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Bulletin de la Société française du

Rorschach et des méthodes


projectives

Analyse thématique ou analyse formelle. Réflexions


méthodologiques à propos de la planche 14 du TAT
A. Bolzinger

Résumé
L'auteur fait l'esquisse d'un projet paradoxal : appliquer au T.A.T. les méthodes d'interprétation du test de Rorschach, c'est-à-
dire substituer à l'analyse thématique et à son répertoire symbolique l'analyse formelle des contenus perceptifs avec leurs
déterminants morphesthésiques, chromesthésiques et kinesthésiques. La planche 14 du T.A.T. fournit la matière de cet
exercice méthodologique qui tente d'illustrer les principes de l'analyse structurale appliquée aux tests projectifs, conformément
aux intuitions de Rorschach.

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Bolzinger A. Analyse thématique ou analyse formelle. Réflexions méthodologiques à propos de la planche 14 du TAT. In:
Bulletin de la Société française du Rorschach et des méthodes projectives, n°27, 1972. Les thèmes dans le Rorschach. pp. 69-
75;

doi : https://doi.org/10.3406/clini.1972.1342

https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1972_num_27_1_1342

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ANALYSE THEMATIQUE OU ANALYSE FORMELLE
REFLEXIONS METHODOLOGIQUES A PROPOS
DE LA PLANCHE 14 DU T.A.T.

par A. BOLZINGER

Le thème choisi pour le présent symposium mérite quelques


remarques préliminaires. J'avoue que le choix d'un tel sujet m'a beaucoup
surpris. Il y a deux ans, le symposium avait déjà été consacré à l'étude
du contenu dans le Rorschach. Quelques communications avaient signalé
à cette occasion que le test de Rorschach, dans ce qui fait l'originalité
de sa méthode, accorde peu d'importance au contenu concret des
réponses et à la thématique qui s'en dégage ; au contraire, il privilégie
systématiquement le point de vue formel dans l'interprétation des
réponses. Aujourd'hui, devant le titre du symposium qui nous réunit, on
peut s'interroger sur la signification d'une récidive.
Cette question est d'autant plus pressante que ce titre met bien en
lumière le caractère paradoxal des réflexions qu'il annonce. « Aspects
thématiques dans les épreuves projectives » : voilà qui semblait net et
chacun de penser au T.A.T., au C.A.T., à leurs sous-produits, à leurs
équivalents. Mais nous lisons de plus : « Aspects thématiques plus
spécialement dans le Rorschach. » Voilà bien ce qui étonne et qui est
réellement stupéfiant : le Rorschach serait-il un test thématique... méconnu ?
Ce sentiment de paradoxe traduit, à mon sens, l'impact des problèmes
méthodologiques sous-jacents à un pareil énoncé. La pratique actuelle
des tests projectifs, et plus particulièrement du Rorschach, révèle
souvent de vastes oscillations sur le plan de la théorie. Peut-on faire du
Rorschach un test thématique ? à quelles conditions ? à quel prix ? Ces
questions désagréables mais nécessaires seront à l'horizon de mon
propos. Et comme le paradoxe appelle le paradoxe, j'ai choisi de puiser mon
argumentation, non pas dans un essai d'analyse thématique appliquée
à un test formel, mais dans l'analyse formelle d'un test réputé
thématique.
J'ai retenu pour cet exercice méthodologique la planche 14 du T.A.T.
dont je rappelle la description (E. Stern. Le test d'aperception
thématique de Murray. Delachaux et Niestlé 1950, p. 16). « Le tout est noir ;
seule une fenêtre se détache sur le noir. Sur le bord de la fenêtre, se
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tenant par son bras droit au cadre de celle-ci, une personne est assise. »
Il faut ajouter que cette image propose à la perception un matériel
équivoque, non seulement au sens de la psychologie projective, c'est-à-dire
un matériel peu structuré que le sujet est appelé à structurer à sa guise,
mais également au sens de la psychologie classique puisqu'une partie de
l'ensemble peut être vue tantôt comme figure, tantôt comme fond.
Ainsi l'image de la planche 14 se caractérise par son ambiguïté
thématique certes, mais d'abord par son ambiguïté formelle. Or, les
réponses multiples y sont particulièrement nombreuses : au total treize
fois pour un échantillon de quatre-vingts sujets, soit une fois sur six. Tout
se passe comme si le sujet, percevant que figure et fond peuvent
permuter, tentait d'envisager les différentes possibilités d'alterner ou
d'associer les éléments perceptifs mis en jeu. Dès lors l'interprétation
s'accompagne d'une sorte de jeu sensoriel et s'exprime par une série de réponses
alternatives qui permettent d'analyser le travail de structuration
perceptive dans ses éléments constitutifs.

**
*

Voici un exemple de protocole : « C'est une personne qui est dans


l'obscurité, qui a besoin de voir le jour, de respirer l'air frais, qui ouvre
la fenêtre grande et qui semble satisfaite de... »
« On dirait qu'il sort par la fenêtre, il sort prendre l'air. »
« Je pense à autre chose. On dirait aussi un cambrioleur. C'est la nuit.
Il pénètre dans un appartement éclairé pour faire son cambriolage et
ressortira par la fenêtre comme il est venu. »
On peut reconnaître dans ce texte trois réponses successives : la
personne qui prend le frais, celle qui sort par la fenêtre, et le cambrioleur.
La première et la troisième sont nettement individualisées, la seconde
en revanche est plus vague et semble un point de passage entre les deux
autres. Dans la perspective d'une analyse formelle, essayons de mettre
en évidence les éléments structuraux de ce matériel. Trois séries de
facteurs sont à distinguer.

A) La situation du personnage par rapport au décor

C'est-à-dire l'interprétation de l'image dans l'espace. Dans la


première réponse, le personnage se trouve au premier plan, dans la
chambre, à l'intérieur de la maison. Il regarde vers le fond, vers la fenêtre
ouverte, vers le dehors. Dans l'autre réponse, le cambrioleur se trouve
également au premier plan, mais au dehors de la maison ; il dirige son
regard vers la fenêtre éclairée, vers le dedans de la maison. L'opposition
du dedans et du dehors scande véritablement la structure formelle de
l'image.
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On peut noter que dans les deux cas, le sujet du test a le même point
de vue, la même localisation spatiale que le personnage principal. La
scène est vue par lui du dedans de la maison dans le premier cas, du
dehors de la maison dans le second cas.

B) La répartition du blanc et du noir


Dans la première réponse le noir est interprété comme l'obscurité
d'une chambre, le blanc comme la clarté du jour. Puis les éléments blanc-
noir permutent ; le noir n'est plus au dedans, mais au dehors, c'est la
nuit. De même le blanc n'est plus au dehors, mais au dedans, ce n'est
plus la clarté du jour mais un appartement éclairé.

C) La perception du mouvement

La première interprétation est statique, contemplative tandis que la


seconde fait état d'un mouvement de dehors en dedans, l'entrée du
cambrioleur par la fenêtre, et annonce en même temps le mouvement
inverse, le retour du cambrioleur après son larcin.
Cette analyse d'une série de réponses alternatives a permis de
reconnaître certains éléments perceptifs qui fournissent la charpente de
l'interprétation : la structure formelle, la répartition des couleurs et le
mouvement. Notre hypothèse est que les transformations du contenu
thématique sont tributaires du jeu de perception alternante qui est induit par
la configuration équivoque du matériel. Cette hypothèse découvre une
parenté inattendue entre le T.A.T. et le Rorschach : elle propose une
lecture du protocole en fonction de déterminants morphesthésiques,
chromesthésiques et kinesthésiques qui pourraient éventuellement se
résumer en un psychogramme ; ainsi elle met l'accent sur les caractères
de la projection-perception plutôt que sur les produits de la projection-
imagination.
**
*

Examinons successivement chacun de ces déterminants dans notre


échantillon de quatre-vingts protocoles. Nous appelons déterminant
morphesthésique le choix d'une certaine configuration spatiale qui
implique soit une représentation de l'intérieur de la maison (vue du dedans)
soit une représentation de l'extérieur (vue du dehors). Dans la majorité
des cas (49) il s'agit d'une scène d'intérieur : le locuteur se situe dans
la maison et décrit le personnage assis ou debout à la fenêtre, le phis
souvent immobile et rêveur. Dans un petit nombre de cas (22) il s'agit
au contraire d'une vue extérieure de la maison ; le locuteur imagine ia
maison vue du dehors et aperçoit un personnage à la fenêtre, soit en
observation, soit en cours d'escalade. Enfin cette détermination de
l'espace de l'image est absente dans neuf protocoles.
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Nous appelons déterminant chromesthesique -les taches noires et les


taches plus claires qui sont généralement perçues en termes d'ombre et
de lumière. Il y a peut-être quelque -abus à parler de couleur à propos du
noir et du blanc mais nous avons provisoirement gardé cette
dénomination. Ces éléments de contraste semblent peu significatifs dans les autres
planches du T.A.T. Pour la planche 14 ils prennent une signification
déterminante pour les trois quarts de notre échantillon.
L'interprétation noir-dedans, clair-dehors est la plus fréquente (46).
La chambre est dans l'obscurité et le personnage dans un moment de
méditation ou d'insomnie prend le frais à sa fenêtre ; rêverie au clair de
lune ou au soleil couchant Parfois la clarté de la fenêtre prend une
signification plus précise : les phares d'une voiture qui passe, ou l'aurore
c'est-à-dire l'heure de se lever. Dans un cas sur cinq, cette structure noir-
dedans, clair-dehors est interprétée de façon symbolique et abstraite :
l'aspiration à la liberté, la fin d'une dépression, l'espérance, la poésie.
L'interprétation clair-dedans, noir-dehors apparaît dans vingt
protocoles. C'est une scène d'effraction ou d'évasion nocturne que le locuteur
surprend en observant la façade d'une maison éclairée. Plus rarement il
s'agit d& quelqu'un qui discute au balcon, qui attend ou qui contemple
la nuit.
Enfin nous appelons déterminant kinesthésique la représentation d'un
mouvement qui vient animer la structure formelle. Dans la planche 14,
il s'agit toujours d'une kinesthésie humaine et dans la moitié des cas (21
fois sur 41 réponses K) elle est orientée en fonction de l'espace dedans-
dehors : mouvement de dehors en dedans dans treize cas, mouvement
de dedans en dehors dans huit cas.

Planche 14 : Kinesthêsies

K de dehors en dedans 13
K de dedans en dehors 8
K sans déplacement 8
K projetée 8
K évoquée comme fait passé 3
K aivortée 1
Absence de réponses K 39

D'un point de vue thématique, le mouvement de dehors en dedans


appartient à des scènes de cambriolage ou de rendez-vous galant ; il y a
aussi l'étourdi qui a oublié sa clé. Le mouvement de dedans en dehors
détermine des récits d'évasion, de fugue ou de fuite du voleur avec ou
sans butin.
Ces mouvements avec déplacement par rapport au cadre structural
entraînent une modification des rapports entre le personnage et le
locuteur. Dans une scène de cambriolage par exemple, le personnage et le
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locuteur ont la même situation au départ : ils se trouvent tous deux au


dehors, dans l'obscurité. L'escalade de la fenêtre fait passer le
personnage à l'intérieur de la maison tandis que le locuteur reste bien entendu
en deçà de la fenêtre. Dans une scène d'évasion au contraire, le locuteur
et le personnage sont d'abord de part et d'autre de la fenêtre : le
locuteur observe du dehors le personnage qui s'apprête à passer par la
fenêtre. Au terme de la manœuvre ils se retrouvent ensemble d'un même
côté de la fenêtre.
Outre ces kinesthêsies majeures la lecture attentive des protocoles fait
reconnaître une série de petites kinesthêsies. Ce sont d'abord des
kinesthêsies sans déplacement vers le dehors ou vers le dedans. Dans la
scène du clair de lune par exemple, le personnage demeure dans sa
chambre, mais « se lève pour voir ... il ouvre la fenêtre ». Il y a aussi les
kinesthêsies projetées dans un futur immédiat ou lointain : « il est prêt
à sauter ; il va partir ; il rêve d'être cosmonaute ». Par ailleurs, comme
la consigne du T.A.T. demande un récit qui intègre l'instantané de
l'image dans une séquence temporelle, il s'introduit parfois la mention
de mouvements antérieurs à la scène qui correspond à l'image. On peut
noter également une kinesthésie avortée : « il n'a pas l'air décidé de
partir ».
La fréquence relative des déterminants morphesthésiques,
chromesthésiques et kinesthésiques conduit finalement à décrire une réponse
banale, c'est-à-dire, selon la définition de Rorschach, une réponse qui
revient en moyenne une fois sur trois. Pour la planche 14, la réponse
banale est définie par la formule suivante : noir dedans ; clair dehors ;
pas de mouvement ou du moins pas de grande kinesthésie. C'est la
rêverie au clair de lune. Il convient de souligner au passage l'importance
méthodologique de l'étude des banalités dans les tests projectifs. Elle
postule que le matériel du test n'est pas indifférent, que la configuration
de telle planche n'est pas seulement un prétexte pour productions
imaginaires. Reconnaître dans le protocole comment le matériel a été perçu
et quelles sont les distorsions par rapport à la moyenne statistique des
perceptions, voilà une règle fondamentale de l'analyse formelle.

Un tel système d'interprétation doit rencontrer à présent les


préoccupations du praticien. A quoi peut-il servir, au niveau du diagnostic
psychologique et de l'investigation clinique ? Dans ce domaine, le principe
directeur sera encore une fois la référence à la méthode de Rorschach.
Dans les limites de notre échantillon, nous avons considéré surtout les
réponses de forme indéterminée, les réponses kinesthésiques et les
banalités.
Les réponses de forme indéterminée sont celles où la configuration
spatiale de l'image est incertaine parce que la détermination d'un dedans
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et d'un dehors se trouve éludée. Par exemple « c'est une personne qui
cherche la lumière, qui est attirée par la lumière » — « c'est un homme
prêt à sauter par une fenêtre ». Cette indétermination s'accompagnait,
dans un cas, d'une absence complète de réponse. Ces modalités de
faillite morphesthésique semblent devoir être rapprochées de la sémiologie
des réponses F — et des refus au test de Rorschach.
Les réponses kinesthésiques sont moins facilement assimilables à leurs
homonymes du Rorschach. On peut admettre que les grandes
kinesthêsies touchent au dynamisme du travail projectif. Tantôt le mouvement
d'extériorisation d'un univers mental intime se redouble et fournit des
kinesthêsies d'évasion ou de défenestration. Tantôt au contraire il se
retourne et revient à sa source, avec des kinesthêsies d'intromission ou
d'introjection. Cette dialectique du dedans et du dehors institue aussi
un jeu d'approches et de reculs entre le locuteur et le personnage où
s'exprime la dynamique des identifications du sujet. Ces éléments
d'interprétation sont des hypothèses de travail que nous souhaitons voir
mises à l'épreuve.
En ce qui concerne les banalités, deux cas sont à considérer. Ou bien
la réponse banale fait défaut. Cette lacune est un symptôme dont le sens
doit être analysé. Mais l'étude des absences de banalité n'a jamais été
conduite de façon systématique, même pour le test de Rorschach. C'est
donc une voie ouverte à la recherche. Ou bien la réponse banale est
présente. Il faut alors l'interpréter comme une banalité. La scène du clair
de lune se prêterait sans doute à des extrapolations psychodiagnostiques
dans la mesure où les thèmes romantiques de la nature, de la nuit et de
la rêverie sont riches en harmoniques et permettent de composer un
portrait psychologique très fouillé. Mais la réponse « rêverie au clair de
lune » est d'abord la réponse banale de la planche 14. Les aspects
thématiques qui seraient abusivement imputés aux projections du sujet
appartiennent en réalité à la structure même du matériel.
La réponse banale de la planche 14 n'est d'ailleurs pas liée au contenu
« rêverie au clair de lune », mais à la forme « noir dedans, clair dehors,
pas de grande kinesthésie ». Qu'il s'agisse de clair de lune ou de soleil
couchant, des lueurs de l'aurore ou d'un faisceau de phares, c'est en fait
la même réponse banale. Ces nuances pourraient être thématisées et
donner lieu à une interprétation allégorique en fonction d'un système
d'équivalences et d'archétypes. Une telle démarche qui impose
arbitrairement la référence, tacite ou avouée, à un code de significations déjà
reçu demeure tout à fait étrangère aux principes de l'interprétation
formelle qui suit les contours de son objet sans le réduire à un savoir
préalable.
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Que dire encore, et pour finir, au sujet de ce qu'on a appelé « les


aspects thématiques du Rorschach » ? L'intuition initiale de Rorschach
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consistait à se dégager des tests d'imagination en fixant les règles d'une


analyse formelle des contenus perceptifs. De même l'intuition initiale
de Freud, quelques années auparavant, avait pour but de se dégager
d'une clé des songes en analysant la structure latente des contenus du
rêve. Les découvertes de l'un et de l'autre seraient menacées dans leurs
fondements si l'étude des contenus et des thématiques devait servir à
réhabiliter les interprétations symboliques et leurs préjugés
dogmatiques.

RESUME

L'auteur fait l'esquisse d'un projet paradoxal : appliquer au T.A.T. les


méthodes d'interprétation du test de Rorschach, c'est-à-dire substituer
à l'analyse thématique et à son répertoire symbolique l'analyse formelle
des contenus perceptifs avec leurs déterminants morphesthésiques,
chromesthésiques et kinesthésiques. La planche 14 du T.A.T. fournit la ma-
* tière de cet exercice méthodologique qui tente d'illustrer les principes de
l'analyse structurale appliquée aux tests projectifs, conformément aux
intuitions de Rorschach.

Docteur A. BOLZINGER
34, avenue La Bruyère
38100 Grenoble- Villeneuve

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