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LE BONHEUR

Analyse de la notion

A. Déf° générale : état (mental) de satisfaction durable.

Bonheur ≠ plaisir : …. Etat de satisfaction ponctuel, éphémère. Suppose l’idée de contraste : plaisir d’un bain
chaud lorsqu’on a eu froid. Le plaisir suppose le déplaisir préalable.

B. La nature du bonheur.

Bonheur =  égalité parfaite entre la puissance et la volonté

Il y a plusieurs façons d’obtenir cette harmonie entre le pouvoir de satisfaire sa volonté et l’ampleur de sa


volonté.

- Attendre et espérer.
- Agir : ou bien 1) sur soi ou bien 2) sur le monde.

Reprenons. « méthode » naïve : attendre et espérer. L’homme naïf compte sur la chance pour que ses désirs
soient comblés. Il n’agit pas sur le monde pour le rendre conforme à ses désirs et ne changent pas ses désirs
afin de les adapter au monde. Il compte sur la bonne « fortune », sur le hasard heureux. L’étymologie du mot
« bonheur » suppose cette idée de hasard, de chance, de hasard favorable1.

Agir. Ou bien changer le monde ou bien changer sa façon de penser. Dans le premier cas, il s’agit d’agir sur le
monde pour le rendre conforme à nos désirs ; dans le second cas, de changer ses désirs et ses représentations
de façon à aimer le monde tel qu’il est.

C- Les conceptions du bonheur.

● La conception doxique 
Le bonheur est dans la vie livrée aux plaisirs. Il résulte de la satisfaction de tous les désirs2 (satisfaction totale
en quantité, qualité et durée – Kant) ou en tout cas d’une bonne partie, la plus grosse partie.

Bh : plaisir

Objections –

1) Défini comme satisfaction totale, il devient inaccessible et se trouve dénoncé comme un « idéal de
l’imagination » (Kant) (càd une fiction, un fantasme).

2)La recherche de la satisfaction de tous les désirs conduit dans le meilleur des cas à l’ennui (avoir en
permanence ce que l’on désire sans avoir à espérer et à fournir des efforts = ennui. Le désir est une
composante essentielle du bonheur : l’état dépressif peut se définir comme une absence totale de désir.
1
Bonheur, comme heureux, vient du mot français heur qui désigne "la bonne fortune", "la chance" (ex : « j’ai eu l’heur de vous plaire »).
« Heur » dérive phonétiquement du latin augurium, "augure", "présage". L'homme heureux, en ce sens initial, peut donc... s'estimer
heureux de bénéficier ainsi d'un destin favorable.

2
Si tel était le cas, le bonheur ne serait qu’un rêve (« un idéal non de la raison mais de l’imagination » - Kant) et un projet inaccessible.
Rousseau fait même du désir l’ingrédient essentiel du bonheur dans la mesure où il permet, alimenté par
l’imagination, d’idéaliser un réel en lui-même décevant ) et dans le pire à la souffrance (lorsqu’on n’obtient pas
l’objet de son désir). => « Comme un pendule, la vie humaine oscille entre la souffrance et l’ennui »
(Schopenhauer => Philosophie pessimiste).

3) La vie consacrée à la satisfaction de tous les désirs condamne à la dépendance et par ailleurs tous les plaisirs
ne sont pas compatibles avec le bonheur (ex. l’alcoolique => les plaisirs qui entrainent une dépendance et
renforce la permanence du manque). Il faut s’abstenir de satisfaire certaines désirs pour éviter de grandes
souffrances.

● La conception philosophique antique. Seule la vie raisonnable, préservée de la passion (dépendance à


l’égard d’un désir exclusif), du vice et de l’ignorance (l’ignorant = incapable de discerner les plaisirs utiles au
bonheur) est heureuse. Le bonheur = la sérénité, la sagesse ≠ la satisfaction de tous les désirs.. Cf. cours
QU’est-ce que la philo ? Définition de la sagesse : connaissance + vertu (la droiture morale). Sérénité : absence
de trouble (souffrance, d’insatisfaction) aussi bien du corps (aponie) que de l’âme (ataraxie).

a) Position la plus extrême : la philosophie Stoïcienne. Volonté de ne laisser aucune place au désir dans la
composition du bonheur. Il n’est qu’un « bonus » et non un ingrédient indispensable. L’ingrédient
indispensable = la vertu = l’indifférence à l’égard des choses du monde, et plus généralement à l’égard des
choses qui ne dépendent pas de nous (indifférence d’Epictète à l’égard de la cruauté dont fait preuve son
maître). La méthode du bonheur : devenir indifférent à ce qui échappe à notre contrôle => la richesse, l’amour,
la santé, la gloire.

La condition du bonheur : changer ses opinions sur les choses et non le cours du monde. Le monde suit son
cours et nous n’y pouvons rien. Par contre, nous pouvons et devons agir sur notre monde intérieur (sur notre
conscience/esprit) : par exemple, s’habituer à penser que ceux que l’on aime peuvent mourir d’un instant à
l’autre.

 Le bonheur ne dépend que de soi et non des hasards de l’existence : même le plus malmené par le
destin et/ou les hasards de la vie peut être heureux.

b) Position d’Aristote est bcp moins héroïque : la vertu est un ingrédient indispensable du bonheur mais
insuffisant. L’homme juste, sage, courageux ne saurait être heureux totalement heureux lorsque le sort s’est
acharné sur lui (par exemple, s’il perd ses enfants, s’il subit un revers de fortune). Les biens extérieurs (ceux
qui ne dépendent pas de nous), comme la fortune (le hasard favorable), la richesse, la santé, la beauté ne sont
à négliger. La vertu est nécessaire mais non suffisante.

Le sage peut être en colère s’il connaît des hasards défavorables (il n’est pas donc pas stoïque/indifférent) mais
il se remettra plus vite car il hiérarchise rationnellement les valeurs : il ne surestime par la richesse, la gloire,
etc.).

OBJECTION - Cf. Platon, Gorgias. Calliclès défend une conception du bonheur opposée à celle des philosophes
antiques, en l’occurrence dans ce texte de Socrate. Pour S, le bonheur ne consiste pas en la vie consacrée au
plaisir et à la satisfaction de tous les désirs mais en la sagesse. Le désir est lié au manque (je désire ce dont je
manque et j’en souffre puis je l’obtiens et j’éprouve un plaisir) => Selon Socrate, c’est « une vie de pluvier »
(oiseau qui mange et fiente en même temps) : vie qui n’a pas de sens => la fonction de la nourriture est d’être
en partie conservée et transformée en énergie musculaire, vitale.

Modèle de la vie insensée : celle qui ne connaîtrait que le plaisir (voir l’expérience de pensée suivante : être
cerveau branché sur des électrodes produisant le sentiment d’un bonheur parfait et ce pendant toute la vie)
ne serait pas désirable car manquant de sens. Le sens : renvoie à la notion de projet, un horizon que l’on désire
rejoindre
Pour Calliclès, la vie sage (non consacrée à la jouissance permanente et notamment du corps) est « une vie de
pierre » càd la vie d’un être inerte, non-vivant. L’homme est un corps pour Calliclès et le bonheur consiste donc
à satisfaire le plus possible les désirs corporels (manger, boire, copuler, etc.). Pour Socrate, l’homme c’est
d’abord son âme (le corps ne dure pas, il dépérit, il recherche la jouissance) car celle-ci est immortel et tournée
vers le bien (la justice).

● La conception de Comte-Sponville.

Bonheur : état dans lequel la joie est perçue comme immédiatement possible. Ainsi, le vrai bonheur n’est pas
une félicité permanente, continue mais un espace de temps où la joie parait immédiatement possible càd
comme pouvant être là d’un instant à l’autre. Même lorsqu’on est heureux, il y a des moments de fatigue, de
tristesse, d’inquiétude, étale, perpétuelle …. A l’inverse le malheur c’est quand la joie paraît immédiatement
impossible, lorsqu’on se dit qu’on pourrait être heureux si quelque chose changeait dans l’ordre du monde :
que si mon enfant n’était pas malade, que si ma femme n’était pas morte, que si je n’étais pas chômeur, on est
séparé du bonheur par un « si ». Le bonheur c’est l’aptitude à la joie (sentir en soi la possibilité de). Sa
condition c’est l’aptitude à aimer.
Aimer qui ? Idéal d’un amour universel. Mais nous en sommes in capables. Il ne faut pas se contenter d’a imer ceux qui sont aimables : ce n’est pas la vale ur de l’objet qui doit déclencher l’amour. C’est en aimant d’a bord que l’on rend l’objet aimable. L’amour crée la valeur. Tant que nous n’a imons que quelques individus nous vivons dans l’angoisse de les perdre. Aimer n’importe qui, c’est impossible mais c’est le chemin car on se libère de soi.

La position de CS s’oppose à l’idée d’un bonheur inaccessible (définissable comme satisfaction de


tous ses espoirs). On a bien souvent de quoi être heureux alors même qu’on se prétend en quête du
bonheur. C’est l’espoir du toujours mieux qui nous conduit à ne pas prendre la mesure de la qualité du
présent. Tant qu’on est pas objectivement malheureux (maltraité par le sort : la mort, la maladie) il y a
de quoi, dans l’existence présente, d’être apte à la joie.

L’espoir est l’ennemie du bonheur car il nous détourne de la qualité du moment présent qui est le seul
temps réel. Le passé n’est plus, l’avenir n’est pas encore, seul le présent existe au sens fort du terme
càd est donné aux sens et qui plus est c’est la dimension du temps en notre pouvoir. Le passé est
irréversible : impossible d’annuler ce qui a été. L’avenir n’est pas présent et demeure incertain
(menace la mort ou du malheur). Je ne peux agir qu’au présent et celui-ci contient la plupart de quoi
produire sinon de la joie du moins une aptitude à la joie.

Rousseau : le bonheur se trouve dans la jouissance du simple plaisir d’exister : un état de conscience
relâché qui ne distingue plus le passé et l’avenir, qui est inscrit dans un présent fait de contemplation
d’une nature paisible (le lac placide, la douce rumeur d’une rivière) qui coïncide avec une intériorité
elle-même apaisée.

S. Mill : rechercher le bonheur revient à s’interdire de le trouver. C’est en poursuivant des fins élevées
(le bonheur d’autrui par exemple) que, chemin faisant, on peut le rencontrer. Vouloir ériger un plaisir
passager en finalité d’une existence c’est se condamner à ternir cette source de joie.
Textes.

Je n’avais jamais senti vaciller en moi la conviction que le bonheur est la pierre de touche de toutes les règles de conduite, et
Mais je pensais maintenant que le seul moyen de l’atteindre était de n’en pas faire le but
le but de la vie.
direct de l’existence. Ceux-là seulement sont heureux, pensais-je, qui ont l’esprit tendu vers quelque
objet autre que leur propre bonheur, par exemple vers le bonheur d’autrui, vers l’amélioration de la
condition de l’humanité, même vers quelque acte, quelque recherche qu’ils poursuivent non comme un
moyen, mais comme une fin idéale. Aspirant ainsi à autre chose, ils trouvent le bonheur, chemin
faisant. Les plaisirs de la vie, telle était la théorie à laquelle je m’arrêtai, suffisent pour en faire une
chose agréable, quand on les cueille en passant, sans en faire l’objet principal de l’existence. Essayez
d’en faire le but principal de la vie, et du coup, vous ne les trouverez plus suffisants. Ils ne supportent
pas un examen rigoureux. Demandez-vous si vous êtes heureux et vous cesserez de l’être. Pour être
heureux, il n’est qu’un seul moyen, qui consiste à prendre pour but de la vie, non pas le bonheur, mais
quelque fin étrangère au bonheur. Que votre intelligence, votre analyse, votre examen de conscience
s’absorbe dans cette recherche, et vous respirerez le bonheur avec l’air, sans le remarquer, sans y
penser, sans demander à l’imagination de le figurer par anticipation, et aussi sans le mettre en fuite par
une fatale manie de le mettre en question. Cette théorie devint alors la base de ma philosophie de la
vie ; je la conserve encore, comme celle qui convient le mieux aux hommes qui ne possèdent qu’une
sensibilité modérée, qu’une médiocre aptitude à jouir, c’est-à-dire, à la grande majorité de notre
espèce. »
 
       John Stuart Mill. Mes mémoires, Histoire de ma vie et de mes idées. Traduction
Cazelles.

«En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est
pas précisément à diminuer nos désirs ; car s’ils étaient au-dessous de notre
puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de
tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs
s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrions que plus
misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en
égalité parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que toutes les forces
étant en action l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien
ordonné.

   C’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué. Elle ne lui
donne immédiatement que les désirs nécessaires à sa conservation, et les facultés
suffisantes pour les satisfaire. Elle a mis toutes les autres comme en réserve au fond
de son âme pour s’y développer au besoin. Ce n’est que dans cet état primitif que
l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et  que l’homme n’est pas malheureux.
Sitôt que ses facultés virtuelles se mettent en action l’imagination, la plus active de
toutes, s’éveille et les devance. C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure
des possibles soit en bien soit en mal, et qui par conséquent excite et nourrit les
désirs par l’espoir de les satisfaire. Mais l’objet qui paraissait d’abord sous la main
fuit plus vite qu’on ne peut le poursuivre; quand on croit l’atteindre il se transforme
et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru nous le
comptons pour rien; celui qui reste à parcourir s’agrandit, s’étend sans cesse ainsi
l’on s’épuise sans arriver au terme et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le
bonheur s’éloigne de nous.

                                         Rousseau. Emile, Livre II. La Pléiade, t. IV, p.304.

  «  J’ai remarqué dans les vicissitudes d’une longue vie que les époques des plus
douces jouissances et des plaisirs les plus vifs ne sont pourtant pas celles dont le
souvenir m’attire et me touche le plus. Ces courts moments de délire et de passion,
quelque vifs qu’ils puissent être ne sont cependant et par leur vivacité même, que
des points bien clairsemés dans la ligne de la vie. Ils sont trop rares et trop rapides
pour constituer un état, et le bonheur que mon cœur regrette n’est point composé
d’instants fugitifs mais un état simple et permanent, qui n’a rien de vif en lui-même,
mais dont la durée accroît le charme au point d’y trouver enfin la suprême félicité.    

    Tout est dans un flux continuel sur la terre ;  rien n’y garde une forme constante
et arrêtée, et nos affections qui s’attachent aux choses extérieures passent et
changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous,
elles rappellent le passé qui n’est plus ou  préviennent l’avenir qui souvent ne doit
point être : il n’y a rien là de solide à quoi le cœur se puisse attacher. Aussi n’a-t-on
guère ici-bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je doute qu’il y soit
connu. A peine est-il dans nos plus vives jouissances un instant où le cœur puisse
véritablement nous dire : Je voudrais que cet instant durât toujours; et comment
peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et
vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose
après? 
   Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout
entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni
d’enjamber sur l’avenir; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure
toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans
aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir
ni de crainte que celui seul de notre existence et que ce sentiment seul puisse la
remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s’y trouve peut s’appeler
heureux, non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu’on trouve
dans les plaisirs de la vie mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse
dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir. Tel est l’état où je me suis
trouvé souvent à l’Isle de St Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans
mon bateau que je laissais dériver au gré de l’eau, soit assis sur les rives du lac
agité, soit au bord d’une belle rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier.
   De quoi jouit-on dans une pareille situation? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon
de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-
même comme Dieu. Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est
par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix qui suffirait seul
pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les
impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en
troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes agités de passions
continuelles connaissent peu cet état et ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant
peu d’instants n’en conservent qu’une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas
sentir le charme. Il ne serait pas même bon dans la présente constitution des
choses, qu’avides de ces douces extases ils s’y dégoûtassent de la vie active dont
leurs besoins toujours renaissants leurs prescrivent le devoir. Mais un infortuné
qu’on a retranché de la société humaine et qui ne peut plus rien faire ici bas d’utile
et de bon pour autrui ni pour soi, peut trouver dans cet état à toutes les félicités
humaines des dédommagements que la fortune et les hommes ne lui sauraient
ôter »

        Rousseau. Cinquième Promenade. Les Rêveries du Promeneur Solitaire. 1777.


 

Appendice

Mon cours ENT sur le bonheur.

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