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Ensemble documentaire -

Les sciences

Ensemble documentaire

Repères :
* Une hypothèse est posée, dont on conclue certaines conséquences, lesquelles sont vérifiées
ou non par l'expérience : c'est la méthode hypothético-déductive. Une fois formulée, la théorie
prévoit donc le résultat de certaines expériences. Une fois formulée, la théorie prévoit donc le
résultat de certaines expériences ; ces expériences effectuées peuvent à leur tour modifier la
formulation de la théorie. Mais une nouvelle théorie n'est jamais simplement plus large, plus
compréhensive qu'une ancienne qu'elle conserverait telle quelle en la complétant. On ne peut
davantage affirmer qu'elle renverse purement et simplement l'ancienne théorie par la force de
nouvelles expériences. Un ensemble théorique peut toujours être corrigé ou être redressé par des
ajouts d'hypothèses ad hoc qui rendent compte d'un phénomène précis faisant entorse à la loi
générale.
Mais lorsque le système théorique est tellement corrigé que sa complexité propre dépasse
son pouvoir d'éclairer l'expérience, l'esprit scientifique se met en quête d'une explication plus
simple. Ainsi il est toujours possible de penser que les astres se meuvent autour de la Terre qui seule
demeurerait immobile ; mais les équations qui rendent compte de leurs mouvements sont si
complexes que supposer le Soleil au centre et les planètes, dont la Terre, tournant autour de lui,
semble s'imposer.

• En temps normal, une science se présente comme un ensemble cohérent et constitué de


savoirs et de méthodes qu'il s'agit d'acquérir. Elle se propose d'expliquer une partie du
réel. Sans tomber dans un relativisme naïf, l'idée que tout savoir se vaudrait ou
expliquerait la même chose, il est possible d'interroger l'origine et la progression des
sciences.

Texte 1.

L'ère positiviste, l'âge révolu des révolutions et l'époque du progrès par les découvertes.

Selon le « positivisme », courant philosophique fondé par Auguste Comte au XIXème siècle,
il faut distinguer l'évolution initiale des âges ou « états » de l'esprit qui se succèdent (« la marche
progressive ») et le progrès dans l'accumulation des connaissances, qui caractérise le dernier état,
l'état positif ( « les progrès de la science »). Seul ce dernier constitue une véritable avancée
scientifique mais, paradoxalement, il ne témoigne d'aucune évolution dans la pensée (son état fixe
et définitif).

« Pour expliquer convenablement la véritable nature et le caractère propre de la philosophie


positive1, il est indispensable de jeter d'abord un coup d’œil général sur la marche progressive de
l'esprit humain, envisagée dans son ensemble : car une conception quelconque ne peut être bien
connue que par son histoire.
En étudiant ainsi le développement total de l'intelligence humaine dans ses diverses sphères
d'activités, depuis son premier essor le plus simple jusqu'à nos jours, je crois avoir découvert une
grande loi fondamentale, à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble
pouvoir être solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de
notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d'un examen attentif du passé.
Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos
connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique, ou

1 Le positivisme
fictif ; l'état métaphysique ou abstrait, l'état scientifique, ou positif. En d'autres termes, l'esprit
humain, par sa nature, emploie successivement dans chacune de ses recherches trois méthodes de
philosopher, dont le caractère est essentiellement différent et même radicalement opposé : d'abord la
méthode théologique, ensuite la méthode métaphysique, et enfin la méthode positive. De là, trois
sortes de philosophies, ou de systèmes généraux de conceptions sur l'ensemble des phénomènes, qui
s'excluent mutuellement : la première est le point de départ nécessaire de l'intelligence humaine, la
troisième son état fixe ; la seconde est uniquement destinée à servir de transition.
[…]
Dans l'état positif, l'esprit humain, reconnaissant l'impossibilité d'obtenir des notions
absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers, et à connaître les causes intimes
des phénomènes, pour s'attacher uniquement à découvrir par l'usage bien combiné du raisonnement
et de l'observation, leurs lois effectives, c'est-à-dire leurs relations invariables de succession et de
similitude. L'explication des faits, réduite alors à ses termes réels, n'est plus désormais que la liaison
établie entre les divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux dont les progrès de la
science tendent de plus en plus à diminuer le nombre. »
Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 1830

=> Auguste compte distingue trois états de la pensée humaine. Lesquelles ? Cherchez un
exemple pour chaque étape.

=> Lorsque la science est arrivée à son terme à quoi l'esprit humain doit-il renoncer ?

=> Penser à partir du texte : la dernière phrase indique une clôture à venir du nombre de
faits à expliquer. Qu'induit cette idée ?

Texte 2. La révolution scientifique triomphe des « obstacles épistémologiques »


Les théories scientifiques éclairent l'expérience, mais également, contribuent à la
verrouiller, c'est-à-dire à imposer une certaine manière de la considérer qui pèse sur toute tentative
de la voir autrement. Le progrès scientifique consiste donc aussi à secouer le joug d'une théorie, à
envisager les choses autrement, à la compléter et la contredire : c'est en même, contre le
positivisme de Compte, le principal moteur.

« Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive


bientôt à cette conviction que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la
connaissance scientifique. Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la
complexité et la fugacité des phénomènes 2, ni d'incriminer la faiblesse des sens 3 et de l'esprit
humain4 : c'est dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de
nécessité fonctionnelle5, des lenteurs et des troubles. C'est là que nous montrerons des causes de
stagnation et même de régression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous
2 L'observation libre un ensemble de données complexes, qui, de surcroît, ne peuvent être étudiées n'importe quand et
aussi longtemps qu'on le veut
3 Accuser les imperfections de l'homme, ses yeux qui ne voient pas assez loin, son jugement qui n'est pas assez
impartial, assez puissant, etc.
4 Par son fonctionnement même.
5 Par son fonctionnement même.
appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette
toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. […] En fait, on connaît
contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce
qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.
L'idée de partir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures
de simples juxtaposition6 où un fait connu est immédiatement une richesse. Mais devant le mystère
du réel, l'âme ne peut se faire, par décret ingénue. Il est alors impossible de faire d'un seul coup
table rase des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce
qu'on devrait savoir. […]
Une connaissance acquise par un effort scientifique peut elle-même décliner. La question
abstraite et franche s'use : la réponse concrète reste. Dès lors, l'activité spirituelle s'invertit et se
bloque. Un obstacle épistémologique s'incruste sur la connaissance non questionnée. Des habitudes
intellectuelles qui furent utiles et saines peuvent, à la longue, entraver la recherche. […] Parfois une
idée dominante polarise un esprit dans sa totalité. Un épistémologue irrévérencieux disait, il y a
quelque vingt ans, que les grands hommes sont utiles à la science dans la première moitié de leur
vie, nuisibles dans la seconde moitié. […]. L'instinct formatif7 finit par céder devant l'instinct
conservatif8. Il vient un temps où l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le
contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l'instinct conservatif domine, la
croissance spirituelle s'arrête. […]
En fait, les crises de croissance de la pensée impliquent une refonte totale du système de
savoir […] Par les révolutions spirituelles que nécessite l'invention scientifique, l'homme devient
une espèce mutante, ou pour mieux dire encore, une espère qui a besoin de muter, qui souffre de ne
pas changer.
Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, 1938, Vrin.

=> Les anciennes théories sont-elles remplacées par les nouvelles uniquement car elles
étaient fausses ?
Sur quelle distinction Bachelard s'appuie – t- il dans le texte ?

=> Comment se fait-il qu'une théorie qui éclaire la réalité puisse aussi la cacher ? Cherchez
un exemple en sciences physiques.

Texte 3. Ce qu'il y a de neuf dans une révolution scientifique.

Thomas S. Khun, épistémologue états-unien, s'intéresse dans son ouvrage La structure des
révolutions scientifiques, de 1962 à la manière dont s'établissent de nouvelles théories. Le modèle
qui s'impose dans une science précise à un moment donné est appelé « paradigme », et la méthode
de recherche qui en découle est nommée « science normale ».

« Le terme de science normale désigne la recherche fermement accréditée par une ou


plusieurs découvertes scientifiques passées, découvertes, que tel groupe scientifique considère
comme suffisantes pour fournir le point de départ d'autres travaux. […]. Celles-ci étaient
suffisamment remarquables pour soustraire un groupe cohérent d'adeptes à d'autres formes d'activité
scientifique concurrentes ; d'autre part elles ouvraient des perspectives suffisamment vastes pour
fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre.
Les découvertes qui ont en commun ces deux caractéristiques, je les appellerai désormais
paradigmes, terme qui a des liens étroits avec celui de science normale. En le choisissant, je veux
6 Des milieux où l'on croit que savoir plus, c'est connaître plus de choses et non connaître mieux ce que l'on
connaissait déjà.
7 La tendance, en nous, à former de nouvelles connaissances.
8 La tendance, en nous, à rendre définitif ce que nous croyons vrai.
suggérer que certains exemples reconnus de travail scientifique réel, exemples qui englobent une
loi, une théorie, une application et un dispositif expérimental – fournissent des modèles qui donnent
naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique, celles par exemple
que les historiens décrivent sous les rubriques d' « Astronomie de Ptolémée » (ou de Copernic),
« Dynamique aristotélicienne9 » (ou newtonienne), « Optique corpusculaire » (ou optique
ondulatoire), etc. […]. Les hommes dont les recherches sont fondées sur le même paradigme
obéissent aux même règles et aux mêmes normes dans la pratique scientifique. Cet engagement et
l'accord apparent qu'il produit sont les préalables nécessaires de la science normale, c'est-à-dire de
la genèse et de la continuation d'une tradition particulière de recherche.
[…] Ces transformations successives des paradigmes […] sont des révolutions scientifiques
et le passage d'un paradigme à un autre par l'intermédiaire d'une révolution est le modèle normal du
développement d'une science adulte. »
Thomas S. Khun, La structure des révolutions scientifiques, 1962.

=> Repérez l'idée générale du texte.


=> Quelle est la définition d'un « paradigme » ? A quoi sert-il ?

Bilan de lecture

1. Auguste Comte pense-t-il que le progrès consiste en l'accumulation sans fin


d'expériences nouvelles ?
2. Le perfectionnement d'une théorie selon Comte se distingue t-il de l’instauration d'un
nouveau « paradigme » selon Kuhn ? Comment ?
3. Bachelard et Kuhn montrent que le progrès se fait par l'émergence de nouvelles
théories, éventuellement inconciliables avec les théories précédemment admises. N'y
a-t-il pas malgré tout quelque chose qui demeure lorsqu'une théorie est renversée ?

Brève note sur La structure des révolutions scientifiques, Thomas S. Khun, 1962.

L’épistémologue Thomas S. Khun (1922 – 1996) enquête, mène un travail d'histoire des
sciences sur leur évolution et arrive au constat que les démarches scientifiques ne naissent pas de
rien. Comment ont lieu les révolutions scientifiques ? Lors de changements de paradigmes.

Un paradigme c'est-à-dire ?
Le paradigme définit des problèmes et des méthodes qui sont légitimes, et en fournissant un
langage commun à la communauté des scientifiques, il permet une plus grande efficacité de la
pensée. Cela favorise la diffusion des idées, canalise les recherches et les investigations. Au sein
d'un paradigme donné, on pratique ce que Kuhn appelle la « science normale » : une science qui
progresse, de façon lente et continue, sans grande rupture.
=> C'est un cadre méthodique commun au sein duquel des scientifiques partagent le même
langage, les mêmes pratiques et peuvent échanger et travailler ensemble.

Comment et quand ont lieu des changements de paradigmes ?

9 Aristote, philosophe grec, 384 – 322 avant notre ère.


– Une science se constitue en se détachant de la métaphysique10 ou d'explications extra-
scientifiques du réel en mettant au point un langage précis, des instruments de mesure
exacts. Ainsi une science acquiert une certaine homogénéité dans son langage. Les
scientifiques partagent un cadre commun de références, de méthodes et de résultats.

On comprend que les démarches scientifiques n'ont pas attendu d'être purement scientifiques
pour exister. Une théorie qui n'est pas strictement scientifique au sens moderne du terme vient aider
une théorie à accumuler des faits. Ce fût longtemps le rôle de la physique héritée d'Aristote qui
s'appuyait sur une conception finalisée de l'Univers où chaque être tend vers une fin, le Souverain
Bien, selon ses fonctions.

Comment émerge une théorie scientifique ? En se détachant d'explications qu'elle


constitue comme étant non scientifiques par le biais d'expérimentations méthodiques qui lui sont
propres et discutables au sein d'une communauté de scientifiques partageant les mêmes méthodes.
Elle établit ainsi son propre paradigme.
– D'où un certain contrôle scientifique par les pairs au sein d'un langage commun.
– Comment naît un paradigme ? Au sein d'un même domaine d'explication des
paradigmes peuvent entrer en concurrence divers modèles d'explication.
C'est alors l'état de crise d'une science. Par différence avec son état normal où la science fonctionne,
produit des résultats acceptés par la communauté scientifique.

Un symptôme de crise d'un paradigme est la multiplication des versions qui ne s'accordent
pas d'une théorie entre les chercheurs. Versions qui ne s'accordent pas pour expliquer une anomalie
dans l'observation.

Exemple 1 : quand Antoine Lavoisier, chimiste français du XVIIIème siècle commença ses
expériences sur les « airs » i.e. sur le comportement des éléments lors de combustion le paradigme
dominant était celui du phlogistique. Le phlogistique ou l'idée selon laquelle le corps même d'un
métal contient un élément inflammable. Or chaque chimiste avait une version différente expliquant
le gain de poids des métaux sous l'effet de la combustion. Combiné avec l'utilisation de plus en
plus répandue en science d'instruments de mesure et de la théorie gravitationnelle de Newton le
phlogistique apparaît comme un élément de moins en moins utile à l'explication des phénomènes
de combustion.

Un autre symptôme est la multiplication d'anomalies ou d'approximations inexplicables.

10 Métaphysique : au sens littéral hérité du grec ancien : ce qu'il y a avant la nature, ce qui n'est pas observable
directement dans la nature. Exemple : la conception d'Aristote de la nature reposait sur l'idée que notre monde était
animé par un principe « téléologique » i.e. que chaque être tend naturellement vers une fin, le Souverain Bien.
Exemple 2. :Nicolas Copernic, astronome, 1473-1543 se plaint dans la Préface de son De
Revolutionibus de la trop grande complexité des hypothèses léguées par Ptolémée. Mais malgré le
succès explicatif du géocentrisme ce succès n'est que partiel. Bien qu'encore utile au XVème siècle
pour des observations pratiques et approximatives comme celles des marins il ne parvenait pas à
rendre compte des équinoxes et de la position des planètes avec la précision accrue offerte par les
observations et les calculs de Copernic.

– D'où des facteurs internes aux sciences qui expliquent le changement de paradigme, de
vision, de théorie. Ici le degré de précision de l'observation méthodiquement menée par
le calcul.
– Khun remarque aussi que des facteurs « psychologiques » entrent en jeu. Lorsqu'un
scientifique a travaillé toute sa vie sur un même modèle explicatif qu'il a utilisé une
certaine réticence naît en lui pour l'abandonner. A l'inverse un nouveau paradigme peut
sembler plus séduisant car promettre davantage d'énigmes à résoudre pour l'apprenti ou
le jeune chercheur attiré par de nouvelles énigmes à résoudre.

Etat de la « science normale » : la science progresse au sein d'un même paradigme. C'est
l'état le plus fréquent et régulier. Les querelles sont mineures et ne portent que sur des conclusions
au sein d'un même cadre méthodique. On observe des rapports de collaboration entre chercheurs.
Des hypothèses sont formulées et le scientifique s'attend à un résultat conforme à l'hypothèse.
Etat de crise : apparition d'anomalies qui se multiplient.
=> Concurrence entre plusieurs paradigmes.
=> Retour à une « science normale ».

L'émergence d'un nouveau paradigme en science :


1. Est assez rare.
2. Est liée dans la mémoire collective au nom d'un « grand personnage scientifique » [Copernic,
Einstein...] mais repose en réalité sur une histoire faite de petites découvertes « anormales » en
sciences qu'un nouveau paradigme prend en partie en charge et promet de mieux expliquer.
3. Rompt avec des explications passées mais pour rompre doit avoir réussi à clarifier les raisons de
cette rupture.
4. Se reconnaît après sa « victoire » face au paradigme passé i.e. sa capacité à effectivement
remplacer en nombre de chercheurs et en énigmes de la nature à résoudre.

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