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Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu.

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ANTHROPOLOGIE DE L'ART
Madame Sylvie Claret De Fleurieu, sylviedefleurieu@gmail.com

9 octobre 2023 (1er cours)

// A lire : Par-delà la nature et culture, Philippe Descola //

Dans le domaine de l'Histoire de l'Art, entre 1280 et 1318 se passe un phénomène


inverse : on souhaite redonner de la forme, de la matière à un corps peint/sculpté
= tridimensionnalité.
→ proto ou pré-perspective (qui est d'abord un problème mathématique)

L'Ange de l'Annonciation et la Vierge, Lorenzo di Niccolo, 1391-1411,


tempera sur fond d'or, paire de panneaux de peuplier,
88 x 40cm (avec les cadres), 55 x 29cm, collection privée.

Ici, l'ange et la Vierge sont tridimensionnels ; cependant, le fond d'or (relatif au divin)
ne permet pas de les mesurer. L'artiste ne peut rendre les personnages commensurables
(litt. : « mesurer avec »).
Il y a donc un rapport au monde qui se transforme au Moyen-Âge en Europe, notamment
visible en Histoire de l'Art par le passage d'un style esthétique icônique à un style
réaliste au début de la Renaissance.

Pourquoi l'emploi du terme « réaliste » ?


→ parce que plus on se rapproche de ce qu'on voit (le « matériel »), plus on pense se
rapprocher du « réel ».

Cependant, l'étude de l'Histoire de l'Art ne nous explique pas les raisons de ce


changement. Sont-ce des raisons politiques ? Sociales ? D'actualité ? …
En anthropologie, il est primordial de mettre en relation le rapport au monde d'un
peuple avec sa façon de penser.
→ Par quels procédés les peuples se construisent-ils un univers cosmologique propre à
leurs cultures ?
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L'Anthropologie est littéralement la « science de l’Homme ».


Claude Lévi-Strauss et Philippe Descola ont effectué un travail gigantesque pour
répertorier et comprendre les cultures humaines jugées (auparavant) primitives et/ou
oubliées (car modes de pensées extra-européens).

En anthropologie, on tente de déduire des objets et artefacts des comportements (pour


info : la sociologie est une discipline qui découle directement de l'anthropologie).

Exemple : Thérianthrope, statuette d'homme-requin du royaume d'Abomey (Bénin),


entre 1889-1893, bois, clous de fer, pigments, 168 x 102 x 92 cm, musée du Quai Branly.

// A lire : le Rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain, 2018


(commandé par Emmanuel Macron), <https://www.vie-publique.fr/rapport/38563-la-
restitution-du-patrimoine-culturel-africain> //

La simple dénomination « œuvres d'art » de ces statues d'Abomey ne pourrait être plus
éloignée de ce qu'elles sont. En effet, la dénomination « œuvre d'art » implique une
relation extérieure à la société alors que ces artefacts sont considérés comme des
agents de régulation, d'équilibre entre des individus et le reste du vivant : ils font donc
partie intégrante de la société.

Il faut distinguer une « œuvre d'art » d'un « artefact » en fonction de l'objet lui-même.
Un artefact est utilitaire, il est un acteur à part entière de l'équilibre d'un groupe (ref.
aux images performatives).

L'hybridation de cette statuette démontre un système de pensée interspécifique


(humain/animal/végétal).
Ce n'est pas l'unique exemple de ce système de pensée, il en existe de nombreux autres
dans le monde.
Par exemple, chez les Achuar d'Amazonie, les femmes mettent au monde et élèvent et
leurs jardins (notamment le manioc) comme des mères (= relation maternelle, les
processus germinatifs ne sont pas interprétés de la même façon). Les hommes, quant à
eux, entretiennent une relation de beaux-frères avec les jaguars qu'ils chassent. Les
modes d'identification sont des appréciations.
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Philippe Descola a passé trois ans de sa vie en compagnie des Achuar et, pourtant, il n'a
pu les comprendre avec son système de connaissances occidental. Il a donc décrit tous
les rapports interspécifiques de cette culture.

Dans ses Mémoires, Christophe Colomb dit avoir été sidéré par la beauté des corps des
Taïnos (île Guanahani) et pense avoir trouvé l'Eden. Cet exemple nous montre bien qu'il
a analysé ce qu'il a trouvé à travers son propre référentiel culturel, c'est-à-dire par le
prisme judéo-chrétien dont il provient.
Mais cela va encore plus loin car, « puisqu'il a trouvé l'Eden », il va désormais falloir
apporter aux Taïnos cette « sortie » de l'état de nature vers un état de culture (à l'image
du récit biblique d'Adam et Eve).
→ cet exemple historique nous montre bien la dangerosité d'interprêter des cultures
différentes de la nôtre en utilisant notre propre référentiel culturel.

Par ailleurs, la Bible et plus particulièrement la Genèse est née au Moyen-Orient mais
pas en Israël (comme beaucoup le pensent) mais bien à Babylone car ces récits furent
écrits par les Hébreux au moment où ils furent déportés par Nabuchodonosor d'Israël à
Babylone. Cet imaginaire (la Création, Adam et Eve, etc...) va imprégner non seulement
l'Ouest (Europe) mais aussi l'Est (la Syrie, l'Egypte...), c'est donc un imaginaire
typiquement eurasiatique.

Dans ce cours, nous allons tenter de comprendre la relation entre :


création d'un imaginaire → système de connaissances spécifique → production d'artefacts
et ainsi appréhender toute la diversité de la culture humaine.
NB : Le système de connaissances occidental n'en est qu'un parmi trois autres.

Selon Philippe Descola, il faut dépasser nature et culture. Dans son livre, Par delà la
nature et culture, il présente quatre ontologies à distinguer (mais pas à opposer !) :
– Naturalisme (Occident)
– Animisme (Amazonie, Amérique subarctique, Asie du Sud-Est, Mélanésie)
– Analogique (Inde brahmanique, Afrique de l'Ouest, Chine ancienne, zone andine,
Mexique précolombienne, pensée occidentale de l’Antiquité et du Moyen Âge)
– Totémisme (Australie)

Ces quatre ontologies nous permettent de décrire les comportements de tous les peuples
de la Terre.

Vocabulaire :

Nom Etymologie Définition


Épistémologie du grec ancien, ἐπιστήμη Système de connaissances
« connaissance vraie » et
λόγος « discours »
Ontologie du grec ancien, ὄντος « ce La science de l'essence donc
qui est, essence » et λόγος la manière dont on construit
« discours » notre rapport au monde.
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10 octobre 2023 (cours au Louvre)

Contexte historique

Nous sommes en 1526 et le roi de France, François Ier, doit légitimer sa place.
Après sa libération en 1526, il rentre en France et souhaite restaurer et transformer le
palais du Louvre (palais des anciens rois de France) qui était alors dans un état
d'insalubrité extrême. Cela entraîne une forte incompréhension auprès de ses sujets.
D'autant plus que sa popularité est au plus bas car il est tenu responsable de
l'entachement de l'honneur de la France. En effet, à force d'entêtement, il est allé de
débâcles en débâcles et finit même par être fait prisonnier par son pire ennemi, Charles
Quint, à la bataille de Pavie (Italie) le 24 février 1525.

[Point info : Le pays phare de l'Europe au XVIe siècle est l'Italie que ce soit dans le
domaine artistique, architectural ou scientifique... A partir de 1486 débute une série
de onze conflits menés par les souverains français en Italie désirant faire valoir leurs
droits héréditaires sur le royaume de Naples puis le duché de Milan.]

Sa libération est actée par le traité de Madrid en 1526 composé de conditions fortement
défavorables à la France, notamment :
• une rançon représentant 2/3 des ressources du pays ;
• l'envoi de ses deux fils aînés en otage âgés de 9 et 7 ans (dont le dauphin) ;
• la cessation de la Bourgogne et de l'Artois (loin d'être anodin puisque ces deux
régions permettent un couloir entre l'Espagne et le Saint Empire Romain
Germanique).

DONC François Ier revient en France marqué par le déshonneur, il doit trouver les
ressources politiques, artistiques et esthétiques pour redorer son image et celle de la
France.
→Acte fondamental qu'il va entreprendre : il doit briser les velléités à son encontre de
tous les duchés, principautés, comtés, etc... c'est-à-dire de tous les chefs des fiefs
médiévaux.

[Point info : Cette politique que François Ier va mener à bien sera l'avènement de
l'absolutisme en France car l'absolutisme passe par la centralisation du pouvoir (cette
politique de Cour sera d'ailleurs amené à son apogée par Louis XIV).]

Pour y arriver, François Ier va imposer l'image du pouvoir royal en un seul lieu : le Louvre

Devant la façade du Louvre, sur la place, on peut apercevoir les traces d'un ancien
donjon.
[Point info : Avant son départ pour la troisième croisade en 1190, Philippe Auguste veut
protéger Paris sa capitale. Il fait alors construire une forteresse à l'enceinte de la ville,
à l'ouest, l'endroit le plus exposé.]
Ce donjon est érigé en 1200 ; il est considéré comme le premier d'Europe. Sa hauteur
faisait 28 mètres et ses murs faisaient cinq mètres de largeur ! Jamais personne n'est
parvenu à prendre le donjon du Louvre : dans l'esprit de tous, le Louvre était devenu le
symbole de la résistance du pouvoir royal français.
Tous les seigneurs rendaient allégeance et s'agenouillaient, non pas devant le roi, mais
devant la « grosse tour ».
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Lorsque François Ier revient, roi vaincu et déshonoré, l'une de ses premières actions est
de raser ce donjon (en 1528) → dans l'esprit des Français, le roi de France faisait
disparaître le symbole même du pouvoir français !

Et pourtant, cela était l'exact inverse d'un acte insensé...


Un donjon est une place forte médiévale ; en le détruisant, François Ier porte un coup
d'arrêt au système médiéval au complet.
Il va demander à un architecte, Pierre Lescot, en 1546, de reconstruire le Louvre selon
les caractéristiques de la Renaissance & selon les découvertes archéologiques
contemporaines faites en Italie et en Grèce (représenter la modernité de l'époque).

Pierre Lescot va essayer de repenser un château fort médiéval selon les normes d'un
château renaissant (construction de la cour carrée de 1549-1551 = première construction
architecturale homogène).
→ il s'agit d'un bel exemple d'acculturation (= ajouter une ou plusieurs cultures à une
autre ; une culture qui adapte/intègre d’autres éléments et spécificités à sa propre
culture).

Façade du Louvre (aile Lescot)


A = pavillon central
B = pavillon Nord
C = pavillon Sud

La façade possède 3 avant-corps (= structures faisant saillie en façade) et 2 jeux de 3


arcades en plein cintre (= arc semi-circulaire sans brisure) avec une embrasure (=
ouverture pratiquée dans l'épaisseur d'un mur) profonde. Ces trois embrasures sont en
saillie par rapport à la façade et celles du premier étage qui est en retrait, ce qui donne
l'illusion d'une galerie.
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Malgré le besoin de s'inspirer de la Renaissance italienne et de la période gréco-romaine,


il était primordial de conserver l'esprit français. Pierre Lescot va ainsi garder l'idée d'un
château fort français grâce à sa façade, il s'agit d'un gallicisme (= spécificité française).
En effet, un château fort était composé de quatre tours d'angle et une tour au centre.
Les avant-corps de la façade du palais du Louvre réalisé par Pierre Lescot rappellent
ainsi les tours d'un château fort et donc François Ier construit un palais royal de style
renaissant mais il garde sur sa façade le souvenir du système défensif des châteaux
médiévaux français.

De plus, les châteaux médiévaux (ex : Blois) possédaient une galerie qui distribuait les
bâtiments (ailes Nord, Sud, Est et Ouest). Les arcades qui donnent l'illusion d'une galerie
(décrit plus haut) renvoient donc à cette galerie médiévale. D'ailleurs, François Ier et
Pierre Lescot avaient prévus une balustrade pour renforcer cette image. Le projet a été
abandonné mais des trous sont encore visibles sur la façade et des notes en font mention
sur les plans originaux de l'architecte.

L'idée de François Ier, en construisant ce palais, est d'imposer dans la tête de tous les
Français qu'il y a une demeure unique pour tous les rois de France, le palais du Louvre
est donc la maison mère du pouvoir royal français.

Comment montrer le pouvoir royal français ?

Façade du Louvre (aile Lescot), pavillon central :

En haut du pavillon central se trouve un fronton arrondi (donc


un emprunt gréco-romain) soutenu par deux bas-reliefs de
François Goujon.
• Les figures sont tournées l'une vers l'autre donc le bas-
relief de gauche répond à celui de droite.
• Celui de gauche est une figure masculine qui porte une
cuirasse accompagné par un animal.
• Celui de droite est une figure féminine porte une lance
et une cuirasse.
→ Ils possèdent donc tous deux des attributs de guerre
mais ne sont pas en position de combat.
• Entre eux sont placés deux hommes captifs en référence
aux ennemis vaincus, soumis par la guerre.
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Ici est présente l'idée politique de la guerre qui a été menée à son terme d'une manière
victorieuse → fortement liée à la notion d'agrandissement de territoire importante
depuis l'Antiquité à mettre en relation avec l'un des principaux devoir royal : agrandir le
domaine royal (= apporte la gloire et permet d’augmenter ses ressources).

Contexte de l'époque : François Ier revient en 1526 après sa captivité et le traité de


Madrid, il invoque la loi d'inaliénabilité du domaine royale et refuse ainsi de céder la
Bourgogne et l'Artois à Charles Quint (qui va garder ses fils en otage du coup). Il repart
en guerre contre l'Espagne mais cette fois de manière plus victorieuse, ragrandit le
domaine royal et pemet au pays d'être plus prospère.

Cet homme et cette femme du bas-relief représentent les deux devoirs d'un roi :
• homme → Mars, figure de la guerre stratégique → sagesse
• femme → Bellone, figure de la guerre non rationalisée (carnage) → force

Au niveau du fronton arrondi se trouvent deux « Victoire » qui couronnent d'une


couronne de laurier un bouclier sur lequel est inscrit un « H ». Cette lettre fait
référence à Henri II, le fils de François Ier et fut placé là lors de la Restauration (1814-
1830). En effet, François Ier et Henri II avaient placé trois fleurs de lys en référence au
pouvoir royal (ce qui était mieux puisque cela n'individualisait le pouvoir comme le « H »
le fait). Lors de la Révolution, les fleurs furent enlevées et remplacées par « RF » pour
République Française. Cet acte montre bien que les révolutionnaires connaissaient toute
cette imagerie guerrière et, loin de la détruire, ont voulu l'intégrer à la République
naissante.
→ Cette idéologie guerrière perdure qu'importe le système.

Au-dessus de la porte centrale fut placé un œil de bœuf encadré de deux femmes :
• celle de gauche désigne à ses pieds
une tête de Méduse qui rappelle les
boucliers = élément guerrier ;
• celle de droite porte à sa main un
gouvernail et à ses pieds un monde
parfait.
→ Message véhiculé : une fois la
guerre terminée, on gouverne bien.
= preuve que l'imaginaire de la
guerre est inséparable d'une notion
que la guerre ne se justifie pas pour
elle-même mais pour une finalité qui est son opposée : la paix.

Conclusion :
→ La mise en scène des trois frontons cintrés des trois pavillons rendent visible une
conception particulière des trois qualités royales.
= il s'agit de la projection d'une conception du monde, d'une construction d'un imaginaire
dans l'espace politique d'une ville qui nous renseigne sur :
• le mode de fonctionnement d'une idéologie particulière (ici, celle de la monarchie
avec ses représentations architecturales et sculpturales) ;
• la manière dont les processus de transformation politique affectent la conception
que l'on a de son rapport à l'image.
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16 octobre 2023 (2ème cours)

Notion d'historicisation
→ dans l'enseignement occidental, ce domaine (l'« Histoire ») est considérée comme
une science.
L'historicisation a pour objectif premier d'historiciser des faits, c'est-à-dire des les
contextualiser par rapport à un lieu, à une culture et à une temporalité.
Cette contextualisation est aussi transhistorique (à travers les histoires).
Ex : historiciser le Coran, ça veut dire le contextualiser dans un lieu et un moment
donné mais aussi le remettre dans le contexte de l'imaginaire de l'époque (imaginaire
que l'on peut lui-même historiciser d'où une contextualisation transhistorique).
→ mais cela produit un contre-discours à ceux qui veulent amener le « peuple de
Dieu » en dehors de l'Histoire pour recevoir une parole qui est atemporelle (non
dépendante d'une chronologie), immatérielle et surtout incorporelle.
// c’est ce qui dérange et crée cette volonté chez les extrêmistes de détruire cette
science occidentale qui historicise. //

L'anthropologie des productions culturelles : une approche analytique des


productions culturelles distinctes de l’histoire de l’art.

Point essentiel : Aucune œuvre, aucun artefact, n’imite de façon réaliste le visible.
→ la notion de « réalisme » en Histoire de l’art, très flou, plusieurs types de réalisme.

Le Réalisme en Histoire est la phase par laquelle le premier historien de l'art, Vasari, va
définir comme étant le summum de l'Art (Les Vies, deuxième édition, en 1568) : la
Renaissance italienne avec l'avénement de la perspective = le premier dispositif de
projection sur une surface bidimensionnelle d'objets tridimensionnels attestant de
l'apothéose du Réalisme.
Le Moyen-Âge n'est absolument pas réaliste ! Pourtant Giotto (1266/67-1337) amorce un
processus qui construirait une image réaliste du monde dont l'apothéose serait en 1424 à
Florence avec Brunelleschi et l'avénement de la perspective.

La perspective provient de la géométrie descriptive qui nous amène immédiatement aux


Grecs avec le théorème d'Euclide (sur la proportionnalité des triangles semblables). En
effet, ces derniers ont pensé la relation dans les temples entre la métrique du corps
humaine (= anthropométrie) et l'architecture (= architectométrie) comme étant pas
seulement le lieu de la présence d'un corps dans une architecture mais l'architecture
était elle-même la projection dans les trois dimensions de l'espace des mesures propres
de l'Homme.
→ Protagoras (490 - vers 420 av. J.-C.) : « l’Homme est la mesure de toute chose ».

Les historiens d'art vont classer les styles (Grecs, Renaissance, XIXe, XXe, …) des moins
réalistes au plus réalistes et vont ainsi induire l'idée que le réalisme est l'aboutissement
d'un véritable travail d'organisation du monde autour de soi qui parachèverait l'édifice
de l'art. Cependant, c'est une conception qui n'est pas forcément partagée par tous, y
compris par les artistes dit « réalistes ». Courbet, par exemple, lui-même s'exaspérait de
« l'étiquette » qu'on lui avait collé et expliquait dans ses écrits pourquoi sa propre
pratique picturale n'est pas réaliste.
→ décalage entre ce que font les artistes et ce que construit l'Histoire de l'Art.
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Restituer la vraisemblance de sa vision, c'est la restituer avec sa propre culture → une


œuvre « réaliste » est donc impossible à obtenir.

Pourquoi ni un artefact, ni une œuvre d'art n'est réaliste ?


→ le démontrer à travers 3 artéfacts et 1 œuvre d’art :
• Les Amériques : aux Caraïbes, dans les grandes Antilles (groupe ethnique des
Taïnos) : analyse d’une spatule vomitoire avec un siège « daho » ;
• Afrique : au Congo (population Kongo) : analyse de la statue « Nkisi Nganga »
(littéralement « personne devin ») ;
• Amérique du Nord : région subarctique, Alaska et Canada (sous-ethnie Yupii't,
tribu Kwakwaka) : analyse d'un masque à transformation ;
• Europe : Nature morte à l’échiquier, Lubin Baugin, vers 1625/30, huile sur bois,
55 × 73 cm, Musée du Louvre. → présentée par le Louvre comme le
« parachèvement du réalisme du XVIIe siècle en peinture ».
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23 octore 2023 (3ème cours)

Masque à transformation, société Kwakwaka'wakw, Canada, XIXe siècle, 34 x 53 cm


fermé, 130 cm ouvert, Musée du Quai Branly

« faire mondiation » = créer, à partir d'un imaginaire spécifique, des conceptions de


notre rapport au monde, au réél, à la nature à l'autre qui sont à chaque fois variable
selon le référentiel culturel auquel nous appartenons.
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Idole cycladique aux bras croisés, Groupe de Syros, Musée du Louvre

Art cycladique : art des îles des Cyclades (+ de 200-300 îles comme Knossos, Milo...) qui
sont très intéressantes car c'est là que vont émerger les formes les plus anciennes des
arts sculpturals qui vont former les cultures grecques. On y a trouvé les plus anciens
artefacts grecs datés vers -6000 ans.
[rappel : bien plus ancien que la Grèce archaïque dont les limites chronologiques
diffèrent selon les historiens mais la première période se situerait vers -1000 ans au plus
tôt).
→ Lorsque naît la démocratie à Athènes en Grèce en 509 av. J.C., un nouveau référentiel
émerge.

Vénus de Milo, vers 150-130 av. JC., hauteur 202 cm, Musée du Louvre

La Vénus de Milo fut trouvée das un contexte rituel architectural bien particulier : au
sein d'une ère sacrée se trouvait une niche dans laquelle elle fut placée. Non loin se
trouvait une statue du dieu Dionysos.
Dionysos réengendre les puissances de la Terre, c'est par lui que se régénère la Terre
• étymologie : du grec ancien Διός, Diós à la fois « dieu » et « Zeus » & νύσος,
nýsos, « plante » ;
• Dionysos est « né deux fois » : il a franchi deux fois les portes de la vie (par sa
mère Sémélé puis par Zeus son père).
→ D’où le symbolisme de la grappe qui naît d’abord fruit puis renaît en vin.
Dionysos a ainsi une double personnalité, à la fois homme et dieu.
Le fait qu'Aphrodite (Vénus est la déesse des Romains) et Dionysos soient ensemble dans
une ère sacrée fait penser au type de religion hiérodulique, soit la prostitution sacrée,
où des rites de prostitution entre un homme et une femme se pratiquaient (on pensait
alors que l'homme se régénérait dans la femme).
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Point essentiel : L'imaginaire est construit pendant l'enfance et cet imaginaire construit
notre rapport au monde.
Aujourd'hui, la Vénus de Milo est interprétée comme « l'hégémonie de la période
hellénistique (323 avt J.C. à 31 J.C.), du Beau, de la proportionnalité du corps, du
réalisme ». Or, sa finalité pratique n'a jamais été dans le réalisme de son corps,
d'ailleurs son corps est-il vraiment réaliste ?
Par exemple, pourquoi a-t-elle des abdos ? Parce qu'elle se réfère à l'imaginaire
du corps masculin qui passe par la volonté de rendre visible l'ascèse sportive
(effort visant à la perfection spirituelle par une discipline constante afin de
cultiver son corps).
Le corps de la Vénus est entièrement géométrique et son unité de mesure première se
trouve être le quart de la hauteur de sa tête. C'est à partir de cette unité que les
multiples de son corps dépendent tous.
→ Cela révèle bien un imaginaire de la géométrisation du corps qui nous prouve que ce
n'est pas du tout un corps réaliste.

Il existe, en Occident, un fantasme de la construction de l'Histoire de l'Art qui aurait


commencé à par l'art primitif pour aller vers l'accomplissement d'une forme qui
deviendrait réaliste (très Darwin et sa théorie de l'évolution finalement).
Les « arts premiers » ne devraient pas être dénommés ainsi mais plutôt comme « arts et
productions extra-occidentales » (l'Europe doit être considérée d'un point de vue
civilisationnel plutôt que géographique car l'Europe a imposé sa civilisation dans le
monde, aux Amériques par exemple).

Pour revenir sur le décalage entre ce que font les artistes et ce que construit
l'Histoire de l'Art et mieux comprendre le fait qu'une œuvre « réaliste » est impossible
à réaliser, voici une anecdote historique fort pertinente : l'artiste-peintre français
Paul Cézanne (1839-1906), lassé des critiques d'art de son époque qui ne faisaient cas
que du Réalisme, aurait dit : « Prenez un pomme et faites-la peindre par douze
peintres. Vous obtiendrez douze images de la pomme différentes ».
Même chose pour la photographie.

En 1855, un conflit éclate en l'artiste Gustave Courbet (1819-1877) et les historiens de


l'art qui lui ont refusé, pour l'exposition universelle, sa toile, L'Atelier du peintre : une
véritable allégorie réelle d'une phase de sept ans de ma vie artistique et morale.
Courbet parle d' « allégorie réelle », ce qui peut étonner et pourtant, il considérait
l'allégorie comme étant ce qui se rapprochait le plus du Réalisme.
C'est par rapport à sa vision du monde qu'il peint cette peinture mais les historiens de
l'art la comprenne tout autrement en la qualifiant de « peinture réaliste ».
→ L'Histoire de l'Art s'est construit sa façon de voir, de connaître et de comprendre les
œuvres.

Au XIXe siècle, Courbet n'est pas le seul à remettre en cause le Réalisme. Charles
Baudelaire (1821-1867), poète français, va rédiger Les Salons critiquant les œuvres
exposées lors des salons d'arts parisiens de 1845, 1846 et 1859. Ces œuvres étaient
toutes réalisées par des artistes provenant des Beaux-Arts et récompensés par le prix de
Rome. En 1846, il va rentrer dans une querelle entre les soi-disant « réalistes » qu'il va
opposer au Romantisme.
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Partie II : Comprendre l'imaginaire du réel dans le modèle occidental :


comment avons-nous conçu (imaginé) notre rapport à la nature : le fondement
de l'ontologie naturaliste

En grec ancien, « nature » se dit phusis. C'est pourquoi la physique est l'étude des
phénomènes naturels.

A partir de l'analyse précise des spécificités formelles signifiantes de plusieurs


œuvres/artefacts, de textes, littéraires et philosophiques, nous en déduirons le sens du
naturalisme.
Pour les textes philosophiques significatifs de notre civilisation occidentale, en voici les
six auteurs :

• Xénophon (430 av. JC - 355 av. JC) ;

• Platon (428/27 av. JC – 348/47 av. JC) ;

Platon, comme Socrate, a refusé d'écrire et ce sont ses disciples qui ont retranscrit
ses discours. La redécouverte de ses textes à (ainsi que ceux d'autres auteurs grecs
comme Hermès Trismégiste, Aristote, Plotin...) se fit grâce à l'envoi des manuscrits
depuis Constantinople (avant, nous n'avions accès qu'à des traductions de
traductions). L'académie platonicienne de Florence (école et mouvement
philosophique et artistique florentins) en les personnes de Marsile Ficin (1433-1499)
et Jean Pic de la Mirandole (1463-1494), philosophes, offre une traduction des textes
de Platon permettant ainsi à leurs contemporains de les étudier.

• Aristote (384 av. JC – 322 av. JC) ;

• Cicéron (106 av. JC – 43 av. JC) ;

[Point info : il faut faire très attention lorsque vous entendez/prononcez cette phrase :
« Les monothéistes se sont opposés au polythéistes grecs » car la philosophie
hellénistique a toujours été repensée par les trois religions monothéistes (Christianisme,
Judaïsme et Islam). En effet, elles s'y sont opposées MAIS pour s'opposer à qqch, il faut
d'abord le connaître et l'intégrer.]

• Plotin (205 – 270) = monothéiste chrétien héritier de la pensée grecque ;

• Augustin D’Hippone dit Saint Augustin (354 – 430) = il n'est pas chrétien à l'origine,
il est manichéen (Perse antique), il se convertit au christianisme quand il est à
Alexandrie alors qu'il est dans une école néo-platonicienne. Il ne va pas s'opposer
à la culture grecque, il essayer de la faire entrer en résonnance avec la théologie
chrétienne (processus d'acculturation) ;

• Proclus (412– 485) ;

• (Saint) Thomas d'Aquin (1225 – 1274).


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31 octobre 2023 (4ème cours)

→ Comprendre toutes les cultures humaines se sont structurées mentalement autour de


deux notions fondamentales que sont :
– l'imaginaire de l'émergence du monde (comment le monde est apparu) = la
cosmogonie ;
– l'imaginaire de la création de l'être humain = l'anthropogonie.
Peu importe que ces imaginaires soient perdus dans la nuit des temps (se matérialisant à
travers des images ou se structurant dans l'écriture), parce qu'ils sont toujours au
fondement de notre monde et de notre pensée d'aujourd'hui (travail de Philippe
Descola).
ex : Jacqueline Chablis avec Thomas Römert disaient que si nous voulions comprendre
le Moyen-Orient aujourd'hui, il faut reprendre leur conception du monde (cosmogonie)
et leur conception de l'Homme (anthropogonie).

Expérience Light and Space, James Turrell, 2011, dispositif, Biennale de Venise
→ tridimensionnel (env. 30 m de profonfeur sur 3-4 m de hauteur)

L'artiste est parvenu, grâce à l'utilisation de la lumière/couleur, à réaliser le rêve de


Malévitch : rendre (pour la première fois dans l'histoire de l'humanité) totalement
invisible les angles, c'est-à-dire les démarcations d'un lieu ou d'une pièce (il n'y a plus de
forme, plus d'image)
→ il va ainsi spiritualiser la lumière.
Il s'agit d'une expérience très déstabilisante parce que ce qui nous permet de tenir
debout, c'est notre oreille interne et l'équilibre de l'oreille interne se fait par rapport à
ce que l'on perçoit visuellement. Ici, il y a perte des deux repères fondamentaux qui
nous ancre habituellement dans le monde donc on n'appréhende même plus la
profondeur → anéantissement de l'espace ! On ne peut même plus se référer au sol
puisque nos pieds sont dans une espèce de brume car on porte des chaussons
particuliers.

Turrel s'est basé sur notre imaginaire qui prend en compte notre cosmogonie et notre
anthropogonie (notre monde et la place de l'homme dans le monde).
Pour les anthropologues, Turrel est en train de révolutionner notre rapport au monde
avec ses dispositifs.

La conception de l'imaginaire de la création du monde (cosmogonie) rend visible un


Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 15

véritable processus d'acculturation. C'est en comprenant cet imaginaire sur les origines
du monde (la Genèse par exemple) que l'on peut aussi comprendre la conception qu'un
peuple ou un groupe ethnique se fait de ses relations à toute les composantes du monde
que Philippe Descola qu'il appelle les « existants » (qui se différencient des essences en
philosophie).

Platon parle du monde sensible [ce que l'on peut toucher] qu'il distingue du monde
intelligible [monde des idées]. La distinction entre ces deux mondes pour Platon (qui
commence avec Socrate) repose sur un postulat (indémontrable à l'époque) : la nature
du monde sensible, du monde matériel est par essence temporelle (= s'étend dans le
temps), spatiale (= s'étend dans l'espace) et corruptible (= putrescible, mortelle) DONC
elle a une fin.
Ce postulat, Platon va l'opposer à la nature du monde intelligible qui, parce qu'elle
relève du monde des idées, des concepts, est immatérielle, incorporelle et intemporelle
DONC elle n'a pas de fin.
Ce postulat de distinction radicale entre le monde sensible et le monde intelligible va
entrer en résonnance avec la double conception de l'émergence du monde et de
l'émergence de l'Homme dans les trois monothéismes (Judaïsme, Christianisme, Islam).
La philosophie de Platon n'est pas apparu ex nihilo. Elle est elle-même issue de son
maître à penser Socrate, qui lui-même était un pythagoricien. Antérieur à Pythagore
arrive une époque où les transmissions orales prédominaient encore. Bien
qu'évidemment on n'a pu en conserver de traces, on estime extrêmement probable que
cette philosophie, ces idées étaient déjà présentes bien avant le cinquième siècle avant
J.-C. Les artistes naturalistes contemporains s'inscrivent aussi dans cette philosophie.

Carré noir, Kasimir Malevitch, 1923/30, Carré blanc sur fond blanc, Kasimir Malevitch,
huile sur plâtre, 36,7 × 36,7 × 9,2 cm, 1918, huile sur toile, 79 x 79 cm,
Musée national d'Art Moderne de Paris Museum of Modern Art, New York

Pour Kasimir Malevitch (1879-1935, suprématisme), le blanc est un champ d'énergie. Il


fait apparaître le carré noir pour la première fois en 1913 dans son aquarelle Le
Fossoyeur. Il réalise Carré noir entre 1923 et 1930. Malevitch disait : « le carré que
j'avais peint n'était pas vide, il était la sensibilité de l'absence de l'objet ».
→ Il veut rendre l'être humain sensible à autre chose et donc il doit le rendre insensible
au monde objectif (= à l'ensemble des existants autour du monde).
Enfin, le Carré blanc sur fond blanc est l'étape extrême, c'est l'imaginaire de la
libération totale, ici, on est dans la pure conception du monde.
6 novembre 2023 (5ème cours)
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 16

Comprendre comment notre monde contemporain a hérité d'une conception du rapport


de l'homme à la nature pré-établie sous-entend que le concept de la nature est lui-
même issu de la manière dont nous avons conçu l'émergence du monde (cosmogonie).
→ Important car de cet imaginaire cosmogonique (qui peut être sociologique,
philosophique, théologique, mythologique) se déduit un imaginaire anthropogonique.

Lorsque l'on parle de « conception du rapport de l'Homme à la nature » qui a été


déterminante dans notre manière de l'appréhender, la vivre, la qualifier (= accorder une
qualité à une réalité), il faut bien intégrer que la « nature » évoquée ne fait pas
référence à la Nature en tant que telle mais bien à une conception de celle-ci. En effet,
l'idée de nature, puisqu'elle est issue d'une conception cosmogonique du monde, n'est
pas universelle.
→ L'idée de « nature » telle que nous l'avons construite en Occident n'est valable qu'en
Occident, elle n'est oppérante que dans notre propre référentiel culturel et elle est
incompréhensible pour, au moins, deux autres ontologies que sont l'animisme et le
totémisme.
L'ontologie totémiste doit être distinguée de notre ontologie naturaliste mais il ne faut
pas systématiquement l'opposer à l'animisme.

Le TOTEMISME

Chez les totémistes, leur conception de l'émergence du monde est toujours en relation
avec leur propre présent : ce qui, pour nous autres naturalistes, s'est passé dans un
temps lointain (à l'origine du temps) se réactualise quotidiennement dans l'espace
sociologique des clans totémiques (temps du rêve).
→ conception cosmogonique qui par le relais du temps du rêve.

Le rêve n'est pas vécu comme la projection de l'inconscient de telle ou telle personne
(comme interprêté par la psychologie occidentales en tant qu'extériorasiation d'une
psyché propre à un individu).
Le temps du rêve est un lieu : c'est la mise en connexion réelle avec les esprits
cosmogoniques (esprits primordiaux) qui viennent rencontrer l'esprit de l'Homme pour
toutes les questions relatives à la gestion du groupe :
• les déplacements jusqu'à des points d'eau ;
• la gestion des ressources alimentaires (quel type de poissons sont prélevés dans
les trous d'eau...)
• comment consommer les animaux (quels sont les interdits [tapu] autour de
certains animaux/poissons qui ne doivent pas être consommés car ce sont des
esprits cosmogoniques qui sont dans le temps du rêve).
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 17

Tapa mélanésien,
écorces d'arbres battues,
Musée de Nouvelle-Calédonie
à Nouméa.

Au niveau des spécificités formelles, on voit apparaître sur les tapa, un dispositif
scénographique typique à la fois de l'annimisme et du totémisme qui est une hybridation
de tous les êtres DONC un système en dehors d'un temps donné.
→ Il n'y a pas un passé par rapport au présent qui se distinguerait lui-même un futur.
C'est un système qui rend compte d'une simultanéité des temps : soit un système
aperspectif.

Les systèmes de figuration totémiques sont tous, sans exception, aperspectifs.


→ la perspective étant une vision à un moment défini à un lieu défini, elle s'ancre donc
dans une temporalité, ce qui implique qu'aucun système de figuration totémique ne
comportent de dimensions tridimensionnelles.

Leur conception de la forme et de l'image est radicalement différente de la nôtre car


elle est issue de leur propre ontologie (rappel : totémisme = actualisation dans l'espace
social de ce système cosmogonique par le temps du rêve).
Les tapa sont la physicalité d'une intériorité, la physicalité de ceux qu'ils convoquent
(leurs esprits cosmogoniques).
→ d'où leur choc quand, dans notre culture, ils les retrouvent exposés dans des musées
ou vendus dans des galeries car ces artefacts sont le corps même de leurs ancêtres
vivants (on pourrait faire un parallèle avec si quelqu'un venait prendre les os de l'un de
nos parents pour les exposer, les décortiquer, les vendre etc...).

Le totémisme est une notion clanique, Philippe Descola le définit comme étant un
« animisme relatif à un clan en particulier ».
→ Cela signifie que ne seront reconnnus comme étant « animés » (= dotés d'une
intentionnalité, d'une volonté, d'une intériorité) que certaines espèces propres au clan
lui-même. Ce qui sous-entend que les hybrides du clan A, les espèces végétales du clan
A, les animaux de prédilection du clan A, ne seront pas considérés comme étant
« animés » par le clan B.
Pour chaque clan existe un système cosmogonique propre que les membres du dit clan
actualisent dans leur propre espace sociologique MAIS qui sera distinct de la cosmogonie
d'un autre clan.
→ Quand on étudie l'ontologie totémique, on doit étudier précisément la structuration
imaginaire, sociologique de chaque clan.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 18

L'ANIMISME

Les tribus animistes, à la différence des clans totémistes, considèrent que des espèces
animales et végétales n'appartenant pas à leur clan peuvent être « animées ». Pour eux,
l'ensemble des existants est « animé ».
→ Il y a une homogénéisation de l'ensemble des esprits cosmogoniques pour toutes les
tribus animistes.
D'ailleurs, on constate moins de conflits entre les tribus animistes que les clans
totémistes.

Statue magique Nkisi Nkonde,


Royaume du Kongo
(aujourd'hui République démocratique du Congo),
bois, cauris, fer, plume d'oiseau, textile,
61 x 32 x 19 cm,
Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris

Ces artefacts ont longtemps été appelés (et malheureusement le sont encore
aujourd'hui) des « fétiches à clous », on ne pourrait être plus éloigné de leur réalité.
Le mot « fétiche » est extrêmement réducteur et rappelle le fétichisme sexuel en
donnant l'idée d'un dsyfonctionnement. Le fétiche à clou est relayé au rang de
dysfonctionnement, de « maladie ».
→ Il faut appeler ces fétiches « Kisi » ou « Nkisi », termes qui signifient « personne ».

• Les Nganga sont des devins (pas des prêtres, ni des sorciers !) qui sont chargés de
fabriquer ces « personnes », les Nkisi.
• Ils ajoutent au centre une sorte de miroir assez peu poli = réflexion d'une image
affaiblie, déformée. Le Nganga possède la Clairvoyance, il voit des choses
invisibles dans le visible.
• Les Nkisi sont des chasseurs, d'où leurs représentations avec des flèches en
avant : ils vont chasser la cause invisible d'un désésquilibre/dysfonctionnement
dans l'espace social.
• Les Nganga chargent le ventre ou la tête de ces Nkisi de « bilongo » (qui signifie
« médicament »). Ils y insèrent ensuite, par exemple, une partie du placenta
d'une femme qui a fait une fausse couche avec une partie du fétus, ou alors des
cheveux, des dents, une partie d'une maison brûlée, etc. = parties malades
(quelque chose de relié au dysfonctionnement dans l'espace social).
• Le processus d'enfoncer un clou : Le Nganga doit mettre tous ces clous dans sa
bouche car sa salive va soigner l'espace sociale puis il plante ces clous dans le
bilongo du kisi. Le clou, en entrant en contact avec ces parties malades, va les
soigner.
C'est extrêmement structurant pour ces sociétés : les Nkisi ne sont jamais
brûlés/détruits sauf si les Nganga estiment qu'ils deviennent dangereux pour l'espace
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 19

social. Plus le Nkisi a soigné, plus il devient puissant.

Afin de mieux comprendre la charge émotionnelle que représente ces Nkisi, on peut
tenter un parallèle dans notre culture :
→ Dans les églises orthodoxes, le Pop conserve, dans le tabernacle (= l'arche de
l'alliance), le corps et le sang du Christ à l'issue des messes (les osties). C'est comme si
on prenait le calice avec les osties consacrées (équivalent du bilongo au niveau de la
charge spirituelle) du tabernacle pour le mettre dans un musée.

Faisant partie de l'ontologie animiste, ils se trouvent majoritairement au Congo, au Mali,


au Kenya et en Afrique du sud (peu en Afrique du Nord).

15 novembre 2023 (6ème cours)

Le surréalisme, une conception de la "surréalité" ancrée dans l'ontologie naturaliste -


l'exemple des hybridations

La soi-disant ouverture du surréalisme sur des conceptions du réel différentes de celles


de notre ontologie naturaliste est en réalité un leurre.
Attention ! Il ne faut pas confondre les hybridations surréalistes avec les hybridations
animistes ou totémistes.

Vers 1944, trois personnalités importantes aux Etats-Unis – Claude Lévi-Strauss (pointure
en anthropologie), Dali (artiste surréaliste) et André Breton (théoricien du surréalisme,
en a écrit le manifeste) – vont être mis en contact avec tous les artefacts de Colombie
britannique (côte ouest, frontière entre Alaska et Canada) qui circulaient uniquement
parmi les antiquaires (pas dans le milieu des musées).

Le surréalisme est un mouvement philosophique, politique mais aussi spirituel (et pas
uniquement un mouvement en Histoire de l'art).

Dans le surréalisme, l'objectif est double (manifeste du surréalisme) : utiliser


l'hybridation pour faire surgir l'inconscient personnel ET individuel.

Dans le surréalisme, les hybridations sont textuelles ou iconographiques :

• Hybridation textuelle
exemple du cadavre exquis, un jeu collectif « qui consiste à faire composer une
phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu'aucune d'elles ne puisse
tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. » (Le
Dictionnaire abrégé du surréalisme, André Breton, 1938)
Cela va produire un niveau de sens surréel qui est une
ouverture sur l'inconscient.
L'écriture automatique est l'équivalent du cadavre
exquis pour un individu seul qui va extérioriser par une
juxtaposition de mots, de concepts, a priori
arbitraire, son inconscient.

• Hybridation iconographique
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 20

Rêve causé par le vol d'une abeille


autour d'une grenade, une seconde avant l'éveil,
Salvador Dali, 1944,
peinture à l'huile, 51 x 41 cm,
Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid

En 1962, Dali expliqua qu'il voulut « mettre en image pour la première fois les
découvertes de Freud d'un rêve typique avec un long sujet, conséquence de
l'instantanéité d'un accident que provoque l'éveil. Ainsi, comme la chute d'une
barre sur le cou d'une personne endormie provoque simultanément son éveil, et
la fin d'un long rêve qui prend fin avec la chute sur elle du couperet d'une
guillotine, le bruit d'une abeille provoque ici la sensation de la piqure qui
réveille Gala »

L'hybridation naturelle, comme révélation de l'inconscience, est une objectivation de la


subjectivité. Tout est lié → continuité du travail de Dali et de Breton avec l'importance
fondamentale de la notion de rêve. En effet, pour les surréalistes, le rêve est une
hybridation qui va produire un niveau de sens surréel qui est une ouverture sur
l'inconscient.

Ce type d'hybridation (textuelle pour Breton et iconographique pour Dali) est une façon
d'appliquer dans le monde quotidien ce qui avait été théorisé dès la fin du XIXème siècle
par Freud lorsqu'il a utilisé comme matériau les caractéristiques du rêve comme une
voie d'accès à l'inconscient d'une personne en particulier, à un moment donné de sa vie
et donc par rapport à sa propre subjectivité qui elle-même est liée (dans la théorie du
rêve de Freud) à l'articulation du passage entre les trois grandes instance de la psyche
humaine de Freud : le moi, le ça, le surmoi.
Selon Freud, le rêve est objectivation de la subjectivité d'un individu à un moment
donné.

Dans l'animisme et le totémisme: l'hybridation comme médiation et lien avec la


conscience d'autres d'existants ayant des fonctions sociales régulatrices

Masque à transformation,
société Kwakwaka'wakw,
Canada, XIXe siècle, 34 x 53
cm fermé, 130 cm ouvert,
Musée du Quai Branly

Quand le masque à transformation Kwakwaka est fermé, cela donne le profil d'un
corbeau.
→ Le corbeau est considéré comme un individu participant à plusieurs mondes en même
temps : l'air (il vole), le sol (il attrape ses proies sur le sol), le végétal (il nidifie dans
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 21

certains érables du Canada). Son comportement change au fur et à mesure des saisons.
Les groupes Kwakiutl, Inuit et Youpi'it (Alaska) considèrent que les corvidés ont une
socialisation (façon de vivre) extrêmement réglée qui rappellent leurs propres façons de
vivre.

Quand le shaman, à la fin de l'hiver, porte ce masque à transformation dans des maisons
cérémoniels qui sont sous la terre, il ne porte pas la représentation d'un corbeau, il
porte l'intériorité même du corbeau sur son visage.
→ c'est-à-dire que le visage humain à l'intérieur, par symétrie à la fois axiale et en plan,
est lié avec l'extérieur DONC les yeux du shaman à l'intérieur entrent en résonnance
avec les yeux du corbeau à l'extérieur, ce qui permet de révéler la vision du corbeau sur
le monde (= l'intérieur va entrer en résonnance avec l'extérieur).
– « yuwa » = « personne » dans la langue Yupit
– « inua » = la « personne humaine » chez les Inuit
Lorsqu'ils appellent ces masques yuwa ou inua, cela nous indique qu'ils les considèrent
comme des personnes, voire même des personnes dotées d'humanité.
A LA DIFFÉRENCE DE notre ontologie qui va distinguer différentes classes du vivant et
n'accordier l'humanité qu'à l'être humain seul. L'animisme va donc accorder
l' « humanité » à différentes espèces d'existants (existants qui peuvent être vivants ou
non // pierre, animal, poisson...).

Quand le shaman porte ce masque à la fin de l'hiver, il demande au yuwa ou inua de tel
ou tel animal de les aider (= participation de l'espèce animale dans l'espèce humaine)
pour permettre la prospérité, l'équilibre, la survie du groupe.
Dans ces groupes, le corbeau est considéré comme celui qui aide à cela (l'animal peut
changer selon les groupes, clans, tribus → ex : ours chez les Aïnous).

Les visions sont des visions qu'ils vont interpréter comme étant la communication avec le
point de vue du corbeau, dont ils vont interpréter les manifestations comme le moyen
dans le monde social de régler les problèmes ou d'organiser des chasses de manières
précises. On a donc une différence fondamentale entre les hybridations issues du
surréalisme et les hybridations animistes / totémistes : Donc pas de rapport entre
l'inconscient dans le cadre du surréalisme, ouvrant une subjectivité d'un individu par
rapport à son propre vécu- là où l'animisme rentre en contact avec la conscience d'un
autre existant. Il faut distinguer le concept de conscient et d'inconscient dans notre
propre référentiel culturel, du concept de conscience dans le référentiel animiste et
totémiste.

La fonction du masque chez les populations animistes est une fonction régulatrice de
l'ensemble du groupe sociale. Au bout de trois jours de rituel où le shaman n'a ni mangé,
ni bu, où il n'a fait que danser sur le son d'un instrument à percussion → il y a, au niveau
cérébral, une modification de la conscience qui donne l'impression d'une ouverture de
l'état de conscience DONC de réalité. Les visons shamaniques sont des visions qu'ils vont
interprêter comme étant, par l'intermédiaire du masque, le point de vue du corbeau. Ils
vont donc interprêter ces manifestations (= sous formes de vision) comme le moyen,
dans l'espace social, d'aider la communauté ; par exemple, la façon d'organiser des
chasses avec prélevements d'individus dans la communauté comme la vision le leur
indique.
Il n'y a donc aucun rapport entre l'ouverture du surréalisme sur l'inconscient d'un
individu avec l'animisme. IL FAUT ABSOLUMENT distinguer le concept de conscience
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 22

de notre propre référentiel culturel du concept de conscience dans le référentiel


culturel animiste et totémiste.

1 décembre 2023 (7ème cours)

L'ANALOGISME

L'analogisme est à la frontière des autres ontologies. La conception du monde analogiste


ne s'est pas formée comme les trois autres : chronologiquement, elle a pu être animiste,
totémiste et naturaliste. Ce sont des correspondances formelles qui sont analogiques
entre elles.

Par exemple, l'hindouïsme est une pensée analogique : selon ce que peut être une
divinité, ils vont constituer leurs propres divinités qui prennent en elles la puissance
d'autres divinités.
Ex : Para-Uti/Pavashti (?) (ancêtre de Shiva) correspond à Apollon, Arès et le Christ.
→ L'analogie démultiplie les potentiels d'intervention des divinités dans le monde.

Autre exemple d'association analogique : la théorie des signatures


Il s'agit d'une théorie selon laquelle l'apparence des plantes révèleraient l'organe pour
lequel elles soigneraient le mal. Appliquée depuis l'Antiquité, c'est au XVIe siècle qu'elle
connaît son apogée. Le médecin astrologue et alchimiste suisse, Paracelse, signe même
cette célèbre maxime : « similia similibus curantur », soit « les semblables soignent les
semblables. ». Elle fut largement contestée dès le XVIIe siècle et complètement
abandonnée au XVIIIe siècle.
Quelques exemples :
• La pulmonaire (pulmonaria officinalis) : sa feuille, similaire par sa forme à un
poumon, soignerait les maux pulmonaires ;
• La vipérine aurait la faculté de guérir les blessures venimeuses, laquelle est
suggérée par les petites langues bifides qui jaillissent de ses fleurs ;
• la grande pimprenelle (sanguisorba officinalis) : son nom latin vient de la couleur
rouge des fleurs, qui faisait croire à sa capacité d'absorber le sang. En réalité, ses
propriétés hémostatiques seraient dues à la présence d'une concentration élevée
de tanins dans les racines ;
• Sous la coquille de la noix se dissimuleraient deux hémisphères identiques au
cerveau humain ;
• La coupe de la tomate l’identifierait, avec sa couleur rouge, aux cavités
cardiaques ;
• Les rondelles de carottes nous observeraient comme des iris et seraient donc
bénéfique pour la vue...

Si l'idée de nature (et plus encore celle d'une distinction radicale entre nature et
culture) n'est pas universelle (elle est spécifique et particulière à chaque
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 23

civilisation), c'est parce qu'elle dépend absolument de la façon dont nous avons
imaginé, dont toutes les cultures humaines ont scénarisé l'émergence du monde.
Il n'existe pas de cultures humaines qui n'a pas essayé de scénariser les origines du
monde → c'est donc un point commun de toutes les cultures humaines. C'est de ce point
de départ que Philippe Descola est parti pour pouvoir faire émerger les différences entre
chaque culture humaine qui lui a ensuite permis d'en faire émerger les 4 ontologies.
→ idée révolutionnaire de Philippe Descola

! Bon à savoir : Les cours de Philippe Descola au Collège de France sont tous disponibles
sur France Culture !
// A lire : Cosmogonies, la Préhistoire des mythes, Julien D'Huy → essaye de trouver le
plus petit dénominateur commun dans les conceptions du monde //

Etymologie et Définition de COSMOGONIE


→ Du grec ancien, κόσμος, kósmos, le « monde , l' « univers » mais au sens étymologique
du terme → idée d'« ordonnancement », c'est-à-dire l'action dans l'organisation.
→ γόνος, gónos, la « naissance », l' « engendrement » mais aussi de semence, de
germes, cela représente toutes les actions par lesquelles les choses arrivent (+ large que
la simple naissance)
= DONC la naissance, par l'ordonnancement des germes, du monde → idée
d'ordonnancecment qui se fait par l'émergence de semences qui sont déjà là. D'ailleurs
dans la mythologie grecque, plus particulièrement chez Hésiode, le Cosmos naît du
Chaos qui est défini un principe faisant référence au « commencement confus de toutes
choses, l'image de ce qui existait avant les dieux, avant les mortels, et d'où tout est
issu. Puis de sa masse enchevêtrée surgirent le Jour et l'Ether, avec le premier
jaillissement de la lumière indispensable à l'éclosion de la vie ». Cependant cet espace
confus, ce chaos implique sans nul doute l'implication de multiples éléments !

C'est en analysant des artefacts et des œuvres que l'on peut en déduire à quelle
ontologie ils/elles appartiennent. Ce qui signifie qu'un artefact rend visible des
conceptions de notre « façon de vivre avec tous les existants »
De ce point de vue-là, le surréalisme et sa conception du rôle de l'inconscient dans le
fonctionnement de la psyché n'échappe pas à notre ontologie naturaliste. Pourquoi ?
Parce que notre ontologie naturaliste ne reconnaît d'intériorité (= en anthropologie, c'est
la subjectivité, l'intentionnalité et la volonté des êtres pensants) qu'à cette espèce très
particulière du vivant qu'est l'homo sapiens donc l'être humain tel que nous sommes
aujourd'hui car c'est bien cette région presque insaisissable de la psyché (l'inconscient)
que les surréalistes ont revendiqué comme étant le niveau surréel du réel.
→ ils revendiquent que notre psyché, notre inconscient est aussi réel que la réalité d'où
le « SURREALISME »
// rappel André Breton qui disait « chaque inconscient est unique » car la réalité de
l'inconscient va interprêter de manière unique et particulière la réalité DONC ce qui est
surréel n'est pas une déconnexion de la réalité mais une articulation de la psyché qui se
constuit en fonction des expériences qu'elle se fait de la réalité.
C'est à dire aussi réel que le réel lui-même mais ne se manifestant pas de la même
façon que le réel ou le réalisme puisqu'il est en fait l'interprétation subjective que
notre inconscient fait du réel (interprétation qui mobilise d'autres ressorts que ceux
de la raison discursive, analytique et synthétique).
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 24

Dans le cadre des travaux de restauration du


Palais Garnier, l’Opéra national de Paris a invité
l’artiste JR à habiller les échafaudages
recouvrant le monument avec un double
dispositif de septembre à novembre.

L’acte I, « L’entrée de la caverne », est une interprétation par JR de la façade


monumentale du temple de la musique et de la danse. Le décor laisse apparaître
l’entrée d’une immense caverne ouvrant sur une perspective de roche et de lumière.
L’acte II, « Mano Habilis » : installation sur la façade du bâtiment qui fut
transformé en rideau de scène que le public fut invité à décorer.
→ Ce fut à la fois un dispositif scénique et une performance.

Le spectacle de l'acte 2 était nommé « Chiroptera dans la caverne ». Dans la première


partie, Amandine Albisson dansa devant ce rideau de scène et son ombre fut projetée
dans la caverne. Dans la deuxième partie de l'acte 2, lorsque le rideau de scène s'est
levé, 153 danseurs ont performé dans des cases avec des capes noires et blanches
(rappel la chauve-souris, d'où « chiroptera »). Une phrase apparaît « De l'obscurité naît
la lumière ». A la fin, ils ont arraché leurs capes (disparition du noir → plus que du
blanc). Tous les spectateurs devaient venir avec une lampe frontale, une fois allumées,
toutes les formes ont disparus, il y a eu une fulgurance blanche qui s'est muée dans une
sorte de musique matérielle.
La volonté de JR réside dans le fait de faire surgir une étincelle de lumière dans ces
temps de ténèbres → amener les gens à réfléchir sur la lumière qu'ils portent en eux,
l'espoir qu'ils portent en eux.
→ JR est un artiste parfaitement naturaliste.
D'où l'intérêt de comprendre comment et pourquoi cette survalorisation de l'esprit s'est à
ce point développé dans nos sociétés occidentales (// ontologie naturaliste) et ce depuis
au moins 3000 ans.

Emergence de la conscience et modification du milieu:


→ en Afrique de l'Est, on a trouvé une trace de l'émergence de la conscience humaine
vers -3 millions chez une autre espèce humaine (dont la branche homo sapiens n'est pas
issue). Ce sont des artefacts faisant preuve de modification conscientisée du milieu
naturel (le prélèvement d'un objet naturel qui fut déplacé). La modification du milieu
naturel est non-conscientisée chez les animaux car il n'y a pas d'amélioration de la
technique au fur et à mesure du temps qui passe.

Lorsque Philippe Descola indique que l'ontologie naturaliste réside dans la


« discontinuité des intériorités et la continuité des physicalités », cela signifie que
l'ontologie naturaliste pense que :
• les intériorités (les subjectivités, tout ce qui a attrait à l'esprit) se distinguent
entre les êtres vivants
ALORS QUE
• les physicalités (c'est à dire tout ce qui a attrait à la formation de la matière)
sont les mêmes, donc que tous les existants viennent tous de la même matière.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 25

! Attention !
Puisque l'ontologie naturaliste considère que les intériorités se distinguent, cela peut
amener à des discriminations car on peut finir par considérer que que tout ceux qui ne
pensent pas comme nous nous sont forcément inférieurs et que l'on peut les dominer.
Exemple : dans la Genèse (Bible), une fois que Dieu a créé l'homme et la femme, il leur
dit « Remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des
oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »

4 décembre 2023 (8ème cours)

Comprendre comment un scénario imaginaire de la cosmogonie dans notre ontologie


naturaliste va déterminer jusqu'à notre façon de penser la nature.

ATTENTION : entendre « nature » au sens grec du terme « phusis » = l'ensemble de ce qui


existe matériellement (humains, animaux, végétaux)
→ à distinguer de tout ce qui est fait artificiellement

Deux orientations peuvent être données à cette cosmogonie dans l'ontologie naturaliste :
– de façon polythéiste métaphysique ;
– de façon monothéiste.

1/ Orientation polythéiste métaphysique

Les cultures grecques sont des cultures polythéistes mais qui, à l'intérieur de ce
polythéisme, possède les premières émergences d'une philosophie métaphysique.
→ méta = « au-delà » + physique = la « phusis » (notion vue plus haut)
DONC signifie « au-delà de la matière »
Cette métaphysique philosophique apparaît dès le VIIe siècle avant J.C. et est donc
parallèle au scénario cosmogonique polythéiste (textes d'Hésiode). L'origine de cette
philosophie métaphysique est parallèle à la philosophie pré-socratique, notamment
Anaximandre (voir focus ci-dessous). Socrate et Platon (fin Ve – deb. IVe siècle) vont
donc théoriser ce qui était déjà conceptuellement développé par des scientifiques dès le
VIIe siècle avant J.C. Cette philosophie métaphysique, si elle abandonne le scénario des
origines d'un point de vue mythologique (mythos = le récit imaginaire des origines du
monde et de l'Homme), veut privilégier un scénario des origines qui se veut rationnel
(scientifique) mais pour autant « philosophique »
Les Grecs appellent cela le « logos » (la discipline à laquelle se rattache ce
suffixe va aborder cette dite discipline de la manière la plus rationnelle possible,
comme la dermatologie, la cosmologie...).
Le logos est une tension rationnelle vers la Vérité (elle se distingue complètement
du récit imaginaire des origines, le mythos). = nous sommes donc toujours en
tension mais nous ne faisons que proposer une interprétation de ce que nous
percevons MAIS la Vérité nous échappe toujours.
→ NATURALISME TOTAL

// A lire : Jean-Pierre Vernant, L'Univers, les dieux, les hommes //


// A lire : Etienne Klein, Que cherchons-nous dans nos origines ? //
// A lire Les Lances du crépuscule, Philippe Descola //
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 26

La philosophie cosmogonique d'Anaximandre :


Anaximandre (vers 610 av. J.-C. – vers 546 av. J.-C) est un philosophe et savant
grec présocratique. Il serait le premier philosophe à consigner par écrit ses travaux
mais on n'en possède malheureusement que quelques fragments.
Anaximandre employait le terme grec ἀρχή, arkhé, le « commencement »,
« l'origine » pour désigner, non plus seulement un point dans le temps, mais une
origine perpétuelle qui engendre continuellement ce qui est. Donc, pour
Anaximandre, tout provient d'un processus d'émergence, de naissance, par
différenciation à la confusion originelle (notion retrouvée chez Hésiode).
Ce principe des choses est, pour lui, l’ἄπειρον, ápeiron, « l'infini » ou
« l'illimité » qu'il utilise pour désigner la substance ou le principe originel. Depuis
l'indétermination primordiale, des unités vont se singulariser et ainsi en sortir. Il va
considérer que la plus petite brique élémentaire du vivant sera l'eau.

2/ Orientation monothéiste : analyse et comparaison d'images

Bible historiale de Saint-Jean-d'Acre, vers 1250, réalisée à


Acre (en Terre Sainte), commandée par Saint Louis durant
une période historique compliquée (Croisade).

Les ateliers d'enluminures à l'époque en Terre Sainte


étaient à la fois chrétien et musulman (= intéressant
quand on sait qu'il n'y a pas d'images chez les Musulmans).

La composition, la gestuelle et les couleurs sont


spécifiques à une culture et nous permette donc d'en
déduire un sens, une explication sur la façon dont nous
envisageons notre rapport au monde, notre rapport au
réel, notre rapport au divin et notre rapport à la nature.

Sur les 12 petites icônes, au niveau de la composition il y a une spécificité formelle


particulière pour représenter le cosmos :
• cercle sombre
• dedans, il y a un signe pour signifier les eaux primordiales (un quart de lune
bleu)
• cercle parfaitement étanche car délimité par un trait (fait au stylet dès
l'étape d'enduit sur le vélin ou le parchemin, trait qui sera ensuite repris par
de l'encre) → cercle qui enclos, qui enferme la formation des origines dans un
cercle.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 27

Chronique de Nuremberg, Premier jour de la Création,


1493, enluminure

Il y a l'idée d'une singularisation, d'une séparation des


élements. Lentement, il y a une désaturation de la
couleur jusqu'au blanc.

Ce processus de désaturation se passe uniquement dans un cercle, ici, accompagné en


haut à gauche hors du cercle, d'une main (geste déictique). On peut ici faire un parallèle
avec le titre « chiroptera » de JR car « chiro » = « la main » + « ptera » = « l'aile », soit
la main ailée → une main dématérialisée du corps, libérée de la matière et de la gravité.
Le geste déictique est un geste de monstration où le pouvoir iconographique est transmis
à la main.

Ici, au niveau de l'abstraction, nous retrouvons la composition de la Bible de Saint-Jean


d'Acre mais réduite à la distinction entre ce qui est en train de s'actualiser à l'intérieur
d'un cercle.

La Création et l'expulsion du Paradis terrestre,


Giovanni di Paolo, vers 1420

C'est la période de la Première Renaissance → construction avec une réinterprétation


mentale des sources antiques qui se veulent les plus scientifiques possibles.
Au même moment où Giovanni di Paolo peint cette oeuvre, il y a donc, à Florence, deux
intellectuels théoriciens et architectes, Brunelleschi et Alberti, qui vont faire des
relevés archéologiques des statues et temples grecs & romains qu'ils redécouvrent (à
Rome, Ravenne, Milan, Athènes, Abrigente...) et dont ils essaient de comprendre les
principes architectoniques (= comment cela s'est construit, principes de construction).

Alberti va théoriser les principes géométriques de la perspective à point de fuite


monofocale.
→ L'univers est interprété de manière géométrique et concentrique (cercle).
Le point de fuite est une interprétation organisée de toutes les formes.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 28

Autrement dit, la perspective est l'aboutissement mathématique, géométrique de ce


scénario des origines de type géométrique théorisé par les Grecs :
depuis Anaximandre et son scénario des origines avec un point de vue géométrique et
concentrique jusqu'au monde chrétien avec la perspective.
→ la perspective est considéré comme un aboutissement car elle ordonne – c'est-à-dire
qu'elle crée de l'ordre là où cela pourrait être le chaos - sur une surface
bidimensionnelle la projection de formes tridimensionnelles mais en fonction d'un seul
et unique point de fuite qui joue le rôle dans l'image d'un principe régulateur,
ordonnateur puisque c'est à partir de lui et jusqu'à lui que se construit la diminution
proportionnelle de toutes les formes les unes « par rapport aux autres jusqu'au lieu du
point de fuite ». (Alberti)

On peut ainsi faire le parallèle entre la perspective et la désaturation de la couleur de


manière proportionnelle pour représenter la formation du monde à l'origine (car là aussi,
elle ordonne le monde là où il pourrait y avoir du chaos)

Il n'y a pas d'opposition entre le scénario des origines grecques et le scénario des origines
dans le monde monthéiste puisque dans un cas comme dans l'autre, l'acte de création
provient d'une volonté (// « intentionnalité » par Philippe Descola) ordonnatrice de type
« géométrique », « mathématique » (J-P Vernant) dont la perspective au XVe siècle (De
Pictura, Alberti) va donner un équivalent pictural absolu.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 29

11 décembre 2023 (cours au Louvre)

Comment le peintre, Nicolas Poussin, va interprêter notre ontologie naturaliste ?


→ Il va reprendre, en réinterprétant de facon révolutionnaire, la cosmogonie de son
époque dans sa série Les Saisons.

Le Printemps, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)

L'Eté, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)

L'Automne, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 30

L'Hiver, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)

Dans ces œuvres, Nicolas Poussin rend poreuse la frontière entre le monde antique
greco-romain (polythéiste) et le monde judéo-chrétien du XVIIe siècle (monothéiste).
→ Cela est sans aucun précédent !

Nicolas Poussin (1594 - 1665) est le peintre et philosophe par excellence de son temps. Il
est né en France mais va passer la très grande majorité de sa vie et de sa carrière en
Italie (c'est le plus italien des peintres français). Son corpus est donc théorisé en
fonctions d'une autre culture que la sienne. Il va faire se rencontrer la culture française
avec les conceptions cosmogoniques grecques et romaines (car l'Italie de l'époque est
marquée pat la culture gréco-romaine antique suite à la Renaissance et aux résultats des
fouilles archéologiques).

Le commanditaire est Armand Jean de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu, le neveu du


Cardinal Richelieu (tres lettré mais aussi homme de science).

Ces quatre tableaux sont exposés les uns à côté des autres dans le sens de lecture
classique, c'est-à-dire de gauche à droite mais lorsque Poussin les livre, ils étaient dans
une rotonde donc circulaire, en référence à la sphère donc il n'y a ni début, ni fin.
Mentalement, il faut imaginer ces peintures en cercle donc la partie droite de L'Hiver
doit rencontrer la partie gauche du Printemps.

Par cette commande, Poussin doit réaliser les saisons et, loin de les représenter d'une
manière traditionnelle, il va créer un véritable système de mise en abîme.

Premier élément à préciser : dans chaque panneau, Poussin a opté pour un traitement
de la couleur par camaïeu [Un camaïeu est un dégradé d'une même couleur mais nuancé
dans la teinte ou dans l'intensité, en contraste avec une autre couleur de fond.]
(ref. idée de la saturation/désaturation vue plus haut).

Le Printemps Eau bleue, soleil levant avec la lumière de


l'aube qui se réfléchit, tonalités froides
L'Eté Jaune du champ de blé et du premier plan,
dominance des couleurs chaudes renforcée
par la présence du tissu rouge à gauche
L'Automne Couleur saturée plus terne qui part du brun
/gris, camaïeu de la couleur de la terre
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 31

L'Hiver Camaïeu de brun foncé presque noir, eau


au premier plan renforce l'idée d'une
surface froide (d'autant plus que le seul
endroit où on voit des remous à la surface
de l'eau, c'est justement là où les gens sont
en train de mourir).

Poussin ne va donc pas montrer directement les saisons ; il va plutôt créer, par le
traitement des couleurs, un imaginaire cosmogonique de la facon dont la matière se met
à exister.
→ Il va rendre visible, par la polychromie des camaïeux de chaque panneau, la
singularisation des quatre éléments de la matière.

- Tonalités froides mais douces →Air → le printemps


- Couleurs chaudes → Feu → l'été
- Statique → Terre → l'automne
- Dominance de noir → Eau → l'hiver

Pour les Grecs de l'Antiquité, tout ce qui est constitutif de notre monde, tout ce qui
existe est un agencement plus ou moins équilibré d'air, de feu, de terre et d'eau.
= ces quatre éléments sont les éléments constitutifs du temps et du vivant.

Cet acte de rendre visible, par la polychromie des camaïeux de chaque panneau, la
singularisation des quatre éléments de la matière est extraordinaire car jusqu'à Poussin,
les quatre éléments étaient représentés par des personnifications.

Par exemple, à Versailles, les termes des parterres nord, sud, est et ouest représentent
les quatre éléments :
– Vénus (volatile) →Air → Printemps
– Mars (sanguin) → Feu → Eté
– Bacchus → Terre →Automne
– Chronos (celui qui mange le temps) → Eau → Hiver

Deuxième élément à préciser : Poussin va intégrer sa conception judéo-chrétienne de


l'origine de l'Homme dans ses Saisons.
Il est le premier peintre de l'Occident à remplacer les personnifications des quatre
éléments mais aussi à intégrer les quatre éléments constitutifs de la nature à des
paysages (qui eux-même sont des visions de la nature).
Il va donner une explication scientifique de l'enracinement de la nature → il va penser
l'histoire humaine en fonction de la pensée grecque en montrant la concomitance de la
singularisation des quatre éléments de la matière d'où est issue la nature mais aussi d'où
est issu l'être humain par sa physicalité = « nous partageons les mêmes briques
élémentaires de l'ensemble des existants » (Philippe Descola)
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 32

Le Printemps

Le Printemps, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)

Au premier plan se trouvent un homme et une femme entièrement nus.


Les deux personnages ne sont pas, comme attendu à l'époque, Vénus et Adonis mais bien
Adam et Eve.
→ Disparition de toute scène mythologique, il va placer l'histoire humaine selon un
schéma de l'ancien testament (avec la Genèse).

La femme tient le bras de l'homme en faisant un geste déictique de l'autre main (= geste
de monstration). Elle designe un groupe d'arbres dont leurs caractéristiques nous
indiquent clairement que ce sont des pommiers (à la différence des arbres du tableau).
= pensée de l'emergence de l'Homme selon une anthropogonie typiquement monothéiste

Dieu est présent dans la partie supérieure droite du tableau : de dos, il quitte cette
Création terminée (c'est l'Homme qui parachève la Création). Dieu fait également geste
déictique en montrant l'extérieur, le haut donc l'origine de sa propre nature, c'est à dire
l'extérieur du monde sensible = le monde des Idées.

Eve attire l'attention d'Adam sur la particularité des arbres mais, à aucun moment, elle
n'a pris une pomme (y compris dans les sous-couches du tableau).
Dans le récit biblique de l'Eden, il y a un moment particulier et très dangereux (car
aujourd'hui, on en payerait encore les conséquences) = la consommation de la pomme.
En latin la pomme se disait malum qui signifie également le malheur (et qui a donné
« mal » en français aujourd'hui).
→ L'Homme, créature de Dieu par l'esprit, a transgressé un interdit absolu lorsqu'il a
cueilli le fruit de l'arbre de la connaissance du bien ou du mal (dans le jardin d'Eden, il y
avait deux arbres à ne surtout pas toucher : l'arbre de la vie et l'arbre de la connaissance
du bien et du mal). Ce récit explique pourquoi l'être humain est devenu mortel (au lieu
d'être immortel) C'est un récit que l'on peut retrouver dans toutes les cultures, preuve
en est que l'Homme a besoin de savoir pourquoi il meurt un jour.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 33

[Point info : même dans l'Epopée de Gilgamesh (héros d'un récit d'une origine), lorsque
son ami Enkidu meurt et qu'il se rend alors compte qu'il n'est pas immortel, il se met à
courir et à pleurer en criant « quelle faute ai-je commise ? »]

Ici, l'Homme, en voulant rivaliser avec la connaissance totale de Dieu, faute.


Mais si poussin avait vraiment voulu représenter cette faute, il aurait représenté un
serpent → il n'y en a aucune trace (même dans les sous couches), c'est un fait unique
pour l'époque !
Poussin interprête le récit en illustrant le moment de la liberté de choix pour chacun de
choisir entre le bien et le mal = illustration du libre-arbitre.

La nudité des personnages est en lien avec le geste déictique.


Pourquoi représenter Adam et Eve nus ?
Il ne faut pas interpêter cette faute comme relative à la consommation sexuelle. La
faute est ancrée dans le corps même → nous ne sommes plus immortels, nous sommes
donc programmés pour mourir dès l'instant de notre naissance.
La corruption de l'Homme est relative à la consommation du fruit de l'arbre de la
connaissance du bien ou du mal et donc à son intégration du fait qu'il est mortel.
= intégrer ce qui est scientifiquement bien ou mal, soit ce qui fait le monde, c'est cela
qui rend l'Homme mortel.
Il s'agit d'une idée qui est bien plus ancienne que le Christianisme puisque déjà Hésiode
et Platon philosophaient sur l'idée que si nous n'étions qu'esprit, nous n'aurions
absolument pas conscience de notre prolongement corporel.
→ La connaissance du bien et du mal rend visible/sensible l'imaginaire de cette
transgression.

Citations de la Bible hébraïque :


• « Tu ne consommeras pas de l'arbre de la connaissance du bien ou du mal car du
jour ou tu en mangeras, tu mourras certainement »
• (au moment ou il consomment)
« Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connnurent qu'ils étaient nus et
ils cousurent ensemble des feuilles de figuier pour s'en vêtir »

Poussin rend visible le moment du choix sans aucune référence formelle à la faute
commise, ce qui, par rapport à l'ontologie naturaliste, crée une extériorité dans le récit.
L'Eden est une construction mentale mais comme disait Philippe Descola « Toute
construction mentale devient aussi réelle que la réalité ».
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 34

L'Eté

L'Eté, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)

Une scène historique y est représentée : on voit des personnes dans un champ récolter
le blé avec des serpes.
Au premier plan prennent place deux personnages avec des gestes déictiques. D'ailleurs,
afin de montrer son importance, Poussin va disproportionner la main de la femme
(paume ouverte). Le geste d'ouverture de paume d'une main indique soit la séparation
des éléments, soit la reconnaissance d'un élément
L'homme, avec son index, pointe le groupe de femmes et d'hommes travaillant (un
homme de dos part avec une gerbe déjà ficelé).
A droite, cinq chevaux et un homme avec un fouet sont en train de fouler les blés pour
separer les graines de l'engrain.
A gauche, une femme est en train de faire cuire le pain.
= Dans cette scène cohabitent à la fois l'origine de la récolte, la récolte, le foulage et le
produit obtenu, soit le pain.

Avec sa main droite, l'homme au premier plan montre quelque chose près de la femme :
quelque chose qui n'aurait pas dû se trouver là, quelque chose de l'ordre de la
transgression → cela signifie que cette femme a près d'elle l'objet d'un délit → une gerbe
de blé (= elle a volé le champ de cet homme).

Cette histoire (Bible, livre de Ruth) se passe dans le pays de Canaan avant l'installation
des tribus d'Israël.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 35

Contexte :
Dans le récit biblique, Canaan désigne la Terre promise aux Hébreux, par Dieu
(Yahweh) à Abraham. Elle désigne la région comprise entre la mer Méditerranée et le
Jourdain, avant sa conquête par Josué et les tribus d'Israël sorties d'Égypte.

Boaz est un canaéen (descendant d'Abraham donc monothéiste) et Ruth est une
mohabite du royaume de Moab (polythéiste). Après la mort de ses proches, elle s'est
rendue dans le pays de Canaan avec sa belle-mère et sont alors dans une situation de
précarité extrême. Afin de sauver la vie de sa tribu, Ruth glâne du blé dans le champ
de Boaz. Attention : à l'époque, personne ne peut prendre des effets d'une tribu autre
que la sienne → l'acte de Ruth est donc assimilé à un vol → très répréhensible
(exécution) !
Boaz est subjugué par la beauté et le courage de Ruth et va l'épouser. Ils auront un fils
ensemble et seront les arrière-grand-parents du roi David (roi d'Israël).

Dans cette peinture, il n'y a aucune agressivité de la part de Boaz et Ruth reconnaît sa
faute (femme morale, droiture absolue).
La position des deux personnages (homme un peu en arrière et femme presque à genoux
dans une position d'allégence) fait penser à Marie-Madeleine au tombeau avec le Noli me
tangere.
→ Poussin va superposer la reconnaissance de Ruth et Boaz avec celle du Christ et Marie-
Madeleine. Il actualise l'histoire en intimant que le Christ est dans le christianisme ce
que la figure de Boaz est dans la judaïsme.

L'Automne

L'Automne, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 36

La scène représentée est la découverte de Canaan lorsque Moïse a demandé, après


l'Exode, à deux émissaires juifs de monter dans le pays de Canaan afin de déterminer
quels fruits poussent dans ce pays (Livre des Nombres, quatrième livre de la Bible).
Dans cette scène, deux hommes portent une grappe de raisin disproportionnée (donc qui
ne peut exister dans la réalité). Leur direction associée à la position des tableaux nous
apprend qu'ils ne se dirigent pas L'Hiver mais vers la gauche, donc vers L'Eté (donc vers
Boaz et Ruth).
La grappe disproportionnée évoque le corps et le sang du Christ → Poussin est en train de
représenter le moment où le pain (L'Eté) et le vin (L'Automne) vont devenir le corps et
le sang du Christ.
De cette grappe sort une échelle qui va dans un pommier sur laquelle une femme cueille
une pomme → acte loin d'être anondin, en particulier par rapport au Printemps puisqu'il
y a l'idée de retrouver l'Eden perdu pour racheter le pêché originel à mettre
évidemment en relation avec l'idée fondatrice du Christianisme qui est la rédemption de
tous les hommes grâce au sacrifice du Christ sur la croix.

L'Hiver

L'Hiver, Nicolas Poussin, 1660-1664, huile sur toile, Musée du Louvre (Paris)

Cette scène illustre le déluge (récit biblique de l'Arche de Noé mais existe depuis bien
plus longtemps que la Bible car on trouve des traces antérieures, ex : récit du déluge
dans Gilgamesh).
Le déluge est le dernier moment qui consacre la rupture totale entre Dieu et les
humains → l'Homme est irrécupérable donc Dieu décide la destruction, pas seulement
des humains, mais de tous les existants.
Poussin s'écarte de cela car le seul existant qui demeure est le serpent.
→ rappel que ce tableau est censé être exposé à côté du Printemps = éternel
recommencement ?

[Point info : lorsque Gilgamesh dérobe la plante de la jouvence et finir par s'endormir,
c'est un serpent qui la reprend. Le serpent est vu depuis très longtemps comme un
gardien.]
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 37

12 décembre 2023 (8ème cours)

L'analyse des spécificités formelles signifiantes d'une image (la composition, la gestuelle
et les couleurs), étant spécifiques à une culture, permet d'en déduire un sens, une
explication sur la façon dont nous envisageons notre rapport au monde, au réel, au
divin, notre rapport à la nature.
→ exemple de l'influence du néoplatonisme (la supériorité de l'intériorité) dans l'art
moderne et conceptuel :
• Platon (428/27 av J.C. - 348/47 av. J.C.) écrit dans le Gorgias : « le corps est le
tombeau de l'âme » ;
• Plotin (205 - 270) écrit dans Les Ennéades que « les arts n'imitent pas
directement les objets visibles, mais remontent aux raisons d'où est issu l'objet
naturel ; ajoutons qu'ils font bien des choses d'eux-mêmes : ils suppléent aux
défauts des choses parce qu'ils possèdent la beauté : Phidias fit son Zeus, sans
égard à aucun modèle sensible; il l'imagina tel qu'il serait, s'il consentait à
paraître à nos regards » (Première Ennéade, Livre V, Du Beau, 8, 31) et il met le
lecteur en garde en disant que « s'il aperçoit encore des beautés corporelles, il
doit ne plus courir vers elles, mais, sachant qu'elles ne sont que des images, des
vestiges et des ombres d'un principe supérieur, il les fuira pour Celui dont elles
ne sont que le reflet. » (Première Ennéade, Livre VI, Du Beau, 8, 24)
On retrouve ces idées dans les spécificités formelles de l'art conceptuel et moderne. Par
exemple, chez Duchamps, l'extériorité de la pensée créatrice est toujours première et
sera toujours la plus parfaite car la nature même de la physicalité du monde matériel
est du domaine du corruptible.

L'ensemble des œuvres vues jusqu'à présent nous prouvent l'un des principes essentiels
de la cosmogonie naturaliste (quelle soit grecque et chrétienne) :
→ il y a, dans le schéma cosmogonique grec comme dans le schéma cosmogonique
chrétien, une extériorisation de la pensée créatrice → nous avons donc une
extériorisation de l' « intériorité » par rapport à la « physicalité » (Descola) de tous les
« existants ».

Enluminure De la propriété des choses, Barthélémy


l'Anglais, 1445-1450.

Cet ouvrage n'est pas une bible.


Cette enluminure nous prouve qu'il perdure, encore au
XVe siècle, un schéma grec dans la constitution de
l'homme → clarification de la façon dont le corps humain
est un composé des quatre éléments (ces éléments
constitutifs du temps, de la nature et de toutes l'histoire
humaine comme dans les Saisons de Poussin vu plus haut).
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 38

Ici est représenté le corps du premier Adam, nu.


→ partie inférieure à droite = bleu = eau
→ partie inférieure à gauche = vert = terre
→ partie supérieure droite = bleu profond = air
→ partie supérieure = rouge = feu
C'est une manière de rendre visible (spécificité formelle et chromatique) que le corps
humain (sa « physicalité ») est, grâce à la répartition des quatre éléments, identique à
tous les « existants » matériels. Nous avons bien dans l'ontologie naturaliste « une
continuité des physicalités mais une discontinuité des intériorités » (Descola).

Pourquoi « une discontinuité des intériorités » ?


Parce que, pour les naturalistes, qu'ils soient dans le schéma grec ou dans le schéma
monothéiste, l'être humain est la seule créature matérielle à posséder une
« intériorité », une « subjectivité », une « intentionnalité », une conscience réflexive (=
sur lui revient l'acte de connaissance qu'il pose sur le monde).

D'où la différence que les naturalistes font entre les être humains et les animaux &
les végétaux. Les naturalistes pensent qu'il y a une similarité dans l'origine de la
matière (ref. aux différentes cosmogonies vues plus haut) mais que les intériorités des
êtres ne sont pas les mêmes (voire pour certains naturalistes, les animaux et végétaux
n'en possèdent aucune).
Par ailleurs, l'ajout de l'article 515-14 au livre II du code civil : « Les animaux sont des
êtres vivants doués de sensibilité. » n'est pas dénué d'intérêt puisqu'ici, on parle de
« sensibilité » et non de « subjectivité ». Le sensible est relatif au corps : dès qu'il y a
des terminaisons nerveuses, il y a des sens. Le système nerveux est par définition la
cause de la sensibilité des êtres vivants. Ici, nous sommes donc bien dans le registre
de la « physicalité » et non de l' « intériorité ».

Monreale, intérieur du Duomo Santa Maria Nuova,


La Création d'Adam, 1172.

Cf. La Fabrique des images, Philippe Descola (catalogue


d'expo), <https://journals.openedition.org/lettre-cdf/1034>

Philippe Descola avait présenté cette image comme étant « paradigmatique » (= modèle)
de la façon dont l'ontologie naturaliste a conceptualisé à la fois l'extériorité de l'esprit
de Dieu par rapport à sa création et la continuité de l'esprit de Dieu uniquement chez
l'être humain.
Elle montre à la fois la spéciation des espèces par rapport à leur environnement : Adam
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 39

est du même côté que les bœufs, lions, ânes, arbres... ce qui montre bien que l'Homme
est relié au monde naturel.

Cependant, Adam est relié à l'esprit de Dieu par un faisceau de lumière (rappel que la
lumière est considérée comme étant ce qui rend intelligible les choses). Ce faisceau va
depuis la tête du Dieu créateur jusqu'à la tête d'Adam (qui représente l'être humain ici).
Cette continuité de l'esprit divin dans l'humain est liée à l'un des versets de la Genèse
(premier livre du Premier Testament que partagent les 3 monothéismes : Judaïsme,
Christianisme et Islam) qui advient au terme la création de l'Homme par Dieu qui dit
« j'ai fait l'homme à mon image et à ma ressemblance ».
→ Il ne le dit pas d'un poisseau ou d'un bœuf, uniquement de l'Homme.

Michel-Ange, La Création d'Adam, 1511-1514, voûte de la chapelle Sixtine à Rome

L'extériorité physique d'Adam est rendu visible par Michel-Ange car ce dernier est figuré
sur la partie verte (couleur qui rappelle l'élément de la terre).
Dieu est séparé matériellement de sa création.
Ici, ce n'est pas par la tête que se transmet la transmission de l'esprit divin à l'Homme
mais les doigts. Cependant, ils ne se touchent pas ! → ce qui passe n'est pas matériel,
Dieu transmet l'immatérialité de son esprit créateur à Adam.

De plus, lorsqu'on se trouve en-dessous de la fresque dans la chapelle, l'impression d'un


flottement dans cette scène entre le Dieu créateur et sa créature est renforcée. Cette
scène totalement immatérielle flotte dans une sorte de non-lieu.

L'imaginaire d'Adam qui a été décrit comme la figure même de la mélancholie (en ref à
la lourdeur de sa main = lassitude) est liée à toute la concepion de Michel-Ange qui se
considérait lui-même comme un mélange d'esprit et de matière ET puisqu'il est enfermé
dans un corps, son esprit ne peut pas voir la Beauté dans sa réalité, pas plus qu'il ne
peut voir la lumière divine car celle-ci est obscurcie par la matière (ref à Platon
évidente). Ainsi, pour Michel-Ange, le fait d'êre dans une corps est synonyme de
souffrance, d'où la mélancholie/lassitude d'Adam.
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 40

L'ANIMISME

Etude et mise en relation de ces masques (à transformation) :

Masque à transformation,
société Kwakwaka'wakw,
Canada, XIXe siècle, 34 x 53
cm fermé, 130 cm ouvert,
Musée du Quai Branly

Masque à transformation Yup'ik qui présente, dans son


extériorité, un profil de mouette dans lequel apparaît un
visage humain.

Masque à transformation Yup'ik avec un profil


de caribou, une dent de morse (visible à
droite) et des dents de loups (3 animaux)

Pour info : « Yup'ik » au singulier et « Yupii't » au pluriel en langue yupik.


Les Yupii't sont localisés en Colombie britannique.
Les termes « yua » et « inua » indiquent la « personne complète », soit la
personne en elle-même et l'ensemble des existants.

Masque à transformation Kwakwaka'wakw


Fermé, il montre un profil de chabot (poisson), une
première ouverture dévoile un corbeau et une seconde
ouverture dévoile un visage humain encadré par un profil
de corbeau.
= trois emboîtements qui s'ouvrent les uns
sur les autres.

Masque à transformation Ma'betisek, réalisé en 1979 par un homme d'une


ethnie malysienne Arhmad Kassim.

Ces masques ne sont utilisés qu'en situation de sociabilisation, c'est-à-


dire porté par un shaman, ensuite ils sont rangés (ou détruits s'ils sont
défaillants).
Que ce soit les Inuits, les Yupii't ou les Malaysiens, ils ont refusé le terme
de « masque à transformation » et lui préfèrent « masques qui s'ouvrent ».
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 41

Ces masques sont présent dans un « archipel animiste ».


Les modes d'identification animistes se trouvent dans de nombreux endroits différents
du monde : région subarticque, Malaysie, Afrique, Paouasie-Nouvelle-Guinée. « Archipel
animiste » est donc une mention utilisée par Philippe Descola afin de configurer cette
particularité de l'ontologie animiste (par rapport à l'ontologie naturaliste qui est assez
homogène au niveau géographique).

Masque à transformation Kwakwaka'wakw


Fermé, il montre un profil de chabot
(poisson), une première ouverture dévoile un
corbeau et une seconde ouverture dévoile un
visage humain encadré par un profil
de corbeau.
= trois emboîtements qui s'ouvrent les uns
sur les autres.

Ici, le corbeau est le « grand corbeau »


(corvus corax) dont la particularité est qu'il
s'agit de la seule espèce présente partout
dans el monde (y compris au Groenland dans
la forêt boréale et la toundra.

Ce masque est est porté à la fin de l'hiver. La partie inférieure du masque (la plus large)
se place sur le visage d'un shaman exclusivement. Lorsque le shaman le porte, il entre
en connexion épidermique (= son visage est en contact) avec l'inua du corbeau lui-même
en contact avec l'inua du chabot.

Pourquoi ce masque n'est porté qu'à la fin de l'hiver ?


→ La fin de l'hiver est un moment d'extrême fragilité (= déséquilibre total) pour les Inuit
et Yupii't. Le manque de réserves de lait, de viande, de céréales, etc., risque d'entraîner
la disparition du groupe.

A la fin de l'hiver, les cérémonies se font dans les maisons ; maisons qui sont enterrées
dans le sol à l'image d'une matrice dans le sol dont on entre et on sort par un cordon (ref
au cordon ombilica et à l'utérus donc à la naissance).

Durant cette cérémonie, le fait que le shaman porte le masque ne signifie pas qu'il se
transforme en la personne du corbeau ou du chabot ! En réalité, porter ce masque lui
permet d'adopter le point de vue d'autres espèces dont la physicalité (qui n'est pas la
même que la sienne) doit devenir momentanément la même que celle du shaman. En
voyant avec les yeux d'un corbeau et d'un chabot, le shaman peut alors communiquer
avec ces espèces dans un but très précis.
= permet la communicabilité de tous les existants

Dans ces sociétés, la mise à mort d'un animal est un processus long qui nécessite des
rituels. De plus, l'intégralité de l'animal est utilisé (la peau, la moelle, les os pour faire
des aiguilles, les tendons pour lier les peaux entre elles...).
Pourquoi ?
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 42

Parce que la mise à mort d'un animal n'est pas la mise à mort d'un animal (comme
compris par les naturalistes) mais celle d'un être identique à nous autres êtres humains
→ la mise à mort d'un inua

La sociabilisation de tous les existants nécessite un principe premier qui est de leur
reconnaître la même « intériorité » que la nôtre.
Cela implique donc de demander pardon aux espèce chez qui il y aura des morts
→ objectif double :
• se concilier leur accord ;
• restituer à l'espèce chez qui on a pris un individu les esprits/inua/yuwa de notre
espèce humaine (les morts de la tribu) afin qu'ils soient convertis chez eux en
autant d'individus qui auront été prélevés à l'espèce.

Ces masques qui s'ouvrent nous permettent de comprendre, chez les animistes, le mode
d'identification de tous les existants sur un même mode d'égalité → d'où « continuité des
intériorités » (Descola).

LE TOTEMISME

La répartition du totémisme d'un point de vue géographique est ainsi : chaque fois qu'il y
a présence de cultures animistes, il y a présence de groupes totémistes. La répartition
des groupes totémistes en Océanie est là encore liée à l'ontologie animiste.

L'Australie (totémiste) est au sud du détroit de Torrès au nord qui la sépare de la


Paouasie-Nouvelle-Guinée (animiste). Les groupes totémiques en Australie sont des
groupes aborigènes. Avant l'arrivée des européens, on dénombrait 500 groupes
totémiques et autant de dialectes.

Comment va se singulariser l'ontologie totémiste par rapport à l'ontologie animiste ?

L'animisme est probablement la plus ancienne conception du monde (= théorie


développée par Julien d'Huy) et prenait place en Afrique.
En effet, on estime l'émergence de la conscience à 3 000 000 d'années en arrière (avec
little foot, squelette fossile d'une australopithèque retrouvée en Afrique du Sud). Qui dit
« émergence de la conscience » dit forcément « exigence d'intelligibilité du monde »,
c'est à dire de l'expliquer, de l'interpréter.
La première sortie d'Afrique date d'il y a 1,8 millions d'années par des hominidés qui ont
déjà des mythes et dont on va trouver des traces dans les artefacts qu'ils déposent dans
ce qui n'est pas encore des sépultures.
Ces traces nous indiquent que cette interprétation du monde qui a commencé par être
« animiste » est devenu ensuite « polythéisme » puis « analogisme » & « naturalisme ».
L'ontologie totémiste, quant à elle, est unique car elle ne comporte aucune notion de
« dieux ».

Le lien entre les ontologies animiste et totémiste se trouve, comme l'indique Descola,
dans la « ressemblance des intériorités », soit une même interprétation de toute « la
valeur des existants ».
→ Cette valeur consiste à reconnaître à tous les existants une intériorité (= subjectivité,
intentionnalité et volonté).
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 43

A partir du moment où il y a une intentionnalité (= l'intention de faire quelque chose)


chez un être alors cette volonté va être agissante et performante, d'où une conception
du monde performative de tous les existants.
C'est pourquoi, chez les animistes et totémistes, un artefact n'est pas inerte mais bien
doté d'une intentionnalité qui le rend performant.

Pour arriver à comprendre cette ontologie totémique, il faut comprendre les liens
extrêmement puissants entre l'organisation sociale de chacun des groupes
totémiques avec leurs « ancêtres êtres cosmogoniques du temps du rêve ».
→ en cela, il diverge de l'animisme (= discontinuité des physicalités) car dans le
totémisme ? il existe un lien généalogique avec son « ancêtre être cosmogonique du
temps du rêve » d'où la continuité des physicalités entre chaque existant et son
prototype totémique.

Etude de cas du serpent Ngalyod et du lien généalogique qu'il entretient avec son clan
« Kunwinjku » :

Chaque clan totémique se rattache à un ancêtre être cosmogonique du temps du rêve


différent. Le clan Kunwinjku dans la terre d'Arnhem se rattache au serpent Ngalyod. Les
aborigènes de la terre d'Arnhem ne l'ont jamais qualifié de « dieu », il ne l'ont jamais
appelé « LE serpent arc-en-ciel à corne », il l'appelle le « ngalyod » qui signifie
littéralement « tonnerre qui avance » et son origine est liée à la terre d'Arnhem.

La terre d'Arnhem a une caractéristique qui est topographique et géographique avec des
effets météréologiques, climatiques et saisonniers très particuliers. Six saisons s'y
succèdent et sa particularité se trouve dans l'alternance entre des périodes d'extrême
sécheresse et des périodes de pluies intenses.
• Saison sèche où la terre d'Arnhem ressemble à un désert avec des billabongs
(anciennes étendues d'eau, sèches, « rivière morte ») ;
• En octobre apparaît un phénomène météréologique spectaculaire où, pendant 3
semanes, il y a des éclairs horizontaux qui zigzaguent créant des effets de
lumière sans aucun coup de tonnerre (orages secs) ;
• Au début novembre, il y a un changement d'orientations des courants du sud-sud-
est au nord-nord-ouest, ce qui crée une masse d'air extrêmement humide, les
éclairs qui étaient horizontaux deviennent alors verticaux donnant des coups de
tonnerre avec de la foudre mais toujours pas de pluie ;
• En décembre/janvier/février, une saison des pluies extrêmement violente
commence avec des orages abondants et des pluies diluviennes, les billabongs qui
se remplissent peuvent aller de 25 à 30 mètres de largeur.
Ainsi, tout ce paysage mort en apparence se réactualise dans le présent en redevenant
ce paysage fertile qu'il a pu être autrefois.

On voit apparaître encore un autre phénomène météréologique :


• à la fin de la période pluvieuse, le soleil revient (annonce la saison sèche) mais
l'air est tellement saturé d'humidité (chargé de gouttes d'eau) que lorsque les
rayons lumineux passent au travers, cela forme un arc-en-ciel et une
luminescence irrisé avec des rais de lumière.

Ainsi, l'origine de ce « ngalyod », ce « tonnerre qui avance », nous fait comprendre qu'il
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 44

faut y lié à la fois un phénomène météréologique qui advient à un moment précédent la


fertilité et la prospérité de la terre d'Arnhem (rappel de l'opulence de l'existance) avec
un serpent très particulier.

Sur la terre d'Arnhem, plus précisément à Oenpelli, vit le plus grand python du monde
(3,5 mètres de long), le python d'Oenpelli dont les caractéristiques physiologiques sont
qu'il :
1/ est gigantesque avec des anneaux ultra puissants (python constrictor) →
lorsque qqch est pris dans le corps d'une « ngalyod » cela signifie que ce qqch est
amalgamé dans le corps de la « ngalyod » :
2/ change de couleurs selon s'il fait jour ou nuit, ses écailles ont une composition
moléculaire qui réfléchissent la lumière, la nuit on va des irrisations, des rais de
couleurs sur ce python qui sont dans un camaïeu de gris-bleu-violet-brun foncé →
un arc-en-ciel se trouve à l'intérieur même du corps de la « ngalyod ».
3/ a comme régime alimentaire et de déplacement la caractéristique suivante : il
sort de la terre, des anfractuosités des rochers, pour se déplacer sur son
territoire. De plus, il est aussi capable de monter très haut dans les eucalyptus
(20m de haut) pour manger des oiseaux. Il peut également se propulser d'un arbre
à un autre en faisant un vol planant → il n'est pas seulement reptilien, il habite
tous les habitants, soit dans le sol, sur le sol et dans les airs.
Ces pythons qui caractérisent la terre d'Arnhem sont aussi capable, pendant leurs
déplacements, d'aller chercher des trous d'eau. Les groupes du clan Kunwinjku suivent le
pyton pour trouver des trous d'eau durant la saison sèche.
→ Le python d'Oenpelli est DONC lié à tous les existants (eau, air, terre, sous-terre), d'où
son lien avec la ngalyod.

La ngalyod est intimement lié au territoire, c'est d'autant plus logique quand on apprend
que c'est elle qui a procédé pour produire le territoire totémique des Kunwinjku. En
effet, un clan totémique est propriétaire d'un seul et unique territoire. La stricte
circonscription (= la définition de limites territoriales) rend visible un autre aspect de
l'organisation totémique qui est : l'exclusivité absolue d'un territoire, d'une topographie
à un groupe totémique en particulier.

→ Pourquoi cela s'explique-t-il logiment ?


Chaque groupe totémique considère que les « ancêtres éclairs » ont modelé le territoire
et sont donc à l'origine physique des clans.

[Point info : le « temps du rêve » est appelé chez les aborigènes « le temps des êtres
éclairs ». Ce sont les Occidentaux qui l'ont nommé ainsi.]

Rapide exemple du mythe des sœurs Wawilag du clan Yolngu (voisin des Kunminjku) : les
soeurs Wagilag sont les filles de l'aîné des Djanggawul, esprits créateurs qui peuplèrent
le monde et divisèrent les hommes en deux moitiés. Le mythe raconte comment elles
entreprirent un grand voyage. Celui-ci débuta en Terre d’Arnhem méridionale et
s’acheva près de Milingimbi. Là, alors qu'elles étaient enceintes, elles perdirent un peu
de sang placentaire qui tomba dans le trou d’eau près duquel elles avaient fait leur
campement. Le sang réveilla le grand serpent Yurlunggur qui sortit du trou et les avala.
Il les recracha car elles appartenaient au même clan que lui. Le serpent arc-en-ciel
provoqua alors la pluie et elles dansèrent afin d’arrêter ce déluge.
Le procédé de déambulation est le même que celui de la ngalyod dans le territoire des
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 45

Kunminjku, c'est à dire un non-lieu (censé être sortis des entrailles de la terre, cette
terre sur laquelle ils arrivent est une terre informe car il n'y a pas encore de
spécification des existants).
Que ce soit chez les Yolngu ou les Kunminjku, la déambulation, le cheminement
qu'accomplissent les « ancêtres êtres cosmogoniques du temps du rêve » va avoir deux
conséquences :
1/ la déambulation va donner une forme au paysage = ce modelage est dû à la
circulation serpentiforme de la ngalyod.
Par exemple, ils considèrent que les billabongs sont des trous qu'a formé le
mouvement circulaire de ses anneaux et la puissance circulaire du mouvement de
son abdomen va configurer les montages. L'ultime effort cosmogonique d'une
ngalyod consiste à se métamorphoser en chacun des existants (= aquatiques,
mammifères, reptiles...) → tous les composants naturels du territoire sont la
métamophose du corps d'une ngalyod ;
• La disparition (= qui n'est pas la mort) de ces « ancêtres êtres cosmogoniques du
temps du rêve » consiste à repartir dans les anfractuosités de la terre où ils sont
encore vivants. Avant de partir, ils ont laissé à des endroits « sacrés » des
« semences d'individuation », comme des « âmes enfant » qui vont s'incorporer
littéralement de génération en génération dans tous les existants (le corps est
matrice, idée de puissance séminale).
Par exemple, la reproduction dans les mariages se fait dans des lieux proches de
ces endroits sacrés où sont supposés être ces semences d'individuation.

John Mawurndjul, Ngalyod serpent arc-en-ciel à cornes, 1998,


Ecorce eucalyptus, Terre d’Arnehm,
Site Maningrid, clan Kunwinjku.

John Mawurdjul est un homme qui appartient à un clan du


groupe totémique Kunminjku.

Rappel n°1 : la ngalyod est l'ancêtre être cosmogonique du


temps du rêve de ce groupe).

Rappel n°2 : pour arriver à comprendre l'ontologie totémique, il


faut comprendre les liens extrêmement puissants entre
l'organisation sociale d'un groupe totémique avec son ancêtre
être cosmogonique du temps du rêve.

Organisation sociale du groupe totémique Kunminjku :

L'organisation sociale consiste, non pas en une constitution bipartite, mais, selon les
groupes totémiques, en plusieurs groupes répartis de façon symétrique.
→ Les Kuwinjku ont 16 clans d'origine : 8 clans matrilinéaires et 8 clans patrilinéaires.
Leur régime matrimonial est exogamique, cela signifie qu'ils se marient avec un.e
individu.e d'un des autres clans du groupe totémique Kuwinjku (dont ils font partie donc)
mais jamais d'un clan d'un groupe totémique différent.
Chaque individu.e aura deux mariages. Par exemple, un homme épousera une femme
Cours d'Anthropologie dispensé par Sylvie Claret de Fleurieu (ICART, 2023), rédigé par Elise Mathieu. Page 46

d'un premier clan matrilinéaire puis une autre femme d'un deuxième clan matrilinéaire ;
cet homme aura ainsi deux descendances.
= Il y a donc 2 descendances à partir des 16 premiers clans, soit 32 clans/sous-clans.
A chaque fois, il y a un croisement et une multiplication entre les clans. Les sous-clans
doivent être liés soit à un groupe matrilinéaire, soit à un groupe patrilinéaire pour
arriver au bout du compte à 2 descendances à partir des 32 clans/sous-clans, soit 64.
Il s'agit d'une exogamie intra totémique (= ils ne sortent pas de leur origine Kuwinjku,
ils ne vont pas épouser un Yolngu ou autre groupe) donc le lien est gardé avec les 16
clans d'origine.

Analyse des spécificités formelles de l'artefact de John Mawurdjul :

• les pigments utilisés sont l'ocre rouge et l'ocre jaune (ces deux couleurs sont
attribuées à chacun des 8 clan matrilinéaire et des 8 clans patrilinéaires) ainsi
que le charbon pour le noir et le du kaolin pour le blanc. L'utilisation de ces
pigments n'est pas anodine puisqu'ils proviennent tous uniquement du corps de
leur territoire d'origine (terre d'Arnhem) ;
• le corps de la ngalyod serpent arc-en-ciel est subdivisé par des lignes
discontinues, en alternance (comme si on avait des petits pas, rappel de la
déambulation) = aussi notion de contiguïté poreuse entre les secteurs ;
• il y a huit secteurs qui touchent le centre → la somme totale de tous les secteurs
donne 64 (en rapport avec l'organisation sociale du groupe décrite plus haut).
→ La totalité du corps de la ngalyod contient en lui-même les 64 sous-clans des 16
clans d'origine. C'est à la fois le corps d'un ancêtre être cosmogonique du temps
du rêve mais aussi ce qu'il a produit (territoire et existants).

En conclusion, dans les deux ontologies, il y a une même interprétation de toute la


valeur des existants, celle de leur reconnaître à tous une intériorité (intentionnalité,
subjectivité, volonté), donc une volonté performante.
La différence se trouve dans continuité/discontinuité des physicalités. Dans le
totémisme, il y a un lien généalogique avec un être ancêtre cosmogonique du temps du
rêve, d'où la continuité des physicalités entre chaque existant et son prototype
totémique.
C'est la différence absolue avec l'animisme car, dans l'animisme, la matière universelle
c'est l'intériorité. L'inua va prendre l'apparence pour adopter le point de vue d'un autre
inua mais il n'y a pas de lien de parenté avec un ancêtre être cosmogonique = pas besoin
de faire corps puisqu'il y a une absolue continuité de la pensée.

L'animisme (l'inua, le yua = la personne complète) est universelle mais informe (soit la
même pour tout le monde). De ce fait, les corps, la physicalité de tous les existants
viennent comme des « vêtures » (des parures) particularisées pour le point de vue de
l'inua et du yua qui alors se perçoit et perçoit le monde selon les caractéristiques
biologiques et organiques du mode de vie de l'espèce dont il a revêtu l'apparence.
Par exemple, pour faire simple, un oiseau possède une physicalité qui l'adapte à son
mode de vie aérien ALORS QU'un poisson possède une physicalité qui l'adapte à son mode
de vie aquatique → leurs deux mondes sont donc complètement différents du fait de
leurs « vêtures » (discontinuité des physicalités) alors que leur inua/yua est le même
(continuité des intériorités).

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