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Thierry Raffin

18 avr. 2019 7 Min

"Je veux" - De la Volonté


Dernière mise à jour : 2 juin 2019

« Vouloir », encore un verbe qui connaît de nombreuses déclinaisons susceptibles de se comprendre de


manières diverses et de susciter en nous des façons d'être variables (du mal-être au bien-être). L'expression
volontaire d'un « je veux » peut tout aussi bien nous aider dans un juste rapport de présence au monde que
de nous entraîner dans les affres du désir insatiable et source d'insatisfactions incessantes.
Je voudrais, j'aimerais, j'espère… je désire quand ce n’est pas j’exige… Que nous est-il possible de vouloir
qui ne vienne pas menacer notre tranquillité d'esprit ? car la volonté mal comprise, mal utilisée peut se
retourner contre nous en générant un stress ; celui de vouloir maîtriser, contrôler bien davantage que cela
n'est possible, supportable pour soi-même et pour les autres.

Pour comprendre où la manifestation de la volonté peut nous conduire, il peut être utile de faire un petit retour
philosophique sur son origine. Ainsi pourra-t-on voir que ce qui est perçu aujourd'hui dans notre société
occidentale moderne comme une compétence qui caractérise l'homme d'action, entreprenant et efficace
nécessite une approche subtile qui peut se résumer dans cette idée - de bon sens – qu'on ne peut pas tout
vouloir. La volonté pour s'exercer à bon escient suppose tout à la fois la conscience de ses limites et de sa
puissance.
En quoi la volonté nous sert-elle ? en quoi nous dessert-elle faire ? En revenir à l'Antiquité sur l'émergence
philosophique de la volonté, c'est s'intéresser encore une fois à l'évolution de la pensée stoïcienne et la
manière dont elle irrigue jusqu'au début de la modernité notre conception de la vie et du cosmos. Au
fondement stoïcien de la volonté il y a le « Télos » (« cette fin que chaque homme doit viser lorsqu'il cherche à
atteindre tout à la fois le bonheur et la vertu » Marion Bourbon).

Aux premiers temps du stoïcisme grec, il s'agit alors de « vivre en accord » ; ce qui signifie pour les stoïciens
d'accorder leur raison avec la Raison du Cosmos nature dont elle participe. Cet accord est assuré par la partie
directrice de l’Âme (l'hégémonikon) par une sorte de pré-accord harmonique constituant l’unité même du
Cosmos. Mais avec le stoïcisme romain ultérieur de Sénèque cet accord doit être établi aussi par un acte de
volonté qui donne une sorte d'épaisseur psychologique et spirituelle volontaire. En permettant - et en
demandant du même coup- aux hommes d'orienter par un acte conscient leur volonté pour atteindre la vertu
et par là même le bonheur, Sénèque ouvre aussi un espace d'indétermination quant à l'issue et au sens même
de la volonté : s'agit-il de se laisser aller à vouloir l'objet de son désir, de ses passions ou s'agit-il au contraire
d'éteindre les impulsions irrationnelles par l'expression d'une sage volonté ? comme le faisait remarquer
Cicéron - un fin connaisseur du stoïcisme- il y a une volonté de l'insensé plus répandue que la volonté du sage
».

Sénèque nous indique une voie énigmatique pour la volonté en affirmant dans la « Lettre à Lucilius » « toujours
vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose». L'expression peut nous apparaître contradictoire, mais
elle vise à établir la constance de la volonté à vouloir et/ou à ne pas vouloir en conformité avec ce que dicte la
Nature du moment présent. Comme l'énonce encore aussi Cicéron dans son livre « Des fins » : « le souverain
bien consiste à vivre en s'appuyant sur la connaissance certaine des choses qui arrivent naturellement en
choisissant celles qui sont conformes à la nature et en rejetant celles qui lui sont contraires ». Il s'agit bien de
reconnaître « ce qui est » et de transformer cette connaissance en « vouloir ce qui est ». Ainsi la doctrine
stoïcienne commande est-elle d'épouser son destin – l’Amor Fati. Ceci a partie liée à ce pouvoir de
l'acceptation telle que je la définissais dans cet article du blog "C'est inacceptable !". Car accepter ainsi ce qui
est comme c'est, suppose cet acte de conscience, de (re)connaissance volontaire, qui lui permet d'être tout
autre chose que se "résigner" (subir). Vouloir-accepter ce qui est c'est ainsi développer en soi une capacité
d'accueil-abandon à l'éternel présent, qui se confond alors avec l'éternel retour.

Loin que cela soit un acte de soumission ou de résignation fataliste ; c'est au contraire faire œuvre de
volonté, comme par un redoublement de la raison. Cette focalisation sur la conscience de la volonté est ce qui
fait échapper aux vicissitudes du désir - souvent éclaté, dispersé dans des directions du contradictoires,
transitoires, éphémères. Cela permet la tranquillité de l'âme - l'ataraxie.

La volonté seule peut cependant entraîner, par erreur de jugement, sur la pente du désir et de l'inconstance,
source d'agitation et d'inquiétude. La volonté seule ne permet donc pas de distinguer le sage et l'insensé, car
ce dernier peut faire preuve aussi de volonté dans l'erreur, entraîné par ses passions à vouloir commander,
obtenir ce qui ne dépend pas de lui (la richesse, la renommée, le pouvoir, la santé…) et connaître ainsi les
déconvenues, les désillusions et les émotions auxquelles elles conduisent (la colère, la tristesse, l'amertume et
la rancœur). Ce sont des « passions tristes » aux dires du philosophe Spinoza, à l'origine du découragement et
de l'affliction de soi-même.

La bonne volonté si l'on peut dire - c'est-à-dire la juste volonté- qui ouvre la voie de la sagesse se nourrit du
savoir de ce qui est juste et digne de la raison - principe d'équilibre dans la Nature. C'est le savoir - forme
positive de la conscience du juste et de l'action juste- qui permet d'établir la sûreté, la constance du jugement.
« Bien vouloir » c'est toujours « savoir vouloir » comme le précise Sénèque dans son livre « De la tranquillité » :

« Si tu veux toujours vouloir une même chose tu dois vouloir le vrai ».

La juste distance entre le désir et la volonté est donc celle de l’assentiment ou non à l'objet désiré, par le biais
d'une délibération de la raison. Mais nous voilà replongés dans cette difficile question du rapport de la raison
aux passions, bien plus liées entre elles que nous ne le voyons, que nous ne voudrions et que nous ne
l'acceptons. Comme le rappelle Spinoza dont la pensée emprunte beaucoup aux stoïciens , nous sommes
déterminés par notre nature à vouloir et à juger bon ce vers quoi elle nous fait tendre :

« Nous nous efforçons à rien, ne voulons, appétons, ni ne désirons


aucune chose parce que nous la jugeons bonne mais au contraire nous
jugeons qu'une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle,
la voulons, appétons et désirons ».

C'est dire combien nous pouvons nous illusionner nous-mêmes et être trompé par notre propre volonté.
Comment discerner le vrai ? Si l’on suit Spinoza, la voie du vrai est dans le passage d'une passion triste à une
plus grande joie - c'est-à-dire pour lui a une plus grande puissance d'agir (car les passions tristes nous
conduisent à subir, nous affectent). Nous voilà ramenés à cette question du rapport entre notre volonté et
notre capacité d'agir, si fermement établie aujourd'hui. Vouloir est posé, présenté comme un pouvoir agir,
comme une capacité de mouvoir son esprit et son corps, de manière libre et délibérée, en suivant l'inclinaison
de sa raison ou de sa passion. Ainsi la volonté moderne nous conduit-elle à penser une capacité et une liberté
de l'homme à agir sur le monde, à déterminer, de manière réfléchie par ses actions, les événements.

Voilà une vue bien opposée à la vision antique stoïcienne qui pensait au contraire que tout était régi par le
Destin dont les hommes n'étaient que les instruments ou les jouets. Est-ce à dire qu'ils déniaient à l'homme
toute possibilité d'exercer sa volonté ? Loin de là la volonté stoïcienne se manifeste à un double niveau : tout
d'abord comme on l’a dit à consentir à tout ce qui advient, dans une reconnaissance de notre incapacité à
maîtriser ou contrôler ce qui ne dépend pas de nous ; et d'autre part à désirer fermement le bien et la vertu .
Plus encore comme l'exprime Épictète un autre philosophe stoïcien, il s'agit d'accorder son désir à l'ordre du
monde :

« Il faut harmoniser notre volonté avec les événements de façon à que à


ce que rien de ce qui arrive n'arrive contre notre gré et que rien de ce qui
n'arrive pas ne manque d'arriver quand nous voulons que cela arrive »

Une telle posture nous est devenue étrangère, tant elle nous semble éloignée de l'attitude de l'homme
d'action. Mais déjà Epictète dans ses « Entretiens » enseignait qu'il s'agissait là d'une discipline de l'esprit. À
celui, insensé, qui affirmait que «l'homme libre c'est celui à qui tout advient selon sa volonté, celui à qui personne
ne peut faire obstacle » il répondait : « ici où il s'agit de la chose la plus importante, de la chose capitale - de la
liberté - me serait-il donc permis de vouloir au hasard ? Nullement : s'instruire c'est apprendre à vouloir chaque
événement tel qui se produit» .
Ainsi les exercices spirituels quotidiens sont nécessaires à cette discipline de l'esprit. Là s'exerce
véritablement la volonté. Tout faire pour laisser les choses se faire, c'est-à-dire plus exactement « être comme
elles doivent être » selon l’enchaînement mystérieux des causes dont nous ne faisons que participer sans que
nous puissions raisonnablement espérer qu'elles soient en notre seul pouvoir ou que nous puissions juste les
connaître en totalité.

Ceci indique aussi la direction de la voie que le Tao résume dans ce principe - aussi étranger à l'homme
moderne- le Wu-Weï, souvent traduit par le « non-agir » et «qu'il conviendrait de mieux comprendre comme un
principe sous-tendu par la volonté de non d'interférence ou de non l'intervention dans le cours des choses dans la
mesure où ce terme ne correspond ni à un quiétisme ni une apologie de l'inaction» (Catherine Despeux dans son

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