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DOSSIER GÉNÉTIQUE

SPÉCIAL

L’ESSENTIEL LES AUTEURS

> En étudiant le génome > Les gènes, cependant,


de patientes atteintes n’expliquent pas tout.
d’endométriose, on a identifié Chez 50"% des cas, la cause
pour l’heure quelque 25 gènes est à chercher dans
dont des variants prédisposent l’environnement des cellules
très fortement les femmes dont le fonctionnement
à développer la maladie. est perturbé. DANIEL VAIMAN MARINA KVASKOFF CHARLES
directeur épidémiologiste CHAPRON
> Ces gènes sont impliqués > Il semble ainsi exister de recherche de l’Inserm au sein chirurgien
dans des fonctions diverses non pas une, mais plusieurs de l’Inserm de l’équipe gynécologique
comme l’immunité, le endométrioses, chacune et responsable de Exposome et et obstétrique
métabolisme des hormones fruit d’une combinaison l’équipe Des gamètes hérédité à l’institut à l’hôpital Cochin,
ou l’adhérence entre cellules. de différentes causes. à la naissance Gustave Roussy, à Paris
à l’institut Cochin, à Villejuif
à Paris

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Une pathologie
éclairée par
la génomique
Grâce aux techniques de séquençage à haut débit, un portrait plus précis
de l’endométriose se dessine et révèle une maladie complexe et hétérogène.

D
ans le roman Belle du réalité, probablement mâtinée de considéra-
Seigneur (1968), Albert Cohen tions philosophico-religieuses sur la nécessaire
donne la parole à l’un de ses souffrance des filles d’Ève, a été amplifiée par
personnages souffre-douleurs, la prosopopée des paroles des prophètes dans
Adrien Deume, fonctionnaire les exégèses de la Bible. La masculinité sans
inefficace et peu zélé de la partage de la profession médicale jusqu’au
Société des nations (ancêtre infortunée de début du XXe siècle a sans doute aggravé cette
l’ONU), fier d’expliquer à son épouse, l’ado- perception, qui a rendu inaudible le tourment
rable Ariane, toutes les occasions qu’il a d’éco- des femmes concernées et a empêché de pro-
nomiser son énergie en prenant des congés/: gresser dans la compréhension biologique et
« D’abord, chaque mois, le jour d’absence médicale de celui-ci.
dont tout fonctionnaire peut bénéficier sans À partir du début des années 1920, cepen-
certificat médical, article trente et un du statut dant, des tentatives de définition clinique de ces
du personnel. Tu penses bien que j’en profite. douleurs intenses sont apparues et ont abouti à
(Il nota.) Ci, douze jours de repos supplémen- l’identification d’un syndrome distinct et parti-
taire par an/! (Une explication est nécessaire. culier, l’endométriose. Outre les douleurs pen-
Ledit article trente et un visait en fait certaine dant les règles (dysménorrhées), les patientes
indisposition féminine, mais les pudiques atteintes de cette maladie sont susceptibles de
rédacteurs du statut du personnel n’avaient pas souffrir pendant les rapports sexuels (dyspareu-
osé le spécifier. En conséquence, les fonction- nies), la défécation, la miction, voire en perma-
naires mâles avaient aussi le droit d’être indis- nence. Depuis une vingtaine d’années, la prise
posés un jour par mois, sans avoir à fournir de en compte médicale de cette maladie s’améliore
justification médicale.) » sans discontinuer et les recherches pour la com-
Les douleurs des femmes pendant les règles prendre et la traiter se multiplient. Aujourd’hui,
étaient et sont encore considérées comme une le portrait qui se dessine est celui d’une patho-
donnée, une réalité reflétant une situation nor- logie chronique complexe, hétérogène et multi-
male. Pourtant, certaines femmes ne souffrent factorielle susceptible de débuter dès le
pas pendant leurs menstruations et, au développement embryonnaire.
© Lerusea/Shutterstock

contraire, d’autres connaissent des douleurs L’endométriose est caractérisée par l’im-
insupportables, à des niveaux extrêmement plantation de tissu utérin modifié en dehors de
forts, assimilables sur des échelles indivi- la cavité utérine – on parle de « position ecto-
duelles à celles de l’accouchement, de coliques pique », par opposition à sa position naturelle,
néphrétiques ou de fractures osseuses. Cette « eutopique ». Comme le tissu eutopique, le

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GÉNÉTIQUE
UNE PATHOLOGIE ÉCLAIRÉE PAR LA GÉNOMIQUE

risque suggère qu’il n’existe pas une, mais des


endométrioses. Ce que confirme la recherche
ET LA POLLUTION ? de marqueurs de la maladie.

E n 1999, dans un essai intitulé The Curse (« La Malédiction »)


destiné à briser le tabou sur l’évocation des règles dans
la littérature, l’écrivaine américaine Karen Houppert évoque
La douleur est, avec l’infertilité, l’un des
effets majeurs qui caractérisent cette patholo-
l’endométriose, la liant possiblement à l’exposition à la dioxine,
gie. Une piste pour la diagnostiquer consiste
un polluant persistant dans l’environnement. Ce sujet avait donc à essayer de connecter le ressenti des
connu une certaine couverture médiatique dans les années 1990. patientes avec des marqueurs objectifs. Dans
L’impact subtil de l’environnement sur l’endométriose n’est pas l’endométriose, on distingue trois principaux
clair, les études conduites jusqu’à présent étant hétérogènes. types de douleurs/: les dysménorrhées, les dys-
Cependant, les dernières métaanalyses mettent en évidence
des associations avec certaines dioxines, des polychlorobiphényles pareunies et les douleurs pelviennes non mens-
et des pesticides organochlorés. truelles. Toutefois, non seulement la douleur est
une notion éminemment subjective, mais les
chercheurs n’utilisent pas toujours la même
échelle de douleur dans leurs études. Surtout, la
tissu ectopique répond aux hormones sexuelles douleur n’est pas systématique dans l’endomé-
et se déploie progressivement au rythme des triose et n’est pas forcément corrélée à la taille
cycles. Les lésions apparaissent sur les ovaires des lésions. Une hypothèse est que les diffé-
(endométriome ovarien) ou en différents sites rences seraient liées à l’innervation de ces der-
de la cavité abdominale (sur les ligaments uté- nières, qui varierait selon les patientes. Avec des
rosacrés, qui fixent l’utérus au sacrum, sur les collègues, nous avons ainsi montré en 2010 chez
parois vaginale, rectale, vésicale, ou encore sur 12 patientes opérées pour une endométriose
le péritoine, membrane qui tapisse l’abdomen, douloureuse que plusieurs gènes impliqués dans
le pelvis et les viscères) et cela de façon super- la neurogenèse étaient surexprimés dans les
ficielle ou profonde. Chez au moins 30/% des lésions par rapport à l’endomètre eutopique, ce
patientes (avec ou sans lésions extra-utérines), qui suggère que les facteurs de croissance neu-
des lésions affectent spécifiquement le muscle ronale qu’ils codent interviennent dans l’appa-
utérin. On parle alors d’adénomyose. Les rition des douleurs. Néanmoins, nous n’avons
lésions abdominales d’endométriose sont plus pas observé de différence évidente d’expression
fréquentes du côté gauche du pelvis/: en 2011, des mêmes gènes entre les patientes qui éprou-
une étude de 77 patientes dans un centre de vaient une douleur plus intense et les autres.
fécondation in vitro à Düsseldorf, en Allemagne, Ainsi, même si ces gènes constituent des mar-
a montré que 55,8/% d’entre elles présentaient queurs potentiels de la maladie, ils ne suffisent
des lésions seulement à gauche, 6,5/% seule- probablement pas à distinguer les différents
ment à droite et 37,7/% des deux côtés. types d’endométriose.
Cette distribution suit la circulation nor-
male du liquide qui enveloppe les organes dans À LA RECHERCHE DES CAUSES
la cavité abdominale – le liquide péritonéal – et DE LA MALADIE
les endroits de stase de ce fluide, comme la Une étude que nous avons menée en 2016
poche de Douglas, cul-de-sac joignant les montre à quel point la recherche de marqueurs
parois externes de l’utérus et du gros intestin. de la maladie est compliquée. Lors de cette
Mais dans des cas rares, on détecte des lésions étude, nous avons examiné si des corrélations
au-dessus du diaphragme, sur les poumons ou apparaissaient entre la description clinique de

Source de l’encadré : G. Cano-Sancho et al., Environ. Int., vol. 123, pp. 209-223, 2019
la plèvre, une membrane qui recouvre ces der- 113 patientes – caractéristiques de la maladie,
niers et la paroi thoracique intérieure. Il est antécédents, facteurs de risque – et l’étude his-
donc vraisemblable que dans certains cas, les tologique des lésions. Nous avons regardé en
lésions soient dues à la migration de cellules particulier (à l’aide de marquages immunolo-
utérines dans la circulation sanguine. giques) les quantités, dans ces tissus, de plu-
sieurs protéines connues pour avoir une
DE MULTIPLES FACTEURS production perturbée dans l’endométriose.
DE PRÉDISPOSITION Résultat/: un profil de marquage de ces diffé-
Les facteurs exogènes connus de prédispo- rentes protéines était corrélé avec des endomé-
sition à la maladie sont peu nombreux et trioses pour lesquelles la base génétique était
variés/: âge précoce aux premières règles, importante (plusieurs femmes de la même
cycles menstruels courts, faible nombre d’en- famille étaient affectées)/; en revanche, le profil
fants, faible poids de naissance… D’autres fac- opposé était associé à la tabagie. En d’autres
teurs sont à l’étude, comme l’indice de masse termes, certaines endométrioses sont détermi-
corporelle, l’alimentation, l’activité physique, nées par la génétique et d’autres, par l’environ-
ou l’absorption de tabac, de caféine ou d’al- nement, ce qui influe sur la signature
cool, mais les données actuellement dispo- moléculaire protéique que présentent les
nibles ne permettent pas d’établir de lien clair. lésions. En somme, l’épidémiologie comme les
Cette multiplicité des facteurs possibles de marqueurs moléculaires nous renvoient un

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tableau ultracomplexe de la pathologie. Aussi restes des précurseurs embryologiques de
la caractérisation et la compréhension des dif- l’utérus et du vagin – les canaux de Müller – se
férentes formes de la maladie représentent- redifférencieraient en tissu utérin ectopique…
elles un des défis majeurs de la recherche sur Sans oublier les migrations cellulaires par voie
l’endométriose. sanguine ou lymphatique, susceptibles de
C’est d’abord du côté de l’anatomie que déposer des cellules endométriales hors de
l’on a recherché les origines de cette maladie. l’utérus – un mécanisme qui incite à considérer
La plus ancienne explication avancée, énon- l’endométriose comme une pathologie métas-
cée il y a près d’un siècle, est la théorie de la tatique bénigne. Il est probable que, selon les
régurgitation du gynécologue américain John patientes, l’une ou l’autre de ces causes inter-
Sampson/: la distribution anatomique des vienne, voire plusieurs…
lésions dans la cavité abdominopelvienne serait Depuis quelques années, cependant, les
liée à l’implantation de cellules dans la cavité à médecins explorent le génome des patientes à la
la suite d’un reflux du liquide menstruel par les recherche de profils plus à risque de développer
trompes de Fallope. Puis d’autres hypothèses la maladie. La première étape a consisté à mesu-
ont peu à peu contribué à décrire cette maladie rer l’héritabilité de l’endométriose, c’est-à-dire
énigmatique et ses manifestations/: des troubles la part génétique de la maladie. Pour évaluer ce
de l’immunité empêcheraient l’organisme d’éli- paramètre, on étudie la transmission de la patho-
miner les cellules envahisseuses/; des cellules logie dans des familles ou entre individus appa-
souches qui, normalement, reconstituent le rentés. Différentes études épidémiologiques de
tissu utérin à chaque cycle, continueraient de cohortes de patientes ont ainsi abouti à une héri-
remplir leur fonction hors de l’utérus/; des tabilité de l’endométriose d’environ 50/%. Par

L’ARSENAL GWAS À L’ASSAUT DE L’ENDOMÉTRIOSE

L
es nouvelles méthodes de biologie les trois milliards de bases qui composent a considérablement diminué, ce qui
moléculaire permettent d’analyser le génome humain, il existe trois millions a récemment ouvert aux généticiens
simultanément des centaines de différences ponctuelles entre deux la possibilité d’explorer des pathologies
de milliers, voire des millions de variants humains pris au hasard. Nombre d’entre polygéniques comme l’endométriose.
du génome, notamment ponctuels elles n’ont pas d’effet visible et servent La méthode consiste à identifier
– les polymorphismes d’un seul de repères dans les études GWAS. Grâce de façon systématique des variants
© GoperVector/Shutterstock ; Alhovik/Shutterstock ; Lyi Luch/Shutterstock ; VoodooDot/Shutterstock ; Daniel Vaiman (graphique)

nucléotide ou SNP. C’est grâce à de telles à ces bornes, on a identifié plus de associés à un phénotype (en l’occurrence
études, nommées GWAS pour genome 3#000 gènes responsables de maladies la maladie) et donc probablement
wide association studies ou études monogéniques. Avec l’accroissement localisés à proximité du groupe de gènes
d’association pangénomique, que l’on de la connaissance du génome humain, impliqué dans le phénotype analysé.
identifie les gènes de prédisposition l’analyse de ces polymorphismes est
à l’endométriose. En moyenne, dans de plus en plus fine et son coût

On collecte
du sang de chaque
personne.
Locus 1 Locus 2 Locus 3
Plusieurs milliers de patientes
atteintes d’endométriose

On extrait l’ADN
de chaque patiente
Plusieurs milliers ou dizaines de milliers à partir des globules
blancs isolés. L’ADN est analysé sur des puces conçues pour détecter environ
de femmes n’ayant pas la maladie un million de SNP répartis à différents endroits (loci) du génome.

Une différence de fréquence entre les deux groupes pour un


SNP donné se traduit par une valeur statistique. Tous les SNP sont
15
positionnés selon leur localisation sur les 22 chromosomes et,
Valeur statistique

pour chacun, la valeur statistique est reportée en ordonnée.


10
Des seuils statistiques (pointillés) permettent de détecter les SNP
significatifs à l’échelle du génome. Dans le cas (fictif) présenté 5
ci-contre, trois loci apparaissent significatifs, sur les chromosomes
6, 8 et 13. Cette étape est un passage obligé pour identifier 0
des variants localisés dans ou à proximité des gènes responsables
0

10

12
14
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20
22

du phénotype étudié, par exemple l’endométriose. Chromosome

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UNE PATHOLOGIE ÉCLAIRÉE PAR LA GÉNOMIQUE

exemple, en 2015, Rama Saha, de l’institut inflammatoires ou la réponse immunitaire,


Karolinska, à Stockholm, et ses collègues ont d’autres dans la croissance des vaisseaux san-
analysé 28/370 femmes, jumelles monozygotes guins (l’angiogenèse), d’autres encore dans le
ou dizygotes, et ont conclu à une héritabilité métabolisme des hormones sexuelles, l’adhé-
de 47/%, contre 53/% d’effets environnementaux, rence entre cellules ou la régulation de la mort
c’est-à-dire de facteurs autres que génétiques cellulaire programmée.
influant sur la survie, le développement et Toutefois, il ne suffit pas de repérer les
l’évolution. variants qui prédisposent à l’endométriose. Il
faut aussi comprendre comment ces variants
UNE MULTITUDE DE GÈNES contribuent à expliquer la part génétique de la
IMPLIQUÉS maladie. Certains variants auraient-ils un poids
La génétique de l’endométriose est bien sûr statistique plus important que d’autres/? Le
complexe et il est certain que l’on ne pourra génome humain contient deux copies – ou
identifier des altérations d’un gène majeur allèles – de chaque gène et il paraît plausible
expliquant tous les cas, ou même une majorité que chacune des versions à risque des allèles
de ceux-ci. Néanmoins, à partir des contribue au risque de développer une endo-
années 2010, grâce aux nouvelles techniques métriose. Une façon simple (sans doute trop)
de séquençage à haut débit, plusieurs équipes de voir les choses est de considérer un modèle
ont entrepris une série d’études massives et additif, où les différents variants à risque
systématiques pour identifier les gènes de pré- joignent leurs effets. Déjà, cependant, partant
disposition à l’endométriose. Baptisées GWAS de cette hypothèse simple, on se heurte à des
(genome wide association studies ou études d’as- considérations mathématiques complexes.
sociation pangénomique), ces études sont fon- Soient deux gènes notés A et B, chacun pré-
dées sur une approche appliquée aujourd’hui sentant deux variants notés A1 et A2 pour A,
pour de très nombreuses maladies au détermi- et B1 et B2 pour B. Imaginons que A1 et B1 aug-
nisme génétique complexe, comme l’endomé- mentent chacun le risque de développer une
triose (voir l’encadré page 61). Elles ont permis endométriose de 5/%, tandis que A2 et B2 n’ont
d’identifier une petite trentaine de gènes, dont pas d’effet. Si la probabilité d’endométriose
54 variants ponctuels – des « polymorphismes dans la population totale est de 0,1 (ou 10/%),
d’un seul nucléotide » ou SNP – prédisposent une femme porteuse du variant A1 sur un allèle
à l’endométriose. Ces gènes interviennent dans de son gène A aura une probabilité de dévelop-
diverses fonctions biologiques/: certains sont per une endométriose de 0,1/+/0,1/×/0,05,
impliqués dans la régulation des processus soit 0,105. Si son génome compte un deuxième

© Steve Gschmeissner/Science Photo Library

L’endomètre (en rose sur cette photo prise en microscopie électronique à balayage) est le tissu cellulaire qui se développe dans l’utérus
durant le cycle menstruel. Lors de l’ovulation, soit un œuf fécondé s’implante dans ce tissu, soit il se désquame, provoquant les règles.
Dans l’endométriose, ce tissu se développe hors de la cavité utérine.

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allèle A1, on peut envisager que cela augmente les GWAS revient à rechercher un ours blanc
à nouveau le risque de 5/%. La probabilité passe sur toute la Terre, sans restreindre le territoire
donc à 0,105/+/0,105/×/0,05, soit 0,11025. Et si, aux zones glacées de l’Arctique et avec, de sur-
chez la même patiente, B1 induit en plus un croît, une idée très approximative de ce à quoi
risque de même ampleur, deux allèles B1 indui- ressemble un ours blanc.
ront un risque de 0,12155, qui sera donc le Un autre aspect aggrave encore le problème/:
risque d’une patiente porteuse de deux le groupe contrôle contient certainement une
allèles A1 et deux allèles B1. proportion de patientes souffrant d’endomé-
Ce modèle simpliste présente de nom- triose non détectée, asymptomatique ou non.
breuses limites, l’une d’elles étant que, en pre- L’outil de repérage des ours blancs active son
nant en compte suffisamment de variants, on propre brouilleur/! De fait, une meilleure défini-
peut dépasser une probabilité de 1. Une autre tion clinique des patientes permet de détecter
limite, biologique celle-ci, est que le risque d’autres gènes liés à l’endométriose. En 2012,
relatif auquel cette patiente malchanceuse est en comparant le génome de 127 patientes souf-
exposée par rapport à une patiente porteuse frant d’endométriome ovarien sans autre lésion
homozygote des deux autres allèles (c’est-à- avec celui de 317 femmes contrôles chez qui
dire le rapport des risques pour chacune) est l’absence de lésion avait été confirmée, nous
de seulement 1,21. Il serait donc irréaliste avons mis en évidence des variants d’un gène (le
d’utiliser cette seule information en vue d’une
application clinique individuelle dans le cadre
d’une médecine personnalisée.
Par exemple, il y a quelques mois, l’équipe
de Krina Zondervan, à l’université d’Oxford, au
ENDOMÉTRIOSE ET PATHOLOGIES
Royaume-Uni, a identifié un gène – le DE LA GROSSESSE
gène NPSR1, qui code un récepteur impliqué

L
dans l’inflammation – dont un variant particu- a viviparité implique l’interaction intime et durable de deux
organismes génétiquement disjoints, la mère et l’embryon,
lier est associé à une forme sévère d’endomé- puis le fœtus. La complexité des mécanismes de dialogue entre
triose. De plus, les auteurs ont montré que, dans l’endomètre et le placenta mis en jeu dans cette tolérance suggère
une endométriose induite chez la souris, un que de petites altérations de l’équilibre construit suffisent à induire
inhibiteur de ce récepteur atténue la progression un échec reproductif. Or les lésions de l’endométriose sont corrélées avec
des anomalies de la physiologie de l’endomètre eutopique#: on observe
de la maladie, l’inflammation et la douleur. des altérations de la méthylation (une modification chimique de l’ADN)
Cependant, une limite de ce travail est que le dans ce tissu associées à des dérégulations de l’expression de gènes
risque induit par la mutation n’est que de 1,23, impliqués dans la prolifération cellulaire, l’inflammation, l’angiogenèse
ce qui signifie que sur 100 patientes porteuses et la réponse aux hormones sexuelles.
du « mauvais » variant, 12 développeront la On pourrait donc penser que l’impact de l’endométriose sur les
mécanismes d’implantation ne fait aucun doute. Pourtant, cette idée a été
maladie, contre seulement 10 dans la population longtemps débattue, comme l’attestent deux articles de synthèse publiés
générale. En d’autres termes, si l’inhibiteur est en miroir dans la revue Fertility and Sterility en 2017. Ce débat inattendu
commercialisé, il ne soulagera à lui seul qu’une au sujet des liens entre endométriose et pathologies obstétricales résulte
petite population de patientes. Chaque gène probablement du fait que nombre d’études reposent sur peu d’individus.
Néanmoins, cette limite disparaît totalement dans une étude de Leslie
impliqué n’est qu’une part additionnelle du Farland, de l’université de l’Arizona à Tucson, et ses collègues parue
puzzle génétique de l’endométriose. en 2019 et fondée sur une population massive de patientes. L’équipe
s’est appuyée sur le suivi de 196#722 grossesses de 116#429 femmes, avec
LA MATIÈRE NOIRE 8#875 endométrioses confirmées chirurgicalement. Une aggravation
DE LA PART GÉNÉTIQUE des conséquences obstétricales est manifeste#: chez les personnes atteintes
de la maladie, le taux d’avortement spontané augmente de 40#%,
Actuellement, les études génomiques à les grossesses ectopiques de 46#%, la mortinatalité de 27#%, les diabètes
haut débit ont permis d’identifier quelque gestationnels de 35#%, les pathologies hypertensives de la grossesse de 30#%,
25 gènes très fortement associés au risque les naissances prématurées de 16#%, et les faibles poids de naissance
d’endométriose. Pourtant, tous ces gènes dans de 16#%. Des résultats cohérents avec ceux d’une récente métaanalyse
de 33 études rassemblant un total de 3 280#488 patientes.
leur ensemble expliquent moins de 20/% du Ces deux études épidémiologiques ne fournissent pas
risque génétique d’endométriose. Il y a plu- d’interprétation mécanistique. On peut néanmoins supposer que
sieurs explications à cette « matière noire » de les différences d’expression des gènes dans l’utérus jouent un rôle
l’héritabilité, probablement plus complémen- dans une implantation et une placentation défectueuses. Une autre
taires qu’antagonistes. L’une d’elles est la mau- observation contribue peut-être aussi à expliquer les risques accrus#:
les lésions d’endométriose sont connues pour se positionner sur les
vaise prise en considération de la variabilité des organes abdominaux et le péritoine#; nous avons cependant démontré
endométrioses des patientes incluses dans les en 2015 que, chez des patientes atteintes de la maladie, des lésions
études GWAS. On déduit en effet des proto- s’installent aussi sur les membranes fœtales du côté maternel. Ces lésions
coles utilisés que toutes les patientes de ces pourraient contribuer à certains risques identifiés comme suites
de la grossesse, en particulier la rupture prématurée des membranes.
vastes études ont été placées dans un grand sac
stochastique. Or l’endométriose est une patho- L. V. Farland et al., Endometriosis and risk of adverse pregnancy outcomes, Obstet.
logie hétérogène qui se présente sous différents and Gynecol., 2019.
L. Marcellin et al., Endometriosis also affects the decidua in contact with the fetal
types/; sans une classification précise de ceux- membranes during pregnancy, Hum. Reprod., 2015.
ci, la « chasse génétique » entreprise dans

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GÉNÉTIQUE
UNE PATHOLOGIE ÉCLAIRÉE PAR LA GÉNOMIQUE

gène DNMT3L, qui code une enzyme clé de la En somme, l’épigénétique a le potentiel de
régulation de l’expression des gènes) associés à déconnecter la variation héréditaire de son
la maladie, dont un qui induit un risque relatif expression. Ce mécanisme explique pourquoi
de 7,15. Un tel niveau de risque serait exploi- l’héritabilité de pathologies complexes comme
table en clinique, mais il ne s’applique qu’à un l’endométriose ne dépasse en général pas 50/%.
sous-ensemble des patientes. Ce type de résultat Diverses équipes ont en effet observé des diffé-
suggère qu’une médecine personnalisée néces- rences épigénétiques entre les lésions d’endomé-
site et nécessitera une information clinique triose et l’utérus eutopique. En particulier, les
détaillée en même temps qu’une caractérisation patientes qui développent la maladie présentent
génétique, insuffisante à elle seule. des altérations épigénétiques dans les cellules les
Une deuxième explication de la matière noire plus abondantes de l’utérus, les cellules souches
de l’héritabilité est qu’il n’existe probablement qui se différencient en cellules de l’endomètre
pas de variants génétiques majeurs impliqués au cours du cycle ovarien, ainsi qu’une hyperac-
dans la pathologie. À l’inverse, l’endométriose tivation de la fonction des hormones œstro-
pourrait relever du modèle dit « ultramultigé- gènes. Les récepteurs des œstrogènes étant des
nique ». Dans ce modèle utilisé en agronomie, médiateurs de méthylation et déméthylation de
un caractère complexe (ici la maladie) est dû à l’ADN, certaines altérations épigénétiques obser-
un nombre très important de gènes (un millier vées dans l’endométriose seraient une consé-
par exemple), et c’est l’ensemble de ces gènes quence de cette dérégulation hormonale.
qui permet la réalisation du phénotype par un Il n’en reste pas moins primordial de traquer
effet quantitatif cumulatif. Si tel est le cas avec les variants génétiques impliqués dans l’endo-
l’endométriose, il reste l’espoir d’identifier de métriose, notamment parce qu’ils orientent les
façon exhaustive tous les variants impliqués dans recherches vers certains processus biologiques.
la maladie à l’aide d’outils génomiques adéquats, Ainsi, plusieurs variants pointent vers un dys-
à un prix qui pourrait chuter. Pour cela, il faudra fonctionnement du système immunitaire. Ce
développer des outils de statistique mathéma- qui renforce une idée déjà ancienne/: dans
tique adéquats, capables d’assigner un génotype
donné à un type d’endométriose et de connecter
cette forme de la maladie à une approche théra-
peutique pertinente et rigoureusement adaptée
à la patiente.

DES ALTÉRATIONS
ÉPIGÉNÉTIQUES
Une troisième explication est l’impact de
l’environnement sur l’expression des gènes. La
présence d’un variant dans le génome ne conduit
pas forcément à la production d’une protéine de
séquence différente. Pour qu’un gène s’exprime,
il faut en effet qu’il soit positionné dans une
région active du génome. Or l’activation de ces
régions dépend d’un système complexe de régu-
lation – la machinerie épigénétique. Cette méca-
nique implique des centaines de gènes codant
des protéines qui agissent directement sur l’ADN
sans en modifier sa séquence (par exemple en
ajoutant des groupements méthyl ou en suppri-
mant de telles molécules en divers endroits) ou
indirectement en modifiant d’autres protéines
avec lesquelles il interagit, comme les histones
(les protéines échafaudages autour desquelles
il est enroulé et compacté). Sans oublier les
gènes qui codent des protéines capables de
modifier des ARN (des produits de l’expression
© Nephron/Wikimedia Commons

des gènes) et en particulier de produire de


petits ARN régulateurs – des microARN – et
d’autres ARN non codants susceptibles d’ajus-
ter l’expression des gènes. Et cet imbroglio
biomécanique est lui-même influencé par l’en-
vironnement au sens large – cellules avoisi- Les lésions d’endométriose (ici des lésions observées sur une coupe histologique
nantes, paramètres physiques, paramètres du col de l’utérus) sont des amas de cellules endométriales modifiées qui se
biologiques ou endocriniens. positionnent à des endroits anormaux et parfois créent des adhérences entre organes.

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l’hypothèse de Sampson, l’apparition de lésions
d’endométriose trouve sa source dans l’implan-
tation de menstrues rétrogrades. Cependant, au
moins 90/% des femmes présentent un flux
rétrograde. Pourquoi, dans ce cas, l’endomé-
triose n’affecte-t-elle qu’environ 10/% des
Plusieurs variants
femmes en âge de procréer/? Pour expliquer
cette bizarrerie, une hypothèse est que le sys- pointent vers un
dysfonctionnement du
tème immunitaire ne serait pas assez efficace
pour détruire le tissu ectopique, qui ne se résor-

£
berait donc plus suffisamment chez les patientes.

UN SYSTÈME IMMUNITAIRE
DÉBORDÉ
système immunitaire
De fait, dans l’endométriose, on détecte des
altérations du processus inflammatoire. En
temps normal, lorsque l’organisme subit une groupes de cellules immunitaires. Selon une
agression microbienne ou physique, des cel- hypothèse récente, une voie de cet aveugle-
lules immunitaires produisent de nombreuses ment orchestré du système immunitaire serait
molécules – des cytokines – qui modulent liée à l’activation d’une population de cellules
l’immunité. Mais chez les patientes atteintes immunitaires, les cellules myéloïdes suppres-
de la maladie, le fonctionnement de cytokines sives. La concentration de ces cellules, qui
pro-inflammatoires comme les interleukines-6 modèrent l’inflammation en bloquant diverses
et -8 ou le TNF-α est perturbé. Notre équipe a populations de cellules immunitaires, est en BIBLIOGRAPHIE
été la première à montrer, en 2012, une aug- effet plus élevée dans le sang périphérique des S. Bendifallah et al., Salivary
mentation de l’interleukine-33 dans le plasma patientes atteintes d’endométriose. microRNA signature for
et le liquide péritonéal des femmes souffrant Enfin, des études émergent qui suggèrent diagnosis of endometriosis,
J. Clin. Med., 2022.
d’une endométriose. Cette cytokine proche de que la composition du microbiote anogénital
l’interleukine-1, un médiateur majeur de l’in- – les microorganismes qui peuplent l’intestin D. Szukiewicz et al.,
flammation, active différentes cellules immu- et le système génital – serait un facteur de Estrogen- and progesterone
nitaires. En 2019, à la suite de ces travaux, une risque pour l’endométriose, peut-être en per- (P4)-mediated epigenetic
équipe japonaise a montré chez des souris turbant les défenses antimicrobiennes et en modifications of
endometrial stromal
qu’un inhibiteur de cette cytokine était capable produisant un état inflammatoire, deux méca- cells (EnSCs) and/or
d’empêcher la formation de lésions et a suggéré nismes susceptibles de déréguler le système mesenchymal stem/stromal
de cibler cette voie pour traiter la maladie. immunitaire et de favoriser le développement cells (MSCs) in the
En dehors de ces dérégulations cytoki- de la maladie. Une piste qui reste à explorer… etiopathogenesis of
endometriosis, Stem Cell
niques, on observe par ailleurs de façon globale Il y a une dizaine d’années la prise en charge
Rev. Rep., 2021.
des altérations de l’activité des cellules immu- de l’endométriose passait très souvent par la
nitaires chez les patientes. En particulier, les chirurgie, après un diagnostic fondé sur une lapa- C. Chapron et al.,
risques de développer une endométriose et une roscopie. L’imagerie diagnostique a depuis fait Rethinking mechanisms,
maladie auto-immune sont liés. La logique sous- d’immenses progrès. Avec une meilleure prise en diagnosis and management
of endometriosis, Nat. Rev.
jacente est patente/: les maladies auto-immunes compte de la pathologie, les examens cliniques Endocrinol., 2019.
(comme le lupus, la sclérose en plaques, la poly- constituent un troisième pilier diagnostique, et
arthrite rhumatoïde, la sclérodermie, certaines c’est là que la génétique peut apporter sa contri- L. Vassilopoulou et al.,
hypothyroïdies) affectent en majorité les bution, grâce à la connaissance de variants de Defining the genetic
profile of endometriosis,
femmes (sans qu’une raison définitive soit prédisposition, mais aussi de biomarqueurs faci-
Exp. Therapeut. Med., 2019.
actuellement avancée) et impliquent une lement accessibles dans les liquides biologiques
attaque des tissus du soi par le système immu- des patients (plasma, urine, etc.). Ces différents M. Peyneau et al., Role of
nitaire. Les lésions d’endométriose portent bien outils diagnostiques combinés devraient à terme thyroid dysimmunity and
sûr des antigènes du soi (des molécules qui permettre de prédire l’évolution de la maladie et thyroid hormones in
endometriosis, PNAS, 2019.
attestent qu’elles font partie de l’organisme). Or de planifier un calendrier de soin adapté à chaque
chez la majorité des patientes atteintes de la patiente, dans un projet personnalisé de vie de A. L. Shafrir et al., Risk
maladie, elles sont elles aussi détruites. femme incluant l’hormonologie, la gestion de la for and consequences of
Des défauts du système immunitaire inter- douleur et de l’infertilité, et la chirurgie. Tout endometriosis": A critical
epidemiologic review, Best
viendraient donc peut-être à plusieurs étapes. récemment, Sofiane Bendifallah, à l’hôpital
Pract. Res. Clin. Obstet.
D’abord, les systèmes de surveillance dans Tenon, et ses collègues ont proposé d’utiliser une Gynaecol., 2018.
l’utérus seraient mis en échec, autorisant des combinaison de 109 microARN quantifiés dans
fragments d’endomètre à s’installer par la salive des patientes pour prédire l’endomé- T. Zhang et al., The link
exemple sur l’ovaire ou le péritoine. Puis ces triose. Bien qu’encore préliminaire, elle offre un between immunity,
autoimmunity and
cellules ectopiques induiraient une cascatelle aperçu des outils qui un jour seront disponibles endometriosis": A literature
d’activations de cytokines, accompagnée d’un et réduiront considérablement l’errance diagnos- update, Autoimmun.
affadissement de la réponse de différents tique des patientes. Rev., 2018.

POUR LA SCIENCE N° 536 / JUIN 2022 / 65

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