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Essai psychanalytique
sur le fonctionnement mental

Discontinuité, latence, rétablisse-


ment d'une continuité organisent
la vie psychique.
Réparatrice est dite la nuit... Les
auteurs ont voulu montrer la
complexité sous-jacente à cette
qualité dès lors que Freud met au
jour dans l'étude du rêve, au-delà
d'une certaine réalisation de désir
inconscient lié à l'histoire indivi-
duelle d'un sujet donné, l'existence
de « veinures » qui résultent de la
préhistoire de tous les humains et
qui, imprimant la matière où s'ins-
crit le rêve, obligent celui-ci à orga-
niser l'hallucination du désir en
fonction de leur immuabilité.

Les pensées latentes où s'origine


de jour la vie onirique surgissent
sur fond de manque à percevoir où
se réédite quotidiennement le
message verbal de castration. C'est
pourquoi les pensées latentes et
l'hallucination du désir auraient
plus tendance à se conserver qu'à
se décharger. La poussée vers la
décharge apte à rendre la nuit aussi
réparatrice que possible ne pourrait
aboutir si la mère du tout premier
âge, mère sexuelle et incestueuse,
invisible car recouverte de son
habit de censure, ne resurgissait
rythmiquement ; certes elle péren-
nise l'inceste, mais aussi, le temps
d'un sommeil, elle replonge l'indi-
vidu dans la nuit des temps.
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L a n u i t , le j o u r
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Le fil rouge
Section 1 Psychanalyse

dirigée p a r Christian David


Michel de M'Uzan
Serge Viderman
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Denise Braunschweig
Michel Fain

La n u i t , le j o u r
Essai psychanalytique
sur le fonctionnement mental

Presses
Universitaires
de France
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Dépôt légal. — 1 édition : 4 trimestre 1975


© 1975, Presses Universitaires de France
Tous droits de traduotion, de reproduction e t d'adaptation
réservés pour tous pays
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Quand Freud, en 1932, rédige ses Nouvelles conférences


sur la psychanalyse, l'audience acquise par celle-ci dépasse
de très loin le nombre plus restreint d'auditeurs attentifs,
sinon facilement convaincus, qui se réunissaient à Vienne
autour du professeur au cours des années 1916-1917.
Publiées sous le titre de Conférences d'introduction sur la
psychanalyse, en français Introduction à la psychanalyse,
ces premières conférences sont devenues célèbres. Cepen-
dant, mû par une intention qui se peut deviner, dans
la première de ses Nouvelles conférences, consacrée à la
« Révision de la science du rêve », Freud prétend s'adresser
aux auditeurs jadis présents devant lui, une quinzaine
d 'années auparavant, et qu'une convocation imaginaire
groupe fantasmatiquement autour de lui dans la solitude
de son cabinet. N'est-ce pas que de ces anciens familiers,
témoins de la fougue réfléchie de sa juvénile maturité,
Freud souhaite aussi faire les témoins d'une espèce d'accu-
sation de méconnaissance de sa découverte dans ce qu'elle
recélait de plus original ?
« Feuilletons ensemble, écrit-il, les numéros de La revue
internationale de psychanalyse dans lesquels se trouvent
réunis, depuis 1913, les travaux décisifs de notre science. »
Cette invite a pour but de constater la décroissance au
cours des années de l'intérêt pour le rêve : « ... Les ana-
lystes se comportent comme s'ils n'avaient plus rien à
nous apprendre, comme si la science du rêve avait dit
son dernier mot... Et justement les choses importantes
paraissent être restées aussi étrangères qu'il y a trente
ans à la conscience générale... » Parmi ces choses restées
étrangères Freud insiste sur « la distinction fondamentale
qu 'il y a lieu de faire entre le contenu manifeste et les
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pensées latentes du rêve », les secondes servant d'insti-


gatrices au processus d'élaboration qui est le fait essentiel
du rêve et qui rend impossible toute interprétation « quand
le rêveur ne fournit pas les associations qui en font
partie... ». Raconté au psychanalyste le rêve, en effet,
« est une confidence, mais une confidence faite en termes
impropres ; il ne constitue ni une manifestation sociale,
ni un moyen de se faire comprendre... ». Cette affirmation,
soulignée par la forme négative qu'elle emprunte, ne
serait-elle pas à rapprocher de certaines particularités du
remarquable résumé effectué dans cette « Révision de la
science du rêve », résumé de la Conférence de 1917 consa-
crée au même sujet ? Déjà en 1908, opposant le rêve au
mot d'esprit, Freud avait affirmé le caractère antisocial
du premier par rapport au second. Ici, tout en reprenant
les aspects essentiels, techniques et théoriques, de l'étude
psychanalytique des rêves, il s'attardera peu sur le sym-
bolisme onirique qui avait fait l'objet d'un long déve-
loppement dans les Conférences d'introduction (et aussi
d'un chapitre rajouté dans une réédition de L'interpré-
tation des rêves). Or le propre de ces symboles oniriques
est de se retrouver identiques dans les rêves de nombre
d'individus, de ne pas donner lieu en général à des asso-
ciations et souvent de faire apparaître le sens d'un rêve
au psychanalyste « immédiatement avec clarté, avant
d'avoir fait le moindre effort pour l'interpréter et alors
que le rêveur lui-même se trouve devant une énigme ».
De la même façon, la place accordée par Freud en 1932
aux éléments répétitifs de certains rêves est ici infiniment
réduite. Ces éléments, situés en 1920 au-delà du principe
de plaisir en fonction de leur origine traumatique, mettent
en défaut la fonction d'élaboration du rêve, et, tout
comme les éléments de rêve traductibles selon un symbo-
lisme onirique général, échappent à la censure. De fait,
en 1932, plusieurs mouvements psychanalytiques s'étaient
déjà intéressés de façon privilégiée à la notion d'un sym-
bolisme archaïque, notion d'ailleurs intimement mêlée à
celle de traumatisme. Sans faire preuve la plupart du

1. Dans l'écrit qui porte ce titre.


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temps de la clarté d'exposition si naturelle au génie de


Freud, une telle orientation de la réflexion de ses contem-
porains avait tendance à laisser dans l'ombre la matière
spécifique de l'interprétation psychanalytique, c'est-à-dire
l'articulation entre les pensées latentes et leur renforce-
ment au cours du sommeil, articulation révélatrice des
modes de fonctionnement propres à l'inconscient et néces-
sitant l'exercice d'une censure chargée de protéger le
sommeil. C'est pourquoi Freud insiste à nouveau sur ces
données de base au risque, dit-il, de s'en faire blâmer.
« Mais, ajoute-t-il, quinze années se sont écoulées depuis
et j'espère de cette manière reprendre contact avec vous.
D'ailleurs il s'agit de choses si essentielles, d'une si mani-
feste importance pour la compréhension de la psycha-
nalyse qu'il y a avantage à les réentendre. Et le fait
qu'elles subsistent depuis quinze ans sans avoir subi la
moindre modification n'est-il pas déjà intéressant en
soi ?... »
Ainsi, les tendances qui se dessinent en 1932 dans les
cercles psychanalytiques semblent inquiéter Freud ; le
désintérêt pour le travail du rêve prend la valeur d'un
signal d'alarme. Plus encore, cet éloignement lui inspire
une comparaison sans ménagement témoignant de la pro-
fondeur de sa déception et du traitement vengeur qu'il
appliquerait volontiers dans ses fantasmes à ses collègues
simplificateurs et peu respectueux de l'art de l'inter-
prétation. « La nouveauté des assertions » apportée par
la théorie des rêves « lui a fait jouer le rôle d'un schibboleth
dont l'emploi décidait de qui pouvait devenir adepte de
la psychanalyse ou de qui devait renoncer à la comprendre
à jamais » Certes Freud n'entend-il pas minimiser la
portée du symbolisme onirique, ni celle des éléments trau-
matiques ; le premier et les seconds, soumis à des systèmes
de répétition, occupent une place très importante dans
les rêves ; son avertissement sévère condamne l'oubli de

1. Note de la traductrice de l'édition française des Nouvelles conférences


sur la psychanalyse : « Schibboleth, mot hébreu dont se servirent les gens de
Galaad pour reconnaître ceux d'Ephraïm, qui prononçaient Sibboleth et
qui furent aussitôt égorgés (L. des Juges) — épreuve destinée à juger de la
capacité de quelqu'un. »
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la part de son enseignement relative au fait que ces élé-


ments, qui semblent échapper à la censure par un certain
caractère de généralité, ont été découverts au décours de
l'expérience singulière qui naît du discours d'un patient,
et au fait qu'un tel discours en était appauvri. Lier symbo-
lisme onirique et compulsion de répétition tend à créer
une nouvelle psychologie collective ; sans doute est-ce
contre l'appauvrissement de la théorie psychanalytique
elle-même que Freud veut mettre en garde ses « audi-
teurs ». N'a-t-il pas perçu un retour offensif de l'hystérie
dans une sorte d'abandon de l'exigence rigoureuse de
l'interprétation psychanalytique, celle dont il avait à
maintes reprises fourni le modèle. C'est en 1939 seulement
qu'il donnera une forme précise à sa théorie des deux
temps de la menace de castration quand il décrira dans
un court article inachevé le processus défensif de clivage
du moi. De ce mécanisme pourtant il a toujours eu
l'intuition et l'on dirait que dans la démarche qui le
conduit, de l'avant-propos de ces Nouvelles conférences où
il se présente comme vieux, la mémoire affaiblie, et de
plus dans l'incapacité de prendre la parole en public en
raison d'une mutilation chirurgicale, à la menace verbale
de castration symbolisée par l'allusion au Sibboleth, Freud
cherche, préconsciemment, à interpréter aux psychana-
lystes de son temps leur clivage. Pourquoi, si cette notion
des deux temps de la menace de castration n'était pas
active au sein de ses pensées latentes, mettrait-il tant
d'insistance à souligner qu'il s'adresse aux mêmes audi-
teurs que quinze ans auparavant, recréant par « un jeu
de (son) imagination » une période de latence fantasma-
tique ? Ce rappel n'a pas d'autre but, en s'inscrivant dans
l'introduction à notre présent livre, que de faire pressentir
au lecteur l'importance et le développement que nous
songeons à donner nous-mêmes à la notion des deux temps
de la menace de castration ; le temps de l'entendu et
celui du v u avec la diachronie fondamentale qu'ils intro-

1. Ou, plus généralement, du «perçu » qui, quel que soit son mode, tend à
former une représentation visuelle à refouler, à répudier ou à dénier. C'est
donc pour simplifier notre écriture que nous parlerons aussi par la suite
du « vu » à ce sujet.
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duisent. La liberté que nous prenons ainsi, dès les pre-


mières pages, en prêtant à Freud des pensées latentes
qu'il n'est plus là pour récuser et qui surgissent de nos
propres associations d'idées, nous avons l'intention de la
maintenir, estimant, à tort ou à raison, être plus fidèles
ainsi à l'esprit du grand vivant que fut Freud qu'en
gardant une distance respectueuse et pétrifiée devant une
pensée géniale mais que la mort aurait figée. Devant cette
représentation de la castration par le rien du néant de la
mort, renoncer à utiliser l'art de l'interprétation dont
Freud nous rappelle que, ciselé par l'étude du rêve, il
spécifie la psychanalyse, ce serait, selon nous, nous réfu-
gier à notre tour à l'abri d'une forme particulière de ce
fameux clivage défensif lui-même uni par plus d'un lien
à la psychologie collective. Lorsque celle-ci tient une place
prépondérante dans la vie psychique d'un individu elle
a, en effet, le pouvoir d'écarter de son sexe propre l'impact
de la menace de castration liée à son auto-érotisme œdi-
pien tout en réduisant d'autant ses capacités originales
de penser. De la même façon l'hypnose, et aussi la sug-
gestion, avaient le pouvoir d'écarter l'effet de la censure
et du Surmoi individuels et de permettre le retour de
contenus refoulés au prix de l'abandon du jugement et
des facultés intellectuelles personnelles. Ce rapprochement
entre l'hypnose, dont étaient issues ses premières décou-
vertes psychanalytiques, et la psychologie collective Freud
ne l'a fait de manière explicite que dans son texte de 1921
consacré à ce s u j e t Curieusement, dans cet écrit pour-
tant postérieur à Au-delà du principe déplaisir (1919-1920)
il n'est pas fait allusion aux instincts de mort dans leur
relation aux phénomènes de répétition. De semblables
ruptures dans la continuité de la pensée freudienne sont
repérables à divers moments de la constitution de l'œuvre
de Freud, elles nous paraissent très proches des réflexions
que nous venons d'ébaucher. Nous ne nous arrêterons ici
un instant qu'à celles qui concernent la théorie de l'inter-
prétation du rêve. Dans L'interprétation des rêves un
important chapitre est consacré aux rêves typiques ; ces

1. Psychologie collective et analyse du Moi (in Essais de psychanalyse).


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rêves utilisent une dramatisation qui se retrouve à l'exa-


men du matériel onirique de nombreux individus, mais
leur analyse ne se distingue pas, quant au travail qui
conduit à leur interprétation, de l'analyse dont Freud
institue les fondements dans cet ouvrage princeps de 1900.
Le renforcement des pensées latentes de la veille par les
contenus inconscients, l'élaboration du rêve utilisant les
processus primaires du fonctionnement mental, l'exercice
de la censure sont présents au niveau des rêves typiques
dont l'étude débouche sur la sexualité infantile du rêveur ;
c'est à leur propos que Freud aborde pour la première
fois publiquement le complexe d'Œdipe. Or, en 1917 (de
même qu'en 1932), il ne sera plus fait allusion aux rêves
typiques étudiés dans la Traumdeutung. Dans cette
deuxième partie des Conférences d'introduction ayant pour
sujet le rêve, la part concernant le symbolisme onirique
semble s'être tout à fait substituée à l'attention portée
sur ceux-là. Il est vrai qu'au cours des rééditions suc-
cessives de l'œuvre de 1900 Freud avait opéré divers
remaniements et avait en particulier donné une impor-
tance croissante au chapitre traitant du « Symbolisme
dans les rêves » ; comme si la pensée de Freud avait subi
une poussée interne tout au long de ces années, poussée
tendant à faire revenir au sein de la théorie du rêve
quelque puissant relent de la bataille jadis gagnée sur la
censure et le refoulement au moyen de l'hypnose et de la
suggestion. Ce symbolisme en effet, constitué par des élé-
ments d'expression onirique communs à tous les individus
d'une même culture et incompris individuellement par
ceux-ci à l'état de veille, échappe à la censure du rêve.
Patrimoine collectif ignoré de la conscience singulière il
semble tenir du pouvoir hypnotique issu de la psychologie
collective une faculté de transgression qui n'en est pas
une en fait, le propre des idéaux sociaux étant de réduire
au silence le Surmoi personnel. Pour nous qui disposons
de la lecture de toute l'œuvre de Freud, nous connaissons
déjà l'attache indissoluble de ce Surmoi avec la totalité
de la menace de castration, c'est-à-dire ses deux temps
(nous aurons à revenir sur ce dernier point et à le déve-
lopper en temps utile). En 1917, le Surmoi n'est pas encore
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distingué de la censure, et, pour le symbolisme onirique


dont Freud fait, après Schreber mais sans nommer ici
ce dernier, une langue fondamentale, celui-ci aurait été
contraint à s'organiser à partir de l'animisme primitif
de l'activité mentale en fonction de la force d'un père
primitif. Sans une telle restriction l'apparition dans les
rêves d'éléments symboliques, vestiges d'une capacité
sans limite, utilisant la pensée animique, de la réalisation
hallucinatoire du désir, n'aurait guère de sens. La « langue
fondamentale » ainsi utilisée en rêve par l'individu endormi
paraît alors assimilable à une forme verbale de l'hystérie
de conversion Notons seulement qu'à cette époque Freud
distingue dans les pensées du rêve des aspects à la fois
infantiles et archaïques : infantiles par la trace toujours
retrouvée du conflit œdipien, archaïques de par la pré-
sence du symbolisme onirique. Cette distinction ouvre la
voie à l'hypothèse qui, sans doute, ne nous est pas per-
sonnelle, mais que nous souhaitons développer et étayer
dans cet ouvrage, hypothèse de la généralité du concept
des « deux temps » dans l'œuvre de Freud, aussi bien que
de sa généralité dans la constitution du fonctionnement
mental et de l'appareil psychique. Il nous semble que
l'étude psychanalytique, c'est-à-dire interprétative, de ces
« deux temps » partout où ils peuvent être retrouvés fait
avec régularité resurgir comme un prototype la notion
des deux temps de la menace de castration. Ainsi le
symbolisme onirique, sujet qui a pris dans les écrits de
Freud sur le rêve une importance croissante entre les
années 1900 et 1917 ne trouvera, réservée à son évoca-

1. Nous reviendrons également sur ce point car le symbolisme hystérique


utilise dans les phénomènes de conversion une «somatisation » du langage.
Quant à la « langue fondamentale » constatée par Freud dans les rêves
comme un mode d'expression que le rêveur ne connaît ni ne reconnaît à
l'état de veille, Freud pour se faire comprendre utilise une métaphore :
« Ceci, dit-il, n'est pas moins fait pour vous étonner que si vous appreniez
que votre femme de chambre comprend le sanscrit. » Nous pensons que la
formulation exacte serait « ... utilise, sans le connaître, le sanscrit », langue
disparue dans la nuit des temps, et, retrouvée. C'est nous qui, connaissant
ce que Freud écrivit par ailleurs du caractère à la fois archaïque et infantile
de la pensée animique, faisons ici une assimilation par rapprochement entre
le symbolisme onirique et la restriction imposée à la pensée animique par le
père primitif, restriction dont Freud parle dans un autre contexte.
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tion, qu'une place restreinte dans la Conférence de 1932.


Lié aux aspects archaïques collectifs et culturels, aspects
véhiculés par le langage, et bénéficiant des déplacements
que ce dernier médiatise au niveau du corps, le symbolisme
onirique se trouve d'emblée rattachable au premier temps
de la menace de castration. Premier temps verbal auquel
l'auto-érotisme résiste — en se déplaçant au besoin
(rappelons que Freud a trouvé dans l'étude des rêves les
preuves qu'il recherchait pour appuyer ses découvertes
sur l'hystérie) — car, à cette menace première le sujet
ne pourra croire que lorsqu'elle aura trouvé confirmation
dans l'absence de perception du pénis au niveau du corps
féminin. A ce deuxième temps vont venir correspondre
les aspects infantiles du rêve. C'est un rappel à l'ordre
adressé aux psychanalystes tentés de se détourner d'une
aussi terrifiante absence que contient, chapeautée par la
métaphore du Schibboleth, la Conférence de 1932 qui se
donne à lire en l'absence de l'orateur.
Le Freud de 1916 pouvait presque se sentir à l'abri de
toute menace, il pensait plus ou moins ouvertement avoir
triomphé tant de sa névrose personnelle que des réti-
cences, voire du rejet indigné et menaçant, de ses col-
lègues médecins et savants. Les premières paroles de
l'avant-propos aux Nouvelles conférences de 1932 réson-
nent comme une réminiscence de cet état d'esprit : « Mes
premières Conférences sur la psychanalyse ont été faites
au cours des deux semestres d'hiver 1915-1916 et 1916-
1917, dans un amphithéâtre de la clinique psychiatrique
de Vienne, devant des auditeurs venus de toutes les
facultés. Les Conférences de la première partie avaient
été improvisées, puis immédiatement transcrites ; celles
de la seconde composées durant un séjour estival à
Salzbourg, puis textuellement répétées l'hiver suivant.
A cette époque ma mémoire était encore d'une fidélité
phonographique. » Quiconque parcourt ces lignes tant
d'années plus tard voit s'imposer à lui l'image d'un
homme dont la prestance, l'aisance et le talent rendent
irrésistible le génie, même si ce génie est affirmé par lui
comme originaire du sous-sol, pour plus d'un répugnant,
de la sexualité infantile. De toute évidence, la séduction
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exercée par cet homme lui rend alors inutiles toutes les
précautions dont il avait dû entourer dans la Traum-
deutung la première révélation publique du complexe
d'Œdipe. Parler de rêves typiques parmi les chapitres
consacrés au matériel et aux sources du rêve tendait à
banaliser, à atténuer par la généralisation ses découvertes
révolutionnaires et toutes récentes sur la sexualité infan-
tile et sur le conflit œdipien. Ne cite-t-il pas d'ailleurs à
cette occasion les paroles que Sophocle met dans la
bouche de Jocaste soucieuse d'arrêter Œdipe sur le che-
min où il poursuit « aveuglément » une révélation catas-
trophique : « Bien des gens déjà dans leurs rêves ont
partagé la couche maternelle. Qui méprise ces terreurs-là
supporte aisément la vie. » Il est assez remarquable que
le rêve d'inceste ne soit mentionné dans L'interprétation
des rêves, parmi les autres rêves typiques, que sous la
forme des propos calmants de cette mère tragique et
comme suite quasi-logique de l'analyse du thème du rêve
de la mort d'une personne aimée.
Ainsi la généralisation atténuante, et également aidée
par un recours au patrimoine culturel, qui préside à l'inter-
prétation première des émois œdipiens de l'enfant, appa-
raît comme le fait d'un chercheur qui souhaite moins
séduire que faire passer dans l'esprit de ses contemporains
la vérité de révélations déplaisantes. L'importance attri-
buée au cours des Conférences d'introduction au symbo-
lisme onirique semble venir, après dix-sept ans de latence
relative, se substituer à l'intérêt qu'avait motivé le déve-
loppement sur les rêves typiques. Freud lui-même, écri-
vain à l'œuvre reconnue et qui donne à ses découvertes
sur le rêve comme une seconde naissance, ne joue-t-il pas
dans ce deuxième temps, celui de 1916, de la prime de
séduction dont il avait parlé quelques années plus tôt
(1908) dans un bref article consacré à « La création litté-
raire » On ne renonce jamais au jeu d'enfant, y déclare-
t-il, on y substitue à l'adolescence le rêve éveillé ; il ne
s'agit nullement d'une activité dénuée de sérieux, mais

1. La création littéraire et le rêve éveillé, in Essais de psychanalyse


appliquée.
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simplement irréelle. Le jeu des enfants constitue un monde


fermé, montré cependant sans gêne aux adultes qui en
sourient avec indulgence. Freud nous dit que l'identifi-
cation à ces adultes souriants est ultérieurement à l'ori-
gine du sens de l'humour. La rêverie des adolescents
serait au contraire incommunicable parce que d'une exhi-
bition pénible tant pour le sujet rêveur que pour les
éventuels témoins de sa rêverie. Il est sous-entendu, mais
c'est nous qui l'ajoutons, qu'entre ces deux temps la
différence des sexes a été reconnue. Seule la « prime de
séduction » que confère le talent rend cette rêverie ado-
lescente, et constitutive de la trame littéraire, commu-
nicable à un public de lecteurs ou d'auditeurs. Ce faisant,
Freud a décrit trois âges dans la constitution de l'écrit :
celui de l'enfance où se déposèrent les traces inconscientes,
l'actualisation de celles-ci à travers le récit, la projection
de la réalisation du désir dans l'avenir ; et, il en définit
implicitement trois autres : l'âge œdpien, la période de
latence, l'âge post-pubertaire. C'est à l'âge œdipien que
s'organise le désir, les idéaux collectifs s'imposent à la
période de latence, c'est à la suite de la puberté que les
conflits de l'âge œdipien resurgissent tendant à bousculer
l'organisation des idéaux collectifs. On pourrait dire, en
fonction d'une estimation diachronique grossière, que les
trois âges en cause sont individualisés par deux temps.
En fait il ne s'agit déjà que d'une répétition de deux
temps, comme nous vous proposons de le montrer dans
notre ouvrage. Freud quant à lui, un an après cet article
sur « La création littéraire », publie Le roman familial
des névrosés La notion acquise d'une certitude de la
maternité opposée au doute toujours possible quant à la
paternité participe à la création de ce fantasme roma-
nesque. Un contenu latent, dont Freud a parlé en d'autres
endroits, peut être opposé au contenu manifeste selon
lequel un père magnifique et d'une personnalité bien plus
séduisante que celle du père réel est le vrai géniteur.
Dans le contenu latent ce père merveilleux fait un enfant

1. Le «roman familial » s'est avéré un fantasme universel qui peut être


seulement plus ou moins riche et complexe selon les individus.
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à son image au petit garçon lui-même ; souhait « sérieux »,


présent dans les jeux enfantins, dérisoire aux yeux des
parents, dans lequel nous avons vu l'origine du sens de
l'humour. Ce rapprochement entre la création littéraire
et le roman familial nous permet de considérer que la
« prime de séduction », dont dispose l'auteur de talent
et dont l'effet autorise l'exhibition d'un contenu ordinai-
rement gênant, doit provenir d'un fantasme de réali-
sation de désir inconscient : le héros (ou l'héroïne) est
l'enfant que l'on a eu du p è r e Le succès de l'auteur a
confirmé la réalisation inconsciente du désir fantasmé
tout en écartant la menace de castration que n'aurait
pas manqué d'évoquer l'échec sur le public de la séduc-
tion. L'identification du lecteur ou de l'auditeur au fan-
rasme de l'auteur dépend d'autre part de l'habileté de ce
dernier à dissimuler le danger de castration qui va de
pair pour le garçon, après la perception réelle de la diffé-
rence des sexes, à s'identifier à sa mère. Le talent de
l'écrivain, talent verbal, donne l'illusion d'un retour au
temps où le fantasme masturbatoire n'avait encore été
sanctionné que par une menace verbale de castration à
laquelle l'enfant n'avait pas cru. Le rêve, enfanté pour
la seconde fois par Freud en ces années de succès, n'est
donc pas tout à fait le même que l'enfant de 1899 dont
la gestation s'était effectuée dans l'angoisse et les pré-
cautions. Dans ses Conférences d'introduction Freud se
comporte comme un enfant qui joue dans son monde clos
et expose, sans autre danger que de susciter un sourire
indulgent, des théories qui constituent le soubassement
des rêveries adolescentes. Il semble avoir oublié tout
autant le scandale causé à Vienne par ses communications
sur l'étiologie sexuelle des névroses et sur l'hystérie chez
l'homme, que l'indifférence qui accueillit la première édi-
tion de la Traumdeutung. Tout comme en analysant le
fantasme de seconde naissance, contenu dans le symptôme

1. Le fait que pour une fille ce souhait soit potentiellement réalisable dans
l'avenir n'est pas sans répercussion sur les aptitudes à la sublimation des
filles. De la même façon, et nous aurons à parler de cet aspect fondamental
de la sexualité féminine, la menace de castration au sens strict fait défaut
dans l'organisation de la sexualité féminine.
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de l'Homme aux l o u p s il semble avoir oublié que le


fantasme de grossesse d'Anna 0..., fantasme auquel
Breuer opposa un refus de paternité, refus réitéré à
l'égard de Freud qui lui proposait la paternité de la
psychanalyse, était un fantasme hystérique. « Etre né de
son père seul, comme il le croyait au début, être satisfait
sexuellement par lui, lui donner un enfant au prix de sa
virilité, tous ces souhaits, exprimés dans le langage de
l'érotisme anal, ferment le cercle de la fixation anale, et
par eux l'homosexualité trouve son expression la plus
extrême et la plus intime. » Le même fantasme sert
également à représenter de façon atténuée les rapports
incestueux avec la mère, ajoute Freud quelques lignes
plus l o i n Il s'agit donc d'un fantasme bisexuel, typique-
ment hystérique, et Freud ne paraît pas en avoir tiré
toutes les conséquences en ce qui concerne les rapports de
l'homosexualité agie et de la paranoïa avec les deux temps
de l'hystérie et les deux temps de la castration, bien que
le fantasme de grossesse du Président Schreber ait été
minutieusement analysé (1911). Pourtant aussi, le pro-
blème des deux temps qui vient s'inscrire dans la rédac-
tion de L'Homme aux loups comme le point crucial de la
polémique avec Jung et Adler qui n'admettaient pas
l'après coup (particulier à toute histoire individuelle), ce
problème des deux temps donc est encore évoqué en
conclusion de l'étude du fantasme de seconde naissance :
« Les choses étant telles qu'elles sont, écrit Freud
(l'Homme aux loups), le fantasme de la seconde nais-
sance me paraît plutôt être un dérivé d'une scène primi-
tive qu'inversement la scène primitive, un reflet du fan-
tasme d'une seconde naissance. » C'est le rêve fait à 4 ans
par l'Homme aux loups qui marqua le début de sa
névrose, « rêve dont le récit du grand-père relatif au

1. L'Homme aux loups se plaignait d'être séparé du monde par un voile


qui ne lui donnait l'impression de se déchirer qu'à la suite d'une défécation
obtenue grâce à un lavement.
2. Extrait de L'histoire d'une névrose infantile, 1914-1915, publié en 1918
(en français dans Cinqpsychanalyses, Presses Universitaires de France). Dans
une note, Freud explique que le retard de publication de ce texte a fait
que beaucoup d'idées qui devaient y être présentées pour la première fois
ont été énoncées dans les Conférences de 1916-1917.
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tailleur et au loup avait été le promoteur, et dont l'inter-


prétation rend nécessaire l'hypothèse d'une scène primi-
tive de cette sorte ». Et Freud ajoute qu'il ne faut pas
trop vite écarter l'hypothèse qu'un enfant de 4 ans est
encore bien près de sa naissance pour souhaiter déjà
renaître. En tout cas ici pas d'ambiguïté : le reste diurne
est le promoteur du rêve, celui-ci est élaboré à partir
de pensées en latence, et ce rêve constitue le second
temps, l'événement déclenchant du trouble psychique
en venant donner tout son sens au premier temps.
Si l'on veut bien considérer les étapes bien connues
qui ont conduit à la naissance de la psychanalyse, on ne
peut manquer d'être frappé par l'analogie qui existe entre
ces deux temps d'abord repérés par Freud dans l'hystérie
et les deux temps qui l'ont amené lui-même à sa décou-
verte. Rien ne nous empêche de penser que le germe
déposé dans l'esprit de Freud par Breuer quand il lui
parla du traitement d'Anna O... en novembre 1882 donna
lieu chez le premier à une longue gestation, modèle de
latence silencieuse. Anna O... avait imposé à Breuer la
cure par le langage, dénommée par elle le « ramonage de
cheminée », elle lui parlait librement des circonstances
qui avaient entouré l'éclosion de chacun de ses symptômes
et ce faisant le symptôme s'effaçait. Anna 0... cependant
jusqu'à la crise d'hystérie mimant les douleurs de l'accou-
chement n'avait, selon Breuer, jamais fait aucune allu-
sion manifeste à la sexualité. Cette description de la
guérison de symptômes hystériques par la remémoration
des souvenirs avait plus qu'intéressé Freud mais lorsqu'il
en parla à Charcot, en 1885, celui-ci ne manifesta guère
d'enthousiasme et Freud, alors sous le charme de Charcot,
« oublia » Anna 0... De retour à Vienne son compte rendu
sur les observations qu'il avait faites chez Charcot ainsi
que sa communication sur l'hystérie ne reçoivent pas bon
accueil. Il va pendant plusieurs années appliquer à ses
patients les méthodes physiques alors en usage puis leur
adjoindre peu à peu l'hypnose et la suggestion tout en

1. S. FREUD, Ma vie et la psychanalyse, Correspondance de Freud, Nais-


sance de la psychanalyse, Vie et œuvres de S. Freud, de E. JONES.
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travaillant à la traduction des Leçons de Çharcot et du


livre de Bernheim (De la suggestion et de ses applications
thérapeutiques). En 1892, un événement qui prend figure
de second temps fait sortir le souvenir d'Anna O... de sa
latence : l'une des patientes de Freud, Elisabeth von R...,
refuse de se laisser hypnotiser et impose à son tour, mais
à Freud cette fois, la méthode des associations libres.
Freud oblige alors Breuer à lui reparler d'Anna O... en
détail et parvient non sans peine à convaincre Breuer
d'écrire avec lui un livre sur l'hystérie. La résistance de
Breuer se trouve partiellement éclairée par un incident
qui date de cette époque et que rapporte E. Jones :
Breuer avait appelé Freud en consultation au domicile
d'une patiente hystérique. Avant d'examiner celle-ci en
commun Breuer décrivit à Freud les symptômes qu'elle
présentait et « Freud déclara qu'ils révélaient de façon
typique un fantasme de grossesse. Breuer ne put sup-
porter cette répétition d'un fait passé. Sans prononcer un
seul mot il prit sa canne et son chapeau, et s'empressa
de quitter la maison ». Ainsi la paternité que Freud, qui
se considérait lui-même à cette époque comme un hysté-
rique (peut-être par identification aux patientes de Char-
cot), offrait à Breuer n'était pas facilement acceptable,
nous savons qu'elle donna lieu plus tard à un véritable
désaveu quand Freud abandonna la théorie des états
hypnoïdes et affirma la généralité de l'étiologie sexuelle
de l'hystérie. La naissance d'un génie est toujours une
seconde naissance, qui éveille la fureur jalouse de tous
ceux qui gardent la trace dans leur inconscient du souhait
insatisfait d'avoir un enfant de leur père, souhait qui
n'a rien à voir avec le souci de perpétuer l'espèce.
La théorie des « états hypnoïdes » marquait la persis-
tance d'un lien dénégateur avec la façon commune de
penser. Le passage de l'hypnose à un autre mode de
psychothérapie, la suggestion, ne fait pas disparaître la
ségrégation psychiatrique. Certes la correspondance de

1. Théorie de Breuer explicative de la formation des symptômes hysté-


riques sur le mode d'états de double conscience témoignant d 'atteintes
dégénératives du système nerveux.
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Freud à Fliess, correspondance qui comprend L'esquisse


pour une psychologie scientifique, est venue apporter, dans
un « après coup » qui se situe après la mort de F r e u d
des précisions sur l'historique de ce passage. Dans la
perspective ici envisagée les détails et les péripéties de
cette histoire restent contingents ; il suffit de noter que
dans une période de latence l'ensemble hypnose-modifi-
cations des manifestations hystériques figure au premier
plan. Dans un second temps, où se situe le retour à
Anna 0..., la disparition des symptômes se lie indirec-
tement à la remémoration d'événements dont les traces
modifiées étaient contenues dans la symptomatologie hys-
térique. Les études sur l'hystérie nous incitent à assister
à la transformation de troubles divers en événements
vécus ; la scène contient à la fois une réalisation incons-
ciente de désir qui suit un « frayage pulsionnel » ancien
et un incident qui se situe à l'origine du déclenchement
des troubles (en accord avec la théorie traumatique de
l'hystérie enseignée par Charcot) ; l'incident plus récent,
postpubertaire, est lui-même à l'origine des pensées
latentes dont Freud va bientôt longuement parler à propos
du rêve. Toutefois la symptomatologie hystérique, remar-
quablement fixe dans sa variété, se rattache à un évé-
nement non moins fixe quant au désir fantasmatiquement
réalisé : la réminiscence ; mais l'innocence de l'enfant est
dans ce contexte sauvegardée : le désir inconscient a
résulté d'une séduction par l'adulte. N'importe, ce qui
compte historiquement c'est le passage d'un sommeil
« artificiel », induit par un hypnotiseur enjoignant à un
patient de se remémorer un passé « télécommandé », au
sommeil de tous, univers commun que peuplent des rêves
particuliers à chacun. Freud avait-il perçu au cours des
exhibitions d'hypnotisme auxquelles se livraient Charcot
et Bernheim (dans des intentions d'ailleurs différentes)
une analogie entre l'endormissement et la séduction par
l'adulte ? En 1917 il écrira en effet : « Il existe une ressem-
blance très nette entre l'état hypnotique et l'état de

1. Cette correspondance a été publiée en 1940; en français La naissance


de la psychanalyse, Presses Universitaires de France.
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sommeil qui est la condition du rêve. On appelle en effet


l'hypnose sommeil artificiel. Nous disons à la personne
que nous hypnotisons : dormez ! Et les suggestions que
nous lui faisons peuvent être comparées aux rêves du
sommeil naturel. » Quoi qu'il en soit les suggestions du
thérapeute de l'hystérique de 1895 se trouvèrent bientôt
remplacées dans une théorie psychanalytique naissante
par les « instigateurs du rêve », c'est-à-dire les restes
diurnes activateurs des pensées latentes différées jusqu'à
l'endormissement qui reproduit à son tour l'effet hypno-
tique, puis la séduction par l'adulte. Quatre ans après la
parution des Etudes sur l'hystérie, en 1899, Freud qui a
presque terminé L' interprétation des rêves, livre écrit à
partir de l'expérience de patients parmi lesquels il se
situe en bonne place, s'exprime ainsi : « La structure du
rêve est susceptible d'application universelle. La clef de
l'hystérie s'y trouve en fait. Je comprends maintenant
pourquoi je ne pouvais pas finir le livre sur les rêves :
si j'attends encore un peu, je serai à même de décrire le
processus mental du rêve de telle sorte qu'il inclura le
processus de formation des symptômes hystériques »
Moreau de Tours comparant le rêve au délire ne faisait
que confirmer un non-sens du rêve et laissait de ce fait
inattaquable la censure de celui-ci. Le bon sens collectif
n'était pas menacé par une telle opinion. La démarche de
Freud qui abandonne les états hypnoïdes s'inscrit en sens
inverse : les symptômes hystériques, grâce à l'hypnose
et à la suggestion, ont livré une partie de leur secret,
partie constituée par les avatars de la sexualité infantile
et de leurs réminiscences postpubertaires ; la structure
de ces symptômes est identique à celle du rêve. Il n'y a
plus de sommeil i n n o c e n t
Certes il faudra que passent encore bien des années
avant que Freud analyse les mouvements libidinaux
communs à l'hypnose et à la psychologie collective,
années au cours desquelles les éléments de base du pro-

1. Lettre à Fliess du 3 janvier 1899, La naissance de la psychanalyse,


Presses Universitaires de France, 1956.
2. Et la fixité de la symptomatologie hystérique se retrouvera comme
caractère majeur dans la description des rêves typiques de Die Traumdeutung.
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tocole psychanalytique ont été peu à peu dégagés. Freud


montrera qu'un groupe policé obéit à des idéaux collectifs
qui ont tendance à éclipser l'organisation individuelle des
membres du groupe. Ces idéaux définissent un art de
vivre ; art doit être ici compris au même sens que l'entend
Boileau en discourant d' « art. poétique ». Au sein d'un
tel système, toute découverte qui met en cause le statut
même de l'individu provoque un resserrement des liens
organisés autour des idéaux collectifs. Ce resserrement va
de pair avec des tentatives d'éviction de la découverte
perturbante et considérée à tort ou à raison comme une
menace traumatique. Le traumatisme redouté consisterait
dans la mise en cause de l'organisation qui intègre l'indi-
viduel. La définition du rêve comme une activité mentale
régressive libérée par l'inhibition des centres nerveux
supérieurs au cours du sommeil ne constitue pas une
opinion révolutionnaire. Une telle définition — dont
l'exactitude n'est pas mise en doute — recouvre cependant
un sens latent : les centres nerveux supérieurs sont assi-
milés à l'organisation sociale prenant un repos dont elle
sortira raffermie. Et si, pourtant, le rêve provenait de
déceptions vécues au sein de ladite organisation, s'il était
reconnu comme le représentant d'une tendance humaine
qui cherche avant tout le plaisir, si enfin quelqu'un vou-
lait — en l'analysant — obtenir un meilleur équilibre des
forces en action à l'intérieur d'un sujet, ce quelqu'un
deviendrait l'équivalent d'un rêve qui se serait évadé
de son manteau de nuit. L'opinion de Moreau de Tours
qui faisait en quelque sorte du délire un rêve évadé était
admissible dans la mesure où l'internement sanctionnait
cette évasion. L'hypnotiseur (ou le suggestionneur) qui
impose au névrosé de se souvenir est un représentant de
la psychologie collective et ceci par la nature même du
lien affectif qu'il établit avec son patient, lien de même
nature que ceux qui assurent la cohésion d'un groupe.
Au contraire, faire de l'hystérie, à travers une étude des
hystériques, un fonctionnement mental universel trans-
paraissant dans les rêves représenta une attitude révo-
lutionnaire qui pouvait faire craindre à Freud la mise
au ban de la société s'il ne faisait pas passer pour un
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ouvrage scientifique bien adapté à l'actuel mouvement


des idées son livre sur L'interprétation des rêves. Il revien-
dra pourtant, en 1919, dans Au-delà du principe de plaisir
sur l'emploi de la suggestion à propos des rêves trauma-
tiques, ces rêves ratés dont il ne dira plus, nous l'avons
déjà souligné, que quelques mots tout à fait à la fin de
la Conférence de 1932 sur le rêve. Nous avons aussi sou-
ligné la raison supposée de ce semi-mutisme alors que la
découverte des pulsions de mort à partir de la compulsion
de répétition, si manifeste chez les patients souffrant de
névrose traumatique, avait été un tournant capital de
la métapsychologie : Freud constatait l'abandon de ses
premières et fondamentales découvertes sur l'interpré-
tation des rêves, les psychanalystes n'ayant plus tendance
à utiliser que des notions dérivées du symbolisme général
et de la tendance située « au-delà du principe de plaisir »
qui s'exprime par la compulsion de répétition. Cependant,
en 1919, la guerre qui venait de s'achever avait donné
à Freud l'occasion d'observer un certain nombre de
névroses de guerre et de méditer à leur sujet. Les malades
ainsi atteints réintroduisaient dans les préoccupations de
Freud une clinique des plus officielles et au niveau de la
théorie du rêve en particulier ils montraient un échec
de la tentative de réalisation d'un désir en reproduisant
répétitivement la scène traumatique. Il s'agissait en
somme de types de rêves, survenant chez des individus
particuliers dans des circonstances liées à un boulever-
sement exétrieur, types de rêves nettement distincts
des rêves typiques étudiés dans L'interprétation des rêves
qui affectent le sommeil de tous les hommes indépen-
damment des événements marquants de leur histoire. En
fait, Freud voit dans la répétition qui signe l'appartenance
de ces types de rêves à la névrose traumatique, un aspect
présent dans la plupart des rêves. Il écrit dans Au-delà
du principe de plaisir : « Ce serait donc ici le moment de
convenir d'une exception à la proposition : le rêve est
un accomplissement de désir... Les rêves de la névrose
traumatique d'accident mentionnés plus haut ne se lais-
sent plus ramener au point de vue de l'accomplissement
de désir, pas plus que les rêves qu'on voit se produire
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dans les psychanalyses et qui nous ramènent le souvenir


des traumatismes psychiques de l'enfance. Ce sont là des
rêves qui obéissent bien plutôt à la compulsion de répé-
tition qui d'ailleurs trouve son appui, au cours de l'ana-
lyse, dans le désir, stimulé par la suggestion, d'évoquer
ce qui a été oublié, refoulé. Ainsi, ce ne serait pas la
fonction originaire du rêve que d'écarter les motifs
d'interruption du sommeil, en accomplissant le désir des
motions perturbatrices : il ne peut assumer cette nou-
velle fonction avant que l'ensemble de la vie psychique
ait accepté la domination du principe de plaisir » (tra-
duction de J. Laplanche et J.-B. Pontalis). Nous avons
appris depuis lors le rôle important joué par le masochisme
primaire dans cette domination du principe de plaisir
sur les expériences traumatiques primaires.
Il n'est pas possible en tout cas d'aborder, comme
nous en avons l'intention, une étude des rêves typiques
analysés par Freud dans la Traumdeutung sans avoir en
tête ses découvertes ultérieures sur la compulsion de répé-
tition. Qui dit « typique » en effet dit aussi, en un sens,
« répétitif ». Nous sommes alors très intéressés, voire
troublés, par la réapparition de la notion de suggestion
— dans la technique psychanalytique — suggestion néces-
saire pour que, de répétition agie inconsciente, les traces
mnésiques du traumatisme deviennent souvenir. L'idée
que l'auteur apprécié a le pouvoir de faire admettre,
grâce à une « prime de séduction » (suggestion) des repré-
sentations autrement déplaisantes ne s'applique pas en
principe à la présence physique de celui qui veut séduire
ou suggestionner. Qu'on se rappelle la comparaison de
Freud à propos du bon travail d'interprétation du rêve
avec la prononciation exacte, condition de survie, du
Schibboleth ; qu'un rêve dont le contenu latent est dominé
par le retour « au-delà du principe de plaisir » d'un événe-
ment traumatique de l'enfance puisse devenir le point
de départ d'une interprétation qui permette au sujet de
redevenir le « héros » de son propre rêve, ceci est l'effet

1. C'est nous qui soulignons.


2. C'est nous qui soulignons.
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de la « prime de suggestion » dont la parenté avec la


« prime de plaisir » ouvre alors toute une discussion
métapsychologique. Quand, dans les phrases citées ci-
dessus, Freud parle d'une fonction primitive du rêve mar-
quée par la nécessité de répéter activement ce qui a été
subi passivement, il ne spécifie pas s'il s'agit là d'un trait
archaïque ou infantile. Qu'il le décrive comme primaire
fait pencher pour l'archaïsme. Ne s'agirait-il pas d'une
répétition qui, en dehors des cas où elle prend un caractère
d'outrance, sert, à travers nos rêves quotidiens, au renou-
vellement de l'énergie psychique ? Certes nous n'ignorons
pas que si la pulsion se lie au souvenir traumatique, la
répétition interrompt la réalisation de désir qui aurait
tendu à s'effectuer à partir de la trace mnésique. Cepen-
dant, la défense par le déni joue ici un rôle essentiel ;
il s'ensuit que la répétition onirique du traumatisme ne se
situe pas seulement « au-delà du principe de plaisir » mais
encore, au-delà du déni dont nous savons qu'il s'applique
à la menace de castration à partir de son deuxième temps,
et dont le fétichisme reste le pivot essentiel.
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PREMIÈRE PARTIE

Rêve
et tragédie
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On nous parle d'une pratique


particulière à la marine anglaise.
Tous les cordages de la marine royale,
du plus gros au plus mince,
sont tressés de telle sorte
qu'un fil rouge va d ' u n bout à l'autre
et qu'on ne peut le détacher
sans tout défaire ;
ce qui permet de reconnaître,
même aux moindres fragments,
qu'ils appartiennent à la couronne.
GŒTHE,
Les Affinités électives.

L a c o l l e c t i o n p s y c h a n a l y t i q u e L e fil r o u g e
c o m p r e n d d e u x s e c t i o n s : l ' u n e , de c a r a c -
t è r e g é n é r a l , d i r i g é e p a r C h r i s t i a n DAVID,
M i c h e l d e M'UZAN e t S e r g e VIDERMAN ;
l ' a u t r e , d e p s y c h a n a l y s e e t de p s y c h i a -
trie de l ' e n f a n t , dirigée p a r J . de AJU-
RIAGUERRA, R e n é DIATKINE e t S e r g e
LEBOVICI.

L e fil r o u g e n e s ' a d r e s s e p a s s e u l e m e n t a u x
spécialistes de la discipline, m a i s aussi a u x
l e c t e u r s de p l u s e n p l u s n o m b r e u x q u i
c h e r c h e n t d a n s l a p s y c h a n a l y s e le m o y e n
d e m i e u x a p p r o f o n d i r m a i n t p r o b l è m e de
l a v i e q u o t i d i e n n e , e t de m i e u x c o m p r e n -
d r e les d i v e r s e s i m a g e s q u e l ' h o m m e
d ' a u j o u r d ' h u i e s t c o n d u i t à se f a i r e de
lui-même.

On y t r o u v e r a des ouvrages a p p a r t e n a n t
à la période classique, en particulier des
traductions de grands textes psychanaly-
tiques m a l connus dans notre p a y s ; des
p u b l i c a t i o n s é t r a n g è r e s choisies p a r m i les
plus m a r q u a n t e s des dernières années ;
e n f i n des t r a v a u x e n l a n g u e f r a n ç a i s e
— de p s y c h a n a l y s e p u r e o u c o n f i n a n t à
d ' a u t r e s s e c t e u r s d e s sciences h u m a i n e s —
les p l u s p r o p r e s à m a n i f e s t e r l a c o n t i n u i t é
d u « fil r o u g e » i n v i s i b l e q u e F r e u d s u t d é -
c o u v r i r d a n s l a t e x t u r e p r o f o n d e d e l a vie.
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