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psychanalyse (Paris)
DIRECTEURS
Jean Gillibert Claude Girard Evelyne Kestemberg
COMITÉ DE RÉDACTION
Use Barande Alain Gibeault Alain de Mijolla
Rosine Debray Augustin Jeanneau Henri Vermorel
SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION
Muguette Green
ADMINISTRATION
Presses Universitaires de France, 108, bd Saint-Germain, 75279 Paris cedex 06
ABONNEMENTS
Presses Universitaires de France, Service des Revues
12, rue Jean-de-Beauvais, 75005 Paris. Tél. 326-22-16. C.C.P. Paris 1302-69 C
Abonnements annuels (1984) : six numéros dont un numéro spécial contenant les
rapports du Congrès des Psychanalystes de langue française :
France : 400 F — Etranger : 504 F
Les demandes en duplicata des numéros non arrivés è destination ne pourront être admises
que dans les quinze jours qui suivront la réception du numéro suivant.
Cliché couverture :
Sphinx ailé
(VIe s. av. J.-C.)
Metropolitan Museum
of Art
Sigmund FREUD, Dr Ferenczi Sandor (pour son 50e anniversaire),
trad. de l'allemand, par Ilse Barande 1099
Sigmund FREUD, Sandor Ferenczi (nécrologie), trad. de l'alle-
mand par Ilse Barande 1103
Raymond CAHN, Le procès du cadre ou la passion de Ferencz. 1107
Jean-Luc DONNET, L'enjeu de l'interprétation 1135
Jacques CAÏN, Le pont de Don Juan (L'Entre et le Présent chez
Ferenczi) 1151
Jacqueline MILLER, Ferenczi, « enfant terrible de la psychana-
lyse » : un aspect du transfert négatif 1165
Johannes CREMERIUS, « Die Sprache der Zärtlichkeit und der
Leidenschaft » (« Le langage de la tendresse et de la passion ».
Réflexions au sujet de la conférence faite par Sandor Ferenczi
à Wiesbaden en 1932), compte rendu par Rénate STAEWEN-
HASS 1177
Ilse BARANDE, Correspondance Sandor-Ferenczi-Georg Groddeck,
1921-1933, Payot, 1982 1183
Claude GIRARD, Présence de Sandor Ferenczi. Eléments biblio-
graphiques (1899-1983) 1185
LES LIVRES
Les masochismes, Cahiers du Centre de Psychologie et de Psy-
chothérapie, par Madeleine VERMOREL 1197
Libre lecture : Onanisme romantique. En relisant Voyage au bout
de la nuit de L.-F. Céline, La Nausée de J.-P. Sartre, et...
en découvrant L'apprenti de Raymond Guérin, par Jean
GILLIBERT 1205
La dialectique freudienne : I. Pratique de la méthode psychana-
lytique, de Claude LE GUEN, par Jean GILLIBERT 1213
RFP — 36
1098 Revue française de psychanalyse
Note de la rédaction
Dr FERENCZI SANBOR*
(pour son 50e anniversaire)
* GW, XIII, pp. 443-445 ; SE, XIX, pp. 265-269. Trad. de l'allemand par Ilse Barande.
Rev. franc. Psychanal., 5/1983
11OO Sigmund Freud
SANDOR FERENCZI*
(Nécrologie)
Après cette performance hors série, l'ami peu à peu nous échappa.
Au retour d'une saison de travail en Amérique, il sembla se retirer dans
une activité solitaire, lui qui avait pris tant de part à tout ce qui animait
les cercles analytiques. Tout son intérêt était absorbé par un problème
unique. L'aspiration à guérir et aider était devenue sa préoccupation
prévalente. Vraisemblablement les buts qu'il se fixa ne sont pas acces-
sibles à nos moyens thérapeutiques actuels. De ses sources affectives
non taries coulait la certitude que l'on pouvait bien davantage auprès
des patients en leur donnant suffisamment de cet amour dont, enfants,
ils eurent la nostalgie. Il s'agissait pour lui de découvrir comment il y
parviendrait dans le cadre de la situation analytique et tant qu'il pour-
suivit un tel résultat il se tint à l'écart — incertain de faire l'unanimité
parmi ses amis. Quel qu'ait pu être le sort réservé à cette voie, il ne
put pas la parcourir jusqu'à son terme. Peu à peu les signes d'un pro-
cessus de destruction organique se manifestèrent. Sans doute il minait
sa vie depuis déjà plusieurs années. Il succomba à une anémie perni-
cieuse peu avant l'achèvement de sa 60e année. L'histoire de notre
science ne saurait l'oublier.
RAYMOND CAHN
LE PROCÈS DU CADRE
OU LA PASSION DE FERENCZI
1. La dénégation.
2. Dont j'ai tenté, dans un travail récent, de pointer l'impact traumatiqueoriginaire de l'objet
primaire.
Rev. franç. Psychanal., 5/1983
1108 Raymond Cahn
4. Pour des raisons évidentes, le matériel demeure tronqué et parcellaire. L'ensemble a fait
l'objet d'une présentation orale et d'une discussion à l'Institut de Psychanalyse de Lyon et aux
Journées occitanes de Psychanalyse à Toulouse.
1110 Raymond Cahn
10. Dans Analyses d'enfants avec des adultes, qui se situe entre Néocatharsis et Confusion des
langues, Ferenczi reconnaît déjà que son attitude hypergratifiante ne faisait qu'accroître indéfi-
niment, et sans profit évident, l'addiction du patient à son thérapeute. Sa conclusion laisse
poindre d'ailleurs un certain vacillement dans ses convictions.
Le procès du cadre 1117
nous venons de le voir, l'articulation qu'il opère entre l'analyse du
contre-transfert et du transfert et son élaboration théorique, et, d'autre
part, l'interrogation qu'il pose lui-même dans ses notes personnelles
contemporaines de Confusion de langues, quant au sens à donner à ce
matériel étrange dont, finalement, il est si difficile de savoir à qui l'assi-
gner11. « Là est le problème : quelle part de la reproduction est du fan-
tasme, quelle part est de la réalité, quelle part est un déplacement
après coup sur des personnes ou des situations devenues signifiantes plus
tard »12 (21-10-1932). Ce qui prouve donc, à l'évidence, qu'il n'ignorait
pas l'extraordinaire difficulté de son choix, et donne plus de valeur
encore au parti théorique13 qu'il a pris d'inverser en l'occurrence tout
le système et de mettre l'accent sur le forçage du psychisme de tels
patients par leur entourage14, même si, apparemment, nombre de ses
démonstrations se situe dans le registre génital, à prendre donc unique-
ment pour modèle, qu'il s'agisse d'un après-coup ou d'un temps réel
choisi parmi « les choses qui se succèdent au cours du développement »,
et donc dans une continuité couvrant l'ensemble des modes de relation,
des plus primitifs aux plus tardifs, noués au cours de son histoire entre
l'enfant et les adultes.
On retrouve donc, plus affirmée que jamais, cette incompatibilité
avec la métapsychologie freudienne. Incompatibilité que seul un concept
frontière, tel celui de pare-excitations, pourrait nous aider à lever, en
cette zone primitive du cadre tel que le définit Donnet « comme incar-
nation des limites du corps, corps de la mère, corps du sujet, corps
unique de la mère et de l'enfant à l'intérieur duquel doit naître cette
cloison qui règle leurs échanges ». Ce n'est pas un hasard si les théori-
sations modernes concernant le surgissement et l'organisation du refou-
lement originaire font appel à la mère en tant que pare-excitations15 au
prix inévitable du sacrifice de la pureté du système conceptuel de la
métapsychologie (Freud ne l'utilisant qu'à propos de la psyché du sujet),
dès lors cependant qu'est acceptée l'hypothèse d'un temps premier où
narcissisme primaire et identification primaire ne font qu'un. L'orga-
22. Sa théorisation, en effet, exclut le rôle de l'objet primaire et justifie que, dans ce registre,
il ne se sente personnellement épinglé, car l'origine de l'incapacité à s'extraire du noyau primitif
indifférencié « dépend en grande mesure du processus de maturation » (sic).
Le procès du cadre 1123
23. Un tel processus peut être long et répétitif. La reconnaissance de ce dommage peut
déboucher sur une modificationfondamentale des assises du moi (d'où ma réticence au terme de
défaut fondamental proposé par Balint). Qui d'ailleurs n'en porte pas peu ou prou la cicatrice,
1124 Raymond Cahn
si minime soit-elle ? C'est son ampleur qui fait problème en cescas qui nous occupent. Pertinente
par contre apparaît chez cet auteur la dimension de deuil, de renoncement à une certaine image
narcissique de soi-même, liée soit à la mise en évidence du représentant narcissique primaire
aliénateur du sujet, soit à l'acceptation du dol, pour autant qu'il ait été vécu et reconnu de l'inté-
rieur par le sujet à travers ce qui s'est joué de ce registre avec l'analyste.
Le procès du cadre 1125
situation est d'ailleurs si critique qu'un tiers vient rompre le cadre : son
meilleur ami me téléphone pour me faire part de sa panique devant le
drame imminent et me supplie d'intervenir, ce dont je fais part au
patient sans aucun commentaires et qui ne l'arrête pas dans sa déter-
mination. Ce n'est que plusieurs séances plus tard que cette sorte d'état
second décroît et disparaît spontanément avec une prise de distance
progressive et la possibilité d'en analyser le sens : d'une part, sa certi-
tude que j'avais entendu son attitude et ses projets comme réels et à
prendre sans restriction au sérieux et qu'en même temps je portais
intensément la situation et lui-même au sein de cette situation à bout
de bras, avec à la fois l'espoir et la certitude — ce qui n'entre pas dans
les catégories logiques — qu'il n'accomplirait pas l'irréparable, et qui
en effet correspondait totalement à mon vécu silencieux, au prix cepen-
dant d'une intensité d'affects telle qu'au décours de chaque séance j'en
sortais épuisé. Tout au long de cette période j'avais gardé à l'esprit un
propos qu'il m'avait exprimé l'année précédente : « Je tiens quand je
suis tenu. » Et d'analyser alors, mais alors seulement, ce qui s'était joué
au cours de cette phase, de vérité profonde où ce qu'il vivait, sa réalité
et sa réalisation ne faisaient qu'une avec une perte totale du sens de
ladite réalité et de ses conséquences (« je n'étais pas maître, mais c'était
moi ») et du rôle fondamental de nos séances en ces circonstances, qui
ont peut-être évité le pire : « Votre attitude, même si elle n'a pas du tout
été comprise par mon entourage, elle a été superbe. Je ne sais ce qui ce
serait passé si vous aviez tenté de me stériliser, de me pasteuriser. »
Je n'étais cependant guère glorieux en la circonstance, et surtout sou-
lagé de la confirmation de la justesse de mon option, quitte à reprendre
ces fantasmes de castration, de mauvais sein introjecté, en des jours
meilleurs. Si interprétation il y a eu alors, en une élaboration commune,
ça a été du déplacement des voeux meurtriers à l'égard de la mère et de
moi-même sur l'amie, de la rupture de la part de celle-ci en tant qu'après-
coup d'une séparation traumatique d'avec sa mère dans ses premières
années, elle-même après-coup de quelque chose entre eux de tout à fait
dramatique qui demeurait sans traces mnésiques, mais dont nous étions
convaincus l'un et l'autre. On pourrait considérer l'ensemble de cette
phase régressive, depuis son déclenchement jusqu'à son achèvement,
comme liée chez Jacques à une identification primaire à l'agresseur
amie-mère-analyste concomitamment à une identification primaire à
l'analyste-mère-environnement. Alors, suggestion réciproque, dans un
sens péjoratif, ou communicationimmédiate d'inconscient à inconscient
concomitamment à un processus de déprise de l'emprise, permettant
1126 Raymond Cahn
Plutôt que de la prise, c'est de l'emprise qu'il a sans cesse été ici
question, et qui explique la crainte ou la fuite de nombre d'analystes
devant la psychose, l'analyse interminable ou certaines formes de
régression, en tous ces lieux, où le combat entre Eros et instinct de mort
devient le plus douteux ou apparaît perdu d'avance. Là où Freud,
lucide sur le pouvoir de l'analyse telle qu'il l'avait édifiée, en fixe les
bornes cliniques et métapsychologiques, Ferenczi, par sa « sorte de foi
fanatique dans les possibilités de la psychologie des profondeurs », fait
le pari que c'est moins l'incurabilité de tel patient qu'il faut incriminer
que « notre propre maladresse » 27. Si, au sein du protocole fixé par
Freud, l'analyse trouve ses limites, alors c'est ce protocole qu'il faut
assouplir ou même, à chaque fois que nécessaire, totalement modifier.
La technique active augmente-t-elle l'attention au point de compro-
mettre le processus ou d'entrer en collusion avec le masochisme de
certains patients ? Elle favorise cependant l'émergence de phénomènes
que Ferenczi pointe comme répétition d'un traumatisme originel. Il
faut donc que l'analyste plutôt que de retourner simplement à la neu-
tralité habituelle, intenable devant les affres du patient, fasse amende
honorable devant ce dernier et lui propose, de par son attitude dans la
réalité, un autre vécu de cette dernière que celle qu'il avait éprouvée
à l'orée de sa vie. Mais voilà qu'en certains cas cette tolérance et cette
sollicitude ne font que redoubler cette déréliction. C'est donc que
celle-ci peut être liée, tout autant qu'à la haine, à un excès d'amour ou à
une sollicitude inauthentique. Il faut donc savoir les reconnaître
honnêtement, elles aussi, et tenir ferme la barre de la bienveillance et de
28. Ni, de surcroît, imiter Jones, dans son entreprise de réduction, y compris la disqualifi-
cation, des propres prises de conscience de son compagnon et rival : « Excellent analyste, écrit ce
dernier, Ferenczi savait très bien s'analyser lui-même, mais hélas sans en tirer de bénéfice per-
sonnel adéquat. Cette analyse demeurait toujours trop intellectuelle et menée de façon trop
brillante. »
1132 Raymond Cahn
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Dr R. CAHN
6, rue de l'Abbaye
75006 Paris
JEAN-LUC DONNET
L'ENJEU DE L'INTERPRÉTATION
1. C'est une opposition déjà beaucoup travaillée dans la littérature psychanalytique, notam-
ment française (cf. Lagache, Rosolato).
2. Un oubli de Freud. A propos de la répétition agie, RFP, 1982, 5, p. 953.
3. Le Coq-Héron, 1983, n° 88, Jacques Dupont, édit.
4. Ferenczi et Rank, Perspectives de la Psychanalyse, Psychanalyse, 3, Payot, 1974 ; Rank,
Le Traumatisme de la naissance, Paris, Payot.
Rev. franc. Psychanal., 5/1983
1136 Jean-Luc Donnet
dans la cure que dans son titre, il m'avait paru intéressant de suivre
cette piste : elle amenait à déceler, tout au long de l'oeuvrede Freud, les
indices d'une répugnance conflictuelle à l'égard de l'agiereti, malgré ou
plutôt à travers sa reprise théorique. J'en donne un exemple plus loin.
Que nous apporte, sur cet « oubli » et son interprétation, la publi-
cation intégrale du courrier?
Dans sa lettre du 22 janvier 1924, Freud, après avoir donné des
nouvelles de sa mâchoire, signale qu'il vient de terminer son travail
sur Masoch (« Le problème économique du masochisme ») « qui reste
en deçà de ce que j'attendais ». Et il continue : « Je ne suis pas tout à fait
d'accord avec votre travail commun, bien que je l'apprécie à beaucoup
d'égards. »
Cette phrase, par son imprécision même, va agir sur Ferenczi comme
un chiffon rouge et, en somme, il y a de quoi !
Dans sa longue et célèbre lettre du 30 janvier 1924, il va tenter
d'imaginer les objections de Freud à un texte dont pourtant il a été
partie prenante, ce qui rend, selon Ferenczi, d'autant plus énigmatique
sa réserve à son égard. Après coup, il serait certes facile de faire valoir à
Ferenczi que c'est précisément cette trop grande implication de Freud
qui lui interdit une bonne distance critique qui ne soit pas pur « dédou-
blement ». Il est intéressant de relever les objections imaginées — et
réfutées — par Ferenczi.
a / L'allusion à la possibilité que la suggestion (hypnose) puisse
un jour être mêlée à la psychanalyse ? « Mais nous n'avons parlé
de cette possibilité que dans les termes les plus hypothétiques, un peu
comme vous-même, Monsieur le Professeur, en avez parlé dans votre
exposé de Budapest5. Nous avons également souligné que cet amalgame
ne serait autorisé que dans un but pratique (curatif) et non scientifique.
Naturellement, il est et reste tout à fait accessoire pour nous d'insérer
ou non cette prophétie contestable en soi, dans notre travail ; si vous
nous saviez invités, oui, si vous n'aviez montré qu'un signe de mécon-
tentement, nous l'aurions volontiers laissé de côté »6.
7. On pourrait presque suggérer une interprétation inverse : j'ai été influencé au point d'en
être convaincu, c'est-à-dire d'approuver votre texte, parce que vous avez bien voulu introduire
les rectifications (à cette valorisation excessive de l'agir) que ma répugnance déjà ancienne
exigeait.
L'enjeu de l'interprétation 1139
8. Pour mesurer cette incertitude,il faut songer à la façon dont Freud fait état de sa tentative
pour a injecter » le thème de la naissance dans ses analyses en cours !
1140 Jean-Luc Donnet
9. Op. cit.
L'enjeu de l'interprétation 1141
patients est liée à une erreur théorique, et s'étaye sur le reproche sur-
moïque de « prendre leurs désirs pour des réalités ». L'élément déformé
de vérité historique est donc ce qui peut « éclairer » le transfert et son
interprétation. Le renversement produit par Freud se prolonge : il y a
une analogie profonde entre la construction délirante (qui vise à
expliquer et guérir) et la construction du psychanalyste qui a la même
finalité. Certes, dans un cas il s'agit d'un travail intra-psychique incons-
cient, dans l'autre d'un travail inter-psychique moins inconscient
puisque le psychanalyste travaille sur une autre scène. La question
devient la suivante : qu'est-ce qui fait que le patient peut accueillir la
construction du thérapeute, qu'il ne sera pas tenté de la critiquer,
comme tout à l'heure le thérapeute était tenté de le faire pour la cons-
truction délirante? L'élément de réponse indirectement suggéré
par Freud est celui-ci : à condition, d'abord, que la construction du
psychanalyste ne soit pas une expression directe de son désir ; qu'elle
témoigne donc d'un fonctionnement mental où la suspension de la
représentation-but soit assurée. C'est-à-dire que l'interprétation soit
porteuse — outre son sens — d'un suspens du désir, qu'elle ne soit pas
militante12.
3 / Je peux maintenant dire quel sens je donnerais à l'opposition
— relative — entre construction et interprétation.
J'ai suggéré que, pour Freud, l'interprétation est plus proche du
matériel de la séance, et d'un résultat « discret », c'est-à-dire limité
et « complet »13 (isomorphe à la réussite d'un symptôme, d'un lapsus,
d'un mot d'esprit, voire d'un rêve). Par contraste, la construction est
une métaphore de la cure toute entière comme grande construction
historico-pulsionnelle, par définition indéfinie.
12. Il ne me semble pas artificiel de lire dans cette prescription technique de Freud un écho
d' « Analyse terminée et analyse mterminable », où il dialogue avec Ferenczi. La position tech-
nique dénoncée serait celle qui entendrait réduire le transfert à un fantasme de désir (et au trans-
fert de défenses), et sa liquidation à une éducation par la réalité. La vérité historique du transfert
ne renvoie pas au « pur miroir » de l'analyse, mais à ce que le cadre analytique répète, déjà, iné-
luctablement, et donc induit. L'analyste qui voudrait l'ignorer ressemblerait dans certains cas à
ce parent évoqué par Ferenczi, et qui ajoute à l'agression sexuelle, le désaveu de l'éprouvé de
l'enfant qui scelle le traumatisme. Après tout, à plusieurs reprises — et notamment dans « Les
théories sexuelles infantiles » — Freud désignait le mensonge parental comme le trauma par
excellence qui inhibe le pensoir. Ces aperçus préfigurent la fonction de l'Autre comme porte-
parole. Ils laissent entendre en tout cas que toute cure, dans sa singularité, engage la probléma-
tique trauma-fantasme : soit dans leur complémentarité pour une métapsychologiede la « réalité
psychique » autonome, intra-subjective, soit dans leur relation dilemmatique qui ouvre toute la
perspective du travail sur le cadre. Pour ce que Ferenczi apporte, à ce niveau, je renvoie au beau
travail de Pierre Sabourin dans les nos 79 et 80 du Coq-Héron.
13. Dire qu'une interprétation n'est jamais complète implique de conférer à « complète » un
sens « métaphysique ». J'entends par complète, phénoménologiquement, celle qui donne le
sentiment partagé d'un aboutissement, d'une adéquation faisant temporairement clôture.
L'enjeu de l'interprétation 1145
14. Sans doute dirait-on, avec Lacan, qu'il se trouve au plus près d'une position de grand
Autre.
L'enjeu de l'interprétation 1147
deux cas, n'est-ort pas victime d'un langage un peu technologique
(Rosolato)?
— l'expression d'interprétation de transfert me paraît infiniment plus
riche et adéquate : interprétation de transfert comme on dit mariage
de raison.
Dr Jean-Luc DONNET
40, rue Henri-Barbusse
75005 Paris
JACQUES CAÏN
Ferenczi comme des évidences, qu'un tel décodage fait appel autant à
une clinique analytique dont l'exemple qui suit est la démonstration,
qu'à la persistance dans l'esprit de l'analyste d'une conception ration-
nelle de ce déchiffrage. En effet, et en demeurant sur un plan purement
descriptif, un pont peut être défini à la fois par lui-même en tant qu'objet
ayant une certaine forme et servant à un certain usage ; à la fois par la
nature de ce qu'il sert à franchir, au plus près de la réalité. D'une façon
instrumentale, un pont sert à franchir un espace d'eau. A l'opposé
de cette définition par l'usage, la gymnastique du discours à laquelle
nous sommes maintenant parvenus, perversion ou non du signifiant,
fait que pour l'analyste, qu'il soit le plus médiocre ou le plus raffiné,
le pont évoque tout autant le jazz ou le Pacifique par le biais du Golden
Gate, qu'une figure de gymnastique, ou que l'isolement de Berlin et
bien d'autres choses encore.
Ferenczi quant à lui, était avant tout un clinicien, un observateur
et pour illustrer son hypothèse il rapporte ensuite le cas d'un patient
qui souffrait à la fois d'une phobie des ponts et d'une éjaculationretardée.
L'histoire de ce patient est tout à fait caractéristique et plus particuliè-
rement la scène traumatisante qu'il vécut à l'âge de neuf ans : « Sa mère
(une sage-femme) qui l'idolâtrait, ne voulut pas renoncer à la présence
de son enfant même la nuit où elle fut prise par les douleurs de l'accou-
chement et où elle mit au monde une petite fille ; le petit garçon, de son
lit, eut par conséquent la possibilité de déduire, à partir du processus
de la naissance qu'il dut sinon regarder du moins entendre, ainsi que
des propos tenus par les personnes qui s'occupaient de sa mère, des
détails sur l'apparition et la redisparitionprovisoire du corps de l'enfant.
Le petit garçon ne peut avoir échappé à l'angoisse qui s'empare irrésis-
tiblement de tout témoin d'une scène d'accouchement; il s'est senti
dans la situation de cet enfant qui était en train de subir sa première
et sa plus grande angoisse, prototype de toute angoisse future, et qui
pendant des heures était ballotté entre le ventre de la mère et le monde
extérieur. Ce va-et-vient, ce point de jonction entre la vie et ce qui
n'est-pas-encore (ou n'est-plus) la vie a donc donné à l'hystérie d'an-
goisse de ce malade la forme spécifique de la phobie des ponts. La rive
opposée du Danube signifiait pour lui l'au-delà qui, comme d'habitude,
était conçu à l'image de la vie prénatale. De sa vie, il n'avait jamais
franchi un pont à pied, seulement dans des véhicules qui allaient très
vite et en compagnie d'une forte personnalité qui lui en imposait. La
première fois que je l'amenai — après affermissementsuffisant du trans-
fert — à tenter de nouveau, après un long intervalle, le trajet en ma
Le pont de Don Juan 1155
des deux analystes ; mais surtout en raison du thème même de Don Juan
que Rank a pris comme pierre angulaire du double. Comment ne pas
apercevoir ainsi un lien entre le double et le pont, le double faisant inter-
venir non pas seulement deux êtres mais tout autant et plus encore ce qui
les relie : l'homme et son ombre, Don Juan et Leporello, le maître et son
valet, et aussi bien toutes les autres duplications du Burlador. Ces
reprises à deux ont pratiquement toujours à faire avec la notion de pont
que ce soit la bonne et la mauvaiseconscience morale, l'amour et le crime,
la rivalité des frères comme chez Lenau, ou celle de Don Juan avec
Don Luis comme chez Zorilla. Toutes ces images complémentaires
sont reliées par un pont dont une des fonctions essentielles est de relier
la vie à la mort au sens même du défi jeté constamment à ceux que
Don Juan tue ; il sait bien que tout lui sera repris qui lui a été donné,
et que nul hasard n'intervient dans son destin, comme il sait parfai-
tement qu'il doit mourir et de quelle main.
Le jeu paraît avoir à faire avec le temps où la mort est projetée
dans un présent intensément vécu lorsqu'elle s'accompagne d'un éro-
tisme où la satisfaction doit s'accomplir sur l'heure. Georges Bataille
est celui qui a le mieux perçu cet aspect d'un Don Juan chez qui la
pulsion de plaisir est si intense qu'elle se mêle au plus près à la pulsion
de mort. Dans un chapitre de L'histoire de l'oeil, Bataille décrit ainsi
l'intensité des jeux sexuels tels que les adultes les jouent à Séville. La
scène parle encore mieux pour qui s'est promené dans l'Hôpital de la
Caridad, édifice qui fut précisément fondé par Don Miguel de Manara
pour expier ses fautes : le chevalier, dont la tombe forme le sol du
porche (c'est-à-dire que chaque visiteur est obligé de la fouler de ses
pieds) a son destin résumé dans deux tableaux où Valders de Réal a
indiqué dans un réalisme distant de tout symbole, la vanité du plaisir
et la rédemption par la foi. Georges Bataille dans son texte suit un
mouvement semblable, même si l'intention est apparemmenttotalement
opposée : le débordement des gestes erotiques qui transgressent
toutes les lois et toutes les morales demeure tout aussi mortifère que,
trois siècles avant, l'histoire de Don Miguel.
En fait, et là nous rejoignons plus directement Ferenczi, ce n'est
pas tant dans ces débordements réalistes que le symbolisme du pont
apparaît au mieux et l'on pénètre beaucoup plus dans l'univers symbo-
lique à travers le troisième tableau de Valders de Real où l'on voit
Don Miguel de Manara lisant la règle de la Charité : assis à une table
richement ornée, levant la main dans un geste plein de noblesse,
il domine une scène où son double est représenté par un jeune
116o Jacques Caïn
résultat, de travail effectué par quelqu'un qui est dans la gêne et qui vit
difficilement (comme le dit le dictionnaire).
Notre travail antérieur nous faisait passer chez l'hystérique du non
au nom et puisque nous avons ouvert ce paragraphe en faisant appel à la
langue allemande, c'est la langue italienne qui nous servira maintenant :
parler de pont à propos de Don Juan sans évoquer un seul moment le
nom de da Ponte, librettiste, si tant est que celui qui a composé les
paroles de l'opéra giocoso ait pu se considérer comme tel, c'est là une
occultation qui ne peut être dénuée de sens. Ferenczi ne pouvait certes
ignorer ce nom du co-auteur de Don Juan et cette méconnaissance
appelle pour nous en écho ce que nous avons décrit quant à la mécon-
naissance de Freud vis-à-vis de la musique. Comme Freud qui, il faut
bien le dire, a préféré sans le reconnaître Da Ponte à Mozart, Ferenczi
n'a évoqué que les paroles portant l'histoire d'un héros sans en écouter
la musique.
Pour terminer nous repartirons du symbolisme du pont, plus
particulièrement étudié chez Don Juan et à partir de la conception
de Ferenczi sur l'activité symbolique et son ontogenèse, telle qu'il a
commencé à la définir dès 1913.
On sait que pour Ferenczi le symbole se constitue pendant la
période animiste que traverse l'enfant, c'est-à-dire à un moment
où tout objet se présente à lui comme animé et comme support évident
de la projection de ses organes et de leur fonctionnement. C'est à cette
période qu'une espèce de catalogue s'établit, primaire comme on le dit
d'un niveau de culture, où sous la pression des pulsions sexuelles, les
objets, selon leur forme, représentent les organes sexuels masculins
ou féminins. Par la suite, le refoulement supprimera de cette séquence
un des termes de l'équivalence, et seul demeurera le signe, « symbole du
terme refoulé ».
A partir de ce fondement, comme le rappelle Ilse Barande, deux
voies s'ouvrent à Ferenczi :
vers lequel il tend. Le plaisir est dans le trajet, que le but final soit la
conquête d'autrui, la mort d'autrui ou sa propre mort, que ce soit la
lutte avec l'homme ou avec le destin.
Don Juan est exemplaire en ce sens parce qu'il va toujours vers
un but dont on ne sait même pas s'il est atteint (qui dira si les « mille
tre » ont été réellement les maîtresses de Don Juan, et d'ailleurs qu'im-
porte : ce qui importe est « l'aller vers »).
Don Juan à ce niveau régresse au même niveau que le jeune enfant
dont on sait qu'il ne peut retarder la solution de sa demande et qu'une
satisfaction immédiate lui est nécessaire si bien que le stade inter-
médiaire du fantasme peut être sauté. Ainsi le nourrisson qui serait
nourri dès le premier cri n'aurait pas besoin de fantasmer une absence
ou un retard à la satisfaction : pas plus n'aurait-il besoin d'appeler,
de symboliser ou de verbaliser ses manques et donc de vocaliser autre
chose que des cris dont la valeur de signal serait suffisante.
C'est plus tard que les choses se compliquent et que le besoin de
plaisir immédiat se transforme en plaisir du présent. L'approche
devient elle-même chargée de plaisir puisqu'elle contient déjà l'objet.
Il est possible que contrairement à ce qu'on pense d'habitude, Don Juan
ne soit pas à répéter pour se prouver quelque chose qu'il n'a pas ;
mais plutôt parce que c'est dans la répétition elle-même et la demande
qui l'accompagne, qu'il contient l'objet de son désir. C'est en somme
dans sa demande et dans sa nécessaire insatisfaction qu'est inclus son
plaisir. A ce niveau on retrouve l'image du Pont comme symbole de
l'approche nécessaire pour un entre-deux qui est, chez les Don Juan, la
seule façon de maintenir leur propre économie interne.
En ce sens les deux textes de Ferenczi replacés dans leur moment
historique et une fois déchiffrée la valeur des objets et du mythe qui les
fondent, nous donnent une image exemplaire d'un certain type de
mouvement pulsionnel. C'est sur 1' « Entre » que l'accent est mis, temps
intermédiaire où la pulsion est en train de se réaliser, c'est-à-dire dans
un présent qui se fait ; et pareillement entre deux lieux ou entre deux
objets dont l'un est purement narcissique et dont l'autre appartient
au monde extérieur, que celui-ci soit ou non internalisé.
Dr Jacques CAÏN
17, avenue Frédéric-Mistral
13008 Marseille
JACQUELINE MILLER
11. S. Freud, Ma vie et la psychanalyse, Gallimard, Idées, NRF, 1924, pp. 13 et 14.
12. Importance également soulignée par D. Anzieu, Vauto-analyse de Freud, PUF, 1959 et
Marthe Robert, D'OEdipe à Moïse, Calmann-Lévy, 1974.
13. A. de Mijolla, Kolloman, Goethe et Rabbi Schlomo, Les Belles-Lettres, 1981, p. 130.
14. Jones, t. 1, p. 32.
1170 Jacqueline Miller
15. I. Barande, S. Ferenczi, Petite Bibliothèque Payot, 1972, a avancé l'idée que la théorie
freudienne de 1920 a fonctionné pour Ferenczi et Rank comme traumatisme métabolisé par
eux sur le mode d'une abréaction dans une pratique prétendant à une efficacité accrue.
16. A. Green, La mère morte, Narcissisme de Vie. Narcissisme de mort, Ed. de Minuit, 1982,
p. 250.
17. Est-ce aussi un hasard si le Freud de ces années 20, endeuillé de sa fille Sophie et de son
cher von Freund, décline l'invitation de Groddeck et envoie à Baden-Baden (J. A. Malarewickz,
Itinéraire d'une absence, Privat; 1979) un Ferenczi plus que jamais envahi de craintes hypo-
condriaques pour y soigner me insuffisance rénale ?
Un aspect du transfert négatif 1171
Dr Rénate STAEWEN-HAAS
187, rue Saint-Jacques
75005 Paris
ILSE BARANDE
* Payot, 1982.
1. Sandor Ferenczi, OEuvres complètes, Psychanalyse, I, II, III, IV, Payot.
Rev. franc. Psychanal., 5/1983
1184 Ilse
indiscrètes à sa propre famille (p. 50). Certes, mais comment marier
cela avec un deuxième commentaire constatant, lui, l'absence de
réticence non seulement des héritiers mais de Ferenczi lui-même :
Barande
I. — TEXTES DE S. FERENCZI
© OEuvres complètes
Bausteine zur Psychoanalyse (InternationalerPsychoanalytischer Verlag, Vienne,
1927, vol. 1-2 ; 1937-19383 vol. 3, 4). Réédition : Berne, Verlag Hans Huber,
AG, 1964, 4 vol.
OEuvres complètes : Psychanalyse 1 (1908-1912), trad. Dr J. Dupont, Dr Ph. Gar-
nier, Paris, Payot, 1968, 265 p. ; Psychanalyse 2 (1913-1919), trad.
Dr J. Dupont, M. Viliker, Dr Ph. Garnier, Paris, Payot, 1970, 357 p. ;
Psychanalyse 3 (1919-1926), trad. Dr J. Dupont, M. Viliker, Paris, Payot,
1974, 449 p. ; Psychanalyse 4 (1927-1933), trad. par l'équipe de traduction
du Coq-Héron (J. Dupont, S. Hommel, F. Samson, P. Sabourin et B. This),
Paris, Payot, 1982, 335 p.
Rev. franç. Psychanal., 5/1983
1186 Claude Girard
© Premiers écrits
Lorin Cl, Le jeune Ferenczi. Premiers écrits, 1899-1906, Paris, Aubier-Mon-
taigne, 1983, 360 p.
© Correspondance
Ferenczi S., Groddeck G., Correspondance (1921-1933), trad., notes et com-
mentaires par le groupe de traduction du Coq-Héron, Paris, Payot, 1982,
162 p.
Freud S., Correspondance (1873-1939), trad. A. Berman et J.-P. Grossein,
Paris, Gallimard, 1966, 517 p. (9 lettres : nos 141, 143, 148, 163, 183, 187,
237, 256, 258).
Grubrich-Simitis I., Six lettres relatives au rapport réciproque entre théorie et
technique psychanalytiques, trad. S. Aschasch et J. Dupont, Le Coq-Héron
1983, 88, 11-40. Article extrait du volume : G. Jappe et C. Nedelman, Zur
Psychoanalyse der Objektbeziehungen (De la psychanalyse des relations
d'objet), Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1980.
Jones E., La vie et l'oeuvre de S. Freud, 3 vol., Paris, PUF, 1958, 1961, 1969.
Extraits de la correspondance Freud-Ferenczi dans les tomes II et III.
© Critique de livre
Dans les Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, on trouve la
nomination à l'unanimité de Ferenczi comme membre de la Société, les 7 et
14 octobre 1908, et une critique d'un livre lors d'une séance réservée à des
comptes rendus (10 février 1909) :
Ferenczi, Logique médicale de Bieganski, in Les premiers psychanalystes,
Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, vol. II (1908-1910),
Paris, Gallimard, 1978, 572 p.
Autres traductions :
Borneman E. (édit.), Psychanalyse de l'argent, Paris, PUF, 1978 :
« Sur l'ontogenèse de l'intérêt pour l'argent », trad. D. Guérineau, p. 94-1025
« Pecunia olet » (L'argent n'a pas d'odeur), trad. D. Guérineau, p. 106-109.
Présence de Ferenczi 1187
Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Payot, 1973, 267 p., trad. J. Morche :
« Un facteur linguistique dans la caractérologie des Anglais » (1920) ;
« Psychanalyse et biologie » (1930).
The relation of technique to theory (Symposium VIIIe Congrès international,
Salzbourg, 1924), Intern. J. Psychoanal., 1924, 6, 395.
Analyse de S. Ferenczi et O. Rank, The development of Psychoanalysis,
Internat. J. Psychoanal., 1926, 7, 103.
Analyse de S. Ferenczi, Thalassa, Internat. J. Psychoanal., 1940, 21, 100.
Notice nécrologique, S. Ferenczi (1873-1933), Internat. J. Psychoanal., 1933,
14= 4, 463-466.
©
1193
On relève deux numéros de revue qui lui sont consacrés, en dehors de ceux
du Coq-Héron qui contiennent de nombreux articles (nos 26, 27, 28, 75, 85,
86, 88), et un dossier dans La Quinzaine littéraire.
Colloque sur Ferenczi à la Société psychanalytique de Paris à l'occasion de son
centenaire (18 décembre 1973), Rev. fr. Psychanal, 1974, 38, 4.
Hommage à Sandor Ferenczi (1873-1933), Perspectives psychiatriques, 1983,
3, 92.
Ferenczi, l'enfant terrible de la psychanalyse. Dossier préparé par Roger Gentis,
La Quinzaine littéraire, 16-28 février 1982, n° 365, 18-23 (entretien avec
les traducteurs, W. Granoff raconte, Sexualité et création artistique, Cor-
respondance Freud-Ferenczi).
• Aspects techniques
Begoin J., Begoin Fl., Le travail du psychanalyste. De la technique à l'éthique
psychanalytique, chap. 11 : « S. Ferenczi : A la recherche de la langue de
l'enfant », Rev. fr. Psychanal, 1982, 46, 2, p. 233-239.
Berkey B. R., Roberts L. M., Sandor Ferenczi (The man, his work and evolving
forms of active psychotherapy), Dis. Nerv. Sys., 1968, 457-461.
Bokanowski T., Présence de Ferenczi dans « Analyse terminée, analyse inter-
minable », Etudes freudiennes, 1979, 15-16, 83-100.
De Forest I., The therapeutic technique of Sandor Ferenczi, Internat. J.
Psychoanal., 1942, 23, 3-4, 120-139.
— The leaven of love. A development of the psychoanalytic theory and technique
of Sandor Ferenczi, New York, Harper ; Londres, Gollancz, 1954, 206 p.
— Analyses de ce livre : N. Ross, Annual Survey of Psychoanalysis, 1954, 5,
359 ; A. Stein, Annual Survey of Psychoanalysis, 1954, 5, 486-495 ; E. Jones,
Internat. J. Psychoanal., 1956, 57, 488 ; H. Tartakoff, J. Americ. Psychoanal.
Assoc, 1956, 4, 318-343.
Gedo F., Noch einmal der « gelehrte Saügling », Psyche, 1968, 22, 301-319.
(Une fois de plus, le « nourrisson savant »).
Green A., Exergue à la traduction de J. Dupont et M. Viliker de : Principe de
relaxation et néocatharsis, Nouv. Rev. Psychanal, 1974, n° 10, 19-20.
Grunberger B., De la « technique active » à la « confusion des langues ». Etude
sur la déviation ferenczienne, Rev. fr. Psychanal, 1974, 38, 4, 521-546.
Julien P., Le débat entre Freud et Ferenczi : savoir y faire ou savoir y être,
Analytica, 1978, 9, 24-50.
Neyraut M., Le transfert. Etude psychanalytique, chap. II : « L'histoire du
transfert. 4) Ferenczi ou le transfert comme introjection », Paris, PUF,
1973, 285 p., p. 155-184.
Stärcke A., Ferenczi's wijzignig der psychoanalytische technick, Psych. en
Neurol. Bl, 1937, 40, 4, 3-16.
Stein C, Le nourrisson savant selon Ferenczi, ou la haine et le savoir dans la
situation analytique, Etudes freudiennes, 1981, n° 17-18, 107-121.
Sterba R. H., Das psychische Trauma und die Handhabung der Übertragung
(die Lezten Arbeiten von S. Ferenczi zur psychoanalytischen technick).
Le traumatisme psychique et le maniement du transfert (Les derniers
travaux de S. Ferenczi concernant la technique psychanalytique), Internat.
Zeitschr. für Psychoanal., 1936, 22, 40-46.
Thompson C., « The therapeutic technique of Sandor Ferenczi ». A comment.,
Internat. J. Psychoanal., 1943, 24, 1-2, 64-66.
— Ferenczi's contribution to psychoanalysis, Psychiatry, 1944, 7, 245-252.
RFP — 39
1194 Claude Girard
MADELEINE VERMOREL
LES MASOCHISMES
2. B. Rosenberg s'appuie là, essentiellement, sur deux textes de Freud, Pulsions et destin des
pulsions et les deux derniers chapitres de Malaise dans la civilisation.
Les masochismes 1199
Dr Madeleine VERMOREL
La Tour - Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier
73800 Montmélian
JEAN GILLIBERT
LIBRE LECTURE
Onanisme romantique
En relisant Voyage au bout de la nuit de L. F. Céline.,
La nausée de J.-P. Sartre,
et... en découvrant L'apprenti de Raymond Guérin*
* Gallimard.
sont toujours répugnants et l'art exige qu'on situe l'intérêt de l'oeuvre dans les
lointains, dans l'insaisissable, là où se réfugie le mensonge, le rêve pris sur le
fait, et seul amour des hommes. »
Remplaçons mensonge par désir, ou désir par leurre et le tour est joué pour
la pensée d'après-guerre. Céline avait bien tout prévu de sa révolte. Paul Nizan
— un clairvoyant, celui-là — disait de cette révolte qu'elle pouvait « conduire
n'importe où, parmi nous, contre nous ». N'importe où, là où la nuit permet
tous les subterfuges et les mensonges, là... où si ce n'est ta soeur, c'est donc ton
frère !
« Le petit nègre, mon guide, revenait sur ses pas pour m'offrir ses services
intimes, et comme je n'étais pas en train ce soir-là, il m'offrit aussitôt, déçu, de
me présenter sa soeur. J'aurais été curieux de savoir comment il pouvait la
retrouver, lui, sa soeur, dans une nuit pareille » (Céline).
Le style, hélas, est la formule qui fait mouche ; le langage « connotant » qui
assujettit : « La loi, c'est le grand « Luna Park » de la douleur » (Céline).
Ou encore : « La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou
mentir. Je n'ai jamais pu me tuer, moi » (Céline). On pourrait dire : « Quel
courage, cette peur de sa mort, ce merveilleux mensonge pour la vie ! authen-
tique nietzschéisme ! » Dostoïevski nous avait dit qu'il n'y avait rien de
pire que cette séparation de l'homme de sa mort ; Freud mettait, dans cette
séparation, l'angoisse devant le sur-moi, anticipatrice et déjà fonctionnelle,
thérapeutique... Mais ceux qui ont été séparés de leur « mort », que Céline
appelle « juifs » sans vouloir savoir ce que cette désignation « contient » et non
seulement désigne... quelle est leur vérité — et la nôtre —, et la vérité de ce
monde ? La volonté de puissance devant la volonté d'anéantissement ; voilà
ce à quoi nous avons assisté, car la volonté d'anéantissement n'est pas une
volonté de puissance, qui, elle, est de la vie, de la « vraie vie ». Justement, quand
Céline écrit que « la vie m'aurait trompé comme tous les autres, la Vie, la vraie
maîtrise des véritables hommes », que ne s'interroge-t-il sur cette « tromperie » !
Pourtant il avait bien compris que le traumatisme de l'événement replie les
instincts (« comme un parapluie ») même, écrit-il, « branlochant d'incohérence,
réduits à eux-mêmes, c'est-à-dire à rien ». Et immédiatement, à la suite, la
formule « V aches sans train » (sic).
« Vivre tout sec, quel cabanon ! » (resic) : mais n'est-ce pas du Jacques
Martin à une émission de TV ?
Céline, lui non plus, ne veut pas aller au-delà des mots, il le dit, car pour
cet effort baveux, « Rien n'arrive » (sic). Pas de métalangage ! Les mots, rien
que les mots !... on est alors sûr de ne pas se tromper... mais derrière le rideau,
sûr, tout autant, de tromper.
Céline pressent bien, et il le dit, que la guerre et la maladie, « ce sont deux
infinis du cauchemar » ; il est encore plus lucide sur notre mal moderne dans
ceci : « La grande fatigue de l'existence n'est peut-être en somme que cet
énorme mal qu'on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage,
raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c'est-à-dire
immonde, atroce, absurde. Cauchemar d'avoir à présenter toujours comme un
petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant
qu'on nous a donné » (Céline).
Amères paroles de désillusion devant la figure ravalée et rabaissée de l'an-
thropos qui ne tient pas son idéal du moi. Mais pourquoi « qu'on nous a donné »
(le sous-homme claudicant) ? Blessure narcissique par la maladie et la guerre.
Certes, et cela fait de la vanité d'être homme un « instinct »... Mais pourquoi
« au nom » de la guerre et de la maladie ?
La vie est plus effroyable que cela, la vie humaine s'entend, puisqu'elle
1208 Jean Gillibert
peut mettre une coupure non seulement entre un sujet et ce qui le dépasse,
mais entre l'homme et son humanité — ce qui est tout à fait différent et peut-
être nouveau et qui est apparu avec la deuxième guerre mondiale.
La psychanalyse, après la deuxième guerre, a choisi, elle aussi, soit le retour
à l'humanisme, soit à ce qu'elle a pris pour une découverte freudienne (?). Un
anti-humanisme où la figure de l'homme devenait complètement ex-centrée.
Freud nous avait bien mis au pied de la lettre avec Malaise dans la civili-
sation : le sur-moi n'était pas, ne serait jamais la Loi ; l'intérieur vivant de la
répression, nouvel esclavage, rend otages à la fois moi et autrui. La radicali-
sation de cette coupure, entre moi et l'autre, entre l'homme et son humanité
et non plus seulement entre l'homme et ses figures sociologique, linguistique,
biologique, etc., on peut penser que Freud et Céline l'ont pressenti : la pulsion
de mort en étant le premier échelon, mais... tellement « général », tellement
« métaphysique » !
Le sous-homme est encore un idéal du moi narcissique, ravalé... mais
l'homme du sous-sol selon Dostoïevski, ou celui de Kafka, ne sont-ils pas
autre chose de tout à fait différent que les guenilles humaines de la malédiction
célinienne ?
Et tenez, dans des pages voisines du Voyage, Céline n'écrit-il pas superbe-
ment ceci : « Possédés, vicieux, captieux et retors, ces favoris de la psychiatrie
récente à coups d'analyses superconscientes nous précipitent aux abîmes...
Tout simplement aux abîmes ! Un matin, si vous ne réagissez pas, Ferdinand,
nous les jeunes, nous allons passer. Comprenez-moi bien, passer ! A force de
nous étirer, de nous sublimer, de nous tracasser l'entendement, de l'autre
côté de l'intelligence, du côté infernal, celui-là, du côté dont on ne revient pas !...
D'ailleurs on vous dirait déjà qu'ils y sont enfermés ces super-malins, dans la
case aux damnés, à force de se masturber la jugeote jour après nuit. » (C'est
moi qui souligne « masturber ».) Eh bien, c'est Céline qui ici se masturbe (la
jugeote), ne lui en déplaise !
Car ceci, plus loin : « Je suis une bête à testicules, moi Ferdinand, et lorsque
je tiens un fait alors j'ai bien du mal à le lâcher... L'autre jour, tenez, il m'en
est arrivé une belle à ce propos... On me demandait de recevoir un écrivain...
Il battait la campagne l'écrivain... Savez-vous ce qu'il gueulait depuis plus
d'un mois ? « On liquide !... on liquide !... » Comme ça qu'il vociférait à travers
la maison ! Lui, ça y était... on pouvait le dire... Il y était passé de l'autre côté
de l'intelligence !... »
Mais Céline savait-il exactement que l'autre côté de l'intelligence, c'est
l'intellectualisme, la rhétorique, le style pour lui-même... non plus l'émotion
mais son trémolo, bref tout l'arsenal « sentimental » qu'on a vu resurgir sous
la plume des clercs de l'après-guerre ? Des otages, nous serions devenus...
des otages de ceux, qui sous tous les masques de ce positivisme sentimental
néo-formé, disposent abusivement du droit de dire : « Cela, tu seras ! »
Et La nausée de Sartre, le bouquin encore plus romantique et encore plus
« masturbateur »... parti du « Voyage célinien », avec son exergue exemplaire...
« tout juste un individu » ?
Tout juste un individu, essaie de « percevoir » le monde au plus proche et
au plus éperdu.
« Ça ne va pas ! Ça ne va pas du tout ! Je l'ai, la saleté, la Nausée » (Sartre).
— Moi, petit individu — tout juste — que suis-je devant la rumeur du
monde. — La Noise, la nausée ? « Une vive déception au sexe »... voilà ce que
je suis ! Et de l'autre côté de moi-même : « L'idée est toujours là, l'innommable »
— ma propre vie n'arrive pas à remplir le monde, la mélodie de la négresse
qui chante par exemple... idéal du moi, au raccourci, là encore.
Onanisme romantique 1209
Dr Jean GILLIBERT
12, avenue de la République
92340 Bourg-la-Reine .
JEAN GILLIBERT
LA DIALECTIQUE FREUDIENNE
I : PRATIQUE DE LA MÉTHODE PSYCHANALYTIQUE*
de CLAUDE LE GUEN
Claude Le Guen est fidèle à ce qu'il annonça, fidèle à lui-même, non par
obstination mais par approfondissement.
Donc, une méthode, ça ne s'enseigne pas, au besoin « on en parle », au
mieux on l'applique, on la pratique. Le Guen prouve la méthode psychanaly-
tique en en parlant — par l'exercice de la pratique dont il rend compte, en
articulant au plus juste pratique et théorie (en rappelant d'ailleurs au passage
que théorie veut dire « procession », plus que spéculation).
C'est un livre fort, cohérent et qui dit les choses avec simplicité et avec
netteté.
Le changement qu'apporte le livre « se fonde bien dans l'individualité,
ne l'en dépasse pas moins d'une façon qui lui échappe ». L'effet de ce changement
individuel porte « sur la culture elle-même, sur cette culture même qui l'a
produite ».
Courte digression et petit débat avec l'auteur : ni Marx, ni Freud ne se sont
voulus philosophes ni ne l'ont été vraiment, mais tous deux sont nés du sol de la
métaphysique (Hegel et Schopenhauer). Tous deux ont contourné le problème
ontologique, en ne le servant pas moins — plus qu'ils ne l'auraient souhaité.
Il faut quand même rappeler que pour Marx, l'être est être en tant
qu' « être de production » — et ceci dès les Manuscrits de 1848, et que la version
de la pratique marxiste dans les pays dits socialisés fait fi de cette déclaration
qui n'a pas changé tout le long de l'oeuvre dite théorique. Il n'y a pas de coupure
entre l'ontologie de la pratique et l'ontologie de la théorie marxiste contraire-
ment à ce qu'a décidé ou Lénine... ou Althusser.
Quant à Freud, le fait de déclarer que l'hallucination n'est pas « optative »
— elle est — et que le deuil « est » aussi (comme Ananké)... cette détermination
forcenée de l'être sur le masque de la Nécessité — même si on dit que la néces-
sité produit l'être — n'en demeure pas moins une violente déclaration
métaphysique.
Nous sommes bien assujettis au déchiffrement de la pulsion : ce déchiffre-
ment ne pouvant être que du ressort de l'individuel tandis que la pulsion
renvoie à un ordre du « mythique », du sublime et de 1' « indéfini » (sic Freud).
« Science historique », écrit Le Guen : tout à fait d'accord!
L'historicité
est de nos jours « scotomisée » dans ce qu'on appelle les sciences humaines,
puisqu'on veut confondre historicisme et historicité — historicité comme l'évé-
nement et l'avènement d'un sujet dans une culture — culture voulant dire
ici, finalité et non but de la pulsion.
Ainsi, pour le meilleur comme pour le pire, l'idéologie du psychanalyste
renvoie à l'idéologie de la psychanalyse... Mais c'est la « praxis » qui l'emporte.
« Praxis » définie par Le Guen, ainsi : « La praxis est le dépassement de l'oppo-
sition entre pratique et théorie ; elle est leur union contradictoire, leur dialec-
tique féconde. »
2 / Ne faut-il pas penser la vérité d'un « père » (soit sous sa forme erotique,
narcissique, préoedipienne comme Freud le désirait, soit sous sa forme cultu-
relle, légale, comme nécessité inhérente à la culture humaine)?
3 / Ne faut-il pas tenter de sortir de l'impasse, père légiférant a priori
sur la relation duelle « mère-enfant », ou père surgissant, par genèse du non-
mère, en père sexué et sexuel ?
Bref, l'Aufhebung est-elle suffisante? Le Guen ne répond pas directement.
Il s'évade un peu de cette tenaillante question, mais il y répond quand même
et de la plus intéressante façon : par un exposé de son travail d'interprétation
analytique. En valorisant et l'historicité et la subjectivité. Je ne dis pas l'histo-
risation ou le subjectivisme.
Il met en bas de page (p. 59) un renvoi (1) qui cite Freud, « car une psycha-
nalyse n'est pas une recherche scientifique impartiale, mais un acte thérapeu-
tique ; elle ne cherche pas, par exemple, à prouver, mais à modifier quelque
chose ». (C'est moi qui souligne.)
Freud ne renonce pas au savoir, mais il fait place aussi à ce qui est non de
l'ordre de la foi (religieuse) mais du changement, donc à l'ordre d'une croyance
et d'une foi au changement.
Alors, l'Aufhebung, le travail du négatif n'ont de sens que dans cette perspec-
tive et le travail... de l'analyste ne se résume pas à un texte d'exécration du
monde (Lacan). Il faut prendre « part à ». Ce que nous montre très bien Le
Guen. ...
Tout originaire qu'il soit, l'oedipe ne peut en rester à son origine originante.
Autrui le secondarisera toujours. « Plusieurs oedipes » (Le Guen) veut non
seulement dire qu'oedipe se fait à plusieurs mais que l'origine, qui n'est toujours
qu'un recul de la cause, s'avance sur le terrain du multiple et non à partir
de l'Un.
Voici comment il le dit (p. 84) : « Qu'ainsi la cure opère en harmonique de
l'oedipe originaire et se structure dans l'oedipe secondaire qu'elle organise chez
les protagonistes ?»
Dans et par la cure, l'oedipe résulta d'un double étayage (rejoignant « l'oedi-
pification » (Diatkine, Lebovici).
J'admets très bien cette version mais elle ne concorde pas absolument
avec la version freudienne de l'oedipe comme double mimesis
[ identification
puisse d'une manière ou d'une autre devenir l'objet d'une « croyance », n'en
doutons pas. N'entendons-nous pas fréquemment, dans nos « milieux ana-
lytiques » dire (avec quel naturel!) : « Moi, la pulsion de mort, je n'y crois pas
(ou j'y crois, au choix). » Du meurtre du père primitif (mythe originaire) à la
pulsion de mort, la pensée psychanalytique nous engage, volens nolens, dans la
voie de la construction d'une psyché dont le but serait de répondre au mystère
irrévocable et existentiel de notre présence au monde. Présence de soi-même
et de l'autre, irréductibles l'un à l'autre, à la fois inconnaissables et semblables
(de la même race), non saisissables l'un par l'autre, si ce n'est justement par un
travail de la psyché. Comme le montre bien Luisa de Urtubey, le travail du
psychanalyste est bien un travail de sorcier-magicien, justement en ce qu'il
entre de « possession » de l'un par l'autre des deux protagonistes.
Mais si ce travail représente bien un acte de « foi », ne peut-il s'accomplir
autrement que dans un deuil permanent de saisir le narcissisme de l'autre?
Croire en un Dieu qui nous étreint de son amour ou croire en un diable qui nous
possède de ses maléfices nous renvoie à ce qui me semble être une des difficultés
majeures de la pensée : penser à ce qui nous échappe totalement, le temps
et la mort. Chacun à sa manière, ces deux excellents ouvrages nous font toucher
du doigt et penser l'inscription de cette problématique dans la culture humaine.
ENFANTS TRISTES*
Dr Gilbert. DIATKINE
71, boulevard Beaumarchais
75003 Paris
FRANÇOIS SACCO
L'HOMME ENCEINT
de ROBERTO ZAPPERI*
Voici un livre qui nous a intéressé par l'étonnante multiplicité des domaines
culturels qu'il traverse et les différents points de vue méthodologiques qu'il
témoigne.
L'auteur a su captiver notre intérêt par la richesse de ses sources littéraires,
savantes et populaires, iconographiques même si ces dernières sont limitées
par la contrainte commerciale.
Le drolatique et l'inquiétant du mythe de « l'Homme enceint » va témoigner
de l'histoire, essentiellement de l'Europe du Moyen Age, et de l'affirmation
de certains aspects du christianisme comme référence culturelle.
La préface est assurée par Jacques Le Goff, son ami. Roberto Zapperi
est défini par Jacques Le Goff comme un anthropologiste historien dont
l'originalité est de rendre compte à travers l'analyse d'un mythe, l'évolution
d'une société. Le mythe de l'Homme enceint va trouver dans la société chré-
tienne, depuis la féodalité, xie siècle, à l'époque moderne, révolution indus-
trielle, un renouveau qui nous donnera un éclairage particulier sur les rapports
Homme-Femme-Pouvoir.
En fait, comme nous le savons, le mythe de l'Homme enceint est aussi
ancien que la naissance des sociétés humaines, car les mythes sont des élabo-
rations psychiques collectives qui répondent aux nécessités sociales et histo-
riques du groupe ; ils ont une profonde résonance pour l'individu, mais ils
ne sont pas à confondre avec les productions psychiques individuelles, même si
celles-ci les ont toujours alimentés.
Les écrits de Freud, l'expérience clinique psychanalytique nous l'ont
montré, mythe, art, religion, permettent à chaque individu appartenant à un
groupe de trouver assez de satisfactions psychiques pour faire face à l'angoisse
et élaborer la dépression.
L'auteur veut nous montrer comment le mythe de la naissance d'Eve,
repris au XIe siècle en Europe, médiatise la représentation du pouvoir telle
que le christianisme l'impose à la famille, et par là même à la société.
Cette thèse a l'intérêt de permettre une moisson de renseignements stimu-
lants pour comprendre le dehors social, collectif du mythe, utilisé comme
symbole culturel, mais non sa valeur endopsychique, la rassurance et le plaisir
que sous-entend l'adhésion individuelle à sa reconnaissance.
Et c'est là la première difficulté, à notre avis, que l'auteur va rencontrer :
la psychanalyse ne peut être utilisée comme méthode explicative pour être
exhaustive.
Son originalité est la dérive vers toute ouverture ; interroger le mythe de
l'Homme enceint aurait nécessité une ouverture vers l'au-delà chrétien et
l'en-deçà, même si, à juste titre, comme le fait l'auteur, on ne peut interpréter
un mythe en l'isolant de son contexte social ; Roberto Zapperi nous en montre
une variation significative, une transmission et la permanence.
Variation du mythe, permanence, c'est dans Cette dualité que se situent la
variation de l'appareil psychique individuel, et la possibilité interprétative
du psychanalyste.
Bien entendu, nous l'avons déjà dit, nous sommes loin du mythe personnel,
objet de notre pratique ; nous sommes dans les productions psychiques collec-
tives, et on pourra se poser la question : quels sont les rapports que l'auteur
entretient avec la théorie psychanalytique dans sa recherche historique ?
Ainsi, comme l'indique à la fois Jacques Le Goff, l'auteur s'inspire de
Marx, E. Benveniste, R. Jakobson, M. Foucault, G. Devereux, G. Duby,
F. Jacob, E. Leach, C. Lévi-Strauss, et la théorie psychanalytique dans l'éla-
boration des premiers analystes : S. Freud, E. Jones, T. Reik.
La méthode psychanalytique est entendue plus comme un savoir de réfé-
rence, que l'auteur utilise avec maestria, que comme recherche donnant une
ouverture à l'Inconscient.
Roberto Zapperi attire notre attention sur une modification apparue sur la
figuration de la naissance d'Eve pendant le xie siècle qui rompt la Tradition
biblique ; cette modification apparemment insignifiante révèle un manque ;
en effet, dans la Bible Yahvé avait créé Eve en deux temps :
— il enlève la côte d'Adam
— il crée Eve à partir de celle-ci.
La nouvelle figuration condense en un tout ces deux temps par :
— Yahvé crée directement Eve à partir du flanc d'Adam.
Or, cet accouchement costal masculin, les théologiens l'avaient déjà intro-
duit par la fiction de la naissance de l'Eglise à partir du côté du crucifié.
La superposition des deux mythes, pense l'auteur, aurait servi à faire passer
un point fondamental de la doctrine chrétienne du mariage, le rapport de
subordination entre l'homme et la femme. Il va mener son enquête pour
comprendre pourquoi ce besoin apparaît dans la seconde moitié du XIe siècle,
en interrogeant toutes les manifestations culturelles à sa disposition : sculptures,
peintures, mosaïques, textes, folklore.
Son cheminement va parcourir essentiellement quatre grands ensembles
culturels : Scandinavie, Allemagne, France, Italie, mais aussi d'autres religions
monothéistes : judaïsme, islam. Le rapport de subordination va être éclairé
de différentes façons ; par exemple en montrant que le système d'opposition
important à l'époque médiévale et postmédiévale est l'opposition entre le
dessus et le dessous, haut-bas et accessoirement gauche-droite. Ces oppositions
vont structurer le champ des valeurs sociales et idéologiques de l'époque
médiévale.
L'auteur, à partir de la figuration de l'homme enceint, telle qu'elle apparaît
au XIe siècle, va mettre en évidence une série d'oppositions, d'inégalités inhé-
rentes à la société chrétienne. Par exemple, l'opposition citadin-paysan, père-
enfants, noble-vilains, paysan-moine, femme-mari, corps-âme. Mais aussi des
oppositions entre semblables : femme-femme, juif-juif, pape-empereur, roi-
reine ; c'est donc tout le tissu social et imaginaire d'une société et d'une époque
qu'il analyse et dévoile.
Au début du XIe siècle un hiéroglyphe étrange part à la conquête des
cathédrales. Trois figures y sont associées, deux hommes et une demi-femme
François Sacco 1229
Dr François SACCO
8, rue de Châteaudun
75009 Paris
Revue des revues
GILBERT DIATKINE
Psychanalyse et langage
Pour l'une de ces tendances critiques, dont le représentant le plus connu
est Roy Schafer, la réalité objective, qu'on essaye de l'atteindre dans l'ici et
maintenant de la séance, ou dans l'observation de la petite enfance, ne peut
pas être saisie directement, mais seulement à travers ce qui en est dit. Comme
d'autres l'ont fait avant lui en Europe, Schafer examine les conséquences de ce
que tout ce qui se passe dans l'analyse se passe dans le langage. Mais au lieu
de s'appuyer sur la linguistique structurale comme Lacan, Schafer s'inspire des
philosophes anglo-saxons du langage. Dans une table ronde d'Helsinki sur
L'ici et maintenant (t. 1, p. 77-83), Schafer décrit le processus analytique en
Rev. franç. Psychanal., 5/1983
1232 Gilbert Diatkine
termes de « stratégies narratives » : tout ce qui est rapporté dans la séance par le
patient, qu'il s'agisse du passé ou du présent, est reconstruit par lui au travers
de versions narratives successives. Réciproquement, dans les interventions
de l'analyste, Schafer met beaucoup plus l'accent sur les constructions que
sur les interprétations. Les principales oppositions sur lesquelles se fonde la
« psychologie du moi », passé/présent, sujet/objet,théorie/observation,deviennent
non pertinentes dans cette perspective : il n'y a plus de « faits » du cas, seul
compte ce qui en est dit et comment on le dit. Du même coup, l' « ici et main-
tenant » perd toute valeur privilégiée par rapport au passé.
Conséquence prévisible de ce renouveau d'intérêt pour le langage, la
traduction anglaise par Strachey des oeuvres de Freud, jusque-là considérée
comme exemplaire, est à son tour critiquée. D. Ornston (t. 4, p. 409-427)
montre que la traduction de Strachey, exempte des inversions, omissions et
contresens des traductions françaises, dévie constamment vers plus de techno-
logie psychologique que l'original. Beaucoup de mots de Freud appartenant
au langage courant, comme trieb ou besetzen, sont ainsi traduits en anglais
par des termes techniques, comme « instinct » ou « cathexis », alors que le mot
usuel correspondant aurait été tout aussi clair. Strachey remplace souvent
des subjonctifs allemands, que Freud emploie pour montrer qu'il construit
un possible fantasme inconscient, par des indicatifs anglais, qui impliquent un
constat. Les pronoms possessifs sont plus indéfinis en allemand qu'en anglais.
Quand Freud écrit en allemand quelque chose comme : « La petite fille est
tendrement attachée au père » (le possessif allemand laissant indécis s'il s'agit
du père ou de son imago), Strachey traduit : « Les affections de la petite fille
sont fixées à son père », optant à la fois pour un vocabulaire plus technique
(« affection, fixation ») et pour faire du « père » le père de la réalité familiale.
Beaucoup d'autres exemples montrent comment les traductions de Strachey
favorisent la croyance qu'il y a une « vraie » représentation mentale de la chose
elle-même : l'objet partiel ou encore l' « introject » — autant de « personnifi-
cation ad hoc et de substructures redondantes », dit Ornston (p. 416).
Dans certains cas, la traduction crée même de toutes pièces un concept,
comme celui de « constance de l'énergie psychique ». Freud dit seulement que
l'appareil psychique est soumis au principe de constance, et avec toutes les
restrictions que l'on sait. « Freud, écrit Ornston, parle de nous, alors que
Strachey parle de quelqu'un d'autre » (p. 412).
Kohut
Entre la publication du « Soi » et son décès, survenu en 1981, Kohut a pris
des positions de plus en plus originales et s'est de plus en plus présenté comme le
leader d'un nouveau mouvement en psychanalyse. On trouve dans le tome 4
(p. 395-409) son discours posthume à l'Institut de Chicago qui constitue un
véritable testament. Comme Schafer, Kohut pense que dans le domaine du
l'analyse, la réalité objective est en principe inatteignable, et qu'on peut seule-
ment rapporter le résultat d'opérations spécifiques (p. 400). Mais sa critique de
la psychologie du Moi est plus systématique. Kohut reproche à Hartmann de
transformer l'analyse en morale latente. Le patient est insensiblement amené
à adopter les valeurs de l'analyste hartmannien, qui sont la connaissance et
l'indépendance. Ce sont, dit Kohut (p. 399), d'excellentes valeurs, mais elles
influent sur la liberté du patient de « suivre son propre programme et sa propre
destinée nucléaires ». Or, pour Kohut, le travail du psychanalyste est essen-
tiellement de laisser, grâce à une empathie aussi fine que possible, se réaliser
ce « programme le plus intime du self ».
Revue des revues 1233
Pour l'éviter, et conserver celles des idées de Kohut qu'il juge recevables,
chacun de ses critiques s'y prend d'une façon différente. Les Tyson incluent
les deux grandes formations narcissiques de Kohut dans les « constituants du
surmoi », dont ils dressent une liste exhaustive. Cet inventaire relève typique-
ment de cette pseudo-objectivation que critique justement Kohut. Hanly
subsume tout ce qui l'intéresse chez Kohut sous la rubrique de la « défense
narcissique ». Il entend par là un désinvestissement de l'objet pour le protéger
de l'agressivité dont il pourrait être victime. Hanly trouve que c'est une idée
originale. Robbins, lui, inclut les deux composants du narcissisime décrits
par Kohut non plus dans les « composants du surmoi » mais dans les vicissitudes
du « lien symbiotique », qu'il considère comme un fait observable. Toutes
ces tentations de synthèse entre « psychologie du moi » et « psychologie du self »
combinent les inconvénients des deux courants, sans répondre aux objections
qu'on peut leur faire.
Elles ne résolvent pas un autre problème, soulevé par Rothstein (L'analy-
sabilité des personnalités narcissiques, t. 2, p. 177-189) : la nouvelle technique
conseillée par Kohut permet-elle vraiment à un processus analytique de se
développer ? Certes, des effets psychothérapiques peuvent résulter du transfert
narcissique qui se déploie dans une ambiance « en miroir » suffisamment empa-
thique. Mais si, non seulement l'interprétation ne joue aucun rôle, mais si
même elle peut favoriser des régressions psychotiques, est-ce encore de l'analyse ?
Rothstein pense que le processus analytique peut se dérouler normalement
chez certains patients narcissiques : ceux dont la représentation de soi est stable,
qui ont souffert d'un traumatisme unique plutôt que cumulatif, qui nouent une
bonne alliance thérapeutique, et qui ne sont ni trop border-line ni trop psycho-
pathes. Il rapporte un cas personnel, particulier par l'introduction de plusieurs
paramètres originaux : la prescription de médicaments antidépresseurs, un
rythme de deux séances hebdomadaires de neuf quarts d'heure chacune, et
l'enregistrement magnétophonique des séances par le patient.
Les autres théories récentes du narcissisme, notamment celle de Kernberg,
ne posent pas les mêmes problèmes quant à la cure. Comme le rappelle Robbins
(t. 4, p. 451), Kernberg voit dans le narcissisme pathologique, non pas un arrêt
de développement comme le pense Kohut, mais le résultat d'un conflit. Celui-ci
serait postérieur à la différenciation du self cohérent et de l'objet total, et dû à
l'envie, à l'avidité et à la culpabilité. Robbins remarque que cette conception
s'efforce d'harmoniser les points de vue de Hartmann et de M. Klein et que ce
n'est guère possible, ne serait-ce qu'en raison des positions diamétralement
opposées de ces auteurs sur l'instinct de mort.
Finalement, les travaux les plus passionnants de ce volume sont ceux
qui utilisent un système conceptuel cohérent, qu'il soit celui de M. Klein,
(E. Brenman, t. 3, p. 303 ; B. Joseph, t. 4, p. 449) ou celui de Winnicott
(C. Bollas, t. 3, p. 347).
Travaux cliniques
Ce volume contient encore beaucoup de travaux cliniques remarquables,
même s'ils ne posent pas de problèmes théoriques nouveaux comme ceux cités
jusqu'ici.
Novick (Variétés de transfert dans l'analyse d'un adolescent, t. 2, p. 139-149)
raconte une analyse « orthodoxe », à cinq séances par semaine, chez un adolescent
de 15 ans. M. Laufer (Origine et formation du complexe d'OEdipe : observations
cliniques et hypothèses, t. 2, p. 217-225) traite du « fantasme masturbatoire cen-
tral » de l'adolescence.
Les analyses rapportées par J. de Saussure (Rêve et traumatisme de l'enfance,
t. 2, p. 167-177), D. Pines (Rapport entre le développement psychique précoce,
la grossesse et l'avortement, t. 3, p. 311-321) et E. Laufer (La masturbation chez
l'adolescente, t. 3, p. 295-303) éclairent trois problèmes cliniques de la féminité :
la frigidité (de Saussure), les avortements provoqués à répétition alors que la
grossesse est recherchée et désirée (Pines), et le renoncement à l'utilisation de la
main dans la masturbation (E. Laufer).
L'histoire clinique la plus étonnante de ce volume est racontée par Calogeras
(t. 4, p. 483-491) : à deux mois de la fin de son analyse, jugée réussie, un patient
devient tout à coup somnambule. Les associations sur un rêve rapporté dans
cette période l'amènent à un souvenir remontant à ses 3 ans 1/2 : il voit sa
mère, une femme toujours décrite comme très violente, près du berceau
d'un bébé qui crie. Le patient s'est jusque-là toujours présenté comme le
dernier d'une famille nombreuse, mais ce bébé est bien un cadet. La mère le
prend, le secoue pour le faire taire, puis se met à le battre et le tue. Un travail
analytique détaillé et cohérent relie l'émergence de ce souvenir et la fin de
l'analyse, via plusieurs autres expériences de séparation et de somnambulisme.
Le somnambulisme est envisagé à la fois comme un symptôme névrotique et
comme le signe d'une défaillance fonctionnelle de la vie onirique.
Dr Gilbert DIATKINE
71, boulevard Beaumarchais
75003 Paris
Actualités
JEAN GILLIBERT
Le film admirable de Dreyer est tiré d'une pièce qui sans aucun doute
« sent » et « renvoie » sa date de composition.On la dirait, à travers le palimpseste
du film, écrite pour Freud. Je veux dire que Freud en eût fait un admirable
compte rendu d'analyse, mais le film n'est pas la pièce que d'ailleurs je ne
connaissais pas. Il transcende sans cesse les « données » problématiques de la
psychologie de la pièce et de l'héroïne. Et c'est cela qui est formidable.
Une femme, cantatrice, traverse une société et l'existence de divers hommes.
C'est une noble figure de femme, douloureuse, inquiète, créatrice et vulnérable.
Elle fait pendant à « Lulu » qu'elle ne cesse d'évoquer tout en se montrant
absolument à l'opposé. La figure grave de Pandora ! Son seul mot est « amour ».
Elle veut aimer, elle aime, parce qu'elle est digne d'aimer et digne d'être aimée.
Son mari l'aime, certes, mais aime aussi son métier, sa vanité, ses ambitions ;
son premier amant — un poète, l'a aimée mais lui a quand même préféré le
travail poétique de la création.
Son amant actuel, plus jeune qu'elle, est aussi créateur — il est compositeur
de musique — l'aime mais se préfère à elle quand même.
Rev. franc, psychanal., 5/1983
1238 La femme comme « Muse »
Tout est « barré » pour cette femme, aimée et aimante, mais qui ne peut
rencontrer la figure inaliénable de l'amour qu'elle veut mettre en partage.
Elle a été aimée, elle est aimée. Les hommes ont « besoin » d'elle — spiri-
tuellement et charnellement. Ils la « veulent » car elle détient le pouvoir énig-
matique de l'inspiration.
Mais tout échoue. Reste un ami masculin — en tout bien, tout honneur —
qui l'entraîne à Paris survivre à ses échecs, en pratiquant l'hypnose et la psy-
chologie des profondeurs (on n'ose pas dire la psychanalyse). Là aussi, échec
ou du moins court-circuit (car on ne nous dit pas grand-chose de cet épisode).
On revoie l'héroïne vieillie, sage et désolée, bavarder avec son ami « psy »
de la pérennité — sans regret ni nostalgie — de l'impossible amour.
La femme qui s'incarne en une « muse » fait souffrir des hommes (qui
peut-être ne la valent pas) mais se fait souffrir elle-même d'abord. Ni ce
qu'elle est, ni son art d'interprète ne triomphent ou s'abîment. Simplement,
ils s'effacent.
Impossible muse ! Impossible femme ! Impossible amour !
La psychanalyse, avec Freud, appellera cela narcissisme, revendication
phallique (envie du pénis) et en « ravalé » : « Mais qu'est-ce qu'elles veulent ? »
L'altérité de la femme paraît alors, avec la psychanalyse, plus énigmatique
que jamais, plus essentielle aussi. Son destin certainement plus douloureux.
Les seuls échos — caricaturaux mais fondés — que la modernité fait encore
vibrer, se sont prosaïsés, vulgarisés, ravalés avec le MLF par exemple. La femme
n'a plus sa place dans le monde moderne. Sa mortalité a chassé l' « éternel
féminin », mythe abusif aux seuls bénéfices masculins, mais en vidant l'eau du
bain, on a vidé le bébé avec. De « femme » différenciée, différenciante, il n'y a
plus... ni d'homme non plus. La « supériorité » mâle était intolérable et dénoncée
mais y a-t-il encore une « Eve future » pour parler comme V. de L'Isle-Adam ?
Le film de Dreyer ne tombe ni dans le « psychologisme », ni dans le « mythi-
fiant ». Certes « Lulu » de Wedekind est tin mythe rare, atroce et révélateur.
La prestation Berg-Boulez-Chéreau-Stratasétait superbe, splendide. Mais on
restait dans le mythe et on ne cessait par tous ces atouts réunis, de décoller
de l'être singulier féminin de la personne. Comment la femme incarne la
« féminité » n'était jamais vraiment questionnée.
Ici, avec Dreyer, si! On peut évidemment refuser le « piétisme » — appa-
rent — de Dreyer, critiquer le hiératisme de ses longs plans-séquences; pour-
tant, à mon avis, on se tromperait. L'oeuvre cinématographique de Dreyer ne
triche jamais.
Si les personnages — admirablement interprétés — tiennent haut le sens
qu'ils ont de leur image et de leur parole, il n'y a pas un « geste » de la caméra,
pas un déplacement, pas un éclairage, pas un cadrage qui ne servent l'intensité
émotionnelle de ce qu'ils sont et de ce qu'ils ont à être! Quelle éthique de la
représentation! Quel enjeu! et quelles audaces! Audaces de montrer de tels
êtres, aussi charnellement (une chair incarnée et non une chair en signification),
audaces du jeu où les angoisses paroxystiques font rire un public contemporain
qui ne connaît plus la gravité réelle de l'absurde.
Gertrud est enrobée par cet amour de transfert (sans hystérie, aucune). Cet
amour doit se dire, se donner, s'incarner, se transmuer pour qu'il y ait « art ».
Certes, dira-t-on, elle est « sans enfants » et on ne connaît de ses parents qu'un
père « fataliste », qui fonctionne comme un dieu « janséniste ». Il semble dire :
ne transfère que sur moi ou qu'avec moi. Je suis in-substituable et tous les
autres hommes ne sauront pas t'aimer, c'est fatal ! » Certes, il y a cela dans la
généalogie de Gertrud et dans son amour de transfert intransposable.Pourtant,
il y a avec cela, cette autre chose, que Freud a aussi découverte avec ses patientes
hystériques, ses « muses », l'amour qui cherche son visage, sa figure.
L'amour de transfert n'est jamais « arrivé », il ne peut arriver que dans
l'image transnarcissique ou transculturelle. Il arrive donc. La psychanalyse a été
le lieu de cette mise en relief de l'irruption de cette image, habituellement
mais extraordinairement réservé à l'art, aux « muses », à la féminité de l'art.
Quand les conditions du socius, les conditions idéologiques ne permettent plus
à l'être-femme la possibilité d'incarner cette féminité, cela donne Lulu, Gertrud
et Anna O... quelquefois Lou Salomé.
La différenciation extrême, subtile mais concrète, est que la femme — tout
en refusant la féminité autant que l'homme, ce que Freud avait si bien vu
dans l'analyse infinie et indéfinissable — est la plus apte à incarner la fémi-
nité — envers et contre elle-même.
L'amour de transfert est donc cette exigence et ce don. Des hommes sont
capables de cela, bien sûr et on ne voit pas pourquoi on leur retirerait ce
pouvoir, mais c'est un malheur pour l'être de l'humanité quand la femme ne
peut plus assumer le mot « amour ».
Dans l'amour de transfert
A propos du film soviétique Vassa de Gleb Panfilov, avec Inna Tchounika
Comme pour Gertrud, une femme porte un destin. Je ne connaissais pas la
pièce de Gorki dont le film a été tiré, mais je l'ai devinée et j'en ai vu tous les
pièges (entre autres le destin de caractère d'une femme d'autorité — une
« dame de fer » — se conduisant à la mort dans la société capitaliste tsariste,
juste avant la Révolution d'Octobre.)
Mais ici, dans ce film, on ne mange pas de ce pain-là ! Etrange Union sovié-
tique : l'idéologie en acte, la plus effroyable depuis le nazisme, produire de
telles oeuvres d'art... et aussi « libres », aussi ouvertes, car le metteur en scène
— qui n'est pas un dissident, à ma connaissance — nous fait cependant
comprendre que l'entreprise capitaliste et l'entreprise socialiste, c'est bonnet
blanc et blanc bonnet.
Mais ce n'est pas de cela que je veux parler à propos de cet admirable film
avec un aussi admirable metteur en scène et d'aussi admirables acteurs.
Les critiques « patentés » ont tout de suite vu une mise en scène « à couper
le souffle » (sic). Inexact : la mise en scène ne « coupe » rien du tout, elle saisit
au contraire la durée des intensités, des phares fixes, des plans-séquences
(comme dans Gertrud) pour mieux saisir l'authenticité des destins. Les acteurs
russes sont de « grands » acteurs, c'est vrai mais ça ne suffit pas.
Ici, dans une résonance psychanalytique, je ne souhaiterais que faire cette
remarque : le transfertd'amour (ou de haine par le retournementnon de l'amour
en haine, mais du transfert en refus du transfert) est lié à une vérité de trans-
parence. Jamais lès « acteurs » ne sont l'image de caractères issus d'une psycho-
logie, d'une sociologie, de signifiants de langage. « Vassa », mère-courage, sait
son destin; elle n'en ignore pas sinon les faiblesses, du moins la vulnérabilité.
Ce n'est donc pas une « forme » ; mais elle est « renseignée » comme tous les
autres acteurs d'ailleurs, comme le metteur en scène, la caméra, les images.
Ils sont « renseignés » sur ce qu'ils font, peut-être sur ce qu'ils sont. Quelle
rigueur, quelle élaboration de travail.
L'inspiration, on connaît : en Occident, une ou deux fois dans chaque vie,
et encore. Le plus souvent, jamais. Mais ici, ce sont des artistes ! Artistes, parce
que « renseignés » et renseignés transférentiellement dans et par l'oeuvre qu'ils
élaborent. Ce qui est aussi à souhaiter pour une cure psychanalytique.
« Renseignés » : pas clairvoyants, lucides ou... psychotiques. Renseignés,
parce que sachant l'opacité du destin des êtres et des choses.
Quel immense pouvoir d'émotion que ce film! On ne s'intéresse plus à
l'esthétique mais à ce qui fait le prix de la vie ! Une empathie infinie : un
transfert.
Evidemment, nous n'étions qu'une vingtaine de spectateurs au « Cosmos »
et encore y a-t-il eu beaucoup de ricanements devant ces simples évidences
de beauté. Comme pour Gertrud d'ailleurs ! Sombre époque à missiles !
Dr Jean Gillibert
12, avenue de la République
92340 Bourg-la-Reine
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