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Nys D. La notion de temps d'après saint Thomas d'Aquin (suite). In: Revue néo-scolastique. 4ᵉ année, n°15, 1897. pp. 225-
246;
doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1897.1563
https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-5541_1897_num_4_15_1563
') Sum. theol. la p. q. X. a. 1. — Item Suarez, Met. disp. 1. sect III. de œter-
tate.
D'
LA NOTION DE TEMPS APRÈS SAINT THOMAS d'aQUIN. 233
Dès lors, ou bien elle s'identifie avec le mouvement réel et, dans
ce cas, deux quantités équivalentes de mouvement ou d'espace
parcouru nous représentent deux durées identiques, car ces
deux quantités renferment un même nombre de successions
ou d'ubications partielles. D'où peut donc naître la distinction
entre les mouvements lents et rapides ? Comment reconnaître
l'uniformité d'un mouvement ? C'est la difficulté soulevée
tantôt.
Ou bien, seconde hypothèse, cette quantité temporelle saisie
dans le mouvement se distingue réellement et objectivement
de ce même mouvement. Cette affirmation n'a de sens que si
le temps lui-même constitue une réalité sui generis distincte de
tout phénomène successif, quoique toujours unie en fait à ses
parties. En d'autres termes, le temps ne serait que le flux ou
l'écoulement continu et régulier de réalités temporelles
essentiellement distinctes des parties du mouvement.
Cette opinion, qui ne trouva au moyen âge que de rares
défenseurs et qui fut reprise par quelques philosophes
modernes, nous semble inventée par les* besoins de la cause. Nous
aurons d'ailleurs l'occasion de la discuter et d'en faire
ressortir la faiblesse.
Bref, à moins d'attribuer au temps une objectivité réelle
distincte du mouvement, cette quantité temporelle que chacun
de nous percevrait directement et qui clans maints cas ne
correspondrait même pas à la quantité du mouvement perçu,
ne peut être qu'une quantité de mouvement.
que l'on fait appel. Or, c'est dans notre propre être qu'il faut
chercher cette première mesure. L'homme commence à
apprécier la durée des événements du dehors d'après une norme
qui lui est interne. l)
N'est-ce pas un fait indéniable que l'homme du peuple,
privé de tous les moyens techniques de mensuration, parvient
souvent à reconnaître l'équivalence relative de diverses durées
temporelles ?
Et de fait, nous aussi nous sommes le théâtre d'une multitude
de mouvements directement sentis et qui tous sont affectés de
la forme temporelle. Plusieurs de ces mouvements continus
présentent même des alternances, en fait généralement
régulières dont chacune nous laisse toujours la même impression.
Tels sont, par exemple, les mouvements alternatifs de la
respiration, tel le rythme d'une phrase musicale. Cette alternance
de mouvements sentis éveille facilement en nous l'idée de
temps ; nous y trouvons l'avant et l'après qui en constituent
les parties essentielles. D'autre part, l'identité parfaite de
sensations qu'elle produit en nous d'une manière continue,
nous fait conclure à l'identité des causes qui les produisent.
Chacune des phases de ce mouvement nous apparaît ainsi
comme la reproduction fidèle de la phase antécédente, et la
succession ininterrompue des sensations musculaires comprises
dans le phénomène de la respiration, toujours identiques,
constitue pour nous la répétition continue d'une même unité
temporelle, d'un même mouvement-unité.
Cette mesure subjective vient-elle à varier sensiblement,
grâce à une influence du dehors, ou par suite d'une
disposition pathologique de l'organisme, ou même sous l'action de la
volonté libre, le souvenir de l'état normal en corrige les
données, du moins dans une certaine mesure.
Enfin, grâce à ce mouvement-unité réalisé dans l'intérieur
même de notre être, l'intelligence juge de l'uniformité des
mouvements externes, de leur lenteur ou de leur rapidité.
l) Opusc. De tempore.
*) Sum. theol. p. la q. X. a. i.
246 D. NYS.
(à suivre). D. Nys.
i) 0pu8c. De Instantibus. c. I.