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Le temps est-il la marque 

de notre impuissance ?
Introduction

Le temps est souvent perçu négativement comme un obstacle, une limite indépassable. L’Homme détient
une certaine puissance sur son environnement matériel qu’il peut transformer mais il ne peut pas agir sur
le temps qui suit son cours inexorablement. On ne peut ni l’arrêter, ni le ralentir, ni l’accélérer, ni
remonter son cours.  On retrouve ce sentiment d’impuissance dans des expressions courantes : « je n’ai
pas le temps » ; « je perds mon temps » ; « je trouve le temps long ».  « Si je pouvais revenir une seconde
en arrière ».
 Le temps parait d’autant plus cruel  lorsqu'on le considère subjectivement sous l'aspect de la durée: les
bons moments passent toujours trop vite tandis que les moments pénibles paraissent s’allonger et
s’éterniser. L’ennui peut alors s’installer face à ce temps qui ne "passe pas". Enfin nous avons conscience
que "notre temps" est limité et que cours du temps nous conduit inexorablement vers le vieillissement et
la mort. C'est qu'on nomme la finitude.  
 On essaie pourtant d’agir sur le temps.  On cherche dans nos sociétés à « gagner du temps » avec
l’efficacité des progrès techniques par exemple.  On le mesure, on le "découpe" avec des horloges de plus
en plus précises, on le divise, en différentes périodes ; on l’organise avec des emplois du temps par
exemple.    Pourtant tout ceci reste dérisoire et le sentiment de la fuite du temps revient dès l’on cesse
d’être accaparé par nos activités. L’angoisse surgit face au temps qui passe et à la mort qui apparaît
comme un horizon plus ou moins lointain.  
 Le temps peut-il être notre pire ennemi  ? Peut-on faire du temps un allié plutôt qu’un adversaire ? Les
enjeux de cette question sont bien sûr liés au sens de l’existence et au bonheur car comment être
parfaitement satisfait et serein quand on sait ce tout ce que l’on construit disparaîtra un jour ? Un
sentiment d’absurdité peut se répandre sur tout ce que nous entreprenons. Donnez un sens au temps est
alors ce qui pourrait être le plus essentiel pour apaiser les troubles de la conscience.

I / L’impuissance de l’Homme face au temps


 
Cette « impuissance » face au temps se situe à un double niveau:
 
1/   Au niveau de l’action
  Le temps est irréversible.  (Images du fleuve, de la flèche). On parcourt le temps que dans une seule
direction.
(# l’espace).  On ne peut pas revenir en arrière. Remonter le temps relève de la science-fiction (du moins
encore aujourd’hui).
  Le temps : « lieu » du jamais plus, du regret, de la nostalgie, du remords.
 Il est impossible d’arrêter de ralentir/ Accélérer le temps
Cet écoulement continu du temps (le rythme de l’horloge) ne coïncide pas avec nos désirs (hâter le temps
lorsqu'on s’ennuie, s’impatiente) / Le ralentir ou l’arrêter lorsqu'il est agréable.  
 Impossible de résister aux effets du temps – il défait et détruit tout.
Image de Cronos qui dévore ses enfants.
 Effets du temps sur l’organisme : vieillissement, la mort.
  La mort : destin inéluctable : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le
reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais » (Blaise Pascal Pensées, 210).
  Effet du temps sur la pensée :  l’oubli.    “Mêmes les civilisations sont motelles” (Malraux)
  Effet du temps sur  les choses :  la destruction (les ruines)
 
 
2/ Impuissance de la pensée
 
Définir le temps est difficile :  
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Nous savons tous  ce qu'est le temps mais lorsqu'il s'agit de le définir nous sommes aux prises à des
difficultés. 
Référence : Saint Augustin dans 
" Quand personne ne me le demande je le sais, mais dès qu’on me le demande et que je veuille l’expliquer,
je ne le sais plus ».
Il développe ensuite son analyse: 
Le temps se composé de trois dimensions : passé, présent, futur.
 Or le passé n’est plus, l’avenir n’est pas encore. Quant au présent, c'est un perpétuel passage entre ces
deux néants.
 Le temps n’est pas une réalité objective qu’on peut saisir, définir.  Ce n'est pas un "être" au sens entier et
plein du terme.  Il serait plutôt le néant qui défait et détruit tout ce qui est.  (C'est pourquoi Dieu d'après St
Augustin échappe au temps car l'Être qui est absolument parfait ne peut être affecté par le néant. Il n'est
pas immortel, il est éternel). 
 
Bergson beaucoup plus près de nous souligne également la difficulté de penser le temps.  Se « représenter
le temps » est également source de confusion.  On représente le temps à partir du mouvement, de
l’espace parcouru. (Les aiguilles de l’horloge, le mouvements des astres). C'est ainsi qu'Aristote définissait
le temps comme "le nombre du mouvement selon l'antérieur et le postérieur" (Physique IV) .  Mais on
rapporte  ainsi le temps à l’espace parcouru. Or pour le philosophe Bergson, on méconnaît en faisant cela
la véritable nature du temps qu’on ne peut pas représenter avec une image nécessairement spatiale tandis
que la nature du temps est avant tout la durée qu'on ne peut pas se représenter de façon objective.
Cette difficulté pour "penser le temps" se prolonge dans les troubles qu'ils apportent lorsqu'on envisage
les deux formes classiques selon lesquels on se le représente: le temps linéaire (le flèche) qui se termine
inéluctablement par une fin (le mort pour l'Homme) et le temps cyclique, l'éternel retour qui conduit au
sentiment de l'absurde (incarné dans le mythe de Sisyphe par exemple

II Le temps et l’existence
 
 Trouver  un sens à l’existence :
 La philosophie et les religions ont toujours tenté d’apporter des réponses à l’Homme concernant le temps
et à la question de la finitude.
 
A/ L’idéal grec :  Vivre pleinement le présent
 Texte d’Epicure
Le Carpe Diem (Cueille le jour, profite de l'instant présent) est cependant nuancé dans la pensée d'Epicure
car il s'agit de profiter du moment présent avec prudence en sachant calculer les plaisirs et les douleurs.
Ainsi Epicure conseille s'abstenir d'un plaisir si l'on sait qui en résultera ensuite une douleur bien
supérieure au plaisir.
 Savoir bien occuper son temps : Texte : Sénèque – De la brièveté de la vie.
    Les Hommes se plaignent de la nature et lui reproche de ne pas  leur avoir donné une existence plus
longue           mais "la faute" en revient aux Hommes eux-mêmes car il "gaspille" son temps en se  donnant
milles tâches  inutiles et en recherchant ce qui constitue pour Sénèque  les "faux biens". 

B/ L’idéal  des religions  monothéistes : le salut de l’âme


La religion, le salut de l’Homme. 
Que ce soit dans les religions monothéistes ou polythéistes, l'existence terrestre n'est qu' un passage. Il
existe un vie après la mort selon ces croyances. C'est cette vie éternelle pour la religion Chrétienne par
exemple qu'il s'agit de préparer. Ce qui compte c'est le salut de l'âme.   Mais cette vie éternelle se mérite 
et n'est gagnée que grâce aux  bonnes actions.  Les malheurs de l'existence peuvent eux-mêmes prendre
un sens et être considéré comme des épreuves pour le force de la foi. 

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 III / Le temps Créateur
 
On perçoit surtout l’aspect négatif du temps mais il ne faudrait pas oublier les aspects plus bénéfiques et
positifs.  
 Le temps permet le développement, la croissance.  exemple des Cycles naturels – on voit surtout la
disparition de ce qui existe mais cette disparition est en même temps renaissance – ex : le printemps.   
La mort si elle est une tragédie sur le plan individuel est un processus naturel sans doute nécessaire au
niveau de l’espèce.
 Le temps : ce qui permet la maturation, la transformation étape par étape des choses et des projets.
Toute action demande des étapes.  Exemple de l’artiste qui élabore progressivement sa conception de
l’œuvre à faire, d’abord mentalement (croquis, brouillons…), il modifie ensuite cette conception au cours
de ces ébauches de réalisation, il corrige, approfondit, etc.
  L’idée d’un développement de la pensée dans le temps  à le temps permet le mouvement de la pensée et
de l’Histoire. Nous nous croyons prisonnier du temps mais c’est le temps qui permet la libération.  Sans
temporalité, pas de devenir, pas d’évolution.
  Le temps conduit à l’oubli mais ce dernier est parfois positif. Voir le rôle positif de l’oubli pour la vie chez
Nietzsche.

Textes : Sénèque – De la brièveté de la vie.


    Les Hommes se plaignent de la nature et lui reproche de ne pas  leur avoir donné une existence plus
longue mais "la faute" en revient aux Hommes eux-mêmes car il "gaspille" son temps en se  donnant milles
tâches  inutiles et en recherchant ce qui constitue pour Sénèque  les "faux biens". Ainsi Sénèque écrit: 
 "C'est le privilège d'un esprit serein et tranquille que d'arpenter toutes les parties de sa vie ; mais celui des
gens accaparés par leurs occupations, comme s'il se trouvait sous un joug, est incapable de se retourner et
de regarder derrière lui.  Leur vie sombre donc dans l'abîme ; et de même qu'il ne sert à rien de verser
autant d'eau qu'on le désire s'il n'y a rien au-dessous pour la recevoir et la conserver, de même peu
importe la quantité de temps qui nous est donnée : s'il n'a pas de lieu où se poser, il passe au travers
d'esprits fêlés et percés. Le temps présent est très bref, au point d'ailleurs que certains le jugent
inexistant : en effet il est toujours en mouvement, il s'écoule en toute hâte ; il cesse d'être avant d'être.
Les gens absorbés par leurs occupations ne sont donc concernés que par le temps présent qui est si bref
qu'on ne peut s'en saisir, et lui-même leur échappe car ils ne savent choisir entre leurs multiples activités."

Epicure : lettre à Ménécée


Familiarise-toi avec l'idée que la mort n'est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la
sensation, et que la mort est l'éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la
mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée
infinie, mais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre,
pour qui est radicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre.
Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il
souffre à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre
de l'attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort
n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni
les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus.

Nietzsche : Considérations inactuelles


Imaginez l’exemple extrême : un homme qui serait incapable de ne rien oublier et qui serait condamné à
ne voir partout qu’un devenir; celui-là ne croirait pas à sa propre existence, il ne croirait plus en soi, il
verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du
devenir. Finalement, en vrai disciple d’Héraclite, il n’oserait même plus bouger un doigt. Tout action exige
l’oubli, comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l’obscurité. Un
homme qui ne voudrait sentir les choses qu’historiquement serait pareil à celui qu’on forcerait à s’abstenir
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de sommeil ou à l’animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible
de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore
impossible de vivre sans oubli. 

Sartre, L’Être et le Néant :


La signification du passé est étroitement dépendante de mon projet présent. Cela ne signifie nullement
que je puis faire varier au gré de mes caprices le sens de mes actes antérieurs ; mais, bien au contraire,
que le projet fondamental que je suis décide absolument de la signification que peut avoir pour moi et
pour les autres le passé que j'ai à être. Moi seul en effet peux décider à chaque moment de la portée du
passé : non pas en discutant, en délibérant et en appréciant en chaque cas l'importance de tel ou tel
événement antérieur, mais en me projetant vers mes buts, je sauve le passé avec moi et je décide par
l'action de sa signification. Cette crise mystique de ma quinzième année, qui décidera si elle « a été » pur
accident de puberté ou au contraire premier signe d'une conversion future ? Moi, selon que je déciderai -
à vingt ans, à trente ans - de me convertir. Le projet de conversion confère d'un seul coup à une crise
d'adolescence la valeur d'une prémonition que je n'avais pas prise au sérieux. Qui décidera si le séjour en
prison que j'ai fait, après un vol, a été fructueux ou déplorable ? Moi, selon que je renonce à voler ou que
je m'endurcis. Qui peut décider de la valeur d'enseignement d'un voyage, de la sincérité d'un serment
d'amour, de la pureté d'une intention passée, etc. ? C'est moi, toujours moi, selon les fins par lesquelles je
les éclaire.

Pascal, Pensées, (Ed. Brunschvicg, 172).


Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme
pour hâter son cours ; où nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents, que
nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si
vains, que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est
que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige ; et, s'il nous
est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à
disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance
d'arriver.
Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons
presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de
l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre
fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il
est inévitable que nous ne le soyons jamais.

H. Bergson, L’évolution créatrice


« Quand l’enfant s’amuse à reconstituer une image en assemblant les pièces d’un jeu de patience, il y
réussit de plus en plus vite à mesure qu’il s’exerce davantage. La reconstitution était d’ailleurs instantanée,
l’enfant la trouvait toute faite, quand il ouvrait la boîte au sortir du magasin. L’opération n’exige donc pas
un temps déterminé, et même, théoriquement, elle n’exige aucun temps. C’est que le résultat en est
donné. C’est que l’image est créée déjà et que, pour l’obtenir, il suffit d’un travail de recomposition et de
réarrangement,-travail qu’on peut supposer allant de plus en plus vite, et même infiniment vite au point
d’être instantané. Mais, pour l’artiste qui crée une image en la tirant du fond de son âme, le temps n’est
plus un accessoire. Ce n’est pas un intervalle qu’on puisse allonger ou raccourcir sans en modifier le
contenu. La durée de son travail fait partie intégrante de son travail. La contracter ou la dilater serait
modifier à la fois l’évolution psychologique qui la remplit et l’invention qui en est le terme. Le temps
d’invention ne qu’un ici avec l’invention même. C’est le progrès d’une pensée qui change au fur et à
mesure qu’elle prend corps. Enfin c’est un processus vital, quelque chose comme la maturation d’une idée.
Le peintre est devant sa toile ; les couleurs sont sur la palette, le modèle pose ; nous voyons tout cela, et
nous connaissons aussi la manière du peintre : prévoyons-nous ce qui apparaîtra sur la toile ? Nous
possédons les éléments du problème ; nous savons, d’une connaissance abstraite, comment il sera résolu,
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car le portrait ressemblera sûrement au modèle et sûrement aussi à l’artiste ; mais la solution concrète
apporte avec elle cet imprévisible rien qui est le tout de l’œuvre d’art. Et c’est ce rien qui prend du temps.
»

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