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NOTES SUR LE TEMPS.

Le temps se donne à comprendre à la fois dans le cadre d'une « cosmologie » et comme cadre de l'
« histoire » (des choses humaines). Cette double liaison se donne à voir à partir de la considération du « devenir ». Si
on ne peut pas penser le temps sans penser le devenir du monde ou des choses humaines, faut-il pour autant
identifier devenir et temps ?
***

I- Du devenir au temps :

Difficile de penser le mouvement et le changement, chez Parménide : en effet, « l'être est ; le non-être n'est
pas ». Une première approche du « temps » (aiôn), se trouve alors chez Héraclite, qui pose le devenir cyclique (destin
juste : diké). Il ne s'agit pas d'un « pur devenir », d'un « mouvement chaotique », mais d'un mouvement « régulier »
dont le principe est l'enfant « souverain » qui joue aux dés (la nécessité est un arbitraire fondamental).
Platon ajoute la périodicité (retour du même selon des unités stables, ex : les saisons) à la régularité : on peut nombrer
le mouvement : c'est là que le temps (chronos) entre en scène dans l'histoire de la philosophie (quoique l'idée de
génération de trente ans déjà chez Héraclite se dise aussi chronos).

Platon, Timée, 37d :


– Refondation de la mythologie : Gaïa, Ouranos, Kronos ; Timée propose un « mythos logikos » de la formation
du monde (formation n'est pas création – elle fait être « tel » à partir de réalités préexistantes). Les êtres qui
composent le monde sont alors chacune « générées », alors que les « Idées » et la matière (chora) sont
éternelles (hors du temps, et non pas même sempiternelles).
– Le monde est formé par le démiurge : il contemple les Idées et modèle la matière (chora) suivant leur modèle.
Voulant faire une image mobile de l'éternité (aiôn): il forme alors le ciel (ouranos). Son mouvement est
circulaire et uniforme : un mouvement régulier et périodique.
– Ce mouvement est « éternel déroulement rythmé par le nombre » (arithmos). Le temps est le mouvement du
ciel en tant que celui-ci est de structure numérique. C'est le temps qui rend raison de nos calendriers lunaires
ou solaires – Le Ciel nous le rend visible, et c'est en cela il est une image.
– Une certaine ambiguïté demeure : le temps semble être « le mouvement du tout » (thèse qu'Aristote prête à
Platon, par-delà le personnage de Timée), alors même que c'est sa structure numérique qui est son essence.

Aristote, Physique, IV :
– Aristote critique de cette conception qui fait du temps « le mouvement du tout ». Il faut faire un pas de plus
dans la direction du nombre. Le temps n'est pas mouvement : argument de la vitesse, qui se dit du
mouvement et qu'on repère grâce au temps.
– Le mouvement est continu (pas de discontinuité dans un transport ou dans un changement d'état). Le temps
est continu lui aussi. Par-là il peut recevoir un nombre (différent du trajet « physique » du mouvement). Ainsi
le temps est « le nombre d'un mouvement selon l'avant et l'après ». Le temps n'est pas un mouvement mais
« ce par quoi un mouvement a un nombre ». Aristote précise qu'il ne s'agit pas d'un nombre nombrant, mais
d'un nombre nombré (les nombres arithmétiques ne sont principes d'aucun mouvement).
– Le « maintenant » (nûn) délimite le temps. Ce qui demeure dans le temps est le « maintenant », alors que le
passé n'est plus, et l'avenir pas encore (comme la substance est ce qui demeure dans le mouvement). Chaque
« maintenant » est une telle délimitation, mais aucun n'est identique à un autre pour autant. Cette explication
remplace la position d'un devenir cyclique. Le point de vue demeure « cosmologique » : selon Aristote, le
temps est éternel, aussi bien que le mouvement – cette éternité est garantie par le mouvement
éternellement circulaire des sphères célestes environnant la Terre selon son modèle astronomique.
– Si temps implique mouvement, alors âme (percevant le mouvement) et temps sont solidaires. Plus encore,
c'est l'âme rationnelle qui nombre le mouvement. Certains animaux ont de la mémoire : ils saisissent le passé.
Est-ce à dire qu'ils saisissent le temps, alors qu'ils ne le « nombrent » pas ? Il y a encore une dimension
« objective » du temps, qui est fondamentale, chez Aristote. En outre, à la totalité du temps, sa mesure pose
question : quelle « âme » le nombre ?
Saint Augustin, Confessions, XI :
– Dans la ligne de Plotin qui fait du temps « l'image de l'éternité » (Ennéades, Traité 45), Saint Augustin pense le
temps dans son contraste avec l'éternité : « dans l'éternité, rien ne passe mais tout est tout entier présent,
tandis qu'aucun temps n'est tout entier présent ».
– En théologien, Saint Augustin reprend la question de la création ab initio temporis. Il n'y a pas de temps
précédant la création parce que la création est création du temps. L'acte de création ouvre un futur mais n'a
pas de passé. On peut penser cette asymétrie du temps à l'aide de la notion d'origine.
– En outre, Saint Augustin refuse la thèse qui confond le temps et le mouvement du ciel. « Quid est enim
tempus ? » ; Le temps est puisque nous le mesurons en mesurant des durées 1. Et pourtant, il ne faut pas
diviser le temps en parties que seraient le présent, le passé et l'avenir, mais considérant que l'être se dit au
présent, penser la temporalité au présent. Il y a ainsi le « présent du passé », le « présent du présent » et le
« présent du futur », donnés dans l'âme. « C'est en toi mon âme, que je mesure le temps »
– Le temps est alors ce qui est vécu comme « distentio animi » : attente, attention, mémoire : trois actes de
l'âme qui s'enchevêtrant, voient « passer » le temps. Ce n'est pas dire que le temps n'a pas de rapport avec le
mouvement, mais il est chez Saint Augustin, concentré dans la saisie complexe de la durée, de sa mesure. Il
n'y a de temps que subjectif.
– Alors, la durée peut être celle de « la série entière des siècles vécus par les enfants des hommes », qui est le
tout des « vies des hommes ». L'humanité remplace les astres. L'unité des subjectivités est le rapport à
l'éternel (à Dieu), qui tisse l'histoire du Salut, à la fois collectif et individuel (l'incarnation du Dieu fait homme,
la Rédemption par la mort du Christ sur la croix). Ce rapport à l'éternel est celui de tout homme au cours de
sa vie, homme que Dieu a créé « pour qu'il y ait un commencement », c'est à dire libre d'agir pour ou contre
le Salut que Dieu lui offre.
*

II- Prolongements et ruptures modernes :

Avec la modernité, vient la rupture entre l'homme et la nature, qu'on la considère du point de vue des choses
humaines qui ne sont plus considérées dans leur ancrage naturel mais dans leur fondement humain ou du point de
vue de la physico-mathématique qui ignore les considérations morales et politiques. On devra donc distinguer un
temps « humain » (le « temporel » laïcisé, l'ordre de l'action politique et morale) et un temps « physique » (temps qui
« s'écoule » dans le monde devenu « univers »); on parlera bientôt, dans l'idéalisme allemand, d'un « temps
historique » et d'un « temps naturel ».

A] Du « temporel » :
Le « temporel » contre le « spirituel » : chez saint Augustin, l'homme créé par Dieu est orienté vers Lui.
« Fecisti nos ad Te Domine, et inquietum est cor nostrum donec recquiescat in Te » ; le « temporel » est ainsi articulé au
« spirituel » et tendu vers lui. La modernité politique et morale, inversement, consiste à « émanciper » le « temporel »
du « spirituel » ; cela passe par l'examen du jeu des passions et de la raison dans le temps, au fil du désir humain.

Hobbes, De la nature humaine, V :


– La différence entre l'homme et l'animal est fondée dans leur différence de perception du temps. Dans l'ordre
des passions, toutes se succèdent les unes aux autres, et font vivre dans une succession d'instants celui qui en
est affecté. Pour vivre le temps, il faut pouvoir saisir la succession dans ces instants, et non pas vivre leur
juxtaposition. Suivant Hobbes, l'homme seul en est capable, qui saisit l'ordre du choix et du besoin (et non
pas seulement des sensations immédiates).
– Dans l'ordre du choix et du besoin, l'animal comme l'homme s'avère oublieux. Mais l'homme pallie à ce
défaut, en « marquant » (dans le langage, mais pas uniquement) les faits passés de sorte qu'il puisse s'en
souvenir2. Cet artifice étend sa mémoire au-delà du seul vécu (réitéré) de l'instant, lui fait plonger ses racines
dans le passé, et lui permet d'anticiper l'avenir. L'homme est un animal mémoriel et prévoyant : c'est là sa
rationalité, constitutive de son humanité. [La rationalité est « artificieuse », chez Hobbes, à la manière du
travail des géomètres qui posent des axiomes].
– De même il y a en l'homme, une part « naturelle », et ce sont les passions, et une part « artificielle » ou
rationnelle, et c'est ce par quoi l'homme les vainc (sur le plan individuel comme sur le plan collectif : par le

1 Faire de la perception de la durée une perception sui generis fait penser à Kant, qui fera du temps une « forme a priori de la sensibilité ». Mais
dans la mesure où une telle perception n'est pas sans rapport au mouvement (sensible) saint Augustin est plus proche encore de Leibniz.
2 On peut comparer Hobbes avec le Nietzsche de Vérité et mensonge au sens extramoral : Nietzsche parle d'une faculté d'oubli » plus grande chez
l'animal que chez l'homme, plutôt que d'une véritable « mémoire » comme faculté, d'une part. C'est là une condition du malheur, pour Nietzsche :
un être hyperrmnésique serait alors on ne peut plus malheureux, semble-t-il.
contrat social et l'édification de l’État).
– Enfin, suivant cette distinction entre les passions et la raison, il faut distinguer entre les hommes qui sont plus
ou moins enclins à la prévoyance (à penser la satisfaction du désir à long terme plutôt qu'à satisfaire un désir
immédiat). Cette distinction rejoint celle qu'il y a entre les passions et l'intérêt.
– Les hommes, quoiqu'il en soit, ne cherchent qu'à saisir « pouvoir après pouvoir » (moyens ou fins), ce désir
étant concomitant de la vie elle-même. Il n'y a pas de « fin » vers lequel notre désir se porterait par nature et
qu'il s'agirait de connaître, mais il y a une succession de désirs « passionnels » ou véritablement
« intéressants » pour l'individu.

Locke, Essai sur l'entendement humain, II, 19 :


– Locke, suivant Hobbes en cela, refuse la thèse du libre arbitre (ou de la liberté de notre volonté, cette
dernière étant une « faculté » de l'homme) ; selon Locke, néanmoins, la maîtrise de soi est possible, dans faire
intervenir le « libre arbitre », dans la mesure où nous pouvons mettre nos désirs à distance, sur le plan du
désir. Nous pouvons opposer un désir à un autre (la volonté n'est que le dernier désir qui s'impose à nous).
Nous pouvons nous détacher d'un désir pressant ou présent par un désir futur, lequel est néanmoins donné
au présent dans notre conscience – anticiper, c'est cela : vivre au présent un moment futur. C'est un principe
qui sera repris par Adam Smith dans son analyse du passage du féodalisme au capitalisme (Recherche sur la
nature et les causes de la richesse des nations, 1776).
– Ainsi, plus précisément, « le malaise (uneasiness) présent détermine la volonté à l’action accoutumée », et
non pas « le bien » comme cause finale de l'action. « Le plus grand malaise (uneasiness) présent, est
l’aiguillon de l’action constamment ressenti et déterminant pour la plus grande part la volonté dans le choix
de l’action ultérieure » (II, 21, §40). En effet, nos désirs suivent le fil de l'évitement de la douleur (et ainsi, de
la recherche du plaisir). C'est ainsi qu'ils sont raisonnables : ils jouent d'un calcul dont l'homme fait la preuve
dans son action plus ou moins juste.
– Notre conscience s'étend jusqu'aux limites de notre être : ces limites passées sont celles de la mémoire fille de
l'habitude, et celles de l'avenir que nous rendons présent. En définitive, c'est l'image présente de soi au futur
qui constitue le sujet dans son rapport à l'action.

B] Du temps de la physique (entre « absolu » et « relatif ») :


Ces considérations sur le « temporel » humain demandent à être articulées au temps physico-mathématique,
que l'on trouve pensé en référence à la « durée » qui voit les « substances » exister, chez Descartes (Principes de la
philosophie, I, art.57).

Leibniz, Correspondance avec Clarke :


– Dans ses Principia mathematica philosophia naturalis (1687), Newton distingue entre le temps « absolu, vrai,
mathématique », qu'il nomme aussi « durée », et le temps « relatif, apparent et vulgaire ». Alors que le
dernier est mesure du mouvement sensible, ce qui nous sert habituellement à éditer nos calendriers, le
temps « absolu » est ce qui permet, comme réceptacle, la succession du temps relatif. Il est alors plus qu'un
simple « être mathématique » : un être réel. Le temps (comme durée), comme l'espace, relèvent de l'être
divin (c'est Dieu qui « perdure »). En ce sens, les corps et les forces qui constituent leurs mouvement sont
« en Dieu ». En outre, le temps est infini, alors que les corps sont finis : la solution de Newton permet de
penser l'articulation entre l'univers infini de la physico-mathématique en tant que telle et la finitude des
corps.
– Leibniz s'oppose à cette conception du temps « absolu », et lui préfère celle d'un temps « relationnel ». « Le
temps est l'ordre des existences successives ». il n'est pas « réel », mais « idéal », et pour ainsi dire
« objectif » : il a un fondement dans le mouvement ou le changement d'état des êtres, bien loin d'être lui-
même un tel fondement.
– Sur le plan théologico-métaphysique, Leibniz fait intervenir sa conception d'un Dieu Principe de Raison
Suffisante, qui actualise le « meilleur des mondes possibles » ; il est remarquable que cela suppose que le
temps est invariant pour tous les mondes possibles. En ce sens, le temps est une « idée de Dieu ».
– Quant au temps que nous mesurons, dont il est question en physico-mathématique, il est « ordre » ; cet ordre
est lui-même fondé sur la propriété des corps à pouvoir changer ; partant il n'est pas sans leur changement
d'état (ce qui est alors la définition même d'un « temps relatif »).
– L' « ordre » a sa quantité : plus ou moins d'états successifs feront un temps plus ou moins long : la question
déterminante est celle de savoir « combien » d'états se succèdent. L'ordre ne va pas sans durée : et c'est cela
qui est fondamental. Le temps n'est donc pas, suivant Leibniz, le simple « nombre du mouvement » comme
chez Aristote, mais une relation entre des états des choses, sur le fondement de leur durée. Le temps est
« idéal » cum fundamento in re.
Une solution synthétique, joignant « idéalité » et « subjectivité » du temps pourrait se trouver chez
Kant (Critique de la raison pure, « Esthétique transcendantale »). Le temps Y est « forme a priori de la sensibilité » :
tout phénomène du sens interne comme des sens externes se donne dans un temps, forme universelle (alors que
l'espace ne régit quant à lui que les phénomènes des sens externes). Le temps ne prend pas part aux processus
physiques : il n'est pas une cause. Condition de possibilité de notre sensibilité, le temps n'est ni un être mathématique,
ni un être réel ; il n'est ni phénomène ni noumène. Il demeure un réceptacle, mais interne au sujet connaissant.
*

III- Du « temps historique » à la question de l'existence :

Inversement, Hegel (Encyclopédie des sciences philosophiques, §258) considère que le temps n'est pas « ce en quoi »,
les êtres naturels naissent et périssent, mais leur devenir propre, leur temporalité. Hegel fait du temps une cause et un
principe destructeur (comparable au dieu Kronos). Le temps est la finitude du fini : « c'est parce que les choses sont
finies qu'elles vont dans le temps, et non l'inverse ».

Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, §258 :


– Le temps se comprend selon une dynamique logique (sa « dialectique »), qui est celle de la négativité.
– Il faut partir du « présent » abstrait ou du « maintenant ». C'est sa dynamique qui permettra de comprendre
la dialectique du temps. L'être du maintenant est « le fait, tandis qu'il est, de n'être déjà plus ». Le maintenant
se nie, par où il devient son contraire : l'avenir. A son tour l'avenir se nie et devient son contraire : le passé. Le
passé se nie alors à son tour, et produit un nouveau « maintenant ».
– Le temps réel est la totalité dialectique des trois moments du « maintenant », de l'avenir et du passé : c'est le
processus du maintenant-dépassé par l'avenir-devenant passé. Le temps est alors « le devenir intuitionné »,
plutôt que « la forme de l'intuition » ; ce n'est pas dans le temps que tout naît et disparaît, mais le temps est
ce devenir, ce naître et disparaître.
– Hegel distingue entre le temps « abstrait » et le temps « réel ». Le temps « abstrait » est une dialectique de la
négativité logique : elle reproduit des « maintenant » infiniment. Dans le temps « réel » au contraire, le passé
est encore vivant dans le présent. Ainsi, la dimension prévalente du temps réel est le présent. Celui-ci est
donné dans l'esprit, et non pas comme abstraction d'un « maintenant » répété.
– C'est à partir du « présent » vécu que l'on peut appréhender le passé et l'avenir. C'est aussi lui qui permet de
rendre raison de « l'histoire » : les moments que l'esprit paraît avoir laissés derrière lui, [l'esprit] les possède
toujours dans la profondeur de son présent ». C'est l'esprit qui fait du devenir indéfini l'être de l'histoire. Il le
fait alors au « présent ». Histoire vécue, intériorisation des événements, celle-ci devient ensuite « histoire
conçue ».
– A cet égard, l'esprit fait du « présent » un « moment absolu » ; la difficulté est alors de concevoir comment un
tel privilège du « présent » peut être sans hypothéquer l'avenir en une « fin de l'histoire ».

Nietzsche, Deuxième Considération inactuelle :


– Dans la Deuxième considération inactuelle, Nietzsche met en garde contre les « études historiques ». Il existe
trois façons de faire de l'histoire, et les trois ont leur défaut concernant la visée présente de grandeur (c'est
une formulation du problème de la culture comme « vie culturelle ») : l'histoire dite « monumentale » risque
de faire de l'ombre au présent, d'écraser la possibilité de l'action présente sous la grandeur du passé ;
l'histoire « antiquaire » risque de dissoudre toute idée de grandeur dans un relevé infini de « faits » ; il faut
alors une histoire « critique », qui nous délivre de notre position d'héritier et libère notre créativité. Nietzsche
exalte alors cette « force non-historique » qu'est la « faculté d'oubli ».
– Nietzsche reconnaît alors que l'être est pris dans le devenir, que les choses humaines sont prises dans
l'histoire (effective) (Vérité et mensonge au sens extramoral): c'est là une « vérité mortelle » dont Nietzsche
estime toutefois pouvoir produire une interprétation non-mortelle et même vivifiante. La question de la « vie
culturelle » passe alors par la position du « problème de la morale » : d'où vient que nous sommes des êtres
moraux ? Quelle est l'histoire (effective) de « la morale » ? de « notre » morale ? (Humain trop humain). Plus
tard, il proposera une « généalogie » (selon plusieurs lignes) de « la morale » (Généalogie de la morale).
– Mais les phénomènes moraux comme tels, pour être « historiques », n'en sont pas moins tributaires d'un
principe à l’œuvre dans l'histoire en général et dans tout devenir particulier : la « volonté de puissance » (Par-
delà bien et mal). Ce principe est « la vie » qui « se veut », et dont la multiplicité est rythmée par l'opposition
(Nietzsche rejoint alors Héraclite : « la guerre » est au fondement de toutes choses, en leur devenir). Ce
principe est « temporel », puisque son déploiement est devenir et histoire (effective). Pourtant, comme tel, il
semble bien « atemporel ».
– Plutôt que de dire « la temporalité » ou la « finitude », affirmer le devenir c'est nier une éternité autre que
celle de ce devenir. Le temps est alors distendu au sein de ce devenir, entre son déploiement « temporel » et
son caractère de principe « atemporel » (on peut alors parler en ce sens de son éternité).
– Plus profondément, la perspective de Nietzsche impose de considérer que la volonté de puissance se dit
comme pur « être-là » ; dire le devenir de tout être, c'est dire qu'il n'y a pas d'être « fixe » (d' « être-tel ») hors
des « illusions » que nous produisons pour vivre et penser. Il n'y a donc que du devenir, dont l'être est
« volonté de puissance », et qu'il faut pouvoir penser à la fois comme une et multiple, comme « être-là » et
multiplicité d'« être-là.
– A l'aune de la position du devenir, la question du temps devient alors celle de « l'être-là » : de l'existence dont
la finitude implique « son temps », de la coexistence comme « guerre » et « justice ». Où l'histoire effective
s'affirme bruyamment, la cosmologie reprend secrètement ses droits. Il semble encore que ce soit l'éternité
qui règle la question du temps, puisqu'au sein même de l' « être-là », l'actualité précède l'activité qui permet
qu'on parle de devenir.
***

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