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IV La question du bonheur;

Est-il accessible à l’homme ?

En guise de préambule je vous propose de réfléchir à cette phrase de Pascal;

« Tout le malheur des hommes, écrit-il dans les Pensées, vient d’une
seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ».  

On définit d’abord le bonheur comme un état de satisfaction caractérisé par sa


plénitude et sa stabilité. Il est différent du plaisir, plus éphémère.

On dit d’ailleurs avoir des plaisirs et être heureux. Certes, l’accumulation des plaisirs
peut sembler d’emblée enviable et on souscrit volontiers à l’idée que la satisfaction de
tous ses désirs pourrait nous rendre heureux car on ne saurait imaginer l’articulation entre
frustration et état de quiétude et de bien être. Mais, comme le souligne Socrate en
réaction aux propos de Calliclès, vantant une telle existence, cela ne reviendrait-il pas à
mener une vie déréglée, à être esclave de ses désirs ?

Il l’explique en faisant référence à un tonneau percé - qui n’est pas sans évoquer celui
des Danaïdes (si cela ne vous est pas familier, je vous invite à chercher à quoi cela
correspond dans la mythologie grecque) - Lire les deux textes p. 60 et 61 Calliclès/
Socrate, extraits du Gorgias de Platon

Le bonheur se présente donc comme un état durable, qui n’est pas troublé par le
manque, comme un état de sérénité et de satisfaction pleine et entière .

Voir exercice 3 p. 57 qui aide à bien distinguer bonheur, joie, béatitude et plaisir.

Le bonheur est présenté comme un but majeur voire le but de la vie et nombreuses sont
les doctrines qui nous le promettent.

«  Tous les hommes recherchent d’être heureux; cela est sans exception; quelques
différents moyens qu’ils y emploient, ils tendent tous à ce but »

Alors est-il accessible? Et si oui comment l’atteindre ? Cela dépend-il de nous comme le
suggèrent les stoïciens ?

A Un idéal d’impassibilité

Pour être heureux il faut selon eux nous rendre indépendants de tout ce qui ne
dépend pas de nous, indifférents à ce qui peut nous arriver. Littéralement être
apathiques. Nous devons chercher à atteindre l’ataraxie.

Il y a, dit Epictète, ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.

«  Dépendent de nous, précise-t-il dans le Manuel, l’opinion, la tendance, le désir,


l’aversion en un mot toutes nos oeuvres propres ; ne dépendent pas de nous le corps, la
richesse, les témoignages de considération, les hautes charges, en un mot toutes les
choses qui ne sont pas nos oeuvres propres ». L’important est de se concentrer sur les
seules choses qui dépendent de nous

Pour ne manquer de rien et être égal des Dieux dit Descartes, faisant l  ‘éloge des
stoïciens « Tâcher plutôt à changer mes désirs que l’ordre du monde ». Il faut désirer la
liberté intérieure.

Tout ceci n’est possible que parce que nous sommes dotés d’une faculté souveraine,
seule source de sagesse; la volonté. Le bonheur est souvent manqué selon eux du fait
de l’espérance, qui est un désir portant sur l’avenir. Or le sage sait vivre au présent, rien
ne lui manque . Espérer, c’est porter son désir vers ce qui ne dépend pas de nous et
donc risquer de souffrir alors que si l’on se concentre sur le présent rien ne nous
manquera. Le bonheur tient donc dans la capacité de vivre intensément le moment
présent, à vouloir ce qui est.
Le sage veut ce qui arrive, tout arrive comme il veut; il est donc heureux toujours sans
espérer jamais. Amor fati. Il s’agit donc d’aimer ce qui est à notre portée.

Car le réel ne manque jamais alors que l’irréel manque toujours. Ils distinguent espérance
et volonté. On espère que là où l’on est incapable de vouloir.

On espère le beau temps mais on n’espère pas agir. Car la volonté ne fait qu’un avec
l’acte. L’espérance est passive (on n’espère pas ce que l’on fait). On n’espère pas
travailler ou encore se soigner. Il faut donc substituer la volonté à l’espérance.

On rétorquera que l’on ne peut agir sans espérer. Les stoïciens pensent que si, et ils
nomment cela la vertu. Il est donc vain d’espérer la vertu (puisqu’elle ne dépend que de
nous) et triste d’espérer le bonheur (cela voudrait dire qu’on ne l’a pas).

Bonheur et vertu se rejoignent ; il sont le triomphe de la volonté sur l’espérance et donc


manifestation de liberté. «  Ne rien attendre, disait Marc Aurèle, ne rien fuir, mais te
contenter de l’action présente «  Pensée pour moi -même III.

Les stoïciens ne présentent pas cela comme facile d’accès mais ils tracent la voie,
proposent une discipline pour se rendre maître de son existence, indifférents aux aléas
extérieurs ; heureux par ce travail sur soi qui demande de se détacher de ce qui nous
affecte.

Il s’agit en fait pour eux de rendre l’homme inébranlable devant les vicissitudes de
l’existence. Semblable à un roc, le philosophe éprouve un réel bonheur à tout supporter
avec courage, fermeté et constance. Il s’agit d’accéder à la maîtrise de soi par soi. Il ne
faut donc pas se plaindre de n’avoir pas assez de temps mais savoir s’occuper de celui
dont on dispose;

« Le passager désire une autre mer et une autre mer et un autre ciel; le pilote déplace un
peu la barre » dit Alain dans une formule qui évoque directement l’attitude stoïcienne.

Mais cette vie sereine, faite d’impassibilité est-elle accessible? Enviable ?

Cette doctrine nous semble certes étonnante et peu enthousiasmante car nous ne
voyons pas immédiatement ce que cette impassibilité a de souhaitable, habitués que
nous sommes à associer satisfaction des désirs, et surtout des plus inaccessibles, et
bonheur. De même que penser du lien que nous faisons spontanément entre être heureux
et agir? Est-il si évident? N’y a t-il pas une joie possible du non-agir (wù wéi) ? On trouve
cette idée chez le philosophe taoïste de l’Antiquité chinoise Zhuangzi (prononcez
Tchouang Tseu) qui ne propose pas plus que les stoïciens de rester passif et de se
résigner face à ce qui est, comme on pourrait le croire, mais d’être attentif à ce qui
devient et se transforme, de ne pas forcer le cours des choses, de les laisser être ce
qu’elles doivent être.

Voir texte p. 62

B Les épicuriens ou l’apologie de la modération

L’objectif d’Epicure est également de conduire les hommes sur la voie de la sagesse et
du bonheur. Et le plaisir pour cela est central. Il est le bien alors que la douleur est le mal.
On parle justement pour cette doctrine d’hédonisme mais d’un hédonisme d’un genre
particulier car il y est davantage question de modération et de calcul que de laisser-aller
et d’excès. Le plaisir, c’est fondamentalement l’absence de douleur du corps et de
trouble de l’âme. Ataraxie et aponie. Quand le corps possède tout ce qui lui est
nécessaire, il jouit du plaisir dans une quiétude «  catastématique  », ce qui évoque un
plaisir sans agitation. L’autre plaisir, qu’il ne considère pas comme fondamental pour le
bonheur, est cinétique, en mouvement.

Tous les plaisirs ne sont pas à rechercher ni toutes les douleurs à fuir. Pour bien
comprendre tout cela il est nécessaire de philosopher pour atteindre ce bonheur qui est à
notre portée , c’est- à- dire atteindre une connaissance de ce qui est, et non se laisser
troubler par des superstitions et erreurs de jugement .

Cela nous permettra de nous délivrer des craintes infondées, premiers obstacles au
bonheur. On pourra se faire une juste représentation des dieux et ne pas les craindre
parce qu’ils n’ont pas de relations avec les hommes et sont juste des modèles, vivant en
autarcie et bienheureux, ne plus avoir peur de la mort car nous ne la rencontrons jamais
et savoir que le plaisir est accessible et que la douleur est supportable (quadruple remède
déjà vu en classe).

Répondez aux questions qui suivent le texte extrait de la lettre à Ménécée p. 63. Assurez-
vous que vous distinguez bien les différents désirs (vains, naturels et nécessaires et
naturels seulement en trouvant des exemples dans le texte) et cherchez en quoi consiste
l’atomisme d’Epicure, qui est un matérialisme , qu’il tient de Démocrite et le lien que cette
conception du monde entretient avec sa réflexion sur le bonheur.

On peut donc dire que le sage stoïcien trouve son bonheur dans la vertu alors que le sage
épicurien trouve sa vertu dans le bonheur.

Le plaisir qu’il préconise n’est pas un plaisir déréglé, comme le pensent ceux qui le
contestent sans l’avoir bien lu.

Vivre dans la frugalité, prudemment, pour vivre heureusement.


Dans le plaisir ainsi atteint, il n’y a plus de manque. «  Il faut donc méditer sur ce qui
procure le bonheur, puisque, lui présent, nous avons tout et, lui absent, nous faisons tout
pour l’avoir » écrit-il dans la Lettre à Ménécée.

Si le bonheur est possible il nécessiterait donc une conversion du désir mais sommes-
nous prêt à congédier aussi vite le plaisir en mouvement pour ce plaisir stable qui nous
apparait comme bien peu ambitieux? Désirer non plus ce qui nous manque mais ce qui
est aisé à se procurer. Ce serait caricaturer le plaisir stable prôné par Epicure que de le
représenter comme passif. Toutefois il consiste bien à se contenter de ce qui est à notre
portée.

L’humanité ne se définit-elle pas pourtant par cette tension vers un but inaccessible? et
les désirs ne sont-ils pas d’autant plus humains qu’ils sont moins naturels ? (différenciez
bien besoin et désir et cherchez l’étymologie, très instructive, du terme « désir »)

C Bonheur et imagination

Il y a dans le fait même de désirer une potentialité de bonheur que Rousseau a bien
souligné dans le texte extrait de la Nouvelle Héloïse que je vous propose à présent de lire
dans le manuel p. 64.

Car si le désir a pu être conçu comme synonyme de souffrance parce qu’il serait, lié qu’il
est au manque, insatiable, il est aussi une force positive, une énergie incomparable.

Le plaisir est tout autant dans la poursuite que dans la prise; on peut ainsi prendre plaisir
à retarder, à attendre, en quoi consistent les jeux de la séduction notamment.

Le désir est nourri par l’imagination qui ne s’arrête pas au possible. Peut -être a -t-il
besoin d’obstacles à surmonter ? d’une fin inaccessible ou en tout cas pas trop
facilement obtenue , car l’ennui guette le trop tôt satisfait nous explique Rousseau .

«  On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on n’est heureux
qu’avant d’être heureux » (l.6,7)

Ce ne serait pas tant la satisfaction qui serait désirable que l’état de tension dans lequel
le fait de désirer nous place.

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