Vous êtes sur la page 1sur 8

Bulletin de la Société française du

Rorschach et des méthodes


projectives

Présentation du mode d'interprétation du TAT


V. Shentoub

Citer ce document / Cite this document :

Shentoub V. Présentation du mode d'interprétation du TAT. In: Bulletin de la Société française du Rorschach et des méthodes
projectives, n°33, 1986. Le narcissisme. pp. 59-65;

doi : https://doi.org/10.3406/clini.1986.1448

https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1986_num_33_1_1448

Fichier pdf généré le 17/05/2018


Bull. Soc. Franc, du Rorschach et des Méth. Proj.
n° 33, septembre 1986, pp. 59-65

PRESENTATION
DU MODE D'INTERPRETATION DU T.A.T,

V. SHENTOUB

Au cours de cet exposé, je me centrerai uniquement sur la feuille de dépouillement


qui est notre outil de travail depuis un certain nombre d'années. C'est la dernière
née de la série, si je puis dire, parce qu'il y a eu d'autres feuilles de dépouillement,
depuis les années 50, et il va sans dire que celle-ci subira encore des changements :
cela peut paraître inquiétant, mais au contraire, je pense que c'est plutôt rassurant
parce que cela témoigne d'une pensée relativement vivante et de notre questionnement
permanent.

Cette feuille de dépouillement date d'une quinzaine d'années environ, et à ce


moment-là, comme tout un chacun d'ailleurs, je ne pense pas que nous ayons été tout-à-
fait originaux, notre attention s'est portée sur les organisations névrotiques ou
psychotiques. Il est impossible de faire un travail psychologique, une recherche
en psychologie, sans conception théorique sous-jacente. C'est à la théorie
psychanalytique, bien entendu que nous nous sommes adressés dès le départ, ayant eu le soin
de distinguer ce qui pourrait, dans la métapsychologie freudienne, être pris comme
outil opérationnel dans cette situation très précise, dans ce champ, dans ce lieu, dans
ce temps du test, et qui était à différencier très nettement de la situation
psychanalytique. Bien entendu, on ne pouvait absolument pas prétendre recueillir des
renseignements tels qu'on peut les avoir au terme d'une cure par exemple. Nous avons affaire
à « des données limitées » et nous ne pouvons nous attendre qu'à des « conclusions
limitées » et finalement nous avons une visée assez mégalomaniaque à savoir, essayer
de décrire dans la mesure du possible le mode de fonctionnement dominant de celui
qui parle.

On peut se demander pourquoi nous poursuivons ce travail sur les projectifs : « il


y a des psychiatres qui ne s'y intéressent plus du tout et des psychologues qui n'ont
plus aucun usage de cet instrument. Je pense d'ailleurs que c'est un tout, mais c'est
un autre problème. Pour nous c'est une figure de style, si je puis dire, c'est un lieu
de réflexion. Aussi curieux que cela puisse paraître, nous avons rarement affaire au
sujet parlant, à son discours direct ; généralement nous travaillons sur des observations,
en tout cas dans les instituts et les universités (quelques-uns ont la chance d'avoir
de bons stages, ça n'arrive pas forcément à tout le monde). Le discours T.A.T., ou
Rorschach ou n'importe quel autre test, c'est la parole directe du sujet et nous
travaillons sur cette parole vivante, en un sens, enfin coupée quelque part de la suite, il
manque toujours les associations du sujet, nous sommes toujours en train d'appeler
ce tiers qui n'est pas là et qui est le héros principal, cependant c'est un discours vivant
-60-

et je pense que c'est un lieu tout à fait privilégié pour comprendre ce que théorie
veut dire parce que sinon on a affaire à des notions souvent tout-à-fait désincarnées.

C'est à la théorie psychanalytique donc que nous avons fait appel et qui a contribué
à la mise en forme de cette feuille de dépouillement. Nous nous sommes référés aux
grands registres de la psychopathologie psychanalytiques. J'entends, nous nous
intéressions aux névroses, en particulier à la névrose obsessionnelle, à la névrose hystérique,
à la névrose phobique et aux psychoses, bien entendu. Encore un mot en ce qui
concerne la théorie : elle est indispensable, car je pense qu'on peut faire dire à un
discours ou à la clinique en général, n'importe quoi si on n'a pas ces préconceptions
théoriques... Seule la théorie, une certaine écoute à partir d'une certaine théorie peut
permettre aux données de venir s'ordonner en un tout.

Cette feuille de dépouillement doit alors traduire, et nous avons appelé là des facteurs
« A », quelque chose qui est de l'ordre du contrôle, qui peut aller d'une simple prise
de distance, de la bonne distance jusqu'au contrôle quasiment obsessionnel, c'est tout
ce qui concerne les facteurs A 2. Ils n'ont pas été fabriqués par nous ; c'est bien
entendu, des éléments et des procédés, comme nous les appelons que nous avons détectés
dans des recherches qui concernaient des organisations obsessionnelles, que ce soit
de caractère, ou bien des organisations névrotiques, ou encore des mécanismes tels
qu'on les trouvait dans certains états pré-psychotiques, voirs psychotiques. Ceci, c'est
pour les facteurs de la série A.
Ensuite, il y a les facteurs de la série B.
Nous sommes ici dans le versus « laisser-aller » « imaginer » : c'est plutôt, comme disait
Lagache, « la défense par la fantaisie contre la réalité », alors qu'au niveau des facteurs
de la série A, nous avions plutôt la défense contre la fantaisie par la réalité. Ici la
fantaisie est au premier plan, c'est le laisser-aller, la dramatisation. Ici, aussi nous
partons de quelque chose de « normal » si je puis m'exprimer de la sorte pour aller
vers des organisations hystériques sévères.
Au niveau des facteurs de la série C, il y a eu tout un « remaniement » récent.
Dans un premier temps, nous avions affaire à des mécanismes phobiques. Et puis,
peu à peu, s'est infiltrée une autre réflexion. Et tout le problème est là : à un moment
donné nous pensions aux névroses et aux psychoses et ensuite on s'est intéressé à
d'autres organisations dont justement les états-limites, les problèmes du Narcissisme,
les névroses de caractère, la psychosomatique. Depuis une dizaine d'années, notre
intérêt se porte plus vers... j'allais dire péjorativement « la poubelle » dans laquelle l'ordre
n'est pas encore fait et qui sont hors du champ des psychoses et des névroses et nous
avons trouvé des éléments d'inhibition c'est-à-dire de non fonctionnement des éléments
névrotiques, il n'y a pas de défenses névrotiques dans un tas d'organisations et nous
avons mis, si je puis dire, dans ce « C » un tas d'éléments pris à droite et à gauche
qui concernent quelque chose qui serait de l'ordre de la pensée opératoire, par exemple,
c'est-à-dire l'attachement au quotidien, au factuel, etc.
Je passe aux deux dernières rubriques : en particulier aux facteurs de la série « D » :
réactions au niveau du comportement, c'est-à-dire tout ce qui n'est pas dit, verbalisé,
tout ce qui ne peut pas être représenté au moyen de la symbolique du langage et
qui est plutôt traduit au niveau du geste, du corps, de la mimique. Quelque chose
-61-

de l'ordre de l'acting au milieu de cette passation qui exige au contraire un travail


mental et une verbalisation.
Les facteurs de la série « E », c'est tout ce qui concerne les ratés de la secondarisation,
la perte de contact avec le réel, la déformation du réel - au niveau même du langage,
des troubles qui témoignent de l'intrusion d'un fantasme perturbant. C'est tout ce
qui concerne également la présence d'une activité fantasmatique débordant les
possibilités de liaison du Moi, et tout ce qui concerne également le problème des quantités
non métabolisables qui détériorent le cours de la pensée. On sait que pour Freud,
la pensée n'est compatible qu'avec une élévation qualitative et quantitative pas trop
grande. Ici, justement au niveau des « E », nous avons affaire à un afflux tout-à-fait
massif des affects et des représentations qui peuvent à la limite perturber le discours.
Je n'insisterai pas sur notre appréciation de la qualité de l'histoire que nous avons
appelé en fonction d'un terme de Green : la lisibilité, c'est-à-dire la qualité du discours,
c'est-à-dire la facture du discours qui nous importe tout autant sinon davantage que
le contenu du discours et qui va en dernier lieu témoigner du niveau de fonctionnement.
Ce que nous considérons comme une bonne lisibilité, c'est-à-dire le fonctionnement
au plus haut niveau, va de pair avec la présence de mécanismes A et B, c'est-à-dire
des mécanismes qu'on a usage d'appeler des mécanismes névrotiques, pas d'une façon
trop pesante. Il est bien entendu question de mécanismes qui participent au
dégagement, qui aident à la structuration de l'histoire, mais ils sont là. Nous rejoignons
là, une idée assez contemporaine, à savoir qu'il ne s'agit pas de considérer les
mécanismes de défenses uniquement comme un facteur de pathologie mais bien au contraire
comme des composants indispensables du fonctionnement mental, on ne peut pas vivre
sans défenses, tout comme d'ailleurs en cure analytique, je pense qu'il y a une tendance
actuellement à ne pas trop bousculer les défenses, parce qu'on ne sait pas trop ce
qu'il y a derrière, mais enfin on fonctionne à l'aide de nos défenses et lorsqu'on
régresse, et la régression est le fait de tout un chacun, sans parler de la situation
psychanalytique, « rien », comme dit Marty, « ne peut s'opposer à la désorganisation d'une
régression ». Or, quand on régresse, il faut qu'on puisse retrouver des mécanismes
de défense élaborés le long de l'évolution et la présence de ces mécanismes de défense
témoigne et est, en quelque sorte, synonyme d'une relative santé mentale, d'une
possibilité de réorganisation.
Donc, lorsque la lisibilité est bonne, on va vers une organisation normative (je ne
dis pas normale parce que là c'est encore une longue discussion qu'on pourrait avoir),
susceptible d'homéostasie. Nous avons affaire à une fiche où il y a des mécanismes
A 2 et B 2 c'est-à-dire qu'il y a quelque part des mécanismes d'allure névrotique
d'organisation bien mentalisée. Nous avons des histoires qui sont, à l'aide de ces mécanismes,
des histoires relativement bien structurée où domine certes la secondarisation mais
qui sont également imprégnées d'une riche résonance fantasmatique c'est-à-dire qu'il
y a un mixage, un mariage heureux entre processus primaires et processus secondaires.
Et, plus on va vers la pathologie, plus les mécanismes sont chargés c'est-à-dire qu'il
y a énormément de A 2 et de B 2 qui nous renvoient vraiment aux états névrotiques,
l'énergie est mobilisée au niveau des défenses, ou bien au contraire il y a comme un
abrasement, comme une disparition de ces mécanismes névrotiques au profit de quoi ?...
et bien justement je crois que Madame Brelet va aborder un des aspects du problème
parce qu'on peut aller par exemple dans l'économie opératoire telle qu'elle est décrite
par Marty pour les troubles psychosomatiques. Il peut y avoir disparition de tous
-62-

ces mécanismes, de toute la mentalisation au profit de l'actuel, du factuel, du concret,


comme cela peut aussi fuir quelque part vers le vide, une espèce de vide mental. Nous
quittons-là tout-à-fait la zone des organisations qui nous a intéressés dans le temps :
névrose, psychose et ensuite ce qui nous a beaucoup intéressé c'est le normal, il faut
bien le dire on a beaucoup travaillé là-dessus ces dernières années. Et maintenant,
nous nous interrogeons sur les autres cadres dont le Narcissisme dont il va être
question. Mais alors on constate que la fiche de dépouillement ne correspond plus. Il y
a des modifications à y apporter parce que notre œil s'est ouvert et non pas que les
cas aient changé. Et nous voyons maintenant ce que nous ne voyons pas avant. Nous
sommes devant une nouvelle perspective, une nouvelle modification de cette fiche et
j'en suis tout-à-fait satisfaite parce que cela témoigne d'une pensée vivante à laquelle
Madame Brelet participe tout-à-fait activement et je la remercie d'avance.

FEUILLE DE DEPOUILLEMENT DU T.A.T.

Nom:
Date de l'examen : Age :
Profession :
Niveau scolaire et socio-culturel :

Facteurs de la série A (Rigidité)

(A.O. : Conflictualisation Intra-personnelle)


A.l - 1 - Histoire construite proche du thème banal.
2 - Recours à des références littéraires, culturelles, au rêve.
3 - Intégration des références sociales et du sens commun.
A.2 - 1 - Description détaillée avec accrochage aux Dd Ban (ou plus rarement évoqués,
y compris expressions et postures).
2 - Justification des interprétations par ces Dd.
3 - Précautions verbales.
4 - Eloignement temporo-spatial.
5 - Précisions chiffrées.
6 - Hésitations entre interprétations différentes.
7 - Aller et retour entre l'expression de l'agressivité et de la défense.
8 - Remâchage, rumination.
9 - Annulation.
10 - Eléments de type formation réactionnelle (propreté, ordre, aide, devoir,
nomie, etc.).
1 1 - Dénégation.
12 - Insistance sur le fictif.
13 - Intellectualisation (abstraction, symbolisation, titre donné à l'histoire en
rapport avec le contenu manifeste).
-63-

14 - Changement brusque de direction dans le cours de l'histoire (accompagné


ou non de pause dans le discours).
1 5 - Isolement des éléments ou des personnages
16 - Dd évoqué et non intégré.
17 - Accent porté sur les conflits intra-personnels.
18 - Affects exprimés à minima.

Facteurs de la Série B (Labilité)

(B.O. : Conflictualisation inter-personnelle)


B. 1 - 1 - Histoire construite autour d'une fantaisie personnelle.
2 - Introduction de personnages non figurant sur l'image.
3 - Identifications souples et diffusées.
4 - Expression verbalisée d'affects nuancés, modulés par le stimulus.
B.2 - 1 - Entrée directe dans l'expression.
2 - Histoire à rebondissements. Fabulation loin de l'image.
3 - Accent porté sur les relations inter-personnelles. Récit en dialogue.
4 - Expression verbalisée d'affects forts ou exagérés.
5 - Goût du drame. Theatralisme.
6 - Représentations contrastées, alternance entre des états émotionnels opposés.
7 - Aller et retour entre des désirs contradictoires. Fin à valeur de réalisation
magique du désir.
8 - Exclamations, digressions, commentaires, appréciations personnelles.
9 - Erotisation des relations, pregnance de la thématique sexuelle et/ou
lisme transparent.
10- Attachement aux Dd narcissiques (valence positive ou négative).
1 1 - Instabilité dans les identifications. Hésitation sur le sexe des personnages.
12 - Accent porté sur une thématique du style : aller, courir, dire, fuir, etc.
13 - Présence de thèmes de peur, de catastrophe, de vertige, etc. dans un contexte
dramatisé.

Facteurs de la Série C (Inhibition)

/P/ 1 - Tli long et/ou silences importants intra-récit.


2 - Tendance générale à la restriction
3 - Anonymat des personnages.
4 - Conflits non exprimés. Motifs non précisés.
5 - Récits banalisés à outrance, impersonnels. Placages.
6 - Nécessité de poser des questions. Tendance refus. Refus.
7 - Evocation d'éléments anxiogènes suivis ou précédés d'arrêts dans le discours.
/F/ 1 - Accrochage au contenu manifeste.
2 - Accent porté sur le quotidien, le factuel, l'actuel, le concret.
3 - Accent porté sur le faire.
4 - Appel à des normes extérieures.
5 - Affects de circonstance.
/N/ 1 - Accent porté sur l'éprouvé subjectif (non relationnel)
2 - Références personnelles ou autobiographiques.
-64-

3 - Affect titre
4 - Posture signifiante d'affects.
5 - Accent mis sur les qualités sensorielles.
6 - Insistance sur le repérage des limites et des contours.
7 - Relations spéculaires.
8 - Mise en tableau.
/M/ 1 - Accent porté sur une thématique de perte, de support, d'étayage.
2 - Idéalisation de l'objet (valence positive ou négative).
3 - Pirouettes, virevoltes.

Facteurs de la série D (Comportement)


D. - 1 - Agitation motrice. Mimiques et/ou expressions corporelles.
2 - Demandes faites à l'examinateur.
3 - Critiques du matériel et/ou de la situation.
4 - Ironie, dérision.
5 - Clien d'œil à l'examinateur.

Facteurs de la série E (Emergence en processus primaire)


E. - 1 - Perception de Dd rares ou bizarres.
2- Justifications arbitraires à partir de ces Dd.
3 - Fausses perceptions.
4- Perception d'objets morcelés (et/ou d'objets détériorés ou de personnages
lades, malformés).
5- Perceptions sensorielles.
6 - Scotomes d'objets manifestes.
7- Confusion des identités (« télescopage des rôles »).
8- Instabilité des objets.
9- Désorganisation des séquences temporelles.
10 - Perseveration.
-^ Fabulation hors image
11 - Inadéquation du thème au stimulus :
Abstraction, symbolisme hermétique
12 - Expressions « crues » liées à une thématique sexuelle ou agressive.
13- Expression d'affects et/ou de représentation massifs liés à n'importe quelle
problématique (dont l'incapacité, le dénuement, la réussite mégalomaniaque,
la peur, la mort, la destruction, la persécution, etc.).
14 - Craquées verbales (troubles de la syntaxe).
15 - Vague, indétermination, flou du discours.
16 - Associations par consonnance ou contiguïté, coq à l'âne.
17 - Associations courtes.
18 - Projection.
19 - Perception du mauvais objet.
20 - Recherche arbitraire de l'intentionalité de l'image et/ou des physionomies ou
attitudes.
21 - Clivage de l'objet.
-65-

1°) Procédés présents


-A
-B
-Cph Cf. Cn Cm
-D
-E

2°) Evaluation des modalités de fonctionnement mental


Typel (Lisibilité + )
- Procédés souples et variés (« mixés »)
- Présence des facteurs A 1-B 1
-Affects nuancés
- Histoires structurées
- Résonance fantasmatique
Type 2 (Lisibilité + ou -)
- Prédominance des facteurs A 2
et/ou B 2
et/ou C
et/ou D
- Production altérée par les mécanismes mis en œuvre, permettant un
dégagement partiel (impact fantasmatique sous-jacent).
Type 3 Lisibilité - ou + )
- Prédominance des facteurs E
et C
et D
-Défenses massives, affects massifs (envahissement par les fantasmes
sous-jacents.)

3°) Hypothèse concernant l'organisation structurale

(Prendre en compte les éléments différentiels suivants : nature du


conflit, nature de l'angoisse, type de relation d'objet dominant, stades
de fixations-régressions dominants, modalités défensives dominantes).

Vous aimerez peut-être aussi