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LOMAMI TCHIBAMBA

NGANDO
suivi de

FAIRE N,IÉPICAMENT
et de

rÉCPNpB DE LoNDEMA
SUZERAINE
DE MITSOUÉ-BA.NGOMI

PRÉSENCE AFRICAINE
25 bis, rue des É,coles-75005 Paris
LES ÉOIUONS LOKOLE
B.P. 5085 Kinshasa, 10
-
AVERTISSEMENT AU LECTEUR

Le contenu des pages qui uont suiure n'est qu'un


modeste et tôtonnant essai d'un trauail d'imagination.
Dans son effort de uous présenter dans ce récit ce
qu'il croit être l'expression Ia plus rapprochée de la uie,
l'auteur a eu pour souci primordial de respecter autant
que possible Ie fond purement ind,igène sur lequel il a
tissé son trauail.
C'est ce fond qui a donné naissance au conte de
< Ngando > et Ia uie à tous ses personnages.
Ce fond, c'est la conception, c'est la mentalité, qui
domine la manière dont nous, les Noirs du Centre
africain, Ies Bantu, conceoons l'Uniuerc, Ies êtres, et
cornrnent nous interprétons les causes des phénomènes
et des manifestations des forces de Ia Nature.
A ooir le C,angolais dans son milieu naturel, Iogeant
dans une paillote faite de quelques branchages, de
feuilles et de chaume; protnenant son corps nu exposé
aux intempéries et aux morsures des insectes oecteurs
des maladies; portant, pour tout habillement, un
malheureux cache-sexe suspendu aux hanches; ne se
seruant que des ustensiles les plus rudimentaires en bois
lfr NCANDO NGANDO T7

.tu tn l(rrc culle; mangeant des aliments d'uh apprêt d'empêche1 le dernier souffle de slen aller, et Ete
plttl(lt nul, l'on ne peut s'empêcher de se demander sile désolés nous nous ooyons acculés au désespoir dersant
Nolr, le lype de la race bantu, ne oit que parce qu'il est cette inéIuctoble æuore de destruction de I'homme,
né; et que c'est par la forae de cette chose profondé- nécessairement notre esprit s'éoeille, s'efforce de s'éle-
ment ancrée dans l'âme animale, I'instinct de conser- uer au-dessus des matières contingentes et de percer cet
uation, qu'il est plutôt acculé à accepter Ia uie tout impalpable et inuisible ooile qui nous empêche de
court, sa.ns aucun gott pour la recherche des moyens sonder le mystère d'outre-tombe, ce monde peuplé
powr l'amélioration des conditions matérielles de son d'êtres inuisibles, infiniment plus puissants et qui
existence. semblent n'aooir pour rôle que de détruire I'existence de
Raisonner ainsi serait, à notre humble aois, s,enga- l'homme. C'est par la force de I'Etre premier que nous
ger dans une uoie oblique qui fait passer à côté de ta sotnmes. Il nous a créés pour oiore, Si nous tnourons,
réalité. Parce que l'homme, qwelle que soit sa race, c'est parce qu'il existe une autre force opposée à Ia force
quel que soit Ie degré de sa ciuilisation, fût-il encore à de I'Etre premier. Cette force opposée e$ h force du
ce jour réduit au stade du troglodyte, l'homme, dis-je, mal, qui domine Ia force du bien parce que celle-ci,
n'est jamais resté indifférent ni insensible aux contin- après nous aooir créés, demeure malheureusement
gences de l'Unbers qui l'entourent et au milieu des- indifférente à notre sort. Puisque nous auons été créés
quelles il rsit. pour ùivre, iI nous faut protéger notre existence, Et pour
Ce qui, chez les uns, effarouche le bon sens des lutter et nous protéger contre Ia force du ma\ quoi de
autres, c'est plutôt la situation plus ou moins opposée plus simple, de plus logique, partant de plus nécessaire,
de l'angle sous lequel les uns et les autres se sont que de recourir à une tierce force, qui est la force par
trouué.s placés pour ooir et interpréter les choses de la excellence, puisqu'elle protège contre Ia réalisation du
uie. mal et même éloigne celui-ci. La force protectrtce est
Enfermés au c@ttr même de l'Afrtque, dans une détenue pot un homme initié aux mystères qui le font
contrée bordée de hautes montagnes infranchissables, entrer en contact aoec les esprtts, entretenir aûec eux
de grands lacs, de oastes et profondes forêts, nous des commerces réguliers, et paruenir à les soumettre à
ayant priûés durant des milliers et des milliers d,annêes ses ordres. Cet homme-Ià, c'est celui que nous appelons
de tout contact aoec d'autres peuples plus fauorisés, < nganga nkisi >,le féticheur.
nous nous somrnes trowués uraiment isolés du reste de Etre intermédiaire entre lzs hommes et les esprtB
I'humanité et liurés à la merci des forces de Ia Nature. d'outre-tombe, < nganga nkisi > impose des idées, des
Et lorsque en présence du trépas qui implacablement conuictions, des pratiques, des prohibitions qui, pour
détruit, pout touiours, nos parents, notre femme, nos superstitieuses, absurdes, uoire ridicules qu'elles
enfants, nous nous trouvons dans l'incapacité absolue paraissent aux yeux des Blancs, n'en régissent pas
III N(}ANDO NCANDO L9

rn ln,lil tul(, nc ril to ute notre psychologie. Ennemis


trr,. tl uoués au sensice du mal sont les hommcs que nous
q. ndoki > ou sorcierc.
ûê l'uhilnutlott, nous acceptons telles quelles les appelons
-
nmn,pllons, toutes les conceptions < philosophiques > On ne deoient pas ndoki. C'est par la transmission
il ( otftilogiques
>> du féticheur, qu'en naissant nous hérëditaire qu'on est ndoki. L'on ne peut agir qu'après
lrouuons dans le milieu familial. Nous y croyons sans la mort du chef de famille, le père ndoki. On entre en
rnême en auoir conscience et par eonséquent sans puissance d'agir à la suite de la cérémonie qui consacre
autrcment cherclrcr à démontrer notre crédibilitê ou ù Ie passage de l'héritage du père défunt à son fils aîné
forcer le << nganga nkisi > à justifier ses idées. Les herttier. Cette cérémonie consiste en ceci : la dêpouille
Européens disent que I'auteur d'un fait est responsable tnortelle du père étant étendue por terre sur une natte
des conséquences qui en résultent. Le < nganga nkisi > spéciale à èet usage, un doyen de la parentèIe du
dit que l'auteur matértel et moral d'un fait n'est point àefunt ftxe au gros orteil du decuius une assez longue
responsable de la cause qui a prodwit ce fait. Le seul fiielte dont l'autre bout est attaché au poignet de la
orai responsable est une tierce personne. Par exemple, main droite de I'héritier. Après cela,le doyen officiant
je grimpe sur un arbre; un faux mouùement me fait récite des formules éoocatrices par lesquelles il implore
tomber et je rne casse le bras. Chez nous, l'idêe ræ te défunt de transmetîe à son fils héritier toute la
puissance dont il a ioui durant sa ttie. La transmission
oiendra à personne de chercher ù examiner les circons- -demandée
se manifeste par un tremblement assez fort
tances de ma chute ; je ne deuais pas tomber ; ma chute
qui finit par sauter de tous côtés et exécuter
de I'hértfier
est donc l'effet d'une cause dont il faut trouuer Ie
une danse tle circonstance à laquelle participent les
oéritable auteur. A priort donc, quelqu'un est soult- du défunt. A
spectateurs, c'est'à-dire la parentèle
çonnê et le premier mouuement est d,'aller consulter Ie partir de ce iour'lù, l'hértfier d'un papa ndoki est
fêticheur pour démasquer ce queQu'un quî est l'auteur deuenu un tsrai ndoki, dangereux pour les innocents et
du malheur qui rn'est aniué. Et tant pis pour lui s'il inoff e ns if s habitants.
oenait à être découtsert... b'un côté le ndoki, de l'autre le nganga nkisi, uoilà
C'est donc de cette interprétation de pincipe dc le cadre à l'intérieur duquel se passe natre existence'
causalité que nous en sommes aniués à cowtater A la merci de l'un et sous l'influence de I'autre, nous
l'existence d'une catégoie d'indiuidws qui seruent uioons sous de continuelles appréhensions deoenues
d'agents de la force du mal. Personne ne les a aus, traditionnelles et même confondues à notre existence'
Mais nous sornrnes totalement conaaincus qu'ils exis- Certes, Ie féticheur ou nganga nkisi est un indirsidu
tcnt. Car la force du mal, quoique détenue par les tsersé dans la médecine naturelle qui lui pefinet de
esprits, a nécessairement besoin du concours d'êtres guérir nos plaies, de nous sauDer des morsures des
humains pour agir sur les hommes. Les indiuidus ainsi ierpents tsenîmeux, de coniurer certaines maladies
.III NOANDO
nttutrll(x, dt lulra ccsser d'auîes indispositions qui
l.,r!ut(,tl tvrtra corps. Détenteur et dispensateur des
fim'rs occtrhes protectrices contre les mautsais esprits et
Its crtuoûtements des ndoki, le nganga nkisi aurait dû
0lrc un grand bienfaiteur de notre race. Mais, hélas !
d'un abord difficile, de caractère excessiuement
méfiant et soupçonneux, prêt à tirer uengeance pour
d'insignifiantes uétilles, le nganga nkisi use de ses
connaissances et de ses puissances occultes plus pour
nuire que pour faire du bien. Aussi Ia oénération dont
il est entourê n'est-elle qu'une forme extérieure adoucie
d'une uéritable anxiétê, cotnme le ndoki est uaint Qui ne le connalt, ce saurien aux pattes palmées,
d'une crainte qui a pour base une implacable haine au corps lourd et couvert d'écailles aussi dures que le
impuissante à permettre de se aenger autrement. roc; ce gigantesque lézard, vivant aisément aussi
Tel est, dans son ensemble, le fond sur lequel reryse bien sur terre que sous I'eau, ngando enfin, le
le conte de < Ngand,o >>. crocodile, animal malfaisant qui se prête toujours au
seul service de I'homme contre I'homme, servant de
Louelar-TcHreaune, P. véhiculé ( sous-marin > à ceux qui ont recours à ses
offices homicides...
Les féticheurs et les ndoki tout particulièrement
sont les usagers familiers de ngando. Ils entrent dans
sa carcasse et se font transporter sous I'eau dans des
localités éloignées pour ravir quelqu'un, et se font
ramener avec leur butin humain à leur point de
départ.
Parfois, dociles à des groupes d'initiés, les ngando
remplissent seuls des missions dangereuses et ravis-
sent des êtres humains pour les amener à ceux qui les
ont commissionnés.
Fléau fluvial, les crocodiles aux gueules courtes
n'appréhendent pas leurs victimes simplement parce
qu'ils ont faim ou parce qu'ils sont friands de chair

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