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Criton

Auteur : Platon (-428/427 -348/347 ; Athènes)

Sous-titré : Du devoir du citoyen (Pomponius Atticus), trad. Luc Brisson


Dialogue de jeunesse

Thème : Pose le problème du bonheur et de la vertu, peu après la condamnation de Socrate.

Contexte : Le vieil ami de Socrate, Criton, vient le voir en prison peu avant qu’on ne vienne
l’emmener à son sort, et le presse de s’enfuir. Socrate refuse de ployer sous les raisons que lui
donne Criton.

Structure : 2 parties :

1. Prologue
2. Propositions de Criton
3. Refus de Socrate
→ Faisant intervenir les Lois en une Seconde sous-partie pour argumenter et clore :
première apparition d’une personnification dans les dialogues
→ Seul dialogue où un expert en morale (les ‘Lois’) se trouve explicitement identifié.
→ Différent du Ménon et du Protagoras, qui tout deux se terminent sur une aporie.

Thème : Discussion sur la vertu et le bien de la cité :

Arguments de Criton :

• Crainte et maux pour les amis (notamment pour lui, Criton, qui aura, en plus de la perte d’un
ami, à souffrir les éventuels blâmes des autres pour ne l’avoir pas sauvé, s’il ne prend pas la
galère avec lui)
• Non-conformité à la Justice : « tu te trahis toi-même, en ne te sauvant pas alors que tu en
aurais l’opportunité », 45c
• Craintes et conséquences pour les fils, 45d → Socrate aurait pris le parti de la lâcheté, choisi
pour lui la « voie de la facilité »… plutôt que de se donner de la peine pour s’en sortir.
• Se fonde sur l’opinion du grand nombre (ou plus grand nombre, mais c’est pareil ici ;
l’important est l’opposition du ‘multiple’ à ‘l’unique’, à l’un qui révèle la vérité par l’unité
d’un concept, 48a). → « il faut rechercher, en matière d’éloge et de blâme, ceux d’une seule
personne et non de tout un chacun » (47b)

Contre-arguments de Socrate :

• Règles qui n’ont pas changé (46b-c)


• Il doit rechercher, non pas les éloges et blâmes de tout un chacun, mais d’un seul individu,
par exemple d’un médecin ou d’un entraîneur (47b), autrement dit celui qui est un expert
dans son domaine (voir le Protagoras).
• Il faut poursuivre, non pas « la vie pour la vie », mais la vie bonne, équivalente à la Justice
(48b)
• Il ne faut en aucun cas répondre au mal par le mal, à l’injustice par l’injustice (49c-d) ; cela
contrevient à l’opinion commune (même si elle est aussi paradoxale, comme dans cette
phrase attribuée à Rhadamante : « être traité comme on traite les autres, voilà ce qui est
justice »), car cela entretient l’injustice (plutôt que la réduire ou la réfuter, pourrait-on
ajouter).

> Amènera la notion de Lois (Seconde partie, 50a) :

→ Les Lois sont un donné patriarcal : la relation est celle d’un enfant à son père et à sa mère
(mais plutôt au père). 50-e. Bien que pas esclave de son père, car homme libre (ce que Platon se
dépêche de mentionner ; honneur…), la relation ressemble et frappe par son asymétrie.
Néanmoins il insiste, comme esclave des Lois, non de la volonté d’un homme.*
→ En tant que telle, elle a une dimension sacrée.
→ En tant que telle, il y a une dissymétrie totale entre l’individu qui doit obéir aux lois, et
les lois qui ne peuvent être changées ni transgressées par l’individu (ceci probablement pour éviter
un renversement par le multiple, car dès qu’on autorise pour un seul… c’est bien l’argument de
Socrate qui fait mine de revendiquer, par une forme de dramatisation de sa seule transgression, le
renversement moral d’un Etat tout entier, sorte de catastrophe à laquelle il ne peut se résoudre).
→ Rappelons qu’on est pas sur un Etat de droits positifs, et que le caractère égalitaire de l’État
comme envers et double de la société, n’existe pas. → En clair, ce ne sont pas les individus qui font
les Lois, celles-ci sont apparues seules à la conscience de Socrate, tel un savoir divin et mantique.
Elles revendiquent une autorité absolue sur lui (comme sur tout citoyen, selon son raisonnement) au
motif qu’elles sont des Lois ; autorité que l’on pourrait qualifier de tyrannique si Platon ne faisait
pas revendiquer leur double paternité : liée affectivement à la famille, qui conserve quelque chose
du sacré ; lié au sacré du divin ; le dialogue se termine par un rappel au divin.
→ Limite : Platon tâchera de se sortir de ce raisonnement circulaire*, qui ne permet pas une
définition positive de la Justice (« la Justice c’est juste obéir aux lois » ; or on tâchait de
comprendre pourquoi obéir aux Lois était juste…), dans la République.

→ Se révolter est injuste, aux yeux des lois (et fuir est un acte de rébellion et de lâcheté,
qu’il compare plusieurs fois à celui d’un esclave) car se faisant :
1. Il se révolte contre « nous qui l’avons mis au monde » 51e-52a
2. Il se révolte contre « nous qui l’avons élevé »
3. Notion de consentement (enfin un truc un peu mieux…) : « ayant convenu de nous obéir, il
ne nous obéit pas », ET ce « sans même chercher à nous faire changer d’avis » : nuance
importante : ici Socrate ne considère même pas essayer de faire changer les Lois d’avis, cela
n’aurait aucun sens (réintroduire de l’opinion, du multiple)
→ Cependant les Lois lui laissent virtuellement cette possibilité… On peut s’interroger là-
dessus : possibilité malgré tout laissée au logos de s’exprimer ? ; fausse option (rhétorique) ?
→ « De nous convaincre ou nous obéir, il ne se résout ni à l’un ni à l’autre » → pour
héroïser les lois, Socrate se ridiculise, se met en position d’ingrat enfant, les positionne
comme figure d’autorité, au-dessus de lui et inatteignable même par ironie, ou discussion
(dialectiquement ou ironiquement). Pourquoi laisser cette porte ouverte ? Contester (par la
parole/logos, davantage sophistique tho) a-t-il la même valeur que transgresser ? (l’interdit
patriarcal, par ex frapper ou tuer son père)
→ Comme il le démontre et laisse deviner après (52b), c’est parce que Socrate est d’accord
avec les Lois de la cité, car en accord avec la cité, qu’il n’entreprend pas, pour une fois, de
les convaincre, comme à son habitude (valeur essentiellement rhétorique)
→ Il y a alors une forme d’accord du sujet, de l’individu aux lois, mais cela n’a rien de
théorisé ou de concret comme dans une théorie du contrat social. C’est juste l’accord secret, que
Platon ne rend pas explicite, entre les Lois et l’âme de Socrate, à qui les Lois sont venues parler.

*On remarque néanmoins peu de différence entre l’obéissance à un homme et celles aux Lois telle
que présentée ici : ici, les Lois sont assimilées aux êtres humains qui sont les garants positifs
comme les géniteurs de la personne. En tant que tels, on pourrait, si l’on voulait être réducteur,
réduire l’argument à cela.
→ Néanmoins on comprend qu’elles sont ce qui, comme lois organisées de la cité, ont
permis, à ses parents de se marier, comme à lui d’être éduqué. Elles ne sont pas alors (identifiées à)
ses parents. Il y a une sorte de positivité induite qui émane du passage.

*Cela l’amène à un raisonnement circulaire, cad à définir la Justice comme obéissance aux lois, et
l’obéissance aux lois comme condition nécessaire (voire cause) identifiée à la Justice. 51b-c

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Platon revient également sur un aspect religieux, déjà identifié dans l’Apologie, via la référence à
l’oracle de Delphes.

En effet les Lois ont l’aspect d’ordres divins : leur obéir n’est pas une injonction éthique, ou
politique, mais bien religieuse, qui provoque le hagios (vénération mêlée de crainte, 51a-b). Les
Lois sont saintes. Platon donne ainsi à la démarche de Socrate l’autorité et la légitimité d’une
origine divine, dont Socrate est le relais dans une forme de tradition.
→ Il n’est juste pas d’accord en termes de tradition qui doit être transmise -par rapport à celle du
hoi polloi, de la masse (grand nombre), mais la légitimité revendiquée est semblable.

Ce faisant (Luc Brisson), Platon « masque l’originalité de la démarche de Socrate, en rapportant son
origine à des êtres mythiques que sont les « Lois », et lui conférant tous les outils d’une démarche
se rapportant à des attributs divins, une caution divine. »
> retour du religieux de l’Apologie

Platon n’explicitera néanmoins pas ce en quoi consiste la Justice, ce qu’il fera dans la République.

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