Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1° Cosmo-politisme.
Agamben, p. 118
Que dans la dialectique entre voilement et dévoilement (verborgenheit/unverborgenheit) qui définit
la vérité soit en jeu pour Heidegger un paradigme poltiique (ou plutôt le paradigme politique par
excellence, voilà qui ne fait même pas question. Dans le cours sur Parménide, la polis est
précisément définie par le conflit Verborgenheit-Unverborgenheit. « La polis est le site en soi
rassemblé du dévoilement de l’étant. » (…) le paradigme ontologique de la vérité comme conflit
entre voilement et dévoilement est immédiatement un paradigme politique. C’est parce que l’homme
advient dans l’ouverture à une fermeture que quelque chose comme une polis et une politique est
possible. Or (…) ce conflit est en même temps et dans la même mesure, celui entre l’humanité et
l’animalité de l’homme.
p.121 Peut-être Heidegger a-t-il été le dernier philosophe à croire de bonne foi que le lieu de la
polis, le pole où règne le conflit entre le voilement et le dévoilement, entre l’animalitas et
l’humanitas de l’homme, soit encore praticable, et qu’il soit encore possible, pour des hommes, pour
un peuple, de trouver son destin historique.
C’est devenu impossible, car pour Agamben, la politique à présent s’est réduite à un
effort pour conserver la vie nue (nur noch Leben)
On se méprend totalement sur la nature des grandes expériences totalitaires du vingtième siècle si
on ne les voit que comme une continuation des dernières grandes tâches des Etats nations du 19e :
siècle. L’enjeu est maintenant tout autre et plus extrême, puisqu’il s’agit d’assumer comme tâche la
simple existence de fait des peuples mêmes, c’est-à-dire, en dernière analyse, leur vie nue »
123 : « ‘L’homme ayant atteint désormais son télos historique, et pour une humanité redevenue
animale, il ne reste rien d’autre que la dépolitisation des sociétés humaines, au moyen du
déploiement inconditionné de l’oikonomia, ou bien l’assomption de la vie biologique elle-même
comme tâche politique ou plutôt impolitique suprême. (…) La vie naturelle elle-même et le bien-
être qui lui est attaché semblent se présenter comme la dernière tâche historique de l’humanité- en
admettant que parler de « tâche » ait ici encore un sens.
On voit ici combien une certaine pensée de la relation ontologique entre l’homme
et le monde conduit à considérer la vie comme un repoussoir, une notion
antipolitique. Elle est synonyme d’animalisation de l’homme
Les puissances historiques traditionnelles -poésie, religion, philosophie – qui tenaient en éveil le
destin historico-politique des peuples, ont été depuis longtemps transformées en spectacles culturels et
en expériences privées, et ont perdu toute efficacité historique. Devant cette éclipse, la seule tâche
qui semble encore conserver un peu de sérieux est la prise en charge et la « gestion intégrale » de la
vie biologique, ie de l’animalité même de l’homme. Génome, économie globale, idéologie
humanitaire sont les trois faces solidaires de ce processus ou l’humanité post-historique semble
assumer sa physiologie même comme ultime et impolitique mandat.
(…)
L’humanisation intégrale de l’animal coïncide avec une animalisation intégrale de l’homme.
On retrouve ici tout le ton de déploration qu’on trouve aussi chez Arendt et
Foessel : l’humanité de l’homme est menacée par la valorisation de la vie et de la
conservation de la vie, de ses fonctions pourtant sous-humaines…
Agamben relève bien le rapport étroit entre ce qui a été dit ici des rapports entre
l’animal et l’homme et la manière dont Heidegger décrit la fonction et
l’origine de l’œuvre d’art dans le texte célèbres des Chemins qui ne mènent
nulle part.
Il y a en fait deux versions disponibles de ce texte.
Dans L’origine de l’œuvre d’art, dans les Chemins, il y a deux chapitres : la chose et
l’œuvre, et l’œuvre et la vérité. La première parle de la chose et aborde à la fin le
tableau de Van Gogh, et la seconde parle du temple grec.
E. Martineau a choisi de publier la traduction de la deuxième partie du texte à part,
comme étant le texte d’une conférence ayant eu lieu à Fribourg en 1935. « De
l’origine de l’oeuvre d’art »
Le temple grec n’est pas posé à un endroit du monde. Il est « érigé » pour instaurer
son monde, le monde sur lequel il « règne ».
C’est le temple qui fait voir l’étant en tant que tel, il est érigé pour maintenir
l’ouverture de ce qui est, pour maintenir vivant le rapport entre le Dasein et le
monde :
TEXTE MARTINEAU
Le temple de Zeus se dresse là, au fond d’une gorge crevassée. L’édifice embrasse la figure du dieu,
et, en même temps, il la laisse ainsi émerger, à travers la colonnade ouverte, dans l’espace consacré.
Dans le temple et par le temple, le dieu manifeste sa présence, et c’est ainsi seulement qu’il laisse le
domaine s’étendre et se délimiter comme un domaine sacré. Bien loin que la présence du dieu se
perde dans l’indéterminé, c’est au contraire le temple qui, pour la première fois, joint et rassemble
l’unité de ces rapports où s’ajointent la naissance et la mort, l’heur et le malheur, la victoire et
l’humiliation, l’unicité et le déclin d’un peuple. L’unité régnante de ces rapports, nous l’appelons un
monde. C’est au sein de celui-ci qu’un peuple, à chaque fois, accède à lui-même. Le temple comme
œuvre est le milieu ajointant de toutes les jointures de tout monde (Hw. 30-31).
Le temple donne toute sa configuration de sens aux choses qui l’entourent, il lui assigne leur signification
par rapport à celui qui l’a construit, disposé là pour maintenir ces relations patentes.
Se tenant là, l’édifice repose en même temps sur le roc. C’est ainsi seulement que celui-ci manifeste
l’obscurité de son sourd portement.
Ici, on voit le rôle de la terre, de ce à partir de quoi la manifestation a lieu.
Se tenant là, l’édifice tient tête à la tempête qui fait rage sur lui, manifestant par là pour la première
fois celle-ci en sa violence. L’éclat et la lueur de la pierre, qui apparemment ne sont eux-mêmes dus
qu’à la grâce du soleil, manifestent pourtant justement la clarté du jour, la largeur du ciel et les
ténèbres de la nuit. La sûre éminence du temple se dresse contre le déferlement des flots marins, et
laisse ainsi le tumulte sauvage venir au paraître en provenance du calme. C’est maintenant
seulement que l’arbre et l’herbe, l’aigle et le taureau, le serpent et le grillon parviennent à une
figure distincte et se dégagent ainsi en ce qu’ils sont.
Ce dégagement, les Grecs le nommèrent physis. Ce mot veut dire : ce qui se lève à partir de soi et
entre ainsi dans la lumière. Le nom grec pour la lueur de la lumière, phaos, phôs a la même racine .
Une telle levée porte, embrasse et pénètre toutes choses. Elle est le tout sur lequel et dans lequel
l’homme fonde son habiter. Celui-ci, nous l’appelons la terre.
La terre est l’hôte des hommes, elle leur donne les moyens de se manifester
De ce que ce mot veut nommer, il convient de tenir éloigné aussi bien la représentation d’une
masse matérielle sédimentée que celle, purement astronomique, d’une planète (Hw. 31).
Pas d’approche objectivante ou scientifique.
L’œuvre-temple, en se dressant là, porte le peuple à la conjonction de son monde. En même
temps, il laisse la terre se lever comme le fond natal (heimatlicher Grund) sur lequel son Dasein
repose (Hw. 32).
Cette phrase est à la fois significative et inquiétante, par son usage du mot Volk, et sol natal.
Cependant, les hommes et les animaux, les plantes et tout le reste ne sont pas là, sous la main,
comme des choses fixes et bien connues qui ensuite fourniraient seulement au temple — lui-même
sous la main un jour ou l’autre — son environnement. Tout, ici, est renversé : c’est le temple, dans
sa tenue, qui donne pour la première fois aux choses le visage grâce auquel elles deviendront à
l’avenir visibles et, pour un temps, le demeureront (Hw. 32).
Le temple n’est pas dans un environnement neutre, il est le centre d’un monde, il est la manifestation
conjointe d’une décision du Dasein et d’un monde qui s’ouvre, dont il est le centre et le milieu.
Et de même pour la statue du dieu, que lui consacre le vainqueur lors des jeux. Elle est tout sauf une
image, chargée de simplement faire connaître l’aspect du dieu — cela, nul ne le sait —, mais une
œuvre qui « est » le dieu même, le laisse devenir présent et aborde tout homme, dégageant aussi
bien à son être propre celui qui consacre (Hw. 32).
De même encore pour l’œuvre de langue — la tragédie ; là, rien n’est représenté ni seulement porté
à la connaissance, mais c’est le combat des nouveaux dieux contre les anciens qui est ouvert. Tandis
que l’œuvre de langue se dresse dans le dire du peuple, celui-ci ne parle pas sur le combat, mais,
par l’œuvre de langue, le dire est métamorphosé de telle manière qu’en tout mot essentiel il mène
le combat et porte à la décision ce qui est grand et ce qui est petit, ce qui est vaillant et ce qui est
lâche, ce qui est durable et ce qui est fugace, ce qui est maître et ce qui est esclave (Hw. 32).
La parole contient le combat pour la vérité, pour la révélation de l’étant dans sa signification et sa valeur
d’être pour le Dasein, qui se manifeste lui aussi en même temps.
Plus proprement des œuvres édifiées, sculptées, parlées se tiennent là en soi, et plus
immédiatement elles sont le milieu du Dasein d’un peuple. Elles rassemblent toutes choses autour
de soi et les libèrent en même temps à l’apérité de leur essence.
Le monde ne doit pas devenir quelque chose d’objectif, car ainsi il perdrait tout
sens :
Il faut des temples, pour qu’on puisse voir régner le destin historial d’un peuple à
travers le monde qu’il s’instaure…
Ce faire-venir doit être pensé en un sens rigoureux. L’œuvre porte et maintient la terre elle-même
dans l’ouvert d’un monde. L’œuvre libère la terre pour qu’elle soit une terre. Mais comment se fait-
il que ce faire-venir la terre s’accomplisse par le retrait de l’œuvre en elle ? Qu’est donc la terre pour
parvenir à l’éclosion précisément de cette manière ? La pierre pèse, et manifeste ainsi sa lourdeur.
Mais pendant que cette pesanteur vient à nous, elle refuse en même temps toute intrusion en elle.
Si nous essayons pourtant d’y pénétrer, en cassant le roc, ses morceaux brisés ne montrent jamais
quelque chose d’interne qui se serait ouvert à nos yeux. La pierre s’est aussitôt retirée en ses
morceaux, dans la même pesanteur sourde et massive. Si nous tentons de saisir cette pesanteur par
un autre moyen, en plaçant la pierre sur une balance, nous ne faisons entrer la pesanteur que dans
le calcul d’un poids. Cette détermination de la pierre peut être très exacte, mais elle reste un chiffre,
et la pesanteur nous a échappé. La couleur irradie, et ne veut qu’irradier. Si nous la
décomposons, par une intelligente mesure, en nombre de vibrations, alors
elle a disparu. Elle ne se montre que si elle reste non décelée et inexpliquée.
La terre fait ainsi se briser contre elle-même toute tentative de pénétration. Elle fait tourner en
destruction toute indiscrétion calculatrice. Celle-ci peut bien revêtir l’apparence de la domination et
du progrès en prenant la figure de l’objectivation technico-scientifique de la nature : elle n’en reste
pas moins une impuissance du vouloir. Ouverte dans le clair de son être, la terre n’apparaît comme
elle-même que là où elle est gardée et sauvegardée en tant que l’indécelable par essence, qui se retire
devant tout décel, c’est-à-dire qui se retient en constante réserve.
La terre est par essence ce qui se renferme en soi. Faire-venir la terre signifie : la faire venir dans
l’ouvert en tant que ce qui se renferme en soi. Ce faire-venir la terre, c’est l’œuvre qui l’accomplit en
s’y installant en retour.
c/ Ces deux traits essentiels doivent en fait être compris dans leur unité
profonde, qui est celle du conflit, Streit :
BROKMEIER :
Le monde est l’ouverture ouvrant toute l’amplitude des options simples et décisives dans le destin
d’un peuple historial. La terre est la libre apparition de ce qui se referme constamment sur soi,
reprenant ainsi en son sein. Monde et terre sont essentiellement différents l’un de l’autre, et
cependant jamais séparés. Le monde se fonde sur la terre, et la terre surgit au travers du monde.
Cependant, la relation entre monde et terre ne décrépit point en une vide unité d’opposés qui ne se
concernent en rien. Reposant sur la terre, le monde aspire à la dominer. En tant
que ce qui s’ouvre, il ne tolère pas d’occlus. La terre, au contraire, aspire, en
tant que reprise sauvegardante, à faire entrer le monde en elle et à l’y retenir.
L’affrontement entre monde et terre est un combat.
(Nous faussons trop facilement l’essence du combat en la confondant avec la discorde et la dispute ;
ainsi nous ne connaissons le combat que comme trouble et destruction. Mais dans le combat
essentiel, les parties adverses s’élèvent l’une l’autre dans l’affirmation de leur propre essence.
L’auto-affirmation (Selbstbehauptung) de l’essence n’est cependant jamais le raidissement dans un
état accidentel, mais l’abandon de soi dans l’originalité réservée de la provenance de l’être propre.
Dans le combat, chacun porte l’autre au-dessus de lui-même. Le combat devient ainsi de plus en
plus combat, de plus en plus ce qu’il est en propre. Plus âprement le combat s’exalte luimême, plus
rigoureusement les antagonistes se laissent aller à l’intimité du simple s’appartenir à soi-même.)
D’après la toile de Van Gogh, nous ne pouvons même pas établir où se trouvent ces souliers.
Autour de cette paire de souliers de paysan, il n’y a rigoureusement rien où ils puissent prendre
place : rien qu’un espace vague. Même pas une motte de terre provenant du champ ou du sentier, ce
qui pourrait au moins indiquer leur usage. Une paire de souliers de paysan, et rien de plus. Et
pourtant… Dans l’obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du
labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente et opiniâtre foulée à travers
champs, le long des sillons toujours semblables, s’étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué
par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s’étend la solitude du chemin de campagne
qui se perd dans le soir. A travers ces chaussures passe l’appel silencieux de la terre, son don tacite
du grain mûrissant, son secret refus d’elle-même dans l’aride jachère du champ hivernal. A travers
ce produit repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silencieuse de survivre à
nouveau au besoin, l’angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace.
Ce produit appartient à la terre, et il est à l’abri dans le monde de la paysanne. Au sein de cette
appartenance protégée, le produit repose en lui-même. Page 22
Grâce à elle, la paysanne est confiée par ce produit à l’appel silencieux de la terre ; grâce au sol
qu’offre le produit, à sa solidité, elle est soudée à son monde. Pour elle, et pour ceux qui sont avec
elle comme elle, monde et terre ne sont là qu’ainsi : dans le produit. Nous disons « ne… que »,
mais ici la restriction a tort. Car c’est seulement la solidité du produit qui donne à ce monde si
simple une stabilité bien à lui, en ne s’opposant pas à l’afflux permanent de la terre.
Ce qui est très frappant, c’est ce passage au féminin. Il parle de souliers de paysans,
et il ne peut pas s’empêcher de passer à la paysanne. Ce qui à mon sens veut tout
dire.
Ce qui reste intéressant ici, c’est que ce qui était dévolu à l’ennui, et donc à une
disposition particulière du sujet humain dans les CFM est ici assumé par l’œuvre
d’art elle-même, par le temps grec : ouvrir le monde et le maintenir ouvert.
C’est elle qui instaure le monde en quelque sorte, qui répète et réalise cette entrée
dans le monde qui caractérise l’être humain, à travers la notion de conflit,
d’opposition (Streit). Et c’est du coup un peuple et non plus un individu, qui, dans
et à travers l’œuvre, est alors porteur non plus d’un simple Dasein, mais d’un
« destin historial » : on voit le rapport direct entre la théorie de l’œuvre d’art, la
politique, et l’ontologie fondamentale.
Le texte de la conférence fait intervenir de manière permanente le terme de
« Volk », et celui de son « sol natal ». Ce qui est intéressant à plus d’un titre…
L’œuvre est dont en rapport direct avec l’ontologie etla question de la vérité comme
conflit verborgenheit/unverborgenheit comme on l’a dit plus haut :
Page 40 BROKMEIER:
Le suspens secret de la réserve veut nommer ce jeu adverse à l’intérieur de l’essence de la vérité, qui
réside, dans l’essence de la vérité, entre éclaircie et réserve. C’est là l’opposition même du combat
originel. L’essence de la vérité est en elle-même la source de ce combat où se conquiert le milieu
ouvert dans lequel l’étant vient se tenir, et à partir duquel il se dérobe en lui-même. Cet ouvert
advient au milieu de l’étant. Il manifeste un trait essentiel que nous avons déjà nommé. De l’ouvert
fait partie un monde, et la terre. Mais le monde n’est pas tout simplement l’ouvert correspondant à
l’éclaircie ; la terre n’est pas l’indécelable correspondant à la réserve. Le monde, c’est bien plutôt
l’éclaircie de l’orbite des injonctions essentielles, dans laquelle toute décision s’ordonne. Mais toute
décision se fonde sur un non-maîtrisé, sur quelque chose de secrètement égarant : autrement, elle ne
serait jamais décision. La terre, à son tour, n’est pas simplement l’indécelable, mais ce qui
s’épanouit en tant que ce qui se referme sur soi. Monde et terre sont en eux-mêmes, chacun selon
son essence, de nature combative et adverse. Ce n’est qu’en tant que tels qu’ils peuvent entrer dans
le combat de l’éclaircie et de la réserve. La terre ne surgit à travers le monde, le monde ne se fonde
sur la terre que dans la mesure où la vérité advient comme le combat originel entre éclaircie et
réserve. Mais comment la vérité advient-elle ? Réponse : elle advient en quelques rares modes
essentiels. Un des modes dans lesquels la vérité se déploie, c’est l’être-œuvre de l’œuvre. Installant
un monde et faisant venir la terre, l’œuvre est la bataille où est conquise la venue au jour de l’étant
dans sa totalité, c’est-à-dire la vérité. La vérité advient en l’instance du temple. Cela ne signifie pas
que quelque chose soit ici représenté conformément à la réalité, mais bien que l’étant en son tout est
amené à l’ouvert et maintenu en lui. Maintenir (halten) a pour premier sens garder (hüten). Dans
la peinture de Van Gogh, la vérité advient. Cela ne veut pas dire qu’un étant quelconque y est
dépeint en toute exactitude, mais que, dans le devenir-manifeste de l’être-produit des souliers,
l’étant dans sa totalité, monde et terre en leur jeu réciproque, parviennent à l’éclosion.
Dans l’œuvre, c’est la vérité qui est à l’œuvre, et non pas seulement quelque chose de vrai. Le
tableau qui montre les chaussures de paysan, le poème qui dit la fontaine romaine, ne font pas
seulement savoir – à proprement parler, ils ne font rien savoir du tout – ce que cet étant particulier
est en tant que tel ; ils font advenir de l’éclosion comme telle, en relation avec l’étant en son entier.
Plus simplement et essentiellement les seules chaussures, plus sobrement et purement la seule
fontaine entrent et s’épanouissent dans leur essence, plus immédiatement et manifestement l’étant
tout entier gagne avec elles plus d’être. L’être se refermant sur soi est ainsi éclairci. Il ordonne la
lumière de son paraître dans l’œuvre. La lumière du paraître ordonnée en l’œuvre, c’est la beauté.
La beauté est un mode d’éclosion de la vérité.
5° Distances sanitaires
Le monde ne doit pas rester cela, le monde ne peut pas être cela : l’inobjectif, le
rapport aux dieux d’un peuple historial : c’est un pur mythe du monde. Dans lequel
il n’y a pas de place pour un monde commun fondé sur la raison. L’appel d’un
destin.
Le monde dans sa mythologie réactionnaire, qui définit l’habitabilité du monde à
partir du rapport au sol natal (heimatliche Grund). Cela définit un cercle de définition
du monde dont il ne faut pas sortir. C’est le contraire d’un horizon commun, ou
d’un horizon d’objectivation.
Il y a un risque, et même un danger de ce sens métaphysique du monde, qui
contient en lui une définition intrinsèque et fermée de l’homme, toujours identique
à elle-même, et donc en creux du non-humain.
On retrouve ce genre de définition de l’homme « proprement dit », par opposition
au travailleur ou à l’artisan, chez Arendt. Le travailleur risque de ne plus appartenir
de plein droit à ce qui fait d’un homme un homme, à savoir « apparaître dans le
monde » à travers son « action » politique et morale.