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BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE

SECTION PSYCHOLOGIE
dirigée par Paul FRAISSE, Professeur il la Sorbonne

PSYCHOLOGIE
DU TEMPS
par

PAUL FRAISSE
Professeur à la Sorbonne
Directeur de l'Institut de Psychologie
de l'Université de Paris

DEUXIÈME ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1967
DÉPOT LÉGAL
1 re édition .... 3" trimestre 1957 i
2e - augmentée leT - 1967
TOUS DROITS
de traduction, de reproduction et d'adaptation I
réservés pour tous pays
Presses Universitaires de France
(: 1957,
A ma, femme
Avant-propos de la deuxième édition

Les études sur les problèmes psychologiques du temps ont pris


depuis dix ans un nouvel essor. Il était impossible de rééditer
l'ouvrage antérieur sans une révision profonde.
Nous avons conservé l'architecture générale mais nous avons
intégré de très nombreux résultats nouveaux et nuancé quelque
interprétations.
Nous avons été grandement aidé dans cette révision par
Madeleine Léveillé qui a revu les épreuves, les références et réalisé
les Index. Qu'elle en soit remerciée en cette première page.
P. F.
INTRODUCTION

L'homme vit dans le changement. Avant de savoir qu'il


change lui-même, il est le spectateur d'une universelle trans-
formation. Les nuits succèdent aux jours, le beau temps au
mauvais, les hivers aux étés. Des animaux naissent, meurent ;
rien n'arrête le courant de la rivière et l'érosion de la roche.
Tout est entraîné par le changement, y compris l'homme.
Sa vie biologique, psychologique et sociale est tout entière
changement.
Mais, à la différence des autres êtres, l'homme sait qu'il vit
dans le changement. Il peut le reconstituer par la mémoire et
en découvrir les lois pour prévoir les successions futures. Ainsi
il apprend très tôt à utiliser le devenir au lieu de le subir
seulement. '
L'expérience de successions dont les unes sont périodiques,
les autres non, de changements continus et disco.ntinus, de
renouvellements entrelacés, de permanences relatives, explique
sans doute la naissance de l'idée de temps. Peut-être
explique-t-elle aussi le mot lui-même. En effet le mot temps
est employé couramment, même dans une langue aussi évoluée
que la nôtre, pour indiquer les moments du changement :
« faire chaque chose en son temps », « n'être pas de son temps »,
« de tout temps ». Plus concrètement encore, le temps c'est
« le temps qu'il fait », c'est-à-dire les états successifs de l'atmo-
sphère. Ce dernier sens confond, comme le mot latin tempus,
le temps qu'il fait et le temps qui s'écoule. D'autre part, il
manifeste la primauté, dans notre expérience, des rythmes du
jour et de la nuit, ce que soulignait déjà la racine sanscrite du
mot temps, qui signifiait éclairer, brûler. D'autres expressions
temporelles ont facilement ce même double sens : ainsi le jour
désigne la clarté, et la durée de l'éclairement par le soleil, que
l'on oppose à la nuit (Regnaud, 1885). Dès l'origine donc, le
sens concret a été lié au sens abstrait, et cette liaison est encore
vivante de nos jours.
P. FRAISSE 1
2 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

*
* *
Au cours des âges, l'effort des hommes a tendu à la maîtrise
des conditions fondamentales de leur existence. Les change-
ments périodiques -- jours, lunaisons, retours annuels des
saisons - ont offert à la fois un cadre naturel permettant de
situer tous les autres et un moyen de mesure. Les savants se
sont efforcés de scruter ces retours périodiques, de les accorder
entre eux dans un effort millénaire, qui ne peut être dit achevé
puisque nous perfectionnons sans cesse nos moyens de mesurer
l'heure et la seconde (1) et que la réforme du calendrier est à
l'ordre du jour des Nations Unies. Les sages et les moralistes,
attentifs à l'angoisse des hommes devant leur propre devenir
et son terme inéluctable, se sont interrogés sur le sens même
du changement à l'échelle de l'homme, des sociétés et du monde.
Enfin les philosophes, partant d'une idée du temps devenue de
plus en plus abstraite, en ont étudié la nature. L'histoire du
temps se confond ainsi avec l'histoire de la pensée humaine.
De quelle façon la pensée occidentale a-t-elle abordé le
problème ? On sait que les philosophes ne se sont pas préoccupés
du tout de l'origine de l'idée de temps, ni de sa nature en tant
qu'idée, mais plutôt de la réalité à laquelle elle pouvait corres-
pondre. Quel est le rapport du temps et de ses apparences avec
le mouvement ? Est-il éternel ou non ? Existe-t-il en dehors
d'un esprit qui unit l'antérieur et le postérieur ? Cette recherche
n'est pas épuisée. Comme celle des moralistes à laquelle elle
est étroitement liée, elle se renouvelle à chaque époque. La
pensée platonicienne concevait le temps comme l'image mobile
de l'éternité se déroulant dans un monde dominé par un retour
cyclique des changements. La pensée judéo-chrétienne a été
modelée par la révélation d'un monde créé avec son temps où
se joue l'histoire de la faute et du rachat ; elle s'achève en une
eschatologie, et, dans la cité de Dieu, le temps retourne à l'éter-
nité. Le monde moderne a découvert l'ancienneté illimitée de
son histoire ; les lois de l'évolution, que les réussites du progrès
technique lui suggèrent d'extrapoler à celles des sociétés

(1) La douzièmeconférencegénéraledes poidset mesuresa admis,en 1964,


que la mesurede la secondedevraitêtre fondéedésormaisnon plussur le mouve-
mentdesastres,maissur lesphénomènes La précisionserade dix
intra-atomiques.
à cent fois supérieure.
INTRODUCTION 3

humaines, ont engendré les conceptions immanentistes du


temps : ce dernier devient alors le lieu du progrès indéfini réalisé
par l'engagement des hommes.
L'ère critique de la philosophie qu'a ouverte la réflexion de
Descartes a posé à l'homme des questions d'une autre sorte.
D'où nous vient cette idée de temps et quels sont ses rapports
avec nos expFriences immédiates ? Ce problème épistémolo-
gique allait déboucher sur des questions proprement psycho-
logiques. Non certes que les hommes et a fortiori les philosophes
et les moralistes ne se soient pas toujours posé des problèmes
psychologiques. Leurs oeuvres sont pleines de notations vécues ;
un historien remarquerait aisa;ment que leurs conceptions philo-
sophiques ont correspondu à leur manière même de vivre le
temps. Mais, à partir du moment où la réflexion se centre sur
l'origine et la portée de l'idée de temps, les perspectives s'éloi-
gnent d'une méditation sur Dieu et le monde, pour se tourner
vers l'homme et en particulier vers les lois qui régissent son
esprit.
Tous les philosophes - y compris Kant - qui se sont inter-
rogés sur l'origine de notre idée de temps ont été unanimes à
reconnaître qu'elle venait du changement. Aristote avait déjà
noté « que le temps... n'existe pas sans le changement » (Phy-
sique, IV, p. 149). Mais de quel changement s'agit-il ? De celui
de nos sensations ou de celui de nos pensées ? La réponse à
cette question est liée à la conception même que chaque philo-
sophe se fait de l'idée.
Condillac représente, on le sait, une tentative d'empirisme
intégral. Sa statue « n'aurait jamais connu qu'un instant, si le
premier corps odoriférant eût agi sur elle d'une manière uni-
forme, pendant une heure, un jour ou davantage... Il n'y a a
donc qu'une succession d'odeurs transmises par l'organe ou
renouvelées par la mémoire qui puisse lui donner quelque idée
de durée » (Traité de.csensations, éd. de 1921., p. 85) (1). Hume
a le même mouvement de pensée. « Un homme plongé dans un
profond sommeil ou fortement occupé d'une seule pensée est
insensible au temps... Chaque fois que nous n'avons pas de
perceptions successives, nous n'avons pas de notion de temps,

(1) Cette citation, commeplusieursde cellesqui survent,est empruntéeà


l'ouvragede Sivadjian,Le temps(1938),où est réuni un ensembleconsidérable
de textes sur le temps.
4 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

y eût-il même une succession réelle dans les objets... Le temps


ne peut faire son apparition ni tout seul ni accompagné d'un
objet constant et invariable, mais se laisse toujours découvrir
à quelque succession perceptible d'objets changeants » (Traité
de la nature humaine, t. II, p. 52).
Par contre, Descartes pense trouver dans notre expérience
intérieure l'origine de notre idée de temps, qu'il ne distingue
pas de celle de durée. « ... Quand je pense que je suis mainte-
nant, et que je me ressouviens outre cela d'avoir été autrefois
et que je conçois plusieurs diverses pensées dont je connais le
nombre, alors j'acquiers en moi les idées de la durée et du
nombre, lesquelles peu après je puis transférer à toutes les
autres choses que je voudrai » (Troisième Méditation, oeuvres,
t. I, p. 66). Locke dit de même : « Car tandis que nous pensons
et que nous recevons successivement plusieurs idées dans notie
esprit, nous connaissons que nous existons ; et ainsi la conti-
nuation de notre être (c'est-à-dire notre propre existence) et la
continuation de tout autre être, laquelle est commensurable
à la succession des idées qui paraissent et disparaissent dans
notre esprit, peut être appelée durée de nous-mêmes et durée
de tout autre être coexistant avec nos pensées. » « Un homme
isolé de tout mouvement arriverait à se former quand même
l'idée du temps par la seule connaissance de la succession de
ses idées » (Essai sur l'entendement humain, pp. 3 et 7).
En présence d'une telle conception, les empiristes se sont
demandé comment cette idée de temps, née de la vie de la
pensée, pouvait s'appliquer au monde extérieur. Hume pose le
problème : « Les idées représentent toujours les objets ou les
impressions d'où elles dérivent et ne sauraient jamais sans fiction
en représenter d'autres ou s'y appliquer » (ibid., pp. 54-55).
Condillac raille : « Vous appliquez votre propre durée à tout ce
qui est hors de vous et vous imaginez par ce moyen une mesure
commune et commensurable, instant pour instant, à la durée de
tout ce qui existe. N'est-ce donc pas là une abstraction que vous
réalisez ? » (De l'art de penser, p. 149). Inversement, une position
totalement empiriste, comme celle de Condillac ou de Hume,
mène à un relativisme extrême, l'idée n'étant alors que le
double de nos expériences sensibles.
On sait comment Kant, devant la nécessité de retrouver
un seul temps qui fonde les lois de la science, a postulé qu'il ne
INTRODUCTION à

pouvait être qu'une forme pure de l'intuition sensible. Pour luii


l'unité du temps ne peut surgir de la diversité des sensations,
mais seulement de la manière dont l'esprit lie cette diversité.
Sa critique est valable contre toute tentative d'atteindre un
temps absolu des choses ou du moi. Mais ce serait évidemment
faire un contresens de penser que Kant croit à l'innéité du
concept de temps. Ce dernier, en tant que concept, est « acquis,
non pas en le tirant d'une sensation quelconque des objets
(car la sensation donne la matière mais non pas la forme de la
connaissance humaine) mais de l'opération de l'esprit lui-même,
conformément à la loi perpétuelle qui en règle les sensations »
(Kant, Dissertation de 1770, citée par Sivadjian, ibid., p. 164).
Ce qui est inné, c'est la possibilité de se représenter les ding-
rentes sensations sous la forme des relations temporelles. Le
concept du temps est idéal parce qu'il n'est pas abstrait de
l'expérience, mais il ne se dégage que par l'activité du sujet
Telle est au moins la conception retenue par Havet, le plus
récent commentateur de Kant. Celui-ci en effet ne s'est guère
expliqué - ce n'était pas son but - sur les processus mêmes
de la genèse de notre idée de temps.
Kant a eu le grand mérite de montrer que notre idée de
temps n'était pas un décalque des choses, mais une manière
de les considérer. Il a ainsi déblayé le terrain pour les psycho-
logues en les détournant de la recherche d'une réalité en soi
et en les invitant à voir l'origine de l'idée de temps dans l'acti-
vité même de l'esprit qui pense et unit les divers changements.
La Critique a d'autre part influencé indirectement les réflexions
ultérieures. En faisant du temps une forme de la sensibilité,
Kant a déplacé le problème. Les philosophes, puis les psycbo-
logues, se sont après lui moins préoccupés de l'idée de temps
que de la conscience que nous prenons du temps.
L'ère postkantienne a vu le problème dériver peu à peu
du plan épistémologique au plan psychologique. La question
n'est plus tant de savoir à quelle condition la notion de temps
peut fonder la science que de rechercher la genèse empirique
de notre notion du temps et plus généralement de notre prise
de conscience des deux aspects fondamentaux de cette notion :
la succession et la durée. Partout, mais surtout en Allemagne,
cette réflexion se situe par rapport à Kant. Certes, souvent, les
auteurs confondent l'apriorisme métaphysique qui était la
6 1':-; \'CTT()f,O(; IT'; [H
7'reps

vraie position de Kant avec un innéisme, et ils accumulent de;


arguments contre l'hypothèse selon laquelle le temps serait une
intuition a priori. Cependant, même pour eux, un point semble
acquis : la succession des sensations ou des pensées ne suffit
pas à donner l'idée de succession. Celle-ci ne peut naître que de
la saisie d'une relation. A partir du xixe siècle, cette relation
est cherchée entre les différentes représentations que nous
pouvons nous former de la réalité : en effet, à côté des percep-
tions qui, à elles seules, ne pourraient nous fournir plusieurs
éléments de la succession, puisque chacune se situe dans
l'instant, nous avons, grâce à la mémoire, des images. Par suite
des lois de l'association, ces images reproduisent la série des
événements vécus et nous permettent de prendre conscience
des relations de l'avant et de l'après qui les unissent. Le fait
même que la mémoire et l'association soient constamment
invoquées montre assez que le problème à cette époque est de
plus en plus posé en termes psychologiques (1).
Les relations entre image et sensation ou entre plusieurs
images sont évidemment envisagées de façon différente par
les théoriciens de cette époque. Pour Herbart par exemple, si,
après une série de représentations a, b, c, d, e, l'élément « a »
se présente de nouveau à la conscience, il évoque les autres
éléments b, c, d, e, qui lui ont été associés. Il y a donc une présen-
tation de la succession, c'est-à-dire un changement dû à un
processus d'évolution. Si c'est «e»» qui se trouve à nouveau donné,
il évoque par un processus d'évolution « d », puis « c », puis
« b », etc., mais chaque élément apparaît d'autant moins net
qu'il est plus éloigné du premier ; dans cette sériation, les éla-
ments ne sont plus donnés avec la même clarté. Chacun des
processus comporte donc une présentation simultanée des
deux éléments terminaux de la série, et de la combinaison des
deux processus se dégage une perception complète du temps
(d'après Nicols, 1890).
Le temps n'est possible, pour Spencer, que par l'établisse-
ment d'un rapport entre des états de conscience. La naissance
de la conscience du temps est la conscience de la différence des

(1) Nichols, dressant en 1890 une revue des positions contemporaines sur la
psychologie du temps, s'étonne de ce que Kant ne fasse pas une fois allusion aux
processus mnémoniques dans l'Esthétique transcendantale. C'est que précisément
Kant ne s'attachait pas à la psychologie.
I7V l'ROD UC'7'ION 7

positions des impressions successives par rapport à l'impression


que j'éprouve actuellement, différence qui naît du seul fait que
j'ai conscience que ces impressions n'existent pas toutes
ensemble. Mais la perception de ces rapports de position
n'est que la matière première qui nous sert à construire l'idée de
temps. En définitive, celle-ci est bien l'idée d'un rapport de
positions, mais dissociée de toutes les positions particulières.
D'après Wundt, la simple répétition d'un son suffit à fournir
tous les éléments de la perception du temps. Quand le second
son se produit, il reproduit en un sens le premier dont l'image
est encore présente. Ainsi l'évocation du premier son par le
second fournit le début, la perception du second la fin, et la
persistance de l'image la longueur de l'intervalle. Une série de
faits de conscience entraîne donc une relation temporelle parce
qu'entre eux il y a toujours un grand nombre de représentations
durables. Le temps naît à la fois de cette succession et de la
relative simultanéité des formations psychiques.
Guyau également est représentatif de cette école de pensée,
mais sa conception est plus dynamique. Il recherche quels sont
les éléments de l'expérience du temps. Il en distingue deux :
le lit du temps, formé par la suite de nos représentations qui
tendent à s'effacer à mesure qu'elles deviennent plus lointaines,
et le cours du temps, c'est-à-dire la perspective qu'introduisent
entre nos représentations le désir et l'effort. La conscience du
temps naît de l'association d'images variées de degrés différents
à des faits intérieurs liés à l'affectivité.
Le fait commun à tous les auteurs de cette époque est qu'ils
cherchent à expliquer notre idée de temps à partir de l'analyse
de nos états de conscience. En ce sens, si paradoxal que paraisse
ce propos, Bergson, dont la visée est plus métaphysique que
psychologique, n'a cependant pas une approche essentiellement
différente : lui aussi s'adresse à notre expérience intérieure,
mais au lieu d'y découvrir la multiplicité, il y aperçoit l'unité
intuitive de la durée homogène du moi où se pénètrent intime-
ment des états qui ne nous apparaissent successifs que parce que
nos sensations successives « retiennent quelque chose de l'exté-
riorité réciproque qui en caractérise objectivement les causes o
(Essai sur les données immédiates de la conscience, 19e éd., 1920,
p. 95). Cette démarche réflexive, tout à la fois psychologique
dans ses analyses et philosophique dans sa visée, est toujours
8 YSY(:HOI?IIGIr'UU 7'EMPS

actuelle et elle peut être considérée comme une attitude per-


manente de l'esprit humain.
De nos jours, elle est surtout repiésentée par l'école phéno-
ménologique, qui, partant de notre expérience, essaye par une
réduction transcendantale de la dépouiller de tout ce qui est
contingent et de n'en retenir que la signification essentielle.
Les phénoménologues se sont justement beaucoup préoc-
cupés de l'analyse du temps. Husserl (1928), Heidegger (1927),
Merleau-Ponty (1945), Berger (1950) ont fait ressortir que le
temps n'est pas un objet, qu'il ne peut donc être ni une donnée,
ni un contenant, ni un contenu. Le fait essentiel pour eux est
la temporalité de la conscience que nous révèle notre unique
expérience, celle du présent : celui-ci en effet n'existe qu'avec
ses horizons puisqu'il est le présent d'un être en devenir. La
conscience déploie le temps qui apparaît ainsi comme une
dimension de notre être.

*
* *
A partir du milieu du xixe siècle, nous assistons à la
naissance d'une toute nouvelle approche du problème du
temps : l'étude empirique de la précision avec laquelle les
hommes perçoivent le temps. Sous l'influence de la psycho-
physique dont Fechner vient de mettre au point les méthodes,
là psychologie du temps se transporte au laboratoire. Les
premiers expérimentalistes se posent les problèmes classiques
de la psychophysique : la loi de Weber s'applique-t-elle au
temps ? Y a-t-il des erreurs constantes dans la perception du
temps ? Quelle est l'influence du contenu des intervalles tem-
porels sur la durée perçue, etc. ? En Allemagne les travaux se
multiplient (Mach, 1865 ; Vierordt, 1868 ; Kollert, 1883 ;
Mehner, 1883 ; Estel, 1885 ; Glass, 1887 ; Ejner, 1889 ; Muns-
terberg, 1889 ; Meumann, 1893-1896 ; Schumann, 1898). Au
début, ils se situent sur deux plans à la fois. D'une part, au
moyen d'expériences, les psychologues recherchent ce que le
sujet perçoit en l'étudiant à travers ce qu'il fait (reproduction
par exemple) ou ce qu'il dit (comparaison). D'autre part,
comme les philosophes de leur époque, ils essayent d'atteindre,
dans des protocoles introspectifs, les fondements de la conscience
du temps. Le fait nouveau est que les expérimentalistes ne se
INTRODUCTION 9
zu

contentent plus de leurs observations personnelles, mais qu'ils


s'appuyent sur celles de leurs « sujets », le plus souvent choisis
parmi des assistants ou des collaborateurs.
Ces deux approches peu à peu se dissocient. Les travaux
proprement introspectifs qui voudraient atteindre des contenus
premiers, des expériences immédiates, se perdent dans le byzan-
tinisme. L'introspection a beau se faire plus systématique avec
l'École de Würzbourg, elle découvre que l'essentiel de la per-
ception échappe justement à l'introspection. Par contre, de
plus en plus se révèlent la cohérence et la fécondité des résultats
proprement expérimentaux. Les psychologues, en outre, ne se
contentent plus d'étudier la perception du temps chez des
adultes cultivés, mais étendent leurs investigations aux animaux,
aux enfants, aux malades mentaux. Si ces cas permettent d'étu-
dier la perception grâce aux techniques du conditionnement ou
même à travers des réponses verbales, ils interdisent en revanche
l'évocation par le sujet d'une expérience consciente. De plus
en plus s'impose un point de vue qui était implicite dès les
premières expérimentations : l'important est d'étudier ce que
l'homme fait en réaction aux situations dans lesquelles il se
trouve.
En dépit du simplisme des premiers behavioristes, la psycho-
logie tout entière se transforme en science des conduites
humaines dans le premier quart du xxe siècle. En ce qui
concerne le temps, l'orientation de la psychologie nouvelle
s'est trouvée fixée par la conférence d'Henri Piéron au Congrès
international de Psychologie d'Oxford en 1923 et par le cours
que fit Pierre Janet au Collège de France en 1927-1928 sur L'évo-
lution de la mémoire et de la notion du temps. Piéron ne se préoc-
cupait que d'explorer les problèmes psychophysiologiques de
la perception du temps. Mais, à ce propos, il a été amené à définir
une méthode générale : ces problèmes doivent être abordés
« sur le terrain objectif de l'analyse de la conduite humaine
vis-à-vis du temps » (1923, p. 1) (1).
P. Janet, avec son originalité habituelle, a renouvelé les
perspectives de l'étude du temps. Son premier cours affirmait

(1) Cette orientation était féconde, non seulement pour l'étude des problèmes
perceptifs, mais aussi pour celle de nos attitudes les plus personnelles, comme
Piéron lui-même devait l'illustrer en 1945, dans une nouvelle conférence faite devant
l'Association française pour l'Avancement des Sciences.
10 1)(i TEi\1P8

que la psychologie a mieux à faire que de se centrer sur l'étude


de la pensée ; elle doit partir de l'action. La seule question à se
poser est la suivante : « Quelles sont nos actions sur le temps ? »
Selon lui, le premier acte relatif au temps est la conduite
d'effort d'où naît le sentiment de la durée, comme il naîtra
aussi de la conduite d'attente. Ce sentiment n'est pas une action
primaire mais une régulation de l'action, due à la nécessité de
nous adapter aux changements irréversibles. Ainsi, si nous
rencontrons une personne qui nous apparaît plus vieille qu'à
notre précédente entrevue, nous prenons conscience qu'il s'est
(?coul?,du temps entre ces deux rencontres. La notion d'un
temps universel et homogène dans lequel se situent tous les
changements est elle-même le résultat d'une conduite de type
social : elle s'impose comme le cadre d'ensemble grâce auquel
se crée une uniformité entre toutes ces durées individuelles qui
sont évidemment, à l'origine, hétérogènes les unes aux autres.
Ce n'est pas le moment de développer et de discuter la
théorie même de P. Janet. Soulignons seulement l'originalité
de sa visée. Le problème psychologique n'est plus de savoir ni
ce qu'est le temps, ni la nature de notre idée de temps, ni
même de saisir sa genèse dans quelque intuition ou quelque
construction de l'esprit, mais de comprendre comment l'homme
réagit à la situation qui lui est faite de vivre dans le changement.
Les données de la conscience, loin d'être méconnues, y retrou-
vent leur signification réelle. Elles ne sont pas en effet quelque
décalque de la réalité, mais « un ensemble de signes, de formules
et d'interprétations commodes » (Wallon, 1930, p. 326), qui se
développent dans l'action même et qui, en retour, servent de
guide à notre activité à mesure que nous en prenons conscience.

*
* *
Notre propre travail s'inscrit dans cette perspective. Sous
la dénomination de « conduites temporelles », nous nous pro-
posons d'étudier les différentes manières dont l'homme s'adapte
aux conditions temporelles de son existence.
Ces conditions temporelles, en première analyse, se ramènent
toutes au fait que nous vivons dans des milieux physique,
technique et social qui se modifient d'une manière incessante.
Non seulement nous subissons ces changements, mais nous les
TNTRonrrCTTON 11
zu

créons car notre propre activité n'est elle-même qu'une suite


de changements.
Sans préjuger de leur signification ultime, il apparaît que
les changements, qu'ils soient continus ou discontinus, pério-
diques ou non, ont tous un double caractère. Là où il y a chan-
gement, il y a succession de phases d'un même processus ou
de divers processus concomitants. D'autre part, la succession
implique à son tour l'existence d'intervalles entre les moments
successifs. Ces intervalles sont plus ou moins longs ; nous disons
qu'ils sont plus ou moins durables, en considérant ce qui en
eux demeure relativement inchange. Ainsi parlons-nous de la
durée du jour pour désigner la clarté qui s'étend entre la fin
d'une nuit et le début de la suivante.
Phases successives et intervalles sont évidemment relatifs
au contenu du changement et à l'aspect sur lequel on fait, de
préférence, porter son attention. Le jour est un intervalle entre
deux nuits mais, dans le jour même, je puis distinguer des
changements où se retrouvent successions et intervalles. L'im-
portant est seulement de remarquer que ce double caractère
est manifeste, quels que soient le phénomène observé et l'échelle
à laquelle on le considère.
A ces conditions temporelles, nous réagissons de manières
très différentes. Il est possible de distinguer parmi nos réactions
trois groupes principaux qui correspondent à trois niveaux
d'adaptation : 1° Le conditionnement aux changements ; 20 La
perception des changements; 30 La maîtrise des changements (1).

10 LE CONDITIONNEMENT AU TEMPS

Le premier niveau de l'adaptation se situe sur un plan bio-


logique qui est commun à l'animal et à l'homme. Les change-
ments auxquels nous sommes soumis, à condition qu'ils aient
quelque régularité, engendrent, par conditionnement, des chan-
gements synchrones de notre organisme.

(1) Nous excluons de l'objet de ce travail nos réactions à notre propre change-
ment à long terme, c'est-à-dire aux différents âges de notre vie. Cette étude ouvri-
rait une tout autre série de problèmes. Il y a en effet une psychologie de l'enfance,
de l'adolescence, de la maturité, de la vieillesse, qui traite précisément des réactions
propres à chaque âge face à son propre changement. Par contre, nous envisagerons
systématiquement la manière dont nous nous adaptons aux changements de notre
environnement à chaque âge de la vie.
12 l'S )ClIOLOGΠDU 'l'EIlIPS

Si les changements sont périodiques - et parmi ceux-ci


le plus important pour l'homme est le cycle nycthéméral -, ils
donnent naissance à des activités de notre organisme qui ont
la même période. Leur régulation, d'abord exogène, devient
peu à peu endogène, de telle sorte qu'ils dépendent relativement
peu du milieu. Cette correspondance a pour effet d'harmoniser
notre vie avec les changements les plus importants de l'envi-
ronnement. En outre, les modifications de notre organisme,
devenues périodiques, constituent une véritable horloge phy-
siologique, que l'homme - comme l'animal - utilise pour
son orientation temporelle, surtout quand lui font défaut les
repères fournis d'ordinaire par les changements de son envi-
ronnement (chap. I).
Ces montages physiologiques apparaissent aussi dans les
conditionnements retardés par lesquels les animaux s'adaptent
à l'intervalle régulier qui sépare deux ou plusieurs changements.
De même, le conditionnement instrumental révèle que l'animal
est capable d'apprendre à tenir compte pratiquement d'un
intervalle.
Chez l'homme, ces enregistrements de la durée au niveau
des réactions biologiques jouent aussi un rôle, mais il est le
plus souvent masqué par les appréciations conscientes de la
durée (chap. II).

2° LA PERCEPTION DU TEMPS

Dans des limites temporelles étroites sans doute, mais d'une


grande importance pratique, nous percevons des changements.
Cette perception se caractérise par une iniégration des stimu-
lations successives qui permet de les saisir dans une relative
simultanéité : les rythmes ou les propositions du langage en
sont un exemple manifeste. Cette simultanéité définit le présent
psychologique, à l'intérieur duquel nous percevons les caractères
fondamentaux des changements : l'ordre des stimulations et
l'intervalle qui les sépare (chap. III).
Dans quelles conditions est-il possible, au sein du présent
psychologique, de passer de la perception de l'instantané à
celle du durable, et de la simultanéité au successif ? C'est là
l'objet de notre chapitre IV.
Quelles sont les modalités de notre perception de la durée ?
INTRODUCTION 13

On ne peut les préciser qu'en étudiant les rapports de la durée


perçue avec la nature de ce qui change et la structure des pro-
cessus intégratifs de la succession (chap. V).

LA MAITRISEDU TEMPS

La pelception ne nous permet de saisir que les changements


contemporains. L'homme échappe à cette limite parce qu'il est
capable de se représenter ces changements ; il peut ainsi se
situer par rapport à eux, les mettre en relation et les utiliser,
dans une certaine mesure, à son avantage.
Grâce à la mémoire, nous pouvons reconstituer la succession
des changements vécus et anticiper les changements à venir.
L'homme acquiert ainsi un passé et un avenir, c'est-à-dire un
horizon temporel par rapport auquel son action présente prend
tout son sens (chap. VI).
La durée proprement dite se révèle à notre conscience à
partir de nos sentiments du temps, qui se ramènent essentielle-
ment au sentiment d'un obstacle : l'intervalle entre ce que nous
faisons et ce que nous voudrions faire dans un avenir rapproché.
D'autre part, cette durée est appréciée directement à partir
du nombre des changements que nous y avons remarqués
(chap. VII).
La constitution d'un horizon temporel et l'appréciation de
la durée n'impliquent pas une mise en relation complète de
toutes les données d'ordre et de durée qui restent encore très
intuitives. Cette relation se réalise à un niveau supérieur au
moyen d'opérations intellectuelles qui sont à l'origine de notre
notion du temps, trame abstraite de tous les changements.
Nous pouvons alors mesurer le temps, reconstituer et utiliser
le devenir sans être liés par ses qualités apparentes et en parti-
culier par l'irréversibilité de l'ordre vécu (chap. VIII).

*
* *
Justine) notre classification des conduites temporelles dès
à présent serait anticiper sur tous les chapitres à venir. 11 est
cependant utile, pour mieux faire ressortir la nature de notre
démarche, de situer brièvement notre classification par rapport
à celles qui ont été le plu> souvent proposées.
14 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
.- - .--

Écartons d'abord toutes les classifications qui partent des


différentes catégories du temps : temps physique, temps bio-
logique, temps psychologique;'temps social, etc. Elles décrivent
les différentes séries des changements, elles ne sont pas faites
d'un point de vue psychologique.
Dès que des psychologues ont abordé le problème du temps,
on a vu naître une distinction fondamentale entre une expé-
rience primaire de la durée, attribuée à un « sens du temps »,
et notre idée rationnelle du temps. Cette distinction a été à la
fois reprise et transformée par Bergson, chez qui elle est
devenue l'opposition entre la durée vécue et la durée pensée.
Dégagée de ses implications métaphysiques, elle se retrouve,
avec des nuances, dans tous les traités de psychologie, et en
particulier dans les travaux de pathologie mentale (Straus,
Minkowski, Ehrenwald).
Les classifications qui partent d'une telle distinction sont
liées à une psychologie qui n'étudie que les données de la
conscience. En effet, elles opposent les manières dont nous
croyons saisir le temps. Elles sont donc insuffisantes dans le
cadre d'une psychologie de la conduite qui, comme on le sait,
considère que nos prises de conscience ne sont qu'un moment
- essentiel parfois - de nos actes. Sans doute nous mettrons à
profit, dans notre recherche, les analyses qu'a suggérées la
distinction entre le temps vécu et le temps pensé, mais l'angle
de vue sous lequel nous les envisagerons, c'est-à-dire l'adap-
tation aux changements, leur prêtera une autre signification.
De plus, la distinction précédente, en se limitant aux états
de conscience, méconnaît nos adaptations de type biologique
ainsi que leurs conséquences sur le plan proprement psycho-
logique. En revanche, ces adaptations, après avoir été étudiées
par des psychophysiologistes, comme Pavlov et Piéron, figu-
rent dans la classification proposée par le neuropsychiatre
allemand Kleist (193,1,).S; fondant sur la diversité des centres
nerveux impliqués dans les troubles pathologiques relatifs au
temps, Kleist distingue : 10 1,'enregistrement du temps, base
de l'orientation temporelle, qui dépend des noyaux et des
centres végétatifs de l'hypothalamus : 2° L'appréciation de la
longueur du temps qui pourrait être liée à l'activité des centres
vestibulaires ; 3° La saisie des structures temporelles qui est
en rapport avec les centres corticaux.
INTRODUCTION 1.5
-

Cette classification est très intéressante et recoupe la nôtre


en plusieurs points. Toutefois, outre que le rôle des centres
vestibulaires dans l'appréciation de la durée n'a pas été confirmé,
elle a l'inconvénient de ne pas distinguer assez les conduites
qui dépendent d'une manière étroite de l'activité du cortex
cérébral, par exemple la perception des structures temporelles,
et l'élaboration de la représentation du temps qui, elle, ne
peut être étroitement localisée.
Notre propre démarche est plus fonctionnelle. Nous nous
sommes proposé de différencier nos processus d'adaptation aux
changements en nous appuyant sur des critères tirés de la
physiologie, de la pathologie, de la psychologie génétique, aussi
bien que de l'analyse des fonctions psychologiques. Mais, tout
en utilisant ces diverses disciplines, nous sommes resté fidèle
à la méthode de la psychologie du comportement ; à travers
elles, nous avons cherché à cerner ce que l'homme fait pour
connaître le temps, l'utiliser et se situer dans l'universel chan-
gement qui l'entraîne.
PREMIÈRE PARTIE

LE CONDITIONNEMENT AU TEMPS

Les changements du monde extéiieur ne provoquent pas


seulement des réactions qui répondent immédiatement à cha-
cune de leurs phases. L'ordre et la périodicité de ces change-
ments induisent dans les organismes des séquences de modi-
fications physiologiques et de comportements qui présentent
les mêmes caractères temporels. Ces séquences sont telles qu'il
suffit qu'un premier changement soit donné pour que tous les
suivants se reproduisent dans le même ordre et aux mêmes inter-
valles temporels. Le temps intervient en ce cas comme un véri-
table stimulus conditionnel.
Sous l'influence des changements périodiques, l'organisme
devient ainsi une véritable horloge physiologique qui fournit
des repères à l'orientation temporelle de l'animal comme de
l'homme (chap. I).
L'aptitude de l'organisme à reproduire des séquences régu-
lières subies ou créées par l'activité du vivant permet l'appré-
ciation de la durée, comme on le constate dans le condition-
nement retardé ou dans le conditionnement instrumental
(chap. II).
Le conditionnement au temps explique comment l'animal
s'adapte aux changements grâce à des conduites temporelles.
L'homme utilise aussi ces montages biologiques dans l'orien-
tation temporelle et dans l'estimation de la durée, mais intégrés
dans des conduites plus complexes où intervient la connais-
sance symbolique des changements.

l'. PHAISSb: 2
CHAPITRE PREMIER

L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES

La plupart des changements de la nature sont périodiques,


et cette périodicité est en relation le plus souvent avec les posi-
tions successives des astres. Marées, nycthémères, lunaisons,
faisons ponctuent le milieu dans lequel vivent les organismes.
Il se trouve que ceux-ci présentent aussi de nombreux phéno-
mènes périodiques : battements du cœur, cycles respiratoires,
rythmes de l'appareil digestif, du sommeil, cycles menstruels,
rythmes saisonniers de la vie végétative, de l'activité sexuelle,
des migrations, etc.
Parmi les phénomènes périodiques de la vie organique, cer-
tains sont endogènes et sans rapport avec les alternances de la
nature. Ainsi en est-il du rythme des ondes cérébrales, de celui
du cœur, et même de celui de la respiration. D'autres change-
ments organiques ont une période qui coïncide avec un phéno-
mène naturel, sans qu'il ait été possible de mettre en évidence
une relation de cause à effet : le cycle menstruel de la femme a
par exemple la même alternance que la révolution de la lune.
Mais il n'est pas exclu que ce qui nous apparaît pure coïnci-
dence soit dû à l'action d'un agent qui n'a pas été encore décou-
vert, ou encore à une rémanescence d'un effet survenu au cours
de l'évolution.
Enfin, 'parmi les activités périodiques des organismes, beau-
coup sont induites par les variations périodiques auxquelles
ces organismes sont soumis, variations de l'éclairement, de la
température, de l'humidité, etc., commandées par les rythmes
du cosmos. Ainsi de nombreux animaux ont une activité diurne
et un repos nocturne. Quelques-uns ont le comportement
inverse. Toute la nature suit le cycle des saisons, en relation avec
les positions relatives de la terre et du soleil. Le fait capital est
2U PS}?CHOLUGIEDU TEMPS

que, non seulement ces rythmes cosmiques commandent des


activités réactionnelles, mais que, dans nombre de cas, ils
engendrent une véritable périodicité qui s'intègre en quelque
sorte à l'organisme des êtres vivants. Celui-ci devient capable
d'anticiper les changements du milieu à tel point que, si on
supprime l'action de l'agent inducteur, les rythmes induits
continuent pendant un certain temps à se produire. D'exogène,
la périodicité est devenue, par induction, endogène.
Empruntons à la psychologie animale deux exemples bien
étudiés pour faire comprendre ce phénomène.
Les Convoluta, ces petits vers plats qui forment de grandes
plaques vert foncé sur le sable humide des plages à marée basse,
s'enfoncent dès que se produit l'agitation de la marée montante.
Ces réactions géotropiques, tour à tour négatives et positives,
synchrones du rythme des marées, ne se produisent pas chez
de jeunes animaux élevés en aquarium (Martin, 1900). Si, par
contre, des vers qui ont subi pendant un certain temps l'action
des marées sont ensuite placés en aquarium, pendant les pre-
miers jours, ils s'enfoncent et ressortent du sable comme s'ils
subissaient encore le jeu des marées (Gamble et Keeble, 1905).
Le ver luisant (femelle aptère de Lampyris noctiluca), qui allume
son fanal la nuit pour appeler les mâles et qui l'éteint le jour,
même si on le place à l'obscurité d'une manière permanente,
continue à ne briller que la nuit pendant quatre à cinq jours.
Peu à peu, dans cette nouvelle situation, l'alternance disparaît
et l'animal reste allumé constamment mais avec une intensité
plus faible (Piéron, 1925).
Ces activités périodiques ne sont donc pas simplement des
réactions réflexes concomitantes à des stimulations liées au
rythme des marées ou du nycthémère, puisqu'elles subsistent
quelque temps encore si on supprime la cause directe. D'autre
part elles ne sont pas d'origine endogène puisqu'elles cessent
peu à peu dès que ces organismes ne subissent plus de change-
ments périodiques. La persistance rythmique, selon l'expression
d'H. Piéron (L'évolution de la mémoire, 1910), apparaît alors
comme un effet de l'expérience et une adaptation par anticipa-
tion aux changements (1). Il s'agit bien là d'une conduite

(1) Ce chapitre doit beaucoup aux travaux d'H. Piéron qui, tout au long de sa
carrière, s'est intéresse à ces phénomènes. Voir en particulier Piéron, 1910, 1937,
t9t5.
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 21
z

temporelle, au sens où nous avons défini ce terme dans l'intro-


duction, puisqu'il s'agit d'une modalité de l'adaptation au
changement. D'ailleurs les auteurs interprètent souvent ces faits
en invoquant un certain « sens du temps ».
Avant de développer toutes les conséquences de ces persis-
tances rythmiques, nous avons à nous demander si ces phéno-
mènes ne sont que curiosités de naturalistes. Nous verrons aisé-
ment leur importance, non seulement chez les animaux, mais
chez l'homme, et nous en chercherons une explication.

LA VARIÉTÉ DES ADAPTATIONS PÉRIODIQUES

Les variations périodiques se rencontrent déjà dans le


règne végétal. De nombreuses fleurs s'épanouissent à des heures
déterminées de la journée. Linné, à partir de cette constatation,
avait planté des Horloges de Flore où chaque heure était
indiquée par des fleurs différentes. Ainsi le liseron des prés
s'ouvre vers 3 h, le nénuphar blanc à 7 h, le souci à 9 h, la
belle-de-nuit à 18 h, etc. (Bonnier d'après Piéron, 1910, p. 51).
Les feuilles des légumineuses ont une position diurne et une
position nocturne. Cette alternance, qui a été étudiée depuis
longtemps, est innée. En effet, si on laisse une plante de haricot,
par exemple, dans des conditions constantes de milieu, et en
particulier à un éclairage continu, elle persiste. Bien mieux,
Bünning (1935) a pu montrer que, si le rythme prédominant
de cette espèce était du type 12-12, cependant certaines variétés
avaient un rythme de 23 h et d'autres de 26 h, la période propre
d'une variété étant constante et transmissible par hérédité.
Mais ce qui est intéressant à notre point de vue, c'est que seule
l'alternance semble être de nature endonome, les variations
propres du nycthémère entraînant la synchronisation propre-
ment dite. En effet, le rythme du mouvement des feuilles peut
être inversé si on utilise un éclairage artificiel pendant la nuit
et qu'on laisse de jour les plantes dans l'obscurité. Cependant
on peut aussi, par des alternances d'éclairage et d'obscurité,
arriver à obtenir des rythmes de 6 h (3-3), de 12 h (6-6) ou même
de 36 h (18-18) (Pfeffer, 1915, d'après Piéron, 1937). Mais si
on replace la plante à éclairage constant, ces rythmes acquis
22 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

s'estompent et c'est la périodicité de 24 h (12-12) qui se mani-


feste à nouveau.
D'une manière plus générale, les expériences de Darwin et
Peitz (citées par Piéron, ibid., 1910) ont démontré la possibilité
d'induire des rythmes persistants chez les végétaux par l'action
périodique de la lumière ou de la pesanteur.
Chez les animaux, les faits sont encore plus frappants et
très généraux. Il n'y a guère d'espèce où on n'ait pu mettre en
évidence des rythmes saisonniers, des rythmes nycthéméraux,
et plus généralement des rythmes circadiens, c'est-à-dire des
rythmes dont la période est d'environ 24 h (Halberg, 1960).
Ces rythmes sont-ils endogènes ou exogènes ? On en dis-
cute beaucoup. Ils persistent le plus souvent après cessation
des stimulations périodiques exogènes. Mais sommes-nous sûrs
de connaître toutes ces stimulations ? Nous pensons toujours
à la lumière, à la température, mais nous sommes aussi sensibles
à la pesanteur et peut-être à des forces magnétiques ou
électrostatiques. D'autre part, ces rythmes existent-ils à la
naissance ? Se développent-ils par maturation ou sont-ils le
produit de l'expérience ? Beaucoup d'auteurs pensent aujour-
d'hui que de nombreux rythmes sont endogènes, tout en subis-
sant dans certaines limites temporelles l'action de « synchro-
niseurs ». L'induction rythmique, dans certains cas, semble
entièrement provoquée par la rythmicité des conditions de
vie, mais la plupart du temps ces conditions ont seulement
pour effet de régler temporellement une nécessaire alternance
de périodes de veille et de sommeil, d'activité et de repos
à laquelle ne peut se soustraire, sous peine de mort, aucun
organisme. Les rythmes nycthéméraux se caractérisent essen-
tiellement par la synchronisation de cette alternance avec la
succession régulière du jour et de la nuit. Cette induction
commence à la naissance de l'animal. Ainsi l'embryon de
poulet n'a aucune activité rythmée et même le jeune poussin
maintenu en lumière constante n'a pas un cycle d'activité
réglé sur le nycthémère. Par contre, s'il est soumis à des alter-
nances d'éclairage et d'obscurité, son comportement suit ce
rythme (Hiebel et Kayser, 1949). La périodicité de celui-ci
ne peut pas cependant être quelconque. De nombreuses expé-
riences ont montré qu'il était plus facile d'adapter les animaux
élevés dans des conditions artificielles à un rythme de. 24 h
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 23
z

qu'à un autre, et plusieurs auteurs, dont Kayser (1952), pensent


qu'il y a une prédisposition héréditaire pour un rythme de
24 h. Celle-ci serait aussi confirmée par le fait qu'il est plus
facile d'inverser le rythme nycthémsral de la température du
pigeon (Kayser, 1952) ou celle de l'activité du rat blanc (Hunt
et Schlosberg, 1939 b) que d'en changer la période. Toutefois,
dans certains cas, on a pu obtenir des rythmes dont la période
est un peu plus longue. Il a été ainsi possible de créer chez des
rats blancs des périodes d'activité de 16 h faisant suite à des
périodes de repos de même durée (Hunt et Schlosberg, 1939 b).
Malgré quelques dressages exceptionnels de ce genre, on
peut affirmer qu'aucun animal n'échappe à la forte emprise du
rythme nycthéméral, sauf peut-être les poissons des grandes
profondeurs : on a pu constater chez eux des phases de sommeil
qui peuvent se succéder à des intervalles très supérieurs à 24 h
(Piéron, 1912). Il n'y a d'ailleurs pas que l'activité ou la
température du corps qui varient quotidiennement. De nom-
breuses activités physiologiques ont un rythme circadien dont
les phases correspondent ou non à celles du nycthémère.
Ces exemples montrent comment la périodicité des change-
ments extérieurs peut moduler temporellement des phases de
l'activité qui, dans leur principe même, correspondent à une
nécessité biologique. A côté de ces rythmes globaux de l'activité,
on constate, en particulier chez les insectes, des activités qui
se reproduisent toujours à la même heure et qui sont entière-
ment le fruit d'une expérience acquise. Si les abeilles trouvent
à la même place et à la même heure de la nourriture pendant plu-
sieurs jours de suite, elles se présentent par la suite tous les
jours à cette même heure ; ce mouvement continue pendant
plusieurs jours après que l'on ait supprimé la nourriture. Le
dressage peut être fait simultanément à plusieurs heures de la
journée (Beling, 1929) ; il peut même réussir si on place de la
nourriture à deux places différentes à quelques heures d'inter-
valle (Wahl, 1932) (1). Ce sens de l'heure se retrouve dans

(1) Grabensberger (1933)avait cru constaterles mêmesfaits chezles fourmis.


MaisReichle,en 1943,a montréquel'activitédesfourmisà la recherchede la nour-
riture était en relationdirecteavecles conûitionsclimatiques.Dobrzanski(1956)
a reprissystématiquement les expériences
de Grabensbergeret il a montréquel'on
trouvaitaprèsl'expositionde la nourritureà une heuredonnée,pendantplusieurs
semaines, en un même lieu,la même densitéde fourmis
à l'heure du dressagequ'à
d'autresheuresde la journée.
24 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

d'autres espèces. Des poissons se rendent tous les jours au


même lieu à l'heure où on les nourrit (Braunschmid, 1930)
et des oiseaux manifestent une recrudescence d'activité peu
avant l'heure de leur repas (Stein, 1951).
Dans tous ces exemples, le déclenchement de l'activité se
fait à un ou plusieurs moments homothétiques du nycthémère,
et il n'est pas exclu a priori que des repères extérieurs puissent
jouer un rôle. Mais si dans la vie normale ces derniers sont uti-
lisés, on a cependant prouvé qu'ils n'étaient pas essentiels.
Ainsi les abeilles ont pu être dressées à venir chercher leur nour-
riture toutes les 21 h, ce qui exclut l'utilisation de repères du
monde extérieur (Beling, 1929). Plus décisive encore est l'expé-
rience de Renner (1955). A Paris, des abeilles ont été entraînées
à venir chercher leur nourriture dans une pièce expérimentale
à une heure déterminée de la journée. Puis entre deux repas
on les a transportées en avion de Paris à New York. Placées
dans une pièce expérimentale identique et privées de nour-
riture, les abeilles se sont présentées les jours suivants pour
chercher de la nourriture à l'heure de Paris sans tenir compte
du décalage d'heure entre Paris et New York. L'expérience
reprise de New York à Paris a donné le même résultat. Elle
prouve que l'abeille est guidée par un repérage interne indépen-
dant des conditions extérieures.
Ce repérage doit être fourni par les variations périodiques
induites dans l'organisme par le rythme nycthéméral. Si on
essaie en effet de dresser des animaux à une période de temps
supérieure à 24 h, il y a échec (Stein, 1951), parce que sans doute
ils ne peuvent plus trouver de repères ni extérieurs, ni intérieurs.
L'existence d'une horloge interne a été aussi mise en évidence
dans les études sur l'orientation « astronomique o des arthro-
podes et des oiseaux, dont Medioni (1956) a fait une revue
critique. De nombreuses expériences ont montré que des
insectes, des crustacés, des oiseaux étaient capables de se diriger
dans une direction donnée de la rose des vents en se guidant
seulement d'après la position du soleil. Pour que ce comporte-
ment soit constant, il faut évidemment que l'animal tienne
compte de l'heure puisqu'il apporte une correction à l'évolution
des positions du soleil dans la journée. Ainsi des abeilles qui ont
été dressées pendant un après-midi à aller chercher de la nour-
riture à l'ouest repartent le lendemain matin dans cette direc-
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 25
_____n-

tion de l'ouest, même si dans la nuit on a transporté leur ruche


dans un tout autre paysage et si on a orienté différemment le
trou d'envol (von Frisch et Lindauer, 1954). Un étourneau
peut être aussi dressé à chercher sa nourriture dans des man-
geoires situées à l'est, quelle que soit l'heure de la journée.
Cette régulation par une horloge physiologique est parti-
culièrement manifeste quand on crée un décalage entie les
indications qu'elle fournit et les positions du soleil. Si la cage
de l'étourneau, dressé à s'orienter vers l'est à la lumière du jour,
est placée dans un sous-sol obscur au centre d'une tente cir-
culaire de toile blanche qui diffuse la lumière d'un projecteur
électrique jouant le rôle d'un soleil artificiel, l'animal, à l'heure
habituelle des expériences, s'oriente vers l'est, sa direction
faisant avec celle du soleil artificiel le même angle qu'avec le
vrai soleil. Si, quelques heures plus tard, on recommence l'expé-
rience, le projecteur étant resté dans la même position, l'animal
commet une erreur vers l'ouest : il a apporté une correction
à la position du soleil, comme si celle-ci avait varié. Mais comme
le soleil artificiel est resté fixe, il se trompe (Kramer, 1952).
Inversement, on peut prouver l'existence de l'horloge interne
en la déréglant. Après avoir dressé des étourneaux à s'orienter
vers l'un des points cardinaux à n'importe quelle heure de la
journée, on les soumet à l'influence continuelle d'un jour arti-
ficiel constitué comme suit : une alternance d'éclairement et
d'obscurité reproduisant fidèlement le rythme nycthéméral,
mais avec un décalage de 6 h par rapport au soleil. Si au bout
de quelques jours on soumet les étourneaux à des expériences
d'orientation à la lumière du jour, on constate qu'à 15 h, par
exemple, ils s'orientent comme s'il était 9 h du matin. Leur
erreur résulte évidemment du décalage de leur horloge interne
qui s'était adaptée au nouveau rythme (Hoffmann, K., 1954).
Le montage de ces horloges physiologiques implique que les
organismes aient la propriété de s'adapter à des changements
réguliers.
Des expériences faites dans des conditions artificielles
démontrent que cette propriété est assez générale et que l'on
peut conditionner un animal à des périodes sans rapport avec les
changements du milieu naturel, pourvu qu'elles soient infé-
rieures à 24 h. Cette mise en évidence a été surtout l'eeuvre
de Pavlov, de ses élèves et de son école, oeuvre qui peut être
26 l'SYCHUUJGIE D 1 ' TEMPS

abordée par l'ouvrage de Pavlov, Leçons sur l'activité du cortex


cérébral (1929), et par l'article de Dmitriev et Kochigina (1959).
Dès 190î, Zelcnnji applique une combinaison d'un son et de
nourriture toutes les 10 mn à un chien et découvre qu'après
un certain nombre de répétitions le réflexe conditionné salivaire
se produit régulièrement à la fin de l'intervalle de 10 mn.
Feokritova, en 1912, devait étudier les lois précises de ce
phénomène sur lesquelles nous allons revenir (p. 39). Mais
le phénomène n'est pas limité au réflexe salivaire. Beritov
(1912, d'après Dmitriev et Kochigina, 1959) a montré que l'on
pouvait aussi conditionner des réflexes défensifs moteurs.
Ainsi, si on donne un choc électrique sur la patte avant d'un
chien toutes les 5 mn, après 40 répétitions on constate que
l'animal, une minute avant la stimulation suivante, semble se
réveiller, remue la tête et lève la patte. Mais ce réflexe ne
s'établit pas d'un seul coup et les réactions sont d'abord
réparties pendant tout l'intervalle entre les deux stimulations
pour se concentrer peu à peu vers la fin de l'intervalle. Bykov
et ses collaborateurs ont enfin démontré, depuis 1936 (d'après
Dmitriev et Kochigina, 1959), que l'on pouvait conditionner
au temps les changements du métabolisme (réactions aux chan-
gements de température par exemple). Toutes ces réactions sont
comparables à celles des abeilles de Beling. Des changement,
périodiques induisent un rythme de comportement. On peut
même dresser des animaux à des périodicités complexes. Si ou
donne de la nourriture à des pigeons selon le schéma temporel
suivant : nourriture, 15 s; pause, 30 s; nourriture, 15 s ; pause,
90 s, en recommençant plusieurs fois ce cycle plusieurs jours de
suite, on constate - grâce à l'enregistrement actographique -
que l'animal reste calme pendant les pauses, mais commence à
remuer à la fin des périodes de repos, anticipant ainsi l'arrivée
de la nourriture. Lorsqu'on cesse de leur offrir de la nourriture,
les pigeons continuent pendant la durée de plusieurs cycles à
présenter la même structure de comportement (Popov. 1950).

*
* *
I "homme a été, du point de vue de ses adaptations aux
périodicités cosmiques, relativement moins étudié que les
animaux ou les végétaux. Il est vrai qu'il est plus difficile
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 27

d'expérimenter sur lui et de le soumettre à des conditions tota-


lement artificielles. D'autre part, comme nous aurons l'occa-
sion de le souligner maintes fois, ses modes d'adaptation sont
variés ; ils peuvent se renforcer, mais aussi se compenser, au
point de masquer des faits essentiels.
L'observation courante nous révèle cependant l'importance
dans nos vies du rythme nycthéméral. La plus grande partie
de l'humanité dort pendant la nuit et travaille pendant le
jour. Ici encore le rythme de la lumière modèle une nécessité
organique, car l'homme ne peut se passer de faire succéder le
sommeil à l'activité, même s'il peut modifier assez largement
- dans les cas exceptionnels - la périodicité de cette alter-
nance. Dans ce cadre général, les adaptations restent indivi-
duelles. Beaucoup de gens se réveillent à peu près à heure fixe
et une variation accidentelle et importante de l'heure de leur
coucher n'y change rien. L'heure du réveil n'est pas alors déter-
minée par la quantité de sommeil, mais par l'habitude. Depuis
que les transports en avion permettent de changer rapidement
de pays distants de plusieurs fuseaux horaires, de nombreux
voyageurs ont remarqué que pendant plusieurs jours après un
déplacement leur sommeil était perturbé et que, par exemple,
s'ils venaient de France, ils avaient tendance au début de leur
séjour en Amérique (où le soleil se lève quatre à cinq heures
plus tard) à se réveiller beaucoup trop tôt.
Depuis longtemps d'ailleurs, on sait que le pouls, la pression
sanguine et surtout la température du corps présentent des
variations nycthémérales chez l'homme comme chez de nom-
breux animaux. La différence de température chez l'homme est
presque d'un degré entre le minimum de la nuit et le maximum
de l'après-midi. Dès 1875, les physiologistes pensèrent que ce
rythme était induit par les alternances de la lumière et de
l'obscurité entraînant des alternances d'activité et de repos ;
il était donc possible de le renverser en substituant, une activité
diiiine à une activité nocturne ; mais les résultats restèrent très
controversés jusqu'aux expériences de Toulouse et Piéron qui
constatèrent, en 1907, l'inversion de la température chez les
infirmières passant d'un service de jour à un service de nuit.
Cependant cette inversion fut progressive et ne fut complète
qu'au bout de trente à quarante jours. Dans les premières
semaines, l'ascension de la température, habituelle auparavant
28 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

pendant la matinée et le début de l'après-midi, s'atténua peu


à peu, puis se transforma en une baisse de plus en plus rapide
(Toulouse et Piéron, 1907).
Des voyageurs au long cours ont pu constater une modifi-
cation progressive du rythme de leur température. Ainsi,
Osborne, parti par bateau de Melbourne pour l'Angleterre,
constatait, après un voyage de six semaines, que le maximum
de sa température avait été chaque jour situé vers 18 h, alors
- heure de
que 18 h à l'arrivée correspondait à 4 h du matin
Melbourne. L'inversion avait été complète (Osborne, 1907).
« Le fait de l'inversion prouve que le rythme est fonction
des conditions de vie, de l'activité physique et mentale qui,
normalement, présente son maximum à un moment déterminé
par les conditions cosmiques, c'est-à-dire par l'éclairement
solaire, mais avec modifications d'origine sociale, entraînant
ce fait que le maximum se produit bien plus tard dans les villes
que dans les campagnes ; on ne peut donc invoquer une pério-
dicité fondamentale.
« Et en revanche, les difficultés, la lenteur de l'inversion
indiquent que le rythme a bien été acquis, qu'il tend à persister
dans sa périodicité, s'opposant à l'établissement de la périodi-
cité nouvelle, en sorte qu'à chaque instant il s'établit un
compromis entre l'action passée, le souvenir, de plus en plus
faible, et l'action actuelle de plus en plus forte » (Piéron, 1910,
pp. 89-90) (1).
Les controverses qui précédèrent l'expérience de Toulouse
et de Piéron ne cessèrent pas immédiatement, car les résultats
sont parfois contradictoires. Chez ceitains individus, il semble
que cette inversion ne se produise pas (Regelsberger, 1940),
alors que chez l'animal elle est toujours possible. Peut-être un
facteur interne, d'ordre psychique, expliquerait-il ces excep-

(1) Ceslois trouventune confirmation dans les étudesqui ont été faites sur
les travailleursde nuit. Ceuxqui changentd'horairede travail chaquesemaine
ont unetempératureirrégulière. Lesfemmesqui travaillenttonteslesnuits,comme
les gardesde nuit des hôpitaux,dormentmal pendantles premièresnuits de leur
congéannuel,ce qui montrequ'ellesont besoind'un certaintempspourse réhabi-
tuer à un autre rythmed'activité-repos. _
Enfin, conséquence indirectede l'adaptationaux changementspériodiques,
lestravaillenrsde nuit, dontlesrythmesphysiologiquessontconstamment modifiés
sont aussiceuxchezqui on observele plusd'affectionsliées
par les circonstances,
à des troublesneuro-végétatifs (névrose,états anxieux,affections
respiratoires,
troublesdigestifs)(d'aprèsKleitman,1939,Neulat,1950,Hadengue,1962).
L'ADAPTATiON AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 29

tions. En effet, si la vie psychique s'affaiblit, la plasticité aux


influences extérieures semble devenir plus grande. Ainsi chez
un oligophrène, microcéphalo-acromégalique, il a été possible
d'obtenir en six jours seulement une double inversion quoti-
dienne de sa température, en le faisant vivre à la lumière
de 6 h à 12 h et de 18 h à 24 h, et en le maintenant à l'obs-
curité de 0 h à 6 h, et de 12 h à 18 h. La température a baissé
de 0 h à 6 h, monté de 6 h à 12 h, baissé à nouveau de 12 h
à 18 h et remonté de 18 à 24 h. Toutefois, en poursuivant
l'expérience pendant un mois, on a constaté de grandes
irrégularités et la réapparition de l'inversion simple, c'est-
à-dire d'un rythme plus fondamental de 12/12 (Burckard et
Kayser, 1947).
Non seulement l'inversion de la température est possible,
mais on peut, chez certains sujets, obtenir un nouveau rythme
de la courbe de la température à des périodes un peu différentes
de celle du nycthémère. Kleitman a ainsi fait vivre à un de ses
collaborateurs une semaine de 8 jours (15 h de veille et 6 h de
sommeil), puis une semaine de 7 jours (17 h de veille et 7 h de
sommeil), enfin une semaine de 6 jours (19 h de veille et 9 h
de sommeil). Dans les trois cas, la courbe de température a
suivi le rythme de l'activité, mais il faut aussi noter que
Kleitman (1939) a échoué en reprenant l'expérience sur lui-
même.
Aux phases de l'activité n'est pas seulement lié le rythme
de la température, mais celui de nombreuses fonctions phy-
siologiques : la glycémie, le taux de la calcémie et de la
protéinémie, le taux des lymphocytes, la sécrétion rénale,
les fonctions biliaire et glycogénique du foie (Kayser, 1952)
Ainsi, tout l'organisme humain, aussi bien dans la vie de
relation que dans la vie végétative, participe au rythme
nycthéméral (1).
Ces rythmes sont induits. Rien ne le prouve mieux que
l'étude du développement de l'enfant. Chez le foetus comme chez
le nouveau-né, on n'observe aucune forme de cycle nycthéméral
ni dans l'activité, ni dans les fonctions physiologiques. Le

(1) Cerythmeexpliquesansdouteles variationsdiurnesde l'estimationde la


durée misesen évidencepar la méthodede production.Aux périodesd'activité
correspondla productionde duréespluslongues.Lesvariationssont inverseschez
ceuxqui sont actifsde jour ou actifsde nuit (Thor,1962).
:\0 1>1' TEHP8

sommeil du nouveau-né est polyphasique et les périodes de


sommeil sont très nombreuses sans préférence pour la nuit.
Le développement se fait par unification des périodes de
sommeil qui deviennent de moins en moins nombreuses et de
plus en plus longues par suite d'ml processus de maturation.
Mais les habitudes sociales liées à la succession des jours et des
nuits jouent un rôle prépondérant dans la localisation de ces
périodes de sommeil et de veille ; dès la fin de la première
semaine de la vie, le sommeil nocturne commence à l'emporter
sur le sommeil diurne (Gesell, 1953, pp. 153-168). Le rythme
de la température s'établit, lui, plus lentement ; il n'est bien
différencie qu'au cours de la seconde année (Kleitman, Titelbaum
et Hoffmann, 1937). Le facteur fondamental de ces inductions
paraît être l'établissement d'un rythme périodique de l'activité
et non l'influence directe d'un agent comme la lumière ou
l'obscurité. D'ailleurs les aveugles-nés ne manifestent-ils pas
exactement les mêmes rythmes (Remler, 1949) ?
L'adaptation à une périodicité apparaît aussi dans le cycle
des repas. Dans notre pays tout au moins, on habitue les enfants,
dès leur naissance, à des repas espacés de 3 h en 3 h en leur
faisant manquer un repas au cours de la nuit. La plupart des
enfants en bonne santé s'habituent très vite à ce rythme
complexe, dans le mois qui suit leur naissance. Marquis (19441)
a étudié cette acquisition expérimentalement et a mis en
évidence des faits très intéressants. Trois groupes d'enfants
avaient été placés à leur naissance dans des lits actographiques
permettant d'enregistrer quantitativement leur activité. Les
enfants d'un premier groupe furent soumis à leur rvthme propre,
c'est-à-dire nourris chaque fois qu'ils réclamaient par leurs cris.
Ce rythme propre s'est révél° être en moyenne de 3 h 2 mn. Les
enfants d'un autre groupe furent nourris régulièrement toutes
les 3 h, et ceux du troisième groupe toutes les 4 h. Pour ces
deux groupes, la courbe de l'activité des enfants s'est régula-
risée au cours des huit premiers jours. Après le repas, l'activité
décroît, passe par un minimum et recommence à croître avant
l'heure du repas. Mais l'activité croît plus chez les enfants
habitués au rythme de 4 h que chez ceux qui sont soumis au
rythme de 3 h, ce qui est normal, puisqu'il semble que le rythme
naturel du besoin de nourriture soit très légèrement supérieur
à 3 h, mais inférieur à 4 h. Chez ces enfants habitués au rythme
1,'4n4fi'rA'l'InN AUX CIlANGEi1rŒNT."; l'ÉRlOD1QUES :Il

de 4 h, on a constaté d'ailleurs que l'activité commençait de


plus en plus tard et ne se manifestait à partir du sixième jour
qu'après un jeûne de 3 h 30 mn. D'autre part, les enfants
adaptés au rythme de 3 h furent mis le neuvième jour au rythme
de 4 h. Ils montrèrent alors une grande activité entre la troi-
sième et la quatrième heure de chaque cycle, activité très supee-
rieure à celle des enfants qui avaient été nourris depuis le
début au rythme de 4 h. Ce phénomène manifeste nettement
qu'ils étaient déjà adaptés à un rythme de 3 h. Cette adaptation
très précoce au rythme de 3 h aussi bien qu'à celui de 4 h pose
la question, sur laquelle nous allons revenir, des mécanismes
physiologiques sous-jacents. On sait que chez le nouveau-né
les intégrations au niveau cortical ne sont pas possibles puisque
les fibres des cellules corticales ne sont pas myélinisées et que
le réseau de leurs interconnections ne s'est pas encore déve-
loppé ; Marquis pense qu'un centre infracortical règle cette
adaptation très primitive.
Les périodicités que nous avons envisagées jusqu'à mainte-
nant sont surtout en relation avec les grandes activités biolo-
giques de l'organisme : activité, repos, repas. Dans tous ces
cas, une alternance nécessitée par des besoins organiques entre
en synchronisation avec des changements périodiques du monde
extérieur. Mais chez l'homme, comme chez le végétal ou l'ani-
mal, on peut aussi induire des rythmes sans relation avec des
alternances organiques. Si on donne à une personne un léger
choc électrique, on constate une réaction réflexe, dite psycho-
galvanique, par diminution de la résistance apparente de la
peau, elle-même en relation avec une activation sympathique.
Répétons ce choc toutes les 8 s pendant un certain temps. Au
moment où on cesse les chocs, il se produit encore chez certains
individus une ou plusieurs réactions à intervalles d'environ 8 s,
ce qui prouve qu'un rythme de réactions neuro-végétatives
avait été induit (Fraisse P. et Jampolsky M., 1952) (1).
Tous les exemples typiques que nous avons choisis manifes-

(1) En réalité, les faits sont plus complexes.Les chocsélectriquesrépétés déter-


minent une double série de réactions psycho-galvaniques : des réactions réflexes
au choc lui-même, et des réactions qui précèdent le choc et que nous avons inter-
prétées comme des réactions d'appréhension. Après la cessation des chocs, on constate
qu'il y a eu induction et des réactions d'appréhension et des réactions réflexes.
Celles-ci sont cependant mieux définies chez les personnes qui ont moins de réactions
d'appréhension.
32 l'SYG'HOLOGIF'DU 1'EMI'S

tent donc bien que l'induction de changements périodiques, au


niveau des réactions physiologiques ou de l'activité, est une loi
très générale des organismes. Les rythmes de l'environnement
déterminent des rythmes qui sont d'abord exogènes, mais qui
deviennent de véritables rythmes endogènes, puisque la conduite
anticipe la présence du stimulus, et que ce rythme demeure
pendant quelque temps quand cesse la cause qui l'a engendré.
Pour mieux saisir ce phénomène, il faut nous interroger
maintenant sur ses mécanismes.

II

LES LOIS DES ADAPTATIONS PÉRIODIQUES


Pour comprendre l'induction des rythmes par les change-
ments périodiques, il faut se rappeler que la rythmicité semble
caractéristique du fonctionnement du système nerveux. Cette
propriété s'étend sans doute à d'autres tissus, surtout dans
les organismes moins différenciés, mais, notre but étant de
comprendre les conduites humaines, nous pouvons négliger
cet aspect du phénomène. Trois rythmes endogènes rapides
sont particulièrement frappants. Ce sont ceux du cœur, de la
respiration (1) et de l'activité électrique du cerveau. Dans les
trois cas, on a pu démontrer que ces rythmes n'étaient pas des
réponses périodiques à des excitations périodiques ; les excita-
tions qui agissent su-reux ont seulement pour effet d'accélérer ou
de ralentir une pulsation des centres nerveux.
On constate en outre que des tissus nerveux qui n'ont pas
une rythmicité spontanée répondent cependant rythmiquement
quand ils sont excités d'une manière continue. Ainsi en est-il
des centres réflexes, des fibres sensorielles et des fibres motrices
(Fessard, 1931 et 1936). Centres et fibres dans tous les cas mani-
festent qu'ils ont une période propre de réponse, le rythme de
la réponse ne correspondant que dans certaines limites au
rythme ou tout simplement à l'intensité de la stimulation.

(1) Il semble,en effet,quelescentresnerveuxde la respirationont leurpériode


proprequi seraitseulement « contrôlée
» parles variationsde la teneurdu sangen
acidecarbonique.Adrianet Buytendijk(1931)ont montré,par exemple,que l'on
constatait, dans les centresrespiratoiresdes poissons,des alternancesd'activité,
même si on préservaitcescentresde toute influencedes variationsde l'oxydation
du sang.
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 33
z

Un bel exemple est fourni par le scratch reflex du chien.


Comme Sherrington l'a montré, une simple excitation peut
déclencher une série de mouvements périodiques qui ne peut
s'expliquer par l'induction successive, puisque ce réflexe se
produit même si on a sectionné les voies afférentes des muscles
intéressés. Il faut penser alors que c'est l'activité répétitive
d'un centre qui explique le rythme du mouvement dont la
fréquence est d'ailleurs indépendante de la nature de l'excita-
tion (The integrative action of the nervous system, 1906, pp. 45
et 71-122).
Ce qui nous intéresse le plus pour la compréhension des
phénomènes d'adaptation est la tendance de ces rythmes ner-
veux à se synchroniser entre eux. Très souvent, la périodicité
d'une partie joue le rôle de chef d'orchestre (pace maker)
pour d'autres pulsations. Fessard (1936) a montré l'existence
du phénomène dans les conducteurs nerveux. On sait que dans
le coeur le nceud sinusal est considéré comme l'entraîneur d'une
multiplicité d'autres centres qui, pris à part, ont leur propre
périodicité. Dans les centres supérieurs, les ondcs cérébrales
périodiques que l'on recueille dans l'électro-encéphalographie
sont le résultat d'une vaste synchronisation de l'activité élec-
trique des cellules nerveuses. Selon l'hypothèse la plus vraisem-
blable, la régularité des pulsations d'un organe ou d'un centre
serait due le plus souvent à la coordination d'un grand nombre
de pulsations élémentaires (Bethe, 1940). Plus important encore
est le fait que certaines activités périodiques peuvent se syn-
chroniser à des stimulations elles-mêmes périodiques. On sait,
depuis les recherches d'Adrian (1934), souvent vérifiées, que le
rythme alpha des ondes cérébrales peut être, dans une certaine
mesure, entraîné par une lumière intermittente.
Les faits de synchronisation apparaissent aussi fréquemment
dans les mouvements pendulaires. Ces derniers doivent leur
régularité au phénomène de l'induction successive. La contrac-
tion des fléchisseurs entraîne dans le moment suivant celle
des extenseurs, et ainsi de suite. Cette succession a son tempo
propre, comme l'ont montré les nombreux travaux effectués
sur le tempo spontané de la mastication, de la marche, des
balancements d'un membre ou du tronc, etc. Le plus remar-
quable est que ces mouvements pendulaires peuvent être
entraînés par des stimuli cadencés. Chez l'enfant, pareille
P. >:H,,i;;1: s
34 PSYCllOLOGIE nu TEMPS

induction peut se rencontrer dès l'âge de 9 mois, et c'est cette


même aptitude qui permet de faire marcher au même pas de
grandes formations militaires, bien que les tempi individuels
soient très différents d'un soldat à l'autre.
Tous ces faits concernent des rythmes relativement rapides,
mais ils nous permettent de comprendre par analogie les induc-
tions de comportement dont la période est plus longue. Ils
manifestent en effet deux propriétés du système nerveux. La
première est que les tissus et particulièrement les centres
nerveux, ou bien ont spontanément une activité rythmique, ou
bien répondent naturellement aux excitations d'une manière
rythmique ; elle explique que les inductions soient fréquentes
et assez faciles à établir. La seconde est que, spontanée ou
déclenchée, l'activité rythmique d'un centre a une fréquence
qui lui est propre et qui n'est modifiée que dans certaines
limites par les régulations, les excitations et les synchronisa-
tions qui peuvent intervenir. Or, nous avons vu en particulier
que les rythmes nycthéméraux, qui sont pourtant induits par
les successions des jours et des nuits, correspondent à une
fréquence optimum des organismes, puisqu'il est difficile
d'obtenir des rythmes de ce type avec des périodes plus
longues.
Les effets de la température vont nous permettre cependant
de distinguer entre ces différents rythmes. La température a
pour effet d'augmenter la vitesse des réactions chimiques. La loi
exponentielle reliant la vitesse de réaction à la température
absolue a été mise en évidence par Van't Hoff en 1884 ; puis
Arrhenius montra le premier que les processus biologiques
obéissent à la même loi (Sivadjian, 1938, p. 3-19). On constate
que le logarithme de la fréquence de réaction est proportionnel
à l'inverse de la température absolue, selon la formule :

logf= c-(fL/2.3 RT)

( f est la fréquence ou vitesse de réaction, lt est la constante des


gaz parfaits et T la température absolue).
Dans chaque type de réaction intervient une constante p.
appelée caractéristique de température ou incrément thermique
qui caractérise en calories par molécule-gramme l'énergie
activante du processus (Hoagland, 1936 d).
1.'ADAP7'ATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQIIES 35
- -----

On savait, depuis Marey (Sivadjian, ibid., p. 346), que la


période réfractaire des centres et des nerfs dépendait de la
température, mais on a montré que les rythmes endogènes
de l'organisme suivaient aussi la loi d'Arrhénius. Le cœur est
accéléré par une élévation de température du corps. w a alors
chez l'homme une valeur approximative de 29 000. La respi-
ration est modifiée de la même manière, la valeur de w variant
avec les espèces. De même le rythme des ondes alpha est accé-
léré dans les mêmes conditions, la valeur de y étant égale
à 8 000 chez les normaux et plus forte chez les paralytiques
généraux (Hoagland, 1936, a, b, c, d). La fréquence des d'chargeas
rythmiques des nerfs suit aussi la même loi : sur des nerfs de
crustacés Fessard a calculé une constante jjt = 14 900 (1936,
p. 135) (1).
Bien avant toutes ces recherches, Piéron (1923) avait pensé
que notre appréciation de la durée pouvait être sous la d,Fpen.
dance de processus physiologiques. « Et si, écrivait-il, sous
l'influence de variations de température, par exemple, des
processus organiques voient se modifier leur vitesse, le temps
mental s'étalera ou se condensera dans les mêmes proportions. »
Cette hypothèse devait provoquer les célèbres expériences de
François (1927, 1928). Si on demande à un sujet de frapper sur
une clé à la cadence subjective de trois coups à la seconde, puis
si on élève sa température interne par diathermie, on constate
alors une accélération de la cadence frappée, accélération dont
le sujet n'est évidemment pas conscient. Le résultat est le
même si, au lieu de faire frapper, on demande au sujet de
compter à la cadence d'un à la seconde. Hoagland (1933) a
retrouvé le même résultat chez des personnes où l'augmenta-
tion de la température était l'effet de la maladie et il a calculé
que ces résultats, comme ceux de François, vérifiaient la

(1) Les rythmesnycthémérauxsont, par contre,indépendantsde la tempé-


rature.Il est vrai quelesmouvementspériodiques de la feuillede haricotne mani-
festentpas cette indépendance,pas plus que les conduitesdes abeilles.Celles-ci,
dresséesà venirchercherleurnourritureà uneheuredonnée,arriventen avancesi
la températures'élève,en retard si elle s'abaisse(Wahl,1932).Par contre, le
lézard(Marxet Kayser,1949),le pigeon(Stein,1951)et l'ensemble desvertébrés,y
comprisl'homme,ont des rythme;nycthémérauxet circadiensindépendantsde
la température.
La températuresembledoncagirsur les processusmétaboliques et lesrythmes
qui en dépendent.Les rythmes circadiensqui nous intéressentéchappentà
cet cffet.
36 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

loi d'Arrhénius, y ayant dans ces situations une valeur


de 24 000 (1).
Certes, les expériences de François et d'Hoagland pourraient
apparaître comme hétérogènes à celles dans lesquelles précé-
demment nous avons constaté une accélération des rythmes
biologiques avec l'augmentation de la température. Elles
portent, en effet, sur des rythmes volontaires du mouvement ;
cependant, prendre comme référence la durée d'une seconde ne
fait pas appel à une connaissance précise mais à une norme cor-
respondant à une expérience propre à chaque sujet. Le rythme
du mouvement a une période qui est contrôlée volontairement
mais la norme à laquelle elle se réfère est déterminée par des
processus qui échappent à ce contrôle. Comme l'abeille qui
arrive en avance quand il fait plus chaud, l'homme dont la
température a augmenté frappe plus vite, tout en croyant
avoir conservé le même tempo.
Pour souligner cette double influence de la température,
nous évoquerons l'expérience de Siffre (1963). Celui-ci a vécu
58 jours dans une caverne glaciaire à 130 m sous terre, à une
température proche de 0°. L'obscurité était totale, il n'avait
pas de montre et, s'il pouvait communiquer avec l'extérieur,
il n'en recevait aucune information. En l'absence de tout
repère, son rythme nycthéméral s'est à peu près conservé
(57 levers et 57 couchers) avec un rythme moyen de 24 h 6 mn.
Par contre, il devait chaque jour compter à la cadence d'un
nombre par seconde jusqu'à 120. La durée totale de cette
activité rythmique était de 142 au début du séjour. Elle s'est
augmentée peu à peu pour atteindre 215 au bout de 30 jours.

(1) Cesrésultatsont été confirméspar Kleber,Lhamonet Goldstone(1963),


qui ont fait estimerune secondeà dessujetsdonton a augmentéartificiellement la
températureen plaçantleurcorpsdansde l'air humide.
Maison ne peutpasgénéraliser cephénomène à toutesnosestimationsdu temps.
Ainsi,l'estimationen unitésde tempsou la productionde duréesde l'ordrede
quelquesminutessemblentindépendantesde la températuredu corpslorsqu'on
fait variercelle-cipar un séjourde quelquesheuresdansuneatmosphère surchauffée
(Bellet Provins,1963).Cesestimations, pourcesmêmesauteurs,seraientaussiindé-
pendantesde la vitessedu pouls.MaisHawkes,Joy et Evans(1962)trouventune
corrélationnégativeentrevitessedu cosur(et vitessede la respiration),manipulée
par desdrogueset production de durées,brèvesil est vrai (de0,5à 4 s). Ils ne trou-
vent,par contre,aucunecorrélation entrecesmêmesvariableset la reproduction des
durées,confirmantainsiSchaeferet Gilliland(1938).Chezl'homme,en particulier,
le phénomènen'est doncpas simple.La causede l'élévationde la température,
la naturede la tâche,le moded'estimationde la durée,et mêmela réactiondu sujet
à cesconditionsjouentun rôlecommeil apparaîtramieuxau chapitreVIII.
L'ADAPTATION AUX CIf.4NGE?IIEN'l'SPF,RIODIQU.ES :17

Nous interprétons ce ralentissement du tempo comme un effet


du refroidissement, effet analogue mais inverse de celui décou-
vert par M. François (1).
Mais quels sont donc les mécanismes de régulation ? Nous
ne sommes même pas encore capables d'expliquer les rythmes
innés eux-mêmes. Pourquoi certains centres ont-ils spontané-
ment une activité périodique et pourquoi les fibres nerveuses
répondent-elles périodiquement aux excitations ? Comme Fes-
sard l'a démontré, il faut distinguer les processus d'activation
qui rendent un nerf capable de périodicité et les processus
d'excitation qui la déclenchent. Les conditions qui facilitent les
uns ne sont pas les mêmes que celles qui favorisent les autres.
La propriété d'automaticité ne peut s'expliquer en faisant
seulement appel à l'existence, dans les centres et les fibres
nerveuses, de cette phase réparatrice ou réfractaire qui suit
toute période d'activité. En effet, il y a un manque de corres-
pondance entre la durée de la phase réfractaire et la période
effective du rythme, période qui est beaucoup plus longue que
ne l'exigerait la simple reconstitution physiologique. Fessard a
été aussi amené à postuler l'existence d'un phénomène propre
d'auto-excitation (1936, pp. 144-154).

*
* *
Pour les inductions cycliques proprement dites, Pavlov a
fait intervenir comme explication spécifique les mécanismes
successifs de l'excitation et de l'inhibition qui seraient comman-
dés par des processus de conditionnement. Il ne croit pas qu'il y
ait plus dans les rythmes induits que dans les conditionnements
classiques, quoiqu'il reconnaisse que l'explication ne soit pas
encore très précise. Le temps, dit-il, est un excitateur condi-
tionnel. Évidemment il n'agit pas en tant que tel. Le temps se
manifeste, si nous laissons de côté les phénomènes cycliques du

(1) A l'effetde la température,il faudraitajouterl'actionpharmacodynamique


de certainessubstances.Grabensberger (1934)a montréque des abeilleset des
guêpesdresséesà un rythmede 24 h arriventen avancele lendemainsi ellesont
été traitéesavecde l'iodothyréoglobuline qui activeles échangescellulaires.Elles
sont,au contraire,en retardsi ellesont été traitéesà la quinine.Sterzinger(1935)a
trouvéde soncôtéquele tempospontanéétait ralentichezdessujetsaprèsabsorp-
tion de quinineet accéléréaprèsabsorptionde thyroxine.Il y a là un nouveau
rapprochement entre rythmesinduits(chezl'animal)et rythmesspontanés(chez
l'homme).
38 vu '/'EM 1'."0

monde extérieur, par une série de changements organiques


périodiques. De leur existence, Pavlov tire alors l'interprétation
suivante : « Étant donné que chaque état de l'organe examiné
peut se répercuter sur les hémisphères, cela peut servir de base
à la distinction d'un moment d'un autie. » En d'autres termes,
les organes envoyant suivant les moments des messages de
nature différente, certains deviennent, s'ils sont associés à
l'excitant normal (de la nourriture par exemple), stimuli
conditionnels, c'est-à-dire que leur retour créera une excitation,
tandis que les autres, qui ne sont pas renforcés, deviennent des
inhibiteurs conditionnels.
Dans l'expérience de Feokritova (voir p. 39) où le chien est
alimenté toutes les demi-heures, cette alimentation a produit
une activité déterminée, c'est-à-dire [que le chien] ressent une
série de modifications suivies et déterminées. Tout ceci se
faisant sentir au niveau des hémisphères, en était perçu, et à
un moment déterminé de ces modifications se transformait en
excitateur conditionnel » (Pavlov, 1929, p. 43).
L'interprétation de Pavlov a deux aspects. En premier lieu,
au cours d'une adaptation à des changements périodiques, des
phases d'excitation et d'inhibition se succéderaient dans le
centre intéressé. En second lieu, ces phases successives seraient
commandées par des activités périodiques d'organes dont les
messages acquerraient au niveau des hémisphères des signifi-
cations différentes suivant les stimuli auxquels ils auraient été
associés pendant le dressage même. Si cette explication permet
d'interpréter la première salivation spontanée d'un chien lors-
qu'on ne lui donne rien après l'avoir nourri toutes les trente
minutes, elle n'est pas satisfaisante dans tous les cas où l'in-
duction rythmique se maintient pendant plusieurs cycles en
l'absence de tout renforcement. Ou alors on postule ce qu'il
faut expliquer : c'est-à-dire que les stimulations périodiques
entraînent des changements périodiques qui peuvent se répéter
pendant plusieurs cycles, en dehors de tout renforcement.
Ainsi la température du corps ou tout autre manifestation
neuro-végétative peut sans doute devenir une source de stimuli
conditionnels, mais il faut d'abord montrer par quel mécanisme
ces rythmes organiques ont été eux-mêmes induits et comment
ils se maintiennent. Certes ces mécanismes, à partir du moment
où ils existent, peuvent eux-mêmes servir de base à d'autres
'-'ADAPTATION AU.' C:H.4NGF"VlElV7'S
PÉRIODIQUES 39

conditionnements temporels qui seront alors de second ordre.


La description en termes d'excitation et d'inhibition a une
base expérimentale solide. Reprenons les faits. Feokritova (1912)
a fait dans ses recherches sur le temps comme excitateur condi-
tionnel l'expérience que Pavlov rapporte en ces termes : « Nous
pouvons alimenter l'animal toutes les 1/2 h et ajouter en même
temps l'action d'un agent quelconque ; c'est-à-dire que toutes
les 1/2 h nous faisons précéder l'alimentation d'un agent quel-
conque. Alors se forme un excitateur conditionnel. Il sera
constitué par cet agent et par le temps, c'est-à-dire toutes les
30 mn. Si nous essayons notre agent au bout de 5 ou 8 mn, il n'y
aura aucune action. Si nous l'essayons plus tard, il aura déjà une
action mais peu considérable. Au bout de 20 mn, l'action sera
plus grande ; au bout de 25 mn elle est encore plus forte, et
au bout de 30 mn l'effet sera complet. Si cet agent n'est pas
renforcé systématiquement à d'autres moments que dans les
1/2 h, il cesse d'agir, même à la 29e minute, et ne manifeste
son action complète qu'à la 30e minute » (Pavlov, ibid., p. 42).
Le processus d'inhibition est manifeste ; le stimulus additionnel
n'est efficace qu'au moment où le cortex est à nouveau en
période d'excitation sous l'influence du facteur dit temps. Le
travail de Koupalov (1935), autre élève de Pavlov, est encore
plus éclairant. Il crée un double réflexe conditionnel à l'exci-
tation mécanique de la peau. En un point, le réflexe est positif
(salivation), en un autre, il est négatif. L'excitation alternée
des deux points a lieu toutes les 7 mn. Si, après une stimulation
positive, on donne une stimulation négative 14 mn après la
précédente (au lieu de 7 mn), cette stimulation produit une
salivation aussi importante que la stimulation positive. Inver-
sement, si, après une stimulation négative, on donne 14 mn
plus tard une stimulation positive, celle-ci a un effet moindre
que lorsqu'elle survient après un délai de 7 mn. Si, dans les
mêmes conditions, le délai est porté à 21 mn, la réaction au
stimulus positif est normale. Ces résultats s'interprètent très
bien si on admet que de 7 en 7 mn se succèdent dans le cerveau
des phases d'excitation et d'inhibition. Que le stimulus positif
survienne 7 ou 21 mn après le stimulus négatif, son effet est
positif et de même importance, car il coïncide avec une phase
d'excitation corticale. Si un stimulus négatif survient dans cette
même phase, il a un certain effet (moitié environ). Inversement,
4.0 l'SYC;HOLO(?Ih,'
DU TEMPS

dans les phases d'inhibition corticale, les stimuli positifs ont


des effets très diminués. L'école russe a aussi montré que les
injections de bromure qui facilitent les processus d'inhibition
facilitent aussi l'établissement des réactions au temps (Deriabin,
1916 ; Bolotina, 1953 ; Kochigina, d'après Dmitriev et Kochi-
gina, 1959). D'ailleurs, l'établissement des conditionnements
au temps et leurs résistances à des perturbations externes
dépendent du type de système nerveux des chiens. Les ani-
maux où prédominent les processus d'inhibition donnent de
meilleurs résultats que les animaux excitables.
En raisonnant à partir de concepts plus opérationnels, des
auteurs américains ont établi des lois du même genre. Ainsi,
si on envoie des chocs électriques à des rats toutes les 12 s, à
chaque choc, l'animal saute avec une force mesurable. Si,
après avoir poursuivi cet apprentissage un certain temps, on
envoie à l'animal un choc qui l'atteint à 3, 6, 9, 12, 15, 18, 21
ou 24 s du précédent (ces durées étant utilisées au hasard),
on constate que la force du saut est maximum pour un inter-
valle de 12 s et qu'en deçà et au-delà elle décroît. Brown (J. S.)
(1939), qui a fait cette expérience, l'interprète à partir de la
loi du gradient de renforcement de Hull (1932).
Si on essaie de traduire cette loi en termes plus psycholo-
giques, on peut dire que l'excitation est moins forte (ou l'inhi-
bition plus forte) quand on s'éloigne du moment où le choc est
« attendu ». La même observation peut être faite à partir des
résultats de Rosenbaum (1951). Lui s'est adressé à un condi-
tionnement instrumental (voir chap. II, p. 59). Les rats étaient
dressés à appuyer sur un levier aussitôt qu'on le leur montrait
dans une cage de Skinner. Ce levier leur était d'abord présenté
toutes les 60 s. Puis, le dressage étant fait, on le leur présentait
à des intervalles plus courts ou plus longs que 60 s. La force
de la réaction était mesurée par le délai qui s'écoulait entre le
moment où on présentait le levier à l'animal et celui où il
appuyait dessus. Cette latence est minimum (une seconde envi-
ron) quand le levier apparaît 60 s après la précédente réaction.
Elle augmente progressivement en deçà et au-delà, le délai
atteignant cnviron 5 s quand l'intervalle entre deux présenta-
tions n'cst plus que de 15 s.
Tous ces faits vont dans le même sens. La durée est enregis-
trée de façon telle que la réaction est la plus forte au moment où
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES ?1.1

elle est « attendue », compte tenu de l'apprentissage antérieur.


En deçà et au-delà, il y a un affaiblissement graduel de la
force réactrice par suite, vraisemblablement, d'un processus
d'inhibition.
Mais on retombe alors sur le problème central : comment
est réglée temporellement la succession des périodes d'excitation
et d'inhibition ? Koupalov, comme Frolov (1935), a eu tendance,
à la suite de Pavlov, à l'expliquer par des stimulations exté-
rieures ou intérieures liées aux conditions de travail. Mais nous
avons déjà dit en quoi cette interprétation restait douteuse.
Nous ajouterons qu'elle ne s'impose pas pour des raisons théo-
riques, puisque l'on constate l'existence, dans le système ner-
veux, d'une tendance à répondre rythmiquement, même à des
stimulations non périodiques. Aussi bien, Popov, qui a beau-
coup étudié ces problèmes, pense qu'il faut admettre une pro-
priété spécifique du système nerveux « à reproduire les excita-
tions précédentes dans l'ordre même où ces excitations ont été
provoquées auparavant par les stimulations correspondantes ».
A cette propriété, il a proposé de donner le nom de cyclochronie
(1950 b, p. 17). Elle s'est imposée à lui à travers les faits
du type de ceux que nous avons rapportés, parce qu'il a
noté dans ses expériences qu'il y avait non seulement pério-
dicité des réponses mais, dans certains cas, une véritable
stéréotypie. Il a observé cette stéréotypie dans l'activité des
pigeons nourris à intervalles périodiques (voir p. 26) ; il l'a
retrouvée dans les tracés électro-encéphalographiques du lapin
à qui on éclaire périodiquement l'oeil : les modifications dans
l'aire striée deviennent périodiques et se prolongent, au détail
près, après la cessation de la stimulation (ibid., p. 15). Selon
Popov, qui rejoint ainsi en un sens Fessard, il faut admettre
que la réponse du système nerveux à une stimulation ne
serait pas simple mais multiphasique. A une phase d'exci-
tation succéderait une phase d'inhibition qui pourrait être
suivie d'autres phases plus ou moins complexes d'excitations
et d'inhibitions (ibid., p. 18 et pp. 62-63).
Il reste que ces rythmes induits sont le résultat d'un pro-
cessus de conditionnement dans lequel tout se passe comme si
l'intervalle temporel entre deux stimulations périodiques était
le stimulus conditionnel, de telle sorte que, lorsqu'il y a omission
d'une des stimulations périodiques, il y a cependant une réac-
12 l 'S Y (JIIOLO (§1 1 TEMPS
1) Fi

tion. Comme dans le conditionnement, ce montage exige la


répétition, et le non-renforcement entraîne une extinction plus
ou moins rapide.
Si la cyclochronie apparaît comme une propriété fondamen-
tale des centres nerveux, il reste légitime de se demander si
elle est vraiment générale ou au contraire limitée à certains
centres. Cette question reste, elle aussi, très obscure et on ne
peut l'aborder qu'indirectement. S'il est vrai, comme le pensait
Pavlov, que tout conditionnement, au moins chez les vertébrés
supérieurs, se réalise au niveau cortical, il semble pourtant
que la rvthmicité s'établit aussi dans les centres sous-corticaux.
Deriabin a, en tous les cas, montré que les conditionnements au
temps demeuraient après ablation de la zone de l'analyseur
cortical correspondant au stimulus associé à la nourriture (aire
tactile ou auditive).
Que le cortex soit nécessaire pour l'établissement du condi-
tionnement est vraisemblable, bien que la preuve n'ait pas été
apportée pour le conditionnement au temps. Par contre, cer-
tains faits témoignent que la périodicité du rythme induit peut
être commandée par des centres infracorticaux. Kayser (1952)
a montré que les pigeons auxquels on a enlevé les hémisphères
cérébraux présentent encore le rythme nycthéméral de tempé-
rature qui est un rythme acquis. Les régulations du sommeil
dépendent de l'activité d'un centre hypothalamique situé autour
de l'infundibulum et de la base du troisième ventricule ; le
chien décérébré présente encore les alternances normales de
veille et de sommeil (Lebedinskaia et Rosenthal, cité par
Fulton, 1947, p. 509). On peut aussi penser que les rythmes
des activités motrices et non plus seulement végétatives sont
sans doute réglés par les noyaux de la base du cerveau, puisque
ce sont eux qui contrôlent les mouvements automatiques.
D'une manière générale, on admet aujourd'hui que la région
hypothalamique préside aux régulations des cycles organiques,
et Kleist (1934) puis Klines et Meszaros (1942-1943) en ont
conclu que c'était à ce niveau que se produisaient les intégra-
tions temporelles des réactions périodiques. Nous verrons au
chapitre VI (p. 173) des faits relatifs aux désorientations tem-
porelles dans le syndrome de Korsakov qui corroborent cette
hypothèse.
L'(D4P/<7/0\ AUX CHANGEMENTS ):!

III
1,'ORIEIVTATIOIV
TEMl'OREI,1,li
Les faits d'induction rythmique, c'est-à-dire la naissance
de p-riodicités organiques synchrones de périodicités de l'envi-
ronnement, constituent des formes d'adaptation aux condi-
tions temporelles de l'existence. Leur signification biologique
générale est évidente. L'induction rythmique permet aux êtres
vivants de transformer des réactions réflexes en des réactions
d'anticipation. Les Convoluta peuvent ainsi s'enfoncer dans le
sable avant d'être recouverts par la marée montante ; inver-
sement, les Actinies qui se referment avant la marée descendante
évitent, en gardant de l'eau, une dessiccation qui pourrait être
mortelle (Piéron, 1910, p. 74). L'abeille qui a découvert une
source de nectar peut la retrouver plus facilement le lendemain
et s'adapter ainsi au mode de sécrétion du nectar qui se produit
à heures fixes suivant les fleurs. Ne voit-on pas en effet les
abeilles, si on leur offre à des heures différentes de la journée
de l'eau sucrée plus ou moins concentrée, se présenter en plus
grand nombre, au bout de quelques jours, à l'heure où on
leur offre l'eau la plus sucrée (Wahl, 1933) ?
De toute manière, cette régulation interne rend plus éco-
nomique la nécessaire adaptation de l'organisme aux change-
ments périodiques qu'il subit et en particulier aux alternances
des jours et des nuits. La preuve a contrario est fournie par la
fatigue qu'entraîne la réadaptation de l'organisme à un rythme
d'activité différent de celui auquel il était accoutumé. Nous
avons déjà rappelé qu'à la suite des voyages en avion de Paris
à New York ou inversement les voyageurs constataient pendant
les jours suivants des difficultés à s'adapter à leurs nouvelles
heures de sommeil, par suite de la persistance de l'ancien
rythme (1). L'inversion complète du rythme de l'activité
entraîne de telles fatigues que les premiers auteurs qui expé-
rimentèrent sur eux-mêmes son influence sur le rythme nvcthé-

(1) De cesobservationssur l'homme,il faut rapprochercelle-ciqui a été faite


surun orang-outang. A Java où il avaitété capturé,on avaitconstatéqu'ildormait
régulièrement de 6 h du soirà 6 h du matin.Transportéen bateauversl'Allemagne,
on observaqu'il continuaitau coursdu voyageà se coucheret à se levercomme
s'il était toujoursà l'heuresolairede Java. Ainsi,à la longitudedu cap de Bonne-
Espérance,il dormaitde 2 h de l'après-midià 2 h du matin(Groos,1896).
44 TE M /'8

méral de la température abandonnèrent leurs tentatives au


bout de quelques jours (Piéron, ibid., p. 88). Les médecins
et sociologues ont aussi souvent noté les difficultés qu'avaient
de nombreux ouvriers à changer de rythme de travail, à passer
d'une équipe de jour à une équipe de nuit par exemple (Neu-
lat, 1950).
Mais, surtout, l'existence de rythmes organiques induits par
les variations périodiques de l'environnement a pour l'homme
une importante conséquence psychologique. Ils lui fournissent
une horloge interne.
A quoi sert donc une horloge ? D'abord, à situer chaque
moment du jour par rapport au cours des jours et des nuits ;
plus scientifiquement, à définir la position relative de la terre
et du soleil au cours du nycthémère. La nature nous sert d'hor-
loge quand, pour savoir l'heure, nous nous contentons de consi-
dérer la position du soleil ou des ombres portées (cadran
solaire) par exemple. Dans d'autres cas, l'homme a construit
lui-même des mouvements périodiques : c'est ainsi qu'une
aiguille d'horloge fait le tour d'un cadran en 24 h. La position
de l'aiguille, tout comme celle du soleil, indique alors l'heure,
c'est-à-dire une division du jour. L'homme emploie systéma-
tiquement ces moyens pour organiser ses travaux et ses dis-
tractions, et, surtout, pour coordonner son activité avec celle
de ses semblables.
Cependant, indépendamment de ces repères extérieurs,
l'homme a un certain sens de l'heure qui se manifeste surtout
quand il ne dispose pas des signes dont nous avons parlé. Tout
se passe alors comme s'il était capable d'interpréter des mes-
sages organiques dont la signification, liée aux modifications
périodiques du corps, serait rapportée aux informations des
horloges elles-mêmes. W. James cite le cas d'une oligophrène
qui, ne sachant pas lire l'heure, demandait cependant tous les
jours sa soupe exactement à la même heure (1891, p. 623).
Les malades mentaux dits « désorientés dans le temps o ne
le sont que par rapport à ce temps conventionnel des calen-
driers qui découpe l'année en mois et qui date les années
à partir d'une origine sans réalité vécue. Ils ne le sont pas,
comme nous avons pu le vérifier, par rapport aux heures
de la journée ; celles-ci correspondent certes à un découpage
arbitraire du jour sidéral, mais en tant que symboles elles
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 45

sont renforcées par la régularité de la vie d'hôpital : l'heure


des soins, des visites, des repas, de l'extinction des feux,
des relèves du personnel. Entre ces événements, sur quels
indices le malade peut-il se guider, sinon sur les rythmes orga-
niques fondamentaux de la nourriture et du sommeil, et plus
généralement du métabolisme ? En tous les cas - sauf quand
la démence totale ôte tout sens à la question - les malades
considérés comme désorientés dans le temps sont capables de
dire l'heure qu'il est à 60 mn près, ce qui n'est pas inférieur à la
précision que peut montrer n'importe quel adulte normal
(Fraisse, 1952 b). Ces conduites observées en milieu hospitalier
peuvent être évidemment discutées, mais plusieurs faits que
nous allons examiner confirment que l'homme, en dehors de
tout repère extérieur, peut cependant, dans certaines limites,
s'orienter dans le temps, donc utiliser une horloge interne. Ils se
rattachent tous à l'estimation de l'heure au réveil, c'est-à-dire
à un moment où les points de repère extérieurs sont les moins
nombreux.

10 L'EXPÉRIENCE DE MAC LEOD ET ROFF (1935)

Pour étudier la précision de notre orientation temporelle


en dehors des repères que nous fournit le milieu naturel et
social, les deux auteurs se sont enfermés l'un après l'autre
dans une chambre insonore, climatisée et éclairée uniquement
à la lumière a.rtificielle. Ils avaient à leur disposition constante
de la nourriture, un lit, un cabinet de toilette. Ils ne devaient
rien faire, tout au plus prendre des notes sur leurs observations.
De temps à autre - sauf pendant le sommeil - ils devaient
indiquer par téléphone l'heure qu'il était. Le premier est resté
86 h dans cette chambre, soit près de quatre jours. Au bout de
ce temps, son erreur d'estimation n'était que de 40 mn, mais
il est vrai que, par moments, elle avait atteint 4 à 5 h. Le
deuxième sujet est resté enfermé pendant 48 h, et au bout de
ce laps de temps son erreur était de 26 mn, après avoir atteint
2 h. A quoi faut-il attribuer cette précision, relativement
grande ? En examinant les protocoles expérimentaux - et en
particulier celui du premier sujet qui est resté le plus longtemps
dans la cabine - on constate que la base de l'orientation tem-
porelle (et de la passagère désorientation) a été l'estimation de
46 PSYCHOLOGIE DU TEMI'S
--- - ---

l'heure du réveil. Le sujet ayant commencé l'expérience sur le


soir s'est couché vers minuit, mais il s'esL réveillé à 4 h 43 mn du
matin, croyant qu'il était 9 h. Il a mal dormi, ce qui se comprend
dans cette situation inhabituelle. Il a commis alors son erreur
maximum. Ayant dormi par compensation dans l'après-midi,
il s'est recouché cependant de bonne heure, et s'est réveillé le
lendemain à 10 h 50. Il a estimé qu'il était alors 10 h du matin.
La troisième nuit, il s'est réveillé à 11 h 28 et a estimé qu'il
était 9 h. Deux faits sont à remarquer : a) Malgré les conditions
artificielles de vie, le sujet s'est couché et levé à des heures à
peu près normales ; b) Quand il a dormi normalement, l'estima-
tion de l'heure au réveil a été assez correcte. A partir de là, son
orientation dans la journée, facilitée par les rythmes des besoins
alimentaires, a été assurée.
Cette importante expérience a été refaite avec 33 sujets
par Vernon et McGill (1963), avec une différence notable. Les
sujets, au lieu de rester constamment dans la lumière, ont vécu
dans l'obscurité, portaient des gants et avaient été invités à ne
pas faire de bruit, c'est-à-dire qu'ils ont été soumis à des condi-
tions de privation sensorielle.
Dans une première expérience, 27 sujets pouvaient arrêter
l'expérience quand ils le désiraient et indiquer alors le jour et
l'heure. Pour un séjour moyen de 54 h 25 l'erreur, en moyenne,
a été de - 4 h25, 5 des 27 sujets surestimant le temps. Dans une
deuxième expérience, 6 sujets devaient, chaque fois qu'une
heure était passée, appuyer sur un signal et, au réveil, appuyer
autant de fois que d'heures pendant lesquelles ils estimaient
avoir dormi. Pour un confinement de 96 h, 3 sujets ont fait des
erreurs de plus en plus considérables, de l'ordre, au total,
de - 28 h à - 40 h, alors que trois autres sujets ont fait des
erreurs mineures de - 8 h à 0 h. Les sujets se sont basés sur les
repères fournis par les sensations de faim et sur la croissance de
la barbe. La sous-estimation assez générale du temps s'explique,
pour ces auteurs, par le fait que les sujets qui vivaient dans le
noir ont dormi plus longtemps que d'habitude et ont estimé
cependant la durée de leur sommeil d'après leurs habitudes
antérieures.
L'expérience a été refaite aussi avec un groupe de 28 sujets
appelés à vivre ensemble pendant 12 jours dans un abri anti-
aérien expérimental (Thor et Crawford, 1964). Ces sujets dispo-
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 17

saient de peu de confort et de maigres rations. L'abri était


complètement isolé du monde extérieur et les sujets n'avaient
pas de montre. Ils ont, à un signal de l'expérimentateur, évalué
l'heure une fois par matinée et une fois par soirée.
Le rythme de vie de ce groupe s'est maintenu normal pen-
dant la durée de l'expérience. Les erreurs d'estimation matinales
ont été en moyenne de - 40 mn et celles du soir de + 112 mn.
Quoique les auteurs ne le soulignent pas, la vie en groupe a
favorisé les estimations individuelles qui ont peu varié avec
l'âge et pas du tout avec le Q.I.
Nous ne retiendrons pas ici comme contre-preuve l'expé-
rience de M. Siffre (1963) que nous avons déjà mentionnée.
M. Siffre a moins cherché à s'orienter dans le temps qu'à
estimer des intervalles de temps, y compris celui du sommeil.
Il est arrivé à faire de grossières erreurs, ayant estimé, d'après
son calendrier, que ses 58 jours d'isolement n'avaient duré
que 33 jours. Nous interpréterons le sens de cette erreur p. 236.
Nous voudrions seulement faire remarquer que si M. Siffre
s'était servi, pour s'orienter, de ses réveils, il n'aurait commis
qu'une erreur d'un jour sur 58 ;d'autre part, il ne faut pas
interpréter l'expérience de Mac Leod et Hoff comme permettant
de croire qu'un homme peut s'orienter indéfiniment par rapport
au rythme de ses besoins organiques, car ce rythme peut se modi-
fier quand il n'y a plus d'impulsions externes. Le rythme circa-
dien de M. Siffre était justement de 24 h 6, ce qui donne un
décalage d'environ 24 h au bout de deux mois. Les mêmes
valeurs ont été retrouvées dans une expérience de J. N. Mills
(1964), qui a duré 105 jours.
Il est ainsi manifeste que le rythme du sommeil fournit une
horloge. Nous savons bien que, le soir, nous avons, à mesure
que l'heure du coucher approche, des sensations de fatigue qui
peuvent nous fournir des repères et que, le matin, notre réveil
a lieu à heure à peu près fixe (1). Cependant, cette expérience
montre que l'estimation peut varier avec l'heure même du réveil.
D'autres expériences plus spécifiques ont essayé de le démontrer.
Nous allons les examiner.

(1) Le mêmefait a été observéchezdesanimaux.Leurréveila lieuaux heure


habituelles,mêmes'ils sont maintenusloin du bruit et de toute lumière.Ainsi.
les canarisse réveillentà heurefixe,quellesque soientles conditions(Sa.ymanski,
1916).
48 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

2° L'ESTIMATIONDE L'HEURE DU RÉVEIL


L'estimation de l'heure lorsque nous nous réveillons norma-
lement le matin, après une bonne nuit, ne permet pas de mettre
en évidence l'influence de repères intérieurs, car nous disposons
alors de nombreux signaux familiers : lumière du jour, bruits
de l'environnement, qui constituent une véritable horloge.
Cependant, quand un bruit inhabituel ou quelque cauchemar
nous réveille dans la nuit, nous avons spontanément quelque
idée de l'heure qu'il pourrait être. Pour avoir des données
précises, Boring (L. D.) et Boring (E. G.) (1917) ont réveillé
systématiquement des sujets complaisants entre minuit et 5 h
du matin en leur demandant l'heure qu'il était. L'erreur
moyenne des estimations a été de 50 mn, ce qui indique une
réelle orientation temporelle. Les sujets, d'après leurs propres
indications, essayent d'interpréter des sensations internes :
degré de fatigue, profondeur du sommeil au moment de l'éveil,
sensations stomacales, degré de réplétion de la vessie. On peut
aussi penser qu'ils interprètent des repères non conscients, de
ces repères qui nous font dire, sans calcul, dans un réveil
brusqué : « Il doit être 3 h du matin. »

LE RÉVEIL SPONTANÉA HEURE FIXE


De nombreuses personnes affirment qu'il leur est possible
de s'éveiller à une heure qu'elles ont déterminée la veille. Som-
mes-nous devant une croyance sans fondement ? Si cette pos-
sibilité existe, comment l'expliquer ?
Les travaux les plus sérieux confirment l'existence de cette
capacité et l'expliquent par la présence d'une véritable horloge
physiologique. Il est d'abord manifeste que tout le monde ne pos-
sède pas la possibilité de se réveiller à heure fixe. Clauser (1954)
a fait l'enquête la plus étendue sur cette question. Parmi
1 080 personnes interrogées, 19 % ont déclaré qu'il leur
était impossible de se réveiller à volonté, 29 % doutent de
cette possibilité, et 52 % ont observé occasionnellement ce
phénomène sur elles-mêmes. Parmi ces 52 %, 15 % seulement
peuvent se fier absolument à cette capacité, 20 % le peuvent
généralement, et 59 % de temps en temps seulement. Dans
l'ensemble, cette capacité semble se répartir normalement avec
L'ADAPTATION AUX CHAlVGEMEN7'SPÉRIODIQUES 49

deux groupes extrêmes : 18 % des sujets qui sont à peu près


sûrs de pouvoir se réveiller et 19 % qui en sont absolument
incapables. Ces différences individuelles sont confirmées par la
recherche de Omwake et Loranz (1933) qui ont fait appel à
deux groupes, l'un comprenant dix étudiantes qui prétendaient
être capables de se réveiller à heure fixe et l'autre dix étudiantes
qui affirmaient le contraire. Or, au cours de 14 nuits, on a
demandé à ces jeunes filles de se réveiller à des heures variées,
comprises entre 0 h 30 et 6 h 15 : dans le premier groupe le
réveil a été possible dans 49 % des cas avec une erreur infé-
rieure à 30 mn ; le second groupe n'a compté que 5 % de
succès. Il y a donc des différences individuelles marquées. En
général, on a surtout des renseignements sur les sujets les plus
aptes à se réveiller ainsi automatiquement. Hall (W. W.) (1927)
a fait sur lui-même 109 essais. Dans 18 % des cas, il s'est
réveillé exactement à l'heure prévue, dans 53 % des cas avec
une erreur inférieure à 15 mn, dans 75 % des cas avec une
erreur inférieure à 30 mn, et dans 81 % des cas avec une erreur
inférieure à 54 mn. Brush (1930) a une précision du même
ordre. Parmi 50 essais faits sur lui-même, il trouve que la
moyenne de ses erreurs est de 10 mn 6 s, avec un <rde 10 mn.
Sur 33 personnes, Vaschide (1911) a trouvé une moyenne des
erreurs de 21 mn, et Frobenius (1927), sur 5 sujets au cours
de 250 nuits au total, a constaté que, dans 96 % des cas,
l'erreur était inférieure à 40 mn.
Ces résultats sont très voisins et témoignent d'une bonne
précision. Plusieurs études montrent cependant que le réveil
à heure fixe est d'autant plus facile et d'autant plus précis que
l'heure choisie pour le réveil est plus proche de l'heure habituelle
du réveil spontané. Vaschide a choisi 17 personnes qui avaient
l'habitude de se réveiller vers 8 h du matin ; il a trouvé, à partir
d'un nombre moyen de 19 observations sur chacune, que la
moyenne de leurs erreurs était de 28 mn pour un réveil fixé
à 3 h du matin, de 23 mn à 5 h du matin et de 17 mn seulement
à 6 h. En expérimentant sur lui-même au cours de 257 nuits,
il a trouvé que son erreur était en moyenne de 25 mn pour un
réveil à 1 h du matin et seulement de 6 mn 50 s pour un réveil
à 8 h du matin. De même Omwake et Loranz ont constaté que
parmi les sujets qui se prétendaient aptes à se réveiller à heure
fixe il y avait eu 36 % de réussites (avec une erreur maximum
P. FHA[SSE 4
50 l'S'tCHOU)GIE VU TEMPS
.

de 30 mn) pour les réveils avant 2 h 30, et 70 °)>pour les réveils


après 4 h 30.
Ces faits étant sérieusement établis, comment peut-on les
interpréter ? La première explication qui vient à l'esprit est
que ces personnes se servent de repères extérieurs : le chant du
coq, le bruit d'un train ou d'une sirène d'usine, le premier
autobus, etc. Les sujets de Vaschide ont reconnu qu'ils cher-
chaient à les utiliser, mais aussi qu'ils étaient insuffisants.
Frobenius, qui a étudié, spécialement ce problème, a trouvé que
les résultats de ses sujets étaient aussi précis, qu'il y ait dans
leur chambre une horloge qui sonne les heures, ou qu'ils dor-
ment dans une pièce très isolée des bruits. Il a même constaté
que les réveils étaient aussi précis s'il y avait dans la chambre
une horloge qui avait été déréglée à l'insu du dormeur.
La manière dont on se réveille dans ces conditions montre
d'ailleurs que l'utilisation des repères ne serait pas toujours
possible. Celle.ci impliquerait que le sujet soit en quelque sorte
réveillé par un signal qu'il -puisse reconnaître et localiser. La
variété des heures choisies dans les diverses recherches rendrait
ces coïncidences déjà difficiles. Quels sont les bruits à 2 ou 3 h
du matin ? Sauf dans des cas exceptionnels, nous serions bien
incapables de l'indiquer. D'autre part, les auteurs ont noté
que le réveil automatique se faisait souvent d'une manière
brusque, abrupte, sans transition, comme dans une commotion.
Parfois même certaines personnes ne se rappellent pas immédia-
tement au moment du réveil qu'elles avaient décidé de se
réveiller à cette heure-là. Pour toutes ces raisons, l'utilisation
de repères extérieurs ne peut suffire à expliquer ces réveils
spontané à heure dite.
Si les repères ne sont pas extérieurs, il faut alors supposer
qu'ils sont intérieurs. Les cycles organiques induits par ceux
de l'activité au cours du nycthémère, et dont nous avons vu
quelques exemples, ne nous laissent aucun doute sur l'existence
de cette horloge physiologique. Mais comment pouvons-nous
la.lire ? Le problème posé en ces termes renvoie avant tout à
celui de la nature du sommeil : pouvons-nous être attentifs
électivement à certains signaux pendant le sommeil ? Nous
savons que la réponse est positive. La mère perçoit les petits
cris de son enfant que n'entendent pas les voisins ; le veilleur
de nuit est réveillé par des craquements qu'il ne remarquerait
T}ADAPTATIONAUX (:11,4NGEIIIENFSPÉRTODTQUES 51

pas s'il n'était pas en service. Le sommeil ne supprime pas


toute la fonction vigile et la théorie psychanalytique nous a
appris le sens fonctionnel des rêves. On a justement remarqué
que les sujets qui doivent se réveiller à heure fixe dorment moins
bien (plus d'agitation et de réveils, accélération du pouls)
qu'en temps ordinaire. Tout se passe comme s'ils étaient
préoccupés et cette préoccupation se manifeste justement dans
leurs rêves ; problème de l'heure, retards possibles y tiennent
une grande place, et souvent c'est dans un rêve même qu'ils se
réveillent (Bond, 1929). Ainsi les rêves prouvent que le sujet,
tout en dormant, continue à surveiller l'heure. Si la volonté
consciente peut déterminer l'heure du réveil, les désirs refoulés
le peuvent aussi. Odier (1946) raconte le cas d'un homme
qui pouvait se réveiller exactement à l'heure qu'il s'était fixée.
Un jour, par extraordinaire, il se réveilla plus tôt. L'analyse
de la situation montra qu'il s'était réveillé à l'heure qui lui
aurait permis de partir en voyage avec une amie, objet d'un
amour coupable. Ce désir avait été refoulé, mais il avait malgré
tout provoqué le réveil à l'heure utile.
Cette conception du réveil spontané n'implique pas quelque
obscure science de l'heure, mais simplement l'interprétation
exacte des signaux organiques. Aussi bien est-elle acquise et
les enfants y sont justement beaucoup moins aptes que les
adultes (Clauser, 1954). Elle explique aussi pourquoi le réveil
spontané est d'autant plus difficile que l'on est plus éloigné de
l'heure normale du réveil. Les signaux plus éloignés de l'heure
normale de notre réveil sont moins connus, plus difficile
à interpréter que ceux que nous avons appris à dater par
des réveils plus fréquents. D'autre part, au milieu du som-
meil, la vigilance est moins grande et l'interprétation plus
difficile.
On pourrait objecter que ces signaux, auxquels nous faisons
jouer un rôle si grand, doivent être très faibles puisqu'ils nous
échappent à l'état de veille. Mais les études sur les rêves ont
justement montré que, dans le sommeil, nous sommes sensibles
à des stimuli organiques imperceptibles, ce qui explique en
particulier que nous pouvons avoir des rêves prémonitoires
de certaines maladies dont les symptômes ne se révéleront à
la conscience qu'ultérieurement (Piéron et Vaschide, 1901).
Les différences individuelles que l'on constate n'infirment
52 1'8 }'CHOLOGIED11zTEMPS
_ __ __- _ -_--_ _ ---

pas ces conclusions. Elles montrent que le rapport entre la


vigilance et les repères sensoriels n'est pas le même chez tous
les individus. Il devrait être possible de préciser les particula-
rités typologiques des personnes qui ont cette capacité, ce qui,
réciproquement, éclairerait les mécanismes mêmes de l'orien-
tation temporelle à partir des repères organiques. Seul Clauser
(1954) a tenté cette analyse mais il l'a faite dans le cadre de la
classification de Jaensch qui est des plus discutables. Selon lui,
les individus qui ont la possibilité de se réveiller à heure fixe
se rencontreraient surtout chez les « désintégrés » et, en parti-
culier, parmi ceux qui ont une tendance au dédoublement et à
la dissociation.
En conclusion, nous constatons que les organismes ont de
nombreuses activités périodiques dont beaucoup sont le fruit
d'une adaptation. Bien des variations de leur vie physiologique
se synchronisent aux changements extérieurs et les individus
apprennent à répéter des conduites bénéfiques qui anticipent
le retour périodique de situations correspondantes.
Cette adaptation aux changements cycliques a une signi-
fication biologique évidente, mais elle a aussi une portée psycho-
logique. L'induction des rythmes organiques à partir des
rythmes cosmiques en particulier offre un double système de
signaux qui se correspondent l'un à l'autre. La prépondérance
des repères qui nous sont fournis par les horloges naturelles
ou faites de main d'homme nous masque l'importance du
montage d'une véritable horloge physiologique. La correspon-
dance une fois établie entre ces deux types d'indications, nous
pouvons cependant interpréter des repères organiques dont le
signe temporel serait à lui seul peu manifeste. Ainsi s'expliquent
vraisemblablement beaucoup des faits que l'on rapporte à un
soi-disant sens du temps : l'intuition de l'heure qu'il est, ou
certaines orientations temporelles qui doivent moins aux repëtes
extérieurs qu'à des avertissements d'origine physiologique. De
ce point de vue, le comportement de l'homme qui se réveille
à l'heure qu'il a fixée n'est pas plus mystérieux que celui de
l'animal qui présente un comportement spontané à heures régu-
lières, même quand lui manquent les stimuli extérieurs qui
avaient pu au début le diriger.
Ces adaptations sont des conditionnements au sens classique,
puisque ce sont des stimuli, d'abord inefficaces, qui deviennent
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 53

ensuite signaux de la conduite. Ces conditionnements ont


cependant une originalité : elle tient en ce que le stimulus normal
d'origine externe engendre en quelque sorte, par induction, le
stimulus interne associé. Cette induction détermine la localisa-
tion temporelle des stimuli conditionnels par suite de la syn-
chronisation qui s'établit entre les deux séries, externe et
interne, des changements. En ce sens, il y a littéralement condi-
tionnement au temps.
CHAPITRE II

LE CONDITIONNEMENT A LA DURÉE .

Les changements périodiques sont un cas particulier de


l'universel changement, le plus simple. On y saisit la succession
et la durée sous une forme encore élémentaire. En effet, les
phases de la succession sont toujours semblables à elles-mêmes :
le jour et la nuit, le flux et le reflux, etc. Les durées sont iso-
chrones entre les phases, ou, à tout le moins, la durée d'un
cycle complet est constante. Qu'advient-il lorsque l'animal ou
l'homme doit s'adapter à des changements qui ne sont plus
aussi simples ?

LE CONDITIONNEMENT NETARDÉ

Nous savons que l'homme a la possibilité de saisir la succes-


sion et la durée, de se les représenter, etc., mais l'animal lui-
même a plus qu'un équipement de tropismes ou de réflexes
simples qui le condamnerait à ne réagir qu'à des stimulations
présentes. Son comportement à un instant donné tient compte
de ce qui a précédé et de ce qui va suivre, c'est-à-dire de la
succession des événements. Le fait est déjà manifeste dans les
réflexes conditionnés. Un stimulus devient le signal d'un autre
stimulus qui avait la propriété de déclencher une réaction innée
ou acquise ; le conditionnement établi, ce signal suffira à
provoquer la réaction, même si, pour une raison quelconque, sa
stimulatioii propre ne se produit pas. Il se crée ainsi un appren-
tissage lié essentiellement à la succession de deux stimulations.
Pavlov (1929, p. 29) a toujours insisté sur le fait qu'il n'y
avait conditionnement possible que lorsque le stimulus condi-
tionnel précédait le stimulus normal, c'est-à-dire lorsqu'il y
avait succession. Le conditionnement rétrograde, c'est-à-dire
IE (,'ONDITIONNFUENT A LA DURÉE 55

le cas où le stimulus conditionnel suivrait le stimulus normal,


n'est pas possible. Cette thèse a été contestée, mais les faits
invoqués semblent tous pouvoir s'expliquer par un mauvais
contrôle des stimulations (Woodworth, 1949, 1, pp. 164-165).
Ainsi, la forme la plus simple de l'adaptation à la succession des
changements se révèle-t-elle dans le moindre conditionnement.
L'enfant, qui s'arrête de crier à la vue du biberon, anticipe
l'événement suivant, de même que celui qui, quelques mois
plus tard, coopère à l'habillage en présentant successivement
les membres appropriés.
Il n'y a pas que la succession qui compte ; l'intervalle de
durée entre les stimulations joue aussi un rôle. Il existe d'abord
une valeur optimum de cet intervalle. Pavlov, sans avoir fait
de déterminations précises, avait lui-même signalé que le
conditionnement s'établissait noimalement quand le stimulus
conditionnel précédait de quelques fractions de seconde ou de
quelques secondes le stimulus normal. Cette marge est celle dans
laquelle il y a justement perception de la succession. Mais dans
cette zone, le conditionnement, c'est-à-dire en définitive l'éta-
hlissement d'une liaison entre les stimulations, est le plus facile
lorsqu'elles se succèdent à un intervalle d'une demi-seconde ou
de trois quarts de seconde environ. Nous verrons dans le
chapitre V que cette durée correspond à l'intervalle dit d'indif-
férence qui est celui pour lequel la perception de la succession
est la plus facile : les stimuli se détachent bien les uns des autres
sans cependant paraître séparés par un intervalle qui dure. On
retrouve cet optimum dans les conditionnements qui mettent
en jeu les réactions les plus diverses : retrait de la main (Wolfle,
1932, Spooner et Kellogg, 1947), réflexe palpébral (Kimble,
1947 ; McAllister, 1953), et même réflexe psychogalvanique, bien
qu'il s'agisse là d'une réaction de type neurovégétatif (White
et Schlosberg, 1952). Nous retiendrons que l'adaptation à la
succession est d'autant plus facile que cette succession est per-
çue, distinction qui s'éclairera mieux dans notre deuxième
partie.
Cependant le conditionnement est encore possible, quoique
plus difficile, quand une durée notable sépare les deux stimu-
lations. Non seulement le conditionnement peut s'établir, mais
la réponse conditionnée se déclenche alors en l'absence du
stimulus normal, après un intervalle de temps de même durée
566 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
- -- - ---- - zu

que l'intervalle qui s'était écoulé entre le stimulus conditionnel


et le stimulus normal pendant le conditionnement. Dans ce cas
il y a un double stimulus conditionnel : la stimulation signal
et la durée entre les deux stimulations. Le conditionnement est
dit retardé. Il réalise alors une adaptation non seulement à la
succession mais à la durée, par une sorte d'estimation qui ne se
limite plus au cas des changements périodiques. Le temps dans
des combinaisons de stimuli conditionnés devient, grâce au
conditionnement retardé, un déterminant de la conduite.
Ces faits ont été mis en évidence dans le laboratoire de Pavlov
entre 1907 et 1911 (d'après Dmitriev et Kochigina, 1959).
Ce conditionnement retardé se présente sous deux formes
différentes. Le stimulus conditionnel peut être assez long et le
stimulus normal n'intervenir que vers la fin ; dans ce cas on
parle de conditionnement différé,. Le stimulus conditionnel
peut au contraire être bref et précéder d'un temps plus ou
moins long le stimulus normal ; on parle alors de condition-
nement de trace, pour souligner que la réponse conditionnée
sera déclenchée non pas par un stimulus perçu mais par sa
trace mnémonique (Pavlov, ibid., p. 40).
Dans l'un et l'autre cas, les lois des phénomènes sont très
voisines (1). Le fait essentiel est qu'à l'intervalle temporel qui
s'étend du début du stimulus conditionnel au stimulus normal
correspond, après conditionnement, une latence de même durée
de la réponse conditionnée.
Il est même possible d'établir un double réflexe conditionné
retardé à un même stimulus chez le même animal. Il suffit de
conditionner la réaction retardée brève (15 s) dans une première
chambre et la réaction retardée longue (50 s) dans une deuxième
chambre. Ce double conditionnement reste difficile chez le
chien et peut déclencher des états névrotiques. Cependant,

(1) Les lois sont semblables mais le conditionnement différé est plus facile à
obtenir que le conditionnement de trace. Pavlov (ibid., p. 86) le notait : « En
présence de l'excitation continue, le retard se développe plus rapidement. » Mowrer
et Lamoreaux (1942), dans des conditions particulières, notent le même fait sur
le rat, ainsi que Rodnick (1937 a) chez l'homme dans le conditionnement du réflexe
psychogalvanique. La même loi se retrouve dans des conditionnements d'évitement
de type instrumental (Kamin, 1961 ; Black, 1963).
Le fait n'a pas été expliqué. Nous serions tentés de le rapprocher des résultat.
que nous avons trouvés dans l'appréciation du temps chez les jeunes enfants (Fraisse,
1948 a). Les temps « pleins » ont plus de réalité que les temps « vides » et ils sont
estimés beaucoup plus exactement, comme si la durée physique du stimulus ajoutait
un repère à ceux que fournissent les processus « intérieurs ».
LE CONDITIONNEMENT A LA DURÉE 57
-

cette expérience montre la complexité des adaptations qui cor-


respondent à ces processus (Chu-Tsi-Tsiao, 1959).
Nous pouvons serrer les faits de plus près à partir du travail
d'un élève de Pavlov. Le stimulus conditionnel était un coup
de sifHet, le stimulus normal de la salivation un acide qui suivait
à trois minutes d'intervalles. Si on mesure en gouttes la sali-
vation du chien de demi-minute en demi-minute, on trouve
après conditionnement les résultats suivants (Pavlov, ibid.,
p. 84).
Heure Nombre de gouttes
des expériences de salive
3 h 13 002244 4
3 h 15 00436 6
3 h 40 () 0 2 2 3 6
Cet exemple montre que la réponse ne suit pas immédia-
tement le stimulus conditionnel, elle est retardée.
Le retard, ici, n'est pas égal à l'intervalle qui s'écoulait
entre le stimulus conditionnel et le stimulus normal, ou plus
exactement la réaction commence à se produire avant la fin
de l'intervalle. Cela ne veut pas dire que « l'estimation » de la
durée ait été inexacte. En effet, le retard dans un pareil condi-
tionnement ne s'établit que peu à peu et Pavlov insiste même
sur le fait qu'il faut procéder très progressivement et qu'il n'y a
pas réussite avec tous les animaux. D'autre part, la réaction
salivaire est une réponse préparatoire à l'acte de manger et il est
normal qu'elle anticipe la présentation du stimulus normal
(Guillaume, 1947, p. 33). La même remarque peut être faite
avec encore plus de pertinence quand le réflexe qui a été
conditionné est de nature défensive. Ainsi Rodnick (1937 a) a
trouvé que le retard du réflexe psychogalvanique, déclenché
par un choc électrique précédé d'une lumière, était, après
apprentissage, de 5,7 s, alors que la lumière avait été
allumée 20 s avant le choc (conditionnement différé) (1).
Le réflexe lié à une attitude défensive du sujet, à une
« appréhension », ne suit sans doute pas immédiatement

(1) Le retard n'est que de 4,1 s aprèsun très longapprentissage dans le cas
d'un réflexeconditionnéde trace,c'est-à-direlorsqu'unebrèvelumièreprécèdele
chocde 20 s. Ceschiffresn'ont évidemment qu'unevaleurrelative.Switzer(1934)
avait trouvéen conditionnement différé,dansune expériencesemblableà cellede
Rodnick,que le retard de
croissait 5 à 10 s environpourun chocsuivantde 16 s
l'établissementd'une lumière.
58 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

l'établissement de la lumière mais précède d'assez loin le choc.


En serait-il encore de même si nous expérimentions sur des
réflexes dont le sens biologique est différent ? Il est difficile de
répondre à cette question, car la plupart des réflexes sont de
caractère défensif ou sont très liés à des préparations d'une
activité. Cependant, en allongeant l'apprentissage, les expé-
riences montrent que l'on augmente un peu le retard de la
réaction, augmentation fragile d'ailleurs, car si vingt-quatre
heures séparent deux séances, il y a régression.
Cependant, dans un cas, on a pu montrer que le retard de la
réaction était pratiquement égal à l'intervalle entre la stimu-
lation normale et la stimulation conditionnelle. Mais il s'agissait,
il est vrai, d'une réaction physiologique et non d'un compor-
tement ; Jasper et Shagass (1941) ont, en effet, réalisé le
conditionnement retardé de la disparition du rythme cérébral
alpha, disparition dont le stimulus normal est une lumière.
Le stimulus conditionnel était un son qui précédait de 9,4 s
la lumière. Quand le conditionnement a été stable, ils ont
mesuré six fois le retard chez dix sujets et ils ont trouvé une
valeur moyenne de 8,2 s avec des extrêmes de 7,2 et 9,2 s et un
sigma moyen de 0,7 s. Le retard est donc, même dans ce cas,
légèrement inférieur à l'intervalle temporel entre les deux sti-
muli, conditionnel et normal, mais il est très stable et relative-
ment exact. Notons d'ailleurs que cette estimation biologique
du retard de la réaction physiologique était beaucoup plus
précise et moins variable que l'estimation consciente et
volontaire des mêmes sujets. On leur a demandé en effet
d'estimer en appuyant sur une clé le moment où devait se
produire le stimulus normal par référence au stimulus condi-
tionnel. Leurs estimations varient de 6 à 15,2 s avec un sigma
de 2,5 s. La corrélation entre le retard physiologique et l'esti-
mation consciente est d'autre part nulle, ce qui démontre qu'il
y a indépendance des deux processus.
En définitive, les conditionnements retardés manifestent
qu'à un niveau involontaire les individus tiennent compte de la
durée dans leurs adaptations au milieu. L'expérience de Jasper
et Shagass nous ferait même penser que l'enregistrement
physiologique de la durée est assez précis et que ce sont d'autres
facteurs psychologiques qui entraînent souvent l'anticipation
de la réaction.
LE CONDITIONNEMENT A LA DURÉE 59

II
L'ÉVALUATION DE LA DURÉE '
DANS LE CONDITIONNEMENTINSTRUMENTAL
Du conditionnement de type classique, on distingue le condi-
tionnement instrumental (Hilgard et Marquis, 1940). Dans
celui-ci l'animal, au lieu de subir le stimulus normal, doit
apprendre à produire une certaine réaction pour éviter une
douleur ou pour obtenir une satisfaction. Dans ce cas, la répé-
tition est encore nécessaire au conditionnement pour que la
bonne réponse soit découverte par tâtonnements et pour qu'elle
se fixe par renforcement. Les techniques du conditionnement
instrumental permettent aussi de mettre en évidence que
l'animal tient compte de la durée ; elles sont surtout un
moyen de déterminer la finesse de ce que nous appellerons
anthropomorphiquement l'estimation du temps par l'animal. De
nombreuses techniques ont été utilisées pour étudier ces condi-
tionnements.
Dans un labyrinthe, un rat, entre deux parcours possibles,
choisit le plus court ; de même, s'il a le choix entre deux confi-
nements de durées différentes, l'expérience montre qu'il choisit
le plus bref. C'est ce qu'ont prouvé Sams et Tolman (1925).
A leur entrée dans l'appareil, les rats avaient le choix entre
deux couloirs identiques à tous points de vue ; au cours de la
traversée des couloirs, ils étaient retenus chaque fois dans une
petite chambre, 1 mn dans l'une, 6 mn dans l'autre, avant d'at-
teindre leur nourriture. Les rats choisirent peu à peu la chambre
où ils n'étaient détenus qu'une minute. Il ne s'agissait pas d'une
préférence spatiale, puisque si on inversait la durée des confi-
nements les animaux inversaient aussi leur choix. Cette
méthode permet de juger de la capacité des animaux à diffé-
rencier deux durées l'une de l'autre (1). Anderson (A. C.) (1932)
l'a utilisée systématiquement en offrant à l'animal le choix entre
quatre durées de détention. Au bout de 500 courses réparties

(1) Woodrow (19286) a utiliséane méthodeun peu semblabledansl'étudede


temporelledes singes.Ceux-cine devaientchercher
la capacitéde discrimination
à prendreun appât qu'aprèsla perceptiondu pluslongde deuxintervallesvides
donnéssuccessivement au hasard. Lui aussi a trouvé que ces singespouvaient
distinguer1,5 s de 2,25s. Cesdurées,étant dans la limite des duréesperçues,
relèventd'un autretypede conduite(voirla deuxièmepartie) ;nousne lesmention-
iwn, ici que pour mémoire,.
60 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

sur plus de 3 mois, son groupe de rats entrait dans 72 % des cas
dans le couloir où il était retenu 1 mn, dans 19 % des cas dans
celui de 2 mn, dans 6 % des cas dans celui de 3 mn, et dans 3 %
des cas dans celui de 4 mn. L'apprentissage est donc indis-
cutable. Avec la même méthode, mais en utilisant seulement
deux couloirs à la fois, le même auteur a établi que les rats
étaient plus sensibles à la différence relative des durées qu'à leur
différence absolue, ce qui montre que la loi de Weber s'applique
à la discrimination du temps par l'animal.
A partir des résultats d'Anderson, nous avons établi le
tableau suivant :

Rapport entre les durées ................ 1/4 1/3 1/2 1/1,5

Pourcentage de choix du confinement le


plus court ........................... 96 84 76 65
Différences entre les ,
durées............ 4 mn 3 mu 2 mn 1 mn 30 s 20 s 1(1s

Pourcentage de choix 1
du confinement le
plus court ........ 82 96 77 79 îl 80 74
)

Ces valeurs ne sont qu'indicatives, car elles ne correspondent


pas à des groupes de rats vraiment équivalents. Elles montrent
pourtant que le pourcentage des réussites décroît régulièrement
à mesure que le rapport des durées diminue, alors qu'il n'y a
aucune loi pour les différences absolues, compte tenu du fait
que les grandes différences correspondent toujours à de grands
rapports.
S'agit-il cependant de discrimination de la durée ? Hull (1943)
a fait remarquer que l'interprétation de ces résultats était
ambiguë. Le stimulus différenciateur est-il la durée de confi-
nement, ou l'animal choisit-il simplement le trajet corres-
pondant au confinement le plus court parce que de ce côté-là
le choix est plus vite renforcé ? Ce second facteur peut évidem-
ment jouer un rôle car plus la récompense suit rapidement
un choix, et plus celui-ci est rapidement fixé. Mais Cowles et
Finan (1941) ont justement proposé une autre méthode où la
durée du confinement précédait le choix au lieu de le suivre ; elle
LE GO7VDITIONIVF,MEIV'l'LA DURÉE fi1
z

constituait donc le seul indice de discrimination (1). Ils ont


pris un labyrinthe en Y. L'animal est introduit dans le tronc
commun qui est la chambre de confinement, Suivant que le
délai de confinement est bref ou long, l'animal doit apprendre
à choisir la branche gauche ou la branche droite, un seul
de ses choix étant récompensé. Dans ces conditions, seul le temps
peut être un indice de discrimination. On constate une fois de
plus que l'animal est capable de discrimination temporelle
puisque l'apprentissage reste possible. Il semble cependant
plus difficile que dans les expériences du type de Sams et Tolman.
Six des neuf rats de Cowles et Finan ont appris après 600 essais à
discriminer 10 s de 30 s au critère de 70 % de réussites.
Heron (1949), qui a utilisé un appareil construit sur le même
principe, a trouvé des différences individuelles très grandes
entre les rats. Sur onze animaux, trois ont discriminé seule-
ment 5 s de 45 s, 4 sont arrivés à discriminer 5 s de 25 s,
3 autres 5 s de 20 s, et un 5 s de 10 s. Yagi (1962) a trouvé de
même que les rats pouvaient apprendre à discriminer 10 s de 50 s
en 120 à 400 essais, suivant les individus.
Ces méthodes de discrimination prouvent donc bien qu'il
y adaptation à la durée et discrimination, mais elles ne per-
a
mettent pas cependant des déterminations fines et rapides de
la précision avec laquelle les animaux peuvent estimer la durée.
Ruch (1931) en a proposé une autre. On place un animal sur
une grille A ; pour atteindre la nourriture, il doit passer sur
une autre grille B, suivie d'une porte C. Au début B est élec-
trisée et C est verrouillée : si l'animal s'aventure en B, il ne
peut que revenir en A. Mais au bout d'un certain temps, B
cesse d'être électrisée et C déverrouillée tout en restant appa-
remment fermée. L'animal doit profiter de ce moment pour
franchir B et C, car s'il reste en A il y recevra un choc électrique.
Pour résoudre ce problème, il doit donc apprécier un temps
inférieur à celui qui sépare le début de l'expérience et le moment
où la grille A sera électrisée et supérieur à celui du temps pen-

(1) Par une autre technique,moinsvalable,Mori(1954),a aussi essayéde


vérifierla valeurde l'objectionde Hull.Il a variéla placedeschambresde confine-
ment,lessituantloinouprèsdu but, maisn'a pastrouvéd'influence decettevariable.
Il a égalementtenté de placerdans chacunedes branchesdu labyrinthedeux
chambresau lieu d'une. D'un côté le rat est retenusuccessivement 1 puis 7 mn,
de l'autre 7 puis 1 mn. Lesrats ne semblentpas capablesde percevoirune diffé-
renceentre ces deuxsituations.
fi2 1'.'1 'rCITOUJG/F: nuTEMPS

dant lequel B est électrisée. Ces limites inférieures et supérieures


déterminent une période de sûreté que l'expérimentateur peut
faire varier autour d'une valeur moyenne. Le dressage est assez
rapide et on peut diminuer progressivement la période de sûreté.
Si on calcule alors l'écart entre la tentative du premier passage
et le point milieu de la période de sûreté, on arrive pour le
rat à une erreur de 13 % qui peut être considérée comme un
seuil déterminé par une méthode de l'erreur moyenne. Ce seuil
est très fin, car pour une durée du même ordre (ici 438 s) le
seuil chez l'homme est de l'ordre de 20 à 30 %. Buytendijk
(1935), qui a employé une méthode voisine de celle de Ruch,
. 60% Ri R2 R3 R4
j
50
40
'N 30
'
20 r r
10- o r
o -n-rn ! n
,0 _r
FiG. 1. - Histogrammesmontrant, pour chaquerat, la répar-
tition moyennedes réponses dans 1 intervaliede 2 mn. Chaque
bloc indique la proportion des réponses(en %) émises dans la
tranche de 15 s correspondante,N = sans médicament.
10 derniersjours de stabilisation (in IRICIIFLLE(M.), DjAHAN-
GUIRI(B.), Psychopharmacologia, 1964, 106, p. 110).

fait remarquer que les réactions anticipées sont plus nombreuses


que les réactions retardées, comme dans le conditionnement
classique (1).
Certains programmes de renforcement (Ferster et Skinner,
1957), utilisés dans des boîtes de Skinner, permettent aussi
d'étudier les conditionnements temporels sous plusieurs aspects.
Deux retiendront notre attention. Tout d'abord les programmes
à intervalle fixe. L'appui sur le levier n'est renforcé (par de la
nourriture) que s'il intervient après un intervalle minimum
de 2 mn, par exemple. Les autres appuis sont possibles, mais ne
servent à rien. On observe alors que plus l'apprentissage se

(1) Blancheteau(1965),qui a repriscesexpériences,


trouvele mêmerésultat,
mais en outre il analyseà travers quelleschaînesde conditionnement
l'animal
arriveà s'adapterà cette situationcomplexe.
TaeCONDITTONNEMENT .4 1,-l D17RÉF fi3

développe et plus les réponses se massent vers la fin de l'inter-


valle. Il y a peu de réponses pendant la première minute, elles
augmentent peu à peu pour devenir très fréquentes dans les
dernières 15 s (voir fig. 1) (Richelle, 1962 ; Richelle et Djahan-
guiri, 1964). Les conduites dans ce conditionnement opérant
sont très proches de celles observées par Pavlov et son école
sur le conditionnement salivaire. Elles peuvent aussi être inter-
prétées comme un conditionnement au temps.
Les programmes dits D.R.L. (Differential reinforcement of
low rate) sont très intéressants dans la perspective de ce cha-
pitre. Dans ces programmes, le renforcement n'intervient. que
pour une réponse qui en suit une autre à un intervalle donné,
par exemple 20 s. Cette situation n'est pas assimilable à un
conditionnement au temps (chap. I), parce que la périodicité
n'est pas assurée, puisque l'animal peut répondre trop tôt ou
trop tard. Mais quel que soit le moment de la réponse, l'appareil
est aussitôt programmé pour que le renforcement ne se produise
que si la réponse suivante intervient au moins 20 s après la
précédente.
Dans ce cas, on observe (Wilson et Keller, 1953 ; Sidman,
1956) que les intervalles de réponse se répartissent régulièrement
autour d'une tendance centrale située autour de la durée fixée,
soit 20 s dans l'expérience de Sidman (voir fig. 1).
On peut d'ailleurs réaliser des conditionnements au temps
encore plus prccis en ne renforçant que les réponses qui tombent
dans un intervalle donné : par exemple après 20 s et avant 25 s.
Dans ce cas précis, le dressage des rats est assez facile. Il devient
plus difficile si on réduit la marge de sécurité, mais il est encore
possible pour un intervalle de 1 s après 20 s, ce qui donne un
intervalle de 5 % (Kelleher, Fry, Cook, 1959).

*
* *
Par des méthodes très différentes, on a ainsi prouvé que,
chez l'animal, où n'interviennent pas les processus complexes
que nous étudierons dans les prochains chapitres, il existe une
adaptation au temps, soit que l'animal se soumette à sa loi,
ce qui est très remarquable dans le conditionnement retardé
classique, soit que le temps détermine sa conduite, comme dans
le conditionnement instrumental.
Id PSYCHOLOGIEVU TEMPS

Il est vrai que ces apprentissages sont longs, difficiles, et


les différences individuelles sont très grandes, comme tous les
auteurs l'ont signalé après Pavlov. Ils sont aussi peu stables.
Une interruption de 24 h entre deux séances amène une dimi-
nution du retard d'un conditionnement différé ou de trace
(Switzer, 1934 ; Rodnick, 1937 a). La réponse retardée serait
aussi moins intense que la réponse immédiate (Kotake et
Tagwa, 1951 ).
D'autre part, il semble que les conditionnements retardés
ne sont possibles que dans des limites temporelles relativement
étroites, bien que ce point n'ait pas fait l'objet d'études précises.
Si les délais sont trop longs, il ne s'établit plus de liaisons entre
le signal et la réponse et la discrimination de deux durées n'est
plus possible.

III
I:ES LNTERPRÉTATIOIVS}'SYCHOPHYSIOLOGIQUES
Comment expliquer les mécanismes de cette adaptation
temporelle dans le cas de l'animal, cas où nous ne pouvons faire
appel aux processus supérieurs que nous analyserons dans notre
troisième partie ?
Pavlov (ibid., p. 86) pense que le stimulus conditionnel
engendre au début une inhibition conditionnelle (phase inac-
tive) suivie d'une période d'excitation (phase active). Il s'appuie,
pour sa démonstration, sur l'observation de l'animal et sur le
fait que les phénomènes observés pendant la première partie
du retard correspondent tout à fait aux processus d'inhibition.
En particulier, une stimulation quelconque de force moyenne
suffit à déclencher la salivation du chien dans la première phase
en levant l'inhibition ; au contraire, à la fin, pendant la phase
d'excitation, un stimulus du même genre a une action inhi-
bitrice qui a pour effet de diminuer la salivation (1).
Prenons un exemple où la levée de l'inhibition par un sti-
mulus neutre est manifeste. Le stimulus conditionnel est
l'excitation mécanique de la peau et le stimulus normal
suivant à 3 mn est un acide. La réaction salivaire est retardée

(1) Hull(1952)postuleaussiun processusinhibiteurcorrespondant


au fait que
la réponseest retardée(Théorème25 B).
LE CONDITIONNEMENT A LA DURÉE 65

(expériences de 9 h 50 et 10 h 30). Si on associe au stimulus


conditionnel le bruit d'un métronome qui n'a eu aucune
relation avec la salivation, on s'aperçoit que la salivation
commence tout de suite (10 h 15). Voici le tableau de Pavlov
(ibid., p. 87) :
___ ._ ____
1__L- Salivation en gouttes
Heures ¡- _-_- - - _ _ -
Stimulus 1 durant
, chaque demi-minute
: j
9 h 50 I Excitation mécanique de la peau 1 0 0 3 7 11 19
10 h 15 ' Excitation + métronome ; 477 3 5 9
10 h 30 de la peau 0 0 0 3 12 14
1 Excitationmécanique 1

Tout se passe comme si le métronome qui n'avait aucune


valeur de signal poui l'animal levait l'inhibition de la première
phase et créait une inhibition sur la deuxième, effet caracté-
ristique d'un stimulus neutre en fonction de l'état d'inhibition
ou d'excitation du cerveau. Que le retard soit dû à une inhi-
bition, Pavlov en veut aussi trouver une preuve dans le fait
que tout ce qui contrarie le processus inhibiteur rend l'établis-
sement d'un conditionnement retardé plus difficile. Ainsi en
est-il chez les chiens dont, selon sa typologie, les processus
inhibiteurs sont faibles, ou simplement chez des chiens dont le
processus d'excitation est renforcé par un jeûne avant l'expé-
rience. Par de nombreuses expériences, Pavlov et ses élèves ont
d'ailleurs montré que les excitants du type caféine rendaient
le conditionnement au temps, ou retardé, très difficile, tandis
que les calmants du type bromure souvent les facilitent (d'après
Dmitriev et Kochigina, 1959) (1).
Cette hypothèse a reçu indirectement quelques autres
confirmations. Le fait que chez l'homme la respiration soit
inhibée pendant le conditionnement retardé du réflexe psycho-
galvanique pourrait être interprété dans ce sens (Switzer, 1934),
quoique l'appréhension puisse suffire à l'explication. En consi-
dérant le temps de réaction comme un conditionnement,

(1) Si on rapprochele conditionnementretardé des conduitesd'attente, on


peutremarqueravecBirman(1953)quelesindividusqui supportentbienl'attente
sont sansdouteceuxqui ont une forte composanteinhibitrice.Lesmanifestations
d'impatienceet les réactionsémotivesgénéraliséestraduiraientau contrairela
faiblessedu processusinhibiteur.
P. FHAISSE 5
66 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

Leridon et Le Ny (1955) ont montré qu'un sujet habitué à


réagir à un stimulus normal suivant de 5 s le stimulus condi-
tionnel (ou signal préparatoire) donnait un temps de réaction
significativement plus long si le stimulus normal arrivait seu-
lement au bout de 2 s, c'est-à-dire pendant la phase d'inhi-
bition. Ce résultat est d'autant plus surprenant que, norma-
lement, le temps de réaction est plus bref après un intervalle de
2 s entre le signal préparatoire et le signal d'exécution qu'après
un intervalle de 5 s.
L'existence de gradients d'approche ou d'évitement selon
la perspective de Miller (N. E.) (1944) peut être interprétée dans
le même sens. Une force se développe progressivement à mesure
que le moment d'une stimulation attendue approche. Prenons
comme exemple l'expérience de Rigby (1954). Un rat a la
tête prise dans un harnais dont les mouvements vont révéler
les conduites d'approche ou d'évitement. Dans la situation
d'approche, 10 s avant la présentation de la nourriture, on
allume une lampe ; dans la situation d'évitement, 10 s avant
un choc électrique appliqué sur les pattes arrière, on fait
entendre un bruit. Après un dressage qui réalise un condition-
nement retardé, on mesure la force d'approche à divers
moments du temps pendant le délai de 10 s et on constate
qu'elle croît légèrement pendant les 8 premières secondes et
abruptement vers la fin. La force d'évitement suit la même
évolution.
Le processus d'inhibition serait révélé en outre par le fait
que pendant le retard il se généraliserait. En effet pendant la
phase inactive, le stimulus conditionnel d'une autre réaction
est inefficace ou peu efficace (Koupalov et Pavlov, 1935).
Rodnick (1937 b), par exemple, a montré qu'un réflexe pal-
pébral, conditionné à un son, était moins intense si le son se
produisait pendant le retard conditionné d'un réflexe psycho-
galvanique. Dans un conditionnement où le sujet humain ne
bénéficie d'un renforcement monétaire que si sa réponse survient
60 s après un signal, Doehring et Al. (1964) ont observé avec
quelques variations individuelles que les réponses électroder-
males se multipliaient, la vitesse du coeur augmentait, le
volume du doigt augmentait vers la fin de la période de 60 s,
manifestant l'existence d'une phase active par rapport à une
phase inhibitrice.
LE COND1TIONNEMENTA LA 1)URÉh§ 67

S'il est donc très vraisemblable qu'il se développe un pro-


cessus d'inhibition pendant le conditionnement retardé, il
reste à préciser le mécanisme même qui règle sa durée : ainsi
passerait-on du plan descriptif au plan explicatif.
Pavlov s'est contenté de rattacher le conditionnement
retardé au conditionnement aux changements périodiques, dit
conditionnement au temps, que nous avons étudié dans le
précédent chapitre. Cela signifie qu'à chaque phase du retard
correspondrait un état de l'organisme qui engendrerait dans
les hémisphères cérébraux les processus d'inhibition pendant le
retard et les processus d'excitation au moment de la réaction.
Mais quels seront ces états successifs de l'organisme ? Quand on
nourrit un chien toutes les 30 mn, on peut encore penser qu'à
chaque instant de ces 30 mn correspond un état différent du
processus digestif, mais qu'imaginer quand simplement un son
est le signal d'une nourriture ? Il faudrait supposer que se
développe une série de réactions de l'organisme, mais, comme
dans le conditionnement au temps, il faudrait expliquer le
mécanisme de la régulation temporelle de ces réactions quand
leur succession n'est pas déterminée par les lois d'un processus
biologique tel que la digestion. Nous sommes ainsi renvoyés
à l'hypothèse même qu'a proposée Popov, la cyclochronie :
le système nerveux est apte à reproduire une série d'excitations
dans le même ordre et avec les mêmes intervalles temporels que
lorsqu'elles ont agi la première fois sur l'organisme. Cette
hypothèse peut s'appliquer aussi bien aux changements pério-
diques qu'à des répétitions de séquences identiques. Le groupe
stimulus conditionnel-stimulus normal, y compris le délai
entre les deux, constituerait un ensemble qui tendrait à se
reproduire identique à lui-même. Le compte-temps d'origine
cyclochronique n'exclurait pas le fait qu'il se développe une
phase inhibitrice, mais celle-ci ne serait qu'un effet. Il n'exclurait
pas non plus le fait que l'animal pourrait utiliser d'autres
repères venant du monde extérieur ou de l'organisme.
Dans le cas du conditionnement instrumental, plusieurs
auteurs ont pensé que la quantité d'activité de l'animal pendant
le confinement pouvait lui fournir un repère. Mais Cowles et
Finan (1941) ont remarqué qu'il n'existait aucune activité
typique et régulière de l'animal pendant ce temps. Heron (1949)
de son côté a suggéré que, pendant les périodes de confinement,
68 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

il se développerait une tension et que, suivant le niveau à


laquelle elle se trouverait quand l'animal est délivré, ce dernier
choisirait l'une ou l'autre solution. Cette hypothèse qui reste
assez vague serait corroborée par un fait qu'avait observé
Buytendijk (1935). Il avait dressé un chien, placé dans un
harnais du genre de ceux de Pavlov, à pousser toutes les 90 s
un battant derrière lequel on avait déposé un morceau de
viande. L'enregistrement continu de la respiration par un pneu-
mographe montrait un accroissement continu de l'amplitude de
la respiration à mesure que le moment d'agir approchait. Mais
où est l'effet et où est la cause ?
Le schéma le plus vraisemblable consiste à imaginer qu'un
processus nerveux spécifique sert de compte-temps et qu'il est
engendré par la répétition séquentielle d'excitations ayant une
signification vitale pour l'organisme. Le centre, qui comman-
derait les adaptations périodiques comme les conditionnements
retardés, est vraisemblablement sous-cortical. Les travaux
faits à partir d'un conditionnement instrumental au temps
semblent confirmer les résultats obtenus dans les inductions
périodiques (chap. I, p. 42). En effet, Finan (1939) a pra-
tiqué l'ablation des lobes frontaux chez quatre singes. Ces
animaux, avant comme après l'opération, sont capables de
résoudre un problème temporel du type de celui de Ruch
(cf. p. 61) : rester sur une grille pendant 10 s, puis profiter des
10 s suivantes pour franchir une autre grille de façon à éviter
un choc sur l'une ou l'autre grille. Ils sont de même capables de
distinguer un confinement de 30 s d'un autre de 120 s (1).
Certes, prise isolément, cette expérience prouve seulement
que l'intégrité des aires frontales n'est pas nécessaire dans les

(1) Dansla mêmeexpérience, F'inana montréque cesmêmesanimauxétaient


incapablesde donnerdesréponsesdifférées. Onappelleréponsedifféréeuneréponse
danslaquelleon imposeun délaientrele signalde la réactionet le momentde la
réponse.Ainsi,si on cachedevantun singeun fruit,il y aura une réponsedifférée
positivesi l'animalest capablede retrouvercefruit aprèsun délai.Jacobsen(1936)
avait trouvédes troublesélectifsde ces réponseschezles animauxprivésd'aires
frontales.Cependant,en rapprochantlesréussitesdesanimauxprivésd'airesfron-
tales,danslesexpériences proprementtemporelles,et leurséchecsdansles réactions
différées,Finan(1939et 1942)a fait apparaîtrenettementque la réponsedifférée
n'a pasune composante temporelleproprementdite,alorsqu'elleavaitété souvent
assimiléeà un conditionnement retardé.Le déficitconstatéest mnénomique et
seraitdû à un manquede fixationde la stimulation(placede l'objet). Le temps
-
ici joue un rôle, non par sa duréeproprementdite qui n'a pas besoind'être
enregistrée- maisparcequ'il créela possibilitéde l'oublientre la présentation
et le rappel.
LE CONDITIONNEMENT AJ..4 DIIRY'E 69

conditionnements retardés, mais comme par ailleurs on pense


que c'est dans ces aires qu'auraient pu être localisées les régu-
lations des conduites temporelles, on peut en inférer que le
compte-temps fondamental doit être plutôt sous-cortical. Ce
centre qui enregistrerait la durée et fournirait des indices sur
les séquences temporelles ne jouerait évidemment un rôle
qu'en relation avec tout le comportement de l'individu. Ainsi
les lois propres des réactions adaptatives qui impliquent une
anticipation de la situation pourraient expliquer que, dans le
conditionnement retardé du réflexe psychogalvanique ou du
réflexe salivaire, le retard soit inférieur au délai qui existe entre
le stimulus conditionnel et le stimulus normal. Des réactions
d'anxiété pomraient avoir le même effet.
Cette combinaison de processus physiologiques et de repères
fournis par l'affectivité comme par l'action expliquerait aussi
que plus les conditions de l'adaptation sont complexes et plus
en réalité les estimations temporelles sont imprécises. Ce
paradoxe signifierait simplement que seul le processus physio-
logique de base nous offre un repère précis, et trouverait sa
confirmation dans le fait que le conditionnement retardé du
rythme alpha qui ne se situe pas sur le plan du comportement
est le plus précis et le plus régulier de tous ceux qui ont été
étudiés.
*
* *
On peut, en conclusion, se demander quel rôle jouent ces
conditionnements à la durée dans la vie de l'homme. Nous
venons de voir que l'animal a la possibilité d'estimer pratique-
ment la durée, bien qu'il soit dépourvu de représentations sym-
boliques et qu'il soit incapable de faire des opérations intel-
lectuelles. Cette aptitude primaire existe-t-elle encore chez
l'homme ?
Elle n'apparaît pas directement, ce qui ne doit pas nous
étonner, car, si elle existe, elle ne se manifeste qu'intégrée à
ces conduites plus complexes qui manquent aux animaux.
Cependant, les rapprochements qui se sont imposés à nous
entre l'adaptation aux changements périodiques et les condi-
tionnements à la durée nous autorisent à penser que l'homme
aussi enregistre la durée sur un plan biologique. Dans le cas de
l'orientation temporelle, nous avons vu clairement que l'homme
711 l'SYClTnT,Or;lE 1)[ TEMPS

utilise à la fois les repères organiques que lui fournit l'adap-


tation de son corps aux changements et les élaborations les
plus symboliques ; de même, dans l'estimation de la durée
aux constructions de l'esprit doivent se mêler des informations
d'origine hiologique. C'est peut-être pourquoi l'estimation
directe du temps garde toujours un caractère un peu mystérieux,
dont la précision nous surprend parfois.
DEUXIÈME PARTIE

LA PERCEPTION DU TEMPS

Emportés et modelés par l'universel changement, nous en


sommes aussi les témoins parce que nous le percevons comme
changement. Cette perception est possible dans la mesure où
nous saisissons en une relative simultanéité plusieurs phases
successives du changement qui apparaissent ainsi liées.
Le présent perçu a, par suite, une épaisseur temporelle dont
la durée a les limites mêmes de l'organisation du successif en
une unité (chap. III).
Le seuil de la perception de la succession, dès que deux sti-
mulations n'apparaissent plus comme simultanées, et le seuil de
la durée, au-delà de l'instantanéité, sont fonction des conditions
de la réception sensorielle (chap. IV).
La durée perçue n'est qu'un caractère de l'organisation du
successif ; sa qualité dépend de la vitesse de succession des sti-
mulations et sa quantité de leur nature (chap. V).
Dans la mesure où on peut le vérifier, on constate que les
vertébrés supérieurs perçoivent le temps dans des conditions
semblables à celles de l'homme. Cette forme d'adaptation appa-
raît donc étroitement liée à des propriétés générales des centres
récepteurs. Chez l'homme cependant, la perception n'est
pas seulement guide de réactions immédiates, mais source de
connaissances.
CHAPITRE III

LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE

Il est des cas où nous constatons le changement. Il en est


où nous le percevons. Tout à l'heure, le soleil brillait ; main-
tenant, le ciel est couvert. Absorbé par mon travail, je n'ai
pas perçu le changement, mais je le constate grâce à ma
mémoire. Par contre, la cloche de l'école voisine sonne en ce
moment, et je perçois la succession de ces brèves alternances
de sons et de silences qui correspondent à ses battements. Je
perçois dans ce cas les changements comme j'aurais pu percevoir
tout à l'heure le passage des nuages masquant le soleil.
Ce chapitre est consacré à l'analyse générale des caractères
et des conditions de notre perception des changements. Mais
pour délimiter ce problème, il faut toat d'abord s'entendre
très précisément sur la nature du processus perceptif, puisque
nous voulons le distinguer d'autres modes d'adaptation.
Le langage psychologique, plus adapté à la vie pratique
qu'à une science de l'homme, nous trahit sans cesse. La per-
ception, dans le langage courant, désigne toute prise de
conscience et recouvre alors des processus à la fois sensoriels,
affectifs, mnémoniques et intellectuels. Pour ne prendre qu'un
exemple, touchant à notre sujet, J. Guitton (1941, p. 19) parle de
la « perception de l'avenir ». Il est évident dans ce cas qu'il ne
peut s'agir que d'une métaphore. Percevoir - employons le
verbe puisque la perception est l'acte d'un sujet - implique
essentiellement qu'il y a réaction à une situation présente. Cette
situation peut être précisée en termes physiologiques par l'exis-
tence d'une excitation des centres nerveux d'origine périphé-
rique, en termes de conscience par une expérience immédiate,
et en termes de comportement par une réaction adéquate à la
situation. Sur tous ces plans, on ne peut parler de perception que
74 l'SYC,HOLOGIF,DU TF,NIP,S

s'il y a une réaction immédiate à une stimulation présente. On


la définit peut-être mieux encore en la distinguant de ce qui
n'est pas elle. La mémoration est évocation, sur le plan de
l'action ou de l'imagination, d'un stimulus qui n'appartient
plus à l'expérience actuelle du sujet. L'intellection est une
mise en relation de données perçues, remémorées ou imaginées.
La réaction affective est retentissement dans toute l'activité
psychique d'un donné, lui aussi perçu ou représenté. Préala-
blement à tous ces processus, il a fallu qu'il y ait une expérience
directe ou immédiate.
Sur le plan de l'espace, nulle confusion n'est possible entre
l'espace perçu, l'espace imaginé ou représenté et l'espace conçu
comme une notion abstraite. Dans un autre domaine, Michotte
a pu parler de « perception » de la causalité, parce qu'il a
démontré qu'en modifiant les données du champ perceptif
actuel il pouvait modifier du même coup les réactions - ver-
bales, dans ses expériences - du percevant. Le fait que la
perception soit une réaction à une donnée immédiate ne signifie
pas nécessairement qu'elle soit indépendante de l'expérience
antérieure. Les informations sensorielles se chargent, au cours
de la vie d'un individu, de significations acquises par condi-
tionnement. Le chien salive à la vue de la viande, mais seule-
ment s'il a mangé antérieurement de la viande. Je dis que je
perçois une feuille de papier parce qu'à mon expérience originale
a toujours été associé dans mon enfance le mot papier. En ce
sens, le présent est chargé de significations acquises dans le
passé, mais autre chose est un passé présentifié par l'excitation
actuelle ou un passé remémoré. En définitive, le caractère de la
perception dépend plus ou moins de l'expérience passée du
sujet, mais elle peut toujours se définir comme la saisie de sti-
mulations présentes sans intervention explicite de souvenirs
et sans élaboration intellectuelle.
Ceci posé, on comprend immédiatement que la perception
du changement pose un problème. En effei, qui dit changement
dit cessation ou transformation de ce qui est. Que je puisse
constater le changement en confrontant ma perception à mon
souvenir, ou que je puisse concevoir le changement en rappro-
chant ces aperçus successifs sur le monde, la chose est claire.
Mais saisissons-nous le monde seulement comme une suite de
tableaux semblables à ces histoires par l'image que l'on propose
T,F, PRl%;.ST'NT
P.<iilI0I,OGIQITE î5

aux enfants ? En réalité nous savons que nos perceptions ne


sont pas statiques et que nous percevons un monde en perpé-
tuelle transformation.
Il faut distinguer le cas des changements continus et des
changements discontinus. Les changements continus donnent
naissance à la perception d'une transformation qualitative ou
intensive : l'assombrissement, le rougeoiement, le bruit crois-
sant de l'auto qui approche. Lorsqu'il y a déplacement spatial,
nous percevons le changement comme mouvement. Ces change-
ments se caractérisent tous par leur vitesse qui, avant d'être
une notion susceptible d'une définition liée à sa mesure (la
quantité de changement en une unité de temps), est une donnée
perceptive. L'enfant de cinq ans, qui n'est pas capable de
mesurer la vitesse et qui n'en possède pas la notion, peut cepen-
dant comparer la vitesse de deux mobiles à condition que la
situation ne soit pas si ambiguë qu'elle exige une composition
des données spatiales et temporelles (Fraisse et Vautrey, 1952).
Ces changements ne sont perceptibles que si leur vitesse atteint
un certain seuil. En deçà, nous constatons seulement des états
différents et successifs d'un même phénomène, mais non la
transformation. Ainsi en est-il de la croissance des plantes.
Il a fallu le cinéma et ses possibilités de projeter les images à
une cadence plus rapide que celle à laquelle elles ont été enre-
gistrées pour que nous puissions percevoir la croissance d'une
tige ou l'éclosion d'une fleur.
La perception d'une transformation continue nous fournit
des informations temporelles indistinctes par le fait que nous
ne percevons distinctement que ce qui est statique. Elle nous
permet cependant d'anticiper les états ou les positions succes-
sives de ce qui change. Le photographe amateur qui développe
à la vue un cliché ou une épreuve voit se transformer plus ou
moins vite l'image et il peut, à partir de cette vitesse, prévoir le
moment le plus opportun pour la retirer du révélateur. La
perception de la vitesse nous permet aussi d'anticiper le moment
où le mobile passera en un point ; grâce à cette perception, le
piéton sait quand il peut traverser la rue sans danger et le
chasseur où diriger son fusil pour atteindre lièvre ou perdrix.
Ces transformations peuvent nous donner une expérience
du durable ; elles peuvent nous en suggérer l'idée par l'éva-
nescence sans cesse renouvelée de ce qui change, mais nous n'y
76 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

percevons aucune durée quantitative. Celle-ci est toujours inter-


valle entre deux phénomènes ou deux états distincts d'un même
phénomène (1). La rivière qui coule sous mes yeux est rapide
ou lente, mais ce mouvement ne me donne aucune percep-
tion de durée. De la vitesse nous pouvons sans doute conclure à
une durée, mais par un raisonnement. Rien perceptivement ne
nous indique que ce qui va plus vite dure moins longtemps
(cf. chap. VIII).
La perception des changements continus n'a jamais été
mise en doute. Celle des changements discontinus pose par
contre des problèmes très complexes. Le changement continu
peut en effet être perçu dans l'instant, tandis que le changement
discontinu, pour être perçu, implique que je perçoive non seule-
ment l'état A puis l'état B, mais le passage de l'un à l'autre,
c'est-à-dire leur succession. Or, qui dit succession dit justement
que, lorsqu'un nouveau phénomène se produit, l'ancien n'est
plus présent. Telle est au moins l'analyse que notre idée de
succession nous permet de faire. En définissant la perception
comme saisie du présent, il semble que la perception d'une
succession soit impossible : voilà la conclusion à laquelle conduit
une analyse logique, que peut renforcer apparemment un recours
rapide à l'introspection. L'école de Würzbourg nous a heureu-
sement mis en garde contre l'erreur objective qui consiste à
confondre le donné phénoménal avec notre savoir sur l'objet.
Bergson avait finement remarqué que la perception de la
succession impliquait la perception simultanée et non successive
de l'avan.t et de l'après et « qu'il y avait contradiction à supposer
une succession qui ne fût que succession et qui tînt néanmoins
dans un seul et même instant n (Bergson, ibid., p. 77). Bergson,
on le sait, pensait que nous ne saisissions la succession que parce
que nous la projetions dans l'espace, en assurant une simulta-

(1) C'est sans doute en partant de cette observationque Bergsona suggéré


de distinguerla duréequalitéqui est pourlui la vraieduréeet la duréequantité.
« La duréetoute pure,a-t-ilécritdansun texte célèbre,est la formeque prendla
successionde nos états de conscience quandnotre moi se laissevivre,quandil
s'abstientd'établirune séparationentre l'état présentet les états antérieurs»
(Essaisur les donnéesimmédiates de la conscience, 19eéd., 1920,p. 75).Bergson
invoqueici un changementparticulier,celuimêmede nos états de conscience,
une
poury déceler expérience y où il a fusion mélodique de nospenséeset surtout
de nos aftects.Cetteexpériencen'est pas de l'ordrede la perception,car, en cher-
chant à en préciserles stimulationscorrespondantes, on supprimeraitpar le fait
mêmecet état de fusion.Nousauronsl'occasionde revenirsur les positionsdf
Bergson(cf. pp. 84-85).
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 77
- ------- -..--.--- .

néité des deux termes. Cette représentation de la succession


correspond à une conduite réelle que nous étudierons au
chapitre VIII. Il est cependant possible de prouver que nous
avons une perception de la succession.
La preuve doit être apportée en première analyse sur le
plan phénoménal, car il faut montrer que le paradoxe de la
perception simultanée de l'avant et de l'après n'existe qu'au
plan logique et non au plan des faits. Soulignons tout d'abord
que tous les changements discontinus ne sont pas perceptibles.
Il est 3 h 15 ; l'horloge vient de sonner un coup. Celui-ci est
unique. Perceptivement il ne succède à aucun autre, mais
je sais grâce à ma mémoire qu'il fait suite à trois coups frappés
il y a 15 mn. Par contre, quand l'horloge frappera les quatre
coups de l'heure suivante, je percevrai la succession des quatre
coups : cela signifie que le premier sera en quelque manière
encore présent quand le quatrième retentira. Ce fait n'a rien
de paradoxal, s'il est vrai, comme nous le démontrerons, que
la perception d'une stimulation même brève est un acte qui a
lui-même une certaine durée et qui jette comme un pont entre
des stimulations physiquement successives.
Dans le cas où il y a perception de la succession, deux situa-
t.ions peuvent se rencontrer. Si les stimulations sont nombreuses,
rapides et régulières, nous percevons qu'il y a succession, mais
le caractère dominant de cette succession est sa fréquence. Si
la fréquence est grande, les éléments sont indistincts et nous
n'avons que l'impression d'un changement d'intensité d'une
même stimulation (vibrations tactiles, papillotements lumineux,
crépitements). Si elle est moins grande, il y a perception d'une
suite d'éléments discrets comme dans les battements d'un
métronome rapide. La perception d'une fréquence s'apparente
à celle de la vitesse d'un changement continu et elle nous révèle
indirectement que cette dernière perception est déjà celle d'une
multiplicité. Un appareil photographique très rapide ne fixe
que des états statiques d'un phénomène. La perception du
changement est toujours appréhension multiple. La fréquence,
comme la vitesse, nous renseigne sur la qualité d'un change-
ment mais non sur sa durée.
Quand la fréquence est assez basse (de 2 à 3 à la seconde),
si nous faisons attention pendant un certain temps à la suite
des stimulations, un nouvel aspect de la perception du successif
78 PSYCHOLOGIEDUzu TEMPS

apparaît. Prenons l'exemple des sons : si nous écoutons une


suite de sons identiques se succédant à intervalles isochrones,
ils nous semblent être groupés par deux ou par trois ; percep-
tivement ce ne sont plus des sons, mais des groupes qui se succè-
dent. Ce phénomène, que l'on a qualifié de « rythmisation subjec-
tive » pour souligner qu'il ne correspond à aucune donnée de la
réalité physique, peut nous permettre d'analyser mieux que
tout autre la perception du successif. Le groupement naît en
effet d'une saisie globale et comme simultanée de plusieurs
éléments qui forment une unité de perception. Cette unité n'est
pas seulement constatée introspectivement. Elle retentit aussi
sur le comportement. L'enfant d'un an qui se balance au son
de la musique, l'écolier qui fait de même en récitant des alexan-
drins, manifestent que le vers ou la mesure a pour eux une
unité. Si on synchronise des mouvements à des sons qui revien-
nent périodiquement, la rythmisation subjective se traduit
par des différences entre les mouvements qui reviennent à des
intervalles égaux à la durée du groupement (Fraisse, 1956, p. 20).
Le rythme n'est pas une singularité, mais un cas privilégié
où l'unité d'éléments successifs apparaît mieux parce qu'elle
se répète identique à elle-même. Cependant l'organisation d'élé-
ments successifs en unités perceptives est un caractère si pri-
mitif de notre expérience que nous ne nous en apercevons plus.
Elle est la base de notre perception du rythme, de la mélodie,
mais aussi des sons du langage. L'enfant n'apprend à donner
une signification aux phonèmes ma-man que parce qu'il les
perçoit comme formant une unité.
Parce que la perception du successif en unité est le fait
fondamental de la perception du temps, nous allons en analyser
successivement les caractéristiques et montrer qu'elle est :
10 Perception d'ordre ; 2° Perception d'intervalle temporel,
avant de déterminer, en troisième lieu, dans quelles limites elle
est possible.

1
1,,4 PERCEPTION DE 1,'ORVRFi
Prenons le cas le plus simple : le bruit d'une horloge. Je
perçois un tic-tac, puis il s'efface et un nouveau tic-tac apparaît.
Quand le deuxième tic-tac se produit, le premier n'est plus
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 79

présent et seule la mémoire, une mémoire immédiate, me permet


de savoir que ce tic-tac a été précédé d'un autre. Mais dans la
perception d'un tic-tac, le tic n'appartient pas encore à mon
passé quand le tac sonne. Et, par le fait, je perçois directement
l'ordre du tic et du tac sans même avoir l'idée de succession
et sans qu'il y ait intervention de la mémoire.
La perception de l'ordre n'intervient néanmoins que si les
stimulations successives sont susceptibles de s'organiser entre
elles, c'est-à-dire sont de même nature. Une suite de sons et de
lumières ne donnera jamais naissance à la perception d'une
organisation qui intégierait les unes et les autres. La perception
sera celle d'une double série, celle des sons et celle des lumières.
C'est ce qui se produit normalement dans le chant choral où
chaque voix a une organisation propre. D'une manière complé-
mentaire, nous verrons dans le prochain chapitre qu'il est
difficile de percevoir l'ordre de succession (ou la simultanéité)
de deux stimulations hétérogènes comme une lumière ou un
son, parce qu'elles ne s'ordonnent pas spontanément.
Il est important de remarquer que l'ordre successif est
perçu. Il ne résulte pas d'une organisation que nous plaquerions
sur des stimuli indépendants les uns des autres, comme si nous
enfilions des perles. Dans l'organisation perceptive (spatiale ou
temporelle), l'activité de notre esprit n'impose pas une forme
à une matière. Quel que soit le domaine qu'envisage la science,
l'ordre a ses lois propres et n'est pas surajouté à des éléments
indifférents (Guillaume, 1946, pp. 339-340). Cet ordre n'est
pas saisi non plus à travers l'examen d'une représentation de
données successives. S'il en était ainsi, nous pourrions, après
avoir perçu trois éléments successifs A B C, en rendre compte
aussi aisément dans l'ordre ABC ou C B A ou B A C, etc.
Or il n'en est rien. Il est facile de reproduire des chiffres
dans l'ordre où nous les avons entendus, et c'est l'attitude
spontanée que l'on constate dès le plus jeune âge. Les repro-
duire dans un autre ordre est beaucoup plus difficile ; nous
avons alors besoin justement de faire appel au truchement
d'une représentation. L'ordre est inhérent aux stimulations
elles-mêmes et dans le cas du rythme il est pratiquement
toujours impossible de reproduire les éléments dans un autre
ordre. Les travaux de Broadbent (1958) ont apporté une
importante contribution à nos connaissances sur cette question.
80 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

Si on présente visuellement trois chiffres, par exemple 7, 2, 3,


et si, simultanément, on fait entendre trois autres chiffres, par
exemple 9, 4, 5, le sujet ne peut reproduire ces stimuli qu'en
répétant la série auditive après la série visuelle ou inversement.
Les excitations visuelles se sont organisées entre elles, les exci-
tations sonores de même. Ce phénomène de groupement peut
aussi se produire sur la base de la place de l'excitation : ainsi
en est-il des stimuli présentés à une oreille par rapport à ceux
présentés simultanément à l'autre oreille. La même loi se vérifie
encore si on entend simultanément deux voix dans des bandes
de fréquences différentes. Donc, dans tous les cas, l'organisation
se réalise sur la base d'une identité qualitative des excitations.
Beaucoup de théoriciens ont fait appel à la mémoire pour
expliquer notre expérience de l'ordre, fondamentale dans toute
psychologie du temps. Comment passer d'une pluralité de sen-
sations, se demandaient au siècle dernier les associationnistes,
à un ordre de ces sensations tel qu'il nous donne une expérience
du changement et une indication sur leur position dans le
temps ? Le même problème s'était posé pour l'espace. Lotze
avait alors imaginé, pour rendre compte de l'étendue, la théorie
des signes locaux (Medicinische Psychologie, 1852 ; d'après
Ribot, La psychologie allemande contemporaine, 1879). Chaque
point du corps pour le tact, chaque point de la rétine pour la
vue, ayant des récepteurs sensoriels différents, nous donnerait
une sensation de caractère intensif différent pour un même
stimulus, particularité qui constituerait son signe local. Le
mouvement du corps (ou des yeux) nous permettrait de dis-
tinguer les signes locaux propres des différents points de l'espace.
La possibilité de l'espace naîtrait alors d'une organisation de ces
signes, due à une notion innée d'espace que Lotze tenait de
Kant. Pour le temps, de nombreux auteurs ont cherché ce que
pourraient être les signes temporels : des sensations de tension
et de relâchement alternées auraient pu donner aux sensations
successives ce signe propre qui permettrait alors de leur attri-
buer un ordre. Le plus souvent, les auteurs ont recherché ces
indices dans le degré d'effacement de nos sensations. Lipps, par
exemple, dit que les sensations naissent puis s'effacent : les
degrés d'effacement de deux d'entre elles à un moment déter-
miné correspondent aux positions qu'elles ont occupées dans le
temps. Les différences d'intensité entre les images sont traduites
LE PRE:SElV1'PSYCHOLOGIQUE 81

en différences de position (Grundtatsachen des Seelenlebens, 1883 ;


d'après Bourdon, 1907).
La théorie la plus élaborée est sans doute celle de Guyau.
A l'origine, il n'y aurait ni coexistence ni succession, mais une
pluralité de sensations et de représentations ; chacune serait
différente des autres. « De plus, le souvenir même a ses degrés
suivant qu'il est plus ou moins lointain : tout changement qui
vient de se représenter dans la conscience laisse en elle, comme
résidu, une série de représentations disposées selon une espèce
de ligne dans laquelle toutes les représentations lointaines
tendent à s'effacer pour laisser place à d'autres représentations
toujours plus nettes n (Guyau, 1902, 2e éd., pp. 25-26). « La
preuve, ajoute-t-il, que la représentation de l'avant et de
l'après est un jeu d'images et de résidus, c'est que nous pou-
vons très bien les confondre n (ibid., p. 26). Il évoque par
exemple cette expérience où le sujet se trompe sur l'ordre
d'apparition de deux étincelles qui brillent en deux points
de l'espace. Celle que l'on regarde semble apparaître la pre-
mière. Mais Guyau a justement choisi un exemple dans lequel
il n'y a pas organisation perceptive des stimuli par suite de
leur écart spatial. L'ordre ne viendrait selon lui que d'une
sorte de sédimentation de nos souvenirs. Cette théorie soulève
des objections : si l'ordre est lié à l'intensité des images,
comment expliquer, remarquait Bourdon (1907), qu'après avoir
entendu une série de lettres il soit beaucoup plus difficile de
les reproduire dans l'ordre inverse que dans l'ordre naturel ?
Le raisonnement vaut pour l'effacement comme pour la repré-
sentation. Les éléments les plus récents étant les moins effacés
devraient être reproduits plus facilement et en premier lieu ;
or, on constate l'inverse. D'autre part, lorsque l'intervalle entre
deux stimulations est très court, les différences d'effacement
ne peuvent pas être perceptibles. « D'une manière générale, il
est difficile d'admettre qu'il existe, entre les images d'impres-
sions successives, des différences d'intensité comparables,
comme délicatesse de différenciation, aux différences de posi-
tion dans le temps que nous sommes capables de percevoir o
(Bourdon, ibid., pp. 474-475) (1).

(1) Nousreviendrons surle problèmede la mémoirede la succession


longuement
au chap. VI (p. 160).
P. FRAISSE fi
82 PSYCHOLOGIE DIT TEMPS

En réalité notre perception de l'ordre des sensations n'est


pas, à sa naissance, réductible à un autre mécanisme. L'ordre
est donné dans l'organisation même du successif. Une condition
est cependant nécessaire : il faut que l'organisation soit spon-
tanée, ce qui ne se produit que s'il y a homogénéité des stimu-
lations et seulement dans certaines limites temporelles. En
entie les stimulations est assez --- nous
effet, si l'inteivalle long
- une nouvelle
préciserons plus loin cette durée quand
stimulation se produit, la précédente n'appartient plus au
présent perceptif et la succession n'est plus perçue : les deux
stimulations sont distinctes et leur ordre, qui n'est plus perçu,
doit être reconstitué par la mémoire. Dans ce cas peuvent inter-
venir des repères comme le degré d'effacement, mais aussi des
reconstructions logiques (chap. VI et VIII).

. II
LA PERCEPTION DE LA DURÉE
Dans la perception de la succession, il y a saisie tout à la
fois d'une pluralité ordonnée et des intervalles qui séparent
les éléments, c'est-à-dire des durées. « La durée est comme la
grandeur de la succession, la valeur de l'intervalle » (Delacroix,
1936, p. 306). Ces durées-intervalles ne peuvent être isolées que
par une analyse de notre perception : nous ne percevons pas la
durée indépendamment de ce qui dure, de même que l'étendue
perçue est toujours celle de quelque objet. « Les phénomènes de
la durée sont construits avec des rythmes, loin que les rythmes
soient nécessairement fondés sur une base temporelle bien uni-
forme et régulière » (Bachelard, 1936, p. 5). La perception de la
durée est, en d'autres termes, celle de la durée d'une organisation.
Il est possible de mettre objectivement en évidence ce que
nous révèle déjà l'analyse introspective. Là où l'organisation
n'est pas prégnante, la durée est difficilement perçue. Ainsi,
deux intervalles temporels adjacents délimités par deux sons
limites et une lumière intercalée, c'est-à-dire par une suite
son-lumière-son, sont comparés avec beaucoup moins, de pré-
cision que deux intervalles délimités par trois sons identiques,
car ceux-ci forment une unité perceptive. Dans le cas de la suc-
cession son-lumière-son, la comparaison même n'est possible
que parce que nous plaquons sur une suite hétérogène une suc-
1,E PRI`vF,N7' 1'."i'<:IIVI,V<§IQITE B3

cession homogène qui permet une organisation, comme celle


de trois mouvements de la main ou de trois phonèmes corres-
pondant chacun à un des trois stimuli (Fraisse, 1952 a). D'ail-
leurs, ce qui caractérise une succession, ce ne sont pas les
éléments, stimuli ou intervalles, mais le schème des durées : -.
Mach, à l'époque où von Ehrenfels dégageait l'importance des
qualités formelles, a justement montré que c'est grâce à l'iden-
tité des schèmes temporels que des rythmes composés d'élé-
ments différents apparaissent semblables (Bouvier, 1923).
Qn<peut aussi démontrer que la durée perçue - comme
l'étendue - est relative à une organisation, en rapprochant
les illusions temporelles des illusions spatiales.
Comme dans l'illusion d'Oppel où un segment de droite
divisé paraît plus long qu'un segment sans coupures, de même
un intervalle temporel haché paraît plus long qu'un intervalle
vide (voir chap. V, p. 139). Prenons un autre exemple. Une loi
perceptive fondamentale est de minimiser les petites différences
(tendance à l'assimilation) et d'exagérer les différences sensibles
(tendance au contraste). Or, cette loi se retrouve dans la percep-
tion des structures spatiales comme dans celle des structures
temporelles (Fraisse, 1938).
Nous pouvons pousser encore plus loin l'analogie entre les
structures spatiales et les structures temporelles, en montrant
qme l'on peut appliquer à ces dernières la distinction entre
figure et fond. Reprenons le « tic-tac » des horloges. « Tic » et
« tac » sont organisés entre eux et délimitent un intervalle qui
a une durée. Mais, entre le « tac » et le « tic » du double batte-
ment suivant, s'étend un autre intervalle qui est seulement
perçu comme une lacune n'ayant pas de durée définie. Cet
intervalle joue un rôle analogue au fond de nos perceptions
spatiales. Celui-ci se caractérise en effet par son absence de
forme ; à l'intervalle entre deux « tic-tac », il manque aussi
cette. forme de l'organisation du successif qui est la durée.
On peut vérifier sur le plan du comportement cette analyse.
Si on fait entendre des structures rythmiques qui se répètent
identiques à elles-mêmes, on constate que les sujets reproduisent
avec précision les intervalles intérieurs à la structure, mais qu'ils
ne tiennent pas compte spontanément de la durée de l'intervalle
entre les groupes rythmiques (Fraisse, 1956, p. 74).
D'autres expériences du même type, c'est-à-dire par repro-
84 IISY(:1101,OGIEvu TE1HPS

duction motrice de structures entendues, permettent de mettre


en évidence la différence fonctionnelle qui existe entre les inter-
valles intérieurs à une organisation successive et ceux qui
séparent deux organisations l'une de l'autre. Si en effet on
change la durée d'un intervalle dans un groupe rythmique, la
durée apparente des autres intervalles est modifiée (ainsi que
le caractère de l'ensemble). En d'autres termes, la modification
d'une partie entraîne une réorganisation de l'ensemble, ce qui
est caractéristique des figures dans l'espace. Par contre, si
on change la durée de l'intervalle entre les groupes rythmiques,
ceux-ci ne sont pas modifiés. Au point de vue de la perception,
l'intervalle entre eux est comme inexistant, il est une lacune
(Fraisse, ibid., p. 73).
L'importance de ces lacunes a été méconnue parce qu'il
semblait que nous les meublions par notre propre durée, mais
Bachelard contre Bergson a justement insisté sur le fait qu'il
n'y avait jamais à aucun plan continuité de la durée, mais
une dialectique du plein et du vide, de l'action et du repos
(Bachelard, ibid., p. 3). Au plan de la perception où nous
sommes, ces lacunes jouent un rôle important, en détachant les
unes des autres des unités de succession, ce qui, dans le cas du
langage par exemple, permet qu'elles deviennent des unités de
signification.
Nous n'avons raisonné jusqu'à présent qu'à partir d'inter-
valles s'étendant entre des stimulations successives, ceux que
l'on appelle ordinairement des durées vides ou même des
temps vides en les opposant aux durées pleines ou temps
pleins (1). Tout ce que nous avons dit s'applique aussi à ces
derniers. Lorsqu'un son par exemple se prolonge, nous ne per-
cevons sa durée que si le début et la fin se succèdent assez rapi-
dement pour délimiter une unité perceptive. Les limites tempo-
relles de cette perception sont les mêmes que dans le cas des
intervalles vides : 1,5 à 2 s. Si un son dure plus longtemps, il
n'y a pas de succession organisée et nous sommes ramenés, à la
limite, au cas où nous ne percevons pas de changement. Le bruit
du ruisseau n'a pas plus de durée perçue que la lumière du jour.

(1) Cevocabulaire ne s'appliquequ'à la descriptionphysiquedes stimulations.


Au point de vue de la perceptionproprementdite,l'expressionde durée« vide»
n'a aucunsens,pas plusquen'en auraitcelled'étenduevide». Nouscontinuerons
cependantà l'employerpourla commodité du langage.
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 5

La durée n'est donc qu'un des caractères de l'organisation


du successif et c'est en ce sens que nous interprétons l'afhrma-
tion de Bourdon (1907) et de Piéron, 1955, 3e éd., p. 52), selon
laquelle toute sensation a un caractère temporel. Ce dernier tient
simplement au fait que toute sensation nous est en général
donnée dans le cadre d'une succession.

*
* *
L'analyse que nous venons de tenter pourrait sembler
n'être que la défense d'une position d'école, mais il est assez
facile de démontrer que les auteurs dont les positions paraissent
les plus éloignées des nôtres sont partis d'une analyse de la
réalité trés voisine de celle que nous avons faite, mais qu'ils
ont interprétée autrement. Les divergences, il serait facile de le
montrer, tiennent à ce que, dans leurs observations, ils ont
introduit des théories aujourd'hui dépassées ou tout simple-
ment à ce que l'analyse psychologique n'était pour eux qu'un
point de départ.
Tous les auteurs en particulier ont reconnu, d'une manière
ou d'une autre, l'importance du rythme, c'est-à-dire d'une
organisation, dans notre perception du successif et dans l'inter-
prétation de notre « perception du temps ». Mais ils ne s'accor-
daient pas sur le problème central, celui de la perception de
la durée. Durée des choses ? Durée du moi ? Durée compo-
sition des sensations ou durée construction de notre esprit ?
Par exemple, on peut lire Bergson pour y trouver une opposition
entre un monde matériel caractérisé par la pluralité et l'exté-
riorité et un monde spirituel où nous saisissons la durée pure,
« forme que prend la succession de nos états de conscience
quand notre moi se laisse vivre, quand il s'abstient d'établir
une séparation entre l'état présent et les états antérieurs o
(Bergson, 1920, 19P éd., p. 76). Mais si on néglige ces prolonge-
ments métaphysiques, on s'aperçoit que Bergson est parti d'ana-
lyses psychologiques qui, bien avant l'oeuvre duel'École de la
Eorme, reconnaissent l'importance de l'organisation de nos sen-
sations. « On peut..., écrit-il, concevoir la succession sans la dis-
tinction et comme une pénétration mutuelle, une solidarité, une
organisation intime d'éléments, dont chacun, représentatif du
tout, ne s'en distingue et ne s'en isole que pour une pensée
86 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

capable d'abstraire o (Bergson, ibid., p. 77). Il parle plusieurs


fois du rythme pour le caractériser par la qualité d'une quantité
où chaque excitation s'organise avec les précédentes (ibid., p. 80).
Wundt, dans un tout autre contexte, avait admis, lui aussi,
que les sensations de temps étaient liées à des rythmes; et il
pensait d'abord à celui du pas, auquel s associeraient par ia
suite les rythmes vocaux et auditifs. Il admettait que notre
aperception nous permettait d'embrasser un certain nombre de
sensations nuccessives mais dans sa perspective association-
niste, il avait besoin de remplir les intervalles entre les sensa-
tions extéroceptives par d'autres sensations intéroceptivcs. Il
imaginait qu'elles pouvaient provenir des oreilles ou même de
sentiments de tension et de relâchement qui conféreraient à
chaque sensation les signes temporels d'après lesquels nous
pourrions les ordonner dans le temps (Wundt (W.), 1886). Ce
remplissage, Münsterberg le recherchait dans les sensations mus-
culaires de l'attention, Schumann dans un certain degré d'attente
(d'après Bourdon, 1907). Il est manifeste que ces auteurs pos-
tulent ces sensations ou ces sentiments plus qu'ils ne les mettent
en évidence. Si nous n'avons que des sensations élémentaires, il
faut un pont pour les réunir : attention, sentiments ou, à la
rigueur, d'autres sensations qui aient un caractère de continuité
comme les sensations de tension ou les sensations musculaires.
En fait, il s'agit pour ces auteurs d'une construction logique
qui part de cette abstraction que seraient des sensations punc-
tiformes et instantanées.
C'était encore du rvthme que partait Mach pour démontrer
qu'il existe un sens du temps. Tous les auteurs allemands
du xix'' siècle ont emplové cette expression. Certains, comme
Czermak (1857, cité par Nichols, 1890), ont cru suivant une ligne
postkantienne que le temps - cornmc l'espace - était l'objet
d'un sens général diaiinct des cinq sens spéciaux. D'autres
ont employé cette expression de sens du temps comme une
formule commode pour exprimer nos possibilités d'adaptation
au temps. Mach seul a pensé qu'il existerait un véritable sens
du temps analogue aux autres sens. Puisque nous pouvons
reconnaître le même rythme dans deux mélodies différentes,
c'est que nous avons, selon lui, perçu un schème des durées
indépendamment de leurs supports sensibles. Ce n est possible
que si nous avons perçu ces durées pour elles-mêmes, donc si
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 87

nous avons un sens du temps. Mach a certes compris qu'il ne


suffisait pas de parler de sens, qu'il fallait aussi en préciser les
récepteurs. Mais, en ce domaine, il n'innove guère et ses solu-
tions ne sont pas très différentes de celles de Wundt par
exemple. Il pense qu'il pourrait y avoir dans l'oreille quelque
organe d'accommodation, comme il en existe un dans l'oeil
et qui serait l'organe du sens du temps. Cet organe dépendrait
des stimulations et fournirait des repères sur la distance tempo-
relle et la position des stimulations, comme l'accommodation
visuelle pour la distance et la perspective. Il dépendrait aussi de
l'attention dont le travail provoquerait des sensations de fatigue
de l'organe, sensations qui seraient autant de repères de la
durée (Mach, 1865, d'après Bouvier, 1923).
Janet a eu raison de traiter les élaborations de Mach de
« raisonnements philosophiques », car il s'agit de déductions
qui ne reposent sur aucun fait. D'ailleurs, le problème de
l'organe récepteur ne se pose pas seul. Il y a aussi celui de
l'excitant spécifique. Parler de sensation de durée, c'est sup-
poser que les choses existent en dehors de nous comme nous
les pensons » (Janet, 1928, p. 47) (1).

*
* *

Que la durée soit un caractère de l'organisation du successif


ressort aussi de l'analyse du rôle que jouent nos différents sens
dans la perception des changements. Si tous nos sens nous per-
mettent de percevoir le changement, les perceptions de la
durée qui en dérivent ne sont pas pour autant homogènes. De
même que l'espace kinesthésique et l'espace visuel sont dis-
tincts puisqu'ils sont relatifs à une organisation de réactions
différentes, de même les durées d'une sensation visuelle et
d'une sensation auditive ne sont pas directement comparables.

(1) CependantJanet a été trop loin.1l a parfaitementanalyséque nos senti-


mentsde duréesont des réactionsà la nature de nos actions,maiscette analyse
mêmel'a empêchéde voirque certainesactionsaussisontdirectementdesadapta-
tions au temps,commeil y en a à l'espace.Saisirle successifen une unité, être
capablecommele danseurde synchroniserdes mouvementsà des stimulations
périodiques,voilàparmid'autresdes exemplesde ces adaptations.La perception
des changements ne se limitepas à celled'unepuremultiplicité.Elleest organisa-
tionet lesactesqu'elledéterminesontla basede notreadaptationauxchangements.
Lesréactionsà la duréede nos acteset les tentativesde conceptualisationde nos
expériencesdu temps sont postérieures.
88 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
--.---

Cela dit, il reste légitime de se demander si, parmi les récepteurs,


un sens ne l'emporte pas quand il s'agit de percevoir les chan-
gements. Remarquons tout d'abord que les changements ne sont
pas aussi fréquents dans tous les domaines sensoriels : « Nous
attribuons à un son de la durée parce que nous nous attendons
toujours à ce qu'il cesse bientôt, mais pas aussi facilement à
une couleur, car nous ne sommes pas aussi bien habitués à son
changement n, notait déjà Herbart (cité par Sivadjian (J.),
1938, p. 223).
Le problème peut d'ailleurs être abordé, non pas en partant
des changements plus ou moins rapides ou fréquents des stimu-
lations, mais en considérant que nos organes sensoriels sont
adaptés très diversement à la perception du changement. Celle-
ci, pour être fidèle, demande que les excitations aient des carac-
téristiques temporelles très voisines des stimulations auxquelles
elles correspondent, c'est-à-dire que les récepteurs aient peu
d'inertie. Envisageons d'abord le cas des organes de l'odorat
et du goût qui ont justement une grande inertie. Les sensations
correspondantes ont une durée indéterminée parce que le début
et la fin des stimulations sont sans netteté. Si plusieurs stimu-
lations se suivent assez rapidement, elles se fondent entre
elles, sans présenter une organisation temporelle qui implique
une discontinuité. Nous sommes ramenés au cas des chan-
gements continus. Les récepteurs rétiniens ont, eux aussi,
une inertie notable. La sensation est longue à s'établir et longue
à disparaître. Si les stimulations successives se suivent rapi-
dement, elles se fondent entre elles (cas de la projection ciné-
matographique). Un peu moins fréquentes, elles engendrent le
papillotement. C'est pourquoi si, théoriquement, il peut y avoir
des rythmes visuels aussi bien que des rythmes auditifs, les
premiers ne sont d'aucun usage, la distinction et la netteté des
stimuli y étant trop précaire (Fraisse, 1948 b). D'autre part, les
changements rapides des stimulations visuelles nous sont
pénibles. L'ouïe et le tact ont au contraire des récepteurs dont
l'inertie est quasiment nulle. Mais le tact ne peut nous ren-
seigner que sur les changements qui se produisent au contact
de notre corps. Le domaine en est limité (vibrations) mais on
a pu cependant utiliser cette propriété du tact pour éduquer les
sourds (télétacteur).
En défiritive, l'ouïe reste l'organe principal de notre per-
LE PRÉSE.NT PSYCHOLOGIQUE 89

ception des changements ; c'est donc à partir d'une analyse


fonctionnelle plus ou moins explicite que les auteurs consi-
dèrent en général l'ouïe comme étant le « sens du temps »
alors que la vue serait celui de l'espace. « L'ouïe ne localise
que très vaguement dans l'espace, tandis qu'elle localise admi-
rablement dans la durée... elle est par excellence le sens appré-
ciateur du temps, de la succession, du rythme et de la mesure »
(Guyau, ibid., pp. 74-75).
Cependant, comme pour l'espace, il se crée sans doute une
assimilation entre les informations émanant des différents sens,
par prépondérance d'un sens sur les autres. On sait que pour
l'espace c'est la vue qui joue - sauf chez les aveugles-nés -
un rôle directeur. Pour la durée, qu'en est-il ? Bourdon, qui a
fait cette analyse, pensait que chez lui ce n'étaient pas des sen-
sations, mais « les représentations vocales » qui avaient la
prépondérance et qui servaient en quelque sorte d'étalon pour
toutes les autres durées. Il reconnaissait d'ailleurs qu'il pouvait
exister des différences individuelles, « c'est-à-dire que, chez
les uns, la représentation de la durée est peut-être plutôt de
nature tactile, chez d'autres de nature auditive, chez d'autres
enfin de nature visuelle » (Bourdon, 1907, p. 477).
Envisagée sous cet angle, la question est difficile à trancher.
Un fait au moins est certain, c'est que les sons du langage nous
fournissent un moyen simple d'oidination de nos différentes
sensations successives. Nous avons acquis par l'apprentissage
du langage une maîtrise extraordinaire des organes de la pho-
nation qui s'y prêtaient par ailleurs. Nous avons ainsi un moyen
d'accompagner n'importe quelle série de stimulations par la
succession de sons que nous produisons. De cette façon nous
pouvons aisément contrôler l'ordination des stimulations et
la durée des intervalles « pleins » ou « vides », même si les
sensations ne s'organisent pas spontanément. Nous avons
justement vu (p. 83) que les sujets qui devaient comparer
deux durées délimitées par la suite sensorielle son-lumière-son
avaient tendance à lui synchroniser une suite de sons vocaux,
des « top » par exemple, telle que soit recréée une unité per-
ceptive.
Ce rôle prépondérant de la phonation ne doit pas nous sur-
prendre : nous ne saisissons bien que ce que nous avons recréé.
Il est d'autant plus précieux que les organisations perceptives
9t) PSYCHOLOGIE 1)1.i TEMPS

dans l'ordre temporel n'ont jamais, par suite de leur caractère


successif, la prégnance des formes spatiales sur lesquelles notre
regard peut multiplier les prises de vue.

III
1.Fi NRÉSEIVTPERÇU
Ce que nous percevons dans le temps comme dans l'espace
est une organisation de stimuli. Cette organisation peut être
diffuse et ne nous donner qu'une perception d'étendue indis-
tincte, comme lorsque nous regardons un paysage sans regarder
aucun objet, ou une perception de vague continuité comme
lorsque nous nous laissons vivre - selon l'expression de
Bergson - sans porter notre attention sur aucun événement
particulier. Dès que nous fixons notre attention, l'organisation
apparaît au contraire, distinguant les objets, isolant les struc-
tures successives qui font dès lors figure sur un fond qui reste
mal différencié. Ces organisations impliquent une unification,
une délimitation d'un ensemble de stimuli, selon les lois qu'aa
dégagées Wertheimer dans l'espace et qui se ramènent dans le
temps à la loi de bonne continuité (Koffka, 1935, p. 437). L'unité
est déterminée par la configuration des stimuli, mais elle est liée
à l'unité même de 1 acte perceptif qui réalise l'intégration de
toutes les données sensorielles. Nous ne percevons le successif
que parce que, dans certaines limites, un « acte mental unifié »
est possible. Cette unité perceptive du successif - le « tic-tac »
de notre pendule - a comme conséquence l'existence d'un pré-
Sent perçu qui ne se ramène pas à l'évanescence de ce qui n'était
pas encore dans ce qui n'est plus.
Le présent, d'une manière générale, est ce qui est contem-
porain de mon activité. Les changements auxquels il correspond
sont évidemment fonction de l'échelle à laquelle je les envisage.
Le présent, c'est le siècle où je vis, aussi bien que l'heure qui
passe. Je puis, en effet, introduire une coupure arbitraire dans
les changements par rapport auxquels je me situe, en considé-
rant que Je passé ne commence qu'à partir d'un moment donné ;
je puis ainsi opposer les siècles passés au siècle présent. C'est en
ce sens que P. Janet pouvait dire que « la durée du présent, c'est
la durée d'un récit » (Janet, ibid., p. 315). Mais il existe aussi
un présent perçu qui, lui, ne peut avoir que la durée de l'orga-
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 91

nisation que nous percevons en une unité. Mon présent est un


« tic-tac » de la pendule, les trois temps du rythme de la valse,
la proposition que j'entends, le cri de l'oiseau qui passe... Tout le
reste est déjà passé ou appartient encore au futur. Dans ce pré.-
sent, il y a ordination, intervalles entre les éléments qui le
constituent, mais aussi une forme de simultanéité qui tient à
l'unité même de mon acte de perception. Ainsi le présent perçu
n'a pas ce caractère paradoxal que lui prêterait une analyse
logique qui, en atomisant le temps, réduirait le présent à un pur
passage sans réalité psychologique. Ce passage, il faut, même
pour le percevoir, un acte d'appréhension qui a une durée non
négligeable.
Ce présent, tous les psychologues en reconnaissent l'exis-
tence ; ils l'ont dénommé tour à tour « présent spécieux »
(Clay, The alternative, 1882, cité par W. James, voir référence
suivante p. 609), « présent sensible » (W. James, 1891, t. I,
p. 608), « présent psychique » (W. Stern, 1897), « présent mental »
(H. Piéron, 1923, p. 9), « présent actuel » (Koffka, ibid., p. 433).
Nous préférons l'appeler présent psychologique ou présent perçu.
Ils ont aussi multiplié les images ou les comparaisons qui
permettent de saisir le fait. Pour Wundt, de même que dans
l'espace notre regard n'embrasse qu'une certaine étendue,
variable d'ailleurs avec la direction de notre attention (d'un
livre je puis regarder toute la page ou simplement une lettre
si je m'intéresse par exemple aux caractères typographiques),
dans le temps « le champ de regard de la conscience » permet
« l'aperception d'une série d'irritations sensorielles successives »
(Wundt (W.), ibid., t. 2, pp. 240-241). W. James, à partir de son
image du courant de conscience, évoque un pont. ecLe présent
apparent est, pourrait-on dire, comme une sorte de pont en dos
d'âne jeté sur le temps et du haut duquel notre regard peut à
volonté descendre vers l'avenir ou vers le passé. Notre per-
ception du temps a pour unité une durée située entre deux
limites, l'une en avant et l'autre en arrière ; ces limites ne sont
pas perçues en elles-mêmes mais dans le bloc de durée qu'elles
terminent. Car, si nous percevons une succession, ce n'est pas
que nous percevions d'abord un avant puis un après et que nous
soyons amenés par là à inférer l'existence d'un intervalle de
temps entre cet avant et cet après ; mais nous percevons l'inter-
valle même comme un tout avec ses deux limites qui font corps
92 PS YCIiOLO GTF, DU TEMPS

avec lui... Passé quelques secondes, la conscience de la durée


cesse d'être une perception immédiate pour devenir une
construction symbolique n (James, 1932, p. 366). Piéron reprend
l'image du temps qui coule comme un ruisseau. « Il existe un
présent durable... pour lequel il y a appréhension d'une diversité
successive dans un processus mental unique embrassant dans
son présent ramassé un certain intervalle de temps, comme on
réussit à retenir dans le creux de sa main une certaine quantité
de liquide sous le filet d'eau d'une source, liquide renouvelé mais
dont la quantité limitée ne peut jamais s'accroître » (1923, p. 8).
Le problème réel est justement de savoir l'interprétation
qu'il faut donner de ce présent. Le plus souvent, on l'a expliqué
par une persistance des éléments qui venaient d'être perçus.
C'est W. James qui a formulé cette hypothèse avec la plus
grande netteté : « Les choses s'évanouissent lentement hors de
notre conscience. Si la pensée présente est ABCDEFG, la sui-
vante sera BCDEFGH, et celle qui lui succédera CDEFGHI,
les restes du passé sombrant successivement et l'accession du
futur compensant le déficit », 1891, I, p. 606) (1). Wundt expri-
mait la même opinion : « A chaque nouvelle aperception, les
irritations antérieures se retirent graduellement dans le pourtour
obscur du champ du regard interne et en disparaissent à la fin
entièrement » (Wundt, ibid., p. 241).
Cette interprétation sous-jacente à la pensée de nombreux
auteurs ne correspond pas aux faits que l'on peut observer. La
perception des changements apériodiques peut faire illusion,
mais celle des changements périodiques ne nous permet pas
d'expliquer le présent par la persistance plus ou moins grande
de traces mnémoniques. Quand je perçois le « tic-tac » de la
pendule, ma perception n'est pas d'abord « tic-tac » puis l'ins-
tant d'après « tac-tic » et ainsi de suite. Que deviendrait un
rythme de valse si je percevais d'abord un temps fort suivi de
deux temps faibles puis deux temps faibles suivis d'un temps
fort et enfin un ensemble temps faible-temps fort-temps faible ! 1
De même, dans la perception du langage, mon présent est
fait chaque fois d'une proposition, et non de la fin d'une propo-
sition suivie d'un morceau de la proposition suivante avec un

(1) Cette conception n'a pas été reprise plus tard par W. James dans son Précis.
Nous la citons seulement parce qu'elle exprime nettement une thèse courante.
LE J'RRSENT 1'8 YCHOU)GIQUE
9s

glissement progressif des éléments qui rendrait le langage


inintelligible. Si on contrôle objectivement le contenu du
présent à un moment donné, on s'aperçoit qu'il n'est pas fait
exactement des derniers éléments présentés. Des sujets à qui
on lit une série de dix chiffres ne peuvent en saisir - nous
allons y revenir - que six ou sept, mais les six ou sept retenus
ne sont pas les derniers. Le sujet, au moment où la série se
termine, a un présent fait de deux ou trois groupes de deux ou
trois chiffres qui ont des places variées dans la série. « Tout se
passe plutôt, écrivions-nous, comme si le sujet percevait suc-
cessivement plusieurs groupes successifs d'éléments d'une
manière semblable à celle dont nous lisons les lettres d'un texte,
c'est-à-dire non par un glissement de notre regard le long des
lignes, mais par des mouvements discontinus, avec, de place en
place, des arrêts pendant lesquels se produit la perception.
Quand la série ne comporte pas plus d'éléments que nous ne
pouvons en saisir (de six à huit), ces discontinuités n'entraînent
pas d'erreur, de même que dans la lecture. Mais lorsque la série
est trop longue, il y a des hiatus dans les groupes comme dans
la lecture rapide où l'amplitude des mouvements nous fait
sauter des mots o (Fraisse, 1944-45).
Les confusions sont venues du fait qu'il est difficile de dis-
tinguer absolument mémoire et perception. « Le souvenir se
crée au sein même de la perception o comme l'a écrit Delacroix
(1936, p. 327). Le vocabulaire psychologique traduit la même
réalité, puisque les mêmes phénomènes sont appelés mémoire
immédiate ou capacité d'appréhension, suivant que l'on envi-
sage ou bien la possibilité de reproduction immédiate et inté-
grale, ou bien l'aspect perceptif.
Mais la mémoire immédiate n'implique pas comme la
mémoire l'existence d'un passé constitué par rapport à un
présent. « Il est certain, d'une part, que les différents aspects
du piésent ne sont pas au même plan, sans quoi le présent nous
paraîtrait immobile, d'autre part, qu'il n'y a pas dans le piésent
un élément unique donné avec le caractère du présent, tout le
reste étant du souvenir pur » (Delacroix, 1936, p. 313).
Quand il s'agit de perception spatiale, l'identité de la
mémoire immédiate et de la capacité d'appréhension apparaît
tout de suite, puisque je vérifie l'étendue de la perception du
sujet par le nombre d'éléments qu'il peut indiquer tout de suite
o l. 171

après l'appréhension. Il en est de même dans la perception du


successif. Si je puis reproduire après les avoir entendus plu-
sieurs éléments, ce n'est pas grâce à une mémorisation, mais
parce que nous avons une capacité d'appréhension qui embrasse
plusieurs éléments simultanés ou successifs. Or, nous pouvons
justement saisir dans l'une et l'autre condition le même nombre
d'éléments, ce qui confirme l'aspect proprement perceptif de
cette appréhension. (;ertes la mémoire joue un rôle, mais
indirect. Quand j'écoute un discours, je perçois la proposition
que prononce l'orateur, mais je l'interprète en fonction de
toutes les phases précédentes que je ne perçois plus et dont j'ai
gardé seulement un souvenir global. Quand j'écoute de la
musique, je perçois à chaque instant une brève structure
rythmique, mais qui s'intègre dans un ensemble mélodique
auquel elle doit sa résonance affective.
Le fait que nous puissions percevoir ainsi plusieurs élé-
ments successifs ne doit cependant pas nous autoriser à inter-
préter le présent perçu comme correspondant à une capacité
fixe, ou à une durée standard de l'appréciation. De ce point de
vue, l'image proposée par Piéron du creux de la main qui
retient une certaine quantité d'eau, et l'exemple de W. James
de l'appréhension constante d'un même nombre de lettres
peuvent prêter à confusion. La du pré sent perçu, de
même que la richesse de son contenu, dépend des possibilités
de l'organisation du successif en une unité. Elle est d'abord
fonction de la direction de notre attention. La comparaison de
Wundt a ici sa pleine signification. Dans le champ du regard
(champ maximum), il y a un point de regard plus ou moins
étendu qui dépend de ce que l'on cherche à percevoir. Dans une
page imprimée, ce peut être une lettre, un mot, une expression.
Bergson énonce la même idée : Cette attention est chose qui
peut s'allonger ou se raccourcir comme l'intervalle entre les deux
pointes d'un compas » (63' éd., 1966, p. 169). Mais ce compas, je
ne puis l'ouvrir indéfiniment : ici nous nous séparons de Bergson,
qui semble croire que l'étendue de mon présent dépend entière-
ment de ma volonté. « Mon présent en ce moment est la phrase
que je suis occupé. à prononcer » dit-il justement, mais il ajoute
la restriction suivante : « Il en est ainsi parce qu'il me plaît de
limiter à une phrase le champ de mon attention » (ibid., p. 169).
En réalité ce champ, qui peut être réduit à une sensation
1.E l?SYCIIOLOGIQ(iF 9:;

unique et quasi instantanée, a une limite supérieure. Elle dépend


de plusieurs facteurs que nous pouvons ramener à trois :
1° L'intervalle temporel entre les stimulations ; 2° Le nombre
des stimulations ; 3° Leur organisation. Ces trois facteurs se
combinent, mais nous devons les examiner successivement pour
préciser leur nature.
'
1° L'INTERVALLE ENTRE LES STIMULATIONS

Prenons le cas de deux stimulations seulement. Si l'inter-


valle entre les deux est trop grand, l'une est passée quand l'autre
se présente. Ce serait le cas d'une pendule où le « tac » succéde-
rait au « tic » plusieurs secondes après. Quand la limite sera-t-elle
atteinte ? Un moyen de l'évaluer est justement de ralentir la
succession des sons d'une structure rythmique jusqu'à ce que
celle-ci s'évanouisse"pour faire place à une succession de sons
indépendants. On constate alors que le rythme disparaît pour un
intervalle entre les sons de 2 s environ (Fraisse, 1956, pp. 13et
41). Cette durée est une valeur limite de toute organisation
successive de deux stimulations. En deçà il existe un intervalle
de succession optimum que Wundt (ibid., t. 2, p. 242) estimait
être de 0,3 à 0,5 s. On peut remarquer qu'en musique les notes
les plus fréquentes sur lesquelles repose l'organisation du thème
mélodique ont des durées qui varient, selon les auteurs et les
morceaux, de 0,15 à 0,90 s (Fraisse, ibid., p. 118). Dans la lecture
courante à haute voix, nous prononçons entre trois et six sons à
la seconde, ce qui correspond donc à des intervalles de 0,15 à
0,35 s (voir chap. V).

2° LE NOMBRE DES STIMULATIONS

Prenant l'exemple des coups que sonne la pendule, nous


avons déjà souligné que lorsque nous entendons sonner 3 ou 4 h
nous identifions immédiatement l'heure qu'il est sans faire appel
à la numération. La perception de l'ensemble permet immédia-
tement sa transcription symbolique, ou la reproduction exacte
d'une série de coups sans les avoir nombrés. Ainsi les jeunes
enfants qui ne savent pas encore compter reproduisent sans
erreur une série de cinq à six coups (Fraisse P. et R., 1937).
Lorsque midi sonne, nous devons au contraire compter : quand
96 N;Yf:lIOLOG1E 1) U TEMPS

sonnent les derniers des douze coups, les premiers n'appar-


tiennent plus à notre présent.
Combien de sons alors pouvons-nous percevoir en une unité
temporelle ? Ne parlons ici que de sons identiques ; nous verrons
dans les paragraphes suivants qu'il faut aussi tenir compte de
la variété et de la signification des éléments. Ce problème ne
peut pas être envisagé indépendamment de l'intervalle entre
les sons, ou, si l'on préfère, de leur vitesse de succession. La
longueur de la série appréhendée diminue en effet quand, avec
l'allongement de l'intervalle, l'organisation des éléments devient
plus difficile. Nous avons ainsi montré expérimentalement
qu'en moyenne le nombre de sons appréhendés, vérifié par une
reproduction immédiate sous forme de frappes, variait comme
suit (moyenne de 10 sujets) (Fraisse P. et R., 1937) (1) :
Intervalle entre les sons.... 17 cs 37 cs 63 cs 120 es 180 cs
Nombrede sonsappréhendés 5,7 5,7 5,4 4 3,3

Ce tableau confirme d'abord que ce sont les intervalles


de 15 cs à 70 cs qui sont les plus favorables à la perception ;
d'autre part, il montre que l'unité perçue dépend plus du nombre
d'éléments que de la durée totale de la série. En effet, la durée
totale de la série appréhendée, comptée du premier au dernier
son, est de 0,8 s pour l'intervalle de 0,17 s et de 4,2 s pour
l'intervalle de 1,8 s. Donc, nous pouvons dire que la durée du
présent perçu a plus varié que le nombre d'éléments perçus,
ce qui montre bien que le présent ne correspond pas simplement
à un champ temporel qui serait indépendant de son contenu.
Ce nombre de 5 à 6 éléments, où nous voyons la limite de notre
capacité de perception du successif, se retrouve lorsque nous
appréhendons des stimuli d'autre nature. Pintner (1915) indique
par exemple que, dans le test des cubes de Knox, la norme pour
les adultes est la possibilité de reproduire 6 mouvements exé-
cutés sans ordre systématique. De même, les adultes, à qui on

(1) La méthodede reproduction,verbaleou motrice,a été critiquéecomme


moyen de vérifierl'étenduedu présentperçu.Evidemmentla reproductioninter-
vientaprèsla perception,quandce présentn'est plus.Maisnoussommesexacte-
mentdansla mêmesituationquandnousétudionsla perceptiondansl'espace.Dans
l'un et l'autre cas,le contrôlede ce qui est perçuest réaliséau traversd'uneréac-
tion déclenchée par la perception,ce qui n'impliquepas réellementune fixation
mnémonique. Nous avonsen effetmontréque les processussous-jacentsà cette
reproduction immédiateet à uneévocationdifféréeseulementde quelquessecondes
étaientlargementindépendants(Fraisseet Florès,1956).
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 97
- -- -

demande d'indiquer les lampes qui s'allument successivement


sur un cercle, réussissent cette épreuve dans la limite de 5 lampes
(Gundlach R., Rothschild D. A., et Young P. T., 1927).
Le nombre de ces éléments est d'ailleurs une caractéristique
générale de la capacité de notre perception, puisque, dans l'es-
pace, nous pouvons percevoir aussi de 6 à 7 éléments distincts,
des points lumineux par exemple (Fraisse P. et R., 1937). Cette
capacité a guidé intuitivement l'usage des signaux sonores.
Dans le morse par exemple, aucun signal ne comporte plus de
cinq éléments. Dans l'alphabet Braille, on utilise aussi de 1
à 6 points.
D'autre part, c'est un fait remarquable que cette capacité
d'appréhension semble correspondre à une possibilité biolo-
gique assez générale et, sous cette forme frustre, assez indépen-
dante du niveau de l'intelligence. Nous avons déjà souligné que
les enfants de 4, 5 et 6 ans qui ne savent pas compter ont une
capacité d'appréciation du même ordre que celle des adultes.
La même capacité a été décelée chez des oiseaux. On peut dresser
des pigeons, des pies, des corbeaux, des perroquets, des choucas
à différencier parmi plusieurs gobelets celui qui contient de la
nourriture, d'après le nombre de points figurant sur le couvercle.
L'animal apprendra par exemple à choisir le gobelet qui pré-
sente 5 points parmi d'autres ayant 3, 4, 6 ou 7 points. Bien
entendu, l'expérimentateur a éliminé l'influence possible de la
configuration fournie par les points en variant leur répartition.
La réussite n'est possible que si le nombre de points du signal
positif n'excède pas 6 ou 7. La même réussite est possible si
on utilise une technique impliquant une perception successive
du nombre d'éléments. Les pies, par exemple, peuvent apprendre
à soulever les couvercles d'une rangée de gobelets contenant
un ou plusieurs grains jusqu'à ce qu'elles en aient trouvé un
nombre donné. Le dressage est possible jusqu'au nombre 7
(Sauter, 1952). D'autre part, en présentant successivement les
appâts sur un disque tournant, Arndt (1939-40) a établi que
cette capacité d'appréhension était relativement indépendante
de l'intervalle qui sépare les stimulations, mais que ces inter-
valles devaient être d'autant plus brefs que le nombre à
appréhender était plus grand : ce qui correspond exactement
aux résultats trouvés chez les enfants et chez les adultes quand
on exclut la numération.
P. FRAISS): 7
98 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

3° L'ORGANISATION DES STIMULI

On sait que dans l'espace on peut percevoir beaucoup plus


d'éléments s'ils forment une configuration spatiale ou un
ensemble significatif. Il en est de même dans le temps. Si des
sons identiques sont groupés par exemple par 2, 3, 4 ou 5, on
perçoit, sans avoir recours à la numération, 4 à 5 groupes de
ces sons, soit, dans le cas optimum, de 20 à 25 sons au total
(Fraisse P. et R., 1937). Dietze (1885), en faisant grouper subjec-
tivement les sons par les sujets, avait trouvé, il y a longtemps,
24 comme capacité maximum. Ce résultat ne peut cependant
être atteint que si la vitesse de succession facilite le groupement,
selon la loi de proximité de Wertheimer. Les résultats que nous
évoquions plus haut ont été obtenus avec un intervalle de 18 cs
entre les sons et de 36 cs entre les groupes. La durée maximum
de la série appréhendée ne dépassait donc pas 5 s.
Le simple fait que chaque élément ait une signification
différente suffit à augmenter un peu notre capacité d'appréhen-
sion. Nous percevons de 7 à 8 lettres, de 7 à 9 chiffres ne formant
pas des mots ou des chiffres connus. Pour de tels stimuli, il y a
un développement génétique de la capacité d'appréhension.
D'après les normes du test de Terman Merrill, un enfant de
3 ans doit reproduire une série de 3 chiffres ; à 7 ans, 5 chiffres ;
à 10 ans, 6 chiffres. Avec l'âge les éléments sont mieux identifiés
et ils prennent plus de signification : ainsi peut être saisi un
certain lien entre les stimuli et leur perception en est facilitée.
Si, de plus, l'organisation des éléments donne à un ensemble
une unité de signification, l'appréhension est évidemment
favorisée : ainsi, toujours dans le test de Terman Merrill, un
adulte de niveau moyen doit pouvoir saisir et répéter sans faute
une phrase de 20 à 25 syllabes.
Puisque notre perception du successif est fonction des
possibilités de l'organisation, tout ce qui facilite cette dernière
- attitude du percevant, groupements par la proximité, struc-
ture, signification - augmente la richesse de ce qui constitue
notre présent. Cependant, ce présent a une double limitation qui
tient, comme nous l'avons vu, à l'intervalle entre les éléments
et à leur nombre. Compte tenu des divers facteurs envisagés,
le présent se limite pratiquement à une durée de 5 s environ.
C'est le temps nécessaire pour prononcer une phrase de 20 à
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE 99

25 syllabes ; les vers les plus longs en prosodie, les mesures les
plus longues en musique ne dépassent guère 5 s (Bonaventura,
1929, pp. 33-34). On peut sans doute, dans certains cas privi-
légiés, atteindre un présent un peu plus long, mais le plus sou-
vent notre présent ne dépasse guère 2 à 3 s.

*
* *
Sur les mécanismes physiologiques de cette saisie d'une
pluralité en un seul acte perceptif, on est réduit à des hypo-
thèses assez fragiles.
On a souvent rapproché le présent psychologique des oscil-
lations de l'attention (1). On constate en effet très généralement
des oscillations dans l'efficience, comme si nous ne pouvions
maintenir un niveau stable de notre activité. Les faits sont
particulièrement frappants dans la perception. Un stimulus
juste liminaire est perçu quelques secondes, puis semble s'éva-
nouir, pour réapparaître à nouveau (test de la montre, disque
de Masson). Dans les figures ambiguës où plusieurs formes ou
plusieurs aspects de la même forme peuvent être perçus (le
schéma d'un cube figuré par l'ensemble de ses arêtes par
exemple), il se produit dans la perception une alternance entre
les figures possibles, comme s'il y avait saturation d'une per-
ception et substitution d'une autre figure. « Tout se passe, dit
Piéron, comme si les orientations perceptives concurrentes
arrivaient à l'emporter chacune à son tour (Piéron, 1934, p. 33).
Ces alternances peuvent être évidemment rapprochées du phéno-
mène général de notre perception du successif : il semble qu'après
une perception relativement continue se produit un décrochage
après lequel recommence un nouveau présent. Les périodicités
également sont comparables : dans les oscillations perceptives de
différents types, on trouve des périodes extrêmes variant de
5 à 10 s (Piéron, ibid., pp. 28-33). Ces durées sont aussi environ
celles du présent perçu dans les cas les plus favorables.
La période de ces oscillations de l'attention dépend beaucoup
des personnes, de leurs attitudes et des conditions de la
perception. La durée du présent perçu paraît être influencée
par les mêmes facteurs. Mais l'ensemble de ces rapprochements

deltempo,1929.
(E.), ll l'robleinapsicologico
(1) En particulierBoNnvt:N?ruxn
100 l'SYCHOGOGIF,DU TEILTPS

n'explique rien à l'heure actuelle. Il faudrait prouver qu'oscil-


lations de la perception et durée du présent psychologique
dépendent d'une même cause. Ce ne serait possible que si on
avait pu expliquer la nature de ces oscillations par la mise en
évidence des processus physiologiques auxquels elles corres-
pondent. Si cette démonstration était faite, on pourrait croire à
l'existence de cycles d'activité qui faciliteraient l'organisation
du successif.
Certains auteurs ont présenté des hypothèses plus expli-
catives. Selon Piéron « on peut penser que l'étendue de ce
champ est connexe au temps maximum pendant lequel une
réponse corticale brève peut continuer à susciter un même
processus associatif se prolongeant en écho, alors même que
d'autres réactions se produisent o (Piéron, 1923, p. 11). Boring
(1936) évoque aussi la possibilité d'une continuité physio-
logique entre les excitations, qui n'explique pas cependant les
ruptures périodiques. Koffka (ibid., p. 44) a élaboré une théorie
plus précise : selon lui, deux sons successifs par exemple s'orga-
niseraient en une paire de sons, parce qu'il y aurait « des rela-
tions dynamiques entre l'aire excitée et la trace de l'excitation
précédente ». Il postule que les stimulations successives se
projettent en des points différents du cerveau et que l'inter-
valle temporel se transforme en intervalle spatial. Entre la
trace du premier son et l'excitation correspondant au second, il
apparaîtrait une différence de potentiel ; il s'établirait un court-
circuit qui expliquerait l'organisation temporelle et l'ordination
des sons. Entre une organisation temporelle et une organisation
spatiale, la différence serait due essentiellement au fait que,
dans le temps, il existerait une différence de potentiel entre les
plages excitées qui ne se retrouverait pas entre les excitations
simultanées de l'espace.
Que penser de cette hypothèse? Il est naturel de postuler,
pour rendre compte de l'organisation perceptive, une organi-
sation sur le plan physiologique. On sait que les hypothèses
gestaltistes, en invoquant sans cesse des champs de force, ne
s'accordent pas avec les données de la neurophysiologie, mais
il est vrai que des systèmes d'interconnexions neuroniques
jouent peut-être un rôle équivalent à celui de champs potentiels,
comme Hebb (1949) a essayé de le concevoir. Dans l'interpré-
tation de l'organisation temporelle, l'hypothèse de Koffka d'une
LE PRI?;SENT PS?'C.TIOLOGI(JI?I? 101

projection spatiale des excitations successives semble particuliè-


rement faible. Qu il ait été conduit par un souci de cohérence
de son système, tous ses textes le montrent, mais la justification
spéciale qu'il donne de cette spatialisation corticale du successif
n'est pas convaincante : si la deuxième excitation se produisait,
dit-il, à la même place que la première, qui a laissé nécessaire-
ment une trace, cette trace serait tellement modifiée par la
seconde excitation qu'elle perdrait son identité : la per-
ception d'une paire de sons serait impossible. Certes, si deux
stimulations successives se suivent très rapidement, il y a fusion
plus ou moins complète des excitations et des sensations corres-
pondantes, mais le problème de l'organisation de stimulations
successives se pose pour des intervalles temporels où il n'y a pas
fusion. Selon nous, il faudrait plutôt expliquer la permanence du
premier processus quand le second se produit, permanence qui
permettrait l'organisation de deux excitations successives.
Nous pensons en effet - les raisons en seront exposées au
chapitre V - que l'excitation corticale se prolonge sous une
forme infraliminaire, au-delà du temps attribué à la sensation.
L'organisation des excitations en un même point serait possible
sans que les sensations perdent leur individualité, si on admet
que la liaison se fait justement à un niveau infraliminaire et
que l'identification de chaque stimulus se fait grâce à des
processus associatifs distincts. Il resterait à expliquer dans
cette hypothèse comme dans celles de Piéron, de Boring ou de
Koffka pourquoi cette organisation a une limite et pourquoi il
se produit un décrochage en fonction et du nombre d'éléments
perçus et de leurs intervalles. Il faut peut-être postuler ici
cette onde d'activité que nous évoquions plus haut et qui
pourrait rendre compte de cette limitation, tout comme des
oscillations des champs perceptifs. Mais, sur ce point, la neuro-
physiologie ne nous apprend rien à l'heure actuelle.

*
* *
Sur l'ensemble du problème du présent psychologique, la
pathologie apporte un éclairage complémentaire. Elle nous
révèle tout d'abord que la simple perception de l'ordre de la
succession est une conduite très élémentaire rarement atteinte
dans les troubles neuropsychiatriques les plus graves, même
102 P.SYG'flOl,OGIF,DU TEMPS

lorsqu'il y a par ailleurs désorientation temporelle. Les malades


peuvent toujours indiquer si un son précède ou suit une lumière
quand l'intervalle est d'au moins une seconde (Fraisse, 1952 b).
Cependant, beaucoup de malades mentaux perçoivent des
séries de sons moins longues que les adultes normaux. Mais les
échecs que l'on peut constater ne semblent pas tous imputables
à la même cause et leur analyse semble confirmer notre inter-
prétation du présent psychologique. Les uns sont dus simple-
ment au fait que l'organisation successive des stimuli, dès
qu'elle est un peu longue, nécessite un effort d'attention, de
« présence n dont justement la plupart des malades atteints de
névrose sont incapables. Tous les auteurs ont insisté sur cet
aspect, qu'ils ont interprété comme une baisse de la tension
psychologique (Janet), une faiblesse du système nerveux
(Pavlov) ou une atteinte de la composante conative de la
personnalité (Eysenck). Dans les autres cas, il semble que l'on
se trouve devant une altération spécifique des troubles de
l'intégration du successif : ce sont des malades qui présentent
des lésions corticales. Les troubles sont parfois difficiles à mettre
en évidence. Il peut y avoir difficulté à percevoir des séries de
sons, c'est-à-dire des structures rythmiques. « Un des déficits
les plus communs produits par une lésion corticale, pensait
Head, est ce défaut de définitions temporelles ; un stimulus
répété rythmiquement semble être là tout le temps n (Head H.,
1920, p. 754, cité par Koffka K., ibid., p. 438). Van Woerkom
considérait les troubles de la perception des rythmes comme une
des atteintes fondamentales de l'aphasie. Par exemple les
malades ne peuvent saisir la structure d'ïambes ou de trochées
(d'après Ombredane A., 1951, pp. 243-255). Kleist, à partir de là,
a estimé que la difficulté à percevoir des formes temporelles
constituait un trouble spécifique (1934).
Des travaux expérimentaux ont montré qu'il y avait parfois,
chez des blessés du cerveau ou dans des cas neurologiques, une
difficulté à percevoir le mouvement apparent, qui est, nous le
verrons dans le prochain chapitre, une forme de l'intégration
des données successives (Werner et Thuma, 1942). Il semble que
chez ces malades la perception de chaque élément se développe
indépendamment de celle des autres. A notre avis, cette indé-
pendance pourrait en partie s'expliquer par le fait que le
processus de perception serait plus long. Si la perception du
LE PRÉ.SENT PS1'C'HOLOGIQIIF, 103
-

successif implique l'organisation de processus distincts, une


durée exagérée de chaque perception gênerait ou empêcherait
l'intégration temporelle (rythme, mouvement apparent).
Il est encore une fois intéressant de rapprocher ces cas des
troubles de la perception spatiale. Les travaux sur les agno-
siques reconnaissent tous qu'il y a chez ces malades un manque
d'intégration des données perceptives qui se traduit par le
pointillisme dans la reproduction des formes, ou par la confusion
et le désordre des éléments. D'ailleurs on trouve souvent chez
le même malade des troubles de la perception des formes spa-
tiales et temporelles (Teuber et Bender, 1949). Cette coïncidence
est facile à comprendre si on remarque que, dans la perception
des formes spatiales, une composante temporelle joue un rôle
important. Une forme présentée en vision rapide apparaît ou
comme très schématique ou comme floue. Il faut un temps de
vision appréciable qui, justement, permette une exploration
pour qu'une forme apparaisse dans toute sa complexité.
La pathologie nous apprend donc que des lésions corticales
peuvent empêcher les stimuli successifs de s'organiser en des
formes temporelles, mais sans que nous puissions encore préciser
les rapports de ces troubles avec des localisations précises.
D'autre part il apparaît que les névroses peuvent diminuer
l'efficience de ces organisations lorsqu'elles sont complexes et
requièrent un effort pour être correctement perçues.

IV
CONCLUSION

Nous pensons avoir démontré, sans qu'il subsiste aucune


équivoque, que nous percevons l'enchaînement des change-
ments, c'est-à-dire leur succession, si l'intervalle qui les sépare
n'est pas trop long. Ils se groupent en des ensembles qui réa-
lisent une forme de synthèse presque statique du devenir.
Si nous comparons ces formes à celles que nous pouvons
percevoir dans l'espace, elles sont relativement simples, ce qui
s'explique facilement puisque nous n'avons pas dans le temps
la possibilité de revenir en arrière pour développer une analyse
qui permette une construction plus complexe. Aussi bien, les
arts de la durée ont-ils cherché à enrichir des formes dont le
104 PSYCIlOUJGlE DI? TE1HPS

nombre restait assez étroitement limité, ils ont multiplié les


ressources de chaque instant : l'harmonie s'est ajoutée à la
mélodie, les timbres les uns aux autres, le chant ou la danse à
la musique. La simultanéité des excitations cherche à pallier
la pauvreté des successions perceptibles.
Cependant, à un ensemble perceptif succède un autre
ensemble perceptif. Entre eux, il y a comme un léger temps
mort, un hiatus que nous ne remarquons même pas ; dans le
langage, la ponctuation en souligne la présence. Mais la dis-
continuité perceptive nous est masquée par une continuité
que fournissent la tonalité affective des événements et l'unité
de leur signification. Chaque ensemble perçu s'insère dans un
courant où la permanence de nos attitudes et notre mémoire
sont des facteurs déterminants de la continuité. Dans le langage,
poétique ou non, le rôle de la signification est manifeste ; en
musique la discontinuité des rythmes n'apparaît guère, car
chacun participe à un mouvement musical qui donne au tout
son unité.
Ainsi notre présent psychologique nous permet de dominer
le devenir du monde des stimulations. Grâce à lui, nous perce-
vons des ensembles qui sont à leur tour des éléments à partir
desquels nous construisons l'unité de notre vie psychologique.
CHAPITRE IV

LE SEUIL DU TEMPS

L'existence du présent psychologique implique que plu-


sieurs événements successifs peuvent être appréhendés en une
relative simultanéité. Autrement dit, là où la physique décrit
des changements dont la variable temporelle est continue, la
psychologie montre une intégration discontinue de plusieurs
événements successifs en des suites perceptives. Il n'y a là
rien de surprenant. Toute perception a un donné phénoménal
qui, dans ses qualités et son organisation, correspond à des
stimulations, mais n'est pas un décalque de la réalité physique.
La psychologie de la perception consiste à établir ces corres-
pondances psychophysiques et à essayer de les expliquer en
prenant connaissance des mécanismes de réception, de trans-
mission et de projection corticale.
Pour toute perception, la première question est celle de
son seuil. Dans quelles conditions le temps apparaît-il donc
comme une donnée perceptive ? Tel est le problème que nous
voulons envisager dans ce chapitre, réservant pour le suivant
l'étude des variations de nos perceptions de la durée en fonc-
tion de la nature des stimulations.
Deux situations types se présentent :
10 Ou bien le changement perçu est continu ; notre percep-
tion est ainsi celle d'une continuité. En ce cas, si la stimulation
physique est brève, nous avons une perception non pas de durée,
mais d'instantané. Pour quelle durée de la stimulation passe-
t-on de l'instantané au durable ? En d'autres termes, quel est
le seuil du durable ?
20 Ou bien les stimulations sont brèves et répétées. Le
problème est alors le suivant : à quel intervalle physique cor-
respond la perception d'une succession, c'est-à-dire pour quel1
100 nu TEMPS

intervalle deux événements cessent-ils de paraître confondus


ou simultanés ?
L'instantanéité et la simultanéité sont les deux cas limites
où cesse la perception du temps. Inversement, étudier les condi-
tions dans lesquelles cessent les perceptions de l'instantané et
du simultané, c'est assister à la naissance perceptive du temps.

1
DE .AUDURABI,H;
« Quand donc nous sentons l'instant comme unique, au
lieu de le sentir ou bien comme antérieur et postérieur dans le
mouvement, ou bien encore comme identique, mais comme fin
de l'antérieur et commencement du postérieur, il semble
qu'aucun temps ne s'est passé, parce qu'aucun mouvement ne
s'est produit. » Il n'y a rien à changer à cette définition d'Aris-
tote (Physique, IV, p. 219). Une stimulation brève peut être
perçue sans toutefois qu'elle nous apparaisse comme durable.
Nous sommes alors dans un cas limite que Piéron, par analogie
avec l'espace, nomme un « point de temps » ( 1955, éd., p. 401).
Toutes les sensations « non durables » sont théoriquement
identiques sous le rapport du temps. Mais, pratiquement, quand
on diminue la durée physique des stimulations, on diminue
aussi l'intensité apparente des sensations correspondantes.
Celle-ci est en effet proportionnelle à la quantité d'énergie
reçue par les récepteurs sensoriels, c'est-à-dire au produit de
l'intensité physique par la durée de l'excitation. La différence
d'intensité crée donc une différenciation qui empêche de
confondre deux sensations par ailleurs instantanées.
Cependant, dans l'ensemble, les sensations instantanées se
distinguent des sensations durables et il est possible de déter-
miner la limite entre l'instantané et le durable en fonction de la
durée de la stimulation. Durup et Fessard (1930) ont ainsi trouvé
que le seuil du durable était de 12,4 cs pour une stimulation
lumineuse de 1 milli-bougie par centimètre carré de brillance et
de 11,3 es pour une brillance de 100 mb/cm2. Pour un son
de 500 Hz et d'intensité moyenne, ces mêmes auteurs ont trouvé
des seuils variant de 1 à 5 cs. Bourdon (1907) avait trouvé dans
la même situation 1 à 2 cs.
LK SEIIII, nu TEMPS 107

Pour des impressions tactiles engendrées par une excitation


vibratoire, le seuil serait aussi de l'ordre de quelques centièmes
de seconde, d'après des expériences préliminaires de Durup
et Fessard. A la suite de ces auteurs, il faut remarquer que les
limites de la perception de l'instantanéité dépendent de la
durée d'ensemble du processus d'excitation. La valeur maxi-
mum du point de temps exprimée en durée du stimulus est en
effet beaucoup plus longue dans le cas de la vue que dans celui
de l'ouïe ou du tact. Mais justement nous savons que les pro-
cessus d'excitation photochimique des récepteurs rétiniens
ont une inertie beaucoup plus grande que ceux des récepteurs
auditifs et tactiles qui sont de type mécanique. Le temps
nécessaire pour déclencher le processus d'excitation ne compte
pas au point de vue perceptif. L'important est sans aucun doute
la durée de l'excitation corticale qui doit déterminer le carac-
tère temporel de la perception. Piéron pense que ce sont les
processus centraux qui interviennent « pour imposer une exten-
sion minima de ce point autour du centième de seconde » (ibid.,
p. 403).
Ce point de temps a parfois été considéré comme une unité
psychologique ou atome de temps. La question de l'existence
d'une unité psychologique de temps a été maintes fois sou-
levée mais les auteurs ont donné des contenus très différents
à cette notion. Certains, comme Piéron (1923, 1945), ont posé
le problème sur un plan psychophysique : quel est l'élément
simple, c'est-à-dire insécable, de la durée ? L'unité de temps,
comme nous venons de le voir, varie alors avec la nature des
sensations. De nombreux autres auteurs entendent par unité
psychologique de temps la durée minimum d'une opération
mentale aussi simple que possible. Richet (1898), qui a fait
le premier cette suggestion, remarquait que nous ne pouvons
pas prononcer plus de 11 syllabes ou voyelles à la seconde,
ce qui semble indiquer qu'il y a une limite de fréquence des
incitations centrales. Il a cherché par de nombreux rappro-
chements à montrer que cette limite du dixième de seconde
environ se retrouvait dans de nombreuses manifestations
psychiques. Elle correspondrait à une vibration nerveuse
élémentaire dont la durée serait déterminée par celle de la
période réfractaire.
Ce qui est appelé dans ce cas unité psychologique est en
108 DIT TEMPS

réalité la durée minimum du processus physiologique corres-


pondant à un acte élémentaire, sans référence à la durée appa-
rente de cet acte au plan de la perception. Très récemment
encore, Stroud (1956) a essayé de montrer que le temps psycho-
logique, c'est-à-dire le temps de l'activité psychologique, pou-
vait être brisé seulement en un nombre fini de moments, alors
que le temps physique pourrait être décomposé en une infinité
d'instants. Il reprend d'une autre manière la démonstration
qu'avait tentée Richet et, à partir de diverses expériences,
cherche à mesurer la durée d'un moment psychologique ou
intervalle d'intégration, qui serait aussi selon lui de l'ordre du
dixième de seconde. Stroud adopte la même valeur, mais
admet une marge de 50 à 200 ms. Prenons deux de ses exemples.
Si on fait voir ou entendre des séries de stimuli très brefs
(stimuli de 1,1 cs avec interruption de 2,2 cs, les stimuli se
suivant donc à 3,3 cs d'intervalle), le nombre de stimuli perçus
est inférieur au nombre objectif de stimulations. Tout se passe
comme dans une caméra dont l'obturateur ne s'ouvrant qu'un
certain nombre de fois à la seconde ne pourrait enregistrer
qu'une partie de ce qui se produit (White C. et Cheatham P.,
1959). Si, pendant l'audition d'une liste de mots, on coupe
à une certaine fréquence par un moyen électronique le flux
sonore (ou si on le masque par un bruit blanc), on constate que
les interruptions ont un effet très différent suivant leur rythme.
Si la cadence des coupures est très lente, et si la durée de la
coupure égale la durée de l'audition, on ne perçoit que 50 %
des mots. Si la cadence est très rapide, il n'y a pas de perte et
la réussite est de 100 %. Entre ces deux cadences extrêmes,
on constate que, dès que les coupures atteignent 10 par seconde,
la réussite approche du maximum, comme si, à cette cadence,
on ne perdait pratiquement plus d'information utile (Miller
et Licklider, 1950).
Dans une autre perspective, Stein (1928) a montré que les
lettres d'un mot étaient vues comme simultanées dès lors que
l'intervalle de présentation entre la première et la dernière ne
dépassait pas 100 ms, et Lichtenstein (1961) que quatre plages
déterminant les sommets d'un carré étaient vues comme
simultanées, même si elles étaient allumées successivement,
pourvu que le délai entre la première et la quatrième stimulation
ne dépasse pas 125 ms. Dans ces limites, l'éclairement des
LE SEUIL DU TEMPS 109
--

plages successives peut se produire selon des intervalles réguliers


ou irréguliers, sans changer le phénomène d'ensemble.
D'autres auteurs, dans la même ligne, ont considéré comme
un instantané irréductible, ou moment, l'intervalle qui permet
tout juste de distinguer des stimulations répétées les unes
des autres sans qu'il y ait fusion. Mais Piéron qui cite cette
position des élèves de Uexkiill fait justement remarquer que
cette fréquence de fusion dépend surtout des récepteurs, qu'elle
ne peut donc servir à mesurer avec précision un processus
central (Piéron, 1941, p. 102). Par contre, le passage de la
discontinuité des sensations au papillotement permettrait peut-
être d'atteindre un moment significatif, puisque ce passage se
produirait pour tous les sens de l'homme lorsque l'intervalle
entre les stimulations successives (Brecher, 1937) atteint
50 ms.
L'objet de telles recherches est de trouver une unité des
processus physiologiques d'intégration du successif ; les faits
sur lesquels elles s'appuient rendent vraisemblable l'existence
d'une pareille unité. Mais ce problème ne sera complètement
résolu que par le progrès de la neurophysiologie des centres
supérieurs. La nature de l'unité physiologique du temps per-
mettrait sans doute de comprendre les conditions dans les-
quelles nous avons une perception de l'instantanéité. Mais pour-
rait-on aller plus loin et parler d'une unité psychologique du
temps ? Unité à deux sens : c'est en premier lieu la qualité
de ce qui est indivisible ; en ce sens l'instantané peut être dit
une unité de temps. En second lieu, c'est la partie dont la mul-
tiplicité constitue un tout. Est-il légitime dans le cas du temps
de passer du premier au second sens ? Une telle idée est sans
doute présente à titre d'hypothèse chez Piéron (1945, p. 36) qui
parle de durées constituées de « pluralités d'instants unitaires »
et qui s'est posé le problème des rapports entre l'unité psycho-
logique de temps et la valeur de l'échelon différentiel dans la
comparaison des durées perçues. Y aurait-il des quanta du temps
perçu ? Dans l'état actuel des recherches, on peut affirmer
qu'il y a un processus central tel qu'il est difficile de distinguer
ce qui est successif à l'intérieur d'un moment qui peut varier
entre 50 et 150 ms environ. Le processus est central, mais
cependant il dépend aussi de la nature des sensations (qualité,
intensité) (Lichtenstein et al., 1963).
110 I'SYCHOI,OGIE DU TEMPS

Si nos connaissances sur cet aspect deviennent plus nom-


breuses, rien ne permet cependant de dire que les durées perçues
soient des multiples ou même des composés de ces unités de
perception.
Dans nos deux premiers chapitres, nous avons montré qu'il
devait y avoir une horloge physiologique basée sur la pro-
priété des centres nerveux à répondre rythmiquement à des
excitations, périodiques ou non. Si nous connaissions mieux les
mécanismes de ces rythmes et leurs fréquences élémentaires,
les problèmes que nous venons de soulever s'éclaireraient
peut-être.

II

DE LA .4U

Dans le cas d'une stimulation unique, il y a perception de


la durée lorsque la stimulation est assez longue pour ne plus
apparaître comme instantanée. Deux brèves stimulations, elles,
engendrent la perception d'une durée lorsqu'elles apparaissent
comme successives. La durée est alors l'intervalle entre les deux
stimulations. Si l'intervalle entre les deux stimulations apparaît
nul, les deux stimulations sont dites simultanées. Il ne s'écoule
pas de temps entre elles.
La question est alors la suivante : dans quelles conditions
avons-nous une perception de la simultanéité ? Corrélative-
ment, quels sont les seuils de perception de la succession ?

I « LA SIMULTANÉITÉ

Le sens commun admet que deux événements sont simul-


tanés lorsqu'ils se produisent à un même moment du temps.
Mais, comme l'a analysé très finement Poincaré (éd. définitive,
pp. 39-63), parler ainsi, c'est se placer au point de vue d'une
intelligence infinie et omniprésente. En effet, l'homme - qui
en ce domaine se comporte comme n'importe quel appareil
- ne connaît directement les phéno-
enregistreur jamais
mènes physiques, mais seulement des sensations produites
par ces phénomènes. L'ordre dans lequel les phénomènes
physiques se produisent ne détermine pas l'ordre de nos sensa-
tions. L éclair de la décharge électrique du nuage et la brusque
LE SEUIL DU TEMPS Ili

vibration de l'air qu'elle entraîne sont contemporains, mais


perceptivement le tonnerre succède à l'éclair. Inversement,
de deux coups de foudre qui nous paraissent simultanés, celui
qui a l'origine la plus proche a succédé dans le temps à celui
qui était le plus éloigné de l'observateur.
La simultanéité que nous envisageons ici est la simultanéité
psychologique. Elle correspond au fait que des « événements
appartiennent au même présent mental et ne sont pas suscep-
tibles d'une ordination temporelle » (Piéron, 1955, 3e éd., p. 394).
L'important est cependant de déterminer les rapports entre
cette simultanéité apparente et l'ordre même des phénomènes
physiques, tel qu'il peut être connu par d'autres modes d'enre-
gistrement que notre propre sensibilité.
La cause la plus évidente du décalage entre l'ordre perçu
et l'ordre des événements tel que peut le connaître la physique,
tient évidemment à la différence de vitesse de transmission
dans le monde extérieur des phénomènes vibratoires et en parti-
culier du son et de la lumière. Déterminer la durée qui s'écoule
entre l'émission et la réception est du ressort des physiciens, qui
se heurtent d'ailleurs, lorsque les distances sont grandes, à de
sérieuses difficultés, comme l'a montré la théorie de la relativité.
Mais à cette cause de décalage s'ajoutent les différences de
durée des processus d'excitation périphérique et de vitesse de
la transmission des organes récepteurs jusqu'aux centres per-
ceptifs de l'aire corticale. Là nous abordons l'aspect biologique
du problème. Deux stimulations qui attaquent simultanément
l'organisme ne sont pas perçues pour autant comme simulta-
nées. Les causes en sont multiples.
Les unes sont physiologiques. Chaque type de récepteur a
d'abord une latence propre. Dans les meilleures conditions,
la latence irréductible de la vision est supérieure de 4 cs à
celle de l'audition (Piéron, ibid., p. 46). D'autre part, la latence
d'un même récepteur est fonction de l'intensité de la stimu-
lation. Plus l'intensité est forte, plus la latence est faible ; et
« la partie réductible de la latence est inversement propor-
tionnelle à l'intensité stimulatrice portée à une certaine puis-
sance, inférieure, égale ou supérieure à l'unité » (Piéron, ibid.,
p. 467). Il en résulte, par exemple, que si deux petites plages
lumineuses proches l'une de l'autre s'éclairent simultanément
mais à des niveaux d'intensité différents, les deux lumières ne
112
2 PSYCI[01,OGIE DU TEMPS

paraissent pas simultanées ; tout se passe comme si la plage la


plus lumineuse se déplaçait vers la plage la moins lumineuse.
Ce mouvement apparent est perçu quand deux stimulations
semblables se succèdent assez rapidement : le phénomène est
caractéristique de ce qui se passe précisément quand on est aux
frontières du simultané et du successif.
Outre la latence des organes périphériques, la seconde raison
qui peut amener le décalage perceptif de deux stimulations,
objectivement simultanées au niveau des récepteurs, est le
retard de la transmission de l'influx nerveux de la périphérie
au centre, retard dû à la durée de la conduction nerveuse et à
celle des synapses. Klemm (1925) a ainsi montré que pour que
deux stimulations, l'une sur le front, l'autre sur la cuisse, soient
perçues comme simultanées, il fallait que l'excitation de la
cuisse précède celle du front de 20 à 35 ms, durée qui correspond
assez exactement à la durée nécessaire pour que l'influx nerveux
parcoure la différence de longueur des fibres qui joignent
cuisse et front au cortex. Halliday et Mingay (1964) ont repris
ces mesures avec les techniques modernes. Ils ont trouvé, par
la méthode des potentiels évoqués, que le retard de la réponse
centrale à une stimulation du pied était de 20 ms par rapport
à celle de la main. Chez un sujet, il faut un décalage de 17 ms,
chez un autre de 9 ms, pour qu'il y ait perception de la simul-
tanéité de deux stimulations au pied et à la main.
Ces faits montrent la véracité du raisonnement théorique
que l'on pouvait faire a priori. La base de la perception de la
simultanéité réside dans la simultanéité d'excitations corticales.
Mais à ce niveau interviennent d'autres facteurs plus spéci-
fiquement psychologiques, et plus particulièrement la direction
de l'attention, qui expliquent sans doute que Halliday et
Mingay ont trouvé un décalage, au moins chez un sujet, entre
simultanéité prédite et simultanéité perçue. Après Wundt et
W. James, Titchener a remarqué que « le stimulus vers lequel
nous sommes orientés demande moins de temps pour produire
tout son effet conscient que le stimulus que nous n'attendons
pas » (1908, p. 251). Il en résulte que, de deux stimuli qui
agissent dans les mêmes conditions sur l'organisme, celui vers
lequel on porte son attention apparaît comme antérieur à l'autre.
Ainsi Bethe a montré que si, derrière une série de petites
fenêtres, on place un tube de Geissler, l'éclairement des fenêtres
LE SEIJIL DU TEMPS 113

semble prendre naissance à la fenêtre que l'on fixe (cité par


Frôbes, 1935, 1, p. 386). Piaget a de même trouvé que si des
enfants regardent deux lampes (distantes de 1 m et symétriques
par rapport au plan médian de leurs corps) qui s'éclairent simul-
tanément, 80 % de leurs erreurs sont dues au fait qu'ils croient
que la lampe qu'ils fixaient s'est éclairée avant l'autre (1946 b,
p. 120).
Ces expériences ne prouvent pas encore que le retard d'une
sensation sur l'autre est dû à l'attention, car dans le cas de la
vision, le retard de perception du stimulus que l'on ne fixe pas
peut être dû à une latence plus grande des récepteurs périphé-
riques. Une des recherches récentes estime que le retard d'une
stimulation p.ériphérique sur une stimulation fovéale est, en
adaptation claire, de 10 ms à 10° et de 20 ms à 40° de la fovéa
(Sweet, 1953). Mais ce facteur ne suffit sans doute pas à expli-
quer des résultats que l'on retrouve même quand il ne joue
aucun rôle. Stone (1926) a fait une expérience très précise pour
mesurer le rôle propre de l'attention. Il a recherché la durée
limite de l'intervalle pour lequel un son et une stimulation
tactile apparaissent simultanés, lorsque le sujet fait porter
son attention : a) sur le son ; b ) sur l'attouchement. Il a obtenu
une valeur de 50 ms environ qui mesurerait le rôle propre de
l'attention. Cette valeur a été retrouvée par Rubin (1939) :
il lui suffit d'un simple changement de la consigne - qui agit
évidemment sur l'attitude du sujet - pour prévoir, de deux
stimuli distants de 50 ms, lequel sera perçu avant l'autre. Par
une méthode plus complexe, Schmidt et Kristofferson (1963)
arrivent à déterminer que la période d'attention, qui permet
de passer d'un stimulus à un autre, est d'environ 65 ms quand
il s'agit de comparer la terminaison de deux stimulations
lumière et son.
Ce rôle spécifique de l'attention ne prend toute sa signifi-
cation que si l'on se rappelle qu'il est impossible de faire atten-
tion à deux choses à la fois. Incapables d'être attentifs à deux
stimulations simultanées, nous nous orientons vers l'une des
deux, soit spontanément parce qu'elle nous attire, soit volon-
tairement. Et la stimulation vers laquelle nous sommes orientés
semble précéder l'autre. Ainsi, l'attention modifierait la durée
des processus perceptifs correspondants, qu'il y ait accélération
de l'un ou inhibition temporaire de l'autre.
P. 8
114
4. PS)'CIIOI,OGIE D1T TEMPS

- *
* *
L'ensemble des travaux qui ont été faits sur la perception
de la simultanéité confirme ce point de vue. Il n'y a véritable
perception de la simultanéité que lorsque les stimuli peuvent
être intégrés ou unifiés de sorte que nous les saisissions ensemble,
sans dispersion de notre attention. Inversement, dans tous les
cas où cette unification est difficile, la perception de la simul-
tanéité est très instable. '
Envisageons successivement les deux catégories de cas. Si
deux ou plusieurs stimuli forment une figure ayant une unité
de signification, leur simultanéité ne fait pas problème. La
quasi fusion de deux notes d'un accord musical permet la
perception d'une parfaite simultanéité. Il est au contraire
difficile de se prononcer sur la simultanéité du coup frappé à
la porte et de celui de l'horloge sonnant la demie, parce que les
deux sons n'ont aucun rapport entre eux. L'unité peut venir
d'une condition extérieure aux stimuli eux-mêmes. Un bref
éclair, illuminant de l'extérieur les deux plages de l'expérience
de Piaget dont nous avons parlé, aurait assuré une unité per-
ceptive et sans doute tout le monde aurait reconnu dans un
tel cas avoir vu apparaître simultanément les stimuli. D'autres
expériences de Piaget ont d'ailleurs montré que la perception
de la simultanéité de l'arrêt de deux mouvements, par exemple,
n'était assurée chez de jeunes enfants que si les deux mou-
vements étaient en quelque sorte intégrés dans un commun
ensemble perceptif. « Lorsque deux mobiles partent du même
endroit pour aboutir en un même point avec la même vitesse,
là simultanéité des départs et des arrêts ne fait pas de diffi-
culté » (Piaget, ibid., p. 105). Mais que la simultanéité se pro-
duise après des courses de vitesses différentes, sur des lignes
d'arrivée décalées dans l'espace, et le jeune enfant échoue,
car chaque arrêt de mouvement appartient à un ensemble
perceptif différent (1).
Un des moyens que nous avons d'ailleurs de contrôler notre
perception de la simultanéité, est d'inclure des stimulations
sans liens apparents en un même ensemble réactionnel. Si nous

(1) L'enfantplus âgé pourra surmonterces difficultéspar un raisonnement


où il feraintervenirlespositionsde départet d'arrivée,et lesvitessesdesmobiles.
LE »SEUIL DU TEMPS Ils

réagissons à un son par une frappe de la main gauche et à un


éclat lumineux par une frappe de la main droice, par exemple,
la confrontation est facilitée. Nous apprécions en effet avec une
grande finesse le synchronisme de mouvements symétriques
qui ,s'intègrent en un pattern moteur. Nous pouvons réaliser
deux mouvements simultanés avec une grande précision, la
moyenne des décalages ne dépassant pas quelques millièmes de
seconde, même dans le cas de membres différents et asymétri-
ques (main droite et pied gauche par exemple) supposant un
décalage initial au niveau du déclenchement de la commande
motrice (Paillard, 1947-48).
Il est au contraire très difficile de juger la simultanéité
de deux sensations qui n'ont aucun caractère commun. La chose
est vraie pour des excitations correspondant à un même sens,
mais encore plus pour des excitations hétérogènes. Ce problème
a été l'occasion, au xixe siècle, on le sait, des premières recher-
ches de psychologie expérimentale sur l'équation personnelle.
Les astronomes avaient noté qu'ils commettaient des errems
en appréciant par la méthode oeil-oreille le moment du passage
d'une étoile en face d'un repère visuel (le réticule de la lunette)
par rapport à des battements successifs marquant le temps.
Ces erreurs d'ailleurs tendaient à être systématiques chez un
observateur donné, d'où le nom « d'équation personnelle ».
Les recherches sur ce problème furent développées par Wundt
dans son expérience dite de complication. Les sujets devaient
jugep'de la place d'une aiguille se déplaçant sur un cadran au
moment où se produisait un son. Les résultats montrèrent que
cette localisation se faisait avec une erreur qui pouvait atteindre
100 ms, l'aiguille étant vue le plus souvent dans une position
postérieure à celle où elle se trouvait lorsque le son s'était
réellement produit (Wundt, ibid., t. 2, p. 302). Cette valeur de
l'erreur a été retrouvée par plusieurs auteurs et en particulier
par Michotte (1912), qui a en outre montré que le sens de
l'erreur était déterminé par les conditions perceptives. Elles ont
pour effet de déplacer le « point d'attention » et Michotte sou-
ligne fortement qu'une stimulation n'est « aperçue » qu'à
1-'instant-aù elle est attendue. L'existence de cette erreur montre
la difficulté que nous avons à juger de la coïncidence de deux
stimulations. Dans ce type de situations d'ailleurs, la difficulté
est accrue puisqu'il faut localiser un stimulus en mouvement
116 PSYCFTOT,OGTT
DU TEMPS

par rapport aux graduations du cadran. De nos jours, le même


phénomène a été mis en évidence par Ladefoged et Broadbent
(1960), demandant à leurs sujets de localiser exactement un son
qui survient pendant l'audition d'une phrase. Cette localisation
est difficile, même si le sujet connaît la phrase à l'avance.
L'expérience de Guinzburg (1928), d'un autre genre, illustre
aussi la difficulté que l'on éprouve à percevoir la simultanéité
et le type d'erreurs que l'on peut faire. La tâche de ses sujets
consistait à dire si une lumière et un son étaient simultanés
ou successifs. Notons tout d'abord que deux de ces dix sujets
ont été incapables de donner des réponses cohérentes. Dans le
cas de la simultanéité objective, l'expérimentateur n'a obtenu
que 39,2 % de réponses justes. La réponse « simultanée » était
donnée le plus fréquemment (45 %) dans le cas où le son précé-
dait la lumière de 30 ms. La simultanéité était encore perçue
quand le son précédait la lumière de 120 ms (8,3 % des cas),
ou même quand la lumière précédait le son de la même durée
(67 % des cas). Cette difficulté objective à percevoir la simul-
tanéité correspond au fait qu'il n'y a pas, pour des stimulations
hétéro sensorielles, de véritable impression de simultanéité.
« La simultanéité est inférée d'une certaine indistinction, d'une
absence d'ordination nettement imposée, laissant le jeu à une
certaine liberté d'ordination arbitraire » (Piéron, ibid., p. 394).
Guinzburg ayant demandé à ses sujets de lui indiquer les cas
dans lesquels ils étaient sûrs de leurs jugements, a obtenu un
plus faible pourcentage de réponses affirmatives dans les cas
de perception de la simultanéité que dans les cas de perception
de la succession.
La perception de la simultanéité proprement dite implique
donc que les excitations puissent s'organiser en un pattern
perceptif ou réactionnel. Cette organisation permet tout à la
fois une perception stable de la simultanéité et un seuil très
fin de perception de la succession. Ainsi, comme nous l'avons
déjà vu, si on éclaire successivement quatre points lumineux
déterminant un losange (correspondant à un angle visuel
de 1° 5'), la simultanéité subjective est obtenue pour un cycle
de 125 ms, valeur très peu variable d'une expérience à l'autre
(Lichtenstein, 1961).
La nécessité de cette intégration explique sans doute que
les aphasiques, et plus généralement les malades présentant
LE SEUIL DU TEMPS 117
-

des lésions corticales, aient des troubles de la perception de la


simultanéité d'un son et d'une lumière dans des situations
simples où aucun autre malade mental n'échoue (Fraisse,
1952 b).

2° LE SEUIL DE PERCEPTION DE LA SUCCESSION ET DE L'ORDRE

Pour quel intervalle temporel deux stimulations cessent-elles


d'être confondues ou simultanées ? Piéron a proposé d'appeler
acuité temporelle « la capacité discriminative dans la dimension-
temps, comme les acuités spatiales représentent les capacités
discriminatives dans les dimensions de l'espace » (Piéron,
ibid., p. 394). Il faut distinguer, toujours avec Piéron (1923),
troi; cas :
« 1° Les deux stimuli sont identiques et abordent l'orga-
nisme au même point... ;
« 2° Les deux stimuli sont identiques, mais abordent l'orga-
nisme en des points différents, ou sont analogues sans être
identiques... ;
« 3° Les deux stimuli sont très différents (hétérosensoriels). »
Dans le premier cas, si les stimulations se suivent très rapi-
dement, elles sont fusionnées par suite de la persistance de la
sensation et il n'y a perception que d'une sensation plus ou
moins durable.
Si l'intervalle temporel entre les stimulations est un peu
plus grand, nous avons encore perception d'une excitation
continue, mais de niveau variable. Une série de stimulations
donne alors naissance à des phénomènes de papillotement pour
la vue, de roulement ou de crépitement pour l'ouïe, de vibration
pour le tact. Ces phénomènes apparaissent quand se produit,
entre deux excitations, une diminution d'intensité de la sensa-
tion au moins égale à un échelon différentiel. Dans ce cas, nous
percevons en réalité plus un changement qu'une véritable
succession. Donc l'intervalle pour lequel on passe de la percep-
tion de la continuité à celle d'un changement d'intensité varie
avec la nature des récepteurs. En se réparant sur la vitesse
critique de fusion de stimulations répétées, l'oreille est encore
capable de discriminer l'interruption d'un bruit blanc à la
fréquence de 1 000 par seconde, c'est-à-dire lorsque l'écart
est de 1 ms (Miller et Taylor, 1948). Pour le tact, on perçoit
118
8 PSi'ClIOLOGIE DU TEMPS

encore à la pulpe de l'index une vibration jusqu'à plus de


1 000 stimulations par seconde (Piéron, ibid., p. 68) et, pour
la vue, dans des conditions favorables, on peut encore observer
un papillotement à la fréquence de 60 par seconde, soit pour
un intervalle temporel de 16 ms (Mowbray et Gebhard, 1954).
Le seuil de la discontinuité proprement dite est beaucoup
plus élevé, et dépend de l'intensité des stimulations ; on n'en
peut donner que des ordres de grandeur : 10 ms pour l'ouïe et
le tact, 100 ms pour la vue (Piéron, ibid., pp. 396-397).

*
* *

Quand les stimuli abordent l'organisme en des points diflé-


rents, on observe, entre la perception de la simultanéité et celle
de la succession, une organisation des excitations successives
qui donne naissance à des perceptions complexes.
En vision, l'excitation en succession rapide de deux points
de la rétine entraîne le plus souvent la perception d'un mouve-
ment apparent. Il y a perception, non d'une dualité d'éléments,
mais d'un seul stimulus qui se déplace du lieu d'apparition du
premier au lieu d'apparition du deuxième. Il est possible, quand
on connaît le phénomène, d'inférer du mouvement à la succes-
sion, mais phénoménalement il n'y a pas perception de succes-
sion. Les limites temporelles dans lesquelles est perçu le mouve-
ment apparent sont très variables et dépendent, selon les lois
de Korte, de l'intensité des stimulations et de leur distance.
On peut même obtenir un mouvement apparent, comme nous
l'avons déjà signalé, avec deux stimulations objectivement
simultanées, mais d'intensité différente, par suite du retard
de la sensation la moins intense sur la plus intense.
Il est donc difficile de fixer la valeur de l'intervalle temporel
pour lequel on passe de la simultanéité au mouvement apparent
et du mouvement apparent à la succession. Cependant, pour
la vision, rappelons que Wertheimer pensait que l'optimum du
mouvement apparent est réalisé quand l'intervalle atteint 60 ms
(le cinéma a utilisé une cadence de 18, puis de 24 images par
seconde, soit des intervalles de 55 ms et de 40 ms), et qu'il
disparaît complètement, faisant place à la perception d'une
succession, quand l'intervalle atteint 200 ms. Le pa de la
simultanéité au mouvement apparent peut se faire à un seuil très
LE SEUIL DU TEMPS 119

bas dans une situation très favorable. On peut ainsi percevoir un


mouvement apparent entre deux stimulations lumineuses adja-
centes se projetant sur la fovéa avec un intervalle de 5 ms (Sweet,
1953). Ce seuil est évidemment beaucoup plus élevé dans les
conditions normales et il est remarquable qu'il le soit plus encore,
comme nous l'avons déjà signalé, chez des malades présentant
des lésions cérébrales. Ainsi, parmi des enfants de même âge
mental, ceux qui sont atteints de lésions ont un seuil du mouve-
ment apparent de plus de 200 ms et les autres ont seulement un
seuil de 75 ms. Les lésions, en contribuant à isoler les sensations
et à prévenir leur organisation, élargissent la zone dans laquelle
il y a simultanéité apparente et élèvent le seuil d'acuité tempo-
relle (Werner et Thuma, 1942).
Dans le domaine tactile, on observe entre la simultauéité
et la succession proprement dite des perceptions variées. Si
on excite successivement deux points-très voisins de l'avant-
bras (la distance entre les points étant au-dessous du seuil de
discrimination spatiale des deux contacts), lorsque l'intervalle
est inférieur au centième de seconde, on ne perçoit qu'une sen-
sation unique de petite surface localisée vers le premier point
excité (Klemm, 1925). Poui des intervalles un peu plus grands,
on constate, comme dans la vision, la naissance de mouvements
apparents (Benussi, 1917). Piéron donne comme seuil de dis-
tinction entre des stimulations en des points voisins ou symé-
triques un intervalle de l'ordre du centième de seconde..Si on
augmente la distance entre les points stimuli, il .faut aussi
augmenter l'intervalle temporel entre les stimulations pour
qu'elles soient distinctes (Wieland, 1960).
Dans l'audition, les phénomènes sont complexes. Hisata
(1934), cité par Piéron (1955), a constaté l'existence d'un mouve-
ment apparent entre deux sons identiques, distants de 200,
brefs, et se succédant à un intervalle de 20 à 60 ms. La rapide
succession des excitations de chaque oreille donne naissance à
une perception de latéralisation du son. Le seuil de cette
perception est très bas : 7/100 de ms, d'après Aggazzotti
(1911), 1/100 de ms d'après Hornbostel et M. Wertheimer (1920)
Mais, dans ce cas, il n'y a pas de perception temporelle.
Ces phénomènes qualitatifs masquent le véritable seuil de
la succession. Aussi bien, I. Hirsh (1959) a proposé de distin-
guer nettement le seuil de la succession ou seuil de perception
120 PSYCHOLOGIEDU TEIVIPS

d'une pluralité et le seuil de perception de l'ordre temporel,


ce qui implique de pouvoir ordonner les stimuli. La tâche
n'est possible que si les stimuli peuvent être identifiés et diver-
sifiés sur la base de la qualité sensorielle (2 sons de hauteur
différente), ou de la localisation des stimuli dans le cas des
perceptions visuelles ou tactiles.
En employant des sujets très entraînés et très informés
sur ces phénomènes, I. Hirsh a trouvé, en utilisant la méthode
de choix, que ce seuil de perception de l'ordre était le même
et atteignait 20 ms, qu'il s'agisse d'ordonner des sensations audi-
tives (sons de différentes hauteurs ou bruits, ou combinaison
de bruits et de sons ; sons provenant à l'une et l'autre oreille),
des sensations visuelles (distantes de 5°, 10° ou 20° d'angle
visuel dans la direction horizontale ou verticale), ou de sensa-
tions tactiles aux index des deux mains (I. Hirsh, 1959 ;
I. Hirsh et C. E. Sherrick, 1961).
Ces résultats montrent que la perception de l'ordre temporel
intervient pour des durées plus longues que lorsqu'il s'agit
uniquement de discriminer s'il y a succession de deux stimu-
lations attaquant les mêmes récepteurs ; ils montrent aussi
qu'en utilisant sans aucun doute les différences qualitatives que
nous avons évoquées plus haut, nous sommes capables de
discriminer l'ordre de deux sensations, alors même que leur
distinction n'est pas assurée comme lorsqu'un mouvement
apparent intervient.
Cependant, Hirsh et Sherrick ont trouvé la même valeur
de 20 ms lorsqu'il s'agit d'ordonner deux sensations hétérogènes
comme un son et une lumière ou une sensation tactile et audi-
tive, ou une sensation tactile et visuelle. Cette valeur était
beaucoup plus faible que celles rapportées par Tinker (1935)
et Piéron (1955, p. 396), qui oscillent entre 50 et 100 ms. Il
est vrai que ces valeurs se rapportent souvent à des mesures
faites au xixe siècle avec un appareillage qui manquait de
précision et des méthodes psychophysiques moins affinées que
celles d'aujourd'hui. Exner (1875) a trouvé que l'ordre entre
une stimulation visuelle et une stimulation auditive était per-
ceptible pour un intervalle de 16 ms, mais que celui entre sti-
mulations auditive et visuelle était de 60 ms. Ces valeurs
sont plus fortes que celles de Hirsh, mais elles correspondent
aussi à un critère plus élevé. Cependant, les faibles valeurs
LE SEUIL DU TEMPS 121

obtenues par Hirsh tiennent au fait qu'il a utilisé des sujets


très entraînés. Avec des sujets naïfs (Hirsh et Fraisse, 1964),
on trouve que le seuil de la perception de l'ordre est de 60 ms
dans une succession son-lumière et de 120 ms dans une succes-
sion lumière-son. On trouve aussi que le seuil de la succession
dans le cas de stimuli hétérogènes n'est pas différent du seuil
de la perception de l'ordre.
Il reste que les résultats d'Exner comme ceux de Hirsh
et Fraisse font ressortir une asymétrie, en sens inverse, il est
vrai, des seuils de perception suivant l'ordre des stimulations.
Elle s'expliquerait par le fait déjà mentionné (p. 112) que le
processus de perception est plus rapide pour le stimulus sur
lequel se porte électivement l'attention. La plupart des auteurs
ont en général trouvé que normalement la lumière attire davan-
tage l'attention et ceci serait d'autant plus vrai que la source
sonore est mieux cachée (Bald, Berrien, Price et Sprague, 1942).
Ces divergences entre les résultats ne doivent pas nous sur-
prendre, puisque la nature de chaque stimulus peut modifier
le résultat et que les différences individuelles peuvent être
importantes.
Signalons enfin un cas particulier : celui de la perception
de la succession entre une réponse motrice (appuyer sur une
clé) et une sensation extéroceptive, lumineuse par exemple.
Le seuil d'ordination temporelle est encore du même ordre de
grandeur (50 ms) que dans le cas de deux stimulations extéro-
ceptives (Biel W. C. et Warrick M. J., 1949).
*
* *
Les processus périphériques et centraux, les données phy-
siologiques et psychologiques interviennent donc pour déter-
miner le seuil du durable, le seuil du successif et le seuil de la
perception de l'ordre. De toute manière, les valeurs trouvées
restent très faibles et varient entre 1 et 100 msen considérant
les cas extrêmes.
CHAPITRE V

LA DURÉE PERÇUE

Dans les limites du présent psychologique, nous percevons


le temps, mais les modalités de cette perception varient en
qual·té et en quantité avec la nature physique des changements
qui la déterminent. Nous ne percevons pas la durée indépen-
damment de ce qui dure. A partir de ce fait, nous étudierons
dans ce chapitre les modalités de notre perception du temps
sous ses différents aspects (1).

1
LA QITALITÉ DES DURÉES
ET L'INTERVALLE D'INDIFFÉRENCE

Entre la limite inférieure, où nous arrivons à distinguer que


nous sommes en présence de deux stimulations distinctes, et
la limite supérieure où, lorsque se produit une nouvelle exci-
tation, la précédente n'appartient plus qu'à notre passé, il
y a perception d'une succession proprement dite et d'un inter-
valle de plus en plus long entre les stimulations successives.
S'en tenir à cette description serait simplement transposer sur
le plan psychologique les mesures physiques de l'écart entre
les stimulations. En réalité, à mesure que l'intervalle croît
entre les stimulations, leur succession engendre des perceptions
qualitativement différentes.
10 LES QUALITÉS DES INTERVALLES

Au moment où les stimulations cessent de se confondre


et paraissent successives et distinctes, nous n'avons pas encore
pour autant perception d'un intervalle qui serait comme un

(1) Le lecteur s'étonnera peut-être des développements que nous donnerons


à ces problèmes, mais cette situation correspond à l'état de nos connaissances
psychologiques. La perception est une des conduites les plus simples, elle a été de
ce fait plus étudiée jusqu'à ce jour que d'autres qui sont plus complexes. Elle est
donc mieux comnue.
LA DURÉE PERÇUE 123

vide entre elles. Ces sensations paraissent alors distinctes, mais


accolées. Si l'intervalle est un peu plus grand, nous avons per-
ception d'une collection de deux stimulations (Schultze, 1908).
Ainsi, spontanément, nous ne percevons pas un écart, mais deux
stimulations plus ou moins rapprochées. L'intervalle n'est pas
perçu pour lui-même, bien qu'il soit, si l'on y fait attention,
discernable. Quand l'écart entre les stimulations atteint 60 cen-
tièmes de seconde environ, nous percevons spontanément un
intervalle, mais qui ne se dissocie pas de ses limites. Lorsque
l'écart dépasse une seconde, l'aspect intervalle devient domi-
nant ; il faut un effort de plus en plus grand pour que les deux
stimulations limites forment une unité et déterminent un inter-
valle défini dans sa durée. Enfin, quand l'écart atteint 1,8 à 2 s,
les deux stimulations cessent d'appartenir à un même présent ;
il n'y a plus perception d'un intervalle durable, mais d'une
distance entre un événement passé et un événement présent.
La description que nous venons de faire à partir de l'inter-
valle entre les stimuli peut aussi être tentée en termes de vitesse
de succession. Vierordt (1868), utilisant un métronome, a
trouvé que le jugement « rapide » correspondait en moyenne
à un intervalle de 0,42 s, « neutre » à 0,64 s, et « lent » à 1,07 s (1).
La même analyse peut être faite en mettant l'accent sur les
durées elles-mêmes, au lieu d'insister sur les intervalles entre
les stimulations. Katz (1906) distinguait trois types de durées :
les courtes de 0,25 à 0,55 s, les agréables entre 0,60 et 0,65 s,
et les longues au-delà de 0,65 s. Benussi a été encore plus précis ;
les durées très courtes s'étendraient de 0,09 à 0,23-0,25 s,
les durées courtes de 0,23-0,25 s à 0,58-0,63 s, les durées
indifférentes de 0,58-0,63 s à 1,08-1,17 s, les durées longues
de 1,08-1,17 s à 2,07 s et les durées très longues au-delà. En
rapprochant ces différentes analyses et sans entrer dans des
précisions qui ne peuvent correspondre à des jugements quali-
tatifs, on peut distinguer trois zones :
10 Les intervalles courts inférieurs à 0,50 s environ. Pour ces
durées, on perçoit plus les limites que l'intervalle lui-même ;

(1) Il faut remarquerque les valeurstrouvéespar Vierordtsont sans doute


relativesà l'échelledes intervallesquepeut donnerun métronome.En employant
aussi un métronome,Frischeisen-KÜhler (19336) a trouvé que les tempi qui
n'étaientjugésni lentsni rapide,corrs-pondaientà une noneoù l'intervalleallait
de 0,55à 0,83s suivantlessujets.
124 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

20 Les intervalles indifférents, c'est-à-dire ni courts, ni longs,


de 0,50 à 1 s environ. Pour ces durées, limites et intervalle
forment une unité ;
30 Les intervalles longs, au-delà de 1 s environ, où prédomine
la perception d'un écart et où il faut un effort pour réunir
les deux limites en un même présent.

Cette même analyse peut être faite à partir de durées pleines,


par exemple à partir de l'audition d'un son continu. Le début et
la cessation du stimulus correspondent aux limites des temps
vides. Dans les temps courts, tout se passe alois comme s'il
n'y avait pas de durée entre le début et la fin, phénomènes
dominants ; pour les durées plus longues, le début et la fin ne
se laissent pas dissocier de la durée, et enfin, pour les temps
longs, la durée prédomine sur les sensations initiales et ter-
minales.
Nos analyses, comme celles des autres auteurs, se rappor-
taient à des sensations auditives. Elles s'appliquent aussi aux
sensations tactiles, mais elles perdent peu à peu toute signi-
fication pour les sensations à évolution lente qui ne facilitent
pas la distinction des stimulations et la perception d'une
succession. Ainsi, dans le cas limite de l'odorat, la question
de l'intervalle temporel entre des odeurs tic peut même
pas se poser.
Ces distinctions qualitatives ont une portée d'autant plus
grande qu'aux trois catégories de temps correspondent des lois
perceptives différentes. Hôring, élève de Vierordt, dès 1864,
avait trouvé que, parmi des intervalles allant de 0,3 à 1,4 s,
les plus courts étaient surestimés et les plus longs sous-estimés,
ce qui conduisait immédiatement à la notion d'un point d'indif-
férence ou d'un intervalle d'indifférertce correspondant à une
durée pour laquelle il n'y avait pas d'erreur systématique (1).

(1) On dit qu'il y a a surestimation de la durée d'une stimulation quand celle-ci


est estimée d'une manière ou d'une autre (le plus souvent par reproduction) plus
longue qu'elle n'est. Nous parlerons dans ce cas de surestimation absolue.
On dit qu'il y a surestimation de la durée d'une stimulation A par rapport à la
durée d'une stimulation B quand A est estimé être plus grand que B alors que les
durées sont physiquement égales. Ceci implique que A paraît égal à B quand B est
physiquement plus grand que A. Nous parlerons dans ce cas de surestimation relative.
Il n'est pas possible de conclure directement d'une surestimation absolue à une
surestimation relative (et réciproquement), car dans le premier cas on compare
une réponse perceptive à une stimulation physique, et dan, le deuxième cas deux
perceptions entre elles.
l,A DURÉE PERÇUE 125

Sur la durée de cet intervalle d'indifférence, les recherches


faites en particulier en Allemagne, dans la seconde moitié
du XIXe siècle, pourraient engendrer le scepticisme, et Woodrow
(1934) a lui-même indiqué que, suivant les auteurs, cet inter-
valle a été fixé entre 0,3 s et 5 s. Nous montrerons, dans les
prochains paragraphes, que différents facteurs peuvent modifier
cette valeur, mais il reste que les recherches les plus sérieuses
concordent pour fixer cet intervalle vers 0,6-0,8 s. Wundt
(ibid., II, p. 322) donnait comme valeur 0,72 s et ses élèves
Kollert, Estel, Mehmer, des durées variant de 0,71 à 0,75 s
(d'après Woodrow, 1934).
La détermination définitive nous paraît être celle de
Woodrow (1934). Elle a été faite sur un grand nombre de sujets
dont chacun n'a reproduit qu'une seule valeur d'intervalle.
Malgré cela, les sujets ont surestimé les intervalles courts et
sous-estimé les intervalles longs. L'intervalle d'indifférence,
suivant le mode de calcul, serait compris entre 0,59 et 0,62 s.
Toujours d'après le même travail, la surestimation de l'inter-
valle de 0,3 s atteindrait 6,2 %, la sous-estimation de l'inter-
valle de 1,2 s, 2,1 %, et celle de l'intervalle de 4 s, 4,6 %. Nous
avons trouvé un écart systématique situé entre + 19,6 % pour
un intervalle de 0,30 s et - 3,9 % pour 1,5 s (Fraisse, 1948 c).
Quand les durées sont pleines, l'intervalle d'indifférence pré-
sente des valeurs et des erreurs systématiques du même ordre
(Stott, 1935).
Outre ces erreurs systématiques, on constate que la varia-
bilité des estimations contrôlées par une méthode de reproduc-
tion est aussi fonction de la durée. Elle serait en moyenne, pour
chaque sujet, de 10,3 % pour une durée de 0,20 s (écart type
rapporté à la moyenne des reproductions). Lorsque la durée
augmente, elle décroît systématiquement jusqu'à 0,6 s (7,8 %),
puis remonte quand les durées sont encore plus longues (10,1 %
pour 2 s) (Woodrow, 1930).

*
* *
Nous essaierons de montrer plus loin que l'intervalle
d'indifférence est en relation avec des processus psycholo-
giques et physiologiques spécifiques. Cependant sa valeur
peut varier selon les conditions dans lesquelles intervient
126 IISY(.'1101,OGIE1)li TE1HPS

sa perception. Le phénomène le i, q::i peut


modifier sa valeur est le développement d'une tendance centrale
relative à la gamme des durées perçues dans une situation
donnée. On sait que notre expérience courante entraîne la
formation d'une impression absolue qui correspond à la
tendance centrale des stimuli ressentis. Ainsi nous parlons
d'une chaise légère ou d'une chaise lourde en fonction de notre
expérience du poids moyen d'une chaise. Spontanément, au
nom d'une loi d'économie, nous nous attendons à un stimulus
de l'ordre des valeurs moyennes et nous avons tendance à
minimiser les petites différences - loi d'assimilation - ou,
au contraire, à les surestimer, si elles sont assez grandes - loi
de contraste (Fraisse, 1947). Il résulte de là que, si nous appré-
cions les grandeurs d'une gamme de stimuli, ceux qui sont
plus petits que la moyenne sont surestimés et les plus grands
sont sous-estimés. Dans les cas des intervalles temporels, cette
loi est particulièrement nette. Hollingworth (1909) a suggéré
que les variations des auteurs dans la détermination de l'inter-
valle d'indifférence étaient relatives à la gamme des durées
qu'ils avaient employées dans leurs expériences. La vérification
expérimentale est d'ailleurs possible : en employant sur les
mêmes sujets deux gammes de stimuli, nous avons trouvé,
par la méthode de reproduction, que le point d'indifférence
apparaissait à 1,14 s pour des stimuli situés entre 0,2 et 1,5 s
et à 3,65 s pour des stimuli allant de 0,3 à 12 s (Fraisse,
1948 c).
De ce phénomène, il faut sans doute rapprocher l'effet
d'ancrage, c'est-à-dire l'influence d'une valeur de référence sur
les appréciations portées sur d'autres stimuli. Si, par exemple,
on demande d'abord d'apprécier des durées de 0,25 à 1 s sur
une échelle de 5 points (de très court à très long), et qu'ensuite
la même tâche soit proposée après avoir fait percevoir avant
chaque estimation une durée de référence d'un peu plus d'une
seconde, on constate un glissement de plus en plus marqué de
l'échelle subjective, en ce sens que les sujets attribuent plus
fréquemment les jugements longs et très longs qu'auparavant.
Le phénomène est particulièrement sensible pour la durée la
plus longue qui est plus proche de la durée de référence (Post-
man et Miller, 1945). Il y a donc un effet d'assimilation. Cet
effet a été confirmé par plusieurs recherches de Goldstone et
LA DURFE PERÇUE 127

de ses collaborateurs (1). La durée estimée de la seconde est


plus courte si la série des valeurs stimuli commence par 0,1 s
que par 2 s, que cette première valeur ou « ancre » soit au début
d'une série ordonnée de stimuli (ascendante ou descendante)
(Goldstone, Lhamon et Boardman, 1957), ou seulement la
première d'une série de stimuli présentés en désordre. L'effet
est plus grand si « l'ancre » appartient à la série et fait
l'objet d'une estimation que si elle est détachée (Goldstone,
1964). L'ancre peut être un stimulus visuel et les stimuli
être auditifs (ou inversement). On constate encore un effet
d'assimilation, mais il faut tenir compte du fait qu'un sti-
mulus auditif est toujours jugé plus long qu'un stimulus
visuel (Behar et Bevan, 1961 ; Goldstone, 1964). L'effet
d'assimilation aurait été transformé en effet de contraste si
la"durée de référence avait été beaucoup plus longue que les
durées à estimer. Si la valeur de référence est intermédiaire
entre les valeurs des durées, elle facilite la formation d'une
tendance moyenne et elle joue le rôle d'un intervalle d'indiffé-
rence par rapport auquel les durées plus courtes sont suresti-
mées et les durées plus longues sous-estimées (Philip, 1944).
L'ordre de présentation des stimuli peut lui-même influer
sur notre impression de brièveté ou de durée des intervalles.
Benussi (1907) a trouvé, pour une série d'intervalles allant
de 0,09 à 2,7 s, que le point d'indifférence des jugements (de
court à long ou de long à court) changeait de place : il se situait
à 0,23 s pour une présentation des durées en ordre croissant,
à 1,17 s si l'ordre était décroissant, et entre 0,58 et 0,72 s si
l'ordre était fortuit (2).
Tout ceci pourrait signifier que l'intervalle de 0,6-0,8 s,

(1) Goldstonea employési extensivement sa méthodequ'il faut en indiquerle


principe.Onprésenteau sujetunesériede stimulidontla duréepeut varierde 0,1s
à 2 s. Le sujetdoit estimersur une échelleen 2 (ou plusieurspoints)si chaquesti-
mulusest plusgrandou pluspetit qu'uneseconde.La secondequi sert ici de réfé-
rencen'est pas un stimulusphysiquemaisl'estimationimplicitedu sujet.Dansla
mesureoù cette méthodese réfèreà un savoiracquis,nousutiliseronssurtoutles
résultatsde Goldstoneau chapitreVII. Ils peuventêtre utilesdansles étudessur
la perceptiondu tempsparcequ'ilsmettenten évidencedeseffetsdela stimulation
temporelle surla valeursubjectivedela secondeconsidérée commepointderéférence.
(2) L'attitudeprisepeut aussiinfluencerla perceptiondes duréescommecelle
de tout autrestimulus.Par exemple,pourun intervallede 0,6s, Woodrowa trouvé
une sous-estimation de 0,198s si la consigneorientaitl'attentiondu sujet versles
limitesque l'on demandaitde considérercommeune paire de sons,et une sous-
estimationde 0,283s sila consigneétait de faireattentionà la duréede l'intervalle
entre les sons.
12:1 PSYCIIOLOGIE DIJ TEMPS

dit d'indifférence, ne serait que relatif à la gamme des durées


perceptibles. En ce cas, les déterminations concordantes des
auteurs tiendraient au fait que l'intervalle de 0,70 s environ
correspondrait à la tendance centrale des durées habituellement
perçues, qui, dans le cas d'un intervalle simple, vont de 0,1
à 1,8 s environ.
Il est hors de doute que l'existence d'une tendance centrale
joue un rôle non négligeable, ce qui explique que la valeur de
l'intervalle d'indifférence est modifiée en fonction de la gamme
des durées présentes dans une expérience. Il semble cependant
que l'intervalle de 0,70 s environ corresponde à un processus
physiologique spécifique, car on le retrouve dans des phéno-
mènes de types différents, où ne se manifeste aucune tendance
centrale proprement dite.
Nous allons tenter l'étude systématique de cet intervalle,
grâce à laquelle nous pourrons formuler des hypothèses plus
générales sur le caractère des intervalles perçus,

L'INTERVALLEDE 0,70 s

Wundt, ayant trouvé que l'intervalle reproduit avec le plus


d'exactitude était de 3/4 de seconde environ, avait été amené
à des rapprochements avec d'autres phénomènes qui avaient la
même durée. L'aperception d'un nombre complexe de 5 à
6 chiffres, par exemple, demande en moyenne ce temps-là, de
même que l'association entre deux mots.
« Nous devons conclure de là, écrivait-il, qu'une vitesse
d'environ 3/4 de seconde est celle où les processus d'association
s'accomplissent le plus facilement ; et par conséquent, dans la
reproduction, nous essayons involontairement de rendre égaux
à cette vitesse même des espaces de temps objectifs, quand
nous raccourcissons des temps longs et prolongeons des temps
courts. » Passant du fait à l'hypothèse, il ajoutait : « Chose
étonnante, ce temps concorde presque avec celui qu'emploie
la jambe pour son oscillation, quand les mouvements de la
marche sont rapides. Il ne semble point invraisemblable que
cette constante psychique de la durée moyenne de reproduction
et de l'estimation la plus sûre de l'intervalle se soit développée
sous l'influence des mouvements corporels, qui sont le plus
exercés et qui ont déterminé la tendance que nous avons à
LA DURÉE PERÇUE 129

organiser et à agencer d'une façon rythmique de grands espaces


de temps o (Wundt, ibid., II, p. 322).
Guyau, reprenant ce thème, affirmait avec un peu trop
d'éloquence : « Aujourd'hui encore nous rythmons sur notre
pas la vitesse de notre représentation, et, par une tendance
naturelle, nous voulons adapter le pas du temps au pas de notre
pensée et au pas de nos jambes » (ibid., p. 94).
Tout un faisceau de données relatives à des recherches
d'ordre très différent confirme et renouvelle le point de vue de
Wundt. Il semble que la durée de 3/4 de seconde soit une
constante psychique qui corresponde à la durée complète du pro-
cessus perceptif. Les études de comportement fournissent des
indications simples qui rejoignent les déterminations psycho-
physiologiques. Envisageons-les successivement.
Ainsi, si nous évaluons une durée en comptant à un rythme
imposé, et si nous cherchons à reproduire la même durée en
prolongeant le même rythme (sans contrôle de stimuli), les
durées sont reproduites avec le plus de précision et le moins de
variabilité pour des cadences correspondant à des intervalles
de 0,5 entre les nombies (R. Davis, 1962 a et 1962 b).
Dans le comportement, tout se passe comme si l'efficacité
d'une sensation était maximum lorsqu'elle précède la réaction
de 3/4 de seconde environ. On a montré que l'intervalle optimum
entre le stimulus conditionnel et le stimulus absolu est de l'ordre
de 0,5 à 1 s (W olfle, 1930 ; Bernstein, 1934, et cf. chap. II, p. 55).
Si l'excitant conditionnel est une combinaison de deux stimuli,
le conditionnement est le plus aisé quand ils se suivent avec
un intervalle de 1 s environ (Czehura, 1943).
Dans une tout autre direction, les études qui ont été faites
sur la période réfractaire psychologique montrent que l'inter-
valle temporel entre deux signaux doit être de 0,5 s au minimum
pour que la réponse à chacun des signaux ait une égale rapidité.
Si le deuxième signal arrive trop tôt après le premier, la réponse
au second est retardée, et Welford (1952) interprète ce retard
d'origine centrale comme dû à la mise en réserve du deuxième
stimulus jusqu'à ce que les centres soient libres de l'utiliser
et d'élaborer la seconde réponse. Le phénomène se produit
encore même si le sujet ne donne pas de réponse au premier
signal. Le temps de réaction au deuxième signal est minimum
lorsque le premier signal le précède de 0,6 s environ. Ceci est
P. FRAISSE 9
130 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
- -

vrai, que le premier et le deuxième signal soient ou non de


même nature, à condition seulement que la durée de l'inter-
valle entre les deux signaux d'une présentation à l'autre soit
variée au hasard (Fraisse, 1957, 1958).
Plus simplement, on constate que les sujets qui, par exemple,
doivent reproduire un stimulus sonore en appuyant sur une
clé, commencent à réagir environ 0,7 s après la cessation du
stimulus, comme si cet intervalle était un optimum de la suc-
cession immédiate (Oléron G., 1952). On a cherché à évaluer
plus directement la durée du processus perceptif - de l'aper-
ception, disait Wundt - en mesurant le temps nécessaire pour
donner une réponse à une stimulation. Dans les expériences du
type temps de réaction où la réponse motrice doit être donnée
aussitôt que l'on a perçu une stimulation, on ne mesure pas la
durée de l'ensemble du processus perceptif à proprement parler :
la réponse très automatisée se produit dès le seuil de la sensation.
Or il y a un décalage entre le moment où il y a perception de la
présence d'une stimulation et le moment où on l'identifie. Le
fait est manifeste dans les expériences tachistoscopiques où
l'on perçoit aisément un intervalle entre le déclenchement du
système qui permet à l'excitation de se produire (déclenchement
de l'obturateur, chute du rideau, contact) et le moment où on
perçoit son contenu. Wundt avait essayé de mesurer ce déca-
lage par la méthode du temps de réaction simple, mais il a
échoué, car on ne peut pas contrôler à quelle phase du processus
perceptif correspond la réponse du sujet (d'après Woodwo.rth,
pp. 415-417).
Les expériences de temps de réaction de choix sont plus
adéquates, car elles impliquent l'identification du stimulus;
mais, dans ce cas, au temps de perception s'ajoute la durée de
sélection de la réponse. Évidemment, les temps mesurés dans
les réactions de choix varient avec les conditions expérimentales.
Il est intéressant cependant de remarquer que cette variation
s'étend entre 30 cs environ et 60-70 cs, durée atteinte quand la
discrimination devient difficile tout en restant de type perceptif.
L'expérience de Lemmon (1927) illustre ce cas. Le sujet est
placé devant deux tableaux correspondant à chacune des deux
mains. Un certain nombre de lampes peuvent s'allumer sur
chaque tableau et le sujet doit réagir avec la main qui se trouve
du côté où apparaît le plus grand nombre de lampes. Le temps
LA DURÉE PERÇUE 131
- -

de réaction moyen pour discriminer une lampe de zéro est


de 0,29 s ; deux de une, 0,475 s ; trois de deux, 0,566 s ; quatre
de trois, 0,656 ; cinq de quatre, 0,741 s.
L'identification de stimuli simples, contrôlée par la déno-
mination ou le dénombrement, demande une durée du même
ordre. Cattell, J. (1885) trouve qu'il faut 0,40 s environ pour
lire des lettres, des mots simples ou des nombres de 2 chiffres.
Pour indiquer aussi vite que possible le nombre de points sur
une plage, il faut 0,42 s pour un point et 0,63 s pour 5 (cf. Sze-
liski, d'après Woodworth, ibid., p. 486). Si la consigne insiste
sur la précision, il faut une durée de 0,60 s à 0,70 s pour démon-
brer de 1 à 3 points (Jensen, Reese et Reese, 1950). Toutes ces
expériences montrent que l'identification perceptive est un
processus qui demande, y compris le temps nécessaire pour
l'élaboration de la réponse, une durée de 0,30 à 0,60 s. Mais il
s'agit toujours de donner une réponse rapide, ce qui correspond
donc au début de l'identification perceptive. Lorsque les instruc-
tions n'insistent pas sur la rapidité, on constate, dans de nom-
breuses situations, que le temps qui s'écoule entre le moment
de la stimulation et celui de la réponse est de 0,60 à 0,80 s. Ainsi
le temps nécessaire pour la reconnaissance de stimuli simples est,
selon Colegrove (1898), de 0,6 s, valeur que retrouvent Ross et
Fletcher (1953) dans un test d.e perception des couleurs où ils
font identifier les stimuli par des sujets qui ont une vision
des couleurs normale.
De cet ensemble de faits, il est possible déjà d'inférer que le
processus perceptif complet a une durée de l'ordre de la demi-
seconde. Certes, il peut y avoir réponse à la présence d'une stimu-
lation : c'est cette durée (de 15 à 20 cs) qui est mesurée dans les
temps de réaction simple. Il peut aussi y avoir réponse dès qu'il
y identificatl'oiz (durée de 30 à 40 es). Au-delà se développe sans
doute une phase de déclin du processus : si une nouvelle stimu-
lation arrive juste à la fin de ce processus (c'est-à-dire vers
60-70 cs), non seulement il y a dualité des perceptions, mais la
seconde semble se produire juste après la première sans qu'il
y ait hiatus et sans qu'elles se recouvrent même partiellement.
Telle est l'interprétation qui paraît la plus probable.
On a essayé de vérifier par des méthodes plus directes cette
durée du processus perceptif.
Calabresi (1930) a utilisé une méthode ingénieuse. Nous
132 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

sommes capables d'appréhender - sans avoir recours à la


mémorisation - un ensemble de 7 à 8 lettres. Mais, si on nous
présente un tel ensemble pendant un temps très court (1 es),
nous ne percevons en movenne que 4,1 lettres environ. Ce nom-
bre est à peu près indépendant du nombre de lettres présentées,
c'est-à-dire que, si on nous montre seulement 4 lettres, elles sont
presque toujours toutes perçues. Si donc on présente deux fois
4 lettres en vision rapide avec un intervalle de temps suffisant,
nous percevons environ 8 lettres. Que se passera-t-il si on
présente en succession rapide en un même point (grâce au
double tachistoscope à chute de Wundt) deux groupes de
4 lettres, chacun pendant 1 es ? Calabresi a trouvé que le nombre
d'éléments retenus variait de la manière suivante en fonction
de l'intervalle :
........................ 4,4 lettres
20 ........................ 5,5 lettres
40 -........................
10 """""""""""" 5,fi -
5,6
70 ........................ 6.5
)00 ........................ 7,2 -
120 -- ........................ 7.2 -
Il faut donc environ 1 s d'intervalle pour qu'il se produise
une sommation presque intégrale des deux processus perceptifs
qui correspondent à la présentation de chacun des groupes. Si
le temps est inférieur, on peut penser que les deux processus
interfèrent l'un avec l'autre, c'est-à-dire que le premier n'est
pas terminé quand le second commence. On en peut déduire
que le processus perceptif total demande de 3/4 de s à 1 s (1).
D'autres auteurs ont utilisé des méthodes plus analytiques
à partir de perceptions plus simples. Ils ont essayé de mesurer
la durée d'établissement de la sensation et la durée de son
déclin. Ces mesures n'ont évidemment ('e signification que pour
le tact, l'ouïe et la vue, sens pour lesquels la durée propre des
processus périphériques n'est pas si grande qu'elle rende ces
calculs sans signification. La durée du processus comprend tout
d'abord la latence qui varie avec l'intensité du stimulus. La
latence irréductible a une valeur comprise, pour la sensation
auditive, entre 3 et 7 es et, pour la sensation lumineuse, entre 7

(J) Nou, a\(m'-verihene Lu S4HJlUlatioli


possibledes inforntations
est à peu prés complètelorsquel'intervalleentre les deux plagesatteint fi0 es
1965,résultatsnonpuhliés).
(Fraisseet Jakiii)?)wiez,
I,A T) UÀ ÉE IFRÇUE 133
3

et 11 cs. Mais il s'agit là de limites inférieures. D'autre part, la


latence ne mesure que le temps nécessaire pour atteindre le seuil
absolu. A partir de ce moment, l'évolution du processus continue.
La sensation, même pour des stimulations brèves, continue à
croître ; d'autre part, l'excitation eorticale primaire engendre
des réactions corticales d'association nécessaires à la reconnais-
sance perceptive (Piéron, ibid., p. 461). La durée de cette phase
est difficile à mesurer. Elle croît évidemment avec la complexité
du stimulus. Des indices indirects permettent d'en évaluer
l'ordre de grandeur. La réaction d'arrêt du rythme alpha par
exemple ne se produit que 10 à 90 cs après le début de la stimu-
lation sensorielle. Gastaut (1949) interprète cette durée comme
le temps nécessaire pour que l'attention se porte sur l'image
projetée sur « l'écran » occipital. Hebb (1949, p. 71), de son côté,
estime que la durée de l'activité corticale réverbérante qui serait
à la base du processus perceptif est d'environ 50 cs.
A cette phase d'établissement de la perception succède une
phase de déclin et d'évanouissement. Piéron (1935) estime sa
durée de 15 à 20 cs pour les sensations lumineuses ; von Bekesy
(1933) a trouvé des durées du même ordre pour les sensations
auditives, tandis que Buytendijk et Meesters (1942) estiment
que la durée de ce déclin serait encore plus longue.
Il est difficile d'additionner les durées des diverses phases du
processus perceptif mais les données psychophysiologiques sont
claires : la durée moyenne de ce processus doit être de l'ordre
de la demi-seconde. Il serait préférable cependant de pouvoir
la mesurer par des moyens physiologiques plus directs. Les
difficultés sont évidemment grandes, mais déjà la voie qu'a
ouverte Gastaut (1949) nous apporte des indications utiles.
Si on enregistre directement sur le cortex les potentiels évoqués
par une stimulation lumineuse, on constate chez l'homme
comme chez l'animal qu'elle induit un cycle d'excitabilité très
complexe dont la durée, d'après les tracés de Gastaut (ibid.,
p. 68), est de 50 à 60 cs.
Ces faits démontrent qu'une brève stimulation engendre un
processus d'une plus longue durée dont on trouve des mani-
festations aux plans physiologique, perceptif et moteur. En
les rapprochant, on peut essayer d'interpréter les données
phénoménales dont nous étions partis. Les choses sembleraient
se passer ainsi : une perception paraîtrait succéder sans tran-
134

sition à une autre lorsqu'elle se produirait juste à la fin du


processus perceptif qui correspond à la première. Si elle arrivait
avant la fin de <:ehii-ci, la juxtaposition du processus de déclin
de la première et du processus d'établissement de la deuxième
donnerait naissance à cette perception d accolement ou de
collection, caractéristique des intervalles inférieurs à 3/4 de
seconde. Si au contraire le deuxième processus commençait
après la fin du premier, il naîtrait une perception de séparation
et les deux processus ne seraient reliés que par un effort du
sujet qui engendrerait sans doute un processus de liaison
supplémentaire. Cet effort même ne serait efficace que dans
certaines limites temporelles qui seraient celles mêmes de la
perception du temps.
Si les processus étaient juxtaposés, l'effort de nette distinc-
tion des deux stimulations successives engendrerait la suresti-
mation de ces intervalles ; s'il. étaient séparés, l'effort de
rapprochement entraînerait un effet de sous-estimation. Sur
ces déterminations primaires, jouerait 1 action des stimulations
contemporaines qui provoqueraient les phénomènes de tendance
centrale ou d'ancrage. Ils en renforceraient ou en contrecarre-
raient l'effet.
Ces déductions éclairent l'hypothèse interprétative que pro-
posait Wundt. La durée optimum d'association correspond au
fait qu'un processus est terminé lorsque l'autre apparaît. Le
rapprochement avec la durée du pas, et nous ajoutons avec
celle des battements du CŒur, ne signifie pas que l'un de ces
rythmes commande les autres. D'ailleurs ils ont des constantes
d'Arrhenius différentes (voir chap. I, 1. 34).
Il est beaucoup plus vraisemblable de penser que tous ces
phénomènes correspondent à des rythmes optima et écono-
miques des liaisons successives dans le système nerveux.

Il

ET .; l' l 1 Y .; l Q ."
L. Fi

En analysant les conditions de la succession, nous avons


montré qu'elles déterminaient les qualités des durées. Il nous
reste à étudier d'une manière précise les rapports entre les
durées perçues et les durées des changements physiques qui les
1,A DURÉE PERÇUE 135

ont provoquées. Nous envisagerons successivement les questions


suivantes : 1° La perception des temps vides ; 2° La perception
des temps pleins ; 3° Temps pleins et temps vides ; 4° La durée
des changements continus ; 5° La sensibilité différentielle.
Les résultats que nous présenterons seront évidemment
relatifs à la méthode de mesure employée. Nous présenterons
les différentes méthodes utilisées dans l'évaluation du temps au
chapitre VII (pp. 222-224), car elles ont surtout de l'importance
pour l'estimation de durées plus longues.

1-°LA PERCEPTIONDES TEMPSVIDES

Sur le concept même de temps viale opposé à temps plein,


nous nous sommes déjà expliqué (chap. III, p. 84). La concep-
tion même de temps vide n'avait de sens que dans la perspective
des psychologies du contenu du xixe siècle. Était vide un temps
pendant lequel il ne se produisait pas de sensations. Tout le
monde est d'accord aujourd'hui pour reconnaître que vide et
plein ne caractérisent pas la perception, mais sont une descrip-
tion de la situation physique : c'est en ce dernier sens que nous
parlerons, en accord avec la tradition, de temps vides (ou pleins).
Théoriquement les temps vides existent dans deux cas :
a ) Une durée sur un fond de sensations vagues et mal définies
est délimitée par deux stimulations brèves (auditives, visuelles
ou tactiles) ; b ) La durée correspond à la cessation d'une stimu-
lation précise (interruption d'un son, ou d'une lumière par
exemple). Le premier cas a été plus étudié ; le second est
ambigu. En effet, ou bien cette cessation, envisagée au point de
vue perceptif, est comme un fond indistinct, une interruption
par rapport à une stimulation qui, elle, a un caractère de durée,
ou bien au contraire elle fait figure sur un fond constitué par
la stimulation continue ; ce deuxième cas, en théorie comme en
pratique, se ramène à celui de la perception d'un temps plein,
c'est-à-dire de la perception d'une continuité.
Nous avons déjà, au paragraphe précédent, envisagé la
perception des temps vides : nous avons vu que ces durées
étaient surestimées quand elles étaient inféiieures à 3/4 de
seconde, sous-estimées au-delà, ce qui implique l'existence d'un
point d'indifférence qui peut dépendre des situations expé-
rimentales.
136 P." l'(Jll<>1.VGlii VU

Il nous reste à étudier l'influence des différents types de


stimuli qui peuvent délimiter les temps vides. Nous avons
affirmé au chapitre III que nous ne percevions pas la durée
tout court, mais la durée d'une organisation de stimuli. Il
s'agit maintenant de montrer que notre perception de la durée
d'un intervalle dépend de la nature de ses limites qui ne peuvent
en être dissociées. Comme nous le verrons, les relations entre
intervalle et limites sont complexes. Tantôt les limites sont
incorporées à la durée par le jeu de l'assimilation, tantôt, par
un effet de contraste, 1 intervalle est comme isolé de ses limites.
Et ces effets peuvent être différents suivant que les temps sont
inférieurs ou supérieurs à 3/4 de seconde. En outre, les processus
d'organisation des limites sont plus ou moins facilités par la
nature des stimulations ou par l'attitude du percevant. C'est
ainsi qu'en écoutant trois sons qui se succèdent à intervalles
réguliers, si l'on s'attache à percevoir deux des trois sons groupés
et le troisième détaché, l'intervalle entre les sons groupés paraît
plus court que l'autre (Benussi, 1913, pp. 115-117).
A) La nature sensorielle des limite
A égalité de durée physique des stimulations, plus les pro-
cessus sensoriels correspondants sont longs et plus l'intervalle
délimité apparaît lui-même long. Ce que l'on perçoit en
général, c'est l'ensemble intervalle-limites : plus ces dernières
sont durables, plus la durée de cet ensemble semble longue.
Si les limites sont tactiles ou auditives, la durée paraît plus
courte que si les limites sont visuelles (Meumann, 1893). Nous
retrouvons ici la distinction des sensations à processus rapide
et à processus lent.

B) L'intensité des stimulations


Dans le cas des durées brèves, plus les stimulations sont
intenses (dans le domaine auditif) et plus l'intervalle paraît
court (Benussi, ibid., p. 335) : la durée du processus perceptif
du premier son, plus long si le stimulus est plus intense, mange
en quelque sorte l'intervalle qui le suit. Le fait est particuliè-
rement frappant si, au lieu d'utiliser deux sons, on emploie une
série de stimulations à intervalles isochrones. Plus les stimula-
tions sont intenses et plus elles paraissent denses et, du même
coup, plus les intervalles paraissent brefs (Meumann, 1894). Si
LA DUR.ÉE PERÇUE 137

les durées sont plus longues, le phénomène s'atténue beaucoup,


ce qui se comprend, puisque la durée des processus sensoriels
devient négligeable par rapport à l'intervalle.
Le raccourcissement de l'intervalle est le même si la première
stimulation est plus intense que la seconde ; il s'explique comme
le phénomène précédent. Par contre, si la stimulation la plus
intense est la deuxième, l'intervalle paraît plus long, la durée
du processus final s'ajoutant en quelque sorte à celle de l'inter-
valle. La chose n'est d'ailleurs vraie que pour les durées courtes
(Benussi, ibid., p. 335).
De cette influence de l'intensité des stimulations, il faut
rapprocher celle de l'intensité des frappes quand l'intervalle
n'est pas perçu, mais produit. Si on fait reproduire un intervalle
vide en frappant deux coups sur une clé morse, dont la course
du manipulateur est constante, mais la résistance plus ou moins
grande, on constate que l'intervalle produit est plus court
quand l'effort à faire pour frapper est plus grand. Ce résultat
signifie que l'intervalle délimité par des frappes plus intenses
est surestimé par rapport à celui que délimitent des frappes
moins intenses (Kuroda, 1931).

C) La hauteur des sons


Il semble que les intervalles encadrés par des sons plus
hauts apparaissent plus longs que ceux qu'encadrent des sons
plus bas (Triplett, 1931 ; les hauteurs variaient dans ses expé-
riences de 124 Hz à 1 024 Hz).
D'autre part, plus grande est la différence de hauteur des
sons limites et plus grande apparaît la durée de l'intervalle
(Benussi, ibid., Cohen, Hansel et Sylvester, 1954 b). Cependant,
la plus ou moins grande consonance des sons limites peut
contrarier cet effet.
Quoique cette question, malgré son intérêt pour la musique,
ait été mal étudiée, on peut prévoir que plus la consonance est
grande, plus l'organisation des sons limites sera facile et plus
l'intervalle paraîtra court.

D) La durée des sons


L'allongement de la durée des sons limites augmente la
durée apparente de l'intervalle qui les sépare. Si un seul des
sons est long et l'autre bref, l'intervalle proprement dit entre
138
8 YS-1'C'HOLOGlE DU TEMPS
- ----. ----

les deux sons est surestimé lorsque le son long est le premier,
sous-estimé lorsqu'il est le deuxième. Dans le premier cas, il
est un peu incorporé à l'intervalle ; dans le deuxième, la fin
de l'intervalle coïncide avec le début du son terminal (Woodrow,
1928 a).

E) La place du temps vide


Un temps vide peut se situer dans des contextes perceptifs
très divers. Benussi (ibid., p. 411) a étudié l'influence du temps
d'attente sur la perception d'une durée vide et a obtenu les
résultats suivants : si le signal précède de 0,45 s une brève durée
vide, il entraîne une sous-estimation ; s'il la précède de 3,15 s,
il y a surestimation. Par contre, ces temps d'attente n'ont aucun
effet sur les temps longs. En d'autres termes, un temps d'attente
bref favorise l'impression de très court, un temps d'attente long
celle de plus grand.
Israeli (1930) a trouvé des résultats différents : des temps
d'attente courts de 18 à 54 cs entraînent une surestimation
du temps vide qui suit (durées de 35 à 109 cs) et cette suresti-
mation est d'autant plus forte que le temps vide est plus court.
La différence des résultats de Benussi et d'Israeli peut tenir à
leurs méthodes, mais aussi à l'attitude des sujets, qui joue sans
aucun doute un grand rôle. Ainsi Schumann (1898) avait montré,
dans une succession assez rapide de 3 sons a 6 c, que si b-c est
plus court que a-b, il apparaît encore plus court qu'il n'est
réellement, car c arrive en quelque sorte trop tôt par rapport
à la prévision que l'on peut faire à partir de la durée a-b. Si
au contraire b-c est plus grand que a-b, c arrive trop tard et
b-c est surestimé. Ces conclusions sont vraies si a b c sont
perçus comme un groupement, mais si a est considéré
comme un signal de l'intervalle b-c, le phénomène ne se
produit plus.
Toujours d'après Israeli (1930), un son qui suit un temps
vide aurait aussi pour effet d'entraîner sa surestimation. Il en
serait encore de même, comme l'avait déjà montré Benussi, si le
temps vide était encadré, avant et après, de deux stimulations :
l'effet de surestimation serait maximum dans ce cas. Ce serait
une sorte de transcription de l'illusion de Müller-Lyer dans le
domaine temporel.
1)1-iliÊE I!ERÇLII; 139

_ 20 LA PERCEPTION DES TEMPS PLEINS

La loi générale de surestimation des durées hrèves et de


sous-estimation des durées longues est aussi valable pour les
durées pleines que pour les durées vides, quoiqu'elle ait été rela-
tivement moins étudiée (Edgell, 1903 ; Anderson S. F., 1.936).
C'est encore en tenant compte de cette loi que nous pouvons
étudier l'effet des différentes formes de « remplissage sur la
durée apparente.

A) Les intervalles divisés


Entre le cas des durées pleines et celui des durées vides, il
existe un cas intermédiaire : celui où l'intervalle entre deux
limites est rempli de stimuli discontinus. Le phénomène est
analogue à celui du pointillé dans l'espace. On sait que l'inter-
valle divisé paraît plus long que le même intervalle vide
(illusion d'Oppel). Retrouve-t-on la même illusion à propos
du temps ?
Les résultats permettent dans l'ensemble de répondre
affirmativement, mais avec Bourdon (1907), il faut d'abord
noter que ce genre d'évaluation est très difficile. Comparer
deux intervalles plus ou moins divisés entre eux, ou bien un
intervalle divisé à un intervalle vide ou plein, revient à comparer
deux formes qualitativement différentes. Il y a accord des
auteurs cependant pour admettre : a ) Qu'un intervalle divisé
paraît plus long qu'un intervalle vide de même durée ; b ) Que
cet effet diminue lorsque la dur,.'e totale de l'intervalle augmente
pour un même nombre de sons intercalai'es ; c ) Qu'un inter-
valle plus subdivisé paraît plus long qu'un intervalle moins
subdivisé (Hall et Jastrow, 1886 ; Wundt, ibid., II, 323 ;
Munsterberg, 1889 ; Israeli, 1930) (1). En outre, de deux inter-
valles divisés, celui qui est régulièrement divisé paraîtrait
plus long que celui qui est irrégulièrement divisé (Grimm, 1934).
La difficulté de la comparaison vient de ce qu'il reste malaisé

(1) Les résultats de tous ces auteurs ont été obtenus par la méthode de compa-
raison : Wirth (1937) a retrouvé la même loi par une méthode de production. Ses
sujets devaient produire, au moyen de frappes, un intervalle divisé égal à un inter-
valle modèle vide. L'intervalle produit est alors plus court que l'intervalle modèle,
ce qui signifie que l'intervalle produit (et divisé) est surestimé par rapport à l'inter-
valle vide du modèle.
140 TEMPS

de juger de la durée de l'intervalle divisé en faisant abstraction


de l'impression de vitesse qui naît de la succession des éléments.
Certains sujets jugent peut-être de la quantité de sons qui
se produisent : l'intervalle divisé leur paraîtrait alors plus
long ; d'autres se contentent d'apprécier la vitesse de succes-
sion : ceux-là pourraient trouver l'intervalle divisé plus court.
Il semble que c'est une opinion de ce genre qu'invoque Benussi
(ibid., p. 483), lorsqu'il soutient que les intervalles divisés
paraissent plus courts que les intervalles non divisés. Ce
résultat se trouverait confirmé par la recherche de Denner,
Wapner et al. (1963), qui trouvent que les intervalles sont plus
longs quand le rythme de l'activité (frappes du sujet) est plus
lent, que ce soit pendant l'émission du stimulus ou pendant la
reproduction.
Cependant, plusieurs recherches récentes aboutissent au
résultat inverse. Dans l'ensemble, plus un intervalle est divisé,
et plus il paraît long (Fraisse, 1961). Cependant des recherches
plus précises montrent que ce phénomène, tout comme celui
d'Oppel dans l'espace (Piaget, 1961), passe par un maximum.
Pour des intervalles de l'ordre de 500 à 700 ms (Fraisse, 1965)
entre des sons successifs, l'illusion est maximum. Elle est
moindre pour des intervalles plus courts et plus longs, mais
il y a de très notables différences individuelles. L'effet serait
aussi notable chez les enfants (1) et pour des durées pas trop
longues (de 5 à 40 s).
B) La nature sensorielle des stimulations
Les stimulations auditives et visuelles de 1 à 16 s sont
reproduites identiquement, quelles que soient les conditions
de l'ambiance (Hirsh, Bilger et Deatherage, 1956). Ce résultat
est confirmé par le travail de Hawkes, Bailey et Warm (1961)
qui, en utilisant trois méthodes (reproduction, production et
estimation verbale), trouvent que des stimulations auditives,
visuelles et électriques de la peau (de 0,5 s à 4 s) d'intensité
subjective comparable, sont estimées d'une manière équiva-
lente, les stimulations électriques de la peau apparaissant
peut-être un peu plus longues.

(1) Résultatinéditcommuniqué par FumihoMaeda (Univer-


personnellement
sité d'Hiroshima).
LA DURÉE PERÇUE 141

Cependant, en utilisant une méthode d'estimation d'un


simple stimulus, Behar et Bevan (1961) trouvent que les
durées auditives sont estimées plus longues que les durées
visuelles de 20 % environ. Ce résultat a été retrouvé par la
méthode d'estimation de Goldstone (voir p. 127) dans plusieurs
recherches. Ainsi, une durée visuelle de 84 cs et une durée
auditive de 117 cs sont jugées équivalentes à une seconde
subjective (Goldstone et Goldfarb, 1964 a). Ces mêmes auteurs
retrouvent un résultat qui va dans le même sens en faisant
comparer des durées visuelles et des durées auditives de l'ordre
de la seconde, mais toujours en utilisant une échelle d'estimation
(Goldstone et Goldfarb, 1964 6).

C) L'intensité des stimulations


Un son plus intense paraît plus long qu'un son moins intense.
Cette loi qui régit, en physiologie des sensations, les excitations
très brèves est aussi applicable aux durées perceptibles. Cepen-
dant l'effet s'atténue avec l'allongement de la durée (Oléron G.,
1.952). La même loi a été rctrouvée par Hirsh, Bilger et Deathe-
rage (1956), dans des conditions plus complexe. Les sujets
devaient reproduire des stimuli visuels ou sonores de 1, 2, 4,
8 et 16 s. Les conditions de la présentation étaient variables.
Le fait qu'ils soient présentés ou reproduits dans l'obscurité
ou la lumière n'affecte pas la perception, mais les stimuli
présentés dans le silence déterminent des reproductions plus
longues dans le bruit par rapport à des stimulations présentées
dans le bruit et reproduites dans le silence. Les auteurs inter-
prètent ce fait comme la mise en évidence d'une relation entre
le temps perçu et le niveau de la stimulation auditive.
Cette même loi explique sans doute le fait mis en évidence
par Van der Waals et Roelofs (1946) : la durée de présentation
d'un objet paraît d'autant plus longue que celui-ci est plus
grand et plus complexe.

D) La hauteur des sons


Un son aigu paraît plus long qu'un son grave. Les recherches
ont porté sur des comparaisons allant de 128 Hz à 1 024 Hz
(Triplett., 1931) ou de 1 000 à 3 000 Hz (Cohen, Hansel et
Sylvester, 1954 b).
142 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
-

E) L'information transmise
Combien de stimuli différents pouvons-nous identifier
quand on nous présente des séries de durées différentes ?1?
La théorie de l'information permet de calculer la capacité du
canal de transmission. Ainsi, en utilisant des stimulations
électriques sur l'index, Hawkes (1961) a trouvé que cette
capacité était de 1,27 bits en employant une gamme de durées
allant de 0,5 à 1,5 s et entre 1,40 bits et 1,90 bits pour une
gamme de durées de 0,05 à 1,5 s. De toute manière, nous ne
pouvons donc pas identifier plus de 3 à 4 stimuli au maximum.

30 TEMPS PLEINS ET TEMPS VIDES

Une durée pleine paraît-elle plus grande qu'une durée vide ?


Classiquement les auteurs, en se référant surtout à W. James
(1891) et à Meumann (1896), affirment qu'à égalité physique les
durées pleines paraissent plus longues que les durées vides.
Mais Meumann lui-même avait noté que cette loi n'était valable
que si, dans la comparaison, le temps vide était présenté le
second. Or nous verrons (p. 223) que la position relative dans
le temps de deux durées à comparer est source d'erreurs systé-
matiques qui rendent tous les résultats obtenus par cette
méthode très incertains.
Par la méthode de reproduction, Triplett (1931) a trouvé
que certains sujets surestimaient les durées vides et d'autres
les durées pleines ; nous avons nous-même constaté qu'il n'y
avait aucune différence significative lorsque les sujets repro-
duisaient des temps vides et des temps pleins de 0,5 s et de 1 s,
et ceci aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte (Fraisse,
1948 a).
Triplett avait également employé les deux formes de durée
vide : interruption d'une stimulation et intervalle déterminé
par deux limites. Les résultats sont aussi très variables. Cer-
tains sujets perçoivent d'ailleurs l'interruption du son comme
une véritable figure sur un fond. Gavini (1959), en faisant
comparer dans des séquences de sons et d'intervalles les sons
(temps pleins) et les intervalles (temps vides), trouve que
6 sujets sur 8 surestiment les temps pleins et ceci avec fidélité,
car l'étude est faite pour des cycles de 0,5 s et de 1 s. Goldfarb
LA DURÉE PERÇUE 143

et Goldstone (1963), par leur méthode de comparaison de


stimuli à l'estimation subjective d'une seconde, ont aussi
trouvé que les durées auditives pleines étaient estimées plus
longues que les durées vides, mais pour les stimuli visuels les
résultats ne sont pas nets (Goldstone, 1964).
Doehring (1961), lui, a trouvé qu'il n'y avait pas de diffé-
rence dans la précision et la fidélité des reproductions d'inter-
valles temporels de 0,5 à 8 s, que le sujet utilise des intervalles
vides (appuyer deux fois sur une clé Morse) ou pleins (tenir
appuyé pendant la reproduction).
Des résultats aussi incertains nous dispensent d'entrer dans
le détail de certaines hypothèses. On a beaucoup discuté sur les
raisons qui expliqueraient la relative surestimation des temps
pleins ; ils auraient, pensait-on en général, davantage attiré
l'attention et auraient été surestimés du même coup. Cette
hypothèse de Meumann préfigurait le phénomène de centration
si justement souligné par Piaget. Mais, de toute manière, il
s'agit alors d'un problème d'attitude et ce facteur peut varier
avec les sujets, la place relative des stimuli, les consignes, la
méthode d'estimation (Curtis, 1916).

40 LA DURÉE DES CHANGEMENTS CONTINUS

Dans tous les cas envisagés jusqu'à présent, la durée était


celle d'un stimulus qui restait identique à lui-même ou celle
d'un intervalle délimité par des stimulations de même caractère.
Mais la durée à percevoir peut être celle d'un changement.
Avec Piéron, il faut distinguer deux cas. Dans l'un, il y a change-
ment de position du stimulus, c'est-à-dire mouvement. Dans
l'autre, le changement du stimulus est qualitatif ou intensif :
une couleur qui change progressivement, un son qui s'amplifie.
Quelles sont les lois de la perception de la durée de ces
changements ?
A) L'influence de l'espace sur la durée
Si deux stimulations sont à une certaine distance l'une
de l'autre dans l'espace et si elles se succèdent dans le temps,
on constate que, dans une certaine mesure, la durée apparente
de l'intervalle temporel est d'autant plus grande que la dis-
tance est plus grande.
144 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

Le fait a été vérifié dans l'espace visuel (Abbe, 1936 et


1937 ; Cohen, Hansel et Sylvester,
' 1.953) et dans l'espace tactile
(Suto, 1952 et 1955).
En pratique, dans les expériences, la tâche du sujet est de
comparer deux intervalles temporels délimités par trois stimu-
lations successives. Si le deuxième espace est plus grand, à
égalité d'intervalle temporel, il paraît plus long. Pour un
rapport des distances de 1 à 10, Cohen, Hansel et Sylvester
trouvent un effet de 12 Sur l'avant-bras, la grandeur de
l'effet serait à peu près du même ordre (Suto, 1955). Cohen,
Hansel et Sylvester ont proposé d'appeler cet effet kappa
pour le distinguer et le rapprocher de l'interaction inverse
appelée tau par Helson et King (1931). Ceux-ci avaient montré
après Benussi (1917) que la distance entre deux stimulations
tactiles successives dépend de l'intervalle temporel qui les
sépare. Plus celui-ci est grand, plus la distance apparente
semble longue.
L'interaction espace-temps (effet kappa) dans le domaine
tactile est liée directement à la perception visuelle de l'espace,
comme l'a démontré Suto (1955). Il avait trouvé que la compa-
raison, les yeux fermés, de deux intervalles temporels délimités
par trois points d'excitation sur l'avant-bras s'accompagnait
d'images visuelles. L'épreuve, repiise sur des aveugles ayant
perdu la vue dans la toute première enfance, a montré qu'ils
n'avaient pas cette illusion que les Japonais appellent S. Les
aveugles ne spatialisant pas les points excités ne surestiment
pas le temps en fonction de l'espace. Sudo (1941), puis Suto
(1959) ont démontré que, dans le domaine visuel, l'espace
n'agissait pas par sa longueur physique, mais par sa grandeur
apparente. Ainsi, dans l'expérience de Sudo, les trois stimula-
tions apparaissent aux sommets des angles d'une figure de
Müller-Lyer et l'illusion spatiale influence les durées apparentes
des deux intervalles temporels. De même, Suto a vérifié que
le phénomène de constance des distances entraînait l'égalité
relative des intervalles temporels. L'effet S ou kappa est, en
outre, influencé par les directions de l'espace (Cohen, Hansel
et Sylvester, 1955). Il est maximum dans la direction haut vers
bas, minimum en sens inverse bas-haut, et sa valeur est inter-
médiaire dans les deux directions horizontales. Selon nos
auteurs, à l'influence de la distance pourrait s'ajouter l'effet
LA DURÉE PERÇUË 145
..- .

dû à l'expérience de la vitesse des mouvements selon la direction


de l'espace : accélération vers le bas et l'inverse vers le haut,
vitesse uniforme sur le plan horizontal.

B) de la vitesse des changements

Quelle est l'influence de la vitesse des changements sur leur


durée ? Brown J. F. (1931 b), par une ingénieuse expérience, a
prouvé que le temps paraissait d'autant plus court que la vitesse
était plus grande. Il fait défiler devant le sujet une bande de
papier sur laquelle est dessinée une figurine. Elle se déplace
entre deux écrans latéraux qui limitent sa course apparente.
La tâche du sujet est de régler sa vitesse jusqu'à ce que la durée
d'apparition semble égale à la durée de l'intervalle temporel
entre deux signaux acoustiques ou visuels. Brown augmente
alors la vitesse apparente de la figurine simplement en dimi-
nuant l'éclairement. En effet, à vitesse égale, la vitesse appa-
rente est plus grande si l'éclairement de la plage est plus faible
(Brown, 1931 a). Il a alors constaté que la modification de la
vitesse apparente entraînait une modification de la durée appa-
e
rente telle que l'équation t = se trouvait vérifiée sur le plan
v
phénoménal. Cohen J. et ses collaborateurs (1955) ont rapproché
les résultats de Brown de leur effet kappa. Ils constatent que le
temps paraît plus long si on augmente l'espace entre deux
stimulations; Brown obtient le même résultat en diminuant la
vitesse. Dans les deux cas, les résultats vont dans le sens de la
loi générale d'une influence inverse sur le temps de l'espace
et de la vitesse, et Cohen y voit l'influence de l'expérience
quotidienne.
Mais il est évident que les estimations perceptives de durée
dans les expériences que nous venons de citer ne sont pas
des constructions ni a fortiori des déductions. Il est juste de dire
avec Koffka (1935, p. 296) que l'expérience du temps dépend
de tous les facteurs du champ perceptif. Entre l'espace et le
temps, il y a coalescence et réciprocité des interactions (effets
kappa et tau). La grandeur de l'un influe sur celle de l'autre,
un peu comme les pennures de l'illusion de Müller-Lyer
réagissent sur la longueur apparente du segment qu'elles
délimitent.
P. FRAISSE 10
146 I)l? '('EIYlP.S

Le rôle de l'influence de l'espace et de la vitesse sur la


durée perçue est de toute manière très difficile à étudier.
Les enfants ont tendance à trouver que ce qui va plus vite
dure plus longtemps (Piaget, 1946 : Fraisse et Vautrey, 1952).
Mais les adultes font aussi souvent la même erreur (Piaget,
1961 ; Fraisse, 1962). Il est vrai qu'il est difficile de déceler
ce qui tient précisément à l'influence de la vitesse. Dans les
expériences de Piaget, plus vite entraîne plus d'événements
perçus (mouchets qui se déplacent sur un fil) et dans celle de
Fraisse, plus vite correspond, soit à un espace parcouru plus
grand, soit à une durée de passage plus courte de mobiles
successifs (durées 5 et 10 s).
Le problème ne semble pouvoir être tranché qu'en revenant
à des expériences du type de Brown. C'est ce qu'a fait Bonnet
(1965). Il fait comparer des durées égales, mais où les mobiles
parcourent des espaces trois fois plus grands, à des vitesses
trois fois plus lentes (et réciproquement). Il ne trouve alors
aucun effet de ces variables. Il y a comme une compensation.
Dans une deuxième recherche, il trouve pour des durées plus
brèves (2 s et 0,8 s) que les sujets ont tendance à percevoir le
temps plus long lorsqu'il correspond à un mohile parcourant
un petit espace à petite vitesse que lorsqu'il correspond à un
mobile parcourant un grand espace à grande vitesse.
Le problème est loin d'être réglé.
Une relation entre durée et vitesse se retrouve dans les
changements qualitatifs ou intensifs. La durée apparente d'un
son d'intensité croissante est d'autant plus brève que la vitesse
d'accroissement est plus grande (Fraisse et Oléron G., 1950).
Il semble de même, lorsque deux intervalles sont délimités par
des sons de hauteur croissante, que moins la différence de hau-
teur est grande et plus l'intervalle paraît court (kappa auditif)
(Cohen, Hansel et Svlvester, 1954).
On peut rapprocher de ces cas les résultats qu'a trouvés
Weber C. O. (1926). Si on demande d'exécuter un mouvement
d'une durée donnée (la durée étant indiquée par deux sons
successifs) et d'une longueur donnée, la durée produite est d'au-
tant plus longue que l'effort à accomplir est plus grand (l'expé-
rience est faite avec un kinésimètre de Michotte plus ou moins
lesté). Cela signifie que l'intervalle produit est d'autant plus
sous-estimé que l'effort produit est plus grand.
LA DITX1?'EPERÇUE 1.1.7

5° LA SENSIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE

Ce problème a été très étudié en Allemagne au X,Xe siècle à la


suite de l'impulsion donnée par Fechner à la psychophysique.
Mais les résultats furent alors très décevants par suite du manque
de standardisation des méthodes et du trop petit nombre de sujets
étudiés. Les travaux réalisés depuis 30 ans permettent d'apporter
aujourd'hui des résultats plus précis et plus consistants.
Deux méthodes ont été employées principalement : la
méthode de comparaison et celle de reproduction. Dans le
premier cas, le seuil est calculé classiquement par la différence de
durée entre le stimulus constant et le stimulus variable, différence
qui a autant de chance d'être perçue que non perçue ; dans le
deuxième cas on utilise un indice de dispersion des reproductions.
Goodfellow (1934) a montré que l'on obtenait par l'une et
l'autre méthode des résultats très comparables si l'on prenait
les précautions nécessaires. Cela n'est vrai qu'en moyenne, car les
corrélations entre les résultats obtenus par différentes méthodes
ne sont, dans le cas de stimuli auditifs, que de .50 en moyenne.
Des différences individuelles d'attitude interviennent sans doute.
Envisageons successivement quelle est la valeur du seuil
dans les cas les plus étudiés.

A) Temps vides (audition)


En utilisant la méthode de comparaison, Blakely (1933) a
trouvé qu'entre 0,2 et 1,5 s, le seuil est inférieur à 10 % avec
un minimum de 8 % pour les durées de 0,6-0,8 s. Il croît de
10 à 16 % quand les durées passent de 2 à 4 s et jusqu'à 20
et 30 % pour des durées de 6 à 30 s. Mach (1865) avait déter-
miné un minimum de 5 % pour 0,4 s, Goodfellow de 6,5 %
pour une seconde. Ces résultats sont concordants ; ils le sont
aussi avec ceux que l'on obtient par la méthode de reproduction.
Woodrow (1930) a déterminé le seuil (rapport de l'erreur type
à la moyenne) pour une large gamme de durées et il trouve les
valeurs suivantes :
0,2 s ..................... 10,3%
0,6 s ..................... 7,8 - (minimum)
1,0 s ..................... 8,6 -
2,0 s ..................... 10,1 -
4,0 s ................... 16,4 -
De 5 à 30 s .............. De 16 à 17°;,
)4)t
8
- -..- .

Woodrow faisait reproduire 50 fois de suite le même inter-


valle. Nous avons obtenu des valeurs du seuil plus élevées :
12 à 14 pour des durées de 0,2 à 1,5 s et 12 à 20 % pour des
durées de 0,3 à 12 s, lorsque le sujet ne sait pas à l'avance la
durée de l'intervalle à reproduire (Fraisse, 1948 c).
Inversement, par un entraînement systématique, le seuil
peut être abaiss- : Hawickhorst (1934) a trouvé après entraîne-
ment un seuil de 3,6 % pour un intervalle d'une seconde.
Renshaw (1932) est même arrivé à obtenir de 5 sujets, après
un entraînement de 159 jours, une variabilité moyenne de
1,2 %) dans la reproduction d'une durée d'une seconde.

B) Temps pleins (audition)


Les seuils différentiels sont tout à fait du même ordre que
pour les temps vides selon Blakely ( I 933)et Stott (1933, d'après
Woodrow, 1951).
Pour des durées très brèves, le seuil différentiel augmente
très rapidement et atteint 12 % à 40 ms et 40 % à 0,4 ms (Small
et Campbell, 1962). Le seuil peut être aussi très diminué si le
sujet a connaissance de ses erreurs, soit en utilisant les données
numériques, soit en lui imposant un conditionnement à la
durée par un réflexe électrodermal. Dans ce cas, la variabilité
des reproductions (erreur moyenne) passe de 20 0<)à 8 % envi-
ron, si on compare les résultats avant et après le conditionne-
ment pour des durées de 3 à 10 s (Elkine, 1965).

C) Temps vides et temps pleins (vision et tacet)


Quand la durée est celle de stimuli lumineux, Blakely (1933)
a trouvé des valeurs très voisines de celles qui sont obtenues
dans le cas de l'audition. Ces résultats concordent avec ceux de
Hulser (1924), selon lesquels, dans l'appréciation de la durée
d'un point lumineux immobile, le seuil est de 10,3 % à 0,75 s,
6,5 % à 1,55 s et 5,4 % à 2 s, et ceux de Quasebarth (1924) qui
trouve un seuil de 7 % pour les durées de 2 s de présentation
d'un point lumineux immobile et de 14 pour 8 s. Avec des
stimulations électriques continues de la peau, les seuils diffé-
rentiels sont de l'ordre de 4 à 7 01"pour des durées de 0,5 à
1,5 s (Hawkes et Warm, 1961).
L'étude systématique de Goodfellow (1934) qui compare
les seuils différentiels d'intervalles d'une seconde limités par
LA DURÉE PERÇUE 149

des stimulations auditives, visuelles et tactiles, précise ces


rapprochements. En combinant des résultats obtenus par trois
méthodes de mesure (méthode constante, méthode des limites,
reproduction), il trouve que le seuil est :
Pour l'audition ............... De 7 %
- le tact .................. - 9,5 -
- la vision ................ - 11,5 - –

La sensibilité différentielle serait donc du même ordre, mais


un peu moins fine dans le cas de la vision, ce qui s'explique
bien par la nature des stimulations limites. Cependant les
différences constatées tiennent sans doute aussi en partie à
notre manque d'habitude dans l'appréciation de la durée des
stimulations visuelles ou tactiles. Cette interprétation s'appuie
sur les conclusions de Gridley (1932). Partant du test par lequel
Seashore apprécie le sens du temps en faisant comparer deux
intervalles successifs délimités par deux paires de sons, il a
transformé ce test en remplaçant les sons par des stimulations
tactiles et comparé les résultats. Il trouve des chiffres légère-
ment inférieurs pour le tact (72,8 % de réussites) à ceux de
l'ouïe (77,8 % de réussites) ; mais si le même test est présenté
à nouveau, on trouve une amélioration de 2 % pour l'ouïe et
de 4,1 % pour le tact. Il se pourrait donc que l'exercice réduise
beaucoup la différence constatée.
Il faut enfin signaler un cas particulier de détermination de
la sensibilité différentielle au temps. C'est celui où on compare
deux fréquences en cherchant à déterminer le seuil. Dans cette
situation particulière, Michon (1964) a trouvé que le seuil était
de 0,9 % pour des intervalles de 100 à 200 ms, qu'il augmentait
brutalement de 200 à 300 ms et qu'il était de 2 % de 300 à
1 000 ms. Mais il faut souligner que la perception d'une fré-
quence et celle d'un intervalle ne sont pas comparables.

D) La loi tle Weber-Fechner,

Les travaux du xixe siècle sur la perception du temps ont


été dominés par le problème de savoir si la loi de Weber s'appli-
quait au temps. Fechner a défendu ce point de vue avec vigueur,
mais les résultats ont été si différents d'un auteur à l'autre que
Nichols, en 1890, concluait déjà que la loi de Weber ne pouvait
être appliquée aux intervalles temporels, point de vue repris
150
0 PSI'CHOLOGIE DU TEMPS

par Bonaventura (1929) et récemment par Maack (1948) et


par Woodrow (1951).
Plusieurs remarques préliminaires s'imposent. La loi de
Weber s'applique essentiellement aux différences relatives d'in-
ten.<ité des diverses stimulations. Certes, dès l'origine, Fechner
avait tenté de généraliser la loi de Weber. De son côté
Kiesow (1925, d'après Piéron, ibid.), a envisagé que cette loi
ne serait qu'un cas particulier d'une loi plus générale selon
laquelle nous ne serions sensibles qu'à des différences relatives.
Même dans cette large perspective, la loi ne se vérifie que pour
les variations intensives d'un même stimulus et non pour des
variations qualitatives.
Dans le cas de la perception des durées, nous avons vu que
la distinction du plus et du moins entraînait des différences
qualitatives assez importantes entre les intervalles. Nous pou-
vons nous attendre du même coup à ce que la loi de Weber ne
puisse pas s'y appliquer parfaitement.
D'autre part, les travaux auxquels on peut se référer ne
font pas de distinction entre les durées perceptibles jusqu'à 2
ou 3 s et les durées plus grandes qui ne sont plus perceptibles.
Ceci dit, quels sont les résultats ? Si nous nous reportons
aux chiffres donnés dans les paragraphes A et B, en particulier
à ceux de Woodrow, nous constatons que le seuil différentiel
relatif est à peu près constant entre 0,2 et 2 s : il varie seulement
de 7 à l.0 Certes, dans tous ces iésultats, on rencontre tou-
jours une valeur pour laquelle il existe un optimum de sensi-
bilité, qui coïncide en général avec la durée de l'intervalle
d'indifférence, soit 3/4 de seconde environ. Mais il n'y a là rien
d'exceptionnel, puisque, dans tous les cas où la loi de Weber est
vérifiée, la fraction différentielle passe par un minimum pour
croître lorsque les intensités sont faibles ou fortes.
Cependant. Treisman (1963), dans une très belle série
d'expériences, ne retrouve ce minimum que lorsque la réponse
du sujet est donnée d'une manière rythmique (reproduction ou
production de durées vides). Dans les autres cas, c'est-à-dire
dans la reproduction et la production de durées pleines (lumi-
neuses ou sonores), il ne trouve pas de minimum de la fraction
de Weber, mais une diminution proportionnelle à la durée
de 250 ms à 9 s, de telle sorte que AT = k (T + a), k et a étant
des constantes. Toutefois, même dans ce cas, un minimum peut
LA DURÉE PERÇUE 151

réapparaître, sans doute si le sujet compte mentalement,


balance la tête, etc.
Certains auteurs allemands avaient cru trouver que le seuil
différentiel relatif varie selon une loi périodique, c'est-à-dire
qu'il y a plusieurs minima de sensibilité (Estel, Mehner et
Glass) (1). Mais les méthodes employées, le petit nombre de
sujets et de mesures avaient déjà fait l'objet des critiques de
Fechner. Aucune étude récente n'a retrouvé ce phénomène
et cet aspect de la question n'a plus qu'un intérêt historique.
Le fait de n'avoir pas toujours distingué les durées perçues
de celles qui ne sont qu'estimées a pu masquer la relative
constance de la fraction différentielle. Nous en trouvons un
indice dans le fait suivant : la loi de Weber s'applique assez
bien, comme nous le verrons, aux durées estimées (chap. VII,
p. 225), mais la fraction différentielle est alois beaucoup plus
forte et de l'ordre de 20 Les résultats de Woodrow (1930)
rendent la chose sensible : entre 2 et 4 s, la fraction différentielle
change de valeur, ce qui correspond, pensons-nous, au chan-
gement qui se produit dans les processus d'appréhension et
d'estimation.
En adoptant la perspective de la loi de Fechner, on peut
aussi se demander si lesdurées perçues forment un continuum
qui serait en relation avec le logarithme des durées physiques.
La question est difficile à aborder. Edgell (1903) a utilisé la
méthode des gradations moyennes de Plateau qui consiste à
rechercher une valeur du stimulus telle que ses différences avec
deux autres stimulations, l'une plus petite, l'autre plus grande,
apparaissent égales. Quand la loi de Fechner est vérifiée, ce sti-
mulus a une valeur proche de la moyenne géométrique des deux
stimulations limites et non de leur moyenne arithmétique. Or
Edgell a trouvé que l'estimation d'une durée intermédiaire entre
deux autres correspondait assez exactement à leur moyenne
arithmétique. On peut objecter que la tâche proposée aux sujets
est très difficile et leurs résultats variables et discutables.
Dans les dernières années, Stevens a proposé de
vingt
remplacer la relation logarithmique de Fechner par une loi de
puissance, et il a essayé de l'établir en recherchant la sensation

(1) Sur cette question,voir !\ichois(1890)et Bonaventura(1929)qui se


ralliepartiellementà ce pointde vue et qui pensequ'ily aurait trois minimade
sensibilité 0,35-0,40
: s ; 2,15-2,5s.
s ; 0,70-0,80
152 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
_.._...._ ___._

qui paraissait moitié ou double d'une autre. Par approximations


successives, on a même établi des échelles d'intensité subjective,
c'est-à-dire des niveaux de sensations qui correspondent aux
différentes grandeurs des stimuli. Pour mesurer les sensations,
on a proposé des unités qui permettent d'évaluer les sensations
les unes par rapport aux autres. Ainsi est né le sone pour l'inten-
sité perçue des sons ou sonie (Stevens), le reg pour le poids, le
gust pour la sapidité, le dol pour l'intensité algique, le bril pour
la luminance perçue ou phanie.
Gregg (1951) a tenté dans cette perspective d'établir une
échelle subjective des durées. Il a recherché quelles étaient les
durées (pleines) qui semblaient la moitié de stimuli de 0,4 ;
0,8 ; 1,6 ; 2,4 ; et 4,8 s. En contrebalançant les erreurs de posi-
tion temporelle, il trouve que les estimations des sujets corres-
pondent (à peu près) en moyenne à un stimulus de durée moitié
(certains sujets surestimant et d'autres sous-estimant systéma-
tiquement). Ce résultat est en harmonie avec celui qu'Edgell
avait obtenu par une autre méthode. Mais on ne comprend pas
alors très bien pourquoi Gregg propose tout de même une
échelle subjective des temps dont l'unité serait le temp, un temp
correspondant à une seconde. Un demi-temp correspondrait à
une durée de 0,50 s (à 5 millièmes près) : deux temps à une
durée de 2 s. Ross et Katchmar (1951) ont tenté le même travail
pour des durées vides. Ils trouvent aussi que, dans l'ensemble, la
moitié estimée d'une durée correspond à la moitié physique, aux
erreurs de position près dont ils ne se sont pas préoccupés. Ils
proposent, eux, une autre unité, le chron qui correspondrait à
notre expérience d'une durée de 10 s. Ekman et Frankenhaeuser
(1957) ont cru retrouver une loi de puissance (avec un exposant
de 1,55) sur des durées de 1 à 20 s. Mais leurs résultats sont
discutables. En effet, l'erreur de position temporelle joue un
grand rôle dans l'établissement de ces échelles temporelles où on
ne peut comparer en une relative simultanéité l'étalon et la
reproduction, qu'elle soit égale, ou moitié. Dans leurs résultats,
les reproductions égales sont notablement plus courtes que
l'étalon, tandis que les reproductions moitié subissent moins
cette loi, ce qui fait croire à une relation de puissance. En outre,
il y a un effet d'ancrage ; les durées les plus courtes étant sures-
timées, les plus longues sous-estimées.
Le travail de Bjarkman et Holmkvist (1960) est très
LA DURÉE PERÇUE 153

satisfaisant au point de vue méthodologique et ses résultats


rejoignent ceux de Gregg. Les sujets doivent ajuster pai réglage
un son égal ou moitié d'un étalon (les durées utilisées vont
de 1 à 7 s) et ils peuvent entendre autant de fois qu'ils le veulent
étalon et ajustement, ce qui diminue beaucoup l'erreur de
position temporelle. Dans ces conditions, pour un intervalle
entre les deux sons de 0,1 s, ils trouvent les valeurs suivantes
pour l'ajustcment égal Si et l'ajustement moitié S12°

Etalon Si S112

1,0 s 0,921 0,410


2,5 s 2,047 1,028
4,0 s 3,253 1,612
5,5 s 4,472 2,311
7,0 s 5,784 2,919
A une légère sous-estimation près des ajustements, la valeur
de la moitié apparente est bien moitié du stimulus apparemment
égal. Les mêmes auteurs retrouvent les résultats d'Ekman et
Frankenhaeuser par la méthode de reproduction, mais leurs
résultats tombent sous la même critique. D'ailleurs le débat est
sans doute vain, puisque Stevens (1961) propose 1,1 comme
exposant de la loi de puissance, ce qui, étant donné l'impréci-
sion de ce genre de mesure, est peu différent de 1. La dernière
recherche de Chatterjea (1961) arrive d'ailleurs à un exposant
de 1,02.
Si les durées apparentes sont directement proportionnelles
aux durées physiques, les échelles subjectives de temps n'ont
qu'un intérêt négatif.
En conclusion, il semble donc que la loi de Fechner et la loi
de puissance ne s'appliquent pas aux durées perçues. Cependant
la sensibilité différentielle à la durée perçue est relativement
constante. Cela démontre une fois de plus que les lois de Weber
et de Fechner ne sont pas équivalentes.

hO L'EFFET DES ATTITIJDES

Toutes les lois que nous avons essayé de dégager à partir


des travaux les plus sérieux s'appliquent aux tendances cen-
trales de groupes d'individus. Mais il est peu de recherches où
les auteurs n'aient pas trouvé de fortes différences individuelles
154 PSYCfI0LOG1E UIJ TEMPS

allant parfois jusqu'à l'inversion du phénomène (sous-esti-


mation au lieu de surestimation par exemple). Bien plus, en ces
domaines, il est de nombreux travaux qui semblent contradic-
toires les uns par rapport aux autres.
Il est essentiel de faire jouer un rôle important aux attitudes
des sujets dans la perception du temps. Cette constatation s'est
imposée dans tous les domaines de la perception, depuis les
travaux de l'École de Würzbourg qui ont été confirmés, ces
dernières années, sur un terrain plus expérimental par les
recherches de Bruner et de ses collaborateurs (1). Le perçu est
fonction de la nature des stimuli, mais aussi de l' « hypothèse »
avec laquelle nous les appréhendons. Cette hypothèse dépend
elle-même de notre expérience antérieure, du contexte perceptif,
de notre personnalité, ces facteurs étant médiatisés par des
attitudes. Moius le donné est contraignant, plus ces attitudes
jouent un rôle important. Non seulement elles ont un effet sur
notre sélection constante des informations sensorielles et sur la
signification que nous leur donnons, mais elles peuvent même
modifier la grandeur apparente des objets. L'expérience de
Bruner et Goodman sur la surestimation des pièces de monnaie
par les enfants pauvres l'a démontré.
Dans le domaine temporel, il est légitime de penser que les
attitudes jouent un rôle plus important que dans l'espace,
puisque toute perception du successif est par nature évanes-
cente, tandis que pour les perceptions dans l'espace une confron-
tation est possible entre la perception et son objet.
Donc les auteurs ont eu sans doute raison d'invoquer les
différences d attitudes pour expliquer la variété des résultats
obtenus, mais ils n'ont pas contrôlé ce facteur assez systéma-
tiquement, ne serait-ce qu'en utilisant des consignes différen-
ciées. Nous ne savons même pas d'une manière précise les
variétés possibles d'attitude que nous pouvons prendre en
estimant des durées. Il semble que nous devions attribuer un
rÔle essentiel au fait que les sensations successives sont plus
ou moins organisées entre elles. Cette organisation peut tenir
à la nature des stimulations, mais aussi à l'attitude du sujet.
Ainsi, si, dans une expérience de reproduction, on demande au
sujet de faire attention aux sons limites et de les reproduire

(l) Pour une misseau point sur ces travaux, voir Fraisse (1953).
LA DURÉE PERÇUE 155
-_ -

comme une paire de sons, l'intervalle reproduit est beaucoup


plus court que si on suggère au sujet d'écouter passivement les
limites et de faire porter son attention sur les sensations qui
emplissent l'intervalle (Woodrow, 1933). D'une manière plus
générale, à la suite de Benussi, on a posé que, plus nous étions
attentifs à un intervalle, c'est-à-dire plus nous y attachions
d'importance, et plus il était surestime. Le fait est apparu dans
les comparaisons de deux intervalles successifs. Benussi a pensé
expliquer ainsi les erreurs de position temporelle. De deux
intervalles successifs et égaux, celui sur lequel on porte son
attention paraît plus grand que l'autre. Quasebarth (1924) a
vérifié cette interprétation en demandant à ses sujets d'écouter
passivement ou activement l'un ou l'autre de deux intervalles
successifs à comparer.
Cette loi est à rapprocher des études de Piaget sur la c;en-
tration. Il a été amené, au cours de ses travaux sur le dévelop-
pement génétique des perceptions, à postuler que le stimulus
sur lequel était centré le regard était surestimé par rapport aux
stimuli périphériques. Il a ensuite généralisé cette loi de la
centration et l'a étendue à tout stimulus qui joue le rôle prin-
cipal dans une comparaison perceptive (parce qu'il est l'étalon
ou le mesurant qui est « transporté »). Nous avons de notre côté
pu vérifier que ces effets de centration correspondaient à une
centration de l'attention ; c'est-à-dire à une orientation vers
un stimulus, la centration du regard n'étant qu'un cas parti-
culier d'un phénomène plus général (Fraisse, Ehilich et Vur-
pillot, 1956).
Cette centration peut elle-même avoir son origine, soit dans
l'objet qui attire notre attention par ses caractères, soit dans
le sujet dont les attitudes créent une orientation. Dans le cas
du temps, la centration peut être induite :

ai Par la nature de la tâche : la comparaison, par exemple,


entraîne normalement une centration sur le second temps
<lui est plus présent quand on porte le jugement ; d'où le
fait que l'erreur de position temporelle est en général néga-
tive par surestimation du seconde temps; Î
b) Par la difficulté à percevoir le temps, par exemple lorsque
ses limites sont hétérosensorielles ;
c ) Par tel ou tel caractère de la durée qui attire particuliè-
156 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
_

rement notre attention : par exemple intensité plus grande


d'une limite (temps vide) ou du stimulus continu (temps
plein) ;
d) Par la consigne, qui suggère qu'un intervalle temporel a
plus ou moins d'importance absolue ou relative.

Peut-on rapprocher la surestimation des intervalles sur


lesquels se centre notre attention, et le fait que nos estimations
du temps sont plus longues quand nous faisons attention à la
durée plutôt qu'à ce qui dure, loi que nous étudierons au
chapitre VII ? Ce rapprochement a été tenté par Benussi.
Sans que nous puissions apporter aucune preuve décisive,
nous pensons qu'il est erroné, parce qu'en général les conditions
de la perception des durées brèves sont très différentes de celles
de l'estimation des durées longues. D'autre part, ces suresti-
mations de la durée sur laquelle le sujet est centré apparaissaient
le plus souvent dans des expériences où il faut comparer deux
temps, c'est-à-dire où le sujet est surtout préoccupé de la durée
de chaque intervalle. Pourquoi ferait-il plus attention, pour
l'une, aux changements eux-mêmes et, pour l'autre, à la durée
proprement dite ?
Pour nous résumer, la perception des durées est fonction de
nos attitudes dont la plus importante paraît être l'attention
portée au temps perçu. Plus cette attention est grande, plus
l'intervalle paraît long.
Mais, toutes choses étant égales sur le plan des attitudes, la
perception de la durée dépend de la nature des changements
perçus. Ceux-ci déterminent au niveau des réceptions des
processus d'excitations différents et au niveau central des
processus perceptifs dont l'organisation détermine la durée
apparente.
TROISIÈME PARTIE

LA MATTR1SE DU TEMPS

L'homme a sur l'animal une grande supériorité. Il est


capable de se représenter des changements autres que ceux qu'il
perçoit dans le présent.
Ces représentations lui permettent, à partir du moment où
il se situe, d'embrasser les perspectives temporelles passées et
futures qui constituent son horizon temporel (chap. VI).
L'intervalle entre le moment présent et une satisfaction
à venir fait prendre conscience de la durée à travers des réac-
tions affectives. En partant de ces sentiments de temps, nous
sommes capables d'une certaine évaluation de la durée, mais
notre appréciation est plus généralement fondée sur la quantité
des changements que nous y situons (chap. VII).
La représentation des changements conduit à des représen-
tations de successions et de durées : loisqu'elles entrent en
composition, elles donnent naissance à une notion du temps
qui devient avec l'âge de plus en plus abstraite. L'homme est
alors capable de mettre en relation toutes les séquences des
changements et tous les intervalles temporels, indépendamment
de son expérience immédiate. Il peut maîtriser le changement
dans les limites où son irréversibilité le lui permet (chap. VIII).
Les distinctions que nous proposons entre les modalités
de notre maîtrise du temps sont justifiées par la psychologie
génétique : l'enfant peut avoir un horizon temporel, éprouver
des sentiments de temps, apprécier la durée avant de concevoir
la notion de temps.
Mais notre horizon temporel n'a toute sa richesse et nos
appréciations de la durée toute leur rigueur que lorsque, grâce
à la notion de temps, nous devenons capables de reconstituer
l'ensemble des changements.
CHAPITRE VI

L'HORIZON TEMPOREL

Nous ne vivons que dans le présent, c'est-à-dire que notre


conduite est fonction de l'ensemble de ce qui la détermine hic
et nunc. Mais ces incitations présentes nous renvoient sans cesse
à ce qui n'est plus ou à ce qui n'est pas encore.
Le présent a donc plusieurs dimensions : « ... le présent des
choses passées, le présent des choses présentes, le présent des
choses futures » (saint Augustin, Confessions, p. 319).
Dans le changement où nous sommes entraînés, notre action
à chaque instant ne dépend pas seulement de la situation dans
laquelle nous sommes, mais de tout ce que nous avons vécu
et de toutes nos anticipations de l'avenir. Chacun de nos actes
en tient compte parfois explicitement, toujours implicitement.
En d'autres termes, on peut dire que chacun de nos actes
s'insère dans une perspective temporelle, c'est-à-dire qu'il
dépend de notre horizon temporel, au moment même où nous le
posons.
Avant d'en aborder l'étude, il est utile d'en définir le domaine
en distinguant l'horizon temporel constitué par l'homme, d'une
part de l'ébauche que peut s'en former l'animal, d'autre part
de la notion de temps à laquelle aboutit l'adulte en pleine pos-
session de son intelligence.
En un sens, l'animal a déjà un horizon temporel. Sans doute
il semble ne vivre que dans un univers de perceptions, et rien
n'est plus actuel qu'une perception. Cependant chacune est
un signal et par là même renvoie au passé. Le stimulus en effet
n'a acquis sa signification que par l'expérience antéâeure,
c'est-à-dire lorsque des liaisons se sont établies entre stimuli
- devenus conditionnels - et réactions.
La perception-signal oriente aussi l'activité : celle-ci ne
paraît-elle pas toujours ordonnée à un but ? Le stimulus condi-
160 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
_ ... _..._ _.....______
...

tionnel détermine des conduites d'anticipation : chercher de


la nourriture, fuir le danger, etc. Le rat qui amasse de la nour-
riture agit comme s'il était capable de prévoir la disette ; tout
en ayant une conduite instinctive, il tient cependant compte
du passé, puisque les animaux qui ont été le plus frustrés de
nourriture sont aussi ceux qui amassent le plus (Morgan, Stellar,
Johnson, 1943).
Toutefois, l'animal dans ses conduites ne se réfère pas
explicitement à des événements passés ; il ne se propose pas
non plus un but. Son horizon temporel reste implicite. Il agit
« comme si ». L'homme aussi a des conduites de cet ordre.
Mais, de plus, il est capable de déployer consciemment les dimen-
sions du temps. D'une part, il évoque le passé comme tel,
c'est-à-dire qu'il en fait le récit : il le reconnaît comme ayant
appartenu à son expérience antérieure, reconnaissance qui
n'est complète que lorsqu'elle entraîne la localisation du sou-
venir. Il organise d'autre part son activité en référence à des
projets qui sont des représentations de l'avenir.
Récits et projets se distinguent de la fabulation en ce
qu'ils comportent toujours une référence temporelle à des
changements antérieurs ou postérieurs qui les situent par rap-
port au présent vécu.
Nous pouvons ainsi nous représenter passé ou avenir sans
avoir une « représentation du temps ». Ici intervient une dis-
tinction délicate mais nécessaire entre l'horizon temporel et
la notion de temps. Autre chose l'image d'un milieu homogène
qui sous-tend notre notion de temps (chap. VIII), autre
chose la représentation d'un ou plusieurs événements passés
ou futurs. La représentation d'un événement prend un carac-
tère temporel à partir du moment où elle est située par rapport
à d'autres. La référence la plus simple est évidemment celle qui
est faite par rapport au présent, instant privilégié qui détermine
les deux versants de notre expérience. Plus généralement, nous
précisons la localisation temporelle en situant de proche en
proche les événements les uns par rapport aux autres. Nous
aboutissons ainsi à la constitution de perspectives temporelles
analogues aux perspectives spatiales. Se représenter le passé ou
l'avenir, ce n'est donc pas évoquer quelque schème abstrait du
temps mais des événements qui s'ordonnent suivant des plans
de succession.
L'HORIZON TEMPOREL 161

La représentation de la succession n'est complète qu'une


fois acquise une notion de temps : ainsi seulement peut-elle
tenir compte des différentes séries naturelles d'événements et
de leurs intervalles, comme nous le verrons plus loin. Mais
ce qui prouve bien que cette notion n'est pas nécessaire pour
constituer l'horizon temporel, c'est que ce dernier existe déjà
chez les enfants, à un stade de leur développement où ils ne
sont pas encore capables de constructions opératoires.
L'horizon temporel, à l'origine, est simplement une mani-
festation de la mémoire et il se développe avec elle. Ce chapitre
n'est pas pour autant consacré à l'étude spécifique de la ni'rrioire
mais à celle des perspectives de l'horizon temporel proprement
dit ; il met l'accent sur la manière dont nous pouvons nous
conduire par rapport aux trois instances du temps : le passé,
le présent, l'avenir.

1
LA NATURE DE L'HORIZON TEMPOREL
Le développement de l'hoiizon temporel au cours de l'en-
fance est lent. Aussi sa genèse nous oflre-t-elle une excellente
opportunité d'en saisir en première analyse la nature. Nous
réserverons pour la seconde partie de ce chapitre l'étude du
développement quantitatif des perspectives temporelles avec
l'âge.
1° LA GENÈSE DES PERSPECTIVES TEMPORELLES

L'enfant à la naissance n'a que des réactions réflexes plus


ou moins diffuses qui donnent à son comportement un carac-
tère dispersé (Malrieu, p. 26) (1). Qui dit réaction réflexe dit
une réaction qui suit immédiatement une stimulation. Ainsi
le premier cri de l'enfant est une réaction réflexe à l'entrée
de l'air dans les poumons, et ses mouvements de succion sont
déclenchés par n'importe quel attouchement des lèvres. Point
de perspective temporelle dans de telles réactions. Mais, par
le jeu du conditionnement classique, apparaissent les premières

(1) Aprèsles travaux fondamentauxde Piaget (1937)et de Malrieu(1953),


notre propossera seulementde chercherà caractériserles grandeslignesdes
premiersdéveloppements de l'horizontemporel.
P. FItAiSSft 11
lb2 PSYCHOI,OGIE DU TEMPS
.-_ .. __.__. _. _.

références temporelles, ces o séries pratiques n dont parle Piaget


(ibid., p. 325). Dès les premières semaines, l'enfant qui a faim
cesse de crier si on le prend pour la tétée, et sa bouche recherche
le contact du sein maternel avant que de l'atteindre (Piaget,
ibid., p. 326 ; Malrieu, ibid., p. 3î). Nous avons vu déjà qu'il
s'adaptait rapidement au rythme des tétées et même à la sup-
pression d'un repas dans la nuit. Ces conditionnements impli-
quent une sériation temporelle : il v a anticipation de l'avenir
en même temps qu'utilisation pratique d'expériences passées.
Une stimulation devient signal d'une autre : par exemple, à
deux mois, l'enfant tourne la tête du côté où il a entendu un
son (Piaget, ibid., p. 326). Cette utilisation des signaux implique
tout un horizon temporel qui, à cet âge, se développe seulement
au plan vécu : passé et avenir sont simultanément présents dans
la conduite actuelle. Peu à peu se constituent ainsi des chaînes de
réactions où chaque événement subi devient signal du suivant.
La coopération à l'habillage qui se développe graduellement à
partir de 10 mois montre l'enfant capable de s'adapter à une
série temporelle complexe. Plus tard il prendra même l'initiative
des premiers gestes d'une série, guidé par une véritable antici-
pation à plus longue portée : ainsi lorsqu'il ira chercher souliers
ou manteau pour qu'on l'habille afin de sortir (1).
Dans toutes ces premières conduites temporelles, le passé
contribue à donner un sens à une stimulation, c'est-à-dire à la
transformer en signal, mais le signal déclenche une conduite
orientée vers un avenir d'abord très proche (l'enfant qui cherche
le sein), puis de plus en plus lointain (l'enfartt qui va chercher
son manteau pour aller se promener). Le futur se manifeste
d'abord comme orientation « vers », comme une attitude de
recherche, mais on pressent comment, peu à peu, cette orien-
tation s'accompagnera de la représentation même de la satis-
faction escomptée ou du danger à éviter.
A un second stade, qui succède dans son apparition au
premier sans s'y substituer, puisque les deux se développent
simultanément, apparaît le conditionnement instrumental qui
implique également des perspectives temporelles. Dans le
conditionnement instrumental, l'enfant, comme l'animal, doit

(1) Malrieu (i6id.. p. 58) voit dans cette conduite un simulacre alors qu'elle
nous semble de même nature que celle de l'enfant qui tend les bras vers sa mère
pour être pris.
L'HORIZON TEMPOREL 163
.. - ..

découvrir, en fonction d'une stimulation, l'acte qui lui pro-


curera la satisfaction. Pour reprendre un exemple de Piaget
(ibid., p. 334), l'enfant ayant vu un hochet doit apprendre à
tirer sur la ficelle pour l'ébranler. La solution implique la réac-
tivation d'une liaison qui avait été découverte fortuitement par
des tâtonnements et qui s'était fixée grâce à l'effet obtenu.
Dans ces réactions, le but ne peut être atteint que si c'est
« l'avenir désiré qui organise le présent » (Malrieu, ibid., p. 60).
L'enfant doit reconstituer une succession utile, se détacher un
instant du but lui-même pour accomplir le geste nécessaire
selon un avant et un après. Dans le conditionnement simple, il
y a une succession vécue, ici il y a reconstitution d'une succes-
sion. Avec le développement général, ces enchaînements devien-
dront de plus en plus complexes. Ce n'est plus seulement la
présence du but à atteindre qui organisera la réaction mais son
souvenir. L'enfant agit alors en fonction d'un objet qui n'est
plus présent, au moins dans le champ de son regard. La réaction
est différée. Prenons un exemple chez un enfant de 18 mois.
Se trouvant dans une pièce, il part tout d'un coup avec décision
chercher un jouet dans une autre pièce. Cette conduite implique
un souvenir localisé dans le temps et dans l'espace, mais ce
souvenir n'agit que comme une promesse de satisfaction future.
Ainsi, au début tout au moins, on constate qu'avenir et passé
sont relatifs l'un à l'autre. Piaget (ibid., p. 336) a noté comme
première forme de cette réaction différée l'observation suivante
sur un enfant de 8 mois :
« Laurent voit sa mère entrer dans la chambre et la suit des
yeux jusqu'à ce qu'elle s'asseye derrière lui. Il reprend alors
ses jeux, mais se retourne à plusieurs reprises pour la revoir.
Cependant aucun son ni aucun bruit ne peut lui rappeler cette
présence. n
Il y a évidemment là un début de mémoire et de localisation
dans le temps et dans l'espace.
Différées ou non, ces réactions constituent ce que Piaget
appelle des séries subjectives qui se transforment peu à peu en
séries objectives qui se distingueraient des premières en ce que
la succession appréhendée s'objectiverait. L'enfant devant une
situation ne se remémorerait plus seulement son action, mais
l'objet lui-même. La conduite correspondante serait de recher-
cher un jouet qui vient de disparaître derrière un écran. Tous les
164 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

parents savent que l'on peut supprimer le désir de l'enfant en


faisant disparaître l'objet convoité, mais ils savent aussi que
cette possibilité n'a qu'un temps. Peu à peu, l'objet disparu reste
encore présent grâce au souvenir et sa disparition sensible ne
fait plus cesser le désir.
Vers un an, l'enfant, par les jeux du conditionnement
simple et instrumental, se trouve avoir acquis un horizon tem-
porel qui commence à se dégager de ses propres réactions. « Le
temps déborde définitivement la durée inhérente à l'activité
propre pour s'appliquer aux choses elles-mêmes et constituer
le lien continu et systématique qui unit les uns aux autres les
événements du monde extérieur. En d'autres termes, le temps
cesse d'être simplement le schème nécessaire de toute action
reliant le sujet à l'objet pour devenir le milieu général englo-
bant le sujet au même titre que l'objet » (Piaget, ibid., pp. 346-
347). Les psychanalystes ont tendance à décrire cette évolu-
tion à partir de l'expérience de la frustration. A mesure que
l'enfant se développe, ses besoins ne sont pas satisfaits immé-
diatement. Mais, sur la base de ses expériences passées, il
apprend que satisfaction lui sera donnée ultérieurement. Ce
point de vue complète le précédent. Il ajoute la dimension
motivation aux processus d'apprentissage (Wallace et Rabin,
1960).
Les conduites cependant dépendent encore à ce stade des
signaux que fournit l'environnement. Mais, peu à peu, les per-
ceptions qui ont évoqué des actes vont faire renaître les objets
absents sous forme de souvenirs. Ceux-ci. qui peuvent être de
simples représentations, s'individualiseront vraiment à mesure
que le langage donnera à l'enfant la possibilité de les nommer, et
du même coup de pouvoir agir sur eux, de les combiner en séries
propres indépendantes de l'action présente. Empruntons un
exemple de ces nouvelles séries à Piaget (ibid., p. 352) : « Jac-
queline (1 a. 7 m.) ramasse une herbe qu'elle met dans un seau
comme s'il s'agissait des sauterelles que lui apportait quelques
jours auparavant un petit cousin. Elle dit alors : Totelle (= sau-
terelle), totelle, hop-là (= sauter)... garçoti (= son cousin). »
Une perception lui a évoqué une série d'événements passés ;
le langage a permis de les préciser et de les évoquer.
Le jeu de ces représentations et 1 horizon qu'il ouvre sont
aussi bien mis en lumière par ces mots d un enfant de 2 a. 1 m.
L'HOItIGOIV TEMPOREL 165
- __
_....__

que rapportent Decroly et Degand (1913) : « Lait, parti,


Maïette o, qui signifiaient dans le contexte « J'ai bu mon lait,
je vais chez Mariette », soulignant la double perspective passée
et future du présent.
A vrai dire, les premiers développements du langage, comme
l'a souvent remarqué Piaget, ne donnent pas naissance à de
nouvelles conduites, mais à des transpositions sur le plan du
langage de ce que l'enfant savait déjà faire. Il emploie le mot
comme il employait le geste : « Encore n ou « attends », premiers
mots qui aient sans doute chez l'enfant une référence temporelle
précise, sont l'équivalent des petits bras tendus vers la mère.
L'enfant qui demande « cuillère n, pour essayer de manger sa
soupe, ne fait pas autre chose que celui qui attrapait la ficelle
pour faire remuer le hochet.
Le langage va cependant permettre une extension considl-
rable des perspectives temporelles. Grâce à lui, l'individu peut
non seulement disposer de tout son propre passé, mais aussi avoir
connaissance de celui des sociétés auxquelles il appartient. Nous
verrons plus loin comment avec l'âge se développe progressi-
vement cet horizon et comment aussi les deux versants du
passé et de l'avenir changent d'importance relative.
Les perspectives temporelles de l'enfant se développent donc
grâce à l'expérience vécue de séries d'événements et d'actes
prolongés par les souvenirs de l'individu ou du groupe. Il serait
cependant erroné de considérer que l'enfant échappe, par un
simple apprentissage ou par des constructions intellectuelles, à
l'emprise des réactions quasi réflexes provoquées par les stimuli
présents et à la dispersion qu'elles engendrent. L'horizon tem-
porel de l'enfant se développe en même temps que se constitue
l'unité de sa personnalité. Celle-ci exige justement que l'enfant
apprenne à inhiber les réactions que suscite son corps ou l'envi-
ronnement et en particulier ses réactions émotives pour être
capable de tenir compte de ce qui précède ou de ce qui va
suivre. Seule la conquête de sa stabilité émotive peut lui
permettre d'entreprendre des actions à plus longue portée et
en référence à un passé plus lointain, car l'émotivité tend à
nous enfermer dans le présent. En ce sens, on peut dire avec les
psychanalystes que le temps se déploie pour l'enfant dans la
mesure où le principe du plaisir cède le pas au principe de réalité
(Bergler et Roheim, 1946).
<>
100 f',SYCfI(IGOGIh'DU TEMPS
.. _. .... _. ...

2° LA CONSTITUTION DU PASSÉ

L'enfant, dans ses premières expériences, apprend à


connaître des séries temporelles telles qu'un des termes lui per-
met de prévoir ceux qui suivront. Mais ces séries ne sont pas
encore localisées par rapport au présent de l'enfant. D'ailleurs,
par leur nature même, elles sont ambiguës. Elles sont tout à la
fois manifestation d'une expérience passée et orientation vers
un futur : ainsi l'animal qui cherche sa nourriture ou l'enfant qui
tend ses bras vers le biberon ou vers sa mère se réfère tout à la
fois à un passé et à un futur, en recréant simplement une série
temporelle. Comme le fait remarquer Heidegger, l'avenir est
d'une certaine manière accomplissement du passé ; il présup-
pose le passé, mais celui-ci n'a le sens de passé que s'il y a un
avenir (Bremel, 1950, p. 124).
Les séries temporelles ne créent donc pas par elles-mêmes
des perspectives temporelles où il y ait distinction du passé et
du futur. Elles enrichissent seulement l'expérience présente.
Le langage de l'enfant manifeste bien cette emprise. Qu'il
emploie ou non des verbes dans ses phrases, jusqu'à trois ans
il ne parle qu'au présent. Le contexte montre d'ailleurs qu'il
exprime essentiellement une situation actuelle, même quand il
y a référence au passé. S'il dit « Maman dehors », cela signifie
surtout que Maman n'est pas là et non pas qu'elle est sortie
il v a quelques heures. Le même phénomène se retrouverait
dans la phylogenèse des langues. « Toutes les langues primitives
expriment par des verbes l'idée d'action mais toutes ne distin-
guent pas bien les divers temps. Le verbe en sa forme primitive
peut servir également à désigner le passé, le présent ou le futur »
(Guyau, 1902, p. 6). En réalité, ce langage primitif exprime la
réalité du monde objectif et non une expérience temporelle.
« Dans les choses mêmes, l'avenir et le passé sont dans une
sorte de préexistence et de survivance éternelle ; l'eau qui
passera demain est en ce moment à sa source, l'eau qui vient
de passer est maintenant un peu plus bas dans la vallée. Ce
qui est passé ou futur pour moi est présent dans le monde »
(Merleau-Pontv, 1945, p. 471). Le temps naît de mon rapport
avec les choses » (i6id., p. 471), c'est-à-dire à partir du moment
où elles se situent non plus seulement les unes par rapport aux
autres, mais par rapport au sujet de l'expérience. Pour se situer
L'HORIZON TEMPOREL 167
-_- _ .

ainsi, il faut d'abord que les événements vécus se transforment


en souvenirs. Je ne peux situer par rapport à moi que ce qui a
une existence et le souvenir est justement le moyen de conserver
présent ce qui n'est plus.
Mais de notre expérience passée, tout ne se transforme pas
en souvenirs. Une grande partie n'est pas fixée. Entre la richesse
immédiate d'une perception et ce que l'on peut en évoquer
quelques secondes plus tard, il y a un décalage important. Le
déficit n'est d'ailleurs pas homogène et il n'existe pas en réalité
de corrélation entre la richesse du contenu perceptif et ce que
nous transformons en souvenirs (Fraisse et Florès, 1956). En
première analyse, il faut remarquer qu' « on ne retient que ce
qui a été dramatisé par le langage » (Bachelard, 1936, p. 58).
Il faut avoir pu nommer les choses, les gens, les sentiments
pour qu'ils puissent appartenir à nos souvenirs. Condition
nécessaire, mais insuffisante, car il faut aussi qu'ils s'intègrent
de quelque manière à d'autres souvenirs. Sans cette mise en
relation, il n'y a pas de rappel possible.
Quelles que soient les conditions de la transformation de
l'expérience en souvenir, sa simple fixation ne suffit pas à lui
donner une place dans mon horizon temporel. La mémoire
n'est pas en effet « cet enregistrement intégral et passif auquel
certains auteurs ont songé, comme s'il suffisait de consulter le
registre de ses souvenirs pour en retrouver les pages en bon ordre
et pourvues d'une table des matières répondant d'avance à
toutes les classifications possibles » (Piaget, 1946, p. 260).
La chose est facile à constater chez l'enfant. Vers trois ou
quatre ans, il se contente de situer tous ses souvenirs dans un
moment unique qu'il appelle hier.
« Lorsqu'un enfant de 2 à 4 ans veut raconter une prome-
nade, une visite chez des amis ou les aventures d'un voyage, il
y a entassement incohérent d'une foule de détails « juxtaposés »
dont chacun s'associe à un autre par couple ou petites suites,
mais dont l'ordre général échappe à nos habitudes d'esprit »
(Piaget, ibid., p. 261). L'enfant échoue de même à mettre en
ordre des images constituant un récit, ce qui manifeste bien qu'il
ne s'agit pas d'un simple déficit verbal. D'ailleurs, les adultes
trouvent difficile de reproduire l'ordre de souvenirs qui ne
constituent pas une série naturelle ou logique. Si on lit, par
exemple, quatre poèmes inédits à des étudiants et si le jour
168 PSYCHOLOGIE DIT 'l'ÉMP,<

suivant, sans les avoir prévenus, on leur demande de se rappeler


l'ordre dans lequel ils les ont entendus, les quatre cinquièmes
des sujets en sont incapables. Nos souvenirs ne se situent pas
automatiquement les uns par rapport aux autres, comme s'il y
avait une sédimentation ou un enregistrement phonographique,
selon l'image proposée par Guyau.
Tous les auteurs sont aujourd'hui d'accord pour reconnaître
que la mémoire est une construction. Dans cette construction,
la récence d'un souvenir n'est qu'un moyen, le plus fragile.
D'ailleurs l'évocation de nos souvenirs ne se fait pas en partant
des plus récents qui seraient les plus intenses et en remontant
vers les plus anciens et les plus flous. Nous localisons nos sou-
venirs les uns par rapport aux autres en essayant de retrouver
l'ordre même dans lequel nous les avons vécus. Pour le recons-
truire, quels repères utilisons-nous ?
Tout d'abord chaque événement a comme un « signe tem-
porel ». En effet, chaque acte est associé dans le souvenir à
toutes les circonstances qui l'ont entouré. Parmi elles, certaines
permettent en quelque sorte de dater l'événement : elles sont
en relation avec les bases mêmes du calendrier, c'est-à-dire
avec la succession des matins et des soirs, les rites des repas et
du sommeil, la succession des jours de la semaine dont plusieurs
ont un caractère particulier (les jeudis et les dimanches pour
les écoliers), la succession des fêtes, des mois, des saisons. Ces
concomitances nous fournissent des repères spécifiquement
temporels qui prennent toute leur signification quand ils s'insè-
rent dans un cadre conceptuel. Mais, à l'origine, ils sont de
l'ordre du vécu ; on peut même penser, comme nous en trou-
verons une confirmation dans l'étude des désorientations tem-
porelles (p. 171), qu'ils sont liés très étroitement, non seulement
aux changements du monde extérieur, mais au rythme même
de nos changements organiques. Nous avons vu (chap. I) qu'en
synchronisme avec les différentes phases du jour se produisaient
des changements organiques qui sont li2s à la succession des
repas, des activités et du sommeil et qui anticipent sur ceux-ci.
Sans doute ces états successifs confèrent-ils eux aussi un certain
signc temporel à tout ce que nous faisons sans qu'ils soient
conscients. C'est ce que pense Klcist (1934) : pour lui la loca-
lisation temporelle est scus la dépendance des centres diencé-
phaliques. Delay (194.2, p. 136) partage la même opinion :
¡:lWRlZON TliMPORliI, 169

« Cette région constituerait la véritable horloge de l'organisme


parce que c'est d'elle que dépendent tous les grands rythmes
périodiques (faim, soif, sommeil, besoins génitaux). Ces évé-
nements végétatifs périodiques seraient doués d'une composante
temporelle qui servirait de base à un enregistrement chronolo-
gique général des impressions vécues. »
Ces signes temporels individualisent les souvenirs ; ils ne
sufflsent pas cependant à les ordonner entre eux de manière à
constituer des séries temporelles. Ici intervient la construction
proprement dite qui fait appel à tous les moyens d'ordonner les
événements les uns par rapport aux autres. L'espace, para-
doxalement, nous est d'un grand secours. Nos actions se dérou-
lent le plus souvent en des lieux successifs. L'espace qui impose
un ordre à nos actions devient ainsi un moyen de reconstituer
dans le souvenir leur succession réelle. Les souvenirs des villes
espagnoles que j'ai visitées cet été ne se sont pas ordonnés
spontanément les uns par rapport aux autres, mais il m'est
facile de retrouver sur une carte mon itinéraire et ainsi de les
situer dans le temps.
Cet appel à l'espace n'est qu'un cas particulier d'une loi
plus générale : pour situer nos souvenirs, nous faisons appel au
savoir, c'est-à-dire à l'ordre le plus probable des événements.
Groethuysen (1935-36) a finement noté que dans le récit des
événements de notre journée, nous suivons d'abord l'ordre
chronologique, mais que, quelques jours plus tard, nous pré-
sentons les faits dans l'ordre où ils auraient dû se produire. Si
nous évoquons un repas, nous ne placerons pas le dessert avant
les hors-d'?uvre. Parmi les liaisons, celles qui sont le plus faciles
à reconstituer sont celles qui correspondent à des rapports de
causalité. Piaget a justement insisté sur l'influence de la saisie
des rapports de causalité sur le développement des séries tem-
porelles. Les liaisons causales doivent d'ailleurs être entendues
au sens le plus large et inclure les enchaînements déterminés
par ce que Ribot appelait la logique des sentiments. Les
recherches sur le témoignage montrent que le récit des événe-
ments vécus est une reconstruction où interviennent les intérêts
et les tendances les plus profondes.
En définitive, l'horizon temporel se constitue par l'organi-
sation de nos souvenirs. Cette organisation peut se fonder sur
les cycles temporels qui individualisent les souvenirs, mais elle
170
0 PSYCHOLOGIEDU 7'EMPS

utilise systématiquement le fil directeur d'une nécessité pour


reconstituer l'ordre temporel des événements passés. Par le
jeu de ces organisations, notre horizon temporel arrive à se
développer largement au-delà des dimensions de notre propre
vie. Nous traitons les événements que nous fournit l'histoire de
notre groupe social comme nous avons traité notre propre
histoire. D'ailleurs l'une et l'autre se confondent : l'histoire de
notre enfance par exemple est celle de nos premiers souvenirs,
mais aussi celle des souvenirs de nos parents, et c'est à partir
des uns et des autres que se développe cette partie de nos
perspectives temporelles. Les uns et les autres s'organisent
d'ailleurs d'autant mieux que la société fournit, par ses horloges
et surtout par ses calendriers, des repères, indispensables quand
il s'agit de longues périodes de temps. Klineberg (1954) cite le
cas d'Indiens de Californie qui ne savaient ni leur âge, ni
combien de temps auparavant s'était passé un événement
datant de plus de six ans.
L'importance des constructions logiques dans la constitution
de notre horizon temporel est mise négativement en évidence
par le fait que les débiles mentaux comme les jeunes enfants
ont un horizon temporel très réduit. Incapables les uns et les
autres de construire leurs souvenirs en un passé (et d'anticiper
un futur), ils sont les prisonniers du présent. De Greeff (1927)
estime que l'horizon temporel passé des débiles profonds ne
dépasse pas une dizaine de jours. C'est le maximum de durée
qu'ils assignent à un événement passé (la fin de la guerre, le
temps depuis lequel ils sont dans la maison d'éducation).
Au-delà tout est sur un même plan, car ils ne sont pas capables
d'ordonner leurs souvenirs.
Dans les rêves, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas construction
des souvenirs avec le souci d'une soumission au réel, on constate
aussi que l'horizon temporel est très troublé : nous évoquons
des événements, qui se sont réellement passés, pêle-mêle avec
des fantasmes de notre imagination. La chronologie n'est pas
respectée ; ainsi nous rêvons de l'enterrement d'un ami et nous
bavardons avec lui dans le tableau suivant. Les raccourcis
sont fréquents. Le cinéma a transformé cette expérience en
procédé, mais le spectateur « bouche » les trous ou reconstitue
l'ordre logique en ne se laissant pas enfermer dans l'ordre vécu
des événements. Au contraire, dans les rêves, nous sommes
l,'HOKIZOIV7'EIkIPURhÇI. 1
171
- -_ ...-.

soumis à des évocations apparemment chaotiques dont le


principe d'organisation ne se réfère pas à l'ordre vécu et à ses
nécessités, mais à des jeux d'associations où prédominent les
préoccupations affectives. C'est en ce sens que nous comprenons
la thèse de Freud sur l'intemporalité de l'inconscient : « Les
processus du système Inconscient sont intemporels, c'est-à-dire
qu'ils ne sont pas ordonnés temporellement, ils ne sont pas
modifiés par le temps qui passe, ils n'ont en somme aucun
rapport au temps. La relation au temps est liée au travail du
système conscient » (Freud, Das Unbewusste, 1915, cité par
M. Bonaparte, 1939, p. 73). En effet, comme le dit 1VI.Bona-
parte ( 1 939,p. 100), « le sens du réel et le sens du temps appa-
raissent à la fois dans le seul système Perception-Conscience.
L'inconscient les ignore, l'inconscient intemporel et en lequel
ne règne pas encore le processus secondaire dominé par le
principe de réalité, l'inconscient demeuré tout entier soumis au
processus primaire réglé par le seul principe de plaisir n.
L'organisation de nos souvenirs est exigée par leur confron-
tation avec le réel, c'est-à-dire avec l'ensemble de nos autres
souvenirs, de nos connaissances, des informations de la situation
présente. Dans le rêve, ou le délire, l'homme est absorbé par
l'image présente qu'il ne relie à aucune autre ; Guyau traduisait
le fait dans le langage de son époque en disant que c'était la
perception des différences qui créait le temps. « Il y a une chose
remarquable, c'est la métamorphose perpétuelle des images,
qui, quand elle est continue et sans contrastes tranchés, abolit
le sentiment de la durée... A cause de cette absence de contraste,
de différences, les changements les plus considérables peuvent
s'accomplir en échappant à la conscience et sans s'organiser
dans le temps » (ibi.d., pp. 18-19).

*
* *
Toute l'analyse que nous venons de faire se précise si nous
considérons les dissolutions pathologiques de la mémoire. Le
cas le plus précis se présente dans les syndromes de Korsakov.
On en connaît la caractéristique principale à notre point de vue.
Le malade semble atteint d'une amnésie, qui n'est pas toujours
généralisée et où prédomine l'amnésie des faits les plus récents.
« Le malade aura parlé correctement, sans erreur, des faits
172 DU 'l'EMPS
_._ _.._ .._ . __

passés, alors qu'il ne se rappelle plus ce qu'on vient de lui dire,


ce qu'il vient de faire ; il demande un objet qu'il tient dans sa
main, il veut dîner quand il sort de table, être couché quand il
est dans son lit, etc. n (Régis, 1923, p. 350). Cette impuissance
à fixer les souvenirs présents entraîne évidemment une désorien-
tation temporelle dans le passé, puisque rien ou peu de chose
n'est retenu de ce qui est postérieur à la maladie. La perception
chez ces malades est normale, elle se transforme parfois en
souvenir, mais les souvenirs qui arrivent à se fixer restent comme
des « fragments isolés » (Jaspers, 1933, p. 529). Un malade peut
ainsi évoquer le souvenir de l'achat d'une paire de souliers, mais
être incapable de localiser temporellement l'achat. C'est comme
un livre, dit-il, que j'aurais en moi, mais que je ne pourrais pas
retrouver (Cohen et Rochlin, 1938). L'atteinte semble se mani-
fester par la difficulté d'établir des rapports nouveaux entre
plusieurs événements. Les travaux expérimentaux ont mis en
évidence chez ces malades une difficulté élective à fixer des
couples de mots (Ranschburg, 1939) et plus généralement à
former de nouvelles associations (Wechsier, 1917). En parti-
culier les malades sont incapables d'établir des liaisons entre
chaque souvenir et tout ce qui s'est produit avant, pendant,
après l'événement auquel il renvoie. On a parlé d'amnésie de
fixation parce qu'au plan vécu le fait nouveau n'évoque plus
le fait ancien, bien que le malade soit encore capable d'associer
des idées ou de faire un raisonnement. Il semble plus exact de
parler avec Van der Horst (1956) d'une perte de la tempora-
lisation des souvenirs due justement à ce que chacun d'eux reste
comme isolé. Selon la belle expression de Jaspers (ibid., p. 529),
il y a une « diminution des synthèses d'actes ». Une malade de
Bonhoeffer l'avait bien ressenti, qui disait « Le souvenir de la
succession des événements dans le temps manque sans excep-
tion » (cité par Van der Horst, 1956).
Ces troubles entraînent évidemment une désorientation
temporelle du sujet. Ils ne sont pas d'ordre intellectuel, car
ces malades utilisent bien les repères objectifs, horloges ou
calendriers. Il leur manque de pouvoir dater les uns par les
autres les événements qu'ils ont vécus. Cette impuissance à
situer leurs souvenirs entraîne du même coup un raccour-
cissement de leur horizon temporel. Un malade était ainsi
capable d'évoquer les principaux événements qui étaient inter-
L'HORIZON TEMPOREL 173

venus pendant ses 29 ans d'hospitalisation, mais il estimait


que cette période de sa vie n'avait dure que deux ou
trois ans. Spontanément il se donnait 32 ou 33 ans, mais
il était capable de reconnaître que le calendrier lui donnait
59 ans (Bouman et Grünbaum, 1929). Il faut penser que les
souvenirs étaient restés si lacunaires et si dissociés les uns des
autres qu'ils entraînaient ce raccourcissement de la perspective
temporelle.
Ainsi l'analyse du syndrome de Korsakov permet utilement
de préciser la nature de l'organisation grâce à laquelle se déve-
loppe l'horizon temporel. Il se crée une continuité psychique
parce que, de proche en proche, les souvenirs se datent eux-
mêmes. Cette chronognosie, comme l'appelaient Bouman et
Grünbaum (1929), se distingue de la chronologie ou capacité de
dater les événements selon les repères abstraits du calendrier.
Le malade atteint d'un syndrome de Korsakov a perdu la
première possibilité mais non la seconde (1), ce qui montre que
l'organisation d'où naissent les perspectives temporelles n'est
pas seulement de type intellectuel.
D'ailleurs la localisation même du syndrome de Korsakov
éclaire le problème. En effet, à la suite des travaux de Gamper
(1928), plusieurs fois vérifiés, on a pu établir que ce syndrome
correspondait à une atteinte des corps mamillaires et des centres
voisins, c'est-à-dire des noyaux végétatifs de la base du cerveau.
Cette localisation infracorticale montre que le syndrome de
Korsakov n'est pas un trouble de type intellectuel, mais doit
s'expliquer par l'intervention de mécanismes liés profondément
à la vie végétative. Les corps mamillaires sont en effet en
relation avec les noyaux végétatifs centraux qui ont un rôle
important dans le déclenchement des grands mécanismes vitaux
périodiques : faim, soif, sommeil, besoin génésique. Il est ainsi
établi que « la reproductivité des événements de notre vie
dépend physiologiquement, déjà dans la phase de sa formation
dans l'écorce cérébrale, du renforcement des résidus corticaux,
par un mécanisme sous-cortical qui conduit de l'hypothalamus
à l'écorce cérébrale et qui agit sur l'écorce d'une façon qualita-

(1) Inversement,Minkowskicite le cas d'un paralytiquegénéralà un stade


peu avancéde l'affection,capablede racontertout ce qu'il a fait pendantla guerre
dansl'ordreoù il a vécules événements, maishorsd'état de direquandla guerre
a commencé ou quandl'armisticea été signé(Letemp.sPMH, p. 13).
174 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
-...

tivement indéfinissable pour le moment, niais très probablement


sensibilisante » (Ranschburg, 1939, p. 531) (1).
A propos du mécanisme même de l'action des corps mamil-
laires sur l'intégration des événements vécus, on en est réduit
aux conjectures. Delay et Brion (1954) ont avancé deux hypo-
thèses. Dans la première, les corps agiraient par émission d'un
rythme de base qui serait indispensable au développement
d'activités psychologiques élaborées dans le cortex ; dans la
seconde, ils agiraient électivement sur un mécanisme de la
mémoire en enregistrant un signe temporel.
L'analyse physiopathologique éclaire ainsi les descriptions
psychologiques. Les changements périodiques de la vie végéta-
tive marquent d'une empreinte profonde tout ce que nous
vivons. Nous en prenons conscience lorsque nous mettons spon-
tanément en relation des événements avec les retours pério-
diques du monde environnant et de nos activités ; mais sans
doute cette empreinte existe-t-elle encore plus profondément au
plan biologique.
Explicitement, on a plusieurs fois signalé des relations
entre les trouhles de la désorientation tenrporelle et ceux de la
somesthésie. Kevault d'Allonnes (1905) a cité le cas d'une
malade qui ne sentait plus le besoin de manger, de boire,
d'uriner, et qui, corrélativement, se plaignait de ne plus sentir
le temps et de ne pouvoir connaître l'heure au cours de la
journée que, si ce n'e:-t de la manière dont nous datons l'année
ou le mois, par des procédés mnémotechniques, c'est-à-dire par
des raisonnements. De même, Cohen et Rochlin (1938) ont décelé
chez le malade dont nous avons déjà parlé des troubles dans
l'expérience de son corps (oj isis (2).

(1) Cesobservations doiventêtre rapprochées de cellesqui ont été faite· récem-


mentsur desmaladesà quion a pratiquéunethalamotomie dorsomédiale à la suite
de troublesémotinnncls et de douleursinsupportables. Cesmaladies qui n'avaient
ni déficitde l'intelligenceni troublestemporelsont en. à la suitede leuropération.
desconfusions temporelles plusoumoinspassagères. Ilssetromnaientsurlemoment,
le jour,la date,la saison,surle tempsquis'étaitécoulédepuisleurentréeà l'hôpital
ou la date de leuropération.Onpouvaitobserverchezeux,conunechezlesmalades
présentantun syndromede Korsakov,une dissociationentre l'estimationdirecte
du tempset lesjugementappuyéssur les raisonnements et al.. 1955).
(Spieg('1
(2) Il faut remarquerque les dé-orientations temporellesdans les PS)'Ch08e?
de Korsakovpeuventlaisserintactsles autresmodesd'adaptationau temps.La
perceptionde la duréedes successions brèvesn'est pas atteinte(Gregor,1907),ni
l'estimationdes duréesde quelquesminutes(Ehreuwald,1931c) ni, commenous
l'avonsvu, lesraisonnements sur letemps.Cetteremarqueestcapitalepournous,car
cetteatteinteélectivecontinuela spéciticitédudéveloppement de 1 horizontemporel.
L'HORIZON TEMPOREL 175

S'il existe donc un processus qui date en quelque sorte les


événements en les rattachant intimement aux rythmes de notre
vie organique, le passé en tant que tel est le fruit de ces orga-
nisations complexes que nous avons décrites plus haut et qui
prolongent l'enregistrement plus automatique de nos souvenirs,
ou même parfois y suppléent. Des atteintes corticales peuvent
les mettre en cause, en particulier celles qui touchent aux deux
aires frontales : elles entraînent un trouble de i< l'acte de mémo-
ration, acte de synthèse mentale n (Delay, 1942, p. 133). Ce
trouble se manifeste par des amnésies où le déficit temporel
proprement dit est moins manifeste que lorsque les lésions sont
infracorticales. Toute névrose peut également entraîner ce
genre de trouble, et même la simple fatigue, par une impossibilité
passagère ou durable de faire l'effort intellectuel qui permet
d'ordonner les souvenirs. Vinchon (1920) l'a noté en particulier
chez les schizophrènes.
En définitive, l'horizon temporel est une perspective cons-
truite à partir des indices que nous fournissent les repères tem-
porels de notre expérience et par nos efforts pour organiser
ensemble nos souvenirs en nous aidant de tous les principes
possibles d'ordination temporelle.

*
* *
Cette construction n'est cependant pas homogène. Si je me
penche sur mon passé, les souvenirs ne s'alignent pas avec
régularité. Dans cette rétrospective, il y a des noeuds formés
par les événements cruciaux : un décès, une réussite à un
concours, une guerre, qui rompent la continuité et qui jouent
le rôle des plans dans les perspectives spatiales ; nous situons
les événements selon qu'ils sont avant et après ces coupures de
notre existence. La distance entre ces plans n'est pas non plus
homogène. Certaines périodes nous apparaissent plus longues,
d'autres plus courtes, bien que nous sachions qu'elles ont eu,
à l'échelle du calendrier, la même durée. On a remarqué depuis
longtemps que cette durée relative dépend du nombre de sou-
venirs : une période nous apparaît rétrospectivement d'autant
plus longue qu'elle est riche de plus de souvenirs. De même
entre deux plans d'un panorama, la distance apparaît d'autant
plus grande que nous y avons plus de repères.
176 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
- -

Pour cette raison, les périodes les plus proches nous appa-
raissent relativement plus longues que des périodes objective-
ment de même durée, mais appartenant à un passé plus lointain.
Le jour d'hier a rétrospectivement une durée beaucoup plus
longue que l'un quelconque des jours des années passées. Cepen-
dant, cet effet propre de la perspective entre souvent en compo-
sition avec le fait qu'il y a parfois un décalage entre l'impression
de durée au moment où nous vivons un événement et la durée
apparente de la même période dans notre souvenir. Comme nous
le verrons dans le prochain chapitre, la durée, au moment où
nous la vivons, nous paraît d'autant plus longue que nous y
décelons plus de changements. Mais le nombre des changements
que nous y remarquons n'est pas forcément proportionnel aux
souvenirs que nous en garderons. Les journées semblent très
longues à un prisonnier, parce qu' « il compte les heures »,
mais, après coup, sa captivité pourra lui sembler avoir peu duré
parce que ces mêmes journées lui auront laissé peu de souvenirs.
Par contre, une journée où l'on visite en touriste une ville ou
une région nouvelle apparaît au soir même bien remplie ;
comme elle laissera beaucoup de souvenirs, la même impression
se retrouvera quelques années plus tard, quand on l'évoquera
dans la mémoire.
L'hétérogénéité des perspectives temporelles tient donc à
la nature même de notre expérience vécue, mais elle n'agit
que par l'intermédiaire de la quantité de nos souvenirs. Par le
fait même, les effets de perspective sont les mêmes pour les
périodes historiques que nous n'avons pas vécues que pour
notre propre passé. Les siècles de l'histoire de France ont une
durée relative d'autant plus longue que nous en connaissons
plus de choses. Ceci est sans rapport avec l'éloignement des
siècles : pour un helléniste, l'histoire des trois grands siècles
d'Athènes occupe dans ses perspectives temporelles une durée
plus grande que les dix siècles de notre Moyen Age.
Il est alors peu surprenant de constater que les mêmes effets
de perspective se retrouvent dans les représentations collectives
et non plus seulement personnelles du temps. Hubert et Mauss
l'ont analysé très finement pour la vie religieuse. Le temps
n'est pas un milieu homogène ou une quantité pure. « Les parties
qui nous paraissent égales en grandeur ne sont pas nécessaire-
ment égales ni même équivalentes ; sont homogènes et équiva-
L'HORIZON ï'BMPO?jEL 177
-

lentes les parties considérées comme semblables en raison de leur


place dans le calen.drier » (Mélanges d'Histoire des religions,
p. 197). Des dates critiques viennent interrompre la continuité
du temps... « le temps où se passent les choses magiques et reli-
gieuses est discontinu ; il y a des à-coups de sa marche... Ainsi
l'institution des calendriers n'a pas pour objet unique ni sans
doute pour objet premier de mesurer l'écoulement du temps
mesuré comme quantité. Elle procède non pas de l'idée d'un
temps purement quantitatif, mais de l'idée d'un temps pure-
ment qualitatif composé de parties discontinues, hétérogènes
et tournant sans cesse sur lui-même... » (ibid., pp. 199 et 229).
Le calendrier liturgique catholique illustrerait bien cette
description. Les quatre semaines de l'Avent condensent les
millénaires de l'attente d'un Messie depuis la chute d'Adam et
d'Ève, les six semaines de Noël au 2 février récapitulent l'en-
fance du Christ, et la Semaine Sainte a la même durée que les
événements qu'elle évoque.
Nos représentations de la vie civile présentent les mêmes
caractères. Chaque année qui s'achève a eu son rythme propre
marqua par les saisons, les grandes fêtes civiles ou religieuses,
les vacances, etc., et les années sont plus semblables par cette
répétition de rythmes de l'activité collective que par l'légalité
de leur durée pour laquelle nous faisons confiance aux astro-
nomes sans pouvoir en vérifier la réalité par notre expérience.
Ce rapprochement entre les représentations du temps
individuel et celles du temps historique a un sens profond.
Halbwachs, qui a souligné toute l'importance des cadres sociaux
dans la constitution de la mémoire individuelle, a fait justement
remarquer dans un article posthume (1947) que les dinférentes
séries chronologiques de notre mémoire correspondent aux
différents groupes sociaux auxquels nous appartenons : « Il y a
un temps de la vis professionnelle, familiale, religieuse, civile,
militaire, avec des origines différentes. »
D'une manière générale, celte importance du groupe social
sur la constitution de l'horizon temporel a été illustrée par les
recherches sur le temps écologique. Par exemple, Bernot et
Blancard (1953), étudiant un village français de Normandie
où cohabitent deux populations différentes, l'une de ruraux
enracinés depuis longtemps dans leur terroir, l'autre d'ouvriers
verriers qui se recrutent dans d'autres provinces de France,
P. FRAISSE 12
178
8 YSYC,'ü01,0(?IEI117 TEMPS

ont mis en évidence que les perspectives temporelles des deux


groupes étaient différentes. Le rural vit dans une durée qui est
celle même de sa famille et ses évocations remontent au-delà
de ses souvenirs personnels. « Cette terre a été achetée par son
grand-père, ce bâtiment a été construit par son père » ; à
lui-même, tous les chemins, tous les habitants évoquent le passé.
L'ouvrier verrier, lui, un immigrant, a été coupé de ses ancêtres
et de leur oeuvre. Peut-être qu'ouvriers comme lui, ils n'avaient
jamais été enracinés sur une terre ou dans une maison. Une
fois qu'il a été transplanté dans un nouveau pays, ses propres
souvenirs, ceux de sa jeunesse ne s'inscrivent pas dans son
nouveau milieu. Il est presque sans passé.
Chacun de nous appartenant à plusieurs groupes a ainsi
plusieurs perspectives sur son passé. Elles ne sont pas homogènes
entre elles. Sans doute, nous verrons (chap. VIII) que nous
pouvons passer des unes aux autres par un raisonnement et en
replaçant tous les événements dans un temps abstrait qui ne
correspond plus aux réalités vécues. Mais, spontanément, nous
ne pouvons que constater l'hétérogénéité de ces différentes pers-
pectives : « La correspondance entre le temps du bureau, le temps
de la maison, le temps de la rue, le temps des visites n'est fixée
qu'entre des limites parfois assez larges (Halbwachs, 1947, p. 6).
Sans aller jusqu'à dire avec cet auteur que, pour chacun de
nous, la durée intérieure se décompose en plusieurs courants
qui ont leur source dans les groupes eux-mêmes, et que la
« conscience individuelle n'est que le lieu de passage de ces cou-
rants, le point de rencontre des temps collectifs n, il reste vrai que
nos perspectives temporelles sont relatives à chacun des groupes
auxquels nous appartenons et où naissent à la fois expérience
et cadres de référence. Les discontinuités et l'hétérogénéité
que nous constatons à la fois dans les perspectives de notre
propre histoire et dans celles du temps historique sont du même
ordre, tant il est vrai que nous ne sommes jamais seuls et que
nos souvenirs les plus individualisés dépendent étroitement des
groupes dans lesquels nous vivens.
3° L'ANTICIPATION DE L'AVENIR

Dans les premiers élans du jeune enfant, il y a l'ébauche


d'une anticipation. Cette impulsion est en quelque sorte indé-
terminée. Par le jeu des réactions circulaires et du condition-
L'IIORIZON 1'ElVlYOR.EL 179

nement instrumental, il s'établit une relation entre l'impulsion


et l'acte qui procure la satisfaction. Cette liaison crée les séries
pratiques dont parle Piaget. La loi de l'effet entraîne ainsi la
première base de la construction d'un avenir, puisque l'enfant
- comme l'animal - est alors capable d'organiser sa conduite
en fonction d'une succession. En posant un acte ou en observant
un signal, il anticipe - sur la base de l'expérience passée -
ce qu'il fera dans quelques instants.
Les conditions temporelles de cette liaison apparaissent
dans les recherches qui ont été faites sur les réactions différées
de l'animal. En effet, si, entre un signal qui prend un sens en
fonction des besoins de l'animal et la satisfaction proprement
dite, il s'écoule un délai trop long, la liaison ne s'établit pas.
Des rats n'apprennent à appuyer sur un levier pour obtenir de
la nourriture que si le délai entre ce geste et le moment où la
nourriture apparaît ne dépasse pas 30 s (Roberts, 1930). Des
singes peuvent retrouver à coup sûr une nourriture que l'on
cache sous une des deux tasses renversées qui se trouvent
devant eux, si le délai entre le moment où l'on cache la
nourriture et celui où on leur permet de la rechercher est
inférieur à 90 s (Jacobsen, 1936). Ces délais représentent en
quelque sorte la durée pendant laquelle se maintient l'orien-
tation vers l'avenir. Ils varient évidemment avec la situation
expérimentale (1) et les chiffres que nous avons cités n'ont
aucune valeur absolue.
Ce type de recherches a un autre intérêt : il nous éclaire sur
les centres nerveux qui sont mis en jeu dans ces conduites.
En effet, on a constaté que les singes auxquels on ôte les lobes
frontaux deviennent incapables d'avoir des réponses différées.
Même au bout d'un délai de 5 s, l'animal semble ne plus se
rappeler quoi que ce soit. Il semble avoir comme un trouble
de la mémoire immédiate (Jacobsen, 1936) ; mais Malmo (1942)
a montré qu'en réalité il y avait surtout chez lui une sensibilité
plus grande aux inhibitions rétroactives. En effet, si, entre
le moment où on indique à l'animal la place de la bonne

(1) Ainsi des rats n'apprennent à attendre 3 s pour saisir une boulette de nourri-
ture que si le choc qui punit la violation de ce« tabou opérationnel» suit immédia-
tement la violation. Si le choc est différé de quelques secondes, ou bien l'animal
prend malgré tout la nourriture dès qu'elle se présente au mépris du choc ultérieur,
ou bien toute activité est inhibée ; dans les deux cas l'animal n'apprend pas à
respecter le délai qu'on lui impose (Mowrer, 1950, chap. XV).
180 PSYCHOLOGIE Df7 TEMPS
..- ... --

réponse (dans l'expérience de Malmo, une lumière indique le levier


sur lequel il faut appuyer) et le moment de la réponse, on laisse
l'animal dans l'obscurité, il donne un pourcentage de réponses
différées exactes presque aussi grand après l'ablation des lobes
frontaux qu'avant. Cette observation éclaire les conduites
d'anticipation qui exigent que les excitations qui nous orientent
vers l'avenir ne soient pas comme effacées par de nouvelles
incitations. Cette orientation au niveau du cortex dépend de
l'intégrité des seuls lobes frontaux, car des ablations extensives
d'autres aires ne produisent aucun déficit semblable (Jacobsen,
1936). Cependant, les lobes frontaux ne semblent pas seuls inté-
ressés par ces conduites. En effet, les animaux seulement leuco-
tomisés ont aussi des troubles des réactions différées et il faut
admettre qu'un noyau infracortical ayant des projections cor-
ticales peut être impliqué dans ces conduites. Les plus récentes
hypothèses supposent qu'il s'agirait du noyau caudé (Peters,
Rosvold et Mirsky, 1956). Il faut sans doute rapprocher ces
résultats, obtenus sur les animaux, des observations cliniques
faites sur les malades ayant subi des leucotomies et chez qui on a
souvent noté qu'ils vivent plus dans le présent qu'avant leur
maladie et qu'ils semblent indifférents aux prévisions (Petrie,
1952 ; Le Beau, 1954).
*
* *
Chez l'homme, les réactions différées changent de nature : i
à partir d'une incitation présente, il devient capable de se
représenter le but à atteindre. En l'exprimant, il le fixe et il
peut y revenir plus facilement et plus longtemps par la suite.
On voit d'ailleurs que l'horizon temporel projectif du jeune
enfant ne s'étend au-delà de quelques secondes qu'au moment
où l'avenir n'est plus seulement vécu dans l'acte présent, mais
est susceptible de représentation. Il peut alors se créer une
réelle distance temporelle entre le désir présent et le but à
atteindre.
Ces représentations au début ne sont cependant que des
reproductions des séries vécues et l'avenir n'est imaginé que
comme une répétition du passé (1). Les perspectives tempo-

(1)« ... Monpasséne projetaitplus devantmoicette ombrede lui-mêmeque


nous appelonsnotre avenirM (Proust).
L'HORIZON TEMPOREL 181

relles ne se déploient réellement que lorsque l'être humain


devient capable, par le jeu des expériences symboliques, de
concevoir un avenir qui soit création par rapport à sa propre
histoire. Cette création n'est elle-même possible chez que ceux
que le dynamisme même de l'activité porte au-delà de la situa-
tion présente. D'une manière générale, l'avenir ne se déploie
que dans la mesure même où les êtres imaginent un avenir qui
leur paraît réalisable.
Notre attitude envers la mort le montre clairement. Sans
doute, elle est un terme connu, susceptible d'entraîner en nous
l'anxiété ou des conduites religieuses qui, au niveau de la religion
close, sont une défense contre l'inconnaissable. Mais, à aucun
âge, comme le remarque Merleau-Ponty (1947), elle ne s'ins-
crit dans nos perspectives temporelles, sauf chez l'homme
religieux qui la considère comme un passage vers une autre vie.
La mort, sous son aspect de fin absolue, n'est pas un objectif
à atteindre.
Cet exemple montre assez comment l'avenir est lié à l'acti-
vité même, ce qui faisait dire à Guyau (ibid., p. 33) : « Il faut
désirer, il faut vouloir, il faut étendre la main et marcher pour
créer l'avenir. L'avenir n'est pas ce qui vient vers nous, mais
ce vers quoi nous allons. » Il y a, il est vrai, deux manières
d'envisager l'avenir. Dans l'une, il est la perspective d'une
conquête vers laquelle nous avançons ; dans l'autre, il est
prévision d'un indéterminé qui s'accompagne « d'un sentiment
d'insécurité et d'inquiétude » ou même d'angoisse, celle-ci
étant « l'expérience de la vie en tant qu'elle se réduit à
l'expérience de l'avenir et qu'elle l'élève elle-même jusqu'à
l'absolu » (Lavelle, 1945, pp. 276-278). Dans ce deuxième
cas, il y a comme une attente passive de l'avenir qui semble
alors venir vers nous.
De quelque façon qu'il soit envisagé, l'avenir est avant tout
l'expérience d'un intervalle temporel : cette distance entre
« la coupe et les lèvres » qu'évoque Guyau (ibid., p. 34). Mais
celle-ci n'est pas plus l'objet d'une représentation immédiate
dans le futur que dans le passé. Et même moins. Nous construi-
sons notre passé avec des souvenirs qui sont déterminés,
tandis que nos perspectives d'avenir restent toujours indéter-
minées et d'autant plus que certaines d'entre elles ne sont pas
de simples reviviscences du passé. « L'expérience de l'avenir
182
2 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

réalise une expérience du temps plus pure que l'expérience du


passé où cet intervalle est déjà rempli et où nous sommes moins
sensibles, si l'on peut dire, à son contenant qu'à son contenu »
(Lavelle, ibid., p. 279). Nous restons toute notre vie dans des
perspectives projectives assez semblables à celles de l'enfant
pour qui tout le futur se situe dans l'indéterminé du demain.
Certes nous pouvons dater nos projets grâce à nos schèmes du
temps, à des constructions logiques, mais sur le plan vécu, il n'y
a guère que projection du désir ou de la crainte et en ce sens
nos perspectives dépendent très étroitement de l'état affectif
présent. Que nous soyons un peu fatigués et immédiatement
nos projets semblent irréalisables, l'avenir bouché. Inversement
d'ailleurs, nos états affectifs dépendent de la distance temporelle
qu'il y a entre le moment présente et une situation future. Les
recherches sur le gradient de but poursuivies aussi bien dans la
perspective de Hull (1934) que dans celle de Lewin ont mis en
évidence que les caractères d'une réaction (vitesse, force)
dépendaient de la proximité aussi bien spatiale que temporelle
du but. Il y a un gradient d'approche aussi bien que d'évite-
ment. Plus on est près du but, et plus la force de la réaction
est grande (Miller N. E., 1944 ; voir chap. II, p. 66). Il est
facile d'observer dans les conduites humaines ces gradients
au cours de l'attente (Cohen J., 1953). Les fiancés, plus
approche la date de leur mariage, la femme enceinte près
du terme de sa délivrance, éprouvent ces effets. Lewin (1935,
p. 88) remarque qu'il arrive aux délinquants condamnés à
plusieurs années de prison de s'évader dans les derniers
jours de leur détention.

*
* *
Les deux perspectives - reconstruction du passé et antici-
- ne se développent pas du tout dans les
pation de l'avenir
mêmes conditions. Le passé se constitue, avons-nous vu, grâce
au signe temporel que reçoit tout événement vécu et par l'orga-
nisation sérielle des souvenirs facilitée par le calendrier et les
repères sociaux en général. Les perspectives futures sont,
elles, fonction de la possibilité d'échapper à un présent déter-
miné par la situation ou par l'emprise du passf. Il n'y a avenir
que s'il y a, en même temps, désir d'autre chose et conscience
L'HORIZON TEMPOREL 183

de la possibilité de le réaliser. Or, ces deux conditions tiennent


à des facteurs à la fois biopsychologiques et sociologiques,
étroitement liés d'ordinaire. Le désir naît d'un besoin insa-
tisfait, mais il ne se développe que si l'être prend conscience,
à travers des satisfactions intermédiaires, qu'il peut par son
activité le combler. Autrement, il se crée une extinction du
désir par manque de renforcement. Ainsi les enfants qui réus-
sissent mieux à l'école pensent plus à l'avenir et ont des pers-
pectives temporelles plus étendues que ceux qui ont des échecs
scolaires (Teahan, 1958). Certes, le succès dans la satisfaction
dépend de la santé physique et mentale (le malade chronique
apprend, dit-on, à ne plus rien désirer) ; il dépend aussi du
statut social de l'individu et des possibilités que lui donnent
son éducation, son métier et sa fortune.
Dans le travail déjà cité, Bernot et Blancard ont montré
que les deux populations de Nouville, paysans et ouvriers ver-
riers, n'avaient pas plus la même attitude envers l'avenir
qu'envers le passé. Le paysan, fixé sur sa terre, a le souci de
donner une situation à ses enfants et de les installer à leur tour ;
son avenir est lui-même déterminé par les grandes étapes de
sa vie : la moisson, la durée des baux, etc. L'ouvrier verrier n'a
guère de calendrier proprement dit ; sa vie est scandée uni-
quement par son activité professionnelle marquée par les alter-
nances d'équipe de jour ou de nuit ; pour ses enfants, il prévoit
l'école, puis la première place qu'il pourra leur trouver, à la
verrerie sans doute, et c'est tout.
Si on demande à des enfants de 8-10 a. d'inventer des
histoires, celles qu'imaginent les enfants des classes moyennes
couvrent une période de temps plus grande que celles des
enfants de milieux populaires (Leshan, 1952). Ce résultat
s'expliquerait par le fait que, dans les milieux populaires, les
séquences de tensions et de satisfactions sont beaucoup plus
courtes et que les individus s'épargnent les frustrations qu'en-
traîneraient des plans à perspectives trop lointaines. Dans les
classes moyennes au contraire, les individus peuvent organiser
leur vie en cycles plus longs et agir en fonction de leurs projets.
Cette observation ne signifie pas que la tolérance à la frustration
est moindre en général dans les milieux populaires. Ellis et ses
collaborateurs (1955) ont nettement montré qu'il n'y avait pas
dans un milieu de relation entre la tolérance habi-
184 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
.- .-- ....- - .. -

tuelle à la frustration (1) et la durée des histoires imaginées.


Mais, à niveau égal de tolérance générale à la frustration,
il est vrai que les conditions dans lesquelles nous vivons nous
incitent à éviter les frustrations provoquées le plus fréquemment
par notre situation. Ce mécanisme de défense nous empêche de
désirer ce que nous ne pouvons pas atteindre, conduite dont les
« raisins verts » de la fable sont un symbole. Entre plusieurs
activités, nous choisissons celle où nous pouvons réussir (Rosenz-
weig, 1933). Il est donc normal et vraisemblable que dans
les milieux où les besoins immédiats mobilisent toutes les
énergies, les perspectives temporelles soient limitées à ce qui
peut être atteint tout de suite. Ainsi, des enfants américains
qui se reconnaissent comme appartenant aux classes moyennes
déclarent que s'ils gagnaient un prix de 2 000 dollars, ils
économiseraient plus qu'ils ne dépenseraient tout de suite,
tandis que les enfants du milieu ouvrier affirment le contraire
(Schneider et Lysgaard, 1953). Doob (1960) a constaté des
faits analogues dans trois peuples africains. A un groupe d'indi-
vidus très cultivés (niveau des études supérieures) et à un
groupe d'individus peu cultivés (de 0 à 4 ans de scolarisation),
il a posé la question : « Pr. féreriez-vous recevoir immédiatement
5 livres sterling que 50 livres dans un an ? » Les pourcentages
des réponses affirmatives dans les trois peuples ont été respec-
tivement :
- dans les
groupes très cultivés : 14 31 %, 11 % ;
- dans les groupes peu cultivés : 32 %, 24 °,ô.
Ce résultat est confirmé par les réponses de ces mêmes
individus à une question plus générale : (r Est-il vrai de dire que
c'est du temps perdu que de faire des plans pour l'avenir ? »
Ceux qui acceptent ce point de vue sont :
- dans les
groupes très cultivés : 17 %, 16 % et 34 °/, ;
- dans les groupes
peu cultivés : 42 %, 22 % et 66 °;,.

(1) Au planindividuel,cette tolérancedépendd'abordde la stabilitéémotive


et cette stabilitécroîtavecl'âgecheztousles êtreshumains.La maturationbiolo-
gique,commeledéveloppement y ontleurpart. L'enfantapprend
dela personnalité.
ainsi, à mesurequ'il grandit,à mieuxsupporterl'attente, c'est-à-direun délai
dansla réalisationd'unacteconçu(Fraisseet Orsini,1955).Il devientaus i capable,
devantdeuxsatisfactionsoffe, tesdont le prix diffire,de préférerde rias en plus
fréquemment cellequi a le plusde valeur,mêmes'il ne doitl'obtenirqueplustard,
à cellequi a le moinsde prix et qui lui appartiendraitimmédiatement (Irwinet
ses collaborateurs,1943et 19.56).
L'HORIZON
.. TEMPOREL 185
- .- ..-_.

Le rythme même des paiements des salaires a son rôle à


jouer et l'ouvrier payé à la journée n'a pas les mêmes conduites
temporelles que le mensuel des classes moyennes ou que le
rentier qui perçoit annuellement ses dividendes ou ses fermages.
En conclusion, les perspectives projectives d'un individu
dépendent de sa capacité d'anticiper l'avenir. Cette anticipation
est une forme de construction que forge l'individu. Elle fait
des emprunts à son expérience passée, mais elle est mue par
ses désirs présents et s'inssre dans le cadre de ce qu'il considère
appartenir au possible. Objectera-t-on à cette analyse la
construction des « châteaux en Espagne » ? Dans ce dernier cas,
ou bien il s'agit de rêves avec lesquels joue l'imagination de
l'individu, sans les inscrire réellement dans des perspectives
temporelles, ou bien le contact avec la réalité est perdu et le
malade croit vivre ses rêves. Ni les uns ni les autres ne sont
réellement projets d'avenir. Nous y reviendrons en étudiant
l'influence de la personnalité sur l'horizon temporel.

II
LA DIVERSITÉ DES HORIZONS TEMPORELS

Toutes nos analyses précédentes ont mis en évidence que


l'horizon temporel de chaque individu était le résultat d'une
véritable création. Nous construisons notre passé comme notre
avenir. Les caractéristiques adaptatives de cette activité sont
évidentes. Il s'agit pour l'homme de s'affranchir en quelque sorte
du changement qui l'entraîne, en conservant le passé disponible
par la mémoire et en conquérant à l'avance l'avenir par la
prévision. Cette prise de possession du temps est essentielle-
ment une oeuvre individuelle marquée par tout ce qui déter-
mine la personnalité, l'âge, le milieu, le tempérament, l'expé-
rience. Chaque individu a ses propres perspectives. Ici toute
comparaison avec l'espace ne pourrait que nous induire en
erreur. L'espace est une collection d'objets et ce sont eux qui
déterminent pour une large part la structure de l'espace perçu.
Le temps est certes la suite des changements, mais chacun
d'eux n'existe pour moi - à part le changement présent - que
comme souvenir ou comme anticipation, c'est-à-dire qu'ils ne
sont que des re-présentations. L'espace est d'abord présentation ;
186 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

il s'impose à moi. Le temps est une conquête profondément


marquée par la personnalité de chacun.
Le champ de ce problème est immense ; nous nous conten-
terons d'indiquer quelques grandes variétés typiques de l'hori-
zon temporel individuel. Au-delà, seules des monographies
pourraient rendre compte de l'infinie diversité des perspectives
temporelles de chacun.
10 L'INFLUENCE DE L'AGE SUR L'HORIZON TEMPOREL

Chaque âge a un horizon temporel différent. L'étude géné-


tique nous a permis au début de ce chapitre de saisir la nature
même des perspectives temporelles en les regardant se consti-
tuer. Sans revenir sur cet aspect, il nous faut suivre maintenant
leur développement qualitatif et quantitatif tout au long de la
vie de l'individu.
Le premier indice qui révèle comment l'individu tient
compte du passé et de l'avenir est sans doute son activité. Tout
acte se réfère à un passé et à un futur, mais souvent cette
référence n'est pas explicite et ne comporte pas une localisation
dans le temps. Du développement de l'horizon temporel, on
peut cependant trouver une indication dans les réactions diffé-
rées que nous avons déjà invoquées. Elles montrent une liaison
vivante entre l'avant et l'après. On peut procéder avec l'enfant
comme avec l'animal. Sous ses yeux, on cache dans un appareil
à choix multiples un objet désiré et on le retient d'aller saisir
l'objet avant que se soit écoulé un certain délai. A mesure que
l'âge croît, on peut augmenter les délais sans compromettre la
réussite. Ces délais sont évidemment chaque fois relatifs à une
situation, mais le fait important est que, pour chaque type de
problème, il y a une augmentation avec l'âge. Ainsi Hunter
(1913), dans un appareil à choix multiples à trois éventualités,
trouve que le délai tolérable croît de 50 s à 2 a. 6 m. jusqu'à
35 mn à 6 a. A propos d'un autre problème, Skalet (1930-1931)
trouve que le délai qui est de quelques heures à 2 a. atteint
34 jours à 5 a. 6 m. A mesure que l'enfant grandit, il est capable
de tenir compte dans son activité de ce qui a précédé et de ce
qui suivra : L'accroissement par rapport à la dimension du
temps psychologique continue jusqu'à l'âge adulte. Les plans
s'étendent plus loin dans l'avenir et les activités de longueur
croissante sont organisées comme une unité » (Lewin, 1952).
L'HORIZON TEMPOREL 187
--

C'est cependant le langage qui permet le mieux de se rendre


compte de l'étendue des rétrospections et des projections, aussi
bien de l'enfant que de l'adulte. Chez l'enfant, le développement
du vocabulaire et celui des formes grammaticales sont des indices
qui s'ajoutent à ceux que fournissent des observations plus
précises.
Vers 1 a. 6 m., l'enfant commence à évoquer un objet qui
n'est pas présent, c'est-à-dire qui est absent sans que l'on puisse
dire s'il se situe pour lui dans le passé ou le futur (Lewis, 1937).
Vers l'âge de 2 a., l'enfant est capable d'évoquer des souvenirs
qui datent d'un mois environ ; vers 3 a., on trouve déjà des
souvenirs vieux d'une année, et vers 5 a. de 2 années. Vers 7-8 a.,
le passé de l'enfant commence à déborder son expérience per-
sonnelle. Il apprend à s'intéresser à ce qui l'a précédé, à l'his-
toire de ses parents et à l'histoire tout court (Malrieu, 1953,
pp. 85-87). Évidemment, au début, il y a évocation sans locali-
sation dans le passé. Cependant entre 2 et 3 a., l'enfant se met
à employer le participe passé et l'imparfait, ce qui traduit une
première orientation temporelle. La conscience de l'avenir se
manifeste dans l'anticipation des séquences de comportements.
Vers 1 a. 6 m., un enfant qui rentre vers l'heure de son bain est
capable de répondre « bain » à la question « où allons-nous ? »
(Lewis, 1937). C'est seulement entre 2 a. 6 m. et 3 a. qu'appa-
raissent les références à un avenir plus lointain ; l'enfant parle
de « midi », « demain », sans que ces expressions signifient autre
chose qu'une référence à un avenir proche mais indéterminé
(L. W. et Cl. Stern, 1907 ; Decroly et Degand, 1913 ; Gesell et
Ilg, 1949). Vers 3 a., l'enfant commence à préciser ce qu'il
pense faire le lendemain et, vers 3 a. et 6 m., à situer les événe-
ments habituels de la semaine, en particulier ceux des jours
exceptionnels comme le dimanche. Vers 4 a. apparaît la référence
à une prochaine saison, « l'été ou l'hiver prochain », et l'enfant
commence à prévoir les fêtes importantes comme celle de Noël
ou son anniversaire, ces prévisions devenant assez précises vers
l'âge de 5 a. (Gesell et Ilg, 1949, p. 462 ; Decroly et Degand,
1913). Vers 8 ans, l'enfant qui devient capable de s'intéresser à
une histoire qu'il n'a pas vécue élabore aussi ses premiers plan.
d'un avenir qui dépasse le cadre de ses activités coutumières.
Il parle de sa vie d'adulte : « Je me marierai... Je serai chef de
gare... », plans qui se précisent vers 9 a. (Gesell et Ilg, p. 464).
188 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

La compréhension des termes qui situent avec précision le


temps par rapport au moment présent ou par rapport au calen-
drier permet de saisir comment l'enfant conquiert le temps,
comment il s'y situe et situe les événements vécus ou à vivre.
En nous appuyant à la fois sur Stern (1907), Decroly et Degand
(1913), Oakden et Sturt (1922), Bradley (1947), Ames (1946),
Gesell et Ilg (1949) et Malrieu (1953), nous avons dressé une
chronologie de la compréhension ou de l'emploi des termes
désignant une localisation précise. Les âges sont évidemment
approximatifs et les différents auteurs ont des désaccords qui
dépassent parfois une année. Plus important est l'ordre même
de la fixation des mots qui traduit à sa manière l'expansion de
l'horizon temporel.
Reconnaître un jour privilégié de la semninc, comme
le dimanche .................................. 4 ans
Préciser si on est le matin ou l'après-midi.......... 5 -
Utiliser exactement« hier » et « demain » ......... 5-
Indiquer le jour de la semaine .................... 6-
- le mois ................................. 7 -
- la saison ............................... 7-8 -
- l'année.................................. 8-
- le jour du mois ......................... 8-9 -
estimer la durze :
a) D'une conversation ...................... 1 12 -
b )« Depuis les vacances» ................... Î
cc
C) Jusqu'aux vacances » ...................
Donner l'heure à 2J Inn près...................... 12 --

Il ressort de ce tableau qu'il y a progrès simultané de la


localisation dans le passé et dans le futur, comme l'a remarqué
Malrieu (ibid., p. 84). D'autre part, il faut noter que l'enfant
s'oriente d'abord dans les activités cycliques qui ont un rapport
direct avec le rythme de son existence : avant de s'orienter
dans les jours privilégiés de la semaine, nous savons qu'il
s'adapte très vite au cycle de chaque journée. Ensuite, c'est en
ayant recours à l'organisation de séquences des périodes de
temps vécu qu'il conquiert le temps, s'y oriente et localise un
moment par rapport aux autres (Farrell, 1953).
Dans le temps conventionnel, le tableau montre que son
orientation se développe peu à peu entre 6 et 9 a. ; plus tard
seulement il est capable d'estimer les durées en unités de temps,
L'HORIZON TEMPORI;l, 189
_....... _ .......... _ ...

mais ceci est un autre problème sur lequel nous reviendrons


dans les chapitres suivants.
Ce développement des perspectives temporelles ne se produit
qu'au fur et à mesure de celui des activités mentales. Par
exemple, la localisation d'un événement par rapport au temps
conventionnel n'est possible que lorsque l'enfant est capable
de l'opération par laquelle il réalise la co-sériation de deux séries
d'événements : celle qu'il vit et celle que lui propose la société.
Or ce n'est qu'à partir de 6 ans, époque où commencent ces
opérations, que l'enfant est capable de cette orientation. Avant,
il ne peut situer ses propres actes les uns par rapport aux autres
que par un simple classement en « avant » et en « après ». Il est
alors naturel que les auteurs aient trouvé une forte corrélation
entre la compréhension du vocabulaire temporel, l'orientation
dans le temps et les résultats aux tests d'intelligence générale,
qu'il s'agisse d'enfants, d'adultes ou de débiles (Friedman,
1944 ; Buck, 1946 ; Levine M. et Al., 1959 ; Brower et Brower,
1947 ; Johnson, 1964).
Cependant, les perspectives temporelles ne dépendent pas
que de l'âge et de l'intelligence. Elles semblent aussi li?es à
la tolérance à la frustration ou, plus explicitement, à la capacité
d'atteindre des satisfactions différées (voir p. 191). Plus l'enfant
est capable de choisir plutôt une récompense importante et
différée qu'une récompense faible et immédiate, et plus ses
perspectives vers l'avenir semblent étendues (Mischel et
Metzner, 1962).
Ce type de considérations ne nous apprend pas le rôle res-
pectif que j oue le passé ou l'avenir dans la vie de l'enfant. Sur
cette question, on en est réduit à l'heure actuelle à des géné-
ralités. Au moment où l'enfant se dégage de la confusion entre
le passé et l'avenir, il est manifeste que l'avenir joue un beau-
coup plus grand rôle dans ses perspectives conscientes que le
passé, même si sa vie n'est évidemment que répétiti3n de ce
qu'il a fait et appris jusque-là. « Quand j'irai à l'école.., quand
j'aurai 7 ans..., 10 ans..., 16 ans » sont les variations d'une
conversation qui tourne autour du même thème : « Quand
je serai grand. » S'il se penche sur son passé, ce n'est que par
touches brèves, pour se situer par rapport aux autres, mais
sans y attacher d'importance. Chez l'adulte, par contre, on
observe avec l'âge une diminution progressive de l'importance
190 /'S Yc/lOLOG1EI)IJ TEMPS

attachée à ce qui viendra et une importance accrue de ce


qui s'est passé. Au thème de « quand je serai grand, quand
je serai marié, quand j'aurai une auto n, succède peu à peu le
thème « de mon temps, quand j'étais enfant, quand j'étais
jeune... ». Les personnes âgées s'enferment de plus en plus dans
un présent qu'elles ne vivent que par référence au passé
(Visher, 1947). Cependant, il faut distinguer, avec Kasten-
baum (1963), la capacité des personnes âgées à penser le futur
et celle d'envisager leur avenir personnel. Ce dernier aspect
seulement est modifié par la vieillesse en fonction de la dimi-
nution de l'espérance de vie.
Ainsi, si l'on néglige de fortes différences individuelles sur
lesquelles nous allons revenir, tout se passe comme si l'homme,
en se situant dans le temps, compte tenu de l'espérance de vie
moyenne, attachait la plus grande importance à la partie la
plus longue de sa vie, c'est-à-dire celle qui n'est pas encore vécue
quand il est jeune, et celle qu'il a déjà vécue quand il est âgé.
Ce point de vue permet sans doute d'expliquer qu'entre 40
et 50 ans, il y ait dans toute vie humaine une période critique,
celle justement du milieu de la vie, où on passe progressivement
de la jeunesse à la vieillesse avec tous les réajustements des pers-
pectives temporelles que cette mutation entraîne. Cependant,
nous avons toujours tendance à situer la vieillesse au-delà de
notre âge actuel et notre conception de l'âge chronologique se
modifie à mesure que nous vieillissons (M. Wertheimer, 1960).
20 L'INFLUENCE DE LA PERSONNALITÉ

Nous vivons toujours dans le présent, mais il y a deux


manières de le vivre. L'une consiste à être coexistant à la situa-
tion présente, l'autre au contraire à s'en détacher pour se
transporter par l'imagination en un temps qui n'est plus ou dans
un temps qui n'est pas encore. Dans ce deuxième cas, le passé
ou l'avenir devient un présent vécu. La rêverie, la lecture d'un
roman, une représentation cinématographique concrétisent ce
genre de situations dans lesquelles nous vivons d'abord dans un
autre temps que celui de notre activité présente. Au cinéma,
je suis plus dans le temps du film qu'en train d'assister à un
spectacle. La pathologie mentale offrirait aisément des exemples
extrêmes de telles transpositions. Sans aller jusque-là, chaque
instant de notre vie comprend des perspectives temporelles
L'HORIZON TEMPOREL 191
_

telles que la part vécue qui revient au présent, au passé ou à


l'avenir varie dans de notables proportions. De là naissent ce
que Malrieu a appelé des « attitudes temporelles » que peut
atteindre non seulement la phénoménologie du temps vécu,
mais aussi l'étude du comportement, car nos actes en définitive
en dépendent : « Suivant que nous serons attachés à la vie
quotidienne ou à l'avenir individuel, fixés sur la mort, sur le
passé ou sur l'avenir humain, nos actes auront une ampleur bien
différente » (Malrieu, ibid., p. 22).
Ces attitudes apparaissent en chacun de nous à mesure
même que nous constituons nos perspectives temporelles, notre
temps personnel. L'analyse peut facilement y déceler des
influences nombreuses où s'allient à la fois le mode d'aborder
la réalité qui dépend de notre tempérament et la manière dont
notre histoire personnelle nous a façonnés. Or cette histoire
elle-même s'insère dans une culture où les instances temporelles
peuvent être valorisées différemment suivant les époques et les
civilisations. Malrieu a justement essayé d'opposer les philo-
sophies éternistes qui vouent l'humanité à un effort constant
pour façonner un type immuable d'homme, et les philosophies
progressistes tendues vers la conquête du temps qui apporte
sans cesse quelque chose de nouveau à l'homme.
A travers la philosophie, et surtout la littérature, Poulet,
dans ses Études sur le temps humain (1950), a montré de façon
pénétrante comment d'une époque à l'autre le temps était vécu
d'une manière nouvelle et combien d'un individu à l'autre
variaient les perspectives temporelles. Nous ne pouvons ni le
suivre ni le résumer, mais nous lui emprunterons de nombreux
exemples dans notre description des grands types d'attitudes.
A côté des analyses basées sur l'observation du comporte-
ment, sur les interviews ou sur l'analyse du contenu des propos
ou des écrits, les psychologues ont développé ces dix dernières
années des méthodes originales pour étudier les perspectives
temporelles d'individus ou de groupes sociaux. Nous y faisons
de nombreuses allusions dans le texte, mais il apparaît utile
de classer ces méthodes en fonction de l'objectif à atteindre.

1° La tolérance à la frustration ou les satisfactions différées.


Cet aspect trè? primitif dans le développement de la per-
sonnalité semble caractéristique, pour les psychologues, de
142
2 1'5 'y'CIlOLOGlE DU TEMPS

la maturité et, pour les sociologues, d'une bonne intégration


dans une société développée. Les techniques utilisées, à côté
de l'observation et des questionnaires portant sur les conduites
impulsives, les conduites sexuelles, l'usage de l'argent et en
général sur toutes les motivations où il y a un choix centré sur
une satisfaction immédiate ou différée, ont surtout essayé de
provoquer des conflits chez l'individu. Ils sont présentés sous
forme verbale de type projectif. « Préféreriez-vous une
récompense x tout de suite ou une récompense plus forte
(n fois x) dans une semaine ou un mois ? n Surtout avec des
enfants et des adolescents, on peut concrétiser le conflit.
Après une épreuve qui justifie une récompense, on donne à
choisir entre une récompense faible mais immédiate, et une
récompense plus importante mais différée. Une forme parti-
culièrement précise consiste à donner comme récompense des
bons qui peuvent être utilisés dans un drug store voisin. La
valeur de ces bons augmente avec le temps qui passe (Bialer,
1961).
Une autre forme projective consiste à demander au sujet
de faire un récit de la manière dont il utiliserait une forte
somme gagnée, par exemple, dans une loterie ou reçue en
héritage.
Enfin, on peut utiliser les protocoles du Thematic Apper-
ception Test pour vérifier s'il y a prédominance d'un contrôle
interne ou d'un contrôle externe sur la conduite (Dounan et
Walker, 1956).

20 L'orientation des perspectives temporelles. De nom-


breuses méthodes ont été imaginées pour essayer de déceler
le rôle relatif du passé, du présent et du futur. Les principales
sont les suivantes :
a) Faire rédiger une autobiographie passée et future
(Israeli, 1936) ;
b) Demander au sujet de décrire dix choses différentes
auxquelles il a pensé (ou dont il a bavardé) dans la semaine,
en donnant suffisamment de détails. On déduit du nombre
relatif des items la prédominance de l'une ou l'autre perspective
temporelle ((Eson et Kafka, 1952 ; Teahan, 1958).
c) Les images du temps (Knapp et Garbutt, 1958). Ces
auteurs ont choisi des expressions pouvant être considérées
L'HORIZON TEMPOREL 193

comme des métaphores du temps. Après avoir éliminé les plus


banales et les plus incongrues, ils en ont retenu 25 parmi celles
que l'enquête préliminaire avait fait apparaître comme contro-
versées. Le sujet doit alors les classer en cinq catégories, suivant
qu'elles lui semblent plus ou moins appropriées au temps.
Par une méthode d'analyse factorielle, les auteurs distinguent
un premier facteur qui classe les items sur un continuum bi-
polaire, depuis un train en marche rapide, un cavalier au galop,
jusqu'à un océan tranquille ou une grande étendue de ciel et
un deuxième où il leur semble voir apparaître trois ensembles,
l'un dynamique et vif (préférence pour les items : une chute
d'eau rapide, un train rapide, un cavalier au galop, etc.),
l'autre naturaliste-passif (une vaste étendue de ciel, des nuages,
le rocher de Gibraltar, etc.) et, enfin, un qu'ils qualifient d'huma-
niste, car les images évoquent l'homme (un chapelet de grains,
une chandelle qui brûle, une vieille femme filant, une chanson
langoureuse, etc.). Le premier facteur semble le plus inté-
ressant.
d ) Le différenciateur sémantique. La technique d'Osgood
a été encore peu employée dans ce domaine, mais semble
prometteuse. Hariu (1963) a ainsi utilisé le différenciateur
sémantique pour caractériser le passé, le présent et le futur et
a trouvé des différences importantes. Kastenbaum (1959)
a aussi utilisé cette technique avec le mot : mort.

3° L'extension des perspectives futures.


a ) Les histoires à imaginer. Leshan (1952) a imaginé de
donner une première phrase à partir de laquelle le sujet doit
inventer une histoire (ainsi : Pierre pensait à propos de...) et
il doit après évaluer la durée du développement de l'histoire.
Kastenbaum (1965) a montré qu'en ajoutant un qualifi-
catif affectif à la situation (Jack s'éveillait se sentant merveil-
leusement bien...), les histoires se référaient plus souvent au
passé que si la phrase d'origine était neutre (Jean s'éveillait).

4° Cohérence et densité des perspectives futures.


Wallace (1956) a défini un indice de cohérence des pers-
pectives futures en demandant aux sujets : a ) d'indiquer à
quel âge 14 événements qui arrivent à presque tous les gens
surviendraient ; b) de classer ces 14 mêmes événements dans
l'. FRAISSE 13
194 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

l'ordre où ils pourront leur arriver. La cohérence est donnée


par la corrélation de ces deux séries.
La densité est définie par le nombre d'événements que le
sujet peut prévoir dans son avenir ou par le nombre d'identi-
fications personnelles que le sujet peut faire en réponse à la
question : « Que deviendrez-vous ? n (Kastenbaum, 1961).

*
* *
Pourmieux situer les types d'attitudes, il n'est pas mauvais
d'essayer de déterminer quelle est l'attitude la plus commune
dans notre civilisation et quelle part est faite au présent, à
l'avenir et au passé - chez l'adulte du moins. Dans une enquête
conduite auprès des étudiants, Israeli (1932) a constaté que le
présent leur apparaissait 1,2 fois plus important que le futur
et 12,7 fois plus important que le passé. Ce résultat semble
prouver que nous vivons ordinairement dans un présent orienté
vers l'avenir, mais qui se soucie peu du passé. Une récente
recherche de Farber (1953) apporte des indications analogues.
Il a demandé à des étudiants américains de classer les jours de
la semaine d'après leurs préférences (1 étant le jour préféré),
et il a obtenu le résultat suivant :
Lundi Mardi Mercre3i Jeudi Vendredi Samedi Dimanche

6,1 5,0 4,9 4,3 2,9 1,5 3,0

Des commentaires, il ressort que le samedi est le jour préféré


parce qu'il est empli d'activités libres (sports, spectacles, etc.),
mais aussi parce qu'il est vécu dans la perspective d'un jour de
repos. Si le lundi est au contraire le jour le moins apprécié,
c'est non seulement en fonction des activités qu'il comporte
et qui ne sont pas différentes de celles des autres jours de la
semaine, mais parce qu'il est vécu dans la perspective d'autres
jours de travail ; à mesure que l'on avance dans la semaine, les
jours apparaissent de moins en moins désagréables selon un
gradient régulier, et le vendredi, veille du jour préféré, paraît
aussi agréable que le dimanche. Il semble donc bien que les
sentiments sont d'al ord relatifs à l'activité présente, mais forte-
ment nuances par la réalité du proche avenir, tandis que le
passé ne semble pas jouer de rôle essentiel sur la manière d'envi-
sager le présent.
L'HORIZON TEMPOREL 195

Ces considérations sont renforcées si l'on observe l'attitude


de tous ceux qui vivent une période de leur histoire qui a un
terme fixé. Soldats faisant leur service militaire, prisonniers
dont la peine est à terme, se réveillent chaque matin en
comptant les jours qui les séparent de la libération, mais ne font
pas grand cas de la période déjà révolue (Farber, 1944).
A y regarder de près, toutes nos conduites ont d'ailleurs ce
même caractère. Elles sont déterminées par la situation présente
et orientées par un but à atteindre. Le passé fournit ses leçons,
mais il n'a pas dans la vie quotidienne d'intérêt en lui-même.
Notre présent est polarisé vers un futur, proche ou lointain,
craint ou désiré. « Notre vie est essentiellement orientée vers
l'avenir », concluait aussi Minkowski (1933, p. 279) à partir
de ses analyses. Toutefois il ne s'agit là que de la tendance la
plus fréquente. Nous allons déceler maintenant, en fonction
de la personnalité de chacun, des attitudes vitales qui valorisent
de préférence le présent, ou l'avenir ou le passé. Pour les décrire,
nous ferons un large appel à la pathologie qui joue en ces
problèmes le rôle de miroir grossissant, en exagérant des
attitudes qu'un critique attentif comme Poulet a pu déceler
chez les écrivains qui ont su exprimer à travers une oeuvres
leur propre horizon temporel.

A) L'emprise du présent
a) Il est des êtres qui ne vivent que dans le présent, simple-
ment parce qu'ils n'ont pas la possibilité d'avoir un horizon
temporel. C'est le cas de l'animal. Nous avons vu que le tout
jeune enfant était dans le même cas, et le débile mental qui
n'a pu se construire ni passé ni avenir n'échappe pas lui non
plus au présent. « Il ne voit que la jouissance du présent, le
reste se trouvant pratiquement en dehors de son appréciation o
(Minkowski, ibid., p. 335).
Mais il est d'autres êtres qui vivent principalement dans le
présent parce que leur horizon temporel s'est très notablement
rétréci. Cette involution peut avoir des causes multiples et des
aspects très divers.
Les maniaques, selon l'analyse de Minkowski (ibid., pp. 275-
276), sont justement des malades chez qui le contact avec la
réalité présente est bien conservé, o mais c'est uniquement un
contact instantané » sans que cet instant s'inscrive dans un
196 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

horizon temporel. Ces malades sont hypersensibles aux solli-


citations du monde extérieur : « Un objet sur lequel tombe leur
regard, une inscription, un bruit contingent, une parole qui
résonne par hasard à leur oreille sont de suite englobés dans
leurs dires... ils expriment leurs perceptions par des paroles et se
trouvent entraînés ensuite, sans but, par la stimulation créée
ainsi » (I?raepelin, cité par Minkowski). Leur vie dans le présent
est évidemment très pauvre -- comme celle en un sens de
l'animal ou du débile - car ils sont le jouet du ccmaintenant »
toujours variable, changeant d'un instant à l'autre. Le seul
enseignement qu'ils nous offrent est négatif : ils manifestent
que la vie dans le présent n'a de richesse et d'efficience qu'au
sein d'une organisation qui intègre les leçons du passé et qui
appelle l'avenir à répondre aux sollicitations du présent.
L'euphorie du maniaque est liée à ce rétrécissement de son
horizon temporel : ni le poids d'un passé, ni l'incertitude de
l'avenir ne viennent influer sur l'humeur qui dépend étroitement
du présent.
Le grand âge, lorsqu'il s'accompagne d'un affaiblissement
intellectuel, estompe à sa manière les perspectives temporelles
qui se sont développées avec l'intelligence. Le vieillard ne songe
plus à l'avenir et ses représentations du passé s'effacent. « Cette
impuissance de l'anticipation et cette imperfection de la rétros-
pection conditionnent une insouciance qui n'est pas de l'indif-
férence, mais de la sérénité... L'existence d'un détachement si
complet du passé et de l'avenir, des êtres et des choses, avec
conservation de l'adaptation au présent n'est peut-être que
l'aboutissement normal de la mentalité humaine, quand l'orga-
nisme, épargné par la maladie, subit l'épuisement de l'âge »
(Minkowski, ibid., pp. 340-41, d'après Courbon, 1927).
Ce dernier cas diffère cependant de celui des maniaques
en ce que le présent garde une consistance et une orientation.
Ce sont seulement les perspectives temporelles à long terme
qui se sont évanouies.
b ) En dehors de ces exemples où l'emprise du présent
résulte d'une sorte d'impuissance à envisager les perspectives
temporelles, il est d'autres cas où le rétrécissement de l'horizon
temporel au seul présent est le fruit des processus de défense
de l'individu contre les dangers qui proviennent du passé ou de
l'avenir et qui semblent menacer son intégrité.
L'HORIZON TEMPOREL 197

Il est vraisemblable que beaucoup d'enfants délinquants,


par exemple, sont sous l'empire de motivations qui ne permet-
tent pas de supporter le poids de la frustration que comporte
la lente réalisation d'un projet. Ce trait se révèle dans les
recherches de Barndt et Johnson (1955), qui ont trouvé que
les histoires imaginées par des garçons délinquants se dérou-
laient dans une étendue temporelle plus courte que celles
d'adolescents du même âge, de même niveau intellectuel et
de même statut socio-économique, et dans les recherches de
Mischel (1961) sur l'impulsivité des délinquants. Dans la même
perspective et en étudiant des adolescents manquant de stabi-
lité émotive, Levine et Spivack (1959) ont démontré qu'il y
avait une relation entre l'étendue de l'horizon temporel et la
capacité de sacrifier une satisfaction immédiate à un but plus
lointain, résultat retrouvé par S. L. Klineberg (1963).
Complémentairement, on trouve que chez des délinquants
soumis à une psychothérapie, les perspectives temporelles
(évaluées par le T.A.T.) vers le passé et surtout vers l'avenir,
s'allongent par comparaison avec un groupe contrôle (1).
La description qu'a faite Baruk de malades, anciens déportés
victimes pendant la guerre de persécutions raciales, permet de
saisir un mécanisme de ce refuge dans le présent : « Ces sujets,
ballottés, opprimés, menacés sans cesse, terrorisés, placés sou-
vent devant un avenir en apparence fermé et sans espoir, ont
fini par prendre l'habitude de ne plus penser à l'avenir et
d'étouffer aussi dans leur mémoire le souvenir de leurs années
passées. Ils ne vivent plus que dans le présent et ont aboli la conti-
nuité du passé vers l'avenir. Cette fixation de toute l'orientation
psychologique dans le seul présent a des conséquences consi-
dérables. Elle fait disparaître l'impression du but et de la finalité
de la personnalité ainsi que la notion de la valeur même de cette
personnalité » (1952, p. 13). Sans avoir sombré dans la maladie,

(1) Si on comparedes enfantsde 10-12ans internesd'institutsmédico-pédago-


giquesà la suite de troublescaractérielset des adolescentsde 13-16ans, internes
d'unétablissement deréadaptationscolaire,onconstatequel'inadaptationaugmente
l'orientationversl'avenirchezlesjeunesenfantset qu'ellela diminuechezlesado-
lescents(par référenceà des enfantsbienadaptés).
Cecis'expliqueraiten distinguantle type d'orientationversl'avenir,qui serait
de l'ordre du désirchezl'enfantet de l'ordredu projet chezl'adolescent.Ainsi,
l'inadaptation,chezl'enfantde 10ans,entraîneraitl'évasiondansle futur.Un sens
plus aigudu réel,chezl'adolescent,entraîneraitau contrairecommeconséquence
de l'inadaptationun rétrécissementde l'horizontemporel(S. L. Klineberg,1963).
198 r.?wcrror,ncrr nu Tl\MPS

tous les prisonniers et déportés ont éprouvé ce besoin de se pro-


téger plus ou moins consciemment contre un passé dont les
souvenirs heureux auraient amolli leur résistance de chaque
instant et contre l'évocation d'un avenir dont l'incertitude aurait
été un élément supplémentaire de découragement. Dans leur cas,
la pression vient des circonstances extérieures. Chez les névrosés,
elle naît souvent de leurs propres conflits. Le temps peut être alors
un mécanisme de défense qui permet d'isoler le moi de ses trau-
matismes ou de ses pulsions en créant un intervalle (Fenichel,
1953, 1, p. 193). Ce mécanisme peut jouer dans des sens diffé-
rents suivant la direction d'où vient la menace. Cette dernière
peut surgir du présent et le malade chercher refuge dans le
passé, par exemple ; elle peut aussi - et c'est le cas qui nous
intéresse ici - surgir du passé et, dans des névroses obsession-
nelles, pousser à se réfugier dans le présent. Les malades ainsi
atteints s'efforcent de séparer un passé pénible ou menaçant
du présent. Tel malade, par exemple, peut devenir ponctuel
pour éviter la ruée des instincts et surmonter la crainte de
perdre son intégrité, ou pour se garder des « mauvais désirs ».
Pour ne pas être submergé par son inconscient, tel autre
s'efforce de ne pas perdre son temps et trouve une sécurité dans
ce contact avec lui-même et le monde des objets (Dooley, 1941).
« Aussi longtemps que les obsédés réussissent à régler leur vie
sur des horaires, ils sont sûrs de ne pas commettre les péchés
redoutés et aussi longtemps qu'ils savent à l'avance ce qu'ils
feront, ils peuvent surmonter la crainte provoquée par leurs
tendances à faire ce dont ils ont peur » (Fenichel, ibid., I, p. 346).
Rousseau, selon l'étude de Poulet, prendrait place parmi
ceux qui se réfugient dans le présent par défense contre un
futur redouté. Son imagination déréglée lui peignait en effet
d'avance le futur comme ne pouvant être que malheureux.
« Mon imagination effarouchée qui ne me fait prévoir que de
cruels avenirs... », écrivait-il dans les Confessions. L'élan vers
l'avenir qui était si fort en lui devenait donc comme « un élan
vers le malheur », et il cherchait son bonheur dans l'intensité
des sentiments et des sensations du présent. « Mon cœur, uni-
quement occupé du présent, en remplit toute sa capacité, tout
son espace » (Confessions, cité par Poulet, p. 171).
De son attitude on peut rapprocher celle de Benjamin
Constant, lui aussi en quête du bonheur : « C'est la réaction du
I,'IIORIZ07V TEMPOREL 199

passé et de l'avenir sur le présent qui fait le malheur. Dans ce


moment, je ne souffre point... Ce que j'ai souffert n'est plus, ce
que je souffrirai n'est pas et je m'inquiète et je me tourmente,
je me crève pour ces deux néants-là !... Quel sot calcul !...
Mieux vaut profiter de chaque heure, incertain qu'on est de
l'heure qui suit » (cité par Poulet, p. 218 et p. 223). Sa conclu-
sion est logique, bien qu'en fait son inquiétude l'empêchât
de s'y tenir.
Cette attitude, variante du carpe diem épicurien, est évidem-
ment une des lignes de recherche de l'homme qui se satisfait
de se sentir vivre, lorsque le présent le blesse moins qu'un passé
chargé de souffrances ou de remords et qu'un avenir angoissant
par son indétermination même.
c ) Chez d'autres êtres, la double perspective temporelle
peut s'effacer, non par souci de se protéger de l'avenir et du
passé, mais simplement parce que le présent a en eux une réso-
nance privilégiée. A en croire Heymans et Le Senne, ce serait
même un trait de caractère : la primarité qui s'opposerait à
la secondarité et qui, au point de vue qui nous intéresse, se
définirait par le retentissement des impressions sur notre vie.
« L'homme primaire vit dans le présent, se renouvelle avec
lui : la primarité est une fontaine de Jouvence. Au contraire
le secondaire amortit le présent comme par la force d'un volant,
par une structure qui le leste, en opposant à l'événement actuel
la répercussion d'une multitude d'impressions passées d'a.illeurs
inégalement opérantes » (Le Senne, Traité de caractérologie,
1945, p. 89). Selon l'enquête statistique d'Heymans et Wiersma,
les traits caractéristiques de l'individu primaire sont entre
autres :
-
agit en vue de résultats immédiats ;
- immédiatement réconcilié ;
- vite consolé ;
- désireux de changements ;

Tandis que le secondaire est :


- homme d'habitude ;
- longtemps sous une impression ;
- - attaché aux vieux souvenirs ;
- constant dans ses affections ;
- agit en vue d'un avenir lointain.
200 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

Le primaire apparaît ainsi comme un homme qui se renou-


velle avec les changements mêmes de la vie, sans que pèsent
sur ses décisions et ses sentiments présents, ni un passé qui
obsède, ni des projets qui enchaînent. La situation présente
a pour lui une importance majeure, non pas qu'il n'ait pas de
perspectives temporelles, mais parce que celles-ci n'ont pas de
retentissement en lui (1).
De cette âme qui, dans la jouissance du moment présent,
oublie « et ce qui a précédé et la préoccupation de ce qui va
suivre », A. de Vigny a fait un portrait saisissant : « ... Caméléon
perpétuel, elle finit par n'être ni heureuse ni malheureuse,
c'est seulement une flamme qui ne s'allume qu'au mouvement
des autres, et par elle-même, n'ayant plus de vie, demeure inca-
pable d'être et ne méritant plus qu'on compte sur elle plus que
sur une bulle de savon toujours emportée par le vent et coloriée
par les objets qu'elle rencontre. » A ce portrait, il oppose l'âme
« attentive à la fois aux trois points de l'existence, le passé,
le présent, l'avenir, ne cessant de revoir ce qui a été et l'évo-
quant par la mémoire, de considérer ce qui est en le contemplant
par le jugement, de conjecturer les probabilités de ce qui sera
par l'imagination soumise aux calculs de la raison et aux lois
de la volonté » (Journal, cité par Poulet, pp. 263-264).
Être ainsi la proie du présent est sans rapport avec le fait
d'être présent à une situation qu'il faut assumer. Les travaux
d'Heymans et Wiersma nous épargnent cette confusion. Ils
montrent que ce sont leâ actifs, par opposition aux non-actifs,
qui sont les plus présents à leur travail et les moins distraits.
Mais ce trait est sans rapport avec la primarité, donc avec le
plus ou moins de retentissement qu'ont le passé et les plans
lointains sur le présent vécu.
En résumé, ou bien les perspectives temporelles peuvent
être absentes par suite d'une défaillance congénitale ou patho-
logique, ou bien elles sont dévalorisées par ceux qui en redoutent

(1) Paulhana décritdes êtresqu'il appelleles« présentistes» qui se caractéri-


sent r ar la « prédominance
excessive,dansl'esprit,de l'état mentaldu moment»
(l52i, p. 193).Cetteprédominance résulte,dit-il,« de la faiblesse,de l'absence,
du retard, de l'insuffisancedu contrôle ;les tendancesqui devraientl'exercer
n'entrentpasen activité»(1924,p. 193).Leprésentisme, danssonesprit,nes'oppose
pas aufuturismeou au passéisme,car desreprésentations présentessurgiesde notre
passéou relativesà des projetsd'avenirpeuvents'imposerimpérativement dans
lemomentprésent.Cesêtresontun trait en communl'expérience
: passéene contrôle
pasleursréactionsprésentes.
L'HORIZON TEMPOREL 201

la menace, ou bien enfin, quoiqu'actuelles, elles sont pratique-


ment sous-estimées parce que le retentissement des impressions
présentes les submerge : autant de manières très différentes
de limiter le temps vécu aux seuls changements du présent.
Que tous les individus dont nous venons de parler soient
normaux (les enfants, les primaires, les vieillards) ou qu'ils soient
malades (les débiles, les maniaques, les obsédés), on ne peut
s'empêcher de penser qu'il leur manque une certaine richesse
humaine. Ils sont le jouet de changements incessants. A travers
eux, nous apercevons ce que doit être une véritable maîtrise
du temps : elle exige de l'homme un regard qui couvre à la
fois toute l'expérience acquise dans le passé et tous les plans
de l'avenir prévisible. N'est-ce pas tendre vers le plus haut
niveau de cette fonction du réel qu'a si souvent invoquée
P. Janet pour décrire la santé mentale ?

B) L'emprise du passé ou de l'avenir


Limiter son horizon temporel pour le réduire au seul pré-
sent est sans doute négliger une partie du réel. Cependant
cette conduite exige encore d'affronter la situation actuelle.
Lorsque cet affrontement paraît dépasser nos forces, il nous
reste à nous réfugier dans des situations où nous trouverons
avec moins d'effort une réalisation de nos désirs. Le passé et
l'avenir où nous ne pouvons vivre qu'en imagination nous
offrent justement une évasion de ce genre. Dans la rêverie
comme dans le rêve, nous sommes délivrés de la pression du
présent et les désirs tendent à se satisfaire au moyen de fan-
tasmes (Bergler et Roheim, 1946).
Dans la fatigue, la psychasthénie, en général dans les
maladies mentales, on observe ce refuge qu'offrent les rêveries.
Elles sont le plus souvent des rétrospections, parfois des anti-
cipations, et permettent des satisfactions qu'interdit le présent.
Si on admet qu'est temporel ce qui est soumis au devenir de
la réalité, on peut dire que ces rêveries sont intemporelles et
par suite reconnaître avec Freud et de nombreux psychana-
lystes qu'elles sont une irruption de l'inconscient, lui aussi
intemporel. De toute manière, elles sont une fuite de la réalité
présente.
Dans les cas cités précédemment, il y avait fuite du présent
vers le passé ou le futur ; mais on peut rencontrer des malades
202 PSYCHOLOGTEDU TEMPS

qui ne peuvent se fixer au présent, non parce qu'ils le fuient,


mais parce que, le plus souvent, l'emprise du passé est trop
grande. C'est le cas d'un remords lancinant. En somme, ce qui
compte pour un individu, c'est le poids relatif qu'ont, à un
moment donné, passé, présent et avenir. Ou bien il fuit une
situation intolérable, passée, présente ou future qui l'amène
à se réfugier dans un autre temps ; ou bien il subit l'emprise
du passé, du présent ou du futur, de telle sorte que les autres
aspects de la réalité lui sont masqués.
Ces phénomènes que nous allons étudier sous la loupe de la
maladie, nous en faisons tous l'expérience peu ou prou. Quand
le travail est trop difficile, l'enfant rêve à une satisfaction passée
ou future. Des sentiments de culpabilité, des frustrations anté-
rieures nous détournent des tâches présentes comme des préoc-
cupations d'avenir. En revanche, la présence à l'actuel marque
toujours un retour à un équilibre de la personnalité. Volmat
(1956, pp. 167-169) a remarqué que les malades mentaux pei-
gnaient rarement des scènes qui soient en relation avec le
contenu de leur maladie, tandis qu'il y avait réactualisation
de leurs conflits à partir du moment où leur état s'améliorait.
De même dans les guérisons après leucotomie, de nombreux
auteurs ont observé que les opérés devenaient à nouveau
plus présents. Petrie (1952) les a interrogés systématiquement
dans la perspective où nous nous plaçons, et il a constaté que le
nombre de ceux qui étaient plus satisfaits du présent, ou inver-
sement de ceux que le présent ne rendait plus si malheureux,
augmentait avec la guérison. « Ainsi, dit-il, après leucotomie
nous avons le portrait d'un individu qui est plus absorbé par
le présent et qui y vit plus heureux qu'avant son opération, qui
tend à laisser le passé derrière lui et qui est plus rassuré quand
il considère le futur. Ceci fait un contraste avec son état avant
l'opération qui tendait à être orienté vers le passé et qui était
très mécontent du présent » (ibid., p. 30). Ce résultat, notons-le,
ne contredit pas une autre observation souvent faite chez ces
opérés : ils manifestent un certain désintérêt pour le futur qui
n'est pas la perte d'une aptitude à prévoir, mais une diminution
de la capacité d'effort par laquelle est justement atteinte la
représentation conjointe des perspectives temporelles (Porot,
1947 ; Jones, 1949). Il s'agit bien là d'un déficit, mais qui a été
leur salut en les délivrant de l'angoisse du passé ou de l'avenir.
L'HORIZON TEbTPOREL 203

Si les difficultés présentes nous rejettent vers le passé ou


l'avenir, il faut souligner qu'en général la fuite n'est pas possible
à la fois vers l'une et l'autre de ces perspectives. Celles-ci sont
en effet antithétiques dans leur signification et toujours relatives
l'une à l'autre : là où l'avenir se ferme, le passé prend une impor-
tance démesurée, à moins que ce ne soit l'emprise du passé qui
fasse perdre de vue l'avenir.
Nous envisagerons donc successivement les deux directions
dans lesquelles l'homme peut s'orienter hors du présent.
a) La fuite vers l'avenir. - Normalement, la vie présente
est orientée vers l'avenir qui donne un sens à notre action.
Cependant, le futur est plus ou moins important, suivant la
liaison qu'il entretient avec l'activité présente. Il peut en être
le but, il peut aussi n'être qu'évasion, s'il provoque une anti-
cipation trop exclusive de ce qui n'est pas encore. C'est une
pareille attitude que peignait Montaigne : « Nous ne sommes
jamais chez nous ; nous sommes toujours au-delà. La crainte,
le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir et nous dérobent
le sentiment et la considération de ce qui est » (Essais, cité
par Poulet, ibid., p. 3).
Le jeune Vigny disait de lui-même : « Je ne fais rien, comme
vous pensez, que rêver à quelques projets pour l'avenir », et
ce propos, qui pourrait être banal de la part d'un jeune homme,
prend tout son sens, si on le compare au suivant : « J'ai toujours
eu un tel effroi du présent et du réel dans ma vie... » (cités par
Poulet, ibid., pp. 249 et 248). P. Janet aurait été enchanté par
cette liaison qu'établissait Vigny entre le présent et le réel. Elle
est significative.
Un tel effroi entraîne-t-il un risque pour la santé mentale ?
En général, non. Perrette, comme beaucoup d'enfants, peut
oublier qu'elle a un pot au lait sur sa tête et danser de joie à la
pensée de ses bonheurs futurs : les dommages sont rarement
très grands. Cependant, les châteaux en Espagne de nos rêveries
impliquent à la fois que la situation présente ne nous absorbe
pas et que nous sommes peu sensibles aux leçons du passé, ou
encore que nous les nions. A la limite, ils sont un signe patho-
logique. Nina, cette malade dont Pichon (1931) nous a raconté
l'histoire, offre précisément l'exemple d'une névrose qui se
traduit par une fuite en avant. Son enfance avec un père brutal
a été malheureuse et l'a jetée dans la prostitution. Ce passé,
204 DU TEMPS
F'.SY(,'IIOLOGIE

elle le refuse. Mariée, elle cache à son mari qui étaient ses
parents et elle refoule ses souvenirs d'enfance. Dans son mariage,
elle n'a pas trouvé le bonheur. Elle « n'a pas su accepter un
certain bât que la réalité lui imposait et qui la blessait ». Sa
névrose se traduit par de la frigidité, mais Pichon remarque
aussi - point qui nous intéresse surtout ici - « qu'elle verse
dans les idées dites avancées et hante tous les milieux pacifistes,
internationalistes, féministes, naturistes... De même que son
passé individuel, elle refoule le passé collectif de la société à
laquelle elle appartient ; des traditions et des moeurs des géné-
rations antérieures, rien ne doit subsister, d'où son appétit
systématique de tout ce qui a couleur de nouveauté et de
révolution ».
Le souhait « que ça change » naît sans doute toujours d'une
insatisfaction présente, mais aussi du sentiment que l'avenir
peut engendrer autre chose que le passé. Il n'y a rien là que de
sain ; le déséquilibre s'introduit seulement au moment où nous
n'agissons plus pour réaliser cet avenir en fonction du réel
mais où nous nous réfugions dans une fabulation rêvée ou
même agie.
Toutefois, cette attitude revêt rarement la gravité des
états qui naissent quand l'avenir apparaît bouché. La fuite
en avant manifeste encore cette « force psychologique »
qu'Eysenck considère comme la composante conative de la
personnalité.
b) Le retour au passé. - Le passé est immanent au moindre
de nos actes. Sans cesse notre action présente tient compte de
toute l'expérience dont nous sommes enrichis. Mais le rôle
du passé, comme celui de l'avenir, varie selon la valeur même
qu'on lui accorde. On peut simplement l'utiliser pour réaliser
un avenir qui sera une nouvelle conquête de l'être ; on peut,
au contraire, s'y référer comme à une norme. L'avenir ne se
ferme pas du même coup mais il ne détermine plus le présent
comme une cause finale. Le présent est au contraire déterminé
par le passé. Le drame racinien nous offre un excellent exemple
d'une telle attitude. Il « se présente comme l'intrusion d'un
passé fatal, d'un passé déterminant, d'un passé cause efficiente
dans un présent qui cherche désespérément à s'en rendre indé-
pendant ». Les tragédies de Racine sont celles de la fidélité.
« Fidélité à la haine comme dans La Thébaïde, fidélité à l'amour
L'HORIZON TEMPOREL 205

comme dans Andromaque, fidélité à la coutume comme dans


Bérénice, fidélité au sang comme dans Phèdre... » (Poulet, ibid.,
pp. 106-107). ,
Cette fidélité implique de resituer sans cesse le présent et
les perspectives d'avenir par rapport au passé. Les conceptions
religieuses, c'est le cas de Racine, ou philosophiques peuvent y
avoir leur part. Souvent aussi, le milieu social joue son rôle.
L'individu des classes supérieures, celui qui appartient à une
« famille », a été habitué dès son jeune âge à se penser comme le
membre d'une lignée. Son souci principal est de respecter les
traditions, de tenir son rang (1).
L'éducation, en général, peut aboutir au même résultat en
créant un fort « sur-moi » qui valorise les impératifs du père et
de la mère ; le tempérament y joue également son rôle et la
secondarité est faite justement du retentissement dans le futur
des événements passés.
Souvent, cependant, l'être humain n'est rejeté vers le passé
que parce que l'avenir semble se fermer pour lui. Les causes peu-
vent être multiples : l'âge évidemment, mais aussi la maladie,
des échecs intérieurs ou sociaux. L'avenir ne semble plus pou-
voir créer une situation nouvelle qui l'arracherait à la fatalité.
Tout est déterminé par le passé et le désespoir le guette.
Chez les malades dépressifs, ces perspectives deviennent
tragiques : comme l'a analysé Straus (1928), plus l'avenir leur
est fermé et plus ils se sentent liés au passé. Souvent d'ailleurs
l'avenir semble négatif parce qu'il recèle une menace. Minkowski
(ibid., p. 174) a publié l'observation de ce malade qui attendait
un châtiment atroce de ses « crimes ». On couperait bras et
jambes aux siens, lui-même subirait le même sort ; mutilé d'une
façon épouvantable, il devrait vivre avec des fauves dans une
cage ou avec des rats dans les égouts. Alors « il sent les journées
se succéder dans leur uniformité et dans leur monotonie ; il
sent le temps s'écouler et s'en plaint : « encore une journée de
« passé », geint-il. Aucune action, aucun désir ne se dessinent qui,

(1) Ceportraitest plus saisissantsi on l'opposeà celuides individusd'autres


milieux.Dans les classesmoyennes,l'individuest surtout orientévers l'avenir.
Toutesa jeunesse,on lui répète :« Penseà ton avenir», alorsqueles exhortations
au filsde famillesontfaitessurle ton de l'antienne «: Quediraitta grand-mère»?
Les membresdu sous-prolétariat n'ont au contraireni passéni avenir.Ce qui
compteest de vivre au jour le jour, sansrespectni d'un passéqui n'inspirepas
d'attachement,ni d'un avenirtrop incertain(l,eslian,1952).
206 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

en émanant du présent, s'en iraient vers l'avenir, par-dessus la


succession de journées grises et semblables ».
Chez d'autres malades, c'est la peur de vieillir qui concrétise
la menace de l'avenir. Christine, cette malade de Kloos (1938),
en offre un exemple. A 30 ans, elle se plaignait de vivre comme
si l'avenir n'existait pas. Elle ne pouvait y penser et se sentait
vide et sans vie. Par contre elle pouvait se rappeler le passé,
mais tout lui apparaissait vide, froid et pâle.
Ces malades savent qu'il y a un futur, comme l'ont souligné
entre autres Straus et Kloos, mais il ne représente plus rien
pour eux. Il ne joue plus d'autre fonction dans leur vie que celle
de les rejeter vers le passé et souvent de leur donner une
conscience accrue du changement quotidien, justement parce
que celui-ci n'a plus d'autre sens que d'être un pur changement,
comme le serait le pas d'un homme qui marcherait sur place.
Ainsi notait une mélancolique : « Maintenant, pendant que je
parle avec vous, je pense à chaque mot prononcé : « passé, passé,
passé »... Quand les autres parlent... je n'arrive pas à comprendre
comment ils peuvent parler si calmement, sans se dire constam-
ment : maintenant je parle, cela dure tant et tant de temps,
puis je ferai cela et cela, et cela durera soixante ans, ensuite
je mourrai, d'autres viendront après, puis d'autres encore,
ils vivront aussi longtemps, à peu de chose près, que moi,
ils mangeront et dormiront comme moi et cela continuera
ainsi sans aucun sens pendant des milliers et des milliers
d'années » (Gebsatel, cité par Minkowski, 1933, pp. 280-281).
Le refuge dans le passé apporte-t-il une raison de vivre ?
Certes pas dans les cas pathologiques : la désorganisation
engendrée par la maladie ne le permet pas. Il est pourtant un
exemple célèbre d'un être qui s'est sauvé en se situant dans son
passé. Parti à la recherche du temps perdu, Proust est sans doute
la proie de l'angoisse, cel'angoisse de l'être qui, se trouvant dans
une existence que rien ne justifie, incapable de se découvrir
une raison d'être, incapable du même coup de rien trouver qui
lui garantisse la continuation de son être, éprouve simultané-
ment l'horreur du futur qui le change, le mépris du présent qui
s'avère impuissant à le fixer et le besoin de se sauver coûte que
coûte de son atroce contingence en retrouvant dans le passé
le fondement de cet être qu'il est et que pourtant il n'est plus »
(Poulet, ibid., p. 371). Mais Proust a su donner à cette angoisse
L'HORIZON TEMPOREL 207

une valeur dans la mesure où cette quête du passé est devenue


le but de sa vie.
c) Le refuge dans l'intemporel. - Ce panorama des attitudes
temporelles ne serait pas complet si nous ne faisions allusion
aux êtres chez qui toutes les perspectives temporelles semblent
disparaître parce qu'ils ne se situent plus dans le changement.
S'ils peuvent encore constater la succession des événements qui
les assiègent, ils n'en ressentent pas le dynamisme parce qu'ils
ne sont plus capables d'en faire la synthèse (Baruk, ibid., p. 34).
Du même coup, tout semble s'immobiliser en eux. Ils ne vivent
ni dans le passé, ni dans l'avenir, mais dans l'intemporel, ou,
si cette expression semble équivoque, dans un présent statique,
qui néglige autant l'actuel que ce qui n'est plus ou ce qui sera.
Leur exemple témoigne clairement que notre obscur sentiment
du temps et les perspectives où il nous engage naissent précisé-
ment d'une assimilation des changements dans lesquels nous
vivons.
Nous-mêmes pouvons en faire l'expérience lorsque nous
essayons de nous abstraire du monde extérieur par la réflexion
ou la contemplation. On sait que les tempéraments schizo-
thymiques y sont prédisposés. Mais cet « autisme » de l'être
normal est riche et réversible. Au contraire, chez les schizo-
phrènes, « le contact vital avec la réalité » est perdu, comme
conclut l'analyse de Minkowski (ibid., p. 266), et leur expérience
a la pauvreté d'une désintégration.
Vinchon (1920) avait signalé cette transformation du présent
en une éternité. Mais c'est Minkowski qui en a apporté des
exemples saisissants. Citons pour décrire ces troubles quelques
propos empruntés à ses propres observations ou à celles qu'il
rapporte de Fischer (1929). « Je tends au repos et à l'immobili-
sation. J'ai aussi en moi la tendance à immobiliser autour de
moi la vie... Le passé c'est le précipice, l'avenir c'est la mon-
tagne... faire des mouvements en cercle pour ne pas s'éloigner
de la base, pour ne pas se déraciner, voilà ce que je voudrais »
(ibid., pp. 261-262). « Que le temps passe et que les aiguilles
tournent, je n'arrive pas à me le représenter très bien. Parfois,
quand, dehors, au jardin, ils courent rapidement de long en
large ou que le vent fait bien tournoyer les feuilles, je voudrais
à nouveau vivre comme avant et pouvoir courir intérieurement
avec eux, pour que le temps passe à nouveau. Mais là je suis
208 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

arrêté et cela m'est si indifférent... je me cogne seulement le


nez contre le temps » (Fischer F., cité par Minkowski, ibid.,
p. 268).
« La pensée se tenait immobile, oui, se tenait immobile,
comme si le temps n'existait plus. Je m'apparaissais à moi-
même comme un être intemporel parfaitement clair et limpide
en ce qui concerne les relations de l'âme, comme pouvant voir
son propre fond. Comme une formule mathématique... En
même temps, j'entendais dans le lointain une musique silen-
cieuse... Tout cela dans un flux incessant et continu de mouve-
ment, ce qui contrastait d'une façon particulièrement saisis-
sante avec mon propre état d'âme... Moi, j'étais comme coupé
de mon propre passé. Comme si cela n'avait jamais été ainsi,
à tel point cela était comme des ombres. Comme si la vie ne
faisait que commencer maintenant » (Minkowski, ibid., p. 269).
Les propos de ces sujets sont une transcription symbolique
des troubles de leur expérience du temps. Ceux-ci ne sont pas
sans conséquence sur leurs comportements. Minkowski les
caractérise en parlant « d'actes sans lendemain, d'actes figés,
d'actes a court-circuit, d'actes ne cherchant point à aboutir »
(ibid., p. 264).
Incapables d'assurer dans leur vie le synchronisme entre les
changements intérieurs et les changements extérieurs, leur
comportement se réfugie dans un immobilisme qui correspond
bien à l'emprise que le spatial exerce jusque dans leurs pensées
(géométrisme, réification) (1).
La même cause peut produire un effet inverse chez d'autres
malades. Pour essayer de reprendre contact avec cette réalité
changeante qui leur échappe, ils bourrent le temps de leurs
projets ou de leurs actes avec le souci de ne pas perdre une
seconde. Ils ont « tendance à remplir complètement jusqu'aux
bords le temps comme un simple contenant, d'idées ou d'actions

(1) M. Bonaparte(1939)a tenté d'expliquertes troublestemporelsdes schizo-


phrènespar une destructiondes« diguesentre le préconscientet le conscient»
assezavancée« pour permettrede monter,du tréfondsinconscient,une nappe
d'intemporalitésuffisantà submergerquasi totalementle sens de la durée,du
temps» (p. 78).Cettehypothèserejointet complèteà notre avis l'interprétation
de Minkowski. Chezle schizophrène, la rupturequi s'est produiteentrelui et son
milieule livre à ses fantasmesintérieursqui sont en effetintemporelspuisqu'ils
ne sontpas soumisà la loi du changementqui gouvernele mondeet toute penséc
quis'y incarne.Il est trèsexactquele sensdu tempsn'existeques'ily a soumission
au réel.
L'HORIZOIVTEMPOREL 209

établies d'avance » (Minkowski, ibid., p. 264). Parfois, ils sont


obsédés par les montres ou les horloges auxquelles ils s'ac-
crochent, car il leur semble que s'ils s'en détachent le temps
s'anéantit (Fischer, 1929 et 1930).
Ces analyses ont été recoupées par des recherches d'un autre
type. Au lieu d'en appeler aux impressions vécues des schizo-
phrènes, on a tenté de mesurer l'extension de leur horizon
temporel en faisant appel à leur imagination. Ainsi, on a
demandé à un groupe de malades de cette sorte, hospitalisés,
mais assez coopératifs, d'indiquer dix événements qui leur
arriveraient dans le reste de leur vie en précisant chaque fois
la date. L'extension médiane de leurs prévisions est de 12 ans
tandis que celle d'un groupe contrôle de malades hospitalisés
pour des atteintes non psychiatriques (ayant même âge et
même niveau mental) est de 36 ans. Plus révélatrice est encore
l'épreuve où on leur demande d'imaginer des histoires du type
suivant : « En se réveillant, Bill se met à penser au futur, il
espère que... » L'extension temporelle des histoires des schizo-
phrènes est en moyenne de 9 mois, celle des malades du groupe
contrôle de 4 ans (Wallace, 1956).

*
* *
En envisageant les distorsions extrêmes de l'horizon tem-
porel, nous avons été mieux à même de comprendre à quel
point chaque homme a des perspectives qui lui sont propres.
Une multiplicité de facteurs les détermine : nous avons souligné
les principaux, c'est-à-dire l'âge, l'éducation reçue, la situation
sociale, et aussi le tempérament et la structure mentale. Ces
données s'imposent à chaque instant à l'individu. Elles jouent
leur partie dans le jeu, et composent nos attitudes à l'égard
des instances du temps. Mais d'autres facteurs, proprement
psychologiques, interviennent également : par eux s'élaborent
les processus dynamiques grâce auxquels nous assurons l'inté-
grité de notre moi. Nous valorisons les situations qui peuvent
nous procurer le plus de satisfaction ou nous promettre la
plus grande sécurité. Or, de ce point de vue, passé, présent et
avenir n'ont pas la même portée. Il résulte en effet de nos ana-
lyses que l'attitude normale de l'homme étant orientée vers
l'avenir, cette attitude, même poussée à l'extrême, devient
r, r.Hmss? 14
210 P,?l'(,'IIOLOGIE DU TEMPS

difficilement pathologique. Sa logique implique toujours un


effort créateur. L'orientation vers le présent est également pri-
vilégiée : exigeant de toujours tenir compte des données d'une
situation, elle est essentiellement attention au réel. Au contraire,
le refuge dans le passé ou la chute dans l'intemporel sont des
attitudes faciles parce qu'elles refusent d'affronter le réel.
Elles traduisent une grande faiblesse psychologique. Bien
entendu, ces perspectives ne sont jamais exclusives l'une de
l'autre. Telles qu'elles sont, il est permis d'en dessiner la
hiérarchie, dont les critères sont l'équilibre et l'efficience des
conduites humaines.
CHAPITRE VII

L'ESTIMATION DU TEMPS

Chaque changement nous incite à agir. Tant que nos


réactions sont déterminées par les seules situations présentes,
la durée, c'est-à-dire en première analyse l'intervalle qui sépare
deux changements l'un de l'autre, n'est pas une variable de
notre action. La durée perçue fait seule exception, puisqu'elle
s'inscrit dans le cadre du présent psychologique (voir chap. III).
La durée ne devient une réalité psychologique qu'au moment
où l'action présente n'engendre pas sa satisfaction immédiate.
Alors la phase actuelle du changement (subi ou effectué) ne
fait qu'annoncer un autre changement qui, lui, correspondra à
l'attente présente. Ainsi, la durée compte pour le chien qui entend
un son, signal d'une nourriture qui n'apparaîtra que dans
quelques minutes, ou pour le rat qui doit attendre l'instant
propice pour passer d'une grille à une autre, éviter les chocs
électriques et parvenir à sa récompense (chap. II).
L'être humain prend conscience de la durée dans les mêmes
conditions. Tant que nous ne vivons qu'en fonction des situa-
tions présentes, il n'y a que des « maintenant o sans durée. Il
nous arrive assez souvent de vivre quelques minutes et parfois
quelques heures sans avoir aucune conscience de la durée, sans
penser qu'il s'écoule du temps jusqu'au moment en général où
les exigences sociales nous obligent à nous resituer dans le
temps. Nous savons alors qu'il s'est écoulé une durée, mais nous
n'en avons eu aucune expérience (1).

(1)« On ne peut pas direde l'expériencedu temps,qu'ellesoitune expérience


primitive.C'est celledu présent,c'est-à-direl'expériencede l'Etre ; et le temps
n'est qu'un ordreque nousintroduisonsentre les modalitésde l'Etre. Maisc'est
une expériencequi est elle-mêmedérivée elle
: est un produitde la réflexion.A
chaqueinstant,ellenousquitteet nousobligede la ressusciterlorsquenousappre-
nonsà distinguer,dansl'êtreoù nouspensionsêtre établi,desmodalitéspassagères.
cequinousmanqueoucequinousfuit...Quandletempsestrempliparnotreactivité.
il noussembleque nousne sortonspas du présent» (Lavelle, 1945,pp. 235-236).
212 TEMPS

Il faut, en effet, distinguer notre expérience de la durée de


notre connaissance de la durée telle qu'elle est sous-jacente au
développement de notre horizon temporel. Je puis me repré-
senter des événements passés, savoir de combien de temps ils
sont antérieurs au jour que je vis et cependant ne pas avoir une
expérience de la durée qui m'en sépare, sauf si le regret par
exemple de ce qui a été et un désir de le ressusciter me fait
prendre conscience de cet intervalle. Je puis de même imaginer
le futur, mais tant que je ne désire ou ne crains ce futur, je
n'ai pas non plus une expérience de la durée. Lire un roman
de science-fiction, par exemple, implique la conscience d'une
différence entre l'état du monde d'aujourd'hui et celui de
l'avenir, mais sans que la durée entre ces deux états intervienne
d'une manière vécue. De même, dans l'action, je peux tenir
compte de ce qui vient de se passer, prévoir ce que je vais dire
ou faire à l'instant suivant, mais ces références, tant qu'elles
sont les composantes de mon action présente, n'entraînent pas
de conscience de la durée.
Il en est tout autrement si, obligé de faire une tâche mono-
tone, j'évoque le plaisir que j'aurais à m'en affranchir et à
faire autre chose.
L'expérience de la durée naît chaque fois que la situation
présente ne fait que nous renvoyer à une autre situation qui
n'est plus ou qui n'est pas encore. Ce renvoi implique que, pour
quelque raison, nous ne sommes pas comblés par le présent.
Le temps oppose une barrière à nos désirs. En prenant cons-
cience de la durée, nous prenons conscience d'une résistance.
Dans durée, il y a dur, et le verbe endurer rapproche ces deux
significations. Or, cette résistance se manifeste sous la forme
d'un état affectif que traduit le jugement de valeur que nous
attribuons à l'obstacle. Aussi bien cette prise de conscience
s'exprime-t-elle toujours sous forme qualitative. Nous prenons
conscience du temps quand il nous paraît court ou long et le
plus souvent long. Nous croyons saisir une réalité alors que
nous prenons seulement conscience de notre propre réaction.
Nous rejoignons ainsi l'analyse de P. Janet pour qui la durée
est d'abord un sentiment, puisqu'il est « une réaction à l'exé-
cution de l'acte » (1928, p. 53).
La conscience d'une durée peut également naître de la
conscience des changements qui s'y sont déroulés. En effet,
L'ESTIMATION DU TEMPS 213

plus les changements qui nous séparent d'un moment passé


ou à venir sont nombreux, plus la durée de l'intervalle ainsi
évoqué nous paraît longue.
Il y a là une appréciation directe de la durée qu'il ne faut pas
confondre avec les évaluations de nature proprement métrique.
Ces dernières sont toujours indirectes, qu'elles soient dues à des
horloges naturelles ou faites de main d'homme ou que nous
considérions simplement la quantité de travail produit (chemin
parcouru, nombre de pages lues, de pièces manufacturées, etc.).
Au regard de ces mesures, le nombre des changements
appréhendés nous permet d'apprécier la durée selon un mode
intuitif.
Ce caractère intuitif explique assez que les appréciations
ainsi obtenues restent fort imprécises. Elles jouent cependant
un rôle important dans notre vie. Les nécessités pratiques nous
invitent, en effet, quotidiennement à mesurer le temps. Or, les
véritables moyens de mesure ne sont pas toujours à notre dispo-
sition ; ils manquent à peu près complètement au jeune enfant.
D'où le recours à ces critères - imparfaits certes, mais qui
surgissent de notre expérience la plus intime - que sont les
sentiments de temps et la conscience des changements vécus.
A travers ces deux grands types d'informations, nous allons
voir comment se constitue l'estimation du temps.

1
LES SENTIMENTS DE TEMPS

Quelle heure est-il ? » est la question la plus fréquente que


nous posons spontanément. En général, elle ne traduit que la
nécessité de synchroniser notre activité avec celle de nos sem-
blables, que ce soit pour la nourriture, le travail ou les loisirs.
Elle n'implique en elle-même aucune prise de conscience de la
durée entre deux événements ; cependant nous avons l'habi-
tude d'utiliser les réponses à ces questions sur l'heure comme
repères utiles au calcul des durées.
Parfois cette même question : ?c Quelleheure est-il ? » trahit.
au contraire le désir ou la crainte de voir se terminer la période
présente et de se retrouver dans un autre temps. Dans ce cas,
elle naît de la conscience de la durée.
214 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

Le cas où nous prenons le plus manifestement conscience de


la durée est celui de l'attente. Il v a attente quand les circons-
tances imposent un délai entre la naissance d'un besoin et sa
satisfaction. Mais tout délai n'entraîne pas une conduite
d'attente. Autre chose est d'attendre pour la semaine suivante
l'arrivée d'un être cher, autre chose d'être sur le quai de la gare
dans l'attente du train. Dans ce dernier cas, l'attente est réel-
lement une conduite spécifique qui correspond à l'excellente
définition de P. Janet (ibid., p. 141, 1928) : « L'attente est une
régulation active de l'action qui sépare les deux stimulations,
l'une préparante et l'autre déchaînante, et qui maintient l'action
entre les deux à la phase de préparation ou à la phase d'érec-
tion. » Cette régulation active consiste à essayer, dans la
mesure du possible, de supprimer l'attente. Le jeune enfant ne
sait pas attendre, ce qui est la source de beaucoup d'impatiences
et de caprices. Il n'apprend à supporter l'attente qu'à mesure
que sa stabilité émotive devient plus grande (Fraisse et Orsini,
1955). Même chez l'adulte, on trouve trace pendant l'attente
de ces anticipations de ce qui doit arriver (on se lève pour aller
voir, ou on se représente ce qui va arriver, ce qu'on va dire, etc.).
En apprenant à différer nos réactions, c'est-à-dire à endurer le
délai, nous prenons conscience de l'intervalle qui nous sépare du
terme attendu. Ce serait même, selon beaucoup d'auteurs,
l'expérience originale. Le temps ne serait « à l'origine, en quelque
sorte, que l'intervalle conscient entre le besoin et sa satisfac-
tion » (Guyau, 1902, p. 34). Les psychanalystes ont retrouvé
cette origine en se l'appropriant. Les uns lient cette expérience
au stade oral, d'autres au stade anal. Ils confirment seulement
qu'à des réactions émotives immédiates à une frustration
font place peu à peu des anticipations de plus en plus concep-
t.ualisées, où apparaît la distinction entre le manque présent et
la satisfaction future (Wallace et Rabin, 1960).
Au lieu d'être l'intervalle entre l'éveil d'un désir et sa réali-
sation, le temps peut être l'obstacle qu'il faut vaincre pour
continuer la tâche entreprise alors que l'impulsion initiale est
épuisée. S'il y a encore attente, c'est celle d'en finir. Malgré
l'analogie des termes, il vaut mieux distinguer cette conduite,
que .Janet a appelée l'effort de continuité, de l'attente propre-
ment dite. Le temps à vaincre est celui de la durée de l'acte
tel qu'il doit être exécuté pour atteindre l'objectif désigné
L'ESTIMATION DU TEMPS 215

par les impératifs sociaux : finir sa soupe, ses devoirs, sa journée


de travail. De la différence entre le résultat actuel et celui qu'il
faut réaliser, naît la conscience de la durée qu'exprime l'enfant
par sa plainte : « C'est long. » La langue allemande a le mot
Langeweilepour exprimer le sentiment d'ennui qui naît d'une
situation à laquelle on ne peut se soustraire, mot qui signifie
justement long-temps. « Laconsciencedu temps, sous sa forme la
plus pure, pensait Lavelle, c'est l'ennui, c'est-à-dire la conscience
d'un intervalle que rien ne traverse ou que rien ne peut combler »
(1945, p. 236).
P. Janet allait même jusqu'à estimer « que le commencement
de la durée, le premier acte qui est fait relativement à la durée,
c'est l'effort de continuité » (ibid., p. 55). Les conduites d'attente
sont cependant, génétiquement, antérieures aux efforts de
continuité. Ceux-ci exigent une conformité aux normes sociales
qui apparaît postérieurement à la dualité du désir et de sa
satisfaction. Ils traduisent une maîtrise de soi encore plus
grande que la réaction différée.
Quoi qu'il en soit, l'attente et l'effort de continuité sont
les deux situations principales où apparaît spontanément la
conscience de la durée. Or, dans les deux cas, elle est la consé-
quence d'une insatisfaction. Ainsi, le sentiment le plus primitif
de la durée naît d'une frustration d'origine temporelle : d'une
part, le moment présent ne nous procure pas la satisfaction de
nos désirs, d'autre part il nous renvoie à un espoir futur (fin
de l'attente, de l'acte commencé). Tant que cette frustration
pèse sur nous, elle se traduit, entre autres, par une prise de
conscience de l'obstacle, c'est-à-dire de l'intervalle temporel.
D'où cette conclusion inattendue : au moment où le temps
devient une réalité consciente, il apparaît comme étant trop
long. « En fait, on ne trouve au temps une longueurque lorsqu'on
le trouve trop lottg » (Bachelard, 1936, p. 48).
Ce paradoxe doit retenir notre attention car il est au coeur
des problèmes de l'estimation de la durée. Comme le confirme
la formule de Bachelard, la conscience du temps naissant au
moment où celui-ci m'oppose une résistance, du même coup je
suis porté à le surestimer. D'autre part, le simple fait que la
frustration attire mon attention sur l'intervalle temporel suffi-
rait à entraîner sa surestimation. Wundt (1886) a fait l'analyse
de ce phénomène que Katz (1906) a formulé heureusement de
216 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

la manière suivante : « Chaque fois que nous portons notre


attention sur le cours du temps, il semble s'allonger. » Nous
verrons pourquoi dans la deuxième partie de ce chapitre. Dans
l'attente et dans l'effort de continuité, les deux phénomènes :
surestimation affective de l'obstacle et attention accrue à tous
les changements qui séparent du terme, se renforcent l'un l'autre.
N'y a-t-il pas pourtant des cas où le temps nous paraît
trop court ? A suivre nos premières analyses, on pourrait penser
que le temps apparaîtra trop court dans l'attente craintive de ce
qui va survenir : une extraction dentaire, une séparation. Dans
ce cas, le temps n'est plus une distance à combler le plus rapide-
ment possible, mais au contraire un intervalle à maintenir.
Cependant cette situation ne s'oppose pas symétriquement à
la précédente. Si l'on regarde les choses de près, la conscience
du temps naît du même mouvement dans l'attente de l'événe-
ment redouté que dans l'attente d'une satisfaction à venir :
nous prenons conscience d'un intervalle entre le moment présent
et un certain moment de l'avenir. La crainte de voir finir cet
intervalle introduit un état de malaise qui l'apparente à l'insa-
tisfaction observée dans le premier cas. Par le fait même, elle
l'impose à notre attention. Et nous rejoignons ainsi l'analyse
selon laquelle le temps paraît toujours long lorsque nous y
faisons attention.
La complexité des impressions vécues apparaît encore
davantage, si nous distinguons deux types d'attente dans la
crainte : celle où nous craignons la fin d'une situation agréable
et celle où nous redoutons un événement futur. Dans le premier,
le temps nous paraît long, mais nous souhaitons qu'il soit encore
plus long. Si nous accompagnons à la gare un être cher, les
minutes qui nous séparent du départ du train nous paraissent
longues (attention à chaque parole, chaque geste, à tout ce qui
semble annoncer le départ) et en même temps nous imposent le
sentiment qu'elles sont trop courtes par suite de l'attitude affec-
tive qui voudrait repousser l'inéluctable. « Je dis à cette nuit :
sois plus longue », soupirait Lamartine, mais cette nuit a dû
lui sembler longue, même dans son bonheur, parce qu'il avait
justement trop conscience du temps qui passait. Comme nous
le verrons bientôt, elle ne lui aurait semblé vraiment très brève
que s'il ne s'était pas préoccupé du temps, c'est-à-dire d'un
après. Binet (1903) a observé une malade qui, lorsqu'elle ne
L'ESTIMATION DU TEMPS 217

dormait pas assez la nuit, se croyait obligée de rester alitée le


lendemain. Dans la nuit, pendant ses insomnies, elle trouvait le
temps trop court parce qu'elle craignait toujours de ne plus
disposer avant le matin des heures de repos indispensables.
De même, dans l'attente d'un événement désagréable, le
temps nous paraît long parce que nous y portons notre atten-
tion ; cette impression est renforcée par un effet de contraste :
au fond, nous souhaitons qu'il soit plus court. Nous désirons
en effet que ce qui est craint se produise le plus vite possible
pour faire cesser une tension qui devient d'autant plus forte et
d'autant plus insupportable que le moment fatal se rapproche.
Autrement dit, nous voudrions « en avoir fini ». Cette attitude
qui peut paraître paradoxale est confirmée par une expérience
de Falk et Bindra (1954). Ils ont demandé aux sujets de produire
plusieurs fois une durée de 15 s en appuyant sur un bouton pen-
dant ce temps. A la fin de leur estimation, les sujets du premier
groupe entendaient un son, ceux du deuxième groupe recevaient
un choc électrique. Les résultats montrent que les seconds
produisent une durée plus courte (c'est-à-dire qu'ils surestiment
par rapport aux premiers la durée produite, alors que la crainte
du choc aurait pu leur faire retarder ce terme désagréable).
Donc, de ces situations d'attente, ne naît jamais le sentiment
immédiat du trop court. Le temps nous y apparaît toujours
long, mais ce sentiment peut se surcharger de souhaits de voir
l'attente se prolonger ou se terminer qui ne sont plus relatifs à
la prise de conscience proprement dite de la durée.

*
* *
Cette analyse des situations où naît le sentiment d'une
réalité temporelle peut être confirmée par une contre-épreuve :
l'étude des cas où nous n'avons pas l'impression qu'il s'est écoulé
du temps. Car nous avons souvent ce sentiment. Nous savons
que l'horloge a tourné, mais nous n'en avons nulle conscience.
Quand cela se produit-il ? La règle suivante peut être formulée :
la durée ne nous devient pas spontanément sensible lorsque
notre présence à la situation actuelle est totale, c'est-à-dire
lorsque nous ne sommes reportés en aucun autre temps de
l'action par une exigence née de nos besoins ou des nécessités
sociales. En d'autres termes, les sentiments de temps ne se mani-
218 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

festent pas lorsque nous sommes pleinement satisfaits de la


situation présente.
Les jeunes enfants nous donnent l'exemple d'une vie presque
toujours absorbée par ce qui arrive. Leurs changements de
comportement sont en quelque sorte synchronisés avec les
sollicitations impératives de l'ambiance. Nous faisons une expé-
rience semblable lorsque nous vivons une journée très occupée,
comportant une variété d'obligations qui s'imposent sans que
nous ayons le loisir de penser ou de désirer autre chose. « Nous
continuons à vivre dans le temps pour quelqu'un qui nous
observe du dehors et qui a conscience lui-même de cet inter-
valle ; mais là où cette conscience n'est plus, quand nous ne
pouvons pas opposei à l'idée de ce qui est l'idée de ce qui a été
ou de ce qui sera, c'est le temps lui-même qui s'évanouit, comme
cela arrive sans doute dans ces formes d'existence parfaitement
dispersées qui sont, si l'on peut dire, en dessous de la tempo-
ralité » (Lavelle, ibid., p. 166). Mais comme Lavelle, excellent
observateur, le fait remarquer immédiatement, ce n'est que du
point de vue des objets que ces vies sont dispersées, car chez le
sujet, il y a à chaque instant une forte concentration de l'atten-
tion qui explique l'harmonie entre son devenir et celui du monde.
Que cette concentration soit due au pouvoir des situations
elles-mêmes ou à la force d'une motivation qui se réalise plei-
nement dans le moment présent, elle produit les mêmes effets.
L'enfant au jeu, l'amoureux dans ses transports, l'écrivain à
son ouvrage, tous, pendant de longs moments, n'ont pas
conscience du temps. Le fait a souvent été observé, mais pas tou-
jours bien interprété, faute de distinguer suffisamment nos
modes d'adaptation à la durée. Pourquoi, par exemple, l'écri-
vain ne prend-il pas conscience du temps ? Nous le supposons
entièrement absorbé par sa tâche, ce qui signifie qu'il n'éprouve
pas au moment où il écrit le désir de faire autre chose (de
manger, d'aller faire une course) ou simplement de cesser son
activité par suite de la fatigue (1). Mais cet intérêt exclusif
n'empêche pas qu'il ait conscience des changements qui se
produisent, ne serait-ce que du nombre de feuillets qu'il a écrits.
Ces changements lui fourniront - s'il en est besoin - quelques

(1)« Centmilleansde méditationscommecentmilleansde sommeiln'auraient


durépournousqu'uninstant,sansla lassitudequi nousinstruità peu prèsde la
longueurde la contention» (Diderot,cité par Poulet,1953.p. 201).
L'ESTIMATION DU TEMPS 219

repères pour apprécier la durée écoulée ; par eux-mêmes ils ne


font pas surgir de sentiments de temps, ceux-ci ne dépendant
que du rapport entre le sujet et son activité.
Dire, comme on l'écrit souvent, que le temps ne nous dure
pas quand nous sommes heureux, c'est faire une analyse juste
mais insuffisante. Satisfaction et non-conscience de la durée
sont deux effets concomitants d'une activité exactement adé-
quate à la motivation présente. Inversement insatisfaction et
sentiment de la durée sont l'une et l'autre conséquences d'une
frustration.
Cette adéquation de la motivation à l'activité présente
existe à des niveaux d'activité très différents. Elle est carac-
téristique des vies les plus équilibrées et des plus hautes acti-
vités manuelles, intellectuelles ou sociales. Mais elle peut se
rencontrer aussi à de bas niveaux d'activité : ainsi, lorsque
nous substituons à la situation objective, au réel au sens fort
du terme, une réalité subjective de type imaginaire. C'est le
cas de la rêverie. Certes, nous savons que la rêverie elle-même
est le plus souvent le fruit d'une frustration, d'une fuite devant
un réel trop difficile à maîtriser. Mais une fois que l'individu
a rejoint ce plan d'activité inférieure, il peut y trouver une réa-
lisation qui, au moment même, le satisfasse pleinement. Il est
bien connu que dans la rêverie le temps ne dure pas, moins
encore que dans une activité d'un plus haut niveau où peut
toujours se glisser quelque difficulté. La même expérience se
produit tous les jours dans la somnolence de l'endormissement
ou du réveil. Quelque idée vagabonde occupe tout notre champ
de conscience et nous sommes très surpris, lorsqu'une horloge
sonne dans le lointain, de constater qu'il est si tard dans la
nuit ou dans le matin. Nous n'avions pas pris conscience de la
durée (Thury, 1903).
La possibilité de se réfugier dans la rêverie explique aussi le
fait que les tâches monotones apparaissent comme relative-
ment brèves à de nombreuses personnes. Les tâches monotone'
sont les plus propices à engendrer l'ennui, sentiment qui naît.
de la non-coïncidence de deux durées, celle du travail, lent et
fastidieux et celle de notre esprit qui se voudrait ailleurs (Pucelle
1955, p. 20). Et l'ennui s'accompagne toujours d'un sentiment
de la lenteur des changements, donc du temps qui s'écoule.
Or, les tâches dites monotones n'apparaissent telles qu'à une
220 PSYCHOLOGIE Dll TEMPS

fraction des ouvriers de l'industrie, 25 % d'après Viteles (1952).


Parmi les 75 % qui n'en souffrent pas, certains peuvent trouver
dans ces tâches une satisfaction suffisante, mais il paraît à peu
près certain que d'autres s'y adaptent en s'en évadant, ce qui
est assez facile dans la mesure où ces tâches ne requièrent que
des automatismes (Lossagk, 1930) (1).
En partant des mêmes principes, il est possible de
comprendre les sentiments de durée qu'éprouvent ou que
n'éprouvent pas certains malades mentaux. P. Janet a décrit
ces idiots et déments qui restent dans les asiles des journées
sans rien faire, mais qui ne paraissent pas s'ennuyer et chez
qui rien ne permet de déceler qu'ils aient un sentiment du temps.
Il exprime de même son étonnement devant les asthéniques
qui peuvent rester couchés sans voir personne pendant long-
temps sans s'ennuyer ni trouver le temps long. « Ces personnes,
dit-il, ont perdu les sentiments ; elles n'aiment rien, ne détestent
rien ; les objets leur apparaissent indifférents, elles vont jusqu'à
dire qu'ils sont irréels. » Une de ces malades disait : « Les objets
qui m'environnent sont irréels », mais elle ajoutait : « C'est très
les ne durent » - -ce
drôle, journées plus Qu'est que cela veut
dire ? - « Eh bien, disait-elle, je constate qu'il est le soir, je
constate que l'horloge marque telle heure et chaque fois cela
me surprend parce qu'il ne s'est rien écoulé depuis le matin »
(ibid., p. 50). Les propos de cette malade rappellent les impres-
sions que nous éprouvons au moment de l'endormissement.
L'affectivité est très réduite, et ce qui prédomine, c'est ce que
Janet appelait les sentiments du vide. Ne désirant rien, les
asthéniques ne peuvent souffrir de frustration, et en particulier
de frustration temporelle ; aucun sentiment de la durée n'aa
donc l'occasion de naître.
Les troubles temporels des schizophrènes sont susceptibles
de la même interprétation. Nous avons vu au chapitre précédent,
en examinant le problèmes de lerrr horizon temporel, qu'ils

(1) Les études qui ont été faites sur les ouvriers sujets à l'ennui dans les tâches
monotones de l'industrie confirment nos analyses sur le sentiment de temps. Pour
eux, plus l'ennui croît et plus le temps paraît long (Burton, 1943). En souffrent
le plus les individus les plus intelligents : il est probable qu'ils ne peuvent trouver
leur satisfaction dans des tâches routinières (Viteles, 1952). L'ennui frappe aussi
des ouvriers actifs que ces tâches ne « prennent » pas assez, ou encore ceux qui
sont en général mécontents de la vie et qui ont une tendance à l'inquiétude et à
l'agitation. Ces derniers sont prédisposés à ne pas se satisfaire de tâches monotones
et aussi sans doute de tout autre travail régulier (Smith, 1955).
l'ES7'IMA'?'lON Dli 7'Ii.,kll>," 221
.-

semblaient vivre dans l'intemporel. Ce dont ils se plaignent en


particulier est d'avoir perdu le sentiment du temps.
« Le temps pour moi, c'est quelque chose de vague. Je sais
bien lire l'heure, je sais par exemple quand c'est midi, etc., mais
je n'ai pas la notion du temps. Mon esprit voyage ailleurs. Je
ne sais jamais depuis quand je fais telle ou telle chose... »
(Halberstadt, 1922).
« La montre marche exactement comme avant. Mais je
ne veux plus la regarder, cela me rend triste. Que le temps passe
et que les aiguilles tournent, je n'arrive pas à me les représenter
très bien. »
« La pensée se tenait immobile, oui, tout se tenait immobile,
comme si le temps n'existait plus. Je m'apparaissais à moi-
même comme un être intemporel » (Fischer, cité par Minkowski,
pp. 268-269).
L'explication de Minkowski selon laquelle leur dynamisme
vital serait atteint rend parfaitement compte de ces propos.
Comment ces malades pourraient-ils sentir que le temps leur
oppose un obstacle, puisqu'ils sont dominés par le sentiment
de l'immobilisme ? Ils ne connaissent qu'une activité autistique
où la réalisation de leurs désirs n'est pas limitée, donc où ils
ne rencontrent pas le temps (Vinchon, 1920 ; Minkowski, ibid.,
pp. 265-266).
Si on examine d'ailleurs ces malades, on voit qu'ils conti-
nuent à s'adapter aux changements périodiques, qu'ils per-
çoivent le temps exactement (Fraisse, 1952), qu'ils sont capables
même de faire des estimations temporelles relativement cor-
rectes (Clausen, 1950). Sans doute certaines études ont-elles
noté chez eux quelque difficulté à ordonner plusieurs évé-
nements, surtout quand ceux-ci ne sont pas contigus dans le
temps comme mardi, vendredi, samedi (de La Garza et Wor-
chel, 1956), mais ce qui semble électivement atteint en eux
est le sentiment du temps (Zeitgefühl) et non leur horloge
physiologique (Zeitsinn) ou leur notion de temps (Horanyi-
Hechst, 1943).
En résumé, l'étude des diverses circonstances où se mani-
festent les sentiments de temps permet d'affirmer que ceux-ci
ont leur origine dans la prise de conscience d'une frustration
que nous impose le temps. Ou bien il impose un délai à la satis-
faction de nos désirs présents, ou bien il nous oblige à prévoir
222 DU TEMPS
l'SYC,'HIOLOGIF.

la fin de notre bonheur actuel. Le sentiment de la durée naît


ainsi de la confrontation de ce qui est et de ce qui sera, c'est-à-
dire de l'intervalle qui sépare deux événements. Là au contraire
où nous trouvons - à un haut ou à un bas niveau d'activité -
la réalisation intégrale de nos désirs dans le moment présent,
nous n'éprouvons pas le sentiment que le temps dure. Certes,
dans la vie courante ces moments ont une durée limitée, car
la fatigue ou simplement la lassitude entre rapidement en
conflit avec la motivation qui commande l'activité ; plus sou-
vent encore la nécessité de tenir compte des cadres sociaux nous
interdit de nous laisser entièrement absorber par un travail,
si facile et attachant soit-il. Cependant, à des heures privilégiées,
nous pouvons avoir l'impression de devenir indépendants du
temps parce que nous vivons corps et âme au rvthme des
changements actuels.

II
L'APPRÉCIATION DE LA DURÉE

Notre expérience quotidienne montre à l'évidence que nous


sommes infirmes dans l'appréciation de la durée. Il est difficile
d'estimer depuis combien de temps je suis à table, je travaille,
je marche, je lis, etc. Sans pendules et sans montres, nous
commettons des erreurs grossières.
Cependant nous ne cessons d'apprécier la durée de nos acti-
vités ; même quand nous pouvons les mesurer objectivement,
nous aimons confronter notre estimation intuitive aux mesures.
Sur quels indices sont fondées nos appréciations du temps ?
Avant d'aborder ce problème essentiel, il est nécessaire que
nous nous interrogions sur les formes que revêtent ces appré-
ciations et sur leur valeur respective. Cette introduction
méthodologique permettra de mieux situer les travaux que
nous pourrons invoquer.

10 LES MODALITÉS D'APPRÉCIATION DE LA DURÉE

Nos appréciations peuvent revêtir cinq formes :


a) Nous nous contentons souvent d'exprimer notre esti-
mation par des jugements absolus : « c'est long », « c'est court ».
Comme tous les jugements absolus, ils ne sont en r, alité que
L'ES1'IMA'l'ION I)U TEMPS 22a
- ..

des comparaisons implicites. « C'est long » exprime notre appré-


ciation de la durée vécue par rapport à quelque étalon. Celui-ci
nous est fourni par la prévision que nous avons de la durée pro-
bable de l'action entreprise (1), prévision qui d.'pend la fois
de nos habitudes (la durée moyenne d'un repas) ou de notre
désir d'en voir arriver le terme rapidement ou non. Nos éva-
luations sous cette forme sont évidemment très influencées par
les sentiments de temps qui peuvent naître de l'action. Il est
d'ailleurs manifeste que ce mode d'appréciation apparaît géné-
tiquement le premier. L'enfant trouve long de marcher ou de
manger sa soupe. Cette méthode n'est guère utilisable pour des
recherches empiriques, mais elle rend très bien compte de nos
sentiments du temps.
b ) La méthode de comparaison consiste à comparer l'une
par rapport à l'autre deux durées successives. Nous l'employons
dans la vie de tous les jours lorsque nous disons, par exemple,
« le trajet m'a semblé plus long qu'hier n. Cette méthode a été
standardisée par la psychophysique. Elle est séduisante, mais
elle a l'inconvénient de faire intervenir de grosses erreurs de
position temporelle (time error, particulièrement sensibles pour
les durées brèves. Si les durées sont longues et si les intervalles
entre les reproductions sont notables, interviennent alors les
déformations mnémoniques du temps (voir p. 248).
c ) Parfois nous essayons d'évaluer quantitativement les
durées en utilisant les unités conventionnelles de temps, minutes
et heures (en l'absence évidemment de toute horloge). Ce mode
d'évaluation n'est possible qu'après une longue éducation qui
provient de l'usage répété des montres et des pendules, mais
il reste toujours imparfait, car ces unités n'ont pas de réalité
sensible, et ne donnent pas naissance à des images. Je puis
me représenter un mètre non une minute : je ne puis qu'essayer
de reproduire une durée semblable. En évaluant le temps,
nous essayons donc de traduire plus ou moins imparfaitement
une appréciation subjective (2).

(1) Nousentendonsactionau sensle plus généraldu mot. L'action,c'est ce


que nousfaisons,et nousagissonsdu matin au soir.Regarder,écouter,attendre
sont des actionsau mêmetitre qu'écrire,se promener,fabriquerquelquechose.
(2) L'emploides unitésconventionnelles précisesreprésenteun grandprogrès
par rapportà l'emploid'unitéstiréesde l'expérience
sensiblecommecellesutilisées
par certainespeupladesindigènes.A Madagascar, lesindigènesparlentpar exemple
de la duréed'une«cuissonde riz»,cequi veutdireunedemi-heure environ(d'aprf-
Klineberg,1957).
221, l'SS'Gtl(1LUG11?:
DU TEMPS

Cette méthode d'estimation par une traduction en unités


de temps est celle que nous employons le plus volontiers, car
elle nous fournit des renseignements qui se rapprochent des
informations fournies par les montres. Elle est aussi la plus uti-
lisée dans les études expérimentales parce qu'elle est la plus
pratique.
d ) Nous pouvons traduire notre appréciation du temps par
une reproduction,. Le sujet qui a eu une impression de durée
en exécutant une tâche est invité à produire une durée équiva-
lente soit en travaillant pendant le même temps, soit en déli-
mitant par deux signaux, l'un au début, l'autre à la fin, une
durée équivalente. Cette méthode a l'avantage de ne pas faire
appel à des unités abstraites. Nous ne l'employons évidemment
guère dans la vie courante où elle ne serait d'aucune utilité :
par contre, son usage est fructueux dans les études expéri-
mentales.
e) On peut utiliser enfin dans les études expérimentales
la méthode de production. Elle consiste à demander de faire
quelque chose pendant une durée exprimée en unités de temps ;
écrire pendant une minute par exemple.
Ces méthodes ne sont pas équivalentes. On peut le vérifier
en utilisant - avec prudence - la technique des corrélations.
Clausen (1950) avait trouvé que les résultats obtenus par la
méthode de reproduction et par celle d'estimation avaient une
corrélation nulle. Dans une étude très systématique, et en
utilisant cinq valeurs de durées allant de 21 à 45 s, nous avons
trouvé les corrélations suivantes sur 22 sujets (Fraisse et coll.,
1962).
Entre reproductionet estimation r .17
7
Entre reproductionet production r = – .100
Entre estimation et production r = - .37
La seule corrélation significative est celle entre estimation
et production, épreuves qui font toutes deux intervenir nos
appréciations subjectives des unités temporelles. Le caractère
négatif de la corrélation ne doit pas nous tromper. A une
surestimation dans l'estimation correspond une production
plus courte et le caractère négatif tient uniquement à ce que
la corrélation est calculée sur des valeurs brutes et non sur des
pourcentages de sur et de sous-estimation. Des résultats du
même ordre ont été retrouvés par Warm, Morris et Kew (1963).
L'ESTIMATION DU TEMPS 225

Sur des durées plus courtes (inférieures à 4 s), les corréla-


tions sont nécessairement plus fortes (- .78 entre production
et estimation ; + .42 entre reproduction et production, d'après
Hawkes, Bailey et Warm, 1961).
*
* *
Tous ces modes d'appréciation restent très imparfaits. Les
erreurs commises sont grandes, même sur les petites durées
(de l'ordre de quelques secondes à quelques minutes). Bour-
don (1907), qui utilise la reproduction, estime qu'elles atteignent
20 à 25 %, lorsque les durées s'étendent de 9 à 25 s et 33 %
pour 76 s. Woodrow (1930), par la même méthode, mais en
faisant reproduire 50 fois de suite le même intervalle, trouve
une variabilité de 17 % entre 6 et 30 s. Pumpian-Mindlin (1935),
par production, estime l'erreur à 25 % en moyenne pour des
durées de 30 s à 10 mn (1). Gilliland et Humphreys (1943)
en combinant les résultats des trois méthodes (reproduction,
estimation et production), calculent que le pourcentage d'erreurs
diminue, avec l'allongement de la durée, de 28 % pour 14 s
à 18 % pour 177 s.
Ces derniers auteurs ont aussi trouvé que l'erreur était
moindre par la méthode de reproduction que par celle de pro-
duction, et par celle-ci que par celle d'estimation.
Nous avons trouvé dans la recherche citée plus haut (Fraisse
et coll., 1962) des résultats du même ordre. La variabilité
inter-sujets et intra-sujets (fidélité) est la plus forte par la
méthode d'estimation. Voici d'ailleurs l'ensemble des résultats
pour les moyennes des écarts types d'appréciation de durées
de 21 à 45 s :

1 Intcr-sujets l Intra-sujets
1
Reproduction...... 13,8 °/, 20,9
Estimation........! 35,1 - 1 28,7 -
Production........ 23,5 - , 18,8 -

Les valeurs rapportées par les auteurs peuvent varier


considérablement avec la nature et le plan de l'expérience.

(1) Tous ces résultatsmontrentque la loi de Webersembles'appliqueraux


duréesrelativementbrèves.
P. FRAISSE t5
226 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

Doehring (1961), par la méthode de reproduction, trouve pour


des durées allant de 0,5 à 8 s une « consistance » des réponses
qui varie de 20 à 50 % en combinant variabilité inter et intra-
sujets.
Il faut d'ailleurs distinguer soigneusement en ce domaine
erreurs et variabilité. En effet, dans chaque méthode, chaque
sujet semble avoir une échelle propre d'appréciation de la
durée qui lui permet une relative fidélité de ses appréciations,
tandis que d'un sujet à l'autre les différences peuvent être
considérables (Myers, 1916 ; Korngold, 1937 ; Harton, 1939 ;
de Rezende, 1950 ; Eson et Kafka, 1952).
Moins les unités de temps jouent un rôle dans notre appré-
ciation de la durée et plus nous sommes précis. Les différences
observées sont beaucoup plus sensibles chez les enfants ou chez
les malades mentaux, surtout lorsqu'ils présentent des déficits
intellectuels plus ou moins prononcés. Kohlmann (1950) a fait
estimer des durées diverses allant jusqu'à 3 mn par la méthode
d'estimation et par celle de reproduction. Les erreurs relatives
de dix adultes normaux s'étendent, suivant les sujets, de 12
à 28 % par reproduction, et de 30 à 78 % par estimation. Dans
un groupe de douze malades mentaux, comprenant des cas de
tumeurs cérébrales, de schizophrénie et de démence sénile, les
erreurs par reproduction s'échelonnent de 18 à 108 % et par
estimation de 47 à 432 %. Les cas extrêmes, quelle que soit la
méthode, sont évidemment ceux de déments séniles.
Le sens de l'erreur commise varie, comme nous le verrons
plus loin, avec la nature de la tâche dont on évalue la durée.
Elle est aussi fonction des conditions de l'expérience : lorsque,
dans le cours de la même expérience, on évalue les durées dif-
férentes, on surestime les courtes et on sous-estime les plus
longues par suite du développement d'une tendance centrale
(Fraisse, 1948 ; Gilliland et Humphreys, 1943 ; Clausen, 1950).
Il s'agit là d'une loi générale qui se manifeste aussi dans le
cas des durées perçues (chap. V, p. 126).
Ces indications sur les méthodes et les variabilités des résul-
tats montrent que l'analyse des facteurs et des lois de l'appré-
ciation de la durée ne peut être qu'assez délicate.
Les études basées sur la méthode de reproduction sont les
plus solides, mais elles ne permettent d'explorer que de courtes
durées. La méthode d'estimation rend possible la comparaison
L'ESTIMATION DU TEMPS 227

des durées apparentes de plusieurs tâches différentes puisque


mous avons vu que chaque personne semble avoir une échelle
subjective assez fidèle. Cependant, employée seule, elle ne
permet pas de conclure que le sujet a surestimé ou sous-estimé
une durée, c'est-à-dire de savoir s'il a trouvé le temps long ou
court. Qu'une personne juge qu'une heure a duré 80 mn ne
signifie pas forcément que cette heure lui a paru fort longue ;
tout dépend de l'emploi qu'elle fait des unités de temps. Par
contre, la comparaison des estimations d'un même sujet a un
certain sens, dans la mesure où elles se réfèrent grosso modo à un
même étalon. Ce qui compte donc, c'est moins le chiffre absolu
de l'estimation que sa valeur relative par rapport à une autre
estimation.

20 LES CRITÈRES DE L'APPRÉCIATION DE LA DURÉE

Nos appréciations de la durée varient beaucoup en fonction


des situations concrètes. Quels sont donc les facteurs qui déter-
minent ces variations ?
Nous estimons la durée en nous fondant sur trois sortes
d'indications, dont certaines nous sont déjà connues, mais
qu'il est utile de rassembler dans une même perspective : des
informations métriques, affectives et directes, c'est-à-dire basées
sur le nombre des changements vécus.

A) Les appréciations de type métrique


Par expérience, nous savons que nos appréciations directes
de la durée sont très imprécises ; aussi essayons-nous le plus
souvent d'utiliser un instrument de mesure du temps. Horloges
et montres nous fournissent le moyen idéal. Le calcul du dépla-
cement de l'aiguille dotée d'un mouvement uniforme nous offre
une indication qui n'a évidemment aucun rapport avec notre
expérience vécue. Le processus rappelle les mesures d'ordre
spatial, puisqu'il suffit d'observer les positions de l'aiguille
qui coïncident avec le début et la fin de la période à mesurer
pour que le calcul soit possible. Certes, la mesure proprement
dite du temps suppose la notion d'un temps homogène, mais
nous laissons provisoirement de côté cette question (chap. VIII,
p. 267).
Quand nous n'avons pas de montres, nous essayons de les
228
8 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

remplacer. Pour les longues durées, nous pouvons utiliser les


horloges naturelles, estimer par exemple la longueur du dépla-
cement du soleil ou des ombres portées ; nous avons aussi à
notre disposition tous les changements périodiques que nous
pouvons dater, y compris ceux de notre organisme.
Il est un autre moyen pratique de mesure qui est une appli-
cation du principe des montres. Ce dernier consiste à mesurer
un déplacement de vitesse uniforme. Certes, ce déplacement
a été étalonné par rapport au nycthémère mais tout autre dépla-
cement peut jouer un rôle identique. En effet, de deux dépla-
cements à vitesse uniforme, on conclut aisément que le plus
long a duré le plus longtemps. Une mesure proprement dite
est même possible si l'unité de déplacement a été étalonnée par
rapport à une montre. Nous savons ainsi qu'un piéton de force
moyenne qui a parcouru 5 km a marché 1 h. A partir de l'espace
parcouru, nous pouvons donc apprécier la durée. Il en est de
même à partir de tout travail accompli par une machine ou
par l'homme, dans la mesure où le travail a une certaine homo-
généité et se compose d'unités quantifiables. Le nombre de
pages écrites, la longueur de la tranchée creusée, la quantité
de pièces fabriquées sont donc susceptibles de fournir des
bases à la mesure du temps.
Certes, moins les unités de temps sont déterminées, plus
leur nombre est difficile à estimer et plus la mesure devient
imprécise. Nous préférons alors parler d'appréciation ou d'esti-
mation du temps ; il s'agit pourtant essentiellement d'une
mesure qui utilise un calcul plus ou moins explicite, et qui,
comme toute mesure, est un procédé indirect qui ne se réfêre en
rien à la durée vécue.

B) Les appréciations de type affectif


Nous avons vu au début de ce chapitre que notre connais-
sance la plus élémentaire de la durée se faisait par l'intermé-
diaire des sentiments de temps. A leur manière ils nous offrent
des éléments d'appréciation. Ou bien nous prenons conscience
de la durée, et alors le temps nous paraît long, trop long. Ou
bien nous n'avons pas conscience de la durée, et par contraste
il ne nous semble pas s'être écoulé beaucoup de temps. Nous
le vérifions quotidiennement. Dans l'attente, lorsque nous
consultons notre montre, nous sommes toujours surpris qu'il
L'ESTIMATION DU TEMPS 229

ne soit pas plus tard. Par contre, si nous passons une soirée
agréable avec des amis, bien souvent nous sommes étonnés
qu'il soit si tard au moment où nous regardons l'heure. Ces
- ou sur
appréciations fondées sur nos sentiments de temps
leur absence - n'interviennent jamais seules Elles colorent
en quelque sorte nos estimations fondamentales du temps,
où interviennent d'autres critères, comme nous allons le voir.
Elles ont aussi pour effet de les accentuer. Quand naît un
sentiment de temps, notre attention se porte électivement sur
la durée et le temps semble passer plus lentement. « Regarder
le lait l'empêche de bouillir o dit la sagesse populaire.

C) Les appréciations directes de la durée


Supposons maintenant que nous n'ayons aucun moyen de
mesurer le temps et que, par ailleurs, le temps ne nous semble
pas long : nous avons cependant conscience qu'il s'est écoulé du
temps et nous nous sentons capables de l'apprécier.
De quoi est faite la durée ? De changements qui se succèdent
et de rien d'autre. Pour parler plus nettement, la durée psycho-
logique est faite de changements psychologiques, c'est-à-dire
de changements qui, parce qu'ils sont perçus, deviennent une
réalité psychologique. La perception est donc au coeur du
problème.
Dans quelles conditions un changement est-il perçu ?
Nous devons nous arrêter d'abord à cette question préliminaire
car elle éclairera l'ensemble du problème.
Parmi les multiples changements qui se produisent autour
de nous, tous ne sont pas également remarqués. L'horloge
derrière moi bat les secondes, mais en général je ne remarque
pas chaque seconde, sauf si mon attention se porte sur ces
battements pour chronométrer une course par exemple. Je lis
un livre. Chaque mouvement des yeux entraîne un changement,
mais je ne le perçois même pas ; à peine si je suis attentif aux
pages que je tourne. Les changements vécus sont relatifs au
contenu du livre.
Il en est des changements comme de toutes nos perceptions.
Elles ont toujours deux composantes : les stimulations et nos
attitudes. A chaque instant, parmi la multitude des stimulations
différentes qui agissent sur nos récepteurs, nous percevons
électivement ou bien les plus intenses ou bien celles qui répon-
230 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

dent à notre attitude du moment. Il s'établit ainsi une tension


entre la force de la stimulation et celle de l'attitude. Ce qui est
perçu est une résultante. Absorbé par mon travail, je n'entends
pas - ou presque pas - les enfants qui discutent dans la
pièce voisine. Mais qu'ils se mettent à crier et ces sons s'impo-
seront à moi comme une figure prégnante, le reste, c'est-à-dire
mes pensées, devenant un fond indistinct.
La sélection des changements perçus va dépendre de même
de facteurs objectifs et de facteurs subjectifs. Les premiers
tiennent à la nature même de la tâche, les seconds à l'attitude
proprement dite du sujet. Cette distinction est abstraite ; dans
la réalité, les changements que nous saisissons dépendent des
uns et des autres. Cependant, dans une certaine mesure, il est
possible de distinguer après coup ce qui provient des stimu-
lations et ce qui est propre au sujet. Ainsi dans la perception
d'une planche de Rorschach, je puis distinguer l'aspect tache
d'encre de mes interprétations subjectives. Devant les change-
ments, je puis m'attacher à la succession des événements qui
se produisent comme en dehors de moi ou, au contraire, aux seuls
retentissements qu'ils ont en moi. En lisant un roman, je puis
juger des changements par le nombre de pages que je tourne
ou, au contraire, ne m'attacher qu'aux péripéties que je vis avec
les héros de l'aventure.
Cette distinction entre facteurs objectifs et subjectifs du
changement rejoint celle qu'a proposée Straus (1928), à partir
de ses études pathologiques, entre le temps du monde et le temps
du moi. Nous vivons simultanément, dit-il, dans deux temps,
l'un qui est jalonné par les changements qui se produisent dans
notre environnement, l'autre qui est immanent à notre expé-
rience intime et qui surgit de notre personnalité. Des malades,
schizophrènes ou mélancoliques, sont, en effet, très sensibles à
l'opposition qui peut exister entre l'immobilisme de leur affec-
tivité et de leur pensée et les changements qu'ils constatent
autour d'eux et auxquels ils ne prennent plus une part active.
D'autres peuvent se rendre compte d'une différence de rythme
entre leurs changements intimes et ceux qu'ils constatent autour
d'eux : telle cette malade de Kloos (1938), qui, dans ses accès
de mélancolie, trouvait que le temps de l'horloge se ralentissait
par rapport à son travail qu'elle avait l'impression de faire très
vite.
L'ESTIMATION DU TEMPS 231

Ces discordances sont vérifiées par les expériences que nous


avons tous pu faire sur nous-mêmes. Elles sont l'exagération
des différences que nous constatons entre la vitesse des chan-
gements qui se produisent et ceux que nous souhaiterions voir
se produire. D'autre part, elles accusent la possibilité que nous
avons de dissocier, dans une certaine mesure, le flux de nos
pensées et de nos affects de celui de nos perceptions. Cependant
cette dissociation est une attitude limite. On ne peut d'ailleurs
pas dire que les changements perçus ne dépendent pas eux aussi
de la personnalité dans son ensemble. La distinction entre
temps du moi et temps du mon.de n'est valable que si elle n'est
pas interprétée dans une perspective dualiste et si les termes
qu'on oppose sont considérés comme deux aspects d'une même
réalité qui peuvent être plus ou moins dissoci-s suivant le
jeu des attitudes nées de la volonté ou de la maladie.

*
* *
Une fois admises ces prémisses, notre propos est de démon-
trer que la longueur d'une durée dépend du nombre de change-
ments que nous y percevons.
Nous rejoindrons du même coup des analyses anciennes et
modernes. Lorsque Aristote estimait que le temps était le
nombre du mouvement, il nous semble qu'il projetait dans le
monde physique une donnée d'ordre d'abord psychologique.
Condillac, tout en s'intéressant surtout à l'origine de l'idée de
temps, a bien vu que sa statue n'aurait jamais connu qu'un
instant si le premier corps odoriférant eût agi sur elle d'une
manière uniforme pendant une heure, ou davantage ; il note à
plusieurs reprises que le temps n'est fait que de la succession
et du nombre des impressions ressenties par l'organe ou évo-
quées par la mémoire. W. James écrit que « c'est la richesse de
son contenu qui fait la longueur du temps » (1932, p. 370).
Guyau a essayé de faire une revue exhaustive des facteurs qui
interviennent dans notre estimation du temps. Il en trouve dix,
mais qu'il est facile de ramener, soit au nombre, soit à la variété
des images et de tout ce qui accompagne ces dernières : émo-
tions, appétits, désirs, affections (1902, 2e éd., pp. 85-86).
L'étude systématique que, de notre côté, nous allons consa-
crer à cette question, vise essentiellement à établir la loi
232

suivante : tout ce qui contribue à augmenter ou à diminuer le


nombre relatif, c'est-à-dire la densité des changements remar-
qués, a pour effet d'allonger ou de raccourcir la durée apparente.

10 L'INFLUENCE DE NOS ATTITUDES

ET EN PARTICULIER DE LA MOTIVATION

Nos attitudes peuvent avoir pour etfet de multiplier ou de


diminuer le nombre des changements apparents. Dans quelle
mesure ces variations agissent-elles sur l'estimation de la
durée ? Nous le saurons en modifiant les attitudes, la tâche
objective restant la même.
a ) Il nous est possible de multiplier les changements perçus
en faisant porter notre attention sur les différents moments
d'une tâche. Nous avons déjà fait allusion à la loi fondamentale
exprimée par Katz. Plus on fait attention au temps, plus il
paraît long. Or, qu'est-ce que « faire attention au temps n sinon
aux divers changements qui se produisent ? Jamais une minute
ne nous paraît aussi longue que lorsque nous regardons la
trotteuse de nos montres parcourir les 60 divisions du cadran.
Il est facile de multiplier les exemples. Dans la plupart des
expériences sur l'estimation du temps, on trouve une suresti-
mation des durées quand précisément la consigne oblige les
sujets à faire attention au temps qui s'écoule. Notre attention
au temps naît, le plus souvent, des conditions objectives qui
nous obligent à tenir compte de la dimension temporelle de
notre action. Ainsi, le temps paraît long dans l'attente ; il
apparaît d'autant plus long que notre désir de voir finir la
période d'attente est plus grand. Ainsi, dcs rats qui doivent
choisir entre deux branches d'un labyrinthe selon la période de
confinement surestiment ce temps d'attente, d'autant plus que
leur motivation (en fonction de la durée du jeûne) est grande
(Yagi, 1962, voir technique p. 61). Une activité monotone
nous paraît d'autant plus longue que nous attendons plus de ce
qui suivra. Ainsi, Filer et Meals (194 J) trouvent que des groupes
d'enfants qui attendent une récompense à la fin d'une tâche
fastidieuse surestiment plus le temps qu'un groupe contrôle
qui n'espère rien. Si la frustration ne vient pas d'un temps trop
long par rapport à l'intérêt actuel de l'action mais, au contraire,
du fait que le temps imparti est trop court, c'est-à-dire que
L'ESTIMATION DU TEMI'.5 233

nous devons avoir une conduite de précipitation avec une


attention marquée à chaque instant, nos estimations de la
durée sont ainsi paradoxalement surestimées (Orsini et Fraisse,
1959).
L'existence d'un danger, si notre action est trop longue, a
le même efret. Ce dernier facteur a été bien mis en évidence
par la recherche de Langer, Wapner et Werner (1961). Seize
sujets ont à estimer une durée dans les circonstances suivantes :
placés sur un chariot qui se meut sur rails à vitesse constante,
ils doivent le faire avancer pendant 5 s (méthode de production).
Ils ont les yeux bandés pendant le trajet, mais avant le départ
ils doivent inspecter la situation qui se caractérise par le fait
que dans un cas il y a danger, le couloir où se fait l'expérience
se terminant par un précipice : la cage d'escalier, et que dans
l'autre il n'y a pas de danger, le déplacement se faisant dans
l'autre sens, à partir de la cage d'escalier. Pour une distance
de départ, à 15 pieds du danger et une vitesse de 2 miles à
l'heure, l'estimation a été de 3,37 s avec danger et de 4,22 s
sans danger.
Par contre, ce qui diminue notre attention au temps diminue
aussi sa durée apparente. Ainsi, dans le cas où la durée d'une
même tâche doit être estimée plusieurs fois de suite, on constate
que la surestimation diminue peu à peu (Falk et Bindra, 1954).
Conclusion qui recoupe une observation banale : à mesure que
nous prenons l'habitude de parcourir un trajet, d'exécuter un
travail donné, le temps nécessaire paraît moins long. L'expli-
cation en est simple : la nouveauté appelle l'attention et aucun
détail ne nous échappe; mais quand l'automatisme se développe,
il nous laisse nous concentrer sur le but à atteindre ou nous
évader dans quelque rêverie.
Souvent d'ailleurs, l'attention que nous portons aux chan-
gements est due aux efforts que nous avons à accomplir pour
réaliser une tâche trop difficile. Mais cette difficulté même n'est
pas inhérente seulement à la nature de la tâche ; nous savons
tous combien elle est accrue par une motivation insuffisante.
6) Inversement, tout ce qui, dans notre attitude, contribue
à diminuer le nombre des changements perçus diminue aussi
la durée apparente. Un facteur essentiel de cette diminution
est l'activité organisatrice de l'esprit humain : au lieu de
prendre chaque segment de la tâche pour lui-même, nous pou-
2:W PSY'CHO,LOGIEDU TEMPS

vons envisager avant tout le but poursuivi. Ce but est parfois


imposé par la nature de la tâche : faire une multiplication est
autre chose qu'aligner des chiffres, mais il peut aussi être extrin-
sèque à la tâche elle-même et par là dépendre directement de
l'attitude du sujet. Cette attitude à son tour est fonction des
motivations qui l'animent : nous tendons vers un but si nous en
attendons quelque satisfaction.
Il apparaît ainsi que la motivation joue un grand rôle
dans notre estimation du temps. Mais pour comprendre son
action, il faut distinguer soigneusement la motivation intrin-
sèque à l'activité présente et la motivation à être débarrassé
de la tâche présente pour faire autre chose de plus intéressant.
Dans le cas que nous venons d'envisager, nous sommes frustrés
temporellement par le présent et plus la frustration est grande,
plus le temps paraît long. L'importance de la frustration peut
venir conjointement du désir d'autre chose et du désintérêt
pour le présent et ici nous rejoignons la motivation intrinsèque.
Quand elle n'est pas très grande, notre attention se pose sur
les différents moments de la tâche ; en outre, nous sommes
facilement distraits par les incidents du monde qui nous envi-
ronne ou par les pensées qui surgissent en nous, ou encore
attentifs aux efforts à accomplir, comme nous le disions plus
haut. Quand la motivation est très grande, absorbés par la
tâche qui en reçoit une unité de signification, nous reconnaissons
nous-mêmes que nous ne « voyons pas le temps passer ». Un
cours, une discussion passionnants paraissent plus brefs qu'un
cours ou qu'une discussion languissants. Les ouvriers savent
bien qu'un moyen de ne pas trouver le temps long est de tra-
vailler plus activement, c'est-à-dire de s'intéresser davantage
à ce qu'ils font (Jahoda, 1941). L'expérience suivante va dans
le même sens. Supposons que l'on propose aux sujets des
puzzles équivalents (qui ont l'air facile, mais qui sont en réalité
insolubles) dans deux situations différentes. Dans l'une, la
tâche est présentée comme un entraînement en vue de la réa-
lisation d'un puzzle ultérieur ; dans l'autre, il est demandé de
reconstituer effectivement le puzzle dans un temps limité.
Rosenzweig et Koht (1933), auteurs de cette expérience, ont
trouvé que 51 sujets sur 89 estiment le temps plus long dans la
première situation, c'est-à-dire lorsque la tâche, présentée
comme une épreuve préliminaire, stimule moins leur intérêt.
L'ESI'IMA'l'IOIV DU TEMPS 235

Les résultats auraient d'ailleurs été plus probants si les auteurs


avaient cherché à connaître l'intérêt réel que les sujets, dans
l'une comme dans l'autre situation, avaient porté à leur tâche.
Cette critique est d'autant plus pertinente que Meade (1960 a),
reprenant la technique de Rosenzweig et Koht, a trouvé que
la variable la plus importante n'était pas dans ce cas le niveau
de la motivation, mais l'ordre des situations. Que la seconde
situation soit celle avec haut ou bas niveau de motivation,
à durée égale, elle apparaît toujours en moyenne plus courte
que la première effectuée avec l'autre niveau de motivation.
Avec deux groupes différents de sujets, il n'apparaît plus d'effet
de la soi-disant motivation. Mais l'implication du moi dans la
tâche ne varie peut-être pas avec la consigne de l'expérimen-
tateur. La nature du travail a une action spécifique. Il est
d'ailleurs d'autres moyens de faire varier la motivation et
l'un d'eux est de laisser prévoir le succès ou l'échec. Toujours
avec le matériel de Rosenzweig et Koht, Meade (1960 6) a
trouvé dans une nouvelle recherche que les sujets à qui on
présente le puzzle comme un test d'intelligence estimaient la
durée du travail à 3 mn 4 s quand on leur laissait pressentir
un succès en leur disant « bien » dix fois au cours des 5 mn que
durait objectivement le travail, et de 5 mn 5 s quand on
ne leur donnait aucune indication annonçant un progrès.
Mais cette prévision du succès ou de l'échec a peu d'effet
chez ceux à qui les puzzles sont donnés à titre d'exercice
sans conséquence.
Cette expérience confirme les résultats d'une recherche un
peu plus ancienne. On avait fait faire aux mêmes sujets deux
tâches analogues (apprendre un labyrinthe mental). L'expéri-
mentateur pouvait varier la motivation en laissant prévoir aux
sujets ou le succès ou l'échec. Il les prévenait que l'épreuve
devait être réussie en temps limité et il décidait par devers lui
si elle conduirait à la réussite ou à l'échec, résultat qu'il était
possible d'obtenir en modifiant les voies du labyrinthe à l'insu
du sujet. Dans le cas où le sujet devait réussir, il l'encourageait
au cours de l'épreuve, lui disant qu'il était sur la bonne voie.
Dans l'autre cas, au contraire, l'expérimentateur multipliait les
remontrances, laissant pressentir au sujet son échec. 52 sur
57 sujets ont estimé la tâche couronnée de succès plus courte
que l'autre (Harton, 1939, b). L'auteur estime explicitement
236 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

qu'une motivation plus grande entraîne une meilleure organi-


sation du travail, c'est-à-dire sa plus grande unité.
Une forte motivation peut avoir des origines très différentes.
Elle peut naître simplement d'une difficulté suffisante de la
tâche. Nous nous intéressons plus, en effet, à une tâche qui nous
- sans être -
oppose une certaine résistance trop difficile qu'à
un travail trop facile. Harton (1938) a montré que si, sans
changer fondamentalement le travail à effectuer, on en aug-
mente la difficulté, la tâche la plus difficile semble la plus
courte. Une de ses recherches portait sur la comparaison de
poids ; dans un cas, les différences étaient juste liminaires, la
tâche était donc difficile ; dans l'autre, les différences étaient
supraliminaires. Or, le temps, objectivement identique, était
jugé plus court dans le premier cas.
Cette influence de la motivation peut aider à comprendre
deux faits significatifs que nous rapporte l'histoire. Le premier
est celui des mineurs qui, en 1906, lors de la grande catastrophe
de Courrières, se sont trouvés enfermés dans une galerie dont
ils ne purent sortir qu'après trois semaines d'efforts. Sponta-
nément, ils déclarèrent à leur délivrance qu'il leur avait semblé
n'avoir passé que 4 ou 5 jours au fond de la mine. Le même
fait a été constaté lors du tremblement de terre de Messine,
où trois frères restèrent emmurés pendant 18 jours qui leur
semblèrent au moment de leur sauvetage n'avoir duré que
4 à 5 jours (Ferrari, 1909 ; Peres, 1909).
Ces erreurs considérables ne peuvent cependant s'expliquer
que si on se rappelle que ces hommes enterrés vivants man-
- entre autres choses - de tous les repères temporels.
quaient
Il semble qu'ils n'aient estimé le temps si court, que parce
qu'ils étaient la proie d'une sorte de monoïdéisme : possédés
tout entiers par la volonté de survivre, rien d'autie ne les
animait que l'idée de leur délivrance. Certes, le fait d'être dans
l'attente aurait dû leur faire trouver le temps très long et il
est vraisemblable qu'ils ont éprouvé ce sentiment. Mais sur
une durée aussi longue, ils ne pouvaient avoir aucune base
d'estimation. La tension à laquelle ils étaient soumis, leur
faiblesse physiologique ont dû délester la durée de toutes les
variations où elle eût pu se compter.
Leur cas doit aussi être rapproché de celui de Michel Siffre
(1963) qui, enfermé volontairement dans une caverne glaciaire,
L'ESTIMATION DU TEMPS 237
---

a estimé 58 jours comme ayant duré seulement 33 jours.


L'absence de changements distincts dans l'obscurité, l'absence
de repères physiques et sociaux contribuent à raccourcir le
temps vécu. Les expériences sur l'effet de la privation senso-
rielle (Vernon et McGill, 1963) aboutissent aux mêmes
conclusions.

L'INFLUENCE DE LA NATURE DE LA TACHE

Une tâche se décompose en un certain nombre de parties


au point de vue psychologique. A durée égale, ces parties sont
plus ou moins nombreuses. Supposons que j'aie à recopier
quarante lettres. Ces lettres peuvent être indépendantes les
unes des autres et j'ai quarante signes divers à tracer. Elles
peuvent être groupées en mots et ne plus constituer que
dix éléments ; ces mots enfin peuvent former une phrase.
Les lois de la psychologie de la Forme s'appliquent analo-
giquement aux cas des changements successifs. Quelles réper-
cussions ces organisations ont-elles sur notre estimation du
temps ?
Le problème ainsi posé n'est pas sans rapport avec celui que
nous avons traité précédemment : l'unité d'une tâche n'a
d'existence que par un sujet ; et plus une tâche a d'unité, plus
elle risque de paraître intéressante. L'unité renforce la moti-
vation, donc fait intervenir un facteur subjectif. Cette inter-
action des facteurs objectifs et subjectifs peut rendre notre
démonstration plus délicate, mais ne diminuera pas la portée
de nos conclusions. Quelque complexe qu'en soit finalement
l'interprétation, un fait reste constant : plus le nombre de
changements remarqués est grand, et plus le temps paraît
long.
a) L'influence de l'unité de la tâche. - Deux études géné-
rales nous semblent poser le problème. La première est celle
d'Axel (1924). A 68 étudiants et étudiantes, il a donné plusieurs
tâches : estimer un temps vide ; taper avec un crayon sur une
feuille de papier ; barrer des signes ; trouver des analogies ; -,
compléter des séries de chiffres. Les sujets devaient estimer
en secondes le temps pendant lequel ils avaient travaillé, les
durées objectives de ces différentes tâches variant de 15 à 30 s.
La valeur moyenne de la surestimation (+) ou de la sous-esti-
2388 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

mation (-), calculée à partir des médianes sur l'ensemble des


sujets et des durées, est la suivante :
Temps vide ....................... 1,8 s
Tapping .......................... '- 2,4 s
Barrage .............................- ?,7 s
Analogies.......................... - 7,6 s
Séries de chiflres .................. 9,2 s

Gulliksen (1927) a repris la même question sur un grand


nombre de sujets (326) avec une gamme d'occupations encore
plus étendue. Celles-ci avaient toutes une durée de 200 s (il y
avait quelques autres tâches de durées différentes pour éviter
un effet d'uniformité ; il n'en sera pas parlé ici). Si on range les
tâches selon les valeurs décroissantes des estimations moyennes,
on trouve l'ordre suivant :

Estimation
. 1 V . b'l't' e
moyenne Variabilité
(en s)
(en secondes)

Repos en essayant de durrnir ......... Î 241,77 107,8


Tenir les bras étendus ..............I 1 96,2
228,4 1
Écouter un métronome (66 à la minute) 223.7 92,4
- (184 -) 214,11 I1 85,2
Appuyer une pointe sur la peau ...... 210,2 78,4
Lire un texte dans un miroir ........ 181,8 77,6
Faire une dictée .................... 174,6 77,4
Faire des divisions 168,9 70,2
..................I

Récemment, ces résultats ont été confirmés par l'impor-


tante recherche de Loehlin (1959). Il a fait estimer 16 activités
différentes de 2 mn chacune par de nombreux sujets et il
retrouve une hiérarchie du même ordre entre les activités (1).
Ces trois recherches montrent que la durée apparente des
tâches décroît à mesure que les activités sont moins morcelées,
c'est-à-dire que les changements sont moins nombreux. Cette
conclusion s'impose surtout si on tient compte des unités de
signification qui ont pour effet de réduire le nombre apparent
des changements. Faire du tapping, tenir les bras étendus,

(1) Il trouve, en outre, de bonnes corrélations entre toutes les estimations, ce


qui lui permet de dégager un facteur commun. Ces corrélations s'expliquent par
des différences individuelles qui seraient de deux ordres : a) l'intérêt porté aux
activités proposées. Il y a, en effet, une corrélation p - .61 entre la moyenne des
estimations sur une échelle en 5 points de l'ennui opposé à l'intérêt et la moyenne
des estimations temporelles ; 6) l'échelle relative des estimations verbales des
sujets, l'emploi des unités de temps étant très variable d'un sujet à l'autre.
L'ESTIMATION DU TEMPS 239

c'est être présent à chaque moment de la durée. Au contraire,


faire une dictée, c'est transcrire des propositions ou à tout le
moins des ensembles de mots. C'est en outre tendre à un but
qui est la reproduction fidèle d'un texte, et ce but rend moins
important tout le reste. Donc plus la tâche a une unité, plus
elle paraît courte, les changements partiels n'étant plus au
premier plan de l'attention. L'unité de signification rendant la
tâche plus intéressante comme nous l'avons vu, les facteurs
subjectifs et objectifs se renforcent.
L'interprétation de ces premières recherches est confirmée
par un travail plus analytique d'Harton (1939 a et 1942). Les
sujets devaient estimer la durée d'abord d'une tâche qui avait
une forte unité : apprendre un labyrinthe mental assez difficile,
puis d'un travail plus morcelé : apprendre plusieurs petits
labyrinthes du même type. La durée totale de chaque tâche
était identique : or, elle a été estimée 305 s dans le cas du laby-
rinthe unique, et 444 s dans le cas des labyrinthes multiples.
Pierre Janet a souvent insisté sur la liaison qui existe entre le
niveau de comportement, la fonction du réel et l'unité de la
tâche. Aussi bien, notre interprétation des résultats par l'unité
de la tâche est équivalente à celle qu'Axel (1924) et plus récem-
ment Dewolfe et Duncan (1959) ont tentée en termes de niveau
de comportement. La recherche de ces derniers auteurs est
particulièrement démonstrative. Ayant choisi trois tâches cor-
respondant à trois niveaux de comportement (repos sans rien
faire, écrire des lettres à l'envers, résoudre des anagrammes),
les sujets travaillaient pendant 26 s à une première de ces
activités ditea étalon, puis devaient travailler le même temps
sur une autre tâche dite de comparaison en s'arrêtant quand ils
estimeraient avoir travaillé le même temps que pendant l'étalon.
Toutes les combinaisons entre les trois activités ont été réalisées
et les résultats sont très systématiques, comme en témoigne le
tableau suivant (moyennes des logarithmes des durées) :

0 Tâche de comparaison
Tâche étalon -- __ __ –
f
Repos Alphabet 1 Anagrammes
1
Repos ............ 1,42 1,54 1 1,73
Alphabet.......... 1,25 1. 1,43 1,62
Anagrammes...... 1,27 ) 1.41 1 1 ;.>6
240 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

L'estimation du temps varie directement avec le niveau


de la tâche de comparaison et inversement avec le niveau de la
tâche étalon. Les comparaisons avec tâches identiques (valeurs
de la diagonale) sont du même ordre et proches de la valeur
de l'étalon (log. 26 = 1,415).
D'autre part, des résultats d'Axel dont nous venons de
parler, nous pouvons tirer une indication supplémentaire. Il
avait questionné des sujets sur les critères qu'ils avaient utilisés
pour évaluer la durée dans les différentes situations qui leur
étaient proposées (ils avaient été invités à utiliser tous les
moyens possibles d'estimation, sauf évidemment une montre).
Le tableau suivant est révélateur :

Compteur I
des nombres i Quantité ., estimations
ou Î faites .
detravail
travailet de
énergie
travail
"
des mouvements
de 1 , necessa)rel au faites
hasard
,
du corps 1i 1',,
.n %
'1<> 0,
; '1
Temps vide ..... 97,1 0 0 2,9
Tapping , , ...... 61,8 33,8 0 4,4
Barrage......... Il
/ 11.8 80,9 9
2,9 4,4
Analogies ...... , 0,0 î
14.7 77.9 / 7,4
Sériesde chiffres.., 0,0 j 8.8 , 80,9 10,3

Il est évident que les sujets n'ont pas choisi leurs moyens
d'estimation. Ceux-ci sont déterminés par la tâche. On ne
peut compter des nombres ou des inspirations en même temps
qu'on résout les analogies ou qu'on complète des séries de
chiffres. La quantité de travail a un sens précis dans une tâche
régulière et homogène comme le tapping et surtout le barrage,
mais devient aléatoire dans un travail plus qualitatif. Dans
ce dernier cas, les sujets invoquent, outre la quantité de travail,
la quantité d'énergie dépensée pour faire le travail, l'effort
mental nécessaire, etc.
En rapprochant l'usage de ces moyens des résultats numé-
riques déjà cités, on constate que le temps est estimé d'autant
plus long que les sujets s'appuyent sur un plus grand nombre
de changements (compter des nombres, des coups, apprécier
la quantité de signes barrés). Il apparaît au contraire plus
court quand, dans des tâches plus complexes, les sujets ne
peuvent plus s'appuyer que sur des indices globaux. De plus,
L'ESTIMAI'ION DU TEMPS 241

dans ces dernières situations, le pourcentage des cas où ils ont


l'impression de porter un jugement au hasard, c'est-à-dire sans
avoir aucun indice, croît sensiblement.
Ces résultats expliquent aussi pourquoi faire quelque chose
paraît toujours plus court que ne rien faire. Ne rien faire, ce
n'est pas créer le vide mental ; ou bien c'est attendre la fin,
et de l'attente naît le sentiment de temps dont le corollaire est
l'allongement de la durée; ou bien c'est observer tout ce qui se
passe pour remplir la durée. Tout travail au contraire, quel
qu'il soit, implique un certain but, même si pour l'atteindre
il faut effectuer des tâches parcellaires (1).
Ce rôle du nombre relatif des changements ne doit pas
être interprète d'une manière arithmétique. Il n'y a pas pro-
portionnalité simple entre le nombre de changements perçus
et la durée estimée. De toute manière, le problème est délicat,
car si nous pouvons déterminer physiquement au niveau du
stimulus combien il y a eu de changements, nous ne savons pas
transcrire directement cette donnée dans la perception. D'ail-
leurs, le perçu est relatif tout aussi bien aux changements
externes qu'aux changements biologiques.
Il reste que si le nombre relatif des changements influence
notre estimation du temps, ce n'est qu'à titre tendanciel,
en produisant un certain effet de halo, compensé par ailleurs
par tous nos autres modes d'estimation de la durée.
D'ailleurs, l'aspect nombre relatif des changements perçus
ou densité ne peut être envisagé indépendamment de la durée
de chacun de ces changements. Pour une durée donnée, moins
il y a de changements et plus chacun d'eux est long, ou plus
l'intervalle entre chacun d'eux est long. Notre estimation
tient, en effet, compte de ces multiples données. Nous l'avons
montré dans une expérience (Fraisse, 1961) où les sujets devaient
estimer la durée de la projection de vues de Paris. La même
durée de 64 s par exemple pouvait être emplie par la projection

(1) Sur ce point, les résultatsdéjà cités sont encoreconfirméspar ceux que
Dobson(1954)a obtenussur un groupede 16sujetsen utilisantles duréesde 17s,
38 s et 2 mn. Lessujetsdevaientestimercestempsqu'ilsavaientconsacréssoit à
ne rien faire, soit à faire un travail de placementsde fiches(PurduePegboard).
La moyennedes estimationsdes 2 mn est 210s dans le premiercas, 173,4s dans
le second.Le mêmerésultatest obtenupar la méthodede production(indiquer
quandun intervalledonnéde tempsest terminé).Les sujetsdéclarentque deux
minutessontécouléesau bout de 81,7s lorsqu'ilsne fontrien,et au boutde 107,7s
quand ils travaillent.
P. FRAISSR 16
242 PSYCHOLOGIEDII TEMPS
---

de 16 vues durant 4 s ou par celle de 32 vues durant 2 s. Les


estimations en unités de temps de groupes distincts de sujets
sont les mêmes (84 s et 79 s) à la variabilité près. Le même
résultat a été retrouvé sur d'autres durées et d'autres organisa-
tions du changement en faisant, par exemple, varier pour
une durée donnée le nombre de vues, et les intervalles entre les
vues. Dans tous les cas, les résultats des sujets, qui n'étaient
cependant pas prévenus à l'avance de la nature de la tâche,
montrent qu'il y a une intégration de l'ensemble des données.
Nous verrons plus loin (p. 294) comment cette intégration se
constitue peu à peu au cours du développement.
b) L'influence des changements subis. - Retournons la
situation que nous venons d'analyser : lorsque les changements
vécus ne peuvent guère être unifiés, le temps nous paraît tou-
jours long. Tel est le cas chaque fois que nous subissons des
changements au lieu de les créer. Le meilleur exemple est celui
de la perception. Nous y saisissons des changements sans les
ordonner en de grandes unités puisque à chaque moment nous
ne pouvons pas prévoir à long terme les stimulations qui vont
se produire. Une multiplicité de changements apparents s'im-
pose à nous. Ainsi écouter un texte paraît plus long que le
copier (Swift et McGeoch, 1925), écouter ou lire paraît plus
long que prendre en dictée, la durée objective étant égale bien
entendu (Yerkes et Urban, 1906 ; Spencer L. T., 1921).
Le champ de ces exemples peut être étendu. Myers (1916) a
demandé à des spectateurs d'un match de basket-ball d'évaluer
le temps qui s'était écoulé depuis le début de la partie jusqu'à
un incident sérieux, temps qui avait été objectivement de
6 mn 15 s. 80 % des spectateurs ont surestimé cette durée.
La moyenne des évaluations d'un groupe de 68 hommes a été
de 10 mn 7 s et celle d'un groupe de 32 femmes de 15 mn 54 s.
Ces surestimations sont très élevées. Musatti (1931) a réalisé
une bande cinématographique de 40 s. Son groupe de 36 sujets
a estimé qu'elle avait duré 2 mn 9 s. Au cours de nos recherches
sur la mémoire des films (Fraisse et de Montmollin, 1952), nous
avons demandé à nos 115 sujets d'estimer la durée des séquences
que nous leur avions présentées, sans les avoir prévenus à
l'avance de cette question, secondaire d'ailleurs dans notre
recherche. L'une, qui durait 2 mn 47 s, était un court récit
dramatique ; l'évaluation moyenne a été de 5 mn 54 s. L'autre
L'ESTIMATION DU TEMPS 243

était une bande d'actualités de 3 mn 14 s dont la durée a été


évaluée à 6 mn 59 s. Dans tous les cas, la surestimation a été
au moins du double, c'est-à-dire très au-delà des erreurs systé-
matiques habituelles.
Ces expériences ont toutes été faites sur des spectateurs ;
elles sont d'autant plus intéressantes que l'intensité de la
motivation produit chez eux un effet inverse de celui que nous
avons constaté lorsque les sujets devaient faire quelque chose.
Chez le spectateur en effet l'intérêt, quoique réel, ne crée pas
l'unité de la tâche. L'activité perceptive a sa fin en elle-même,
et non pas dans un objectif à atteindre, dans une performance
à iéaliser. On peut regretter que l'expérience de Myers n'ait
pu être étendue aux acteurs du match. Il est à présumer que
leur évaluation du même laps de temps aurait varié en sens
inverse de celle des spectateurs.
A ces situations peuvent être comparées celles où nous
nous trouvons devant un « film » mental imposé par une ima-
gination que nous ne contrôlons plus du tout. C'est le cas
des ivresses par le haschisch ou la mescaline et des rêves. Dans
toutes ces situations, le temps paraît très long parce que des
images nombreuses, variées et liées de façon assez lâche se
succèdent sans que nous puissions nous en détourner ni nous
référer à d'autres critères d'estimation de la durée.
Les premières observations sur ces ivresses ont été faites
par Moreau de Tours (1845). Après avoir noté que, sous l'effet
du haschisch, la tête est semblable à un volcan, que les sensa-
tions et les sentiments se succèdent avec une incomparable rapi-
dité, que le flux des idées paraît intarissable, il observe aussi que
le temps semble se traîner avec une longueur qui désespère, que
les minutes deviennent des heures et les heures des journées
(p. 685). Ces affirmations ont été maintes fois confirmées, entre
autres par des auteurs qui se sont préoccupés spécialement de ce
problème de l'estimation du temps (Pick, 1919 ; Bromberg, 1934).
Favilli (1937) leur a apporté une précision supplémentaire. Il a
trouvé qu'en effet, dans les ivresses dues à la mescaline, les
sujets avaient l'impression que la durée avait été très longue,
mais que, quand on leur demandait une estimation précise,
ils sous-estimaient notablement la durée de l'ivresse. Bien que,
dans ses expériences, l'ivresse n'ait pas été complète, les sujets
n'arrivaient pas à trouver des points de repère ; ne se fiant pas
2 4:
.1. DU TEMPS

aux changements vécus qu'ils savaient imaginaires, il ne leur


restait aucune base pour estimer une durée qui semblait sans
épaisseur.
De cette action célèbre du haschisch et de la mescaline, il
faut rapprocher l'effet de plusieurs produits ayant une action
pharmacodynamique sur l'estimation du temps. Certes, nos
connaissances en ce domaine sont encore très insuffisantes et
les résultats parfois différents d'un auteur à l'autre. Il n'y a
là rien d'étonnant. Des considérations éthiques et la nécessité
d'obtenir la collaboration des sujets obligent à utiliser de
faibles doses. D'autre part, les mêmes produits ne produisent
pas nécessairement les mêmes effets sur tous les tempéraments.
Cependant, à titre indicatif, on peut dire que tous les pro-
duits qui accélèrent les fonctions vitales entraînent une sures-
timation du temps, ceux qui les ralentissent, l'effet inverse.
Ainsi, la thyroxine (Sterzinger, 1935, 1938), la caféine
(Frankenhaeuser, 1959), la métamphétamine (Frankenhaeuser,
1959) entraînent une surestimation du temps, tandis que le
pentobarbital (Frankenhaeuser, 1959), le protoxyde d'azote
(Steinberg, 1955 ; Frankenhaeuser, 1959) conduisent à une
sous-estimation. Ce dernier effet se retrouve aussi chez des
sujets qui demeurent dans une atmosphère où l'oxygène est
raréfié (Barach et Kagan, 1940), comme chez ceux qui sont
soumis à une force centrifuge qui entraîne une hypotension
cérébrale (Frankenhaeuser, 1960).
Il est vraisemblable de penser que les produits excitants
entraînent une plus grande activité mentale, tandis que les
produits inhibiteurs l'appauvrissent (1).
Les illusions de temps dans le rêve sont célèbres. Un rêve
qui n'a pu durer que quelques secondes ou quelques minutes
nous semble avoir été très long parce qu'il embrasse des événe-
ments nombreux. Des cas privilégiés ont révélé que cette impres-
sion n'avait aucun rapport avec la durée réelle des images. On

(1) Cette interprétationdes effetspharmacodynamiques sur l'estimationdu


tempspar leuractionsur l'activitéde l'imaginationn'est sûrementpas exhaustive.
En effet,nousavonsvu (p. 37)que lesmêmesdroguesagissaientaussisur l'animal
dansles conditionnements au temps.Il est donctrès vraisemblableque les reten-
tissementspharmacodynamiques sur l'estimationdu temps se produisentchez
l'hommeà plusieursniveaux.Signalons,en outre,quele LSD25 produitaussiune
surestimation de la duréecommede plusieursautresperceptions(Bendaet Orsini.
1959).
L'ESTIMATION DU TEMPS 245

connaît le rêve de Maury. Impressionné par une lecture, il


rêve qu'il a été, sous la Terreur, condamné à l'échafaud, qu'il
languit plusieurs mois dans une prison pour enfin être guillo-
tiné. Il se réveille alors en sursaut et constate que la flèche de
son lit lui est tombée sur le cou. La chute de la flèche a été la
sensation initiale qui a été interprétée d'après le contenu des
lectures de la veille. Le rêve n'a duré que quelques instants,
bien qu'il corresponde à une longue période vécue (Maury, 1861).
Le cas n'est pas unique. Tobolowska (1900) en a rapporté plu-
sieurs et les a rapprochés des récits faits par des noyés qui ont
pu être ranimés. Dans les quelques instants qu'a duré leur éva-
nouissement, il leur est arrivé de revivre de longues périodes
de leur vie, et, une fois sauvés, il leur semble que la noyade'
elle-même a été beaucoup plus longue qu'en réalité.
Nous avons tous fait l'expérience de rêves où, pendant un
court endormissement, nous évoquions des actions d'une durée
assez longue. Le fait a d'ailleurs été vérifié expérimentalement.
Par des injections de bromure d'acétylcholine, on faisait perdre
conscience à des sujets pendant des durées de 4 à 12 s. Au réveil
ils déclaraient avoir fait des rêves complexes dont ils estimaient
la durée très supérieure au temps pendant lequel ils avaient
perdu conscience (Le Grand, 1949).
Il est naturel que l'esprit attribue au rêve une durée
en rapport avec les événements qui s'y sont déroulés (Fou-
cault, 1906). Mais comment expliquer qu'une grande quantité
d'images puisse se manifester en un temps très court ? Le fait
pourtant n'a rien d'extraordinaire. Même à l'état de veille, il
arrive qu'en un instant nous nous représentons plusieurs consé-
quences d'un acte que nous allons faire. Certaines images, qui
ont en quelque sorte une valeur de symboles, évoquent ainsi
une longue série d'actes, eux-mêmes assez longs, de même qu'il
suffit des quelques images d'une bande de comics pour suggérer
toute une aventure. Prenons l'exemple d'un rêve apporté par
Sturt (1925, p. 111) : « Alors que j'étais assistant dans un labo-
ratoire de physiologie, j'avais beaucoup de peine à me réveiller
le matin. Un jour, mon père, pour rne réveiller, employa une
cloche et sonna deux coups. Je rêvai alors que j'étais prêt à faire
ma démonstration et que je sonnais pour que l'on apporte le
cadavre. Puis je fis mon cours, disséquai un bras et resonnai pour
que l'on emporte le cadavre. » Le rêve se produit entre les deux
246 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

coups de cloche. Il semble décrire une période d'une heure


environ ; mais si on l'examine de près, il a pu ne se composer
que de 2 ou 3 images seulement. Sturt fait remarquer que le cours
n'avait en réalité pas de contenu. La simple juxtaposition des
images a suggéré un contenu dû à une construction mentale qui
intervient au réveil.
Quoi qu'il en soit, le fait important est le décalage que nous
ressentons entre la durée apparente des événements du rêve
- durée proportionnelle à la richesse des images et à leur signi-
fication temporelle - et d'autre part, la durée réelle de ce
même rêve.
Les études sur l'appréciation du temps dans l'hypnose
confirment ces thèses. Quand les sujets en état de sommeil
hypnotique sont seulement invités à se réveiller après un cer-
tain délai, leurs performances sont excellentes et même plus
exactes que nos estimations à l'état de veille (Ehrenwald, 1931,
Loomis, 1951), succès qui rappelle la précision de notre horloge
physiologique. Mais si on suggère à un sujet de faire une pro-
menade d'une demi-heure et si on le réveille au bout de 10 s,
il raconte une longue promenade et il en estime la durée à
une demi-heure environ. Si on lui propose simplement de faire
une tâche sans en préciser la durée, l'estimation, après le réveil,
correspond à peu près à la durée qui aurait été nécessaire pour
faire réellement la tâche (Cooper et Erickson, 1954). On observe
donc ici encore que l'estimation temporelle au réveil ne corres-
pond qu'au nombre de changements vécus par le sujet.

*
* *
En résumé, quand nous devons estimer une durée, nous
pouvons avoir à notre disposition les informations suivantes :
a) Des repères quantitatifs qui permettent une sorte de
calcul de la durée. En particulier, le travail effectué, quand il
peut être quantifié d'une manière précise ou approximative,
sert de base à une mesure de la durée. Celle-ci reste très imprécise
tant que l'on n'a pas recours à des instruments qui mesurent
et la durée de l'unité de changement et le nombre de change-
ments. Ces repères permettent cependant de comparer exacte-
ment la durée de deux changements de vitesse uniforme. Les
estimations ainsi obtenues ont un caractère objectif que l'on
L'ESTIMATION DIJ TEMPS 247

confronte souvent avec celles qui utilisent des indices vécus


et que nous allons rappeler.
b) Les sentiments de la longueur du temps qui peuvent
naître, pendant la durée elle-même, d'une comparaison entre
la durée ressentie et la durée souhaitée. Ils ont en outre pour
effet d'attirer notre attention sur chaque moment des chan-
gements et de multiplier le nombre apparent de ces derniers.
c ) La densité de changements qui ont été perçus comme tels
au cours de l'activité (1). Cette densité est très variable suivant
les attitudes du sujet et la nature de la tâche. Moins le nombre
de ces changements est grand et plus la durée paraît courte.
Tout ce qui contribue à organiser les moments de l'action dans
l'unité d'un but : structure, signification, motivation, a pour
effet de réduire la durée apparente (2).
Ces informations correspondent à des processus différents.
Elles ne sont pas toujours présentes simultanément. Dans un
travail qui ne se laisse pas quantifier, il n'y a pas de mesure
possible ; souvent, nul sentiment de temps ne naît de l'action ;
en revanche, le nombre de changements est toujours présent,
et il nous impose une appréciation très « prégnante » de la durée
qui résiste aux démentis les plus fondés objectivement.
Lorsque plusieurs de ces informations sont disponibles, il

(1) Il n'est pas possible de ramener simplement cette variable à celle de l'influence
de la fréquence des changements sur la perception de la durée. Nous avons étudié
ce problème dans le chapitre sur la perception du temps (p. 139). Les stimuli déter-
minant une fréquence ne sont pas perçus comme des événements plus ou moins
indépendants, mais comme un stimulus d'un type particulier, caractérisé justement
par sa fréquence. Rappelons seulement que, classiquement, on estimait que plus la
fréquence était grande, plus le temps était surestimé. Nous avons cependant mis en
évidence l'existence d'un optimum et souligné que l'existence des attitudes des
sujets rend le problème très complexe.
(2) Piaget distingue deux moyens d'estimer la durée : le travail accompli et
l'activité. Ce qu'il appelle activité est-il l'équivalent du nombre des changements
perçus ? Selon Piaget l'activité est l'aspect psychologique de la « puissance »
physique, c'est-à-dire de la force multipliée par la vitesse (1946, pp. 50 et 285). Sa
définition fait intervenir explicitement la vitesse des changements. Pour nous, la
vitesse des changements ne paraît une donnée essentielle que lorsqu'elle est perçue.
Or, nous ne perceuons en effet que la vitesse des changements qui se succèdent rapi-
dement : les battements d'un métronome en sont un bon exemple. La plupart des
changements que nous percevons se succèdent trop lentement pour que nous ayons
une impression de vitesse. Nous en parlons, il est vrai, souvent en termes de vitesse
(« comme ces deux heures ont passé vite ») mais par référence aux mouvements pério-
diques qui mesurent le temps. Nous dirons tout aussi bien : « Comme ces deux heures
ont été brèves. »
Nous développerons cette discussion plus loin (chap. VII, p. 255, et chao. VIII,
p. 288). Soulignons seulement ici que pour Piaget la donnée essentielle semble être
le rapport entre le travail accompli et la vitesse avec laquelle on le fait ; pour nous
c'est la densité des changements perçons.
248 PSYCHOLOGIE DU -TEMPS
-

nous arrive de négliger systématiquement certaines d'entre


elles. Ce peut être un trait de notre caractère. Il est des gens
qui cherchent toujours les repères les plus objectifs possibles,
d'autres qui se fient davantage à leur sentiment ». Outre
cette attitude spontanée, il arrive que, suivant les situations,
nous nous intéressions plus à un aspect ou à un autre des chan-
gements. Si nous avons besoin d'information précise, nous
tâchons de mesurer le plus précisément possible la durée ; par
contre, nous nous abandonnons plus à nos impressions quand
nous ne sommes pas soumis aux pressions temporelles.
Ces informations ne s'excluent cependant pas. Elles peuvent
se contaminer et se renforcer l'une l'autre ou au contraire être
discordantes. Ce dernier cas nous est le plus sensible. Le
contraste est parfois frappant quand nous comparons l'évalua-
tion basée sur des repères quantifiables et la multiplicité appa-
rente des changements ou le sentiment spontané que nous
avons de la longueur du temps. Nous pouvons être étonnés
de n'avoir pas pris conscience de la durée, quand, par ailleurs,
la pluralité des changements nous conduit à juger que la durée
doit avoir été substantielle. Une journée faite d'activités
variées et intéressantes nous paraîtra « bien remplie u et cepen-
dant nous laissera le sentiment qu'elle a passé comme un rêve.
L'appréciation rétrospective des durées accuse ces discor-
dances entre nos informations. En effet, l'évolution des traces
mnémoniques n'est pas la même pour les trois processus. La
quantité de travail, dont nous avons une vive conscience tout
de suite après la tâche, ne laisse parfois que de vagues souvenirs ;
en revanche, la multiplicité des changements apparents peut
rester beaucoup plus présente parce que chacun de ces chan-
gements a été ressenti au cours de l'action. Quant aux sen-
timents de temps, ils subissent le sort de tous nos sentiments.
Nous pouvons en garder un souvenir, c'est-à-dire savoir que
nous les avons éprouvés, mais ce souvenir n'a plus de réalité
affective, il n'est pas une reviviscence. Ainsi un voyage touris-
tique peut m'apparaître quelques années plus tard comme se
déployant dans le temps, bien qu'à l'époque son vif intérêt l'ait
fait trouver trop court (1). Mes années de captivité par contre

(1) Diderota cette bellenotation :« 'l'ravaillonsdonc ;le travail,entre autres


avantages,a celuide raccourcirles journéeset d'étendrela vie.» l;ité par Poulet
(ibid.,p. 201).
L'ESTIMATION DU TEMPS 249

m'apparaissent rétrospectivement sans consistance temporelle,


parce que je garde peu de souvenirs différenciés d'une époque
où tous les jours se déroulaient dans la grisaille de la monotonie ;
cependant le temps semblait long chaque jour dans l'attente de
revivre une vie libre. Remarquons que la durée réelle de ce
voyage ou de cette captivité est connue. Cette connaissance
pourtant ne modifie pas directement nos appréciations intui-
tives si ce n'est pour les renforcer par contraste. Contraste
qui souligne à quel point ces appréciations directes de la durée,
fondées dans l'immédiat sur les changements vécus, à long
terme sur les changements remémorés, ont une base intuitive
solide (1).

III
L'ESTIMATION DU TEMPS
EN FONCTION DE L'A GE ET DU SEXE

L'appréciation de la durée résultant, comme nous venons


de le voir, de l'intégration d'expériences complexes, il est naturel
qu'elle dépende de tout ce qui constitue la personnalité de
chacun. L'observation quotidienne nous révèle que les gens
évaluent de manières très différentes la durée vécue. Dans toutes
les expériences que nous avons analysées, les résultats n'indi-
quaient que la tendance centrale de mesures par ailleurs très
variables. Malheureusement, l'état actuel des études sur la
personnalité ne permet pas de tenter une psychologie diffé-
rentielle d'ensemble des conduites temporelles et particulière-
ment de l'appréciation de la durée.
Seules quelques données nous mettent sur la voie d'une

(1) Frankenhaeuser (1959)a imaginéune méthodepour comparerle temps


présentet le tempspassé.Le tempsprésentest mesurépar la vitesseà laquellele
sujet lit deschiffresde 1 à 9, présentésen désordre,à la cadencesubjectivede un
par seconde.Aprèsla tâche,le sujetestinvitéà estimerletempspasséà cettelecture
des chiffresen secondes.
Le tempsprésentest mesurépar le nombrede chiffreslus pendantune durée
donnée,le tempspassépar l'estimationde la duréeet le tempsretenupar le quotient
entre le tempspasséet le tempsprésent(P.P.T.score).Cequotient,en pratique,
du nombrede
est toujoursinférieurà 1, c'est-à-direqu'il y a une sous-estimation
secondesécouléescomparéau nombrede secondescadencées.
Cetteméthodemesure-t-elle vraimentle rapportentretempsprésentet temps
passéou, plus opérationnellement, le rapportentre la cadenced'une activité(lire
les chiffres)et l'estimationd'une durée ?On peut en discuter.Maiscette méthode
est sensibleà l'actiondes drogues,<lesconditionsexternesde lit tâche,etc.
25)) PSYCHOLOGIE DU TEMPS

étude comparative. Si nous ne considérons que les sentiments


de temps, leur naissance dépend sans doute de situations dont
beaucoup sont inévitables, en particulier l'attente ou la conti-
nuité dans l'effort, mais leur fréquence d'apparition n'est pas
indépendante de la personnalité de chacun. Par exemple, les
individus que nous disons équilibrés, et dont les motivations
sont parfaitement adaptées aux situations où ils sont placés,
risquent moins que d'autres de souffrir d'insatisfactions, parce
qu'ils cherchent moins à échapper à leur condition présente ;
ils ont ainsi moins souvent l'occasion de trouver le temps long.
L'intensité même de ces sentiments de temps est fonction, nous
l'avons déjà indiqué, de la tolérance à la frustration ou, si
l'on préfère, de la stabilité émotive de chacun.
L'appréciation de la durée proprement dite varie-t-elle
selon le caractère ou la personnalité ? Là nous ne possédons
guère de données sérieuses. Jaensch et ses élèves ont bien essayé,
en fonction de leur typologie, d'étudier ce problème. Ils ont
trouvé que l'intégré vers l'extérieur, c'est-à-dire celui qui a
tendance à interpréter le perçu d'une façon personnelle, est
surtout sensible au contenu de la durée lorsqu'il doit l'apprécier ;
il ne dissocie guère la durée objective de son impression. Au
contraire le désintégré, qui analyse la perception sans s'y
projeter, tend à évaluer la durée objectivement : il est donc
plus précis. Enfin, l'intégré vers l'intérieur, l'intraverti, qui est
tout entier concentré sur lui-même, aurait plutôt tendance à
sous-estimer la durée (Jaensch et Kretz, 1932 ; Schneevoigt,
1934). Ces constatations sont vraisemblables mais les classi-
fications de Jaensch manquant de critères objectifs, il n'est pas
possible de les prendre comme point de départ d'une étude plus
approfondie. Dans ces conditions, il faut nous contenter
d'étudier comment l'appréciation du temps varie en fonction
de ces grandes différences que l'âge et le sexe introduisent
entre les êtres humains.

L'INFLUENCE DE L'AGE
SUR L'APPRÉCIATION DE LA DURÉE

Pour dégager les lois générales qui ont fait l'objet de


ce chapitre, nous nous sommes appuyé jusqu'ici sur des
observations ou des expériences auxquelles se sont prêtés
L'ESTIMATION DU TEMPS 251

des adultes. Il est intéressant de suivre l'appréciation de


la durée au cours du développement de l'enfant et d'autre
part de noter les modifications que la vieillesse peut y
apporter.

A) Les appréciations du temps par l'enfant


En traitant du problème général de l'appréciation du temps,
nous avons souligné que les résultats n'étaient jamais que
relatifs aux méthodes (p. 222). Constatation encore plus
vraie en psychologie génétique où chaque méthode d'appré-
ciation fait appel aux « moyens » inégalement développés
de l'enfant.
Ainsi on comprendra facilement que le jeune enfant est
incapable de faire une estimation de la durée en unités tempo-
relles. Même quand il est devenu capable de lire l'heure, il
n'a aucune idée de ce que représente une minute ou une heure.
Seule une longue expérience lui permet d'utiliser ces unités
avec quelque approximation. A 8 ans, cette tâche est encore
impossible (1) ; à 10 ans, 2/3 environ des enfants donnent une
réponse, mais chez eux des évaluations de 20 s, par exemple,
s'étalent encore de 30 s à 5 mn (Fraisse, 1948). L'exactitude
de ces appréciations se développe lentement et l'apprentissage
dure au moins jusqu'à 16 ans (Elkine, 1928).
Cependant, si on ne fait pas appel à ce savoir, et si on
utilise seulement la méthode de reproduction, les enfants
montrent assez tôt qu'ils sont capables d'apprécier la durée
(Fraisse, 1948). Certes, lorsqu'ils sont jeunes, leurs résultats
sont très variables. A 6 ans les reproductions d'une durée de 20 s
sont comprises entre 1 et 60 s, ce qui donne une variabilité
relative de 90 % au lieu de 30 % environ chez les adultes. Fait
assez remarquable, les enfants de cet âge sont très sensibles au
contenu de la durée : les durées pleines, c'est-à-dire constituées
dans notre expérience par un son continu, sont surestimées
tandis que les durées vides (intervalle entre deux sons) sont
fortement sous-estimées. Le fait qu'il se passe quelque chose de

(1) Cependant,à partir de 8 ans les estimationsde la durée d'une seconde


de ce
deviennentpossibleschezl'enfantet il profiteà cet âged'unedémonstration
qu'est une telle durée.Maisnous sommesalorsdans le tempsperçu (Smytheet
Goldstone,1957).
252 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

sensible semble capital, l'enfant n'arrivant pas à maintenir


son attention sur ses seules impressions intérieures.
Dès 8 ans, les estimations deviennent beaucoup plus précises
et moins variables. Cependant les progrès continuent au-delà.
Nous avons par exemple demandé à des enfants de reproduire
une durée de 30 s : ils devaient appuyer sur un bouton lors-
qu'il leur semblait qu'il s'était écoulé une durée égale à l'étalon.
Nous avions décidé de compter comme bonnes réponses toutes
celles qui se produisaient dans un intervalle de ± 5 s. Un signal
annonçait aux enfants si leur réponse était bonne, anticipée
ou retardée. Chaque âge étant représenté par 20 enfants et
chaque enfant ayant fourni 10 réponses, les pourcentages des
différentes réponses sont les suivants :

I
°Ages / Réponses Réponses Réponses
exactes trop longues trop courtes
°6
,0 1 0',0 ) 0
6 ans ........... 36 43 2a
8 1 45 ! 2'I 28
10 - ...........i 1 i3 16 30
; /

Ces chiffres confirment notre remarque précédente : les


durées pleines sont surestimées davantage chez les jeunes
enfants. Ils montrent surtout le lent progrès de l'estimation
(Fraisse et Orsini, 1958).
A 11 ans, selon Gilliland et Humphreys (1943), les enfants
font encore des erreurs d'estimation qui sont presque le double
de celles des adultes. Pour interpréter ce résultat, il faut tenir
compte du fait que les auteurs ont combiné les trois méthodes,
estimation, production et reproduction. Le développement de
l'appréciation par la seule méthode de reproduction se prolon-
gerait jusque vers 14 ans, si nous en croyons les résultats de
Jampolsky (1951). Il ne s'agit pas, il est vrai, dans les expé-
riences de ce dernier, d'évaluation temporelle simple. Ayant
frappé quelques coups à intervalles réguliers de 5 s, il demandait
à ses sujets de continuer à la même vitesse. En classant les sujets
en deux groupes, ceux qui vont plus vite et ceux qui vont plus
lentement (ceux-ci ne représentent à tous les âges que 20 %
des sujets), on constate que les moyennes des deux groupes se
rapprochent en fonction de l'augmentation de l'âge, ce qui
L'ESTIMATION DU 2.i3

indique que les estimations deviennent dans l'ensemble de


plus en plus précises (1) :

I ans j 10 ans I–––––


12 ans–––––
14 ans Etudiants
–––––––
'
Moyennede ceux qui vont
trop vite.............. 2,82 s 13.25J s 3.0;; s 4,02 s 4,21 s
Moyennede ceux qui vont
trop lentement ........ 8,50 s 7.61 s 6.5.3s 5,54 s 1 fiJ.75s

L'enfant n'apprend que lentement à apprécier la durée avec


la même précision que l'adulte. A quoi est dû ce progrès ?
Au développement de possibilités nouvelles ou simplement à
un entraînement qui se réalise peu à peu au cours de la vie.
Une recherche récente d'Orsini (résultats inédits) permet de
répondre que ce qui manque à l'enfant est essentiellement un
entraînement. Avec la même technique que celle rapportée
plus haut (expérience de Fraisse et Orsini), les enfants de 7 ans
ont été entraînés à évaluer les durées de 30 s avec chaque fois
connaissance de leurs résultats (exact à rL 5 s, trop long, trop
court). Cet apprentissage s'est étalé sur trois semaines. Les
résultats montrent un progrès considérable et stable comme le
confirment les contrôles réalisés trois mois plus tard. (Le fait
que les enfants n'ont pas compté a été véiifié.)
'
Enfants Adulte!;
¡ I
Avant Après Trois mois Avant
apprentissageapprentissage après apprentissage
1
Exact ......... 9,6 % 45,5 %1 I 40,9 QI ) 36 °,'o
Trop long...... 78,0 - 23,6 - 29;1 - ! 29 .-
Trop court..... 12,4 - 30,9 - 1 30,0 -- 35 -
l,
*
* *
Le problème central en psychologie génétique n'est cepen-
dant pas celui de la précision : il est de savoir si l'enfant emploie
pour estimer le temps les mêmes informations que l'adulte.
(1) Cependant,mêmechezl'adulte,les deuxtendancesdemeurent.Llewellyn-
Thomas(1959)a utiliséune méthodevoisinede cellede Jampolsky(l'étalonpré-
sentéavant chaquereproductionest égalà la reproduction
précédente)72
: % des
sujetstendentà donnerdesreproductionspluscourtes,150' desreproductions
plus
longueset 13% ne manifestentaucunetendance.
25?1 PSYCIIOUJGIE D17 TEMPS
-

En étudiant les sentiments de temps, il nous a semblé que


la durée se révélait justement à l'enfant dans la distance entre
le moment de l'éveil du désir et celui de la satisfaction. Tout
comme l'adulte, l'enfant éprouve le sentiment que le temps de
l'attente est trop long ou que le temps de l'effort, celui de manger
sa soupe par exemple, n'en finit plus. Cette conscience de la
durée apparaît vers 3 ou 4 ans ; à cet âge, l'enfant devient capable
d'accepter que sa satisfaction soit différée ou de poursuivre un
effort pour atteindre un but dont la nécessité s'impose à lui. Ces
sentiments de temps, bien que, sur le plan de la représentation,
ils soient plus confus chez l'enfant que chez l'adulte, sont
cependant ressentis plus vivement par l'enfant qui, ayant moins
de stabilité émotive, supporte plus difficilement le conflit
entre les exigences du présent et la satisfaction escomptée
dans un proche avenir. Inversement, quand il est absorbé
profondément dans le présent, et qu'on l'arrache à son activité
spontanée pour le dîner ou la toilette, il est plus surpris que
l'adulte d'apprendre qu'une longue durée s'est écoulée et il est
tenté de nier l'évidence.
Le jeune enfant se fie à ses sentiments de temps : sur ce
plan, il ne saurait y avoir de discussion. Mais une fois qu'il est
capable d'une certaine appréciation de la durée, c'est-à-dire
vers 4 ou 5 ans, l'enfant utilise-t-il également les deux autres
critères de l'adulte, c'est-à-dire la multiplicité plus ou moins
grande des changements perçus et la quantité de travail
accompli ? La question a été posée en particulier par Piaget. A
la suite de ses études sur Le développement de la notion de temps
chez l'enfant (1946), il a été amené à penser que l'enfant estime-
rait la durée d'abord d'après le travail accompli, puis, dans un
stade ultérieur seulement, d'après l'activité ressentie. Selon lui,
seuls des enfants plus âgés sont capables de dissocier « le travail
effectué de l'activité elle-même et jugent de la durée d'après les
caractères introspectifs de celle-ci » (ibid., p. 50).
Nous discuterons à fond la thèse de Piaget dans le prochain
chapitre, car elle prend toute son importance lorsqu'il s'agit du
développement de la notion de temps chez l'enfant. Ici, nous
nous contenterons de quelques constatations de fait. D'après
nos observations, le jeune enfant de 5 ans environ, c'est-à-dire le
plus jeune enfant à qui l'on puisse poser de petits problèmes
pour contrôler son mode d'appréciation de la durée, estime la
L'ES1'IMATIOIV D11 TEMPS

durée tantôt par le travail accompli et tantôt par les change-


ments perçus. Nous nous appuyerons pour le prouver sur nos
propres expériences, mais aussi sur celles de Piaget lui-même,
car certaines de ses recherches peuvent s'interpréter dans le
sens de notre: thèse. D'ailleurs, si la distinction des deux stades
successifs paraît nette à Piaget quand l'enfant doit estimer ce
qu'il appelle « le temps physique », c'est-à-dire la durée des
changements qui se produisent autour de nous, lui-même
cependant reconnaît que, dans l'estimation de la durée de
l'action, « la continuité demeure... beaucoup plus grande entre
les réactions des petits et celles des grands et les illusions qui
interviennent dans l'appréciation des durées se présentent sous
des formes qualitatives communes à l'enfant et à l'adulte lui-
même » (ibid., p. 242).
Toutes les expériences que nous allons citer sont organisées
sur le même principe : l'enfant a pour tâche de comparer deux
durées pendant lesquelles les changements qui se produisent
et le travail accompli sont de nature différente. La réponse
qu'il donne et secondairement les raisons qu'il invoque doivent
nous révéler sur quelles données il s'est fondé dans son esti-
mation.
Considérons d'abord le cas de l'appréciation de la durée de
l'action à partir d'une expérience rapportée par Piaget (ibid.,
pp. 253-256). L'enfant devait transporter d'une boîte dans
une autre des plaquettes de bois dans un cas, de plomb dans
l'autre, en utilisant de petites pinces. La durée de travail était,
à l'insu de l'enfant, la même dans les deux cas. Le transport des
plaquettes de bois était évidemment plus facile ; l'enfant en
déplaçait donc plus que de plaquettes de plomb. Interrogés,
certains enfants - une minorité - trouvent que le temps
occupé à transporter des plaquettes de bois a été plus long,
« parce que j'en ai mis plus » disent-ils pour justifier leur appré-
ciation. Leur jugement est donc fondé sur le travail accompli :
plus de pièces = plus de temps. D'autres enfants jugent au
contraire que le transport du plomb a été plus long. Leurs justi-
fications sont maladroites : « parce que c'est plus grand o, « c'est
plus lourd », « on s'est accroché. » Elles font cependant ressortir
le caractère di?cultueux de la tâche. Or, ce caractère a pour
effet, comme nous l'avons vu, d'attirer l'attention du sujet sur
chacun des changements. Chaque transport « compte ». Le
23fi l'S YCllOLOG1EDU TEMYS

cas est semblable à celui d'une marche difficile dans la neige.


Piaget à ce sujet note finement que « durant les marches en
montagne, lorsqu'on brasse une neige épaisse montant jusqu'au-
dessus des genoux, dix minutes d'effort imposé et de montée
lente en paraissent au moins vingt, tandis qu'un pas aisé
donne lieu à des appréciations normales » (ibid., p. 259). Zuili
a repris, à notre suggestion, le principe de cette expérience et a
poursuivi la recherche sur de très nombreux enfants de 5 à
13 ans. Il s'agissait, dans le cas de la tâche facile, de transporter
des anneaux avec la main et, dans le cas de la tâche difficile,
des jetons avec une pince. A tous les âges, les enfants trans-
portent environ 2,5 fois plus d'anneaux que de jetons. Si on
fait comparer deux durées objectivement égales, 70 % des
enfants de 5 ans jugent que le transport des anneaux a duré
plus longtemps que celui des jetons. Ils jugent donc d'après le
travail accompli, mais 30 % jugent en fonction d'un autre
critère. Un indice est plus prégnant que l'autre. Avec l'âge,
cette différence s'atténue et, à 13 ans, le même nombre d'enfants
jugent dans un sens ou dans l'autre. On peut alors penser qu'ils
compensent une donnée : le nombre de transports par la durée
de chaque transport. Cette importance du nombre apparaît
encore mieux si on demande à l'enfant de 5 ans de transporter
des jetons pendant une durée équivalente à celle pendant
laquelle il vient de transporter des anneaux. A cet âge, l'enfant
cherche fréquemment à égaliser dans un sens ou dans l'autre
le nombre de pièces transportées. Il se révèle ainsi peu sensible
aux autres critères (durée de chaque transport, vitesse des
mouvements, difficulté relative des tâches) dont il tiendra
compte plus âgé.
La même conclusion se dégage d'une recherche d'un tout
autre type que nous avons réalisée en empruntant à Piaget une
autre de ses techniques (Fraisse et Vautrey, 1952). La tâche
de l'enfant consiste cette fois à comparer la durée de déplace-
ment rectiligne de deux figurines de plomb (coureurs cyclistes)
qui se meuvent sur une table parallèlement, dans le même
sens, et en même temps. En tenant compte de l'ordre des départs
et des arrivées, des vitesses et de la longueur des trajets, l'adulte
peut sans difficulté décider de la durée relative des parcours.
Mais nous verrons au chapitre suivant que l'enfant n'est pas
capable de ces opérations avant l'âge de 7-8 ans. Comment alors
L'ESTIMATION DU TEMPS 257

l'enfant de 4-5 ans, privé des moyens de mesurer la durée,


pourra-t-il résoudre un problème qui exige de lui une apprécia-
tion directe du temps ? Avant de décrire cette recherche,
précisons que notre objet n'est pas ici de savoir s'il donnera une
réponse juste, mais de découvrir quels indices lui permettent
d'apporter une solution.
Soit deux coureurs A et B qui partent simultanément de
la même ligne et dans la même direction. A marche deux fois
plus vite que B. Les deux coureurs s'arrêtent simultanément.
Ils ont donc marché durant le même temps, mais A a parcouru
une distance double de celle de B. 17 % seulement des enfants
reconnaissent que les durées sont égales. Les autres se partagent
en deux groupes équivalents. Les uns jugent que A a marché
plus longtemps ; si on leur demande pourquoi, ils invoquent la
plus grande vitesse ou le plus long chemin parcouru. Leur
erreur vient donc de ce qu'ils jugent les durées d'après le travail
accompli : A a fait quelque chose de plus que B. Les autres
enfants pensent que c'est le coureur B qui a marché le plus
longtemps. Leurs explications nous montrent pourquoi ils
en jugent ainsi. « Il Était fatigué » disent-ils, « il avait la flemme »,
ce qui suggère que les enfants jugent dans ce cas de la dure de
la marche du coureur par identification avec leur expérience
personnelle. Quand on est demilre les autres, que l'on va moins
vite, c'est que la tâche est trop difficile, alors on remarque
davantage chaque pas qui coûte un effort. L'enfant qui juge
que le coureur le moins rapide et qui s'est avancé le moins loin
a marché plus longtemps que l'autre apprécie donc la durée à
partir du même critère que celui qui trouvait que le transport
des plaquettes de plomb était plus long que celui des plaquettes
de bois. L'un directement, l'autre par identification, jugent de
la durée d'après les changements vécus.
Cette interprétation des réponses est confirmée par d'autres
situations expérimentales où les durées des parcours sont iné-
gales. Dans de telles conditions, la majorité des enfants arrivent
à répondre exactement, ce qui implique - en l'absence de
comparaisons opératoires - qu'ils utilisent exactement une
information qui correspond à la réalité. Voyons successivement
les deux cas qui peuvent se présenter. Dans le premier, le
coureur qui a marché le plus longtemps est celui qui a fait le
« plus » de choses : par exemple les deux coureurs partent simul-
P. FRAISSE 17
258 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
-

tanément de la même ligne dans la même direction, à la même


vitesse, mais l'un marche deux fois plus longtemps et parcourt
donc deux fois plus de chemin. 71 % des enfants reconnaissent
qu'il a marché plus longtemps. Les résultats sont du même
ordre si la vitesse de celui qui marche le plus longtemps est aussi
la plus grande.
Dans le second cas, la situation est telle que le coureur qui
marche le plus longtemps fait quelque chose de moins que
l'autre : chemin mcindre ou parcouru moins vite. Si les enfants
étaient alors capables de juger seulement d'après le travail
accompli, ils devraient se tromper massivement. Il n'en est
rien. Soit par exemple deux coureurs qui partent l'un après
l'autre d'une même position de départ, mais dont l'un, qui se
met en marche, le second, va plus vite, de telle sorte qu'ils
arrivent ensemble sur la ligne d'arrivée. C'est l'histoire du lièvre
et de la tortue : 61 % des enfants estiment que celui qui a
marché le moins vite a marché le plus longtemps.
Les témoignages des enfants confirment que dans le pre-
mier cas ils se sont laissé guider par la quantité de travail
accompli par le mobile, tandis que, dans la seconde expérience,
ce qui a compté a été la quantité de changements au cours de
l'action. La « tortue » qui allait plus lentement a eu plus de
difficultés. La majorité des enfants est donc capable de choisir
le bon critère, mais une minorité notable commet une grosse
erreur en se confiant à l'autre critère.

*
* *
Nous voyons donc que les jeunes enfants utilisent les mêmes
informations que les adultes mais leurs estimations présentent
des particularités qui ressortent des expériences mêmes que
nous avons relatées. La première est que les moyens directs et
globaux d'appréciation sont plus utilisés par les enfants que par
les adultes. L'adulte sait que ses appréciations ne sont pas
sûres, parce qu'il en a fait souvent l'expérience. Chaque fois
qu'il le peut, il cherche à évaluer indirectement la durée. Dans
des courses par exemple, il raisonne à partir des positions de
départ et d'an ivée, ou il tient compte du rapport espace-
vitesse : le mobile qui va plus vite met moins de temps. Qui
de nous, assistant à une course, aura l'idée d'apprécier direc-
L'ESTIMATION DU TEMPS 259

tement les temps des coureurs, alors qu'il sait que le premier a
mis moins de temps que le second ? Nous nous contentons de
constater l'ordre des arrivées et par un raisonnement implicite
nous inférons la durée des trajets. Or, nous verrons au cha-
pitre VIII que précisément le jeune enfant n'est pas capable de
ces déductions ; il se confie entièrement aux modes plus directs
d'appréciation.
La seconde particularité est justement cette confiance que
l'enfant accorde au mode d'appréciation qu'il emploie. Il se
centre sur lui. Il ne met pas en balance son appréciation avec
une tentative de mesure ; il ne prend pas non plus conscience
de la pluralité des modes possibles d'appréciation qui crée
chez l'adulte ces phénomènes de contraste sur lesquels nous
avons insisté. Tous les protocoles de Piaget sont très frappants
à ce point de vue. Ce qu'il appelle le stade de l'intuition arti-
culée, intermédiaire entre le stade intuitif et le stade opératoire,
serait assez justement caractérisé si l'on disait que l'enfant
commence alors à mettre en doute sa première intuition et à la
confronter avec les autres moyens d'estimation qu'il a à sa
disposition. Piaget note d'ailleurs cette prudence croissante des
enfants qui emploient de plus en plus avec l'âge des expressions
du type « il me semble o, quand la situation ne permet pas une
mesure exacte : c'est le cas en particulier lorsqu'ils comparent
les durées du transport des plaquettes de plomb et des pla-
quettes de bois.
Qu'est-ce qui détermine le choix d'un type d'information
plutôt qu'un autre par l'enfant ? En parlant des adultes, nous
notions que des différences typologiques devaient expliquer le
fait que certains étaient plus sensibles au travail accompli et
d'autres aux changements ressentis. En est-il de même pour
les enfants ? Aucune vérification n'a été tentée. Nous avons
seulement constaté dans nos expériences que les mêmes enfants
utilisaient tour à tour les appréciations à partir du travail
accompli ou à partir des efforts ressentis. Les situations aux-
quelles ils étaient soumis étaient ambiguës, il est vrai, et
avaient été voulues telles pour mettre en évidence les modes de
réponse possibles. Dans la vie quotidienne, il faut penser que
c'est la nature même de la situation qui détermine la qualité
des informations utilisées. Quand il ne s'agit que d'apprécier
la durée d'un changement physique, nous n'avons le plus
260 /'SYCHOLOG1EDU TEMPS

souvent à notre disposition que des indices relatifs à la quan-


tité du travail, tandis que dans nos actions proprement dites
les changements ressentis jouent fréquemment le rôle principal.
La troisième particularité résulte de la manière dont l'enfant
quantifie le travail accompli. En ce domaine, il se contente aussi
d'une intuition globale et non d'une estimation qui tienne
compte de toutes les données de la situation. Empruntons un
exemple à Piaget (ibid., p. 130) qui a beaucoup insisté sur cet
aspect. Soit un ballon dont l'eau s'écoule par un tube en Y
commandé par un seul robinet dans deux vases de formes et
de volumes différents. Si on fait couler l'eau jusqu'à ce que la
bouteille qui a la plus petite capacité soit pleine, la seconde
n'étant que partiellement remplie, le jeune enfant estime que
dans la bouteille remplie l'eau a coulé plus longtemps et qu'il
y a plus de liquide. L'erreur faite par l'enfant sur le « travail
accompli » se répercute sur son appréciation de la durée. Un
enfant un peu plus âgé ne se laissera plus prendre à cette intui-
tion perceptive. Il sera capable d'interpréter simultanément
toutes les données de la situation : la synchronisation des
écoulements et l'égalité des débits (voir chap. VIII, p. 282).
Une erreur fréquente de l'enfant - Piaget l'a aussi montré -
consiste à confondre plus vite et plus de temps. Celui qui va
plus vite fait plus de travail et, faute de savoir rapporter la
vitesse à l'espace, les enfants se trompent sur le travail accompli.

*
* *
En réalité, l'enfant, incapable d'estimer la durée par la
mesure proprement dite, est, dans ses appréciations, encore plus
dépendant que l'adulte de ce qui se passe dans cette durée, qu'il
s'agisse soit des changements physiques qu'il constate à l'aide
de ses propres moyens d'estimation, soit des changements
ressentis.
Même quand l'enfant, après 7-8 ans, devient capable des
premiers raisonnements et qu'il commence à avoir quelque
notion du temps, il semble rester encore plus que l'adulte sen-
sible à ces aspects qualitatifs de la durée. Si avec l'âge ses
estimations deviennent plus précises, c'est sans doute parce
qu'il use mieux des unités temporelles, mais aussi parce qu'il
se fie de moins en moins à ses impressions immédiates. Cette
L'ESTIMATION DU TEMPS 261

évolution nous semble établie par le travail d'Axel (1924)


auquel nous nous sommes déjà référé (p. 240). Il a fait estimer
en minutes et secondes par de nombreux enfants âgés de 9 à
14 ans la durée de difFérentes tâches : durée vide, écrire des I,
barrer des signes et faire un calcul mental (additionner les
nombres de 7 en 7). Le tableau suivant, où se trouvent les
médianes des estimations, met en évidence les faits saillants
(durée de chaque tâche : 20 s).

Nombre Durée I Écrire Calcul;1


" d enfants vide
l des 1 Barrage mental
)
9........... 60 12D ' 70 I 45
/ 27,5
10 ........... 135 46,5 35,5 20 20,0
11 ........... 117 32 23 15 17,0
12 ........... 93 30 22 15 15
13 ........... 122 31 22,5 / 20 15
14 ........... 138 30 ' 18,5 17 13
1 .
Nous constatons d'abord que les réponses, qui manifestent
une forte surestimation à 9 ans, deviennent de plus en plus
précises avec l'âge et se rapprochent de la durée réelle. Le
fait saillant est qu'à tous les âges les tâches se classent, quant à
leur durée apparente, selon le même ordre que chez l'adulte.
Mais l'écart entre l'estimation des tâches qui paraissent les plus
longues et celle des tâches qui paraissent les plus courtes
diminue avec l'âge, qu'il soit considéré en tant que différence ou,
ce qui est plus exact, en tant que rapport. Ainsi écrire des 1
apparaît, à 9 ans, 2,5 plus long que le calcul mental, mais seule-
ment 1,4 fois plus à 14 ans ; l'évolution est graduelle et générale.
En résumé, le jeune enfant apprécie la durée en usant des
mêmes moyens d'informations que l'adulte, mais il lui manque
de savoir rapprocher les diverses estimations possibles de la
durée. Avec l'âge, il apprendra à les confronter et à les corriger
par des évaluations indirectes à partir des moyens de mesure :
ordre des successions, repères temporels, relation inverse entre
le temps et la vitesse.

B) Les appréciations du temps dans la vieillesse


Les problèmes qui peuvent se poser dans la vieillesse sont
évidemment d'un tout autre ordre. De l'involution des fonctions
mentales il ne faut pas conclure à leur disparition et nul indice
262 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

ne nous permet de supposer que le vieillard n'apprécie pas


la durée de la même manière que l'adulte. Cependant une
remarque a souvent été faite : « A mesure que l'on vieillit, on
trouve le temps plus court » (W..James, 1932, p. 370). W. James
limite d'ailleurs lui-même la portée de cette loi. Elle serait
valable pour l'appréciation des jours, des mois et des années,
mais moins certainement pour l'appréciation des heures. Les
expériences de vérification n'ont pas été faites ; elles seraient
délicates, étant donné qu'il s'agit d'impressions absolues des
vieillards. Si on demande à ceux-ci de faire une estimation
proprement dite, il est vraisemblable qu'ils sauront corriger
leur impression première et donner une réponse aussi exacte
que lorsqu'ils étaient plus jeunes (1). Cependant l'observation
de W. James a été faite si fréquemment qu'elle est proba-
blement exacte. Nous serions même tenté de penser qu'elle
s'applique aussi bien au cas des heures, c'est-à-dire des durées
qui viennent d'être juste vécues, qu'aux plus longues durées.
Le phénomène est seulement moins sensible parce qu'il porte
sur une petite durée.
Les interprétations les plus fréquentes de ce fait sont
conformes à la thèse que nous avons défendue et selon laquelle
l'estimation de la durée est relative à la multiplicité des chan-
gements vécus. W. James explique, en effet, que la brièveté
du temps provient du fait que les événements de la vie dans
l'âge avancé sont si habituels qu'ils ne laissent pas de souvenirs
individualisés. Guyau dit la même chose : « Les impressions de
la jeunesse sont vives, neuves et nombreuses ; les années sont
donc remplies, différenci6es de mille manières... Le fond du
théâtre recule alors dans le lointain derrière tous les décors
changeants qui se succèdent comme des changements à vue...
Au contraire, la vieillesse, c'est le décor du théâtre classique,
toujours le même, un endroit banal... Les semaines se ressem-
blent, les mois se ressemblent, c'est le train monotone de la vie.
Toutes ces images se superposent et n'en font qu'une » (Guyau,
1902, pp. 100-101).
Le vieillard ressent moins de changements, parce qu'il vit
une vie plus tranquille, mais surtout parce qu'au cours de ses

(1) Sans qu'il s'agisse de vieillards, Pumpian-Mindtin (1935) a trouvé que les
personnes de 40-60 ans ne faisaient pas plus d'erreurs systématiques dans leurs
estimations que celles de 20-30 ans.
L'ESTIMATION DU TEMPS 263

activités il remarque moins de changements, ceux-ci étant trop


habituels. Le phénomène serait exactement le même que celui
que nous avons déjà analysé (p. 235) : lorsque nous répétons
plusieurs fois une même tâche, le temps nous paraît de plus en
plus court parce que notre esprit n'a plus besoin d'être attentif
à chaque moment de l'action.
Cette brièveté absolue du temps pourrait expliquer que le
temps semble passer relativement plus vite : en effet, elle
introduit un contraste entre le temps vécu et le temps tel qu'il
est mesuré par les montres ou les calendriers.
D'autres interprétations ont été proposées pour rendre
compte de cette apparente accélération du temps avec l'âge :
elles ne contredisent pas celle que nous venons de développer.
Paul Janet (1877) avait remarqué que la durée apparente d'une
portion de temps pouvait être relative à la durée totale de la
vie. Ainsi une année à 20 ans représenterait un vingtième de
la vie, et à 60 ans un soixantième. Que ce rapport joue un rôle
dans l'évaluation de périodes de notre vie, le fait est vraisem-
blable, car nos jugements d'une partie sont toujours relatifs
à l'ensemble auquel elle appartient, et la loi de Weber au sens
large peut jouer aussi dans ce domaine (Benford, 1944). Il est
manifeste qu'une année dans le jeune âge compte plus que dans
la maturité ou dans la vieillesse. Nos anniversaires perdent de
leur importance à mesure que nous vieillissons ; l'enfant ne
se trompe pas sur son âge, l'adulte doit faire un effort de
mémoire ou un calcul. Cependant cette loi ne peut s'appliquer
qu'à de longues durées, quand joue un effet de perspective
au moins implicite. Lorsqu'il s'agit de la longueur de chaque
jour, on ne peut pas dire que le vieillard en juge par rapport
à l'ensemble des jours vécus.
Plus récemment, Carrel (1931) et Lecomte du Nouy (1936)
ont proposé une interprétation supplémentaire. Ayant décou-
vert que les plaies se cicatrisaient de plus en plus lentement à
mesure que nous vieillissons, ils en ont déduit l'existence d'un
temps physiologique qui ne pouvait être assimila au temps
sidéral. Dans une même unité de temps, les changements biolo-
giques sont plus nombreux lorsqu'on est jeune que plus tard,
c'est-à-dire que le travail effectué par l'organisme est plus
grand. « A des âges différents, il faut des temps différents pour
accomplir le même travail, la cicatrisation d'un centimètre
264 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

carré de plaie » (Lecomte du Nouy, ibid., p. 234). Retournons


la situation. Si nous prenons comme unité de temps la durée
d'un phénomène biologique, par exemple la durée de cicatri-
sation d'une plaie d'un centimètre carré, il lui correspondra à
mesure que l'individu vieillit des changements sidéraux de
plus en plus importants, ce que nous traduisons en disant que
le temps passe de plus en plus vite. Le postulat de Lecomte
du Nouy est que notre appréciation psychologique du temps est
elle-même rapportée à l'unité biologique de temps, la « sub-
conscience fournissant à notre intelligence un renseignement
brut » (ibid., p. 237).
Ce passage du temps biologiques au temps psychologique
est-il aussi direct ? Il est légitime de penser que le temps bio-
logique a une influence sur notre estimation de la durée.
D'ailleurs nous avons déjà vu que celle-ci dépendait chez les
animaux comme chez l'homme de la température qui active ou
ralentit les échanges biologiques (1). Mais comment de telles
données se traduisent-elles au plan de l'appréciation du temps ?
Il est tout à fait possible que dans la vieillesse une activité bio-
logique moins grande nous fasse enregistrer moins de change-
ments et que, du même coup, les heures ou les journées nous
semblent par contraste plus courtes qu'auparavant. Mais, à
notre avis, il ne s'agirait là que de données primaires que
corrigeraient au fur et à mesure les habitudes sociales. Si
les personnes âg'es s'accordent à dire que le temps passe
plus vite qu'autrefois, il est non moins vrai que leurs appré-
ciations objectives ne sont guère modifiées. Le temps psycholo-
gique est sans doute conditionné par le temps biologique ; on
ne peut cependant ramener l'un à l'autre, car les régulations
psychologiques sont plus complexes (2), puisqu'elles mettent
en jeu toutes les fonctions : phénomènes de contraste, auto-
corrections, habitudes, etc.

(1) Ces échanges ne doivent pas être confondus avec la simple accélération
de rythmes physiologiques comme ceux du cœur ou de la respiration.
(2) C'est pour cette raison sans doute yue Gardner (1935), partant lui aussi
d'une hypothèse physiologique, n'a pas trouvé de différence dans l'estimation
du temps entre des hyper- et (les hypotlyroïdiens. Peut-être leur temps vécu est-il
différent, mais leurs estimations interviennent aussi des corrections d'origine
sociale.
L'ESTIMATION DU TEMPS 265

2° L'INFLUENCE DU SEXE

Tout le monde a remarqué l'influence de l'âge sur l'appré-


ciation du temps ; par contre, ce sont surtout les situations expé-
rimentales qui ont révélé qu'il pourrait exister, à ce point de
vue, une différence entre les hommes et les femmes.
Mac Dougall en 1904 a soulevé le problème. Il avait trouvé
que la durée de quatre tâches différentes était en moyenne plus
surestimée par les femmes que par les hommes. Yerkes et
Urban ont repris le problème en 1906 et ont obtenu le même
résultat. Axel (1924), dans l'importante recherche que nous
avons déjà citée plusieurs fois, a trouvé lui aussi que les femmes
estimaient les durées plus longues qu'elles n'étaient, quelle
que soit la tâche proposée. Voici par exemple les médianes des
estimations de 46 hommes et de 42 femmes pour des tâches
d'une durée de 30 s.
Hommes Femmes
Estimation d'une durée vide ......... 27 36,5
Tapping ........................... 26 38
Barrage de chiffres ................. 20 32
Analogiesà découvrir ............... 18 25,5
Série de chiffresà compléter ........ 14 24

Sur des groupes plus nombreux, Gulliksen (1927) a trouvé


également que la durée de toutes les tâches était estimée plus
grande par les femmes que par les hommes et que ces dif-
férences étaient significatives, sauf pour les tâches les plus
difficiles (lecture dans un miroir, dictée, divisions).
Cette loi qui avait l'air d'être solidement établie, mais pour
laquelle aucune interprétation n'avait été proposée, n'a pas
été confirmée par des études qui sont plus récentes, mais qui
ne peuvent pas être considérées comme moins sérieuses que les
précédentes. Swift et Mac Geoch (1925) par exemple ne décèlent
pas de différence entre femmes et hommes dans l'estimation
de tâches diverses, les femmes ayant plutôt tendance à moins
surestimer relativement les durées que les hommes. Harton
(1939), faisant estimer des périodes de 4 mn consacrées à quatre
activités différentes, trouva que la moyenne de l'estimation
des hommes est de 287 s (cr 101) et celle des femmes de
243 s 76). Gilliland et Humphreys (1943), en combinant
266 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
- .. - - ..-

les résultats obtenus par les trois méthodes, estimation, pro-


duction et reproduction, ne mettent en évidence aucune diffé-
rence entre les sexes. De même, Thor et Crawford (1964) ne
trouvent pas d'effet du sexe dans l'estimation de la durée au
cours de deux semaines de confinement. L'étude critique des
techniques employées ne rend pas compte de ces divergences.
Aussi bien nous n'essaierons pas de tenter une explication des
différences possibles entre les appréciations des durées par les
hommes et par les femmes. Seules de nouvelles expériences faites
dans des conditions variées pourront trancher la question de fait
avant toute interprétation. Nous avons voulu seulement ne pas
passer le problème sous silence.

3° L'INFLUENCEDE LA PERSONNALITÉ

Sans doute parce que nos moyens d'investigation de la


personnalité sont encore infimes et nos moyens d'étudier
l'estimation du temps peu précis, il est difficile de déterminer
l'influence de la personnalité sur l'estimation du temps.
Seule peut-être la pathologie nous apporte-t-elle quelque
indication.
Psychopathes, hystériques et maniaques donnent des esti-
mations plus longues d'une durée de 30 mn que les névrosés
déprimés et anxieux et les mélancoliques. Par une méthode
de production (30 s), on trouve des résultats concordants, les
névrosés donnant des productions plus longues que les psycho-
tiques (Orme, 1964).
Il semble, d'autre part, y avoir quelque relation entre
l'extraversion et la durée de la reproduction (Du P. eez, 1964).
CHAPITRE VIII

LA NOTION DE TEMPS

« L'idée de temps, comme celle


d'espace, est empiriquement le
résultat de l'adaptation de notre
activité et de nos désirs à un
même milieu inconnu et peut-
être inconnaissable. »
(GUY AU,
Genèse de l'idée de temps,
2e éd., 1902, p. 46.)

Les conduites temporelles que nous avons étudiées jusqu'à


présent étaient toujours relatives à des séquences isolées de
changements.
Chaque conditionnement au temps ne se produit que pour
une série de changements auxquels l'organisme est intéressé :
synchronisation des rythmes de l'activité organique aux phases
du nycthémère, adaptation à la durée qui sépare un stimulus
conditionnel du stimulus annoncé.
La perception du temps n'est possible qu'à travers une orga-
nisation des excitations qui exige que les stimuli-changements
aient une certaine homogénéité, c'est-à-dire qu'ils appartiennent
en pratique à une même séquence.
La représentation des changements élargit le champ des
conduites de l'homme. Elle permet l'acquisition d'un horizon
temporel, elle fonde certaines estimations du temps. Mais ces
conduites considérées isolément sont enfermées dans des bornes
étroites. Il suffit pour le constater de considérer l'activité de
l'enfant qui subit une double limitation : il ne saisit qu'intui-
tivement l'ordre de séries simples d'événements et il n'ap-
préhende les durées que par les changements qu'il a éprouvés.
C'est de ces déficits que nous allons partir pour cerner
progressivement la forme la plus achevée de l'adaptation au
268
8 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

changement, c'est-à-dire le développement de la notion de


temps. Étudiant les étapes génétiques de son acquisition, nous
en définirons la nature et le rôle qu'elle joue dans la maîtrise
de notre univers.

1
LES DÉFICITS DES CONDUITES TEMPORELLES
AU STADE I'RÉ-NOTIONNEL

La meilleure manière de montrer ce que la notion de temps


permet à l'homme est de considérer ce qu'il fait ou plutôt ce
qu'il ne peut pas faire à l'âge où il ne possède pas encore cette
idée. A 5 ans (1), l'enfant a déjà des perspectives temporelles, il
a pris conscience de la résistance du temps, il est capable d'esti-
mations simples de la durée. Cependant il échoue devant beau-
coup de problèmes temporels que lui pose la vie.
Les changements dans lesquels nous vivons se définissant
par leur ordre de succession et les intervalles de durée qui les
séparent, il nous suffit de saisir l'ordre et les intervalles entre
les changements pour avoir tous les éléments nécessaires à la
reconstitution de la série. Comment l'enfant arrive-t-il à cette
double connaissance ?
Nous reconsidérons successivement les problèmes posés
par l'ordre et par les intervalles.

10 L'APPRÉHENSION DE L'ORDRE

La perception de la succession temporelle de deux événe-


ments ne présente pas de difficulté pour l'enfant de 5 ans, mais
elle est très fragile dès que les deux stimuli n'appartiennent pas
à la même série d'événements. Cette incertitude tient à ce que
l'enfant n'est pas capable de confirmer des informations fugi-
tives par l'utilisation raisonnée d'autres repères.
Prenons un exemple que nous emprunterons, comme
beaucoup d'autres dans ce chapitre, à l'ouvrage de Piaget, Le
développement de la notion de temps chez l'enfant (1946). Ses

(1) Nous prendrons comme référence dans ce paragraphe l'enfant de 5 ans


parce que son développement général et verbal en particulier permet déjà des
examens sérieux et que, d'autre part, il n'est pas encore capable d'opérations réver-
sibles, possibilité qui se manifeste seulement vers 7 ans environ.
LA NOTION DE l'EMPS 269

analyses et ses expériences ont posé le problème d'une manière si


originale et si pénétrante que toute réflexion ne peut désormais
passer que par son oeuvres.
Présentons à un enfant la course de deux petits bons-
hommes, l'un jaune, l'autre bleu, que l'on déplace parallèlement
et dans la même direction sur une table. Faisons-les partir simul-
tanément mais à des vitesses différentes. Le jaune, plus rapide,
va plus loin, s'arrête le premier ; le bleu, plus lent, continue à
avancer un peu tandis que le jaune est déjà arrêté ; il s'arrête
donc après lui mais sans cependant le rattraper spatialement.
Avec un enfant de six ans le dialogue suivant s'engage : « Ils
sont arrivés en même temps ? - Non, le jaune s'arrête avant
l'autre. - Lequel s'est arrêté en premier ? - Le bleu. - Lequel
plus tôt ? - Le bleu - Midi, c'est l'heure de quoi faire ? - De
dîner - On dira que le jaune s'arrête quand il est midi. Quand
s'arrête le bleu (on montre à nouveau les courses) ? A midi
aussi, avant midi ou après midi ? Avant midi - Regarde (on
recommence) - Oui le jaune s'arrête en premier. Il a marché
plus longtemps - Et l'autre ? - Il s'arrête avant midi... »
(ibid., p. 91).
L'enfant a bien perçu que le jaune s'était arrêté le premier,
mais les différences de vitesses, d'espaces parcourus, de posi-
tions à l'arrivée interfèrent avec cette perception fugitive et
l'enfant s'embrouille. L'ordre spatial en particulier le trouble
et il traduit le retard spatial par un retard temporel. Puisque
le bleu a été moins loin, il s'est arrêté avant midi. Cette erreur
par contre ne se produit pas si l'ordre temporel est corroboré
par l'ordination spatiale. L'enfant, s'il était interrogé sur les
positions prises successivement par un seul mobile, ne s'y trom-
perait pas ; même avec deux déplacements, si ceux-ci sont de
sens contraire, l'enfant ne commet plus d'erreurs. Il y a alors
dissociation des deux déplacements, la perception de l'ordre
temporel n'interfère avec aucune autre et n'est pas mise en
question ; aussi bien Piaget pense-t-il que la confusion dans le
cas des trajectoires de même sens n'est pas verbale, les termes
le « premier », « d'abord n pouvant avoir un sens spatial ou tem-
porel, mais résulte d'une confusion logique entre les données de
l'expérience (ibid., p. 92).
Le même phénomène se retrouve quand il s'agit de percevoir
la non-succession de deux événements, c'est-à-dire leur simul-
270 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
- -.... -- - ---

tanéité. Si nos deux mobiles de tout à l'heure, le jaune et le


bleu, s'arrêtent simultanément, le jaune étant allé plus loin
que le bleu, l'enfant reconnaît que le jaune ne marchait plus
quand le bleu s'est arrêté, mais il conteste qu'ils se soient arrêtés
au même moment, parce que le jaune est allé plus loin et le
bleu moins loin (ibid., p. 106). Cette erreur cesse si le jaune et
le bleu arrivent sur la même ligne ; il n'y a en effet plus de dif-
ficultés pour l'enfant à reconnaître qu'ils se sont arrêtés simul-
tanément. Encore une fois, l'ordre temporel est mal dissocié
de l'ordre spatial, mais s'ils coïncident il n'y a plus d'erreurs.
Quelle sera la supériorité de l'adulte ? S'il doute de ses sens,
il saura raisonner ; dans notre exemple, en considérant les
positions de départ et d'arrivée et les vitesses des mobiles, il
pourra reconstruire l'ordre temporel. Cette reconstruction est
encore plus nécessaire quand il ne s'agit plus seulement de la
perception, mais de l'évocation mnémonique de l'ordre des
événements. Chez les enfants, les souvenirs s'entassent pêle-mêle
parce qu'ils ne savent justement pas reconstruire leur passé,
comme le traduit la maladresse de leurs récits où l'ordre des
événements dépend plus de leurs intérêts ou d'associations
accidentelles que de la réalité.
Une autre technique a permis à Piaget d'étudier les diffi-
cultés propres à l'enfant pour établir la succession : c'est la
reconstitution d'une histoire à partir d'images en désordre. Elle
met exactement en lumière la source des erreurs que commet
l'enfant. En effet l'ordre établi par l'enfant est fortuit et il
cherche à le justifier par une connexion syncrétique qui ne
correspond à un ordre ni chronologique, ni causal ou déductif.
Et parce que cet ordre est intuitif, les enfants de cinq ou six
ans n'arrivent pas à le modifier, même si on leur fait admettre
qu'ils se sont trompés. Il leur faudrait introduire des liens de
causalité, fondés sur la vraisemblance, ce qui exigerait d'eux
des connaissances ou de l'expérience. Il leur faudrait surtout
pouvoir remonter de l'effet à la cause, donc parcourir la série
dans les deux sens : être capables en un mot de réversibilité.
Or l'intuition perceptive est marquée du caractère de l'irré-
versibilité.
Ce même déficit apparaît dans les dialogues de Wallon
avec les jeunes enfants « Est-ce qu'il y a toujours eu la Seine ?
- Oui. - Il y a toujours eu Boulogne ? Oui. - Qu'est-ce qu'il
LA NOTION DE TEMPS 271
- .....-

y a eu d'abord, la Seine ou Boulogne ? - ... Qu'est-ce qui a


existé le premier ? - Boulogne » (Les origines de la pensée chez
l'enfant, t. II, p. 211).
Il est certain qu'une pareille erreur tient au manque de
connaissances de l'enfant ; le sens même de cette erreur, qui
est fréquente, amène Wallon à remarquer que l'antériorité
de la ville sur le site naturel vient sans doute du fait que « les
maisons paraissent plus nécessairement appartenir aux condi-
tions d'existence de l'enfant et le fleuve ou le lac davantage
aux circonstances accessoires » (ibid., p. 212). De même l'enfant
s'accorde parfois une antériorité absolue ou relative, même par
rapport à ses propres parents.
Ainsi, lorsqu'il s'agit d'événements qu'il n'a pas vécus, c'est
l'expérience qui fait défaut aux enfants. Lorsque cette expé-
rience existe, l'ordre des événements est connu intuitivement
sans qu'ils le contrôlent par des relations de causalité ou des
enchaînements logiques. De toute façon leur appréhension de la
durée reste très déficiente.
Que l'enfant soit en général incapable de raisonner à partir
des données de son expérience, le fait est assez évident. Dans
le domaine temporel, cette impuissance se manifeste spécifi-
quement lorsqu'il n'a plus à établir seulement des sériations
simples - qui permettent un début d'horizon temporel - mais
des co-sériations de plusieurs séries d'événements. La difficulté
à laquelle il se heurte apparaîtra plus clairement, si nous l'envi-
sageons avec Piaget au niveau de notre expérience d'adulte :
« Si l'on songe, en son propre passé, à des séries d'événements
à la fois indépendantes et interférentes (par exemple les quatre
séries suivantes : dates relatives à l'aspect administratif de
sa carrière ; suite des publications ; vie privée, et déroulement
d'événements politiques), on s'aperçoit que ces séries ont beau
demeurer chacune très vivante dans la mémoire, on est inca-
pable sans procéder à des reconstitutions raisonnées et par
conséquent opératoires : 10 due dire si tel événement de l'une
des séries précède ou non tel autre d'une série interférente (et
pourtant pour chaque série l'ordre de succession reste bien
connu) et 2° d'évaluer approximativement (en + ou en -)
les durées respectives écoulées entre deux événements appar-
tenant à des séries distinctes... » (ibid., pp. 265-266).
Il est évident que nous ne pouvons classer les événements
272 PS YCllOLOGIEDU TEMPS

de deux séries les uns par rapport aux autres que si nous connais-
sons, outre l'ordre dans chacune des séries, la durée exacte
qui s'est écoulée entre les événements de chaque série. Or
l'enfant, muré dans ses intuitions globales, est incapable de
cette exacte estimation des durées.
De plus, l'enfant n'est pas encore capable, au stade pré-
opératoire de la pensée, d'emboîter séries et durées pour arriver
à une reconstruction exhaustive de l'ordre de plusieurs séries de
changements. Nous allons voir successivement ces deux points.

20 L'APPRÉHENSION DES DURÉES

Rappelons quelques conclusions de notre chapitre VII. L'en-


fant de cinq ans a des intuitions de la durée, il est même
capable de l'estimer en utilisant les mêmes critères que l'adulte.
Mais à une différence près, et qui est capitale : ses impressions
immédiates ne sont pas corrigées par d'autres informations
qui permettraient une évaluation précise du temps. Il en
résulte que les estimations de l'enfant sont très semblables à
celles de l'adulte dans les situations qui ne fournissent que des
critères subjectifs et qu'elles semblent de plus en plus erro-
nées à mesure que la situation laisse place à une évaluation
raisonnée des durées.
Soit un exemple simple : pour l'enfant comme pour l'adulte,
15 s passées en se croisant les bras semblent plus longues que
15 s pendant lesquelles on regarde une image amusante (Piaget,
ibid., p. 257). Les seuls indices au moyen desquels sont compa-
rées ces deux durées vécues successivement sont les sentiments
de temps et le nombre de changements ressentis. L'adulte n'est
pas dans une autre condition que l'enfant ; l'un et l'autre ont
les mêmes « illusions ».
Prenons une situation plus complexe. L'enfant ayant pour
tâche de dessiner des barres pendant 15 s est invité à le faire
une première fois soigneusement, une seconde fois aussi vite
que possible ; les jeunes enfants sont unanimes à trouver que
le temps a été plus long quand ils ont été vite (Piaget, ibid.,
pp. 241-250). Rien d'étonnant à cela : les informations sur la
durée fondées sur le travail accompli (plus de barres dessinées
quand on a été vite) concordent avec celles qui proviennent
des changements ressentis (dans l'effort, chaque mouvement
LA NOTION DE TEMPS 273
- -- -- --.- . - .. - ...

compte). Ces évaluations qui sont directement dues à l'activité


ne disparaissent pas quand l'enfant grandit. D'après Piaget,
un tiers des enfants entre 10 et 13 ans fait encore la même
erreur que les petits. Cependant, peu à peu, un raisonnement
se fait jour dans l'esprit des plus grands : quand on va plus
vite, on fait plus de choses dans le même temps. A partir de
là, beaucoup doutent de leur estimation intuitive et infèrent
que les deux tâches ont pu avoir la même durée (1).
Par contre, les estimations des jeunes enfants et celles des
adultes sont tout à fait différentes quand il s'agit de comparer
des durées plus ou moins simultanées. En décrivant des expé-
riences de ce type au chapitre VII (comparaison des courses
de deux cyclistes, pp. 256 et suiv.), nous avons insisté sur le
fait que l'enfant utilisait les informations habituelles de l'adulte ;
mais ces modes d'estimation le fourvoyaient, alors que l'adulte
qui assiste à ces expériences ne se trompe pas. Certes, il est
soumis aux mêmes impressions, sources des mêmes illusions,
mais il ne s'y arrête pas ; il raisonne et cherche à mesurer. C'est
de ces opérations que l'enfant de 5 ans est incapable parce
qu'il ne peut concevoir la durée en faisant abstraction de son
contenu, c'est-à-dire qu'il est incapable d'arriver à la représen-
tation d'une durée homogène et d'intervalles temporels indé-
pendants de ce qui s'y passe. Dès lors que pendant deux durées
égales, simultanées ou successives, il se passe des événements
différents, l'enfant ne saisit pas l'identité temporelle au-delà
des apparences.
En un mot, il est incapable de mesurer la durée. La mesure
exige la conservation d'une unité. Dans le temps, l'unité ne
peut être qu'un changement uniforme qui sert d'étalon. Or
cette uniformité n'est pas un donné, elle est une construction.
En effet, pour utiliser comme mesure le jour sid ?ral, les hommes
ont postula que les changements étaient uniformes à partir
de la constatation qu'entre deux retours périodiques il se pro-
duisait des effets comparables. Même quand l'uniformité du
changement est perceptible comme le glissement du sable dans
le sablier ou la rotation de l'aiguille sur un grand chronoscope,
elle n'est pas une donnée stable. fait remarquer que

(1) L'évolutionavecl'âge des appréciationsde la duréependantle transport


de morceauxde bois et de morceauxde plombavec des pincettesest la même
(voirla descriptionde l'expérience,
chap.VII, p. 255).
P. FRAISSE 18
274 f'SYCHOLOG1EDU-- -TEMPS
.-
.- -. .- -

l'adulte lui-même s'y trompe. « En regardant couler un sablier


à côté du téléphone, durant une conversation interurbaine,
et en chronométrant une course intéressante ou la réaction
d'un sujet d'expérience qui fait attendre sa réponse, nous
pouvons fort bien avoir, nous aussi, l'illusion perceptive d'un
changement de vitesse du sable ou de l'aiguille du chronoscope,
et présenter, suivant les cas, une illusion positive ou une
illusion de contraste » (ibid., p. 188). A fortiori l'enfant. Le
sable lui semble aller plus vite quand il travaille plus vite,
et doucement quand il va plus lentement ; parfois c'est l'inverse,
l'effet de contraste étant dominant (Piaget, ibid., p. 186).
Mais chez lui l'impression première l'emporte : il croit réelle-
ment que le sable ou que l'aiguille va plus ou moins vite tandis
que l'adulte sait qu'il est le jouet d'une illusion. « Seulement,
comme nous savons bien que les mouvements sont constants,
nous n'attachons pas d'importance à l'aspect perceptif de
telles lectures et nous nous amusons tout au plus des appa-
rences de résistance ou de froide ironie de ces mécaniques
hostiles à nos désirs o (Piaget, ibid., p. 188).
La mesure proprement dite ne sera possible que lorsque
l'enfant admettra l'uniformité du changement au-delà de son
impression et, plus généralement, qu'il reconnaîtra l'existence
d'un temps homogène indépendant du contenu de l'action
ou des événements qui l'emplissent : en d'autres termes,
quand il sera capable d'avoir une représentation abstraite
de la durée.

3° L'INDÉPENDANCE DE L'ORDRE ET DES DURÉES

En bref, la saisie de l'ordre des événements par le jeune


enfant est incorrecte, ou à tout le moins incertaine, dès que la
perception de la succession n'est pas très prégnante et a fortiori
dès qu'il est nécessaire de la reconstituer après coup. De leur
côté, les durées entre les événements ne sont appréciées qu'en
fonction de leur contenu, c'est-à-dire qu'elles donnent naissance
à de nombreuses illusions.
Les difficultés que l'enfant rencontre sur ces deux plans le
conduisent à des erreurs. Il en triompherait souvent s'il savait
mettre en relation les données d'ordre et de durée, passer sui-
vant les circonstances d'un système à l'autre et vérifier ou
LA NOTION DE TEMPS 275
-- .... -.. - -. - .

compléter des données trop intuitives, puisque logiquement


ordre et durée sont complémentaires.
L'impuissance de l'enfant à mettre en relation ordre et
durée est particulièrement évidente lorsqu'il doit déterminer
l'âge relatif de deux personnes. Les recherches de Piaget sont
ici encore particulièrement éclairantes. Le problème est en
lui-même difficile. Pour déterminer l'âge relatif de deux per-
sonnes, nous n'avons ni expérience de l'ordre de leurs nais-
sances, ni possibilité d'apprécier la durée de leurs vies respec-
tives. L'adulte, lui, s'appuie sur un savoir : ou bien il connaît
les dates de naissance, ou bien, à défaut de celles-ci, il inter-
prète les signes de la croissance chez l'enfant, ou ceux du vieil-
lissement chez l'individu plus âgé (traits creusés, cheveux
blancs, pesanteur de la démarche, etc.), c'est-à-dire qu'il
apprécie le point où chacun en est arrivé sur le chemin de la
vie. Dans l'un ou l'autre cas, il faut une déduction pour fixer
l'âge relatif des deux personnes. Inversement, s'il connaît des
âges, il peut en déduire l'ordre des naissances. De ces opérations,
les jeunes enfants sont justement incapables. Le plus souvent
ils savent si leurs frères, soeurs ou amis sont plus vieux ou plus
jeunes qu'eux. Ils sont incapables d'en déduire l'ordre des
naissances. Rom (4 a. 6 m.) a une petite soeur, Érica : « Qui
est née la première, Érica ou toi ? - Sais pas. - On peut le
savoir ? - Non. - Qui est la plus jeune ? - Érica. - Alors,
qui est née la première ? - Sais pas o (Piaget, ibid., p. 211).
Quand la connaissance de l'âge leur manque, les enfants inter-
prètent les signes de la croissance et concluent de la taille à
l'âge, ce qui est juste en première approximation lorsqu'il
s'agit d'enfants, mais ce qui ne leur permet pas davantage d'en
conclure quelque chose sur l'ordre des naissances. Ils sont
par là conduits à des erreurs dont la plus manifeste est de
conclure que les grandes personnes ayant toutes la même taille
ont toutes le même âge. Citons encore ce dialogue où toutes
ces impuissances se révèlent. And (6 a.) a un ami : « Plus jeune
ou plus vieux que toi ? - Plus grand. - Il est né avant ou
après toi ? - Après. - Ton papa est plus vieux ou plus jeune
que toi ? - Plus vieux. - Il est né avant ou après toi ? - Sais
pas. - Qui est arrivé le premier, lui ou toi ? - Moi. - Tu
restes toujours la même chose âgé ou tu deviens plus vieux ?
- Je deviens vieux. - Et ton
papa ? - Toujours le même âge... »
27G 1)l 1'EMPS

Mais plutôt que de nous étendre sur ces dialogues parfois


difficiles à interpréter, reprenons une expérience de Piaget
qui montre que l'enfant est incapable de conclure à l'âge
relatif, même s'il connaît l'ordre des naissances. La technique
employée consiste à donner à 1 enfant deux jeux de dessins
représentant des orangers et des pruniers. On explique à l'enfant
que ce sont, dans chaque série, des images du même arbre qui
a été photographié chaque année. A 1 an il avait un fruit, à 2 ans,
deux fruits... On donne alors à l'enfant les dessins des orangers
et il n'a aucune peine à sérier correctement les images des
orangers. On lui explique ensuite que lorsque l'oranger avait
2 ans (Or2) et deux fruits, on a planté le prunier ; on place
alors sous Or2 le prunier avec un fruit (Prl), sous Or3, Pr2,
sous Or., Pr3' etc. Les plus jeunes enfants n'arrivent même
pas à conclure avec régularité que Or2 est plus vieux que Prl ;
à 6 ans 50 % feulement des enfants concluent pour chaque
couple de dessins que l'arbre qui a le plus grand nombre de
fruits est le plus vieux.
Cette conclusion, quand elle est possible, reste d'ailleurs
commandée par une simple intuition quantitative sans réfé-
rence à l'ordre de plantation des arbres. Piaget l'a démontré
par une autre expérience où les vitesses de développement
des deux arbres sont inégales. Les repères quantitatifs n'étant
pas en relation directe avec l'âge des arbres, les réponses de
l'enfant vont être commandées par le développement de l'arbre
et non par son âge réel. Dans cette expérience, Piaget a repré-
senté cette fois des pommiers (P) et des poiriers (H). Chaque
série de dessins du même arbre, à des âges différents, est
composée de tiges de plus en plus grandes supportant des
cercles de plus en plus grands, et contenant de plus en plus de
fruits ; mais les dessins laissent apparaître que les poiriers ont
grandi plus vite. En effet., les dessins des pommiers vont de P,
(13 mm de diamètre, 4 pommes) à P¡¡ (80 mm et 44 pommes)
et ceux des poiriers de H, (12 mm de diamètre et 4 poires)
à R5 (59 mm et 74 poires), de telle sorte que P4 (60 mm et
27 pommes) égale R3 (60 mm et 27 poires).
Comme dans l'expérience précédente, on place d'abord
dans l'ordre des dessins représentant les pommiers, puis on
explique à l'enfant que, lorsque le pommier avait deux ans,
on a planté le poirier qui avait alors un an, et que chaque année
L,A NOTION TEMPS 277
- ..-.. - .

on a photographié les deux arbres. On place donc les poiriers


en dessous des pommiers : à P2 correspond R,, à P3 R2, etc.
Les jeunes enfants arrivent à reconnaître à chaque stade quel
est l'arbre le plus vieux tant qu'à l'ordre de plantation cor-
respond un développement correspondant. Mais ils échouent dès
lors que le poirier a dépassé la taille du pommier. Le dialogue
suivant est très significatif : « Joc (5 a. 6 m.) réussit à sérier les
-
pommiers en disant : « Un an, deux ans, trois ans, etc. »
Regarde : quand le pommier a 2 ans, on plante ce poirier. Lequel
est le plus vieux ? - Le pommier. - Et l'année après ? -
Encore le pommier. - Et l'année après, voici les photos qu'on
a faites le même jour (P4 = R3). - Lequel est le plus vieux ?
- Le poirier. - Pourquoi ? - Parce qu'il a plus de poires
(inexact, puisqu'on a 27 = 27). - Et ici (P5 et R) ? - Le
- - Et
poirier. Quel âge a-t-il ? (Joc compte un à un) : 4 ans.
le pommier ? (compte en désignant du doigt) : 5 ans. - Lequel
est le plus vieux des deux ? - Le poirier. Pourquoi ? - Parce
qu'il a 4 ans. - On est plus vieux à 4 ans ou à 5 ans ? - Quand
on a 5 ans. - Alors quel est le plus vieux ? - Je ne sais pas...
le poirier parce qu'il a plus de poires » (Piaget, ibid., p. 229).
Tant que cet enfant a pu vérifier l'ordre des naissances
par le développement de la taille et de la quantité des fruits,
il ne se trompe pas, mais dès que le poirier est devenu plus
grand que le pommier et porte plus de fruits, l'enfant est induit
en erreur, parce qu'il continue à utiliser le même critère sans
savoir, malgré la suggestion de l'examinateur, le contrôler par
l'ordre des naissances.
Deux autres dialogues avec des enfants plus âgés rendent
encore plus saisissante l'impuissance de l'enfant qui ne peut
encore raisonner. Chez le premier, Pig, l'intuition de l'âge à
partir du développement est juxtaposée à la connaissance de
l'ancienneté de la plantation ; chez Pau, la synthèse est faite :
Pig (6 a. 8 m.) : R4 est « plus vieux que P5 ? Ah non, c'est le
- Et
pommier parce qu'il a 5 an.s et le poirier seulement 4 ans.
cette année-là (R5 et P6) ? - C'est le poirier qui est plus vieux
- Ah non, c'est
parce qu'il a plus de fruits. - C'est vrai ?
le pommier, parce qu'il a 6 ans et le poirier 5 ans » (ibid.,
p. 231).
Pau (7 a. 2 m.) : « (P5 et R4). - Le pommier est le plus vieux
- Et P6 et R5 ? - Aussi, ça ne fait
parce qu'il a été planté avant.
278 PSY'CHOLOGIEDU TEMPS
.- ... --.- . - -

rien qu'il soit plus grand : j'ai un ami qui est plus grand que moi
et qui a 6 ans » (ibid., p. 232).
Tous ces exemples montrent à quels obstacles se heurte
l'enfant de 5 ans. Il ne dépasse pas le plan des intuitions et des
appréciations immédiates. Il nous faut maintenant essayer de
préciser par quelles étapes il deviendra capable de s'adapter à
toutes les données temporelles.

II
LE DÉVELOPPEMENT DE LA NOTIOlVDE TEMPS

Les progrès de l'enfant avec l'âge se font en deux étapes


successives. Au cours de la première, il se produit une évolution
des intuitions d'ordre et de durée, qui deviennent de plus en
plus indépendantes de l'expérience concrète immédiate, grâce
à l'utilisation de repères multiples et au développement des
représentations correspondantes.
Mais ces représentations ne permettent pas encore de mettre
en relation les données d'ordre et de durée. L'enfant y par-
viendra dans une étape ultérieure grâce à des compositions
rèversibles, c'est-à-dire par des opérations.

1° L'ÉVOLUTION VERS DES REPRÉSENTATIONS D'ORDRE

ET DE DURÉE

A) L'ordre, nous l'avons vu, ne fait pas de difficulté pour le


jeune enfant, lorsqu'il est perçu dans des conditions non équi-
voques. Mais si, par exemple, l'ordre temporel doit être distingué
de l'ordre spatial, alors naissent les confusions. Aussitôt que
l'ordre doit être non plus perçu mais évoqué, échouent les jeunes
enfants qui ne sont pas encore capables de reconstituer la série
de leurs souvenirs.
Piaget a montré que cette incapacité à reconstituer l'ordre
des images ou des souvenirs était liée au caractère syncrétique
de la perception ou de l'image mentale et que le progrès essentiel
se produisait au moment où l'enfant était capable de se détacher
de son intuition immédiate pour faire des hypothèses sur l'ordre
réel de succession. Cela implique que l'enfant soit capable de se
représenter une suite d'événements et aussi qu'il puisse donner
LA NOTION DE TEMPS 279
- - -. - ..- - ... --

un sens à cette suite, c'est-à-dire qu'il puisse rétablir la sériation


logique des événements, en particulier sur le plan causal.
Une belle expérience de Piaget met parfaitement en évidence
cette étape. On présente à l'enfant deux bocaux superposés qui
sont de forme différente. Au début de l'expérience, le bocal
inférieur est vide, et le bocal supérieur est plein d'un liquide
coloré ; à intervalles réguliers on laisse tomber, par un robinet
de verre, une certaine quantité, toujours la même, de liquide
du bocal supérieur dans le bocal inférieure. L'enfant a en face de
lui une série de dessins représentant les deux bocaux. A chaque
écoulement, il est invité à marquer sur un nouveau dessin le
niveau atteint par le liquide en chacun d'eux. Quand, en 6 à
8 étapes, tout le liquide s'est écoulé dans le bocal infzrieur, on
demande à l'enfant de sérier les dessins en mettant à gauche
celui qui a été fait le premier « quand l'eau était au commen-
cement » et ainsi de suite.
Les jeunes enfants (5 ans environ) échouent dans cette
sériation des dessins. Pourtant ils sont capables, sur le bocal
lui-même, de montrer les niveaux successifs du liquide, car ils
s'appuient sur une intuition indifférenciée de l'ordre spatial
et de l'ordre temporel. « Autrement dit, en présence de deux
dessins représentant des couples distincts de niveaux, l'enfant
ne sait plus décider avec rigueur lequel de ces couples est anté-
rieur à l'autre, et cela parce que, au lieu de percevoir directe-
ment un déplacement du liquide de haut en bas et de bas en
haut, il ne se trouve plus en présence que de relations spatiales
statiques (de niveaux immobiles) qu'il s'agit d'ordonner après
coup, donc de reconstituer déductivement sous la forme d'une
succession temporelle » (Piaget, ibid., p. 12).
Mais ce qui nous intéresse est le stade suivant. Les enfants
- avec des tâtonnements - à sérier les dessins.
parviennent
Leur réussite reste cependant intuitive. En effet, si on coupe
les dessins de manière à séparer bocaux supérieurs et bocaux
inférieurs, les enfants n'arrivent pas à faire correspondre à
chaque niveau les dessins des bocaux inférieurs à ceux des
bocaux supérieurs, c'est-à-dire à établir la co-sériation des
niveaux successifs dans chacun d'entre eux. Ils sont capables
d'une reconstitution globale, quand les dessins ne sont pas
coupés ; mais ils ne savent pas déduire les niveaux du bocal
inférieur des niveaux du bocal supérieur, et réciproquement.
280 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
- ....- .. -..- - --

Il y a donc entre l'échec complet à reconstituer l'ordre et la


réussite basée sur une construction opératoire, une étape inter-
médiaire où l'enfant peut se représenter, mais seulement sur
un plan intuitif, la série des positions, grâce à une compréhen-
sion globale de l'ensemble du mouvement. Dans les expériences
où il y a déplacement de deux coureurs dans la même direction,
le progrès consiste à dissocier l'ordre temporel des arrivées de
l'ordre spatial, ce qui exige de pouvoir se représenter l'un indé-
pendamment de l'autre. Cette dissociation ne se fait que peu à
peu parce que l'ordre spatial est perçu plus longuement et d'une
manière plus prégnante que l'ordre temporel. Mais pour passer
de ce stade encore intuitif à une réponse fondée sur un raison-
nement, il faut que l'enfant soit capable de tenir compte simul-
tanément de l'ordre des d. parts, de l'ordre des arrivées et des
durées de marche de chaque mobile. Au stade simplement
représentatif, l'enfant ne sait pas plus utiliser les durées comme
éléments de raisonnement que les déductions causales. Même
des enfants capables de se représenter correctement les durées
ne peuvent rien en déduire quand à l'ordre des arrivées ; réci-
proquement d'ailleurs, des enfants capables de se représenter
l'ordre n'en tirent pas de conclusions exactes quant aux durées
(Piaget, ibid., pp. 94-99) (1).
En résumé, les progrès vers la sériation temporelle des évé-
nements se font en passant d'un stade perceptif à une possi-
bilité de constructions sur le plan de la représentation, construc-
tions qui restent encore de l'ordre intuitif. Ce n'est qu'à l'étape
suivante qu'il y aura compréhension de l'ordre quand l'enfant
sera capable d'utiliser toutes les données de la situation, savoir
acquis, rapports de cau alité, et en particulier durées entre les
événements dans une construction opératoire.
Le ressort de ces transformations est manifeste. A mesure
que 1 intelligence de l'enfant se développe, il prend conscience
des erreurs que comportent les réponses dont il se satisfaisait
quelques mois ou quelques années plus tôt. Cette prise de
conscience tient à ses échecs adaptatifs eux-mêmes, et surtout

(1) Le rôic relatif de l'ordre et de la durée n'a toute son importance que dans
les situations où il y a plusieurs séries d'événements temporels emboîtés les uns
dan, autres. Quand il n'y a qm'une série d'événements homogènes (positions
d'un coureur, succession de, notes d'uue mélodie, etc.), il n'y a, entre l'ordre et la
durée. qne <le=relations par emboîtement, simides. Dans une succession A-B-C
l'intervalle AC est plus grand que mais cette relation est qnasi intuitive.
LA NOTION DE TEMPS 281

à la mise en relation progressive des divers éléments de son


expérience, qui, au plan perceptif ou intuitif, se contredisent
ou à tout le moins manquent de cohérence. Ce progrès dans la
reconstruction sériale des événements grâce à la plus grande
plasticité des représentations se manifeste dans les comporte-
ments les plus journaliers. Les jeunes enfants ne savent pas
répondre aux questions les plus simples concernant la date :
jour de la semaine, mcis, année. Leurs premières réponses
exactes se basent sur une connaissance irréfléchie : « On leur
a dit », « c'est comme ça » ; mais, peu à peu, leurs réponses appa-
raissent guidées par l'ordre séquentiel des jours ou des mois
et ils retrouvent ou confirment la date au moyen d'une construc-
tion qui part d'autres dates utilisées comme repères. Ce pro-
cessus ne devient d'emploi fréquent qu'après 5 ans, même chez
les enfants de haut quotient intellectuel (Farrell, 1953).

*
* *
B) Sur le plan de la durée, l'évolution est du même ordre.
Le jeune enfant appréhende la durée comme relative à son
contenu, c'est-à-dire comme proportionnelle au travail accompli
ou aux changements qu'il y perçoit. Le premier progrès va
consister pour lui à devenir capable de se représenter la durée
comme un intervalle indépendant de ce qui s'y passe. En
d'autres termes, les durées, d'abord hétérogènes entre elles en
tant que durées, vont devenir de plus en plus homogènes,
c'est-à-dire communes à tous les événements, quelle que soit
leur nature. Par quelles étapes va se faire cette évolution ?
Il faut d'abord remarquer qu'elle ne peut résulter que d'une
contestation, sans cesse renouvelée, d'une expérience qui ne
se modifie pas avec l'âge. Se représenter la durée comme un
intervalle indépendant de ce qui s'y passe implique toujours
de douter de l'expérience immédiate, alors que le progrès dans
la saisie de l'ordre des phénomènes est, comme nous l'avons vu,
le passage d'une expérience confuse à une expérience plus
nette. Aussi bien, cette évolution vers la représentation et la
conception d'une durée homogène est-elle un lent processus
dont nous voudrions saisir la naissance même.
Ici encore nous évoquerons surtout les travaux de Piaget.
Nous le ferons librement en nous référant d'abord dans notre
282 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
-. ..-- -

propre perspective aux faits qu'il a mis en évidence, en dis-


cutant ensuite sa propre interprétation.
L'homogénéité du temps s'impose peu à peu, pensons-nous,
du fait que l'enfant s'aperçoit de plus en plus que son appré-
ciation intuitive de la durée est contredite soit par d'autres
appréciations intuitives, soit par des estimations basées sur
d'autres repères. Autrement dit, elle naît du désaccord entre
diverses modalités de ses appréciations ou entre son apprécia-
tion personnelle et celle d'autrui. Concevoir un temps à écou-
lement homogène et uniforme suppose « un affranchissement et
une décentration de la pensée à l'égard de la durée vécue »
(Piaget, ibid., p. 51).
L'enfant commence par être ébranlé dans ses premières
certitudes lorsqu'il s'aperçoit qu'il y a plusieurs appréciations
possibles de la durée. Reprenons une expérience déjà citée
(chap. VII, p. 260). Un réservoir contenant de l'eau s'écoule
par un tube en Y à deux branches identiques, dans deux vases
différents. Les deux branches sont commandées par un seul
et même robinet de telle sorte que les écoulements d'égal débit
commencent et s'arrêtent en même temps. Les vases, eux, sont
de forme et de grandeur différentes et, quand l'un est plein,
l'eau se trouve n'avoir rempli que le tiers ou la moitié de l'autre.
Les jeunes enfants échouent dans ce cas à reconnaître que l'eau
a coulé le même temps dans les deux vases parce que le travail
accompli est en apparence différent. Ils s'accordent à dire que
l'eau a coulé plus longtemps dans la petite bouteille parce qu'elle
est pleine. Sur le plan de la perception de l'ordre, l'interroga-
toire montre aussi qu'ils ne reconnaissent pas la simultanéité
des arrêts ; ils ne pensent pas non plus que la même quantité
d'eau s'est écroulée dans les deux vases ; pour eux, il y en a
plus dans celui qui est rempli. Mais l'enfant plus âgé arrive
bientôt à constater la simultanéité des départs et des arrivées ;
il admet alors que l'eau a coulé le même temps, assertion
reconnue d'une façon encore intuitive et qui reste contredite
par le premier mode d'appréciation. Voici un dialogue qui met
en évidence la coexistence de deux conclusions contradictoires.
Pas (6 a. 4 m.) a su prévoir qu'il faudrait plus de temps pour
remplir la plus grande bouteille G que la petite C, et a constaté
la simultanéité de l'arrêt des écoulements, mais si on lui
demande : « Il a fallu le même temps (pour C plein et G au 1/3) ?
LA NOTION DE TEMPS 283

- Non pas. Celle-ci (G) a mis moins de temps parce qu'elle


n'est pas tout à fait remplie. - Combien de temps ? - Une
minute pour (C), moins pour (G), parce qu'il n'y en a pas beau-
coup et qu'elle est plus grande. - Alors il a fallu plus de temps
pour l'une que pour l'autre ? - Ah !le même temps parce
qu'elles ont été remplies en même temps. - Pourquoi le même
temps ? - Parce que celle-là (C) est petite et celle-là (G) grande,
mais elle n'a pas été tout à fait remplie » (ibid., p. 139). Dans un
tel dialogue, ce sont les relations d'ordre qui conduisent l'enfant
à changer sa conclusion, mais celle-ci est encore d'ordre intuitif.
D'autres enfants, tout en continuant à admettre l'inégalité
de la durée des écoulements, constatent que la quantité d'eau
est équivalente dans les deux vases, malgré la différence de
leur forme et concluent alors à l'égalité des durées. Ceux-ci
remettent en cause leur première impression en évaluant objec-
tivement le travail accompli par la quantité d'eau écoulée.
Cette juxtaposition d'impressions liées à l'influence de
l'ordre ou à des appréciations diverses et simultanées de la
quantité de changements se retrouve dans d'autres situations.
Ainsi, dans l'expérience où il faut faire correspondre un
poirier à un pommier à différents âges, le poirier ayant été
planté un an plus tard mais se développant plus vite, on voit
certains enfants hésiter, pour déterminer l'âge respectif des
arbres, entre une appréciation basée sur le développement,
et un jugement fondé sur l'âge proprement dit, c'est-à-dire
sur l'ancienneté de la plantation.
Cette hésitation entraîne une confrontation qui est claire-
ment explicitée chez un enfant, à vrai dire plus âgé, dans l'expé-
rience où il faut comparer les temps (égaux objectivement)
mis pour transporter des plaquettes de plomb et des pla-
quettes de bois, les premières étant plus difficiles à manipuler.
Pim (10 a. 8 m.) répond : « doit être le même moment. J'avais
envie de dire que les plombs étaient plus longs à mettre, mais
j'ai pensé que ça devait être la même chose. - Pourquoi ? -
Parce que j'ai mis plus de morceaux de bois que de plomb »
(ibid., p. 256). Cet enfant a d'abord apprécié la durée d'après
les changements vécus. Les plaquettes de plomb se font plus
remarquer que celles de bois. Mais il constate en même temps
qu'il a déplacé plus de plaquettes de bois, et ceci le conduit à
mettre en doute une première impression. En fait il juge de la
284 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
-..........- - .- --

durée en utilisant simultanément les deux critères qui guident


les enfants plus jeunes : le travail accompli 0,' les changements
ressentis. Ils le conduisent à des jugements opposés, d'où il
conclut avec sagesse que les deux temps doivent être égaux.
Le jeune enfant utilise un seul critère et s'y tient. La multi-
plication des points de vue est un facteur essentiel du déve-
loppement de l'intelligence. Elle enseigne la valeur relative des
critères utilisés. Mettant en doute ses impressions immédiates,
l'enfant est nécessairement conduit à essayer d'évaluer la durée
pour elle-même et à se la représenter comme indépendante de
son contenu. Dans ce processus, le milieu social où évolue
l'enfant et l'emploi progressif des montres et des horloges
doivent jouer un très grand rôle. En effet, avant même que
l'enfant soit capable de confronter plusieurs évaluations per-
sonnelles de la durée, ses propres estimations sont contredites
par son entourage. S'il a trouvé bref le temps de son jeu, il lui
est cependant rappelé par ses éducateurs que l'heure d'une
obligation importune est déjà arrivée, et, s'il a trouvé long le
temps d'une tâche désagréable, qu'il n'y a que peu de temps
qu'il s'y consacre. Les horloges, à mesure qu'il apprend à s'en
servir, lui confirment le point de vue des adultes.
A ce stade, en effet, l'enfant commence à croire à l'homo-
généité du temps mesuré par les horloges. Plus jeune il ne le
fait pas : quand sa vitesse de travail se modifie, il croit aussi
que change la vitesse du sablier ou de l'aiguille du chronoscope
qui, lorsqu'il travaille plus vite, lui semble aller aussi plus vite
(effet d'assimilation) ou au contraire plus lentement (effet de
contraste). Mais la confrontation de plus en plus fréquente des
changements produits ou constatés par l'enfant et de ceux de
l'horloge le conduira assez rapidement à la conclusion que les
temps de l'horloge sont isochrones, donc indépendants d'autres
changements extérieurs. Ainsi, après avoir travaillé une fois
vite et une fois lentement, mais pendant le même temps, en
regardant un sablier, Map - 6 a. 6 m. - répond à la question :
« Le sable est allé la même chose vite ou plus ou moins ? -
Plus vite... non, la même chose... Non. - La même chose ou
- La même chose. -
plus vite ? Pourquoi as-tu pensé plus vite ?
- On dirait seulement, mais c'est parce qu'on va plus vite »
(Piaget, ibid., p. 187).
La constatation de l'isochronisme devient possible parce que
LA NOTION DE TEMY.S -
..

l'enfant détache peu à peu l'expérience de son travail de l'expé-


rience du mouvement du sablier ou de l'aiguille de l'horloge,
et parce qu'il constate intuitivement que, sur ces instruments,
il se produit des changements équivalents en des périodes équi-
valentes. D'ailleurs, comme on l'a souvent analysé, c'est ainsi
qu'historiquement l'homme est arrivé à une représentation
d'un temps homogène. En effet, l'isochronisme de deux périodes
successives ne peut se mesurer directement mais seulement par
l'isochronisme d'autres périodes, si bien qu'en définitive l'iso-
chronisme reste un postulat de mieux en mieux vérifié par la
concordance des observations et des mesures qu'elle permet.
Au stade où nous étudions l'enfant, l'isochronisme, lié à une
expérience directe de l'homogénéité des changements d'une
série donnée, ne permet pas encore une mesure de la durée, qui
implique la conservation du temps quand on passe d'un change-
ment à un autre. En effet, à cet âge, 30 s d'un sablier ne sont
pas équivalentes à 30 s d'un chronoscope (Piaget, ibid., pp. 191-
196). L'aiguille va plus vite que le sable : l'enfant en conclut
qu'il pourra faire plus de choses pendant le temps de la montre
que pendant celui du sablier. Il est cependant capable de
reconnaître que la montre et le sablier, partis au même moment
et arrêtés de même, ont marché le même temps. Il ne passe donc
pas d'emblée de l'isochronisme des durées à la mesure du temps,
mais, en confrontant ces durées égales entre elles et les change-
ments hétérogènes qui les meublent, il est disposé à concevoir
que la durée peut être indépendante de son contenu. D'ailleurs
cette représentation d'un temps homogène n'est qu'une lente
conquête et nous verrons plus loin qu'elle n'est même pas ter-
minée à l'adolescence.

20 LA MISE EN RELATIONDE L'ORDRE ET DE LA DURÉE

Vers 7-8 ans, il semble se produire une réorganisation assez


brusque des données d'ordre et de durée (Piaget, ibid., pp. 277-
278) ; l'enfant devient alors capable de passer d'une intuition
à l'autre dans une composition réversible qui implique la
compréhension des rapports entre la sériation des événements
et leurs durées.
Plus généralement, l'enfant acquiert la capacité d'utiliser
les données spatiales et cinétiques pour fonder et interpréter
286 l'.SYCIfIIL(lGll?'DU TEMPS

ses intuitions temporelles. Ainsi, dans l'expérience où l'eau


coule en plusieurs fois d'un ballon dans une éprouvette, l'enfant
qui a atteint le stade opératoire peut reconstituer l'ordre des
niveaux du liquide simultanément dans les deux flacons et
réaliser ainsi une co-sériation. Il est de même capable de juger
que la durée pendant laquelle le flacon du haut se vide est
égale à celle pendant laquelle celui du bas se remplit ; il le déduit
ou bien du fait que c'est un seul écoulement (simultanéité des
commencements et des fins) ou bien du fait qu'il s'agit de la
même quantité d'eau.
A cette étape du développement, il s'établit un équilibre
entre les intuitions d'ordre et de durée. « En effet, tandis que
les rapports de succession et ceux de durée procèdent au début
d'intuitions hétérogènes, sans donc présenter de connexion
nécessaire entre eux, ils finissent par se déterminer mutuelle-
ment en un seul système d'ensemble, à la fois différencié et
entièrement cohérent n (Piaget, ibid., p. 75).
Cette réciprocité permet de mettre en relation des séries de
changements indépendantes les unes des autres et de saisir
leurs rapports temporels sous l'angle à la fois de la succession
des événements et des intervalles de durée, sans se laisser égarer
par des impressions liées à la nature des changements eux-
mêmes. Alors l'enfant peut réellement tenir compte de toutes
les conditions temporelles de son expérience parce qu'il les
comprend et les situe : il peut ainsi réellement construire ses
notions temporelles en prenant conscience des rapports qui
existent entre tous les aspects du changement.
A ce stade enfin, l'enfant apprend à mesurer le temps.
La mesure du temps comme celle de l'espace implique que l'on
constate la coïncidence du début et de la fin d'un intervalle
temporel avec ceux d'un autre intervalle pris comme unité,
c'est-à-dire en pratique le synchronisme de deux ordres de
changements différents.
Laissons de côté pour le moment le problème, déjà évoqué,
de la nature même de l'unité de temps, qui repose, on le sait,
sur le postulat de l'isochronisme de périodes identiques de
changements. En effet, le fondement de cette unité n'est pas en
cause dans l'opération qui consiste à mesurer le temps. Toute
mesure suppose la comparaison de deux durées. Lorsque les
changements sont contemporains, le cas est simple. Tant qu'il
NOTION DE TEMPS 28î

ne s'agit que de déterminer si une durée est plus longue ou plus


courte qu'une autre, il suffit d'estimer les durées d'après les
quantités de changements ressentis ou le travail accompli.
Cependant une réponse ne sera exacte que si les changements
comparés sont identiques. La comparaison ne devient à propre-
ment parler métrique que lorsque la réponse ne repose plus sur
une appréciation intuitive des durées, mais sur leurs emboîte-
ments, c'est-à-dire lorsqu'on tient compte justement de l'ordre
des débuts et des fins.
Juger de l'égalité de deux durées est un processus plus
complexe, mais indispensable pour une mesure véritable du
temps. La comparaison des intuitions ne peut alors plus suffire,
sauf dans le cas exceptionnel où les deux changements sont
synchrones et de même nature, deux mobiles se déplaçant par
exemple à la même vitesse et parallèlement. Nous avons déjà
rencontré ce cas en rendant compte des expériences où nous
proposions à l'enfant de 5 ans de comparer la durée de deux
courses parallèles de même temps : les réponses sont justes dans
88 % des cas lorsque, les vitesses étant les mêmes, les départs
et les arrivées simultanés, les mouvements sont néanmoins de
sens contraire. Sans que les repères spatiaux puissent inter-
venir, la symétrie même des deux déplacements induit la bonne
réponse. Par contre, comme nous l'avons vu, si les départs des
deux mouvements de même sens sont simultanés et sur la même
ligne, et si le mobile A se déplace pendant le même temps que
le mobile B mais à une vitesse double, c'est-à-dire en parcourant
un espace double, 17 % seulement des enfants sont capables
de répondre que les deux durées de déplacement sont égales.
L'intuition des changements ne leur est d'aucun secours puisque
A va deux fois plus vite et parcourt deux fois plus de chemin
que B ; ils ne sont pas encore capables de déduire l'égalité des
durées de la simultanéité des dépar ts et des arrivées (Fraisse
et Vautrey, 1952). Lorsque l'opération d'emboîtement des
durées par comparaison de la succession des débuts et des fins
devient possible, l'enfant peut évaluer relativement deux durées
quelconques et utiliser une série de changements comme étalon
dans la comparaison de toutes les durées. Il y a alors mesure
proprement dite.
Mais, outre cette opération, la mesure implique que les
intervalles entre les changements périodiques soient reconnus
8
288 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

isochrones. Nous avons vu que les intuitions cinétiques et


spatiales fournissent à cette constatation une base intuitive ;
celle-ci n'entraîne pas nécessairement que l'enfant de 7-8 ans
conçoive déjà que l'horloge mesure un temps homogène indé-
pendant des changements qui s'y produisent. Il y a en effet un
décalage entre l'aptitude à mesurer le temps à laquelle accède
l'enfant, grâce aux opérations concrètes, et la conception même
qu'il se fait du temps en général ou plus exactement de ce que
représente le temps, tel qu'il est développé par nos horloges.
Nous allons y revenir.

30 LA THÈSE DE J. PIAGET
Avant d'étudier plus avant l'évolution de la notion de temps
chez l'enfant, il est nécessaire que nous confrontions la thèse
que nous avons esquissée avec celle de Piaget à laquelle nous
avons fait déjà de nombreuses allusions au cours de ce chapitre
et du chapitre précédent. Pour lui, comme nous l'avons montré
(chap. VI, p. 163), le jeune enfant, dans ses toutes premières
années, arrive à constituer des séries subjectives d'après les
résultats mêmes de son action. Dans les années suivantes,
l'enfant réapprend sur le plan de la pensée intuitive ce qu'il
possédait déjà de façon toute pratique. A ce stade et dès qu'on
peut l'interroger, on constate qu'il y a indifférenciation de l'ordre
temporel et de l'ordre spatial. cc Plus loin signifie toujours
« plus de temps » parce que l'enfant ne tient pas compte des
vitesses ou plus exactement ne fait pas la relation inverse entre
la vitesse et le temps. Plus généralement, l'enfant juge de la
durée par rapport au contenu de l'action, c'est-à-dire à la
quantité de travail accompli ou encore aux résultats extérieurs
de l'action dont l'espace parcouru n'est qu'un cas particulier
(Épistémologie génétique, II, p. 27). Au stade de l'intuition
immédiate, le temps est donc relatif au résultat de l'action ;
c'est un temps local propre à chaque mouvement et qui n'est
homogène d'un mouvement à l'autre que si les vitesses de chan-
gement sont identiques. Dans ce cas en effet, les durées sont
proportionnelles aux espaces parcourus ou plus généralement
aux changements produits ou constatés. Il ne saurait donc y
avoir une coordination de mouvements de vitesse différente qui
impliquerait la mise en relation de l'espace, du temps et de la
LA NOTION DE TEMPS 289
-

vitesse. « Le propre de la pensée à ses débuts est en effet de


considérer comme absolues les perspectives momentanées dans
lesquelles elle est engagée, et par conséquent de ne pas les
grouper selon des liens de relations réciproques » (ibid., p. 275).
Ces relations apparaissent justement dans une étape ulté-
rieure qui est celle de l'intuiaion articulée, c'est-à-dire de l'intui-
tion des rapports. L'enfant alors ne se contente plus de juger de
la durée d'après les résultats de l'acte, mais devint capable
d'iatrospection et d'une estimation de la durée pendant l'action
elle-même. Or cette introspection, dès lors que l'on en est
capable, révèle une relation inverse entre la rapidité de l'acte et
sa durée. « ... Les grands trouvent comme nous que le travail
rapide a paru plus court et le travail lent plus long. C'est même
cette découverte introspective qui semble être au point de
départ du renversement des rapports entre le temps et la vitesse,
parce que, dans la durée vécue pendant l'acte lui-même, le temps
se contracte (pour la conscience) en fonction de la vitesse,
tandis que dans la durée évaluée par la m-moire, le temps bien
rempli se dilate et les temps vides se r?sorbent » (Épistémologie
génétique, II, p. 29).
A ce stade, l'enfant est capable de juger que le mobile le
plus rapide a mis moins de temps ; il se produit une dissocia-
tion entre le travail effectué et l'activité elle-même, telle qu'elle
est saisie introspectivement. Cette activité est au plan psycho-
logique l'équivalent de la « puissance », c'est-à-dire de la force
mu]Li2li'e par la vitesse.
Cette étape prépare celle des opérations temporelles pro-
prement dites. L'enfant qui a appris à distinguer entre l'espace
et la vitesse peut alors réaliser la « coordination de ces vitesses
qui va différencier l'ordre temporel de l'ordre de succession
spatiale et les durées des chemins parcourus » (Épistémologie
génétique, II, p. 30), de m?me qu'il peut mettre en rapport
le travail effectué et l'activité ressentie. A ce moment, la
décentration par rapport au temps propre est accomplie et
l'enfant devient capable de concevoir un temps à écoulement
homogène et réversible.
Piaget a développé et complété cette thèse dans ses derniers
travaux (1966). Il pense toujours que le temps est une coordi-
nation des vitesses, c'est-à-dire une compensation entre, d'une
part, ce qui se fait, c'est-à-dire l'espace parcouru (ou le résultant
P. FRAISSE 19
290 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

de l'action ou le travail accompli), et, d'autre part, la vitesse à


laquelle se produit ce changement (vitesse-mouvement, ou
vitesse-fréquence des actions ou puissance).
Les cas envisagés dans les oeuvres de 1946-1950 ne seraient,
selon Fiaget, que des cas particuliers d'une loi plus générale.
De toutes manières, l'intuition articulée correspondrait au
stade où l'enfant devient capable de mettre en relation inverse
le résultat de l'action et sa vitesse de déroulement.
Nos réflexions nous laissaient assez éloigné de la thèse de
J. Piaget. Une longue collaboration a rapproché, sous plusieurs
aspects, nos pcints de vue, mais il reste encore des différences
de conception que nous allons essayer d'expliciter.
Nous sommes d'accord sur un premier point : à l'origine,
l'intuition de temps est relative à son contenu. Il n'existe pas
de saisie de la durée, abstraction faite de ce qui dure. Cependant,
nous insistons sur le fait que les jeunes enfants au stade pré-
opératoire jugent de la durée selon un seul indice, mais cet
indice vaiie d'un individu à l'autre et d'une situation à l'autre.
Ces indices sont très divers. Les uns sont en relation avec le
résultat de l'action, d'autres avec l'activité déployée ou prêtée
au mobile, d'autres avec les changements perçus. 11 ne nous
semble donc pas y avoir un stade préopératoire où les enfants
estimeraient seulement les durées d'après les indices ce qui
se fait (plus de travail, plus de vitesse, plus lcin, etc.). 11 est
bien évident que l'enfant est plus sensible à ces indices qui
sont relatifs au résultat de l'action qu'à ce qu'il perçcit au
cours de l'action, mais il n'y a iien d'absolu en cette tendance.
Si les enfants doivent comparer deux durées égales de nature
voisine, il est tris rare qu'ils surestiment systématiquement
l'une ou l'autre. En fait, deux durées égales de contenu vci in
représentent toujours une situation amLiguë. S'agit-il de deux
mobiles, le plus rapide a fait plus de chemin et on peut avoir
implicitement les rapprochements suivants : plus vite => plus
loin » plus de temps, mais aussi plus lent => plus d'eoeorts » plus
de temps (Fraisse et Vautrey, 1952). S'il s'agit de changements
discontinus, l'égalité physique des durées entraîne que, plus
petit est le nombre des changements, plus long est chacun
d'entre eux, d'où les deux possibilités suivant l'indice de
référence : plus de changements => plus de temps, changements
plus longs => plus de temps (Fraisse, 1966).
LA NOTION DE TEMPS 291
-

Les expériences montrent que l'on trouve des réponses


qui peuvent s'expliquer ou que les enfants expliquent par l'un
ou l'autre des systèmes. Les proportions varient avec les
situations expérimentales et même simplement avec l'ordre
de présentation des durées, comme si la prégnance relative
d'une catégorie d'indices était modifiée.
Dans ces appréciations, la vitesse n'intervient que par ses
effets indirects qui peuvent être dans un sens ou dans l'autre,
comme nous l'avons souligné, et Piaget lui-même a trouvé ce
résultat dans l'expérience déjà citée du transport des plaquettes
de bois et de plomb.
Nous nous retrouvons de nouveau d'accord avec Piaget
pour penser que le progrès fondamental dans l'estimation de
la durée se produit quand l'enfant devient capable de tenir
compte simultanément de plusieurs indices. L'adulte, lui, est
même capable d'opposer explicitement ces indices, de dire à la
fin d'une bonne soirée : « Le temps m'a paru très court, mais
il doit être au moins minuit. » La coordination des informations
permet en tous les cas une estimation plus exacte. Elle fournit
aussi une base au développement de la notion du temps en
obligeant à dissocier peu à peu la durée de son contenu et
permet d'arriver ainsi à une notion abstraite.
Cette coordination est-elle toujours une compensation
entre une donnée qui majore la durée et une qui la réduit ?
En allant jusque-là, Piaget pose une hypothèse explicative
forte, systématique et séduisante. Pour qu'elle soit toujours
vérifiée, il faudrait que dans tous les cas une classe d'indices
soit relative à la vitesse du changement, de manière à
ce que nous soyons ramenés au cas de la relation inverse
du t =-
type
'Mf" ' . v-. e
Pour tenter cette démonstration, Piaget a été ainsi amené
à distinguer, comme nous l'avons déjà indiqué, trois formes
d'intervention de la vitesse : la vitesse d'un mobile, la vitesse
des changements discontinus ou fréquence et la puissance de
l'action (force X vitesse). Nous ne discuterons pas longuement
ce dernier cas ; si on fait, en effet, appel à la variable puis-
sance » de l'action, il est très difficile de déceler le rôle relatif
de la force et celui de la vitesse. D'autre part, la réduction de
la fréquence à une vitesse est pour nous un problème plus
292 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
-..-

crucial parce qu'il se prête mieux à l'expérimentation et aussi


parce qu'il est au noeud de nos divergences avec Piaget.
En effet, nous avons dit en parlant de l'estimation du temps
(p. 246) que nous utilisions, outre les sentiments du temps,
deux types d'indices : le travail effectué et la densité (1) des
changements perçus. Piaget a cru reconnaître alors les deux
classes d'indices dont il parle lui-même en assimilant la densité
des changements perçus à une fréquence. Physiquement et
logiquement, cette déduction est possible. Elle ne correspond
cependant pas à notre analyse des faits.
Une vitesse, pour jouer un rôle dans l'estimation du temps
-
je ne dis pas dans un raisonnement -, doit être perçue. Or,
si la vitesse d'un mobile peut être perçue entre des limites
extrêmement étendues qui vont de 1 à 2 mn d'arcjs à 5cojs selon
les conditions expéiimentales, il n'en est pas de même de la
fréquence. Il n'y a fréquence perçue que s'il y a distinction
des stimuli (de l'ordre de 10 à la seconde) et enchaînement
entre eux. Cet enchaînement cesse lorsque la fréquence se
ralentit au point d'être de l'ordre de 2 par seconde. La
fréquence n'est donc perçue que pour des intervalles entre
les changements allant de 0,1 s à 2 s environ, c'est-à-dire
dans des cas bien particuliers qui correspondent à peu près
aux cadences données par un métronome. Mais nous vivons
dans un univers plus complexe où beaucoup de changements
sont beaucoup plus lents. La notion de densité englobe non
seulement les changements qui correspondent à une perception
de la fréquence, mais tous les autres, qu'ils se suivent d'une
manière isochrone ou irrégulière. Au terme d'une durée, l'impor-
tant est l'amoncellement plus ou moins grand des changements
perçus selon les critères analysés au chapitre précédent. Beau-
coup de changements => beaucoup de temps (et inversement).
Cette difficulté perceptive à ramener la densité des chan-
gements à une fréquence (et donc à une vitesse) peut être mise
en évidence par ailleurs grâce à des expériences où il apparaît

(1) Dans notre rédaction de 1957, nous avons employé l'expression nom6re des
changements et Piaget s'est demandé si cette expression avait valeur absolue ou
relative à une unité de temps. Cette dernière interprétation est évidemment la
bonne. L'expérience de N. Zuili (P. 256) a cependant montré que, dans certains cas,
le jeune enfant tenait compte du nombre absolu des changements et qu'après
avoir transporté n anneaux il lui suffisait de transporter le même nombre de jetons
pour égaliser les durécs, sans tenir aucun compte de la durée de chaque transport.
L.4 NOI'ION 1)1,;7'EM?.S 293
. --- ..- -.

que la densité (ou fréquence des changements) ne donne pas


des effets comparables à ceux d'une vitesse.
Prenons un premier fait très connu dans la littérature
psychologique du XIXe siècle. En utilisant un métronome, les
psychologues allemands avaient constaté qu'à fréquence plus
grande correspondait une durée plus longue, ce qui permettrait
en effet de rapprocher les effets de vitesse-mouvement et de
vitesse-fréquence. Nous avions nous-mêmes mis en évidence ces
deux formes d'illusion, même chez l'adulte (1961 et 1965). Mais
si on fait des expériences en utilisant des gammes de fréquence
plus étendues, on découvre qu'en réalité la durée perçue n'est pas
une fonction monotone de la fréquence (voir p. 140). En effet,
la durée perçue est maximum pour une fréquence d'environ
1,6 par seconde en utilisant des sons brefs. Pour une fréquence
plus grande, la durée estimée diminue, de même que pour une
fréquence beaucoup plus lente, quoique dans ce cas les attitudes
individuelles soient très variables. Le max:mum est de même
nature que celui mis en évidence par Piaget (1961) sur l'illusion
spatiale dite d'Oppel Kundt, et il nous apparaît bien ici que
le parallélisme s'impose plus avec l'espace qu'avec la vitesse.
Ce rapprochement ne nous a pas étonné car, en étudiant
les mouvements rythmés, nous avions trouvé qu'à part les
contraintes purement motrices (quand il s'agissait de rythmes
produits) les lois d'enchaînement et de structuration dyna-
miques étaient exactement les mêmes que celles que l'on retrou-
vait en utilisant les gestalt spatiales, ce qui montrait bien que
toutes ces organisations étaient gouvernées par des lois per-
ceptives dont le caractère restait le même dans l'ordre du
statique et du dynamique (Fraisse, 1939 et 1956).
Nous devons rappeler ici une expérience que nous avions
imaginée spécialement pour étudier cet effet de la densité (voir
p. 241). Le principe en est de faire évaluer la durée de la projec-
tion de plusieurs images en faisant varier, pour une durée donnée,
le nombre d'images et, inversement, la durée de la projection de
chaque image. Nous avons d'abord trouvé, chez les adultes,
par une méthode d'estimation en unités de temps, une absence
complète d'effet systématique des deux variables. La moyenne
des estimations est proportionnelle au nombre de vues projetées,
à la durée de ces vues et même à l'intervalle entre les vues, lors-
qu'il y en a un. L'intégration de toutes les données est parfaite.
/94. J'S n:HULUG1E DU TEMPS

Piaget (1966) a repris cette expérience sur des enfants avec la


collaboration de Meylan-Backs. Au lieu d'estimation verbale,
les enfants utilisent, pour estimer la durée de la projection,
des baguettes de différentes longueurs. Nous avons refait la
même expérience avec la collaboration de N. Zuili. Les enfants
doivent estimer successivement deux durées. A leur insu elles
sont égales. A Genève, dans une situation il y a 4 vues de 6 s
et dans l'autre 8 vues de 3 s à Paris. Les résultats sont les sui-
vants, en distinguant trois catégories de réponses. Si A est la
durée où il y a peu de vues de longue durée et si B est celle où
il y a beaucoup de vues de durée brève, on peut avoir trois types
de réponses : A = B, A > B, A < B. Elles se répartissent
proportionnellement à chaque âge de la manière suivante :
- ---
!A =B A>B A >BA<B

I Genève
Genève Paris Genève Paris G°nève
Gcnève Paris
I-

f,-7ans....... 39 29% 16% 24% 45 % 47%


8-9 9 20 13 60- 30-- 20 57
tO-1]1 - - .......I 10 15 65 - 27 - 25 -
Adultes ......... 28 - 30 - 50 58-
20 - 22 -

Nous n'avons retenu des résultats de Genève que les réponses


dites spontanées parce qu'elles sont seules comparables à celles
de Paris. D'autre part, il est difficile de prendre en considé-
ration les changements de réponse des enfants après que l'expé-
rimentateur leur a fait mettre en doute leurs premières réponses
et a attiré leur attention sur la « fréquence n dans chaque série.
La différence fondamentale entre les deux séries de résultats
est la suivante. Dans la recherche de Genève il y a entre 7
et 8 ans mutation quantitative. Avant cette période à fré-
quence plus grande correspondait plus de temps, après moins
de temps. Nous ne retrouvons pas pour notre part cette inver-
sion. Les pourcentages restent à tous les âges du même ordre.
Interpréter cette expérience en termes de vitesse ou
de fréquence n'est pas indispensable. Pour estimer une
pareille durée, il faut coordonner deux indices. Ce peut
être, comme le pense Piaget, la mise en rapport du
nombre des images et de la fréquence de leur présen-
tation, ce peut être aussi le nombre et la durée des images
1,A NOI'JON DA TEMPS 295

et, dans ce cas, il s'agira d'une opération multiplicative.


En d'autres termes, nous pensons qu'il n'est pas possible,
à l'heure actuelle, de faire le recensement de tous les indices
possibles sur lesquels est bas-e l'estimation du temps et qu'il
est prématuré d'affirmer que les opérations de coordination de
ces indices sont toutes du même type.
Nous tendons tardivement (voir p. 297) vers une notion
abstraite de la durée, parce que la représentation devient de
plus en plus indépendante de ce qui s'y passe. L'enfant affranchi
d'impressions absolues devient capable de mettre en relation
les représentations d'ordre et de durée et est capable d'avoir
une notion du temps.
Cette conception est semblable à celle que Piaget a proposée
pour l'évolution d'autres notions, puisqu'il estime que l'enfant
passe en général du stade de l'adaptation sensori-motrice
à celui d'une représentation qui évolue peu à peu vers une
réversibilité au moment où les op Srati Jns deviennent possibles.
D'où vient alors cette différence d interprétation entre Pia-
get et nous ? Peut-être est-elle éclairée par ce que fut l'orienta-
tion première des travaux de Piaget sur le temps. Il rapporte lui-
même dans l'avant-propos de son ouvrage qu'Eiastein lui
avait demandé si l'intuition subjective du temps était « primi-
tive ou dérivée et d'emblée solidaire ou non de celle de la
vitesse ». Son attention ainsi orientée, Piaget a été amené à
traiter spécialement du problème du temps en relation avec la
vitesse. On pourrait presque dire qu'il a surtout cherché les
circonstances où apparaît la relation t = e ; à plusieurs reprises
v
il affirme que la notion de temps ne se dégage justement que
lorsqu'il y a intuition articulée d'abord puis mise en relation de
la vitesse et de la durée.
Piaget (1966) a d'ailleurs explicité sa position sur ce point.
L'espace comme la vitesse sont des qualités simples. On peut
constater directement l'existence d'une distance, propriété
isolable de son contenu, et de même la vitesse perçue dans le
dépassement, tandis que la durée ne serait qu'une résultante
de deux composantes.
Nous avons tendance, au contraire, à penser que la durée
est, comme la distance, une qualité simple. Temps et espace
sont perceptivement dépendants de leur contenu et donnent
296 PSYCHOLOGIEDl'

naissance au même type d'illusions avec même composition


des données comme dans l'effet tau et l'effet kappa (p. 144).
La qualité première correspondant à la durée est aussi celle
de distance envisagée d'abord par le sujet en relation avec ses
souvenirs ou ses désirs, puis entre deux événements. A s'en
tenir d'ailleurs à la phénoménologie du langage, l'enfant
(comme l'adulte) utilise pour parler de la durée aussi bien le
vocabulaire de l'espace que celui de la vitesse (les vacances
c'est loin ; le temps passe iite). L'enfant arrive peu à peu à
abstraire la durée comme l'espace de son contenu. Il reste deux
différences entre le temps et les autres qualités dont l'une
est mineure et l'autre d'importance. La première est que
nous n'arrivons pas à des représentations temporelles aussi
distinctes et autonomes que les représentations spatiales. Nos
représentations, par leur caractère statique, sont en effet
mieux adaptées à l'espace qu'au temps et c'est pourquoi il est
plus facile de traiter l'espace que le temps d'une manière
logico-mathématique. La différence majeure réside cependant
dans la mesure. L'espace se mesure à partir de l'espace, le tout
par la partie, le temps lui se mesure à partir d'un mouvement
en postulant l'isochronisme entre deux phases homologues
d'un mouvement périodique, c'est-à-dire l'uniformité de la
vitesse. Si la vitesse s'accélère, le temps devient plus court. A
ce niveau de conceptualisation, nous pensons alors qu'il y a en
effet une relation nécessaire entre le temps et la vitesse. Cette
relation existe souvent dans nos estimations temporelles, mais les
coordinations à travers lesquelles se construit le temps notionnel
ne se ramènent pas toujours dès l'origine à ce schéma (1).

(1) Danstout ce débat,nousn'avonsà aucunmomentopposé,commePiaget,


ternesphysiqueet tempspsychologique. Nousne comprenons cettedistinctiunqu'en
admettantquc, le premier,touslesindicessontdonnésdansla situationexté-
rieure,tandis que dans le secondils sontfournis par l'action du sujet.Cettedistinc-
tion ne noussemblepasesetitielle,puisque,de toutesmanières,le I emps dupsycho-
logue.quelleque soit son origine,est relatifau sujet qui le perçoitet relèvedes
mêmesloisperceptives on cognitivcs. Toutest tempspsychologique si l'on préfère,
mais cette affirmationn'impliqueaucuneréférenceau tempsvécu.t'xl'res?ionau
relent bergsonienou husserlien,et aucunrecoursà I*introsj,cetion, à moinsque
l'onadmettequetouslesprocessus perceptifset cognitifsrelèventde cetteméthode.
Aussibien, lorsquenous parlonsde l'importancede la densitédes changements
perçusnousinvoquonsunevariablehypothétiqueet intermédiaire quine peutêtre
appréhendée pnnrrlle-méme. Cependant, on peutsupposerun certainisomorphisme
entrecette variableet les stimulationsque l'on peut manipulerdans la situation
et c'est sur ce postulatque reposentles expériences sur la duréede stimuliplus
ou moinsfréquents,de transportd'anneauxou de jetons,de vuesplusou moins
nombreuseset durables,etc.
LA NOTION DE TEMPS 297
- --

Tout ce débat peut paraître un peu byzantin. Il pose cepen-


dant une question essentielle : pouvons-nous arriver à avoir une
intuition de la durée comme telle ou bien n'est-elle jamai3 que
relative à l'espace et à la vitesse ? Piaget a précisément adopté
cette seconde position en soutenant « ... que les intuitions élé-
mentaires sont celles de l'espace parcouru et de la vitesse et que
le temps se différencie peu à peu d'elles mais dans la mesure
où se coordonnent entre eux les co-déplacements... » (ibid.,
p. 42).
Pour nous, au contraire, le jeune enfant a des intuitions non
seulement de la vitesse et de l'espace mais aussi de la durée.
Celle-ci se révèle à lui sous la forme primitive d'un intervalle
qui contrarie l'accomplissement de ses désirs. Cet intervalle
paraît d'abord n'être fait que du nombre de changements qui
s'y produisent, mais, à mesure que l'enfant se développe, cette
intuition se transforme en une représentation, milieu abstrait,
lieu des changements et indépendant d'eux. Certes, ce n'est
qu'une étape car l'enfant ne peut tenir compte de tous les
aspects du changement qu'au moment où il sait mettre en
relation l'ordre des événements et les durées qui les séparent, et
passer d'un système de données à l'autre. A ce stade final
nous nous retrouvons pleinement d'accord avec Piaget pour
reconnaître que « le temps opératoire est constitué lorsque
l'ordre des successions peut se déduire de l'emboîtement des
durées et réciproquement » (ibid., p. 278), mais nous pensons
que la représentation du temps existe pour elle-même et qu'elle
se manifeste avant la phase opératoire.

4° L'ÉVOLUTION DE LA NOTION DE TEMPS

JUSQU'A L'ADOLESCENCE

L'enfant qui, vers 7-8 ans, met en relation des changements


vécus et réussit des co-sériations ne réalise pas encore que le
temps soit une relation indépendante des changements. Ce n'est
que peu à peu qu'il parvient à ce niveau d'abstraction.
Une importante recherche de Michaud (1949) éclaire cette
évolution. A des groupes composés de nombreux enfants
entre 10 et 15 ans, il a posé la question : Que devient le temps
lorsqu'au printemps on avance l'heure en sautant tout d'un
298
8 DU TEMPS
PS YCH OLU GIÉ
. ..-... -. .. -

coup de 11 h du soir à minuit (1) ? Pour concrétiser le problème,


il leur demandait aussi s'ils devenaient alors subitement plus
âgés. Les réponses à ces questions mettent à jour le rapport que
les enfants ont spontanément établi entre le temps des horloges
et le temps des autres changements, jours, nuits ou croissances.
En éliminant ceux qui n'avaient pas compris le problème,
Michaud a pensé que, selon leurs réponses, les enfants pouvaient
se classer en quatre catégories principales :
10 Ceux qui traitent le temps comme une quantité réelle. En
avançant les horloges, on « escamote », on « enlève » du temps ;
on agit donc sur le temps lui-même et la preuve est que ces
enfants pensent qu'ils ont vieilli. « Oui, j'ai vieilli en sautant de
11 h à minuit, c'est comme si l'heure entière s'était écoulée »
(13 a. 2 m.) ; « on a ajouté une heure de plus à notre âge, tout le
monde a vieilli » (13 a. 11 m.). Certains répondent cependant
qu'ils n'ont pas vieilli, mais leurs commentaires montrent que
leur conception du temps n'est pas différente de celle des pre-
miers : ils ne croient pas seulement que l'on vieillit si vite ;
« cela ne m'a pas fait vieillir parce que ce n'est pas en une heure
que l'on vieillit » (13 a. 2 m.) (p. 75).
20 Les enfants pour lesquels l'avance de l'heure se ramène
à un pur problème pratique. On peut manipuler les aiguilles
et cet acte nous fait perdre une heure « qui aurait pu nous
servir » (p. 88). Mais ils ne se posent pas la question de savoir
si l'avance de l'heure a un rapport avec un temps abstrait
indépendant des possibilités qu'il ouvre à l'action.
3° Les enfants qui envisagent l'avance de l'heure sous
l'angle d'une opération mathématique. En hiver, on retarde les
heures, en été on les avance, cela revient à 1 - 1 = 0 (13 a. 1 m.).
Cette opération n'indique pas toujours que l'enfant arrive à se
représenter que les autres changements n'en sont pas affectés.
La majorité pense qu' « on n'a pas vieilli puisque l'heure enlevée
n'a pas été vécue a (14 a. 10 m.) ; mais certains estiment que l'âge
subit le contrecoup de ces opérations. ·eOui, subitement, je suis
devenue plus âgée d'une heure parce qu'on a avancé la montre d'une
heure, mais comme cette heure on la rattrape en hiver, je rajeunis
d'une heure... cela fait que mon âge n'a pas changé » ( 1 a.) (p. 131).

(1) Cetterecherchea été effectuéeavant 1939,à une époqueon on avançait


l'heureau printemps,pourla retarderen automne.
LA NOTION DE TEMPS 299

4° Enfin, les enfants qui reconnaissent que le temps des


horloges est une pure convention qui n'affecte pas les change-
ments qui se produisent dans la nature, et en particulier la
marche du soleil ou leur âge réel. Toucher aux aiguilles, c'est
réaliser un simple décalage.
Seul ce dernier type de réponse manifeste que l'enfant
conçoit le temps des horloges comme une convention sans
influence sur le déroulement des changements qui se produisent,
seul aussi il manifeste que ce temps est une trame sous-jacente
de nature homogène qui est indépendante des manipulations
humaines. Cependant, la plupart des réponses où l'enfant envi-
sage l'avance de l'heure comme une simple opération mathé-
matique vont aussi dans le même sens ; elles sont d'ailleurs de
plus en plus nombreuses à mesure que les enfants sont plus âgés.
Si on réunit, en effet, en un tableau unique les différents
résultats obtenus dans cette recherche par Michaud (pp. 74, 89,
131, 241), on voit que le pourcentage des enfants (garçons et
filles) qui donnent chaque type de réponses évolue très sensi-
blement avec l'âge.

Nombre Temps = Temps ,.= Temps


schème- Temps =
dd'enfants
enfants Ahe
" quantité activité
actlvlte convention
-réelle
xe ma th' ema t.Ique
mathématique qUe
% % l1 %° <}¡)
247......... 10
0 36,8 36 2 19,8
336......... 11l 32,1 33,3 2 29,7
478......... 12 22,5 25,7 3,11 39,1
459......... 13 16,5 22,4 5 47,7
219......... 14 16,4 11,7 10,3 .56,8
59......... 15 10,1 6,7 23,7 59,3

Il apparaît qu'à 10 ans les 3/4 environ des enfants ne consi-


dèrent pas encore le temps comme une abstraction et que pour
eux le changement de l'heure a une conséquence sur l'âge ; ils
ne se représentent pas que les changements dus à l'âge sont
indépendants de la marche des horloges. Vers 13 ans seulement,
50 % des enfants environ témoignent qu'ils ont compris que le
temps des horloges n'est qu'une convention sans influence sur
les changements qu'il mesure.
Ce résultat complète nos démonstrations précédentes. Quand,
au terme d'une première évolution, l'enfant de 8 ans devient
300 f'SYGHOLU(?lEDU TEMPS
- -----

capable d'emboîter les durées de deux séries de changements,


il « chosifie » encore le temps qui reste lie aux représentations
concrètes qu'il s'en fait. Les horloges lui donnent le modèle
d'un devenir continu à vitesse constante grâce auquel il conçoit
des périodes isochrones qui vont lui servir d'unités : il peut
alors situer la durée des changements par rapport à ce change-
ment privilégié. Ce n'est qu'à l'âge décrit par Piaget comme
celui des opérations formelles, c'est-à-dire à l'adolescence, que
l'enfant est capable de passer de l'homogénéité concrète du
temps des horloges à l'homogénéité abstraite d'une durée qui
serait la trame des événements sans être dans leur dépendance.
L'adaptation au temps est donc fonction du développement
de l'intelligence et du niveau opératoire atteint à chaque âge
par l'individu. Par suite, il n'est pas étonnant que plusieurs
auteurs (voir chap. VI, p. 189) aient trouvé des corrÉlations
très élevées entre divers tests d'intelligence générale et les
résultats obtenus dans un questionnaire portant sur l'orien-
tation temporelle, les divisions du temps et les manières de
dater les événements, toutes connaissances qui doivent être
certes apprises, mais qui ne peuvent être comprises que lorsque
les processus de la mesure du temps ont un sens pour l'enfant (1).

III
RF'PRÉSENT.ATIONET NOTION DE TEMPS
Pour conclure ce chapitre consacré aux formes supérieures
de l'adaptation de l'homme au temps, il est sans doute nécessaire
de considérer le terme de cette évolution génétique que nous
avons longuement décrite, et de mieux préciser la nature même
de ce que l'homme appelle le temps. Les philosophes en ont
débattu sans parvenir sur cette question à un accord minimum.
Sans doute, comme le faisait remarquer Nogué (1932), le temps
n'est pas une idée simple. Et cependant Pascal (De l'esprit
géométrique, in Pensées et opuscules, p. 170) écrivait déjà que
tous les hommes savent ce que l'on veut dire en parlant du

de ces corrélationsa été préciséepar une recherchede


(1) La signification
Gothberg(1949)sur des débilesmentaux.La corrélationentre un questionnaire
portantsur les diversesnotionsde tempset l'âge mentalest de .84 et ellen'est
plusque de .31avecl'âgechronologique (à égalitéd'âgemental).
LA NOTION DE TEMPS 301

temps, même s'ils ne s'accordent pas sur la nature du temps.


Nous avons, en effet, une multiplicité d'expériences liées à nos
divers modes d'adaptation aux changements, mais elles ne nous
donnent que des éclairages partiels, tant qu'il n'y a pas compo-
sition entre ces expériences : c'est cette composition que nous
appelons le temps.
Ces expériences se ramènent, nous le savons, à deux dont
chacune a plusieurs aspects : celle de la succession et celle de la
durée. L'une et l'autre, en tant qu'expériences, appartiennent
au présent vécu.
L'expéiience de la succession est celle de l'évanescence de
toutes nos perceptions, en particulier des perceptions audi-
tives. Plus généralement, quand nous sommes parvenus à un
âge où nous savons distinguer notre perception de l'objet qui
la provoque, notre expérience est celle du perpétuel renou-
vellement de nos sensations, de nos pensées et de nos affects.
Elle a comme caractéristique principale l'irréversibilité, c'est-à-
dire l'imposâible retour au plan de l'expérience de ce qui a été.
Cependant, cette expérience de la succession a pour consé-
quence, grâce à la mémoire, le développement de perspectives
temporelles constituées à la fois du souvenir des présents passés
et de l'anticipation des présents à venir sur la base même de ce
qui a déjà été vécu.
L'expérience de la durée est celle d'un intervalle. Elle
existe déjà dans la perception de la succession où l'intervalle
est un donné entre les stimulations successives au même titre
que leur ordre et leur multiplicité. Nous prenons cependant
surtout conscience de la durée par la résistance qu'elle impose
à la réalisation de nos désirs et par notre impossibilité de
présentifier à volonté l'objet convoité. Plus tardivement dans
le développement génétique, la durée se révèle aussi par l'éloi-
gnement de nos souvenirs ; la quantité de souvenirs entre deux
moments est la base même de notre expérience de la dimension
de la durée.
Ces deux expériences ont des contenus différents et aucune
ne constitue à proprement parler une expérience du temps. Elles
convergent cependant pour nous suggérer une même image
symbolique qui correspond à la nécessité où nous sommes de
déployer tous ces changements vécus pour les différencier les
uns des autres et les ordonner. Cette image est celle d'un espace
302 PSYCHOLOGIEDU TEMPS
. .. - . -- - ...

où se situent tous les événements avec à la fois leur multipli-


cité et leur plus ou moins grande proximité. En effet, les pers-
pectives temporelles nées de la multiplicité des expériences
passées et à venir ne peuvent faire l'objet d'une représentation
que si nous plaçons côte à côte des événements les uns par
rapport aux autres. Cette transcription est naturelle parce
que l'ordre temporel coïncide souvent avec l'ordre spatial et
que les distances correspondent à des durées de déplacements.
Dans les montagnes, là où les déplacements se font surtout à
pied, les paysans, à la question : « Est-ce loin ? n, vous répondent
aussi bien : « à une heure » de marche qu' « à 3 ou 4 km ».
La transposition spontanée du temporel en spatial s'explique
aisément si on se rappelle avec Wallon la nature même de nos
représentations mentales : « Moyen d'adaptation immédiate
aux réalités ambiantes, nos états de conscience, nos perceptions
ne traduisent que ceux de nos rapports avec le monde extérieur
qui intéressent notre existence. Mais ils devront en exprimer
les nuances utiles en termes clairs et nets, c'est-à-dire par un
système d'impressions et de symboles qui soient aptes à fournir
des distinctions tranchées, des points de repère bien définis...
Cette loi de la plus grande utilité oriente l'évolution de la
conscience. Ceux de nos états qui par eux-mêmes ne peuvent
donner lieu à des représentations claires et distinctes s'effa-
ceront derrière le symbolisme d'une autre série aux termes plus
maniables et mieux définis » (1930, p. 326). Aux sensations
visuelles, qui sont les plus précises, correspondent les représen-
tations spatiales qui envahissent du même coup le champ de
notre conscience parce qu'elles sont les plus aptes à fournir une
représentation utile du monde où nous vivons.
Si l'étalement spatial des changements nous offre un moyen
pratique de nous les représenter, il reste vrai de dire avec
Bergson que cette image du temps-espace ne correspond à
aucune de nos expériences immédiates. Ne naît-elle pas juste-
ment du besoin de n'être plus enfermés dans le présent vécu
pour devenir capable de se représenter - c'est-à-dire de rendre
présents - les changements passés ou à venir avec leur double
caractère d'ordre et de durée ? Nous laissons ainsi échapper
l'aspect dynamique de l'expérience du devenir. Pourrait-il
en être autrement ? Depuis Héraclite, on essaie de tenir compte
de la durée vécue en comparant le temps à un courant. L'i mage
LA NOTION DE TEMPS 303

est séduisante mais, en l'analysant, on découvre qu'elle traduit


mal notre expérience. De celle-ci, elle garde certes le caractère
évanescent mais seulement pour un observateur qui se place au
bord du ruisseau, c'est-à-dire en dehors du temps. Elle a d'autres
insuffisances. Les masses d'eau vont vers leur avenir mais
pour l'observateur elles sombrent dans son passé. Si on invoque
l'expérience de celui qui serait dans le courant, le changement
est alors sur la rive et le courant n'est plus assimilable au temps
(Merleau-Ponty, 1945, pp. 470-471). De plus, cette métaphore
ne nous permet pas de nous représenter les différents moments
du temps, surtout s'ils correspondent à plusieurs séries de
changements. Le devenir se conceptualise mal.
Le pouvoir de se représenter simultanément plusieurs
moments successifs en les situant les uns à côté des autres et
en les séparant par des intervalles ou durées nous permet
précisément de compléter nos images frustes du devenir. Grâce
à cette présentification, l'ordre des changements dépend seu-
lement de la pensée et échappe à l'astreinte de l'expérience
vécue. Elle crée un temps réversible où il est possible d'aller
de ce qui était après à ce qui était avant, aussi bien que de
l'avant à l'après.
Cette représentation se détache de plus en plus des premières
images qui la constituaient et tend à n'être plus que celle d'un
milieu homogène et continu. Elle aboutit à une conception où
le temps est assimilé à un espace de type euclidien où tout
demeure. Berger (1950, p. 102) a justement montré que cette
construction d'une représentation exprimait notre désir d'échap-
per à un devenir où s'inscrit la moit. « Le temps, écrit-il, est
une révolte de l'homme contre cette mort dont le présent lui
révèle la constance autour de lui, contre cet écoulement non
pas du temps mais des contenus, contre le fait que rien ne reste
dans ses mains... »
Nous arrivons mal, cependant, à détacher entièrement de
nous cette représentation du temps - comme d'ailleurs celle
de l'espace. Le milieu que nous concevons, nous le situons par
rapport à notre propre corps et nous l'orientons selon nos
habitudes de pensée. Le fait a été vérifié directement. Guil-
ford (1926) a demandé à des étudiants de dessiner une figure
leur permettant de représenter le passé, le présent et le futur.
91 % des réponses sont constituées par un mouvement qui va
3Ù4 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

de gauche à droite : orientation due sans doute à l'influence de


la lecture et de l'écriture qui, dans le monde occidental, crée une
direction privilégiée. Tous les dessinateurs qui veulent repré-
senter les divers stades d'un développement ou raconter une
histoire par l'image, comme dans les comics, procèdent toujours
de gauche à droite. En outre, compte tenu de cette direction
générale, Guilford a constaté que 58 % des représentations
situent le passé en dessous du présent et le futur au-dessus ;-,
22,5 % situent le présent au sommet de la crête d'une onde
convexe... d'autres réponses représentent une ligne brisée.
Cette diversité témoigne que cette localisation spatialisée des
changements se fait selon des schèmes très personnels. Si l'on
donne au problème de la localisation des représentations un
caractère encore plus concret en demandant à des étudiants,
comme nous-mêmes l'avons fait, de localiser l'enfant qu'ils
ont été et le vieillard qu'ils deviendront, les résultats vont
dans le même sens que ceux de Guilford : 31 % situent l'enfant
à leur gauche, le vieillard à leur droite ; 11 % les situent sur
un axe arrière-avant, le passé étant en arrière et l'avenir en
avant ; 10 % ont une représentation de bas (passé) en haut,
et 13 % des localisations plus complexes où prédominent simul-
tanément deux des trois directions de l'espace. Fait intéressant,
35 % ne localisent pas ces images et expliquent qu'ils se conten-
tent de les visualiser successivement, ce qui correspond à un
mode plus primitif de la représentation du changement, la
juxtaposition des images successives. C'est ainsi que l'on sym-
bolise souvent le temps : portraits successifs d'un même homme,
feuilles de calendrier qui se succèdent, etc. Cette variété de
réponses souligne par une autre approche ce que nous avaient
révélé les recherches génétiques, à savoir que nos représentations
du temps peuvent être plus ou moins abstraites suivant les
contenus auxquels elles se rapportent.
Une représentation du temps selon un continu schématique
polarisé à une dimension (1) nous suffit lorsque nous imaginons
des changements formant une série homogène comme les divers

(1) Si la représentationdu temps selonune lignedroite est prédominanteà


l'heureactuelle,on saitquecetteimagedépenden partiedu développement culturel.
Aristotenousdit qu'en sontemps« l'idée couranteest que les alTaireshumaines
sontun cercle...» (Physique,
liv. IV, p. 161).Mais,ligneou cercle,le raisonnement
demeurele même.
LA N01'ION Uh' TEMPS 305

âges de notre vie, les états successifs d'un corps ou la succession


des jours, des mois ou des années. Mais elle devient insuffisante
lorsqu'il faut mettre en relation des séries hétérogènes d'évé-
nements. En effet il faut alors construire le temps, et placer les
uns par rapport aux autres des événements qui ne s'ordonnent
pas naturellement et les durées qui les séparent. Pour reprendre
l'exemple même de Piaget, si je veux envisager simultanément
toutes les données temporelles de mon existence, situer par
exemple les événements de ma vie familiale et les événements
politiques de ma patrie, je procède par une série de construc-
tions où interviennent des dates et des durées (la gue-re a duré
cinq ans, mon deuxième enfant est né trois ans après le pre-
mier, etc.). Je m'appuie sur des représentations, mais au terme
il n'y a plus de représentation possible, car nous ne pouvons
imaginer simultanément plusieurs intervalles de temps qui se
chevauchent. Cette construction du temps ne conduit pas
cependant à un concept qui subsumerait une classe d'objets,
mais à un schème total et unique auquel nous aboutissons au
terme d'une s-rie d'opérations qui constituent l'univers tem-
porel (Piaget, ibid., p. 293).
Ce schème temporel ou cette notion, pour employer un
vocabula;ra plus courant, ne résulte donc pas d'une simple
abstraction n-e d'expériences multiples, pour la simple raison
que les expériences temporelles sont hétérogènes les unes aux
autres. Ainsi que le dit Lavelle : « Il n'y a qu'une relation qui
puisse nous représenter un objet dont la présence n'est pas
donnée » (1945, p. 192). Et c'est pourquoi le temps n'est pas non
plus une simple forme de notre esprit. Le temps naît de l'activité
même de l'homme qui s'efforce de reconstruire les changements
auxquels il participe. Et, comme on le sait,il n'y a que ce que nous
avons pu reconstruire que nous pouvons maîtriser. Avec la notion
de temps, nous atteignons l'adaptation la plus complète de
l'homme aux successions qui forment la trame de son milieu.
L'homme a alors l'impression que sa conception du temps est
celle d'un temps absolu dont Newton a donné la meilleure
formulation.
Les progrès de la science qui ont conduit à la théorie de
la relativité restreinte, puis généralisée, devaient cependant
révéler que ce qu'on croyait un temps absolu n'était encore
qu'un « temps local », comme le nommait Lorentz, ou plus
P, FUISSE 2Q
306 2'SYG'?101,(IGLE 1)(,J 7'EME'S

exactement un u temps propre » selon l'expression de Langevin.


La sériation n'est fixe et la durée homogène que par rapport
à un système de références dont les différences parties sont
immobiles les unes par rapport aux autres. Dè3 lors qu'il y a
divers systèmes de référence en mouvement les uns par rapport
aux autres, il n'y a plus de temps commun.
Le problème a éclaté à propos de la simultanéité qui est,
comme nous l'avons vu, fondamentale aussi bien au point de
vue de la Eériation que de la mesure de la durée. Nous admet-
tons en première analyse que deux événements sont simul-
tanés lorsque nous les percevons ensemble. Mais nous apprenons
vite que la simultanéité de deux perceptions ne signifie pas
que les deux événements auxquels elles correspondent soient
eux aussi simultanés. Tout dspend de la place des observateurs
par rapport aux sources des événements et de la vitesse de
transmission des messages. Cependant, dans un système fixe
de références, on peut, à quelque place que l'on soit, conclure
à la simultanéité ou à la non-simultanéité de deux phénomènes
à partir de la considération des distances, des vitesses de trans-
mission et de l'intervalle mesuré entre les réceptions des deux
messages. Quelle que soit leur place, tous les observateurs
arriveront à la même conclusion. Mais il n'en est plus de même
si les deux événements se produisent en des systèmes en mou-
vement les uns par rapport aux autres, comme dans deux astres
différents. Dans un temps absolu, nous admettons qu'un évé-
nement qui se passe dans le soleil et un événement terrestre
puissent être simultanés, mais il ne s'agit que d'une croyance :
nous nous en apercevons au moment où nous nous demandons
comment vérifier cette simultanéité, observés et observateurs
étant en mouvement les uns par rapport aux autres. La théorie
de la relativité a alors montré que l'on pouvait seulement
mesurer entre les deux événements un intervalle fonction de
l'espace-temps, les deux données ne pouvant être mesurées que
relativement l'une par rapport à l'autre. L'intervalle est une
donnée spatio-temporelle.
Si on considère le problème en partant des durées, on
arrive à la même conclusion. Il n'y a de durée homogène,
donc d'unité possible du temps, que dans un système où il
y a une relative stabilité des conditions physiques. L'allure
de nos horloges dépend du champ de gravitation et de ses accé-
LA NOI'IOlV DE TEMPS 307

lérations ou de ses ralentissements. Le temps mesuié par deux


horloges soumises à des champs variables, dans deux astres
différents par exemple, ne serait plus le même. Et parce qu'il
n'y a pas de simultanéité absolue, il ne serait pas possible de
les régler l'une par rapport à l'autre.
La théorie de la relativité appelle une nouvelle conception
du temps comme de l'espace. Cette conception, à la différence
de la notion de temps que nous avons étudiée, ne naît pas de
l'action directe de l'homme sur les choses, de son adaptation
à ses conditions de vie, mais de son activité scientifique. C'est
en essayant de comprendre certains paradoxes de la physique
et en particulier le résultat négatif de Michelson qu'Einstein
a abandonné l'hypothèse d'un temps absolu et considéré qu'il
n'y avait que des temps propres à chaque système de référence.
Cet effort pour penser les rapports espace-temps de l'univers
peut être considéré comme une nouvelle tentative pour mieux
adapter nos connaissances à la réalité, mais il n'affecte pas la
vie psychologique quotidienne, dont il ne découle pas. Avec le
temps de la relativité nous sommes au-delà du problème psycho-
logique des conduites temporelles, bien que notre notion du temps
doive être telle que le temps «propre o ne soit qu'un cas particulier
du temps de la relativité. Peut-être que la conquête de l'espace
cosmique posera de nouveaux problèmes temporels aux cosmo-
nautes qui élargiront le domaine de nos connaissances ! 1
CONCLUSION

LA VALEUR DU TEMPS

Ainsi « le temps me fait et je fais le temps ! » (1).


De la naissance à la mort, notre corps évolue sous l'action
continue du temps. De plus, les conditions de notre existence
varient sans cesse et par elles nous sommes modelés de mille
façons. Nous vivons au rythme des jours et des nuits. Nos
centres nerveux inscrivent la durée qui s'est écoulée entre une
satisfaction et le signal qui l'a précédée. Tout événement vécu
reçoit comme un signe temporel de sa concomitance avec
quelque changement habituel.
La vie sociale est le milieu par excellence de notre adaptation
au changement, elle médiatise en quelque sorte les transfor-
mations du monde qui nous entoure. Par l'éducation, les enfants
n'apprennent-ils pas essentiellement à rythmer le cycle de
leurs occupations et de leurs désirs d'après le rythme des
adultes ? Les premiers, les parents fixent le temps du lever, du
coucher, des repas, des jeux et du travail. Plus tard l'école, la
profession, la cité ajoutent leurs exigences propres. C'est en
vivant avec les autres que nous souffrons de délais imposés à la
satisfaction de nos désirs. Attentes et précipitations, ces deux
formes de l'adaptation, sont multipliées, exacerbées par la vie
sociale. Se soumettre au temps signifie pratiquement accepter
le temps des autres.
Cette pression temporelle de la société comporte toute une
variété de degrés (Stoetzel, 1953). Elle est en général d'autant.
plus forte que nous sommes insérés dans un réseau de relations
sociales plus complexes. Un exemple grossier, mais significatif,

(1) Nous empruntons cette formule à M. Bonaparte ( 1 9.39),qui l'a utilisée pour
opposer Bergson à Descartes.
310 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
- ..-- ...

met en lumière ces différences : la proportion des gens qui


portent leur montre croît à mesure que la population de la
ville à laquelle ils appartiennent est plus grande. Les culti-
vateurs sont évidemment moins assujettis à un horaire précis
que les employés ou les ouvriers. Chacun de nous d'ailleurs
subit de façon variable la pression temporelle que le cadre
général de sa vie fait peser sur lui : elle se modifie suivant les
milieux que nous traversons, le jour de la semaine ou l'époque
de l'année. Il y a ainsi un temps du bureau, un temps de la
rue, un temps de la maison (Halbwachs, 1947), et aussi un
temps de la semaine et un temps du dimanche, un temps du
travail et un temps des vacances. Multiplicité bénéfique, puis-
qu'elle fait succéder tensions et détentes, puisque par l'alter-
nance des pressions et des allégements elle favorise la naissance
d'un rythme de la vie individuelle. Nous savons tous la conquête
que représentent le repos hebdomadaire, les vacances, ces rup-
tures des cadences infernales dont est faite la vie urbaine.
Si précieuses que soient ces pauses, il est des moments où
nous cherchons à échapper complètement à la pression tempo-
relle. Le sommeil est la situation limite qui nous retranche dans
notre individualité biologique. A un moindre degré, la rêverie
nous affranchit des contraintes du réel et en particulier du
temps social. Nos désirs s'y réalisent au rythme de leur érection.
Libération dangereuse lorsqu'elle devient habituelle et aboutit
à l'aliénation, c'est-à dire précisément à une cassure entre
l'individu et la société. Les ivresses toxiques et - sur un autre
- les extases sont aussi des moyens de s'af-
plan mystiques
franchir du temps : elles introduisent dans l'euphorie des
éternités (M. Bonaparte).
Ces expériences exceptionnelles ne doivent pas nous tromper.
La sécurité de l'homme normal n'est pas de s'affranchir du
temps. La pression temporelle est. une contrainte, mais aussi
le cadre où notre personnalité s'est organisée. Quand ce cadre
nous manque, nous sommes comme désorientés. Rien ne sou-
tient plus les séquences de nos activités : nous sommes seuls
en face de nous-mêmes. D'un tel désarroi surgit non seulement
un sentiment de vide, mais aussi une peur confuse : on craint
d'être désarmé devant les impulsions que la socialisation des
conduites inhibe d'ordinaire ou oblige à refouler. Que les uns
cherchent avidement de nouvelles occupations pour se « diver-
CONCLUSION 311

tir o de leur anxiété, que d'autres se forgent des emplois du temps


rigoureux, ces initiatives procèdent du même besoin. L'équilibre
humain est trop fragile pour se passer des positions fixes de
l'espace et des repères réguliers du temps.
L'harmonisation des temps des individus résulte d'interac-
tions multiples, à travers lesquelles ils tendent peu à peu à la
coopération que nécessite la vie sociale. Dans ce jeu d'adap-
tations mutuelles, chacun intervient avec tout le dynamisme
de sa personnalité. La manière même dont il subit ou secoue
la pression temporelle révèle ce qu'il est et ce qu'il veut être.
Se soumettre au temps de son groupe, c'est en général choisir
la sécurité ; s'en affranchir, affirmer son indépendance, est une
forme d'agressivité. Ainsi par la ponctualité on s'assure l'estime
de ceux dont dépend l'horaire et à tout le moins on évite
les aventures. Il arrive très souvent que les personnes très
exactes souffrent de quelque sentiment d'insécurité. D'autres
au contraire se servent de la ponctualité comme d'une arme :
proposée en modèle aux égaux ou aux inférieurs, elle offre une
occasion de les mettre en faute (Adler, 1948, p. 292). Sans
envisager ces comportements un peu névrotiques, Halbwachs
(1947) fait remarquer que, l'exactitude exigée n'étant pas la
même dans tous les groupes, « on se repose et on prend sa
revanche dans certains milieux de l'exactitude à laquelle on est
obligé dans d'autres ».
Le manque d'exactitude a les mêmes significations ambiguës.
On peut se mettre en retard par indifférence aux exigences
sociales, par désir d'indépendance quelque peu agressif, pour
irriter ceux qui vous attendent, pour avoir l'occasion en
s'excusant de valoiiser sa propre personne. On peut aussi
retarder une activité pour créer une tension qui soit source de
satisfaction (1) (Meerloo, 1948 ; Adler, 1948 ; Fenichel, 1953
p. 344).
Ces implications complexes de notre adaptation au change-
ment montrent à quel point le temps exerce une emprise
profonde sur tous les aspects de notre vie. Ponctué par les
rythmes de la terre, notre devenir est modelé par ceux de la
société.

(1) C'est la théoriedes psychanalystespour qui le soucidu temps est une


manifestationde la personnalitéanale, attendre ou faire attendre ressortissant
au mêmeplaisirérotiqueque la rétention.
312 PSYCHOLOGIE DU TEMPS
- -.. -

*
* *
Des tentatives formées par l'homme pour se débarrasser de
cette emprise, il n'existe pas que des fcrmes d'évasion. Une libé-
ration plus haute consiste moins à s'affranchir du temps qu'à
le maîtriser : dépassement qui n'est possible qu'à la condi-
tion d'échapper au devenir. C'est à quoi ont été employés les
efforts de la pensée constructive. Pierre Janet faisait remarquer
que les philosophes ont une horreur particulière du temps et
se sont appliquas à le supprimer (1918, p. 496). Sans aller
jusque-là, il suffit d'observer le comportement humain au niveau
des premières adaptations intellectuelles : il révèle, dès le
départ, une entreprise de domination du changement.
Pour se défendre contre le temps, l'homme a d'abord sa
mémoire : elle présentifie les changements passés, en recompose
l'ordre, en dégage la signification. L'homme crée l'unité de sa
personnalité en se donnant une histoire. A son image, l'huma-
nité revendique un passé et un avenir. Les sociétés multiplient
les témoignages des époques disparues en accumulant archives,
bibliothèques, musées. Patiemment, elles s'immortalisent en
écrivant leur histoire.
Le mouvement pour tirer à soi tout le passé et immobiliser
ce qui fut changement est complété par un effort symétrique
qui anticipe l'avenir et s'emploie par avance à l'accorder à
nos dési. s. Les prévisions humaines dépassent le cadre d'un
simple emploi du temps : elles lancent savants, ingénieurs,
politiques à la poursuite de lointains objectifs.
Ce regard qui se prolonge en deçà et au-delà du présent
n'épuise pas notre capacité d'organiser le changement. La
pensée parachève l'oeuvre de la mémoire par la mise en relation
de toutes les séquences d'événements : nous apprenons ainsi
à passer sans peine de l'ordre à la durfe, de l'antérieur au pos-
térieur et du postérieur à l'antérieur. Au terme de cette construc-
tion, l'homme est en possession de ce qu'il appelle le temps,
c'est-à-dire de la loi des changements. Fait paradoxal, cette
loi est comme en dehors du changement lui-même. Issu de
l'expéxience du temps vécu, le temps pensé n'en conserve pas
les caractères les plus sensibles. Il n'est pas un abstrait du
devenir, mais en coordonnant des séries multiples de change-
ments, il leur confère une intelligibilité.
CONCLUSION 313

L'hétérogénéité de nos représentations du temps par rap-


port à la réalité vécue apparaît quand, à l'aide de métaphores,
nous prétendons nous installer au coeur du devenir. Nous l'avons
noté avec Merleau-Ponty : quand nous évoquons le cours du
temps, nous ne sommes jamais que des spectateurs qui, du
haut d'une berge, regardent couler un fleuve qui leur reste
étranger. Le devenir est transformé en objet.
Cette transformation est le signe même par où nous affir-
mons notre domination sur le temps. Le langage dont nous nous
servons tous les jours est révélateur. Nous parlons du temps
comme d'une chose qui se trouve à notre disposition : « Avoir
du temps » nous lui prêtons une valeur semblable à celle de
l'argent : « Gagner ou perdre du temps » ; nous en faisons
même un instrument d'échanges ou la manifestation de notre
générosité : « Donner de son temps ».

*
* *
Si parfaite que soit cette maîtrise, si détachée de la réalité
sensible, elle ne peut nous faire oublier le caractère irréductible
de l'expérience du changement. A chaque instant le temps
nous est donné pour nous être aussitôt arraché. Il est facteur
de toutes les édifications et de tous les progrès, il est aussi
celui qui dégrade et anéantit. L'homme naît et meurt, pro-
gresse et régresse, les sociétés se développent et disparaissent :
double face de l'histoire, qui marque le temps personnel comme
celui des civilisations d'une ambivalence essentielle (Marrou,
1950). Le dieu grec du temps, Chronos, enfante et dévore ses
enfants. Janus, dont la sagacité embrasse tout à la fois l'avenir
et le passé, est doté d'un double visage, l'un sinistre et l'autre
riant.
Une telle ambivalence explique certains de nos choix. Porté
par son tempérament, sa situation, son histoire, chacun de
nous tourne les yeux vers ce qu'offre le temps ou vers ce qu'il
détruit. De là naissent des attitudes qui s'inscrivent dans les
conduites de chaque jour. Nous avons déjà relevé les valeurs
différentes que prêtent les individus aux deux grands axes de
l'horizon temporel, le passé et l'avenir.
Ces attitudes ne guident pas seulement notre action, elles
inspirent nos philosophies. En effet, chaque métaphysique se
314 PSYCHOLOGIEDU TEMPS

fait une conception propre du rôle des forces contraires que le


temps exerce sur nous : selon l'importance dialectique qu'elle
accorde, dans le devenir, à la création ou à la destruction, le
moi, le monde, et même Dieu, n'ont pas le même sens. Sans
doute il est peu de philosophies qui refusent de faire crédit au
temps, comme il est peu d'hommes pour se fermer complètement
à l'avenir. Pour celles cependant qui admettent que tout est
donné au principe, le temps peut tout au plus expliciter une
réalité implicite. Par contre, pour les évolutionnistes, il est
le générateur de tous les progrès. Lorsqu'une philosophie les
justifie ainsi ontologiquement, les aspects du temps se soient
conférer la suprême valeur.
Nées de nos attitudes à l'égard du temps, les philosophies,
en retour, les rationalisent et les valorisent. Plus ou moins expli-
citement, elles définissent les manières authentiques de vivre
le temps et déconsidèrent les autres. La destinée de l'homme
et celle des civilisations portent l'empreinte du prix que philo-
sophies et religions ont attribué au temps.
Le psychologue constate cette sublimation de l'expérience
temporelle, il cherche à en comprendre les ressorts et la portée.
Au plan scientifique, il se garde de se prononcer sur la valeur
du temps. Si, dans sa vie personnelle, l'option est inévitable,
il n'en méconnaît pas les déterminations. La psychologie, qui
se refuse à diriger son choix, lui enseigne seulement qu'il y a
plus de grandeur à l'assumer consciemment.

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INDEX DES AUTEURS

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ADRIAN, E. D., 32, 33. BIEL, W. C., 121.
AGGAZZOTTI, A., 119. BILGER, R. C., 140, 141.
AMES, L. A., 188. BINDRA, D., 217, 233. '
ANDERSON, A. C., 59-60. BINET, A., 216. «
ANDERSON, S. F., 139. BIRMAN, B. N., 65. ,
ARISTOTE, 3, 106, 231, 304. BJ RKMAN, M., 152.

ARNDT, W., 97. BLACK, A. H., 56. '


ARRHENIUS, 34, 35, 36, 134. BLAKELY, W., 147, 148.

AUGUSTIN, saint, 159. BLANCARD, R., 177, 183.


AXEL, R., 237, 239, 240, 261, 265. BLANCHETEAU, M., 62.
BOARDMAN, W. K., 127.
BACHELARD, G., 82, 84, 167, 215. BOLOTINA, O. P., 40.
BAILEY, R. W., 140, 225. BONAPARTE,M., 171,208, 309, 310.
BALD, L., 121. BONAVENTURA, E., 99, 150, 151.

BARACH, A. L., 244. BOND, N. B., 51.


BARNDT, R. J., 197. BONHOEFFER, 172.

BARUK, H., 197, 207. BONNET, C., 146.


BEHAR, 1., 127, 141. BONNIER, 21.

BEKESY, G. von, 133. BORING, E. G., 48, 100, 101.

BEHNG, 23, 24, 26.


L, BORING, L. D., 48.

BELL, C. R., 36. BOUMAN, L., 173.

BENDA, P., 244. BOURDON, B., 81, 85, 86, 89, 106,
BENDER, M. B., 103. 139, 225.
BENFORD, F., 263. BOUVIER, R., 83, 87.

BENUSSI, V., 119, 123, 127, 136- BRADLEY, N. C., 188.

137, 138, 139. 140, 144, 155, 156. BRAUNSCHMIp, M., 24.
BERGER, G., 8, 303. BRECHER, G. A., 109.
BERGLER, E., 165, 201. BREMEL, W., 166.

BERGSON, H., 7, 14, 76, 84, 85-86, BRION, S., 174.

90, 94, 302, 309. BROADBENT, D. E., 79, 116.

BERITOV, I. S., 26. BROMBERG, W., 243.

BERNOT, 177, 183.


L., BROWER, D., 189.
BERNSTEIN, A. L., 129. BROWER, J. F., 189.
F. K., 121. BROWN, J. F., 145, 146.
BERRIEN,
BETHE, A., 33, 112. BROWN, J. S., 40.
344 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

BRUNER, J. S., 154. DJAHANGUIRI, B., 62-63.


BRUSH, E. N., 49. DMITRIEV, A. S., 26, 40, 56, 65.
BUCK, J. N., 189. DOBRZANSKI,J., 23.
Bi·NNING, E., 21. i DOBsoN, W. R., 241.
BURGKARD,E., 29. DoEHRING, D. G., 66, 143, 226.
BURTON, A., 220. DooB, L. W., 184.
BUYTENDIJK, F. J. J., 32, 62, 68, DOOLEY, L., 198.
133. ) DOUNAN, E., 192.
BYKOv, K. M., 26. DUNCAN, C. P., 239.
Du PREEZ, P. D., 266.
CALABRESI,R., 131-132. DURUP, G., 106-107.
CAMPBELL,R. A., 148. )
CARREL, A., 263. ' EDGELL, B., 139, 151, 152.
CATTELL, J., 131. EHRENFELS, von, 83.
CHATTERJEA, R. G., 153. EHRENWALD, H., 14, 174, 246.
CHEATHAM,P. G., 108. EHRLICH, S., 155.
CHU-TSI-TSIAO, 57. EINSTEIN, 307.
CLAUSEN, J., 221, 224, 226. EJNER, M., 8.

CLAUSER,G., 48, 51, 52. EKMAN, G., 152, 153.


CLAY, E. R., 91. ELKINE, D. G., 148, 251.
COHEN, J., 137, 141, 144, 145, ) ELLIS, L. M., 183.
146, 182. ERICKSON, M. H., 246.
COHEN, L. H., 172, 174. ' EsoN, M. E., 192, 226.
COLEGROVE,F. W., 131. 1 ESTEL, V., 8, 125, 151.
CONDILLAC,E. B. de, 3, 4, 231. EVANS, W. O., 36.
CONSTANT,B., 198-199. EXNER, S., 120, 121.
CooK, L., 63. EYSENCK, H. J., 102, 204.
COOPER, L. F., 246. '!
COURBON,196. FALK, J. L., 217, 233.
CowLES, J. T., 60-61, 67. FARBER, M. L., 194-195.
CRAWFORD,M. L. J., 46, 266. FARRELL, M., 188, 281.
CURTIS, J. N., 143. FAVILLI, M., 243.
CZEHURA,W. S., 129. FECHNER, G. T., 8, 147, 149, 150,
CZERMAK,J. N., 86. 151, 153.
:
) FFNICHEL, 0., 198, 311.

DARWIN, Ch., 22. FEOKRITOVA, I. P., 26, 38-39.


DAVIS, R., 129. FERRARI, G. C., 236.
DEATHERAGE,B. H., 140, 141. FERSTER, C. B., 62.
DECROLY, O., 165, 187, 188. jI FESSARD, A., 32, 33, 35, 37, 41,
DEGAND, J., 165, 187, 188. 1 106-107.
DE GREEF, E., 170. FILER, R. J., 232.
DELACROIX, H., 82, 93. FINAN, J. L., 60, 61, 67, 68.
DELAY, J., 168-169, 174, 175. ) FISCHER, F., 207-209, 221.
DENNER, B., 140. ' FLETCHER, J. L., 131.
DERIABIN, V. S., 40, 42. FLORÈS, C., 96, 167.
DESCARTES, R., 3, 4, 309. FoucAULT, M., 245.
DEWOLFE, R. K. S., 239. FRAISSE, P., 31, 45, 56, 75, 78, 83-
DIDEROT, 218, 248. 84, 88, 93, 95-96, 97, 98, 102,
DIETZE, G., 98. 1 l17, 121, 125> 126, 130, 132, 140,
INDEX DES AUTEURS 345

142,146,148.154.155,167,184, GUNDLACH,R., 97.


214, 221, 224, 225, 226, 233, 241, j GUYAU, J. M., 7, 81, 88, 129, 166,
242, 251, 252, 253, 256, 287, 290, 168, 171, 181, 214, 231, 262,
292, 293. 266, 267.
FRAISSE, R., 95-96, 97, 98.
FRANçots, M., 35, 36, 37. HADENGUE, A., 28.
FRANKENHAEUSER,M., 152, 153, HALBERG, F., 22.
244, 249. HALBERSTADT,G., 221.
FREUD, S., 171, 201. HALBWACHS,M., 177, 178,310, 311.
FRIEDMAN, K. C., 189. HALL, G. S., 139.
FRISCH, K. von, 25. HALL, W. W., 49.
FRISCHEISEN-K HLER, 1., 123. HALLIDAY, A. M., 112.
FROBENIUS, K., 49-50. HANSEL, C. E. M., 137, 141, 144,
FR BES, J., 113. 146.
FROLOV, J. P., 41. HARIU, T., 193.
FRY, W., 63. HARTON, J. J., 226, 235, 236, 239,
FULTON, J. F., 42. 265.
HAVET, J., 5.

GAMBLE, F. W., 20. HAWICKHORST,L., 148.


GAMPER, E., 173. j HAWKES, G. R., 36, 140, 142, 148,
GARBUTT, J. T., 192. 225.
GARDNER, W. A., 264. HEAD, H., 102.
GASTAUT, H., 133. HEBB, D. 0., 100, 133.
GAVINI, H., 142. HEIDEGGER, M., 8, 166.
GEBHARD, J. W., 118. HELSON, H., 144.
GEBSATEL, 206. HÉRACLITE, 302.
GESELL, A., 30, 187, 188. HERBART, J. F., 6, 88.
GILLILAND, A. R., 36, 225, 226, HERON, W. T., 61, 67.
252, 265. HEYMANS, G., 199-200.
GLASS, R., 8, 151. HIEBEL, G., 22.
GOLDFARB, J. L., 141, 142. HILGARD, E. R., 59.
GOLDSTONE,S., 36, 126-127, 141, HIRSH, I. J., 119-120, 121, 140,
143, 251. 141.
GOODFELLOW, L. D., 147, 148-149. HISATA, 119.

GOODMAN,C. C., 154. HOAGLAND,H., 34, 35, 36.


GOTHBERG, L. C., 300. HOFFMANN, H., 30.

GRABENS BERGER,W., 23, 37. HOFFMANN, K., 25.


GREGG, L. W., 152, 153. HOLLINGWORTH,H. L., 126.
GREGOR, A., 174. HOLMKVIST,O., 152.
GRIDLEY, P. F., 149. HORANYI-HECHST, B., 221.
GRIMM, K., 139. HÔRiNG, A., 124.
GROETHUYSEN,B., 169. HORNBOS<EL, E. M., 119.
GROOS, K., 43. HORST, L. Van der, 172.
GTt??NBAum,A., 173. HUBERT, H., 176-177.
GmLFORD, J. P., 303-304. HULL, C. L., 40, 60, 61, 64, 182.
GUILLAUME, P., 57, 79. HULSER, C., 148.
GuINZBURG, R. L., 116. HUME, D., 3, 4.
GUITTON, J., 73. HUMPHREYS,D. W., 225, 226, 252,
GULLINKSEN, H., 238, 265. : 265.
346 PSYCHOLO GIE D U TEM'PS

HUNT, J. McV., 23. KLINESERG, O., 170, 223.


HUNTER, W. S., 186. KLINEBERG, S. L., 197.
HUSSERL, E., 8. KLINES, K., 42.
Trr F.
F L.,
ï 187 188.
1M KLOOS, G., 206, 230.
ILG, 187, KNAPP, R. H., 192.
IRwIN, F. W., 184. KOC]IIGINA, A., 26, 40, 56, 65.
ISRAELI, N., 138, 139, 192, 194. K., 90, 91, 100, § à_
JACOBSEN, C. F., 68, 179, 180. 145.
JAENSCH, E. R., 52, 250. KOHLMANN,T., 226.
JAHODA, M., 234. KoHT, A. G., 234, 235.
JAKUBOWICZ,C., 132. KOLLERT, J., 8, 125.
JAMES, W., 44, 91, 92, 94, 112, KORNGOLD, S., 226.
142, 231, 262. KORTF, 118.
JAMPOLSKY, M., 31. KOTAKE, Y., 64.
JAMPOLSKY, P., 252, 253. KouPALOV, P. S., 39, 41, 66.
JANET, Paul, 263. KRAEPELIN, 196.
JANET, Pierre, 9-10, 87, 90, 102, KRAMER, G., 25.
201,203,212,214,215,220,239, KRETz, A., 250.
312. KRISTOFFERSON,A. B., 113.
JASPER, H., 58. KURODA, R., 137.
JASPERS, K., 172.
JASTROW, J., 139. LADEFOGED, P., 116.
JENSEN, E. M., 131. LA GARZA, C. O. de, 221.
JOHNSON, D. M., 197. LAMARTINE, 216.
JOHNSON, E. E., 189. LAMOREAUX,R. R., 56.
JOHNSON, O., 160. LANGER, J., 233.
JoNES, R. E., 202. LANGEVIN, P., 306.
JoY, R. J. L, 36. LAVELLE, L., 181, 182, 211, 215,
218, 305.
KAFKA, J. S., 192, 226. LE BEAU, J., 180.
KAGAN, J., 244. LEBEDINSKAIA, S. 1., 42.
KAMIN, L. J., 56. LECOMTEDu Nouy, 263-264.
KANT, E., 3, 4-6, 80. LE GRAND, A., 245.
KASTENBAUM,R., 190, 193, 194. LEMMON, V. W., 130.
KATCHMAR,L., 152. LE NY, J. F., 66.
KATZ, D., 123, 215, 232. LERIDON, S., 66.
KAYSER, Ch., 22, 23, 29, 35, 42. LE SENNE, R., 199.
KEEBLE, F., 20. LESHAN, L. L., 183, 193, 205.
KELLEHER, R. T., 63. LEVINE, M., 189, 197.
KELLER, F. S., 63. LEWIN, K., 182, 186.
KELLOGG, W. N., 55. LEWIS, M. M., 187.
KEW, J. K., 224. LHAMON, W. T., 36, 127.
KIESOW, F., 150. LICHTENSTEIN, M., 108, 109, 116.
KIMBLE, G. A., 55. LICKLIDER, J. C. R., 108.
KING, S. M., 144. LINDAUER, M., 25.
KLEBER, R. J., 36. LINNÉ, 21.
KLEIST, K., 14, 42, 102, 168. LIpps, Th., 80.
KLEITMAN, N., 28, 29, 30. LLEWELYN-THOMAS.E., 253.
KLEMM, O., 112, 119. 1 LOCKE, J., 4.
INDEX DES AUTEURS 347

LOEHLIN, J. C., 238. MIRSKY, A. F., 180.


LooMIs, E. A. Jr., 246. MISCHEL, W., 189, 197.
LORANZ, M., 49. MONTAIGNE, 203.
LORENTZ, 305. MONTMOLLIN,G. de, 242.
LOSSAGK, H., 220. MOREAU DE TOURS, J., 243.
LOTZE, H., 80. MORGAN, C. T., 160.
LYSGAARD, S., 184. MORI, T., 61.
MopRjs, J. R., 224.
MAACK, A., 150. MOWBRAY,G. H., 118.
MACH, E., 8, 83, 86-87, 147. MOWRER, O. H., 56, 179.
MAEDA, F., 140. MUNSTERBERG,J., 8, 86, 139.
MALMO, R. B., 179, 180. MUSATTI, C. L., 242.
MALRIEU, Ph., 161, 162, 163, 187, MYERS, G. C., 226, 242, 243.
188, 191.
MAREY, 35. NEULAT, G., 28, 44.
MARQUIS, D. G., 30, 31. NEWTON, 305.
MARQUIS, D. P., 59. NICHOLS, H., 6, 86, 149, 151.
MARROU, H. 1., 313. NOGUÉ, J., 300.
MARTIN, L., 20.
MARX, Ch., 35. OAKDEN, E. C., 188.
MAURY, A., 245. ODIER, Ch., 51.
MAUss, M., 176, 177. OLÉRON, G., 130, 141, 146.
McALLISTER, W. R., 55. OMBREDANE,A., 102.
McDoucALr., R., 265. OMWAKE, K. T., 49.
McGEOCH, J. A., 242, 265. ORME, J.-E., 266.
MCGILL, T. E., 46, 237. ORSINI, F., 184, 214, 233, 244, 252,
McLEOD, R. B., 45-47. 253.
MEADE, R. D., 235. OSBORNE, A., 28.
MEALS, D. W., 232. OsGooD, C. E., 193.
MEDIONI, J., 24.
MEERLOO, A. M., 311. PAILLARD, J., 115.
MEESTERS, A., 133. PASCAL, B., 300.
MEHNER, M., 8, 125, 151. PAULHAN, F., 200.
MERLEAU-PONTY,M., 8, 166, 181, PAVLOV, I. P., 14, 25-26, 37, 38,
303, 313. 39, 41, 42, 54, 55, 56, 57, 63,
MESZAROS,A., 42. 64-65, 66, 67, 68, 102.
METZNER, R., 189. PEITZ, 22.
MEUMANN, E., 8, 136, 142, 143. PÉRÈS, J., 236.
MEYLAN-BACKS,M., 294. PETERS, R. H., 180.
MICHAUD, E., 297-299. PETRIE, A., 180, 202.
MICHELSON, 307. PFEFFER, 21.
MICHON, J. A., 149. PHILIP, B. R., 127.
MICaoTTE, A., 74, 115, 146. PIAGET, J., Il 3, 114, 140, 143, 146,
MILLER, G. A., 108, 117, 126. 155,161,162,163,164,165,167,
MILLER, N. E., 66, 182. 169, 179, 247, 254-256, 259, 260,
MILLS, J. N., 47. 268-270, 271, 272-280, 281-286,
MINGAY, R., 112. 288-297, 300, 305.
MINKOWSKI,E., 14, 173, 195, 196, PICHON, E., 203-204.
205, 206, 207-209, 221. PICK, A., 243.
348 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

PT£RON, H., 9, 14, 20, 21, 23, 27-23, 1 ROUSSEAU, J. J., 198.
35, 43, 44, 51, 85, 91, 92, 94, RUBIN, E., 113.
99, 100, 101, 106, 107, 109, 111- RucH, F. L., 61, 62, 68.
l12, l16, l17, l18, l19, 120, 133,
143, 150. SAMS, C. F., 59, 61.
' SAUTER, U., 97.
PINTNER, R., 96.
POINCARÉ, H., 110. SCHAEFER, V. G., 36.
Popov, N. A., 26, 41, 67. SCHLOSBERG,H., 23, 55.
POROT, M., 202. SCHMIDT, M. W., 113.
/
POSTMAN, L., 126. SCHNEEVOIGT,W., 250.
POULET, G., 191, 195, 198, 199. I SCHNEIDER, L., 184.
200, 203, 205, 206, 218, 248. SCHULTZE,F. E. O., 123.
PRICE, J. B., 121. / SCHUMANN,F., 8, 86, 138.
PROUST, M., 180, 206. ! SEASHORE, C. E., 149.
PROVINS, K. A., 36. SHAGASS,C., 58.
PUCELLE, J., 219. SHERRICK, C. E. Jr., 120.
PUMPIAN-MINDLIN, E., 225, 262. SHERRINGTON,C. S., 33.
SIDMAN, M., 63.
QUASEBARTH,K., 148, 155. SIFFRE, M., 36, 47, 236.
SIVADDIAN, J., 3, 5, 34, 35, 88.
RABIN, A. 1., 164, 214. SKALET, M., 186.
RACINE, 204-205. SKINNER, B. F., 40, 62.
RANSCHBURG,P., 172, 173-174. SMALL, A. M. Jr., 148.
REESE, E. P. et T. W., 131. SMITH, P. C., 220.
j'
REGELSBERGER, H., 28. SMYTHE, E. J., 251.
RÉGIS, E., 172. SPENCER, H., 6.
REGNAUD, P., 1. SPENCER, L. T., 242.
REICHLE, F., 23. I
I SPIEGEL, E. A., 174.
REMLER, O., 30. SPIVACK, G., 197.
RENNER, M., 24. SPOONER, A., 55.
RENSHAW, S., 148. SPRAGUE, R. O., 121.
REVAULTD'ALLONNES, G., 174. I STEIN, H., 24, 35.
REZENDE, N. M. de, 226. STEIN, W., 108.
RIBOT, Th., 80, 169. STEINBERG, H., 244.
RICHELLE, M., 62-63. I STELLAR, E., 160.
RICHET, Ch., 107, 108. STERN, CI., 187.
RIGBY, W. K., 66. STERN, L. W., 91, 187.
ROBERTS, W. H., 179. STERN, W., 188.
ROCHLIN, G. N., 172, 174. STERZINGER,O., 37, 244.
RODNICK, E. H., 56, 57, 64, 66. STEVENS, S. S., 151, 152, 153.
ROELOFS, O., 141. I STOETZEL, J., 309. ,
ROFF, M. R., 45-47. STONE, S. A., 113.
RoHErm, G., 165, 201. , STOTT, L. H., 125, 148.
ROSENBAUM,G., 40. STRAUS, E., 14, 205, 206, 230.
ROSENTHAL, J. S., 42. STROUD, J. M., 108.
/
ROSENZWEIG,S., 184, 234, 235. , STURT, M., 188, 245, 246.
Ross, S., 131, 152. SuDo, Y., 144.
RosvoLD, H. E., 180. SuTO, Y., 144.
ROTHSCHILD,D. A., 97. ! SWEET, A. 1.., 113, 119.
INDEX DES AUTEURS 349

SWIFT, E.
,J., 242, 265. WAALS, H. G. Van der, 141.
SWITZER, St. C. A., 57, 64, 65. WAHL, O., 23, 35, 43.
SYLVESTER, J. D.. 137. 141. 144, WALKER, A. M., 192.
146. WALLACE, M., 164, 193, 209, 214.
SZELISKI, 131. WALLON, H., 10, 270, 271, 302.
SZYMANSKI, J. S., 47. WAPNER, S., 140, 233.
WARM, J. 140, 148, 224, 225.
S.,
TAGWA, K., 64. M.
WARRICK, J., 121.
TAYLOR, W. G., 117. C. O., 146.
WEBER,
TEAMAN, J. E., 183, 192.
I WEBER, E. H.," 8,' 60, ' 149-151,' '
TERMAN, 98. 225.
153
TEUBER, H. L., 103. i
/ WECHSLER, D., 172.
'l'HOR, D. H., 29, 46, 266. A.
) WELFORD, T., 129.
?1'HUMA, B.
D., 102, 119. 233.
WERNER, H., 102, 119,
THURY, M., 219. I WERTHEIMER, 118,
M., 90, 98, 119,
TINKER, M. A., 120. ! 190.
TITCHENER, E. B., 112. C.
WHITE, T., 55, 108.
TITELBAUM, S., 30. I
WIELAND, B. A., 119.
TOBOLOWSKA, A., 245.
WIERSMA, E., 199-200.
TOLMAN, E. C., 59, 61. ) M.
WILSON, P., 63.
TOULOUSE, E., 27, 28. WIRTH, W., 139.
TREISMAN, M., 150. 102.
WOERKOM, von,
TRIPLETT, D., 137, 141, 142. H. 129.
WoLFLE, M., 55,
'I
109. WOODROW, H., 59,
127, 138, 125,
I 147-148,150, 151, 155, 225.
URBAN. F.' F. ' M.,"
URBAN, 242, ' 265. '
WOODWORTH, 150,R. S.,
S'55
55, 130,1'30
131. 13' 1
I
VAN T'HOFF, 34. WORCHEL, P., 221.
VASCHIDE, N., 49, 50, 51. I WUNDT, W., 7, 86, 87, 91, 92, 94,
VAUTREY, P., 75,146, 256, 287, 290. 95, 112, 115, 125, 128-129, 130,
VERNON, J. A., 46, 237. 131, 132, 134, 139, 215.
i
VIERORDT, K., 8, 123, 124.
VIGNY, A. de, 200, 203. YAGI, B., 61, 232.
VINCHON, J., 175, 207, 221. YERKES, R. M., 242, 265.
VISHER, A. L., 190. YOUNG, P. T., 97.
VITELES, M. S., 220, 222. ,
VOLMAT, R., 202. ZELENNJI, 26.
i
VURPILLOT, E., 155. ZUILI, N., 256, 292, 294.
INDEX ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Abeille, 23-25, 26, 35, 36, 37, 43. ) Attention, 86-87, 90, 94, 99, 102,
Abstraction, 305. 112-113, 115, 116, 121, 127,
Accélération, 263. 133, 143, 155-156, 215, 216-217,
Actinies, 43. j
218, 229, 232-234, 239, 247, 255.
Activité, 247, 254, 273, 289, 290, Attitude, 127, 136, 138, 143, 153-
307. 156,194,195,229-230, 232-237,
Acuité temporelle, 117, 119. 247, 313.
Adaptations périodiques, 21-42. Audition, 87, 88, 89, 106, 107,
Adolescence, 285, 300. 108, l ll , l13, l 17, l 19, 120, 124,
Age : 132, 133, 136, 137-138, 140, 141,
- (influence de l'), 186-190, 142, 143, 146, 147-148, 149, 301.
196, 209, 249-264, 297-300 ; Autisme, 207, 221.
- (détermination de l'), 275- Avance (de l'heure), 297-299.
278, 283. Avenir, 13, 73, 159, 160, 162, 163,
Agnosie, 103. 178-185, 186-190, 191, 194, 195,
Agressivité, 311. 196, 197, 198-199, 201-204, 205-
Ajustement (méthode d'), 153. 207, 312, 313, 314.
Alpha (voir Rythme). (Voir aussi Futur.)
Ambivalence, 313. Aveugle-né, 30, 89, 135.
Amnésie de fixation, 172.
Analogie, 237, 238, 265. Barrage (épreuve de), 238, 240,
Ancrage, 126-127, 134, 152. 261, 265.
Angoisse, 197, 202, 206. Basket-ball, 242.
Anticipation, 20, 159, 160, 162, But (voir Gradient de).
178-179, 180, 185, 187, 196, 203,
214, 252, 301, 312. Cadence, 34, 35, 36.
Anxiété, 69, 181, 311. Calcul mental, 261.
Aperception, 86, 91, 92, 128, 130. Calendrier, 168, 170, 172, 173, 175,
Aphasie, 102, 116. 177, 182, 183, 188.
Appréhension (voir Capacité d'). Canari, 47.
Arrhénius (voir Loi d'). Capacité d'appréhension, 93-94,
Arthropode, 24. 96-99.
Assimilation, 83, 126, 127, 136, Capacité du canal de transmission,
284. 142.
Asthénique, 220. Causalité, 169, 270, 271, 280.
Attente, 10, 65, 86, 138, 181, 182, - (perception de la), 74.
184, 211, 214.217, 228, 232, 236, Centration, 143, 155, 156.
241, 250, 254. Cercle, 304.
352 YSY'CEIOLOG1E DU 'J'EMPS

Cerveau (voir Cortex). Courant, 303, 313.


Changements, 143-146, 171, 211- j Crépitement, 77, 117.
213, 218, 229-230, 231-231., 237- Crustacé, 24, 36.
249, 254, 258, 259, 262, 263, j Culpabilité, 202.
265, 267, 268, 272, 273, 274, 281, ' Cultivateurs (voir Ruraux).
283-284, 286, 288, 292 ; Cyclochronie. 41, 42, 67.
- continus, 1, 11, 75-76, 77, 88, 1
105 ; Danger, 233.
- discontinus, 1, 11, 75-76, 77, Date, 281, 300, 305.
290, 291. ) Débile mental, 170, 189, 195, 196,
Chien, 26, 33, 38-40, 42, 56, 64, 201, 300.
65, 67, 68, 211. Défense (mécanisme de), 184, 196.
Choix multiples (appareil à), 186. 198.
Chron, 152. Délinquant (enfant), 197.
chronognosie, 173. j Délire, 171.
Chronologie, 169, 170, 173, 177, Demain, 187, 188.
188, 270. Démence sénile, 226.
Cinéma, 75, 88, 118, 170, 190, Dément, 220.
242-243. Dénombrement (durée du), 113.
Circadien (rythme), 22, 33, 35, 47. Densité des changements, 241-242,
Cœur (voir Rythme du). 247, 292-293, 296.
Collection, 123, 134. Déporté, 197-198.
Comparaison (méthode de), 147, Dépressif, 205.
223. Désintégré, 52, 250.
Complication (voir Expérience de). Désorientation temporelle, 42, 44,
Comptage (épreuve de), 35, 36. 102, 168, 172-173, 174-175.
Concept de temps (voir Idée, No- Dictée, 238-239, 242, 265.
tion de temps). Diencéphale, 168.
Conditionnement, 9, 11-12, 17-60, Différenciateur sémantique, 193.
129,148,161.162,163,164, 267 ; Division, 238, 265.
- différé, 56-57, 64 ; Discrimination temporelle, 59-63,
- instrumental, 12, 17, 56, 68-69, 111-112.
59-64, 67, 68, 162-163, 164, Distance, 143-144.
179 ; Durée de l'excitation, 106-108.
- retardé, 12, 17, 54-59, 64, Durée du processus perceptif, 128-
65, 66, 67, 68, 69 ; 134.
- rétrograde, 54-55 ; Effet (voir loi de l').
- trace de, 56-57, 64. Effort, 10, 202, 233, 240, 250, 254,
Confinement (animal), 59-61, 66, 257, 259, 272.
67-68, 232. Effort de continuité, 214-217.
Consigne (effet de la), 113, 127, Employé, 310.
131, 154-155, 232, 234-235. Émotion, 165.
Consonance, 137. Endormissement, 219, 220.
Contraste, 88, 126, 127, 136, 217, Enfant, 30, 31, 33-34, 55, 56, 75,
249, 259, 263, 264, 274, 284. 78,95,97,98,114,119,140,142,
Convoluta, 20, 43. 146, 154, 161-165, 166-167, 170,
Cortex, 14, 31, 38, 39, 42, 67, 100- 178, 180, 183, 186-189, 195, 201,
101, 102-103, 107, 108, 111, 112, 214, 218, 226, 232, 251-261, 263,
l17, l19, 1??, 173-175, 179-180. 267, 268-300, 304, 309.
INDEX ANALYTIQUE DES MATIÈRES 3533

Ennui, 215, 219, 220, 238. Gradient :


Équation personnelle, 115. - d'approche, 66, 182 ;
Erreur de position temporelle, 152, - de but, 182 ;
153, 155, 223. - d'évitement, 66, 182 ;
Espace, 80, 90, 91, 97, 98,103, 145- - de renforcement, 40.
146, 169, 185, 269-270, 288-289, Gravitation, 306.
293, 295-297, 301-305 ; Groupe social, 177-178, 183, 184,
- tactile, 144 ; 205, 310, 311.
- visuel, 144.
Haricot, 21, 35.
la du-
gaschish, 243-244.
Estimation (méthode
rée), 223-224, 225, d'226.
de
Hauteur des sons, 120, 137, 141,
Estimation (méthode d' de Gold- 146.
stone), 36, 141, 143. Hier, 188.
§ÎΧ§§JP§ijl'/'l§' Horizon temporel, 13, 157-210,
267, 302,
57, 59, 69, 174,
272-278, 291, 292, 294-297. ' 301, 313. ,,
Horloge physiologique, 12, 17, 24-
Étourneau, 24.
110, 221, 246.
Excitations auditives - excitations
Hyperthyroïdien, 264. '
visuelles (suite d'), 79-80, 82,
Hypnose, 246.
89, 102, 113, 116, 117, 120, 121.
H§)othaÙamus, 14, 42, 173.
Hypothalamus,
Excitations auditives - excitations
tactiles (suite d'), 113, 120. Idée de temps, 1, 2-8.
Expérience de complication, 115. (Voir aussi Notion de temps).
Idiot, 220.
Fatigue, 257. Illusion temporelle, 83, 272, 273,
Fechner (voir loi de). 274 ;
Femme, 265-266. - de Muller-Lyer, 138, 144,
Fond, 83, 90, 135, 142. 145 ;
244. - d'Oppel, 83, 139, 140, 293.
Force-centrifuge,
Forme temporelle, 102-103. Imparfait, 187.
Fourmi, 23. Inconscient, 171, 198, 201, 208.
Fovea, 113, 119. Indifférence (voir Intervalle d').
Fréquence, 77, 108, 149, 247, 291, Information transmise, 142.
292, 293, 294. Inhibition, 37-41, 64-69, 165, 179 ;
- rétroactive, 179.
Frigidité, 204.
Frontales (aires), 68, 175, 179-180. Instantanéité, 12, 71, 105-110.
Frustration, 160j 164j 183-184 , 189, Intégré :
192, 202, 214, 215, 219, 220, 221, - vers l'extérieur, 250 ;
232, 250. - vers l'intérieur, 250.
Fusion, 109, 114, 117. Intemporalité (de l'inconscient),
Futur, 92, 159, 162, 166, 170, 181, 171, 201, 208.
182, 187, 188, 190, 192, 193, 194, Intemporel, 207-209, 221.
197, 198, 202, 203, 206, 212, 215, Intensité des stimulations, 106,
303. 111, 119, 136-137, 141, 145, 150,
(Voir aussi Avenir). 229-230.
Géométrisme, 208. Intensité subjective (échelle d'),
Goût, 88. 152.
Gradations moyennes (méthode Intervalle d'indifférence, 55, 122-
des), 151. 134, 150.
P. FHAISSE 23
354 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

Intervalle divisé, 139-140. Mécanisme de défense (voir Dé-


Intraverti, 250. fense).
Intuition articulée, 259, 289, 290. Mélancolie, 205, 206, 230.
Intuition perceptive, 267, 270, 271, Mémoire, 80, 81, 82, 92-93, 94,
273, 275-278, 279, 280, 282, 286, 163, 167-168, 170, 176, 177, 185.
287, 295. Mémoire immédiate, 79, 93, 95-99,
lodothyréoglobuline, 37. 179.
Irréversibilité du temps, 13, 157, - du temps, 163, 170, 171-
270, 301. 175, 248-249.
Isochronisme, 284-285, 286, 288, Mescaline, 243-244.
296, 300. Mesure (musique), 78, 99.
Isolation, 36, 46-47, 236-237. Mesure du temps, 89, 212-213, 227-
Ivresse, 243, 310. 228, 246, 257, 261, 263, 273. 274,
306.
286-288, 300, 306.
Jugement absolu, 222-223.' !l Métronome, 65, 77, 123, 238, 247,
Kappa (effet), 144-146, 296. 292, 293.
/ Métabolisme (conditionnement des
Kinésimètre, 146.
Korsakov (voir Syndrome de). changements du), 26.
Milieu social (voir Groupe social).
Labyrinthe, 59, 61, 232 ; Mineur, 236.
- mental, 235, 239. Moment (voir Unité de temps).
j'
Langage, 78, 84, 89, 92-93, 96, 97, Monotonie, 212, 219-220, 232, 249.
107, 164-165, 166-167, 187. 262.
Lapin, 41. Montre, 228, 284, 310.
Latence sensorielle, 111, 132. Morse, 97.
Latéralisation du son, 119. /' Mort, 181, 303, 309.
Lecture, 108, 131, 132. Motivation, 164, 218-22U, 232-236,
Leucotomie, 180, 202. 238, 243, 247, 250.
Ligne droite, 304. ! Mouvement, 75, 96, 106, 114, 115,
Lobes frontaux (voir Frontales, I, 143-145, 231, 293.
aires). Î - apparent, 102, 103, 112,
Localisation temporelle, 160, 163, 118-120.
167, 168, 172, 187, 188, 189. i
Loi d'Arrhénius, 34-36. Névrose, 28, 103, 175, 198, 203-
Loi de bonne continuité, 90. 204, 264.
Loi de l'effet, 179. Niveau mental, 209, 300.
Loi de Fechner, 149-153. ' Note (de musique), 95.
Loi de Katz, 216, 232. Notion de temps, 5, 10, 13, 157,
'
Loi de Korte, 118. 159, 160-161, 221, 254, 260, 267-
Loi de proximité, 98. 307, 312.
Loi de puissance, 151-153. Nouveau-né. 29-31.
Loi de Weber, 8, 60, 149-153, 225, Noyau caudé, 180.
263. i Noyé, 245.
Lunaison, 19. ) Nycthéméral (rythme), 12, 20, 21-
31, 34-35, 36, 42, 43-44.
Mamillaires (corps), 173-174.
Maniaque, 195-196, 201, 266. Obsédé, 198, 201.
Marée, 19, 20. Odorat, 88, 184.
Maturation, 184. Oiseaux, 24, 97.
INDEX ANALYTIQUE DES MATIÈRES 355

Oligophrène, 29, 44. Phénoménologie du temps, 8, 19,


Opération formelle, 300. 191.
Opératoire (stade), 259, 286, 289, Pigeon, 23, 26, 35, 41, 42, 97.
297. Plaie, 263.
Orang-outang, 43. Plaisir (principe du), 165, 171.
Ordre, 78-82, 110-111, 117-121, Point :
- de temps, 106, 107.
167, 171, 268-278, 278-281, 288,
- d'indifférence (voir Inter-
297, 302.
Orientation : valle d').
- astronomique, 24-25 ; Poisson, 23, 24, 32.
- temporelle, 12, 14, 17, 43- Ponctualité, 198, 311.
53, 69, 188, 189, 300. Position temporelle (voir Erreur
Oscillations de l'attention, 99-100. de).
Ouïe (voir Audition). Potentiels évoqués (méthode des),
Ouvrier, 44, 177, 178, 183, 185, 112, 133.
220, 234, 310. Poulet, 22.
Oxygène, 244. Précipitation, 233.
Pré-opératoire (stade), 272, 290.
Palpébral, 55, 66. Présent, 8, 73, 90-91, 92, 94, 159,
Papillotement, 77, 88, 109, 117. 160, 163, 165, 166, 170j 180, 182,
Paralysie générale, 173. 190, 191, 192, 193, 194, 195-201,
Participe passé, 187. j
202, 204, 211, 254, 301, 303;
Passé, 13, 93, 159, 160, 162, 163, - actuel, 91 ;
;
165, 166-171, 175, 176, 178, 180, - mentai, 91 ;
181, 182, 183, 185-190, 190-194, - psychique, 91 ;
194-201, 201-207, 209, 210, 301, - psychoiogique ou perçu, 12,
303, 312, 313. 73-104, 211 ;
Pathologie, 101-103, 171-175, 180, - sensible, 91 ;
190, 195, 196-198, 202, 203, 205- – spécieux. 91.
209, 216-127, 220-221, 230, 266. Présentisme, 200.
Perception : Pression temporelle, 248, 309, 310,
- de la durée, 82-90 ; 311.
- nature de la, 73-74, 105, Primarité, 199-200, 201.
159 ; Privation sensorielle, 46, 237.
- du temps, 7, 8, 12-13, 71- Processus nerveux centraux (voir
156, 174. Cortex).
Période réfractaire, 35, 37, 107, Production (méthode de), 36, 224,
129. 225, 226, 241, 252, 266.
Persistance rythmique, 20, 21. Programme de renforcement à in-
(Voir aussi Nycthéméral, Ryth- tervalle fixe, 64-65 ;
mes induits). - D.R.L., 65.
Personnalité (influence de la), 165, Projet, 160.
185, 190-210, 249-250, 310-311. Psychanalyse, 51, 164, 165, 201,
Perspective temporelle (voir Ho- 214, 311.
rizon temporel). Psychasténie, 201.
Perspective temporelle (méthodes Psycho-galvanique, 31, 55, 56, 57,
d'étude), 183, 191-194. 65, 66, 69, 148.
Pharmacodynamie, 36, 37, 40, 65, Purdue pegboard, 241.
244, 245. Puzzle, 234.
356 PSYG'HOLOGIE DU TEMPS

Quinine, 37. - auditif, 86, 88 ;


- du cœur, 19, 32, 35, 36, 66,
Rat, 23, 40, 56, 59-63, 66, 160, 179, 134, 264 ;
211, 232. - induit, 20, 21-30, 32, 43 ;
Réaction : " - du
- circulaire, 178 ; mouvement, 35, 36 ;
- des nerfs, 33, 35, 37 ;
- différée (voir Réponse dif- - nycthéméral (voir Nycthé-
férée). méral) ;
Réalité (principe de), 165, 171. - du pas, 86, 128, 129, 134 ;
Récit, 160, 169, 270. - de la respiration, 19, 32, 35,
Reconnaissance (durée de la), 131. 36, 65, 68, 264 ;
Réflexe, 161, 165 ; - subjectif, 8_79 "]
- conditionné
(voir Condition- - visuel " 88.'
nement) ;
- défensif moteur, 26 ; Sablier, 273, 274, 284, 285.
- grattage
(voir Scratch re- Satisfaction différée, 184, 189, 191-
flex); 192, 197, 254.
- palpébral (voir ce
mot) ; Schizophrène, 175, 207, 208, 209,
- psycho-galvanique
(voir ce 220,226,230.
mot). Schizothyme, 207.
Réfractaire (voir Période). Scratch reflex, 33.
Réification, 208. Secondarité, 199, 205.
Relativité, 111, 305-307. Sécurité, 209, 310.
Renforcement, 26, 38, 39, 59, 62- Sens du temps, 14, 52, 86-87, 89,
63, 183. 171.
Réponse différée, 68, 163, 179-180, Sentiment du temps, 10, 13, 87,
186, 214, 215. 157, 212, 213-222, 223, 228-229,
Représentation, 77, 79, 80, 81, 89, 247, 248, 254, 272, 292.
129, 157, 160-161, 162, 163, 180, Sériation, 162, 271, 279, 280, 285,
181, 185, 212, 267, 278-285, 295 ; 286, 297, 306.
- du temps, 13, 160, 273, 274, Série :
296-297, 300-307, 313. - objective, 163 ;
Reproduction (méthode de), 96, - subjective, 163, 288.
/
147, 224, 225, 226. j Seuil :
Respiration (voir Rythme de la). - absolu de durée, 106-121 ;
Retard, 200, 311. - de la succession, 117-121 ;
Rêve, 51, 170-171, 185, 201, 243, - différentiel de durée, 109,
244-246. 147-149 ;
Réveil, 27, 46-52, 219, 246. - de perpection de l'ordre tem-
Rêverie, 190, 201, 203, 219, 310. porel, 120-121.
Réversibilité, 268, 270, 285, 295. Sexe (influence du), 265-266.
Ruraux, 177-178, 183, 185, 310. Signe local, 80.
Rythme, 12, 78, 79, 82-84, 85-86, Signe temporel, 80, 86, 168-169,
92, 94, 95, 103, 104, 108, 110, 174, 182.
129,140,150,168,175,177,230, Simultanéité, 12, 71, 76, 79, 91,
284, 293, 310 ; 105, 108, 109, 110-117, 269-270,
- de l'activité électrique du 273, 282, 286, 287, 306, 307.
cerveau, 19, 32, 41. Singe, 59, 68, 179.
- alpha, 33, 35, 58, 69, 133 ; Social (voir Groupe).
INDEX ANALYTIQUE DES MATIÈRES 357

Somesthésie, 174. - biologique, 14, 263, 264 ;


)
Sommeil, 27, 30, 42, 43, 47, 50-51, - écoiogique, 177-178 ;
310. Ij - historique, 177 ;
Sous-estimation du temps, 124- . - local, 288, 305 ;
126, 134, 136-141, 142-143, 226, - physique, 14, 255, 296 ;
- plein, 56, 84, 89, 135, 139-
249, 251.
j 142, 142-143, 148, 150, 152,
Stabilité émotive, 165, 184, 185, ;
214, 250, 254. 251 ;
- propre, 306, 307 ;
Succession, 5, 6, 7, 12, 13, 54-55,
- psychologique, 14, 108, 186,
71, 73, 75-78, 79-82, 83, 91, 93-
94, 96, 98, 102-103, 105, 109, 264, 296 ;
l16, l17, l18-121, 122, 134, 157, - de réaction, 65, 129, 130,
160, 161, 163, 172, 179, 230, 131 ;
- social, 14, 310 ;
231, 261, 268, 270, 278, 280,
- vide, 56, 84, 89, 135-138,
287, 301, 303, 304.
Succession (seuil de la) (voir j 142-143, 147-148, 150, 152,
Seuil). 225, 238, 240, 251, 261, 265.
) Tendance centrale, 126, 128, 134,
Surestimation du temps, 124-126,
226.
134, 136-141, 142-143, 155, 156,
1) Tension psychologique, 102.
215, 224, 226, 232, 233, 244,
! Thalamotomie, 174.
251-252, 261, 265.
Sur-moi, 205.
, Thyroxine, 37, 244.
Travailleur de nuit, 27, 28.
Symbolisme, 302,
aymbousme, 302 303. )
e 0 ! Tumeur cérébrale, 226.
Synchronisation, 78, 87, 213, 267,
286. Typologie (de Pavlov), 65.65.
Synchronisation des rythmes ner- j Unité de signification, .
veux, 33-34. Unité de temps, 107-109, 188,
Synchroniseur, 22. 22.
223, 226, 251, 260, 263,' 286,'
Syncrétisme, 270, 278. 306.'
Syndrome de Korsakov, 42, 171- tj
174. Végétaux, 21-22.
i/ Ver, 20.
Tachistoscope, 130, 132. Ver luisant, 20.
Tact, 80, 88, 107, 113, 117, 118, ' Vers (poésie), 78, 99, 102.
119, 120, 124, 132, 136, 144, Vibration tactile, 77, 88, 107, 117,
148-149. /
118.
Tapping, 238, 240, 265. j Vieillesse, 190, 196, 201, 205, 261-
Tâtonnement, 163, 279. 264.
Tau (effet), 144, 145, 296. j Vision, 80, 87-89, 106, 107, 108,
Télétacteur, 88. lll, l13, l16, l17, l18, l19, 129,
j
Témoignage, 169. 132, 133, 136, 140, 141, 143, 144,
Temp, 152. 148-149.
Tempérament, 185, 191, 205, 313. Vitesse, 75, 77, 114, 123, 140, 145-
'
Température, 23, 26, 27-30, 34-37, 146, 228, 231, 246, 247, 249, 252,
38, 44, 264. 256-258, 260, 269-270, 272, 276,
Tempo, 33, 34, 36, 37, 123. ! 284, 287, 288-290, 291-297, 300,
Temps : 306.
- absolu, 305, 307 ; Weber (voir Loi de).
)
TABLE DES MATIÈRES

PAGES

INTRODUCTION ............................................... 1

PREMIÈRE PARTIE

LE CONDITIONNEMENT AU TEMPS

CHAPITRE PREMIER. - L'adaptation aux changements périodiques. 19


I. - La variété des adaptations périodiques .............. 21
II. - Les lois des adaptations périodiques ................ 32
III. - L'orientation temporelle ............................ 43

CHAPITRE II. - Le conditionnement à la durée ................ 54


1. - Le conditionnement retardé......................... 54
II. - L'évaluation de la durée dans le conditionnement ins-
trumental ........................................ 59
III. - Les interprétations psychophysiologiques ............. 64

DEUXIÈME PARTIE

LA PERCEPTION DU TEMPS

CHAPITRE III. - Le présent psychologique..................... 73


1. - La perception de l'ordre ........................... 78
II. - La perception de la durée ......................... 82
III. - Le présent perçu .................................. 90
IV. - Conclusion ........................................ 103

CHAPITRE IV. - Le seuil du temps ........................... 105


1. - De l'instantané au durable ......................... 106
II. - De la simultanéité au successif ..................... 110

CHAPITRE V. - La durée perçue ............................. 122


1. - La qualité des durées et l'intervalle d'indifférence .... 122
II. - Durées perçues et changements physiques ........... 134
360 PSYCHOLOGIE DU TEMPS

TROISIÈME PARTIE

LA MAITRISE DU TEMPS
PAGES

CHAPITRE VI. - L'horizon temporel...................... , .... 159


1. - La nature de l'horizon temporel .................... 161
II. - La diversité des horizons temporels ................. 185

CHAPITRE VII. - L'estimation du temps ...................... 211


1. - Les sentiments de temps ........................... 213
II. - L'appréciation de la durée.......................... 222
III. - L'estimation du temps en fonction de l'âge et du sexe.. 249

CHAPITRE VIII. - La notion de temps ........................ 267


1. - Les déficits des conduites temporelles au stade pré-
notionnel ......................................... 268
II. - Le développement de la notion de temps ........... 278
III. - Représentation et notion de temps ................. 300

CONCLUSION.- La valeur du temps .......................... 309

BIBLIOGRAPHIE............................................... 315

INDEX DES AUTEURS ........................................, 343

INDEX ANALYTIQUEDES MATIÈRES ............................ 351

- _..__.._-. -----. __
1967. - des Presses Universitaires de France. - Vendôme
Imprimerie (France)
ÉDIT. ? 29 094 IMPRIMIÏ EN FRANCK IMII. ? 19 95

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