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La République de Platon : la place de la poésie dans la cité idéale

Dans La République, Platon nous propose sa vision de la cité idéale, qu’il développe à travers
les dix livres constituant la pièce maîtresse de son œuvre. Il utilise alors la forme du dialogue
pour questionner ses contemporains sur ce que serait une cité juste. Mais revenons un instant à
Platon.

Quand il écrit la République, son œuvre est déjà riche de plusieurs récits et dialogue mettant en
scène son maître à penser, Socrate, dialoguant afin de trouver la vérité, ceci en questionnant les
personnes qu’ils rencontrent sur ce qu’ils savent, le tout en en pointant les contradictions afin
de trouver un nouveau savoir, constitué de l’ancien.

Ici, le dialogue socratique est assez complexe. Si tous les personnages du récit dialoguent avec
Socrate, ils sont assez nombreux et reviennent à plusieurs reprises durant les dix livres qui
composent le récit. Nous nous attarderons ici sur le livre II, qui s’attarde sur la position des
poètes dans la cité idéale, après avoir cherché comment définir l’homme juste.

Bien que nous nous attarderons sur la fin du livre à partir de 376c jusqu’à 398b, c’est-à-dire le
moment où Platon pose la question de l’éducation des gardiens de la cité par les histoires, il est
important de replacer l’extrait dans le contexte du livre II, qui voit dans un premier temps se
poser les bases du questionnement sur l’homme juste et injuste par les interlocuteurs de Socrate,
Glaucon et Adimante, les propres frères de Socrate, qui servent ici d’interlocuteurs peu enclins
à la contradiction, tant ils laissent Socrate dérouler sa pensée.

Le questionnement sur le juste et l’injuste est alors laissé de côté par Socrate, par l’argument
du manque d’éléments disponibles alors pour déterminer ce qui est le plus bénéfique pour
l’homme, c’est-à-dire agir injustement ou justement. Il propose, afin de résoudre ce problème,
de se pencher sur une échelle plus grande : celle de la cité.

Pour Socrate, juger d’abord si une cité a plus d’intérêt à être juste ou injuste, c’est-à-dire
préférer agir pour le bien commun ou dans son propre intérêt, permettra ensuite de résoudre la
question de l’homme juste ou injuste. Pour cela, il commence par déterminer qui habitera et
fera vivre cette cité, du cordonnier au fermier, du marchand au tailleur (369a à 371d). Une fois
déterminé ces différentes professions, Socrate édicte une règle qui dictera toute la suite du
dialogue : un citoyen ne peut exercer qu’une seule profession ou seulement un « rôle », car il
ne pourrait sinon se professionnaliser de manière exemplaire dans ce rôle. Dit d’une autre façon,
un cordonnier ne peut être cordonnier et tailleur à la fois car il serait mauvais cordonnier et
tailleur, tandis qu’en exerçant seulement un rôle, ce même tailleur sera mieux à même de
maîtriser son métier.

De cette cité « primitive », Socrate en déduit qu’il est impossible de lui trouver de l’injustice.
Pour Platon, les maux d’une cité sont comme une maladie, et l’environnement d’une cité
primitive est sain et inadapté à l’éclosion d’humeurs (dans le sens médical, comme des germes)
pour « polluer » la cité.

Cette métaphore de la cité en tant que corps humain, soumis à des humeurs, et donc des maux
comme l’injustice ou les crimes, permet de comprendre la pensée de Platon sur la manière de
gérer l’injustice à l’intérieur de la cité. En effet, en la considérant comme un mal biologique,
qui est avant tout conditionné par un environnement et des causes extérieures, Platon va juger
qu’une cité idéale fonctionne avant tout par suppression des éléments pouvant nuire aux
conditions idéales de la cité, comme l’idée qu’un corps sain vit mieux dans un environnement
sain.

Donc, pour « empoisonner » la cité primitive, Socrate enrichit sa simulation de cité par une
certaine richesse, celle des plats cuisinés, celle des lits pour manger, celle de l’or et de l’ivoire,
terreau propice pour Socrate à créer des situations d’injustice dans la cité. A cette cité s’ajoute
alors les personnes que Socrate juge inutile : chasseurs, peintres, musiciens, bijoutiers, et ce qui
nous intéresse ici, les poètes. Or, la cité grandissante, elle finit par atteindre ses limites et donc
une frontière avec une autre cité. Un conflit est donc à prévoir.

Ici, ce conflit avec cette cité est jugé comme naturelle et donc en dehors de tout jugement par
Socrate. Mais ce conflit le conduit à énoncer que la ville doit se munir de gardiens, ces gardiens
étant formés comme gardiens et uniquement comme gardiens de la cité.

Or, la question de l’éducation finit par être posé par Socrate à travers l’éducation des gardiens.
En 376b et 376c, Platon pose la question de savoir comment le gardien saura agir envers un
ennemi et comment agir envers un proche, en mettant ces deux situations en opposition. Pour
lui, la question de l’éducation est assez prosaïque : un gardien de la cité doit savoir qui il a en
face de lui et agir en conséquence. C’est là-dessus que se base Platon.

Pour cela, Socrate propose en 376d et 376e de raconter des histoires aux gardiens, puis d’en
débattre afin de les questionner par rapport à la situation des gardiens. Platon reconnaît donc un
pouvoir d’apprentissage aux histoires, mais nous allons voir qu’il va le limiter afin de modeler
ces gardiens tel qu’il l’entend.

Tout d’abord, Platon déclare que l’apprentissage des histoires (qu’il transmet par la musique)
doit se faire dès le plus jeune âge, car l’enfant est selon lui plus facile à modeler et à imprégner
des idées des histoires. Cependant, comme toutes les histoires ne sont pas bonnes, il en appelle
à des conteurs, des aèdes afin de contrôler ces histoires pour ne pas raconter de choses
mauvaises aux enfants.

En effet, si les enfants sont très malléables, alors même les mauvaises choses qu’ils apprennent
seraient donnés sans qu’ils s’en rendent compte, leur faisant imiter par l’apprentissage des
actions immorales et injustes. Ces « mauvaises » histoires sont énumérés entre 377e et 378e,
parmi lesquelles l’émasculation d’Ouranos par son fils Cronos (377e), les guerres entre dieux
(378b), ou encore les combats de géants (378c). Socrate, et Platon avec lui jugent ces
évènements de la mythologie difficilement compréhensible pour un enfant, comme ces
allégories. Dans cette volonté de « censurer » les mythes et histoires classiques, Socrate forme
un paradoxe face à une réflexion d’Adimante : il ne peut composer d’histoires et laisser donc
le soin aux poètes de choisir les histoires qu’ils racontent, même si la cité les censure sur leurs
choix.

La réflexion suivante de Socrate le mène à formuler que puisque le dieu est bon, il ne saurait
être considéré comme responsable du malheur des gens. Ainsi, les dieux sont responsables du
bonheur, mais Socrate demande à censurer là aussi toute mention de Dieu maudissant où
responsable de malheurs, préférant que les citoyens considèrent comme seul responsable de
leur malheur des conditions terrestres, eux-mêmes ou quelqu’un ou quelque chose d’autre
habitant sur terre. Ainsi, il censure une partie de l’Illiade, notamment les influences divines, par
exemple.

La deuxième chose que Socrate refuse est la présence d’un dieu qui peut se métamorphoser. En
effet, sa pensée est qu’un corps qui change le moins est un corps sain. De même, la force de
l’âme se mesure à la façon dont elle ne plie pas face aux problèmes. Or, comme Dieu est parfait,
il ne doit pas changer, il ne doit pas s’altérer : il doit être lui-même et pas un autre.

De plus, le dieu ne ment pas. Il est, dans sa perfection, inutile de mentir pour lui. Et de plus,
Socrate juge le mensonge comme un méfait, et ne veut donc pas que les modèles des citoyens
mentent.
Ainsi, les dieux ne mentent pas, ne changent pas, et ne sont pas doués du don de maudire les
hommes. Sans aucune contradiction de la part de ses interlocuteurs, Socrate clot ainsi le livre
II.

Le Livre III poursuit ses réflexions sur les choses à censurer avec la peur de la mort. Un bon
gardien n’ayant pas peur de la mort, il ne faut pas la lui apprendre ; or, la représentation de
l’enfer et des morts est selon nombre de poètes sinistre et un sort assez peu enviable. Ainsi,
Socrate refuse là aussi de pareilles histoires. De même, il refuse les noms comme Styx et
Cocyte, les jugeant effrayant.

De même, les héros ne se lamentent pas sur leur destin, à la fois pour servir de modèle, en
reprenant cette idée de l’âme parfaite inaltéré, mais aussi en reprenant le discours sur les dieux
qui ne sont pas responsables du maheur des gens. De plus, Socrate refuse que les héros rient, y
voyant ici là aussi une altération de l’âme. Le mensonge est aussi interdit, mais peut-être accepté
par les dirigeants de la cité, s’ils le jugent utile dans l’intérêt du plus grand nombre.

De même, Socrate revient plusieurs fois sur les textes homériques, les jugeant trop immorales,
présentant les héros et les dieux comme des personnages dont l’âme s’altère trop. A plusieurs
reprises, il présente de nombreux exemples venant de L’Illiade et de L’Odyssée comme de
mauvais exemples pour la jeunesse. Il indique alors allègrement que censurer dans ces œuvres
et tant d’autres pour assurer selon lui une bonne éducation aux enfants. En soit, les passages de
389e à 393a marquent parfaitement cette idée en multipliant les exemples autant bons que
mauvais.

L’autre chose que critique Socrate, et Platon avec lui, est la présence de discours rapporté. Par
cela, Socrate parle de discours imitant une personne dans un récit, ce qu’on appelle des
dialogues. La raison pour ceci est qu’un acteur, ou un poête, s’il imite une personne en état de
faiblesse, se met dans une position de faiblesse, ce qui est indigne de lui. Platon considère alors
qu’un acteur ou un aède ne peut imiter qu’une personne de même « force » que lui.

De plus, l’imitation est jugée comme un nouveau savoir ; or, Socrate a précédemment énoncé
qu’une personne ne doit se consacrer qu’à une seule tache afin qu’elle y excelle. Ainsi, si les
poètes apprennent aux gardiens à imiter, ces derniers deviendront plus faibles à la garde de la
ville. Il faut donc leur interdire l’imitation.

Socrate va ensuite énumérer les personnes qu’il juge « trop faible » pour être imité : les femmes,
les esclaves, les fous, les malades, les hommes mauvais, mais aussi toute autre forme de métier,
puisque cela reviendrait à apprendre ces métiers. Ainsi, et au fur et à mesure des éliminations,
Socrate ne peut accepter l’imitation d’un homme bon, dans le sens ou l’imitation conduirait à
prendre pour formateur la personne imitée.

La partie suivante parle rapidement sur la musique, et comment on ne devrait plus accepter que
les chants guerriers et valeureux afin de ne pas nuire au moral des gardiens. Ceci étant fait,
Socrate annonce en 398b la fin de sa réflexion sur l’art poétique et musical.

En conclusion, il revient de dire que Platon annonce ici une société artistique quasi-muselée, et
veut former un homme droit, quasiment sans ressenti, une presque machine capable seulement
de reconnaître ami de l’ennemi. Les règles autocratiques qui ponctuent ses réflexions ne visent
qu’à considérer tout élément jugé faible comme un parasite ou une maladie qu’il faudrait
exterminer au plus vite.

D’autre part, ces réflexions, comme on le sait, seront très vivement critiqués par d’autre
philosophes comme Aristote, qui introduira le concept de la catharsis, une opposition très
franche aux solutions proposés par Platon concernant les sujets des histoires et de la narration.

Des idées de Platon sur ces sujets, il ne reste aujourd’hui qu’une vision très éloignée et sans
doute déformée par les siècles nous séparant. Si la cité idéale de Platon se fait quasiment sans
les artistes, il est difficile de dire si elle aurait pu fonctionner en pratique.

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