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La vie en souplesse.
L’inutile tristesse.
Le « plan du réel ».
« Mais, en montrant aux enfants la vie telle qu’elle est, vous allez
en faire d’affreux petits sceptiques, des pessimistes féroces et
recroquevillés ! » Telle est l’objection qui se dresse contre cette vue.
Elle ne me paraît pas fondée. L’éducation au foyer permet le tact, la
mesure, la prudence, l’art patient des préparations. Par elle,
l’adolescent ne sera-t-il pas mieux initié aux réalités que par le choc
brutal de ces réalités mêmes ? Et puis, à tout prendre, si l’existence
doit lui réserver des étonnements, ne doit-on pas préférer, à la triste
surprise des désillusions, la surprise heureuse de découvrir ce qu’il y
a — malgré tout — de joli, d’élégant dans la vie ?
S’il était bien entendu, bien admis, que la discrétion humaine est
toujours relative, qu’elle n’est jamais absolument étanche,
imperméable, on n’aurait pas de déception chaque fois qu’on
apprend une indiscrétion.
Et, de plus, on ne confierait à personne ce qu’on ne veut
absolument pas divulguer.
Le déterminisme.
Être déterministe c’est, surtout, croire que nos actes, que nos
paroles, sont déterminés par des influences qui s’exercent sur nous,
des réactions qui se développent en nous, mais dont nous ne
sommes pas maîtres, pas plus que nous ne sommes maîtres des
phénomènes de notre vie physique. Toutes ces forces se combinent,
se composent, aboutissent à une résultante, qui est notre acte ou
notre parole. Notre conscience enregistre cette délibération, mais ne
la dirige pas. Si j’analyse le plus simple de mes gestes, saisir un
objet, marcher vers un but, je vois que j’obéis à un ensemble de
sollicitations que je n’ai pas provoquées spontanément.
Au moment où nous croyons prendre librement une résolution,
toutes ces voix intérieures ont déjà délibéré, conclu à cette décision.
Nous n’avons que l’illusion de la volonté. La sphère mentale est un
véritable parlement, où les instincts se groupent, délibèrent,
expriment enfin, par un vote décisif, la volonté de l’organisme tout
entier, comme le vote parlementaire exprime la volonté nationale.
Même dans notre langue usuelle, les mots trahissent ce travail
intérieur : on pèse le pour et le contre, on balance, on se résout, on
se détermine.
Les deux grands mots profonds des enfants sont : « Ce n’est pas
ma faute » et : « Je ne l’ai pas fait exprès ». Ils ont bien raison. C’est
tout le fond du déterminisme. Mais s’ensuit-il qu’il n’y ait pas de suite
à donner à leurs petits délits ? Et que cela les absolve et leur
permette de recommencer ? Cent mille fois non ! Voilà l’erreur des
gens qui prétendent que nous sommes libres de faire le bien et le
mal et qui accusent les doctrines déterministes d’être dissolvantes.
Pas du tout. Quand un enfant attrape la rougeole, ce n’est pas sa
faute. Il ne l’a pas fait exprès. On le soigne, pourtant. Eh bien, de
même quand il a commis une faute. On s’efforce d’en découvrir les
causes, d’en montrer les inconvénients, d’en éviter le retour.
On peut agir sur ses sentiments dans la mesure où l’on peut agir
sur son organisme. Il semble qu’on puisse soigner une crise morale
comme on soigne une maladie, en puisant dans le désir de guérir
l’énergie nécessaire à la cure. Les remèdes sont analogues dans les
deux cas. Les révulsifs, les dérivatifs, deviennent, dans la maladie
morale, les distractions qui détournent l’esprit de sa hantise et le
portent vers d’autres objets. Il y a des anesthésiants qui endorment
la sensibilité douloureuse, par exemple une saine fatigue, un labeur
acharné. Il y a l’opération, qui coupe court, comme l’absence, le long
voyage, le silence. Il y a l’homéopathie, qui combat le mal par le mal,
l’amour par l’amour… Il y a enfin la recherche des causes, qui
démontre parfois l’origine toute fortuite, la nature fragile de la crise et
qui permet de l’atteindre à sa source.
La loi d’équilibre.
La loi d’équilibre nous ouvre des vues consolantes. Car elle veut
que le bien et le mal se compensent. Ainsi, dans le monde
innombrable des plantes, il doit y en avoir autant de bienfaisantes
que de malfaisantes. Je crois qu’on n’a pas arraché aux simples
tous leurs secrets. Les hommes ont découvert des poisons végétaux
qui, en quelques secondes, amènent l’organisme de la santé à la
mort. La loi d’équilibre permet de prévoir qu’on découvrira, en
opposition avec ces toxiques, des toniques qui amèneront
instantanément à la santé un organisme au seuil de la mort. Non pas
des contre-poisons, mais de puissants révulsifs qui ressusciteront
l’individu près de succomber à un choc, un traumatisme, une
asphyxie.
De même, dans une autre direction, on peut prévoir que
l’équilibre se rétablira entre les villes et les campagnes. Avant qu’un
pendule ne prenne la verticale, il oscille à droite, puis à gauche. Ce
qui manque à une vie humaine, c’est le temps de voir le pendule
prendre l’équilibre. On n’assiste qu’à une oscillation.
Le Contrôle.