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Mélanges de l'École française

de Rome - Antiquité
127-1  (2015)
Valle Giumentina – Varia

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Pierre Vesperini
Le sens d’humanitas à Rome
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Référence électronique
Pierre Vesperini, « Le sens d’humanitas à Rome  », Mélanges de l'École française de Rome - Antiquité [En ligne],
127-1 | 2015, mis en ligne le 09 juin 2015, consulté le 09 juin 2015. URL : http://mefra.revues.org/2768

Éditeur : École française de Rome


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© École française de Rome
Le sens d’humanitas à Rome 2

Pierre Vesperini

Le sens d’humanitas à Rome


1 La discussion sur le sens du mot humanitas, quels que soient les désaccords (notion proprement
romaine ou traduction d’une ou de plusieurs notions grecques), n’a jamais remis en cause,
d’une part, l’importance accordée à Cicéron dans sa définition, et, d’autre part, l’idée que
l’humanitas référerait à la «  condition humaine  », à «  ce qui est propre à l’homme  »1. De
toute évidence, la postérité écrasante du mot (les humanités, l’humanisme) a pesé de tout
son poids sur les savants. L’enquête dont cet article présente les résultats propose d’adopter
une démarche inverse : plutôt que de voir dans l’humanitas romaine un rapport quelconque
avec notre propre culture, il s’agit de l’étudier comme un mot appartenant à une culture aussi
éloignée de la nôtre que celle des Papous et des Iroquois2. Aborder le passé de sa propre culture
en confondant passé et origine, succession des temps et continuité, filiation, tradition, c’est
chausser les lunettes de la téléologie, et par conséquent courir à l’anachronisme. Un historien
de l’Antiquité qui n’est pas en même temps anthropologue ignore la moitié de son métier.
2 Aborder la notion d’humanitas en historien, donc aussi en anthropologue, c’est donc prendre
en compte l’ensemble des occurrences du mot et des mots apparentés (homo, humanus,
humaniter et leurs contraires) dans le Thesaurus linguae latinae, sans privilégier les sources
qui nous sont les plus familières (Cicéron, Aulu-Gelle), au détriment, par exemple, des
épigrammatistes, des médecins ou des juristes, de façon à tâcher de cerner un sens, non pas
universel, mais majoritaire : autrement dit, on pourrait trouver des exemples allant contre cette
définition, mais elle est valable dans la grande majorité des cas. C’est que nous n’avons pas
affaire à un concept bien délimité, contrairement à ce qu’on lit en général sur l’histoire de ce
mot. Ce n’est pas un concept, ni même une notion.
3 J’espère montrer ainsi que la notion d’humanitas n’est pas à l’origine de la notion moderne
d’humanisme.

L’humanitas est un mos


4 L’humanitas est ce que les Romains appellent un mos, c’est-à-dire à la fois un comportement
et la disposition à adopter ce comportement. Ce mos se définit par rapport à son contraire,
l’inhumanitas ; bien plus, on pourrait dire qu’il en naît. Pour les Romains en effet, les premiers
hommes, les « hommes à l’ancienne mode », homines vetere more, comme les appelle Vitruve3,
ne sont pas encore humani  : c’est ce paradoxe d’un genre humain pas encore humain que
nous devons essayer de comprendre. Sales et hirsutes4, ils vivent comme des bêtes sauvages5,
dans un état de dispersion, de vagabondage permanent6, dans des espaces sauvages (bois,
forêts, grottes, montagnes), buvant l’eau des sources et des rivières7, se nourrissant de glands8,
d’arbouses9 et de poires10. Leurs relations et leurs échanges sont déterminés par la force
physique11 et le « chacun pour soi »12. C’est cette vision romaine des « premiers hommes »,
reprise à l’époque humaniste par exemple chez Giuseppe Nesi, ami de Pic de la Mirandole13,
ou chez Tahureau14, « confirmée » par la « découverte » des sauvages du Nouveau monde, que
suivront les philosophes politiques modernes dans leur description de l’« état de nature ».
5 Donc les hommes inhumani sont des êtres sauvages, solitaires, dispersés, vagabonds.
Progressivement ces homines inhumani vont accéder à l’humanitas par un certain nombre de
techniques (le feu, l’habillement, l’agriculture, le langage) et d’institutions (le mariage, la cité,
le droit, les lois), qui vont sédentariser les hommes, les associer les uns avec les autres  et
borner l’exercice de leur force. Dès lors, les hommes passent de la sauvagerie primitive, de
l’inhumanitas, à l’humanitas15, « de la nature à la culture ». Là encore, comme pour l’« état de
nature », cette notion moderne du passage « de la nature à la culture » dérive en droite ligne
de l’imaginaire romain.
6 Les Romains emploient différents mots pour décrire ce processus : erudire (qui a bien sûr
donné « érudition »), c’est-à-dire enlever ce qu’il y a de rudis, de « grossier » chez les hommes

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(« dégrossir ») ; perpolire, « polir » ; excolere, « cultiver » ; mansuefacere, « adoucir ». Cette


« douceur » est pour les Romains un élément essentiel de l’état d’homme civilisé.
7 Ce passage de la sauvagerie à l’humanitas est une des représentations les plus récurrentes de
la culture romaine, que l’on rencontre depuis les premiers textes latins jusqu’à saint Jérôme16.
Si on la compare avec les différentes façons dont les Grecs imaginaient les origines de
l’humanité, une différence majeure saute aux yeux : pas d’âge d’or hésiodique, pas de héros,
pas d’autochtonie idéalisée, comme à Athènes, Sparte ou Argos. Les origines des hommes,
pour les Romains, ne nous mettent pas en présence d’un idéal perdu ou rêvé, mais d’un monde
répugnant et terrifiant, qui peut à tout moment resurgir au beau milieu de la civilisation, comme
on le verra, et qui revient au moins chaque année, lors de la fête des Lupercales, où l’on voit
des troupeaux (gregibus) d’hommes « nus » (nudis) parcourir le Palatin17, faisant ainsi revivre
une époque antérieure « à l’humanitas »18.

Les Romains sont des sauvages


8 Les ancêtres des Romains ne font pas exception à ce tableau, bien au contraire. Tous les récits
mettent l’accent sur la sauvagerie des fondateurs de Rome. Romulus et Rémus n’ont pas de
parents, ils sont nés de Mars, dieu sauvage, et ils sont élevés par une louve. Ce sont des espèces
d’hommes-loups, qui vivent avec les bergers, chassent les bêtes sauvages et disputent leur
butin aux brigands19.
9 Ces sauvages vont être « civilisés » par les autres, par les étrangers. Ce sont d’abord les Sabins,
qui leur apportent le mariage (avec l’enlèvement des Sabines), leurs premières institutions
religieuses (avec le roi Numa), puis ce sont les Étrusques (Tarquin l’Ancien, fils d’un immigré
corinthien), et puis ensuite ce sont les Carthaginois (traduction de Magon), et sous l’Empire ce
sont les Égyptiens (culte d’Isis et de Sérapis), les Perses (Mithra). Mais les étrangers qui, dans
ce récit romain, sont construits comme des pourvoyeurs d’humanitas par excellence, ce sont
ceux que les Romains appellent « les Grecs », Graeci20, et plus précisément ce sont les savoirs
des Grecs, qui associent des disciplines que nous isolons aujourd’hui : aussi bien ce que nous
appelons « les lettres » (poèmes, discours, histoires, géographie) que ce que nous appelons « les
sciences » (astronomie, géométrie, médecine) ou encore « les arts » (architecture, peinture,
sculpture, musique)21. C’est ce que les Romains appellent les artes humanitatis, c’est-à-dire les
savoirs, les techniques qui font accéder à l’humanitas. L’idée sous-jacente à cette expression
d’artes humanitatis, c’est que les savoirs grecs adoucissent.
10 Et c’est la raison pour laquelle les enfants (ceux de l’aristocratie, mais pas seulement22)
sont confiés à des professionnels des savoirs grecs, des rhéteurs, des grammairiens23, des
philosophes24, en un mot des professionnels des Muses, déesses de l’humanitas25, qui se
chargent de «  mouler  », de «  forger  », de «  façonner  » (informare, fingere)26 les enfants,
de manière à en faire des hommes humani27. Sans cette éducation, les petits Romains sont
condamnés à rester les sauvages qu’étaient leurs ancêtres. Les bébés sont en effet des bêtes
sauvages, ils ont la même vox (vagire) que les lièvres et les chevreaux28. C’est grâce aux savoirs
des Grecs qu’ils deviennent humani.
11 Les Romains vont revendiquer comme leur cette humanitas qui vient des autres. L’Italie
est pour eux tellement la terre de l’humanitas que mêmes les bêtes sauvages y sont
gentilles29. Rome se définit comme une ciuitas humana, une ciuitas erudita30 : les citoyens31,
les magistrats32, les sénateurs33, se présentent comme humani. Cela ne concerne donc pas
seulement l’aristocratie  : on a retrouvé par exemple l’épitaphe d’un coiffeur, d’un barbier,
tonsor, qui se dit humanus34. Cicéron se plaint du succès que rencontrent auprès du peuple
(vulgi) les mimes représentant Socrate aux prises avec Épicure35, et nous savons grâce à
Athénée que le forain (πλάνος) Matréas d’Alexandrie réjouissait les foules à Rome en lisant
des parodies de problèmes d’Aristote, par exemple « pourquoi les éponges boivent, mais ne
s’enivrent pas  »36. Même les ouvriers (opifices), dit M. Piso, s’intéressent à l’historia, qui
signifie aussi bien ici « récit » qu’« enquêtes », « problèmes »37 : les orateurs doivent montrer
qu’ils n’ont pas des lettres banales (vulgares)38, mais recherchées (exquisitae, reconditae),
comme les édiles vont chercher des bêtes exotiques39.

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Le sens d’humanitas à Rome 4

12 Ainsi, alors que les Grecs, même après Alexandre, distinguent toujours entre eux et les
barbares40, les Romains se considèrent comme des êtres naturellement sauvages, civilisés par
les autres, et destinés à répandre cette civilisation dans le monde entier, à donner l’humanitas
aux hommes41. Cela ne veut pas dire qu’ils gomment le fait que l’humanitas leur est venu des
autres, en particulier des Grecs. Au contraire, la Grèce fait partie intégrante de leur identité.
Philon d’Alexandrie a une expression très curieuse  : il dit qu’Auguste a pour mission de
multiplier les Grèces dans le monde42. Partout où les Romains passent, ils construisent de
nouvelles Grèces, ils apportent l’humanitas.

Qu’est-ce qu’être humanus ?


13 Comme je l’ai dit au début de cet article, l’humanitas est un comportement et une
disposition, mos, qui s’oppose au mos des premiers hommes. C’est, en un mot, la sociabilité :
fondamentalement, l’homme humanus, c’est l’homme que son éducation a rendu apte à la vie
sociale, celui qui facilite le lien social, qui crée et entretient du lien, celui qui va vers les autres
et vers qui les autres vont.
14 Pour commencer, c’est un homme qui connaît les règles de la vie sociale. Voici un exemple
caractéristique, qui se passe juste après les Ides de Mars. Antoine, qui revendique l’héritage
de César, écrit à Cicéron, qui est revenu sur le devant de la scène politique, pour lui dire qu’il
veut rappeler d’exil un certain Sextus Cloelius, personnage douteux43, en lui disant que César
en avait eu l’intention, ce dont témoigneraient ses papiers (qui sont en possession d’Antoine),
mais qu’il ne fera rien sans l’accord de Cicéron. Cicéron sait parfaitement qu’Antoine ment,
qu’il falsifie les papiers de César, que Cloelius est une crapule, mais il veut ménager Antoine.
Peut-être aussi se sent-il flatté par cette lettre. Quoi qu’il en soit, il lui écrit cette lettre
étonnante : « J’aurais voulu que tu me voies quand j’ai lu ta lettre, pour que tu voies comme
je t’aime, qu’il n’y a rien que je ne fasse pour toi », etc.44 Cette bonne entente ne va pas durer :
la crise politique se précipite, Cicéron se retrouve en première ligne parmi les adversaires
d’Antoine et il dirige contre lui ses fameuses Philippiques. C’est alors qu’Antoine fait une
chose inouïe  : en plein Sénat, il se met à lire la lettre que lui avait écrit Cicéron  ! C’est
évidemment un coup terrible porté contre Cicéron. Ce dernier réagit en donnant à Antoine une
leçon d’humanitas : en donnant lecture d’une lettre privée, Antoine a montré qu’il était expers
humanitatis et vitae communis ignarus45. On retrouve ici cette équivalence entre l’humanitas
et vie sociale (vita communis).

Facilitas
15 L’homme humanus est donc un virtuose de la sociabilité. Non seulement il connaît les règles,
mais en plus il est facile à vivre (facilis)46, bienveillant à l’égard de tout le monde (beniuolus)47,
souple (tractabilis)48 : il ne juge pas, n’est pas rancunier, se montre toujours indulgent : par
exemple, si un esclave s’est endormi près du four à pain, les juristes recommandent de ne pas
le faire fouetter, parce qu’il lui est arrivé quelque chose d’humanum, ce sont des choses qui
arrivent49. Il y a ici un jeu autour de l’humanitas comme « disposition sociable » et l’humanum
au sens de « ce qui est humain, donc tolérable », faire preuve d’humanitas ici, c’est accepter
les faiblesses qui font partie de la vie humaine.
16 Atticus, l’ami de Cicéron, fut une des incarnations à Rome de l’humanitas. Son surnom lui
vient de ce qu’il est parti s’installer à Athènes après qu’un parent eut été massacré sur ordre
de Sylla. Mais il rattache aussi son identité civique à cette humanitas qui vient de Grèce, et en
particulier d’Athènes. La Vita que lui consacre Cornelius Nepos insiste toujours sur le fait que,
au milieu des guerres civiles et des conflits politiques les plus intenses, il est l’ami de tous :
il se lie même d’amitié avec Sylla, qui avait donc fait tuer son parent, ce qui ne l’empêche
pas d’être aussi l’ami de Marius. De même, son amitié presque proverbiale avec Cicéron ne
l’empêche pas d’être aussi ami avec Antoine, et son amitié avec Antoine ne l’empêchera pas
d’être l’ami d’Octave… C’est, comme le dit joliment Luciano Canfora, « un’uomo per tutte
le stagioni »50.
17 Cette facilitas, c’est aussi la générosité (liberalitas), c’est-à-dire la facilité avec laquelle on
donne, pas seulement de l’argent, mais aussi, pour des personnes de statut servile ou infâme,

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leur propre corps plutôt que de le vendre : par exemple, dans le Satiricon, Encolpe, déguisé en
esclave, est « repéré » par une femme, Circé, qui lui envoie sa servante pour lui faire part de ses
projets érotiques avec lui : s’il veut se faire payer, c’est d’accord, mais s’il accepte de se livrer
gratuitement, ce serait faire preuve d’humanitas et cela créerait un lien (beneficium) entre elle
et lui51. Et de même, Martial qualifie une prostituée d’humana parce qu’elle ne fait pas payer
ses fellations (lingere)52. Cette facilitas érotique est en elle-même source de séduction, alors
que dans les représentations modernes, l’idée est inverse  : c’est en se rendant inaccessible
qu’on séduira davantage. C’est pourquoi les philosophes mettent en garde contre l’humanitas :
autant on peut être enflammé (irritare) par un refus, autant on peut être excité par l’humanitas
de quelqu’un qu’on désire, parce que la difficultas nuit autant que la facilitas53.
18 Donc, la sociabilité de l’homme humanus, c’est d’abord sa facilitas. S’y ajoute un autre trait
fondamental, et je voudrais pour le montrer revenir à la réponse de Cicéron au scandale de
Antoine lisant sa lettre au Sénat.

La conversation
19 Pour répondre à Antoine, Cicéron se lance dans un grand discours sur l’importance des lettres
dans la vie sociale : ce sont des conversations à distance, et il ne peut pas y avoir de vie sociale
possible sans ces conversations : dès lors, l’homme humanus, virtuose de la sociabilité, sera
aussi un virtuose de la conversation, la conversation constituant ce que Cicéron appelle une
« chaîne de plaisir entre hommes »54. Tel est, avec la facilitas, le deuxième élément constitutif
de l’humanitas.
20 Être un virtuose de la conversation, c’est, par son savoir et par ses plaisanteries, divertir et
réjouir, apaiser et adoucir, en un mot : détendre ses interlocuteurs. En voici un exemple55 :
Sulpicius Gallus, personnage consulaire, ami de Paul Émile, connu à Rome pour son savoir,
se rend chez son ami Claudius Marcellus, le petit-fils du vainqueur de Syracuse, qui en a
rapporté la sphère d’Archimède, i.e. en fait un planétarium. Sulpicius Gallus demande donc
d’apporter la sphère et il se met à expliquer le mécanisme de l’éclipse en faisant fonctionner
le planétarium. Puis il se met à faire toute l’histoire de cet objet depuis Thalès, et enfin il
parle du poète Aratos qui a composé un magnifique poème astronomique à partir du traité
d’Eudoxe de Cnide. Dans notre culture, tout cela relèverait plutôt d’une conversation sérieuse,
et si quelqu’un arrivait à nous divertir avec ces sujets, on dirait qu’il sait transmettre, qu’il est
très vivant, bref cela tiendrait à la personne ; mais à Rome, ce n’est pas la personne qui est
séduisante, c’est le savoir lui-même qui est séduisant, et suscite chez les Romains une curiosité
incroyable. Par exemple la sphère est décrite comme dotée de venustas, de « séduction ». On
retrouve donc ici l’effet de séduction de l’humanitas, non plus comme facilitas, mais comme
savoir.
21 Ainsi, ce qui montre par exemple l’humanitas exceptionnelle d’Atticus, c’est que, quand il
est jeune, il séduit Sylla par son savoir : le vieux dictateur est de passage à Athènes, où s’est
donc réfugié Atticus, et il ne peut plus se passer de lui : captus adulescentis et humanitate
et doctrina […] nusquam eum ab se dimitteret cuperetque secum deducere56. Il veut même
le ramener à Rome, tant il est séduit par le savoir (doctrina) d’Atticus et par la douceur de
sa langue. Atticus est en effet capable de parler grec comme s’il était né à Athènes57 ; or, le
grec, ou plus précisément le dialecte attique, est une langue intrinsèquement lié à la suauitas,
comparée par les Romains à la douceur du miel58. En outre, Atticus est capable de donner au
latin une telle douceur qu’il semble que la douceur du latin soit une propriété innée de cette
langue et non une qualité acquise, transformant ainsi le latin en un dialecte grec59. Le même
Atticus, devenu vieux, séduira de la même façon Auguste, qui lui non plus, nous dit Cornelius
Nepos, ne peut pas se passer de lui, ne cesse de vouloir lui parler, soit de vive voix soit par
lettres (lui écrivant tous les jours), tant il ne peut se passer de son savoir60. Cette séduction
intrinsèque du savoir explique que le savoir puisse devenir addictif : il y a des jeunes gens qui
ne peuvent plus se passer de leur philosophe, parce qu’ils raffolent du savoir61.
22 Mais, dans la conversation, ce n’est pas seulement le savoir en tant que tel qui séduit, ce sont
aussi les plaisanteries. Un homme humanus est forcément un homme qui fait rire : en témoigne

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Le sens d’humanitas à Rome 6

par exemple l’orateur Crassus, le protagoniste du de oratore. Cicéron le met en scène dans
sa villa, un jour de loisir : des amis viennent lui rendre visite, comme Sulpicius Gallus qui
allait voir Marcellus. Mais ils sont tous tellement affligés par la situation politique que la
conversation est lugubre (tristitia), autrement dit ratée, car le loisir à Rome est en fait destiné à
la détente. Alors Crassus se met à faire des plaisanteries, et il y arrive, dit Cicéron, parce qu’il
a une humanitas hors pair62. Ce lien entre savoir et plaisanterie est magnifiquement illustré par
Pline l’Ancien, dans un passage consacré à l’importance du sel, qu’il conclut ainsi63 :
Ergo, Hercules, vita humanior sine sale non quit degi, adeoque necessarium elementum est ut
transierit intellectus ad voluptates animi quoque : a sale enim appellantur, omnisque vitae lepos
et summa hilaritas laborumque requies non alio magis vocabulo constat.
Aussi, par Hercule, est-il impossible de vivre une vie un tant soit peu humana sans le sel, et
c’est un élément qui lui est si indispensable que, par métaphore, il désigne aussi les plaisirs de
l’intelligence et les plaisirs de l’âme. C’est eux qu’on désigne quand on parle de « sel », et il est
bien connu qu’il n’y pas de meilleur mot pour désigner tout ce qui fait le charme de la vie, ce qui
procure la plus grande gaieté et permet de se détendre après l’effort.
23 Ce texte résume ce que nous disions : pas de civilisation (vita humanior), donc pas de vie
sociale possible, sans le « sel » du savoir, i.e. sans le plaisir du savoir (intellectus voluptates
animi), sans le «  sel  » des plaisanteries (vitae lepos et summa hilaritas), qui donnent leur
saveur à la vie et détendent (laborumque requies). L’effet de l’humanitas, c’est la détente, la
relaxatio64, obtenue à la fois par la facilitas et par l’art de la conversation, remplie de savoir et
de plaisanterie. Cet effet de détente est d’autant plus indispensable à la vie sociale que Rome
était une société marquée par deux grands principes de tension et de violence : la hiérarchie
des statuts et des positions et la compétition politique.

Nécessité sociale de la relaxatio


24 L’humanitas était la disposition et l’attitude qui venait suspendre les rapports de domination ou
de compétition. Nous avons du mal aujourd’hui à mesurer combien la supériorité hiérarchique
pouvait être source de tension. En voici deux exemples : au moment où le consul Postumius
commence son enquête sur les sectes bacchiques à Rome, en 186 av. J.-C., il convoque une
prostituée, Hispala, chez sa belle-mère Sulpicia. Le simple fait pour Hispala d’être convoquée
chez une grande dame (tam nobilem et grauem feminam) lui fait peur (perturbata) ; mais quand
elle arrive et voit toute la suite du consul, et le consul lui-même, elle manque s’évanouir (prope
exanimata)65. Plus près de nous, le chroniqueur bénédictin Prudencio de Sandoval66 raconte
que Charles Quint, mécontent de son théologien Bartolomeo Carranza, son ambassadeur au
concile de Trente, parce qu’il le trouvait trop peu combatif, le convoqua un jour à la cour, et ne
le reçut pas, mais le renvoya au jour suivant. Cette fois, l’homme est reçu, mais Charles Quint
ne lui dit pas un mot. La nuit même, Carranza tomba malade. Nous avons perdu, il me semble,
ce rapport au pouvoir. Cet aspect inquiétant, en soi terrifiant, de la pure présence du pouvoir,
de l’imperium67, « cet air de majesté effrayante » qui selon Saint-Simon était « si naturel » à
Louis XIV68, les démocraties libérales en ont débarrassé les sociétés modernes.
25 L’humanitas a donc pour fonction essentielle à Rome d’adoucir les rapports de pouvoir69.
Un homme de pouvoir, consul, sénateur, plus tard empereur, devait toujours se montrer un
minimum humanus, sans quoi il arborerait toujours le visage terrifiant (truces vultus) du tyran.
Il en va de même pour les rapports de compétition : Valère Maxime célèbre ainsi le geste de
Metellus Numidicus qui, à la nouvelle de l’assassinat de Scipion Émilien, dont il était l’ennemi
acharné, sort dans la rue en hurlant de douleur70.
26 De même que nous avons perdu la sensation terrifiante du pouvoir, nous avons oublié, devant
l’innocuité de la compétition politique aujourd’hui, et surtout son isolement de plus en plus
grand de notre vie quotidienne, qui réduit les citoyens de plus en plus au rang de « profanes »71,
que la compétition politique était d’une violence telle qu’il pouvait très bien arriver que
l’on «  meure de politique  »72, sans compter que la violence de la compétition politique
se transformait parfois en véritable guerre civile, avec des meurtres, des massacres, des
proscriptions, des mutilations de cadavres. Cette guerre civile possible était toujours présente

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Le sens d’humanitas à Rome 7

à l’arrière-plan de la compétition politique, surtout à partir des Gracques, et on comprend là


aussi l’importance de l’humanitas, qui obligeait même des adversaires à plaisanter entre eux.
Les historiens ont souvent remarqué qu’il était étrange de voir plaisanter et converser gaiement
des hommes qui le lendemain allaient s’entre-tuer, mais il n’y avait pas là contradiction, ou
dissimulation, manque de sincérité, etc. L’humanitas avait pour fonction de détendre les nœuds
conflictuels, mais si le conflit devenait inévitable, il n’y avait plus rien à faire, il fallait se battre
et se venger73 . On comprend donc l’importance essentielle de l’humanitas à Rome, plaisir de
la vie sociale qui vient adoucir les rapports de domination et de compétition.

Modèle essentialiste et modèle artificialiste


27 Maintenant que j’ai essayé de définir ce que les Romains désignaient par l’humanitas, je
voudrais insister sur le fait qu’il n’est jamais question, dans ces discours romains, d’une
humanitas qui accomplirait « l’essence de l’homme » ou qui aurait un rapport quelconque avec
une réflexion sur « la condition humaine », contrairement à ce que nous lisons communément
chez les historiens de Rome74. Être humanus, ce n’est pas être plus homme qu’un autre,
c’est être civilisé, ce qui n’est pas la même chose. Les barbares ne sont pas humani, ils
ne sont pas civilisés  ; mais personne ne dira qu’ils ne sont pas des hommes75. Ils sont des
homines pas humani, comme les premiers hommes, comme les enfants, comme les Satyres.
Je n’ai pas rencontré l’équivalent de textes comme cette lettre de Marsile Ficin, où il dit que
les enfants et plus généralement «  ceux qui sont à distance (procul distant) de la perfecta
hominis natura » sont « moins hommes que les hommes » (minus homines quam ceteri)76. Ce
lien social de bienveillance ne s’exerce pas parce que l’on reconnaîtrait dans les autres des
« hommes », des « frères dans l’espèce humaine », etc. À ce propos, j’aimerais revenir sur
un texte souvent cité dans les discussions sur l’humanitas, une lettre de Cicéron à son frère
Quintus, qui vient d’être reconduit dans ses fonctions de gouverneur d’Asie. Il lui dit : comme
tu es humanus, tu te conduirais bien avec tes sujets même s’ils étaient des barbares77, mais
comme ils sont des Grecs, donc des hommes on ne peut plus humani, tu dois te montrer encore
plus humanus. Les historiens saluent alors « l’humanisme » de Cicéron et de son frère, qui
reconnaîtraient des frères même chez les barbares78. On pense à Voltaire quand il dit « mon
frère le Siamois, mon frère le Chinois »79. Mais ce n’est pas du tout, me semble-t-il, ce que
dit Cicéron. Il dit ce que nous avons vu plus haut : en tant qu’homme de pouvoir, Quintus
doit faire attention à ses sujets, ne pas les traiter comme un tyran. Cela n’a rien à voir avec
l’appartenance à la condition humaine : on peut par exemple montrer de l’humanitas avec des
animaux : des bœufs80, des éléphants, des chevreaux. Il y a même des textes où des animaux
(éléphants81, hirondelles82) ou des dieux83, un hiver84, un habit85, des arbres86, peuvent être doués
d’humanitas. Les médecins appliquent la catégorie d’humanitas à des objets qui n’ont rien à
voir avec l’accomplissement de l’essence de l’Homme ou encore un sentiment de commune
appartenance à l’espèce humaine, comme le pouls87, ou les hémorroïdes88. Dans des textes
juridiques tardifs, humanitas pourra désigner du pain et un abri.
28 Il faut donc, pour comprendre ce que voulait dire humanitas, se libérer de ce modèle
essentialiste que nous avons tous en tête, qui veut que l’homme humanus, ce soit l’homme
accompli en tant qu’homme, celui qui est plus homme que les autres hommes. Les
Romains pensaient l’humanitas selon un modèle différent, bien plus  : selon un modèle
inverse, un modèle artificialiste. Ils concevaient l’humanitas comme un équipement artificiel
(instructio)89, une armature qu’on pose sur un corps par l’éducation, par les artes (artifice) de
l’humanitas dont j’ai parlé plus haut90. L’action d’éduquer était décrite sur un modèle artisanal :
il s’agissait de façonner, de fabriquer, de mouler, les enfants pour qu’ils deviennent humani.
29 Sous cette armature de l’humanitas, il y a l’homme nu, homo nudus, l’homme à l’état de
nature, le sauvage, « le loup » (si l’on est Romain). Rien ne montre mieux ce modèle romain
de l’artifice que ce passage de Varron : une chose est ce qui convient à un homme (homo),
une chose est ce qui convient à l’humanitas : si un homo a soif, n’importe quelle coupe suffit ;
mais l’humanitas exige que la coupe soit belle91. Car dans la « coupe ouvragée » il n’y a bien
sûr pas de l’eau, mais du vin, et qui dit vin dit évidemment compagnie de buveurs, car on ne

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Le sens d’humanitas à Rome 8

boit pas seul, donc banquet, et qui dit banquet dit plaisir par excellence de la vie sociale, plaisir
de la conversation, i.e. plaisir du savoir et des plaisanteries.

Perdre l’humanitas
30 Si l’humanitas est chose artificielle, chose acquise, elle peut donc se perdre. C’est ce qui
arrive quand on meurt, car le corps perd sa couleur, le color humanus92, et c’est ce qui arrive
aussi quand un corps est mutilé93. En témoigne par exemple un texte très frappant de l’histoire
d’Alexandre le Grand par Quinte-Curce : au moment où Alexandre le Grand et son armée
s’approchent de la capitale de l’empire perse, Persépolis, il y a dans cette ville 4000 prisonniers
grecs que les Perses ont mutilés pour s’amuser (ludibrium). Aux uns ils ont coupé les pieds,
aux autres les mains, ou bien les oreilles, et ils ont enfin gravé des lettres sur eux. Quand les
Perses apprennent qu’Alexandre marche sur eux, ils savent qu’ils ont perdu la partie, et ils
permettent aux prisonniers grecs d’aller à la rencontre d’Alexandre, et voilà donc cette colonne
de milliers de mutilés qui part et s’avance à la rencontre de l’armée d’Alexandre. Et Quinte-
Curce dit qu’on ne pouvait pas reconnaître en eux des hommes : ce sont des statues ou des
fantômes, des simulacra, jamais vus, inconnus. La seule chose qui fait qu’on « reconnaît » en
eux des hommes, c’est leur vox94.
31 Un cadavre mutilé est donc doublement privé d’humanitas, et c’est sans doute la raison
profonde de l’acharnement d’Antoine sur le corps de Cicéron : en clouant sa tête et ses mains
sur la tribune d’où il avait l’habitude de parler au forum, il lui enlevait ce qui avait été la
composante essentielle de son identité : la maîtrise de l’humanitas, dont témoigne le texte cité
plus haut, où il faisait la leçon à Antoine.
32 Donc on peut perdre l’humanitas. Mais il y a aussi des moments où il faut la perdre. Par
exemple à la guerre et dans les combats politiques (souvent la politique à Rome est comparée à
la guerre, d’ailleurs). Les soldats romains au combat sont des hommes-loups95. C’est seulement
après les combats qu’il est possible de montrer son humanitas, à l’instar de Scipion Émilien,
rendu le plus doux du monde (lenissimus) par une éducation exceptionnelle  : il pleure sur
Carthage en flammes (en citant Homère96) et traite Hasdrubal avec douceur97. Mais le même
homme, lorsqu’il fait le siège de Numance, refuse de négocier avec ces valeureux ennemis
de Rome, même lorsqu’ils font appel à sa douceur98. Il affame les habitants au point qu’ils
se dévorent entre eux ; quand les Numantins finissent par se rendre, il détruit leur ville sans
attendre l’avis du Sénat, « acharné contre ses victimes » (φιλόνεικοςέςτὰ λαμβανόμενα).
Il n’y a pas à chercher à concilier l’humanitas identitaire de Scipion et sa cruauté envers
les Numantins, en la mettant sur le compte d’une sortie de l’espèce humaine des Numantins
ensauvagés par le siège99. En fait, la culture romaine est organisée en espaces différents : la
vie politique, la guerre, le loisir, et ces espaces exigent des comportements différents. Il n’y
avait donc aucune contradiction entre l’humanitas déployée par Scipion chez lui ou dans les
rapports sociaux et son inflexibilité face aux Numantins. Scipion Émilien ne recueillit chez
Cicéron, qui célèbre à tout bout de champ son humanitas100, que des éloges101. Il y a aussi des
moments où l’on suspend son humanitas : si l’on participe aux Lupercales, où les hommes
deviennent des meutes de loups102, ou bien si l’on prend le deuil pour protester contre une
décision politique ou la mise en accusation d’un ami : on ne se lave plus, on se couvre de
haillons, on se griffe, et l’on fait alors resurgir dans l’espace public la présence hideuse des
origines de l’humanité.
33 Autrement dit, comme toutes les qualités du Romain réussi, l’humanitas est une qualité
relative : elle s’oppose à d’autres qualités tout aussi indispensables du Romain réussi, comme
la seueritas (inflexibilité du juge, par exemple)103, la dignitas (sentiment qu’on a de son rang,
du rang qu’on occupe dans la hiérarchie sociale)104, l’auctoritas (prestige, charisme)105, la
grauitas (le « poids » social, le poids de ses discours et de ses actes)106, la magnitudo animi
(«  grandeur  »)107, la maiestas (caractère surhumain d’une fonction)108. Toutes ces qualités
impliquent, à l’inverse de l’humanitas, non pas un lien « facile » à l’autre, mais tout au contraire
l’imposition immédiate d’un rapport de supériorité109. J’ai dit plus haut que l’humanitas était
nécessaire pour adoucir ces rapports, mais il va de soi que ces attitudes opposées à l’humanitas

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Le sens d’humanitas à Rome 9

sont tout aussi nécessaires. On le voit par exemple dans une lettre de Pline le Jeune à un
certain Calestrius Tiro, proconsul de Bétique. Ils ont fait toute leur carrière ensemble, mais
Pline a l’air de le considérer comme un amicus minor110, un « protégé ». Il y a par exemple
une lettre où Pline dit que Tiro serait prêt à faire le tour du monde pour lui (littéralement : il ne
trouverait pas long de faire le tour du monde)111. Donc c’est le genre d’ami à qui on peut faire
des reproches, envoyer des conseils, l’ami qu’on « surveille ». Or justement pendant que son
ami gouverne la Bétique, Pline prend ses renseignement (inquiro enim), et il apprend que Tiron
est un gouverneur beaucoup trop humanus. Il le met donc en garde : tu es humanus112, c’est très
bien, mais tu dois aussi traiter les gens en fonction de leur position dans la hiérarchie sociale113.
34 Autrement dit, il faut absolument «  doser  » (temperare), «  assaisonner  » (condire)114
l’humanitas avec toutes ces qualités qui marquent le pouvoir, l’ascendant, la supériorité. Et
Pline le Jeune dit que c’est très difficile, mais que c’est en même temps magnifique. Et il
donne l’exemple d’Arrius Antoninus, qui était à son époque « le premier de la cité », le plus
respecté des sénateurs. À première vue, il correspond assez bien à l’image qu’on se fait du
« vieux Romain » : au milieu de la décadence des mœurs, à l’époque de l’Empire, donc de
la tyrannie, il rappelle les Romains des premiers temps de la République (similis antiquis),
mène une vie frugale, sévère, il a la nostalgie de la République (par exemple quand Nerva
devient empereur, il le plaint115). Or le même homme, dans le loisir, fait fondre de plaisir ses
amis grâce à sa conversation (incredibili quadam suavitate sermonum) ou encore par ses vers
grecs, tellement séduisants (venustas) qu’ils sont encore plus séduisants que les vers grecs
écrits par des Grecs116. Quand il parle, on a l’impression d’entendre un flux de miel, et quand
on lit ces vers, on a l’impression que ce sont des fleurs où vont butiner des abeilles117. Bref ce
« vieux Romain » modèle est aussi dans le loisir un « Grec » encore plus grec que les Grecs,
et c’est cette réussite exceptionnelle dans les deux registres, dans la grauitas, la seueritas et
dans l’humanitas, la suauitas, qui fait de lui un Romain idéal. J’ajoute que la lettre était bien
sûr destinée à circuler, avec le consentement d’Arrius Antoninus : il ne s’agit donc pas d’une
fantaisie de Pline le Jeune.
35 Tel était donc le dosage majoritaire à Rome : il faut être autant grauis qu’humanus. Ensuite,
il y a des dosages plus subtils. Un homme appartenant à une gens traditionnellement amie du
peuple devra se montrer plus humanus, ou bien, s’il appartient à une famille traditionnellement
associée à la défense de l’autorité du Sénat, il conviendra de se montrer plus impérieux, plus
arrogant. Il peut même arriver que l’humanitas soit réduite au minimum, comme chez ce
L. Cassius Longinus, qui était un juge terrible, qu’on appelait « le récif des accusés » (scopulum
accusatorum) tant il était sévère, mais qui était apprécié justement pour sa seueritas et son côté
lugubre (ipsa tristitia). Donc tout était possible. La seule chose qui était impossible, c’était de
vouloir exercer des fonctions politiques, entrer dans la compétition politique, en étant toujours
dans l’humanitas. Car vivre dans un état d’humanitas perpétuel, c’est vivre dans la détente
permanente : c’est être ami avec tout le monde, c’est passer son temps dans sa villa, se faire lire
des livres grecs par un bel esclave grec, faire des courses en litières, ramasser des coquillages
et des galets sur la plage118. Ce sont des personnages comme Atticus, justement, qui s’excluent
par leur humanitas de toute participation à la politique.

L’humanitas comme vice


36 Dès lors, faute d’être dosée, l’humanitas se transforme en vice. Nous l’avons dit, l’humanitas
détend, relâche. Elle vire donc facilement à la passivité (inertia) et à la mollesse (mollitia) :
« la mollesse de l’humanitas » est d’ailleurs citée par Cicéron comme exemple de métaphore
(tralatio) banalissime à Rome, comme le «  murmure de la mer  »119. Les Romains pensent
même que l’un des fondements de la sûreté de leur empire chez les barbares, c’est justement
cette humanitas qu’ils apportent avec eux, ces « Grèces » qu’ils multiplient comme dit Philon,
car l’humanitas « énerve », au sens classique du mot, les barbares : ainsi, à propos des Bretons
sous domination romaine, Tacite écrit qu’ils imitent l’elegantia romaine (donc « grecque »),
et appelaient cela humanitas, alors que c’était une partie de leur esclavage120. Et l’on trouve la

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Le sens d’humanitas à Rome 10

même idée chez Vitruve121 (on va le voir) ou chez Jules César122. L’humanitas « ramollit » les
barbares qui, sans elle, resteraient des combattants courageux et indomptables.
37 Donc l’humanitas est très ambiguë. Et c’est cette ambivalence de l’humanitas qui permet de
comprendre les différents récits qui courent à propos d’une fontaine très étrange, la fontaine
de Salmacis, à Halicarnasse, en Asie mineure. Son eau avait la réputation de rendre fous
d’amour (venerio morbo) ceux qui la buvaient. Vitruve prétend que c’est une erreur (falsa
opinio) provenant d’un malentendu. En fait, dit-il, voici ce qui s’est passé : avant la fondation
d’Halicarnasse, le territoire était habité par des barbares, les Cariens et les Lélèges. Un jour
arrivent des colons d’Argos et de Trézène, qui fondent la cité. Les barbares se réfugient
dans les espaces restés sauvages, les montagnes, et de là ils lancent souvent des attaques
contre les colons grecs. Mais un beau jour, il y a un Grec qui décide d’installer une sorte de
« buvette » (taberna) près d’une source à l’eau délicieuse, à Salmacis, tout près de la ville, où
il se met à « vendre » l’eau de la source. Donc, il installe un équipement (instruxit) autour d’un
lieu naturel, sauvage. Les barbares commencent à venir de temps en temps à cette « buvette »
pour boire de l’eau, et ils se mettent du coup à avoir des conversations. Donc, au lieu d’être
dans un rapport de guerre permanente, ils se prennent aux rets du lien de conversation, du
rapport de sociabilité, et ce processus finit par faire d’eux des êtres civilisés, vivant comme
des Grecs : la buvette grecque leur a fait endosser l’armature de l’humanitas123. D’un côté,
c’est une bonne chose, car ils arrêtent du coup d’attaquer les colons grecs, font la paix avec
eux. Mais en même temps, ils ont perdu leur énergie guerrière, leur liberté indomptable ; et
du coup, la fontaine devient mal famée (hinc fama) et on raconte que tous les hommes qui y
boivent deviennent des obsédés sexuels124. C’est la même logique qui préside à la construction
par Agricola (extruerent) en Bretagne de temples, forums, portiques, bains, de maisons enfin
où l’on peut banqueter125.
38 Faisons le point : l’humanitas est un mos artificiel, permettant d’assouplir, de détendre les
relations sociales ; elle vient des autres, en particulier des Grecs. Mais cette humanitas qui
vient des autres, Rome la revendique en propre et revendique aussi la mission de l’étendre
partout. Et enfin elle est relative (elle ne convient pas à tous les lieux et à tous les moments,
elle ne convient pas à tout le monde dans les mêmes dosages). Ici aussi la différence avec
les humanistes de la Renaissance est flagrante : pour le chancelier florentin Coluccio Salutati
ou Leonardo Bruni, l’humanitas est ce qui conduit à la virtù politique et morale126, elle est ce
qui achève l’humanité de l’homme127. Tout ce discours sur la perfectio est absent de la culture
romaine.

Bibliographie
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Le sens d’humanitas à Rome 11

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Vesperini 2012 = P. Vesperini, La philosophia et ses pratiques d’Ennius à Cicéron, Rome, 2012 (BEFAR,
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Veyne 1992 = P. Veyne, Humanitas : les Romains et les autres, dans A. Giardina (éd.), L’Homme romain,
Paris, 1992, p. 421-459.

Notes
1 Pour une mise au point récente sur la bibliographie antérieure, cf. Prost 2006.
2 Je reprends à mon compte la formulation ironique de Claude Nicolet (1988, p. 32) : « Puisque les
Romains n’étaient décidément pas nos contemporains, […] c’était des Iroquois ou des Papous ».
3 Vitruve, II, 1, 1.
4 Lucrèce, V, 956 : squalida membra.
5 Vitruve, II, 1, 1 : ut ferae ; Cicéron, de Inu., I, 2 : bestiarum modo ; Lucrèce, V, 932 : more ferarum.
6 Cicéron, de Inu., I, 2. : in agris… passim vagabantur ; pro Sest., 91 : homines… fusi per agros ac
dispersi vagarentur… dissupatos ; de or., I, 33 : dispersos homines ; Tusc., I, 62 : dissipatos homines ;
Lucrèce, V, 932 : volgiuago vitam tractabant more ferarum ; 948 : vagi.
7 Lucrèce, V, 945 sq.
8 Lucrèce, V, 939-940 ; Virgile, Georg., I, 7.
9 Lucrèce, V, 940-943.
10 Lucrèce, V, 965.
11 Cicéron, de Inu., I, 2 : pleraque viribus corporis administrabant… animi cupiditas ad se explendam
viribus corporis abutebatur ; pro Sest., 91 : homines, nondum neque naturali neque ciuili iure descripto,
tantum haberent quantum manu ac viribus per caedem ac vulnera aut eripere aut retinere potuissent.
12 Cf. Cicéron, de Inu., I, 2 (cité supra) ; Lucrèce, V, 958 : nec commune bonum poterant spectare ;
960-961.
13 Cf. le texte du de moribus cité par E. Garin (19944 [1952], n. 35 p. 130) : in agris quondam dispersos
homines et victu ferino propagantes compulit in una moenia et in communem societatem conuocauit.
14 Dans Margolin 2007, p. 706.
15 Cicéron, de or., 1 33 : homines… a fera agrestique vita ad hunc humanum cultum ciuilem deducere ;
Vitruve, II, 1, 6 : e fera agrestique vita ad mansuetam … humanitatem.
16 Ep., 8, 3 : Quid enim est, ut ita dicam, tam praesens inter absentes, quam per epistulas et adloqui
et audire quos diligas ? Nam et rudes illi Italiae homines quos cascos Ennius appellat, qui sibi, ut in
Rhetoricis Cicero ait, victu fero vitam requirebant, ante chartae et membranarum usum aut in dedolatis

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Le sens d’humanitas à Rome 12

ex ligno codicellis aut in corticibus arborum mutua epistularum adloquia missitabant... Quanto igitur
nos expolito iam artibus mundo id non debemus omittere quod sibi praestiterunt apud quos erat cruda
rusticitas, et qui humanitatem quodammodo nesciebant !
17 Varron, de ling. lat., VI, 34.
18 Cicéron, pro Cael., 26. Sur les liens entre la légende de Romulus et les Lupercales, cf. Liou-Gille
1980, p. 180-194.
19 Liv., I, 4, 8-9  : Ita geniti itaque educati, […] venando peragrare saltus. Hinc robore corporibus
animisque sumpto iam non feras tantum subsistere, sed in latrones praeda onustos impetus facere
pastoribusque rapta diuidere et cum his crescente in dies grege iuuenum seria ac iocos celebrare.
20 Sur l’invention par les Romains de ce mot, peu goûté par les Grecs, i.e. par les citoyens d’Athènes,
de Corinthe, et de telle ou telle cité, cf. Dubuisson 1991.
21 Remarquons au passage qu’à la Renaissance, l’umanista est souvent un maître de rhétorique, de
poésie, de latin ou de grec, on dirait aujourd’hui un « littéraire » ; les studia humanitatis à la Renaissance
sont coupées des « sciences », de la philosophia naturalis. Ce n’est pas le cas dans la Rome antique :
« lettres », « arts », « sciences » forment indissolublement les artes humanitatis. Cf. Campana 1946.
C’est contre cette définition majoritaire de l’umanista que, vers la fin du XVIe siècle, on voit certains
proposer une définition qui fasse appel aux autres savoirs, cf. le discours de Paolini, de perfecto doctore
humanitatis (1588) ou le texte de Tommaso Garzoni reproduit dans Margolin 2007, p. 794-795.
22 Cf. l’éducation que le père d’Horace, affranchi de Venouse, fait donner à son fils, en l’envoyant à
Rome (Sat., I, 6, 70-87).
23 Cicéron, Fin. II 58 : litterae quasi quidam humanitatis cibus.
24 Cf. le portrait d’Euphratès dans Pline le Jeune, Ep., I, 10, 2 : plenus humanitate quam praecipit.
25 Cicéron, Tusc., V, 66 : Cum Musis, id est cum humanitate et cum doctrina.
26 Cf. e.g. Cicéron, Orat., 33 (« mouler » l’orateur idéal) ; Virgile, Aen., 8 426 ; 447 (éclairs et bouclier
forgés par les Cyclopes)  ; Pline le Jeune, Ep., 7, 9, 11  (la cire façonnée informat Mars, Vénus ou
Minerve) ; Silius Italicus, 17, 524 : Junon « façonne » une image (effigies) de Scipion l’Africain, pour
tromper Hannibal. Les vers de Pline sont très significatifs : sic hominum ingenium flecti ducique per
artes / non rigidas docta mobilitate decet. Informari pour dire « métamorphosé », « transformé » dans
Hygin, Fab., 64, 3 (le père et le premier fiancé d’Andromède veulent tuer Persée).
27 Cf. Cicéron, Arch., 4  : ut primum excessit Archias atque ab iis artibus, quibus aetas puerilis ad
humanitatem informari solet ; de or., III, 58 : ut puerorum mentes ad humanitatem fingerentur atque
virtutem.
28 Cf. Bettini 2008, p. 108-112.
29 L’Italie est à ce point la patrie de l’humanitas que les bêtes sauvages y sont inoffensives (Pline
l’Ancien, 37, 201 : ferorum animalium innocentia) ! Cf. aussi Denys d’Halicarnasse : l’Italie a fourni
au genre humain une abondance de plaisirs  : ἐξ ἧς γενος τῶν ἀνθρώπων πλείστας εὐφροσύνας
ἐκαρπώσατο.
30 Brut., 32, 124.
31 Cicéron, Fam.  ; Valère Maxime, IV, 1, 12  ; Tite-Live, V, 3, 9  ; Cicéron, Manil., 18. Humanitas
ciuium dans post red. ad Quir., 4 ; de la cité pro Deiot., 32 : ut domestica immanitate nostrae ciuitatis
humanitatem inquinares.
32 César, Bellum ciuile, III, 20, 2 : humanitate Treboni (praetor urbani) qui… clementer et moderate
ius dicendum existimabat ; Pline le Jeune, Ep., IX, 5, 1, à propos du proconsul Tiron (cf. infra) ; Crassus
(de or., III, 1) ; Amm. Marc., XXVIII, 4, 1 (Olybrius préfet de la Ville) : numquam ab humanitatis statu
deiectus.
33 Cicéron, Pis., 68.
34 CIL XII, 4517, 2 : tosor [sic] humanus. Imaginer, comme le fait M.-L. Bonsangue (2002, p. 208), qu’il
voulait signifier qu’il était un coiffeur pour « hommes et femmes » et pas pour animaux me semble erroné.
35 Dans un fragment d’un discours pro Q. Gallio (fr. 2 Puccioni) cité par Jérôme (Ep., 52, 6) : in oratione
pro Quinto Gallio quid de fauore vulgi et de inperitis contionatoribus loquatur adtende : his autem ludis
– loquor enim quae sum ipse nuper expertus – unus quidam poeta dominatur, homo perlitteratus, cuius
sunt illa conuiuia poetarum ac philosophorum, cum facit Euripiden et Menandrum inter se et alio loco
Socraten atque Epicurum disserentes, quorum aetates non annis sed saeculis scimus fuisse disiunctas.
atque his quantos plausus et clamores mouet ! multos enim condiscipulos habeet in theatro qui simul
litteras non didicerunt.
36 Athénée, I, 19 d.
37 Cicéron, Fin., V, 52  : quid quod homines infima fortuna, nulla spe rerum gerendarum, opifices
denique delectantur historia  ? Le contexte (défense de l’école péripatéticienne) me semble indiquer
qu’ici historia a le sens de « recherche », d’« enquête », comme dans l’histoire des animaux d’Aristote

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Le sens d’humanitas à Rome 13

ou dans ce passage des Tusculanes (I, 108) : permulta alia colligit Chrysippus, ut est in omni historia
curiosus.
38 Cf. Brut., 265 (C. Valerius Triarius) ; 321-322 (Cicéron) : nam cum propter assiduitatem in causis et
industriam tum propter exquisitius et minime vulgare orationis genus animos hominum ad me dicendi
nouitate conuerteram […] nemo erat qui videretur exquisitius quam vulgus studuisse litteris, quibus
fons perfectae eloquentiae continetur ; nemo qui philosophiam complexus esset, matrem omnium bene
factorum beneque dictorum […].
39 Ainsi que l’explique Crassus à C. Iulius Caesar Strabo Vopiscus dans le de oratore (III, 24, 92) :
Apparatu nobis opus est et rebus exquisitis, undique conlectis, arcessitis, comportatis, ut tibi, Caesar,
faciendum est ad annum ; ut ego in aedilitate laboraui, quod cotidianis et vernaculis rebus satis facere
me posse huic populo non putabam [« Ce qu’il nous faut, à nous, c’est un cortège splendide, des raretés,
collectées, recherchées, importées de partout. C’est ce que toi, César, tu devras faire l’an prochain  ;
comme moi je me suis escrimé pendant mon édilité : je savais qu’il était impossible de satisfaire notre
peuple avec des choses qu’il voit tous les jours chez lui »].
40 Cf. Ferrary 1987, n. 29 p. 513 : « En témoignent le projet historique de Denys d’Halicarnasse [XIV, 6,
5-6], la critique d’Eratosthène par Strabon, et même l’expression courante « les Grecs et les Barbares »
pour désigner le monde entier […] On admet trop volontiers, nous semble-t-il, qu’Ératosthène et surtout
le « cosmopolitisme » cynico-stoïcien avaient sonné le glas de cette distinction ».
41 Pline l’Ancien, III, 39-42 : humanitatem homini daret. Qui ne signifie donc pas, selon moi, « rend[re]
à l’homme son humanité », comme le traduit par exemple C. Moatti (1997, p. 293), qui comment ainsi ce
texte : « Rome rejoint l’aspiration fondamentale de la nature humaine, elle reconstitue l’unité du genre
humain. Comme si la diversité des nations n’était au fond qu’un méfait de la civilisation ».
42 Texte tiré de la legatio ad Gaium (§  147) cité par Paul Veyne (1992) : ὁ τὰ ἄμικτα ἔθνη καὶ
θηριώδη πάντα ἡμερώσας καὶ ἀρμοσάμενος, ὁ τὴν μὲν Ἑλλάδα Ἑλλάσι πολλαῑς παραυξήσας, τὴν
δὲ βάρβαρον ἐν τοῑς ἀναγκαιοτάτοις τμήμασιν ἀφελληνίσας.
43 Cicéron, de domo, 25. Sur ce personnage, cf. Damon 1992.
44 Réponse de Cicéron, ad Att., XIV, 13 b, 1 : non enim solum ex oratione sed etiam ex vultu et oculis
et fronte ut aiunt meum erga te amorem perspicere potuisses… ; 2 : honorificentissime (répété en 3) ;
3 : do etiam humanitati et naturae meae. Nihil enim umquam non modo acerbum in me fuit sed ne paulo
quidem tristius aut seuerius quam necessitas rei publicae postulauit.
45 Phil., II, 7 : At etiam litteras, quas me sibi misisse diceret, recitauit homo et humanitatis expers et
uitae communis ignarus. Quis enim umquam, qui paulum modo bonorum consuetudinem nosset, litteras
ad se ab amico missas offensione aliqua interposita in medium protulit palamque recitauit? Quid est
aliud tollere ex uita uitae societatem, tollere amicorum conloquia absentium ?
46 Cicéron, ad Att., XVI, 16, 2 : hominem facillimum atque humanissimum, Plancum.
47 Atticus, modèle d’humanitas, est ami avec Sylla, qui a fait massacrer son cousin, avec César et avec
Pompée, avec Cicéron, avec Antoine, avec Auguste.
48 J’emprunte ces trois adjectifs à Aulu-Gelle. À l’inverse, l’homme inhumanus est intraitable (Tér.,
Hec., 499).
49 Tér., Hec., 553 ; Heaut., 99 ; Cf. le commentaire de Donat à Térence, Adelph. 471: hoc dicere solemus
ubi peccatum quidem non negamus, sed tolerabile esse dicimus.
50 Canfora 1999, p. 411.
51 Pétrone, Sat., 126 : Siue ergo nobis vendis quod peto, mercator paratus est, siue, quod humanius est,
commodas, effice ut beneficium debeam.
52 XII, 55, 11-13 : humane tamen hoc facit, sed unum : gratis quae basium recusat, / gratis lingere nec
recusat Aegle. Malgré tout le respect qu’on doit à A. E. Housman (1972 [1907], p. 736-737), je ne crois
pas que humane ait ici le sens de « considerate » (attentionné, « qui prend les autres en considération »),
comme dans l’épigramme rapprochée par Housman (II, 15), où un homme agit humane en ne passant
pas aux autres la coupe : quod nulli calicem tuum propinas, / humane facis, Horme, non superbe (l’idée
est probablement qu’il s’agit d’un fellator, cf. Grewing 1998, p. 133). Toute l’épigramme XII, 55 tourne
autour de l’opposition entre ce que les puellae doivent vendre (vendere) ou donner (gratis dare), entre
l’auaritia, la rapina et, si l’on accepte l’interprétation traditionnelle, l’humanitas. En revanche, dans
la mesure où selon Housman les quatre vers finaux de l’épigramme ne se trouvent dans aucun des
manuscrits et sont a mosaic composed by the editors, il faut prendre en compte la disposition des vers
qu’il propose comme common source des traditions : humane tamen hoc facit : recusat / gratis quae
dare basium, sed unum [« même un »], / gratis lingere non recusat Aegle. Le nom Aeglé vient peut-
être de Virgile, Buc., 6 20, ce qui en ferait une prostituée se donnant un air plus « grec », plus « élégant
» que les autres.
53 Sénèque, Ep., 116, 5 : aeque facilitas amoris quam difficultas nocet.

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Le sens d’humanitas à Rome 14

54 Dans les premiers temps de l’humanité, les hommes vivent dispersés, cf. Cicéron, Rep., III, 3 : natura
homines […] antea dissociatos homines iucundissimo inter se sermonis vinculo colligauit. Cf. aussi de
orat., I, 32 : quid esse potest in otio aut iucundius aut magis proprium humanitatis quam sermo facetus
ac nulla in re rudis.
55 Cicéron, Rep., I, 21-22. Je me permets de renvoyer ici au commentaire que je fais de ce passage dans
Vesperini 2012, p. 214-217.
56 Cornelius Nepos, Att., 1.
57 Ibid. : Sic enim Graece loquebatur, ut Athenis natus uideretur.
58 Ibid. : tanta autem suauitas erat sermonis Latini, ut appareret in eo natiuum quendam leporem esse,
non ascitum.
59 Valette-Cagnac 2005.
60 § 2 : […] cum ab urbe abesset, numquam ad suorum quemquam litteras misit, quin Attico mitteret,
quid ageret, in primis, quid legeret quibusque in locis et quamdiu esset moraturus, sed etiam, cum esset in
urbe et propter infinitas suas occupationes minus saepe quam uellet, Attico frueretur, nullus dies temere
intercessit, quo non ad eum scriberet, cum modo aliquid de antiquitate ab eo requireret, modo aliquam
quaestionem poeticam ei proponeret, interdum iocans eius uerbosiores eliceret epistulas.
61 Cicéron, De Orat., III, 23, 87 : dies et noctes… philosopho cum operam daret. Cf. aussi ce que racontait
(solitum narrare) Agricola à son gendre Tacite (Agricola, 4, 5) : c’était grâce à sa mère (prudentia matris)
qu’il avait mis des bornes (coercuisset) à sa soif (studium philosophiae acrius, ultra quam concessum
Romano ac senatori, hausisse), à sa passion de savoir (incensum ac flagrantem animum). Ici philosophia
est comme très souvent synonyme de philologia, de litterae, et désigne le savoir en général. On rencontre
le même danger chez le jeune Marc Aurèle, « assoiffé de livres » (II, 3 : βιβλίων δίψαν), qui s’enjoint
d’abandonner ses livres (II, 2  : ἄφες τὰ βιβλία), chez Julien (Mis., 347 a  : «  J’ai lu plus de livres
que quiconque.  »). C’est ce qui explique l’inertie à laquelle peut conduire la philosophia, idée citée
comme exemple de lieu commun par l’auteur de la Rhétorique à Herennius (II, 35) : philosophia vitanda
est. Adfert enim socordiam atque desidiam [« Il faut fuir la philosophia ; elle engendre l’idiotie et la
langueur. »]. Aulu-Gelle parle de delectabilis desidia à propos des discussions sur la nature de la voix
(V, 15, 9). Tibère serait un autre exemple, cf. ses quaestiones quotidiennes au grammaticus Séleucus
(Suétone, Tib., 56) et bien sûr son basculement final du côté des mythes grecs, à Capri.
62 Cicéron, de orat., I, 27 : Eo autem omni sermone confecto, tantam in Crasso humanitatem fuisse,
ut, cum lauti accubuissent, tolleretur omnis illa superioris tristitia sermonis eaque esset in homine
iucunditas et tantus in loquendo lepos, ut dies inter eos curiae fuisse uideretur, conuiuium Tusculani.
63 Pline l’Ancien, XXI, 88. Je suis le texte proposé par G. Serbat (CUF). Cf. e.g. ce que dit Cicéron de
C. Iulius Caesar Strabon dans Tusc., V, 55 : specimen humanitatis, salis, suauitatis, leporis.
64 Cicéron, Phil., II, 39 : homines quamuis in turbidis rebus sint, tamen, si modo homines sunt interdum
animis relaxantur.
65 Tite-Live, 39, 12 : ad cuius nuntium perturbata Hispala, quod ad tam nobilem et grauem feminam
ignara causae arcesseretur, postquam lictores in uestibulo turbamque consularem et consulem ipsum
conspexit, prope exanimata est.
66 Cité par Canfora 2002, p. 52-53.
67 Varron frg. Non. 287 : Mettum Fuffetium interemit imperiosius quam humanius.
68 Cf. Mémoires, I, 35-39.
69 Sénèque, Quaest. nat., IV, praef., 18 : aduersus minores humanitatem, aduersus maiores reuerentiam.
70 Valère Maxime, IV, 1, 12 : o rem publicam pariter Africani morte miseram et Macedonici tam humana
tamque ciuili lamentatione felicem Pensons aussi à l’attitude de César à la mort de Pompée.
71 Cf. Bourdieu 2000.
72 La tension des joutes politiques et des performances oratoires pouvait s’avérer mortelle : P. Rupilius
Lupus mourut de l’échec de son frère au consulat (Tusc., IV, 17, 40). Cf. le récit pathétique de la mort de
L. Licinius Crassus dans le de oratore (III, 1, 2-2, 6). Aussi une constitution maladive excluait-elle de
la vie politique (cf. Cicéron, Brut., 19, 77, à propos du fils de Scipion l’Africain ; 67, 236, à propos de
M. Pupius Piso Frugi Calpur- nianus) ou imposait de pratiquer une éloquence relâchée, cf. C. Aurelius
Cotta (Cicéron, Brut., 55, 202) et Cicéron lui-même (Leg., I, 4, 11).
73 Un article du New York Times montre comment au Daghestan les conflits interethniques sont parfois
désamorcés par les plaisanteries : « In Daghestan, Laugh Track Echoes Across Mountains », New York
Times, 17 février 2010. Cette fonction de désamorçage des conflits dévolue au rire se retrouve dans
d’autres sociétés anciennes et traditionnelles.
74 Cf. e. g. Astin 1967, p.  302-303  : «  man fully developed as a man  […]  ; there is a considerable
measure of agreement that a vital element in it [humanitas] was awareness of common humanity, of the
fundamental nature common to all men, as a positive and valuable thing in itself ; and the belief that this

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Le sens d’humanitas à Rome 15

awareness should lead to a sympathetic understanding of all the actions and passions of men » ; Novara
1982, t. I, p. 165 : « [L’humanitas peut être définie comme] le sentiment de l’appartenance au genre
humain, la conscience d’une fraternité qui entraîne à la bienveillance, à la sympathie » ; Ferrary 1987,
p. 512 : cet accomplissement de la nature humaine qu’est la culture.
75 Cf. Moatti 1997, p. 297 : « ceux qui ne sont pas dans Rome sont en dehors du genre humain ».
76 Opera, p. 635, cité dans Kristeller 1950, p. 104.
77 Cicéron, ad Quint., I, 1, 27 : Quod si te sors Afris aut Hispanis aut Gallis praefecisset, immanibus
ac barbaris nationibus, tamen esset humanitatis tuae consulere eorum commodis et utilitati salutique
seruire.
78 Ferrary 1987, p. 513 : « Tous les peuples sujets, de par leur appartenance à l’humanité, ont déjà droit
à une certaine humanitas » ; Moatti 1997, p. 92 : « Cicéron […] propose une éthique applicable à « tous
les sujets » en tant qu’ils appartiennent à l’humaine condition, quel que soit leur origine ethnique et leur
degré de civilisation. Comme si l’empire, par la multitude des sujets qui le composait, avait appris à
reconnaître l’unicité du genre humain ».
79 Traité sur la tolérance. Déjà Marsile Ficin, dans la lettre cité supra : ob hanc ut arbitror rationem
sapientes solam illam ex omni virtutum numero hominis ipsius nomine, idest humanitatem appellauerunt,
quae omnes homines quodammodo ceu fratres ex uno quodam patre longo ordine natos diligit atque
curat.
80 Tertullien, adv. Marcionem, II, 17 : boui terenti vincula oris remittuntur…, quo facilius in pecudibus
praemeditata humanitas in hominum refrigeria erudiretur.
81 Cicéron, Fam., VII, 7 ; Manilius, 4, 237.
82 Cf. e.g. Apulée, Metam., VI, 13 : simplex et humana Psychen salutem suam docebat.
83 Par exemple, Donat (ad Aen.,V, 785) reproche à Junon de ne pas montrer d’humanitas vis-à-vis des
Troyens.
84 Sénèque, Ep., 23, 1.
85 Pétrone, Satiricon, 117, 2.
86 Pline l’Ancien, XVI, 78.
87 Caelius Aurelianus, Acutae passiones, II, 1, 2 : Asclepiadi … dicenti pulsum, atque respirationem
humaniorem lethargis quam phreniticis esse.
88 Soranus p. 109, 2 : haemorrides […] simplices et humanae, quae et molles et lenes.
89 Cicéron, Br., 161 : nisi qui a philosophia, a iure ciuili, ab historia fuisset instructior.
90 Ornatus (Cicéron, Planc. 58) ; praeditus (Cael., 54) ; Amm. Marc., XXIX, 1, 8.
91 Varron, de lingua latina, VIII, 31 : aliud homini aliud humanitati satis est ; quoduis sitienti homini
poculum idoneum, humanitati, nisi bellum, parum.
92 Apulée, Met., X, 10.
93 Lucain, IX, 794 ; Sénèque, Dial., V, 17, 3 : cum oris detruncati […] deformitas humanam faciem
perdidisset.
94 Quinte-Curce, V, 5  : iamque haud procul urbe erant, cum miserabile agmen […] regi occurrit.
Captiui erant Graeci ad IIII milia fere, quos Pesae uario suppliciorum modo adfecerant. Alios
pedibus, quosdam manibus auribusque amputatis inustisque barbararum litterarum notis in longum sui
ludibrium reseruauerant ; et cum se quoque alienae dicionis esse cernerent, uolentes regi occurrere
non prohibuerant. Inuisitata simulacra, non homines uidebantur, nec quicquam in illis praeter uocem
poterat agnosci.
95 Tite-Live, X, 27, 8-9 : un loup rappelle aux soldats romains, juste avant une bataille, leur gens.
96 Il., VI, 448-449. Cf. Appien, Punica, 132. Polybe (XXXVIII, 22) ne semble pas parler de pitié pour
l’ennemi, mais plutôt d’inquiétude pour sa propre patrie. Le geste de Scipion copiait celui de Marcellus
lors de la chute de Syracuse (Plutarque, Marcellus, 19, 2).
97 Diodore de Sicile, XXXII, 23. Cf. aussi Rhet. Her., IV, 16, 3.
98 Appien, Ib., 95, 413. Autres références sur la chute de Numance dans A. E. Astin, op. cit., n. 3 p. 17.
99 Ferrary 1987, p. 596-597 : « On pourrait être tenté de justifier une telle sévérité en expliquant que les
Numantins rendus sauvages par leur résistance acharnée jusqu’à l’anthropophagie, s’étaient en quelque
sorte exclus de la communauté humaine, mais le sort de Numance, après dix ans de guerre, après les
nombreuses humiliations infligées aux armées romaines […], avait surtout valeur d’exemple […] ».
100 Astin 1967, p. 303-304.
101 Cicéron, Off., I, 35 ; Murena, 58 ; Tite-Live, Per., 59 ; Pline l’Ancien, XXXIII, 141. Cf. A. E. Astin,
op. cit., pp. 153-4 ; Diodore, XXXII, 23 et XXXIV, 4, 5.

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Le sens d’humanitas à Rome 16

102 Varron, de lingua latina, VI, 34 : gregibus humanis. Cic., Cael. 26 : Lupercorum coitio ante est
instituta quam humanitas et leges.
103 Seueritas (epist., 12, 27), mais Pline le Jeune, Ep., VIII, 21, 1 : pulcherrimum et humanissimum
existimo seueritatem comitatemque miscere.
104 Sénèque, Ep., 99, 20 : lacrimae fluxerunt tanto temperamento ut illis nec humanitatis nec dignitas
deesset.
105 Cicéron, de or., II, 154 (mélange des deux chez Scipion Émilien, Laelius, L. Furius).
106 Cicéron, de or., III, 29, à propos d’un discours de Catulus ; Velleius Paterculus, II, 116, 3 ; de legibus,
III, 1 à propos d’Atticus.
107 Lentulus dans Cicéron, ad Att., IV, 6, 1 : in summa magnitudine animi multa humanitate temperatum ;
De Or., II, 344) ; Sénèque le Rhéteur, contr. exc., VI, 8 : Caesar (Auguste), qui apud te audent dicere,
magnitudinem tuam ignorant, qui non audent humanitatem ; Jérôme à Damase (il avait lu Sénèque le
Rhéteur), Ep., 15 2 1 : quamquam… tui me terreat magnitudo, tamen inuitat humanitas.
108 Tite-Live, XXIX, 9, 6 : sine respectu non maiestatis modo sed etiam humanitatis in legatum impetum
faciunt ; Panég., 4, 6 : nihil maiestati detrahitur. Dans le Code de Justinien, il y a comme un ton de rupture
avec cette opposition traditionnelle (5, 16, 27, 1) : nihil aliud tam peculiare est imperiali maiestati quam
humanitas, per quam solam dei seruatur imitatio. L’humanitas du pouvoir s’affirme au moment même
où le pouvoir est plus terrifiant que jamais. Dans le cérémonial réglant l’apparition de l’empereur devant
le peuple, il était convenu par exemple que l’empereur s’incline devant le peuple.
109 Varron frg. Non. p. 287 : Mettum Fuffetium interemit imperiosius quam humanius.
110 Pline le Jeune, Ep., II, 6, 2 ; IX, 30, 1. Cf. Saller 1982, p. 11 sq.
111 Cui orbem terrarum circuire non erit longum mea causa (VII, 16, 4).
112 IX, 5  : egregie facis (inquiro enim) et perseuera, quod iustitiam tuam prouincialibus multa
humanitate commendas  ; cuius praecipua pars est honestissimum quemque complecti atque ita a
minoribus amari ut simul a principibus diligare. 2 Plerique autem, dum verentur ne gratiae potentium
nimium impertire videantur, sinisteritatis atque etiam malignitatis famam consequuntur. A quo vitio tu
longe recessisti, scio.
113 Sed temperare mihi non possum quo minus laudem similis monenti, quod eum modum tenes, ut
discrimina ordinum dignitatumque custodias. Quae si confusa, turbata, permixta sunt, nihil est ipsa
aequalitate inaequalius.
114 Pline le Jeune, IV, 3, 2  : Nam severitatem istam pari iucunditate condire, summaeque gravitati
tantum comitatis adiungere, non minus difficile quam magnum est.
115 Ibid., 1 : Quod semel atque iterum consul fuisti similis antiquis, quod proconsul Asiae qualis ante
te qualis post te vix unus aut alter - non sinit enim me verecundia tua dicere nemo -, quod sanctitate
quod auctoritate, aetate quoque princeps civitatis, est quidem venerabile et pulchrum; ego tamen te vel
magis in remissionibus miror.
116 Ibid., 2 : Id tu cum incredibili quadam suavitate sermonum, tum vel praecipue stilo assequeris... 4 :
Quantum ibi humanitatis venustatis, quam dulcia illa quam amantia quam arguta quam recta!
117 Ibid., 3 : Nam et loquenti tibi illa Homerici senis mella profluere et, quae scribis, complere apes
floribus et innectere videntur.
118 C’est le contenu, à part le ramassage des coquillages, qui vient du de oratore (II, 22), de ce que
Cicéron appelle humaniter viuere dans sa lettre à son ami Marius, qui vit retiré dans la baie de Naples
(ad Familiares, VII, 1, 5).
119 Cicéron, De Or., III, 161.
120 Tacite, Agr., 21, 2 : humanitas vocabatur, cum pars seruitutis esset. Rousseau cite la phrase dans
une longue note du Contrat social (III, 9).
121 Vitruve, II, 8, 12 (humanitatis dulcedine mollitis animis barbarorum).
122 Belgae dicebantur esse fortissimi, ea propter quod ab humaniore cultu longe discreti, nec aduenticiis
effeminati deliciis, diu cum tranrhenanis certauere Germanis. Cf. aussi Quintilien, II, 2, 10 ; Aurélius
Victor, Caes., 39, 26 : quamquam humanitatis parum, ruris tamen ac militiae miseriis imbuti (Caesares
illyrici) ; Ammien Marc., 15, 11, 4.
123 II, 8, 12 : ita singillatim decurrentes et ad coetus conuenientes e duro feroque more commutati in
Graecorum consuetudinem et suauitatem sua voluntate reducebantur.
124 Ibid. : ergo aqua non impudico morbi vitio, sed humanitatis dulcedine mollitis animis barbarorum
eam famam est adepta.
125 Tacite, Agr., 21 : Sequens hiems saluberrimis consiliis absumpta. Namque ut homines dispersi ac
rudes eoque in bella faciles quieti etotio per voluptates adsuescerent, hortari privatim, adiuvarepublice,
ut templa fora domos extruerent, laudando prom-ptos, castigando segnis: ita honoris aemulatio pro
necessitate erat. Iam vero principum filios liberalibus artibus erudire, et ingenia Britannorum studiis

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Le sens d’humanitas à Rome 17

Gallorum anteferre,ut qui modo linguam Romanam abnuebant, eloquentiamconcupiscerent. inde etiam
habitus nostri honor et frequens toga; paulatimque discessum ad delenimenta vitiorum,porticus et
balinea et conviviorum elegantiam.
126 Poggio Bracciolini : les litterae hanno giovato ad vitam et mores, cité par Garin 19944 [1952], p. 56.
127 Lettre de Colluccio Salutati à Pellegrino Zambeccari qui veut se faire moine (cité par E. Garin,
op. cit., p. 36) : via della perfezione ; ou encore Leonardo Bruni, cité ibid. p. 48 : Quae humanitatis studia
nuncupantur, quod hominem perficiant atque exornant. Et p. 52 : cumque homo imbecillum sit animal et,
quam per se ipsum non habet sufficientiam perfectionemque, ex ciuili societate reportet, nulla profecto
conuenientior disciplina homini esse potest, quam, quid sit ciuitas et quid respublica, intelligere…

Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Vesperini, « Le sens d’humanitas à Rome  », Mélanges de l'École française de Rome -
Antiquité [En ligne], 127-1 | 2015, mis en ligne le 09 juin 2015, consulté le 09 juin 2015. URL : http://
mefra.revues.org/2768

À propos de l’auteur
Pierre Vesperini
LABEX HASTEC – pvesperini[at]gmail.com

Droits d’auteur
© École française de Rome

Résumés
 
À partir d’une approche anthropologique, l’article essaie de montrer que le sens majoritaire du
mot humanitas à Rome désignait la capacité d’un homme à être sociable. Elle n’était pas liée à
un discours sur la nature ou l’essence de l’homme. L’humanitas était au contraire une qualité
« artificielle », produite par l’éducation. Dans certaines situations (dans la vie politique ou à
la guerre), cette qualité devait d’ailleurs être mise en suspens. Ainsi, comme d'autres vertus
romaines, elle n'était pas sans ambiguïtés, donc pas absolue, mais relative aux situations.
 
This paper proposes an anthropological approach to the notion of humanitas in Ancient Rome.
In most cases, humanitas meant the capacity to socialize. It had nothing to do with discourses
on human nature or essence. On the contrary, humanitas was an « artificial » quality, produced
through education. Moreover, in certain situations (in political life or at war), this quality had
to be suspended for a while. Like other Roman virtues, it had its part of ambiguity and was
not absolute, but relative to situations.

Entrées d’index

Mots-clés : humanitas, hellénisme, anthropologie de la culture romaine, humanisme


Keywords : humanitas, hellenism, anthropology of Roman culture, humanism

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