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Travailler, est-ce un désir ?

Dissertation de Philosophie (corrigé)


Introduction
Le désir concerne essentiellement le niveau corporel et tout ce qui se rattache avec la conservation
de la vie et de celle de l’espèce. Ces deux types d’instincts sont communs au reste du monde animal,
mais seuls les sentiments humains sont désignés par ce terme de désir. Néanmoins, une extension
de sens nous permet de l’utiliser dans le langage courant pour décrire cet élan intérieur qui nous
porte vers un objet. De ce fait, il existe plusieurs raisons qui font que nous soyons attirés vers une
chose, notamment parce que cette dernière est jugée comme la source d’un plaisir ou d’une
satisfaction. Dans le livre Philosophie de la volonté de Paul Ricœur, il est écrit : « Le désir est cette
espèce d’esprit d’entreprise qui monte du corps au vouloir, et qui fait que le vouloir serait
faiblement efficace s’il n’était aiguillonnée d’abord par la pointe du désir ». Pour le travail
en particulier, il est vrai qu’il renferme une certaine obligation et une pénibilité qu’il faudrait
endurer, et nombreux sont ceux qui voudraient se soustraire à cette tâche. Nous pouvons alors
désigner le travail comme un désir, mais cela insinue une sorte de paradoxe compte tenu de sa
nature contraignante. Tous les attributs concernant le travail sont-ils indésirables ? Afin d’élucider
cette problématique, nous adopterons un plan à trois parties, où la première expliquera la
promiscuité entre le désir et la volonté ; la deuxième s’étalera sur le caractère ambivalent du
travail ; et pour terminer, la troisième partie fera une synthèse sur la nature humaine qui aime
vaincre par défi et préfère les victoires bien méritées.

I) Il est possible de créer le désir par la stimulation de la


raison
Les idées qui se forment dans notre esprit sont le concours de plusieurs acquis en matière
d’éducation, de culture et de savoir cumulé. Par la suite, ces idées, qu’elles soient justes ou
erronées, s’accompagnent d’un jugement qui dictera nos actions et divers choix à effectuer. Ainsi, la
partie décisive dans un choix se concentre essentiellement dans le jugement, et le jugement en
question n’est pas de dévoiler si une idée est vraie ou fausse, mais de donner son penchant
personnel sur ce qui est dit. D’ailleurs, une fois que nous avons déclaré une proposition, c’est parce
que nous la considérons comme vraie, en négligeant les risques de fausseté comme étant minimes.
Dans la même foulée, le jugement crée alors le désir, en ce sens que nous avons émis un jugement
positif sur un objet donné. « Mais la raison veut que nous choisissons le chemin qui a
coutume d’être le plus sûr ; et notre désir doit être accompli touchant cela lorsque nous
l’avons suivi, quelque mal qu’il nous en soit arrivé, à cause que ce mal ayant été à notre
égard inévitable ». Ce que Descartes voudrait nous communiquer dans ce passage des Passions de
l’âme, c’est que notre esprit est parvenu à incorporer diverses informations pour pouvoir déclarer
une chose comme étant désirable. Afin que le désir se fasse acte, il faut de la volonté : en effet, il
serait plus facile de déployer la volonté lorsque le corps et l’esprit sont en phase. Toutefois, le cas
contraire peut également être arrangé par une volonté de fer, mais ce serait une volonté pour lutter
contre un désir refusé par la raison. D’ailleurs, nous avons l’habitude de penser que le désir serait
purement corporel, et qu’il n’y aurait pas d’explication raisonnable quant à son intensité et sa
fougue, ce qui n’est pas totalement vrai. Quel que soit l’objet du désir, avec un certain recul, nous
pouvons très bien expliquer les raisons de cette tension pour un objet. Considérons par exemple cet
extrait de De l’amour de Stendhal : « Comme le coup de foudre vient d’une secrète lassitude
de ce que le catéchisme appelle la vertu, et de l’ennui que donne l’uniformité de la
perfection, je croirais assez qu’il doit tomber le plus souvent sur ce qu’on appelle dans le
monde de mauvais sujets ». Cela dit, ressentir un désir qui est contraire à la raison n’est pas une
disposition naturelle à notre être, bien que ce cas soit le plus souvent légitimé. Dans cette
disposition, la raison joue le rôle de régulateur, dans le sens où il a le pouvoir d’orienter le désir vers
un sens contraire. A proprement parler, la volonté est affaire de la raison, en ce sens qu’elle
persuade le corps jusqu’à ce qu’il change d’avis sur son objet. Il serait inutile de déployer de la
volonté pour quelque chose dont nous n’en sommes pas convaincus, et encore moins pour quelque
chose que nous ne désirons pas. C’est pourquoi Schopenhauer a expliqué dans Le monde comme
volonté et comme représentation : « Le concept de volonté est le seul, parmi tous les concepts
possibles, qui n’ait pas son origine dans le phénomène, dans une simple représentation
intuitive, mais vient du fond même, de la conscience immédiate de l’individu, dans laquelle
il se reconnaisse lui-même ».

C’est la volonté qui réalise l’élan du désir, signifiant un unisson entre l’appel du corps et les
principes de la raison. Voyons à présent ce qu’il en est du travail, qui est une activité exercée
volontairement, mais qui renferme plusieurs critères qui ne sont pas toujours désirés.

II) Le travail est exécuté pour la société


Au moment où la première société d’homme s’est créée, le travail est apparu en même temps. C’est
l’activité par laquelle chacun assure la survie des siens, tout en envisageant que le concours de
différents métiers est propice pour maintenir la vie sociale dans le long terme. Nous admettons alors
volontiers que le travail vise un objectif précis, à savoir l’obtention d’un revenu, et ce caractère
monétaire renvoie à la participation à un commerce. Par conséquent, le commerce, qui est le foyer
des relations unissant les membres d’une société, commence tout d’abord par le travail. Dans ses
Principes de l’économie politique et de l’impôt, David Ricardo explique : « Quand nous parlons des
marchandises, de leur valeur échangeable, et des principes qui règlent leurs prix relatifs,
nous n’avons en vue que celles des marchandises dont la quantité peut s’accroître par
l’industrie de l’homme, dont la production est encouragée par la concurrence, et n’est
contrarié par aucune entrave ». D’après cette citation, le travail ne vise pas uniquement le
revenu, mais aussi à suivre le rythme concurrentiel de la production dans un secteur, ce qui n’est
pas toujours aisé. Même en étant habile dans un métier, je pourrais toujours le perdre à jamais si je
ne m’étais pas fixé l’objectif de vendre mieux que les autres. Et bien que l’objectif du travail soit
d’acquérir un revenu, nombreuses sont pourtant les activités onéreuses mais prohibées par la
société. Et parallèlement, il y a des métiers ou des vocations fortes utiles mais peu conseillés par le
grand nombre car rapportant très peu. Devenu un barème inconscient dans le choix d’une carrière,
le revenu n’est plus une question individuelle, mais une appréciation collective. Kant disait d’ailleurs
dans l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique : « Il veut vivre
commodément et à son aise ; mais la nature veut qu’il soit obligé de sortir de l’inertie et de
sa satisfaction passive, de se jeter dans le travail et dans la peine pour trouver en retour
les moyens de s’en libérer sagement ». A la base, nous sommes jugés non plus par nos
compétences pures et simples, mais par le profit que la société pourrait en tirer. En somme, c’est la
société qui nous impose en quoi pourrions-nous travailler, et ce que nous en recevons en retour
dépend également de ses propres évaluations. Le cadre dans lequel nous pouvons manœuvrer est
donc biaisé, faisant intervenir l’arbitraire des institutions basées sur le capitalisme et des artifices
de tout genre. C’est en ce sens que Paul Lafargue explique déclare dans Le droit à la paresse : « Ces
falsifications, qui ont pour unique mobile un sentiment humanitaire, mais qui rapportent
de superbes profits aux fabricants qui les pratiquent, si elles sont désastreuses pour la
qualité des marchandises, si elles sont une source intarissable de gaspillage du travail
humain, prouvent la philanthropique ingéniosité des bourgeois et l’horrible perversion des
ouvriers ».

La pression rencontrée dans le monde du travail n’est plus une recherche de perfectionnement de
soi, mais la réponse nécessaire à la concurrence montante sur le marché. Bien que le travail soit
considéré comme un devoir pour tout citoyen, il exprime également une certaine liberté en œuvre.

III) Le désir de travailler est une manière d’affronter le


système en vigueur
Le travailleur réalise que sa liberté ne consiste pas à rompre avec les rouages de la société, mais
plutôt de l’épouser tout en prenant conscience de sa condition. Le désir de travailler ne se limite
plus à désirer un revenu décent, mais à s’épanouir dans la création d’œuvres utiles pour soi-même et
pour les autres. En tout cas, rien ne m’empêche non plus de me retirer du cadre professionnel afin
de prouver qu’il vaudrait mieux ne rien vendre que de vendre à perte. Mais dans mon for intérieur,
je cultiverai ce désir d’exercer un travail qui me plaît et d’être reconnu à ma propre valeur sans être
borné par les besoins de la société. Nietzsche disait d’ailleurs dans Le gai savoir : « Lorsque vivre
et connaître semblaient se contredire, il n’y avait jamais lutte sérieuse ; douter, nier
passaient pour folie ». En effet, le regret d’avoir choisi une carrière par rapport à une autre
s’explique par la visée d’une situation confortable, mais qui ne s’était pas réalisé par la suite. Ces
types de comportements matérialistes, très perméables d’ailleurs aux pressions de l’extérieur, sont
les plus insatisfaits dans le monde du travail. Mais aussi, on rencontre très souvent des individus qui
ont regretté un choix de carrière, du fait que l’influence de leur entourage les a emmenés à des
métiers jugés prestigieux, mais qui n’ont pas fait leur bonheur par la suite. De ce fait, ils seront
toujours à la recherche d’un rêve perdu et de l’expression même de leur vraie personnalité. Alain,
dans Les Idées et les Âges, a affirmé : « Il n’est pas un métier qui ne fasse regretter de l’avoir
choisi, car lorsqu’on le choisissait on le voyait autre ; ainsi le monde est rempli de plaintes
». Peu importe la valeur que la société pourrait donner à mon produit, tant que je m’investis
pleinement dans sa réalisation et en soit satisfait. En considérant immédiatement le travail comme
une concurrence, cela ne fait aucunement intervenir le désir, mais seulement la peur d’être exclu du
mécanisme. A vrai dire, le travail considéré comme un désir est avant tout la volonté de créer un
produit utile et agréable pour moi-même, afin que je puisse convaincre les autres de sa valeur.
« Mais entre ces deux limites, il lui confère la maîtrise sur les choses ; le travailleur se
saisit comme possibilité de faire varier à l’infini la forme d’un objet matériel en agissant
sur lui selon certaines règles universelles », écrit Sartre dans ses Situations.

Conclusion
Le désir fait intervenir à la fois le corps et l’esprit, et cette stimulation corporelle a toujours besoin
de l’aval de notre entendement. Cela signifie qu’il est indispensable que la volonté et le désir se
dirigent vers le même objectif, afin que la volonté puisse véritablement être opérationnelle. Dans le
monde du travail, hormis la pénibilité de la tâche proprement dite, nous sommes alors tiraillés par le
jugement que la société pourrait émettre sur notre choix de carrière. Et pourtant, il est tout à fait
naturel pour chaque individu de travailler, et pour ceux qui y renoncent volontairement, c’est à
cause de leur statut particulier qui requiert d’ailleurs une fonction importante, bien que non
lucrative. Pour le travailleur, il n’y a pas véritablement de choix à effectuer, puisque lutter contre les
mécanismes qui régissent le travail, c’est échanger sa vie contre la liberté. Afin que nous puissions
véritablement désirer le travail, il faudrait valoriser par soi-même ce que l’on fait, c’est dans cette
voie que nous puissions apprécier le travail sans placer au premier plan les soucis financiers.
Pouvons-nous espérer changer le monde à travers le travail ?

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