
du système fermé, livré à la loi d'entropie, donc à la mort. Toute discipline
devrait alors fonctionner comme système ouvert vulnérable aux bruits.
Puisse cette présentation en être un petit pour la réflexion...
Dr Sidney Cohen
8, avenue de l'Industrie
38130 Echirolles
LUISA DE URTUBEY
s'excusa pour des raisons variées, aspects négatifs de son « transfert » et signes
avant-coureurs de la rupture qui s'ensuivit. Nous constatons que Fliess réagit
aux envois scientifiques de Freud par des conseils concernant le plus souvent
l'aspect formels tels que la nécessité de faire des références ou de ne pas trop
se révéler à travers l'analyse d'un rêve (ce qui entraîna le changement du
rêve exemplaire dans l'Interprétation des rêves, où apparut Irma — et derrière
elle Fliess fautif — à la place d'un matériel concernant Martha). Freud, lui,
réagit presque systématiquement en disant qu'il est ignorant sur tous les
points traités ou « découverts » par son ami et n'y comprend rien ; c'est mer-
veilleux, mais malheureusement il n'est pas en mesure d'apporter aucune aide,
dit-il. De sorte que nous assistons à un gigantesque dialogue de sourds, où
chacun parle de lui et fait de l'autre un écran de projection, un double censé
être passionné par l'oeuvre dont il est témoin ; en même temps les idées maî-
tresses du travail de l'alter ego sont méconnues. Nous savions cela en partie
depuis la parution de la Naissance de la psychanalyse, mais ici tout devient
clair, transparent, compréhensible.
C'est bien parce que Freud ignorait vraiment tout des idées de Fliess
qu'il a pu l'admirer. Je ferai l'hypothèse d'une sorte de double analyse, où
chacun, support du transfert de l'autre, serait livré à ses propres réactions
contre-transférentielles. Le tout aggravé par l'ignorance, de la part du système
conscient, de cette situation.
Dans cette relation étrange — nous le savions en partie depuis l'ouvrage
cité de Schur, mais ici c'est abondamment précisé — des épisodes chirurgi-
caux, à valeur sans doute symbolique, se produisent de temps en temps. Les
deux partenaires souffrent de maux vagues et multiples — migraines, rhumes,
suppurations du nez, etc. —, que Fliess diagnostique. Après quoi, s'il s'agit
de Freud, il l'opère du nez — source pour le Berlinois de toute pathologie —,
si c'est Fliess, il se fait opérer par un tiers, tandis que le Viennois s'inquiète.
Ces épisodes sont à insérer dans une étude générale détaillée de l'auto-analyse.
En outre, dans un premier temps, les symptômes des deux correspondants
ne sont pas tout à fait éloignés de ceux observés par Freud chez ses patients
neurasthéniques ou hystériques de l'époque. Passionnant chassé-croisé de
transferts et de contre-transferts entre les deux amis et entre le thérapeute
et ses premiers patients où il y aurait beaucoup à glaner.
Le deuxième champ de recherche à explorer ce sont les réactions vivantes
et directes de Freud à l'égard de ses ma ades. A certains, il donne un surnom
(Marion Delorme par exemple), d'autres l'intéressent beaucoup, la future
Katarina, la fille de l'aubergiste du Rax, est « un joli cas pour moi » ; il suit
les vicissitudes des autres avec sympathie : « Elisabeth von R. s'est fiancée. »
D'autres encore l'ennuient et il se réjouit de leur départ, comme de celui de
Frau Er. « Une oie et une mauvaise herbe. » Particulièrement à retenir sont
les passages concernant M. E., cet homme dont l'analyse fut, pour la première
fois dans l'histoire de la jeune science, un long processus et qui aida Freud à
comprendre bien des éléments sur les mécanismes obsessionnels.
Il est difficile d'imaginer pourquoi les références à ces malades ont été
censurées dans la Naissance de la psychanalyse. Peut-être parce que Freud ne
les aime pas tous également bien que s'en occupant, mais quoi ? Freud aurait-il
dû être dépourvu de contre-transferts ? Et, dans ce cas, quelle sorte d'instru-
ment nous aurait-il laissé ?
Un troisième champ possible de recherche consisterait en une clarification
de l'abandon de la théorie de la séduction. Non pas que la célèbre lettre de
septembre 1897 où Freud annonce son abandon de la neurotica — le traumatisme
sexuel infantile provoqué par les parents, en général le père, à l'origine de la
Letters of Sigmund Freud to Wilhelm Fliess 1593
névrose — ne conserve son importance comme l'un des points de départ les
plus marquants de la théorie du fantasme ; mais parce qu'on observe qu'après
cette lettre Freud reparle à plusieurs reprises de la séduction par le père,
y compris d'un cas où la violence perpétrée eut pour objet un patient quand
il avait six mois. Cela ne contredit ni l' « abandon » de la théorie de la séduction,
qui en effet ne fut plus la seule explication de l'origine de la névrose, ni, sur-
tout, le procédé habituel de Freud d'ajouter de nouvelles hypothèses sans pour
autant abandonner les précédentes. Nous savions déjà que Freud avait reparlé
de la séduction comme élément fraumatique — mais pas le seul — dans de
nombreuses occasions, par exemple dans Les Trois essais, l'Introduction à
la Psychanalyse, l'Abrégé, les Nouvelles conférences et, évidemment dans l'ana-
lyse du petit Hans et dans celle de l'Homme aux Loups — où est particulière-
ment remarquable l'effort pour restituer les conditions temporo-spatiales du
traumatisme, il est vrai beaucoup plus subtil que les séductions paternelles
de la première époque. Nous étions au courant de tout cela, mais maintenant
nous savons que Freud a reparlé de séduction deux mois après avoir « aban-
donné » cette hypothèse.
Cela ne signifie absolument pas que nous devons suivre Masson (à qui
nous devons cette remarquable édition complète et toutes les recherches préa-
lables nécessaires), mais qui ensuite, dans Le réel escamoté — encore un après
M. Krull, M. Balmary et, glorieux prédécesseur, le Ferenczi des dernières
années — succomba à la tentation d'accepter comme réelle dans les faits
matériels la séduction régulière et strictement sexuelle des parents sur leurs
enfants. C'est dommage qu'après avoir réussi un si louable travail pour rendre
disponible cette correspondance complète, Masson ait plongé dans cette sorte
de mythologie des mauvais parents et des enfants martyrs.
Un quatrième champ ouvert à la recherche, c'est la possibilité de recons-
truire l'épisode d'Emma Eckstein — déjà faisable en partie grâce à l'ouvrage
de Schur — mais ici pouvant s'étendre sur l'ensemble des lettres concernées.
Cet épisode fournit l'occasion de comprendre très nettement l'idéalisation
de Fliess dans l'auto-analyse, malgré sa qualité de pseudo-père défaillant et
trompeur. Ne serait-ce pas Fliess le mauvais père séducteur dans le transfert
de Freud, sans avoir à aller chercher plus loin chez le vieux et vénérable Jakob?
Les lettres de Freud laissent bien transparaître, mêlé aux protestations de soli-
darité et au désir d'innocenter le chirurgien pour le moins maladroit, le juge-
ment négatif de son correspondant. Il me paraît certain que la présentation
du rêve « l'injection faite à Irma », où l'épisode d'Emma Eckstein est repérable
(la patiente gravement malade, le mauvais et irresponsable médecin) comme
exemple du travail interprétatif à faire sur le rêve, dans l'Interprétation des
rêves, constitue un reproche dirigé contre Fliess. Est-ce pour cela aussi que leur
relation commença à se détériorer après la publication de l'oeuvre princeps ?
Un cinquième champ ouvert à la recherche, c'est la possibilité d'étudier
la rupture de cette amitié, jouée sur fond de bisexualité. Nous connaissions
le récit du point final, bruyant côté Fliess, mais n'avions pas à notre dispo-
sition les lettres elles-mêmes qui, dans ce cas, comprennent aussi celles de
Fliess.
Cette correspondance complète est essentielle pour l'étude de la période
de la découverte et nous apporte de précieux éléments.
LA REPRÉSENTATION,
ESSAI PSYCHANALYTIQUE
de Nicos NICOLAIDIS1
I. Dunod Editeur.
Reu. franc. Psychanal., 6/1985
La représentation, essai psychanalytique 1595
sens asignifiant », évoquant un quantum d'affects sans paroi, sans peau, qui
ne se laisse pas lier par une représentation. Soit elle évoque une « présentation »
sous forme d'une perception concrète (irreprésentable) car le lien entre le
sujet et le référent n'est que naturel (la topique du « référent » serait forcément
la troisième, c'est-à-dire celle d'un troisième inconscient non refoulé dont
parle Freud dans Le Moi et le Ça lorsqu'il admet « qu'il y a des éléments qui
sont inconscients sans être refoulés »). »
Se situant dans une perspective qu'on peut dire résolument évolutionniste,
Nicolaïdis va nous mener, dans un texte particulièrement rigoureux et riche
de points d'ancrage (qu'on pourrait dire de « références ») à une interrogation
qui tourne essentiellement autour du langage, et donc du sens, du signifiant
et de la signification.
Du corps parlant au corps signifiant, c'est bien à l'image du corps et à
son inscription dans le psychisme qu'il faut s'intéresser car Nicolaïdis nous
dit (p. 28) que la pulsion « pure » n'a ni histoire, ni développement et ne serait
donc pas représentable. Il nous rappelle les liens qui existent entre traces
mnésiques et images corporelles. Le problème qui reste en suspens est celui
des représentations (de choses ou d'affects) qui ne sont pas refoulables. L'au-
teur insiste sur l'aspect énergétique de la pulsion et sur les destins possibles des
représentations non refoulables, c'est-à-dire « des motions pulsionnelles »
transformées « avant la différenciation conscient/inconscient » (p. 30).
La représentation fonctionnerait donc sur le même modèle énergétique
et économique que le système Perception/Conscience. L'importance est à
donner à l'investissement et au sur-investissement et à la somme d'excitation
qui sous-tend les traces mnésiques.
Le langage (Nicolaïdis parle aussi de langue, ou de parole) est une forme
particulière de la représentation liée aux images que seraient les traces mné-
siques. A la suite de Green et de Viderman, Nicolaïdis, critiquant les positions
de Lacan, distingue le signifiant linguistique du signifiant psychanalytique,
ce dernier renvoyant non pas au concept, mais à l'inconscient, au désir et par-
tant à la diachronie.
C'est ici qu'interviennent les objets du désir justement et c'est dans ce que
Nicolaïdis appelle « le désert signifiant du référent » que viennent jouer sur
le sujet les possibilités oedipificatrices des fantasmes historico-mythologiques
des parents.
Il faut faire une distinction première entre présentation et re-présentation
et distinguerune représentationqui serait impensable,inconstante,innommable,
de l'ordre du non-signifiant et donc de l'ordre de la nécessité et non du désir.
Le langage ou plutôt la « langue maternelle » vient jeter « un pont phallique »
dans ce désert et permettre l'hallucination d'un objet constant et pensable.
C'est donc à partir de sa notion d'objet référent (qu'il compare au « pré-
sein » de Bion et à la notion de préphallus) que Nicolaïdis aborde la clinique
des décompensations somatiques et psychiques. C'est bien sûr la pensée de
l'école de psychosomatique française (Marty, Fain) qui sous-tend le travail
de Nicolaïdis.
Le chapitre 4 du livre amène l'auteur à une série d'hypothèsesintéressantes
autour des processus de symbolisation et à des comparaisons incessantes entre
ces différentes formes cliniques que sont désorganisations psychosomatiques
catastrophiques, psychoses blanches, psychoses.
L'auteur cherche à comprendre les processus de sous-symbolisation ou
de sur-symbolisation,non seulement d'un point de vue énergétique mais aussi
en tenant compte de la qualité de la thématique de fantasmatisation. Ses réfé-
rences (malheureusement trop allusives) à la tragédie grecque et au mythe
1596 Marie-Lise Roux
peu à peu morcelée par le travail qui s'institue autour des zones érogènes ? Je
regrette que Nicolaïdis n'ait pas abordé la question sous cet angle, gardant
comme seul pôle de la symbolisation et de la signification possible un corps
qui m'a paru quelquefois bien « désincarné » 2. Il ne me paraît pas non plus
possible de ne tenir compte que de l'image pour rendre compte du processus
d'hominisation. Même si les traces mnésiques ont à se lier à des mots, ces
mots recouvrent tout un ensemble perceptif qui comprend sons, odeurs,
toucher, rythme et pas le seul pôle visuel, iconique, idéique. C'est, à mon sens,
dans un deuxième temps (et dans l'après-coup) que l'expérience vécue se
différencie. Peut-on, en tant qu'analyste, laisser, par exemple, de côté le fait,
maintenant connu, que dès la vie foetale le bébé réagit à la voix de sa mère,
ainsi d'ailleurs qu'à celle de son père ?
Sans doute, en Occident, sommes-nous en effet trop enclins à lier (comme
les mots le font) idée et image. C'est un moment particulier de la culture
humaine, mais nul doute qu'il n'en est pas toujours de même et que, par le
passé, il n'en a pas toujours été de même.
« Le vide est plein », dit le poète (je crois, Victor Hugo) ; le blanc n'est pas
le néant mais la somme de toutes les couleurs. Je crains que l'idée (pourtant
fort passionnante) de Nicolaïdis risque d'être prise pour une « chosification »
d'un ensemble d'éléments et finalement d'être trop réductrice.
Le glissement (du moins est-ce ainsi que je l'ai perçu) de la langue mater-
nelle à l'écriture me paraît aussi constituer un risque d'achoppement pour la
pensée psychanalytique. Si nous suivions de bout en bout et avec quelque
perfidie (que j'avoue bien volontiers) la pensée de Nicolaïdis, on risquerait
d'aboutir à l'absurdité d'une psychanalyse par l'écrit. L'acte de parler (à un
autre) est à distinguer de l'acte d'écrire (à un autre). Avec les psychotiques,
nous sommes sans cesse confrontés à ce risque : ils parlent et ils écrivent (et
beaucoup et souvent et même parfois fort bien). Je doute fort que par là ils
communiquent (comme le dit Nicolaïdis). L'aspect purement auto-érotique.
défensif et démiurgique du délire (ou des écrits délirants) ne se résout pas au
seul fait que ces activités peuvent nous paraître dépourvues de sens ou de
signification. La stratégie poursuivie n'est pas la même : c'est ce qu'à mon
sens, indique la célèbre phrase de Freud sur les mots et les choses. Ce qui
diffère n'est pas tant la représentation elle-même que sa visée, qu'elle soit
conjuratoire, prophétique ou simple brouillage représentatif. Il me semble,
à lire Nicolaïdis (surtout lorsqu'il parle de la psychose que je connais mieux
que les états psychosomatiques), qu'il court le risque de voir confondre la
cause et l'effet.
Il reste que ce livre est un écrit important, auquel il faut revenir et qu'il
faut travailler pour en saisir toutes les richesses et sans doute pour les « effets
de pensée » qu'il suscite en nous : n'est-ce pas le plus grand hommage qu'on
puisse rendre à un texte psychanalytique ?
2.. C'est un reproche qu'on pourrait faire à une certaine lecture de L'esquisse.
PAUL WIENER
ATTACHEMENT ET PERTE
vol. 3 : LA PERTE
de John BOWLBY1
qu'il attribue aux psychanalystes sont bien plus rigides que celles que nous
avons l'habitude de manier. L'assimilation de la notion de prédisposition
cognitive qu'il propose (cognitive bias), à celle de phantasme, qu'il réprouve,
ou celle, implicite et occasionnelle, de désorganisation et dépression, paraissent
hâtives. Je lui suggérerais volontiers, pour désigner la variété de désorganisa-
tion en jeu dans la dépression, l'expression arrêt de l'élaboration, bien sûr,
phantasmatique. Pour la petite revue des problèmes théoriques soulevés, je
cite encore la défense comprise comme « l'exclusion de la poursuite du trai-
tement (par le système nerveux) », de certains types spécifiques d'information
(p. 67). On peut, à la rigueur, comprendre ainsi quelques-uns des mécanismes
de défense, le refoulement par exemple. Mais d'autres types se trouvent,
comme la sublimation.
A condition de ne pas la prendre pour de la théorie psychanalytique,
l'orientation de Bowlby se défend tout à fait. Faute de suffisamment de pré-
cautions dans ce domaine le danger de mélanger les niveaux d'analyse le
guette. La synthèse de toutes les approches n'est pas, en effet, toujours pos-
sible. Différentes méthodes demandent des outils conceptuels distincts. Cela
ne dispense pas, évidemment, de disposer d'idées claires sur la manière dont
les niveaux sont reliés entre eux. On satisfait ainsi aux exigences de la science,
ainsi que l'a montré avec autorité I. Prirogine (Physique, Temps et Devenir,
Masson, 1982).
Quelles que soient les querelles théoriques que le lecteur puisse soutenir,
il lira avec bénéfice ce livre, s'il est intéressé par le deuil, normal ou patholo-
gique. Il s'avouera qu'on en sait encore fort peu. Mais ce qui est actuellement
connu de la problématique de la perte se trouve résumé dans cet ouvrage, le
plus cohérent et le plus réussi des trois tomes d'Attachement et perte. Didier
E. Weil a affronté avec succès l'importante tâche stylistique et terminologique
de rendre ce livre accessible au public français.
Actualités
Centenaire de Victor Hugo
VICTOR HUGO
OU L'INTERPRÉTATION FREUDIENNE
DU PERSONNAGE DE GORDELIA
par THEODOR REIK1
Dans son William Shakespeare (4e éd., Paris, 1869, p. 208) Victor Hugo
souligne l'attitude maternelle de Cordelia à l'égard de Lear, de façon si insis-
tante et particulière, que l'on peut croire que le poète a reconnu inconsciem-
ment le contenu psychique latent de cette relation. La présentation qu'il nous
offre est telle une anticipation confirmant l'interprétation que Freud donne
du noyau mythique de ce thème (le thème des « Trois coffrets »).
V. Hugo écrit : « Lear est en enfance. Ah ! il est enfant ce vieillard. Eh bien !
il lui faut une mère. Sa fille paraît, son unique fille, Cordelia. »
Par le choix des mots, les lignes suivantes nous indiquent la nature cachée
des relations des deux personnes dans leur conformité à ce qu'aurait pu mon-
trer le noyau mythique originel.
« A partir de ce moment, l'adorable
allaitement commence. Cordelia se
met à nourrir cette vieille âme désespérée qui se mourait d'inanition dans la
haine. Cordelia nourrit Lear d'amour et le courage revient; elle le nourrit
de respect et le sourire revient, elle le nourrit d'espérance et la confiance
revient ; elle le nourrit de sagesse et la raison revient. »
Au poète, le Lear qui survit à la mort de Cordelia est « un père orphelin
de son enfant. »
Rectificatif
Dans le n° 4, 1985, p. 1123, 2e paragraphe, il faut lire Magdalénien au lieu de Paléolithique.
Reu. franc. Psgehanal., 6/1985
ASSOCIATION INTERNATIONALE
D'HISTOIRE DE LA PSYCHANALYSE
INTERNATIONAL ASSOCIATION
FOR THE HISTORY OF PSYCHOANALYSIS
(Association régie par la loi du Ier juillet 1901)
Jacques Sedat
36, rue Pierre-Semard
75009 Paris.
TABLE DES MATIÈRES
du tome XLIX
ARTICLES
CONGRÈS
COLLOQUES
Colloque de Deauville, 20, 21 octobre 1984, Le statut de la représenta-
tion dans la théorie psychanalytique en 1984 745
TRADUCTIONS
Baranger (Madeleine et Willy), La situation analytique comme champ
dynamique (trad. de Luisa de Urtubey) 1543
RÉFLEXIONS CRITIQUES
Cohen (Sidney), Le thème de l' « auto-organisation », à propos de l'ou-
vrage de H. Atlan, Entre le cristal et la fumée 1573
Gillibert (Jean), La pratique de l'esprit humain (L'institution asilaire et
la révolution démocratique) de Marcel Gauchet et Gladys Swain .. 921
Urtubey (Luisa de), Contribution à la conception des aphasies, de
S. Freud 1169
Table des matières 1607
LES LIVRES
Bouchard (Françoise), Adolescence terminée, adolescence interminable,
publ. sous la dir. d'Anne-Marie Alleon, Odile Morvan et Serge
Lebovici 1405
Caïn (Jacques), Réflexions sur Le temps d'une psychanalyse d'Olivier
Flournoy 683
Cosnier (Jacques), Houser (Marcel), Martel (Henri), Vermorel (Henri)
et Vermorel (Madeleine), Freud biologiste de l'esprit, de Franck
Sulloway 703
Dupré (Jacques),Le paradoxe de Winnicott. De la naissance à la création,
d'Anne Clancier et Jeannine Kalmanovitch 942
Diatkine (Gilbert), Les études et l'échec. De l'adolescence à l'âge adulte,
de Henri Danon-Boileau 942
Fain (Michel), A propos du livre d'O. Flournoy : L'acte de passage 1401
Hummel (Georges), Psychanalyse et musique de Alain de Mijolla, Pierre
Schaeffer, Anne et Jacques Caïn, Guy Rosolato, Jacqueline Rous-
seau-Dujardin et Jacques-Gabriel Trilling 689
Mercier (Germaine), Psyché. Etudes psychanalytiques sur la réalité psy-
chique de Jean Guillaumin 719
Oppenheimer (Agnès), Les perversions sexuelles, de Gérard Bonnet... 941
Urtubey (Luisa de), The complete letters of Sigmund Freud to Wilheim
Fliess 1887-1904 1591
Roux (Marie-Lise), La représentation, essai psychanalytique, de Nicos
Nicolaïdis 1594
Wiener (Paul), Attachement et perte, vol. 3 La perte de John Bowlby.. 1598