Vous êtes sur la page 1sur 5

LES TROIS DISCIPLINES DU STOÏCISME

Sur la base des principes fondamentaux, les stoïciens anciens ont créé un système global et cohérent
permettant à chacun d’interagir rationnellement avec sa propre cognition, le monde extérieur, et les
autres hommes. Il est nécessaire de bien comprendre le système du stoïcisme afin d’en capturer le
maximum de bénéfices dans la vie réelle. Ce système repose donc sur trois disciplines, ou fonctions.
Je vais vous les présenter l’un après l’autre, en intégrant directement des applications
opérationnelles.

DISCIPLINE #1 : ASSENTIMENT

1. OBJECTIVITÉ : LA VALIDATION SÉLECTIVE

La discipline ou fonction de l’assentiment est relative à nos représentations, connaissances et


jugements. Elle consiste en premier lieu à réguler le discours intérieur, en ne validant que les
représentations objectives. Voici un exemple.

1. Quelque chose se produit : après avoir travaillé durant trois heures sur un document, mon
ordinateur plante et je perds ce travail.

2. Ma cognition s’en fait une première représentation, généralement proche de la vérité : « Mes trois
heures de travail sont perdues. »

3. Immédiatement, ma cognition est susceptible d’ajouter des jugements de valeur automatiques tels
que : « Aaaaaah j’ai perdu mon travail ! C’est trop stupide de perdre son travail de la sorte, c’est la
malchance qui se déchaîne contre moi, quelle mauvaise journée ! »

4. La discipline de l’assentiment consiste à refuser ces jugements automatiques, et à rester le plus


objectif possible : « OK, je reste factuel, et n’ajoute rien : mes trois heures de travail sont perdues.
C’est tout. »

5. Une fois que j’ai donné mon assentiment à ma représentation objective et à elle seule, je peux
alors, rationnellement et calmement, décider comment je peux faire pour récupérer ou refaire mon
travail efficacement, et comment je peux éviter ce genre de problème à l’avenir.

Cette recherche de l’objectivité dans la cognition et ce refus de donner son assentiment à des
jugements de valeur automatiques sont bien illustrés dans ce passage des Pensées de Marc Aurèle :

Ne te dis rien de plus à toi-même que ce que te disent les représentations premières. On t’a dit : « Un
tel a dit du mal de toi. » Cela, elles te le font savoir. Mais « On t’a fait du tort », elles ne te le font pas
savoir.
2. RÉSILIENCE : LA CITADELLE INTÉRIEURE

Marc Aurèle, paraphrasant Epictète, écrit : « Si c’est à cause d’une des choses extérieures que tu
t’affliges, ce n’est pas elle qui te trouble, mais c’est ton jugement au sujet de cette chose ».

Les choses extérieures existent en tant que telles, mais ne pénètrent pas dans notre cerveau. Elles
restent en dehors. Ce ne sont pas elles qui nous troublent.

Si nous sommes troublés, c’est seulement à cause de notre discours intérieur. Celui-ci a converti une
représentation (par exemple, un individu vient de me faire un bras d’honneur) en jugement, et c’est
lui qui nous trouble (je suis offensé, humilié, et je vais donc me venger).

C’est là qu’intervient le principe fondamental du stoïcisme, qui clame la centralité de la vertu et de


l’excellence morale : le seul bien véritable est le bien moral, et le seul mal véritable est le mal moral.
Le bien et le mal sont donc circonscrits dans nos pensées, jugements et actions.

Tout ce qui est extérieur à nous reste alors indifférent (préféré ou non préféré), et ne doit pas
troubler notre jugement. En reprenant l’exemple précédent, cela donne alors un discours intérieur
de cette forme : « Un tel m’a insulté ? OK. Est-ce que cela affecte ma valeur morale, ou fait de moi un
homme mauvais ? Non. En conséquence je n’ai pas à me troubler, je n’ai pas à me mettre en colère.
Je vais simplement répondre de façon appropriée, par exemple en utilisant l’ironie. »

C’est pour ça que le philosophe stoïcien Pierre Hadot parle de citadelle intérieure. Devant tout ce qui
nous arrive, nous avons l’opportunité d’articuler notre discours intérieur et de le diriger
consciemment vers la priorité stoïcienne absolue : penser, juger et agir en tant que personne de bien
et de raison. Notre esprit peut donc devenir une citadelle intérieure quasiment inviolable.

Je dis quasiment, car nous ne sommes qu’humains. Nos émotions dérivent de notre évolution, et ce
sont des réponses instinctives et naturelles à certains évènements. Il est donc absolument
compréhensible qu’un être humain, même philosophe et résilient, soit très attristé par la mort d’un
proche. Malgré sa douleur, son meilleur intérêt est de ne pas se laisser accabler par le chagrin outre
mesure. Oui, je sais, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Globalement, l’enjeu essentiel concernant les émotions est de cultiver les émotions désirables (par
exemple joie, empathie, gratitude) et d’atténuer les émotions non désirables (par exemple colère,
haine et mépris). Donc il ne s’agit pas de se transformer en robot qui ne ressent rien ! C’est là que
l’on constate la grande proximité entre le stoïcisme gréco-romain et son cousin oriental : le
bouddhisme.
DISCIPLINE #2 : DÉSIR

La discipline ou fonction du désir est relative à notre attitude par rapport aux évènements et aux
choses extérieures.

Elle se cristallise dans le principe suivant : accepter radicalement et intégralement les événements et
choses extérieures tels qu’ils sont et tels qu’ils se produisent. Ou en deux mots : être hyper-réaliste.

Une attitude stoïcienne consiste ainsi à désirer constamment que les choses arrivent telles qu’elles
arrivent, ce qui est parfaitement illustré par ce passage de Marc Aurèle :

« Le propre de l’homme de bien est d’aimer et d’accueillir avec joie tous les évènements qui viennent
à sa rencontre et qui sont liés à lui par le Destin. »

Nietzche fait écho à Marc Aurèle dans ce passage :

« Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce
qui est, ni devant soi, ni derrière soi. »

Il faut noter que les stoïciens anciens croyaient au Destin, et croyaient que tout été tracé d’avance
pour chacun depuis sa naissance. Ils croyaient aussi que la Nature (c’est-à-dire, notre univers connu)
était un ensemble rationnel. En outre, ils étaient parfaitement conscients que l’état de connaissance
de leur époque était imparfait.

Aujourd’hui, il est donc parfaitement possible d’interpréter le Destin stoïcien en tant que concept
cohérent avec une vision moderne et scientifique ; sans dénaturer la philosophie stoïcienne pour
autant. Ainsi, le Destin stoïcien peut être interprété de façon moderne comme : le cours des
évènements et des choses, entièrement gouverné par l’interaction de l’ensemble des chaînes de
causalité dans notre univers, depuis le début de celui-ci. Ou plus simplement : l’ensemble des
évènements et des choses expliqué par des relations rationnelles de cause à effet.

Par exemple, si tel arbre est tombé sur telle voiture à 23:45 le 16 mai 1964, c’est parce que la force
du vent a finalement brisé la résistance de cet arbre à cet exact moment, ce qui a provoqué la chute
de l’arbre sur cette voiture. Si tel projet de start-up a échoué, c’est parce que la qualité de sa
communication n’a pas pu contrebalancer l’insuffisance de son adéquation produit/marché.
DISCIPLINE #3 : ACTION

1. L’ANIMAL RATIONNEL ET SOCIAL

Rappelons que la discipline de l’assentiment consiste à voir les choses avec objectivité et en ne se
laissant pas troubler par les choses extérieures.

La discipline du désir apporte une sérénité du fait de l’acceptation intégrale de tout ce qui se produit
à l’extérieur de nous.

Mais la vie ne consiste pas seulement à penser clairement (assentiment) et être hyper-réaliste
(désir). Il faut absolument agir, ce qui est l’objet de la dernière discipline : la discipline de l’action.

La nature stoïcienne de l’homme est celle d’un être rationnel et social. La discipline de l’action est
parfaitement encapsulée dans cette définition : l’homme doit agir de façon rationnelle, vertueuse, et
traiter avec justice les autres être humains.

Marc Aurèle écrit à ce sujet :

« Premièrement : ne rien faire au hasard ni sans le rattacher à un but. Deuxièmement, ne rapporter


ses actions à rien d’autre qu’à une fin utile au bien commun. »

« Dans ce que tu fais, vois si tu n’agis pas sans réflexion ou autrement que ne le ferait la Justice elle-
même. »

« Les hommes sont faits les uns pour les autres. Eduque-les donc, ou supporte-les. »

2. GESTION DE L’INCERTITUDE

Quand nous nous engageons dans une action ou un projet, nous n’avons pas de garantie sur son
succès final, et cela peut être stressant !

Ce stress est minimisé en se rappelant de la priorité stoïcienne absolue : bien penser et bien agir.
L’intention est donc transcendante par rapport au résultat attendu. Les stoïciens prennent des
décisions basées sur des estimations rationnelles, sans avoir la certitude de bien choisir ou de bien
faire : « Sachant mon objectif, et mon état de connaissance actuel, je choisis telle action car elle me
semble être la plus efficace. »

Ils prescrivent de tout entreprendre avec une clause de réserve, en se disant : « Je veux faire ceci, à
condition que rien n’arrive qui fasse obstacle à mon action. »
Attention, ce n’est pas une préparation auto-complaisante à de la sous-performance, qui pourrait
ressembler à ceci : « Allez, demain matin, j’avancerai sur la rédaction de mon livre, sauf si je n’ai pas
envie ! »

Bien au contraire, cela signifie : « OK, j’ai tel objectif et tel plan d’action. Je vais faire absolument tout
mon possible pour parvenir à mon objectif, et affronter tous les obstacles… mais je n’oublie pas qu’il
y a la possibilité qu’un obstacle m’empêche de réaliser mon objectif. Si cela se produit, je ne me
troublerai pas, et j’assumerai toutes les conséquences. »

Plus de stress, donc. Le but n’est plus de réussir son objectif. Le but est de planifier puis d’agir en
utilisant le maximum de ses capacités, en vue de l’objectif. Ce qui compte, c’est l’intention bonne,
couplée à la meilleure exécution possible.

CONCLUSION

Pour abréger l’article, je n’ai pas livré tous les détails du système stoïcien. Mais vous avez à présent
une vision globale des trois disciplines : l’assentiment, le désir et l’action. Dès à présent, vous pouvez
tester leur utilisation sur le terrain !

#1 – Assentiment : la prochaine fois que vous êtes troublé par quelque chose d’extérieur (Le bus est
encore en retard, c’est inadmissible et intolérable, maintenant je suis très énervé ! Mon début de
journée est gâché !), tentez de rendre votre discours intérieur plus objectif, et de vous rappeler de ne
pas vous laisser troubler par les choses qui ne dépendent pas de vous.

#2 – Désir : la prochaine fois que vous avez des craintes par rapport au futur (Pourvu que tel
évènement n’arrive pas !), que vous avez des regrets par rapport au passé (J’ai vraiment fait l’idiot en
agissant ainsi, je culpabilise !), que quelque chose d’extérieur vous énerve (J’en ai assez de mon
patron !) : acceptez calmement tout ce qui ne dépend pas de vous, sans oublier la dernière
discipline : l’action.

#3 – Action : la prochaine fois que vous vous fixez un objectif quelconque, concentrez-vous sur
l’excellence de la planification et de l’exécution, car ce sont les seules choses que vous pouvez
contrôler. Prévoyez le fait qu’il y aura certainement des obstacles. Il suffira de les accepter
sereinement, mais de les attaquer avec détermination.

Pour vous faciliter la tâche dans l’application du stoïcisme à la vie quotidienne, je vous préparerai
une feuille de triche sous la forme d’une infographie à la fois récapitulative et opérationnelle.

Vous aimerez peut-être aussi