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Chapitre 1 : pourquoi philosopher ?

Quelle place pour la philosophie dans notre monde ? Est-elle encore utile ? N’est-elle pas
concurrencée par la science ? S’il y a concurrence cela impliquerait alors qu’elles répondent au
même besoin. Lequel ?

I. Le problème de la pensée.
Prenons un exemple : des siècles durant la pensée, cette activité qui semble nous caractériser au
point de nous différencier de tous les autres êtres vivants (homo sapiens !), était un problème
pour philosophe et non pour scientifique.

A. Homo sapiens ou homme neuronal ?

Du point de vue zoologique en effet, notre nom est "homo sapiens" ; tout comme le chien,
s’appelle "canis familiaris".

La définition philogénétique (= point de vue du développement des espèces) de l’homme qui


repose sur la connaissance de caractères extérieurs est ambiguë dans la mesure où la pensée n’est
pas visible. Ne faudrait-il pas modifier la définition biologique de l’homme et parler comme l’a
fait Jean-Pierre Changeux, spécialiste du système nerveux, dans l’un de ses livres d’"homme
neuronal". La neurologie nous apprend en effet que la pensée dépend entre autres du cerveau, de
sa bonne irrigation, etc. Ce n’est qu’au cours de l’histoire de la médecine et de l’anatomie que le
rôle du cerveau a été identifié. On est donc d’abord tenté de parler scientifiquement,
médicalement de la pensée, et non plus philosophiquement.

Pour Descartes (1596-1650) la pensée est l’activité de l’âme :

Cf. Traité des passions de l’âme (1649).

"Art. 4 Que la chaleur et le mouvement des membres procèdent du corps, et les pensées de l’âme.
Ainsi, à cause que nous ne concevons point que le corps pense en aucune façon, nous avons
raison de croire que toutes sortes de pensées qui sont en nous appartiennent à l’âme".

Et l’âme se distingue du corps même si elle y est liée car elle a son siège dans le cerveau :
Cf. Méditations métaphysiques, 6 (1641).
"Je remarque aussi que l’esprit ne reçoit pas immédiatement l’impression de toutes les parties du
corps, mais seulement du cerveau, ou peut-être même d’une de ses plus petites parties."

Il distingue donc bien ici l’esprit, c’est-à-dire un principe immatériel qui serait la pensée, de son
ancrage matériel dans une partie du corps : le cerveau.

Cette distinction et cette relation de la pensée et du corps semblent justifiées car lorsque nous
percevons un objet, c’est autant notre corps que notre pensée qui est en jeu et d’autre part lorsque
nous sommes immobiles et que nous nous décidons à nous lever, c’est bien cette pensée
particulière qu’est ma volonté qui conduit mon corps, qui le met en mouvement. Le corps peut
donc agir sur l’âme et l’âme sur le corps. Il s’agirait bien de deux substances différentes. Une
substance est ce qui existe de soi-même et sur quoi repose d’autres éléments.

Descartes explique cette interaction par une réponse qui ne nous satisfait pas complètement : il
trouve en effet la solution dans une localisation de l’âme dans "la glande pinéale", c’est-à-dire
dans l’hypothalamus :

Cf. Lettre à Meyssonnier du 29 janvier 1640.

"cette glande est le principal siège de l’âme, et le lieu où se font toutes nos pensées."

Il justifie cette localisation par un argument plus rationnel qu’anatomique :

"les autres parties de notre cerveau sont doubles et nous n’avons qu’une seule pensée d’une
même chose en même temps."

L’argument nous surprend d’autant plus que nous connaissons aujourd’hui le rôle du cerveau et
de l’hypothalamus.

On a donc là un bon exemple de théorie philosophique qui semble appartenir au passé, la science
proposant désormais des explications plus satisfaisantes.

B. L’âge de la science.

En ce sens nous pourrions croire que le temps de la philosophie est passé et que les réponses
qu’elle apportait jadis à certaines questions sont aujourd’hui obsolètes du fait même du
développement des sciences. L’histoire de nos idées ne manifesterait-elle pas ainsi une sorte
d’évolution naturelle vers la science ? Peut-être pourrions nous alors proposer comme Auguste
Comte (1798-1857) une histoire de la pensée humaine selon plusieurs stades. Dans son Discours
sur l’esprit positif, 1re partie, Comte montre que l’on peut faire une analogie entre le
développement d’un individu et celui de l’humanité tout entière selon trois phases.

• L’état théologique : la tendance spontanée de l’esprit humain est de chercher les causes
absolues, c’est-à-dire sans rien qui les cause (une cause sans cause, une cause de soi). Ce
premier état se caractérise d’abord par une phase de fétichisme. Par exemple pour les
Grecs l’arc-en-ciel était vu comme la manifestation de la déesse Iris, messagère de la
déesse Hera, qui en remerciement de ces bons services fut transformée en arc dans de ciel.
Une telle explication nous apparaît comme complètement fantaisiste, plus de l’ordre de la
fiction, au sens où il semble que ce soit l’imagination et non la pensée qui puisse proposer
une telle réponse. Un mythe est en effet un récit fabuleux qui met en scène des êtres
symboliques. Cette explication nous paraît erronée mais elle montre néanmoins que les
hommes ont observé le phénomène et ne se sont pas contentés de le constater, ils ont
cherché à le justifier.
• L’état métaphysique : on y retrouve le même désir d’explication mais avec un souci
d’argumentation rationnelle et non plus un recours à des agents surnaturels. Ce moment
correspond à un travail de destruction des explications théologiques grâce au
développement de l’abstraction.
• L’état positif : la recherche des causes absolues est abandonnée au profit de
l’établissement de lois partielles et locales. On ne cherche plus une grande cause abstraite
qui permettrait de répondre à la question : pourquoi tel phénomène se produit ? La science
apporte une réponse à la question de savoir comment un phénomène précis se produit. Par
exemple la loi de la gravitation de Newton, explique les mouvements du système solaire
et le phénomène des marées sans qu’on ait besoin de savoir ce qu’est la gravitation.

La philosophie a donc laissé place à la science qui apporte des réponses qui semblent plus
satisfaisantes car elles obéissent aux critères de certitude, de précision, de réalisme et d’utilité. Si
une telle lecture de l’histoire de la pensée humaine est correcte, alors les philosophes ne seraient
plus d’époque ; le cours prend fin maintenant. Car la philosophie serait inutile et peut-être même
condamnable, car elle nous mettrait sur le mauvais chemin.

C. La philosophie comme gymnastique

Quelle pourrait alors être la fonction de la philosophie ? Pourquoi êtes-vous là dans un cours de
philosophie ?

Cf. Platon, Gorgias, 485a-485e :

« […] faire de la philosophie, c’est un bien, aussi longtemps qu’il s’agit de s’y former ; oui,
philosopher, quand on est adolescent, ce n’est pas une vilaine chose, mais quand un homme déjà
assez avancé en âge, en est encore à philosopher, cela devient, Socrate, une chose ridicule. Aussi,
quand je me trouve, Socrate, en face d’hommes qui philosophaillent, j’éprouve exactement le
même sentiment qu’en face de gens qui babillent et qui s’expriment comme des enfants. […]
Quand je vois un jeune, un adolescent, qui fait de la philosophie, je suis content, j’ai l’impression
que cela convient à son âge, je me dis que c’est le signe d’un homme libre. Et au contraire, le
jeune homme qui ne fait pas de philosophie, pour moi, n’est pas de condition libre et ne sera
jamais digne d’aucune belle et noble entreprise ».

Cependant est-il aussi sûr que la philosophie ne peut rien pour nous ? Elle nous rendrait donc
étranger au monde dans lequel nous vivons, ce monde dont la science nous explique le
fonctionnement. Cette opinion à propos de la philosophie est ancienne, Socrate de son temps était
déjà moqué par un auteur comique, Aristophane, dans Les Nuées.

D. La mesure de la philosophie

Pourtant Platon pose certaines question qui nous poussent à mettre en doute le propos virulent de
Calliclès :
Cf. Euthyphron.

"Socrate - Si nous nous disputons, toi et moi, à propos de nombre, sur la plus grande de deux
quantités, ce différend nous rendrait-il ennemis et nous fâcherions-nous l’un contre l’autre, ou
bien, nous mettant à compter, ne serions nous pas vite d’accord sur un tel sujet ?

Euthyphron - Certainement…

S. - Et si nous nous disputions sur la plus ou moins grandeur d’un objet, ne mettrions nous pas
vite un terme à notre différend en recourrant à la mesure ?

E. - C’est vrai.

S. - Et s’il s’agissait d’un poids plus ou moins lourd, nous n’aurions, je pense, qu’à recourir à la
balance pour nous mettre d’accord.

E. - Sans doute.

S. - Quel est donc le sujet de dispute impossible à régler qui pourrait susciter entre nous la haine
et la colère ? Peut-être ne l’aperçois-tu pas tout de suite. Écoute-moi donc et vois si ce ne serait
pas le juste et l’injuste, le beau et le laid, le bien et le mal. Ne sont-ce pas là des choses à propos
desquelles nos dissentiments et l’impossibilité d’arriver à les juger exactement suscitent à
l’occasion la haine entre nous, entre toi et moi et tous les hommes en général ?"

En distinguant des objets qu’il est possible de quantifier et d’autres qu’on ne peut que qualifier,
Socrate détermine le champ de la science et celui de la philosophie. Il s’agit dans les deux cas
d’évaluer mais il ne s’agit pas des mêmes valeurs : les unes seront numériques, mais que seront
les autres ? On ne peut se disputer longtemps pour savoir lequel de nous est le plus grand : il
suffit de sortir un mètre, c’est-à-dire de reconnaître une mesure commune, que personne ne
viendra mettre en doute car elle sera égale pour tous et de procéder à la mesure. Il s’agit alors
d’une quantité qui permet de répondre à la question. Mais pour savoir quel est le plus beau ou le
plus juste d’entre nous, est-ce de l’ordre de la quantification ? Ne sommes nous pas conduits à la
polémique à propos de ces questions qui portent sur les valeurs ? Qu’est-ce en effet que la beauté
ou la justice ? Et la science a-t-elle quelque chose à nous dire sur ces questions ? Ni la beauté, ni
la justice ne se mesurent.

Il y a donc une place pour la philosophie car certaines questions ne semblent pas être du recours
de la science, alors même que ces questions semblent importantes. Si l’on ne sait pas en effet ce
qu’est la justice, comment peut-on rendre la justice ? L’organisation des hommes en société
nécessite des tribunaux car nous ne respectons pas toujours les uns les autres, mais si nous ne
connaissons pas ce qui est juste, comment organiser la justice, c’est-à-dire l’administration
judiciaire ? Ces questions sur lesquelles va porter la philosophie sont donc aussi importantes,
peut-être même plus, que celles sur lesquelles la science va porter : que m’importe finalement de
savoir si c’est la terre qui tourne autour du soleil ou si c’est le contraire, cela ne change rien au
fait que le soleil se lève toujours pour moi à l’Est et se couche à l’Ouest. Sans aller jusqu’à
renverser l’ordre de priorité entre science et philosophie, peut-être faut-il le rééquilibrer.

Le discours philosophique peut donc bien prendre place à côté des autres discours. Il a sa
légitimité propre car il porte sur des questions que les autres domaines de connaissances ne
peuvent accaparer. On peut donc continuer le cours.

Cependant je dois vous avouer tout de suite quelque chose. Je ne vais pas pouvoir vous enseigner
la philosophie. Pourquoi ? Cf. Kant (1724-1804)...

II. La pensée du problème.


A. Comment apprendre à philosopher ?

Cf. Kant, Annonce du programme des leçons de M. E. Kant durant le semestre d’hiver 1765-
1766 :

"La philosophie n’est véritablement qu’une occupation pour l’adulte, il n’est pas étonnant que des
difficultés se présentent lorsqu’on veut la conformer à l’aptitude moins exercée de la jeunesse.
L’étudiant qui sort de l’enseignement scolaire était habitué à apprendre. Il pense maintenant qu’il
va apprendre la philosophie, ce qui est pourtant impossible car il doit désormais apprendre à
philosopher."

Kant distingue en effet deux types de connaissances :

• Les connaissances historiques (ex datis). Elles ont pour origine des faits, elles ne sont pas
des créations de la raison, c’est-à-dire de notre faculté de connaître. Il s’agit par exemple
de l’histoire. En tant que science, elle porte sur des événements qui ont eu lieu il y a plus
ou moins longtemps. On peut dire en ce sens que l’historien ne crée pas ses
connaissances, il les organise en montrant quels événements peuvent rendre raison
d’autres événements. Kant prend aussi l’exemple de l’anatomie : c’est un domaine de
connaissances qui consiste à prendre appui sur un certain nombre d’observations.

En ce qui concerne les connaissances historiques, il est possible de se contenter de les mémoriser.
Elles sont rationnelles : l’historien ne nous raconte pas des histoires, il s’agit d’une connaissance
objective, c’est-à-dire qui ne dépend pas de celui qui la prononce. Mais du point de vue de celui
qui l’acquière, elle est subjective dans le sens où elle dépend de celui qui la retient.

• Les connaissances rationnelles (ex principiis) sont celles qui sont produites par notre
raison. La raison est chez Kant, une faculté de notre esprit qui a pour fonction de nous
détacher des expériences sensibles que nous pouvons faire et de produire des idées. Les
mathématiques sont des connaissances rationnelles car nous ne voyons jamais un nombre
ou une figure géométrique, ce sont des concepts que nous produisons et qui nous aident à
organiser nos expériences sensibles quotidiennes.

A la lumière de cette double distinction, la philosophie peut apparaître comme une connaissance
historique : il y a la philosophie de Platon, celle de Descartes, celle de Kant même. Comprendre
ce qu’on dit les philosophes, est-ce faire de la philosophie ? Non, c’est seulement rendre possible
l’exercice de la philosophie. Pourquoi ?
Cf. Kant, Leçons de métaphysique :

" Un philosophe doit savoir philosopher, et pour cela il ne lui est pas nécessaire d’apprendre la
philosophie, sous peine d’être incapable de porter un quelconque jugement. On croit par exemple
que tout ce que dit Platon est vrai car on ne peut remettre en question l’acquis. […] Si nous
apprenons à philosopher, nous ne pouvons alors considérer tous les systèmes de la philosophie
que comme […] objets de l’exercice de nos facultés critiques. […] Jamais on ne devient
philosophe sans la connaissance, mais jamais les connaissances ne font à elles seules un
philosophe […]"

Philosopher ne consiste pas à faire de l’histoire de la philosophie. Cela pourrait même être
dangereux. Kant souligne en effet dans cet extrait le risque du principe d’autorité : si Platon l’a
dit, cela ne doit pas être remis en question. Pourquoi ? Mais parce que c’est Platon qui l’a dit !!!
Au contraire, il faut philosopher à partir de Platon, examiner ce qu’il a pu dire et juger par soi-
même de la valeur de ce qu’il a pensé. Kant a en effet, comme devise "Sapere aude !", c’est-à-
dire "Ose savoir !" Il faut donc sortir de sa situation de dépendance intellectuelle, de tutelle
mentale : il faut prendre position.

Car vous allez en effet être confrontés cette année à une diversité de réponses à des problèmes
philosophiques. C’est ce qui distingue la philosophie des mathématiques. La vérité du discours
scientifique repose sur le principe du tiers exclu : 2+2 ne peut faire que 4 et rien d’autre. Or en
philosophie il n’y a pas qu’une définition de ce qu’est la liberté, ou la beauté ou la justice, etc.
Toute position philosophique n’est que la conséquence secondaire d’un acte premier et plus
essentiel : poser un problème. La vertu philosophique majeure est en effet, comme le soulignait
Platon dans son Théétète, l’étonnement. Si vous êtes blasé, si vous considérez que tout va de soi,
si vous n’avez pas sur les lèvres des questions du type : "Mais pourquoi dit-on que le régime
démocratique est le meilleur ?", "L’histoire que l’on nous apprend peut-elle nous aider à
déterminer notre avenir ?", "Est-il possible de n’obéir qu’à ses désirs ?", questions que nous
aborderons cette année, alors vous n’entrerez pas en philosophie. Si le monde dans lequel vous
vivez et vous y compris, ne vous surprend pas et ne vous questionne pas, alors vous n’aurez pas
encore pris le chemin de la philosophie.

Voir des problèmes, des questions que l’on ne peut trancher rapidement, telle est peut être la
nature de la pensée qui philosophe. Ce qui compte c’est donc de philosopher, c’est-à-dire de
penser par soi-même. Comment s’y exercer ? En essayant de comprendre quels problèmes et
quelles réponses les philosophes ont apporté. Se former à la philosophie, c’est-à-dire apprendre à
philosopher par la philosophie, c’est-à-dire en passant par l’étude des philosophes.

B. Il faut sortir de la caverne.

Connaître les philosophes est donc une condition nécessaire mais pas suffisante pour philosopher.
Philosopher consiste donc à poser des questions, à voir des problèmes. Or celui qui questionne,
qui interroge, c’est celui qui ne sait pas et qui a conscience de ne pas savoir. Celui qui en effet ne
se sait pas ignorant ne va pas chercher à sortir de son ignorance. Celui qui se croit bien pourvu en
savoir, ne va pas chercher, il va rester sur son quant-à-soi, sur sa suffisance de faux savant : il
n’est pas ignorant, il est inconscient. Au contraire, celui qui questionne, se questionne avant tout
sur lui-même et sur sa position. Seul donc celui qui manque de savoir, peut le désirer et le
rechercher. Ainsi seul celui qui n’est pas savant, va pouvoir désirer, c’est-à-dire aimer le savoir et
le rechercher. Or telle est l’étymologie du mot philosophie : philein = aimer, sophia = le savoir.
Philosopher consiste donc à s’étonner de notre monde (et peut-être au premier chef de son
existence : LA question philosophique consiste à se demander pourquoi il y quelque chose plutôt
que rien ?) et de ce qui le constitue, nous y compris et à sortir de l’évidence. Cette recherche est
mise en scène par Platon dans un récit allégorique au livre 7 de La République.
Cf. Platon, La République, livre VII : "l’Allégorie de la caverne".

Tableau récapitulatif de l’allégorie de la caverne (de haut en bas : les différentes partie de
l’allégorie ; de gauche à droite : les étapes successives d’une explication du texte, de la
paraphrase (niveau zéro), à la problématisation (niveau 3)) :

Niveau zéro : "ce Niveau 1 : "c’est-à- Niveau 2 : "donc" Niveau 3 : "mais si…alors"
qui est dit" dire"

Activité mentale : Activité mentale : Activité mentale : Activité mentale :


observation analyse déduction problématisation

Résultat : résumé, Résultat : Résultat : portée de la Résultat : enjeu de la thèse


paraphrase explicitation des thèse => problème => problème dont il est
arguments et de la dont il est question question
thèse. => explication

1. Platon décrit une 1. Le fait que la 1. le monde que nous 1. Si la vérité est ailleurs,
prison souterraine caverne soit connaissons n’est pas le c’est qu’elle est une et
dans laquelle il ne souterraine signifie "vrai" monde, la vérité indépendante de l’homme ;
fait pas qu’il existe deux est ailleurs ; mais elle mais si l’homme peut y
complètement noir mondes, l’un nous est accessible et accéder, il faut alors, ou
parce qu’elle ouvre supérieur et inconnu, nous ne sommes donc qu’il la possède d’avance,
largement sur la l’autre inférieur, pas condamnés à ou qu’il en possède les
lumière. présentant le caractère l’illusion ou à l’erreur. critères. Dans les deux cas
paradoxal d’une il ne semble pas libre de
prison non close. juger du vrai.

2. Des prisonniers 2. Les prisonniers 2. La connaissance 2. Si l’évidence première


sont étroitement n’ayant jamais rien première est une n’est qu’illusion, c’est que
ligotés dans la connu d’autre que la limite ; par son la vérité doit être
caverne et disposent caverne, sont soumis immédiateté elle freine rectification : la
d’un champ de aux chaînes de ou empêche la connaissance est alors une
regard très étroit l’habitude, de leur recherche, donc accéder ascèse constante de l’esprit,
ainsi que d’un milieu et des à la vérité suppose une se critiquant et mettant en
éclairage indirect évidences premières, conversion de l’attitude, doute ses hypothèses.
assez faible, celui car la source de la un effort et du temps.
d’un feu. connaissance leur est
inaccessible par les
moyens immédiats et
ordinaires.

3. Le seul décor que 3. La route signifie à 3. L’homme a en lui 3. Mais si l’homme a en lui
nous décrit Platon la fois la distance et la l’obstacle à la vérité et la vérité comme une
est une route entre relation : il y a un le moyen de le lumière naturelle qui le
le feu et les passage vers le monde surmonter ; il dépend rend apte au savoir, ce qui
prisonniers, bordée supérieur ; mais le d’abord de ceux qui l’en empêche c’est alors
d’un mur derrière mur et les hommes à savent ce qu’il ne sait l’obstacle socioculturel, le
lequel passent des la fois cachent et pas. Tout détenteur de défaut de l’institution
hommes chargés révèlent le savoir savoir dispose donc enseignante, ou le
d’ustensiles et de accessible dans le d’un pouvoir qu’il est monopole du savoir
statues divers. monde inférieur. en mesure d’exploiter accaparé par quelques-uns.
en ne le partageant pas
complètement.

4. Grâce à la 4. Il n’y a que deux 4. L’accès à la 4. Si la connaissance


lumière du feu les niveaux de connaissance suppose sensible ne peut être
prisonniers peuvent connaissance que l’on franchisse négligée puisqu’elle
voir sur le mur les accessibles dans le deux degrés constitue le tremplin vers
ombres que monde inférieur : d’ignorance, celui des l’intelligible, elle est
projettent ces celui des ombres, fictions et celui de la cependant imparfaite : le
hommes derrière le doublement illusoire, perception sensible, savoir apparaît alors
mur. et celui des objets qui pour atteindre le niveau comme une ligne, orientée
sont portés sur le de la réalité : le monde vers la rationalité
chemin, copies du réel supérieur contient donc croissante, au détriment du
véritable. les modèles des objets subjectif, de l’intuitif, du
sensibles. poétique.

5. Les prisonniers 5. Dans un groupe, le 5. La recherche du vrai 5. Mais si la recherche du


sont d’accord sur la consensus se fait sur met en marge de la vrai est subversive, elle
réalité des ombres, une même définition société ; l’accès au vrai peut faire courir des risques
et n’en doutent du réel et du vrai, suppose donc une à l’ordre social en
jamais. généralement limitée subversion de dérangeant l’idéologie qui
à l’expérience la plus l’évidence officielle, le préserve ; le philosophe
commune. c’est-à-dire de apparaît alors comme un
l’évidence la plus gêneur, un déviant, qui doit
commode. être réduit au silence.

Ce texte est une allégorie, c’est-à-dire que ce qui est dit ne doit pas être compris comme une
description d’une situation réelle. Une allégorie est un récit qui signifie plus que ce qu’il dit : il
dit (legein) autre chose (allos). Dans La République, Platon s’interroge sur ce qu’il faut enseigner
aux futurs dirigeants politiques. Afin de dresser un programme d’éducation, il faut avant tout
s’interroger sur ce qu’est la vérité et quels sont les différents types de connaissances. Et en effet
cette allégorie fait suite à une distinction très précise qui va nous permettre de voir ce sur quoi va
porter la philosophie et ce dont il faut s’arracher pour philosopher.

Cette ligne est divisée en deux segments inégaux : l’un est donc plus important que l’autre mais
cette importance n’est pas quantitative. C’est une différence ontologique, c’est-à-dire une
différence d’être : ce qui est intelligible existe plus fortement que ce qui est sensible.

Pourquoi nos sensations ne nous font-elles rien connaître ?

Sur tout ce que nous pouvons sentir, nous ne pouvons avoir que des opinions.
Prenons une image : nos yeux nous en livrent une impression qui ne permet pas toujours d’en dire
la nature.

<------------------>

>------------------<

Les deux segments sont de longueur identique, seul le sens des flèches change d’orientation : ce
simple changement donne l’impression que le premier segment est plus court que le second.
Prenons un autre exemple : je peux trouver que la pièce est froide alors qu’un autre trouvera au
contraire qu’il y fait chaud. Nos sensations ne sont que la conséquence de notre relation à notre
milieu. La pièce n’est ni chaude ni froide : de mon point de vue d’être sentant elle m’apparaît
d’une certaine manière, alors qu’elle apparaîtra différente à un autre.
Cf. Descartes, Méditations métaphysiques, 1, le morceau de cire.

Il faut donc distinguer réel et apparence, c’est-à-dire vérité et mensonge ou illusion. Le réel ne
doit pas être nécessairement identifié au matériel. Qu’est-ce en effet que la matière si elle nous
est livrée par nos sens et que ces informations sont contradictoires ? Nos sens ne nous livrent
peut-être que des apparences, des illusions que nous prenons pour vraies. Nous jugeons qu’il y a
identité entre ce que nous percevons d’une chose et ce qu’elle est. Or en y réfléchissant nous
avons conscience que cette identification est un peu hâtive. Ce qui fait la nature d’une chose n’est
peut être pas dans ce que nous en appréhendons par nos sens. C’est pourquoi Platon propose une
alternative : ce qui fait la nature d’une chose n’est pas sensible mais seulement intelligible : c’est
une idée. Ainsi la définition de ces termes est paradoxale chez Platon car ce qui est réel ce sont
les Idées et ce qui est sensible n’est qu’illusion. Le réalisme de Platon est idéaliste : ce qu’il y a
de plus réel n’est pas sensible car ce sont les Idées.

Philosopher consiste donc à atteindre la vérité. En grec vérité se dit alétheia qui est en fait un mot
privatif : a-léthéia, c’est-à-dire sans voile ou dévoilé. Penser une chose, quelle qu’elle soit ne
consiste donc jamais à se contenter de ce qu’elle nous fait comme impression. Il est donc
nécessaire de se débarrasser de ses préjugés, de ses opinions toutes faites ou bien des idées des
autres pour pouvoir penser quoique se soit.

III. Le but de L’effort.


Récapitulons :

• La philosophie a une place comme discours


• Elle consiste à penser le monde et à ne pas se contenter de nos impressions et de nos
opinions
• Pour cela les philosophes peuvent nous aider

Bien, mais dans quel but ? Simplement parce que l’examen du bac comporte une épreuve de
philosophie ?

Non. La philosophie a depuis son origine un rapport étroit avec le bonheur.


Cf. Descartes, Lettre-Préface aux Principes de la philosophie :

" Et outre cela que, pour chaque homme en particulier, il n’est pas seulement utile de vivre avec
ceux qui s’appliquent à cette étude, mais qu’il est incomparablement meilleur de s’y appliquer
soi-même ; comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se
conduire, et jouir par même moyen de la beauté des couleurs et de la lumière, que non pas de les
avoir fermés et suivre la conduite d’un autre ; mais ce dernier est encore meilleur que de les tenir
fermés et n’avoir que soi pour se conduire. C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher
jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que
notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles
qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs
et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes,
qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ;
mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins
à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a
plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien
ils en sont capables. Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux
objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien,
nonobstant qu’elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favorise le plus, qui ont
abondance de santé, d’honneurs, de richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les
autres ; au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec le plus d’ardeur après un
autre bien, plus souverain que tous ceux qu’ils possèdent. Or, ce souverain bien considéré par la
raison naturelle sans la lumière de la foi, n’est autre chose que la connaissance de la vérité par ses
premières causes, c’est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l’étude."

Analyse du texte :

C’est grâce à une comparaison avec la vue (que nous avons déjà rencontré dans l’allégorie de la
caverne) que Descartes justifie son propos. Écouter l’avis des philosophes serait comme d’être
aveugle et de se laisser conduire par un autre. Autrement dit ce n’est pas entrer en philosophie
que de ne pas faire l’effort de penser par soi-même. Cependant Descartes a bien conscience que
la comparaison de la vue et de la pensée autonome ne peut être pleinement satisfaisante car ce
que nous découvrons grâce à cette dernière est bien plus satisfaisant que ce qu’une perception
directe peut nous livrer. La philosophie a en effet pour but de poser les principes qui vont pouvoir
orienter notre vie. Elle est une cartographie du monde qui va nous permettre de nous orienter et
d’agir en connaissance de cause, autrement dit d’être des individus libres et responsables. Pour
cela il faut se convaincre que tout homme peut philosopher et en éprouve même le besoin. Même
ceux en effet qui sont "si fort attachée aux objets des sens", ont conscience que la vérité est
ailleurs mais ne savent comment la chercher. Le contentement ne peut se trouver dans les biens
matériels mais dans la recherche du souverain bien, c’est-à-dire d’un bien qui soit bon
uniquement en lui-même et non pour ce qu’il peut nous apporter. Pour s’engager dans cette
recherche il convient en dehors des "vérités de la foi", c’est-à-dire de toute croyance qui se
présente comme une vérité dogmatique à laquelle il faut croire sans la remettre en question,
d’établir par le seul "bon sens", autrement dit la raison, quelles sont les "premières causes", c’est-
à-dire les principes les plus évidents, qui ne dépendent que d’eux-mêmes mais qui permettent de
déduire les autres (nous verrons qu’il s’agit chez Descartes du cogito). La philosophie engage
donc à un travail exigeant mais ô combien fructueux puisqu’il peut nous conduire au
contentement que seule la pensée peut apporter.

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