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L'HOMME ET SON D E S T I N
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IL A É T É TIRÉ DE CET OUVRAGE


VINGT EXEMPLAIRES SUR ALFA
MOUSSE NAVARRE NUMÉROTÉS
DE 1 A 20
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L'HOMME
ET SON D E S T I N
Une i n t r o d u c t i o n à l'étude de l'homme

par

E. TEUSCHER
D M é d . Vét.
Privat-docent à l'Université de Zurich

" LES EDITIONS DU SCORPION "


JEAN D'HALLUIN, ÉDITEUR - 1, RUE LOBINEAU, PARIS 6
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Copyright by « Editions du Scorpion » 1961


Tous droits réservés
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AVANT-PROPOS

Cet ouvrage représente un essai de synthèse scientifique


et philosophique sur la condition humaine. Il a pour but
d'esquisser une conception de la vie moderne qui tienne
compte des connaissances actuelles.
Cette tentative est bien entendu limitée par mes insuf-
fisances personnelles, et comme telle sujette à discussion.
Mais je me suis efforcé de tenir compte de certaines
acquisitions contemporaines essentielles sans oublier le
passé et d'appliquer l'esprit scientifique à des domaines où
il est souvent absent.
L'ensemble de l'ouvrage me semble plus important que
les détails que certains spécialistes pourraient traiter mieux
que moi.
Bien qu'il s'agisse d'un point de vue personnel, j'ai
essayé de documenter suffisamment le texte pour ouvrir
des horizons nouveaux et permettre au lecteur d'appro-
fondir certains sujets. Certes la bibliographie est bien
incomplète, mais elle est suffisamment indicative, et dans
certains ouvrages cités on trouvera des renseignements
complémentaires intéressants.
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D'ailleurs un savoir livresque ne suffit pas. Seule l'expé-


rience de la vie nous permet peu à peu de la comprendre
davantage dans une découverte toujours renouvelée.
Ce livre doit donc être lu comme un guide, dont chacun
pourra prendre ce qu'il voudra pour s'orienter dans un
monde qui change sans cesse.
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INTRODUCTION

1. LA VIE A-T-ELLE UN SENS ?

C'est là une question que l'animal, quelle que soit sa


place dans la hiérarchie, ne se pose pas et que l'homme
n'a sans doute commencé à se poser qu'après avoir par-
couru une longue évolution.
Il ne faut pas confondre cette question avec une autre
interrogation qui lui semble voisine, mais n'est pas iden-
tique : la vie vaut-elle la peine d'être vécue ?
La première question est objective et concerne le sort
et la raison d'être de toute l'humanité. La seconde est
personnelle et subjective.
La vie vaut-elle la peine d'être vécue ? La réponse d'un
homme n'engage pas celle d'un autre, puisque la valeur
que nous accordons à notre existence dépend de nous et
que le bonheur est un sentiment intérieur. Dans la même
situation un homme peut être malheureux et l'autre heu-
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reux. Il ne manque pas de philosophes qui de tout temps


ont pu dire que nous sommes les artisans de notre bonheur
ou de notre malheur.
Mais ce n'est pas ce problème qui nous intéresse pour
le moment. C'est la première question seulement que nous
voulons poser et définir ici, et elle concerne l'ensemble de
l'humanité sur le plan objectif.
« La vie humaine a-t-elle un sens ? » cela veut dire : la
création de l'homme, son évolution, son développement
progressif, son action sur notre planète a-t-elle été prévue
dans un grand plan d'ensemble, l'humanité joue-t-elle un
rôle, essentiel ou accessoire, mais utile, nécessaire et
sérieux ? (1)
Ou bien l'humanité a-t-elle été créée, mais par jeu, par
un Dieu intelligent qui aurait voulu s'amuser, voir ce qui
se passerait s'il laissait se débrouiller sur la terre un être
« fait à son image » ? (2)
Ou bien encore, l'Univers n'étant qu'un assemblage
d'ondes et de corpuscules électriques, le monde que nous
connaissons et dont nous faisons partie n'est-il que le
produit d'un hasard fabuleux, l'ordre étant né du chaos
sans que rien ni personne n'ait présidé à tout cela ? (3)

(1) F. Grégoire (Que sais-je, PUF) dans son étude sur « Les grands
problèmes métaphysiques » arrive à peu près aux mêmes conclusions.
Du point de vue métaphysique, il est indifférent pour la première
réponse qu'un Dieu ait préexisté à la création du monde ou qu'il se
crée lui-même en évoluant avec l'Univers.
(2) Cette réponse, qui pourrait être celle d'un christianisme mal
compris est peu vraisemblable. Elle est trop anthropomorphique et
correspondrait à la notion du Prince dont le bon vouloir fait la loi.
C'est sans doute pour cela que Grégoire ne la mentionne pas.
(3) Cette réponse peut entraîner chez l'homme deux attitudes
éthiques : l'une de découragement et de laisser faire, aboutissant
peut-être à la jouissance égoïste, l'autre constructive, l'homme don-
nant alors lui-même un sens à la vie (voir chap. 4). C'est pour cela
que Grégoire sépare cette réponse en deux. Mais une telle séparation,
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Ce sont je crois, les trois seules réponses possibles.


Seule la dernière exclut l'existence d'un Dieu ou d'une
Force réalisatrice intelligente. Les deux autres peuvent
permettre de concevoir un Dieu sous des aspects ou des
formes différents dont la métaphysique laïque ou religieuse
peut essayer de rechercher les attributions.
Nous nous limiterons tout d'abord à cette question
primordiale en essayant de voir comment y ont répondu
trois grandes idéologies contemporaines.

2. TROIS RÉPONSES.

Trois groupes idéologiques ont tenté de répondre plus


ou moins clairement à cette question, ce sont les chrétiens,
les marxistes et les existentialistes.
Les chrétiens (4) ont répondu d'une façon partielle. Ils
refusent la troisième hypothèse, mais n'ont pas choisi entre
la première et la deuxième possibilité. Ils ont dit : Il existe
une force organisatrice qui s'appelle Dieu, est unique, est
esprit et qui a créé l'homme « à son image ». Elle a laissé
à l'homme la liberté, mais une liberté limitée : celle d'ac-
cepter ou de refuser l'obéissance à Dieu. Le sens de la vie
existe du point de vue chrétien, mais seulement par rapport
à Dieu, le tout puissant. Il y a là une relation semblable à

possible sur le plan de l'éthique ne l'est pas en métaphysique


« objective ».
Il est bien évident aussi qu'une infinité de philosophies peuvent
être déduites de chacune de ces hypothèses. Mais il serait faux de
croire que toutes peuvent être encore acceptables aujourd'hui, même
si elles sont utiles à beaucoup d'hommes. Cf. chap. VII, 5.
(4) Le monothéisme est antérieur au christianisme (judaisme) et
donne une conception du monde très efficace dans l'ensemble. En
outre la philosophie chrétienne, comme toute philosophie a été com-
prise différemment selon le lieu et l'époque.
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celle du Maître et de ses serviteurs. Ceux-ci obéissent à leur


maître, lui sont utiles, mais ne savent pas, en fin de compte,
à quoi sert le travail qu'ils effectuent. Ils savent que ce
travail sert à quelque chose, que le maître tient à ce qu'il
soit fait, mais ils ne savent pas s'ils travaillent pour le
distraire ou pour lui être utile.
La doctrine chrétienne contient de nombreux autres
éléments que nous discuterons plus tard, en particulier
l'intervention directe de Dieu dans le monde. Mais ces
aspects de la doctrine sont indépendants de notre question.
Les marxistes (5) reconnaissent que le monde est orga-
nisé. Ils ne précisent pas toutefois si cette organisation est
due à un Dieu ou si elle est le produit du hasard. Le déve-
loppement du marxisme ayant été influencé par des fac-
teurs sociologiques et politiques des tendances diverses ont
pu coexister. Mais la plupart des marxistes nient l'existence
d'un Dieu, ou s'ils l'acceptent, ils ne pensent pas que ce
Dieu intervienne dans la vie humaine. Ils admettent une
évolution et parlent d'un sens de l'histoire et pensent être
capables de prévoir le développement futur.
Par conséquent, les marxistes ne répondent pas à la
question que nous avons posée et il n'existe pas d'incompa-
tibilité entre leur doctrine économique et sociale et les trois
réponses que nous avons envisagées.
Enfin les existentialistes (6) répondent assez nettement :
pour eux, Dieu n'existe pas. La vie humaine n'a aucun

(5) La philosophie marxiste a été au début plus ou moins em-


pruntée à des philosophes allemands (Hegel). Mais une doctrine
comprend toujours des éléments qui peuvent être dissociés. Une
évolution déjà amorcée, au moins dans le socialisme (A. Philip par
exemple) est possible. L'athéisme marxiste est dû à des circonstances
historiques et est plus politique que philosophique. La doctrine
marxiste est exposée dans la collection « Que sais-je » par H. Le-
febvre .
(6) Cf. Foulquier P. L'existentialisme, « Que sais-je » PUF.
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sens par elle-même. L'existence pour Sartre, si l'on en croit


« La Nausée » est absurde.
Donc, les existentialistes choisissent la troisième ré-
ponse : la vie humaine est un hasard.
Ceci dit, même s'ils retirent de cette conception un
sentiment d'angoisse, ils ne désespèrent pas nécessaire-
ment. Ils peuvent même en créant leur « essence » donner
l'exemple d'une éthique élevée. Ceci peut surprendre, mais
n'est contradictoire qu'en apparence, et nous verrons pour-
quoi.

3. LE GRAND MYSTÈRE.

En réalité il ne semble pas qu'il soit actuellement


légitime de répondre d'une façon catégorique à la question
que nous avons posée.
Il n'existe en effet aucun argument qui puisse nous
permettre de nier ou d'affirmer l'existence d'une raison
objective à la vie humaine.
On peut être tenté, personnellement, de décider pour
soi, si l'une ou l'autre de ces hypothèses est exacte. On n'a
pas le droit cependant de prétendre être dans le vrai, car
cette question-là, aujourd'hui encore, cache un mystère
insoluble.
Il est sage par conséquent de laisser la question sans
réponse, sur le plan objectif, tant du point de vue philoso-
phique que scientifique.
Certes, il est permis de prendre une position person-
nelle nuancée, et de dire par exemple qu'il est plus probable
qu'il existe un Dieu et que la vie humaine ait un sens que
le contraire. On peut fort bien trouver une série d'argu-
ments susceptibles d'accréditer une telle affirmation et il
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en est plusieurs qui sont plus ou moins classiques : l'orga-


nisation du monde, sentiment religieux assez facilement
inné, etc.
Mais au mieux nous pourrons dire qu'il existe une
organisation et qu'il y a une raison pour que l'humanité
existe. Nous ne pourrons pas dire actuellement quel est le
but de la vie humaine et nous ne pourrons connaître de
Dieu que quelques-uns de ses pouvoirs, rien sur son
essence.
Sur ce plan-là, c'est tout ce que peut apporter un acte
de foi, qui aurait quelque analogie avec le pari de Pascal
et ne serait pas, et de loin, irrationnel.
Par contre il est faux, à mon avis, de subordonner à
cet acte de foi-là le salut du monde et des hommes, et
d'essayer de séparer les hommes selon ce critère (7).
Car, aussi sincère que l'on soit, en répondant à cette
question, il subsiste toujours un doute et parfois même une
contradiction entre notre attitude officielle et notre senti-
ment intime.
Renonçons donc de répondre, sur le plan philosophique,
à cette question et laissons-la ouverte comme un grand
mystère qui nous dépasse.
La réponse de Sartre peut être subjectivement admis-
sible (8), mais elle ne peut être érigée en doctrine, et nul

(7) Et encore moins de diviser les hommes d'après l'acceptation


ou le refus d'un « catéchisme ». Nous verrons plus loin pourquoi
certaines croyances trop simplistes ou mythiques, malgré la part de
vérité qu'elles contiennent et leur justification psychologique ou
subjective, ne peuvent plus être acceptées à la lettre.
(8) L'absurdité ou le vide apparent de certaines situations ont été
bien mises en évidence par des livres comme « La Nausée » ou la
« La Peste ». Mais le point de vue de Sartre ou de Camus prend un
tout autre aspect si l'on envisage l'ensemble de la création et les
lois de son évolution.
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n'a le droit de dire qu'objectivement la vie humaine n'a


aucun sens.

4. CE QU'IL FAUT ADMETTRE.

Ayant liquidé ce point de discorde, chrétiens, existen-


tialistes et marxistes peuvent alors se retrouver, ainsi que
tous les hommes d'où qu'ils viennent et se poser une autre
question, qui elle, est essentielle :
Le monde existe-t-il, et si oui, comment est-il organisé ?
Tous les hommes répondent en fait que le monde existe.
Tous admettent une certaine organisation et tous acceptent
de vivre cette vie, même s'ils prétendent qu'elle n'a aucun
sens.
C'est ce qui explique que même les existentialistes
vivent, ont une morale et donnent un sens à la vie. Car,
disent-ils, puisque l'homme n'a pas de raisons d'être, il
peut s'en créer une. Puisqu'il a une existence, qu'il se crée
une essence. Et l'essence qu'il se créera peut être, chez les
plus nobles d'entre eux, fort belle, élevée et courageuse.
Mais si le premier point de discorde est discutable, il
n'en est plus du second. Il n'est plus possible en parlant
du monde de dire que l'on fait de la métaphysique. Il
n'est même plus possible d'affirmer à priori que l'homme
n'a pas d'essence et qu'il peut s'en créer une.
Dès qu'il s'agit du monde et de l'humanité concrète, on
n'a le droit de parler ou de discuter qu'après avoir étudié
les faits.

Ce sont ces faits que nous allons rapidement passer en


revue au cours de cet ouvrage, en prenant peu à peu posi-
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tion dans une querelle entièrement vaine si elle n'est que


verbale ou scolastique.
Le monde existe, l'homme existe. Etudions-les. Et nous
verrons ensuite quelles conclusions il est permis de tirer
de nos connaissances actuelles (9).

(9) Certes, du point de vue individuel il est encore possible de


choisir l'acceptation ou le refus du plan de Dieu. Mais si l'on consi-
dère l'ensemble des hommes, c'est différent : une force intérieure
nous pousse à accepter la Vie. Cf. chap. X, 1.
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II

LES LOIS NATURELLES

1. LES LOIS GÉNÉRALES.

Il n'y a pas que les concierges qui soient curieux. Quand


Newton vit tomber une pomme — d'autant plus fameuse
qu'elle n'a peut-être jamais existé — il se demanda : Pour-
quoi cette pomme tombe-t-elle ?
Et de la chute de la pomme, il déduisit les lois de la
gravitation universelle.
Car il existe, des lois que n'ont fixées ni Romulus, ni
Lycurgue, ni aucune assemblée politique. Elles sont ins-
crites dans la nature. Quand une pomme est mûre, il se
produit une transformation dans ses tissus qui deviennent
plus mous. A un moment donné, le poids de la pomme
dépasse la force de résistance des liens qui la fixaient à
l'arbre. Les liens se rompent. Et la pomme tombe à une
vitesse qui s'accélère selon une loi que les physiciens ont
traduite par une formule algébrique.
Il est utile qu'une pomme tombe. Des animaux ou des
hommes la mangeront. Ils transporteront involontairement
la graine ailleurs et un nouvel arbre pourra naître. Ce phé-
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nomène fait partie d'un ensemble de lois formant une har-


monie, l'harmonie de la nature. C'est ainsi qu'un os brisé
se ressoude, qu'une petite hémorragie s'arrête, qu'une plaie
se cicatrise. L'eau a sa plus grande densité à + 4° C. Il
s'agit d'une exception. C'est ce qui permet à la glace de
flotter, aux poissons de continuer à vivre en hiver et rend
possible le maintien d'une faune et d'une flore aquatiques.
On s'est demandé si ces lois sont dues au hasard, et si
parmi les innombrables possibilités, seules celles qui con-
servent la vie ont subsisté. On s'est demandé s'il existait
des pommiers dont la pomme ne tombait pas, et qui ont
disparu faute de descendants.
Il est plus simple d'admettre que les lois de la nature
ont été réglées par une intelligence qui a prévu des méca-
nismes utiles et qui se complètent (10).
Mais s'il existe des lois fondamentales que nous sommes
obligés de considérer comme bonnes dans leur ensemble,
les applications particulières de ces lois ne sont pas tou-
jours parfaites. Le cal osseux qui se forme pendant la gué-
rison d'une fracture de la colonne vertébrale peut parfois
comprimer la moëlle épinière et provoquer ainsi des trou-

(1 0) Si l ' o n a p p r o f o n d i t la q u e s t i o n en m é t a p h y s i c i e n c e t t e « in-
t e l l i g e n c e » se m a n i f e s t e s o u s l a f o r m e d ' u n e t e n d a n c e g é n é r a l e d e
d é v e l o p p e m e n t ( é v o l u t i o n ) et s ' a p p u i e en p a r t i e s u r des m é c a n i s m e s
t o u t m o n t é s ( h é r é d i t é - i n s t i n c t - h a b i t u d e s s o c i a l e s ) , en p a r t i e s u r
des f a c t e u r s i m p o n d é r a b l e s , d u s a u h a s a r d , ( m i l i e u ) e t en p a r t i e s u r
l a d é c i s i o n l i b r e de l ' h o m m e . On p e u t d o n c d i s t i n g u e r : 1) u n e s o r t e
de c h a m p de f o r c e s g é n é r a l e s , u n p l a n g é n é r a l d ' é v o l u t i o n ; 2) des
d é t e r m i n i s m e s p h y s i q u e s et biologiques, qui d a n s l'ensemble abou-
t i s s e n t à u n e certaine convergence d a n s la direction du p l a n général ;
3) l a p r i s e de c o n s c i e n c e p a r l ' h o m m e é v o l u é de sa p l a c e d a n s l a
c r é a t i o n , ce q u i a b o u t i t à d e s a c t e s m o t i v é s et l i b r e s d a n s c e r t a i n e s
limites.
Il e s t a c t u e l l e m e n t i m p o s s i b l e de d i r e si D i e u est l' a u t e u r d u p l a n
g é n é r a l e t p r é e x i s t a n t à l a c r é a t i o n ou si Dieu se c r é e l u i - m ê m e e n
é v o l u a n t a v e c l a c r é a t i o n c o m m e le s u p p o s e n t c e r t a i n s p h i l o s o p h e s .
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bles graves. La cicatrice que laisse la guérison d'une endo-


cardite valvulaire peut être la cause de lésions du cœur
très dangereuses.
Ainsi l'application d'une loi générale bonne en soi, peut
être néfaste dans de nombreux cas particuliers.
Tous les biologistes savent que la nature n'est guère
favorable à l'individu, alors même qu'elle veille à la conser-
vation des espèces. La nature presque partout, applique la
loi du grand nombre. Sur mille pépins de pomme, combien
donneront des pommiers ? Les autres auront été perdus,
mais non inutiles, puisque le grand nombre initial est néces-
saire à la réussite de quelques-uns. Sur des millions de
spermatozoïdes, un seul, en général, peut féconder l'ovule.
Les œufs de poissons et les alevins ont tellement d'ennemis
qu'une infime partie d'entre eux seulement peut atteindre
l'âge adulte. L'espèce humaine a dû, et doit encore parfois
payer un tribut énorme à la mortalité enfantine, aux épidé-
mies, aux guerres et aux famines.
Ce qui est vrai à l'intérieur d'une espèce animale est
valable pour l'ensemble de la faune et de la flore terrestres.
Plusieurs espèces animales ont disparu au cours des siècles
et une seule a atteint un degré de développement qui per-
met la pensée créatrice et cet être privilégié est l'homme.
Cette loi du grand nombre, qui laisse au hasard le soin
de décider qui arrivera au but, mais qui prévoit que sur
mille ou cent mille tentatives quelques-unes réussiront à
coup sûr, ne se limite pas à la biologie. Elle est valable en
physique. On peut prévoir grâce au calcul des probabilités
et aux lois des grands nombres le comportement général
des molécules d'un gaz à une température et à une pression
données. Mais le comportement de chaque molécule en par-
ticulier est imprévisible. L'ensemble toutefois obéit à des
lois. Il en est de même dans la vie sociale des hommes.
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Pour un savant ou un artiste qui réussit, dix ou cent


échouent qui avaient peut-être au départ des chances égales,
mais n'ont pas rencontré des circonstances favorables à
leur développement. Les conséquences pratiques de telles
constatations sont très grandes (11).
Qu'elles soient absolues ou relatives, qu'elles soient
bien connues ou seulement entrevues, les lois naturelles
existent et l'homme est obligé d'en tenir compte. L'alpiniste
doit contrôler la solidité des pierres qui lui serviront d'ap-
pui. S'il ne le fait pas, l'accident lui rappellera tragique-
ment les réalités. La construction d'une maison ou d'un
pont pose aux ingénieurs des problèmes complexes et
ils doivent tenir compte de toute une série de lois pour
que la maison tienne debout et que le pont ne s'écroule pas
au premier passage d'un camion. Comme nous le verrons
plus tard, l'homme peut agir sur la nature. Il ne peut le
faire toutefois que s'il la connaît suffisamment.
Cependant ces lois vont plus loin encore. Elles ne con-
cernent pas seulement la vie matérielle, mais aussi la vie
de l'esprit. Pour penser d'une façon efficace, il faut le faire
avec une certaine méthode. La mémoire obéit à des lois
dont la connaissance augmente nos possibilités. La vie
morale, elle aussi, a ses exigences. Les méthodes de tra-
vail que nous adoptons, notre comportement vis-à-vis des
autres, la tournure de notre esprit sont autant d'éléments
qui peuvent amener le succès ou l'échec d'une entreprise,
le succès ou l'échec d'une existence. Or tout cela peut faire
l'objet d'une étude et d'un enseignement. La connaissance
des lois de la vie est la condition nécessaire de la réussite
dans tous les domaines.

(11) Ces constatations sont essentielles pour comprendre le pro-


blème du « mal » et celui de la liberté humaine. Nous y reviendrons.
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Ces lois, que ce soit celles de la gravitation universelle,


un principe de logique ou un précepte de morale, ne sont
pas arbitraires. Elles ne varient pas au cours des siècles.
Mais nous les connaissons imparfaitement et toute décou-
verte nouvelle peut modifier notre attitude.
De tout temps, l'infection des plaies a été due à des
microbes. Mais on ne l'a su qu'au siècle dernier et cette
découverte a changé les méthodes de la médecine et de la
chirurgie. Le monde où nous vivons se transforme sans
cesse. Il existe cependant commè un fil directeur, les lois
mêmes de cette transformation et ce sont elles qu'il faut
connaître pour ne pas perdre pied.
Ces transformations, longtemps, ont été si lentes que les
hommes d'une génération pouvaient croire à la stabilité.
Aujourd'hui tout change si rapidement que beaucoup
d'hommes ont été désarçonnés et ont cru parfois que tout
n'est que chaos.
Pour être dynamiques, les lois n'en existent pas moins.
Si nous les ignorons, nous en subissons les conséquences.
Le penseur qui raisonne faux peut induire en erreur des
foules entières et semer le malheur des hommes. Nous
sommes tous solidaires des fautes humaines, car celui qui
se trompe n'entraîne pas toujours sa propre perte, mais
très souvent, c'est celle des autres qu'il provoque (12).
Si nous les connaissons, en revanche, ces lois peuvent
nous permettre d'agir. Elles sont la base de toute action
positive.

(12) Cette interdépendance des hommes est très importante lors-


qu'il s'agit de définir une morale et d'en déduire les lois. Elle nous
oblige à ne pas nous limiter à l'individu, mais à nous élever j u s q u ' a u
social et même à concevoir une solidarité dans le temps. L'Ancien
Testament avait compris cette vérité dans des phrases comme celle-ci :
« car je suis l'Eternel, ton Dieu, un Dieu jaloux, qui p u n i t l'iniquité
des pères sur les enfants, jusqu'à la troisième et à la quatrième gé-
nération de ceux qui me haïssent... » (Exode 20).
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Car aujourd'hui encore, dans une période plus tragique


que jamais, l'humanité est capable de réaliser le meilleur
et le pire. Et dans une certaine mesure, ce choix dépend de
nous.

2. LES CAS PARTICULIERS.

Très souvent les lois générales qui président à la marche


du monde ne sont pas connues de ceux qui en sont les té-
moins et qui les vivent. Et les hommes ont mis sur pied des
théories qui expliquent partiellement ce que leur expérience
personnelle leur apprend. Ces théories sont souvent fondées
sur quelques cas particuliers ou sur des observations limi-
tées dans l'espace et dans le temps. Or l'on peut, en procé-
dant ainsi faire des erreurs considérables.
Un homme, connu pour sa vie peu édifiante, reçoit une
tuile sur la tête et meurt à l'hôpital. Il se trouvera toujours
des gens pour dire qu'il s'agit là d'une punition divine pour
sa mauvaise conduite. Et si, plus tard, un accident sem-
blable arrive à un homme parfaitement honorable, on ira
jusqu'à affirmer qu'il fallait qu'il eût des vices cachés pour
qu'une telle punition l'ait frappé.
Celui qui étudierait par contre tous les accidents de ce
genre qui se produisent, saurait que leurs causes fortuites
ne dépendent aucunement de considérations morales. Il
s'agit d'une loi générale de la nature : des accidents sont
inévitables et n'importe qui peut en être la victime (13).
(13) U n a c c i d e n t a s o u v e n t des c a u s e s r é e l l e s : i m p r u d e n c e , é t o u r -
d e r i e , m a t é r i e l déficient, m a l a i s e p h y s i q u e . Mais il y a t o u j o u r s a u s s i
u n é l é m e n t d û au h a s a r d : u n e i m p r u d e n c e n e t i r e p a s t o u j o u r s à
c o n s é q u e n c e , u n m a l a i s e n ' a b o u t i t p a s t o u j o u r s à u n a c c i d e n t . C'est
p o u r q u o i le c a l c u l d e s p r o b a b i l i t é s p e r m e t en gros de p r é v o i r le
n o m b r e total des accidents p e n d a n t un w e e k - e n d p a r exemple.
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Un autre cas est celui des prévisions des astrologues ou


devins. Un astrologue a prédit par exemple que Monsieur X,
célébrité mondiale, mourra cette année. Monsieur X meurt
vraiment. On en déduit que l'astrologue a la faculté de
prédire l'avenir. Mais on oublie que la mort de Monsieur X
a été prédite pendant dix années consécutives par des astro-
logues, à moins que ceux-ci se soient contentés d'une for-
mule plus vague encore : « Une personnalité connue du
monde des arts mourra cette année. » Il ne peut guère se
tromper, car il en meurt chaque année (14).
La connaissance des lois générales permet donc de
mieux expliquer certains événements, elle permet une pré-
vision globale mais n'autorise pas à elle seule de conclu-
sion certaine pour les cas particuliers.
L'appendicite n'est plus une maladie dangereuse actuel-
lement dans nos pays. Le taux de mortalité est presque nul.
Cependant il peut arriver que pour des raisons variables et
fortuites, un homme meure d'appendicite. Et pour lui et
ses proches, c'est ce cas particulier qui compte seul et non
le fait que l'appendicite en général n'est pas dangereuse.
Connaissant le taux de mortalité de la diphtérie, un mé-
decin pourra dire que sur mille patients atteints de cette
maladie, le nombre des décès variera entre deux nombres
limites, ou plus exactement qu'il y a 95 chances sur cent
que ce nombre soit compris entre deux nombres limites
connus. Mais le médecin ne saura pas, en s'appuyant sur
ces statistiques quels malades mourront (15).
(14) Certaines observations semblent établir une véritable clair-
voyance dans le temps. Dans certains cas une explication plausible
serait possible, dans d'autres aucune théorie acceptable n'existe
actuellement (Tischner R. : Introduction à la parapsychologie, Payot,
Paris, 1951 et Still A. : Aux confins de la science, Payot, Paris, 1955).
(15) Dans son livre « La statistique appliquée à la biologie »
C. Craplet donne de précieuses indications pour l'interprétation des
expériences et des observations en biologie (Vigot-Frères, Paris, 1951).
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Dans un cas particulier il pourra cependant faire un


pronostic plus précis s'il connaît l'influence habituelle de
plusieurs facteurs, tels que la rapidité de l'intervention
médicale, de l'âge du sujet, de l'électrocardiogramme, de
l'examen clinique etc...
La connaissance d'une loi globale permet donc de tirer
des conclusions, mais seulement sur un grand nombre de
cas. Inversement, on ne peut déduire une loi générale que
de l'observation d'un nombre suffisant de cas pour que le
résultat soit probant. Si l'on essaie un nouveau médica-
ment sur trois personnes atteintes d'une maladie qui guérit
parfois sans traitement, on ne peut pas conclure avec cer-
titude à son efficacité, même si les trois personnes gué-
rissent, car ce résultat peut être fortuit.
On a donc été amené à rechercher dans quelles condi-
tions une observation ou une expérience donnent des résul-
tats probants, et dans quelles conditions ces résultats
peuvent être dus au hasard. On a ainsi forgé un instru-
ment spécial, le calcul des probabilités, fondement des mé-
thodes statistiques dont nous allons dire quelques mots.

3. HASARD ET PRÉVISION.

Subjectivement, le hasard est pour nous une sorte de


personnage capricieux (la roue aveugle de la Fortune) qui
distribue heurs et malheurs, chance et malchance sans le
moindre discernement.
En réalité, le hasard n'existe pas. Nous appelons ainsi
un ensemble de causes dont nous ne pouvons pas prévoir
les effets dans des cas particuliers. Mais expérimentale-
ment, il nous est possible d'étudier et de prévoir le résultat
final sur un grand nombre de cas, grâce au calcul des pro-
babilités et aux méthodes de la statistique.
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Prenons un exemple. Si je mets couver un œuf, il ne


m'est pas possible de savoir d'avance quel sera le sexe du
poulet qui en sortira. Mais si je fais couver cent œufs, il
est très probable que j'obtiendrai environ cinquante pou-
lets mâles et cinquante poulettes. Si je répète cette expé-
rience plusieurs fois, j'obtiendrai des résultats différents,
mais le plus souvent le chiffre obtenu se rapprochera de
cinquante. Il s'agit d'un problème analogue à celui qui con-
sisterait à tirer d'un sac contenant cinq cents billes blanches
et cinq cents billes rouges cent fois une bille prise au ha-
sard. On dit que la probabilité d'avoir un poulet mâle ou
de tirer une bille blanche est de 1/2. Plus le nombre des
billes tirées est élevé, plus on a de chances que le résultat
expérimental corresponde au résultat théorique. On a dressé
des tables qui indiquent la probabilité des résultats pos-
sibles. Et on utilise ces tables en biologie ou en physique
pour voir si un résultat est dû au hasard ou à une cause
particulière.
Un traitement hormonal qui influe sur le sexe du poulet
après la fécondation changerait le rapport des chiffres obte-
nus. Selon une norme généralement acceptée, on dit que ce
changement est significatif s'il a moins de 5 % de chances
de se produire par hasard. Connaissant le résultat obtenu
normalement et ses variations fortuites possibles, on peut
ainsi apprécier l'influence d'une cause surajoutée (16).
Un problème analogue nous est posé si l'on cherche à
répondre à une question d'apparence fort simple : quel est
le poids normal d'un homme ?
On peut tout d'abord rechercher le poids moyen, mais

(16) Outre l'ouvrage de Craplet déjà cité (note 15), on peut signa-
ler celui de Férignac P. et Morice E. « P o u r comprendre le calcul des
probabilités » Doin, Paris et dans la collection « Que sais-je » les
études de M. Boll.
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les variations individuelles sont trop grandes. Le poids


moyen est beaucoup trop élevé pour un enfant, trop faible
pour un colosse.
On peut alors diviser la population en hommes et en
femmes, garçons et filles. On trouve alors un poids moyen
pour chaque catégorie, beaucoup moins variable, surtout
chez les adultes. Mais pour les enfants, on s'aperçoit qu'il
est nécessaire de tenir compte de l'âge. La vitesse de crois-
sance des enfants n'étant pas uniforme, il peut être utile de
déterminer le poids moyen d'un enfant d'un âge et d'une
taille déterminée. On peut faire de même pour les adultes.
Ceci nous permet d'établir un tableau de poids moyens
qui peut servir de repère pour l'étude des cas particuliers.
Mais deux hommes de même taille et de même âge peuvent
avoir des poids fort différents et pourtant être encore consi-
dérés comme normaux. Ils peuvent peser par exemple l'un
soixante et l'autre quatre-vingt kilos. Si l'on inversait les
poids, tous deux seraient probablement gravement malades.
Pourquoi ? Parce qu'ils appartiennent à deux constitutions
différentes, l'un étant par exemple un leptosome, l'autre un
athlétique ou un pycnique (17).
En poussant assez loin l'analyse, on est alors à même
d'établir un tableau tenant compte de l'âge, du sexe, de la
constitution et de la taille et qui permet de déterminer avec
précision le poids normal d'un être humain pris en parti-
culier et les variations physiologiques acceptables. Un tel
tableau est très précieux pour le médecin.
La pratique des méthodes objectives et les techniques
mathématiques fondées sur les lois des grands nombres
nous permettent de serrer la réalité de plus près et de com-
prendre les lois de la vie. Ces lois ne sont pas faites d'abso-
lu, mais présentent des variations entre certaines limites

(17) Voir chapitre V, 2, La Constitution.


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situées de part et d'autre d'un optimum. La connaissance


des conditions optimum et des limites à ne pas dépasser
forment le cadre de l'intervention de l'homme dans la na-
ture. Une vache qui donne beaucoup de lait est plus ren-
table qu'une mauvaise laitière. Mais au delà d'un certain
chiffre, le coût de la nourriture et les risques de maladie
rendent illusoire le profit escompté. Une telle étude est donc
très intéressante pour déterminer notre comportement.
C'est ce que fait l'éditeur qui lance dix ouvrages avec la
probabilité théorique que l'un d'eux ait une vente suffi-
sante pour payer le déficit des neuf autres. C'est ce que
fait le gouvernement quelque peu éclairé qui veut influen-
cer une conjoncture économique. Les applications pra-
tiques et l'importance théorique de ces méthodes sont
énormes. Il ne nous est cependant pas possible d'en donner
plus qu'un aperçu et nous renvoyons pour plus de détails
aux ouvrages spécialisés (18).

(18) Les lois des probabilités ne sont pas seulement un i n s t r u m e n t


de travail pour le savant. Elles sont indispensables pour comprendre
le monde dans tous ses aspects. C'est pourquoi en méconnaissant ces
lois, beaucoup de philosophes ou de penseurs religieux se sont achop-
pés à des problèmes « insolubles » tels que le problème du « m al »,
de la liberté humaine etc... Mais pour être utile, la notion de proba-
bilité doit être concrétement, voire expérimentalement comprise, et ne
doit pas consister seulement à appliquer aveuglément des formules.
On aboutit sans cela à des absurdités comme celle qui consiste à
refuser le qualificatif d'impossible à une probabilité de
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III

DE L'ANIMAL A L'HOMME

1. L'ANIMAL.

Les savants qui ont étudié l'histoire de la Terre sont


aujourd'hui d'accord pour admettre que l'animal est venu
au monde avant l'homme. On sait aussi que les formes ani-
males dites les plus simples ont fait leur apparition avant
les formes les plus compliquées. On en a ainsi déduit une
évolution des espèces dont le dernier chaînon aboutirait au
genre humain (19).
Or, certains êtres vivants créés au début de l'histoire du
règne animal sont encore sur la Terre, tandis que d'autres,
pour des raisons variables, ont cessé d'exister. Des transfor-
mations géologiques ou les changements du climat terrestre
sont le plus souvent les causes de ces disparitions.
Le développement et la disparition des êtres vivants sont
(19) A propos de Darwin, je viens de lire une intéressante bro-
chure de H. Burla (« Darwin und sein Werk », Vierteljahresschrift
der Naturforschende Gesellschaft in Zürich, 1958).
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en partie liés au hasard. Mais cette notion de hasard


demande une explication.
Le sens général de l'évolution a été fixé par un méca-
nisme que nous ne comprenons pas encore complète-
ment (20). Dieu a tenu compte de lois générales immuables,
mais a lancé des essais en grand nombre, sachant que quel-
ques-uns seulement étaient appelés à réussir. Selon cer-
taines conceptions assez séduisantes (21), Dieu savait que
le règne animal évoluerait dans une direction déterminée,
qu'elle irait du simple au compliqué, du maritime au ter-
restre, de l'instinct à l'intelligence. Il savait aussi que les
directions de ces transformations pourraient varier un peu,
qu'il y aurait même des voies collatérales, des tentatives
avortées. Il ne savait pas quelles souches réussiraient, les-
quelles seraient anéanties. Il savait seulement qu'un cer-
tain nombre de ces essais, et un nombre suffisant, abou-
tirait. C'est ainsi que les grands mammifères terrestres ont
disparu, leur organisme n'étant plus adapté aux nouvelles
conditions de vie. Les grands mammifères maritimes en
revanche, ont subsisté jusqu'à nos jours et n'ont été mena-
cés que par la chasse que leur fait l'homme. Il reste une
quantité énorme d'espèces animales et la vie s'est poursui-
vie sans arrêt depuis son apparition.
La création tout entière semble reposer sur des ten-
dances ou des mécanismes de développement. Un œuf con-

(20) Des d i s c u s s i o n s s u b s i s t e n t c o n c e r n a n t l ' h é r é d i t é d e s c a r a c t è r e s


a c q u i s e n t r e les p a r t i s a n s d e s s e u l e s m u t a t i o n s e t d e s o p i n i o n s p l u s
n u a n c é e s . Il e s t en t o u t cas c e r t a i n q u e des t o x i q u e s (alcool) p e u v e n t
a g i r s u r les c e l l u l e s d e l a l i g n é e g e r m i n a l e e t q u e les r a d i a t i o n s p r o -
v o q u e n t d e s m u t a t i o n s . M a i s si les m é c a n i s m e s de l ' é v o l u t i o n n e s o n t
p a s t o u s é c l a i r c i s , elle n ' e s t m i s e en d o u t e p a r p e r s o n n e . ( V o i r l ' a r -
t i c l e de E. D e c h a m b r e : l ' h é r é d i t é d e s c a r a c t è r e s a c q u i s d a n s la
R e v u e de P a t h o l o g i e g é n é r a l e , 1959 e t 1960).
(21) L e c o m t e d u N o ü y : L ' a v e n i r de l ' e s p r i t . G a l l i m a r d , 1938.
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tient en puissance toute l'évolution du poussin et du pou-


let, puis de la vieille poule ou du vieux coq. Cependant cette
évolution peut être interrompue à tout stade et les circons-
tances extérieures, nourriture ou maladie peuvent la modi-
fier considérablement. Le même principe semble avoir réglé
l'évolution du règne animal et de l'homme. Une tendance
générale s'est réalisée avec la souplesse qu'exigent les adap-
tations successives et seules les espèces ont réussi qui ont
trouvé des milieux favorables.
Les formes les plus simples sont représentées par des
animaux unicellulaires vivant dans l'eau de mer. Et tous
les êtres vivants recommencent leur existence au stade uni-
cellulaire dans un milieu adéquat. Pour la vie terrestre, un
système de protection spécial était nécessaire, ce qui sup-
pose une organisation un peu plus compliquée. Il en est
de même pour les animaux composés de cellules nom-
breuses et spécialisées. Ces animaux avaient tous au début,
une température variable, qui dépendait du milieu exté-
rieur. C'est encore le cas pour les poissons et les reptiles.
L'apparition des animaux à sang chaud, ou à température
constante, oiseaux et mammifères, représente à la fois un
progrès et une complication, puisque des mécanismes de
régulation deviennent nécessaires. Tous ces changements
n'étaient rendus possibles que par des modifications physio-
logiques importantes qui devaient obéir à une régulation
interne. L'hémoglobine de la grenouille serait inutilisable
pour le corbeau et celle du corbeau ne servirait à rien pour
la grenouille, car elles sont prévues pour fonctionner à des
températures différentes.
Le long cou de la girafe a posé un problème de physique
très important. La pression sanguine dans la tête d'une
girafe qui cueille des feuilles sur un arbre serait presque
nulle si le cœur devait en assurer à lui seul le maintien et
aucune girafe ne pourrait vivre, s'il n'existait pas dans ses
artères des valvules spéciales. Inversement, une girafe qui
boit de l'eau dans une rivière ne pourrait échapper à l'hé-
morragie cérébrale sous une pression sanguine énorme sans
un système de régulation. Chez l'anguille, un tel système
d'adaptation n'existe pas. Etendue sur une planche et pla-
cée verticalement, une anguille meurt parce que son cœur
se vide et qu'elle n'a plus une goutte de sang dans son cer-
veau. Mais l'anguille n'a pas l'occasion normalement, de
prendre une position verticale (22). Des mécanismes com-
pensateurs ne sont donc pas nécessaires pour elle.
Or, le hasard seul ne peut avoir créé de tels mécanismes.
Ils ont dû être prévus dans un plan d'ensemble. Si l'allon-
gement du cou de la girafe a été progressif ou si la girafe
est issue brusquement d'un animal au cou moins long, les
valvules des veines du cœur et celles des artères ont dû exis-
ter en même temps que le cou s'allongeait. Des girafes sans
valvule n'auraient pas survécu.
En général la nature a utilisé ou essayé toutes les solu-
tions possibles pour résoudre un problème déterminé. Ces
solutions peuvent coexister. Les moins bonnes peuvent dis-
paraître. C'est ainsi que les herbivores ont besoin, pour
digérer la cellulose de grands récipients où des microbes
effectuent comme dans une véritable étuve les processus de
fermentation nécessaires. Or ce problème a été résolu de
plusieurs façons différentes. Chez les ruminants, l'un des
quatre estomacs, la panse ou rumen assume cette fonction.
Chez le cheval, c'est le gros intestin qui s'en charge. Il en est
de même chez le lapin. Le kangourou, lui, possède un esto-

(22) J'ai emprunté ces deux exemples à un article de Portmann,


professeur de Zoologie à Bâle.

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