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Le temps

Les occurrences du concept

« Ô temps, suspends ton vol » (le poète Lamartine) « Time is money » « Le temps,
c’est l’argent » Le temps dans la création biblique du monde. Je n’ai pas le temps. Tu
tues le temps. Tu me perds le temps. Mon temps est compté. Quelle heure est-il ? Le
temps perdu ne se rattrape jamais. Le calendrier grégorien. Calendes grecques…

Essai de définition du temps


« Ô temps, suspends ton vol » s’écriait le poète Lamartine « Qu’est-ce donc que le
temps ? » pour qu’on aille jusqu’à lui demander de suspendre son vol. Question qui avait
aussi préoccupé en son temps St Augustin. « Si personne ne me le demande, je le sais.
Si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus  »
Paradoxalement, le temps est à la fois évident et insaisissable. Mais jusqu’à quel point
est-il possible de parler d’une réalité de temps ?
Fidèle à l’attitude sceptique, Sextus EMPIRICUS entreprend de dissoudre le temps.
Suivant le principe de non-contradiction, il affirme que, s’il existe, il doit être soit infini,
soit fini. S’il était fini, il y aurait eu du temps avant le temps ; il faudrait affirmer que le
passé et l’avenir existent, donc sont présents. Infini, cela conduirait à dire que le passé
et le futur sont, donc sont présents. La logique nous montrant que le temps n’est ni fini
ni infini conduit à douter de son existence. D’un tel raisonnement, on peut tirer deux
enseignements : 1) notre esprit est incapable de penser quoi que ce soit sans le penser
dans le temps (c’est pourquoi il y a eu quelque chose avant le temps, cela implique
immédiatement pour nous qu’il y avait déjà du temps) ; 2) si le temps est quelque chose,
sa façon d’être ne pourra pas être du même ordre que lorsque nous disons que les
choses sont. Car la présence du passé et de l’avenir suppose un mode d’être qui les
distingue du présent. Plus encore : le présent n’est lui-même finalement réductible qu’à
une infinitésimale de temps (l’instant) qui n’existe que pour disparaître aussitôt. La
question revient donc : « Qu’est-ce que le temps ? » Est-il un concept au même titre
qu’un caillou, qu’une maison ?
D’après le Petit Larousse, le temps est une « grandeur qui caractérise à la fois la
durée des événements et les instants successifs de leur déroulement » Il peut aussi s’agir
de la durée limitée considérée par rapport à l’usage qu’on en fait : « Employer son
temps » Calendrier : système de division du temps ; heure d’été ; quelle heure est-il :
moment déterminé de la journée ou de la nuit. Avant le temps : prématurément. La liste
des définitions serait longue, et à la limite fastidieuse. Il ne suffit plus de répéter : « Le
temps, c’est ceci, c’est cela », mais il faut réfléchir philosophiquement sur le problème du
temps. Puisqu’il existe, comment le concevoir ? Existe-t-il indépendamment de nous, ou
alors, dépend-il de nous ? S’il est hors de nous, c’est qu’il est objectif. Dans le cas
contraire, on a affaire au temps subjectif.

I- Temps objectif
Par temps objectif, il faut entendre le temps qui existe hors de nous, en dehors de
la conscience que nous en avons. Ce temps objectif est ce en quoi tout se passe

Reconnaissance de l’existence d’un temps réel et rapports de l’homme avec ce


temps réel
En reconnaissant que le temps réel existe, comment l’homme s’est-il organisé pour
le dominer ? Nous savons très banalement qu’il y a des réalités humaines qui semblent
nous imposer la réalité temporelle. Parmi ces réalités, nous avons le jour qui se
caractérise par la lumière et qui varie au crépuscule et à l’aurore. On a aussi la nuit
privée de lumière solaire. Il y a les années que nous saisissons à travers les répétitions
cycliques. Il y a la lune. Ces données se sont imposées pour prouver l’existence du
temps. Devant ces incontournables réalités de la nature, l’homme s’est vu obligé de
s’organiser. Car comme le dit Bacon, « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant »
Autour de nous, nous constatons et assistons au dépérissement, aux disparitions. La
répétition du même ne peut être que formelle. Les choses naissent, grandissent et
disparaissent. L’homme s’est organisé de façon empirique avec les rites (heures, mois,
semaines, secondes) En ce qui concerne le mois, l’homme est obligé de se soumettre à
certaines exigences (payer le loyer ou percevoir son salaire à tel ou tel moment du mois).
La semaine quant à elle a fini par s’imposer comme un ensemble de 7 jours à partir de la
genèse (création du monde) et l’expansion du christianisme. Tout ceci prouve la manière
dont l’homme s’est organisé à organiser son temps.
L’homme qui a l’impression d’être prisonnier du temps doit s’organiser pour ne
pas s’assujettir par cette réalité. Il y a une relation réelle entre le temps neutre,
insaisissable, anonyme, et cette réalité aussi réelle qu’est l’homme. Au fond, ce temps
dans lequel je surgis, je m’achemine vers la fin, est-il ? Est-il indépendamment de l’être
et du devenir ?
Depuis l’antiquité, le temps apparaît comme une réalité insaisissable certes, mais
qui existe indépendamment de l’individu. Nous voyons dans le mythe de Cronos
comment, au départ cette pensée mythique posait le temps comme une réalité. Pour ces
Grecs, c’est le temps qui, au départ, explique la création de l’univers à partir du chaos.
Cette pensée est bien élaborée dans l’orphisme. Dans ce mythe, les dieux ont créé le
temps. La présence massive du temps est comme une création des Dieux. L’orphisme
dira qu’au commencement, les âmes ont été créées par les dieux placés dans le ciel. Ces
âmes ont été affectées par une souillure qui rappelle le péché originel. A cause du péché
originel, les âmes sont obligées de se soumettre au devenir, échappant ainsi à l’éternité.
Selon cette conception du temps (Héraclite, les Stoïciens, Nietzsche), le temps est une
réalité qui commence, finit, recommence éternellement. Le mythe de l’éternel retour
objective le temps. C’est par lui que tout commence et finit.
Du point de vue de la philosophie comme de la science, on a l’impression de croire
à l’existence d’un temps objectif que nous trouvons et laissons indépendamment de nous
et qui n’est pas le fruit de nos sensibilités, mais une réalité incontournable quoique nous
la vivions : « Tout s’écoule et rien ne demeure. On ne se baigne jamais deux fois dans un
fleuve »
Le temps objectif, c’est l’idée d’un temps qui existe indépendamment de nous. Cela
veut dire que de tout temps et dans toutes les civilisations connues, on a pensé que les
phénomènes astronomiques portaient témoignage sur l’existence d’un temps autonome,
indépendant de nous.
Dans la tradition indienne ou iranienne, on parle de la Grande Année. C’est
l’année où, lorsque les sept planètes sont réunies sous le signe du cancer se produit le
déluge, et sous le signe du capricorne, c’est le feu qui brûle tout. Cette Grande Année,
pour nous, est un effort de penser qui veut annuler l’irréversibilité du temps. Il y a donc
quelque chose d’irrationnel. Le temps est le flux compris comme refus de l’identité. Le
mythe n’est plus celui de l’éternel retour, mais celui de Nietzsche qui écrit ceci dans le
Gai Savoir : « Cette existence, telle que tu la mènes, et l’as menée jusqu’ici, il te faudra la
recommencer et la recommencer sans cesse ; sans rien de nouveau ; tout au contraire !
La moindre douleur, le moindre plaisir, la moindre pensée, le moindre soupir, tout de ta
vie reviendra encore, tout ce qu’il y a en elle d’indiciblement grand et d’indiciblement
petit, tout reviendra, et reviendra dans le même ordre » Nietzsche s’est tenu au plus près
du « panta rei » d’Héraclite. L’éternel retour chez lui est un effort pour rationaliser le
temps. Il ne faut donc pas obéir au principe d’identité qu’il a critiqué. Il croit au devenir.
Or, peut-on objecter à Nietzsche, si tout est donné en tant que retour éternel, c’est le
retour du même. Or le même, c’est ce qui caractérise l’identité.
La réflexion sur la réalité du temps objectif porte sur deux conceptions : le temps
abstrait des savants représenté par T et le temps cosmique dont parle l’astronomie
contemporaine. Le temps abstrait est fortement critiqué par Bergson. Quant au temps
cosmique, s’il est réel, il faudrait alors examiner cette interrogation : « Pourquoi y a-t-il
quelque chose plutôt que rien ? » La fin de l’univers prévue dans cette conception
signifierait-elle la fin de tout ? Faut-il espérer avec certains matérialistes contemporains
que du monde de gaz et poussière qui survivrait à l’univers disparu pourrait à nouveau
naître sous l’effet du hasard et de la nécessité comme autrefois sous celui du clinamen
ou la déclinaison de Démocrite ; un autre univers qui ne serait pas forcément la
répétition de l’ancien comme l’enseignent les cosmologies orientales ou la philosophie de
l’éternel retour de Nietzsche ? La mort de l’homme signifierait-elle une défaite qui ôterait
de la réalité l’espoir de survivre à travers ses œuvres ?
Tout finissant par disparaître avec l’univers, c’est plutôt vers L’Ecclésiaste qu’il
faudra se tourner pour constater avec lui que « Vanité des vanités, tout n’est que
vanité »(Ecc. 12, 8) Dans ce cas, non seulement l’homme serait une passion inutile, mais
c’est tout l’univers que la phrase de L’Ecclésiaste revêtant un sens ontologique frapperait
de nullité, à moins que cet être temporel qu’est l’homme, cet être à l’œuvre dans un
univers temporel, existe un principe qui échappe à la temporalité et qui nous parle
davantage d’éternité que d’historicité.
Face à ce temps pensé de façon « objectivante » -ce qui en autorise la mesure-,
Bergson en distingue un autre et lui réserve le nom de « durée »

II- Critique bergsonienne du temps objectif


Comme tout bon philosophe, Bergson se dote d’une méthode de recherche, de
démonstration. Cette méthode, il ne se l’est pas donné a priori. Il a fallu la chercher. En
la découvrant, il l’avait baptisée : « L’intuition fondamentale » Bien que le mot ne fût pas
nouveau, en revanche, le contenu que lui assignait Bergson l’était. Il explique dans la
Pensée et le mouvant que tout vrai philosophe passe sa vie et son œuvre à tenter à
exprimer une intuition fondamentale et unique qui « est quelque chose de simple,
d’infiniment simple, de si extraordinairement simple » qu’il ne parvient jamais à
l’exprimer adéquatement. Quelle est donc cette intuition fondamentale qui nous donne
la clé du bergsonisme ?
Influencé par l’évolutionnisme mécaniste de Spencer, il est normal que Bergson
réfléchisse tout d’abord sur la notion du temps. C’est alors qu’il fait une découverte
capitale : ce que la science appelle temps et qu’elle représente par T n’existe pas. Ce
n’est pas le vrai temps. Il n’exprime pas la durée réelle, concrète et vivante. La science
nie la durée sans s’en apercevoir. L’aberrante confusion totale espace/temps (les
conclusions obtenues de l’étude de l’un en valaient ipso facto pour l’autre) avait eu pour
fâcheuse conséquence de spatialiser le temps ; si bien que, comme le dit Bergson lui-
même dans La pensée et le mouvant, lorsqu’on évoquait le temps, c’est l’espace qui
répondait à l’appel.
Le temps physique représenté par T est un fantôme de temps. C’est un temps
amalgamé avec l’espace. Les mathématiciens ont converti le temps en espace. Dans le
temps T pouvant être déployé tout entier dans l’espace, il n’existe pas de fusion des états
de conscience, plutôt une juxtaposition d’instantanés statiques. C’est un temps de purs
calculs qu’on peut ramener à sa millième partie.
Le temps T ne dure pas. On peut l’imaginer sans le vivre, l’anticiper, le précipiter
ou le retarder (exemples : chronomètre, changement d’heures estivale et hivernale). Alors
que le vrai temps, celui qui exprime la durée, il est vécu par la conscience. On ne peut
pas l’imaginer. On le sent, on le vit. On ne peut ni l’anticiper, ni le retarder. On ne peut,
sous prétexte qu’on est pressé, précipiter la dissolution du sucre dans un verre d’eau. Le
miracle de l’intuition bergsonienne, c’est la distinction radicale de l’espace et de la durée.
La critique que Bergson inflige aux savants sur leur conception du temps a une
dimension trilogique :1°) il leur reproche d’avoir fait du temps un élément homogène ; 2°)
On le quantifie en y introduisant le nombre, la mesure ; 3°) On y introduit la
simultanéité. Cette critique tripartite mérite davantage d’explications.
Le 1er volet de la critique de Bergson pourrait s’intituler : « Spatialisation et
homogénéité » En ayant pris l’habitude de convertir le temps en espace, les savants en
sont venus à définir le temps comme quelque chose d’homogène. Or affirmer que le
temps est homogène, c’est le soustraire à la durée. L’homogénéité est un concept bâtard
pour le temps. Car l’idée d’homogénéité implique absence de qualité. Il n’y a d’homogène
que ce qui ne dure pas, c’est-à-dire l’espace. Tout ce qui est homogène est espace.
Qu’est-ce que l’homogénéité ? Est homogène ce dont les parties sont identiques entre
elles sans aucune différence qualitative. En revanche, est hétérogène un tout dont les
différentes parties diffèrent les unes des autres structurellement et fonctionnellement.
La durée se compose avec l’hétérogénéité qui en est l’essence même. Et c’est là le
paradoxe. L’hétérogène ne contredit pas la fusion. L’originalité de Bergson est d’avoir mis
l’accent sur la qualité qui est de l’ordre de la conscience. Sans doute, on comptera les
habitants d’un pays et l’on dira qu’il en compte 50 millions. Cela signifie qu’on a
convenu de négliger les différences individuelles pour ne retenir que le dénominateur
commun à tous, à savoir la nationalité du pays. Dans ce recensement, on n’a pas tenu
compte qu’il peut y avoir des handicapés mentaux, des invalides, des malades
chroniques ou incurables (lèpre, SIDA, cancer) Si on décide de ne s’intéresser qu’aux
traits particuliers propres aux individus, l’on ne pourra alors que faire de l’énumération,
et non plus la somme. En introduisant ainsi la quantité, on a réussi à dénaturer la
durée en faisant abstraction des singularités. D’où le deuxième aspect de la critique de
Bergson : la spatialisation du temps par la quantification.
En effet, Il n’y a rien de plus fréquent que la mesure du temps par l’espace. Un
passant demande par exemple : « Lyon-Perrache, c’est encore loin ? » On répond
indifféremment : « C’est à 15 minutes », « c’est à trois cents mètres » Scientifiquement, la
mesure du temps se traduit par la mesure d’un espace parcouru par un mobile dont le
mouvement est supposé uniforme, l’espace parcouru par l’aiguille d’une montre sur un
cadran. Ainsi, le temps apparaît comme une grandeur mesurable. Or l’espace est la
seule chose qui soit mesurable et quantifiable. Le message de Bergson est clair : le
temps n’est pas une grandeur mesurable. Quand je dis par exemple q’une minute vient
de s’écouler, cela signifie que l’aiguille d’un pendule a effectué 60 oscillations qui
correspondent à 60 secondes. J’ai compté. Donc mon aiguille parcourait de l’espace. Ce
que l’on croit être temps n’est pas le temps véritable. Aucune minute ne peut se séparer
d’une autre. La durée n’est pas un instant qui en remplacerait un autre. L’un est inclus
dans l’autre. Le cadran n’est pas synonyme de temps, mais d’espace. L’aiguille chemine
dans l’espace. Cependant, reconnaît Bergson, on est obligé d’inventer une image spatiale
pour organiser notre vie. D’où l’existence nécessaires des montres.
Enfin Bergson reproche aux savants d’avoir introduit de la simultanéité dans le
temps. On parle de simultanéité lorsque deux perceptions instantanées sont saisies
dans un seul et même acte d’esprit. Bergson reproche à Einstein de n’avoir pas su
distinguer les deux types de simultanéité : simultanéité de flux (perception de deux
phénomènes qui occupent la même durée) et simultanéité dans l’instant. Le temps se
définit dans l’instantanéité. Quand je dis par exemple que l’aiguille a progressé, c’est que
je me rappelle de la position qu’elle occupait antérieurement à cette présente position. Et
c’est ma conscience qui sait cela. C’est ma conscience qui relie les souvenirs. Or qui dit
conscience dit mémoire. Selon Bergson, la mémoire, la conscience et l’esprit sont une
seule et même chose. Raison pour laquelle on peut comprendre qu’il dise dans Matière et
mémoire que « la durée est le progrès continu du passé qui ronge l’avenir et qui gonfle en
avançant » Le temps ne se coupe pas. Si le temps se coupait, il n’y aurait rien de plus
facile que de recomposer ses parties. Si les minutes se coupaient entre elles, on cesserait
d’exister pour ré-exister.

III- Temps subjectif


Peut-on considérer le temps comme une réalité objective ? Certainement pas, en
tout cas selon Leopardi (poète et essayiste italien), si cela veut dire que le temps est une
chose parmi les choses. « Le temps n’est pas une chose, écrit Leopardi. Il est un accident
des choses et, indépendamment de leur existence, il n’est rien… Le temps est la durée de
ce qui est, comme les 7200 battements du pendule de l’horloge font une heure. » Si le
temps n’est pas dans les choses, s’il n’est pas objectif, il existe néanmoins. Il est dans la
conscience. Il naît d’une relation entre la conscience et ses objets. Il n’est donc jamais
une réalité objective au sens de « posée comme une chose en face de nous » L’objectivité
du temps est autre : elle tient à ce qu’il se présente à nous avec des structures
universelles, communes à toutes les consciences. Par exemple : nous vivons tous la
temporalité comme irréversible ; ce qui est passé l’est pour toujours.
Pour Simone Weil, « le temps à proprement parler n’existe pas et pourtant, c’est à
cela que nous sommes soumis. Telle est notre condition. Nous sommes soumis à ce qui
n’existe pas » En donnant à la notion d’existence l’épaisseur et les dimensions que nous
lui accordons, on en vient à nier l’existence du temps. Il est un rien parce qu’il ne
possède pas cette opacité qui distingue et juxtapose les choses matérielles. Et pourtant,
c’est à cela que nous sommes soumis. Il ne s’agit pas ici d’une soumission accidentelle
ou arbitraire qui supposerait notre liberté passée ou future, une liberté momentanément
prisonnière de l’instant, encore moins d’une anomalie que vivraient par hasard quelques
rares individus, mais d’un statut ontologique. Par quoi l’homme est défini comme l’être
et d’être temporel et d’être assujetti à la temporalité. Le temps est une réalité sans
réalité. Si le temps n’est pas un élément de la réalité, il est cependant la forme
universelle de notre appréhension consciente de la réalité. Il est alors utile de distinguer
deux formes de temporalité (forme a priori de la sensibilité, la conscience qui perçoit
l’épaisseur de la durée).

Il s’agit ici de montrer que le temps n’est nullement ce que nous croyons à la suite
de la pensée vulgaire, à savoir une réalité objective, une réalité située hors de nous et à
laquelle nous avons affaire sans qu’il y ait entre elle et nous la moindre relation
ontologique. Il s’agira de montrer que pour certains penseurs, le temps objectif n’existe
pas du tout, que sans le sujet qui le vit en tant que conscience observante, en tant que
seule réalité historique, il n’y a pas de temporalité. Un nouveau regard sur le temps
scientifique et même sur le temps cosmologique paraît inévitable. Kant est le premier
philosophe contemporain à avoir nié l’existence objective du temps.

Une forme a priori de la sensibilité (Kant)

Peut-on appréhender les objets de notre expérience sensible autrement que dans
le temps ? Question à laquelle Kant répond dans l’Esthétique transcendantale (science de
tous les principes de la sensibilité a priori) de la Critique de la raison pure. Le temps n’est
pas un concept empirique qui serait tiré d’une quelconque expérience. Ce n’est pas nous
qui produisons le temps comme on produirait une table. « Le temps n’est pas quelque
chose qui subsisterait pour soi-même ou qui serait inhérent aux choses comme une
détermination objective » Kant critique les empiristes pour qui nous produisons le temps
à travers la simultanéité et la succession, c’est-à-dire que c’est à partir de la succession
perçue et de la simultanéité saisie dans l’expérience que nous construisons le temps.
Kant pense tout à fait le contraire puisque la simultanéité de deux événements signifie
que ces deux événements ont lieu dans le même temps. Par ailleurs, la succession de
deux événements signifie que l’un se produit dans un temps différent dans lequel l’autre
se produit. Nous ne pouvons comprendre la succession et la simultanéité que si nous
supposons l’existence du temps. Sans l’existence du temps, nous ne pouvons pas penser
le simultané et le successif. Le temps est donc antérieur aux idées de succession et de
simultanéité.
Pour Kant, le temps et l’espace sont des représentations nécessaires a priori qui
servent de fondement à toutes nos intuitions. Ce sont des formes a priori de la
sensibilité. Pour Kant, « le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-
dire de l’intuition que nous avons de nous-mêmes et de notre état intérieur.» En d’autres
termes, c’est par et à travers la conscience que nous percevons et pensons le temps. Il
est donc subjectif. « Il n’a de valeur objective que par rapport aux phénomènes, parce
que ce sont des choses que nous admettons comme objets de nos sens. Le temps n’est
rien sans le sujet pensant. Par rapport aux choses qui peuvent se présenter à nous dans
l’expérience, par rapport aux phénomènes, le temps est nécessairement objectif. Mais
par rapport à nous et en nous-mêmes, il n’est plus objectif. Parce que forme pure de
notre intuition sensible, il devient nécessairement subjectif. L’intuition est donc la
condition de la représentation du temps, condition de la représentation de l’objet dans le
temps. C’est à travers cette intuition que nous percevons les changements réels qui se
produisent dans le temps, que nous percevons les mouvements qui supposent la
mobilité. Ce n’est pas le temps qui change, mais quelque chose qui est dans le temps,
quelque chose qui tombe sous l’expérience. Mais qu’est-ce donc que l’intuition qui est au
cœur de l’Esthétique transcendantale ?
L’intuition est simple présence de l’esprit à l’être. Elle constitue par-là la
connaissance au sens plénier du terme. C’est le mode par lequel une connaissance se
rapporte immédiatement aux objets.

Pour aller plus loin

Des choses de la vie quotidienne qui rappellent le temps :


Match de football, photo de moi à 7 ans, emploi du temps scolaire ou de travail,
durée d’une épreuve, apocalypse, destin et fatalisme, ecclésiaste, éternel, sempiternel,
temporel, atemporel.
I- Caractères du temps
1°) Flux continu et ininterrompu : c’est le caractère le plus évident.
« Le temps passe » : Héraclite : « tout s’écoule et rien ne demeure » Le temps engloutit
tout.
Exemples caractéristiques du flux du temps :
- Un grand match de football dont la beauté ne peut empêcher qu’il se termine.
Et quand il est fini, on passe à autre chose.
- Un ami qu j’ai longtemps perdu de vue et que je retrouve.

2°) Irréversibilité : le temps est orienté et irréversible. Ce qui a eu lieu fait pour toujours
partie du passé et ne pourra être modifié. Impossible de revenir en arrière. Certaines
expériences rendent particulièrement douloureuse cette irréversibilité du temps :
regrets, remords, le deuil.
Caractère tragique du temps : passé irréversible, irrévocable, irrémédiable.
Exemples : on ne construit pas une maison deux fois ; on ne peut empêcher une
disputer qui a déjà eu lieu. On ne peut que la regretter et éviter une nouvelle.
L’irréversibilité et l’irrémédiabilité du temps sont aggravées par la brièveté de la vie.

Des cas irrémédiables de la vie courante : je n’ai pas écrit à un ami la lettre qu’il
attendait impatiemment. Entre-temps, il est mort : il est irrémédiablement trop tard. La
bibliothèque d’Alexandrie brûlée n’aura jamais son pareil.
Le péché originel ne peut jamais être effacé.

Sentiments divers à l’égard du passé irrémédiable et irrévocable analysés par


JANKELEVITCH dans L’irréversible et la nostalgie :
Nostalgie, regret, remords, repentir, espérance dans l’avenir (l’avenir se prépare au
présent), désir de connaître le futur (d’où le succès des astrologues, des voyants)
L’avenir est imprévisible, imprédictible. On ne peut que faire des projections, des projets.
L’avenir est du domaine du probable.
3°) Le temps est irréductible, incompressible : il faut que le temps s’écoule et cet
écoulement prend un certain temps. On ne peut ni le ralentir ni l’accélérer. Ce n’est pas
parce que je suis pressé que le morceau de sucre va fondre plus vite dans un verre
d’eau.
II- La mesure du temps
Un temps irréversible est-il mesurable ?
Mesure du temps très ancienne se faisant par l’intermédiaire des mouvements et des
rythmes, et donc en ramenant le temps à l’espace. Instruments de mesure du temps :
cadrans solaires, horloges à quartz, électroniques.
C’est la régularité du mouvement qui permet de mesurer le temps. C’est donc par la
mesure de l’espace qu’on mesure le temps.
Exemples : saisons, calendriers, emploi du temps, durée des épreuves, des matches,
division de la journée en matin, midi et soir.
III- Nature et réalité du temps

Le temps est-il une réalité extérieure à nous


Le temps nié par Parménide

Le temps comme image mobile de l’éternité chez Platon


Si l’on est convaincu que ce qui est véritablement, par opposition à l’existence, est
éternel, quel statut accorder au temps ? Le recours au mythe est symptomatique d’une
difficulté : dire que le temps est « image mobile de l’éternité », c’est au moins une façon
d’inaugurer la tradition qui fait de l’existence « ici-bas » une expérience de la finitude.
Dans le Timée en effet, Platon décrit le temps comme une image mobile de l’éternité.
Platon présuppose que notre monde n’est qu’une imitation d’un autre monde qui est
véritable, éternel et parfait. Et ce monde éternel est le modèle de notre monde. Bien que
le vœu du Démiurge fut de rendre dans la mesure du possible notre univers aussi
éternel que son modèle, notre monde ne resta au bout du compte q’une imitation
imparfaite du modèle. Voilà pourquoi et comment le démiurge entreprit de « fabriquer
une image mobile de l’éternité » Cette image mobile de l’éternité immobile, c’est le
mouvement notamment des astres. Or les astres n’existent que dans le ciel. La
naissance du ciel est donc coexistante à la naissance du temps.
La régularité des mouvements circulaires des astres va permettre la mesure et la
quantification du temps : c’est ainsi qu’il faut expliquer l’existence des jours, des nuits,
des mois et des années. C’est cette régularité qui permit aussi l’apparition de la première
science fondée sur des lois immuables de la nature : l’astronomie. En divisant ainsi le
temps, on obtient des expressions comme « il était », « il sera » Ce qui est une façon
impropre de parler de l’être éternel. Ces expressions ne sont que des modalités du temps
car elles désignent des mouvements. L’être éternel n’est ni jeune ni vieux, ni n’est
devenu ni ne deviendra car il ne change pas. « Le temps est donc né en même temps que
le ciel, dit Platon, afin que, engendrés en même temps, ils soient dissous en même temps
si jamais ils doivent connaître la dissolution ; en outre, le temps a été engendré sur le
modèle de la nature éternelle, pour qu’il entretienne avec elle la ressemblance la plus
grande possible.
Pour Platon, le vrai monde, c’est le monde des Idées. En créant le monde que nous
connaissons, le monde matériel, le Démiurge n’a fait que des copies matérielles de ces
Idées, copies imparfaites.

Chez Aristote, le temps est défini comme le nombre du mouvement. C’est le temps
mathématisé, le temps mesure. Ce temps n’existe que dans l’esprit, dans l’âme. Il
n’existe pas en dehors de l’esprit.

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