Vous êtes sur la page 1sur 4

I- Tout passe : le temps destructeur

A- Le temps, cet « obscur ennemi »

Le temps, c'est d'abord le temps de notre existence, le "temps qui passe ».


On le conçoit selon une tripartition : passé, présent, futur
Face au passé qui n'est plus, on éprouve de la nostalgie, perte et deuil ; face au futur qui n'est
pas encore : désir et crainte.
Le passé : hors d'atteinte, nous ne pouvons le modifier. Jamais plus. Ce qui est fait est fait
Le futur n'est pas maîtrisable non plus: prédire et d'arranger le futur selon nos désirs
impossible= incertitude et aux limites de notre raison.
Le présent, insaisissable et fuyant, jamais pleinement vécu. Limite insaisissable entre passé et
futur

la vanité des biens terrestres, le caractère fugitif de l’existence.

La fuite du temps apparaît comme destructrice. Tout est vain, rien ne perdure : absurdité de
notre existence Ainsi l'on peut se demander "à quoi bon» vivre

« Vanité des vanités, tout est vanité », Ecclésiaste, Bible hébraïque


Vanité, tableau de Philippe de Champaigne

B- Lutter contre l’ennui et la mélancolie

La condition humaine = conscience que chacun possède de sa finitude. Savoir que nous
sommes mortels.
Conscience : expérience de l'ennui ouvre la porte à la mélancolie illustrée par Albrecht Durer
dans sa célèbre gravure Mélencolia I.

Def : Notre conception moderne du temps est "linéaire", temps irréversible, temps du "jamais
plus". Nous représentons le temps comme une flèche, et l'histoire comme une succession
d'événements sans retour.

Faut-il alors éviter les temps vides, "temps morts" comme on dit si bien? S'occuper à tout
prix, se stresser, courir après tous les lièvres plutôt que de sombrer dans le désoeuvrement et
l'ennui?

Pascal, le divertissement : dans les Pensées. Toute occupation vise à nous divertir, à nous
faire perdre la conscience de notre condition d'être mortel. Tout divertissement (même le
travail le plus sérieux) a pour fonction de masquer la conscience que nous avons de notre
finitude.
Mais la véritable solution pour Pascal est de se tourner vers Dieu; seule la foi pourrait
combler notre désir d'éternité.

C- Maîtriser le temps ?
Eviter la mélancolie : maîtriser le temps en l'objectivant, en le mesurant, le transformant en
une chose physico-mathématique que nous connaissons et contrôlons.
Mais en fait, c'est lui qui devient un outil de contrôle de notre vie

Les plannings, agendas, calendriers remplacent l’ennui par les affaires : le temps devient
monnayable. On le gagne, on ne doit pas perdre une seconde. Nous "stressons", accélérant
ainsi chaque seconde.

Ainsi le temps mesuré, maîtrisé devient un instrument de pouvoir, mais aussi un puissant
facteur de contrôle social, dont nous sommes finalement tous prisonniers.
"Je n'ai pas le temps", dit le lapin à Alice. Celle-ci pensera donc que le lapin court parce que
"c'est très important".

Def : Le temps "mathématique" ou "objectif" est une qualité mesurable du mouvement. Il


n'est pas une chose mais une dimension mathématique du mouvement physique. Cette
définition se retrouve dans la conception scientifique du temps. Nous objectivons le temps en
mesurant le mouvement et en le comptant (graduations des montres...).

L'objectivation du temps= l'homme est voué au malheur et à plusieurs formes d'aliénation, de


soumission (se divertir pour combler le vide, renoncer à la vie terrestre, ou au contraire
rentabiliser chaque seconde...).

Mais ne pouvons-nous pas changer notre rapport au temps? Plutôt que de le maîtriser, ne
pouvons-nous pas accueillir chaque instant, de telle manière que chaque moment vécu soit
non pas un moment "en moins" dans notre vie mais un moment "en plus" ?

II- Les rythmes de la nature, le temps créateur


A- Le temps cyclique

Le temps conçu comme un cycle. Le temps peut en effet être considéré comme une réalité
naturelle, un milieu stable. Ordre rassurant qui structure et donne sens à notre existence,
rythmée par des répétitions qui reflètent celles du cosmos.
Cette répétition donne à chaque instant une raison d'être. Ainsi la mort n'est pas absurde, elle
n'est qu'un élément nécessaire au cycle de la vie. Ainsi le temps météorologique structure
notre quotidien.

Tel le Phénix, toute chose meurt et renaît de ses cendres. Dans cette conception du temps
comme ordre naturel, tout a une raison d'être, tout est nécessaire, plein, le Néant n'existe pas.

B- Carpe diem, Vivre « à propos »

Epicure
Vivre à notre aise en satisfaisant nos besoins au fur et à mesure qu’ils se présentent, c’est ce
que la nature "veut", et pour les épicuriens, c'est cela le but de la vie : la nature nous a donné
des besoins qu’il est possible de satisfaire naturellement en se basant sur la raison pour les
modérer; le plaisir n’est pas moralement condamnable car il est naturel.
vivre heureux = ramener sa pensée à l'instant présent, modérer ses désirs selon la raison, et
vivre bien chaque instant (carpe diem).
Ainsi, on ne craindra pas la mort, et on prendra plaisir à vivre. Désirer ne pas mourir est un
DESIR VAIN, car il est impossible à réaliser (non naturel) et nous rend malheureux.

Montaigne
« Je ne peins pas l’être, je peins le passage » La philosophie de Montaigne n’est pas une
recherche des Idées éternelles, des principes fondamentaux de l’Etre. Il décrit ce qui change,
et même dans ses idées, il acceptera la contradiction, les écarts, écrivant « à saut et gambades
». La danse, le mouvement, le corps ne sont pas tenus à l’écart : l’humain, c’est le
contradictoire et le mouvant.

Ainsi, l'humaine condition n'est pas nécessairement malheureuse. Loin de la mélancolie,


Montaigne nous invite à goûter et savourer chaque instant de notre existence, à l’instar des
épicuriens.

C- Faire bon usage du temps de notre vie

Stoïciens : Epictète (fondateur) , Marc-Aurèle, Cicéron, Sénèque…


Les stoïciens nous rappellent que la mort fait partie des choses qui ne dépendent pas de nous.
La mort ne dépend pas de nous.
Ce qui dépend de nous c'est de bien vivre et non de fuir la mort, car la crainte de la mort nous
fait simplement passer à côté de notre vie.
Pour les stoïciens, il dépend de nous de vouloir que les choses soient comme elles sont. Une
fois que nous avons clairement compris notre finitude et sa nécessité, nous voulons et désirons
que l'ordre des choses soit comme il est, et nous pouvons jouir de notre existence.

Selon le stoïcien Sénèque, dans De la brieveté de la vie, l’utilité de vivre n’est pas dans la
quantité, mais dans la qualité: elle est dans l’usage que nous faisons de notre vie. Vivre
pleinement chaque moment de notre vie et non le dépenser pour des choses vaines.

III- Donner du sens à la fuite du temps

A- L’oubli est nécessaire à la vie

Pour que notre rapport au temps soit vivant et créateur, il doit permettre l'oubli. En effet, si
nous avions toujours tous nos souvenirs présents à l'esprit tels que nous les avons vécus, cette
hypermnésie étoufferait notre capacité de créer. Nietzsche montre que l'oubli est essentiel à la
vie. Plutôt que de "ruminer" sans cesse, il faut "digérer" le passé (se l'incorporer) pour oublier.

Nietzsche ajoute que la mémoire est active, elle remet sans cesse en forme nos souvenirs et les
réinvente constamment. Notre mémoire n'est pas un simple enregistrement des faits mais un
travail qui les recrée en leur donnant un sens subjectif, évolutif, vivant.

B- Le sen de mon passé dépend de mon projet présent


Sartre

La rétrospection est création. Ainsi selon Sartre, nos actes n'ont de sens que dans la
perspective de notre "projet". Ils n'ont pas de valeur absolue, ils n'ont de sens que parce que
les actes du passé sont remis en perspective et "interprétés" dans l'axe de mes actes présents et
futurs. Ainsi le passé ne nous détermine pas, même s'il constitue la condition à partir de
laquelle nous nous projetons vers l'avenir. Notre rapport au temps est créateur, au sens où il
reste à la fois entièrement déterminé et entièrement libre.

C- Durée vécue et (re)création

Bergson découvre que le temps existe différemment pour la conscience que ce que nous
montre le temps objectif mesuré par nos montres. Le temps vécu semble souvent se dilater ou
se contracter. Ce que nous éprouvons ce ne sont pas des secondes, des minutes, mais la
continuité et l’épaisseur du temps. Dans notre expérience subjective, vécue, on ne peut
séparer l’instant présent de l’instant passé ni de l’instant futur.
Le temps vécu, c’est donc d’abord la durée. La durée est continue et indivisible. Aucun
moment ne peut être détaché des autres.

Si nous oublions certaines choses du passé, c'est parce qu'elles ne nous servent à rien pour
agir. Cependant notre corps garde une trace de notre passé dans ce qu'il appelle la "mémoire-
habitude» : tous nos automatismes, nos routines sont comme du passé conservé dans le
présent.

L'exemple de la madeleine de Proust montre aussi que le passé reste présent en nous au
travers des sensations anciennes, malgré la fuite du temps. Proust retrouve, grâce à la saveur
oubliée d'une madeleine, "l'édifice immense du souvenir".
Les sensations restent inscrites dans notre mémoire, dans notre corps, prêtes à resurgir. C'est
la saveur, l'odeur des choses qui persistent à travers le temps, "comme des âmes".

Vous aimerez peut-être aussi