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Ménon

Auteur : Platon (-428/427 -348/347 ; Athènes)

Sous-titré : De la vertu (Pomponius Atticus), trad. Luc Brisson


Dialogue intermédiaire / « de transition »

Contexte dans l’œuvre de Platon : œuvre de transition avec l’apparition de la réminiscence, de


l’idée selon laquelle l’âme subsisterait au corps et voyagerait jusqu’au réalités intelligibles hors du
monde sensible.

A noter : mention de Gorgias, et du contexte sophistique pour Platon (70 b-71 d et 91b), on peut y
voir une rémanence de la vision critique de Platon contre « ceux qui répondent à tout homme », et
se mettent « à disposition de tout grec » (70 b ; beau passage d’ironie) ; contrairement à Xénophon
qui lui mettra en exergue la figure de Socrate comme « se mettant à disposition de tous » (vision
démocratique) contre les sophistes qui eux font payer leurs services. (→ voir par exemple Blank,
Socratics versus Sophists on Payment for Teaching*, p 17 sur la vision élitiste de Platon :
→ « Note that in the Meno (passage 3) Socrates emphasizes that sophists offer themselves as
common property to answer any question at all. We can now see that the property of being available
to all men in common, which Xenophon had said distinguished the philosophers from the fee-taking
sophists (Cyn. 13.9 [=14 T 2 in fin.]: T7aol xolvol xal qpiXo), is now attributed by Plato to the
sophists and made circumspect. » - Nous soulignons.
→ Sur cette question, voir également « Les Sophistes » (anthologie, par J.F. Pradeau)

*→ Ainsi que sur la méthode dialectique socratique, même si met de coté la réflexivité et le retour
sur soi de la pensée, qu’implique la mise en jeu du dialogue (et la nécessité d’etre honnete -speak
your mind, if even a bit fast- avec soi-meme et l’autre) pour pouvoir éprouver la validité de ce
qu’on dit. (→ le dialogue, pensé sur le temps long, impliquerait le fait de ne pas aller parler au tout-
venant, donc une ‘sélection’ des partenaires ‘capables’ ? → voir p 19, lien de la tradition grecque à
la valorisation de la classe sociale et de l’ancienneté des familles (« ancestry »), d’une « connection
between noble birth and noble character, e.g. in the opening of the Charmides (155a, 157e), but just
as he there insists on testing noble young Charmides' nobility of soul (154el), here too Socrates is
not interested in just the pedigree of the pupil. » → critère non-suffisant en soi (and though it is not
a rationalized, ordered criteria per re ; rather, emphatizes the peculiar roleplay of eros and of
daimon (which also seems to have a much « negative » rôle, in which he prevents Socrates from
taking back some disciple, but not positively asks for taking someone in.)

Thème / Questions :

1) En quoi consiste la vertu / l’excellence humaine ?

Cela touche à ce qui peut être considéré comme le plus grand bien de l’Homme ; mais qu’est-ce que
cela ? Le talent politique ? L’exercice de la justice ?
2) Secondo, Comment l’acquérir ? Cette vertu s’enseigne-t-elle, et en ce cas, quel est son
maître ?

Difficulté : comment acquérir quelque chose que tu n’as pas, et donc que tu n’as aucune idée de
comment le rechercher ?

Paradoxe : On ne cherche pas ce qu’on possède déjà ; or ce qu’on ne connaît pas, on ne saurait pas,
même si on le trouvait, que c’est ce qu’on cherchait, 80b). Il semble donc que les 2 soient
impossibles et mutuellement exclusifs.
→ Pourtant, pour résoudre ce paradoxe, on peut user du concept de réminiscence, que Socrate
introduit en disant l’avoir reçu des « prêtres et prêtresses » : souvenir d’une connaissance acquise
antérieurement (que l’âme a été chercher dans un précédent voyage).

Définition de la vertu : Ménon et Socrate « errent » longtemps en recherche d’une def ensemble,
semblable à celle d’une « figure » (forme), etc.
Socrate dégage chez Ménon cette définition-ci : « la puissance d’obtenir des biens. » (78c)

- 78.a-b, cela les amène à revenir sur le mal et le bien. On trouve également l’idée que nul ne veut le
mal, car sinon, en l’obtenant (retourne la déf de Ménon : vertu = vouloir des biens et les obtenir), il
deviendrait misérable, ce que personne ne souhaite, selon la définition fournie par Ménon (77b).

→ Une idée très intéressante à aborder en cours, parce que pas intuitive moralement : comment
ça, des gens peuvent « se tromper » sur le bien ?? Et à l’inverse : « Tu veux taper ton voisin, tu
tapes ton voisin, tu veux le mal ! » C’est pas compliqué…
→ Permet d’interroger et de remettre en question des intuitions morales sur le bien et le mal
→ En intro d’une séquence « esprit critique », sur des ex comme fake meds etc. → Et on peut aussi
vouloir un bien, tout en l’ignorant (→ on peut meme interroger Breaking Bad, sur l’idée :
finalement vouloir « etre puissant » (évoqué par Ménon dans sa définition), « se sentir bien », tout
ça ce sont des biens, est-ce que ce n’est pas juste se tromper sur le Bien en soi, ou, aussi (on rajoute)
sur les moyens, les manières d’atteindre ce bien-là?)

→ Texte du Ménon, 77a-78b, bon outil (même si un peu long si en entier)

- Puis seconde partie où Socrate s’enjoint à montrer à Ménon comment se « rappeler » selon une
réminiscence, en attrapant un de ses disciples à la volée et lui faisant re-découvrir (déduire?)
comment construire mathématiquement le carré double d’un carré de coté L.

→ Puis le gamin se rend compte que c’est grâce à une « opinion vraie » (85c) et non grâce à un
savoir en soi qu’il a pu finalement reconstituer la figure demandée (=le savoir ; après un moment où
il se rend compte de son opinion erronée, 84a-b). (bon Socrate l’induit en erreur rhétoriquement
aussi…)

On retrouve, 84 a, le passage sur les trois états face à la vérité : de l’opinion (croire savoir ; opinion
vraie ou fausse), de l’ignorance (abolition de l’opinion, d’abord vraie puis fausse), et du savoir
(accès à la vérité).
- Distinction opinion vraie – vérité (85d ; avoir une opinion vraie sur qqc que l’on ignore) et
transition opinion vraie / savoir → à force de s’interroger, à partir de ses opinions, finira par
acquérir une connaissance de son sujet, à tel point qu’il a l’air de se l’être forgé lui-même, il se l’est
« remémoré » (rappelé à la mémoire, mais ce savoir était en lui, manifestement ; il fallait le faire
ressurgir → et ce par le biais de questions, qui peuvent être externes comme dans le cas de Socrate
avec le garçon, ou internes). Dans les 2 cas il a interrogé, au fond, « ce qu’il avait au fond de lui ».
Puisque les réponses, c’est lui qui les fournit, nul autre. Il fallait donc bien qu’il les ait en lui dès le
départ. Il les a tiré « de son propre fonds », 85d, nous dit Socrate. Voilà ce qu’est la réminiscence.

→ Ce faisant, en « tirant une connaissance de soi-même », la réminiscence dit une autonomie de


l’âme, qui doit avoir « le courage de reprendre d’elle-même le savoir à l’intérieur d’elle-même » :
ame au mouvement autonome (on commence à le voir), elle est séparée de la tradition.
→ perspective d’une âme qui cherche à savoir (« par elle-même ») et qui apprend (et pour
cela doit avoir conscience d’un manque). La réminiscence est le moyen qu’à l’âme de redevenir
intérieure à elle-même, de retrouver sa puissance propre.
→ Le fait de « recouvrer une connaissance », c’est bien se la remémorer, nous indique Socrate une
ligne plus loin. Attention cependant, cela ressemble à « découvrir par soi-même », une
connaissance, néanmoins ce n’est pas connaissance par le sensible, par l’expérience, par le monde
extérieur, qui est le sens classique qu’on attribue au terme : je ne « découvre pas » en regardant ou
touchant le monde ; je « découvre » en regardant en moi, et en fait en « recouvrant » (récupérant) ce
qui était occulté, comme en sommeil, depuis que l’âme s’est attachée à mon corps. (L’âme s’est
endormie et a « oublié » quand elle est passée du monde des morts à notre corps ; on retrouve ici la
fonction classique du sommeil et de l’oubli comme passage, dans la mantique grecque -voir J.P.
Vernant).

- Puis ils cherchent à établir ce qu’est la vertu en propre : 88d, ils en arrivent à considérer que si la
vertu est utile (faire le bien est utile, etc.), c’est qu’elle est une forme de raison.
- La vertu est une raison, or, il n’y a pas de gens bons, raisonnés, par nature. Sinon ça se saurait, on
les verrait vite et on les enfermerait à l’Acropole pour qu’ils soient utiles à la cité ! (ironie, cas
limite)

> Il n’y a donc pas de gens bons ou vertueux par nature. Il s’en suit que la vertu doit
s’enseigner. (89b-c)

Néanmoins, si elle est une connaissance, et s’enseigne ; comment s’enseigne-t-elle (deuxième


partie du problème et de l’argumentation) ; y-a-t-il des maîtres pour l’enseigner ?
→ Discussion sur les sophistes.

→ Socrate rencontre alors Anytos (un de ces futurs pourfendeurs) et se propose de l’associer à leur
recherche. → ironie socratique où il se moque un peu de lui, et lui fait dénoncer les sophistes (long
passage où il se donne le beau rôle en feignant de découvrir à quel point ils ne sont pas vertueux…)
→ Socrate se fait plaisir.
- Puis 95b/96b, revient sur une caractéristique essentielle de l’opinion qui est l’atermoiement : les
sophistes n’arrivent pas à se mettre d’accord, ou ne saurant pas capable d’être en accord avec eux-
mêmes, sur savoir si la vertu s’enseigne, ou pas.
→ On retrouve l’opinion changeante, donc contradictoire, donc non fiable. + ironie (puisque
certains sophistes prétendent quand même l’enseigner)

Si l’absence d’enseignant ne nous permet pas de conclure quant à un savoir de la vertu, nous dit
habilement Socrate (tout en disqualifiant définitivement, tirant un trait sur les sophistes) ; c’est que
l’opinion vraie suffit, pour guider pratiquement notre chemin, en matière d’action, et quand il s’agit
de vertu. -97b

→ Socrate distingue opinion vraie et raison, et opinion vraie et connaissance, mais l’un n’est pas
moins mauvais guide pratique que l’autre.
→ A ce stade (pré-République) des dialogues, ce n’est pas à la connaissance, ici, de guider l’action
politique. → Le dialogue se finit sur une aporie ou une solution partielle.
L’absence d’un savoir est en définitive ce qui empêche les sophistes de rendre des gens pareils à
eux-mêmes, et les condamne ; « en effet, ce qu’ils sont, ils ne le doivent pas à une connaissance »
(99c) → limite : raisonnement circulaire avec ce qui est dit précédemment.

Socrate compare en définitive les hommes politiques aux oracles : « ils disent beaucoup de choses
vraies, mais sans savoir de quoi ils parlent », recevant par définition un savoir divin, ils ne le sont
pas, ne l’ont pas en eu, ce savoir. » (99c still)

> Si c’est par une faveur divine que le savoir comme la vertu sont conférés, on ne peut s’empêcher
de se demander si ce n’est pas une manière pour Platon de se protéger d’éventuelles accusations
face aux sophistes, en mettant en avant un lien politique-divin (même si on peut en douter car il y va
aussi fort dans ce dialogue, niveau critique et ironie ; de plus ce genre de crainte n’apparaît jamais,
sinon le souci dans l’Apologie de se mettre sous le patronage divin -et de s’y soumettre, par la même
occasion, voir Criton-) ; le passage 100b annonce le génie divin de Socrate qui pourrait bien être
celui qui reçoit cette faveur divine, sans s’y identifier ouvertement…
→ Cela semble une ouverture pour d’autres dialogues.

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Très belle phrase de plaidoyer qui invite à l’enquête et à la curiosité scientifique :

« A vrai dire, il y a des points de défense pour lesquels je ne m’acharnerais pas trop ; mais, le fait
que si nous jugeons nécessaire de chercher ce que nous ne savons pas, nous serons meilleur, plus
courageux, moins paresseux, que si nous considérions qu’il est impossible de le découvrir et qu’il
n’est pas non plus nécessaire de le chercher. Ce fait, pour le défendre, je me battrai avec la dernière
énergie, aussi fort que j’en serai capable, et dans ce que je dis et dans ce que je fais ! » (86c)

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