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Cet ouvrage a été conçu sous la direction

de Jacqueline RUSS

Noëlla BARAQUIN, Anne BAUDART


Jean DUGUÉ, Jacqueline LAFFITTE
François RIBES, Joël WILFERT

DICTIONNAIRE
de philosophie

Quatrième édition revue et augmentée


Crédit de couverture : Statue de marbre blanc ; Araf © Fotolia.com

© Armand Colin, 1997


© Armand Colin, 2005, 2011, 2018
Armand Colin est une marque de
Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.armand-colin.com
ISBN 978-2-200-62319-7
Abréviations
TERMES ET EXPRESSIONS myth. mythologie
neurosc. neurosciences
adj. adjectif
ont. ontologie
anth. anthropologie
opp. opposition
art. article pa. partie
bio. biologie péj. péjoratif
ch. chapitre phén. phénoménologie
cogn. cognitif phil. philosophie
conc. conclusion phy. physique
conf. conférence pol. politique
cor. corollaire pop. populaire
déf. définition p. pas. participe passé
éco. économie pré. préface
écol. écologie post. postface
éd. édition prop. proposition
épis. épistémologie psy. psychologie
esth. esthétique psycha. psychanalyse
ethn. ethnologie psychia. psychiatrie
etho. éthologie rè. règle
ext. extension rel. religion
gén. général rem. remarque
gram. grammaire rhé. rhétorique
hist. histoire sc. cogn. sciences cognitives
inf. information scou. sens courant
int. introduction se. section
jur. juridique sgén. sens général
leç. leçon soc. sociologie
li. livre subst. substantif
ling. linguistique syn. synonyme
log. logique t. tome
masc. masculin tech. technologie
math. mathématique théo. théologie
méd. méditation trad. traduction
métaph. métaphysique vol. volume
mor. morale vul. vulgaire

ÉDITEURS Ch Fl Champs-Flammarion
DDB Desclée de Brouwer
M Aubier Montaigne E Gal Les Essais Gallimard
BL Les Belles Lettres ES Éd. sociales
BTP Vr Bibl. des textes philos., Vrin FE Gal Folio Essais Gallimard
ABRÉVIATIONS

F Gal Folio Gallimard NRF Gal NRF Gallimard


Fl Flammarion PBP Petite Bibliothèque Payot
Ga Garnier Pl Gal Pléiade NRF Gallimard
Gal Gallimard Pt S Points Seuil
GF Garnier Flammarion Q PUF Quadrige PUF
Id Gal Idées-Gallimard QS PUF Que sais-je ? PUF
In Na Les Intégrales-Nathan T Gal Tel Gallimard
LP Le Livre de poche
Le signe ➢ renvoie à une entrée.
Avant-propos
Ce dictionnaire de philosophie s’adresse, en priorité, aux étudiants des facultés – du
DEUG aux agrégations –, aux candidats des Grandes Écoles, mais aussi à tous ceux
qui s’intéressent à la recherche philosophique, à l’analyse des notions et des concepts
qui commandent la culture et l’évolution des idées, à l’étude des termes spécialisés sans
lesquels nulle lecture intelligente ne s’avère possible. Pour quelle raison va-t-il être utile à
tous, étudiants, chercheurs, grand public cultivé désireux de s’instruire ? Sa méthode et
son approche sont rigoureusement nouvelles.
Voici un dictionnaire qui procède selon une méthode inédite : si tous les dictionnaires
de philosophie s’attachent aux diverses acceptions des termes philosophiques en fonction
des différents auteurs qui ont recouru à ces termes, nous avons apporté un type d’ap-
proche original, en fournissant, de surcroît, des informations essentielles extraites des
textes mêmes des auteurs ou renvoyant systématiquement à ces passages. Ainsi les étu-
diants peuvent-ils compléter leur culture au moyen de citations ou de références précises.
De ce point de vue, notre dictionnaire est une invitation à la culture et à la réflexion.
Son caractère novateur apparaît donc ici pleinement. Nous avons voulu faire retrouver à
nos lecteurs les définitions et les citations de base présentes dans les textes importants de
l’histoire de la philosophie. L’exacte compréhension de chaque terme appelle une lecture
méthodique des grands penseurs. Ainsi notre dictionnaire se présente-t-il comme un
véritable outil pédagogique, rigoureusement inédit, très utile pour une dissertation, un
exposé, une explication de textes, etc.
En bref, voici un dictionnaire qui se veut à la fois ouvrage de référence et invitation à la
lecture. C’est un instrument indispensable pour pénétrer dans le mouvement de la pen-
sée et des idées philosophiques, mais aussi dans la vie des idées en général, scientifiques,
esthétiques, etc. Voici donc un compagnon de travail nécessaire, destiné à accompagner
chacun, dans son voyage au pays des idées et de la pensée. Rédigé dans un style limpide,
il constitue une excellente introduction à l’exercice de la réflexion1.
Jacqueline Russ

1. Vous trouverez page 535 la liste des entrées par auteur (Noëlla Baraquin, Anne Baudart, Jean Dugué,
Jacqueline Laffitte, François Ribes, Joël Wilfert).
ABRÉACTION

et gagne en ouverture ce qu’elle perd en


ABDUCTION rigueur.
Du latin abductio, action d’emmener. Sa non-correspondance aux règles de la
Dite aussi Rétroduction ou Inférence à la logique formelle, aux modèles computa-
meilleure explication. tionnels de l’esprit (ordinateurs, réseaux
Épis., informatique, log., sc. : troisième de neurones), inscrit l’abduction dans la
type de raisonnement, distinct de la capacité de certains processus cognitifs à
déduction et de l’induction : devant un construire les représentations symboliques
fait surprenant, inférer une hypothèse à de leurs propres connaissances, à inventer
partir d’une ou deux prémisses et en tirer des réponses adaptées aux dissonances que
une conclusion vraisemblable bien que l’esprit perçoit entre ses comportements
non rigoureusement logique. Ex. : les et ses projets (« Principe d’action intel-
intuitions du détective ; la découverte de la ligente » de J. Dewey). L’homme, plus
théorie cinétique des gaz ; de la cause de la « raisonnable » que « raisonneur », obéirait
fièvre puerpérale par Semmelweis (1848). à une conception ouverte de la logique,
Charles Sanders Peirce (1839-1914) a non contrainte par les formalismes syllo-
nommé abduction cette démarche intel- gistiques et la vérité formelle, disponible
lectuelle qui figurait dans la logique d’Aris- à l’univers du possible et du probable. On
est là dans l’ordre des connaissances « fai-
tote (384-322) comme le syllogisme dont
sables », non justifiées par des démonstra-
la majeure est certaine mais la mineure
tions, mais par des argumentations dont la
probable, et donc aussi la conclusion. Il
force est d’être constructibles et reproduc-
y perçoit « un aperçu créatif (a creative
tibles (tradition anticartésienne du Verum
insight) pour résoudre un problème sur- est factum de G. B. Vico, 1668-1744).
prenant », dont la logique est inverse de (➢ CONSTRUCTIVISME, HEURISTIQUE)
l’induction, laquelle ne met à l’épreuve que
 Allamel-Raffin C., Gangloff, J.-L. La
ce qui lui est soumis et n’accueille donc pas Raison et le réel, Ellipses, p. 75 sq.
d’hypothèses tout à fait neuves. Aristote, Organon III. Premiers analytiques,
C’est le seul mode de raisonnement qui Vrin, II, 25, p. 316-318.
sollicite la créativité, la recherche d’idées Chomsky N., Le Langage et la pensée, Payot,
p. 197.
nouvelles : il infère de causes inobservables Eco U., Les Limites de l’interprétation, Grasset,
à partir d’effets observables, il rompt avec p. 248-285.
le plan de l’observation empirique. Avant Fodor J., L’Esprit, ça ne marche pas comme ça,
Peirce, on interprète la science comme une Odile Jacob, p. 71 sq.
démarche hypothético-déductive utilisant Le Moigne J.-L., Les Épistémologies constructi-
vistes, QS PUF, p. 87-90.
l’induction et la déduction. Or l’hypothèse Peirce C. S., Pragmatisme et sciences normatives,
par abduction n’est pas une généralisa- Cerf, p. 291.
tion sur le même plan que les faits. Elle Saint-Sernin B., La Raison, QS PUF, p. 41-50,
demande imagination, intuition, génie et 54, 110-111.
peut être utilisée pour justifier l’induction. Tiercelin C., C. S. Peirce et le pragmatisme,
PUF, p. 95 sq.
Selon Umberto Eco, elle montre qu’« il n’y
a pas de différence (au plus haut niveau)
entre la froide intelligence spéculatrice et ABRÉACTION
l’intuition de l’artiste ». Une grande part
de notre intelligence fonctionne sur le De l’allemand abreagieren. Néologisme
forgé par Breuer et Freud.
mode de la suggestion et de la supposition,

7
ABSOLU

Psycha : procédé thérapeutique proposé  Descartes R., Règles pour la direction de


par Freud et Breuer au début des Études l’esprit, in Œuvres. Lettres, Pl Gal, rè. VI, p. 53.
sur l’hystérie. L’abréaction est la décharge 3. Totalité dans son autodéploiement :
émotionnelle accompagnant la remémo- 3-1. Chez Spinoza : substance infinie
ration de l’événement traumatique qui a dotée d’une infinité d’attributs manifes-
déclenché le symptôme. tant son essence (dont la Pensée et l’Éten-
Cette décharge d’affect engendre un due).
effet de catharsis, dont le but est la sup- Spinoza inaugure une conception de
pression du caractère pathogène de l’évé- l’auto-développement de l’absolu, tout être
nement traumatique oublié. étant engendré par la nécessité interne de
 Freud S. et Breuer J., Études sur l’hystérie, la substance.
PUF, ch. 1, p. 1 sq.  Spinoza B., Éthique, in Œuvres complètes, Pl
Gal, li. I, p. 365-390.
3-2. Chez Hegel : totalité des média-
ABSOLU tions par lesquelles la substance-sujet s’au-
Du latin absolutus, p. pas. de absolvere : toréalise et se comprend.
séparer de, achever. Solvere : délier, affran- La substance selon Hegel est devenir
chir. de soi. L’absolu est donc processus de
Phil. réflexion sur soi et résultat de ce processus
1. Opp. à relatif : ce qui est hors de toute d’autoréflexion.
relation, existe en soi et par soi ; d’une  Hegel G. W. F., Phénoménologie de l’esprit,
part, ontologiquement, dans sa complète trad. J. Hyppolite, Aubier, t. I, p. 15-16, 18, 19,
autosuffisance ; d’autre part, sur le plan 67 ; t. II, p. 311-315.
Hegel G. W. F., Encyclopédie des sciences philoso-
de la connaissance, indépendamment de phiques en abrégé, Gal, § 575, 576, 577, p. 499
la représentation qu’on en a. Tels sont le sq.
Bien de Platon – au-delà de l’essence –, la
substance spinoziste autosuffisante, et la
chose en soi de Kant, condition de possi- ABSTRACTION
bilité des phénomènes. Du latin abstractio, de abstrahere : détacher
 Spinoza B., Éthique, in Œuvres complètes, Pl de.
Gal, li. I, déf. 3, p. 366.
Kant E., Analytique des principes, Critique de la
1. Log. : opération qui permet de for-
raison pure, PUF, p. 207 sq. ; « Solution de l’idée mer, à partir d’une expression contenant
cosmologique III », p. 394 sq. plusieurs variables libres, une expression
2. Dans le contexte d’une autonomie d’un autre type, dite « abstraite », qui sera
croissante de la subjectivité et de la pensée interprétée selon les cas comme une classe,
rationnelle, l’absolu désigne chez Descartes une relation, un ensemble, une fonction
le terme simple, le principe ultime fonda- ou une expression prédicative.
teur de vérité, idée claire et distincte, objet 2. Épis., phil. :
d’une intuition intellectuelle : 2-1. Opération qui consiste soit à consi-
2-1. Dans l’ordre de la découverte : l’ab- dérer à part une propriété ou une relation,
solu ultime est l’évidence du cogito. soit à détacher une propriété ou une rela-
2-2. Dans l’ordre ontologique, l’absolu tion de son support.
est l’idée d’infini, c’est-à-dire de Dieu, en 2-2. Objet de pensée, concept, résultat
tant qu’il garantit l’existence de la vérité. de l’opération d’abstraction. Chez Kant,

8
ACCULTURATION

l’un des trois actes de l’entendement qui tations existentielles et est employée sou-
produit les concepts. vent comme substantif : l’Absurde. L’expé-
 Aristote, La Métaphysique, trad. Tricot, rience de l’absurde est au centre de l’exis-
Vrin, t. II, M, 3, 1077b-1078b, p. 727-733. tentialisme. Il est le caractère de l’existence
Aristote, Organon. Seconds analytiques, Vrin, I, en tant qu’échappant à toute tentative de
18, 81b, p. 95-97.
Kant E., Logique, Vrin, p. 103.
compréhension et de justification.
Kant E., Réponse à Eberhard, Vrin, p. 44-45.  Schopenhauer A. Le Vouloir vivre, textes
Husserl E., Recherches logiques 2, PUF, 1re pa., choisis par A. Diez, PUF, ch. 4, p. 92-94.
p. 127-258. Kierkegaard S., Post-Scriptum définitif aux
2-3. Péj. : usage illégitime de l’abstrac- miettes philosophiques, OC TX, p. 196 sq.
tion : a) éloignement excessif du réel ; Sartre J.-P., L’Être et le néant, Gal, p. 125-127,
536, 642, 708.
b) ignorance de l’origine sensible des idées, Camus A., Le Mythe de Sisyphe, FE Gal, p. 39,
selon la critique empiriste. 44, 45, 49.
 Condillac E. de, Traité des systèmes, in Rosset C., L’Anti-nature, PUF, p. 70-75.
Corpus général des philosophes français I, PUF,
Œuvres philosophiques de Condillac, p. 122. ‫ ڡ‬Dérivés
• Raisonnement par l’absurde
ABSURDE Il justifie une proposition en montrant
Du latin ab, surdus : sourd, dissonant, dis- que sa négation conduit à une contradic-
cordant, incohérent. tion.
1. Adj. • Réduction à l’absurde
1-1. Scou. : contraire à la raison et au
bon sens ; aberrant, déraisonnable. Opération qui consiste à rejeter une
1-2. Log. : non conforme aux lois de la assertion en montrant qu’elle aboutit à des
cohérence et de la logique. Est dite absurde conséquences absurdes.
toute idée renfermant une contradiction
interne.
ACCIDENT
À distinguer de « faux », qui ne pré-
cise pas en quoi une proposition n’est pas Du latin accidere : survenir, arriver par
conforme à la vérité rationnelle et qui peut hasard.
ne pas être contradictoire. Phil. : ce qui s’oppose à l’essence et à la
À distinguer de « non-sens » : le non- substance pour désigner ce qui existe non
sens ne satisfait pas aux règles d’une gram- en soi-même mais en autre chose et révèle
maire générale, plus précisément de la « les manières particulières d’exister de la
syntaxe (ex. : « Rond un ou ») ; l’absurde substance ». Le sens logique en découle : ce
respecte les règles de grammaire, mais qui peut s’affirmer d’un sujet, mais n’est ni
non une cohérence logique (ex. : un carré nécessaire ni constant.
rond).  Aristote, La Métaphysique, Vrin, t. I,
 Husserl E., « Recherche I », Recherches p. 321-323.
logiques, PUF, t. II, 1re pa., § 15, p. 59 sq. Kant E. « Analytique II, 1re analogie de l’expé-
2. Subst. rience », Critique de la raison pure, PUF, p. 180.
Phil. : absence de sens, de raison d’être,
de finalité de la condition humaine.
Dans la pensée moderne, à partir de ACCULTURATION
Schopenhauer, la notion prend des conno- Terme anglo-saxon.

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ACÉDIE

1. Psy. : processus d’apprentissage par attaquant l’âme malade par les accès les
lequel l’enfant se socialise, reçoit la culture plus ardents de ses feux, à des heures
du milieu auquel il appartient. régulières et déterminées. » Saint Thomas
 Lapassade G., L’Entrée dans la vie, Minuit, a cherché à comprendre l’acédie dans sa
p. 22. complexité physique et morale : elle serait
2. Anth., ethn., soc. : ensemble des phé- une « tristesse provoquée par le lien spi-
nomènes de contact et d’interpénétration rituel à cause du labeur corporel qui s’y
entre des groupes ou civilisations diffé- joint » ; midi serait propice à l’abattement
rentes. Le contact des cultures ne doit pas parce que « l’homme qui a jeûné éprouve
être considéré comme simple transfert la faim et l’épuisement dû à l’ardeur du
d’éléments d’une culture dans une autre soleil ». Quand elle envahit l’affectivité de
mais comme un processus d’interactions l’homme de foi, la tristesse « lui fait croire
plus ou moins réciproques.
qu’il ne pourra jamais se redresser pour
 Simon P.-J., Histoire de la sociologie, PUF,
atteindre aucun bien », elle est « opposée à
p. 495-498.
Bastide R., Les Religions africaines au Brésil, la joie spirituelle comme le désespoir à l’es-
PUF, p. 540. pérance ». À la manière de la pratique d’un
Herskovits M. J., Les Bases de l’anthropologie vice, cette dépression de l’âme engendre
culturelle, Payot, p. 225 sq. donc un désespoir qui est péché. Mais
l’acédie n’est pas un vice comme un autre :
elle est le « vice théologal » par excellence,
ACÉDIE
puisqu’elle se définit par le rejet du plus
Subst. f. haut bien. Aussi mérite-t-elle pleinement
Du latin acedia (ou acidia) : dégoût, le statut de péché capital que lui confère
indifférence ; du v. acedior, être dégoûté, saint Thomas, comme foyer d’une multi-
découragé. Du grec ancien akedeia : négli- tude de vices (instabilité, apathie, sensua-
gence, indifférence ; du v. akedeo : ne pas lité, agressivité, etc.), ayant en commun
prendre soin de. d’entraîner l’esprit en dehors du champ
Désigne la sécheresse de l’âme du
spirituel. À partir du xiiie siècle, l’acédie
moine qui ne ressent plus la foi, éprouve
cesse d’être un vice de moine pour devenir
un dégoût des choses spirituelles. Décrit
mélancolie, spleen. Elle perd son statut
par Évagre le Pontique (346-399), moine
dans la liste des péchés capitaux pour y
au désert d’Égypte, premier théoricien
céder la place à la banale paresse.
de l’ascétisme chrétien ; par Jean Cassien
(anachorète d’origine roumaine, qui vécut  Évagre le Pontique, Traité pratique ou Le
Moine (prés. par G. Bunge), Spiritualité orien-
à Marseille et y mourut vers 435). Évagre
tale, n° 67, ch. 12, p. 90-92 ; ch. 27-28-29,
est le premier à avoir comparé l’acédie au p. 122-128.
« démon de midi » du Psaume 91,6 de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
l’Ancien Testament. Saint Thomas cite I-II, Q. 84, a. 4 ; II-II, Q. 20, a. 4 ; Q. 35. Cerf,
sa célèbre description du dégoût (tae- t. II, p. 531-532 ; t. III, p. 143-144, 259-263.
dium), et de l’anxiété du cœur (anxietas Delumeau J., Le Péché et la peur, Fayard,
cordis) que ressent le moine dans sa soli- p. 255-256.
tude au milieu du jour : « C’est surtout
aux environs de la sixième heure que
l’acédie tourmente le moine, comme une ACQUIS
sorte de fièvre qui monte à l’heure dite, Du latin acquisitus : ajouté à ce qui est.

10
ACRASIE

Phil., psy. : qui résulte de l’expérience, de der le savoir, notamment lorsque l’état
l’éducation, des processus d’apprentissage. physique est modifié par le sommeil, la
S’oppose à inné. folie ou l’ivresse. « La science au sens
 Locke J., Essai philosophique concernant l’en- propre » ne risque pas « d’être tiraillée
tendement humain, Vrin, II, I, § 1-5, p. 60. par la passion », comme « la connaissance
Skinner B. F., Analyse expérimentale du compor- sensible ». Il y a, pour Aristote, une spé-
tement, Ch. Dessart éd., ch. 1, p. 17 sq. ; ch. 8, cificité de l’ordre de l’action, dont fait
p. 291 sq. partie la sagesse, la phronésis, qu’on tra-
Inhelder B., Sinclair H., Bovet M., Appren-
tissage et structure de la connaissance, PUF, pré. de duit par prudence, ou par sagacité, pour
J. Piaget, int., p. 13-33. désigner une forme d’intelligence propre
à l’action. Aussi insiste-t-il sur le rôle de
l’habitude dans l’acrasie (et dans la lutte
ACRASIE contre elle).
En contexte chrétien, on ne saurait
Akrasie ou akrasia, subst. f. du gr. akrasia :
trouver un scandale dans le désaccord
le fait d’agir contre son meilleur jugement,
entre la bonne décision et l’acte indigne,
de a- : privatif et kratos : pouvoir.
puisque c’est le fait d’un être marqué par
Mor., neurosc., phil., phil. analytique de
la chute et naturellement pécheur. « Vou-
l’action, psy. : traduit par : Incontinence
loir le bien est à ma portée, mais non l’ac-
de l’action ou Faiblesse de la volonté. Jon
complir » (saint Paul) ; « Donne-moi la
Elster (né en 1940) préfère « faiblesse de
tempérance, mais pas tout de suite » (saint
volonté » pour ne pas substantialiser la Augustin).
volonté comme s’il s’agissait d’une faculté L’intérêt contemporain pour l’acrasie est
analogue à la force physique. en grande partie le fait de la philosophie
Comment peut-on faire autre chose analytique de l’action et du langage, cher-
que ce qu’on a jugé être le meilleur ? Ce chant à évaluer le degré de rationalité de
problème se pose dans le contexte intel- l’action. Pour Donald Davidson (1917-
lectualiste de Platon (424-348), où « nul 2003), l’acrasie est déraisonnable, non illo-
ne fait volontairement le mal ». L’incon- gique : le syllogisme pratique d’Aristote,
tinence n’est pas nécessairement l’intem- déductif, ne peut éclairer le passage à l’ac-
pérance active (akolasia), dont le sophiste tion. Pour que le syllogisme soit pratique,
Calliclès fait l’éloge dans Gorgias. Être sa majeure devrait être inconditionnelle
susceptible d’« être vaincu par le plaisir » ou catégorique, ce qu’interdit la liberté.
reviendrait, pour Socrate, à choisir (à Il s’agit donc d’induction (causalité affai-
long terme) le désagréable pour se laisser blie), non de déduction : l’akratès refuse
vaincre (dans l’immédiat) par l’agréable, une information totale. Il ne se comprend
ou à choisir le mal en s’abandonnant pas lui-même, mais n’est pas absurde pour
au bien. L’idée qu’on puisse mal agir autant ; Médée est déraisonnable (non
en connaissance de cause est illogique. illogique) parce qu’elle refuse d’envisager
Plus proche du sens commun, Aristote tous les biens. Un raisonnement pratique,
(384-322) analyse le « syllogisme pra- non déductif comme le théorique, n’en-
tique » censé formuler le passage de la traîne pas l’action. La question est celle
pensée à l’acte : l’akratès agit sans appli- de la spécificité du vouloir par rapport
quer la règle contenue dans la majeure au au connaître, distinguée par P. Ricœur et
cas particulier exprimé par la mineure. toute une mouvance non cartésienne qui
Car il y a plusieurs manières de possé- fait intervenir l’émotion dans la décision

11
ACTE

et voit en elle une préparation à l’action un mariage, une interruption volontaire


(A. Damasio, A. Berthoz). Il y a du rai- de grossesse, interdiction de produits à
sonnement dans la délibération – l’action forte addiction, etc.). L’agent rationnel
n’est pas coupée de la rationalité – mais doit agir en tenant compte des limites de
la possibilité de l’acrasie est là pour invi- la rationalité, et de sa propre irrationa-
ter à reconnaître des conflits : entre les lité. De multiples domaines sont concer-
biens (saint Thomas), entre les devoirs nés par cette problématique : économie
(Kant, B. Constant), entre l’intellect et la (limites de la rationalité instrumentale,
volonté. de la théorie du choix rationnel), poli-
Ion Elster s’oppose aux interprétations tique (rôle de l’assemblée constituante),
de l’akrasia comme phénomène paradoxal psychologie (double bind de Palo Alto),
(Platon) ou comme « foncièrement irra- sociologie (critique des explications par
tionnel ». Ce dernier cas relève d’une fai- les conséquences, comme celle de la dis-
blesse par « incohérence synchronique », tinction par Bourdieu), etc. (➢ DÉLIBÉ-
lorsque l’agent pense et agit simultané- RATION, PHILOSOPHIE DE L’ACTION, THÉORIE
ment de manière contradictoire. Mais DE LA DÉCISION)
il peut exister aussi, « sans paradoxe »,  Ovide, Métamorphoses, VII, 20, Actes Sud,
une « irrationalité », temporelle celle-ci, p. 265.
« diachronique », liée à des changements : Platon, Protagoras, 358.
la faiblesse de volonté liée à un « renver- Aristote, Éthique de Nicomaque, li. VII, 1145a
sement temporaire des préférences », 25 – b 2 – 1152a 27-36, GF Fl, p. 346-389.
Saint Paul (Paul de Tarse), Épître aux
effet d’une « pondération différente des
Romains, 7, 15-21.
raisons », ou encore de l’intervention de Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
nouvelles motivations. Dans la ligne de I-II, Q. 77, art. 2, rép. à l’objection 4. Cerf, t. II,
l’individualisme méthodologique, Elster p. 492-495.
isole des raisons précises éclairant l’ac- Davidson D., « Comment la faiblesse de la
tion, différentes dans le cas des addic- volonté est-elle possible ? », Actions et événements,
tions et dans les simples changements Essai 2, PUF, p. 37-65.
Elster I., Agir contre soi. La faiblesse de volonté,
d’appréciation. Odile Jacob.
Des questions se dessinent, liées aux Elster I., Ulysse et les sirènes, Minuit.
« paradoxes de l’irrationalité » : « existe- Monnet E., « Faiblesse de volonté et consente-
t-il des caractères faibles ou y a-t-il seule- ment », in Tracés 2008, n° 14. ENS Éd.
ment des situations difficiles ? » Que serait Berthoz A., La Décision, Odile Jacob, p. 79 sq.,
un consentement akratique qui ne serait 286 sq.
pas un effet de la volonté ? La rationalité
peut-elle se mettre au service d’un désir
ACTE
incohérent ? On doit distinguer entre des
« agents naïfs », sans conscience de leur Du latin actum : acte, action, fait accom-
faiblesse de volonté, et des « agents sophis- pli ; de agere : faire, agir.
tiqués », qui en prennent conscience et 1. Psy., scou. : exercice d’un pouvoir ou
mettent leur rationalité au service de la d’une faculté. Résultat de cet exercice.
raison plutôt que du désir, au prix de Syn. d’action, souvent pour en spécifier
stratégies intra- ou extrapsychiques. Elle le résultat, notamment l’officialisation juri-
conduit à être attentif aux institutions dique.
qui servent à répondre à la faiblesse de 2. Phil. : chez Aristote, contraire de « en
volonté (délais imposés par l’État avant puissance », désigne :

12
ACTION

2-1. Le changement en train de s’accom-


plir (trad. de énergéia). ACTION
2-2. L’aboutissement du changement 1. Scou. : disposition de moyens en vue
une fois celui-ci réalisé (trad. d’entéléchéia). d’une fin visant à introduire un certain
 Aristote, La Métaphysique, Vrin, t. II, li. θ, changement dans le monde.
§ 7-9, 1049a-1051a 35, p. 504-521. 2. Phil.
2-1. Opposée à la contemplation dans
‫ ڡ‬Dérivé la pensée antique, aucune œuvre humaine
n’égalant le cosmos éternel.
• Actes de langage
Aristote valorise l’action comme actua-
Trad. de Speech acts (J. Austin, 1911- lisation de puissances immanentes, selon
1960). une hiérarchie de formes, essences ou
Ling. : caractère de l’énonciation verbale « actes » dont le modèle est l’Acte pur.
selon Austin et Searle : elle ne consiste pas  Aristote, Éthique à Nicomaque, Vrin, I,
en un reflet de la réalité évaluable en termes ch. 6, 1098a, p. 58-60.
de vrai/faux, mais en un acte opérant des Aristote, La Métaphysique, Vrin, t. II, li. θ, 45,
transformations sur les interlocuteurs et 1047b 30, p. 496 sq. ; li. L, 46, 1072a, p. 669 sq.
évaluable en termes de succès/échec. Ex. : Aristote, De l’âme, Vrin, II, 1, 412a 27,
p. 67-68.
les énoncés à caractère performatif tels « Je Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
t’ordonne », « je promets », etc. DDB, L’âme humaine, p. 270-273 ; Dieu, t. III,
 Austin J.-L., Quand dire, c’est faire, S, p. 18-25, 49-54.
p. 47-88. 2-2. À la Renaissance, acquiert un
Vernant D., Introduction à la philosophie de la sens de fondation démiurgique dont le
logique, Mardaga, p. 142-151.
modèle n’est plus la contemplation, mais
Vernant D., Introduction à la philosophie
contemporaine du langage, du langage à l’action, la création. Aujourd’hui, l’action s’impose
Colin, p. 116-138, 229-233. comme « le révélateur des opérations de
Culioli A., Pour une théorie de l’énonciation, la raison » : le rôle de la raison dans l’ac-
Ophrys, p. 103-127. tion semble bien ne pas être de mettre en
œuvre une faculté (puissance de calcul,
de décision) présente en chacun (Kant a
ACTE MANQUÉ reconnu l’impossibilité d’une « psycholo-
(➢ MANQUÉ – ACTE) gie rationnelle », d’une science des opéra-
tions de l’âme). Avec les nouvelles techno-
logies, la raison échappe aux consciences
ACTE PUR individuelles et devient commune et par-
Phil. : chez Aristote : Dieu ou le Premier tagée. Plutôt qu’une faculté identique en
Moteur non mû, l’être totalement en acte, chacun, elle serait « une capacité naturelle
qui ne comporte plus rien en puissance et produite par l’évolution et s’individuant
est soustrait au devenir. de façon particulière en chacun de nous »
Contraire de la Matière, où tout est en (B. Saint-Sernin), donc inséparable de ses
puissance. effectuations dans l’action et les stratégies.
D’où l’intérêt des situations d’incertitude
 Aristote, La Métaphysique, Vrin, t. II, li.
L, p. 672-686.
et de risque (modèle de la stratégie des
Aristote, De l’âme, Vrin, li. II, ch. 5, 417a jeux) : elles procurent un effet de grossis-
21-417b 16, p. 97-100. sement permettant de décrire les « grandes
Aristote, Physique, BL, III, 201a, p. 90. actions », où l’homme se révèle dans les

13
ACTION

moments de crise, avec ses enjeux, ses la description de l’action, en en dissociant


passions, son génie du risque. (➢ PHILO- les questions normatives. La tradition
SOPHIE DE L’ACTION, THÉORIE DES JEUX) anglo-américaine s’est nourrie 1) d’Aris-
 Kant E., Critique de la raison pratique, Vrin, tote : différence entre action volontaire
int., p. 27. et involontaire ; nature du raisonnement
Hegel G. W. F., La Raison dans l’histoire, 10/18- pratique et du choix rationnel ; descrip-
UGE, p. 120-130.
Hegel G. W. F., Principes de la philosophie du tion de l’akrasia (faiblesse de la volonté)
droit, Gal, pré., p. 29-45. 2) des empiristes : expliquer, avec Hume,
Saint-Sernin B., La Raison, QS PUF, p. 51-78, l’action par ses causes, conduit à relier
112-123. celles-ci à une loi subsumant l’événement,
3. Épis., psy. : tout processus par lequel ce que feront C. Hempel (1905-1997)
un organisme émet un ou des comporte- et le Cercle de Vienne (1922-1938). Ce
ments produisant un effet observable sur modèle déductif-nomologique, positiviste
lui-même ou l’environnement. et scientiste, a été largement remis en ques-
Granger G.-G., Essai d’une philosophie du tion par L. Wittgenstein, E. Anscombe,
style, Colin, p. 219-252. D. Davidson (1917-2003), et, en France
Piaget J., Mes idées, Denoël, p. 40-46, 68-78,
87-90, 124-138. de manière originale, par P. Ricœur (1913-
Piaget J., La Psychologie de l’enfant, PUF, p. 123- 2005). L’enjeu est le caractère intrinsèque
126. à l’action des raisons d’agir (qui ne peuvent
être des causes extrinsèques). Mentionner
‫ ڡ‬Dérivés la raison ne peut qu’être une autre manière
• Action (philosophie de l’-) de « décrire » l’action (E. Anscombe) : l’in-
tention n’est pas un événement psycholo-
Log., phil. analytique du langage : notion
gique antécédent, mais un ensemble d’at-
de la philosophie analytique qui a reposé
titudes mentales, de pratiques et de règles
dans un nouveau contexte (empirisme et
sociales par rapport auxquelles l’action
positivisme logiques ; nouveau partage
entre le véritable réel et les illusions) les prend sens. Wittgenstein avait rapporté la
problèmes de l’action propres à la philo- compréhension de l’action au contexte :
sophie classique : rapports entre l’esprit « formes de vie » donnant lieu à des « jeux
et le corps, entre déterminisme et libre de langage », dont les règles sont irréduc-
arbitre ; nature de la responsabilité et de tibles à des lois. Suivre une règle n’est pas
la morale. Ces questions sont : 1) d’ordre obéir à une loi. L’échec de la psychanalyse
ontologique : qu’est-ce qu’agir, qu’est-ce proviendrait de sa confusion des raisons
qui distingue une action d’un événe- avec des causes.
ment ? ; 2) d’ordre épistémologique et Davidson a tenté d’affiner la causalité
psychologique : quand une action est-elle de Hume : l’action est un événement
intentionnelle ? ; 3) l’explication de l’action d’ordre intentionnel, mais tout en est
se fait-elle par des causes, comme dans la physique, il n’y a pas de loi reliant les
nature, ou implique-t-elle des raisons – ce événements mentaux entre eux ni le
qui justifie la distinction entre sciences de mental au physique (principe de l’« ano-
la nature et sciences de l’esprit ? misme du mental »). P. Ricœur a vu là
Les philosophes analytiques, « pour les- une « sémantique de l’action sans agent »,
quels il vaut mieux savoir d’abord de quoi une philosophie de l’action sans sujet ni
on parle avant d’en envisager les consé- projet (Troisième étude de Soi-même
quences » (P. Engel), ont tenté de clarifier comme un autre).

14
ACTION

 Wittgenstein L., « Le Cahier bleu », in (W. Sombart) ; le calvinisme a-t-il influencé


Le Cahier bleu et le cahier brun, T Gal, p. 303. les débuts du capitalisme ? (M. Weber) ;
Wittgenstein L., Investigations philosophiques, pourquoi la France a-t-elle valorisé la Rai-
T Gal, § 197, 198, 199, 201, 206, 207.
Anscombe E., « Intention », in Raisons pratiques, son et l’Angleterre la Tradition ? (Tocque-
EHESS. ville) ; pourquoi la règle de l’unanimité
Davidson D., Actions et événements, PUF, prévaut-elle dans les sociétés villageoises
p. 5-10. traditionnelles ? comment l’esclavage a-t-il
Engel P., « Présentation », in D. Davidson, perdu sa légitimité ? (R. Boudon).
Actions et événements, PUF, p. V-XXXI. Dans une perspective non holiste et
Ricœur P., Soi-même comme un autre, S,
p. 73-107, 136. non déterministe, l’action sociale révèle
Vernant D., Introduction à la philosophie toute sa spécificité : processus au terme
contemporaine du langage, Colin, p. 142-146. non fixé dont la forme et les principes se
constituent en relation étroite avec l’en-
• Action (sociologie de l’-)
vironnement et au fur et à mesure des
Phil., soc. : on appelle ainsi l’une des interactions (autonomie de l’action). Elle
deux grandes traditions de la sociologie, n’est plus soumise (comme dans une tra-
centrée sur les acteurs, l’autre étant, soit dition marxiste et/ou structuraliste, même
une sociologie nomologique en quête de nuancée comme elle l’est par Bourdieu) à
lois évolutives, expliquant les faits sociaux une vision déterministe où les actes et les
par d’autres faits sociaux (A. Comte, raisons des sujets apparaissent les effets de
E. Durkheim), soit une sociologie holiste normes intériorisées, en particulier comme
ou totaliste en quête de régularités structu- des illusions dues à l’aliénation (➢ HABI-
relles (C. Lévi-Strauss, P. Bourdieu), expli- TUS). Les déterminations sont considérées
quant les éléments à partir de totalités, et comme de véritables paramètres de l’ac-
l’action et les systèmes sociaux à partir de tion, et non comme ses causes (externes).
forces collectives. (➢ HOLISME) Les raisons des acteurs ne sont pas sys-
Cette sociologie, non déterministe et tématiquement attribuées aux positions
non holiste, s’inscrit dans une perspective sociales dominants/dominés.
inaugurée en Allemagne par Max Weber Cette sociologie est cognitiviste : l’être
(1864-1920) et Georg Simmel (1858- humain est censé agir selon des règles de
1918), qui aborde un système social de pensée universelles, une raison ordinaire
manière interactionniste, comme l’effet (dite aussi pensée sociale ou naturelle), et
d’actions et d’interactions individuelles non une raison instrumentale en proie à
(Individualisme méthodologique de R. Bou- des intérêts, ne prenant en compte que le
don, Ethnométhodologie de E. Goffmann). calcul de moyens (utilitarisme). Ce ratio-
Un phénomène social ne s’explique pas nalisme implique une dimension morale :
par des forces anonymes, mais par des le sens de la dignité de l’individu, un non-
comportements et des raisons d’acteurs utilitarisme. L’homme n’est ni un être
sociaux (individus ou groupes), dont les réduit à une passion unique (mimétisme,
motivations sont en relation avec celles ressentiment, égoïsme, etc.), ni un être si
d’autres acteurs, dans des champs sociaux compliqué qu’il serait inconscient de ce
déterminés. qui le fait vraiment agir (thèse culturaliste,
La sociologie de l’action cherche à psychanalytique) : « L’homme agit et juge
comprendre des singularités autant que sur la base de raisons qu’il perçoit comme
des régularités : pourquoi les États-Unis ayant vocation à être partagées » (R. Bou-
ont-ils pratiquement ignoré le socialisme ? don).

15
ACTIVITÉ

La sociologie de l’action est issue des naire II, Encyclopédie philosophique universelle,
critiques de la philosophie totalisante p. 39-41.
de l’Histoire de Hegel qui donna lieu Boudon R., Le Relativisme, QS PUF, p. 49-53,
62-63, 78-81, 101-103, 108-109, 112-116.
au débat sur la compréhension dans
Ogien A., Quéré L., Le Vocabulaire de la socio-
les sciences historiques et sociales. Elle logie de l’action, Ellipses, p. 6 et passim.
renonce à être une science dure, à pré- Vernant D., Introduction à la philosophie
dire le devenir des sociétés en termes de contemporaine du langage, du langage à l’action,
lois, mais son orientation vers le singulier Colin, p. 108, 140-190.
y gagne de rencontrer et de compléter la Weber M., Éthique calviniste et esprit du capita-
démarche de l’historien. lisme, Pocket Agora.
L’écueil, que la sociologie de l’action,
étant centrée sur les sujets, a à déjouer, est
celui du psychologisme : l’explication du
ACTIVITÉ
macroscopique (les faits sociaux) à partir 1. Scou. : caractère de ce qui est actif ; pro-
du microscopique (l’individuel). Si l’on pension à l’action, opposée à inaction et
tient compte des motivations des acteurs, passivité.
c’est « toujours [comme] des acteurs en 2. Psy. : ensemble de phénomènes ten-
situation, et en relation avec d’autres […] dant à l’action, distinguée de l’affectivité
des acteurs sociaux… » (R. Boudon). On et de la connaissance. La caractérologie
n’explique pas la bataille de Marathon (G. l’oppose à l’émotivité.
Simmel) par le comportement de cha- 3. Phil. : chez Aristote, l’acte au sens
cun de ses acteurs particuliers mais en se d’exercice (comportant une progression,
donnant un type idéal des guerriers grecs, des étapes), par distinction avec l’acte au
perses, comme fait l’analyse économique sens de forme.
cherchant les ressorts typiques du consom-  Aristote, Éthique de Nicomaque, Fl, I,
mateur. Le sociologue utilise une psycho- ch. 7, p. 29 ; II, ch. 2, p. 47.
logie de convention, à base de types idéaux
(M. Weber), de raisonnements prêtés à
l’acteur. ADAPTATION
La notion de sociologie « de l’action »
Du latin ad et aptare : ajuster en vue de.
sous-entend : « de l’autonomie de l’ac-
1. Bio. : plasticité commune à tous les
tion ». La rationalité ordinaire se suffit à
êtres vivants qui n’est autre que l’ajuste-
elle-même, et suffit à la compréhension.
ment structurel et fonctionnel de l’orga-
Elle évite ipso facto la vision éclectique de
l’action qu’entraîne une rationalité ins- nisme aux conditions internes et externes
trumentale, pour qui l’être humain ne du milieu.
pense et n’agit que sous l’effet de forces 2. Psy. : acte par lequel une réaction
a-rationnelles de tous ordres, nécessai- appropriée à des circonstances et condi-
rement occultes, et qu’il faut sans cesse tions nouvelles est inventée par le sujet.
multiplier (appel à de nouvelles « boîtes  Goldstein R., La Structure de l’organisme,
noires » : ex. chez Marcuse, la psychanalyse Gal, p. 355, 359.
appelée en renfort pour éclairer illusions et
fausses consciences censées être les effets
ADÉQUAT
de l’aliénation).
 Boudon R., « Action (sociologie de l’-) », in Phil. : qui correspond parfaitement à l’ob-
« Action », Les Notions philosophiques. Diction- jet visé.

16
ADVERSITÉ (COEFFICIENT D’)

‫ ڡ‬Dérivés 1. Scou. : sentiment de reconnaissance


heureuse des valeurs supérieures, en parti-
• Connaissance adéquate culier chez l’autre. On admire ce qui nous
La connaissance adéquate chez Leibniz dépasse et ce qu’on se propose comme
est synonyme de connaissance distincte, modèle.
et celle-ci est tout ce qui entre dans une 2. Phil. : chez Descartes, conformément
définition « jusqu’aux notions primitives ». au sens étymologique d’étonnement, elle
L’adéquation n’est plus conformité au réel, est « une subite surprise de l’âme qui fait
mais analyse des éléments constitutifs, qu’elle se porte à considérer avec attention
vérité intrinsèque de la notion. les objets qui lui semblent rares et extra-
 Leibniz G. W., Discours de métaphysique, ordinaires ». C’est la première de toutes
Vrin, art. 24, p. 69. les passions, celle qui fortifie toutes les
autres.
• Idée adéquate
 Descartes R., Les Passions de l’âme, in
Spinoza : par idée adéquate « j’entends Œuvres. Lettres, Pl Gal, 2e pa., art. 53, p. 723,
une idée qui, pour autant qu’on la consi- art. 70, 728.
dère en elle-même et sans relation à un
objet, a toutes les propriétés ou dénomi-
nations intrinsèques de l’idée vraie ». ADVENTICE
 Spinoza B., Éthique, in Œuvres complètes, Pl Du latin adventicius : qui vient du dehors,
Gal, li. I, axiome 5, p. 367 ; li. II, déf. 4, p. 411, emprunté.
déf. 36, p. 446. Phil. : dans la philosophie de Descartes,
les idées adventices, par opposition aux
idées innées et aux idées factices, désignent
ADÉQUATION les idées qui proviennent des sens.
Du latin adaequare : rendre égal.  Descartes R., Méditations métaphysiques,
Phil. : le terme désigne un rapport de in Œuvres. Lettres, Pl Gal, 3e méd., p. 267-299.
conformité, de correspondance exacte
entre une idée et ce qu’elle représente.
ADVERSITÉ (COEFFICIENT D’)
Le concept prend son sens dans la théo-
rie de la vérité comme adéquation au réel, Le coefficient d’adversité des choses, ou
théorie élaborée pour la première fois dans caractère d’obstacle propre à une situation
le sophiste de Platon et canonisée par la tra- donnée, peut être défini de façon para-
dition médiévale et la philosophie classique. doxale comme une liberté constituant ses
propres limites.
 Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique,
in J. Rassam, Saint Thomas, L’Être et l’esprit,
L’originalité de Sartre consiste à affirmer
PUF, p. 74. tout d’abord :
Husserl E., Recherches logiques, PUF, t. III, 1) le caractère relatif de l’adversité par
p. 143 sq. rapport aux fins de notre volonté. En lui-
Guest G., « Adéquation », in Encyclopédie phi- même, tel rocher est neutre, « c’est-à-dire
losophique universelle. Les Notions philosophiques, qu’il attend d’être éclairé par une fin pour
PUF, p. 44 sq. se manifester comme adversaire ou auxi-
liaire ».
2) Sartre précise que ce coefficient d’ad-
ADMIRATION versité ne saurait être un argument contre
Du latin admiratio : étonnement, surprise. la liberté : « L’homme ne rencontre d’obs-

17
AFFECT

tacle que dans le champ de la liberté. » Il à l’aspect représentatif des phénomènes de


n’y a donc pas d’obstacle absolu. conscience.
3) Bien plus, l’adversité est relative à tout  Aristote, Éthique à Nicomaque, Vrin, li. II,
ce que j’ai fait de moi, donc à ce que je § 4, p. 101.
suis devenu à un moment donné de mon
existence. ‫ ڡ‬Dérivé
C’est donc moi, en fin de compte, qui
• Mémoire affective
suis responsable de la situation à laquelle
je suis confronté comme obstacle et qui Psy. : forme de mémoire involontaire,
décide du coefficient d’adversité des reviviscence des sentiments et sensations
choses. Autant dire, à la limite, qu’il n’y a éprouvées dans le passé sur la base de
pas de situation intolérable, et que je peux mécanismes associatifs.
toujours reculer les limites du tolérable.  Proust M., Le Temps retrouvé, Gal, t. II,
 Sartre J.-P., L’Être et le néant, Gal, p. 562, ch. 3, p. 7-15.
569, 639. Deleuze G., Proust et les signes, PUF, p. 47-54.

AFFECT AFFECTION
Du latin affectus : état de l’âme, sentiment. Du latin affectio : action d’affecter.
Psy., psycha. : terme repris par Freud à la 1. Scou. : inclination élective, moins
psychologie allemande de son temps et qui intense et plus durable que la passion,
joue un rôle fondamental dès ses premiers dépourvue de manifestations somatiques
travaux sur l’hystérie. Il désigne tout état présentes dans les états émotionnels ou
affectif, pénible ou agréable. Il comporte passionnels.
deux aspects : 2. Sens large : état affectif en général,
a) qualitatif : la tonalité affective, l’affect comportant une tonalité agréable ou désa-
semble être à la charnière de la pulsion gréable de plaisir ou de douleur.
aveugle venue de l’inconscient et du sen-  Aristote, « Rhétorique », in J.-C. Fraisse,
timent qualifié et spécifié comme désir ou Aristote, Anthropologie. Textes choisis, PUF, li. II,
dégoût, amour ou haine ; § l, p. 126, 193.
b) quantitatif : il s’exprime alors sous 3. Phil. : modification, changement
forme de quantité d’énergie pulsionnelle d’état provoqué par une cause externe ou
(quantum d’affect). interne, dont le sens correspondant au grec
 Freud S. et Breuer J., Études sur l’hystérie, est celui de « pathos ».
PUF, ch. 1, p. 1 sq.
Laplanche J. et Pontalis J.-B., « Affect », in
Chez Spinoza : d’une part, le mode
Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, p. 12. déterminant de la substance ; d’autre part,
le sentiment : « Par sentiment (affectus),
j’entends les affections (affectio) du corps,
AFFECTIF par lesquelles la puissance d’agir de ce
Du latin affectivus : qui exprime un désir. corps est augmentée ou diminuée, aidée
Psy. : les phénomènes ou états dits affec- ou contenue, et en même temps les idées
tifs concernent la sensibilité, c’est-à-dire de ces affections. »
tout ce qui nous touche de façon agréable  Spinoza B., Éthique, trad. B. Pautrat, Seuil,
ou désagréable. On oppose l’aspect affectif 3e pa., p. 199 sq.

18
AGENT

AFFECTIVITÉ AFFIRMER
Phil., psy. 1. Log.
1. Concept d’extension assez vague, car 1-1. Énoncer ce qu’on tient pour vrai,
il regroupe des états aussi divers que le plai- cet énoncé pouvant être un jugement
sir, la douleur, la peur, l’angoisse, la pas- sous forme négative (j’affirme que non
sion, l’émotion. Si bien qu’une définition A).
de l’affectivité par la capacité de s’émou- 1-2. Énoncer positivement ce qu’on
voir, d’éprouver toute espèce de sentiment, tient pour vrai. S’oppose alors à nier.
ou encore par « le pouvoir de recevoir des 2. Phil.
impressions et d’en être affecté » (Maine de 2-1. Affirmer comme existant, poser
Biran), est insuffisante. l’être comme excluant toute négation, tout
non-être.
 Maine de Biran P., Œuvres complètes III,
Slatkine, III, § 4, p. 159.
2-2. Se révéler capable de nier la néga-
Pradines M., Traité de psychologie, PUF, t. I, tion – ce qui est proprement la puissance
1re se., ch. 1, p. 275 ; 4e se., ch. 1, p. 659 sq. d’affirmer au second degré. Caractérise
2. L’affectivité, dans sa spécificité par le troisième moment de la dialectique
rapport aux phénomènes cognitifs et hégélienne dans la logique, à savoir la
volontaires, se définit par la visée inten- négation de la négation (le « positivement
tionnelle des valeurs. C’est elle qui met « le rationnel »).
prix aux choses » et est à l’origine et au  Hegel G. W. F., « Science de la logique »,
Encyclopédie des sciences philosophiques, Vrin, I,
fondement de la valorisation du monde. § 79-83, p. 342-345.
 Hume D., Traité de la nature humaine, 2-3. On désigne aujourd’hui par pensée
Aubier, t. II, li. II, 3e pa., 3e se., p. 522 sq. affirmative une pensée ne se mouvant pas
Scheler M., Le Formalisme en éthique et
dans l’élément du négatif, mais s’attachant
l’éthique matériale des valeurs, Gal, II, 5, 1 et 2,
p. 254-276. à la positivité, à la vie et à la création.
Dejean R., L’Émotion, PUF, p. 45-46, 63-64,  Deleuze G., Nietzsche et la philosophie, PUF,
158-159. p. 206 sq., 223 sq.

AFFIRMATION AGENT
Du latin adfirmatio : affirmation. Du latin agere : agir, faire.
1. Scou. : synonyme d’assertion ; acte par Phil. : chez Aristote, tout être actuali-
lequel on énonce une proposition comme sant un autre être en puissance. Opposé à
vraie, que ce jugement soit affirmatif ou patient. L’intellect agent est la partie active
de l’âme qui comprend, c’est-à-dire actua-
négatif.
lise en l’âme les formes intelligibles qu’elle
2. Log. : acte par lequel on pose comme
contient en puissance. (➢ INTELLECT AGENT)
existante la relation énoncée dans un
 Aristote, De l’âme, BL, III, 5, 430a 10-25,
jugement. p. 81-82.
 Aristote, De l’interprétation, Vrin, § 6, Aristote, La Métaphysique, Vrin, t. II, li. VIII,
p. 86-87. 1050a 4-b 2, p. 509-514.
Arnauld A. et Nicole P., La Logique ou l’art de Aristote, De la génération et de la corruption,
penser, Fl, p. 113-116. Vrin, I, 7, 324a 9-b 24, p. 65-68.

19
AGNOSTICISME

Entrée « Averroès », in Dictionnaire des philo- Phil. : terme créé par T. H. Huxley, en
sophes, A. Colin. 1896, pour désigner la suspension de la
Éco., phil., soc. croyance en l’absence de données sensibles.
1. En sociologie, désigne l’acteur indi- D’où le sens général du terme : doctrine
viduel. Préféré à acteur dans les perspec- selon laquelle l’essence cachée du réel est
tives déterministes, holistes (culturaliste, inconnaissable.
marxiste, structuraliste) ou systémique,  Folscheid D., L’Esprit de l’athéisme et son
globalisante, où « l’agent est lui aussi agi » destin, éd. Universitaires, p. 33-34.
(ex. : P. Bourdieu). Leur déclin à partir des
années 1980 favorise « le retour de l’ac-
teur » (A. Touraine), avec l’intérêt pour le AGRÉABLE
microsociologique, le changement social, le Du latin gratus : ce qui agrée, agréable.
conflictuel, la rationalité ordinaire des indi- Esth., psy.
vidus et des groupes qui se font leurs propres 1. Tout ce qui procure du plaisir, en par-
stratèges. L’acteur devient Sujet en construi- ticulier le plaisir des sens.
sant et jugeant ses actions et sa vie. (➢ INDI- 2. Chez Kant : à la différence du beau,
VIDUALISME MÉTHODOLOGIQUE, PRAXÉOLO- qui suscite un plaisir désintéressé résul-
GIE, RATIONALITÉ LIMITÉE, PHILOSOPHIE DE tant du libre jeu de l’imagination et de
L’ACTION, SOCIOLOGIE DE L’ACTION, SUJET) l’entendement, « est agréable ce qui plaît
 Bourdieu P., Choses dites, Minuit, p. 19, 78. aux sens dans la sensation ».
Javeau C., Leçons de sociologie, Colin. Le jugement sur l’agréable et toutes
Ricœur P., « Quatrième étude, De l’action à ses variétés (charmant, délicieux, ravis-
l’agent », Soi-même comme un autre, S, p. 109- sant, etc.) est toujours lié à un intérêt et
136. relève de la seule faculté de désirer. Ainsi,
2. Dans une optique constructiviste et le plaisir lié aux attraits sensibles est propre
des problématiques nouvelles de l’action aux arts d’agrément, qu’il faut distinguer
collective, « Actant » élargit la notion des beaux-arts.
d’agent en désignant les agents au sein des  Kant E., Critique de la faculté de juger, Vrin,
collectifs formés à la fois d’humains et de I, § 3, p. 51-52, § 44, p. 136.
non-humains : des microbes, des ordina-
teurs, des écosystèmes, des organisations,
des entités de toutes sortes, qui jouent AGRESSIVITÉ
activement des rôles dans le déroulement Du latin agredi : aller vers, aborder,
d’une action, y ont un poids réel. La notion attaquer.
appartient à la théorie des acteurs-réseaux Etho., psy., psycha.
de M. Callon et B. Latour. Elle est reprise 1. Disposition à la destruction orientée
à la sémiotique de A. J. Greimas. (➢ COL- vers l’autre ou vers soi-même. À la diffé-
LECTIFS, CONSTRUCTIVISME, ÉCOLOGIE) rence de la violence fondamentale, elle se
 Latour B., Changer de société. Refaire de la caractérise par sa visée objectale : elle sup-
sociologie, La Découverte. pose la reconnaissance de l’autre en tant
qu’il fait obstacle à nos projets.
2. Comportement d’ordre réactionnel
AGNOSTICISME dans les théories qui accordent la préé-
Du grec a- : privatif et gnostikos : capable minence à l’environnement : la présence
de connaître. du comportement agressif présuppose

20
ALGÈBRE

toujours l’existence d’une frustration et à l’oubli (lèthè, oubli), une intuition


celle-ci est génératrice d’agressivité. profonde qui sera ensuite occultée elle-
 Fromm E., La Passion de détruire, R. Laf- même par toute la pensée occidentale,
font, I, ch. 2, p. 54-58. celle d’un voilement qui ferait partie de
3. Dans le cadre des conceptions innéistes l’essence même de la vérité au lieu d’en
qui accordent à l’instinct la priorité : être le contraire.
3-1. Pour Lorenz, capacité d’agression Alèthéia correspond à la vérité avant
innée, elle se traduit par un besoin primitif Socrate, qui fait de la vérité l’accès à une
d’affrontement, nécessaire à la survie des donnée sans voile. Chez les présocratiques
espèces et des individus. Anaximandre, Héraclite, Parménide, l’éty-
 Lorenz K., L’Agression, Ch Fl, ch. 4, p. 55 mologie du terme révèle selon Heidegger
sq. un pressentiment du rapport de la vérité à
Lorenz K., Écrits, Fl, p. 55-70. l’être : être clair-obscur, mystère de l’Être
3-2. Chez Freud : tendances visant à au sens de présence qui se donne en se
nuire à autrui, à l’humilier ou à le détruire. retirant, se manifeste en se voilant. L’Être
Avant 1920, composante agressive inhé- se donne comme source cachée des étants,
rente à toute pulsion. présence qui ne se donne qu’à travers eux,
À partir de 1920, la conception d’une destinée à l’oubli.
pulsion destructrice se tournant vers le Penser la vérité comme alèthéia, dévoi-
dehors ou se retournant vers le dedans lement de l’Être dans l’étant : 1) c’est
s’explicite de plus en plus. déconstruire la métaphysique qui s’est
 Freud S., Malaise dans la civilisation, PUF, construite comme oubli de l’Être, confu-
p. 64-66. sion de l’Être avec l’étant, c’est chercher
Freud S., « Au-delà du principe de plaisir »,
Essais de psychanalyse, Payot, p. 101-111.
une nouvelle manière de penser ; 2) mais
Laplanche J. et Pontalis J.-B., Vocabulaire de c’est aussi entreprendre la remémoration
la psychanalyse, PUF, p. 13-17, 371-378. de toutes les pensées de l’oubli de l’Être,
soit de toute la métaphysique occidentale,
non pour rectifier l’oubli mais pour le
ALÉATOIRE méditer, en chercher le sens.
Du latin alea : jeu de dés.  Aristote, Métaphysique α 1, 993b.
Épis., math., phil. : se dit d’un événe- Heidegger M., Essais et conférences, Gal,
p. 311-341.
ment dépendant du hasard, relevant du Heidegger M., Questions II, Gal, p. 141-
calcul des probabilités. 163.
 Piaget J., Les Données génétiques de l’épis- Heidegger M., De l’essence de la liberté humaine,
témologie physique, in Logique et connaissance, Gal, p. 47, 95.
Encyclopédie de la Pléiade, Pl Gal, p. 616. Heidegger M. , De l’essence de la vérité, Vrin,
Saint-Sernin B., « Hasard », in Encyclopaedia p. 46-47.
universalis, t. XI, p. 224 sq. Platon, Ménon, 98c.

ALÈTHÉIA ALGÈBRE
Phil. : nom grec qui signifie vérité issu De l’arabe al-djebr : restauration d’une
de a- : privatif et lanthano : dissimu- égalité.
ler. Heidegger voit dans cette manière Log., math.
de désigner la vérité comme ce qui a 1. Discipline représentant les quantités
été soustrait (a privatif ) à l’occultation, et leurs relations au moyen de lettres.

21
ALGORITHME

2. Plus généralement, calcul symbo- tiques remonte à Platon (428-347 av.


lique, méthode de représentation des rela- J.-C.) (➢ COMPUTATION).
tions mathématiques et logiques au moyen 2. Éco., inf., informatique, pol., psy. :
de symboles : c’est le cas de la logique sym- en sciences cognitives, la démarche dite
bolique contemporaine. « algorithmique » procède par inventaire
 Leibniz G. W., Opuscules et fragments iné- systématique de toutes les possibilités
dits, Alcan, p. 155-157. existantes.
Leibniz G. W., L’Entendement humain. Textes Infaillible, elle demande du temps et
choisis par L. Guillermit, PUF, p. 29-30. de l’énergie. Les programmes d’intelli-
Vuillemin J., Introduction à la philosophie de
l’algèbre, PUF, t. I, p. 28 sq.
gence artificielle (ex. reproduction du
Blanché R., Introduction à la logique contempo- jeu d’échec à l’ordinateur) lui préfèrent le
raine, A. Colin, p. 155-157. mode heuristique, qui analyse la valeur et
les possibilités de réussite des choix, sur le
‫ ڡ‬Dérivé modèle de l’intelligence humaine dans les
raisonnements ordinaires (cf. H. Simon,
• Algèbre de la logique
D. Kahneman, A. Tversky).
Expression créée par le mathématicien  Derrida J., De la grammatologie, Minuit,
Boole, vers 1850, pour désigner le trai- p. 12, note 1.
tement de la logique par les symboles Simon H., Les Sciences de l’artificiel, F Gal,
algébriques. p. 65-68.
Elle s’applique d’abord à la logique
d’Aristote, mais Frege, Russel et White-
head se donnent pour but d’en généraliser ALIÉNATION
la méthode. Du latin alienatio, de alienus : étranger ;
 Boole G., « L’Analyse mathématique de la dépossession, au sens actif – cession d’un
logique », in Blanché, La Logique et son histoire, droit de propriété – et passif – éloigne-
Colin, p. 271. ment, distance.
Frege G., Écrits logiques et philosophiques, Seuil,
1. Phil.
p. 63 sq.
Grize J.-P., « Logique et structures, l’Algèbre de 1-1. Dans les philosophies du droit
Boole », in Logique et connaissance, Encyclopédie naturel et du contrat : cession par l’indi-
de la Pléiade, Pl Gal, p. 268 sq. vidu de son égalité et de sa liberté « natu-
Tricot J., Traité de logique formelle, Vrin, relles » lors du pacte d’association qui les
6e pa., p. 305 sq. lui rend sous forme de droits du citoyen.
 Rousseau J.-J., Du contrat social, Ga,
p. 243, 249.
ALGORITHME 1-2. Chez Hegel, Feuerbach et Marx :
Du nom du mathématicien arabe al le terme prend son sens philosophique à
Kharezmi (fin viiie-début ixe s.). partir de Hegel sous deux aspects com-
1. Math. : ensemble de symboles et de plémentaires : a) l’extériorisation (Entäus-
procédés permettant le calcul. serung) : objectivation de l’Esprit dans
Au Moyen Âge, réservé au calcul écrit le réel, b) l’aliénation proprement dite
par opposition aux méthodes utilisant (Entfremdung) : devenir étranger à soi,
jetons et tables à calculer (abaques). L’in- « malheur de la conscience » qui doit se
terdiction de ces méthodes comme détour- perdre pour se trouver (« extranéation »).
nant la pensée des idées pures mathéma- Pour Marx, la révolution des prolétaires,

22
ALTÉRITÉ

les hommes les plus aliénés, doit rendre à  Sartre J.-P., Questions de méthode, T Gal,
tous les hommes leur essence humaine. p. 85.
Boudon R. et Bourricaud F., « Aliénation,
 Hegel G. W. F., Phénoménologie de l’esprit, Anomie », Dictionnaire critique de la sociologie,
trad. J.-P. Lefebvre, Aubier, VI, B, I, A, p. 330- PUF, p. 16-23.
483.
Feuerbach L., L’Essence du christianisme, Mas-
pero, J.-P. Osier, int., p. 50-57 ; p. 149.
Marx K., Études philosophiques, ES, p. 30-39. ALLÉGORIE
Papaioannou K., Hegel, Agora-Seghers, p. 29 Du grec allegorein, de allos : autre et ago-
sq., 100 sq.
reuein : parler.
Henry M., Marx II, T Gal, p. 70-137.
Ling., phil., rhé. : récit ou œuvre expri-
2. Psychia., psy. : toute forme d’inadap-
mant une idée fondamentale à l’aide d’une
tation mentale par laquelle l’homme se
série d’images ou d’éléments narratifs, qui
retrouve étranger à lui-même et aux autres.
sont autant de métaphores correspondant
 Gabel J., La Fausse conscience, Minuit,
p. 66-67, 237, 242.
terme à terme au développement de l’idée.
Gabel J., Sociologie de l’aliénation, PUF, p. 7-39. Ex. : l’allégorie de la caverne chez Platon.
À la différence de la métaphore, l’allé-
gorie présente toujours un double sens,
ALIÉNÉ un sens littéral et un sens figuré, qui est
le sens religieux, moral ou philosophique.
Du latin alienus, dérivé de alius : qui ne
À la différence du symbole qui, par sa
s’appartient pas, appartient à un autre,
fonction expressive, reste opaque à l’in-
étrange. S’oppose à suus : sien, apparte-
terprétation et dont le sens est totalement
nant à soi.
immanent au sensible, l’allégorie renvoie à
1. Psychia. : adj. et subst. : synonyme
une signification intelligible, différente de
de fou, d’individu dangereux et irrespon-
sa représentation.
sable. Terme du vocabulaire policier qui
 Platon, La République, in Œuvres complètes,
n’a jamais eu de statut scientifique.
t. I, li. VII, p. 1101 sq.
2. Phil., soc. Fontanier P., Les Figures du discours, Ch Fl,
2-1. Adj. : étranger à sa propre humanité p. 114.
et à son monde. Chez Marx : s’applique a)
au prolétaire déshumanisé, dépossédé du ‫ ڡ‬Dérivé
sens de ses actes et instrumentalisé par la
• Allégorie de la caverne
division du travail b) à tout homme dont
(➢ MYTHE DE LA CAVERNE)
la pensée est faussée par une idéologie. On
peut être aliéné et non exploité.
 Lefebvre H., Pour connaître la pensée de
Marx, Bordas, p. 96-100, 111-125, 138-143,
ALTÉRITÉ
238. Du latin alter : autre, caractère de ce qui
2-2. Par ext. qualifie chez divers auteurs est autre, opposé au même, à l’identique.
(H. Marcuse, E. Fromm, J. Habermas, Phil., sgén.
C. Wright Mills) la victime de la société 1. L’altérité désigne la simple différence
industrielle dont les structures condition- entre les termes posés dans leur multipli-
nent subtilement l’individu, l’empêchant cité et extériorité réciproque. Elle s’oppose
de réaliser ses besoins fondamentaux et le à l’identité.
soumettant à autrui sans qu’il s’en rende  Platon, Le Sophiste, BL, 254d-258b,
compte. p. 366 sq.

23
ALTRUISME

2. Concept essentiel de la philosophie désintéressés, c’est-à-dire consistant à vou-


hégélienne. L’altérité est la négation propre loir le bien d’autrui pour autrui. Il désigne
à toute détermination finie : « Les choses également la doctrine morale posant l’inté-
finies […] sont finies dans la mesure où rêt porté à l’autre en tant que tel comme
elles n’ont pas complètement en elles la principe de la conduite morale.
réalité de leur concept mais ont besoin
d’autres pour cela. » Mais, positivement, le
propre de l’altérité est, par le mouvement AMBIGUÏTÉ
dialectique, de passer dans son contraire. Du latin ambiguitas : équivoque, double
 Hegel G. W. F., « L’Être », Science de la sens.
logique, AM, éd. de 1812, trad. P.-J. Labarrière et 1. Ling. : l’ambiguïté rencontrée au
G. Jarczyk, t. I, li. I, p. 97-98, 377-378. niveau des sciences du langage se confond
Hegel G. W. F., Phénoménologie de l’esprit, trad.
J.-P. Lefebvre, Aubier, p. 177-179.
avec l’équivocité des termes. Elle n’a pas
de portée ontologique, car les significa-
3. Dans la philosophie contempo-
tions linguistiques forment un système
raine : caractère essentiel de l’autre en tant
et ne présupposent pas de relation aux
qu’autre. Chez Husserl, Merleau-Ponty,
choses. Ex. : temps, en français, désigne la
Lévinas, l’altérité réside dans l’apparaître
succession mais aussi les variations atmos-
de l’autre comme alter ego, manifestant
phériques.
son caractère « autre » par la résistance
 Jakobson R., Essais de linguistique générale,
absolue qu’il oppose à se laisser résorber
1, Minuit, p. 42.
par mon propre ego dans l’expérience spé-
2. Phil. : pour l’existentialisme : condi-
cifique de l’intersubjectivité.
tion de l’existence humaine irréductible à
 Husserl E., Méditations cartésiennes, Vrin, une essence mais ouverte à tous les pos-
5e méd., p. 74-127.
Jacques F., Différence et subjectivité, Aubier, sibles. Elle désigne l’impossibilité pour
p. 154 sq., 411. l’homme de fixer d’avance un sens à
Lévinas E., Totalité et infini, Nijhoff, p. 94. son existence, sens qui doit sans cesse se
Labarrière P.-J., « L’Altérité de l’autre », in conquérir dans et par la liberté.
Encyclopédie philosophique universelle. L’Univers  Beauvoir S. de, Pour une morale de l’ambi-
philosophique, dir. A. Jacob, PUF, p. 80 sq. guïté, Gal, p. 180.
Beauvoir S. de, Pyrrhus et Cinéas, Gal, p. 366-
370.
ALTRUISME
Du latin alter : autre.
Phil. ÂME
1. Terme créé par A. Comte pour dési- Du latin anima : souffle vital ; animus :
gner les tendances qui s’opposent à l’égo- désignant la pensée, l’esprit. Correspond
ïsme, plus précisément l’ensemble des au grec psuchè.
impulsions sociales comportant attache- 1. Phil., rel.
ment aux autres, bonté, etc. 1-1. Force vitale qui sort de la bouche
 Comte A., « Catéchisme positiviste », in du mort, fantôme qui rôde dans l’Hadès.
Œuvres d’Auguste Comte, Anthropos, t. XI, p. 49, Ex. : l’âme de Patrocle.
274-279.  Homère, Iliade, BL, chant XXIII, p. 529-
2. Sens actuel : le terme est entré dans les 530.
mœurs aussi bien que dans le langage philo- 1-2. Principe de vie, de sensibilité et de
sophique pour désigner tous les sentiments pensée, par opposition au corps.

24
ÂME

1-3. Pour Platon : principe de mouve- « esprit » du sujet connaissant tel qu’il se
ment de même nature que l’Idée. Réalité révèle dans l’expérience du cogito et com-
automotrice et éternelle qui préexiste au prend tous les actes de conscience (volonté,
corps et lui survit. entendement, imagination, sens).
 Platon, Phèdre, BL, 245c-250, 270c,  Descartes R., Méditations métaphysiques,
p. 32-42, 75. Q PUF, « Abrégé des Méditations », p. 19-21 ;
Platon, Les Lois, BL, 893a-896e, p. 153-158. « Épître », p. 7-8 ; 2e méd., p. 41 ; 6e méd.,
Platon, Phédon, BL, 79d-e, p. 41-42 ; 107c-d, p. 109.
p. 92. Descartes R., Réponses aux deuxièmes objections,
Platon, Gorgias, BL, 493a, p. 175. Q PUF, p. 173.
Platon, Timée, BL, 70b-71c, 89d-90d, p. 195- Descartes R., Traité des passions de l’âme,
198, 224-226. Gal, art. 16, 17, 25, 30-34, 41, 45, 46,
Platon, La République, BL, IV, 436a-444a, p. 165-183.
p. 31-45 ; VI, 508a-e, p. 138 ; X, 611b-612a, Descartes R., « Lettre à Élisabeth (28 juin
p. 109-116. 1643) », in Œuvres. Lettres, Pl Gal, p. 1158-
1-4. Chez Aristote : « entéléchie [acte, 1160.
forme] première d’un corps organisé ayant Descartes R., « Lettre à Mersenne (juillet 1641) »,
ibid., p. 1125-1126.
la vie en puissance ». Intrinsèquement liée
2. Mor., psy. : en un sens général : puis-
au corps, elle ne peut exister sans la matière
sance spirituelle profonde, vie intérieure
dont elle est la forme et disparaît avec elle.
originale d’un individu, d’un peuple, d’une
 Aristote, De l’âme, Vrin, 403a-c, p. 8-13 ;
406-415b 25, p. 26-89.
œuvre.
1-5. Chez Plotin, qui ne pense plus en  Béguin A., L’Âme romantique et le rêve, LP,
p. 165 et passim.
termes de transcendance, mais de proces- Bergson H., « L’Âme humaine », Mélanges,
sion et d’émanation : « Troisième hypo- PUF, p. 1200-1235.
stase » émanée de la puissance de l’Un, Spengler O., Le Déclin de l’Occident, Gal, t. I,
Âme universelle, facteur impersonnel et p. 285-293.
démiurgique d’harmonie cosmique, qui se 3. Psycha. : Jung use du terme pour dési-
diversifie en âmes individuelles, douées de gner un inconscient collectif et imperson-
vies successives. nel, énergie téléologique par laquelle l’in-
 Plotin, Ennéades, BL, I, p. 37-48 ; III, dividu déborde son histoire personnelle et
1-6, p. 64-71 ; 8, 5-7, p. 158-162 ; IV, I-II, s’ouvre à des fins – contre la conception
p. 3-11 ; XI, 8, p. 231. freudienne trop exclusivement tournée
1-6. Pour les matérialistes de l’Antiquité : vers le passé individuel.
corps très subtil, « qui doit à la petitesse de  Jung C., L’Homme à la découverte de son
ses atomes d’être mis le premier en agita- âme, Payot, p. 38-56.
tion » et d’imprimer à nos membres la vie. Jung E. et Hillman J., Anima et animus,
 Brun J., Épicure et les épicuriens. Textes Seghers, p. 9-62.
choisis. Les grands textes-PUF, p. 47-48.
1-7. Dans la tradition judéo-chrétienne : ‫ ڡ‬Dérivé
réalité spirituelle de la créature humaine. • Belle âme
 Alès A. d’, La Théologie de Tertullien,
Phil. : chez Hegel, moment précis du
Beauchesne, p. 112-128.
Saint Augustin, La Cité de Dieu, Desclée, XI, développement de l’Esprit quand il cède
27, p. 115. à la tentation de s’affirmer par la pure
Saint Augustin, La Trinité, Magnard, p. 56-90. conviction intérieure de sa supériorité et
1-8. Chez Descartes, « substance « se contente de mettre le devoir dans ses
pensante » opposée à la substance étendue ; discours ».

25
AMITIÉ

 Hegel G. W. F., La Phénoménologie de l’es- normes éthiques ou ignore la distinction


prit, trad. J. Hyppolite, Aubier, t. II, VI, p. 186- entre le bien et le mal.
189, 299.
À distinguer de immoral : qui a plei-
Labarrière P.-J., Introduction à une lecture de
la phénoménologie de l’esprit, Aubier, p. 177- nement conscience des valeurs morales
180. mais les transgresse sciemment et
d’Hondt J., Hegel. Textes et débats, LP, p. 143- volontairement.
147. 2. Phil. : caractère de ce qui est étranger
au domaine de la morale, non susceptible
d’être qualifié moralement.
AMITIÉ
 Guyau J.-M., Esquisse d’une morale sans obli-
Du latin amicitia : amitié, alliance. Corres- gation ni sanction, Alcan, p. 48.
pond au grec philia.
1. Scou. : inclination d’un autre ordre
que l’amour, souvent liée à une commu- AMOUR
nauté de vie, d’intérêts, de fins. Elle est par Du latin amor : amour.
excellence le fait de reconnaître l’autre et 1. Psy., scou. : sentiment puissant d’at-
d’en être reconnu. tirance vers quelque chose ou quelqu’un.
 Saint Augustin, Confessions, BL, t. I,
 Hegel G. W. F., Esthétique, Aubier, t. II,
li. IV, II, 7-9, 13, p. 70-72, 76.
p. 286-290, 312-319.
Montaigne M. de, Essais, Seuil, L’Intégrale, I,
Anzieu D. et Doron R., Amour, Dictionnaire
ch. 28, p. 87-91.
de psychologie, PUF, p. 31.
2. Phil.
2. Phil., rel.
2-1. Chez Aristote, sentiment éthique
2-1. Chez Platon : Éros, manque essen-
visant le Bien et non pas seulement le
tiel, désir de réalités plus hautes. Ses objets
plaisir. Il n’existe qu’entre hommes ver-
ici-bas ne le comblent pas.
tueux et implique la philautia, sentiment
de la valeur personnelle inconnu du  Platon, Le Banquet, BL, 209e-212a, p. 67-71.
Platon, Phèdre, BL, 249b-250a, p. 41-42.
méchant. Platon, Les Lois, BL, VIII, 837, p. 78-79.
 Aristote, Éthique de Nicomaque, Vrin, VIII, 2-2. L’agapè chrétien (caritas), et son
1155a-1163b, p. 381-429.
Aristote, Éthique à Eudème, Vrin, VII, 1234b sens du prochain, correspond à une trans-
18-1246a 25, p. 149-203. mutation des valeurs antiques : « Dieu
Fraisse J.-C., Philia. La notion d’amitié dans la est amour » et l’Autre singulier (autrui)
philosophie antique, Vrin, p. 253-254. compte pour lui-même, il n’est pas une
2-2. Chez Épicure : vertu, appor- apparence dont l’Aimable en soi serait
tant sécurité et plaisir et procurant la l’essence.
béatitude.  Saint Jean, Nouveau Testament, 1re épître,
 Brun J., Épicure et les épicuriens. Textes Épîtres catholiques, éd. Rencontre, p. 208.
choisis, PUF, p. 153-155. Scheler M., Nature et formes de la sympathie,
Payot, p. 100-105, 199-287.
3. Psycha.
AMORAL 3-1. Choix d’objet par la pulsion
Du latin mores : mœurs ; et a- : privatif. sexuelle.
1. Mor., scou. : se dit d’un être dépourvu 3-2. « L’amour véritable » est une syn-
de sens moral, par exemple l’animal ou thèse des pulsions sexuelles et des « sen-
l’être humain lorsqu’il est indifférent aux timents tendres » qui se produit à la suite

26
ANALOGIE

du refoulement des pulsions sexuelles  Rousseau J.-J., « Discours sur l’origine et les
infantiles. fondements de l’inégalité parmi les hommes », in
Œuvres complètes, t. III, « Écrits politiques », Pl
 Freud S., « Psychologie collective et ana-
Gal, note 15 de la p. 154, p. 219.
lyse du moi », Essais de psychanalyse, Payot,
p. 76-162. • Pur amour
Thèse de Fénelon, liée au quiétisme :
‫ ڡ‬Dérivés
amour pour Dieu seul, totalement désin-
• Amour de soi téressé, « sans crainte ni espérance ».
Phil. : pour Rousseau, passion primitive,  Varillon F., Fénelon et le pur amour, Seuil,
naturelle et saine, liée à l’instinct de conser- p. 147-153.
vation. « Dirigé par la raison et modifié par
la pitié », « produit l’humanité et la vertu ».
ANALOGIE
 Rousseau J.-J., « Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes », in Du grec analogia : proportion, correspon-
Œuvres complètes, t. III, « Écrits politiques », Pl dance, analogie ; de ana : à travers ; et
Gal, note 15 de la p. 154, p. 219. legein : rassembler.
• Amour intellectuel de Dieu 1. Sgén. : similitude générale, ressem-
blance de structure.
Chez Spinoza : béatitude et liberté de
 Bouveresse J., Prodiges et vertiges de l’analo-
l’âme du sage, en tant qu’elle se sait le lieu de gie, éd. Raisons d’agir.
l’amour par lequel Dieu s’aime lui-même. Morin E., « La Connaissance de la connais-
 Spinoza B., Éthique, trad. Appuhn, Vrin, sance », t. III, La Méthode, Seuil, p. 140-143.
li. V, prop. XXXIII, XXXV, XXXVI, p. 221-228. Saussure F. de, Cours de linguistique générale,
Payot, ch. 3, p. 125-126.
• Amour-propre Wittgenstein L., Investigations philosophiques,
1. Scou. : sentiment de fierté et de § 23, 66, 67, 83.
dignité personnelle. 2. Math. : terme pythagoricien dési-
2. Morale : au sens classique du terme, gnant une proportion parfaite : l’identité
synonyme d’égoïsme et d’amour exclusif du rapport unissant deux à deux les élé-
de soi. ments de plusieurs couples.
2-1. Pour La Rochefoucauld, « l’amour-  Berkeley G., L’Immatérialisme, textes choi-
propre est l’amour de soi-même et de sis par A.-L. Leroy, PUF, p. 154.
toutes choses pour soi ». « La nature de 3. Phil., théo.
l’amour-propre et de ce moi humain est 3-1. Par ext. : correspondance entre des
de n’aimer que soi et de ne considérer que domaines hétérogènes en fonction d’une
soi. (Pascal) » certaine unité. Ex. : chez Platon, l’intel-
 La Rochefoucauld F. de, « Maximes ligence est à l’opinion comme l’idée au
morales », in Œuvres complètes, Pl Gal, p. 318. devenir.
Pascal B., Pensées et opuscules, Hachette, Pensée  Platon, La République, BL, VII, 534a,
100, p. 375. p. 175.
2-2. Chez Rousseau, par opposition à 3-2. Chez Aristote : la notion acquiert
l’amour de soi qui est un « sentiment bon une valeur de méthode pour la connais-
et absolu », l’amour-propre est « un senti- sance en de multiples domaines. L’analogie
ment relatif, factice et né dans la société, mathématique et géométrique s’applique à
qui porte chaque individu à faire plus de la vertu et à la justice et « donne le juste
cas de soi que de tout autre. » milieu en tout art ».

27
ANALOGISME

 Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. Tri- ‫ ڡ‬Dérivé


cot, Vrin, II, 5, 1106a 26-36, p. 103-104 ; V,
6-7, p. 226-238. • Analogie de l’expérience
Aristote, Organon. Seconds analytiques, Vrin, I, Phil. : concept kantien désignant les trois
10, 76a 39, p. 54. principes de l’entendement pur régissant
Aristote, Poétique, Seuil, 21, 57b 9, p. 107. l’application de la catégorie de la Relation
Aristote, La Métaphysique, trad. Tricot, Vrin, à l’expérience, selon le principe général
t. I, li. Γ, § 2, 1003a 33-34, p. 175-176 ; Z, que « l’expérience n’est possible que par la
§ 4, 1030b, p. 366 ; t. II, li. L, 5, 1070b 25-28, représentation d’une liaison nécessaire des
1071a 30, 1072b, p. 663, 678. perceptions » : 1) leur permanence dans le
3-3. Mode de connaissance privilégié temps qui en fait des objets (première ana-
par les théologies cosmo-symboliques logie) ; 2) leur rapport de succession qui
mettant en correspondance microcosme suppose une règle – contre la conception
et macrocosme (gnosticisme, illuminisme, empirique de la causalité (seconde ana-
hermétisme, kabbale) et les philosophies logie) ; 3) il existe une action réciproque
de la nature à tendance mystique et pan- simultanée de toutes les substances (troi-
théiste (romantisme de Fr. von Baader, sième analogie).
Novalis, Goethe, Schelling, etc.).  Kant E., « Analytique transcendantale »,
Critique de la raison pure, PUF, p. 174-200.
 Saint Thomas d’Aquin, L’Être et l’esprit.
Textes choisis par J. Rassam, PUF, p. 172.
Susini E., Fr. von Baader et le Romantisme mys- ANALOGISME
tique, Vrin, t. I, p. 103.
4. Log., rhé. : procédé inductif qui Anth., ethn. : dans l’anthropologie de
Philippe Descola (né en 1949), l’un des
conclut, à partir de la connaissance d’un
quatre grands schèmes ou « matrices
terme et de la relation qui en unit deux ontologiques » – animisme, naturalisme,
autres, à la connaissance du quatrième. A totémisme, analogisme (le « carré onto-
est à B ce que C est à D. Galilée raisonne logique ») – selon lesquels les hommes
par analogie quand il suppose que les organisent leurs rapports au monde, en
taches sur la Lune sont des ombres de mon- part. aux êtres qui leur semblent étran-
tagnes lunaires : il part de l’analogie posi- gers (choses, animaux, plantes, éléments,
tive entre les deux sphères solides, éclairées signes, etc.). Les critères de cette orga-
par le soleil, etc. ; de l’analogie négative : nisation sont « les modes de relation
lune est plus petite, sans atmosphère, etc. ; entre les existants » : l’analyse com-
de ce qui est neutre dans l’analogie : les bine d’une part la physicalité, d’autre
part l’intériorité des êtres, avec le fait
caractéristiques dont la ressemblance ou la
qu’ils soient humains ou non-humains.
différence reste indéterminée. 1) L’animisme voit de l’altérité dans la
5. Pseudo-raisonnement qui ne sait pas discontinuité des corps, mais attribue à
prouver ce qu’il avance, mais sans lequel la tout être une vie intérieure ; 2) le natura-
logique n’inventerait rien et se réduirait à lisme refuse l’intériorité à ce qui n’est pas
la répétition de l’identique. humain mais s’intéresse à l’altérité entre
 Blanché R., Le Raisonnement, PUF, p. 177- les esprits ; 3) le totémisme remonte à une
185. origine première expliquant la continuité
Perelman C., Traité de l’argumentation, univer- entre humains et non-humains ; 4) l’ana-
sité de Bruxelles, p. 499-534. logisme au contraire saisit le monde

28
ANALYTIQUE

comme un infini disséminé en singulari- contente d’abstractions et n’a pas l’exigence


tés aussi bien physiques que mentales, où d’une unité dynamique.
seules des ressemblances et des analogies  Hegel G. W. F., Phénoménologie de l’esprit,
permettent de démultiplier à l’infini les trad. J. Hyppolite, t. I, Aubier, pré., p. 48.
différences pour constituer des formes Hegel G. W. F., « Philosophie de l’esprit »,
d’unité. Les « collectifs » (ensembles Encyclopédie des sciences philosophiques, Vrin, III,
d’humains et de non-humains) régis par p. 258-259.
ce schème analogique se caractérisent 2. Math.
par la forme cosmocentrique donnée à la 2-1. Chez les Grecs, méthode consistant
société : ensemble hiérarchisé rapporté à à supposer le problème résolu et à remon-
lui-même (ordres, castes), unifié par des
ter à un principe dont la solution soit la
« symétries spatiales et temporelles, et
des structures répétitives en abîme », for- conséquence nécessaire. C’est « l’Analyse
mant un « monde ». Ex. : les Aztèques, des Anciens », dont Descartes distingue
la Chine ancienne et l’Inde (géoman- « l’Algèbre des Modernes », nommée ana-
cies), l’Europe jusqu’à la Renaissance lyse au xviie siècle.
(microcosmes reflétant un macrocosme).  Descartes R., Discours de la méthode, in
(➢ ANIMISME, COLLECTIFS, NON-HUMAINS) Œuvres I, Ga, II, p. 584-585.
 Descola P., Par-delà nature et culture, Gal, Berkeley G., « L’Analyste », in Œuvres II, PUF,
p. 176, 280 sq., 323, 409-417. p. 259-270.
Descola P. (dir.), La Fabrique des images. Visions 2-2. Aujourd’hui, par opposition à
du monde et formes de la représentation, Musée
du quai Branly, Somogy éd., p. 14, 67, 165 sq., l’algèbre élémentaire, qualifie les disci-
185 sq., 203. plines mathématiques qui étudient les
relations de dépendance existant entre
diverses grandeurs : théorie des fonc-
ANALYSE tions, des ensembles, et surtout calcul
Du grec analusis : analyse, de analuein : infinitésimal.
délier, résoudre un tout en ses parties.  Willem M., Henrard P., « Analyse »,
1. Phil. in Encyclopédie philosophique universelle, Les
1-1. Mise en lumière des parties consti- Notions philosophiques, PUF, t. I, p. 89.
tutives d’un tout. Elle « ne se contente pas
de séparer les parties », mais cherche à en
« saisir les rapports ». ANALYTIQUE
 Condillac E. de, « Dictionnaire des syno-
nymes », in Corpus général des philosophes fran- Épis., log., phil.
çais, PUF, t. XXXIII, III, p. 179. 1. Qui procède par analyse. S’oppose à
Strawson P. F., Analyse et métaphysique, Vrin, synthétique.
p. 17.
 Nadeau R., Vocabulaire technique et analy-
1-2. Chez Descartes : seconde règle tique de l’épistémologie, PUF, p. 132, 484.
« pour bien conduire sa pensée » ; méthode
2. Chez Aristote, l’Analytique est la par-
de découverte, distinguée de la synthèse
qui est méthode d’exposition. tie de la Logique qui traite de la démons-
 Descartes R., Règles pour la direction de l’es-
tration : Premiers et Seconds analytiques,
prit, in Œuvres. Lettres, Pl Gal, p. 138. 3e partie de l’Organon.
1-3. Pour Hegel elle correspond au  Nadeau R., Vocabulaire technique et analy-
travail borné de l’entendement qui se tique de l’épistémologie, PUF, p. 132, 484.

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ANAMNÈSE

‫ ڡ‬Dérivés 1. Myth., rel. : concept lié à la tradition


orphico-pythagoricienne et à la croyance
• Analytique transcendantale
en la métempsychose, où l’anamnèse
Chez Kant : étude des formes de l’en- désigne le fait de se ressouvenir des vies
tendement, en tant qu’elles sont a priori. antérieures.
 Kant E., Critique de la raison pure, PUF, 2. Phil. : chez Platon, l’anamnèse est liée
p. 85. à la théorie des Idées, à une conception
• Jugement analytique de la vérité comme réminiscence : acte par
Appliqué par Kant à une classe de juge- lequel l’âme se ressouvient à l’aide de sensa-
ments ou de propositions : « analytique » tions présentes des connaissances acquises
est le jugement dont le prédicat est déjà avant son union avec le corps, lorsqu’elle
contenu confusément dans le sujet. Ex. : vivait avec les dieux et contemplait le
tous les corps sont étendus. monde des Idées.
 Platon, Ménon, in Œuvres complètes, Pl
 Kant E., Critique de la raison pure, PUF,
Gal, t. I, 81b-86c, p. 529 sq.
int., p. 37-39.
Platon, Phèdre, ibid., t. II, 249b-250b, p. 39.
Kant E., Prolégomènes à toute métaphysique
future, Vrin, I, § 2, p. 20-21. 3. Psycha. : dans la première période
de Freud, liée à la méthode cathartique,
• Philosophie analytique l’anamnèse consiste en la réapparition, sous
Épis., ling., log., phil. : terme global hypnose ou spontanément, en liaison avec
désignant les diverses recherches conduites l’abréaction, du passé véridique du patient.
depuis le début du siècle dans le domaine Remontant alors le cours du temps, elle
de l’analyse du langage à partir de la nou- restituerait les éléments pathogènes.
velle logique de G. Frege (théorie des  Breuer J. et Freud S., Études sur l’hystérie,
descriptions de B. Russell, des jeux de PUF, p. 4-5, 205 sq.
langage de Wittgenstein, syntaxe logique
de R. Carnap, sémantique formelle des
langues naturelles, analyse conceptuelle ANARCHIE
de G. Ryle, etc.). Elles ont en commun Du grec anarchia : absence de comman-
d’aborder les questions « philosophiques » dement.
en procédant à une analyse du langage, Phil., pol.
saisi comme médium d’appréhension du 1. Dissolution d’un État, situation d’une
réel. Analysant la forme logique des énon- société rejetant tout pouvoir, toute auto-
cés pour en apprécier la valeur, elles ont rité coercitive pour faire prévaloir le libre
permis la mise en évidence de faux pro- exercice des volontés individuelles.
blèmes constituant l’édifice métaphysique.  Arvon H., L’Anarchisme, PUF, p. 124.
 Rossi J.-G., La Philosophie analytique, QS 2. Selon Platon et Aristote, l’anarchie
PUF, p. 3-7. est la dégénérescence inévitable du régime
Dummett M., Les Origines de la philosophie ana- démocratique qui meurt de ses propres
lytique, Gal, p. 13.
excès et engendre la démagogie, prélude à
la dissolution de l’État.
ANAMNÈSE  Platon, La République, in Œuvres com-
plètes, Pl Gal, t. I, 554b-565d, p. 1154-1169.
Du grec anamnesis : action de se ressou- Aristote, La Politique, BL, II, 12, p. 138-139 ;
venir. IV, 4, p. 287-295 ; V, 9, p. 384, 12, p. 409-410.

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