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I ntr o d uctio n 9
1. Le caractère de la philosophie présocratique 9
2. Problèmes liés aux fragments des Présocratiques 13
3. Problèmes liés à la philosophie de l’affectivité 19
4. Méthodes adoptées 21
I( ) –( ) 25
Introduction 25
Philolaos 28
Archytas 30
Démocrite 31
Conclusion analytique 37
II ( ) –( ) –( ) 39
Introduction 39
Chilôn de Lacédémone 47
Bro(n)tinos 48
Démocédès 48
Xénophanes 48
Héraclite 52
Epicharme 63
Parménide 69
Empédocle 78
Philolaos 91
Clidèmos 93
Leucippe 93
Démocrite 93
Gorgias 114
Antiphon 116
Critias 124
Conclusion analytique 127
256 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
III ( ) 133
Introduction 133
Héraclite 145
Parménide 160
Empédocle 165
Philolaos 167
Leucippe 174
Démocrite 175
Conclusion analytique 187
Co nclusio n 191
1. Synthèse historique 191
2. Hiérarchie d’affectivité 204
3. Phénomène de non–séparabilité
– liens affectivo–volitivo–réflexifs 209
4. L’aporie plus générale 217
I nd ex no minum 243
I nd ex lo co r um 249
1
B. Williams, Shame and Necessity, p. 28: (...) to think that the Greeks
had from the beginning a tendency to see character and emotional dispositions
in intellectual terms (...).
2
Pour la plupart il s’agit des travaux publiés en anglais et se rapportant à la
philosophie hellénistique. Cf. J. Annas, Hellenistic Philosophy of Mind (avec un
chapitre The Emotions, pp. 103–120, dans la partie consacrée aux Stoïciens et un
autre 9. Emotions and Feelings, pp. 189–199, dans la partie sur The Epicureans),
J. Annas, The Morality of Happiness (le premier auteur analysé est Aristote), J.
Brunschwig & M. C. Nussbaum (éd.), Passions & Perceptions ... , M. C. Nuss-
baum, The Therapy of Desire ... , J. Sihvola & T. Engberg–Pedersen (éd.), The
Emotions in Hellenistic Philosophy ou encore le livre déjà mentionné de R. So-
rabji, Emotion and Peace of Mind ... .
3
Toujours en anglais: W. W. Fortenbaugh, Aristotle on Emotion ... (Aris-
tote y est étudié pour sa théorie générale des sentiments), M. C. Nussbaum, The
fragility of goodness ... (Aristote mais aussi la tragédie et Platon), E. S. Belfiore,
Tragic Pleasures. Aristotle on Plot and Emotion (contenant comme 3e partie:
Pity and Fear avec, entre autres, le chapitre 6: Fear, Pity, and Shame in
Aristotle’s Philosophy et le chapitre 7: Tragic Emotion). On peut citer encore,
mais il s’agit d’un article, S. R. Leighton, Aristotle and the Emotions.
4
Limitées au terme thymos: L. Palumbo, Eros Phobos Epithymia. Sulla
natura dell’emozione in alcuni dialoghi di Platone, J. Frère, Ardeur et colère. Le
thumos platonicien. Cf. aussi les articles de R. Hursthouse, Plato on the
emotions et de H. Ioannidi, Contribution à l’étude de la doctrine platonicienne
du thymos.
5
O. Gigon, Les grands problèmes de la philosophie antique qui est un des
rares ouvrages avec une section séparée sur les émotions (IIIe partie, chap. X, pp.
301–312) ne mentionne pas les Présocratiques, excepté Gorgias (p. 302: Les
conséquences pratiques des émotions avaient déjà fait l’objet de discussions
chez les sophistes; c’est ce que nous prouve une page tirée d’un essai du
INTRODUCTION 11
Bien que dans l’Index rerum aucun des mots grecs ne soit traduit
comme sentiment, émotion, la préférence étant donnée à la
perspective volitive (tendance, désir, volonté), dans sa conclusion
Frère définit son livre comme une recherche sur les puissances
affectives de l’âme. Il y dit que: L’une des grandes découvertes
des pionniers de la philosophie en Grèce, c’est que la raison n’a
de sens que par rapport à ce qui, dans l’âme, est autre que la
raison. La raison se heurte aux tendances et aux sentiments (...).
Ce qu’il faut surtout souligner c’est que Frère insiste sur l’irré-
ductibilité radicale des phénomènes d’inclination et de désir au
phénomène de la connaissance réfléchie1. Il est dommage que
l’ouvrage de Frère soit souvent ignoré2.
Je me dois pourtant de signaler des études – et je me limite
aux monographies – traitant soit d’un groupe des sentiments, soit
d’un sentiment particulier, soit d’un lexème grec concret. On y
trouve des chapitres ou quelques développement consacrés aux
Présocratiques3. Enfin, on peut évoquer des articles ou des
chapitres de livres sur les sujets plus généraux, par exemple sur la
psychologie ou l’éthique anciennes4. C’est pourquoi il est curieux
1
J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... , p. 441. Cf. aussi p. 81: Les
premiers penseurs de la Grece sont aussi des penseurs de l’homme; et comment
penser l’homme sans discerner en lui l’importance des sentiments et du dyna-
misme des désirs? et p. 109: l’unité fondamentale du psychisme.
2
C’est par exemple le cas de Cooper, de Knuuttila et de Konstan.
3
Ce sont par exemple: C. E. von Erffa, Aidos und verwandte Begriffe in
ihrer Entwicklung von Homer bis Demokrit, C. de Heer, , ,
, , J.–C. Fraisse, Philia ... , J. C. B. Gosling & C. C. W. Taylor,
The Greeks on Pleasure, G. Casertano, Il piacere, l’amore e la morte ... , D. L.
Cairns, Aidōs ... , E. Smoes, Le courage chez les Grecs ... .
4
Cf. A.–E. Chaignet, Histoire de la psychologie ... (une de ses conclusions
concernant la période présocratique est la suivante, p. 134: Nous avons vu le rôle
et l’importance de la Psychologie dans l’histoire de la philosophie antérieure à
Socrate: elle est le fondement de tous les systèmes. Cependant l’ouvrage, même
s’il est disponible on–line, est rarement cité. En ce qui concerne J. Château, Les
grandes psychologies dans l’antiquité le premier auteur traité est Platon), E.
Rohde, Psyche ... , D. B. Claus, Toward the Soul ... , J. de Romilly, „Patience
mon cœur!” ... , S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... (trois des six
termes que j’analyse y sont examinés, pp. 26–35, pp. 47–52, pp. 67–69). Même
si ce n’est que de manière plus ou moins accessoire, l’affectivité dans la philo-
INTRODUCTION 13
1
K. Jaspers, Introduction à la philosophie, p. 167. Cf. aussi F. Nietzsche,
La philosophie à l’époque tragique des Grecs, p. 18: A cause de cette perte,
nous les jugeons involontairement en fonction de critères erronés (...).
16 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
K. Jaspers, Introduction à la philosophie, p. 167. Je ne vais pas insister
sur un cas extrême, c’est–à–dire sur celui d’un philosophe qui déjà à l’époque où
son œuvre était encore entier a reçu le surnom d’Obscur ( ). Cf. T.
Zieliński, Historja kultury antycznej w zwięzłym wykładzie, t. 1, p. 133: [Héra-
clite] Ne voyant pas de possibilité d’exprimer sa profonde philosophie en langue
philosophique qui n’était pas encore élaborée il se sert partout d’abstraction, de
symboles et d’images (...) et A. Krokiewicz, Heraklit, p. 36: Héraclite appartient
aux philosophes–mystiques pensant à l’aide d’images et de symboles plutôt qu’à
l’aide de notions abstraites. De même W. K. C. Guthrie, A History of Greek
Philosophy, t. 1, p. 403 & p. 413: a man who had at least as much in him of the
prophet and poet as of the philosopher. (...) A second reason for obscurity will
appear in due course, namely that the content of his thought was itself a subtlety
exceeding that of his contemporaries, so that the language of his time was bound
to be inadequate. Symbol and paradox were sometimes his only resource. Il se
peut que les deux derniers éléments ne soient pas le trait d’Héraclite uniquement,
mais aussi d’autres Présocratiques, par exemple de Parménide ou d’Empédocle.
2
Les fragment plus longs comme DK 28 B 1, DK 44 B 16, DK 82 B 11,
DK 82 B 11a, DK 87 B 58 constituent la minorité.
INTRODUCTION 17
1
Et s’il l’apportait, ce serait un critère externe.
2
H. Diels, Aus den Vorreden zur ersten Auflage (1903) in: H. Diels & W.
Kranz, Die Fragmente ... , p. VI.
3
On pourrait plutôt croire que le contexte autour de la citation est un
critère – voire interne –, pour examiner ce contexte même. On pourrait aussi par-
ler d’un critère interne au niveau du passage, au niveau de l’auteur ou au niveau
de tous les passages présocratiques.
18 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Comme on verra, la divergeance des traductions de ces deux mots dans ce
fragment est impressionnante.
2
Cf. DK 22 B 115, DK 44 B 16, DK 68 B 31, DK 68 B 146, DK 68 B 236.
3
Cet élément n’est pas exclusif aux Présocratiques. On peut rappeler le
propos quasi explicite par lequel D. Hume, A Treatise of Human Nature II, III,
III, p. 415 introduit sa fameuse image: We speak not strictly and philosophically
INTRODUCTION 19
when we talk of the combat of passion and of reason. Cf. aussi J. R. Searle,
Expression and meaning ... , p. 114: If the question is interpreted as meaning,
“Does every existing language provide us exact devices for expressing literally
whatever we wish to express in any given metaphor?” then the answer is ob-
viously no. It is often the case that we use metaphor precisely because there is
no literal expression that express exactly what we mean.
20 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
INTRODUCTION 21
22 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
INTRODUCTION 23
24 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
Ò) hL:`H – (º
(Ò º) nDZ</nDX<gH
nDZ< nDX<gH – (Ò
Ò) <`@H/<@ØH
<`@H <@ØH
Introduction
Que montre donc l’analyse des fragments des Présocratiques
en vue des mots "ÇFh0F4H et BVh@H? Il s’avère qu’ils sont très
peu présents, en tout quatre fragments attestant le mot "ÇFh0F4H
(un d’eux est considéré par certains comme inauthentique et un
autre ne transmet que le titre d’une œuvre) et une seule occur-
rence pour le mot BVh@H1. Si on rappelle que leur répartition est
plus forte dans les témoignages (groupe A in DK), cela fait
supposer que ces deux mots n’étaient guère utilisés par les Pré-
socratiques et que leur carrière s’est faite grâce aux philosophes
qui leur furent postérieurs. Le fait révélé par les différents
dictionnaires, à savoir que l’"ÇFh0F4H et le BVh@H sont les mots
qui désignent sentiment ou émotion, ne correspond pas à la
perspective des Présocratiques. Cela montre aussi que la con-
sultation des dictionnaires n’a pas donné de résultat concluant et
que la réponse à la question quel(s) mot(s) correspond(ent) à
sentiment pourrait ne pas être la même en ce qui concerne les
philosophes post–socratiques et les Présocratiques. Ou bien faut–
il au contraire se fier aux dictionnaires et conclure que les Pré-
socratiques ne parlaient pas de sentiment et arrêter la recherche?
Il existe une autre solution, celle de se référer non à ce qui
suit mais à ce qui précède. Certains estiment qu’elle est même
plus pertinente2. Ainsi vais–je évoquer les mots utilisés dans les
1
Et encore! Kranz rappelle que nr.31 wollte Diels streichen, weil er in ihm
nach Lortzing nur Wiederholung des Hippokr. Briefes 23,2 (68 C 6) sah (...). J.
Pigeaud, La maladie de l’âme ... , p. 17 partage cet avis: Nous sommes d’accord
avec Diels pour trouver ce fragment douteux.
2
Cf. par ex. la position de G. Colli, La sapienza greca, t. 1 = t. 2 = t. 3, p.
9: Sarebbe peró un errore voler recuperare la sapienza greca attraverso quello
che ne ha detto la filosofia posteriore: riguardo a tali parole arcaiche, molte
40 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
hL:`H
LSJ Soul, spirit as the principle of life, feeling and thought, esp. of
strong feeling and passion (...) II. soul as shown by the feelings and
passions (...) 1. desire or inclination (...) 2. mind, temper, will (...)
3. spirit, courage (...) 4. the seat of anger (...) anger, wrath (...) 5.
the heart as the seat of the emotions, esp. joy or grief (...) of love
(...)
Węclewski właśc. to co ruch i Ŝycie sprawia w człowieku, ztąd serce, dusza (...)
2) serce jako siedlisko uczucia wszelakiego rodzaju zwł. gwałtow-
nej namiętności, wzruszenie umysłu, wzruszenie, oburzenie, Ŝywość,
gwałtowność, odwaga, gniew, niechęć, namiętność (...) uczucie,
serce (...)
Bailly (...) II. âme (principe de la volonté, de l’intelligence, des sentiments
et des passions) (...) 1. volonté, désir (...) 3. le cœur (considéré
comme le siège des sentiments et des passions) (...) particul. en
parl. de la joie (...) de la douleur (...) de l’amitié (...) de la crainte
(...) du courage, de la confiance (...) de la colère
Rocci Animo (...) vita, sentimento, volontà, pensiero (...) 2) animo, come
sede delle passioni; sentimento; coraggio; cuore (...) sdegno; col-
lera (...) ira (...)
Frisk Geist, Mut, Zorn, Sinn
Chantraine l’âme, le cœur en tant que principe de la vie (...) siège des sen-
timents et notamment de la colère (...)
LPP anger/wrath (Heracl. 85; Democr. 236); spiritedness (Parm. 1, 1);
soul (Emped. 128, 10; 137, 6; 145, 2)
nDZ<
LSJ I 1. midriff (...) 2. heart, as seat of the passions (...) 3. mind, as seat
of the mental faculties, perception, thought (...) 4. will, purpose
Węclewski 1) w l. mng. oserce, myszka przegrodowa, osierdzie, 2) w l. p. i
mng., siedlisko Ŝycia, zwł. umysłowego, serce, dusza, duch, myśl,
rozum
Bailly I primit. le diaphragme, membrane qui sépare le cœur et les pou-
mons des viscères inférieurs (...) II toute membrane qui enveloppe
un organe (...) III 1 le cœur ou l’âme: comme siège des sentiments
et des passions (...) des mouvements de l’esprit, de la réflexion, de
l’attention, de la pensée en général (...) 2 comme siège de l’intel-
ligence (...) 3 comme siège de la volonté
Rocci 1) diaframma (...) 2) petto, senno, sede del 6−D, J@D, hL:`H,
cuore, animo (...) 3) animo, anima, cuore, come sede d’ogni affetto
o passione (...) 4) mente, intelletto, animo, intelligenza, senno, ra-
gione, come sede del pensiero e dell’intelligenza
Frisk Sinn, Seele, Geist, Verstand, Herz
1K9?E – MC/; – ;??E 43
1
Cf. L. Rocci, Vocabolario Greco Italiano, p. 1982. Le sens étymologique
serait donc semblable à celui de hL:`H.
2
Cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique ... , pp. 756–757.
3
Cf. L. Rocci, Vocabolario Greco Italiano, p. 1288. Il le traduit, p. 1501,
par assennato, saggio, prudente, ispirato.
4
Cf. K. von Fritz, ;`@H and <@gÃ< in the Homeric Poems, K. von Fritz,
;`@H, <@gÃ<, and their Derivatives in Pre–Socratic Philosophy (Excluding
Anaxagoras). Part I. From the Beginnings to Parmenides, K. von Fritz, ;`@H,
<@gÃ<, and their Derivatives in Pre–Socratic Philosophy (Excluding Anaxago-
ras). Part II. The Post–Parmenidian Period.
5
K. von Fritz, ;`@H and <@gÃ< in the Homeric Poems, p. 93.
6
D. G. Frame, The Myth of Return in Early Greek Epic. Sa thèse de docto-
rat a été soutenu en 1971: The Origins of Greek ;??G.
7
Cf. D. G. Frame, The Myth of Return in Early Greek Epic, p. 4.
8
Cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique ... , p. 756.
9
Cf. G. Nagy, Sêma and Nóēsis: Some Illustrations, pp. 48–49.
10
Cf. D. R. Lachterman, Noos and Nostos ... .
46 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
D. G. Frame, The Myth of Return in Early Greek Epic, p. 4.
2
D. G. Frame, The Myth of Return in Early Greek Epic, p. 30.
3
Par distinction au sens méta–psychologique (resp. théologico–cosmolo-
gique) ou, pour utiliser, l’expression de E. Rohde, Psyche ... , p. 380: à tendance
non théologique par distinction aux fragments à tendances théologiques.
1K9?E – MC/; – ;??E 47
Chilôn de Lacédémone
[thymos1 = t1] 10, 3 (. 15
Le contexte le plus ancien parmi les Présocratiques pour
hL:`H est celui de Chilôn de Lacédémone, l’un des (sept) Sages
qui a exprimé la pensée suivante: hL:@Ø 6DVJg4 (10, 3, (. 15:
sois plus fort que le thymos1). Elle ressemble aux expressions
homériques telles que *V:"F@< hL:Î< (:X("<) (IX, 496) ou
*V:"F@< *¥ :X<@H 6"Â •(Z<@D" hL:`< (11, 562)2 car les
verbes homériques ont à peu près le même sens que le verbe
contenu dans la pensée de Chilôn3. La question serait de savoir à
qui Chilôn s’adresse: qui est ce tu sous–entendu?
Dans l’apophtegme de Chilôn, le hL:`H s’avère une force
qui pour être maîtrisée exige une autre force. Si on le compare
aux autres apophtegmes dans lesquels leurs auteurs s’adressent
aux hommes, ainsi dans l’une des plus connues: (<äh4 F"LJ`<
(10, 3, (. 1), on peut supposer que Chilôn ici aussi s’adresse à
l’homme, voire la personne toute entière. On peut alors imaginer
la mise en rapport de deux éléments: une intégralité (la personne)
et sa partie ou sa fonction qui semble en dépendre (hL:`H).
Chilôn ne dit pas par quel moyen il conseille de se montrer plus
fort que le hL:`H, mais il me semble qu’il doit de manière impli-
cite admettre l’existence des autres facultés psychiques capables
de s’y opposer. Ces autres facultés sont identifiées à l’homme
(sans quoi il aurait dit: que x maîtrise le thymos ou: maîtrise le
thymos par le x). Ce qui résulte de la manière dont il s’exprime
c’est qu’il souligne le caractère répétitif de la situation: en disant
6DVJg4 et non 6DVJ0F@< il insiste sur la valeur non accomplie
d’être plus fort que le hL:`H. C’est donc un postulat différent de
1
Hicks: anger | Kranz: hL:`H ∼ ¦B4hL:\" | Voilquin: colère | Frère: hu-
meur irascible | Goulet: emportement.
2
Ou encore: (¦hX804H FÎ<) hL:Î< ¦DL6"6Xg4< (11, 105). Pour le :X<@H
seul on peut citer: B"bF@LF" JÎ FÎ< :X<@H (I, 207), B"Øg JgÎ< :X<@H (I,
282), :X<@H –FPgJg (2, 85).
3
Une des scholies (Scholia graeca in Homeri Odysseam, (éd.) G. Dindorf,
Typographeo Academico, Oxford 1855) donne au 11, 562 l’explication suivante:
J@Ø hL:@Ø 6"Â J−H ÏD(−H 6DVJ0F@<, ce qui revient à dire que dans ce
contexte *V:"F@< = 6DVJ0F@<.
48 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
Bro(n)tinos
[noos1 = n1] 17, 5
Le contexte le plus ancien parmi les Présocratiques pour le
mot <`@H aurait été conservé dans un titre. Le Pythagoricien
Bro(n)tinos aurait intitulé un de ses écrits AgDÂ <@Ø 6"Â
*4"<@\"H (17, 5: Sur le nous2 et la pensée).
Xénophane
[ph2 = n2] 21 B 25
Le fragment de Xénophane est la première des deux occur-
1
De même dans le (<äh4 F"LJ`< où ce qui est postulé c’est la connais-
sance accomplie et non seulement l’acte de connaissance. On devrait donc plutôt
que par l’habituel: connais–toi toi–même traduire par: aie connu–toi toi–même .
2
Delattre: intellect.
3
Delattre: esprit.
1K9?E – MC/; – ;??E 49
imaginer que les deux ne sont pas liés de manière directe comme
c’est le cas dans la première interprétation. Cependant le prob-
lème majeur est de savoir quel est le sujet du verbe 6D"*"\<g4 et
à qui (quoi) il faut attribuer directement ou indirectement la
nDZ< et le <`@H.
Le passage est cité par Simplicius dans son Commentaire sur
la Physique d’Aristote. Le sujet du verbe est "ÛJ` de la phrase
précédente. Ce pronom est identifié par les traducteurs et les
commentateurs avec le dieu ou avec l’être1. S’il s’agit d’un dieu,
comme c’est admis le plus souvent, le fragment n’a pas à être
analysé ici, le fragment étant de caractère théologique. Mais à
vrai dire on ne sait pas. Vu les éléments et la longueur du frag-
ment on ne dispose pas de critère interne pour déterminer les sens
de deux mots. D’une part on n’est pas à même de savoir à quoi
les rapportait Xénophane et d’autre part les commentateurs sont
conscients du sens riche de deux mots, pouvant aussi bien décrire
la sphère affective que la sphère volitive ou intellectuelle2. Chose
caractéristique: pour les deux mots ils choisissent le plus souvent
les sens liés à cette dernière3.
1
Cf. par exemple W. Kranz, Wortindex in: H. Diels & W. Kranz, Die
Fragmente ... , t. 3, p. 296: Gott. Kosmos, G. Calogero, Senofane, Eschilo e la
prima definizione dell’onnipotenza di Dio, p. 334: In conclusione (...) Senofane
ha dato la prima definizione tecnica dell’onnipotenza di Dio che s’incontri nella
filosofia occidentale. Cf. aussi M. Untersteiner in: Senofanes, Testimonianze e
frammenti, p. CLXVII: Senofane afferma con riferimento a dio (o a JÎ Ð<, come
dice Simplicio) et J. H. Lesher in: Xenophanes of Colophon, Fragments ... , pp.
107–110, bien qu’à la p. 109 il parle de idea of a being who moves all things by
the exercise of thought et encore S. M. Darcus, The Phren of the Noos in
Xenophanes’ God, p. 28: Man’s phren is never said to belong to his noos.
2
Cf. par ex. J. H. Lesher in: Xenophanes of Colophon, Fragments ... , pp.
107–108: nDZ<: mind, heart, breast, intelligence, the seat of both thought and
the emotions (...) Early use of <`@H ranges across a spectrum of related senses
(never clearly distinguished as such) from that of a ‘faculty’ or natural
endowment of thought (or feeling, intention, etc.).
3
Ne serait–ce pas une interprétation aristotélisante? Cf. par ex. J. H. Lesher
in: Xenophanes of Colophon, Fragments ... , p. 109: (...) its similarities with
Aristotle’s Unmoved Mover (who moves simply by being an object of thought
and desire) are unmistakable. Elle va dans la bonne direction en ce sens que le
1K9?E – MC/; – ;??E 51
passage est relaté par Simplicius pour commenter Aristote. Mais cela ne forme
pas d’argument décisif pour lire et comprendre Xénophane. Hélas, on ne dispose
pas du contexte original.
1
C’est pourquoi il importe de souligner l’interprétation de S. M. Darcus,
The Phren of the Noos in Xenophanes’ God, p. 25: The phrase <`@L nDg<\
specifies the ‘psychic organs’ et dans la n. 2, p. 34 elle explique: both a location
for and agents of intellectual, emotional, and volitional activity. Et ensuite, p.
26: (...) I suggest that phreni is an instrumental and locative dative and noou a
possessive genitive (...) phren belongs to noos (...).
2
C’est tout le contraire par rapport à l’interprétation de J. Frère, Les Grecs
et le désir de l’être ... , pp. 43–44: Chez l’homme il y a nDZ<, cœur. Chez dieu il
y a <`@L nDZ<: ici nDZ< perd, en son contact avec <@ØH, ses résonances
affectives pour ne plus renvoyer qu’aux éléments intellectuels. Frère donne (n.
31) à l’appui la traduction du vers homérique que je viens d’évoquer (IX, 600):
ne te mets point de telles idées dans l’esprit.
52 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
Héraclite
[t2] 22 B 85
Le fragment d’Héraclite d’Ephèse, E6@Jg4<`H (l’Obscur),
où il parle du hL:`H est complexe et intéressait les commenta-
teurs depuis l’Antiquité comme peut le prouver la bibliographie.
L’analyse plus détaillée a été publiée ailleurs1 et ci–dessous je me
limite aux éléments les plus fondamentaux.
Le fragment transmis par Plutarque se présente ainsi: hL:ä4
:VPgFh"4 P"8gB`<q Ô (D —< hX804, RLP−H é<gÃJ"4. (22
B 85: lutter <contre> le thymos2 est pénible, en effet ce qu’il
voudrait, <au prix> de la psyché il <l’>achète.)
Les commentateurs anciens – Démocrite, Aristote, Plutarque
et Jamblique – ont eu des raisons de prendre le passage en consi-
dération. Il leur a servi à leurs propres buts. Cependant le point
commun entre Héraclite et les quatre auteurs, c’est qu’ils parlent
tous d’une grande force (ou au contraire, chacun parle à son
compte d’une autre chose mais toutes ces choses ont cela de com-
mun qu’elles ont un lien avec ce caractère d’une grande force et
c’est pourquoi ils citent l’image héraclitéenne). L’image concerne
1
Cf. R. Zaborowski, Sur le fragment DK 22 B 85 d’Héraclite d’Ephèse.
2
Burnet: one’s heart’s desire [The word hL:`H has its Homeric sense.] |
English: passion | Bogner: Stärke der vitalen Triebe | Verdenius: “anger” | Free-
man: impulse | Onians: [cite, p. 197, n. 2, le fragment qu’il qualifie de the crux of
Heraclitus, sans traduire les deux mots et p. 253, n. 11: (...) but hL:`H has its
Homeric meaning in B 85 (...)] | DK: Herz | Kirk – Raven: [virtuous] anger [or
emotion] | Pasquinelli: desiderio | Wheelwright: impulsive desire | Guthrie: desire
| North: [passion] | Marcovich: heart’s desire [dans le commentaire il suit Snell:
h L : ` H probably means ‘hearts as the center of emotion and passion (...) its
precise meaning seems to be ‘heart as the center of desire’ (...) hL:`H most
likely implies here ¦B4hL:\"] | Krokiewicz: serce [cœur] | Nussbaum: [passion
in a more general sense (...) [et en suivant Ramnoux:] battle–ardor] | Guazzoni
Foà: [istinti passionali] animo | Kahn: passion [et dans le commentaire: anger ...
aggressive rage] | Colli: brama della passione | Claus: anger | Frère (1981): cœur
ardent [affectivité] | Casertano: desiderio | de Romilly: la colère ou bien la
passion | Conche: colère | Robb: desire | Robinson: passion (<one’s> heart) |
Dumont: impulsion | Gilabert i Barberà: ànim abrandat | Mouraviev: ire |
Schofield: anger | Czerwińska: passioni | Rankin: [aggressive bravery] | Frère
(2004): désir/colère/passion.
1K9?E – MC/; – ;??E 53
1
S. M. Darcus, Thumos and psyche in Heraclitus B85, p. 358, n. 41 fait
remarquer que The instances of é<X@:"4 in a proverbial sense – dont parlent
Marcovich et West – are later than Heraclitus.
2
Unanimement compris comme genitivus pretii – difficile de comprendre
comme genetivus–ablativus (à qui on achète), car il y faudrait une préposition
(•B`).
3
Il s’agit du fragment de Démocrite 68 B 298a, considéré par la plupart
comme douteux. Cf. sous hL:`H [t10 (?)].
54 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Cf. F. Nietzsche, Les philosophes préplatoniciens, p. 161: Il est très
significatif qu’Héraclite ignore toute éthique comportant des impératifs. (...).
2
Cf. [t1] 10, 3 (. 15. Et comme le fera plus tard Démocrite (cf. [t9] 68 B
236: JÎ 6D"JXg4<) ou Antiphon (cf. [t11, t12] 87 B 58: 6D"JgÃ<).
3
Et par opposition aux Péripatéticiens. Cf. par ex. B. Williams, Shame and
Necessity, p. 44: The Peripatetics, in their usual patronising way, commended
Plato for having discovered that there were nonrational elements in the soul,
and they remodelled his division in a much less dramatic and more realistic
direction.
4
Cf. par ex. W. J. Verdenius, A psychological statement of Heraclitus, p.
121: My general conclusion is that frag. 85 is not a part of Heraclitus’ ethics but
belongs to his psychology. Cf. contra W. Jaeger, The Theology of the Early
Greek Philosophers, p. 208, n. 63: In an ethical sense the word [RLPZ] occurs
in B 85, although the distinction of hL:`H and RLPZ in that passage is not quite
clear.
1K9?E – MC/; – ;??E 55
distribution des forces plutôt qu’il n’a évalué le hL:`H. C’est une
force partielle – une force parmi d’autres – dans l’ensemble des
forces psychiques, mais qui arrive à imposer son activité et à
dominer (toute) la RLPZ (vie ou âme). Il est la seule instance
dont il soit affirmé dans les fragments conservés d’Héraclite
qu’elle se montre plus forte, supérieure à la RLPZ (vie – âme).
Cela revient à se demander ce qui arrive à s’imposer au sein
de l’essence de l’homme que ce soit au niveau physique ou
biologique (vie) ou au niveau psychique (âme). Puisqu’il est (le)
plus puissant, on peut croire qu’il doit s’agir d’une essence
constitutive pour l’être humain (–<hDTB@H)1. Le hL:`H impose
son caractère à la vie ou à l’âme. Comment peut–on décrire ce
caractère thymique2? Il peut s’agir du noyau du moi, important
pour l’identité, donc de ce qui est irrempaçable. L’homme suc-
combe à son essence la plus profonde – s’il est possible de faire
la distinction entre l’homme et son essence.
Le fragment est essentiel pour la compréhension du hL:`H
non seulement parce qu’il met en relation le hL:`H et la RLPZ –
1
J’admets une thèse anthropologique – qui ne peut pas être discutée ici –
que ce qui peut être ajouté (venant de l’extérieur) ce sont des éléments secon-
daires et, inversement, que ce qui est essentiel (de l’intérieur) ne peut pas lui être
enlevé.
2
Il s’agit d’un adjectif correspondant au substantif analysé hL:`H. Je l’ai
proposé in: R. Zaborowski, Rozumienie logos. Presokratycy – Platon et puis
trouvé in: A. Tziropoulou Eustathiou, Tragédie, p. 22: Sentiment–Thymique, p.
23: “sentiment–thymique”, ce qui correspond au grec moderne JÎ 1L:46Î<–
FL<"4Fh0:"J46Î< (p. 6, et dans la version grecque du texte (2002), p. 66, p.
82). Dans la version anglaise le mot n’apparaît pas et il y est question de the
Emotional (p. 35). Pour l’anglais cf. D. L. Cairns, Aidōs ... , p. 387, n. 131: the
thumoeidic emotions et J. Shay, Killing rage: Physis or nomos – or both?, p. 33:
thumotic emotions. Pour une approche similaire et antérieure cf. V. Magnien,
Quelques mots du vocabulaire grec ... , p. 122, n. 1: Comme le vocabulaire
français ne possède pas de mots techniques traduisant exactement le mot hL:`H
et le mot nDX<gH – et j’ajouterai encore quatre autres –, on est obligé de para-
phraser ou d’expliquer, ou encore de garder les mots grecs. Cet auteur utilise, p.
118, n. 1, épithumétique, phrénique (après Dictionnaire de la conversation, t.
14, p. 235). Toutefois l’adjectif 8@(4FJ46`< est traduit par lui – et non para-
phrasé ou expliqué –, p. 132, par raisonnable.
56 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Mais le fragment n’est commenté ni cité par Platon.
2
Mais de quoi serait–ce la victoire? Cela n’est pas dit non plus.
3
Chez les commentateurs modernes on observe une vraie obsession pour
introduire l’élément rationnel, intellectuel, l’idée d’intellect etc. dans ce fragment.
Cf. par ex. W. J. Verdenius, Some Aspects of Heraclitus’ Anthropology, p. 31:
When too much heat is concentrated in passion, the controlling power of reason
is weakened. It is difficult for reason to (...) ou J. Mansfeld, Heraclitus fr. B 85
DK, p. 18 qui remarque justement: Heraclitus does not mention reason, mais
après il conclut: A person who is angry is no longer reasonable, or entirely
reasonable (...). De telles lectures pourraient peut–être s’expliquer comme à la
lumière du fragment de Démocrite, cf. ci–dessous [t9] 68 B 236.
4
Si on rejette le fragment de Xénophane comme étant théologique ([ph2 =
n2] 21 B 25), le fragment d’Héraclite est la seule attestion du couple <`@H –
nDZ< pris au sens psychologique.
5
(...) obéissant aux aèdes du peuple et se servant de la foule comme d’un
enseignant ne savent pas que ‘nombreux sont mauvais et ceux qui sont bons sont
peu nombreux’.
1K9?E – MC/; – ;??E 57
1
Le premier (nDZ<) n’étant pas attesté ailleurs chez lui. Mais dans le DK
22 B 40 la qualification rattachée au <`@H est négative et dans le DK 22 B 114
on apprend que le <`@H ou plutôt le fait de parler avec le <`@H reste en rapport
avec le commun (l’universel ?).
2
Pour la conjonction ³ cf. par ex. DK 22 B 77: RLP−4F4 JXDR4< ´
hV<"J@< ß(D−4F4 (g<XFh"4. (...). (pour les âmes devenir humides <est> le
plaisir ou la mort).
3
Cf. J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... , p. 32: Identifie–t–elle
[cette juxtaposition], rapproche–t–elle, oppose–t–elle les deux concepts de <`@H
et de nDZ<?
4
C’est le ou de la logique: ou l’un ou l’autre ou les deux.
5
Le ou de S. Kierkegaard, Enten–Eller.
58 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
[n4] 22 B 40
[n5] 22 B 114
Une autre fois Héraclite décrit <`@H de manière privative
car il s’exprime sur ce qui n’est pas l’origine du <`@H: B@8L-
:"h\0 <`@< §Pg4< @Û *4*VF6g4q (...) (22 B 40: la–vaste–con-
naissance n’enseigne pas avoir le noos1 – et il explique:
{/F\@*@< (D —< ¦*\*">g 6"Â ALh"(`D0< "ÞJ\H Jg
Eg<@nV<gV Jg 6"Â {+6"J"Ã@<2).
Le <`@H est distinct de ce qu’on peut appeler un magasin
d’informations acquises. Mais si le <`@H ne vient pas du grand
savoir, de la science, de l’érudition, d’où vient–il? Qu’est–ce
donc?
Faut–il penser à une fonction (faculté) qui se développe mais
sans avoir part à l’enseignement ou bien une sagesse (état de cette
faculté) mais qui n’est pas enseignée? S’agit–il d’une richesse
innée ou au contraire acquise indépendamment de l’érudition? In-
dépendamment, car ne va–t–on pas quand même jusqu’à dire que
le <`@H est •:"h\0. L’explication aisée est de distinguer entre
le savoir extérieur, encyclopédique et la connaissance intérieure,
vécue3. Mais est–ce la bonne et celle d’Héraclite?
A partir du second fragment on voit que la présence du
<`@H durant le discours oblige celui qui parle à s’appuyer sur ce
qui est commun: >×< <`T4 8X(@<J"H ÆFPLD\.gFh"4 PD¬ Jä4
>L<ä4 BV<JT<, Ó6TFBgD <`:T4 B`84H, 6"Â B@8× ÆFPLD@-
JXDTH (...) (22 B 114: il faut que ceux qui parlent avec le noos4
1
Burnet: understanding | Hicks: understanding | Freeman: intelligence |
DK: Verstand | Pasquinelli: pensar rettamente | Wheelwright: understanding |
Voilquin: intelligence | Genaille: esprit | Verdenius: Erkenntnis | Marcovich:
intelligence | Kahn: understanding | Colli: intuizione | Kirk – Raven – Schofield:
intelligence | Dumont: intellect | Conche: intelligence | Robinson: (...) the posses-
sion of> understanding | Mouraviev: raison | Brunschwig: intelligence.
2
(...) s’il en avait été ainsi elle aurait instruit Hésiode, Pythagore, et
encore Xénophane et Hécatée.
3
Comme dans la formule: savoir quelque chose n’est pas le comprendre.
4
Burnet: understanding | Freeman: intelligence | DK: Verstand | Pasqui-
nelli: intendimento | Wheelwright: rational awareness | Voilquin: intelligence |
Marcovich: sense | Kahn: understanding | Colli: intuizione | Kirk – Raven –
1K9?E – MC/; – ;??E 61
s’appuient sur ce qui est commun à tout, comme la cité sur la loi
et encore plus fortement (...)1).
Le mot central qui sert à faire le jeu de mots (>×< <`T4 –
Jä4 >L<ä4) est >L<`H. Selon LSJ >L<`H est une forme épique
et ionienne de 6@4<`H (common), mais d’après Colli le due
parole hanno due sensi, in 6@4<`< prevale l’unità, in >L<`< la
molteplicità2. Si c’est le cas, le <`@H rend possible la compré-
hension de ce qui est l’universel dans le multiple.
Mais pourquoi Héraclite le limite–t–il à l’action de parler?
Le moins qu’on puisse dire: celui qui est censé être compris dans
ce qu’il dit utilise le langage commun, les signes et les règles uni-
versels. Mais Héraclite semble vouloir dire plus. Le <`@H, ou
plutôt le fait de parler avec le <`@H, reste en rapport avec l’uni-
versel comparé à une seule loi de la cité. Le >L<`H est un support
du <`@H encore plus solide que la loi pour la cité. Le fragment ne
dit donc pas ce que c’est que le <`@H mais parle de son
fondement nécessaire.
Epicharme
[t3 = n6] 23 B 43
Dans un des fragments d’Epicharme le hL:`H se trouve mis
dans un rapport avec le <`@H: ¦B4B@8V.g4< @Ü J4 PD¬ JÎ<
hL:`<, •88 JÎ< <`@<. (23 B 43: il faut que ce ne soit pas le
thymos <qui reste> à la surface, mais le noos1.)
Comme c’est le seul parmi tous les fragments conservés des
Présocratiques où le hL:`H se trouve à côté du <`@H, le frag-
ment est difficile à surestimer car il livrerait un appui pour
déterminer la hiérarchie: le <`@H au–dessus du hL:`H.
Cependant le passage est difficile à analyser du fait que le
sens du verbe ¦B4B@8V.g4< doit être métaphorique dans la me-
sure où les deux notions – hL:`H et <`@H – ne se rapportent pas
aux substances liquides2. Si l’on traduit ce verbe par prévaloir
(LSJ), le fragment semble assez clair: Epicharme se prononce sur
la supériorité du <`@H par rapport au hL:`H. Si l’on suit le sens
apparaître à la surface (Diels, Freeman, Dumont), il convient de
demander: qu’est–ce que la surface et qu’est–ce que la profon-
deur? Et: de la surface de quoi est–il question?
La métaphore de surface peut vouloir dire que d’une part le
<`@H n’est pas léger comme il devrait être mais il a une tendance
1
Walker: colère (...) raison | Freeman: emotion (...) intelligence | DK:
Leidenschaft (...) Verstand | Dumont: passion (...) raison. Cf. aussi G. Casertano,
Il piacere, l’amore e la morte ... , t. 1, p. 12: Ma l’uomo ha lo strumento adatto a
regolare la sua vita in direzione del bello e dell’onesto, e questo strumento è
<`@H, la mente, la sua parte razionale: «non le passioni (hL:`H) ma la mente
(<`@H) deve sovrastare».
2
Le verbe ¦B4B@8V.g4< vient du substantif ¦B4B@8Z (surface), qui in-
dique un autre verbe BX8@:"4 (bouger). Selon LSJ il signifie: to be at the top,
come to the surface, float on the surface et au sens métaphorique: have the upper
hand, prevail. C’est ce dernier sens que LSJ, p. 652 indique pour le fragment
d’Epicharme. Cf. Freeman: should be on the surface | DK: Obenauf schwimmen |
Casertano: sovrastare | Dumont: doit faire surface. Le traducteur français du
fragment, J.–P. Dumont in: J.–P. Dumont, D. Delattre, J.–L. Poirier, Les Préso-
cratiques, p. 1251, qui accepte aussi le sens métaphorique du verbe dans ce frag-
ment, écrit: Métaphore empruntée à l’élément liquide: le désir doit rester enfoui
dans la profondeur. Je n’ai pas trouvé d’autre commentaire relatif à ce fragment.
64 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Cf. l’observation de F. Nietzsche, Les philosophes préplatoniciens, p. 95:
l’élément le plus lourd s’enfonce toujours plus profond, le plus léger flotte tou-
jours plus haut – alors, le hL:`H est plus léger mais devrait–il être plus lourd?
2
Dans le langage psychanalytique on dirait: refoulé.
3
Ce n’est pas absurde, cf. Platon, Théétète 152 e 3–5. Selon J.–P. Dumont
in: J.–P. Dumont, D. Delattre, J.–L. Poirier, Les Présocratiques, p. 1247 Epi-
charme paraît avoir professé l’idée que rien n’est et que tout devient, ce qui fait
de lui le pendant comique d’Héraclite.
1K9?E – MC/; – ;??E 65
1
Cf. H. L. Ahrens, De Dialectis Aeolicis et Pseudaeolicis, p. 458: <`:@<
† cf. Theogn. 631 ÷J4<4 :¬ hL:@Ø 6DXFFT< <`@H (...).
2
Cf. J. de Romilly, „Patience mon cœur!” ... , p. 179.
3
Cf. par ex. Poetae Comici Graeci, (éd.) R. Kassel & C. Austin, t. 1, p. 152.
4
Cf. L. Rodríguez–Noriega Guillén, Epicarmo de Siracusa ... , p. 206: 366
¦B4B@8V.g4< @Ü J4 PD¬ JÎ< hL:`< •88 JÎ< <`:@< (no debe prevalecer en
absoluto la coléra, sino la ley).
5
Norwood: wisdom | Walker: bon sens | Freeman: intelligence | DK: Geis-
tes | Krokiewicz: rozsądku | Dumont: bon sens.
1K9?E – MC/; – ;??E 67
1
Norwood: mind | Walker: intelligence | Freeman: Mind | DK: Verstand |
Dumont: intellect.
2
Walker: cœur | Freeman: mind | DK: Geiste | Dumont: esprit.
68 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Walker: cœur | Freeman: mind | DK: Sinn | Dumont: esprit.
2
La formule ressemble à la pensée de Cléobule (DK 10, 3, ". 3: gÞ JÎ
Fä:" §Pg4< 6"Â J¬< RLPZ<) et à la réponse de Thalès (DK 11 A 1: J\H
gÛ*"\:T<, [§n0] ‘Ò JÎ :¥< Fä:" ß(4ZH, J¬< *¥ RLP¬< gÜB@D@H, J¬< *¥
nbF4< gÛB"\*gLJ@H’).
1K9?E – MC/; – ;??E 69
Parménide
[t4] 28 B 1, 1
Dès la première ligne1 de son poème Parménide aurait in-
troduit le hL:`H avec le rôle suivant: ËBB@4 J"\ :g nXD@LF4<,
ÓF@< Jr ¦BÂ hL:ÎH Ê6V<@4, (28 B 1, 1: les cavales me portent
autant que2 le thymos3 irait).
La question de savoir à quoi se rapporte le mot hL:`H – au
poète (hL:`H A"D:g<\*@L, cf. v. 1: :g, v. 2: :r) ou aux
1
D’après Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens VII, 111, 5 qui est
la source du fragment: ¦<"DP`:g<@H (@Ø< J@Ø AgDÂ nbFgTH (DVng4 JÎ<
JD`B@< J@ØJ@<q (...).
2
Pour ÓF@< Jr ¦B\ cf. Il. III, 12, XV, 358, XXI, 251.
3
Burnet: my heart | Turchi: il mio desiderio | Freeman: my desire | Zafiro-
pulo: mon désir | DK: Lust | Kranz: Wille, Mut | Kirk – Raven: my heart | Pas-
quinelli: cuore | Untersteiner: slancio della mia volontà | Voilquin: l’élan de mon
âme | Tarán: my heart | Hussey: my desire | Casertano: impulso della mia mente |
Cordero: ma vigueur | Gallop: impulse | Austin: my heart | Coxon: my spirit |
O’Brien: desire | Frère: mon désir | Dumont: mon cœur | Conche: mon désir
[selon M. Conche in: Parménide, Le poème ... , p. 44: Mieux que le mot „cœur”,
le mot „désir” évoque, semble–t–il, l’idée de mouvement, d’élan vers quelque
chose.] | Cerri: l’animo | Henn: my heart.
70 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
cavales (hL:ÎH ËBBT< car dans le vv. 4–5 il est question de J−4
(VD :g B@8bnD"FJ@4 nXD@< ËBB@4 / āD:" J4J"\<@LF"4,
6@ØD"4 *r Ò*Î< º(g:`<gL@<)1 – n’a guère d’importance parce
que dans les deux cas cela revient à lier le hL:`H à Parménide –
dans le premier cas directement, dans le second indirectement,
car même si l’on lie le hL:`H aux cavales, il ne faut pas oublier
que l’image donnée par Parménide est métaphorique: les cavales
symbolisent son propre élan vers la vérité, ou plus généralement,
vers la recherche philosophique2.
Ce qui est significatif c’est l’adverbe ÓF@< (autant que). Cet
adverbe compris dans son double aspect (ni plus et ni moins)
permet de mieux voir le rôle du hL:`H. Les cavales conduisent
Parménide jusque et en même temps seulement là où le hL:`H
arrive. Le hL:`H est alors, premièrement, un dynamisme moteur
1
Cf. aussi L. Tarán in: Parmenides ... , p. 9: his desire (...) Although from
a grammatical point of view hL:`H may refer either to the horses or to the poet,
almost all critics agree that it refers to the poet. Stein (...), however, took hL:`H
to refer to the horses. The following considerations seem to me to make it
certain that hL:`H refers to the poet: (a) while it is true that the horses know
the way (fr. I.4), the same applies to the poet (fr. I.3), and this is due to the fact
that poet and horses already travelled on this road (cf. fr. I.3 (...)); (b) the
Heliades are the ones who lead the way (fr. I.5), escort the poet (fr. I.8–10),
persuade Dike (fr. I15–16), and guide the horses (fr. I.4–5; 20–21), so that it
would have been inconsistent for Parmenides to say that the horses carry him as
far as ever their desire may reach. Cf. aussi A. H. Coxon, The Fragments of
Parmenides ... , p. 157: (...) P. alludes in the first instance to his own hL:`H, of
which the mares are the incarnation and symbol. The sense is that, once they
had set him on the way to the goddess, they were able, as they were not
previously, to take him as far as ever he desired.
2
Cf. G. Cerri in: Parmenide di Elea, Poema sulla natura, p. 166: (...) sono
‘le cavalle del pensiero’ o almeno ‘dello slancio della mente verso il proprio
scopo’ (hL:`H). Il v. 1 fornisce così all’uditorio e al pubblico dei futuri lettori
una spiegazione preventiva della funzione metaforica delle cavalle e del carro.
Cf. aussi J. Brunschwig: (...) il me semble qu’on pourrait dire: le désir pousse
l’homme (ou Parménide) vers la vérité; les cavales réalisent ce désir en l’empor-
tant vers la voie qui y mène; les filles montrent le chemin (d’abord de loin, sans
bouger), puis prennent le relais et accompagnent le jeune homme jusqu’à la
porte gardée par la justice – mais elles ne se mettent pas à la place des cavales
pour tirer le char ... (causalité finale, motrice, formelle) [communication perso-
nelle per nuntium electronicum du 25 novembre 2004].
1K9?E – MC/; – ;??E 71
1
Cf. J. Frère, Les Grecs et le désir de l’être ... , p. 441: Parménide (...)
relie désir (hL:`H) et savoir (gÆ*X<"4) (...) et G. Casertano, Il piacere, l’amore
e la morte ... , t. 1, p. 48 qui justifie sa traduction–interprétation de hL:`H par
impulso della mia mente de manière suivante: ponendola in relazione allo stretto
legame che Parmenide stabilisce fra sensibilità, sentimentalità, intelletto e
pensiero (...).
2
Bien sûr c’est d’une nouvelle métaphore qu’il s’agit, mais Parménide vise
non seulement la vérité mais son cœur même: ²:¥< z!80hg\0H gÛ6L68X@H
•JDg:¥H J@D / ²*¥ $D@Jä< *`>"H, J"ÃH @Û6 §<4 B\FJ4H •80hZH. (DK 28
B 1, 29–30: d’une part le cœur intrépide de la vérité ronde, d’autre part les
opinions des mortels dans lesquelles il n’y a pas de foi véritable). Pour l’expres-
sion z!80hg\0H J@D cf. Burnet: heart of truth | Freeman: heart of Truth |
Zafiropulo: cœur de la Vérité | DK: Wahrheit (...) Herz | Untersteiner: cuore della
verità | Tarán: heart of truth | Hussey: heart of truth | Kirk – Raven – Schofield:
heart of truth | Cordero: cœur de la vérité | Gallop: heart of truth | Austin: temper
of Truth | Coxon: heart of reality | O’Brien: heart of truth | Frère: cœur de la
vérité | Dumont: le cœur propre à la vérité | Sullivan: core of truth | Conche:
cœur de la vérité | Cerri: verità | Henn: Truth’s core. Il peut s’agir du centre de la
vérité mais le mot cœur n’est pas étranger au domaine affectif (chez Homère 94
occurrences). Cf. aussi la lecture heideggerienne de E. Martineau, Le “cœur” de
l’alètheia, p. 70: Du se–montrer con–centre en lui–même, l’ex–centricité qui–
ne–se–montre–pas: si déconcertante que paraisse cette “traduction” française,
c’est elle pourtant que nous croyons la moins impropre à refléter le vingt–neu-
vième vers parménidien.
72 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Sans compter la leçon de Sextus au DK 28 B 8, 1: hL:ÎH – mais elle est
généralement rejetée contre celle de Simplicius: :Øh@H.
2
Il est curieux de voir que Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens
VII, 112, 1 sq. qui rapporte le fragment en le commentant explique le sens sym-
bolique des cavales (JH •8`(@LH J−H RLP−H ÒD:VH Jg 6"Â ÏDX>g4H), du
chemin (JÎ< n48`F@n@< 8`(@< hgTD\"<) etc., mais ne le fait pas pour le
hL:`H.
3
Pour S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... , p. 69: Parme-
nides thus associates thumos with the desire he has to grasp the nature of the
universe. In this case it expresses a positive emotion.
4
Burnet: with thy mind | Freeman: to the mind | Zafiropulo: pour l’esprit |
DK: mit dem Geist | Pasquinelli: per opera della mente | Untersteiner: per mezzo
dell’intuizione | Untersteiner (cité par G. Calogero, Parmenide, p. 27, n. 26): al
pensiero | Voilquin: avec ton esprit | Tarán: to the mind | Krokiewicz: dla umysłu
| Cordero: pour la pensée | Gallop: to the mind | Austin: from the mind | Coxon:
with your mind | O’Brien: to the mind | Frère: à l’intelligence | Dumont: du fait
de l’intellect | Sullivan: to noos [inner vision] | Conche: par le penser | Cerri: alla
mente | Henn: within mind’s own deepening frame. Cf. aussi K. von Fritz, ;`@H
and <@gÃ< in the Homeric Poems, p. 92: “makes far off things present”.
1K9?E – MC/; – ;??E 73
Une seconde question: dans quel sens sont pris les mots
absent et présent? Objectif ou subjectif? Si le passage de l’absent
au présent se fait dans le sens subjectif il faut parler d’un pouvoir
psychique du <`@H. Si en revanche le passage a caractère objectif
– ce qui me semble peu probable à moins qu’on veuille interpré-
ter la philosophie de Parménide comme un certain idéalisme – le
<`@H aurait un pouvoir ontologique constitutif. Pris dans la pers-
pective de l’affectivité ce fragment peut signifier que les choses
imperceptibles (et non pas qui n’existent pas du tout) deviennent
perceptibles par/pour le <`@H et ne le deviennent pas pour autre
chose/par un autre moyen.
D’un autre côté le <`@H peut errer, ce qui arrive lorsqu’il se
trouve dans la difficulté d’agir:
(...) •:0P"<\0 (D ¦< "ÛJä<
FJZhgF4< Æhb<g4 B8"6JÎ< <`@< (...)
(28 B 6, 5–6: (...) la perplexité dans leur poitrine dirige le noos1
errant (...)).
L’errance du <`@H est–elle une tendance permanante ou
s’agit–t–il d’un embarras possible, accidentel, exceptionnel? On
refuse au <`@H la stabilité du fait qu’il vacille à cause de la
disposition d’impuissance dans la poitrine. Cette impuissance
(•:0P"<\0) se rapporte dans le poème de Parménide aux
mortels ignorants ($D@J@Â gÆ*`JgH @Û*X<), sourds et aveugles.
Mais l’homme, tel Parménide, quitte ce chemin et acquiert un
savoir sur l’être. Ainsi son <`@H obtient une nouvelle caractéris-
tique. Il faut donc admettre deux dispositions du <`@H, bien
distinctes: celle des mortels et celle du philosophe.
Dans un troisième passage Parménide met le <`@H en rela-
tion avec des éléments corporels (6D÷F4H :g8XT<). Son objet/
action (<`0:") dépend de la constitution corporelle:
1
Burnet: thought | Freeman: intelligence | Zafiropulo: esprit | DK: Sinn |
Pasquinelli: mente | Untersteiner: intuizione | Voilquin: esprit | Tarán: thought |
Cordero: intellect | Gallop: mind | Austin: mind | Coxon: mind | O’Brien: mind |
Frère: esprit | Dumont: esprit | Conche: pensée | Cerri: mente | Henn: mind.
74 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Comme le fait remarquer M. Conche in: Parménide, Le poème ... , p. 245
par membres il faut entendre ici corps.
2
Burnet: thought | Freeman: mind | Zafiropulo: pensée | DK: Geist |
Pasquinelli: mente | Untersteiner: intuizione | Tricot: pensée | Voilquin: pensée |
Tarán: mind | Reale: mente | Krokiewicz: umysł | Cordero: intellect | Gallop: mind
| Austin: mind | Coxon: mind | O’Brien: mind | Frère: esprit | Dumont: intellect |
Conche: esprit | Cerri: mente | Henn: mind.
3
M. Conche in: Parménide, Le poème ... , pp. 247–248 argumente qu’il
faut comprendre ÓBgD comme ce qui, le sujet de nD@<Xg4, et non comme son
complément car, entre autres, la seconde phrase (...) ne peut certainement dire
que tous les hommes pensent la même chose. Bien certainement que non si on
prend, comme Conche, le même au sens du contenu précis de la pensée. Mais on
peut comprendre le même au sens de de la même manière (sens modal), c’est–à–
dire leur pensée se forme de la même chose, c’est–à–dire: leur pensée est ce dont
il y a plus.
4
Burnet: thinks | Freeman: thinks | Zafiropulo: pense | DK: was denkt |
Pasquinelli: pensa | Untersteiner: è conosciuto | Tricot: intelligence | Voilquin: – |
Tarán: thinks | Reale: pensa | Krokiewicz: myśli | Cordero: pense | Gallop: thinks |
Austin: thinks | Coxon: awareness | O’Brien: think | Frère: apprehende | Dumont:
la chose consciente | Padel: thinks | Conche: pense | Cerri: percepisce | Henn:
meet.
5
Burnet: thought | Freeman: Thought | Zafiropulo: pensée | DK: Gedanke |
Pasquinelli: pensiero | Untersteiner: pensiero | Tricot: pensée | Voilquin: pensée |
Tarán: thought | Reale: pensiero | Krokiewicz: myślą | Cordero: pensée | Gallop:
thought | Austin: thought | Coxon: thought the mind conceives | O’Brien: thought
| Frère: pensée | Dumont: pensée | Padel: thought | Conche: pensée | Cerri: pen-
siero | Henn: Thought .
1K9?E – MC/; – ;??E 75
1
C’est par ex. l’avis de M. Conche in: Parménide, Le poème ... , p. 250: Le
fragment 16 a donc bien sa place dans la partie du Poème BgDÂ *`>"<, en quoi
il suit J. Barnes.
2
Cf. par ex. S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... , p. 32: (...)
third fragment (...) may explain why noos can fail to perceive this truth (B 16).
M. Conche in: Parménide, Le poème ... , p. 257 finit son commentaire par dire:
De celui–ci [fragment 16] résulte seulement que les pensées des humains dé-
pendent de leur corps, de la composition de celui–ci et de ses vicissitudes.
3
L’idée du <`0:" organique se retrouvera chez Empédocle 31 B 105:
[6"D*\"] "Ë:"J@H ¦< Bg8V(gFF4 JghD"::X<0 •<J4h@D`<J@H, / J−4 Jg
<`0:" :V84FJ" 6468ZF6gJ"4 •<hDfB@4F4<· / "Í:" (D •<hDfB@4H
BgD46VD*4`< ¦FJ4 <`0:". ([le cœur] nourri dans les mers du sang qui
rebondit, en lui le plus la pensée est appelé chez les hommes; le sang autour du
cœur est pour les hommes la pensée). Pour la recherche contemporaine cf. G.
Pankov, L’homme et sa psychose.
1K9?E – MC/; – ;??E 77
Empédocle
[t5] 31 B 128
[t6] 31 B 137
Dans deux fragments d’Empédocle hL:`H signifie vie ou
son siège (cœur). Il y est question d’arracher hL:`H (hL:Î<
•B@DD"\F"<Jg("H)) pour pouvoir manger les membres, le
corps. L’expression empédocléenne correspond à l’homérique
hL:Î< ¦>"\<LJ@, hL:Î< ª8@4J@4:
1
G. Jäger, “NUS” in Platons Dialogen, p. 173: Daher ist auch bei Parme-
nides für mögliche Fehlurteile der <@ØH selber verantwortlich (...).
2
Cf. K. von Fritz, ;`@H, <@gÃ<, and their Derivatives ... , p. 242: (...) for
he [Parmenides] was the first consciously to include logical reasoning in the
functions of the <`@H.
3
Je trouve deux commentateurs qui ont insisté sur le caractère intégral –
affectivo–réflexivo–volitif – de l’anthropologie de Parménide. Cf. J. Frère, Les
Grecs et le désir de l’être ... , p. 45 & p. 445: (...) la philosophie de Parménide
se présente–t–elle comme une philosophie qui déborde la raison, qui est plus et
autre chose qu’une démarche de pur logicien. L’homme est effort vers l’Etre,
émotion face à la découverte de l’Etre. (...) La catégorie psychologique du
hL:`H (...) devient catégorie fondamentale de la démarche métaphysique et
éthique et G. Casertano, Il piacere, l’amore e la morte ... , t. 1, p. 48: sensibilità,
sentimentalità, intelletto e pensiero (...) Parmenide appaia dunque un represen-
tante, e non certo quello di minore spicco, di quella concezione che vedeva nella
«collaborazione» fra intelligenza e sentimenti, tra <`@H e hL:`H, tra 8`(@H e
BVh@H, il carattere piú eminente e caratteristico dell’essere uomo.
4
Pour le même syntagme cf. 16, 428–429: (...) •B@DD"ÃF"4 n\8@< J@D
/ ²*¥ 6"J .T¬< n"(Xg4< (...).
1K9?E – MC/; – ;??E 79
1
Burnet: life | Leonard: life | Freeman: life | Zafiropulo: vie | DK: Leben |
Kranz: Leben | Kirk – Raven: life | Bignone: anima | Voilquin: vie | Wright: life |
Dumont: vie | Inwood: life–breath | Sullivan: ‘seat of life’.
2
Burnet: life | Leonard: life | Freeman: life | Zafiropulo: vie | DK: Leben |
Kranz: Leben | Kirk – Raven: life | Bignone: anima | Voilquin: vie | Wright: life |
Dumont: vie | Inwood: life–breath | Sullivan: ‘seat of life’.
3
Cf. aussi DK 31 B 138: P"86ä4 •BÎ RLP¬< •DbF"H.
4
Burnet: souls | Leonard: life | Freeman: heart | Zafiropulo: cœur | DK:
Herz | Kranz: Gemüt | Bignone: cuore | Voilquin: cœur | Wright: hearts | Dumont:
cœur | Inwood: heart[s] | Sullivan: seat of sorrow.
80 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
mis ou ayant subi le mal en garde l’image dans son hL:`H. Qui
plus est, son accablement a un caractère définitif (@ÜB@Jg).
Ce qui n’est pas dit en revanche c’est si cette mémoire
concerne uniquement les expériences du mal. Le hL:`H emma-
gasinerait–il au même degré les expériences joyeuses lorsque
l’homme est dominé par le bien1? On peut – mais c’est encore se
servir d’un critère externe – évoquer le fragment où Empédocle
dit que Ð8$4@H, ÔH hg\T< BD"B\*T< ¦6JZF"J@ B8@ØJ@<2,
bien que, là aussi, on puisse le comprendre dans le sens actif (a
acquis) ou passif (a acquis par le moyen d’obtenir). L’homme –
mais il n’y est plus question du hL:`H – emmagasine l’expé-
rience liée à la richesse divine et cela le rend bienheureux.
La relation du hL:`H avec les états douloureux et la souf-
france se trouve confirmée3 dans un autre fragment – il s’agit
d’un vers reconstitué à partir du papyrus dit de Strasbourg:
[:LD\"? J(g) @Û6] ¦hX8@LF4 B"DXFFg[J"4 –8(]g"
hL:ä4
[•<hDfB@4H?q (...)
(fr. d 9–10, éd. Martin – Primavesi: [les milliers des] douleurs
seront présents dans le thymos [aux hommes] qui [ne] veulent
pas)4.
Le hL:`H, ici comme là, est présenté comme un réceptacle
de la souffrance, •PXT< et –8(]g" pouvant avoir ce sens géné-
ral de souffrance.
1
Le daïmon socratique n’avisait pas Socrate du bien.
2
DK 31 B 132, 1: bienheureux est celui qui a acquis la richesse du divin
cœur.
3
C’est un exemple intéressant où une hypothèse se trouve corroborée par
un contexte découvert récemment, inconnu autrefois. On pourrait demander com-
bien de corroborations ou d’infirmations peuvent advenir encore.
4
Martin & Primavesi: d’innombrables tourments seront présents dans le
cœur des hommes – countless griefs will be present to men in their minds. Cf.
Odyssée 12, 427: (...) nXDT< ¦:è –8(g" hL:è.
1K9?E – MC/; – ;??E 81
[ph5] 31 B 5
[ph6] 31 B 23, 9
[ph7] 31 B 114, 3
[ph8] 31 B 133, 3
[ph9] 31 B 134, 4
[ph10] fr. a(ii) 29 (éd. Martin – Primavesi)
[ph11] 31 B 15, 1
[ph12] 31 B 17, 14
Le mot nDZ< est attesté chez Empédocle dans huit occur-
rences, dont six fois au singulier et deux au pluriel.
Empédocle parle de la nDZ< muette: FJg(VF"4 nDg<ÎH
§88@B@H gÇFT. (31 B 5: tiens <caché> dans la phren1 muette2.)
La nDZ< est capable de rester muette dans le sens de ne pas
laisser déborder ce qu’elle contient. On peut supposer qu’elle soit
clairement séparée de ce qui l’entoure, qu’elle ne se confonde
pas, possède des membranes qui lui permettent de protéger ce
qu’elle enferme. Elle reste discrète et sait se maîtriser. Le
contexte de Plutarque suggère que ce qu’il faut tenir caché dans
la nDZ< c’est l’enseignement d’Empédocle3.
D’autre part la nDZ< est sujette à l’erreur: (...) @àJT :¬ Fr
•BVJ0 nDX<" 6"4<bJT (...) (31 B 23, 9: ainsi que l’erreur ne
l’emporte pas sur ta phren4 que (...)).
1
Burnet: heart | Leonard: breast | Freeman: bosom | Zafiropulo: cœur | DK:
Brust | Bignone: animo | Voilquin: cœur | Wright: heart | Dumont: cœur | Inwood:
thought organ | Trépanier: mind.
2
Au DK 31 B 117 le mot est un épithète du poisson. Cf. G. Cerri, Empe-
docle, fr. 3 D.–K. ... , pp. 86–87: (...) l’invito in seconda persona singolare a
tenere la bocca chiusa, ad imitare il silenzio assoluto del pesce. Il ne faut cepen-
dant pas oublier que §88@B@H est une correction de Wyttenbach, les manuscrits
offrant FJX(@LF"4 nDg<ÎH •88r ÓBgD ¦8VFFT (<elles [les dogmes]> se
tiennent <cachés> dans la phren lesquels je chasse).
3
Cf. Voilquin: mon enseignement | Dumont: secret. Cf. aussi S. D. Sulli-
van, The Nature of Phren in Empedocles, p. 125: What is to be concealed in
phren is unclear (...) his teaching et S. Trépanier, Empedocles ... , p. 60: (...) (my
teachings?) (...).
4
Burnet: mind | Leonard: breast | Freeman: mind | Zafiropulo: esprit | DK:
Sinn | Kirk – Raven: mind | Bignone: ti | Voilquin: esprit | Wright: mind | Du-
mont: esprit | Inwood: thought organ. Cf. aussi S. Trépanier, Empedocles ... , p.
49: (...) Empedocles’ persuasion leaps into the breast of mortal men, ¦BÂ nDX<"
B\FJ4@H ÒD:Z (114.3), right in the midst of human life and activity.
82 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
La suite du fragment: (...) –88@hg< gÉ<"4 / h<0Jä<, ÓFF" (g *−8"
(g(V6"F4< –FBgJ", B0(Z<, / •88 J@DäH J"ØJr ÇFh4, hg@Ø BVD" :Øh@<
•6@bF"H. (que la source des <choses> mortelles qui sont apparues nombreuses
est d’ailleurs, mais connais–les clairement ayant entendu la parole de la part du
dieu).
2
Le problème de lecture est de savoir à quoi lier •D("8X0 – certains le
rattachent :V8" *r •D("8X0 (g JXJL6J"4 •<*DVF4 à •80hg\0, d’autres à
ÒD:Z.
3
Burnet: souls | Leonard: bosoms | Freeman: minds | Zafiropulo: esprit |
DK: Seele | Bignone: cuori | Voilquin: cœurs | Wright: mind | Dumont: âme | In-
wood: thought organ.
1K9?E – MC/; – ;??E 83
1
Burnet: heart | Leonard: minds | Freeman: mind | Zafiropulo: esprit | DK:
Herz | Kirk – Raven: minds | Bignone: cuore | Voilquin: cœur | Wright: mind |
Dumont: cœurs | Inwood: thought organ.
2
Ou uniquement les mains, si ½4BXD ne se rapporte qu’à ce qui le précède
directement.
84 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Chaignet: esprit | Burnet: mind | Leonard: mind | Freeman: Mind |
Krokiewicz (1947): myśl | Zafiropulo: esprit | DK: Geist | Kirk – Raven: mind |
Bignone: mente | Voilquin: esprit | Krokiewicz (1971): myślną mocą | Wright:
mind | Dumont: esprit | Inwood: thought organ | Sullivan: [as an active agent].
2
Selon M. R. Wright in: Empedocles, The Extant Fragments, p. 254: This
means that the nDZ< is physical (...) but inaccessible to the senses (...).
3
Cf. Xénophane [ph2 = n2] 21 B 25.
4
Chaignet: pensée | Burnet: thoughts | Leonard: thoughts | Freeman:
thoughts | Zafiropulo: pensée | DK: Gedanken | Kirk – Raven: thoughts | Bigno-
ne: pensieri | Voilquin: pensée | Krokiewicz (1971): myślami | Wright: thoughts |
Dumont: pensées | Inwood: thoughts | Sullivan: thoughts. D’autre part LSJ:
thought, care, attention mais aussi care, anxiety et plur. thoughts et encore
caries, worries | Bailly: soin, souci, préoccuption (...) inquiétude (...) manière de
penser, sentiment | Rocci: pensiero; cura; sollecitudine | Krokiewicz (1947):
troskami | Chantraine: soin, souci, sentiment, pensée etc.
1K9?E – MC/; – ;??E 85
(fr. a(ii) 29, éd. Martin – Primavesi: des récits <par> la phren
prends–soin [ou: retiens] des exemples non faux1).
Dans ce passage le caractère de la nDZ< ressemble à celui
du fragment DK 31 B 5: elle mémorise. Si la reconstruction de la
fin du vers est correcte2, il s’agit des échantillons3 véritables (non
faux) tirés des récits d’Empédocle (?). Si on préfère rester
prudent, on peut se limiter à dire que la nDZ< est un moyen de
retenir les modèles des données vraies. Mais est–elle aussi le
moyen de repérer cette distinction entre le vrai et le faux?
L’analyse des fragments DK 31 B 23, 9 et DK 31 B 114 ne
permet pas de répondre par l’affirmative.
Deux occurrences du pluriel: nDX<gH. La puissance des
nDX<gH dépend de la sagesse de l’homme mais même chez un
sage elles sont limitées:
@Û6 —< "<¬D J@4"ØJ" F@nÎH nDgFÂ :"<JgbF"4J@,
ñH ÐnD" :X< Jg $4äF4, JÎ *¬ $\@J@< 6"8X@LF4,
J`nD" :¥< @Þ< gÆF\<, 6"\ Fn4< BVD" *g48 6"Â
¦Fh8V,
BDÂ< *¥ BV(g< Jg $D@J@Â 6"Â <¦BgÂ> 8bhg<, @Û*¥<
–Dr gÆF4<.
1
Cf. Martin & Primavesi: Tires–en pour ton esprit des indices sûrs à
l’appui de mon récit – From these accounts convey to your mind unerring proofs
(...). Cependant dans le commentaire – A. Martin & O. Primavesi, L’Empédocle
de Strasbourg, p. 241 expliquent: Le datif nDg<\ désigne l’instrument de l’effort
qu’Empédocle demande à une perception par les sens. Dès Homère, le mot sert
à situer le siège de l’activité mentale consécutive à une perception par les sens.
Cet emploi de nDZ< était déjà abondamment illustré chez Empédocle – suivent
des exemples.
2
A. Martin & O. Primavesi, L’Empédocle de Strasbourg, p. 241 s’ap-
puient pour cela sur: On songe à :Øh@H, qu’Empédocle utilise plusieurs fois,
indifféremment au singulier ou au pluriel, pour désigner le récit qu’il adresse à
son disciple ou à ses concitoyens d’Agrigente (...). Ils disent qu’ils le font
dépendre du nom qui prédède immédiatement, soit *g\(:"J". Mais comment,
puisqu’ils traduisent: From these accounts ... ? A moins qu’on interprète le verbe
comme ¦66`:4F"4 en tmèse et qu’on lise alors: <par> la phren prends–soin [ou:
retiens] des exemples non faux des récits.
3
A. Martin & O. Primavesi, L’Empédocle de Strasbourg, p. 241 notent
que le papyrus fournit au substantif *g\(:" sa plus ancienne occurrence.
86 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Burnet: heart | Leonard: heart | Freeman: heart | Zafiropulo: fond de son
âme | DK: Herzen | Kirk – Raven: mind | Bignone: cuore | Voilquin: – | Wright:
mind | Dumont: pensée | Inwood: thoughts | Trépanier: thought.
2
Cf. S. D. Sullivan, The Nature of Phren in Empedocles, p. 126: In frag-
ment B 15 phrenes function as a location or as an instrument but do not suffice
for the truth. Cf. aussi S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... , p. 49:
Phrenes here function as an instrument or location that proves inadequate for
grasping this truth.
3
Burnet: wisdom | Leonard: soul | Freeman: understanding | Zafiropulo:
sagesse | DK: Verstand | Kirk – Raven: wisdom | Bignone: mente | Voilquin: sa-
gesse | Wright: wisdom | Dumont: plus sage | Inwood: thought organs | Sullivan:
«seat of wisdom» | Martin & Primavesi: esprit – wisdom. Cf. aussi M. R. Wright
in: Empedocles, The Extant Fragments, p. 269: Wisdom comes with the assimila-
tion, analysis, and contemplation of statements of truth in the heart region (...).
1K9?E – MC/; – ;??E 87
[n13] 31 B 2, 8
[n14] 31 B 17, 21
[n15] 31 B 136, 2
Il existe des objets en dehors de la portée du <`@H:
@àJTH @ÜJr ¦B4*gD6J JV*r •<*DVF4< @ÜJr
¦B"6@LFJV
@ÜJg <`T4 BgD480BJV. (...)
(31 B 2, 7–8: ainsi ni saisissables au toucher sont ces choses
pour les hommes, ni à l’écoute ni par le noos1).
Encore un fragment sorti de son contexte ce qui n’aide pas à
comprendre ce dont il est question. Les objets qui ne sont pas
saisissables sont le plus souvent identifiés à JÎ *r Ó8@<
(l’ensemble [du monde]) du vers précédent. Le plus important est
peut–être que pour ce qui est de sentir–percevoir–comprendre la
totalité, le <`@H est limité au même titre que le sont le toucher et
les oreilles. Les instruments du <`@H sont placés au même plan.
Toutefois le <`@H est bien distingué de la vue: J¬< [M48`-
J0J"] F× <`T4 *XD6gL, :0*r Ð::"F4< ½F@ Jgh0BfHq (31 B
17, 21: (...) Regarde–la avec le noos2, et ne reste pas étonné par
<ce que voient> tes yeux (...)).
Ce que le <`@H saisit, c’est l’un de deux principes empédoc-
léen – M48`J0H – principe de rapprochement et d’union. Le
<`@H saisit la M48`J0H avec compréhension, tandis que les yeux
la perçoivent mais avec stupéfaction. C’est seulement dans cette
mesure que la constation de Wright peut être acceptée lorsqu’elle
écrit que: the contrast between visual perception and intellectual
recognition is clearly made, with a corresponding distinction in
objects3. Mais il ne faut pas oublier que dans le fragment 31 B 2,
7–8 le <`@H est considéré aussi incapable que le toucher et
1
Burnet: mind | Leonard: mind | Freeman: mind | Zafiropulo: esprit | DK:
Geiste | Kirk – Raven: understanding | Bignone: mente | Voilquin: esprit | Kro-
kiewicz: umysł | Wright: mind | Dumont: esprit | Inwood: understanding.
2
Chaignet: raison | Burnet: mind | Leonard: mind | Freeman: mind | Zafiro-
pulo: esprit | DK: Geiste | Kirk – Raven: mind | Bignone: mente | Voilquin: esprit
| Wright: mind | Dumont: intellect | Inwood: understanding | Martin & Primavesi:
pensée – mind.
3
M. R. Wright in: Empedocles, The Extant Fragments, p. 170.
88 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Cf. ;gÃ6@H au vers 19 contre JZ< du vers 21. K. von Fritz, ;`@H, <@gÃ<,
and their Derivatives ... , p. 20 croit que le <`@H saisit les deux: It directly per-
ceives love and hate both in other human beings (...).
2
Grâce à la M48`J0H les hommes pensent(?)/ressentent les choses d’ami-
tié/d’amour: J−4 Jg n\8" nD@<@LF4 (v. 23). Cf. aussi S. M. Darcus, Daimon
Parallels the Holy Phren in Empedocles, p. 180: By which they experience
loving thoughts (feelings) and complete peaceful works.
3
Burnet: hearts | Leonard: [unthinking ?] | Freeman: minds | Zafiropulo:
esprit | DK: Sinnes | Kirk – Raven: minds | Bignone: [stoltezza insana] | Voil-
quin: [stupidement] | Wright: thinking | Dumont: [folie] | Inwood: understanding |
Martin & Primavesi: [indifférence].
4
Cf. S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... , p. 31: Once
again noos fails to grasp an essential truth.
1K9?E – MC/; – ;??E 89
1
M. R. Wright in: Empedocles, The Extant Fragments, p. 286.
90 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Le fait a été déjà noté par S. M. Darcus, Daimon Parallels the Holy
Phren in Empedocles, p. 182: Phrontis may refer to his thought, feelings, or con-
cerns, bien qu’elle aille plus loin et précise que (...) I suggest that these phron-
tides are Love and Strife.
2
Cf. la conclusion de S. M. Darcus, Daimon Parallels the Holy Phren in
Empedocles, p. 176: Still, the god differs from men in that he is said not to have,
but to be, a Holy Phren. et p. 179: These passages [six in Empedocles] suggest
that phren in man functioned to grasp the view Empedocles presents in his poem.
Phren draws information from the senses. Man, however, must be cautious:
phren can be deceived. (...) Since he describes his god as a phren, Empedocles
must have thought that the activity of phren in man was of great importance.
Nonetheless he does not deny that nous is also active in man.
1K9?E – MC/; – ;??E 91
Philolaos
[n16 = a1] 44 B 13
Selon Philolaos le principe du <`@H est le cerveau. C’est ce
principe–là (•DPZ) qui est propre à l’homme: ‘6gn"8 :¥<
<`@L, 6"D*\" *¥ RLP÷H 6"Â "ÆFhZF4@H, Ï:n"8ÎH *¥
Õ4.fF4@H 6"Â •<"nbF4@H J@Ø BDfJ@L, "Æ*@Ã@< *¥
FBXD:"J@H [6"Â] 6"J"$@8÷H Jg 6"Â (g<<ZF4@H.
¦(6Xn"8@H *¥ <F":"\<g4> J< •<hDfBT •DPV<, 6"D*\"
*¥ J< .f@L, Ï:n"8ÎH *¥ J< nLJ@Ø, "Æ*@Ã@< *¥ J<
>L<"BV<JT<q BV<J" (D •BÎ FBXD:"J@H 6"Â hV88@<J4
6"Â $8"FJV<@<J4.’ (44 B 13: “la tête du noos2, le cœur de la
psyche et de l’aisthesis, le nombril de l’enracinement et de la
croissance de ce qui est premier [= embryon], les parties
honteuses de la sortie de la semence [et] de la génération. le
cerveau <signifie> le principe de l’homme, le cœur de l’animal,
le nombril de la plante, les parties honteuses de tous [= les êtres
vivants]. tout naît et croît de la semence.”)
Le <`@H est distingué de la RLPZ et de l’"ÇFh0F4H. S’il
faut accepter la perspective hiérarchique homme – animal –
plante, il est au–dessus de l’impression/sensation ("ÇFh0F4H)
ainsi que des autres fonctions (croissance et génération). Qu’est–
ce qui distingue donc l’homme des animaux, des plantes et autres
(choses vivantes)? S’agit–t–il donc de la conscience, formée par
le penser, par le vouloir et par le sentiment? Pour Philolaos ce
1
Autrement R. B. English, Empedoclean psychology, p. XVI: In Empedok-
les the terms :X<@H, hL:`H, nDZ<, RLPZ are not definitely distinguished, and
are used quite synonymously.
2
Freeman: Mind | DK: Verstandes | Delattre: intellect | Huffman: intellect.
92 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Et en concurrence avec celle d’un Homère ou d’un Empédocle pour qui le
<`@H (ou le <`0:") se trouve dans le thorax, dans le cœur ou dans le sang même
(cf. DK 31 B 105). En revanche elle est proche de la perspective hippocratique.
Comme le rappelle T. Zieliński, Homeric Psychology [1922], p. 26: Already
Hellenes, as soon as their physiology received a rational ground, found such
understanding of the diaphragm strange. Diaphragm, says Hippocrates had
absolutely no ground to receive its name (that is the name phrenes, which is
understood by the author as intellect), it could only have happened as a
consequence of a chance and tradition (nomos), but not due to its nature and
essence; I am not acquainted with such properties of the diaphragm as becoming
aware or thinking. (Hippocrates BgDÂ ÊgD−H <@bF@L (II, 343 L i n d .). We do not
think either with the help of the diaphragm or the heart, but exclusively with our
brain; both organs shiver and shrink under the influence of strong fits of
passion, J−H :X<J@4 nD@<ZF4@H @Û*gJXDå :XJgFJ4< – an apparent polemic,
if not with H o m e r , then with Homeric psychology.) So, it would make sense to
question what made Homeric Greeks, unlike other peoples, see in the diaphragm
the centre of the intellectual activity of the man: it seems to me that a satis-
factory answer can be given. But we shall discuss that later. Il rappelle
également (p. 19, n. 2 de la p. 18) the popular argument of Z e n o n about the
localization of the soul (cf. Windisch, Uber den Sitz der denkenden Seele, p.
175). The voice comes through the throat; if it were coming from the brain, it
would not be coming through the throat; from where the word comes (8`(@H),
there from the voice does; and the word comes from the mind (*4V<@4"); so the
mind cannot be located in the brain.
1K9?E – MC/; – ;??E 93
Clidèmos
[n17] 62, 2
D’après la relation de Théophraste selon Clidèmos le <@ØH
permet aux oreilles de tracer la distinction: :`<@< *¥ JH
•6@H "ÛJH :¥< @Û*¥< 6D\<g4<, gÆH *¥ JÎ< <@Ø<
*4"BX:Bg4<, @ÛP òFBgD z!<">"(`D"H •DP¬< B@4gÃ
BV<JT< JÎ< <@Ø<. (62, 2: les oreilles seules ne distinguent rien
par elles–mêmes et font transmission au noos1, bien qu’il [Cli-
dèmos] ne fasse pas du noos le principe de toutes les choses
comme Anaxagore.)
Significative dans ce contexte est l’absence d’autres sens,
des yeux par exemple. Faut–il admettre que selon Clidèmos les
autres sens soient capables de distinction par eux–mêmes et qu’ils
soient autonomes à cet égard?
Leucippe
[n18] 67 B 2
Chez Leucippe le mot <@ØH est attesté dans le titre de l’un
de ses écrits: AgDÂ <@Ø (67 B 2). De cette œuvre il n’a été
conservé qu’une phrase2.
Démocrite
[t9] 68 B 236
Voici le fragment de Démocrite contenant le mot hL:`H:
hL:ä4 :VPgFh"4 :¥< P"8gBÎ<q •<*DÎH *¥ JÎ 6D"JXg4<
gÛ8@(\FJ@L. (68 B 236: lutter <contre> le thymos3 est pénible,
mais être plus fort <caractèrise> l’homme <avec un> bon–
logos4.)
1
Dumont: Intellect.
2
Cf. sous 8`(@H [l14] 67 B 2.
3
Natorp: Zorn | Alfieri: desiderio | Enriques & Mazziotti: passione | Free-
man: desire | DK: Herz | Voilquin: emportement | Krokiewicz: sercem | Kahn:
anger (thymos) | Claus: anger | Casertano: proprio desiderio (hL:è) | Dumont:
impulsion | Gilabert i Barberà: ànim abrandat | Czerwińska: cuore | Taylor: spirit
| Imhoof: désir. Cf. S. D. Sullivan, Psychological and Ethical Ideas ... , pp. 68–69:
Here thumos again may be an agent of emotion or emotion itself.
4
Pour gÛ8@(\FJ@L de Démocrite cf. LSJ: calculating well or rightly:
hence prudent, circumspect | Natorp: rechte Vernunft | Alfieri: che sa fare retto
94 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
hL:`H DK 22 B 85 DK 68 B 236
Freeman impulse desire
Kahn passion [et dans le com- anger (thymos)
mentaire: anger]
Czerwińska passioni cuore
DK Herz
Krokiewicz sercem [cœur]
Claus anger
Casertano desiderio
Dumont impulsion
Gilabert i Barberà ànim abrandat
1
Si les traducteurs du premier groupe avaient raison, faudrait–il admettre
que Démocrite n’ait pas connu le fragment d’Héraclite et que les deux philo-
sophes aient eu une source commune. Mais c’est une hypothèse difficilement
soutenable, étant donné que – au dire de Diogène Laërce II, 22 – Socrate
connaissait l’œuvre d’Héraclite qui devait donc circuler à Athènes où – d’après
Cicéron (Tusc. V 36, 104 [= DK 68 B 116]: ‘veni Athenas’ inquit D. ‘neque me
quisquam ibi adgnovit’) et Diogène Laërce (IX, 36: 8h@< (D gÆH z!hZ<"H
6"Â @ÜJ\H :g §(<T6g<.) – Démocrite a fait visite, sans être cependant connu de
personne. Selon F. Nietzsche, Sur Démocrite ... , p. 107: nul ne le connut, c’est–
à–dire que certes il était connu à travers ses écrits, mais il ne se fit pas
connaître personnellement. Cf. aussi R. Ferwerda, Democritus and Plato, p. 359:
(...) it is of cours highly improbable that in small town like Athens conspicuous
new theories would have remained unknown to the inquisitive mind of Plato.
2
C’est vrai que l’adjectif gÜhL:@H avait été utilisé avant Démocrite (cf.
par ex. Od. 14, 63). Cependant Démocrite est le seul parmi les Présocratiqus à
s’être servi de ce mot – surtout du substantif gÛhL:\0 comme concept – dans un
sens philosophique (du moins le seul parmi les Présocratiques dont les fragments
l’attestent). Par exemple chez Platon on ne rencontre que gÛhL:ä< dans la
1K9?E – MC/; – ;??E 97
1
A. Krokiewicz, Etyka Demokryta i hedonizm Arystypa, pp. 71–72. Cf.
aussi A. Krokiewicz, Etyka Demokryta et A. Krokiewicz, Quaestiones Democri-
teae.
2
Dans le fragment DK 68 B 174 Démocrite dit ce que l’homme gÜhL:@H
fait mais, là encore, sans préciser comment on le devient: Ò :¥< gÜhL:@H gÆH
§D(" ¦B4ngD`:g<@H *\6"4" 6"Â <`:4:" 6"Â àB"D 6"Â Ð<"D P"\Dg4 Jg 6"Â
§DDTJ"4 6"Â •<"60*ZH ¦FJ4<q (...) (l’homme heureux est porté vers les
actions justes et légales et il se réjouit jour et nuit et il est fort et sans souci (...)).
3
Cf. G. Casertano, Pleasure, Desire and Happiness in Democritus, p. 351:
Soul with its logos, its good logos, must dominate hL:`H, passions, and that is
difficult (...) It’s clear that to use logos in order to control pleasures doesn’t
mean to repress hL:ÎH (...).
1K9?E – MC/; – ;??E 101
1
Mais certains gardent une position prudente, par exemple W. J. Verde-
nius, A psychological statement of Heraclitus, p. 118: Even if Democritus’
autorship of frag. 298a is considered dubious, the fragment still remains an
indirect argument in favour of the rendering “anger” in Heraclitus frag. 85 in
so far as it is one of the many statements dealing with the blind and often
destructive force of anger and the difficulty of controlling it.
2
Diels (Zweifelhaftes): Zorn | Alfieri (frammento incerto): collera | Free-
man (Doubtful fragment): passion | Kranz: leidenschaftlischer Zorn | Dumont (Le
texte du papyrus est très mutilé et la traduction très conjecturale): colère.
3
Cf. Epicharme [t3 = n6] 23 B 43.
102 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Alfieri: ragione | Enriques & Mazziotti: ragione | Vlastos: mind |
Freeman: Mind | DK: Verstand | Kirk – Raven – Schofield: mind | Kahn: mind |
Dumont: raison | Salem: raison | Taylor: mind.
2
Les mots par lesquels Galien, De la médecine empirique 15, 7, 9–10
introduit la citation sont les suivants: (...) ¦B@\0Fg JH "ÆFhZFg4H 8g(@bF"H
BDÎH J¬< *4V<@4"< @àJTHq. (il a fait les sens parler à la raison comme suit:).
3
On ne peut donc dire comme le fait G. Casertano, Logos e nous in
Democrito, p. 246 que il legame <@ØH – "ÆFhZFg4H è esplicitamente affermato
[nel] famoso frammento 125 (...).
4
(...) ¦B J@ÃH *L<"J@ÃH @Þ< *gà §Pg4< J¬< (<f:0< 6" J@ÃH
B"Dg@ØF4< •D6XgFh"4 Jä< :¥< .08@L:X<T< 6"Â h"L:".@:X<T< Ï8\(0<
:<Z:0< §P@<J" 6"Â J−4 *4"<@\"4 :¬ BD@Fg*Dgb@<J" ((...) il faut donc
diriger son jugement vers le possible et jouir de ce qui est présent en attachant
peu d’attention à ceux qui sont enviés et admirés et ne pas se placer avec sa
pensée à côté.)
5
Cf. [a4] 68 B 5f = 68 A 33: AgDÂ "ÆFh0F\T<.
6
Mais il ne les nomme pas "ÆFhZFg4H, tout simplememt il énumère la
vue, l’ouïe, l’odeur, le goût et le toucher: ‘(<f:0H δ¥ δb@ gÆFÂ< ÆδX"4, º :¥<
104 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
(<0F\0, º δ¥ F6@J\0q 6"Â F6@J\0H :¥< JVδg Fb:B"<J", ÐR4H, •6@Z, Ïδ:Z,
(gØF4H, R"ØF4H. (...).
1
J. Salem, Démocrite ... , p. 175.
2
English: [are thought in the] mind | Alfieri: animo | Enriques & Maz-
ziotti: animo | Freeman: mind | DK: Geiste | Dumont: raison [humaine].
3
Cf. J.–P. Dumont in: J.–P. Dumont, D. Delattre, J.–L. Poirier, Les Préso-
cratiques, p. 1462 qui résout cette contradiction (et autres également) en utilisant
1K9?E – MC/; – ;??E 105
1
DK: Geistes | Freeman: intellect | Krokiewicz: umysłu | Voilquin: intel-
ligence | Couloubaritsis: pensée | Dumont: Intellect | Taylor: mind.
2
Pour C. C. W. Taylor, Pleasure, knowledge and sensation in Democritus,
p. 8 qui discute avec Natorp (pour qui le sens est to be thinking out): the verb
seems to have the quite unspecific sense of ‘consider’ or ‘think about’.
3
Cf. par exemple W. Kranz, Wortindex in: H. Diels & W. Kranz, Die
Fragmente ... , t. 3, p. 296: Gott. Kosmos.
4
Alfieri: intelletto | Enriques & Mazziotti: ragione | Freeman: intelligence |
DK: Verstand | Krokiewicz: rozumu (= umysłu) | Voilquin: raison | Dumont:
intelligent | Taylor: intelligent.
1K9?E – MC/; – ;??E 107
1
Alfieri: intelletto | Enriques & Mazziotti: intelligenza | Freeman: intelli-
gence | DK: Verstand | Krokiewicz: umysłu | Voilquin: raison | Couloubaritsis:
pensée | Dumont: intellect | Taylor: intelligent.
2
Alfieri: intelligenza | Enriques & Mazziotti: senno | Freeman: intelligence |
DK: Verstand | Krokiewicz: inteligentnie | Voilquin: [si on prête] attention [et si on
les comprend] | Couloubaritsis: pensée | Dumont: attention | Taylor: intelligence.
3
Alfieri: discernimento | Enriques & Mazziotti: assennato | Freeman: sense
| DK: Verstand | Voilquin: réflexion | Couloubaritsis: réflexion | Dumont: intel-
ligent | Taylor: intelligently.
4
Alfieri: una munificenza che finisce per costare a tutti | Enriques &
Mazziotti: ostentazione [dannosa] alla comunità | Freeman: continous tax that
maintains all and sundry (? reading and meaning uncertain) | DK: Allgemeinheit
trifft (?) | Voilquin: une simple charge inutile à tous | Dumont: un impôt
considérable | Taylor: mere public expense.
108 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
L’apophtegme est absent de certains manuscripts et jugé douteux. Cf. la
note de H. Diels & W. Kranz, Die Fragmente ... , t. 2, p. 160: [verkürzt aus
Menandr. fr. 114; III 34 K.]
2
Alfieri: intelligenza | Enriques & Mazziotti: intelligenza | Dumont: intel-
lect | Taylor: intelligence.
3
Chaignet: raison | Alfieri: intelligenza | Enriques & Mazziotti: intelli-
genza | Freeman: intelligence | DK: Verstand | Krokiewicz: umysł | Voilquin:
intelligence | Couloubaritsis: pensée | Dumont: intellect | Taylor: intelligence.
1K9?E – MC/; – ;??E 109
1
Voici un commentaire éclairant de L. Couloubaritsis, Pensée et action
chez Démocrite, t. 1, p. 330: (...) Par le noûs l’homme surmonte son animalité
tout en possédant en lui–même les conditions d’une pensée en quelque sorte
divine (...). Et dans ce qui précède: (...) celui qui choisit les biens de l’âme
choisit des biens plus divins, tandis que celui qui choisit les biens du corps –
c’est–à–dire de son enveloppe corporelle – choisit les biens humains (cf. B 37).
De là il ressort que les biens du corps n’appatiennent pas nécessairement à
l’animalité de l’homme, mais également à son humanité, à condition qu’ils
s’accordent à la pensée (<@ØH et 8`(@H).
2
Alfieri: intelletto | Enriques & Mazziotti: mente | Vlastos: mind | Freeman:
mind | DK: Geistes | Krokiewicz: [ślepoty] umysłowej | Voilquin: esprit | Dumont:
intellect | Taylor: mind.
110 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Enriques & Mazziotti: legge | Freeman: law | DK: widergesetzlich | Voil-
quin: loi | Dumont: loi | Procopé: law | Cairns: law | Taylor: illegally.
2
Cf. V. E. Alfieri in: Gli Atomisti ... , p. 269: lez. ms. rivendicata da H.
Gomperz («wider die eigne Einsicht»), contro l’emendamento del Jacobs, accet-
tato prima dal Diels (...).
3
Alfieri: proprio intimo sentire. Cf. aussi A. Krokiewicz, Etyka Demokryta
i hedonizm Arystypa, p. 57 qui au cours de son analyse de la notion du cœur et de
l’esprit chez Démocrite écrit: Le “cœur” a une puissance des actions corporelles
mais n’a pas de connaissance éthique suffisante. En revanche l’“esprit” ne peut
de lui–même réaliser aucune action mais il sait parfaitement [comme le montre
le DK 68 B 175, pas parfaitement – il peut se tromper et avec des conséquences
importantes] si les actions en question sont bonnes ou mauvaises. Lui seul étab-
lit la valeur éthique de chaque acte et lui seul la juge de manière infaillible [la
même remarque], définitive et souveraine. C’est ainsi que Krokiewicz arrive à la
1K9?E – MC/; – ;??E 111
1
Autrement G. Casertano, Logos e nous in Democrito, pp. 244–245 qui
évoque L. A. Stella (Valore e posizione storica dell’etica di Democrito, 1942) et
interprète le <@ØH comme una sintesi di tutte le attività spirituali (...) ou encore
comme qualche cosa di più complesso del nostro «puro pensiero» (...) una
facoltà legata profondamente all’essere dell’uomo nella sua globalità (...). Il
évoque également l’interprétation de F. Mesiano (La morale materialistica di
Democrito di Abdera, 1951): non soltanto l’intelletto bensì anche la volontà, la
ragione e forse il sentimento.
2
Et K. von Fritz, ;`@H, <@gÃ<, and their Derivatives ... , pp. 24–30 ne cite
pas les fragments de Démocrite, la méthode adoptée pour les autres philosophes,
mais les présente en résumé. Dans la n. 180 il dit: Apart from the functions of the
<`@H in Democritus’ theory of knowledge, <`@H, <@gÃ<, and derivatives, like
•<@Z:T<, appear also not infrequently in Democritus’ ethical fragments. But
the meaning there is mostly either “practical wisdom,” which has its origin in
the Homeric use of nDX<gH, or the wisdom which distinguished the wise man
from the common crowd, a meaning which was developed in early pre–Socratic
philosophy. These passages, therefore, do not add anything new to the history of
the term.
3
L. Couloubaritsis, Considérations sur la notion de Noûs ... , p. 143.
1K9?E – MC/; – ;??E 113
1
L. Couloubaritsis, Considérations sur la notion de Noûs ... , p. 143. Cf.
aussi C. H. Kahn, Democritus on Moral Psychology, p. 312: Theme 6. Rational
thought and emotion or desire as distinct principles of motivation? We might
expect to find Democritus drawing a distinction between reason and passion to
his antithesis between reason and sense. Unfortunately the conceptual develop-
ment is not straightforward, and the fact that it is not may itself be the most
important insight that we can derive from a close study of the fragments..
2
L. Couloubaritsis, Considérations sur la notion de Noûs ... , p. 144. De
même L. Couloubaritsis, Pensée et action chez Démocrite, p. 329: (...) c’est
parce que, chez Démocrite, la pensée au sens de Noûs présente une autonomie
materielle et structurelle.
3
L. Couloubaritsis, Considérations sur la notion de Noûs ... , p. 145.
4
L. Couloubaritsis, Considérations sur la notion de Noûs ... , p. 145.
5
L. Couloubaritsis, Considérations sur la notion de Noûs ... , p. 145.
114 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
Gorgias
[n29] 82 B 11
[n30, n31, n32, n33] 82 B 11a
Dans l’Eloge d’Hélène le mot <@ØH se trouve dans un
contexte gravement détérioré: † J\H @Þ< "ÆJ\" 6T8bg4 6"Â J¬<
{+8X<0< à:<@H 8hg< Ò:@\TH —< @Û <X"< @ÞF"< òFBgD
gÆ $4"JZD4@< $\" ºDBVFh0. JÎ (D J−H Bg4h@ØH ¦>−< Ò
*¥ <@ØH 6"\J@4 gÆ •<V(60 Ò gÆ*ãH ª>g4 :¥< @Þ<, J¬< *¥
*b<":4< J¬< "ÛJ¬< §Pg4. (...) (82 B 11, 12: (...) quelle cause
empêche et quel chant est venu de même qu’Hélène qui n’était
plus jeune comme si elle était enlevée par la force. Ce qui relève
de la persuasion était possible, mais le noos, si par la nécessité
celui qui sera donc savant, a la même force? (...))
Le passage, s’il est possible de comprendre les idées qui y
sont contenues ne serait–ce que de manière assez vague, semble
montrer que le <@ØH est censé s’opposer à la persuasion mais –
comme il résulte de la suite de l’histoire – il ne l’a pas fait.
1
L. Couloubaritsis, Pensée et action chez Démocrite, p. 336.
1K9?E – MC/; – ;??E 115
Antiphon le Sophiste
[t11, t12] 87 B 58
Dans un fragment d’Antiphon le hL:`H est attesté deux fois:
(...) FTnD@Fb<0< *¥ •<*DÎH @Û6 —< –88@L [–88@H Hss.]
ÏDh`JgD`< J4H 6D\<g4g<, ´ ÓFJ4H J@Ø hL:@Ø J"ÃH
B"D"PD−:" º*@<"ÃH ¦:nDVFFg4 "ÛJÎH ©"LJÎ< 6D"JgÃ<
Jg 6"Â <46÷< ²*L<Zh0 "ÛJÎH ©"LJ`<. ÔH *¥ hX8g4
P"D\F"Fh"4 Jä4 hL:ä4 B"D"PD−:", hX8g4 J 6"6\T •<JÂ
Jä< •:g4<`<T<. (87 B 58)
Avant de traduire il importe de signaler que dans la première
partie le texte n’est pas facile à comprendre à cause de la syntaxe:
(1) faut–il lire fermer le hL:`H aux plaisirs (J@Ø hL:@Ø
¦:nDVFFg4 º*@<"ÃH) ou s’agit–il des plaisirs du hL:`H (J@Ø
hL:@Ø º*@<"ÃH)? En principe le verbe ¦:nDVFFg4 devrait
régir l’accusatif et non le génitif (J@Ø hL:@Ø). (2) Mais si J"ÃH
º*@<"ÃH sont à lier à J@Ø hL:@Ø, où trouver le complément
pour le verbe ¦:nDVFFg4? Serait–ce "ÛJÎH ©"LJÎ< qui suit
directement? Mais dans ce cas–là où est le complément de
6D"JgÃ<? Serait–ce "ÛJÎH ©"LJ`< final, le même que pour
<46÷<? (A moins qu’on lise ÓFJ4H J"ÃH B"D"PD−:" º*@<"ÃH
¦:nDVFFg4 "ÛJÎH ©"LJÎ< + J@Ø hL:@Ø 6D"JgÃ<?) Enfin –
une troisième question – (3) pourquoi les deux verbes (¦:nDVF-
Fg4 – ²*L<Zh0) sont dans les formes différentes (présent contre
aoriste)?
La première réponse détermine si les plaisirs immédiats sont
du hL:`H (ce qui n’est pas la même chose que de dire que tous
les plaisirs du hL:`H sont immédiats). De la seconde phrase il
résulterait que c’est plutôt à la satisfaction que s’applique
l’adverbe immédiat et non aux plaisirs. Pour ce qui est de la
1
Cf. M. Untersteiner, Sofisti ... , t. 4, p. 144.
2
Et W. Kranz, Wortindex in: H. Diels & W. Kranz, Die Fragmente ... , t. 3,
p. 158 du fait qu’il propose: ¦:nDVFFg4 "ÛJÎH ©"LJ`< (º*@<"ÃH).
3
En admettant –88@L on devrait comprendre: la so–phrosyne d’un autre
homme (donc: pas sa propre mais d’un autre). Ainsi Freeman: Prudence in an-
other man | DK: Die Besonnenheit eines anderen Mannes.
4
Freeman: soul | DK: Herzens | Gernet: passion | Untersteiner: passione
[dans la note: hL:@Ø: vale «animo» (...) quindi «impulsività»] | Morrison: heart |
de Romilly: passion | Poirier: cœur | Pendrick: heart.
118 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Freeman: soul | DK: Herzen | Gernet: passion | Untersteiner: passione |
Morrison: heart | de Romilly: passion | Poirier: désirs | Pendrick: heart.
2
Cf. encore J. de Romilly, „Patience mon cœur!” ... , p. 181: «La sagesse,
voici la meilleure idée qu’on en puisse donner: c’est la vertu de l’homme qui se
cuirasse contre les attraits immédiats de la passion, qui sait se dominer et se
vaincre lui–même. Vouloir complaire à la passion du moment, c’est préférer le
pire au mieux».
3
Cf. H. Diels, Aus den Vorreden zur ersten Auflage (1903) in: H. Diels &
W. Kranz, Die Fragmente ... , t. 1, p. VI: Wie wir z. B. öfter den Sinn des alt-
deutschen Wortes „Mut” verkennen, so verstanden Aristoteles und Eudemos die
ihnen verkürzt im Gedächtnis haftende Sentenz des Heraklit hL:ä4 :VPgFh"4
P"8gB`<q ÓJ4 (D —< hX804, RLP−H é<gÃJ"4 (12 B 85) vom Zorne, ohne zu
beachten, daß durch ÓJ4 —< hX804 (auch dies archaisch gesagt) der weitere
Begriff von hL:`H, der das ¦B4hL:gÃ< mit umfaßt, indiziert ist. Der Sophist
Antiphon verstand in seiner Paraphrase der Sentenz 80 B 58 das Wort hL:`H
noch richtig.
1K9?E – MC/; – ;??E 119
1
G. J. Pendrick in: Antiphon the Sophist, The Fragments, pp. 406–407.
2
C’est à propos de ce fragment d’Antiphon qu’il convient d’évoquer J.–P.
Vernant, Les origines de la pensée grecque, p. 86: La maîtrise de soi dont est
faite la sophrosûne paraît impliquer, sinon un dualisme, du moins une certaine
tension dans l’homme entre deux éléments opposés: ce qui est de l’ordre du
thumos, l’affectivité, les émotions, les passions (thèmes favoris de la poésie
lyrique), et ce qui est de l’ordre d’une prudence réfléchie, d’un calcul raisonné
(célébrés par les Gnomiques).
120 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
A moins qu’on lise J"ÃH B"D"PD−:" º*@<"ÃH ¦:nDVFFg4 "ÛJÎH
©"LJ`< + J@Ø hL:@Ø 6D"JgÃ< – dans ce cas–là: 1. pouvoir se vaincre, 2. maît-
riser le hL:`H et se fermer aux plaisirs, 3. savoir distinguer la so–phrosyne.
2
Démocrite parle des plaisirs inopportuns (à contretemps), donc trop
rapides (ou ? trop tardifs ?), cf. DK 68 B 71: º*@<"Â –6"4D@4 J\6J@LF4<
•0*\"H. (les plaisir à contretemps engendrent les déplaisirs.)
3
Le même thème – avec la nuance d’action accomplie – revient chez Anti-
phon dans le DK 87 B 59: (...) 6D"JZF"H "ÛJÎH ©"LJ`< (...).
1K9?E – MC/; – ;??E 121
1
Comme le montre le début du fragment (cf. sous [n35] 87 B 58) il s’agit,
le plus probablement, d’un retardement où serait possible le changement de
décision prise auparavant. Mais justement, dans la circonstance, ce qui produit ce
retardement et le changement, c’est la peur (*g4:"\<g4).
122 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
nécessaire dans une situation pour qu’on puisse dire que l’on se
maîtrise et on se vainc et autant qu’on puisse distinguer correcte-
ment la so–phrosyne. Mais combien exactement dans une situ-
ation concrète? Quel en serait l’algorithme? D’où vient le pouvoir
qu’Antiphon appelle maîtrise (6D"JgÃ<) et victoire (<46÷<)?
Antiphon introduit le vocable nouveau (FTnD@Fb<0), tout
comme Démocrite l’a fait pour gÛ8@(\FJ@H. Les deux mots sont
composés. Les anciens comprenaient ces notions probablement
mieux que les modernes. Mais dans la situation décrite par Anti-
phon et Démocrite seraient–elles suffisamment explicites pour
eux, surtout que la FTnD@Fb<0 reste en relation indirecte avec
la situation décrite? Elle est une condition non de devenir
FfnDT< mais de distinguer la FTnD@Fb<0 (et si c’est chez un
autre, cela complique encore plus la scène).
Si l’on suit le sens étymologique de ce mot – FfnDT<,
donc l’ensemble du cœur ou l’ensemble des forces psychiques –
on peut arriver à la conclusion suivante: si l’homme tient compte
de l’ensemble de ses forces psychiques, le hL:`H devrait être
soumis à une instance psychique qui retarde ses aspirations,
pulsions, désirs, bref ses mouvements.
[n34] 87 B 44
[n35] 87 B 58
Dans un fragment d’Antiphon conservé sur le papyrus
d’Oxyrhyncos on lit: (...) 6" ¦B Jä4 <ä4, ô< Jg *gà "ÛJÎ<
¦B4hL:gÃ< 6"Â ô< :Z. (...) (87 B 44, A 3: (...) et quant au
noos1, ce qu’il faut qu’il désire et ce qu’il ne faut pas (...).)
Ainsi le <@ØH est un sujet du désir. La chose semble diffi-
cilement acceptable par les commentateurs modernes comme la
réception de ce passage le montre. Kranz dans le Wortindex (p.
298) donne !, Freeman omet sans le signaler (sic!) cette partie de
la phrase dans sa traduction. Untersteiner de son côté note: Jä4
<ä4: il <@ØH in quest’epoca era sentito «come un organo del
corpo» et traduit ¦B4hL:gÃ< par aspirare2. De même Pendrick
1
DK: Sinn | Havelock: heart | Untersteiner: mente | Hussey: mind | Morri-
son: heart | Poirier: esprit | Pendrick: mind.
2
M. Untersteiner, Sofisti ... , t. 2, pp. 81–82.
1K9?E – MC/; – ;??E 123
1
G. J. Pendrick in: Antiphon the Sophist, The Fragments, p. 331.
124 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
Critias
[ph15] 88 B 6, 16
[ph16] 88 B 16, 2
[ph17] 88 B 21, 1
[ph18] 88 B 15, 5
Dans un fragment de Critias la nDZ< est porté vers l’espoir
joyeux:
@Ê 7"6g*"4:@<\T< δ¥ 6`D@4 B\<@LF4 J@F@ØJ@<,
òFJg nDX<r gÆH Ê8"D< ¦8B\*" BV<J"H –(g4<
1
Freeman: mind | DK: Sinn | Untersteiner: proposito | Morrison: mind | Poi-
rier: esprit | Pendrick: mind.
2
Cf. pour ¦B4hL:gÃ< – Jä< hg80:VJT<, Freeman: wishes – purpose |
DK: begehren – Plänen | Untersteiner: aspirare – volontà | Morrison: desire –
purpose | Poirier: désirer – projets | Pendrick: desire – wish[es].
1K9?E – MC/; – ;??E 125
1
Freeman: thoughts | DK: Sinn | Untersteiner: mente | Levin: thinking | Poi-
rier: cœur.
2
Freeman: mind | DK: Sinn | Untersteiner: cuore | Levin: attitude | Poirier:
âme.
3
Freeman: mind | DK: Geiste | Untersteiner: mente | Levin: mind | Poirier:
esprit.
4
Freeman: mind | DK: Gedanken | Untersteiner: cuor | Levin: thoughts |
Poirier: esprit.
126 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
[n36] 88 B 6, 13
Le <@ØH subit la mauvaise influence des boissons1:
(...) •BÎ J@4@bJT< B`FgT< (...)
(...)
(...) BDÎH *r Ð::r •P8×H •:$8TBÎH ¦n\.g4,
8−FJ4H *r ¦6JZ6g4 :<0:@Fb<0< BD"B\*T<,
<@ØH *¥ B"DXFn"8J"4. (...).
(88 B 6, 9–13: (...) de telles boissons (...) l’obscurité assombrie
tombe sur les yeux, l’oubli dilue la mémoire de la poitrine, noos2
chancelle. (...).)
Le passage montre que le <@ØH n’est pas invulnérable
(lorsqu’on boit à la lydienne par opposition à la manière
spartiate). D’une part il est faillible dans des conditions précises,
d’autre part ces conditions sont de caractère physique, voire
physiologique. Pour la première raison le contexte de Critias est à
rapprocher du passage de Parménide (cf. sous [n12] 28 B 16, 2).
Pour la seconde on peut comparer le <@ØH aux nDX<gH qui
restent en étroite relation avec l’état du corps (cf. sous [ph1] 19,
3, également [ph15] 88 B 6, 16). L’interprétation d’Untersteiner
met l’accent sur le caractère du <@ØH qui peut être considéré
comme para–corporel: – <@ØH: vale «come organo del corpo»,
creato secondo una sua nbF4H •<"(6"\" a una particolare
funzione. Qui (8äFF", Fä:", Ð::" e <@ØH sono collocati da
Crizia su di un medesimo piano.3 Le <@ØH compris donc comme
une catégorie non exclusivement intellectuelle n’a rien d’excep-
tionnel. Cela fait penser à la même acception chez Antiphon, on
vient de le voir. Si les deux derniers des Présocratiques et
contemporains de Socrate considéraient le <@ØH comme tel, on
ne peut exclure les mêmes acceptions de ce mot – surtout dans les
contextes anthropologiques – chez les autres Présocratiques.
1
Cf. DK 22 B 117: •<¬D Ò6`J"< :ghLFh−4 (...) Fn"88`:g<@H (...)
ß(D¬< J¬< RLP¬< §PT<. (l’homme lorsqu’il est ivre (...) chancelle (...) il a une
âme humide.)
2
Freeman: mind | DK: Geist | Untersteiner: mente | Levin: reason | Poirier:
esprit.
3
Cf. M. Untersteiner, Sofisti ... , t. 4, p. 264.
1K9?E – MC/; – ;??E 127
Conclusion analytique
Le hL:`H est associé à la notion de force mais il l’est aussi
à la force directrice et à tout ce qui subit des souffrances. C’est un
facteur autonome mais qui pose parfois des problèmes d’où la
question de le limiter ou de le maîtriser. Les Présocratiques ne
disent pas ce qui doit s’opposer au hL:`H ni n’indiquent où se
trouvent les limites du mouvement du hL:`H. Contrairement à ce
qu’on pourrait penser, vu les opinions répandues sur le soi–disant
rationalisme grec, les Présocratiques n’attribuent pas ce rôle de
retardement à une instance comme raison ni même à la nDZ< ou
au <`@H, etc. Il reste donc à savoir quelles sont les limites de
cette autonomie.
Ce qui est affirmé de manière nette chez les Présocratiques
c’est que le hL:`H l’emporte sur les autres dynamismes
psychiques. Cette force rapide et spontanée n’est pourtant pas
forcément aveugle. Autre élément important à signaler, c’est que
chez les Présocratiques on ne constate pas de rapport du hL:`H
avec le corporel. C’est donc une spontanéité purement incorpo-
relle et psychique. Son composant réflexif (la réflexivité spon-
tanée) est visible lorsque le hL:`H est responsable de direction
d’action. Mais s’il est responsable de la direction d’action il ne
l’est pas moins du choix de cette direction.
128 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Cf. M. Simondon, La mémoire et l’oubli ... , p. 95 : La mémoire affective
et cognitive se distingue de la mémoire d’action en ce sens qu’elle est essentiel-
lement mémoire du passé (...).
1K9?E – MC/; – ;??E 129
1
Cf. G. Jäger, “NUS” in Platons Dialogen, p. 173: Ahnlich ist es bei De-
mokrit: Bei ihm durchleuchtet der <@ØH (= nDZ<) in einem sehr vielschichtigen
Vorgang die Sinneswahrnehmungen und erfährt so Wahrheit.
130 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
à l’état pur est observé lorsqu’il est un sujet du désir mais aussi là
où il est exposé à des hésitations.
Tantôt le <`@H connaît tout, tantôt il existe des objets qu’il
ne peut pas connaître. D’une part il connaît ce qui est divin,
d’autre part il peut se montrer aveugle. De même dans le domaine
moral: faillible et aveugle, produisant le mal ou connaissant tout,
protégeant du mal et orienté vers le perfectionnement. C’est un
outil (sujet) de l’intuition vers le bien et le bonheur, il désire et
projette des dessins. Il est donc ambigu. Mais compte tenu d’un
horizon aussi vaste on peut dire que c’est un sujet de connais-
sance, de pensées et de sentiments. Il a plusieurs fonctions: il est
capable de voir et de connaître, de penser et de comprendre, de
sentir et d’éprouver, de désirer et de décider, de mémoriser et se
souvenir1.
1
Cf. F. Nietzsche, La philosophie à l’époque tragique des Grecs, p. 232:
(...) ce mouvement était inséparablement lié aux actes de la volonté, tout comme
à la colère, à la crainte et au désir. Tous ces affects suscitent la volonté et, par
là, le mouvement. La langue grecque (...) a fourni un mot qui, dans ce sens le
plus large, englobe tout ce que nous comprenons par esprit, entendement,
volonté, désir, émotion, âme: le Nous désigne, d’après la terminologie schopen-
hauérienne, à la fois l’entendement et le “vouloir”.
1K9?E – MC/; – ;??E 131
(...) ces états sont dans la vie plus profonds que d’autres,
et sont inanalysables à cause de cela même (...)
Marcel Proust
Introduction
Que peut–on dire à présent, une fois effectuées les analyses
des cinq mots pris en considération? Les deux mots indiqués par
les dictionnaires sont extrêmement rares dans les fragments des
Présocratiques. Les trois mots de provenance homérique sont
plus fréquents et décrivent dans les fragments des Présocratiques
les différents aspects de la vie psychique, d’ordinaire en rapport
avec l’affectivité, plusieurs fois désignant ce qu’on appelle
aujourd’hui sentiment, émotion, fonction affective ou dynamisme
affectif. Cependant aucun de ces trois mots, et encore moins les
deux premiers, "ÇFh0F4H et BVh@H, – bien qu’ils saisissent le
monde des sentiments dans sa pluralité de niveaux – n’a trait au
niveau le plus élévé de l’affectivité où aussi bien le sentiment que
la pensée sont pris dans leurs dimensions intégrales univoques.
D’où cette question: manque–t–il effectivement aux Présocra-
tiques le mot, et alors non seulement le mot mais aussi le concept,
décrivant le sentiment à son niveau le plus haut, dépourvu
d’ambiguïté et de caractère hétéronome, à savoir ce qui pourrait
correspondre à la catégorie de vécu, catégorie devenue philoso-
phique et analysée par la phénoménologie?
Trouver le mot grec correspondant est encore plus difficile
que ce l’était pour le mot sentiment. Mais cela ne devrait pas
étonner, étant donné que même au passage d’une langue moderne
à une autre apparaît ce problème de correspondance. Ce n’est
donc pas simplement et uniquement le cas de différence entre les
temps modernes et l’Antiquité, mais également de différence de
représentation entre les langues qui sont synchroniques et souvent
voisines.
134 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie.
2
Cf. E. Husserl, Idées ... – Glossaire: Erlebnis, erleben, Erlebnisstrom = le
vécu, vivre, flux du vécu.
3
Cf. M. Grevisse, Le bon usage, p. 445. Cf. aussi Le petit Larousse
illustré, p. 1057 qui l’explique: expérience réellement vécue; ensemble des faits,
des événements de la vie réelle.
4
E. Husserl, Ideas ... – Analytical Index, p. 437. Cf. aussi M. Scheler, For-
7?'?E 135
1
M. Heidegger, Logos (Héraclite, fragment 50), pp. 251–252. Au terme de
son analyse, pp. 274–275, il arrive à traduire 8`(@H par «Pose qui recueille».
Cf. aussi M. Heidegger, Heraklits Lehre vom Logos, p. 378: 8`(@H, 8X(g4< ist
Lese, lesen, Sammlung, sammeln.
2
M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, p. 132. Cf. aussi G. Mes-
sina, 7`(@H come archetipo ... , p. 388: Ma l’atto materiale del raccogliere con-
siderato nella sua continuità (...) implica di per sé una valutazione qualitativa e
quantitativa degli oggetti da raccogliere (...).
3
Cf. Il. XV, 393: ½FJ` Jg 6"Â JÎ< §JgDBg 8`(@4H (...) (il a assis et l’a
réjouit avec les paroles) et Od. 1, 56: "Æg *¥ :"8"6@ÃF4 6" "Ê:L8\@4F4 8`-(
(@4F4. (toujours avec des paroles douces et séduisantes). Peut–être par trop loin
quand même. Il serait à noter que dans les deux cas les paroles ont trait à un
certain contenu avec un fond d’affectivité: elles ont un pouvoir de réjouir et de
séduire. Cf. A. Martin & O. Primavesi, L’Empédocle de Strasbourg, p. 308, n. 3:
Les deux occurrences homériques du substantif 8`(@H (les deux fois au pluriel)
qualifient des paroles destinées à distraire un interlocuteur blessé ou triste (...).
7?'?E 137
8`(@H
LSJ 3 measure (...) 4 esteem, consideration, value (...) worth (...) II rela-
tion (...) III 5 reason, ground (...) IV inward debate of the soul (...) 1
(...) reflection, deliberation (...) theory, abstract reasoning with out-
ward experience (...)
Węclewski (...) odpowiedzialność (...) rozwaŜenie, zastanowienie, mniemanie
(...) wzgląd, szacunek (...) władza myślenia, rozumne myślenie,
rozum
Bailly (...) langage (...) décision, résolution (...) discussion (...) sujet
d’entretien (...) raison (...) ce qu’on peut surtout saisir par la
raison (...) estime (...) évaluation
Rocci (...) II. ragione (...) facoltà intellettiva; intelligenza (...) buon senso
(...) stima (...) valutazione (...)
Frisk Berechnen, Rechenschaft, Berechnung, Ansehen, Grund, Vernunft
(...)
Chantraine propos, paroles (...) récit, compte, considération, explication, rai-
sonnement, raison, parole1
LPP word/speech (Xenoph. 1, 14; Parm. 1, 15; Democr. 53a; 55; 82;
110, 145; 177) (...) discourse (Xenoph. 7, 1; Heracl. 87; Parm. 8,
50; Melissos 8), Emped. 4, 3; 17, 26; 35, 2; 131, 4; Philol. 11; Diog.
1; Democr. 7; 76; 181; 190 (...) reason (Heracl. 1; 2; 50; 72 || 45;
115; Democr. 53; 146) (...) measure/proportion (Heracl. 31; Philol.
11; Arch. 2) (...) report/fame (Heracl. 39) (...) reason/critical ability
(Parm. 7, 5; Anaxag. 7) (...) discourse/argumentation (Heracl. 108;
Zenon 1; Melissos 7, Democr. 51) (...) reason/reasoning (Philol. 16)
(...) ground/cause (Leuc. 2)2
1
Tous les sens donnés.
2
Tous les sens donnés.
3
In: H. Diels & W. Kranz, Die Fragmente ... , t. 3, pp. 257–262.
4
O. Güthling, Langenscheidts Grosswörtebuch griechisch, t. 2, p. 152.
5
De même le dictionnaire de K. Schenkl, Deutsch–Griechiesches Schul–
Wörterbuch, p. 240. S. C. Woodhouse, English–Greek Dictionary ... , p. 294
138 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
D’abord dans le Phédon, puis dans la République, ensuite dans le Phèdre,
enfin le Timée. Cf. W. Lutosławski, The Origin and Growth of Plato’s Logic ... .
Autrement T. M. Robinson, Plato’s Psychology qui place le Timée avant le
Phèdre et l’explique, p. 59, ainsi: As far as dating is concerned, I shall argue
that it makes slightly more sense of the development of the notion of soul in
Plato’s writings if we take the dialogue [Timaeus] as following closely upon the
Republic. Cf. aussi p. 63, n. 20: The researches of L. Campbell and W. Lutos-
lawski are outstanding in this field. Most scholars would now accept, I think,
that the dialogues fall into the following number of groups (...) Till recent times
the Timaeus had been presumed to belong to (d) or late (c), but I tentatively
follow G. E. L. Owen (...) in seeing it rather as the crowning work of the Repub-
lic group, followed closely by the Phaedrus.
2
Sous forme de hL:@g4*XH.
3
J’utilise – ici et ailleurs – le mot partie à titre d’exemple sans décider s’il
s’agit d’une vraie partie ou plutôt d’une fonction, d’un domain, etc. Cf. J.
Moline, Plato’s Theory of Understanding, p. 53: These parts have been termed
“faculties,” “principles,” “activities,” “aspects,” “instances,” and “levels” of
the psyche. Et il explique: Perhaps the most common of these confusions results
from the suggestion that the parts of the psyche posited by Plato were faculties–
“powers” or “capacities” in the order of those posited by Aristotle and modern
psychologists.
4
LSJ, p. 1056.
5
Platon, Rép. 435 b 5.
140 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
Platon, Rép. 440 e 9–10 & 441 a 2.
2
De trois parties [à savoir: 8@(4FJ46`< – ¦B4hL:0J46`< – hL:@g4*XH]
trois plaisirs me semblent être, chacun de chacune; les désirs et les principes de
même (...) Et des plaisirs trois formes, un subsistant pour chacun d’eux.
3
Cela fait penser aux Présocratiques qui utilisent des métaphores ou un
langage poétique pour parler du hL:`H (cf. [t2] 22 B 85, [t4] 28 B 1). Platon, de
même, élabore une allégorie: Phdr. 246 a 6–249 d 3 & 253 c 7–256 a 6.
4
On pourrait dire que la description du Phèdre est plus élaborée et dyna-
mique par rapport à la description statique de la République.
5
Platon, Phdr. 253 e 5–254 a 1: ÓJ"< *r @Þ< Ò º<\@P@H Æ*ã< JÎ
¦DTJ46Î< Ð::", B÷F"< "ÆFhZFg4 *4"hgD:Z<"H J¬< RLPZ<, ("D("84F-
:@Ø Jg 6"Â B`h@L 6X<JDT< ßB@B80Fh±, Ò :¥< gÛBg4h¬H Jè º<4`På Jä<
ËBBT< (...) (lorsque le cocher voit l’image d’amour, par la sensation il a
échauffé toute l’âme, il est remplit de chatouillement et d’aiguillons de la nos-
talgie, le cheval celui des deux qui obéit au cocher (...)).
6
Cf. Platon, Phdr. 246 a 3–4: BgDÂ *¥ J−H Æ*X"H "ÛJ−H ô*g 8g6JX@< &
253 c 7–8: ¦< •DP± J@Ø*g J@Ø :bh@L JD4P± *4g\8@:g< RLP¬< ©6VFJ0<. Le
plan général sera repris au 254 e 8–9: J¬< J@Ø ¦D"FJ@Ø RLP¬< (...)
"Æ*@L:X<0< Jg 6"Â *g*4LÃ"<. (l’âme de l’amant suit l’aimé avec angoisse et
crainte).
7?'?E 141
1
Cf. Platon, Phdr. 253 e 5–254 a 3: Ò º<\@P@H Æ*ã< JÎ ¦DTJ46Î<
Ð::", B÷F"< "ÆFhZFg4 *4"hgD:Z<"H J¬< RLPZ< (...) Ò :¥< gÛBg4h¬H Jè
º<4`På Jä< ËBBT< (...) Ò *¥ (...).
2
Cf. par ex. A. W. H. Adkins, From the Many to the One ... , p. 133: The
analysis of the Republic is reinforced by the brilliant picture, in the Phaedrus
myth (...). Autrement P. Natorp, Dottrina platonica delle Idee ... , p. 562 pour qui
la tripartition de l’âme du Phèdre ne correspond pas à celle de la République.
Suivent les arguments, par ex.: I due corsieri del cocchio dell’anima non
possono affatto essere interpretati come l’¦B4hL:0J46`< e il hL:@g4*XH della
Repubblica. Natorp a–t–il raison de dire que nel Fedro non è dato mai trovare la
più fioca allusione a un hL:`H o hL:@g4*XH come parte autonoma dell’anima
(...) (p. 563) – ne serait–ce pas le cas du cheval blanc? Peut–être le raisonnement
de Natorp est–il déterminé par le fait qu’il place le Phèdre avant la République:
quella [classificazione] del Fedro può essere intesa come remota prefigurazione
della tripartizione della Repubblica (p. 565).
3
Platon, Rép. 589 a 7–b 1: un homme à l’intérieur de l’homme.
4
Le syntagme est presque identique: B÷F"< ["ÆFhZFg4 *4"hgD:Z<"H]
J¬< RLPZ< versus B÷F"< [§$Dg>g] J¬< RLPZ<.
5
Cf. Platon, Phdr. 254 c 4: •Bg8h`<Jg *¥ •BTJXDT, Ò :¥< ßBr "ÆFPb-(
<0H Jg 6"Â hV:$@LH Ê*DäJ4 B÷F"< §$Dg>g J¬< RLPZ<, Ò *¥ 8Z>"H J−H
Ï*b<0H (...) (ils s’en vont plus loin, l’un par la honte et la stupeur ayant mouillé
toute l’âme, l’autre ayant cessé la douleur)
6
Et voilà qu’"Æ*fH est commune au cheval blanc (253 d 6: ¦D"FJ¬H (...)
142 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
Ainsi l’on voit que le cocher, mais aussi le cheval blanc, est
différencié intérieurement par une âme – lui–même étant une des
parties de l’âme dont il est question dans l’allégorie. Voilà pour-
quoi il faut dire qu’au moins un des trois éléments est différencié
intérieurement. Cet élément c’est la partie supérieure1 de l’âme.
Puisqu’elle est représentée par le cocher, donc par un homme, il
est manifeste qu’il doit être un sujet des facultés cognitives, de la
faculté de calculer, d’une capacité de perception mais aussi qu’il
doit éprouver des sentiments. En effet, le cocher voit l’image
d’amour2, est doté de perception3, garde des souvenirs4, a une
intuition5, mais également ressent des sensations corporelles,
telles que l’échauffement6 et le chatouillement7, et psychiques,
telles que la nostalgie8, l’indignation9, l’angoisse et la sainte–
crainte10. Enfin, et littéralement, le cocher ressent une passion11.
Ce qui peut surprendre plus que la description platonicienne
même c’est qu’en général le fait ne soit pas pris en considé-
ration12. Je ne connais qu’une exception à la tendance d’identifier
Héraclite
Héraclite est le premier auteur présocratique dont les frag-
ments témoignent explicitement du sens psychologique du mot
8`(@H. Dans deux de ses fragments il est attesté à côté du mot
RLPZ1. La question d’intérêt historique serait celle–ci: Héraclite
est–il le premier à formuler une théorie ou du moins une intuition
explicite au sujet du 8`(@H de la RLPZ ou bien a–t–il utilisé les
théories de ses prédécesseurs? En autres termes: qui est l’auteur
du 8`(@H de la RLPZ? Est–ce Héraclite2? On ne peut pas
l’exclure du fait que les deux mots sont parmi les plus fréquents
dans ses fragments3.
[logos1 = l1] 22 B 45
[l2] 22 B 115
[l3] 22 B 87
[l4] 22 B 39
[l5] 22 B 72
[l6] 22 B 2
[l7] 22 B 50
[l8, l9] 22 B 1
Voici le premier passage conservé où le 8`(@H se trouve à
côté de la RLPZ: RLP−H Bg\D"J" Æã< @Û6 —< ¦>gbD@4@,
B÷F"< ¦B4B@DgL`:g<@H Ò*`<q @àJT $"h×< 8`(@< §Pg4.
(22 B 45: en allant tu ne trouverais pas les limites de la psyche,
1
La perspective radicalement différente de celle de S. M. Darcus, Logos of
Psyche in Heraclitus, p. 90: logos in Heraclitus means «ordered speech» (...) in
all fragments [= 1, 2, 31, 39, 45, 50, 72, 87, 108, 115] except fragment 31 (...)
«proportion» or «measure» and B39 («reputation» or «esteem»). Et p. 91: If
logos is speech, then Heraclitus is like Xenophanes in ascribing speech to
psyche.
2
Ou les Orphiques? L’argument en faveur de cette supposition est l’idée du
un–tout qui faisait un des fondement de l’enseignement orphique (cf. DL I, 3 [=
DK 2 A 4]: nV<"4 Jg ¦> ©<ÎH J BV<J" (\<gFh"4 6"Â gÆH J"ÛJÎ< •<"8b-(
gFh"4) et qui a été reprise par Héraclite de manière la plus visible dans le frag-
ment DK 22 B 50: (...) ¦FJ4< «< BV<J" gÉ<"4 (...), mais aussi dans le DK 22 B
10: (...) 6"Â ¦6 BV<JT< «< 6"Â ¦> ©<ÎH BV<J". Cf. aussi les fragments d’Empé-
docle 31 B 17, 7, 31 B 26, 5–6 et 31 B 35, 5. Pour d’autres arguments cf. W.
Nestle, Heraklit und die Orphiker, p. 380: Dies ist die letzte Beziehung Heraklits
zu den Orphikern, die hier noch kurz eroertert werden soll. Pour M. Fattal, Le
logos d’Héraclite: un essai de traduction, p. 150: (...) la philosophie d’Héraclite
n’est–elle pas également la première philosophie du logos?
3
Le troisième, plus fréquent encore, est –<hDTB@H.
146 SUR LE SENTIMENT CHEZ LES PRESOCRATIQUES
1
LSJ: reason, ground | Chaignet: essence rationnelle | Burnet: measure |
Hicks: cause | Freeman: Law | Krokiewicz: sens | DK: Sinn | Pasquinelli: la sua
vera essenza | Wheelwright: meaning | Voilquin: [tellement elles sont profondé-
ment enfoncées] | Genaille: – | Marcovich: measure | Nussbaum: capacity of
learning | Kahn: report | Colli: espressione | Kirk – Raven – Schofield: measure |
Robb: [deliberately polysemous] measure ... verbal account ... reason(ing) or
cognitive effort | Conche: discours | Robinson: measure | Gilabert i Barberà: raó |
Mouraviev: parole | Schofield: account | Padel: account | Rankin: rational struc-
ture | Sullivan: ‘speech reflecting thought’ | Brunschwig: [non sans hésitation]
verbe.
2
Cf. J. St. Mill, A System of Logic Ratiocinative and Inductive, t. 1, Book
1, ch. 8, § 6: (...) definitions of names, and definitions of things. The former are
intended to explain the meaning of a term; the latter, the nature of thing; the last
being incomparably the most important. Et avant Mill, Platon, Cratyle 439 b 6–
8: •("B0JÎ< *¥ 6"Â J@ØJ@ Ò:@8@(ZF"Fh"4, ÓJ4 @Û6 ¦> Ï<@:VJT< •88
B@8× :÷88@< "ÛJ" ¦> "ßJT< 6"Â :"h0JX@< 6"Â .0J0JX@< ´ ¦6 Jä<
Ï<@:VJT<. (il est préférable de s’accorder quant à cela: que ce n’est pas à
partir des noms mais beaucoup plus des choses elles–mêmes qu’il faut
apprendre et chercher que des noms.)
7?'?E 147
du, t. 3, p. 883: (...) ces états sont dans la vie plus profonds que d’autres, et sont
inanalysables à cause de cela même (...).
1
T. M. Robinson in: Heraclitus, Fragments, p. 110: ‘unbounded’ (in the
sense, of course, not of ‘infinitely large in extent’, but of ‘immensely large in
extent’ (...) ‘unbounded’ in the sense, perhaps, that the vaste range of its cog-
nitive capacities can never be discovered by any individual.
2
Le 8`(@H de la RLPZ n’est pas le seul qui aime se cacher. Selon Héra-
clite c’est le cas de la nbF4H, cf. DK 22 B 123: nbF4H 6DbBJgFh"4 n48gÃ. En
revanche, ce qui a tendance à se manifester c’est le hL:`H, cf. [t2] 22 B 85 et [t3
= n6] 23 B 43.
3
LSJ: measure, tale | Freeman: Law | Krokiewicz: sens | DK: Sinn | Pasqui-
nelli: una natura | Wheelwright: principle | Marcovich: (numerical) ratio | Kahn:
report (logos) | Colli: espressione | Robb: [plausibly polysemous] a measure ...
an account/report ... a reason(ing) | Conche: discours | Robinson: logos (meas-
ure, proportion) | Mouraviev: parole | Sullivan: ‘speech reflecting thought’.
4
Cf. T. M. Robinson in: Heraclitus, Fragments, p. 156: This fragment (...)
seems sufficiently different in content from fragment 45 to be considered not just
an echo of it. (...). Et pour M. Marcovich, On Heraclitus, p. 29: it might be
spurious (...) et M. Marcovich, Heraclitus, pp. 567–569: suspected of not being
genuine (...) Nevertheless I think that the saying might be spurious.
5
Le sujet du verbe ¦>gbD@4@ étant tu.
6
Cf. D. Rankin, QLPZ and 8`(@H in Heraclitus ... , p. 293: It does not say
7?'?E 149