Vous êtes sur la page 1sur 8

Nous venons de passer presque une année sur le thème de l’apprendre, et sur l’opposition entre le

désir et le dressage, qui répond, comme l’ont mentionné les organisateurs de notre Congrès, à l’épidemie
cognitivo-comportementaliste qui déferle sur la scivilisation moderne. Ce que l’on apprend en analyse,
disaient-ils sur Radio Lacan, c’est à prendre-a, équivoque avec l’objet a de Lacan, cad que l’on apprend à
se désencombrer de la jouissance. Un désir est donc convoqué dès l’entrée en analyse, puisqu’il faut
accepter de parler de ce que l’on ne sait pas.
Et là se découvre ce que Lacan conjugue à propos de l’expérience analytique, qu’il a appelé, à
l’opposé du désir de savoir, l’horreur de savoir, ou encore, la passion de l’ignorance : on parle en analyse
de ce que l’on ne sait pas, et cet insu s’appelle l’inconscient.
Jacques-Alain Miller a pu dire en 1987 que cette horreur de savoir s’habille, dans l’analyse, de
l’amour du savoir. Nous avons donc là trois termes dialectiques à mettre en question relativement au savoir,
l’horreur, l’amour et le désir. N’oublions pas que le désir, pour Lacan, c’est son énonciation, que c’est par
le dire que surgit le désir.
J’ai choisi de réfléchir à la question du désir de savoir parce que c’est le nom donné par Jacques
Lacan au désir très particulier qui advient à la fin d’une analyse. Le désir de l’analyste relève d’une éthique
du désir, c’est le désir de faire advenir le désir, pour que le sujet sache. Mais qu’il sache quoi, si, comme
l’affirme aussi Lacan dans son XXème séminaire, il n’y a pas de désir de savoir ?
On pourrait déjà inférer que le désir de l’analyste convoque le manque, la castration, l’invention, et
qu’il se distingue du désir au début d’une analyse parce que c’est un désir qui décide l’analysant, non plus à
s’en plaindre, mais à devenir analyste sur ce point de manque.
Lacan a inscrit ce désir dans un discours qu’il a nommé « le discours de l’analyste ».
Il y est question de s’extraire du discours courant et même, de s’extraire des savoirs acquis, pour aller dans
cette zone de l’inconscient qui recquiert la surprise pour le débusquer. Ce chemin est long.
« La question du savoir du psychanalyste n’est donc pas que ça s’articule ou pas, disait ainsi Lacan à
Sainte Anne, la question est de savoir à quelle place il fait être pour le soutenir. »
En fait, pour Lacan, le désir de savoir se décline dans un rapport à cette passion de l’ignorance qui fait
obstacle au déchiffrage de l’inconscient. : « On a, de ce que l’on sait, horreur », disait-il encore. Premier
paradoxe donc.
« Pourquoi quelqu’un peut encore vouloir être psychanalyste ? », se demandait Lacan, et « qui sait
ce que c’est que la psychanalyse ? ». Car il affirme également que ce savoir sur ce qui existe, l’analyste le
renie, le réprime, il n’en veut rien savoir. Qu’est-ce qui pousse alors à aller jusqu’à la fin de l’analyse, à
vouloir franchir l’impasse que pour cette raison, Jacques Lacan a appelé « la passe » ?
La passe est une rencontre avec un point de non-savoir et en même temps, un franchissement de ce
point de « il n’y a pas » qui équivaut à la castration.
Jacques-Alain Miller a ainsi proposé, lors de son Cours intitulé « Silet », donné en 1994-95, de
définir le désir de l’analyste comme un mode de couture entre le désir et le savoir.
Il nous indique, me semble-t-il, que le désir et le savoir seraient naturellement séparés, que le désir
de savoir n’est pas un en-soi, mais qu’une analyse peut en faire cette couture.
Je vous propose d’illustrer ce mode de couture avec un exemple qui m’est cher.
C’est cette lettre que Freud adresse à son ami Romain Rolland en 1936, à l’occasion de
l’anniversaire de celui-ci, qui deviendra l’article intitulé « Un trouble de mémoire sur l’Acropole », que
vous trouvez dans « Résultats, idées, problèmes », tome 2.
On peut lire cette lettre comme un cas clinique où se déchiffre une passion du désir de savoir et du
déchiffrage de la castration chez Freud.
Le point de départ de sa réflexion est une indication au début du texte relative à la pulsion : un
affect de mauvaise humeur qui s’empare de lui au moment où il découvre l’Acropole. Freud précise la
permanence de cet affect qui ne l’a jamais quitté durant sa vie, à l’évocation de ce souvenir. Et on peut
penser que cette permanence est ce qui poussera Freud à en offrir l’analyse à son ami, quarante ans après
l’événement. Ainsi, l’affect de mauvaise humeur va mener Freud jusqu’à son père, jusqu’à un rapport au
père si particulier qu’il lui a fait inventer la psychanalyse. Et si nous relisons ce texte avec l’apport de
Lacan, nous savons que la version vers père verse vers l’« objet petit a » comme cause. C’est l’objet a qui,
pour Lacan, est cause de l’angoisse aussi bien que cause du désir.
Au-delà de la question freudienne sur le père, le trouble sur l’Acropole recèle en lui l’objet a, il en
révèle la prégnance, au moment même où, comme nous le verrons, Freud dépasse son père.
J’ai donc d’abord extrait du texte les trois phrases qui ont conduit Freud à analyser ce qu’il appelle sa
défense devant son désir , pour pouvoir aller plus loin dans l’analyse de ce trouble de mémoire.
Ces trois phrases sont donc à lire comme trois temps logiques, qui porteraient sur l’existence, la vision, et
l’incroyance
1. Une exclamation d’existence : « Ainsi tout cela existe réellement comme nous l’avions appris à
l’école! »
2. L’entrée en scène de l’objet regard : « Ce que je vois là n’est pas réel »
3. Le surgissement de l’incroyance et du déni : « Maintenant que j’y suis, je ne peux pas le croire »
Et c’est en élucidant sa réaction de l’époque que Freud va conclure sur sa position subjective, comme les
prisonniers du temps logique qui, en effet, peuvent sortir de la prison quand ils savent répondre à la
question posée sur leur être à savoir, la couleur du disque apposé sur leur dos.
Je vous renvoie à la lecture de ce grand texte des Ecrits, le premier que Lacan produit après son silence
pendant toute la seconde guerre mondiale.
Lacan y démontre comment, en procédant par la logique, les trois prisonniers à qui la question a été posée
ont pu conclure au même moment et sortir ensemble de la prison.
Freud est donc en quelque sorte ici le prisonnier qui, en répondant à la question sur son être, sort de sa
prison 40 ans après l’événement qui lui était resté jusqu’à lors énigmatique. Je le cite :
(…)« Il n’est pas vrai que j’aie jamais douté de l’existence d’Athènes et de l’Acropole… Je doutais
seulement de pouvoir voir Athènes de mes propres yeux, c’est-à-dire, d’avoir fait si bien mon chemin ».
Freud conclut ici sur la culpabilité : se gâcher ainsi le plaisir d’aller à Athènes et douter de l’existence de
l’Acropole, dénotait d’un sentiment de culpabilité envers son père, lié au fait d’avoir fait, comme il le dit si
bien, son chemin. D’une certaine manière, son postulat inconscient aurait été qu’il serait interdit au fils
d’aller plus loin que son père et de le surpasser.
On peut alors conclure que lorsque l’analyse lacanienne de cet épisode met en lumière l’objet regard
comme cause, c’est bien le regard des fils sur l’Acropole qui serait divisé par le regard du père sur les fils
en train de jouir du paysage.
À un âge assez avancé de 80 ans, Freud décide donc d’élucider un symptôme pulsionnel, un trouble de
l’humeur vivace, que Lacan assimile dans sa Télévisison, à une « touche du réel ».
Freud écrit à son ami que pour lui, le but de la psychanalyse consiste à « mettre à nu les mécanismes actifs
des forces psychiques à l’œuvre dans les phénomènes inhabituels, anormaux, pathologiques » et que cette
mise à nu est un travail de longue haleine, toujours à recommencer.
Il lui fait ainsi remarquer trois points :
1) Que ce souvenir sur l’Acropole lui est souvent revenu en mémoire depuis 1904, la date de leur voyage, à
son frère et lui.
2) Qu’il a toujours eu cette particularité de le ramener à l’enfance et au passé.
3) Et qu’il était, au moment de sa lettre, redevenu presque actuel, d’où sa décision d’en faire cette analyse
par écrit.
Et ce n’est en effet qu’au moment d’écrire cette lettre en guise de cadeau d’anniversire, que Freud constate
la coïncidence entre l’âge – 70 ans - de son ami Rolland, et celui de son frère cadet, celui avec lequel il
avait jadis partagé cette expérience sur l’Acropole.
Comme nous l’avons évoqué déjà, la note énigmatique de ce souvenir réside pour lui dans la touche de
mauvaise humeur qui lui en est restée, et que nous analysons comme une touche du réel et la trace d’une
jouissance indélébile.
On s’en souvient, Freud part en vacances avec son frère cadet, ils veulent aller de Trieste à l’île de Corfou,
mais un ami les en dissuade et leur conseille de se rendre à Athènes pour aller voir l’Acropole puisqu’ils ne
l’ont jamais vue. Durant tout leur voyage et ce, jusqu’à leur arrivée à Athènes, la mauvaise humeur ne les
quitte pas.
Au moment où ils sont sur l’Acropole, Freud embrasse le paysage du regard et l’idée étrange surgit sous
cette forme : « Ainsi tout cela est existe réellement comme nous l’avons appris à l’école! ».
 Immédiatement, il se sent divisé par cette pensée, premièrement parce qu’il lui faut maintenant croire à
l’existence de quelque chose dont il s’aperçoit que la réalité avait pu lui paraître incertaine pendant son
enfance, c’est-à-dire que c’était resté en lui comme un mythe. Et deuxièmement parce qu’il ignorait avoir
même jamais douté de l’existence réelle de l’Acropole jusqu’à ce jour. Il attendait plutôt de cette rencontre
l’expression d’une exaltation, d’un ravissement incomparables. Freud alors ne se contente pas de souligner
l’opposition entre voir de ses propres yeux et connaître par ouï-dire pour justifier son étonnement.
Il décide de plonger dans son inconscient pour y trouver une cause cachée, comme Baudelaire qui invite à
« plonger au fond du gouffre pour y trouver du nouveau ».
Sa méthode consiste en l’association de deux faits dans une même solidarité, afin de prendre appui sur l’un
pour élucider l’autre. Ainsi, la mauvaise humeur à Trieste en compagnie de son frère cadet sera son point
d’appui pour élucider l’idée subite sur l’Acropole.
« C’est un cas de too good to be true comme nous en rencontrons si souvent en analyse ! » nous dit Freud.
Il donne l’exemple du jeune homme qui reçoit un prix pour son travail, ou celui de la jeune fille demandée
en mariage par celui qu’elle aime, et qui ne peuvent croire à leur bonheur. Dans ce scepticisme, Freud loge
le refus d’une portion de la réalité. « Pourquoi refuser ce qui procure un plaisir si grand » interroge-t-il,
« comme ces sujets qui tombent malades ou qui font naufrage parce qu’un intense désir s’est vu réalisé ? ».
Freud associe alors le sentiment du destin au sentiment de culpabilité et plus exactement, à ce sévère
Surmoi qui est en nous et dans lequel s’est déposée l’instance répressive de notre enfance.
Dans le surmoi sévère, il situe la cause d’une telle déformation de l’événement qui transforme un primitif
étonnement joyeux sur l’Acropole en une pensée incrédule et en un doute écrasant, contenant à la fois la
découverte passée de l’école et la révélation présente.
Découvrant le double doute qui l’habitait, - de jamais voir l’Acropole de ses propres yeux et de la réalité
même de l’existence de l’Acropole -, il constate qu’à cette occasion, s’est substitué à son étonnement
premier un sentiment d’inquiétante d’étrangeté :
« Ce que je vois là n’est pas réel ».
Et il analyse l’énoncé sur le passé : « Ainsi tout cela existe réellement comme nous l’avons appris à
l’école ! » comme une défense contre ce sentiment d’inquiétante étrangeté.
Et en comparant ce phénomène d’étrangeté à celui de l’acte manqué ou du rêve, c’est-à-dire à une
formation de l’inconscient, Freud reconnaît le désir d’exclure quelque chose du moi, de l’éloigner, de le
nier, et qu’il appelle le désir d’une défense contre le désir.
C’est comme l’exemple du Roi Boabdil qui préfère détruire les lettres qui lui annoncent la chute de sa ville
et la fin de son règne et tuer le messager qui les lui apporte. Freud y interprète un besoin de lutter contre le
sentiment d’impuissance en voulant démontrer l’intégrité de son pouvoir.
À partir de cet exemple, celui d’un roi déchu, il justifie le titre de son article, «  Le trouble de mémoire »,
comme correspondant bien à une falsification du passé qui concerne, en effet, la mise en question du
pouvoir de quelqu’un qu’il avait surestimé, en la personne de son propre père.
Il fait un autre rapprochement entre l’annulation de la nouvelle de la chute d’une ville royale et le refus de
l’existence d’une ville mythique et prestigieuse aux yeux de la civilisation.
C’est, nous confie-t-il, comme si le fils du petit négiciant juif de Cracovie associait le plaisir des yeux à la
chute du trône de son père.
Freud franchit alors ce pas décisif, comme le prisonnier du temps logique, en rectifiant à la fois la source et
la portée du premier énoncé :
« Il n’est pas vrai que pendant mes années de lycée, j’aie jamais douté l’existence réelle
d’Athènes. Je doutais seulement de voir jamais Athènes de mes propres yeux. Aller si loin,
faire si bien mon chemin, me paraissait hors de toute possibilité. Ce sentiment était lié à
l’étroitesse et à la pauvreté de nos conditions de vie dans ma jeunesse. Et sûrement, mes
rêves de voyages exprimaient aussi le désir d’échapper à l’atmosphère familiale, ce même
désir qui pousse tant d’adolescents à faire des fugues. J’avais depuis longtemps démêlé
qu’une bonne part de mon envie de voyager tenait à ce désir d’une vie libre, autrement dit, à
mon mécontentement au sein de ma famille. » (p. 229)
Ce pas de plus sur l’inconscient va lui permettre d’élucider les trois temps logiques que recèlait cette touche
du réel de la mauvaise humeur.
- Premier temps, c’est le regard du père posé sur lui au moment où le fils surpasse le père qui
empêche Freud de jouir du spectacle de l’Acropole.
- Deuxième temps, la culpabilité attenante à ce regard est relative au franchissement de l’interdit
paternel, qui serait de ne pas dépasser le père.
- Et, troisième temps, le retour de ce mécontentement inavoué par l’adolescent au sein d’une
famille que, pourtant, il veut aimer pieusement, est enfin assumé par Freud.
Le trouble sur l’Acropole vient alors apporter un éclairage nouveau sur la piété filiale par laquelle Freud
termine sa lettre à Romain Rolland. Je vous en lis le passage:
« À ces motivations générales, s’ajoute dans notre cas un facteur particulier : c’est que les
thèmes d’Athènes et de l’Acropole contiennent en eux-mêmes une allusion à la supériorité
des fils. Notre père avait été négociant, il n’avait pas fait d’études secondaires, Athènes ne
signifiait pas grand-chose pour lui. Ainsi, ce qui nous empêchait de jouir de notre voyage
était un sentiment de piété. Maintenant, vous ne vous étonnerez plus que le souvenir de cet
incident sur l’Acropole revienne si souvent me hanter depuis que je suis vieux moi-même,
que j’ai besoin d’indulgence et que je ne puis plus voyager. » (pp.229-30).
L’analyse du trouble de mémoire sur l’Acropole révèle ainsi l’envers de l’amour et du respect que Freud a
voué à son père toute sa vie, sous la forme d’un mécontentement au sein de sa famille.
Mais comment allons-nous maintenant traverser ce trouble de mémoire et franchir un nouveau pas,
relativement au désir de savoir?
Jacques-Alain Miller l’a formulé en ces termes : « Ce qui se dénote dans ce trouble de la perception de
Freud est l’émergence du regard du père. Entre les deux énoncés  Ainsi ce que nous avons appris à l’école
existe réellement!  et Ce que je vois là n’est pas réel, la figure du père s’est levée. »
Au moment où il veut savoir, Freud se sépare du regard du père, et dans cette séparation se loge la
castration. Au moment où Freud fait de ce regard la cause de son désir après en avoir fait la cause d’une
défense contre son désir, le pas est franchi, et une assomption se produit.
Jacques-Alain Miller isolera cinq temps qui démontrent la logique de la castration.
Je les résume ainsi:
1. L’Acropole existe comme signifiant de l’Autre
2. Moi, Sigmund Freud, je ne vois pas l’Acropole.
3. Étant donné qui je suis, fils d’un petit juif de Moravie, je ne verrai jamais l’Acropole
4. L’Acropole est invisible pour moi
5. L’Acropole n’existe pas

Dans la déclinaison des cinq temps logiques, la prégnance du regard et son effet d’étrangeté sur Freud sont
mis à jour.
Jacques-Alain Miller rappelle le postulat lacanien de petit Jean et la boîte de sardine  : que les choses, avant
que je ne les voies moi-même, ces choses, elles me regardent (« Tu vois cette boîte de sardine dans l’eau,
eh bien elle, elle te regarde ! », avait dit Petit Jean, le fils de marin, à Lacan enfant qui était monté sur le
bateau des pêcheurs, créant chez lui une sorte de léger malaise du au décalage entre sa position sociale et
celle des pêcheurs).
Une opération de séparation s’effectue alors sous nos yeux entre voir et savoir, une séparation d’avec
l’objet regard en tant qu’être vu par le père, ce que Freud avait appelé « la forme passivée de la pulsion ».
Et ainsi, quarante ans après cette expérience subjective énigmatique, Freud accède à ce qu’il lui était resté
insu sur l’Acropole.
Ce qui l’empêchait de jouir de cette vision, au point de mettre en doute son existence, était lié non plus à
l’amour, mais au regard du père et même, au regard du père supposé souffrir d’être dépassé par ses fils.
C’est parce qu’en visitant l’Acropole, Freud transgresse l’interdit lié à la jouissance du père sous les
espèces de son regard absent de la scène, que jaillit, sous forme de la culpabilité, ce trouble de la vision.
Et c’est parce que Freud décide d’en offrir une analyse profonde à son ami qu’il peut se détacher de ce
regard du père châtré, dont l’insistance s’était faite sentir sa vie entière.
Jacques-Alain Miller conclut ainsi la question qui porte sur l’objet regard :
« Au regard de l’autre est attaché un affect toujours de reproche. Au regard de l’autre, est
toujours attaché une étrangeté, le regard de l’autre nourrit des phénomènes d’inquiétante
étrangeté, des phénomènes de dissonance, d’angoisses, de culpabilité, de panique, et non pas
de familiarité et de confusion entre qui voit et qui est vu. »

Le trouble de Freud est celui d’une expérience de dysharmonie.


Il indique le déplacement d’une vérité logée dans le nœud entre le désir et la défense sous la forme d’une
horreur de savoir.
L’attitude analytique éminente de Freud consiste à accorder le plus grand prix à l’énoncé conscient de son
enfance pour reconstituer l’énoncé inconscient qui s’y est substitué, le témoignage de la division entre le
doute et la certitude. Il parvient ainsi à reconnaître l’instance du Surmoi sévère qui lui fait faire cette sorte
de démenti (ne pas vouloir voir ce qui est arrivé) et qui concerne, en dernière instance, le regard du père
chargé de reproche.
C’est au moment où les deux fils éprouvent face à l’Acropole l’instance du regard paternel comme ennemi
de leur jouissance que la culpabilité apparaît.
Le pas est ainsi franchi : ce qui trouble la perception du spectacle tant attendu de l’Acropole, c’est ce regard
du père sur les deux frères en train de jouir du spectacle.
Ce n’est donc pas tant qu’ils voient l’Acropole, mais que l’Acropole les regarde du regard du père.
Au moment où Freud est frappé du fouet de la vieillesse et de la castration, la posture se rompt.
Ce n’est pas l’Acropole qui n’existe pas, c’est le vide qu’elle a laissé dans le regard du père, qui lui, ne l’a
jamais vue.
C’est donc le signifiant de l’Acropole qui manque au père qui est en question, tout comme la jouissance de
ce regard ébahi.
Lacan a inventé un mathème pour exprimer ce signifiant qui manque, qu’il écrit S (/A), et patit a pour dire
l’objet, ici, l’objet regard.
Le fouet de la castration surgit donc pour Freud au moment où il isole le regard du père comme
cause du trouble de mémoire sur l’Acropole, au moment où l’Acropole cesse de le regarder du regard du
père, au moment où ce regard du père, Freud l’est lui-même devenu. Devenir regard…
C’est un moment où l’objet est extrait de la scène fantasmatique, celle où le fils est regardé par le
père en train de voir ce dont le regard du père a été privé, (S/ poinçon a).
Il a fallu cette lettre à l’ami, l’affect de l’amitié qui fait surgir le désir de savoir, pour que Freud
prélève cet objet, découverte d’un autre savoir, d’un savoir dans le réel qui fait franchir à la psychanalyse,
ce pas vers la science, mais auquel il donne un sujet.
Et dans ce prélèvement de l’objet sur le désir et le savoir, réside, me semble-t-il, la passe de
Freud.
Le petit Hans et ses constructions mythiques vers un autre savoir.

Vous aimerez peut-être aussi