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LE TEMPS

Le temps est la succession des changements dans la réalité. Tout ce qui existe porte la marque du
temps. Ex : dans de nombreuses toiles de l’époque baroque, Cf. Les vanités où l’on trouve des objets
qui signalent discrètement l’avancée du temps. Cette succession peut être appréhendée
subjectivement par l’expérience ou mesurée de manière objective par des instruments. Ce sentiment
de l’écoulement du temps se traduit par la conscience du présent, elle-même reliée au passé et au
futur. Exemple d’un voyage qui n’est pas qu’un déplacement dans l’espace mais aussi une
expérience qui dure dans le temps. Les êtres humains ont développé des techniques de plus en plus
précises pour mesurer les effets du temps et pour organiser la vie sociale. Ex : nous devons en
permanence respecter des horaires. Ex : dans Les vanités toujours, on trouve souvent des instruments
de mesure du temps. Cette succession est aussi l’objet d’une expérience spécifiquement humaine.
Si le temps caractérise l’ensemble de la réalité, les êtres humains ont une conscience développée de
son écoulement. Ex : Les vanités encore qui manifestent la conscience que les individus ont de leur
mortalité.

Par temps on pourra entendre :

- Dimension du réel qui rend possible et compréhensible le changement.


- (Usuellement) Milieu indéfini et homogène où se déroulent les évènements naturels et
l'existence humaine.
- Mesure de la dimension du réel précédente.
- Durée limitée, considérée par rapport à l'usage qu'on en fait.
- Occasion favorable pour agir.
- É poque déterminée du passé d'un collectif ou d'un individu.
- É poque actuelle ou une époque indéterminée.

Le terme courant et très polysémique. On parle de temps en physique, en grammaire, en


météorologie et dans d'autres contextes courants (unité de mesure, occasion, époque). Un tel
usage de temps n'est pas cependant commun à toutes les langues : l'anglais ou l'allemand
possèdent différents termes selon les situations (time en physique, tense en grammaire, weather
en météo). En un sens, le temps est la dimension du réel qui rend possibles et compréhensibles
les mouvements et les changements. Cette définition proposée par Godin contraste avec la
définition usuelle : « milieu indéfini et homogène où se déroulent les événements naturels et
l'existence humaine ». Avec l'espace, le temps apparaî t comme le cadre de tout ce qui existe dans
l'univers. Cependant l'espace semble (a) tridimensionnel ; (b) doté de directions plusieurs
réversibles. À l'inverse, le temps semble n'avoir qu'une seule dimension (la succession), et n'avoir
qu'une direction irréversible. On peut annuler un déplacement dans l'espace en revenant au point
d'origine. Mais on ne peut pas annuler ou empêcher un déplacement dans le temps.

Une des difficultés les plus importantes tient dans la dualité des manifestations du temps. D'une
part, le temps paraî t être une réalité objective, indépendante des sujets qui y évoluent et qui
tentent de la connaî tre. D'autre part, il constitue une réalité vécue subjectivement, et sans laquelle
il nous serait impossible d'exister (ou de penser le temps). On sépare canoniquement le temps dit
objectif (milieu homogène) et le temps subjectif (non homogène). Toutefois parler de temps pris
comme extérieur au sujet ou pris comme intérieur au sujet serait plus exact. Parmi les images
associées au temps, deux sont particulièrement prégnantes :

 celle de l'écoulement du fleuve


 celle du retour cyclique
Comme le temps, le fleuve manifeste une unidirectionnalité (vers la mer / vers le futur), une
succession (des eaux / des instants) et une linéarité. Le fleuve est une figure de la nécessité et de
l'irréversibilité du passage du temps – et du vieillissement individuel. À l'opposé, l'image du
retour des saisons donne une vision du temps circulaire. Il y aurait un retour des mêmes réalités
au cours du temps. Le temps présent ne se limite pas à fuir ou à disparaî tre, il peut avoir une
forme de retour. Si l'idée d'un temps circulaire offre une forme d'intemporalité ou d'éternité à
quelques

I - QU’EST-CE QUI DONNE AU TEMPS SA REALITE ?

Nous constatons que les réalités matérielles subissent des changements. Et pour avoir conscience
du temps qu’elles impliquent, il faut que nous ayons la représentation du passé immédiate et du
futur proche. Il est donc difficile de savoir si le temps existe vraiment dans les choses ou s’il découle
de la conscience que nous en avons.

1. Le temps existe par le changement des choses

Il suffit d’observer le mouvement d’un corps ou des changements qui l’affectent pour constater la
réalité du temps. Ex : un avion se déplace progressivement dans le ciel et un fruit se décompose
lentement. Aristote affirme que c’est par le mouvement des choses que la réalité du temps nous est
donnée et qu’elle peut être observée. Le temps n’est pas le mouvement lui-même mais une
dimension de celui-ci, cette dimension peut être mesurée et comparée. Nous mesurons d’ailleurs le
temps en nous référant à des mouvements réguliers.

2. Le temps n’existe que par la conscience que nous en avons

Pourtant, il semble qu’un corps en mouvement est immobile si on l’envisage à un instant précis.
C’est le sentiment de la continuité entre le passé le présent et le futur qui donne sa dimension
temporelle à la réalité. Ex : lorsqu’une aiguille se déplace sur un cadran, elle n’occupe qu’un point
à la fois mais j’ai conscience qu’il va d’un point à un autre. C’est pourquoi pour Augustin la réalité
du temps se réduit plutôt dans la succession continue des états de conscience. La réalité du temps
découle d’une expérience intérieure. Dans ce passage des Confessions, Augustin s’interroge sur la
nature du temps. Il cherche à en donner une définition et surtout, à savoir s’il est un être ou un non-
être (question ontologique, portant sur l’être et le mode d’être de quelque chose).

XI, xiv : "Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le


sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus.
Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n’y aurait pas
de temps passé ; que si rien n’arrivait, il n’y aurait pas de temps à venir ; que si
rien n’était, il n’y aurait pas de temps présent. Comment donc ces deux temps, le
passé et l’avenir, sont-ils, puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas
encore ? Quant au présent, s’il est toujours présent, s’il n’allait pas rejoindre le
passé, il ne serait pas du temps, mais de l’éternité. Donc, si le présent, pour être
du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer qu’il est aussi,
lui qui ne peut être qu’en cessant d’être ? Si bien que ce qui nous autorise à
affirmer que le temps est, c’est qu’il tend à n’être plus ".
Kant, quant à lui, considère qu’il est impossible d’établir si le temps existe indépendamment de la
manière dont nous nous représentons la réalité. Pour Kant, le temps est certes subjectif mais cette
subjectivité ne signifie pas qu’il n’est pas objectif : ça va être au contraire ce qui fait qu’il est
objectif. Il faut bien avoir à l’esprit que sa philosophie est transcendantale (à ne pas confondre avec
transcendant qui désigne le contraire d’immanent. Cf. Couples conceptuels.)
- Transcendantal
Cela désigne les conditions de notre expérience du monde. Ce sont les structures de l’esprit
humain ; toute expérience doit nécessairement obéir à ces conditions-là. Ces structures sont des
" formes a priori ". Exemple : toutes les choses doivent obéir à la catégorie de la
causalité (doivent se succéder selon une relation de succession) doivent obéir à la catégorie de
la substance (i.e. : une chose ne peut devenir autre à chaque instant) ; toutes les choses doivent
apparaître dans l’espace et dans le temps.
- Phénomènes et choses en soi.
Mais rien ne nous dit que d’autres êtres que nous percevraient le monde de la même façon. Par
suite, Kant dit que ce que nous pouvons connaître, ce sont seulement des " phénomènes ", et
non des " choses en soi ". Les choses en soi seraient les choses telles qu’elles sont réellement,
indépendamment de ces structures de notre esprit ; on pourrait dire, sans qu’elles soient
déformées par les structures de notre esprit. Ce que l’homme peut connaître, ce sont des
" phénomènes ", i.e., les choses telles qu’elles nous apparaissent ; on pourrait dire, qu’on peut
seulement connaître l’effet que font les choses sur nous. Exemple : la couleur n’est pas
réellement dans les choses. On dira qu’elle n’est pas une propriété réelle des choses, ou qu’elle
n’appartient pas aux choses en soi.
Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, §6 :
" Le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses
comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si l’on fait
abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition ; dans le premier
cas, en effet, il faudrait qu’il fût quelque chose qui existât réellement sans objet
réel. Mais dans le second cas, en qualité de détermination ou d’ordre inhérent aux
choses elles-mêmes, il ne pourrait être donné avant les objets comme leur
condition, ni être connu et intuitionné a priori (…) ; ce qui devient facile, au
contraire, si le temps n’est que la condition subjective sous laquelle peuvent trouver
place en nous toutes les intuitions. Alors en effet cette forme de l’intuition interne
peut être représentée avant les objets, et par suite, a priori ".

3. Le temps avec un cadre relatif

Au XVIIIe siècle, Newton suppose pourtant qu’il existe un temps commun à l’ensemble de
l’univers. Il serait alors possible de comparer tous les événements qui se produisent sur une même
échelle du temps. Mais la physique contemporaine, à la suite des travaux d’Einstein notamment,
remet en cause cette hypothèse. La vitesse des corps en mouvement et l’énergie qui les caractérise
modifie le temps. Celui-ci ne s’écoule pas à la même vitesse partout. Exemple le temps ne s’écoule
pas tout à fait à la même vitesse à l’intérieur d’un train en mouvement et on chaque lieu où le train
passe. Le film Interstellar, de Christopher Nolan, met en scène ces implications de la physique
contemporaine sur l’expérience humaine du temps.
II - POUVONS-NOUS ECHAPPER AU TEMPS ?

Chacun éprouve les effets du temps sur lui-même, à travers le vieillissement par exemple. Mais
surtout, la conscience et la peur de la mort constituent une expérience fondamentale de la vie
humaine. Les individus cherchent des moyens pour affronter cette réalité.

1. La vie humaine s’écoule inexorablement

Les souvenirs que nous conservons pourraient constituer une manière de résister au temps qui passe.
Ex : nous gardons des photos ou des objets pour nous souvenir. Mais nous rappeler des événements
passés nous donne aussi conscience qu’ils ne sont plus. Rousseau entres autres, insiste sur ce flux
continuel des êtres et des choses que la mémoire renforce plus qu’elle ne l’enraye.

2. Nous ne savons que faire du temps dont nous disposons

La conscience de l’écoulement du temps et la peur de l’amour engendre chez les individus le


sentiment que la vie est trop brève. Encouragés par les formes multiples de la vie sociale ils se
pressent et s’agitent perpétuellement. D’après Pascal, c’est surtout parce qu’ils ont besoin d’être
divertis, c’est-à-dire d’avoir l’esprit occupé pour ne pas penser à la mort. Pour Sénèque, quant à lui,
le problème n’est pas que nous manquons de temps mais que nous utilisons mal celui dont nous
disposons. Nous devrions d’après lui réfléchir à notre manière de vivre plutôt que nous plaindre que
la vie est trop courte (cf. Stoïcisme)

3. La peur que suscite l’avancée du temps n’est pas qu’une question individuelle

Les sociétés humaines offrent une protection collective aux angoisses intimes des individus à propos
du temps. Exemple : de nombreuses croyances religieuses laissent espérer une vie après la mort.
Hannah Arendt analyse les activités que les civilisations humaines engagent pour donner un cadre
durable à leurs actions. Selon elle, les œuvres que les êtres humains bâtissent donnent ainsi une
réponse collective à la mortalité naturelle de chacun.

III - COMMENT REPRESENTER L’ECOULEMENT DU TEMPS

Le temps à une dimension insaisissable. Son existence nous paraît évidente, indiscutable, mais nous
éprouvons aussi les difficultés à exprimer sa réalité et ses effets sur nos vies.

1. Nous oublions facilement la dimension temporelle de la réalité

Le temps est un paramètre constant dans l’organisation de la vie sociale comme dans les
raisonnements scientifiques. Ex : nous segmentons le temps et nous avons de multiples instruments
pour le mesurer. Cela nous éloigne paradoxalement du temps puisque nous n’en éprouvons plus la
réalité même. D’après Bergson, les habitudes et le langage joue un rôle majeur dans cet éloignement
de la réalité du temps.

2. En retrouvant la dimension temporelle de la réalité, nous nous rapprochons aussi de


nous-mêmes

Nous avons tendance à enfermer les expériences que nous vivons dans les représentations figées.
Exemple : le mot désigne de manière fixe une émotion un sentiment alors que les mots évoluent en
permanence. Une photo conserve une trace instantanée d’un moment de vie. D’après Bergson,
l’écoulement du temps donne à la réalité et à notre vie intérieure toute leur richesse.
Il faudrait pouvoir retrouver le flux spontané de nos impressions et sentiments, ce que l’écrivain
littéraire cherche à faire (cf. cours sur le langage).

3. L’artiste cherche ainsi à suggérer la réalité du temps

Dès que nous cherchons à représenter le temps, nous risquons de le figer et d’en faire quelque chose
sans vie. Certaines œuvres d’art parviennent pourtant à nous fait ressentir la réalité du temps. C’est
ainsi que Maurice Merleau-Ponty analyse ainsi comment le mouvement peut être suggéré en
peinture. Celle-ci dispose pour cela de plus de ressources que la photographie.

CONCLUSION

Le temps est une " réalité " subjective, qui définit notre condition humaine. Mais il n’est pas
subjectif au sens de propre à chaque individu. Il est subjectif au sens de " propre à l’être humain "
et au rapport qu’entretient l’homme avec le monde. Il n’est donc ni simple cours objectif des
choses, ni simple forme subjective. Il a pourtant aussi une objectivité puisqu’il est une forme à
priori de la sensibilité.
La liberté individuelle semble impliquer que chacun fait ce qu’il veut de son temps. Mais les
exigences de la vie sociale rendent en partie illusoire cette hypothèse. Pour le sociologue
Dominique Méda, il revient à l’État, notamment par la législation sur le travail, d’organiser la
coexistence des différentes activités sociales et le temps que les individus y consacrent. À tout
instant le volume de travail réalisé dans un pays est réparti sur la population en âge de travailler.
Il y a simplement différentes manières de le redistribuer plus ou moins volontaires. Dans notre
société certains travaillent trop et font des burn out et d’autres aimeraient travailler davantage.
Le temps ne serait-il pas ce que l’on s’autorise ?

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