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Le bonheur est-il une affaire de raison ?

Dissertation de Philosophie (corrigé)


Introduction

Les hommes du commun accepteront sans hésiter qu’il serait mieux de vivre le bonheur plutôt que
de le rêver seulement dans l’esprit. Les philosophes, pour leur part, auront pour devoir de scruter ce
que le bonheur signifie réellement. Sans prétendre pouvoir changer le monde, la vision des
philosophes déploie néanmoins une influence sur la perception du monde sur celui qui les écoute. Et
sachant qu’il existe une liaison intime entre la pensée et l’agir, le fait de réfléchir au bonheur serait
déjà un chemin tracé vers sa réalisation. Or, ce schéma simpliste ne coïncide point avec ce qu’il en
est véritablement dans le quotidien des mortels. « Le concept de bonheur est un concept si
indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne
peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut ».
En interprétant ce passage des Fondements de la métaphysique des mœurs de Kant, nous dirons
que la plèbe tâtonne dans diverses situations pour goûter au bonheur : cela signifie que ce concept,
à la fois familier et incompréhensible, possède une certaine réalité qu’on peut expérimenter dans le
vécu. Mais en choisissant une route déviée et plus pénible, les philosophes voudraient chercher le
bonheur par et dans la pensée. Seulement, la problématique est de savoir : suffit-il de disposer de la
raison pour être heureux, ou bien faut-il le réaliser à travers diverses expériences qui nous
inspirent ? La réponse se fait à travers ces trois paragraphes : d’une part, il est des gens qui se
déclarent heureux sans recourir à la raison ; d’autre part, seule la raison peut éclairer l’homme vers
le bonheur parfait ; et pour conclure, même avec l’aide de la raison, la quête inachevée du bonheur
poursuivra la courte existence de l’homme.

I) Tout un chacun a déjà vécu l’expérience du bonheur


L’homme dispose de plusieurs fonctions corporelles qui assurent sa survie, mais ressent également
diverses émotions et idées qui lui procurent un équilibre psychologique. En apparence, la vie
humaine semble être complète une fois ces besoins essentiels remplis, or il n’en est rien. Ce petit
plus qui pimente le quotidien des hommes, c’est ce qui est désigné communément par le terme
bonheur. Recevoir de nouveaux jouets, séduire une personne de l’autre sexe, obtenir une ascension
dans le cadre professionnel, même les choses jugées les plus insignifiantes, mais qui illumine son
quotidien peuvent faire de nous un homme ou une femme comblée. « Quels sont les desseins et
les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi
tendent-ils ? On n’a guère de chance de se tromper en répondant : ils tendent au bonheur ;
les hommes veulent être heureux et le rester », constate Sigmund Freud dans Malaise dans la
civilisation. Par conséquent, on ne peut blâmer une personne en quête du bonheur, et celui qui
essaie de nuire au bonheur des autres, que l’acte commis soit clairement édicté par les lois écrites
ou non, sera légitimement marginalisé par ses semblables. Cela dit, chacun aura le loisir de suivre
ses inclinations, autant que ses droits et ses moyens le lui permettent, afin d’atteindre le bonheur.
Même pour le candidat au suicide, nul ne peut le blâmer pour ce choix. David Hume l’a clairement
édicté dans son ouvrage Traité de la nature humaine : « Il est aussi peu contraire à la raison de
préférer à mon plus grand bien propre un bien reconnu moindre et d’aimer plus
ardemment celui-ci que celui-là ». Cela signifie que le bonheur ne dépend pas de l’objet auquel
on aspire à posséder, mais plutôt de ce désir et de cette volonté, tant que nous les ressentons encore
intérieurement. En effet, les rêveries vers l’être aimé, l’imagination de la jouissance une fois l’objet
entre nos mains, cela alimente notre sentiment de bonheur même en l’absence de ce que nous
désirons. Ces situations particulières montrent que le concept de bonheur n’a pas besoin d’être
démontré ou vérifié, et ce, même en faisant abstraction des contenus ajoutés par la morale. Les
fonctions physiologiques de l’homme s’exercent naturellement dans son corps, mais elles requièrent
toujours du désir pour pouvoir profiter pleinement de son existence. C’est pourquoi Spinoza a
souligné dans son livre L’Éthique : « Le désir est l’essence même de l’homme, c’est-à-dire
l’effort par lequel l’homme s’efforce de persévérer dans son être ».

La quête du bonheur procure déjà du bonheur, et le fait d’atteindre l’objet tant désiré encore plus.
L’existence de ce penchant est à la fois naturelle et évidente chez l’homme, cependant il est mis en
parallèle avec la raison, une entité qui détient un grand pouvoir sur la destinée humaine.

II) La raison est un outil efficace pour atteindre le bonheur


Si le fait de désirer et de posséder l’objet tant convoité définit de manière immédiate le bonheur, la
conséquence logique de cette affirmation sera que le mot malheur deviendrait une notion inconnue
du genre humain. Absence de moyens, infortune, tout peut expliquer les échecs de nos entreprises,
mais remarquons que le chagrin et la souffrance sont autant présents chez les gens qui ont été gâtés
par la vie. Rappelons que l’homme ne peut éteindre définitivement la raison, et même dans la
poursuite du bonheur, s’il décide de la mettre en veille, celle-ci reprendra ses fonctions en toute
fraîcheur une fois les circonstances passionnelles passées. Bergson a excellemment illustré cette
idée dans ce passage de l’Évolution créatrice : « Notre vie se passe ainsi à combler des vides,
que notre intelligence conçoit sous l’influence extra-intellectuelle du désir et du regret,
sous la pression des nécessités vitales ». En effet, l’homme du commun ne procède pas à une
analyse profonde à ce qu’est le bonheur, mais sa raison lui informe silencieusement les dangers qu’il
risque en poursuivant un choix, tandis que sa passion lui procure le courage nécessaire pour le
mener à son terme. Il est vrai que chacun a conscience de la violence de la passion, mais si la raison
n’était pas présente, il n’y aurait aucune lutte et aucun problème théorique. En tout cas, dans
l’affrontement entre la passion et la raison, il n’est pas toujours évident que la passion l’emporte. Et
le fait de tempérer le désir est déjà un moyen plus élégant et plus assuré de l’assouvir. C’est en ce
sens que Jean-Paul Sartre affirme : « L’existentialiste ne croit pas à la puissance de la passion.
Il ne pensera jamais qu’une belle passion est un torrent dévastateur qui conduit fatalement
l’homme à certains actes, et qui par conséquent est une excuse. Il pense que l’homme est
responsable de sa passion ». Selon une logique pure et simple, il n’y a pas de degré de bonheur,
et non plus de degré de passion. La courbe d’utilité conçue par les économistes néoclassiques est
certes une belle tentative de représenter mathématiquement le degré de satisfaction, mais il n’en est
rien pour le bonheur pensé dans l’absolu. En tout cas s’il y avait une différence d’intensité dans nos
sentiments, notre langage s’est déjà chargé de créer des noms adéquats à chaque situation
différente. Cela dit, la raison intervient pour éclairer notre choix selon divers calculs, afin de
regrouper les meilleurs moyens à notre disposition, tout en tenant compte de la finalité précise de
l’acte. Qu’il s’agisse d’adopter un mode vie ascétique ou de plonger dans le luxe effréné, c’est la
raison qui se prononce ainsi, c’est le meilleur moyen possible pour réaliser cette décision. « Et que
ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur
toutes leurs passions, si on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire »,
disait Descartes dans Les passions de l’âme.

L’homme possède la raison et peut très bien s’en servir dans sa quête du bonheur, tout en prenant
conscience et en dominant la violence de ses passions. Malgré cette intervention de la raison, nous
ne pouvons pas affirmer avec certitude que le bonheur dépend entièrement de la raison.
III) Il vaut mieux vivre le bonheur plutôt que de le penser
L’homme est un véritable foyer du désir, mais également un substrat de la pensée. En disposant de
ces deux facultés, il ne peut cependant se déclarer heureux et capable d’atteindre le bonheur avec
certitude. L’explication provient de la nature insatiable du désir, cherchant toujours d’autres objets
pour le combler, d’où l’hypothèse selon laquelle le désir ne doit pas être lié avec la recherche du
bonheur. Pour sa part, la raison intervient en modelant le corps à accepter des plaisirs simples et à
se limiter à ce qui est, et non à ce qui doit être. Plus facile à dire qu’à réaliser, les conseils de la
raison offrent souvent des frustrations face au manque et à l’insatisfaction. Empruntons cette
citation de Hegel issue de sa Propédeutique philosophique pour illustrer le bonheur : « Le bonheur
n’est pas seulement un plaisir singulier, mais un état durable, d’une part du plaisir
affectif, d’autre part aussi, des circonstances et moyens qui permettent, à volonté, de
provoquer du plaisir ». Ce qui nous intéresse dans ce passage est la mention « durable », ce qui
distingue la satisfaction ainsi conçue par les économistes qui propose une méthode simpliste pour la
recherche du plaisir et, dans la même foulée, le bonheur. La difficulté dans l’approche des
philosophes est cette idée selon laquelle nombreuses sont les circonstances qui ne dépendent ni du
désir ni de la raison. Tout au plus, la raison peut emmener à une consolation, en définissant le
bonheur par l’accomplissement du devoir, d’une vie pleine de vertu. Ainsi, la raison est obligée de
transformer la définition même du bonheur en fonction de la vertu, telle qu’elle est mentionnée dans
l’Éthique à Nicomaque d’ Aristote : « C’est l’activité de cette partie de nous-mêmes (divine),
activité conforme à sa vertu propre, qui constitue le bonheur parfait ». En restant dans un
point de vue pragmatique, cette définition met le désir en veille, et sous-entend que le bonheur n’est
permis que pour un peuple de philosophes. En tout cas, même si la raison est capable de réformer le
désir en la recherche de la vertu, ou alors si elle décide de laisser libre cours et de coexister avec les
désirs physiques, nous répondrons par l’affirmative que le bonheur est une affaire de la raison.
Malgré les échecs et déceptions rencontrés par l’homme en essayant d’être heureux, il est
incontestable que cette longue marche recèle déjà une part de bonheur, c’est-à-dire l’espoir d’être
heureux. « À mesure que l’on a plus d’esprit, les passions sont plus grandes, parce que les
passions n’étant que des sentiments et des pensées, qui appartiennent purement à l’esprit,
quoiqu’elles soient occasionnées par le corps », fait remarquer Pascal dans son Discours sur les
passions de l’amour.

Conclusion
L’imagination et le désir offrent autant de possibilités à réaliser pour rendre la vie meilleure,
autrement dit, il n’est point nécessaire d’enseigner à un enfant de bas âge ni à un adulte ayant vécu
longtemps d’expliquer ce que le bonheur signifie. Et on peut même affirmer que le bonheur est la
meilleure chose qu’on puisse souhaiter à quelqu’un, avec tous les attributs qui lui sont corrélés.
Néanmoins, la raison contribue à éclairer la recherche du bonheur et les actions qui en découlent,
bien qu’elle œuvre le plus souvent dans la discrétion. Sans adhérer à l’opinion générale stipulant le
combat éternel entre la raison et la passion, le bonheur humain se comprend comme le soutien
solide de la raison dans la poursuite des passions. Par conséquent, le bonheur est une affaire de
raison, que cette dernière choisit d’orienter le désir vers des causes plus nobles et plus faciles à
accéder, ou qu’elle décide de coexister avec les plaisirs changeants et fugitifs. Sachant que le
problème persistant dans la recherche du bonheur est le caractère éphémère des plaisirs, et le doute
selon lequel on ne peut plus retrouver ces doux instants vécus dans le passé. Le corps et la mémoire
sont-ils capables de conserver le bonheur ?

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